60 % des Africains ont moins de 25 ans et sont nés à l’ère des réseaux sociaux. La Gen Z, trop souvent contrainte au chômage ou à l’exil, prend conscience de sa puissance. Avec une interview de la star ivoirienne DIDI B.
YES WE KAM ! KAMALA HARRIS
s’engage dans la lut te contre Donald Trump.
Et pourrait devenir la première femme présidente des États- Unis.
DE L’ART À VENISE
Et un entretien sans tabou avec Bonaventure Ndikung.
AMADOU ET MARIAM
Rencontre avec un couple iconique et musical.
ET AUSSI :
Faïza Guène et Mati Diop
LA FRANCE, AUSSI, A DE L’AVENIR
Au moment où ces lignes sont écrites, et on croise les doigts pour que cela perdure, la France vit des Jeux olympiques hors normes. Malgré le négativisme et les prédictions catastrophistes des uns, les récriminations idéologiques des autres, de ceux qui défendent une France « authentique » – qui n’existe d’ailleurs plus –, le pays accueille le monde avec classe Et ef ficacité. La cé ré monie d’ou ve rt ure a glo ba le me nt marqu é les es prits, y compris avec ses « provo cations ». Il y avait de l’ambition, de l’audace, du talent, une mixité authentique des identités, avec la performance d’Aya Nakamura et celle de Céline Dion Et s’il y a eu débat, c’ était au ssi un si gne de vi ta lité et de dé mo cratie, chacun ayant sa liberté d’appréciation. Depuis, le public est là, la foule vibre et chante, les décors sont magnifiques, les transports fonctionnent, et même la Seine, malgré les caprices de la météo, est baignable (un chantier titanesque, et pour tant objet de railleries bien faciles…). L’af faire dépasse la politique. Ce ne so nt pas le s Je ux d’Em ma nu el Ma cron , ou ce ux du gouvernement. Derrière les images, il y a un État fo nctio nn el, de s mi ll ie rs de p er so nn es im pliq ué es dans l’organisation, la préparation, la sécurité, des vo lontaires, des ar tistes, du public, des spo rtifs, il y a une France par ticulière, iconoclaste, inclassable, créative, enthousiaste.
L’idée n’ est pas de défe ndre la Franc e à tout prix. Ou i, le pay s fa it fa ce à un e cris e mu ltiform e, politique, avec une absence de majorité et la montée de s ex tr êm es , un e cr is e dé mocr at iqu e av ec un besoin de renouvellement des institutions, une crise financière avec des déficits publics abyssaux. Oui, la France n’est plus une grande nation impériale (ça fait longtemps, d’ailleurs, depuis la Seconde Guerre mo ndi al e, le s dé fa ites su cc essi ve s en I nd oc hi ne, en Al gé ri e…). Ou i, la Fr an ce es t re de ve nu e un e puissanc e interm édiaire et elle a du mal – comme d’autres, et non des moindres – à redéfinir un corpus dipl om ati qu e op ér at io nn el Ou i, co mm e to ut e l’Europe riche, la France a du mal à se couer cette gangu e de conformisme et d’embourg eoisement, elle a du mal à changer, à optimiser, à entrer de plainpied dans l’avenir Oui, enfin, les fractures sociales et
identitaires pèsent lourdement, entre les centres et les périphéries, entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, entre ceux qui sont en prise avec le monde qui vient et ceux qui se sentent à la fois enracinés, délaissés et dépassés. Fractures, aussi, entre les Français dits « de souche », les nouveaux Français, les descendants d’immigrés, les Français musulmans, ceux des cités et ceux des centres-villes… Oui, il y a de la pauvreté, du ra cis me, de la so litu de, une pe rte d’ef f i c acité de s se rv ic es pu bl ic s, mai s ri en no n pl us de pl us spectaculaire que dans les grands pays voisins.
La théorie du déclassement et celle de la paupérisation alimentent surtout le discours politique. C’est plus efficace de jouer sur l’anxiété que de souligner les vérités positives Avec près de 70 millions d’habitants, la France reste la septième puissance économique du mond e (m algr é la mon té e en pu is sa nc e de s grands pays émergents) Elle est, au cœur de l’Union européenne, l’espace le plus riche et le plus protecteur du globe. Elle se modernise plus vite qu’on ne le croit, en s’appuyant à la fois sur de grandes entreprises de rang mondial, mais aussi sur un tissu de star t- up de pointe, sur les acteurs du futur. La French Tech est une réalité, avec l’émergence de licornes comme Mistral, l’un des leaders mondiaux de l’IA Paris, sous l’ef fet des JO, connaît une métamorphose rare, avec de nouvelles infrastructures, l’intégration programmée entre la ville et ses banlieues Le pays s’adapte plus rapidement que ses voisins au changement climatiqu e. L’immigration, source de tensions, fait par tie aussi des richesses du pays dans tous les domaines : le business, le spor t, l’ar t… Et la France peut s’appuyer sur une culture et une créativité foisonnantes, c’est une véritable puissance soft, qui peut rivaliser avec les États-Unis. Sans parler de son ar t de vivre. Contrairement au paysage atomisé que décrit une classe politique dépassée et enkystée dans des modèles dépassés, la France est un pays singulier, et qui a de l’avenir Il manque certainement quelques hommes et quelques femmes politiques de bonne vo lon té , capab le s de dé pas se r le s fr on ti èr es idéologiques éculées, pour enclencher un nouveau cercle vertueux ■
3 ÉDITO
La France, aussi, a de l’aven ir par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN En trois temps
26 PA RCOURS
Siân Pottok par Astr id Kr ivian
29 C’EST COMMENT ? Faites vos jeux ! par Emmanuelle Pontié
56 DOCUMEN T
Katanga : quand la Françafr iq ue et l’OAS faisaient la guer re à l’ON U… par Cédr ic Gouver neur
68 CE QU E J’AI APPRIS Zora Snake par Astr id Kr ivian
112 VI VR E MIEUX
Digestion diffcile, votre corps réag it par Annick Beaucousin
114 VINGT QU ESTIONS À… Rakidd par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
30 La révolution jeune par Cédr ic Gouver neur
38 Didi B : « Donnez-vous les chances de réussir ! » par Jihane Zorkot
42 Hippolyte Fofack : « Tenir compte de notre plus bel atout » par Cédr ic Gouver neur
46 Zied Boussen : « Une génération individualiste » par Fr ida Dahmani
48 Yes We Kam ! par Cédr ic Gouver neur
70 L’A fr iq ue à Venise par Catherine Faye et Zyad Limam
78 Bonavent ure Soh Bejeng Ndikung : « L’ar t ne peut êt re que politique » par Zyad Limam
84 Faïza Guène : « Je refuse l’élitisme associé à l’écritu re » par Astr id Kr ivian
90 Amadou et Mariam : « Prendre la vie telle qu’elle est » par Sophie Rosemont
96 Mati Diop : « À travers mes flms, je réhabilite ma dimension africaine » par Astr id Kr ivian
Afrique Magazine est interd it de diffusion en Algér ie depuis mai 2018. Une décision sa ns aucu ne just ifcation. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lect ure) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interd iction pénalise nos lecteu rs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos am is algér iens peuvent nous retrouver su r notre site Internet : www.afriquemagazine.com
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
Asto n, Le Vo ili er du te mp s, Co ll ecti on Galeri e Va ll ois, 2016
ÉV ÉN EM EN T
« RÉVÉLATION !
ART CONTEMPORAIN DU BÉNIN », Conciergerie de Paris, Paris (France), du 4 octobre 2024 au 5 janvier 2025 paris -conciergerie.fr
EN TROIS TEMPS
DU DI VI N AU TERR ESTR E, en passant pa r la royauté, l’ar t contempora in béninois s’ex pose à Pa ris.
PLUS D’UNE CENTAINE d’œuvres, certaines inédites Une quarantaine d’artistes, parmi lesquels figurent Ishola Akpo, Moufouli Bello et Chloé Quenum – trois plasticiens qui représentent le pavillon du Bénin à la 60e Biennale d’art contemporain de Venise, cette année. Cette exposition itinérante, qui s’installe bientôt au cœur du palais royal de la Cité – siège du pouvoir capétien, faisant écho aux palais royaux de l’ancien Danxomé –, souligne combien l’inspiration et l’originalité des artistes contemporains du Bénin et de sa diaspora trouvent leur ancrage dans la tradition et l’histoire du pays Présentée initialement au palais de la Marina à Cotonou en 2022, puis au musée Mohammed VI à Rabat au Maroc et à la Fondation Clément en Martinique en 2023, cette mise en lumière a été l’occasion de révéler l’art classique du Bénin et les vingt-six trésors royaux restitués par la France Et surtout de réaffirmer la dy namique engagée par la République du Bénin dans la valorisation et l’inscription dans les circuits internationaux de sa création contemporaine. L’événement montre, dans un premier temps, la métamorphose des déesses et des
dieux qui animent le culte vodun, puis la puissance et la gloire terrestre des reines et des rois d’Abomey restés dans les mémoires, avant de s’intéresser aux femmes et aux hommes qui vivent et qui luttent aujourd’hui dans un monde globalisé. À travers une diversité de médiums et de supports, « Révélation ! » – titre d’exposition prometteur –, vient en préfiguration du futur musée d’Art contemporain de Cotonou (M ACC). ■ Catherine Faye
Sofia, Iraw, Moufou li Be llo, Collectio n par ti cul iè re 20 24
17E FESTIVAL DU FILM
FR ANCOPHON E D’ANGOULÊME (France), du 27 août au 1er septem bre
ANGOULÊME: HONNEUR AU MAROC
La cité desValoisaccueille chaq ue an néeles amateu rs de ci néma francophone. Et cette fois,oncélèbre le PATR IMOI NE MA ROCA IN.
TR EMPLIN du succès avantchaquerentrée,leFestivaldufilm francophoned’A ngoulêmedérouleson tapisrouge au Maroc cette année. Avec en avant-première Radia,deuxièmelong-métragede la journalisteetcinéasteK haoula AssebabBenomar,et Ever ybody LovesTouda,que NabilAyouchavait présenté àCannes [A M453] et quisera en salles en décembreauMaroc et en France. Deux autres filmsdu cinéaste – Much Loved (2015) et AliZaoua,prince de la rue (2000) –sont égalementauprogrammed’une rétrospective patrimonialequi présentera le tout premierfilm 100% marocain – Le Fils maudit (1958),deMohamed Osfour –, un docu-fiction très engagé et longtempsclandestindeMostafa Derkaoui– De quelques événementssanssignification (1974) –et desfilmsplusrécents comme Adam (2019) de Maryam Touzani, égalementmembredujur yprésidé parK ristin ScottThomas. filmfrancophone.fr ■ Jean -Marie Chazeau
SO UN DS
Àécouter maintenant !
MauvaisŒil
Pr em ière Esca le,Virg in /Universal.
Ilsaimentautantl’icône françaiseCharles Aznavour queladivaalgérienneWarda Al-Jazairia.Et ça s’entend dans ce nouvel EP qui, avant un albumannoncé pour 2025, rappelle l’amourdelaMéditerranéeque partagentSarah et Alexis,formant le duo MauvaisŒil.Letimbresuave de la première estser vi parladextérité musicale du second, forméauConservatoire.Entre popf renchy et raï, on ne résistepas longtemps àleurs chansons,aussisolaires quesalavatrices.
Ah medMalek
Mu si qu eori gi nal ed e f lm s, volu me 3,H abibiFunk
Quedev iendrait-onsans Habibi Funk,cefabuleux labelexhumantdes bijoux de la musiquepop (ausenslarge)orientale ? Huit ansaprès avoirsorti le premiervolet desmusiquescomposéespar l’artiste algérien AhmedMalek (1931-2008)pour le cinéma,voiciunsecondopustoutaussi réjouissant,àlariche instrumentation nourriedemélodiesentêtantes. Et,tout logiquement,promptaux récits imagés…
Nala Si neph ro
En dl essn ess,War p. Sort ie le 6septembre.
Depuis sonpremier album studio Space1.8,paru en 2021,la(bonne) réputation de cette jeunejazzwoman cruciale de la nouvelle scènebritannique ne fait quecroître.Et ce deuxièmealbum, Endlessness,confirme sontalent. Enregistrés entreLondres et le Brésil, bénéficiantdel’apportde musiciensissus de formations de référence, commeSonsofKemet ou KOKOROKO,ces dixmorceauxdejazzambient richement orchestrés sont maîtrisésdeboutenbout parNalaSinephro. ■ Sophie Rosemont
FUIR L’ENFER DU FOUET
Une épopée de résistance au temps de l’esclavage. En fi n un grand fi lm en France su r ce cr ime cont re l’ hu ma nité. IN ÉDIT ET TR AGIQUE.
APRÈS HOL LY WOOD, avec Amistad (1997), de Steven Spielberg, Django Unchained (2012), de Quentin Tarantino, ou 12 Years a Slave (2013), de Steve McQueen, la France af fronte enfin son passé esclavag iste dans une production ambitieuse. Un thème très peu abordé par le cinéma hexagonal, en dehors de Ca se départ (2011), comédie déca lée et cont roversée de Lionel Steketee, Fabr ice Éboué et Thomas Ng ijol, ou du plus conf identiel Le Pa ssage du milieu (1999), du Martiniquais Guy Deslauriers. C’est un Franco -Béninois, scénariste à succès (Boîte noire lui a valu une nomination au x César en 2022), qui relève le défi haut la main Simon Moutaïrou, avec d’importants moyens et une vraie caution scient if ique (v ia la Fondat ion pour la mémoire de l’esclavage) raconte une histoire, située en 1759 sous le joug colonial français, du point de vue de deux esclaves. Il mont re ainsi ce qu’était le marron nage, ou comment ces Af ricains déracinés et ex ploités sous le fouet pour récolter la canne à sucre et serv ir leurs maît res ont trouvé les moyens de résister par la fuite dans la forêt, où ils ont reconstit ué une société para llèle avec toute la force spir it uelle de leurs croyances. Le film ne se déroule pas au x
Antilles, mais dans l’océan Indien, sur l’isle de France (aujourd’hui Maur ice), où de très nombreu x Sénégalais ont des ancêtres – sans parfois le savoir. Tour né en grande partie sur les lieu x mêmes d’une révolte d’esclaves au XV IIIe siècle (ce qui ajoute à l’aura mystique qui nimbe souvent les images et la bande-son), le film est porté par des comédiens impression nants, à commencer par Ibra hima Mbaye (g rand acteur du théâtre sénégalais) dans le rôle du père qui a appr is la lang ue et la cult ure des esclavag istes français, et qui va tenter de protéger sa fille menacée de viol, incarnée par l’incandescente An na Diak here Thiandoum. Côté Blancs, Benoît Magimel joue les planteurs paternalistes, mais appliquant à la lett re l’impitoyable Code noir de Colber t, et Camille Cott in est une magnétique chasseresse d’esclaves à cheval, personnage moderne et cr uel que l’on pour rait croire anac hronique s’il n’avait réellement ex isté ! Ce film, nécessaire, embarque le spectateur dans une fuite en avant spectaculaire et habitée, qui, au-delà de sa violence, participe à la réconciliat ion des mémoires ■ J.-M.C
NI CHAÎNES NI MAÎTRES (France), de Simon Moutaï rou. Avec Ibra hima Mbaye, An na Diak here Thiandoum, Ca mi lle Cott in En sa lles
MUS IQ UE
MESHELL NDEGEOCELLO Le feu sur sillons
Avec NO MORE WATE R, l’autr ice-composit rice et bassiste soul amér icai ne rend hommage à la verve littérai re et politique de JA MES BA LDWI N.
C’EST SUR SCÈNE qu’est né ce disque, en 2016, lors d’une performance collective à la gloire de James Baldwin (19241987) à laquelle participait Meshell Ndegeocello. Et qui l’a incitée à œuv rer de longues années sur ce magnifique album explorant la prose de l’écrivain américain. Ayant subi l’oppression dès son enfance passée dans la plus grande précarité à Harlem, celui-ci aura env isagé d’être pasteur avant de se consacrer à l’art, et uniquement à l’art, au sein de la scène new-yorkaise, puis sur les terres françaises, où il poussera son dernier soupir Entre-temps, Baldwin aura publié des livres cruciaux, dont la romance gay La Chambre de Giovanni (1956), ov ni assumé d’un corpus farouchement engagé où l’on trouve entre autres La Conversion (1953), Un aut re pays (1962) et La Prochaine Fois, le feu (1963). Sous forme de lettre à son neveu, il y déconstruit le schéma de violence imposé à la population noire américaine. Proche de Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King, célébré par des 2Pac et Jay-Z, il est, cent ans après sa naissance, une icône de la cause noire. Et de Ndegeocello qui, après le succès de
son dernier album en date, The Omnichord Real Book, qui lui a valu un Grammy, s’est plongée corps et âme dans le propos de La Prochaine Fois, le feu « C’est comme s’il y était question de ma famille, particulièrement le premier chapitre, explique-t-elle dans la note d’intention du disque J’ai grandi entourée d’hommes noirs qui ne voulaient pas être vus comme doux, et c’est ce dont il parle dans la lettre à son neveu. »
Du baptême à la résurrection, décr yptant mille nuances émotionnelles, dont la colère et l’espoir, No More Water convoque le Black Power sur un terreau sonore hybride et savant, entre jazz, soul et spoken word. Le tout serv i par une équipe resserrée autour de l’autrice-compositrice, multiinstrumentiste et productrice : le guitariste Chris Bruce, la poétesse jamaïcaine Staceyann Chin, remarquée pour son recueil Crossf ire: A Litany for Survival, la chanteuse Kenita-Miller Hicks ou encore le saxophoniste Josh Johnson. Album foisonnant et activiste, No More Water: The Gospel of James Baldwin est l’un des manifestes sociaux les plus groovy qui nous a été proposé cette année. ■ S.R.
MESHELLNDEGEOCELLO, No More Water: TheG ospel of JamesBaldwin, Blue Note.Sor tiele2août. Les12et13novem bre au NewMor ni ng,Paris.
RÉ CI T
GAËL FAYE, Jacaranda, Grasset, 288pages, 20,90 €.
LA FORCE DESMOTS
L’auteur de Petitpays
REND LA PA ROLE au x dispar us et au xsilences du génocide tutsi.
APPELÉ également« flamboyant bleu », le jacaranda– titreduroman de Gaël Faye –estlesymbole de la sagesseetdelachance. De la renaissance,aussi. Il yadeuxans,le rappeur-chanteur-poète-écrivain livraitunEPde cinqtitres, nommé Mauve Jacaranda.L’arbre aux fleurs violettesqui tapissaitles rues de Bujumbura, au Burundi, où il agrandi, marquant et parfumant ainsi autant sa musiqueque sestextes. Dans son nouveaurécit,ilrevientsur l’histoire de sonpays àtravers le regard de Stella, uneRwandaise de douze ans, et de Milan, un jeuneFrançaismétis. «[…] l’indicible, ce n’estpas la violence du génocide,c’est la forcedes survivants àpoursuivre leur existencemalgrétout»,écrit-ildanscette ode àl’humanitéetàses paradoxes. En cetteannée de commémorationdugénocider wandais, l’histoire nationaleetfamiliale, surquatre générations, qu’ilnouscontevientouvrirlavoie au dialogue et au pardon ■ C.F.
ROM AN
CE QUI SUBS ISTE
Le cheminementintérieur d’une femmepourdireles années de guerre civile algérienne «DEHORS, je suis unemuette. J’utiliseàpeine quelques mots pour parler.Maisici, dans ma tête,entre toietmoi, desmotsse proposentpour presquetoutesles choses de ma mémoire. »Aube, jeune Algérienne,rêved’une greffe de voix.Les tragédiesqui ont marqué sonpays, notamment la guerre d’indépendance et la guerre civile desannées1990, sont rivées surson corpssous la formed’une cicatrice au cou, séquelled’une tentative d’égorgement.Ellecompte se servir de cettepreuve pour raviverune mémoire collective défaillante surcette
BA ND ED ES SI NÉ E LA BOUCLE ESTBOUCLÉE
Findes Cahiersd’Esther,par l’auteur de l’autobiographique Arabeduf utur
EN 2015, Le NouvelObs commande àR iadSattouf une page hebdomadaire, qu’il décide de consacrer aux aventuresd’une filled’amis, alorsécolière. GrandPrixdu Festival d’Angoulêmeen2023 pour l’ensemble de sonœuv re, l’auteur et réalisateursigne ici le derniertomedes péripéties d’Esther.L’enfantdedix ans, devenueado,puis majeure, est désormaisune jeunefemme prêteàselancerdanslav ie étudiante. Si,aufil des volumes, elle n’aeu de cesse d’observer sescongénères attentivement, dépeignant avec authenticité et drôlerie le
KAMELDAOUD, Houris, Gallimard, 416pages,23 €
périodemeurtrière. Mais, sonhistoire, elle ne peut la raconter qu’àlafillequ’elle porte dans sonventre. Elleserend alorsdansson villagenatal pour questionnerles morts, interrogeant sondroit de garder l’enfant àvenir.PrixGoncourt du premierroman en 2015 avec Meursault,contre-enquête, KamelDaoud signeunrécit politique, misenlumière par la dure condition de viedes femmes,maisaussileurpouvoir de résilience. ■ C.F.
RIAD SATTOUF, Les Cahiersd’Esther. Histoiresdemes 18 ans, Allary Éditions,56pages, 17,90 €
quotidien de la jeunesse contemporaine, elle nous émeut cettefoisavecses réf lexionssur la vie, lesorigines, l’amour… «Avez-vous parfoisl’impression de vivreaveclefantôme de vous-même? Parceque moi, oui»,amorce-t-elle en guise d’introduction.L’épilogue,lui, laisse songeur, avec quelques motsgriffonnéssur la dernière page :« Au loin, le futurqui nous attend (oupas). » ■ C.F.
DO CU ME NT AI RE
COMMENT RENDRE À CÉSAR…
OU RS D’OR à la Berl inale, ce fi lm de MATI DIOP donne à entend re les voix de trésors pi llés et ta rd ivement rendus au Bénin. Et celles des nouvel les générations qu i s’ interrogent su r ces rest it ut ions. Passionnant.
MATI DIOP dit avoir voulu faire un « documentaire fantastique ». Dahomey l’est à plus d’un titre… Sur le fond, la cinéaste réussit à faire comprendre les enjeux de la restitution par la France au Bénin, en novembre 2021, de 26 objets royaux pillés lors de l’invasion du Dahomey en 1892 On les voit à Paris mis en caisse au musée du quai Branly, puis accueillis en fanfare à Cotonou. Sur la forme, le recours à des images nocturnes et à une voix off futuriste donne vie à ces objets inanimés, qui ont donc bien une âme. Mais au-delà de ce transfert politique et poétique, la réalisatrice d’Atlantique (2019), son premier long-métrage, où des « revenants » hantaient déjà une fiction quasi documentaire, met en scène la réalité pour mieux la faire vivre. Elle a même organisé deux débats au sein de l’université d’Abomey Calavi : des étudiants y confrontent leurs points de vue sur ce passé longtemps
occulté, la façon de se le réapproprier, de se comporter face à ce premier pas timide, des milliers d’objets pillés en Afrique occupant toujours les vitrines et les réser ves des musées européens. La nouvelle génération découvre des pages de son histoire, et les questions qui se posent sont souvent vertigineuses : faut-il tout réclamer ? Comment gérer et protéger ces trésors une fois récupérés ? Le concept occidental de musée est-il adapté à l’Afrique ? Comment la population peut-elle se reconnecter à ces objets et ces œuv res ? Entre chaque séquence, les voix de ces trésors font entendre, traduits en fon ancien, les mots troublants de l’écrivain haïtien Makenzy Orcel sur des musiques du Béninois Wally Badarou et du Nigérian Dean Blunt. Fantastique. ■ J.-M.C DAHOMEY (Bén in-France-Sénégal), de Mati Diop. En sa lles
Ma nn mit Grün er We ste (H omme au gil et ve rt), Ma rwan Ka ssab Bac hi, dit Ma rwan, 1967
CÔTÉ PILE, CÔTÉ FACE
Un siècle d’ interact ions entre L’ART MODER NE AR ABE et Pa ris.
À TR AV ERS une sélection de plus de 200 œuvres de 130 plasticiens, pour la plupart jamais exposées en France, l’exposition met en lumière la relation des artistes arabes avec la capitale française, tout au long du XXe siècle. Peintures, sculptures et photographies, aux côtés d’archives sonores et audiov isuelles, racontent, à travers le prisme politique, une partie moins connue et non occidentale de l’histoire de l’art moderne, ainsi que des créateurs sous-représentés de la région. Parmi eux, Mahmoud Saïd, Amy Nimr, Fatma Arargi ou Jaber El Mahjoub, et des artistes plus connus à l’échelle internationale, comme la peintre algérienne Baya, révélée par André Breton, ou la Franco-Turque Nil Yalter, sacrée lors de la dernière Biennale de Venise. Présenté de manière chronologique, le parcours débute en 1908, année de l’arrivée du poète libanais Khalil Gibran à Paris, de l’ouverture de l’école des beaux-arts du Caire, mais aussi de la création d’une Société coloniale des artistes français Il se termine en 1988, avec la première exposition consacrée à des plasticiens contemporains arabes à l’Institut du monde arabe (IM A), inauguré quelques mois plus tôt Une exploration et un parti pris inédits. ■ C. F. « PRÉSENCES ARABES, ART MODERNE ET DÉCOLONISATION, PARIS 1908-1988 », Paris (France), jusqu’au 25 août 2024 mam.paris.fr
Sa ns pa ro le Anto in e Ma llia ra ki s, dit Ma yo 1946
Fe mm e en ro be orange et ch eval b leu, Ba ya , ve rs 1947
TÉ LÉ RÉ AL ITÉ
PROFESSEURE NAKAMURA
UN SHOW PA LPITAN T, qu i fa it rayonner le rap frança is.
ADAPTÉE du succès américain Rythm + Flow, la troisième saison du télécrochet français du rap est portée par le Marseillais SCH, seul membre du jury présent depuis le début, désormais entouré d’un autre rappeur, SDM, fils du producteur de Koffi Olomidé, et d’Aya Nakamura. Face à ces trois pros, défilent des jeunes (parmi lesquels beaucoup de femmes) de tous horizons, aux flows et aux looks plus ou moins originaux, qui doivent prouver leur talent pour empocher les 100 000 euros de la finale « L’amour du game, l’amour du gain », rappe l’un d’eux lors des auditions, qui voient apparaître d’autres célébrités des musiques urbaines, comme le pianiste Sofiane Pamart Même les noninitiés seront embarqués par ce show efficace Si Aya Nakamura admet ne pas s’être sentie légitime au début, « parce que les gens disent que je ne suis pas une rappeuse », elle est une prof à la fois bienveillante et délicieusement « bad bitch ». ■ J.-M.C
NOUVELLE ÉCOLE, SAISON 3 (France), avec SC H, Aya Na ka mu ra , SDM. Su r Net f ix
DE SS IN AN IMÉ LA CHINAFRIQUE À HAUTEUR D’ENFANT
UN PETI T PA NDA pa rt sauver son am ie dragon ne des gr iffes des lions de la sava ne. Un rapprochement des cont inents et des imag inai res rondement mené…
PETIT PA NDA EN AFRIQU E (FranceAllemagnePays-BasDanemark), de Richard Claus et Karsten Kiiler ich. En sa lles
CORÉA LISÉ par un néerlandais installé depuis longtemps en Afrique du Sud, ce film en 3D n’est pas une tentative de Pékin pour illustrer son soft power, mais une production européenne esthétique et drôle qui milite pour le rapprochement des peuples… sous forme d’animaux ! C’est l’histoire du petit Pang, jeune panda qui vit dans un village en Chine avec son amie Jielong, une dragonne qui a encore du mal à voler. Jusqu’au jour où des émissaires venus du lointain continent africain traversent l’océan Indien pour capturer la gentille diablesse et l’offrir comme un jouet au lionceau qui s’apprête à régner sur la savane. Pang va alors remonter sa trace. Richard Claus explique volontiers qu’il a conçu son adorable héros comme un modèle d’ouverture aux autres : « Ma femme étant kényane et nos enfants métisses, la tolérance joue un rôle majeur dans notre vie. » Un message qui irradie toute l’histoire, au fil de ses nombreux rebondissements, dans un environnement graphique très réussi (on caresserait presque la fourrure du protagoniste) et au son d’une musique mêlant harmonieusement ry thmes et chœurs africains aux sonorités asiatiques ■ J.-M.C
LOSSAPARDO Du pinceauaumicro
Ma ît risa nt aussibienlamusiq ue quelapei nt ure, ceta rt iste transcende sa sensibil itéavecu npremier al bu m très réussi, IF IW ER ETOPAI NT IT. Coup de cœur !
S’IL FA IT PA RTIE du palmarès du prix Joséphine, nouvelle récompense hexagonale décernée àdes talentsleplus souventémergents,cen’est pasunhasard. Le mélange de folk et de soul interprété tantôt en anglais, tantôt en français parLossapardo(«salopard» en verlan !) témoigne d’unesensibilité àf leur de peau,maisqui n’en oublie pas le groove pour autant.Néd’une mère antillaise et d’un père sénégalais,élevé en Seine-et-Marne,ils’est très tôt intéresséànombredemédiasartistiques,delapeinture àlamusique,delacomposition àlaproduction.Cedont témoigne ce premieralbum,oùl’onentendaussibien de la soul,duR’n’B,dufolkque dessonorités électroniquesmultiréférentielles, au serv ice d’unemélancoliebienplusancienne queses 28 années ■ S.R.
LOSSAPARDO, If IWere to PaintIt, RocheMusiq ue/ Un it y.
IN TE RV IE W
Gazelle Guirandou : transmettre l’amour de l’art
Figu re de la scène ivoi rien ne, el le di rige la ga lerie LouiSi mone Gu irandou, qu’elle a créée avec sa mère en 2015, et s’enga ge da ns la promot ion des ar tistes.
AM : Votre mère, Simone Guirandou, est une pionnière parmi les galeristes abidjanais. Aujourd’hui, vous avez pris le relais Comment s’est faite cette transmission ? Ga zelle Guirandou : Pendant les vacances, ma mère emmenait toute la famille dans les musées et galeries. Petite, je le vivais comme une contrainte. Mais j’étais curieuse, je voulais en savoir plus Je me suis prise au jeu, et l’art est devenu ma passion. Dans les années 1990, les artistes du monde entier venaient rencontrer mes parents : on a grandi comme ça Donc, quand ma mère a songé à réinvestir le jardin où l’on recevait les artistes autrefois, j’ai trouvé l’idée magnifique Je voulais rentrer à Abidjan, et c’était l’occasion d’avoir un espace à soi, où l’on pouvait s’amuser, avoir un contact direct avec les artistes. On s’est associées, puis j’ai pris la direction à temps plein en 2018 Comment choisissez-vous les ar tistes à présenter ?
Avant, ma mère et moi choisissions ensemble. Aujourd’hui, avec mon équipe, presque entièrement féminine, on discute beaucoup J’ai souvent des coups de cœur. Quand je rencontre des artistes, j’instaure le dialogue : c’est fondamental. Ils doivent se sentir à l’aise avec nous De mon côté, je dois visiter leur atelier, sentir et vivre les œuv res. Par exemple, j’ai rencontré Oumar Ball à Dakar et lui ai proposé son premier solo show en Côte d’Ivoire après avoir été chez lui, en Mauritanie J’ai découvert le Malien Ange Dakouo grâce à un ami. Cette année, nous avons fait beaucoup de solo : la photographe Aida Muluneh, que l’on expose en septembre, ou Alun Be pour Africa Foto Fair en fin d’année. Je cherche à faire dialoguer les œuv res et les artistes Et pas seulement Africains, car j’aime construire des ponts. Vous organisez aussi des expositions collectives, comme « Découver tes », dédiée aux ar tistes émergents « Découvertes » est née pour leur donner une chance de montrer leur travail. La galerie attire particulièrement les visiteurs en été, et nous voulions en profiter pour donner de la visibilité aux jeunes talents. On peut voir les réactions du public, des collectionneurs, des artistes… C’est l’occasion d’envisager l’avenir avec eux, et de leur côté, de comprendre comment faire évoluer leur travail C’est enrichissant Là,
par exemple, nous avons Juju Lago, qui photographie des personnes atteintes d’albinisme – un projet fort et touchant Pour exposer chez nous, le travail doit en valoir la peine. Ce qui est facile avec les artistes confirmés. Mais tout artiste majeur a d’abord été émergent Et je crois que c’est à nous de les encourager, de les pousser, de les accompagner. Vous observez la scène ar tistique locale depuis toujours. Comment a-t- elle évolué ? À l’époque de ma mère, c’était vivant, même si on ne parlait pas encore d’art contemporain africain. Aujourd’hui, le mouvement a bien repris Beaucoup de personnes s’intéressent à la production artistique Et les jeunes du continent sont talentueux, curieux, ont un message à transmettre. Ils dépeignent des aspects positifs de la vie quotidienne à travers leurs peintures, leurs sculptures, leurs tapisseries… Mais traitent aussi de sujets comme la santé mentale, les traditions, la famille, avec une interprétation métissée ou locale C’est riche, ça fonctionne bien. Les foires, comme celles de Joburg ou de Cape Town, mais aussi 1-54, se multiplient C’est encourageant pour les jeunes Un travail doit encore être mené, bien sûr, notamment au niveau des impôts. Les gouvernements ne comprennent pas qu’une galerie n’est pas une boutique Les œuvres ne nous appartiennent pas et l’artiste doit être rémunéré. Nous devons les sensibiliser à notre métier Lentement, mais sûrement, on y arrivera ■ propos recueillis par Luisa Nannipieri
La gal e ri e est mitoye nne à la ré sid en ce fa mil ial e, à Abidja n.
DÉTOUR EN FRANCE
Cadeau x présidentiels et BI JOUX AFRICA INS
À
L’HON NEUR da ns le fief corréz ien ch iraq uien.
À SA RR AN, 274 habitants, il y a d’abord le château de Bity, propriété des Chirac depuis 1969. Reconstruit au début du XV IIe siècle après avoir brûlé en 1579, il aurait abrité Léon Trotsky entre 1933 et 1935, puis des résistants lors de la Seconde Guerre mondiale, avant d’être transformé en hôpital. À Sarran, il y a aussi le musée du vingtdeuxième président de la République française, conçu en 2000 par l’architecte Jean-Michel Wilmotte et rassemblant les cadeaux reçus entre 1995 et 2007 (il en recevait jusqu’à quatre par jour), dans l’exercice de ses fonctions. La galerie présidentielle, un nouvel espace dédié aux présidents de la Ve République, a été inaugurée cette année. L’enfilade de salles, dont la copie du « salon doré » du palais de l’Élysée, retrace certains déplacements des chefs de l’État, leurs rencontres, leurs rôles, leurs pouvoirs et un panel inédit de cadeaux diplomatiques, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron. Point d’orgue de l’été, une exposition inédite présente 150 bijoux africains issus d’une collection privée, témoignant de leur rôle social et spirituel. ■ C. F. « BIJOUX D’AFRIQUE. LE LANGAGE DES FORMES », musée du président Jacques-Chirac, Sarran (France), jusqu’au 24 novembre 2024 museepresidentjchirac.fr
Da nsez le twist, Ma lick Si dib é, 1965
Sa ns titre, Ma law i Ki ng, 20 21
Le s Deux Fi ll ette s au Stud io XL , Sa nl é So ry, 1975
CLICHÉS D’AFRIQUE
Cet été, la GA LERI E PA RISI EN NE Ar t-Z invite à Arles les grands photog raphes contempora ins issus du cont inent.
OLIVIER SULTAN, directeur de la Galerie Art-Z et du Studio Art-Z, un espace dédié à la photo contemporaine africaine récemment inauguré à Paris, a choisi d’investir la ville française de la photographie pendant l’été avec une exposition-événement dédiée à neuf grands artistes issus du continent. Dans le cadre des Rencontres d’Arles, deux lieux en plein centre-v ille accueillent les œuvres des Maliens Malick Sidibé et Seydou Keïta ou du Burk inabè Sanlé Sory, mondialement connus pour leurs magnifiques portraits, mais aussi l’art visuel urbain de Mouhamadou Diop, les photocollages de Bruce Clarke, la photo de rue de Marina Burnel, les détails et la matière de Mamadou Konaté et les clichés artistiques de Nyaba Ouedraogo. L’expo met en avant le travail de Mabeye Deme, né en 1979 à Tokyo dans une famille sénégalaise et aujourd’hui établi entre la France et Dakar. Sa série « Wallbeuti – L’envers du décor » incarne son rapport à la ville sénégalaise, familière et distante à la fois Les tentes et voiles qui filtrent ses prises de vue, faisant du quotidien dakarois quelque chose de transcendant et d’onirique, racontent aussi l’usure du temps, les ruptures et la distance de l’exilé avec une ville qui se dérobe toujours à son présent. ■ Lu is a Na nn ip ier i « REGARDS D’AFRIQUE », 28 rue de la Li berté et 16 rue Jouvène, Arles (France), jusqu’au 10 septembre. ar t-z.net
ALAA EL ASWA NY, Au soir d’Alex andrie, Actes Sud, 384 pages, 23,50 €.
ION
FI CT
UN KALÉIDOSCOPE HUMAIN
AU
CŒUR DE LA CITÉ PORTUAIRE
Les di fférentes facettes du peuple ég yptien à l’époq ue de Nasser, sous la plume d’Alaa El Aswa ny, AU SOMM ET DE SON ART…
« AL EX ANDR IE avait quelque chose de particulier, d’impossible à définir, sinon par sa chaleur humaine. À Alexandr ie on n’était jamais seul Il était impossible de s’y sentir marginalisé ou rejeté. » C’est dans la ville my thique du littoral méditerranéen ég yptien, longtemps célébrée comme la capitale du cosmopolitisme, que l’auteur de L’Immeuble Yacoubian (2002), best-seller traduit dans 34 langues et porté à l’écran par Marwad Hamed en 2006, assoie son nouveau roman. Une fresque humaine et histor ique, où une bande d’amis explore la complex ité de l’Ég ypte de la fin des années 1950, sous le régime de Gamal Abdel Nasser, parvenu au pouvoir quatre ans après avoir renversé le roi Farouk. Unis par leur at tachement profond à leur pays, les personnages se retrouvent le soir dans le bar-restaurant Ar tinos de la cité port uaire, expr imant chacun ses opinions et ses questionnements, à la lumière de ses or igines, de sa personnalité et de son quotidien. Se divisant aussi quant à leur nouveau leader,
l’un des hommes d’État les plus influents du XX e siècle, avec sa politique socialiste et panarabe, mais également ses dérives autoritaires et la répression féroce qu’il imposa à ses adversaires. Au fil des chapitres, le lecteur s’installe d’abord dans la lang ueur et les char mes d’Alexandr ie, s’immisce dans la vie de chaque protagoniste, ainsi que dans l’histoire ég yptienne, puis bascule dans un quasithriller politique, tandis que le régime se durcit : réfor mes, surveillance, incarcérations… Passé maît re dans l’ar t de révéler ses personnages, de les réunir ou de les diviser, Alaa El Aswany, s’est toujours emparé des enjeux sociau x de son pays d’or igine. Si x ans après J’ai cour u vers le Nil (2018), où il narrait la révolution ég yptienne de 2011 à travers une panoplie de personnages liés les uns au x autres, il continue de défendre ardemment les valeurs de la démocratie Romancier, nouvelliste et essay iste, celui qui fut l’un des piliers de la révolution ég yptienne vit aujourd’hui au x États-Unis, où il enseigne la littérature ■ C.F.
RICH MNISI, COURONNÉ PAR AFRICA FASHION UP
Le créateur sud-af rica in a fa sciné ju ry et pu bl ic lors du défi lé AF UP, pendant la FA SH ION WEEK PA RISI EN NE.
LE CRÉATEUR sud-africain Rich Mnisi est le grand gagnant de la quatrième édition d’Africa Fashion Up, initiative créée par l’ancien mannequin Valérie Ka pour promouvoir les jeunes talents de la mode et qui est devenue un véritable tremplin. Le fondateur de la marque éponyme, lancée en 2014 et basée à Johannesburg, a remporté le prix Best Designer Africa avec une collection avant-gardiste intitulée « Mihloti » (larmes), qui mélange des silhouettes exagérées et colorées avec des coupes ironiques inspirées des vestes et tenues de travail
Ses créations ont défilé dans le cadre prestigieux du musée du quai Branly lors de la dernière Fashion Week parisienne, aux côtés de celles du Marocain Mohamed Youss, qui, avec ses mélanges de toile de jute et tapisserie, a obtenu le prix du Designer Éco-Responsable, de la Sud-Africaine Gugu Peteni, prix du Jeune Designer avec ses pièces en laine mérinos et
Le s si lhouettes bi ga rrée s de la coll ectio n « Mi hloti ».
Ri ch Mn is i, lau ré at d u pr ix Be st De si gner Af rica, entouré de Lu divi ne Po nt (à ga uc h e), Ch ie f Ma rket ing Of fic er chez Bale nci ag a, et de Va lé ri e Ka (à droi te), à l’initiative d’Af rica F ash ion Up.
mohair, qui fusionnent le streetwear de luxe avec l’héritage africain, et de la Mauritano-Sénégalaise Kadiata Diallo.
Les quatre lauréats ont été sélectionnés parmi 200 candidats et bénéficieront d’un accompagnement pro personnalisé. Organisé pour la deuxième fois dans les jardins du musée, décorés par le sculpteur de papier Junior Fritz Jacquet, le défilé a attiré plus de 700 personnes, entre personnalités du secteur (Balenciaga, Guerlain, etc.), de la culture et de la politique (l’ancienne ministre Élisabeth Moreno, le rappeur JoeyStarr, l’actrice Aïssa Maïga, etc.). Sur le podium, on a pu voir les nouvelles collections de Anjali Borkhataria (EKANTIK), Mina Binebine, Muftau Femi Ajose (Cute Saint), Eric Raisina, Ibrahim Fernandez, Nyny Ryke et Kwaku Bediako (Chocolate), récompensés les éditions précédentes. Le partenariat d’AFUP avec les Galeries Lafayette a permis de présenter le travail de ces créateurs, sélectionnés par Valérie Ka, dans un pop-up store du magasin parisien. Une expérience très positive, d’après les responsables du showroom, qui pourrait devenir un rendez-vous régulier. ■ L.N.
NOIR LUMINEUX
Inspiré pa r l’ar t du Bu rundi, du Congo et du Rwanda, MW IN DA propose des pièces au x lignes si mples et text urées, qu i jouent avec l’om bre et la lu mière.
« MWINDA » signifie lumière en lingala. Mais pour l’artiste multidisciplinaire Chris Schwagga, ce terme est avant tout le sy nony me d’une approche nouvelle de l’art et de l’artisanat traditionnels de la région à cheval entre le Congo, le Burundi et le Rwanda D’où le choix d’en faire le nom de sa marque à l’esthétique minimaliste et lourde de sens en même temps. Basé à Kigali depuis 2015, le Rwandais et Burundais natif du Congo lance officiellement le label en 2020, avec des premières pièces en bois, tourné et taillé à la main, et en laiton, récupéré des tonneaux d’huile et martelé à la main. À rebours de l’idée reçue d’un continent très coloré, il puise son inspiration dans l’art sobre local, notamment l’Imigongo, une pratique ancestrale au Rwanda Le noir intense de ses pièces devient, sous ses mains et celles des artistes et artisans qui travaillent à ses côtés, un canevas aux infinies possibilités. Il les habille d’éléments complexes et lumineux, en corne de vache et métal, ou il joue avec les textures et les motifs pour créer des surfaces éclatantes et envoûtantes. En attendant d’ouvrir son propre atelier, il travaille sur deux lampes inédites Fonctionnelles et artistiques, elles évoquent un bouclier traditionnel et les grands bracelets ty piques de la région mwinda.design ■ L. N.
BISTROT
Entre mets cin qéto il es et stre et -food d é li c ieus e, la cu isin e du contine nt a le ve nt en po up e à Pa ri s.
PARISIEN OU GHANÉEN ?
TA BLE DU CH EF OU REPAS
SU R LE POUCE : deux nouvelles adresses à découv rir dans la capitale française. Am biance décontractée et accueillante garantie.
INSTALLÉ dans une ruelle discrète du vibrant quartier des Batignolles, Le Petit Boutary a le charme d’un bistrot familial. La Table du Chef de la maison Boutar y – réputée aussi pour sa production de caviar – est depuis cette année portée par Roméo Agbodjan. Puisant dans ses origines africaines – du Bénin à l’Éthiopie – et dans les produits du marché, il propose chaque jour des menus bistronomiques surprises, pour quatre à six assiettes. Le soir, place à la carte spéciale Tchigan (« prestige » en langue mina), qui valorise les produits de la mer, dont le chef, qui s’adonne parfois à la pêche pour le loisir, raffole. Ses créations ? Sole aux herbes avec purée de banane plantain, fumet de poisson au lait
de coco, ou encore tarama au cognac et baies roses. Quant au dessert, il est tout autant incroyable : une tarte chocolatcaviar, sorbet goyave et crumble avec poiv re de Penja fumé. Version moderne des chop bars ghanéens, aussi iconiques que les bistrots parisiens, Kuti attend les gastronomes cosmopolites dans le quartier des Faubourgs. La streetfood bien balancée du chef franco-camerounais Antoine Joss Lecocq a fait ses preuves à Montreuil et, dès cet été, saura séduire les Parisiens avec une joyeuse cantine le jour et des boissons inédites (comme le Penja Wanda, avec gin au poiv re) couplées à des assiettes à partager le soir. Instruit par les mamas au Cameroun, au Ghana, au Nigeria et au Sénégal, le chef crée une cuisine panafricaine urbaine : du Banga, le Kuti Fried Chicken, signature nappée de sauce BBQ-baobab maison, les beignets Beef Plantain Balls, en passant par toutes les déclinaisons de massa, la galette nigérienne à la farine de riz fermenté, serv ie avec sauce moyo béninoise, poulet frit et même beurre de cacahuète, banane et sauce chocolat petitboutary.com @kutifood ■ L.N.
Sèmè City, l’écocité consacrée à l’innovation
L’AGENCE HA RDEL LE BI HA N coordonne l’un des projets phare des inst it ut ions béninoises, qu i devrait accélérer l’essor des fi lières loca les de la construct ion.
LA PR ÉSIDENCE DU BÉNIN a récemment validé l’avant-projet définitif de la phase 1 de Sèmè City, la future écocité dédiée à l’innovation made in Af rica, qui verra le jour dans la commune de Ouidah, nichée entre baobabs centenaires, champs et manguiers. L’initiative a été présentée par un consor tium de cabinets : les Catalans de Ricardo Bofill, l’agence béninoise Cobloc et les paysagistes de Niez Studio, chapeautés par les équipes de Hardel Le Bihan.
Il s’ar ticulera autour d’un immense campus pensé pour accueillir 30 000 étudiants et chercheurs, cinq clusters de formation et des incubateurs de star t-up et entreprises locales. L’agence parisienne Hardel Le Bihan a été choisie pour coordonner le projet à la suite de son travail sur les nouvelles résidences du campus de l’université dakaroise Cheikh Anta Diop, et notamment son implication avec les filières locales. Elle réalisera l’Académie des
spor ts, l’incubateur-makerspace, le centre de conférences, des bâtiments académiques et des logements pour les étudiants, mais aussi la maison du projet, avec son belvédère – l’un des premiers bâtiments à voir le jour Pensé avec une approche bioclimatique et résiliente, le projet permettra d’activer et de renforcer les filières béninoises, notamment celles qui travaillent avec la terre cuite, les fibres végétales et autres matières biosourcées qui seront employées sur le chantier hardel- lebihan.com
Siân Pottok
Le cœur battant de sa musique pop hybride et métissée est le kamele n’goni, une harpe-luth du Mali. LA CHANTEUSE ET MUSICIENNE, qui a grandi entre l’Amérique, l’Europe et l’Asie, tisse ainsi un lien spirituel avec ses origines africaines.
par Astrid Krivian
Elle n’a pas grandi en Afrique, mais elle s’y sent « enracinée, à la maison », éprouvant un sentiment « mystique ». Née en Floride d’une mère indo-congolaise et d’un père belgo-slovaque, la chanteuse et musicienne Siân (« Jeanne » en gallois) Pottok a vécu son enfance entre Singapour, l’Indonésie, les États-Unis et la Belgique, bercée notamment par les musiques du continent (Papa Wemba, Miriam Makeba…).
Aujourd’hui, les cordes de son kamele n’goni, harpe-luth du Mali, sont autant de fils qui la relient à ses racines africaines Il y a quelques années, quand le maître malien Abou Diarra lui a fait découvrir l’instrument au son cristallin et délicat, ce fut le coup de foudre « C’est un partenaire de vie. Le kamele n’goni mélange l’harmonie et le ry thme ; d’un point de vue spirituel, il me connecte à ce continent, à la fois étranger et familier Quand je joue, je me sens libre » Si elle apprend le répertoire traditionnel et projette de s’immerger au Mali pour se perfectionner, ses compositions s’inspirent de son jeu à la guitare folk Métissage musical réussi, riche en textures et ambiances, son premier album Deep Waters – prév u en novembre prochain, et dont quelques titres sont déjà sortis – mêle l’acoustique de cette harpe à des sons électro, des couleurs pop, ou encore un quintet à cuivres classique. Se livrant à l’introspection, explorant une palette d’émotions, l’artiste honore la force guérisseuse de l’eau ; dans « Rain », elle célèbre la danse sous la pluie, « cet état d’euphorie, d’insouciance ». « Kuwa Mbali Sana », qui signifie « être très loin » en swahili – la langue de sa mère, originaire de l’est de la RDC –, évoque la nécessité « de rompre les frontières en soi pour avancer ». Élevée dès son plus jeune âge aux quatre coins du monde, Siân Pottok a développé une capacité d’adaptation, un sens de la débrouillardise. Ses parents lui ont appris la tolérance, l’acceptation de l’autre, de la différence. Aux côtés des musiques africaines, la variété française, le folk et le rock anglo-saxons tournent sur la platine familiale. À 6 ans, elle apprend le violon à l’école publique américaine. « Aux États-Unis, l’art et la musique font partie du cursus scolaire. C’est ainsi qu’un enfant peut vraiment s’exprimer. » Après le violoncelle et le piano, le chant s’impose à l’adolescence – ry thmée par les voix soul et R’n’B de Toni Braxton ou Whitney Houston. Après des études de langues en Belgique, elle étudie le jazz vocal à Paris au conser vatoire Nadia et Lili Boulanger. En 2005, elle réalise son rêve d’enfant : jouer dans une comédie musicale, avec Attention ! Mesdames et Messieurs, de Michel Fugain, puis Piaf, je t’aime en 2007. De retour outre-Atlantique, à New York, elle apprend la guitare en autodidacte. Voie d’expression, de libération, aux vertus thérapeutiques, la musique lui permet de partager et d’échanger avec les autres. Aussi, elle mène des actions culturelles pour des ONG ou d’autres structures (Ehpad, écoles, etc.). Elle a ainsi sillonné l’Afrique australe à la rencontre d’enfants et de femmes de quartiers défavorisés, pour un projet croisant atelier musical et exposition photographique. « C’est très émouvant d’échanger avec des personnes qui n’ont pas forcément accès à l’art. On apprend tellement d’elles. » ■
Dee p Wate rs sor tira en nove mb re 20 24
«C’est très émouvant d’échanger avec des personnes qui n’ont pas forcément accès à l’art. On apprend tellement d’elles.»
PA R EM MAN UE LL E PON TI
FAITES VOS JEUX !
Les Jeux olympiques de Paris seront en tr ai n de s’ac heve r au mom ent où vo us li rez ces lig nes. Et l’on espère déjà que le continent africain aura largement dépassé la moisson de 37 médailles glanées lors des Jeux de Tokyo. Après la Tunisie au sabre individuel, l’Afrique du Sud au rugby à VII ou l’Égypte à l’épée Mais au -delà du spor t et des records auxquels l’Afrique nous a habitués – notamment du côté de l’est, dans le domaine de la course à pied –, comme le dit l’adage : « L’impor tant, c’est de par ticiper. » Cinquante -quatre nations représentées, cer ta ines su r de tout petit s ba teaux défi lant sur la Seine lors de la cérémonie d’ouverture, avec parfois un seul athlète à bord, por teur fier d’un drapeau. Des pays africains engagés dans 329 épreuves et 32 disciplines.
Le s JO so nt un e fo rm ida ble vitrin e, où les guerres, les différends, les inégalités, durant quelque 17 jours, semblent oubliés. Seuls les performances, le travail et la recherche de l’excellence comptent. La réussite personnelle prend le pas sur la pauvreté d’un pays et sur le manque criant de financements dans certaines nations. Car, entre autres, le spor t fait par tie de l’ADN du continent. Les JO sont un outil diplomatique hors normes. Douze chefs d’État africains ont fait le déplacement. Kigali profite habilement du spor t pour faire une campagne de promotion de sa destination : le slogan « Visit Rwanda » s’af fiche sur les maillots C’est, enfin, un moment magique où tous les racismes et les replis identitaires sont comme suspendus, au profit de l’esprit olympique.
La Fr ance l’a illu st ré de manière cl airement mi li ta nte, en cho is is sant de fa ire ch anter Aya Nakamura , star originaire du Mali, au son de l’orchestre de la Garde républicaine devant l’Académie française À l’heure où l’Hexagone a voté massivement pour un par ti d’ex trême droite aux dernières élections législatives, voilà un symbole ultime d’intégration, de par tage et de diversité. Et après les JO, place aux Jeux paralympiques où, là encore, l’Afrique sera présente. Avec des athlètes marocains ou sénégalais en parataekwondo ou encore tunisiens en para -athlétisme, parmi beaucoup d’autres On leur souhaite, à eux aussi, une belle récolte de médailles Et de rappeler que l’Afrique, avec tous les autres champions, regorge de talents et de tickets gagnants. Bravo à tous ! ■
AM vous a offert les premières pages de notre parution de Août - Septembre
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