BIENVENUE EN FRANCE!
Ce que dit le « phénomène » ÉRIC ZEMMOUR. Et ce que dit aussi l’entrée de JOSÉPHINE BAKER au Panthéon.
MALI SORTIR DES CRISES PERMANENTES Un dossier spécial 16 pages
ESPOIR VERS LA FIN DU PALUDISME ?
DOCUMENT NUMÉRIQUE, L’ENFER DU DÉCOR
NOS INTERVIEWS AVEC ◗ MOHAMED MBOUGAR SARR ◗ CÉCILE FAKHOURY ◗ MEHDI CHAREF ◗ AÏSSA MAÏGA
ÉDITO BÉCHIR BEN YAHMED TEL QU’EN LUI-MÊME
France 4 , 90 € – Afrique du Sud 49, 95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6, 90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0
par Zyad Z Limam
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édito PAR ZYAD LIMAM
BBY PAR LUI-MÊME Le livre est posé là, sur la table de mon bureau. Il vient de sortir, à Paris, et puis un peu partout, progressivement. Les mémoires autobiographiques et posthumes de Béchir Ben Yahmed. BBY, pour reprendre des initiales devenues célèbres, y mettait la dernière main, quand la pandémie de Covid-19 l’a emporté. Il nous a quittés le 3 mai dernier, à l’aube, le jour de la liberté mondiale de la presse, il avait 93 ans, presque un siècle. J’aime le titre (je l’ai proposé), J’assume. Ça lui correspond, ses réussites, ses échecs, ses intuitions, ses entêtements, ses fulgurances, ses faiblesses, BBY était entier, il ne finassait pas. Il ne regrettait rien. Dans ses derniers jours, il se battait pied à pied, par principe, tout en étant fatigué par son long chemin. Fidèle à lui-même, dans un monde sens dessus dessous, cherchant à avoir les idées claires, à être « debout » : « Je n’ai pas peur, m’avait-il dit sur son lit d’hôpital. Je ne veux pas être dépendant, je sais que ma vie a été vécue. J’ai fait du mieux possible entre le point de départ et le point d’arrivée. » La vie d’un point A à un point B. Voilà. La phrase m’est restée. Il fallait ce livre, qui échappe au « récit dominant », témoignage d’une génération unique, celle des indépendances. François Poli fut le premier à lui en parler. Puis ce fut Jean-Louis Gouraud, ami de toujours. Il y eut une première tentative prometteuse, et sans lendemain, avec Hamid Barrada et Philippe Gaillard, tous deux collaborateurs de longue date de Jeune Afrique. Puis Jean-Louis Gouraud proposa, fin 2011, de m’associer au projet. De 2012 à 2016, les entretiens se sont donc succédé pour rassembler la base du texte. BBY ne parlait pas comme il écrivait. Il était à la fois plus libre, moins organisé, plus instinctif. Il foisonnait d’idées, d’anecdotes. Il « tapait » pas mal aussi. La masse de travail est devenue impressionnante. En octobre 2017, je suis « débarqué », sans trop de cérémonie. Pour des raisons multiples et complexes, dont certaines n’ont rien à voir avec le livre lui-même. Tandis que d’autres ont certainement à AFRIQUE MAGAZINE
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voir avec le livre lui-même, un manuscrit devenu un peu fou, et un BBY plus qu’agacé par la lenteur et par ses propres hésitations. D’autres, tout particulièrement Joséphine Dedet, auteure et journaliste à JA, auront l’immense mérite de mener le manuscrit à terme. Ce livre, c’est lui. Un autoportrait réel, très proche de sa vérité, un BBY tel qu’il est, soucieux « de dire » sans filtre, avec ses sincérités, ses contradictions, ses silences, ses ambiguïtés, son sens du pouvoir, sa capacité à oublier ou à atténuer. Et ce regard unique, incisif, « sans fausse diplomatie », sur le monde tel qu’il était, tel qu’il est, et tel qu’il pourrait devenir. BBY fait revivre le soleil des indépendances, les espoirs et les désillusions de l’Afrique contemporaine, les convulsions du monde, les guerres d’Orient. On croise des personnages de l’histoire d’hier et d’aujourd’hui : Bourguiba, Houphouët, Lumumba, Che Guevara, Hô Chi Minh, Senghor (« un intellectuel et un homme d’action »), Foccart, Mitterrand, Omar Bongo, Hassan II, Alassane Ouattara (« un véritable ami »), et tant d’autres… On y retrouve l’histoire stupéfiante de JA (« Je voulais créer un journal qui dépasse les frontières, qui soit connu dans le monde entier », disait-il sans fausse modestie aucune). Et son roman personnel, l’autoportrait d’un entrepreneur aussi perspicace qu’aventureux, qui pensait que seule la persévérance pouvait mener au succès (« Le monde est peuplé de losers intelligents… »). Le texte ouvre aussi une porte sur l’intime, une réflexion émouvante, sur l’identité, la spiritualité, Dieu et la fin du chemin. Voilà, c’était un homme à part, un personnage unique, qui a su dépasser ses frontières, qui a vu grand, qui a mené une vie de journaliste, d’éditorialiste et d’entrepreneur, une vie libre, forte et dense. Dans les derniers moments, il faisait face au mystère de l’éternité, mais il ne croyait pas beaucoup à la persistance, à la postérité de l’œuvre humaine elle-même. J’espère que l’accueil, ici-bas, de ce livre, de son livre, lui prouvera, là où il est, le contraire. ■ 3
Extraits Ce chapitre se situe à la toute fin du livre. BBY propose un autoportrait très personnel.
Retour aux sources Si j’ai un seul mérite, c’est d’avoir suivi une voie difficile. De tous les jeunes nationalistes de ma génération, ces futurs hauts cadres du tiers-monde naissant, aucun n’a suivi l’itinéraire que j’ai emprunté. La plupart ont été ministres, fonctionnaires internationaux, Premiers ministres, parfois même chefs d’État. Aucun d’entre eux n’a fait, comme moi, une longue carrière de journaliste, de patron de presse, d’homme indépendant. Je l’ai voulu et j’en ai payé le prix. À ce titre, je suis quelqu’un d’atypique, peut-être d’original. (…) Je ne suis pas non plus un intellectuel. Je me considère comme un chef d’entreprise, un homme d’action qui risque son argent, sa vie. Un chef d’entreprise est obligé de résoudre des problèmes matériels. J’y ai passé toute ma vie. Et cela, ce n’est pas de l’intellectualisme. En revanche, les intellectuels qui sont devenus des hommes d’action m’intéressent. Senghor l’écrivain a construit un État en s’appuyant sur des principes que les Sénégalais continuent d’observer. De Gaulle, Bourguiba (même s’il n’écrivait pas comme ce dernier), Mitterrand, Obama sont à la fois des hommes d’action et des intellectuels. Je me considère aussi comme un homme de gauche. La personnalité qui m’a le plus influencé, Hubert Beuve-Méry, était un intellectuel de centre-gauche et un homme d’action. Il a créé un journal et s’est colleté avec tous les problèmes que cela suppose, notamment ceux liés à la préservation de son indépendance. (...) Avec le recul, je suis conscient que la chance et les rencontres ont beaucoup compté dans ma relative réussite. Encore faut-il savoir saisir les perches que nous tend le destin, « enfourcher le cheval qui passe », comme le disait François Mitterrand. Il y a aussi, évidemment, la persévérance, sans laquelle on n’arrive à rien. On me dit obstiné. Je le suis sans doute, car je n’abandonne presque jamais. Je sais qu’il faut « vouloir longtemps ». C’est la clé de tout. Le monde est peuplé de gens très intelligents qui n’ont pas réussi. Persévérance ne signifie cependant pas entêtement. La capacité à s’adapter est essentielle. Bourguiba nous l’a appris, Deng Xiaoping en a fait sa stratégie. Tous les grands chefs d’entreprise et les hommes politiques d’envergure ont su s’arrêter, voire reculer quand il le fallait. Je tâche de m’y employer. (…) 4
Aujourd’hui encore, je suis et je me sens Tunisien. Je suis de la génération de ceux qui ont lutté pour l’indépendance, l’ont gagnée, ont participé à l’édification de la nation et pour qui la nationalité est un honneur, un motif de fierté. C’est indélébile, inscrit au plus profond de moi ; je ne conçois même pas d’en changer. Vivant et travaillant en France depuis plus d’un demi-siècle, je possède aussi, depuis trois décennies, un passeport français. Si je n’y avais pas été obligé pour des raisons professionnelles, je n’aurais jamais pris cette décision. (…) Je ne suis pas Français, j’ai seulement un passeport français. Je ne regrette pas de ne pas être né Français, tout en sachant pertinemment que tout aurait été bien plus facile pour moi. Nous sommes le produit de notre lieu et de notre date de naissance. Je suis né à Djerba en 1928. Je suis donc musulman et Tunisien. Je ne peux pas – et ne veux pas – être d’identité française. Et quand on me dit : « Monsieur, vous êtes d’origine… », je réponds : « Non, je suis Tunisien, pas d’origine. » Je n’ai pas d’états d’âme. J’ai donné à la France plus qu’elle ne m’a donné. Je pense néanmoins la connaître et la comprendre, et j’éprouve une certaine admiration pour ce pays, qui, tout en ne représentant que moins de 1 % de la population du monde, a donné de grands savants, de grands écrivains. Il a beaucoup de qualités, comme les Français. Beaucoup de défauts aussi, que l’on connaît tous. Son histoire, millénaire, en a fait l’une des très grandes puissances planétaires, la sixième. (…) Je ne suis pas sensible au « fantasme » du retour au pays. Le temps a fait son œuvre. Je vais en Tunisie pour les vacances, pour garder le contact avec mes amis et ma patrie. Les personnes avec qui je peux discuter et avec qui je partage des souvenirs y sont de moins en moins nombreuses, c’est normal. La Tunisie post-Bourguiba, et maintenant post-Ben Ali, est une autre Tunisie, avec une autre génération, un autre rapport à la politique. J’en suis parfaitement conscient. Ceux qui ne comprennent pas que la Tunisie est passée à autre chose ont tort. (…) Plus le temps passe, plus je mesure tout ce que je dois à mon père, et je suis fier de lui. Il a eu l’intelligence de faire faire des études à ses enfants et de rompre le « cycle de l’épicerie ». Après le certificat d’études, il a dit à mon frère aîné, Sadok : « Tu seras pharmacien. » Dans son esprit, la pharmacie était l’épicerie moderne, AFRIQUE MAGAZINE
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le porte-parole du divin, mais je considère qu’il fut le stade suprême du business. Sadok a reçu une un très grand initié. Sa philosophie (la sienne, pas éducation française, au lycée Carnot. Selon la celle qu’on lui prêtera par la suite) trouve un écho conception djerbienne de la répartition des risques, en moi. Mohammed était un homme moderne. Il a mon père a envoyé mon deuxième frère à la Zitouna. révolutionné les mœurs et les usages d’un peuple Au bout de dix ans, Othman en est sorti docteur arriéré et ignorant. Il a édicté des règles qui ont fait en théologie, puis est devenu… épicier. Mon troisième faire aux Arabes un formidable bond en avant. frère, Brahim, qui était bagarreur et dynamique, Je suis proche des néo-islamologues Rachid a décrété : « Je ne veux pas faire d’études, je veux Benzine ou Abdelmajid Charfi, qui disent du Coran travailler. » Mon père ne s’y est pas opposé. Et Brahim qu’il « est la parole de Dieu, mais dans l’esprit, pas est devenu… épicier. Quand mon tour est arrivé, à la lettre ». Charfi va jusqu’à affirmer que le vin n’est Sadok est intervenu : « Béchir pourrait aller à Sadiki, pas interdit par l’islam, ou que le crime d’apostasie est un établissement prestigieux et qui, contrairement une chimère. En somme, la charia n’existe pas comme à Carnot, fait une place importante à la culture corpus religieux authentique. On l’a créée un siècle et arabe. » Mon père a dû trouver le projet raisonnable. demi après la disparition du Prophète, Voilà comment je me suis retrouvé à Tunis, un peu comme les catholiques élève du meilleur collège du pays, ont « créé » la religion catholique foyer du nationalisme. bien après la mort du Christ. Sadok a été mon deuxième père. Il faut, à mon sens, simplifier notre Tous mes frères ont été d’une gentillesse approche de la foi. Dans la religion et d’une générosité extraordinaires à mon musulmane, vous croyez en un seul égard. Ils travaillaient pendant que je Dieu, vous croyez que Mohammed faisais des études et dépensais. Pourtant, est son Prophète, et qu’il y a un à chaque fois qu’ils achetaient un bien, au-delà. Le reste est secondaire. Pour ils le partageaient en quatre, et m’en moi, dès lors que l’on partage ces donnaient donc une part. trois convictions, on est musulman. Un jour, Danielle a retrouvé des photos Ou, du moins, de culture musulmane. de mes parents. Elle les a fait encadrer La prière n’est pas une obligation et me les a offertes. Je ne sais comment absolue. Le pèlerinage non plus. elles sont arrivées jusqu’à nous. En tout Il ne m’intéresse pas, et je n’irai cas, ce sont les seules photos de mon père Béchir Ben Yahmed, jamais à La Mecque. De même, et de ma mère qui ont traversé le temps, J’assume : on peut se libérer du ramadan la seule manière tangible que j’ai de les Les Mémoires du fondateur de Jeune Afrique, en donnant aux plus pauvres. revoir. Elles sont sur mon bureau. J’emmène éditions du Rocher. Quand le Prophète a épousé celle de mon père partout où je vais. C’est Khadija, il est resté monogame la seule chose qui me rattache à lui. pendant vingt-cinq ans. Après, il s’est laissé aller. (…) J’ai interrogé Abdelmajid Charfi sur la crémation en islam. Après réflexion, il m’a répondu que ce n’était Reste la question de l’islam, et de la foi. Comme pas interdit. Ce type de penseurs m’intéresse, parce le dit l’islamologue tunisien Mohamed Talbi, je suis qu’ils cherchent. Je les lis, je les consulte, je discute de culture musulmane. Selon Talbi, nous tous, croyants avec eux. Les questions religieuses m’intriguent, mais non pratiquants, finissons par être seulement mais pas au point d’y passer des jours et des nuits. « de culture musulmane ». Je connais le Coran. Je sais J’ai envie de comprendre, mais pas d’aller plus loin. qui est le Prophète. Je sais ce qu’est l’islam, j’ai été Si je crois de moins en moins en la vie élevé dans cette religion. Quand le général de Gaulle éternelle, je n’ai pas pour autant complètement disait : « Je suis chrétien par l’histoire et la géographie », perdu confiance. Je ne suis pas absolument sûr il avait parfaitement raison. J’ai été croyant, pieux qu’il n’y ait rien « après ». Omar Khayyam disait : et pratiquant. Je ne suis plus pratiquant. Je suis « L’au-delà, c’est soit le néant, soit la miséricorde. » croyant… tout en ayant des doutes. Pour moi, ce J’en suis là. Et je penche plutôt pour le néant doute est consubstantiel à la foi. Ceux qui ont une foi que pour la miséricorde. Au seuil de la mort, aveugle sont des intégristes et des fanatiques. François Mitterrand, lui, a dit : « Maintenant, Les agnostiques croient à la non-existence je vais savoir. » Je serais tenté d’en dire autant. ■ de Dieu. Je ne sais pas si le Prophète fut littéralement AFRIQUE MAGAZINE
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ÉDITO BBY par lui-même
par Zyad Limam
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ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
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PARCOURS Randa Maroufi…
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Désir de connexions
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par Fouzia Marouf
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C’EST COMMENT ? La COP de la dernière chance ? par Emmanuelle Pontié
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CE QUE J’AI APPRIS Patrick Bebey 60
PORTFOLIO Samuel Fosso : Des autoportraits et des miroirs
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100 LE DOCUMENT Numérique, l’envers bien réel du décor
par Zyad Limam, Cédric Gouverneur, Venance Konan et Frida Dahmani
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Cécile Fakhoury : « Il faut connecter l’art contemporain africain au monde » par Zyad Limam
Joséphine Baker, une autre histoire française par Cédric Gouverneur
Mehdi Charef : « Rien n’était prêt pour nous »
Le début de la fin du « palu » ?
par Astrid Krivian
par Cédric Gouverneur
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DOSSIER MALI QUELLES SORTIES DE CRISES ?
Aïssa Maïga : « Beaucoup de choses m’indignent » par Sophie Rosemont
88
Lamine Seydou Traoré : « Tout ce que nous voulons, ce sont des résultats » par Emmanuelle Pontié
par Zyad Limam
114 VINGT QUESTIONS À… Kandy Guira
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par Emmanuelle Pontié
par Astrid Krivian
par Luisa Nannipieri
TEMPS FORTS Bienvenue en France !
Mohamed Mbougar Sarr : « La littérature est un pays de liberté absolue » par Astrid Krivian
Économie : L’étonnante résilience par Fatoumata Maguiraga
Souleymane Waïgalo : « La plupart des banques se portent bien ! »
P.88
par Emmanuelle Pontié
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Sécurité : Dans l’impasse ? par Boubacar Sidiki Haidara
P.08 Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
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SEKA LEDOUX - AMANDA ROUGIER
par Astrid Krivian
FONDÉ EN 1983 (37e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin
P.48
llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Muriel Boujeton, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Glez, Cédric Gouverneur, Boubacar Sidiki Haidara, Dominique Jouenne, Venance Konan, Astrid Krivian, Fatoumata Maguiraga, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.
VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
VENTES
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P.84 BUSINESS 104 108 109 110 112 113
Le retour des géants de l’Internet Paps, l’ambitieuse sénégalaise Cameroun : Un nouveau site pour Prometal L’expansion des zones économiques spéciales La République du Congo jongle pour éviter la faillite Le numérique donne un nouvel élan au cinéma par Jean-Michel Meyer
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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
SANDRA NKAKÉ ET JÎ DRU,
Tribe From The Ashes, Label Bleu.
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De gauche à droite, Jî Dru, Sandra Nkaké, accompagnés de la chanteuse Marion Rampal.
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JA Z Z
Sandra NKaké et Jî Drû
DÉSIR DE CONNEXIONS
Né du BESOIN DE FÉDÉRER autour de la musique durant le premier confinement de 2020, Tribe From The Ashes nous fait voyager dans une nouvelle dimension poétique. LA CHANTEUSE MARION RAMPAL, les saxophonistes Nathalie Ahadji et Thomas de Pourquery, la violoniste Anne Gouverneur, le pianiste Jean-Phi Dary… Ils sont une quinzaine à entourer Sandra NKaké et Jî Drû. La chanteuse et comédienne franco-camerounaise s’est alliée avec le flûtiste et producteur français pour façonner à la fois un son et une atmosphère : « Juste après l’annonce du premier confinement, Jî Drû et moi avons longuement échangé quant à notre place de troubadours, de passeurs d’émotions, de questionneurs du monde au moment
DR - SEKA (2)
Une partie des invités de l’album.
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où nous étions collectivement empêchés d’échanger. » De ce désir irrépressible de créer des connexions est né le morceau « Love Together », envoyé à des camarades musiciens issus de la scène jazz actuelle. Chacun, confiné, a renvoyé son interprétation sonore. Diffusé sur les réseaux sociaux, le résultat a reçu un si bel accueil que Nkaké et Drû ont décidé de poursuivre l’aventure. « Le déclic pour moi, précise le second, est aussi venu de la lecture d’une interview d’Angela Davis, qui décrivait la capacité de l’art à prolonger la lutte… J’ai trouvé cela beau et vrai, et les cendres du vieux monde se sont envolées pour créer cette tribu. » Ici, on entend aussi bien du Sun Ra que du Miriam Makeba ou du Alice Coltrane – en particulier son sublime et légendaire « Journey in Satchidananda ». Des influences digérées et nourries, le temps de 13 pistes, de harpe, de contrebasse, de batterie, de harpe, de flûte, de trompette et de piano Fender Rhodes. Dixit Nkaké : « Tribe From The Ashes est une aventure où poésie, chanson, spiritual jazz, classique se croisent. Nous avons hâte de présenter cette musique particulière et sensible. » Et nous, hâte d’en découvrir la version live (ils seront en concert le 24 janvier au New Morning, à Paris), que l’on devine d’ores et déjà hypnotique. ■ Sophie Rosemont 9
ON EN PARLE SOUNDS
À écouter maintenant !
❶ Amina
La Lumière de mes choix, 29 Music/Kuroneko
Il a suffi d’une rencontre avec l’auteurcompositeur et interprète Léonard Lasry autour de la chanson « Radwoi », écrite pour la maison Cartier. La complicité a été immédiate. En résulte ce disque majoritairement francophone, où se distingue cependant « Taffi Nari », chanté en arabe par une Amina qui n’a rien perdu de sa superbe vocale. Soleil tunisien, rock et pop lyrique : voilà un beau retour !
❷ Awa Ly SOUL
Safe and Sound, Zamora/Rising Bird Music/Pias
DIGNE DES PLUS GRANDES
Le groupe de blues créole Delgrès, la batteuse Anne Paceo, le songwriter Piers Faccini… Il y a du beau monde invité sur cet album de folk mystique et bucolique concocté par la gracieuse chanteuse franco-sénégalaise. Il s’offre aujourd’hui une réédition, agrémentée de trois remixes (on remarquera celui de Boddhi Satva) et de trois inédits (dont l’un partagé avec la Daara J Family), mais préserve sa veine intimiste.
Avec ce DEUXIÈME ALBUM, la chanteuse et guitariste anglaise devient incontournable sur la scène internationale. ON LA VERRA BIENTÔT à l’affiche du biopic sur Elvis réalisé par Baz Luhrmann, dans lequel elle incarnera la première grande rockeuse de tous les temps, Sister Rosetta Tharpe. Une nouvelle occasion pour Yola de rappeler l’importance des femmes noires dans la grande histoire de la musique, qui est aussi au cœur de son dernier album Stand For Myself : « Je voulais parler de leur isolement tant social qu’affectif, du fait que l’on oublie si vite ce dont elles sont capables. Il m’était nécessaire de raconter comment j’avais moi-même mûri et pris confiance, comment je m’étais échappée de mon environnement. » En effet, découverte au sein de la scène de Bristol, celle qui a (entre autres) chanté pour Massive Attack s’est lancée avec éclat dans le solo il y a quelques saisons. De quoi taper dans l’oreille de Dan Auerbach, des Black Keys, qui la fait enregistrer à Nashville. Ainsi, Stand For Myself s’inspire aussi bien de Minnie Riperton que du R’n’B américain ou des mélopées de la Barbade. ■ S.R. YOLA, Stand For Myself, Easy Eye Sound. 10
❸ James BKS
Wolves of Africa, 7 Wallace Fils de Manu Dibango, maître de l’afro-jazz disparu en mars 2020, le Franco-Camerounais James BKS a une certaine dextérité quand il s’agit de mêler rythmes bikutsi et afro-rap. Après avoir écrit pour des pointures américaines comme Snoop Dogg, il s’est lancé en solo sous l’œil bienveillant de son père, que l’on entend dans Wolves of Africa, ainsi que Yemi Alade, Jokair ou encore Little Simz. Et il a signé sur le label d’Idris Elba ! ■ S.R.
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JOSEPH ROSS - DR (4)
YOLA
Khansa Batma et Ahmed Hammoud.
CINÉ
PUNK FICTION
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Tarantino à Casa ? SEXE, DROGUE ET HEAVY METAL sont au programme d’un ovni dans la production marocaine, parfois bancal, mais qui a tout du film culte. Avec une actrice primée à Venise. ÇA COMMENCE TRÈS FORT juste avant le générique : une prostituée de Casablanca entre dans un taxi, faisant fuir un client choqué, et demande au chauffeur s’il connaît la blague du barbu et de la pute… S’ensuivra une rencontre choc avec un autre personnage sulfureux, un ex-rockeur à succès de retour dans son Maroc natal, habillé de peau de serpents des pieds à la tête, jusqu’à sa guitare électrique. Un couple improbable va ainsi se constituer et nous plonger dans la médina, avant d’être traqué dans le désert, rattrapé par son addiction aux drogues, à l’alcool… et par un psychopathe plus complexe qu’il n’y paraît… Attention, ce premier long-métrage est un film de genre, loin du naturalisme, même s’il est tourné dans les rues (les « zanka » du titre original : Zanka Contact) du quartier Cuba, quartier difficile de la vieille ville. Les personnages sont à la fois cassés et flamboyants, les sentiments exacerbés. On a parfois du mal à comprendre l’enchaînement des situations, mais quelle ambiance ! La bande originale, qui fait entendre le hard rock des Variations (groupe français d’origine marocaine qui a joué en première partie de Led Zeppelin), du rock touareg des années 1950, ou encore « les Rolling Stones de l’Afrique », Nass El Ghiwane, y est pour beaucoup. On pense à Quentin Tarantino (bande originale rock, personnages tordus, hémoglobine), Sergio Leone (le désert), et même à Jean Cocteau (un emprunt à Orphée, récemment déjà vu chez Mati Diop). Entre fiction trash et western spaghetti, une poésie dopée à la guitare électrique irrigue les deux heures de cette improbable cavale, où l’alcool coule à flots et la drogue se répand comme un venin. AFRIQUE MAGAZINE
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Si cette plongée dans le heavy metal marocain parfois foutraque (et où la femme n’est puissante qu’en étant passée par le trottoir…) finit par nous emporter, c’est grâce au soin donné à sa mise en scène, jusqu’aux décors et au son, et à son interprétation : Khansa Batma, qui incarne la prostituée à la voix d’or, a d’ailleurs été récompensée à la dernière Mostra de Venise. Ce qui aurait pu n’être qu’une série B pour fans de rock’n’roll s’avère finalement un film qui secoue les habituelles oppositions entre tradition et modernité, Occident et monde arabe. Hors champ, savoir que son réalisateur, Ismaël El Iraki, est un rescapé de l’attentat du Bataclan du 13 novembre 2015 ajoute à cette impression de fureur de vivre rock et post-traumatique… ■ Jean-Marie Chazeau BURNING CASABLANCA (France, Belgique, Maroc), d’Ismaël El Iraki. Avec Khansa Batma,
Ahmed Hammoud, Saïd Bey. En salles. La comédienne, qui incarne une prostituée, a été récompensée à la Mostra.
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ON EN PARLE
Le soul man du saxo était célébré à travers la planète, et tout particulièrement sur le continent.
LÉGENDE
LA TOURNÉE DES ADIEUX
LA PRÉCISION EST DONNÉE juste avant le générique final : ce film a été visionné par Manu Dibango et n’a pas été modifié depuis. Dix-huit mois après sa disparition, voici donc le célèbre et débonnaire musicien camerounais durant les cinq dernières années de sa vie. Avec de nombreux témoignages d’admiration, comme celui de Yannick Noah, qui l’appelle Tonton Manu et souligne qu’il a ouvert bien des portes en étant « le premier à avoir débarqué du Cameroun dans les années 1950 ». Ce précurseur de la world music pillé par Michael Jackson (qui a samplé son « Soul Makossa » sans l’avoir crédité) a su s’imposer dans le paysage musical mondial : aussi à l’aise avec un orchestre symphonique au Brésil que sur la scène de l’illustre Apollo Theater à New York, où il rejoue quarante-deux ans après avoir été le premier Africain à s’y produire. On le voit aussi de retour à Douala, Yaoundé ou encore Abidjan. Les archives sont rares, mais de généreux extraits de ses dernières prestations permettent d’entendre le maestro du saxo qui n’arrêtait jamais. ■ J.-M.C. 12
TONTON MANU (France), de Thierry Dechilly et Patrick Puzenat. En salles. AFRIQUE MAGAZINE
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Un documentaire sur les cinq dernières années de la vie de MANU DIBANGO, qui parcourait encore le monde à 85 ans…
Plat omeyyade, entre 600 et 800 apr. J.-C.
HISTORIQUE
ÉCRIN SUPRÊME
TODD WHITE ART PHOTOGRAPHY - DR
Entièrement restauré, l’Hôtel de la Marine accueillera durant vingt ans les chefs-d’œuvre de la COLLECTION AL-THANI, du nom de la famille princière du Qatar. IL AURA FALLU 135 millions d’euros de travaux pour que l’édifice parisien, situé place de la Concorde, renoue avec les grandes heures de l’ancien Garde-Meuble de la Couronne, lorsqu’il réunissait les objets d’art les plus précieux des collections royales françaises. Quatre cents ans plus tard, ce sont autant de mètres carrés que l’Hôtel de la Marine octroie à la collection du cheikh Hamad ben Abdullah Al-Thani, cousin de l’émir du Qatar, pour un loyer de 1 million d’euros par an. Pendant vingt ans, expositions permanentes et temporaires
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feront découvrir l’ensemble des 6 000 pièces de l’impressionnante collection, couvrant le monde antique à nos jours. L’exposition inaugurale frappe fort et met en lumière environ 120 chefs-d’œuvre, d’une somptueuse tête de jeune pharaon (1475-1292 av. J.-C.), taillée dans du jaspe rouge, à un ours replet et placide (206 av. J.-C.-25 apr. J.-C.) de la dynastie des Han, sculpté dans du bronze doré. Un voyage unique, au fil de cinq mille ans de savoirfaire exceptionnels et d’un large éventail de cultures et de civilisations. ■ Catherine Faye
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« TRÉSORS DE LA COLLECTION AL-THANI »,
Hôtel de la Marine, Paris (France), à partir du 18 novembre. hotel-de-la-marine.paris
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EN ATTENDANT LA PLUIE
Le premier long-métrage d’AÏSSA MAÏGA a été tourné au Niger au milieu de populations obligées de marcher des kilomètres pour s’approvisionner en eau. Esthétique et efficace. « UN FILM TOURNÉ DANS LE SAHEL, d’où je viens, où j’ai été procréée ! », avait annoncé la comédienne Aïssa Maïga [voir son interview pp. 84-87] en présentant son premier documentaire pour le cinéma au Festival de Cannes en juillet dernier. Une boutade pour mieux souligner les racines d’un projet qui lui tient à cœur : rendre hommage au courage des populations de cette région où les pluies se font de plus en plus rares… Il y a pourtant beaucoup d’eau sous leurs pieds, mais à 150 mètres de profondeur, et faute de forage et de puits, il faut marcher des kilomètres pour pouvoir remplir ses bidons. Une tâche souvent déléguée aux enfants, qui n’ont ainsi pas le temps d’aller à l’école, tandis que leurs parents partent toujours plus loin gagner leur argent. Entre documentaire et fiction, la caméra d’Aïssa Maïga s’attache à la figure de Houlaye,
jeune Peule de 14 ans qui se retrouve seule à devoir gérer la recherche de l’eau ainsi que ses petits frères… Notre regard est parfois troublé : qu’est-ce qui est authentique ? Qu’est-ce qui est reconstitué, fabriqué ? Une chose est sûre, la situation est réelle, aggravée par le réchauffement climatique. Les villageois de Tatiste (à 15 heures de route de Niamey) se sont mobilisés pour obtenir une intervention de leur gouvernement, avec l’aide de l’ONG franco-américaine Amman Imman. La réalisatrice arrive à faire passer de l’émotion et donne un souffle virtuose et poétique aux images du désert qu’elle montre au fil des saisons. L’occasion de rappeler qu’en Afrique subsaharienne, seulement 24 % de la population a accès à une source d’eau potable… ■ J.-M.C. MARCHER SUR L’EAU (Belgique, France, Niger), d’Aïssa Maïga. En salles.
POLAR
Le retour des Soprano SUR FOND D’ÉMEUTES RACIALES près
de New York, des mafiosi voient leur territoire menacé par des gangsters afro-américains. Nous sommes en 1967, à Newark, et c’est dans ce contexte historique et violent (très bien reconstitué sur les lieux mêmes, dans le New Jersey) que Tony Soprano, encore jeune homme, est fasciné par un proche de la famille : Dickie Moltisanti. Un personnage souvent évoqué dans la série multirécompensée Les Soprano, se déroulant trente ans plus tard. Pour s’y retrouver, pas besoin d’avoir vu les six saisons de cette saga qui a marqué l’histoire de la télé américaine au début des années 2000. Mais les fans décèleront dans ce préquel plusieurs clins d’œil, à commencer par le Tony Soprano adolescent incarné par le fils de James Gandolfini, l’acteur (décédé en 2013) qui avait porté au sommet son rôle de mafieux dépressif… ■ J.-M.C. MANY SAINTS OF NEWARK : UNE HISTOIRE DES SOPRANO (États-Unis), d’Alan Taylor. Avec Alessandro Nivola, Leslie Odom Jr.,
Michael Gandolfini. En salles. 14
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DOCU
ON EN PARLE
C U LT E
FELA KUTI
Made in England
BERNARD MATUSSIERE - DR
Pour célébrer ses 50 ans, l’album mythique LONDON SCENE connaît un nouveau pressage vinyle.
APRÈS L’ALTÉRATION du collectif Africa 70 à la toute fin des seventies, Fela Kuti fonde Egypt 80 avec son complice de longue date, le saxophoniste baryton Lekan Animashaun. En 1981, il enregistre deux albums mythiques : London Scene et Live! With Ginger Baker, réédités en vinyles cet automne pour le premier, et en février pour le second. Enregistré dans les studios Abbey Road, London Scene impose, dès son titre inaugural « J’Ehin J’Ehin », des rythmiques entêtantes, des claviers stellaires, des cuivres lyriques, le tout pour servir la grande cause afrobeat. Porté par les appels engagés de Fela, « Egbe Moi » nous sort d’une torpeur, tandis que les sursauts cuivrés de « Who’re You » et de « Buy Africa » annoncent le morceau final, « Fight to Finish ». Un grand disque, dont les couleurs disparates se retrouvent sur le vinyle lui-même : bleu, rouge et blanc. ■ S.R. AFRIQUE MAGAZINE
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FELA KUTI, London Scene, Partisan/Pias.
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ALSO KNOWN AS AFRICA,
Carreau du Temple, Paris (France), du 12 au 14 novembre. akaafair.com
Les Justiciers de la nature, Christiano Mangovo, 2020.
ARTS
IT’S TIME FOR AFRICA !
CETTE ANNÉE, Also Known As Africa (AKAA) met à l’honneur le Sud-Africain Morné Visagie (galerie Nuweland) au Carreau du Temple, en l’invitant pour l’installation monumentale du cœur de la foire parisienne : ses couleurs franches et ses lignes abstraites distillent un curieux mystère, suggèrent un spectacle intrigant. Du côté des galeries, l’algérienne Rhizome fait son entrée. Et l’offensive de jeunes espaces défendant des artistes émergents d’Afrique de l’Ouest (comme Afikaris, basé à Paris, ou African Arty, à Casablanca) est à noter. L’angolaise This Is Not A White Cube, elle, est axée sur la scène lusophone. 16
L’implication de Bonhams confirme la vitalité de l’art made in Africa : un département dédié à l’art contemporain africain y assurera une vente. Une première pour la maison de vente aux enchères britannique, qui se tiendra le 12 novembre. Les œuvres d’Ahmed Ben Driss El Yacoubi (Maroc, 1929-1985) et d’Aboudia (Côte d’Ivoire, né en 1983) y seront mises en vente. Entre photos, peintures et sculptures, AKAA ouvre la voie à un cercle vertueux, à travers des coproductions transversales et des associations d’idées. Très attendue, cette foire réunira les collectionneurs, la profession et la critique. ■ Fouzia Marouf AFRIQUE MAGAZINE
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100 artistes représenteront le continent durant la 6e édition d’AKAA.
DESIGN
DJILÈNE CRÉATIONS
Les fauteuils et chaises longues sont tressés en fils de pêche bariolés sur une structure en métal ou en acier.
Le confort vient du Sénégal
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Qualité et gaieté caractérisent les objets de cette entreprise qui s’engage pour SOUTENIR LES ARTISANS.
DERRIÈRE cette entreprise équitable et solidaire, basée à la frontière entre la Moselle et le Luxembourg, il y a un Sénégalais devenu Français, Michel Henry Dioh, et une belle équipe d’artisans de son pays d’origine. Lancée officiellement en 2017, Djilène Créations naît par hasard après des vacances à Dakar, où Michel a l’habitude d’acheter des souvenirs à Bismark, un artisan avec pignon sur rue. « Un jour, il n’était plus à sa place, se souvient l’entrepreneur. J’ai su qu’il n’avait AFRIQUE MAGAZINE
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pas assez d’argent pour payer le loyer. » Sur un coup de tête, il lui rachète plusieurs pièces pour les revendre en France. L’opération, montée à la va-vite, est une grosse perte financière, mais les fauteuils de Bismark, tressés en fils de pêche bariolés sur une structure en métal forgé, font un tabac. Les deux commencent alors à modifier les modèles pour les adapter aux goûts et aux standards de confort et de finition européens. Veillant à toujours leur donner des noms évocateurs. La société prospère et se diversifie, proposant des sacs et paniers en plastique recyclé ainsi que des objets en cuir et wax. Aujourd’hui, elle fait travailler 17 personnes dans plusieurs ateliers. Pour Michel, pas de doutes : « Au Sénégal, on sait faire des choses de qualité. » ■ Luisa Nannipieri. djilenecreations.com 17
ON EN PARLE Le créateur utilise essentiellement des textiles en raphia de Madagascar ou en soie tissée main.
Eric Raisina.
MODE
Le styliste malgache présente une nouvelle collection qui exorcise ses angoisses dues à la crise sanitaire, et les transforme en ÉLAN CRÉATIF. « HIDDEN FANTASY », la dernière collection du designer malgache Eric Raisina, est un hommage à ses souvenirs, à ses voyages en Afrique, à ses échanges avec ses amis du continent. Mais y naît aussi une réflexion sur la période chaotique créée par la pandémie et sur l’effet que la crise sanitaire a eu, d’un jour à l’autre, sur le monde : « Toutes les inquiétudes, toutes les angoisses et les peurs qui auraient pu s’emparer de moi, j’ai préféré les transformer en un élan créatif, qui s’est manifesté d’un coup », explique le créateur. L’étincelle qui a transformé ce tourbillon d’idées d’abord en silhouettes sur le papier, puis en pièces flamboyantes, a été le défilé Africa Fashion Up [voir AM n° 421], organisé par l’ancienne mannequin et amie de Raisina, Valérie Ka. « Le timing était parfait, juste une semaine avant la Fashion Week de Paris », remarque celui qui vit depuis des années au Cambodge, où il réalise ses créations avec une 18
équipe khmère, qu’il a formée personnellement. Fidèle à son concept de collection « haute texture », il utilise essentiellement des textiles en raphia de Madagascar ou en soie, tissée main et transformée – comme dans le cas de la fourrure de soie, protégée par un brevet –, pour en faire des pièces uniques et des accessoires. Les sacs et les colliers sont presque indissociables de ses modèles, auxquels ils apportent une touche supplémentaire, soit par contraste soit par symétrie. Remarquables, les vestes, vaporeuses ou avec une coupe plus classique mais toujours sophistiquées, captent le regard. Et, bien sûr, faites main. Un travail de maître artisan inspiré par les cultures africaines et asiatiques. Fasciné par les tissus artisanaux et curieux de toutes les techniques, Eric Raisina élabore ses habits à partir de la matière et de la couleur : « J’aime vraiment les couleurs. Elles me procurent de la joie et du rêve. » Des sensations qu’il essaye de partager avec son public à travers toutes ses collections. ■ L.N. ericraisina.com AFRIQUE MAGAZINE
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ARTHUR ROCHA PHOTOGRAPHIE (3) - ZHANGYU
ERIC RAISINA, LA TEXTURE DE LA COULEUR
EXPOSITION
NOUVELLE DONNE L’IMA met
COLLECTION DAHAN-HIRSCH BRUXELLES - GROSS FAMILY COLLECTION TRUST
à l’honneur l’histoire des COMMUNAUTÉS JUIVES dans les pays arabes.
PAS MOINS DE 280 ŒUVRES inédites issues de collections internationales (France, Angleterre, Maroc, Israël, États-Unis, Espagne) explorent les multiples facettes de la cohabitation entre juifs et musulmans, des premiers liens tissés entre les tribus juives d’Arabie et le prophète Mahomet aux prémices de l’exil définitif des juifs du monde arabe. Amulettes, manuscrits anciens, bijoux, objets liturgiques, photographies ou encore installations audiovisuelles témoignant ainsi de l’importance et de la pluralité de ces communautés, et des échanges prolifiques qui ont façonné les sociétés du monde arabo-musulman durant des siècles. L’approche chronologique et thématique de l’exposition, conçue sous la houlette de l’historien Benjamin Stora, commissaire général, décline les grands temps de la vie intellectuelle et culturelle juive en Orient. Une mise en perspective inédite. Et une relecture de l’histoire, à l’aune d’un patrimoine d’une formidable richesse. ■ C.F. « JUIFS D’ORIENT : UNE HISTOIRE PLURIMILLÉNAIRE »,
Institut du monde arabe, Paris (France), du 24 novembre 2021 au 13 mars 2022. imarabe.org
Babouches en cuir, Meknès (Maroc), 1900.
Couverture de tête, Sanaa (Yémen), vers 1900.
ON EN PARLE RÉCIT
L’ADIEU AU PÈRE
MONOSWEZI Au croisement Le QUINTETTE aux origines plurielles livre un superbe nouvel opus, à la fois organique et synthétique.
MONOSWEZI, c’est-à-dire Mo (Mozambique), No (Norvège), Swe (Suède) et Zi (Zimbabwe). Et si « mono » signifie en grec « un seul », « swezi » veut dire « monde » en dialecte sud-africain. Ne fût-ce que par son nom, ce groupe aux origines plurielles propose, depuis plus d’une décennie, une musique hybride portée par la voix de Hope Masike, également joueuse de mbira du Zimbabwe. Sur Shanu, l’organique est dynamisé par l’électronique, ce qui n’est pas sans évoquer le travail de Damon Albarn auprès d’Amadou et Mariam : merci au mellotron, ici généreusement utilisé par le multi-instrumentiste et compositeur en chef du groupe, Hallvard Godal. Le propos est engagé, dénonçant le sexisme, les inégalités sociales et gouvernementales. En résulte un disque qui plonge aux sources de ce que nous sommes, à la fois touchant et enthousiasmant, traditionnel et audacieux. ■ S.R. MONOSWEZI, Shanu, Riverboat Records. 20
« C’EST UN ACTE de résistance et de refus : le chagrin vous dit que c’est fini et votre cœur que ça ne l’est pas ; le chagrin essaie de réduire votre amour au passé et votre cœur dit qu’il est au présent. » Lorsque l’autrice de L’Hibiscus pourpre (2003) et d’Americanah (2013), vendu à plus d’un demi-million d’exemplaires en langue anglaise, apprend subitement, en juin 2020, la mort de son père, c’est un séisme. Séparée de ses proches, tandis que la planète entière, frappée par la crise sanitaire, est confinée, l’écrivaine nigériane et militante féministe, qui n’a de cesse de prendre position contre toutes les formes de discriminations, se raccroche alors aux mots. En 30 courts chapitres, Chimamanda Ngozi Adichie nous dit sa douleur et le deuil insupportable. Poignant et spontané, son texte écrit au vif de la perte explore sans ambages les méandres de l’amour filial. Et redonne vie, pour quelques minutes encore, aux souvenirs les plus intimes. ■ C.F. CHIMAMANDA NGOZI ADICHIE, Notes sur le chagrin,
Gallimard, 112 pages, 9,90 €. ROMAN
EXIL DE SOI Le 18e roman de Nina Bouraoui livre un récit troublant sur une Française émigrée en Algérie, au lendemain de l’indépendance du pays. SATISFACTION ou insatisfaction ? Le mal-être de Madame Hakli, une Bretonne mariée à un Algérien, grandit au fil de sa nouvelle vie dans le quartier d’Hydra, à Alger. Et de ses carnets, rédigés en cachette, comme autant de confidences et de désillusions. « Je me suis trompée de vie. Je ne veux pas y croire, mais je l’écris, ce qui est écrit est à demi écarté », consigne-t-elle dans son récit ambigu d’un chavirement, émotionnel et psychologique, à l’aune d’une Algérie en train de se construire, mais qui n’y arrive pas. La solitude, le déracinement, la maternité habitent ce roman troublant, où l’amour qui s’égare et le désir coupable font perdre la raison – la résignation et l’ennui dégénérant insidieusement en un poison mordant. Ce texte mélancolique et sensuel rend hommage aux femmes qui épousent une autre patrie que la leur, une autre histoire, au grand dam de leur liberté. ■ C.F. NINA BOURAOUI, Satisfaction,
JC Lattès, 288 pages, 20 €.
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GANESH INSIDE PRODUCTION - DR (3)
MUSIQUE
Le deuil confiné d’une autrice phare de la littérature contemporaine anglophone.
T É M O I G N AG E
Denis Mukwege
RÉPARER LE MONDE
DPA/PHOTONONSTOP
Le gynécologue congolais retrace le COMBAT DE SA VIE : mettre fin à l’utilisation du viol comme arme de guerre. « CHAQUE FEMME VIOLÉE, je l’identifie à ma femme. Chaque mère violée, je l’identifie à ma mère. Et chaque enfant, je l’identifie à mes enfants. » Ces paroles prononcées par Denis Mukwege devant le Parlement européen lors de la remise de son prix Sakharov, en 2014, comment les oublier ? Rapportées dans le film de Thierry Michel, L’Homme qui répare les femmes (2015), elles rendent compte avec force de son quotidien rude auprès de petites filles et femmes victimes de sévices sexuels perpétrés par les forces militaires de la RDC. Un documentaire coup de poing, où l’on découvre un médecin porté par sa foi en l’humanité, exposé à ce que même un œil de chirurgien ne peut s’habituer à voir, et investi d’une mission plus forte que tout. Son engagement, au péril de sa vie, a été récompensé par le prix Nobel de la paix en 2018 – avec l’Irakienne Nadia Murad qui a attiré l’attention de la communauté internationale sur les viols de masse organisés par Daech sur les Yézidis. Depuis plus de vingt ans, cet homme n’a de cesse de soigner les victimes de violences sexuelles à l’hôpital de Panzi, à Bukavu, où, menacé de mort, il vit dorénavant cloîtré, sous la protection des Casques bleus de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo. Son approche du soin allie prises en charge médicale, psychologique, socio-économique et légale. Une manière d’appréhender ses patientes dans leur globalité. En prenant la plume, ce médecin au destin exceptionnel continue aujourd’hui d’alerter le monde. Dans un vrai cri de mobilisation, il nous met face au fléau qui ravage son pays et nous invite à reconsidérer le monde. En pansant la douleur subie par toutes les survivantes de ces crimes contre l’humanité et en clamant haut et fort que la guérison et l’espoir sont possibles, il insuffle une force décuplée à toutes les femmes meurtries. ■ C.F.
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DENIS MUKWEGE, La Force des femmes,
Gallimard, 400 pages, 20 €.
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ON EN PARLE
De gauche à droite, Dighya Moh-Salem, Souad Asla, Noura Mint Seymali et Malika Zarra.
JEUNESSE
DÉCOUVRIR UN NOUVEAU MONDE
SAHARIENNES HYMNE À LA SORORITÉ
Avec leur spectacle Sahariennes, ces quatre illustres chanteuses CÉLÈBRENT LE DÉSERT.
QUATRE GRANDES VOIX originaires des pays du Sahara célèbrent à l’unisson le patrimoine commun ancestral des cultures du désert, et les particularités propres à chaque territoire. Hymne à la sororité et au partage, le projet Sahariennes oppose la puissance fédératrice de la musique aux conflits, aux adversités géopolitiques, aux frontières arbitraires. Il rappelle la place déterminante des femmes au sein de ces sociétés, notamment dans la sauvegarde et la transmission de cet héritage culturel. Sur des rythmes chaloupés et des riffs de guitare lancinants, cette transe des dunes est portée par la joueuse d’ardîn (harpe réservée aux femmes) et griotte mauritanienne Noura Mint Seymali, l’Algérienne Souad Asla, la Marocaine Malika Zarra et la native du Sahara occidental Dighya Moh-Salem. Sous la direction musicale de Piers Faccini, ce spectacle est constitué d’un répertoire de leurs compositions respectives et de morceaux traditionnels, sacrés ou profanes, souvent transmis de mère (ou grand-mère) en fille, évoquant la célébration, les épreuves. Pour faire vibrer cette grande famille des musiques sahraouies, les chanteuses sont notamment accompagnées de Jeiche Ould Chighaly (guitare, tidinît) et de Mohamed Abdennour (mandole, guembri). ■ Astrid Krivian SAHARIENNES, une coproduction Opéra de Lyon et Dérapage Prod. En concert le 16 novembre
à Noisy-le-Sec, le 21 à Faches-Thumesnil, le 22 à Orléans, le 25 ou le 27 à Bordeaux. 22
UNE VIE PASSÉE entre New York, la Côte d’Ivoire et la France… Anna Djigo-Koffi a toujours vu l’art comme un espace de découverte, mais a aussi très vite remarqué que les artistes africains étaient laissés aux marges. Avec ce texte, et à travers un personnage qui s’inspire de sa propre fille, Noa, elle propose de faire découvrir des références plurielles et de s’éveiller à l’art et aux œuvres
ANNA DJIGO-KOFFI, Noa découvre l’art, éditions Hybrid, 50 pages, 22 €. pluridisciplinaires du monde noir. Le riche portfolio du photographe Paul Sika, l’architecture épurée d’Issa Diabaté, l’art plastique engagé de Nu Barreto ou encore la peinture sculptée d’Ernest Dükü nourriront l’imaginaire des petits lecteurs (à partir de 7 ans). Un projet innovant, créé en collaboration avec des galeries et des artistes, pour développer une mémoire culturelle négligée. ■ L.N. À découvrir sur ateliersnoa.com.
ROMAN
L’ATTRAPE-CŒUR Antonio Dikele Distefano frappe fort avec son quatrième roman, adapté en série pour Netflix.
ANTONIO DIKELE DISTEFANO, Invisible, Liana Levi, 224 pages, 16 €.
« LA VIE NOUS TRAITAIT comme si elle voulait notre peau et puis finalement, elle nous la laissait. » C’est l’histoire toire de Zéro, enfant qui se sent invisible aux yeux dee ses parents, mais aussi aux yeux du pays qui l’a vu naître tre (l’Italie) et de celui de ses origines (l’Angola), qu’il n’a toujours pas rencontré. Ses blessures affectives fectives ne seront pansées que par la découverte, adolescent, du rap. Comme Antonio Dikele Distefano, dont la mère a ouvert le premier er magasin dit « exotique » de Ravenne, enne, dans le nord de l’Italie… Une création de label et de revue (Esse Esse Magazine) plus tard, celui qui poste sans cesse ses histoires sur ur Facebook est remarqué, publié, et ne cesse, depuis, de propager son verbe. Ce superbe nouveau roman prouve ouve qu’il est désormais non seulement ent devenu visible, mais lisible. ■ S.R. .R.
GCONNAN - DR (2) - BASSO CANNARSA/OPALE
CONCERT
Dans ce premier volume d’une collection pour enfants, Anna Djigo-Koffi rappelle la richesse et la diversité de l’art africain.
« ARTS DE L’ISLAM : UN PASSÉ POUR UN PRÉSENT »,
Panneau de revêtement à la joute poétique, Iran, XVIIe siècle.
18 expositions dans 18 villes françaises, du 20 novembre 2021 au 27 mars 2022. expo-arts-islam.fr
ÉVÉNEMENT
LES TRÉSORS DE L’ISLAM
MUSÉE DU LOUVRE/RAPHAËL CHIPAULT - DR - NIL YALTER - ADAGP, PARIS 2021
Une opération ambitieuse pour poser un NOUVEAU REGARD sur les arts et les cultures du monde musulman. ANGOULÊME, BLOIS, RENNES, Clermont-Ferrand, Toulouse, Tourcoing ou encore Saint-Louis, à la Réunion… Dix-huit villes françaises témoignent de la grande diversité des territoires et des populations concernées par l’islam à travers 18 expositions de 10 œuvres chacune, issues du département des arts de l’islam du musée du Louvre et de collections nationales et régionales. Soit plus de 180 œuvres au total, à la fois historiques et contemporaines, d’une lampe de mosquée du XIe siècle, provenant de Jérusalem, à un chandelier de l’époque de Saladin, signé par un artiste de Mossoul, en passant par les dessins et collages de la Franco-Turque Nil Yalter. Car la civilisation islamique, vieille de 1 300 ans, est aussi arabe que turque, indienne qu’iranienne, asiatique ou maghrébine. Et c’est cette pluralité culturelle et confessionnelle que ce projet, destiné à un très large public – et aux jeunes générations en particulier –, met en lumière. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE
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Les Collages de Topak Ev, Nil Yalter, 1973.
Extrait du film Le Roman algérien (chapitre 1), Katia Kameli, 2016.
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ON EN PARLE PHOTOGR APHIE
AU CŒUR DE LA MODE Parce que le continent ne cesse de témoigner sa folle effervescence en matière de créateurs, cet ouvrage RICHE EN IMAGES en retrace les plus beaux exemples.
EMMANUELLE COURRÈGES,
Swinging Africa : Le Continent mode, Flammarion, 240 pages, 60 €.
EMMANUELLE COURRÈGES, journaliste, donne dès son avant-propos les raisons de ce beau livre : « La multitude de cultures qui traversent ce continent, le nombre de créateurs et de photographes de talent qui le font aujourd’hui scintiller sur la scène locale et/ou internationale ; le dynamisme créatif des diasporas d’Europe, du Brésil ou des États-Unis. » Ainsi, en texte comme en très belles photographies, on découvre les propositions mode d’Ituen Basi (Nigeria), d’IamISIGO (Nigeria également), de Maxhosa Africa (Afrique du Sud), de Noureddine Amir (Maroc) ou encore de Loza Maléombho (Côte d’Ivoire). Sans oublier la beauté ainsi que les accessoires imaginés par une jeune garde qui ne cesse de questionner le monde qui l’entoure, y compris le plus lointain. Passionnant. ■ S.R.
DR - JEAN-BAPTISTE JOIRE
Ibaaku.
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MAGANGA MWAGOGO
IamSIGO.
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ON EN PARLE
La BoBaR est à la fois une boutique, un bar et un restaurant.
AUX FOURNEAUX À LOMÉ OU À PARIS, deux adresses qui mettent en lumière la cuisine « comme au pays ». C’EST AFIN DE PROMOUVOIR une consommation saine et locale que l’Organisation d’appui à la démocratie et au développement local (OADEL), une ONG togolaise, a décidé de lancer la BoBaR, à Lomé, en 2013. Un lieu qui associe boutique, bar et restaurant. Dans un joli cadre, sur la lagune de Bè, cet espace unique propose des spécialités à base de feuilles de haricots, de moringa ou de patates douces, servies avec du riz ou des céréales togolaises (mil, sorgho, maïs frais…). Tous les plats, traditionnels ou innovants, sont cuisinés avec des légumes, de la viande ou du poisson issus de productions locales. Des recettes à retrouver dans un livre 26
Le 228 Togo a ouvert en juillet 2020 dans le 12e arrondissement parisien.
édité par l’ONG et à savourer avec des boissons à l’ananas, mangue et gingembre, ou un verre de vin togolais. On peut aussi terminer le repas avec un peu d’eau-de-vie de palme. Si la BoBaR vous a mis l’eau à la bouche, mais que vous ne pouvez pas aller jusqu’à Lomé, vous pouvez toujours tester le 228 Togo, à Paris. Ouvert en juillet 2020 dans le 12e arrondissement par la jeune Gold Teko, ce nouveau spot veut redonner toute sa place à la cuisine togolaise dans la capitale. Arrivée à Paris il y a six ans, Gold travaille avec sa mère, et doit beaucoup à son père, un cuisinier sud-africain. Dans son restaurant, des entrées aux fromages, en passant par l’ayimolou (le petit-déjeuner), tout est togolais. Même la bière et les jus arrivent de Lomé. Que vous soyez plus poulet djenkoumé ou foufou, un plat traditionnel à base d’igname pilé, le nord comme le sud sont bien représentés. Tout comme les sauces : ademe, graine, arachide, tomate… Un vrai régal ! ■ L.N. 228-togo.business.site
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CHRISTOPH PÜSCHNER/BROT FÜR DIE WELT - DR (2)
SPOTS
LE TOGO
ARCHI
L’hôpital de Tambacounda Au-delà du bâti Pensé en ÉTROITE COLLABORATION avec les acteurs locaux, le projet a eu des retombées positives sur le tissu social sénégalais. sur un seul côté des couloirs, où ont été aménagés des espaces pour les parents des patients, qui peuvent attendre à l’abri de la chaleur. La façade en briques ajourées, dont le prototype a été remployé pour construire une école dans un autre village – d’après une idée du docteur Magueye Ba, de l’association Le Korsa – permet de ne pas recourir à la climatisation, en dehors du bloc opératoire. Comme le reste du bâtiment, le brise-soleil a été imaginé à partir de matériaux locaux et construit par des ouvriers de la région. « Le chantier a garanti
des revenus à une quarantaine de familles », détaille l’architecte. Qui a financé la construction d’un jardin pour enfants et continue de développer le projet : « Nous sommes dans un dialogue et une collaboration permanente avec les personnes. C’est un chantier vivant, on ne peut pas le réduire à un bâtiment », explique-t-il. ■ L.N. manuelherz.com
IWAN BAAN/STUDIO IWAN
LA FONDATION JOSEF ET ANNI ALBERS a financé la construction d’une maternité et d’un service pédiatrique au sein de l’hôpital de Tambacounda, l’une des villes les plus chaudes de la planète, dans l’est du Sénégal. Le projet a été confié à l’architecte suisse Manuel Herz, qui a passé plusieurs mois sur place avant de proposer une idée respectant les attentes des Sénégalais. Le nouveau bâtiment de deux étages et en forme de S est très long et étroit. Tout y est pensé pour garantir une bonne ventilation des pièces, disposées
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ENTRE PHOTOS, FILMS ET INSTALLATIONS,
les œuvres de cette artiste franco-marocaine s’attachent à révéler l’histoire des « invisibles ». Elle présente un solo show au Centre d’art contemporain Chanot, à Clamart, en région parisienne. par Fouzia Marouf
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assionnée, l’œil vif, Randa Maroufi se fixe sur les objets, les images qui lui sont chers, dévoilant son panthéon personnel lors de l’exposition « L’Autre comme hôte », au Centre d’art contemporain Chanot, en région parisienne. Le titre de l’événement est un hommage à son père, douanier dans le nord du Maroc, qui avait fait le serment de « considérer comme hôte dans son pays le voyageur étranger ». Au travers de photos, de films, d’installations, l’artiste nous plonge dans une histoire culturelle et sociale multiple. « La photographie est avant tout un médium. Je ne souhaite pas m’enfermer dans une seule forme d’expression. Je préfère me penser multidisciplinaire, indisciplinée. Les films me donnent cette liberté : j’y intègre une dimension photographique, la performance, le son, la mise en scène, et ce rapport particulier à l’espace et au mode de diffusion », confie-t-elle. Dans la vidéo Les Plieurs, l’esthétique flirte avec le formel, deux hommes tentent de plier avec maladresse un tissu bleu, outil de commémoration, drapeau de la communication. Née en 1987 à Casablanca, Randa Maroufi est diplômée de l’Institut national des beaux-arts de Tétouan en 2010 et de l’École supérieure des beaux-arts d’Angers en 2013. La sensibilité de son regard pose la question de la place des sans-voix dans l’espace public ou intime, en témoignant de leur dignité. Ses images bousculent l’inconscient collectif et s’attachent à révéler l’histoire des invisibles qu’elle choisit de mettre en scène. Pour preuve, Les Intruses (2019), une série consacrée aux femmes du quartier de Barbès, à Paris : « Je m’inspire de préoccupations d’ordre social, sociétal et politique. Mes photos examinent le territoire, interrogent ses limites, la façon dont les êtres humains l’investissent. « Mhajbi - Barbès » de la série Les Intruses, 2019. Je mène une réflexion approfondie sur les formes d’appropriations des espaces politiques. Je choisis de montrer ce que ces espaces réels ou symboliques produisent sur les corps. Ce projet est né lors de mes trajets quotidiens sur la ligne 2 du métro parisien, j’ai observé une occupation majoritairement masculine. L’envie de travailler sur le détournement des genres a germé. » Fruits d’une longue réflexion, ses œuvres protéiformes ouvrent la voie à des représentations nuancées et engagées : « Chaque projet naît d’une rencontre avec un lieu et des individus, ce croisement est précieux et primordial pour créer des fictions questionnant le réel. » Dans une veine politique, son court film Bab Sebta (2019), primé à travers le monde, évoque l’enclave espagnole de Ceuta sur le territoire marocain, haut lieu de l’économie parallèle : « Il révèle des rapports humains hors du commun, une perte de repères, une folie de l’espace ! » Son art a été exposé au New Museum of Contemporary Art de New York, à la Biennale de Dakar et lors des Rencontres photographiques de Bamako. ■ « L’Autre comme hôte », Centre d’art contemporain Chanot, Clamart (France), jusqu'au 28 novembre.
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ŒUVRE PRODUITE PAR L’INSTITUT DES CULTURES D’ISLAM DANS LE CADRE DE L’APPEL À PROJETS DE LA VILLE DE PARIS “EMBELLIR PARIS”.
PARCOURS
Randa Maroufi
BENJAMIN GEMINEL/HANS LUCAS
«Chaque projet naît d’une
rencontre
avec un lieu et des individus.»
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