AFRIQUE MAGAZINE
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
EN VENTE CHAQUE MOIS
www.afriquemagazine.com
N o 3 7 9 - A F R I Q U E
MAGAZINE - AVRIL 2018
CÔTE D’IVOIRE
SUR LES CHEMINS DE 2020
Un dossier spécial de 16 pages
+Sanaa El Aji
Enquête
SAHEL
LA GRANDE GUERRE DE 100 ANS
Interviews
« Le corps des femmes est sous le contrôle de la société »
Mahamat Saleh Haroun
« Pour trouver sa voie, la culture est la seule arme »
ÉDITO
Internet contre la démocratie ? par Zyad Limam
Et aussi Magyd Cherfi, Mahamadou Camara, Dominique Tchimbakala...
LES FANTÔMES DE KADHAFI
Il a été abattu il y a presque 7 ans. Et pourtant, l’ombre du Guide plane encore. Il hante les nuits de Nicolas Sarkozy. Sa fin a provoqué un choc migratoire et sécuritaire à l’échelle du continent. L’argent et le pétrole disparaissent de la Libye. Son fils parle de lui succéder dans un pays dévasté.
N° 379 - AVRIL 2018
M 01934 - 379 - F: 4,90 E - RD
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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ÉDITO par Zyad Limam
AFRIQUE
C
3.0
’est, en particulier pour tous les pays neufs, en demande d’information et d’ouverture, une formidable fenêtre sur le monde, un moyen impressionnant d’expression. Internet, les réseaux sociaux, ont eu en Afrique, comme ailleurs, un impact inouï sur la vie publique, déverrouillant la parole, l’accès au savoir aussi. Une sorte de désenclavement massif des mentalités et des idées. Une évolution spectaculaire, au même titre que la téléphonie mobile. Cette révolution digitale africaine est d’autant plus significative qu’elle n’en est qu’à ses débuts, aux origines. Le taux de pénétration moyen du Net aujourd’hui tourne autour de 25 à 30 %. Soit aux alentours de 350 millions d’Africains connectés (sur une population de 1,2 milliard). C’est malgré tout le taux de progression d’accès à Internet le plus élevé au monde. Avec des fortes disparités régionales. L’Afrique centrale reste en queue de peloton… Partout, les tarifs sont souvent prohibitifs, les connexions aléatoires, le haut débit une rareté, les campagnes et les zones rurales à peine raccordées. Mais quelque chose de fondamental est en marche. Il faut aller « chercher » les 800 millions d’Africains sans accès, ce qui n’est pas impossible si l’on s’appuie plus encore sur les opérateurs mobiles et les énergies décentralisées (solaire en particulier). Il faut utiliser toutes les opportunités du Net et des technologies digitales pour gagner des années de développement, moderniser les services publics (dématérialisation, transparence), imaginer des applications dans les domaines de la santé, de l’éducation, du commerce. L’Afrique est vierge et ici peut se construire une formidable machine à rattraper le temps perdu, à se projeter plus vite dans l’avenir. Passer à l’Afrique 3.0 ! Des milliers d’entrepreneurs et d’entreprises peuvent s’engouffrer dans le secteur. Évidemment, les obstacles sont nombreux, les falaises du progrès hautes et escarpées… Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours 1.0. Il faut réveiller des États qui au-delà du discours convenu se méfient d’un instrument trop efficace d’émancipation des populations. Il faut aussi trouver les moyens de financer des infrastructures lourdes sans tomber sous la coupe des « very big » géants du Net (les fameux GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon). Et qui regardent petit à petit dans notre direction. Enfin, ce n’est pas parce que le marché en est encore à ses débuts qu’il n’héritera pas des boulets qui plombent son évolution dans le monde entier. Ici comme ailleurs, la liberté digitale s’accompagne de tous les excès possibles couverts par l’anonymat : voyeurisme, violences verbales, haine raciale, religieuse, homophobie, sexisme… Plus grave, les progrès réalisés en termes d’accessibilité génèrent une cybercriminalité active et inventive. Qui coûte cher aux économies locales et qui focalise l’attention des organismes de sécurité internationaux. La protection des données est devenue un sujet majeur, y compris en Afrique. Nous ne sommes pas à l’abri des manipulations politiques. Les tripatouillages sophistiqués sur Facebook ou d’autres réseaux sociaux afin d’orienter les choix électoraux (Russie, Brexit, etc.) déstabilisent des démocraties anciennes, établies. Elles peuvent évidemment concerner plus encore l’Afrique avec ces processus fragiles. Dans les registres de Cambridge Analytica, la société britannique soupçonnée d’avoir siphonné les données privées de 50 millions d’utilisateurs de Facebook à des fins électorales peu recommandables, apparaissent (déjà) deux pays africains : le Kenya et le Nigeria… ■ AFRIQUE MAGAZINE
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p. 42
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SOMMAIRE Avril n°379
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ÉDITO Afrique 3.0 par Zyad Limam
TEMPS FORTS 22
ON EN PARLE 6
Livres : Max Lobe, porté disparu
8
Écrans : Le mystère Marie-Madeleine
par Catherine Faye
par Jean-Marie Chazeau
10
Musique : Maître Gims remonte sur le tatami par Sophie Rosemont
12 AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS
CÔTE D’IVOIRE
SUR LES CHEMINS DE 2020
Un dossier spécial de 16 pages
+Sanaa El Aji
par Emmanuelle Pontié
18 Enquête
SAHEL
Mahamat Saleh Haroun
« Pour trouver sa voie, la culture est la seule arme »
par Zyad Limam
Et aussi
par Astrid Krivian
42
Sahel : une guerre de cent ans par Cherif Ouazani
50
LE DOCUMENT Tripoli inside par Hedi Dahmani
DÉCOUVERTE 55
PARCOURS Mahamadou Camara
Côte d’Ivoire : Vive la démocratie !
par Zyad Limam, Ouakaltio Ouattara et Emmanuelle Pontié
21
C’EST COMMENT ? Divagations artistiques par Emmanuelle Pontié
72
86
CE QUE J’AI APPRIS Magyd Cherfi par Astrid Krivian
78
98
VINGT QUESTIONS À... Dominique Tchimbakala
Magyd Cherfi, Mahamadou Camara, Dominique Tchimbakala...
Il a été abattu il y a presque 7 ans. Et pourtant, l’ombre du Guide plane encore. Il hante les nuits de Nicolas Sarkozy. Sa fin a provoqué un choc migratoire et sécuritaire à l’échelle du continent. L’argent et le pétrole disparaissent de la Libye. Son fils parle de lui succéder dans un pays dévasté.
N° 379 - AVRIL 2018
M 01934 - 379 - F: 4,90 E - RD
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Interview : Sanaa El Aji
ÉDITO
Internet contre la démocratie ?
LES FANTÔMES DE KADHAFI
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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par Emmanuelle Pontié
LA GRANDE GUERRE DE 100 ANS
Interviews
« Le corps des femmes est sous le contrôle de la société »
14
par Akram Belkaïd, Hugues Berthon, Frida Dahmani, Maryline Dumas, Zyad Limam et Cherif Ouazani
’:HIKLTD=YUY^UY:?a@d@r@j@k" 30/03/18 17:19
Interview : Mahamat Saleh Haroun par Fouzia Marouf
Portfolio : L’Afrique dans le regard par Hedi Dahmani
par Astrid Krivian
PHOTO DE COUVERTURE : MINELLA/GRAFFITI/ROPI/RÉA
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AFRIQUE MAGAZINE
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DR - KENZO TRIBOUILLARD/AFP PHOTO
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
Agenda : Le meilleur de la culture Événement : Pour la mère et pour l’enfant
Cover story : Les fantômes de Kadhafi
p. 55
AFRIQUE MAGAZINE
FONDÉ EN 1983 (34e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
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Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION
Emmanuelle Pontié
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Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com
Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
Éléonore Quesnel
MADE IN AFRICA 88
PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
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Escapades : les chutes Victoria, la nature à son sommet
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com
par Alexis Hache
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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, Akram Belkaïd, Hugues Berthon, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Maryline Dumas, Catherine Faye, Alexis Hache, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Ouakaltio Ouattara, Cherif Ouazani, Fouzia Marouf, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.
Carrefours : Yesomi, la visionnaire par Luisa Nannipieri
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Fashion : Maison Château Rouge, de la Goutte d’Or aux concept-stores
VIVRE MIEUX
par Luisa Nannipieri
Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
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Hypertension : comment se protéger Enfant hyperactif : les signaux d’alerte Stop aux yeux cernés
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ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32
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p. 78
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Commission paritaire : 0219 D 85602 Dépôt légal : avril 2018. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2018.
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Le Camerounais se lance dans un road trip initiatique, de Douala à la frontière nigériane, sur les traces d’un drôle d’oiseau. On le suit… par Catherine Faye « OUI, nous avons bien voyagé. Non, nous n’avons pas vu Roger. Pas encore. Mais ça ne saurait tarder. » C’est l’histoire de deux frères à la recherche de leur aîné, Roger, jeune Camerounais parti sur les routes pour tenter clandestinement de gagner l’Europe, via le Nigeria, au nord du pays. « Eh oui, les gars ! Notre Roger Milla est go, lui, en Mbeng ! Il m’a dit qu’il allait boza : qu’il irait en Europe à pied. » Il faut dire que Roger n’a qu’un rêve. Devenir une star du football. Un nouveau Roger Milla en quelque sorte. Pour lui, en dehors du foot, du Real de Madrid ou du FC Barcelone, point de salut. Il décide de fuir la maison familiale, où rien n’est simple. Sans demander son reste et avant même l’enterrement de son père. Son but ? Tenter le tout pour le tout. Simon et Jean se lancent alors à sa poursuite. Une traque qui va les emmener loin de Douala. À Yaoundé, Ngaoundéré, Garoua, Maroua… Mais, plus ils approchent du Nigeria, plus se fait sentir l’impact du groupe djihadiste Boko Haram qui tente d’imposer sa loi. Au fil de ce récit, Max Lobe propose un voyage initiatique et un parcours de son pays natal, du sud au nord, à travers paysages, ambiances, religions et rencontres. On suit le duo formé par les deux frères, Simon et Jean, embringués dans 6
une traversée humaine et géographique, en taxi-brousse, en bus, en train ou à moto. Ce quatrième roman n’est pas fortuit. L’idée vient à l’auteur en « LOIN DE 2015, lors d’un voyage de la capitale DOUALA», Max Lobe, économique camerounaise à la Zoé, 176 p., 16 €. frontière nigériane, où l’intensité de ce qu’il perçoit va prendre corps dans l’écriture. D’abord, dans trois chroniques publiées dans Le Monde Afrique. Puis, dans ce nouveau récit qu’une jeunesse aux talents gâchés, l’obsession de quitter le pays, les enfants des rues, les tensions entre le nord et le sud ou encore les exactions de Boko Haram viennent habiter et tresser. Le long des routes, le Cameroun devient un personnage à part entière. « C’est important de savoir d’où l’on vient, où l’on va », estime ce passionné d’histoire et de politique, qui a pourtant élu domicile en Suisse depuis plus de dix ans. À 32 ans, il fait partie d’une nouvelle génération d’écrivains africains, où la langue, l’oralité, le rire, les sons et le rythme ponctuent les textes. « Il est difficile pour moi d’écrire sur quelque chose que je n’ai pas vécu. J’ai besoin de ressentir les choses, de les vivre, c’est le ventre qui écrit », confiait récemment le lauréat 2017 du prix Ahmadou Kourouma à la RTS (radio télévision suisse). Sur son blog, Les Cahiers bantous, où il publie régulièrement des nouvelles, on retrouve ce même univers, vivant, tissé à la lisière du conte et du documentaire. « En tout cas les gars, à l’heure où je vous parle là-là-là, peut-être qu’il est déjà, lui, au Nigeria en train de tracer tranquillement la route jusqu’en Espagne. » Un style bien à lui. Direct et sensuel. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE
Max Lobe Porté disparu
ON EN PARLE livres
« UNE HISTOIRE POPULAIRE DU FOOTBALL »,
Mickaël Correia,
La Découverte, 416 p., 21 €.
essaii SOCIAL FOOTBALL CLUB OUBLIEZ Messi, Neymar, Cristiano Ronaldo, les millions et les paillettes… C’est à l’autre football, celui d’en bas, de la rue, que s’intéresse cet ouvrage. Construit en vingt-deux chapitres, comme le nombre d’acteurs sur un terrain, il nous entraîne de Manchester à Buenos
Aires, de Dakar à Istanbul, de São Paulo au Caire, de Turin à Gaza… À contrepied du foot-business et de son cadre institutionnel, Mickaël Correia propose une autre histoire du ballon rond, depuis ses origines jusqu’à nos jours. Où l’on explore la révolte ouvrière contre l’ordre bourgeois ou découvre, par exemple, comment les ultras égyptiens ont joué un rôle clé dans la chute de Hosni Moubarak… Instructif et rafraîchissant. ■ C.F.
roman
bande dessinée UNE HISTOIRE MÉCONNUE ALGÉRIENNES rend hommage aux grandes oubliées d’une longue guerre restée profondément traumatisante des deux côtés de la Méditerranée. Toutes ces femmes, moudjahidates résistantes, parfois victimes d’attentat, épouses de harkis, Françaises « ALGÉRIENNES É 1954-1962 », Deloupy pieds-noirs… que l’Histoire a eu tôt fait & Swann Meralli, d’oublier. À 50 ans, Béatrice, fille d’appelé Marabout, français, fait face à ce lourd tabou en 128 p., 18 €. questionnant ses parents afin de lever le voile sur plus d’un demi-siècle de non-dits. Elle décide alors de s’envoler pour l’Algérie à la recherche de témoignages de femmes de tous horizons. Swann Méralli, scénariste, urbaniste et réalisateur de courts métrages, et Deloupy, dessinateur notamment pour la jeunesse, ont imaginé une histoire réaliste et pleine d’humanité dont on ne peut que conseiller vivement la lecture. ■ Loraine Adam
DR
DE CHARYBDE EN SCYLLA LE DERNIER roman de l’auteur d’Ici même oscille entre autofiction et récit fantastique. Le lecteur assiste à une plongée kafkaïenne au cœur de l’existence marginale des ouvriers des grands chantiers de construction koweitiens. Un témoignage brûlant sur l’exploitation et les disparités sociales au Moyen-Orient, à travers l’histoire d’un jeune professeur égyptien installé au Koweït dans l’espoir d’y trouver un Eldorado. AFRIQUE MAGAZINE
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réédition L’HOMME TOURMENTÉ « L’OMBRE DU SOLEIL », Taleb Alrefai, Actes Sud, 192 p., 21 €. Et qui finit au chômage et enlisé dans les méandres des impasses administratives. Comme des milliers de travailleurs venus des confins de la région pour tenter leur chance. ■ C.F.
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DE SES NOMBREUSES vies et voyages en Afrique, Graham Greene a signé en 1948 une énième grande œuvre, Le Fond du « LE FOND DU problème. L’histoire d’amour ombrageuse PROBLÈME », Graham entre Scobie et Helen, plus jeune que lui, Greene, Pavillons située entre un petit comptoir colonial Poche, Robert de la Sierra Leone et l’Afrique du Sud. Laffont, 400 p., 10 €. On est embarqué par le souffle épique de ce récit grouillant de vie, de personnages aussi fascinants qu’irritants : tiraillés entre failles et trahison, au cœur de la puissance évocatrice de l’Afrique, porteuse de thèmes toujours contemporains car inscrits dans la fureur du monde. Réédité 60 ans après, il demeure d’une actualité troublante. ■ Fouzia Marouf 7
C’est l’Américaine Rooney Mara (Millenium, Song to Song…) qui a été choisie pour camper ce personnage, avec force et subtilité.
Le mystère Marie-Madeleine
Casting cinq étoiles et scénario féministe pour raconter les derniers jours de Jésus-Christ… Et jeter une lumière nouvelle sur la figure énigmatique de sa célèbre DISCIPLE, loin des clichés. à la ville) Joaquin Phoenix incarne un Jésus à EN CES TEMPS de #metoo et de la fois sobre et charismatique. L’Anglo#balancetonporc, voici une relecture Nigérian Chiwetel Ejiofor (Twelve Years a féministe du Nouveau Testament qui tombe à Slave) endosse avec gravité les habits de pic ! Au cœur du film, une des rares femmes Pierre, futur premier évêque de Rome. Et c’est de l’entourage de Jésus : Marie-Madeleine. Tahar Rahim qui joue Judas, dont la trahison Depuis qu’un pape au VIe siècle avait fait est ici transformée en un (vain) moyen de d’elle une prostituée, les Catholiques la pousser le Christ à révéler sa puissance pour vénéraient comme une pécheresse renverser un ordre social et politique repentante. Victime d’une vision patriarcale profondément injuste… De quoi faire débat. décidément très enracinée, elle n’est devenue On peut s’étonner aussi qu’une autre femme qu’en juillet 2016 « apôtre des apôtres » par proche du prophète soit mise un peu sur la décision du pape François. Elle qui a touche : sa mère, Marie (l’actrice Irit Sheleg), accompagné le Christ jusqu’au tombeau, « MARIE MADELEINE » qui n’apparaît que fugacement. Mais il faut aurait donc joué un des premiers rôles à ses (Australie) de Garth Davis, avec Rooney Mara, Joaquin dire que tout le film tourne autour de côtés, sur un plan spirituel et non sensuel, Phoenix, Chiwetel Ejioflor, Marie-Madeleine, depuis sa difficile échappée contrairement à ce qu’imaginait, il y a Tahar Rahim d’un milieu familial violemment dominé par trente ans, La Dernière Tentation du Christ de les hommes, jusqu’à ses échanges avec un Jésus ressuscité. Pas Martin Scorsese, ou plus récemment le Da Vinci Code… Pour de prosélytisme pour autant derrière cette nouvelle vision mener cette réhabilitation, un cinéaste australien : Garth d’une histoire si souvent racontée, mais une belle réflexion sur Davis, auteur d’un des grands succès de 2016 : Lion, avec la la spiritualité de chacun, qui intéressera aussi bien… les comédienne américaine Rooney Mara, qui incarne ici une croyants que les autres. ■ lumineuse Marie-Madeleine. Son compatriote (et compagnon 8
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par Jean-Marie Chazeau
ON EN PARLE cinéma écrans
histoire
Maman ghetto C’EST en venant aux Oscars 2016 pour Mustang, en course pour le meilleur film étranger, que la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven a parlé à Halle Berry de son projet sur les émeutes de Los Angeles en 1992. Résultat : un rôle en or pour la comédienne d’origine sud-africaine, qui incarne une « mama » sur tous les fronts, recueillant les enfants à l’abandon dans son quartier. C’est là que vont éclater des violences interraciales après l’acquittement des policiers blancs qui avaient passé à tabac Rodney King, un automobiliste noir. La jeune cinéaste n’a pas eu les mêmes moyens que Kathryn Bigelow dans Detroit (brillante reconstitution d’autres émeutes, en 1967), mais elle s’en sort avec de bonnes idées de mise en scène et une direction d’acteurs énergique. Le rôle dévolu au voisin irascible mais bienveillant, incarné par l’actuel James Bond, Daniel Craig, est moins convaincant. ■ J.-M.C. « KINGS » (États-Unis) de Deniz Gamze Ergüven, avec Halle Berry, Daniel Craig, Lamar Johnson.
Millie (Halle Berry), mère d’accueil, tente de protéger ses enfants de la brutalité ambiante lors des émeutes de Los Angeles, en 1992.
drame
La bise et le sirocco
DANS le nord de la France, l’usine où travaille le quinquagénaire Hervé va être délocalisée en Tunisie : il tente alors avec son fils de se reconvertir en pêcheur. En banlieue de Tunis, le jeune Foued, au chômage, se fait engager dans cette usine délocalisée, pour payer les médicaments de sa mère malade et séduire une ouvrière… Le scénario habile – signé Leyla Bouzid, réalisatrice du superbe À peine j’ouvre les yeux (2015) – et la mise en scène très fluide – premier long métrage de Walid Mattar – fait passer judicieusement le spectateur de l’un à l’autre, et rend attachants des personnages dont le quotidien n’est pas si éloigné. ■ J.-M.C. « VENT DU NORD » (France-Tunisie) de Walid Mattar, avec Philippe Rebbot, Mohamed
DR - BARNEY PRODUCTION/PROPAGANDA PRODUCTIA/HELICOTROME
Amine Hamzaoui, Corinne Masiero.
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Maître Gims remonte sur le tatami
Déjà fort de 4 millions d’albums vendus, le rappeur propose un nouveau BEST-SELLER, le double album Ceinture noire. Le combat ne fait que commencer… « VIENS t’en prendre à moi directement, je suis 19 avenue de Barbès, je me mets en warning », répondait-il au hacker de son compte Twitter au début du mois de mars dernier, quand un petit malin en avait profité pour livrer deux morceaux inédits sur Internet… Qu’on se le tienne pour dit, Maître Gims a beau être populaire – « J’suis l’pont entre Young Thug et Georges Moustaki / Le Noir le plus aimé du Central Massif » chante-t-il sur son duo avec Orelsan, l’hilarant « Christophe » –, il a gardé toute sa verve. En témoignent les sémillants « Caméléon », « Mi Gna » ou « Loup Garou », points d’orgue d’un double album dont la volonté d’éclectisme reste fidèle aux habitudes de Gims. 10
sans autre possibilité Une variété des styles, de sortir de la donc. Non seulement quant pauvreté que la à la structure sonore, entre musique. Dès 2010 et pop mainstream, rap le premier album de énervé, musique orientale Sexion d’Assaut, ou africaine et même trap, Maître Gims a trouvé mais aussi concernant les « CEINTURE NOIRE », sa voie et un cercle de featurings, de Hayko à Maître Gims, fidèles sans cesse Vianney en passant par Play Two. grandissant, qui le suit Sofiane. L’album se décline même lorsqu’il se en trois versions fortes de lance en solo, avec Subliminal, en 2013. titres inédits : « 1er Dan », « 2e Dan » et Des millions d’abonnés sur les réseaux « 3e Dan ». Logique, pour un disque qui sociaux, de Facebook à Instagram, plus s’appelle Ceinture noire… De quoi d’un milliard de vues sur sa chaîne affirmer un haut niveau, certes, et le YouTube, le chanteur est au top de sa chemin parcouru depuis sans naissance gloire mais ne semble toujours pas à Kinshasa il y a bientôt 32 ans, sous le vouloir se reposer sur ses acquis. Tant nom de Gandhi Djuna. Une enfance mieux pour son public, qui n’est pas précaire et une adolescence passée à près de le lâcher. ■ errer sans but, à flirter avec le danger, AFRIQUE MAGAZINE
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FIFOU1933
par Sophie Rosemont
ON EN PARLE musique
« VENTRILOQUISM »,
Meshell Ndegeocello,
Because.
highlife EBO TAYLOR, LE COME-BACK DU PATRON
jazz/hip hop
MESHELL NDEGEOCELLO OU L’ART DE LA REPRISE
La diva néo-soul se lance dans la réinterprétation de classiques. Élégant. S’IL Y A BIEN un format d’album très risqué, c’est celui des reprises. On peut s’y casser les dents, par excès de créativité malvenue ou par copié-collé peu surprenant. Des écueils qu’a su éviter la fabuleuse Meshell Ndegeocello, que l’on a récemment entendue sur le deuxième album des sœurs Ibeyi avec le très beau « Transmission/ Michaelion »… Ainsi, on se laisse porter par des réinventions sophistiquées et sensuelles de « Sometimes It Snows in April » de Prince, « Smooth Operator » de Sade, « Atomic Dog » de George Clinton, « Waterfalls » de TLC… Le tout réuni dans un douzième album nommé Ventriloquism, dont les orchestrations n’ont pas à rougir d’être comparées aux versions originales des morceaux que Meshell a choisi de reprendre. Bien joué ! ■ S.R.
oriental glam
SOFIANE SAIDI & MAZALDA BOUSCULENT LE RAÏ
CHARLIE GROSS
Une rencontre sous le signe du groove et de la transe, on ne peut plus actuelle. NÉ en Algérie, le Parisien d’adoption Sofiane Saidi chante depuis longtemps les amours, les rêves et les déceptions – en témoignait un premier album en 2015. L’année suivante, il participait avec enthousiasme au fameux Musique de France d’Acid Arab. Dans la foulée, il rencontrait Mazalda, groupe lyonnais à l’insatiable curiosité sonore… Le ffruit de lleur complicité L it d li ité s’écoute aujourd’hui dans El Nedjoum, enregistré entre Sid Bel Abbès et Paris, merveille de raï à la fois respectueux des traditions et inscrit dans notre contemporanéité. ■ S.R. « EL NEDJOUM », Sofiane Saidi & Mazalda, Irfono / Carton
Records / L’Autre Distribution. AFRIQUE MAGAZINE
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C’EST avec son groupe Satpond City que le célèbre guitariste ghanéen revient, en pleine forme, avec Yen Ara. On n’y croyait plus, pourtant, depuis la sortie de son dernier album en date, Appia Kwa Bridge, en 2012, et la réédition du cultissime Ebo Taylor and the Pelikans à l’automne dernier. Force est de constater qu’à 82 ans, Ebo Taylor sait toujours fait sonner sa musique, ici enregistrée live à Amsterdam sous la houlette de Justin Adams (Robert Plant, Tinariwen), brillant de ses mémorables polyrythmies et de sa richesse mélodique, nourrie de funk comme de jazz. De « Poverty No Good » à « Aba Yaa », on se régale et on n’en perd pas une miette. ■ S.R. « YEN ARA », Ebo Taylor, Mr Bongo.
premier album ROMANTIQUE COMME REJJIE ÉCRIT et enregistré entre Los Angeles, Londres et Paris, produit par Kaytranada, Cam O’bi, Rahki ou Lewis Ofman, le premier album de Rejjie Snow s’est tant fait attendre que beaucoup pariaient qu’il ne verrait jamais le jour. Mais à son écoute, on se souvient pourquoi on misait déjà, il y a quelques saisons, sur le talent de ce rappeur irlandais au flow aussi nonchalant qu’irrésistible. Né à Dublin, Alex Anyaegbunam est d’origine jamaïcaine et nigérienne. Il a grandi dans un quartier majoritairement blanc, a suivi les cours des jésuites mais, très vite, est tombé amoureux de la soul, du r’n’b et du hip hop. Après un passage dans le sud des États-Unis pour étudier le cinéma, il a percé à Londres. Encensé par Tyler, the Creator, il nous offre aujourd’hui ce Dear Annie aux accents à la fois exotiques et vintage, fort de tubes comme « Egyptian Luvr » ou « Mon amour ». ■ S.R. « DEAR ANNIE »,
Rejjie Snow, Because. 11
Un portrait d’Asia Argento répond à un masque abdominal en forme de torse de Tanzanie…
L’ennemi de mon ennemi de Neïl Beloufa mêle documents, images et autres œuvres dans un dispositif scénographique chaotique.
installation
Le Quai Branly donne carte blanche à la célèbre photographe, qui fait dialoguer ses IMAGES et les sculptures africaines. C’EST une conversation inédite entre les photographies de l’artiste et une sélection de sculptures africaines issues de ses collections que propose le musée du Quai Branly. Une exposition conçue comme un cabinet de curiosités contemporain, où corps et visages ultra-présents se font l’écho de figures féminines qui ne se réduisent pas à une allégorie de la beauté ou du désir. Bettina Rheims, photographe de la femme, n’invente pas des icônes mais célèbre des êtres de chair et de sang – mannequins qui ne cherchent pas à séduire, féministes provocatrices défendant leur liberté… Des êtres aussi réels que ceux qu’ont fait surgir les artistes d’Afrique, dont statues et masques les rejoignent ici, telle cette porteuse de coupe béninoise du début du XXe siècle en face-à-face avec un des modèles de la série Héroïnes. Dans cette sélection de Polaroid, l’artiste se saisit des stéréotypes qui dominent la représentation des femmes, les déstabilise, les détourne et, pour finir, les détruit. Ici, comme dans son atelier, peuplé de sculptures d’Afrique et d’Océanie, des femmes du monde entier conversent librement entre elles. ■ Catherine Faye « VOUS ÊTES FINIES, DOUCES FIGURES », musée du Quai Branly, jusqu’au 3 juin. quaibranly.fr 12
cycle
LA NUIT AU MUSÉE
Le Palais de Tokyo rend hommage aux TALENTS franco-algériens, dont le déroutant Neïl Beloufa. INTITULÉE « Discorde, Fille de la nuit », la nouvelle saison culturelle du musée rassemble les œuvres de plusieurs artistes franco-algériens : Neïl Beloufa, Kader Attia et Massinissa Selmani autour des conflits majeurs du XXe siècle. L’Ennemi de mon ennemi, l’installation proposée par Beloufa, le talentueux trentenaire franco-algérien qui mêle vidéo, sculpture et peinture, mérite à elle seule le détour. Son fascinant dispositif scénographique et articulé représente de façon chaotique et parcellaire la manière dont s’écrit l’Histoire et se légitiment les pouvoirs aujourd’hui. Œuvres, documents, images, artefacts, reproductions et objets, interagissent et interrogent également la place de l’artiste entre désir d’autonomie, servitude et propagande. ■ Loraine Adam « DISCORDE, FILLE DE LA NUIT », Palais de Tokyo, Paris, jusqu’au 13 mai. palaisdetokyo.com AFRIQUE MAGAZINE
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BETTINA RHEIMS - CLAUDE GERMAIN/MUSÉE DU QUAI BRANLY - AURÉLIEN MOLE
Face-à-face avec Bettina Rheims
ON EN PARLE agenda peinture
Djamel Tatah traverse l’art
Des figures humaines grandeur nature sur des fonds d’apparence monochromes : le style est radical et minimaliste.
Les toiles du plasticien renommé se confrontent aux grands maîtres de la COLLECTION LAMBERT, d’Antoine Watteau à Cy Twombly.
festival
CASA VA JAZZER !
On danse dans la ville blanche avec des pointures comme WAX TAILOR, Morcheeba ou St Germain.
RADICAL et minimaliste. Natif de Saint-Chamond, Djamel Tatah entretient un lien mystérieux avec l’Algérie de ses parents, qui inspire parfois son œuvre. Il peint des figures humaines, grandeur nature, le plus souvent solitaires, suspendues dans le temps et qui semblent n’appartenir à aucun lieu défini. Pas de décor ni d’horizon dans ses tableaux. Seul l’être humain contemporain l’intéresse. Marcheurs, gisants, penseurs imposent le silence face au bruit du monde, incitent à prendre du recul et à observer attentivement notre rapport aux autres et à la société. Presque une position politique. Ses grands formats polyptiques au fond monochrome sont exposés ici avec des artistes issus de l’abstraction américaine, tels que Barnett Newman, Richard Serra ou Cy Twombly, et de grands noms de la peinture classique – Watteau, Poussin, Delacroix… Une présentation poétique et originale, à l’aune de son dispositif de création, qui associe techniques anciennes et contemporaines – peinture à la cire, photographie, numérisation des images. Un univers saisissant. ■ C.F.
RENDEZ-VOUS musical très attendu, Jazzablanca joue sa 13e partition au rythme d’une programmation toujours plus exaltante. L’incontournable festival jazzy, offre des univers ouverts à toutes Morcheeba. les tendances avec 44 concerts. Le souffle brûlant de la saxophoniste Yolanda Brown résonnera au Village et au Jazz Club. Africa Band, groupe marocain, enflammera la Scène Anfa avec ses riffs électrisants. Scott Bradlee’s Postmodern Jukebox, Morcheeba, Beth Ditto ou encore St Germain sont attendus pour des ballades envoûtantes. À noter : la place des Nations unies accueillera une scène gratuite. ■ Fouzia Marouf
« DJAMEL TATAH », Collection Lambert, Avignon, jusqu’au 20 mai.
« JAZZABLANCA», Casablanca, du 14 au 22 avril.
collectionlambert.fr
jazzablanca.com
concert
DR - MANFRED WERNER - DR
BIM! VOILÀ LE BÉNIN
BIM, en tournée française jusqu’au 14 avril.
facebook.com/BeninInternationalMusical AFRIQUE MAGAZINE
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C’est un collectif musical étonnant, actuellement en tournée française. Le Benin International Musical est né dans le golfe de Guinée, en terre vaudoue. Démarré il y a cinq ans sous la houlette du producteur Jérôme Ettinger, le projet BIM a reçu le soutien de Radio France, de l’Institut français de Cotonou, du producteur Aristide Agondanou et du journaliste Sergent Markus. Un casting géant les a menés dans tout le pays, de couvents en rituels traditionnels, d’églises évangéliques aux clubs de la capitale. Basse, batterie, percussions, vocalistes venus du gospel, sons hip-hop, rock ou chanson traditionnelle… Le collectif associe toutes les origines ethniques du Bénin aux richesses musicales du monde. ■ L.A. 13
ON EN PARLE événement
Pour la mère et pour l’enfant
À Bingerville, commune d’Abidjan, la première dame Dominique Ouattara a inauguré une unité hospitalière unique en son genre. Un projet entièrement porté par sa fondation Children of Africa, qui a fêté à cette occasion ses 20 ans ! par Emmanuelle Pontié, envoyée spéciale
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Aux côtés de Lalla Malika Issoufou, première dame du Niger et invitée d’honneur,
Dominique Ouattara aux côtés de Lalla Malika Issoufou, première dame du Niger et invitée d’honneur.
SERVICE DE COMMUNICATION DE CHILDREN OF AFRICA (SAUF MENTION)
Dominique Ouattara invite son époux, le président Alassane Ouattara, à inaugurer officiellement l’hôpital. Sous le regard de Lalla Malika Issoufou, d’Henriette Konan Bédié et de la princesse Ira von Fürstenberg.
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C’ÉTAIT le 16 mars dernier. Sous un soleil généreux, le président Alassane Ouattara inaugurait le projet phare de la Fondation Children of Africa en compagnie de son épouse Dominique. La coupure de ruban a coïncidé avec les festivités de l’anniversaire des 20 ans de l’organisation caritative, pour lesquelles la première dame de Côte d’Ivoire avait convié un parterre impressionnant de personnalités venues du monde entier, issues de l’univers des affaires et du show-biz. L’hôpital Mère-Enfant Dominique Ouattara de Bingerville, une commune située à 30 kilomètres à l’est de la capitale, est une formation sanitaire unique dans le pays et en Afrique de l’Ouest. D’un coût global de 25 milliards de francs CFA, dont 5,5 milliards investis dans des équipements de pointe, 15
De g. à dr., au 1er rang : le créateur Alphadi, Danielle Ben Yahmed, vice-présidente du groupe Jeune Afrique, Mireille Fakhoury et son époux, l’architecte Pierre Fakhoury, les entrepreneurs Olivier et Martin Bouygues, et Laure Olga Gondjout, médiateur de la République du Gabon.
Parmi les personnalités venues témoigner leur soutien à cette initiative, la très populaire chanteuse gabonaise Patience Dabany, ainsi que les stars françaises Isabelle Adjani et Patrick Bruel.
l’établissement a été financé sur capitaux privés à 100 %, mais a une mission de service public, à but non lucratif. L’État fournit le personnel de soins, ainsi qu’une subvention annuelle d’un montant de 1,2 milliard. L’hôpital, qui s’étend sur 49 000 m2, avec une surface bâtie de 16 300 m2 et une capacité de 130 lits, est équipé d’un matériel de dernière génération et se positionne comme une structure de niveau 3, qui compte 475 employés. L’objectif du HME est d’augmenter l’offre de soins en direction du couple mère-enfant et de garantir la qualité des services aux mamans et à leur progéniture. Son plateau technique est impressionnant : trois blocs (chirurgical, obstétrical et néonatal), un double service d’anesthésie et de réanimation, un laboratoire d’analyses médicales, un plateau d’imagerie médicale et une pharmacie. Les femmes souffrant d’infertilité pourront en outre profiter d’un département dédié à l’assistance médicale à la procréation. La prise en charge des affections de l’enfant s’avérera on ne peut plus complète, grâce aux services pédiatriques spécialisés en cardiologie, ophtalmologie, endocrinologie, gastro-entérologie, ORL… 16
L’HME permettra de rehausser le niveau de l’offre de soins de l’aire sanitaire de Bingerville et du district d’Abidjan, avec un rayonnement national et sous-régional. L’établissement flambant neuf est aussi le témoin de la préoccupation particulière de la première dame, Dominique Ouattara, soucieuse du niveau de mortalité maternelle et infantile, qui reste encore élevé en Côte d’Ivoire. Un véritable défi à relever, dans le cadre de l’adoption de la Stratégie de prise en charge intégrée de la mère et de l’enfant pour accéder à l’émergence (OMS). La couverture des besoins en soins de santé dans les pays concernés, dont la Côte d’Ivoire, reste insuffisante, et le niveau de mortalité maternelle encore important, affichant un taux de 614 pour 100 000 naissances vivantes (source EDS, 2012). L’Hôpital Mère-Enfant de Bingerville devrait participer utilement à continuer de faire baisser ces chiffres. Dès le lendemain de son inauguration, sa directrice médicale, Sylvia da Silva-Anoma, confiait dans les colonnes de la presse locale être satisfaite des premiers taux de fréquentation. Rien d’étonnant lorsque l’on a pu visiter, le jour de la coupure du ruban, l’intérieur de l’établissement, en compagnie du couple présidentiel et des partenaires de la Fondation Children Of Africa, sous la houlette de son directeur général Frédéric Du Sart. La qualité des matériaux, l’aménagement des espaces et le haut niveau des équipements laissent présager un bel avenir à l’hôpital et, pour reprendre le slogan de la Fondation, « un autre avenir pour les enfants d’Afrique ». ■ AFRIQUE MAGAZINE
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ON EN PARLE événement
Pour accueillir dans les meilleures conditions les patients, plus de 8,3 millions d’euros ont été investis en équipements.
KAMBOU SIA
Vingt ans après la création de la fondation Children of Africa, les enfants restent au cœur des priorités de la première dame.
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PARCOURS par Emmanuelle Pontié
Mahamadou
Camara 18
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HOMME DE PRESSE, businessman, ex-ministre… Ce jeune quadra talentueux fourmille d’idées. Il lance aujourd’hui le mouvement citoyen Transformons le Mali !. Sans doute son projet le plus ambitieux.
BOIREAU - FADIMA WALET AGATHAM
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l n’aime pas parler de lui et déteste les photos. Il insiste à chaque occasion sur l’effort collectif, l’importance des collaborateurs. Il n’empêche, le patron du groupe Impact Media, à tout juste 40 ans, a déjà été directeur de cabinet et ministre, avant de revenir au privé booster sa société de com, et enfin, lancer un mouvement citoyen qui vient de faire en quelques semaines près de 200 adeptes. Parcours express pour Mahamadou Camara, « diaspo » talentueux qui incarne ce style particulier de réussite à la malienne. Et qui trace sa route. Flash-back. Il naît à Paris où il est élevé au cordeau par une mère au foyer et un père commerçant. Élève éveillé, il suit un double cursus de gestion/ commerce international à la Sorbonne et management à HEC Paris. Diplôme en poche, il entre en 2001 chez Coprosa, le groupe de presse de son prof Jacob Abbou, puis deux ans plus tard, il intègre le groupe Jeune Afrique, où il apprend tour à tour les métiers de journaliste et d’éditeur. Déjà à l’époque, il sait que l’aventure parisienne n’est qu’une étape. Un marchepied pour son retour. Il apprend, enregistre, capitalise. Dès 2006, il monte les éditions Princes du Sahel à Bamako, qui sortent des BD, des guides d’affaires, des romans, puis le quotidien en ligne www.journaldumali.com. Ses allers-retours entre Paris et la terre de ses racines s’intensifient. En 2009, il démissionne et s’installe définitivement au Mali. Il a rencontré quelques mois auparavant un certain Ibrahim Boubacar Keïta. Et décide de l’accompagner jusqu’à sa campagne de 2012, stoppée par le coup d’État militaire d’Amadou Haya Sanogo et l’invasion djihadiste qui s’ensuit. Ce sera partie remise en juillet 2013. Son candidat gagne et le prend à ses côtés, à 35 ans, comme directeur de cabinet, puis le nomme en avril 2014 ministre de l’Économie numérique, de l’Information et de la Communication. Il se souvient : « Un rythme infernal. On n’a aucune vie à soi. On prend des coups. Mais j’ai beaucoup appris au cabinet. J’ai gardé des souvenirs forts, comme le jour où IBK a décidé d’en finir avec Sanogo qui régnait toujours à Kati et l’a fait livrer à la justice un mois et demi après le début du mandat. Ou encore à Yamoussoukro, lors du huis clos de notre premier sommet de la Cédéao, où Blaise Compaoré, médiateur de la crise malienne à l’époque, a parlé du nord en employant le mot Azawad. Le président s’est fâché, et chacun dans la salle a senti qu’il fallait à nouveau compter avec le Mali. Puis j’ai lancé des grands chantiers comme la stratégie Mali numérique 2020 ou la réforme des médias d’État. C’était passionnant, même si tout n’a pas abouti. » En janvier 2015, Camara quitte le gouvernement, s’éloigne de la politique, même s’il reste « par loyauté» membre du parti d’IBK et de sa direction depuis 2016, en charge des relations extérieures. Il prend du recul, retrouve le secteur privé et sa liberté. Il s’occupe davantage de ses deux enfants, Aby, 8 ans et Ibrahim, 3 ans. Son groupe Impact Media a grandi. Il s’est assorti des publications gratuites Journal du Mali et Journal d’Abidjan, d’un département conseil, d’une régie et de la société d’affichage MIP Mali. Mais il y a un mois, c’est un autre projet qui a vu le jour, capable d’allier carnet d’adresses et envie de faire avancer le pays. C’est le mouvement Transformons le Mali !, à la fois think tank et incubateur citoyen, lancé officiellement le 9 mars à Bamako. « Sur fonds propres, et j’y tiens ! », assure-t-il, pour contrer tous ceux qui pensent qu’un certain IBK serait derrière tout ça. « C’est un collectif. Je n’en suis que l’un des initiateurs et le coordinateur. Tous ensemble, nous allons proposer des solutions innovantes pour le pays, grâce à une plate-forme participative sur le Net et une application vocale pour ceux qui n’écrivent pas ou ne parlent pas français. Nous avons créé des commissions thématiques, dont l’objectif est d’élaborer un projet de transformation que nous présenterons en juin aux différents candidats à la présidentielle. Transformons le Mali ! a aussi un volet incubateur, où l’on coache des jeunes dans divers domaines. » Une nouvelle étape dans le parcours plutôt moderne et décomplexé de ce jeune entrepreneur. Qu’il faudra suivre dans les années qui viennent. ■
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Lors du lancement de Transformons le Mali !, le 9 mars 2018, à Bamako, entouré de membres du mouvement.
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WISE@Accra 09 MAI 2018, ACCRA, GHANA Unlocking the World’s Potential: Leading and Innovating for Quality Education in Africa Inscrivez-vous dès aujourd’hui à WISE@Accra, rencontrez 500 décideurs, dirigeants, innovateurs, enseignants et chercheurs pour débattre de l’avenir de l’éducation en Afrique : Quelles sont les priorités de l’école pour construire l’Afrique de demain ? Comment préparer la prochaine génération de leaders africains ? Quelles innovations déployer pour garantir une éducation de qualité ?
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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié
DIVAGATIONS ARTISTIQUES
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estituer ses œuvres d’art à l’Afrique. L’idée a été lancée par le chef de l’État français le 28 novembre dernier, à Ouagadougou, lors de son discours à la jeunesse. Il s’ensuivit une flambée passionnelle de réactions à chaud, de tous bords. Les intellectuels du continent, globalement satisfaits, ont rédigé chroniques, éditos et autres analyses sur le sujet, arguant que le retour des œuvres à leur pays d’origine était une évidence, un préalable à la reconstruction de l’Histoire, à la reconnaissance des pillages orchestrés par les colons et les missionnaires en tout genre, à la conscience collective, à la morale mondiale, etc. Puis, le sujet ne passionnant peut-être pas tant que ça les foules continentales, le débat a faibli. Pourtant, le président Macron n’étant pas trop du genre à lancer des paroles en l’air, une vraie mission a été confiée à des experts le mois dernier pour étudier concrètement les modalités de retour d’œuvres pillées, sous cinq ans, avec un premier draft de rapport de faisabilité en novembre prochain. Du coup, retour du débat, passionnant, autour de la question. Et qui soulève un nombre incalculable d’obstacles, évidemment. Selon un galeriste européen renommé, 99 % du patrimoine africain classique serait hors du continent. Il faudra donc déjà trier le bon grain de l’ivraie parmi toutes les œuvres volées, en gros sur 150 ans. En sachant que, juste pour le Bénin, dernier pays en date dont le président Patrice Talon a demandé la restitution du patrimoine artistique détourné, on estime entre 4 500 et 6 000 le nombre d’objets concernés en France… Vient ensuite le souci évident, soulevé par la plupart des conservateurs internationaux, de la protection des œuvres d’art dans leur pays d’origine. Les musées, les archives, le personnel formé à la conservation ne foisonnent pas. Donc comment faire en sorte que les joyaux soient d’une part bien préservés, et d’autre part exposés au public (car c’est quand même le but, in fine) ?
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Voire comment éviter qu’ils soient à nouveau pillés et revendus ailleurs… Certains proposent aussi de dupliquer les œuvres afin qu’elles restent exposées dans les musées occidentaux. OK, mais à qui reviendra l’original ? Autre question encore, au hasard : quid des pays qui ne réclament rien, et que l’initiative pourtant bien louable de Macron n’a même pas fait lever un sourcil ? Bref, un chantier immense, dont le premier casse-tête se situe au niveau juridique, car il va déjà falloir réinventer un cadre législatif pour le processus de restitution… Mais l’idée vaut le coup. L’Afrique le mérite. L’Histoire de l’humanité aussi. ■
Selon un galeriste européen renommé, 99 % du patrimoine africain classique serait hors du continent.
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Sept ans après sa mort violente, l’ombre du Guide plane encore. Sur une Libye déchirée, ouverte à tous les trafics. Sur une région par Zyad Limam déstabilisée. Quant ous sommes fin 2010, début 2011. Les révolutions arabes qui secouent Tunis et à Nicolas Sarkozy, la place Tahrir au Caire s’orientent très vite vers Tripoli. Kadhafi, leader indéboule « vainqueur de Syrte », lonnable depuis 41 ans de la Jamahiriya libyenne, fait face, à son tour, à la tempête. Pourtant, le il est mis en examen Guide a fait des efforts… Depuis le début des années 2000, pour financement illégal de il tente de faire revenir son pays sur la scène internationale. Il a abandonné le panarabisme et ses lubies révolucampagne avec tionnaires. Il s’est engagé dans un panafricanisme actif. Il donné des gages à l’Occident (immigration, armements des fonds publics libyens… achimiques, terrorisme…). Il a promis aussi beaucoup, en I
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PATRICK HERTZOG/AP/SIPA
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En décembre 2007, Mouammar Kadhafi était reçu avec faste à l’Élysée. AFRIQUE MAGAZINE I 3 7 9 – A V R I L 2 0 1 8
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COVER STORY LES FANTÔMES DE KADHAFI
termes d’achats, de dépenses. Mais son passif est trop lourd. La Libye n’en peut plus, de lui, de sa famille, de son régime. Le vent du changement balaie tout. Et en Occident, ils sont nombreux, ceux qui rêvent de régler leurs comptes avec le Guide. Et/ou de le faire taire définitivement… Dictature, répression, agitation, manipulations, terrorisme, pour beaucoup, il est l’homme à abattre. À partir de février 2011, la Cyrénaïque, traditionnellement hostile au pouvoir des Kadhafi et des « gens de l’est », se soulève. La répression est sanglante et, très vite, l’affaire tourne à la quasi-guerre civile. Les milices et les rebelles assiègent un pouvoir ubuesque et au bout du rouleau. Le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies vote la résolution 1973, sous forte influence de Paris et de Londres qui autorise « une opération militaire humanitaire ». Les avions anglais et français, avec l’appui des États-Unis, bombardent ce qui reste des forces fidèles au Guide. Les dégâts collatéraux sont nombreux. Le 16 mai 2011, la Cour pénale internationale (CPI) demande un mandat d’arrêt contre Kadhafi et certains de ses proches.
UNE CROISADE TARDIVE 20 octobre 2011, le convoi de Kadhafi tente de quitter Syrte, assiégé. Les avions de l’OTAN interviennent. Kadhafi se cache dans un cul de basse-fosse. Il est capturé. Puis lynché par les militants. Un massacre. Les images stupéfiantes font le tour du monde. Un peu comme celle de Saddam Hussein montant sur la potence la corde au cou… L’opération militaire pourtant n’a pas fait l’unanimité, loin de là. Certains l’ont jugée « risquée », « dangereuse », « mal préparée », aux « conséquences imprévisibles »… Il y a eu cinq abstentions lors du vote au Conseil de sécurité (Brésil, Chine, Russie, Inde, Allemagne). Les motifs de la guerre provoquent un débat public. Pourquoi intervenir en Libye, au nom du droit humanitaire ? Encore une intervention en pays arabe et musulman ? Et pourquoi ne pas intervenir alors en Syrie, au Darfour, au Yémen, où les civils sont aux premières loges de la violence ? Pourquoi Nicolas Sarkozy s’embarque-t-il si tardivement dans cette croisade (terme employé par son ministre de l’Intérieur Claude Guéant), alors que sa réaction aux printemps arabes, à la chute de Ben Ali et Moubarak, piliers de son Union pour la Méditerranée, ont été si frileuses ? Pour Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart et dont on reparlera, les choses sont déjà claires : il s’agit de faire oublier « les compromissions du passé, de persister dans la domination… ». Quant à l’Afrique, on connaît sa position, maintes fois répétée. Kadhafi était un personnage parfois embarrassant, qui se faisait tout de même appeler « le Roi des rois ». Mais c’était un Africain, un chef d’État, un élément majeur de stabilité géostratégique, et aussi un banquier certes fantasque, mais très utile… Sur le continent, il y a aussi une détestation profonde des interventions militaires directes de l’Occident. Et une connaissance plus précise, plus subtile de la Libye, de ses fragilités et des 24
conséquences désastreuses possibles. Sur l’équilibre de la région et même du continent. Fin octobre 2011. Sarkozy se rend donc à Tripoli, triomphant. Mouammar Kadhafi, lui, a été enterré dans le désert, dans un lieu inconnu, corps anonyme parmi les sables. Et pourtant, son ombre va vite revenir hanter les vainqueurs…
DICTATURE MILITARO-MÉGALOMANIAQUE La Libye « libérée » est laissée à elle-même, à ses déchirements. On ne remplace pas plus de 40 ans de dictature militaro-mégalomaniaque du jour au lendemain. Devant une communauté internationale étrangement passive, le pays implose. Aux prises avec les intérêts régionalistes, les milices armées, les islamistes, les soldats fous de Daesh, les mafias, les intérêts des puissances locales (Égypte, Arabie saoudite, Émirats, Qatar…). L’arsenal et les milliards de la Jamahiriya se volatilisent, ouvrant une période sombre, sanglante pour une région déjà fragile. Les conflits sahéliens redoublent d’intensité, alimentés par la jonction entre le djihad, l’irrédentisme touareg et les munitions libyennes. Mali, Niger, Burkina… toute la région entre dans un cycle de déstabilisation lourd. La Tunisie, pays phare des printemps arabes, se barricade alors que les terroristes passent et repassent la frontière, préparant de sanglants attentats. L’immigration clandestine vers l’Europe, autrefois contrôlée par des accords plus ou moins avouables avec Tripoli, explose. Hommes, femmes et enfants traversent le désert, sont rackettés, parfois poussés au quasi-esclavage. Ils embarquent dans des barques de misère et se noient par milliers dans une Méditerranée devenue un cimetière géant. En Europe cet afflux massif, bientôt alimenté par un nouveau front à l’est, l’exode syrien, provoque crispations, montée des populismes, fragilisation des démocraties libérales…Peutêtre n’y avait-il pas de solution politique pour mettre fin à la domination de Kadhafi. Peut-être qu’un si long règne devait se finir avec fracas. Mais l’intervention militaire « occidentale » et surtout la gestion désastreuse « de l’après » se révèlent donc un fiasco général aux conséquences durables et tragiques. De l’humanitaire, du droit des peuples, on est passé à l’opération militaire contre Kadhafi et son régime. Une guerre classique, avec des ambitions stratégiques, dans un pays clé de la Méditerranée, grand producteur de pétrole. Et peut-être y avait-il beaucoup plus grave encore… Samedi 28 avril 2012. Nous sommes entre les deux tours de l’élection présidentielle française. Nicolas Sarkozy est en grande difficulté face à François Hollande. Un document explosif va ouvrir un nouveau chapitre du « règne post-mortem » de Kadhafi. Ce jour-là, le site Mediapart sort une note officielle datée du 9 décembre 2006, portant les armoiries de la Jamahiriya, et la signature de Moussa Koussa, chef des services des renseignements. Le document annonce un accord de principe AFRIQUE MAGAZINE
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pour verser 50 millions d’euros (!) « en soutien » à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007… S’ouvre alors une formidable investigation, menée par des enquêteurs et une justice tenace. Un faisceau d’indices perturbants implique l’ancien président français. Son entourage est compromis. Claude Guéant, serviteur fidèle du Sarkozysme, mais aussi Brice Hortefeux, compagnon de toujours. Le dossier parle de mallettes portées par un sulfureux homme d’affaires franco-libanais (Ziad Takieddine) et du rôle d’un intermédiaire tout aussi trouble, Alexandre Djouhri, que la justice française cherche à coincer depuis déjà un moment. À Vienne, en Autriche, l’ancien ministre du pétrole libyen se noie « malencontreusement » dans le Danube. En laissant des carnets assez troublants. Plus récemment Béchir Saleh, ancien directeur de cabinet du Guide, mystérieusement exfiltré de France (en 2012) et réfugié en Afrique du Sud, s’est fait tirer dessus à Johannesburg. Les initiés disent enfin que les autorités en place à Tripoli ont récemment contribué à l’enquête de manière décisive.
DENIS ALLARD/REA
UNE TENTE À L’HÔTEL DE MARIGNY Nicolas Sarkozy a été mis en examen, assorti d’un contrôle judiciaire, le 21 mars au terme d’une éprouvante garde à vue de 48 heures. Une humiliation publique. Il crie au complot, à la vengeance du clan des Kadhafi. Évidemment, la présomption d’innocence s’applique, les preuves matérielles doivent s’imposer au-delà des faisceaux d’indices. Mais l’affaire va plus loin que le destin particulier d’un ancien président de la République, par ailleurs largement compromis dans d’autres dossiers. L’affaire va plus loin que les habituelles mallettes à l’ancienne, celle de la France-Afrique de Papa. On se rappelle avec un singulier sentiment d’embarras la visite « royale » de Kadhafi à Paris en décembre 2007. La tente dans les jardins de l’hôtel de Marigny. Le voyage qui s’éternise. La visite du Louvre et de Versailles, les tête-à-tête kafkaïens avec le président Sarkozy, la mise de côté de toute référence aux droits de l’Homme… On se rappelle aussi que l’on voulait tout lui vendre, à notre ami libyen. Des Rafale, des hélicoptères, des Airbus, et même des centrales nucléaires, civiles, bien sûr… Des manifestations à Tunis et au Caire, un soulèvement si imprévu des peuples que l’on disait assujettis, auront fait voler ces plans subtils en éclats. Mais la question centrale demeure : Kadhafi a-t-il perverti la démocratie française, ce qui serait le plus grand scandale de l’histoire moderne de la République ? La guerre a-t-elle été menée, aussi, surtout, pour effacer les traces, les deals peu reluisants, les compromissions les moins avouables ? L’ampleur de l’interrogation, et des conséquences possibles, donne le vertige. Et sept ans après sa mort, de là où il est dans son coin de désert, Mouammar Kadhafi et ses fantômes semblent encore tellement présents… ■ AFRIQUE MAGAZINE
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e 21 mars dernier, Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, est donc mis en examen dans le cadre du financement libyen présumé de sa campagne présidentielle de 2007. À sa sortie de la PJ, il contre-attaque. Sa cible ? Un média, Mediapart, et un homme, Edwy Plenel. « Décidément, Monsieur Plenel n’a pas que des amis fréquentables, puisque après Tariq Ramadan, le voilà mis avec la bande Kadhafi. […]. » Le site pure player aura joué un rôle majeur dans cette affaire, menant l’enquête sur plusieurs années. Fabrice Arfi, journaliste d’investigation vedette a même coécrit un livre assez détonnant sur cette affaire : Avec les compliments du Guide. Lancé en mars 2008, Mediapart s’est rapidement imposé comme le site libre, payant et efficace d’investigation. Il s’appuie sur un modèle économique sans publicité et sur le soutien actif de lecteurs motivés et fidélisés. Pour son fondateur, Edwy Plenel, 65 ans, c’est « le seul moyen de garantir qualité éditoriale et indépendance véritable ». En 2016, grâce à ses 145 000 abonnés, le site a dégagé 2 millions d’euros de résultat pour un chiffre d’affaires de 12 millions. Une réussite spectaculaire. Aujourd’hui, Mediapart est toujours contrôlé par son équipe fondatrice et son emblématique patron. « Moustache », son surnom, occupe l’espace médiatique. Jusqu’en 2005, année de son départ, il était «le maître » du Monde, directeur délégué du célèbre quotidien parisien. Il s’y était distingué au cœur des années 80 en sortant des « affaires » : Greenpeace, la cellule de l’Élysée, le drame d’Ouvéa… Apôtre du journalisme, ses cibles n’ont pas de couleur politique, même si l’homme penche à gauche ; à 18 ans, il rejoint la Ligue communiste révolutionnaire puis écrit dans Rouge, l’organe du parti. Si ses sympathies (le sulfureux Tariq Ramadan) et ses inimitiés (Manuel Valls) font largement débat, elles n’assombrissent pas sa réussite à ses yeux. Affaire Bettencourt, affaire Cahuzac… « En dix ans, Mediapart n’a pas publié une info fausse ou non pertinente », affirme Plenel. ■ Hugues Berthon Fabrice Arfi (à g.), journaliste d’investigation, et Edwy Plenel, fondateur et président de Mediapart.
COVER STORY LES FANTÔMES DE KADHAFI
Un si lourd passif Une nation disloquée, un cadre juridique kafkaïen, des citoyens nostalgiques de la stabilité… Et des héritiers qui rêvent de succession. par Maryline Dumas, à Tripoli
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e Bab Al-Azizia, le QG de Mouammar Kadhafi à Tripoli, et du centre Ouagadougou à Syrte, vitrine architecturale fastueuse de l’ancien régime où est née l’Union africaine, il ne reste que des ruines. La corniche de Tripoli et la grande rivière artificielle, canalisation transportant l’eau du sud au nord, elles, sont encore debout même si quelques travaux d’entretien seraient nécessaires. L’héritage physique de celui qui se rêvait en roi des rois d’Afrique n’est pas rutilant, mais il est toujours visible et perceptible dans les esprits. À sa chute en 2011, le Guide a laissé une législation et un mode de vie qui peuvent s’apparenter à des cadeaux empoisonnés pour un État en construction. Depuis sept ans, aucune Constitution n’est venue remplacer le texte fondamental suspendu par Kadhafi lors de son arrivée au pouvoir en 1969. Ni la justice, ni l’éducation, ni la santé n’ont été réformées. La loi numéro 4, qui donne le droit à chacun de devenir propriétaire du logement qu’il habite, en est un exemple frappant. La volonté affichée, après 2011, d’abroger ce texte n’a fait qu’attiser les tensions entre personnes s’estimant propriétaire d’un même lotissement, villa, appartement… Après 41 années de règne basé sur la manipulation des rivalités tribales, la population reste divisée selon des critères géographiques et ethniques. Quant au mode de vie, les Libyens restent en grande partie des rentiers, touchant un salaire – parfois plusieurs – de l’État sans forcément se rendre au travail chaque jour. C’était le prix, sous la Jamahiriya, de la paix sociale. En cette fin mars, les conversations dans les cafés de Tripoli tournent autour d’un autre Kadhafi : Seif al-Islam, son second fils. Le 19 mars, des personnes se présentant comme porte-parole affirmaient qu’il se déclarait candidat à la présidentielle que l’ONU souhaiterait voir organisée dans les prochains mois. Ironie du calendrier, l’ancien président français était placé en garde à vue le lendemain puis mis en examen. Mais cette annonce suscite moins d’intérêt : « Nicolas Sarkozy a des liens avec la Libye, mais il reste un Français. Ce qui lui arrive n’aura pas de conséquence sur nous. Seif, lui, peut changer la donne
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que ce soit en bien ou en mal », estime prudemment Ali. Un de ses amis ricane : « Il ne peut plus rien faire pour la Libye. Il est mort. » Le trentenaire vient d’ouvrir le débat le plus commenté du pays, celui du mystère Seif al-Islam. Le fils prodigue de Mouammar Kadhafi (voir AM n° 377, février 2018) n’a pas donné de preuve indéniable de vie depuis sa dernière apparition publique en 2014, lors du procès de plusieurs responsables de l’ancien régime. Pourtant, ses proches – ou des personnes affirmant l’être – ne cessent d’alimenter les rumeurs concernant sa candidature. Dernier en date, Ayman Bouras, représentant du Front populaire pour la libération de la Libye, a déclaré à Tunis le 19 mars, lors d’une conférence de presse : « Seif al-Islam Kadhafi a décidé de se présenter aux prochaines élections présidentielles et n’aspire pas au pouvoir dans son sens traditionnel. La candidature de Kadhafi sera officiellement enregistrée lors de l’ouverture des inscriptions sur les listes électorales afin de sauver la Libye, établir la paix et la stabilité. » Franck Pucciarelli, porte-parole pour l’Europe du Haut Conseil suprême des tribus libyennes, réunissant des représentants tribaux partisans de AFRIQUE MAGAZINE
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17 février 2018. À Tripoli, la population se rassemble Place des Martyrs pour commémorer le 7e anniversaire du début de la Révolution. l’ancien régime, réaffirme : « Seif al-Islam ne se présentera pas à des élections organisées dans la Libye actuelle, pays occupé par des forces étrangères et des milices takfiristes mafieuses. » L’homme ajoute avec ironie : « On ne démentira pas pour autant officiellement l’annonce du 19 mars. Nous nous félicitons de tout ce bruit qui permet de parler de la Libye. » Une couverture médiatique amplifiée par la mise en examen de Nicolas Sarkozy. Dans un article daté du 20 mars, Africanews cite Seif al-Islam : « Je précise que j’ai encore des preuves solides contre Sarkozy. Et je n’ai pas encore été entendu comme témoin dans cette affaire, ni Abdallah Senoussi, l’ex-directeur des services de renseignement libyen [et également son oncle, NDLR] qui détient encore un enregistrement de la première réunion de Sarkozy et Kadhafi à Tripoli avant sa campagne électorale. Il y a aussi Bachir Saleh, l’ex-PDG de la Libyan Africa Investment Portfolio qui est prêt à témoigner malgré les menaces de mort. » Ce dernier, considéré comme le bras droit de Mouammar Kadhafi, a été victime d’une attaque fin février en Afrique du Sud, où il vit. Contacté par AM, un proche de Seif AFRIQUE MAGAZINE
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al-Islam réfute le fait que ce dernier se soit exprimé directement auprès d’un média, mais ne renie pas pour autant le contenu du message. « Nous avons toutes les preuves, poursuit l’homme qui demande l’anonymat. Mais nous avons notre propre agenda, loin des affaires franco-françaises. Nous sommes prêts à négocier pour livrer les documents, mais c’est donnant-donnant. Nous voulons voir comment Paris se positionne par rapport à son soutien à Khalifa Haftar et vis-à-vis du sud libyen [territoire administré par la France de 1943 à 1951, NDLR] ». Un diplomate reconnaît : « Nous écoutons les Kadhafistes. Ils s’activent beaucoup. L’argent pourrait être une raison. Nous planchons sur les fonds gelés disparus en Belgique notamment. » Début mars, les médias du royaume ont ainsi révélé que 10 milliards d’euros parmi des fonds libyens gelés en 2011 selon la décision des Nations unies, ont disparu entre 2013 et 2017, de comptes bancaires qui étaient contrôlés par des proches de Mouammar Kadhafi. Le diplomate reconnaît également que le rejet de Kadhafi, si fort après la Révolution, s’est peu à peu désagrégé, permettant un retour de ses partisans sur le devant de la 27
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scène. Un refrain se fait de plus en plus fort depuis la crise de 2014 qui a vu la division du pays en deux gouvernements et une multitude de groupes armés : « On s’est débarrassé d’un Kadhafi pour découvrir 6 millions [estimation de la population libyenne, NDLR] de Kadhafis. » Mohamed Ben Lamma, ancien doyen de l’université Zeitouna, analyse : « Le bilan positif de Mouammar Kadhafi tient en trois points : la souveraineté nationale, la sécurité et une économie stable. C’est exactement ce qui manque aujourd’hui aux Libyens. Mouammar Kadhafi a construit l’État libyen autour de sa personne. Lorsqu’il est tombé, tout s’est écroulé avec lui. Mais il est difficile pour autant de mesurer le poids des Kadhafistes aujourd’hui. »
EMBARRAS DES CHANCELLERIES OCCIDENTALES Du simple nostalgique au fervent partisan, Seif al-Islam pourrait séduire un large spectre de la population libyenne. Mohamed Ben Lamma note que la campagne d’inscription sur les listes électorales qui s’est terminée en mars a récolté un million d’inscrits supplémentaires par rapport aux dernières élections législatives de 2014. « Beaucoup de gens se sont enregistrés après les premières annonces de candidature de Seif al-Islam », note le docteur en sciences politiques. De quoi angoisser les chancelleries occidentales qui pourraient se retrouver gênées d’avoir accompagné des élections menant à la magistrature suprême celui qui est toujours recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Mais d’autres Kadhafistes pourraient vouloir jouer leur propre carte : Bachir Saleh, 72 ans, n’a pas caché, en septembre dernier à Jeune Afrique, sa volonté d’être candidat à la présidentielle : « J’en ai le courage et l’envie. » Le francophone, pièce incontournable de la diplomatie jamahiryenne, a multiplié les voyages et les contacts en Afrique en 2017. Kadhafi Dham, cousin et Seif al-Islam peut-il jouer un rôle politique de premier plan ? Moins il se montre et plus son aura grandit…
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quasi-sosie du Guide, parle beaucoup aux médias depuis son appartement-musée à la gloire de Mouammar au Caire. « Il se présente comme l’homme de l’appareil, il a l’expérience du jeu politique interne et a l’oreille des Égyptiens. Il pourrait rassurer les acteurs étrangers », estime Rachid Khechana, directeur du Centre maghrébin d’études sur la Libye (CMEL). Jalel Harchaoui, doctorant à l’Institut français de géopolitique, n’y croit pas un instant : « Seif al-Islam est le seul de sa famille à prétendre à des ambitions politiques. Kadhafi Dham ne parle jamais en tant que leader mais en tant qu’acteur d’une mouvance aigrie par le passé. » Khalifa Haftar, autre candidat potentiel à ses élections, rejette l’héritage kadhafiste mais utilise les méthodes du Guide, oscillant entre stature d’homme d’État et de militaire. Le chef de l’autoproclamée « Armée nationale libyenne », a participé à la Révolution du 1er septembre 1969 plaçant Mouammar Kadhafi au pouvoir. Tombé en disgrâce dans les années 80, il a su s’entourer d’anciens officiers de l’armée de la Jamahiriya. Ainsi, à Benghazi où il règne, il n’est plus tabou d’écouter à fond dans sa voiture les chansons du chanteur Mohamed Hassan faisant gloire à Mouammar Kadhafi. À l’inverse, le slogan « Libya hourra » (Libye libre) scandé dans ce berceau de la Révolution n’est plus toujours le bienvenu. Alors que Syrte, fief vert (couleur de l’ancien régime) et région d’origine de Mouammar Kadhafi, a perdu de sa prestance. Après avoir été bombardée pendant la Révolution, elle a été marginalisée puis occupée par l’État islamique avant d’être libérée en décembre 2016. Bon nombre de Kadhafistes ont donc trouvé refuge à Bani Walid, petite ville à 150 km à vol d’oiseau de Tripoli, où les drapeaux verts sortent à chaque commémoration, comme le 1er septembre ou, plus récemment, le 19 mars – date anniversaire de l’intervention française en Libye –, déclarée journée des martyrs. Originaire de la ville, Mohamed Ben Lamma raconte que, s’il est possible de déchirer le drapeau de l’actuelle Libye, personne n’oserait s’attaquer publiquement à l’étendard vert. « La ville est divisée en deux catégories, expliquet-il. Il y a les nostalgiques de l’ancien régime qui sont ouverts à une collaboration avec les révolutionnaires pour reconstruire la Libye. Et il y a les partisans radicaux de Mouammar Kadhafi qui souhaitent le retour de la Jamahirya. » Si ces derniers sont visibles à Bani Walid, beaucoup seraient infiltrés sur tout le territoire. Les Kadhafistes affirment avoir des hommes au sein des plus hautes autorités politiques et sécuritaires des différents camps, leur permettant de suivre la situation au plus près et au jour le jour. « Ils sont Libyens, ils sont intégrés en tant que tels dans la société. Certains travaillent avec le gouvernement de Tripoli, d’autres avec celui de Beida, Haftar ou avec les brigades de Tripoli », confirme Mohamed Ben Lamma qui insiste sur la nécessité de réconciliation et d’intégration. En espérant que les Kadhafistes ne travaillent pas contre la Libye d’aujourd’hui. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LES FANTÔMES DE KADHAFI
La Tunisie dans le piège de l’affaire Baghdadi
Remis aux nouvelles autorités libyennes, Baghdadi (ici, en 2013), avait été torturé en prison puis condamné à la peine de mort.
En 2012, le gouvernement extradait de manière illégale Baghdadi Mahmoudi, ex-Premier ministre libyen. Libéré, celui-ci contre-attaque. par Frida Dahmani, à Tunis
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hef du gouvernement libyen depuis 2006, Baghdadi Mahmoudi fuit Tripoli en août 2011. Arrêté en Tunisie, il est condamné pour franchissement illégal de la frontière avant d’être acquitté en appel fin septembre. Mahmoudi reste cependant en détention, les autorités libyennes ayant émis un mandat d’arrêt à son encontre. Trois semaines après la mort de Kadhafi, le 20 octobre, la justice tunisienne donne son aval à une extradition – à laquelle sursoit Moncef Marzouki, le chef de l’État demandant alors des garanties quant à la tenue d’un procès équitable. Peine perdue. Le 24 juin 2012, sous l’égide du Premier ministre islamiste Hamadi Jebali, le gouvernement remet Baghdadi Mahmoudi à la Libye sans l’obligatoire signature du décret présidentiel. Un précédent qui a terni l’image d’une
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Tunisie postrévolutionnaire soucieuse des droits humains. D’autant que cette extradition aurait fait l’objet d’une tractation financière et mis en lumière les rapports très étroits entre les islamistes tunisiens et libyens. Dans les faits, la demande de statut de réfugié politique auprès du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) aurait dû suspendre l’extradition mais il n’en a rien été, au grand dam des défenseurs des droits de l’Homme en Tunisie. Bien que le Premier ministre libyen Abdel Rahim al-Kib ait assuré que « l’accusé [serait] bien traité, en conformité avec les enseignements de notre religion et les normes internationales en matière de droits de l’Homme », Baghdadi Mahmoudi, médecin de formation, a été torturé dans la prison d’El-Hadaba (Tripoli) et condamné à mort. « Les Tunisiens ont été des exécutants des ordres du Qatar et de la France qui
comptaient sur les Libyens pour en finir avec Baghdadi », affirme Mehdi Bouaouaja, l’un des avocats tunisiens de l’ancien bras droit de Kadhafi. La famille de celui qui avait œuvré à l’ouverture de la Libye à l’Occident et avait été une cheville ouvrière dans l’affaire de la libération des infirmières bulgares, avait déposé plainte pour contester son extradition auprès du tribunal de première instance de Tunis sans qu’aucune suite n’ait été donnée. Libéré de prison par la milice pro-kadhafiste de Haythem Tajouri en mai 2017 mais assigné à une résidence surveillée, Baghdadi Mahmoudi a, à son tour, a porté plainte, début mars 2018, contre l’État tunisien auprès du tribunal pénal international (TPI). Une affaire fâcheuse pour la Tunisie qui tente de remettre en selle sa diplomatie et œuvrer au retour de la paix en Libye. ■
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COVER STORY LES FANTÔMES DE KADHAFI
Beaucoup de pétrole malgré tout ! Malgré les violences, les divisions, les combats, l’or noir a toujours coulé à flots, avec l’accord tacite des principales forces en présence. par Akram Belkaïd
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’abord, l’exploit ou ce qui est considéré comme tel par nombre de spécialistes du secteur pétrolier. Malgré la guerre civile, les aléas sécuritaires, la violence récurrente, les affrontements entre milices, les grèves sauvages, les salaires qui ne sont pas payés et les difficultés à se procurer des pièces détachées et à entretenir des installations vétustes, le pétrole libyen continue de couler à flots. Certes, le pays n’a jamais réussi à retrouver ses niveaux de production qui étaient les siens avant 2011, année de la chute du régime de Mouammar Kadhafi. De 1,6 million de barils par jours (mbj), les pompages sont tombés en moyenne à 900 000 dès 2012. Mais, depuis le début de l’année 2018, un léger mieux se fait sentir. La production se maintient vaille que vaille au-dessus de la barre symbolique du million de barils par jour (autour de 1,02 million en mars). Une résilience saluée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une institution basée à Paris dont la mission est, notamment, de veiller aux intérêts des pays consommateurs d’or noir. L’Agence note ainsi dans un document publié au premier trimestre 2018 que, « bien que la stabilité ne puisse être considérée comme acquise [en Libye], il semble que la fréquence et la gravité des interruptions de production diminuent ». Conséquence directe de cette amélioration du climat sécuritaire, le pétrole libyen accomplit un retour en force sur les marchés internationaux. Selon l’AIE, l’offre libyenne en Europe et en
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Amérique est presque égale à ce que l’Arabie saoudite écoule comme or noir sur ces deux zones (pour mémoire, l’essentiel des exports saoudiens concerne aujourd’hui l’Asie). Seuls l’Irak et la Russie font mieux en Europe et aux États-Unis. « Il y a un consensus, même s’il est fragile, entre les principales forces politiques pour que l’exploitation du pétrole ne soit pas trop affectée par les divisions », explique un cadre de la société algérienne pétrolière Sonatrach, laquelle possède des intérêts dans le pays. « Entre l’Est et l’Ouest, il y a un canal de discussion particulier sur la question précise du pétrole. La compagnie pétrolière nationale NOC est ainsi placée au-dessus de la mêlée et traite avec tout le monde. » L’entreprise étatique libyenne possède donc des relais à Tripoli comme à Benghazi. Les recettes sont gérées à parts plus ou moins égales entre les deux principales factions même si l’influence de Tripoli est plus affirmée, le gouvernement qui y siège étant jugé « légitime » par nombre de capitales occidentales. De manière générale, explique un diplomate occidental, « les revenus de chaque champ sont censés revenir à la force politique qui le contrôle, mais chaque partie est désormais d’accord pour éviter l’acquisition d’autres champs par la force armée », et cela, contrairement à ce qui a pu se passer entre 2012 et 2016. Pour autant, rien n’est encore réglé, comme le montre la prudence avec laquelle l’AIE a accueilli l’amélioration des conditions de production en Libye. Car le pays demeure exposé en AFRIQUE MAGAZINE
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La Azzawiya Oil Refining Company à Az-Zawiyah (à 50 km de Tripoli), filiale de compagnie pétrolière nationale NOC. permanence aux aléas politiques et sociaux. En février, c’est l’exploitation du grand champ d’El-Fil (900 km au sud de Tripoli) qui a été soudain interrompue, les agents de sécurité du site, lassés des retards de paiement de leurs salaires et ulcérés par des conditions de travail précaires et dangereuses, ayant abandonné leur poste.
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UN MESSAGE SANS AMBIGUÏTÉS Dans ce contexte, chaque compagnie étrangère adopte une stratégie particulière. Certaines, comme l’italienne Eni, choisissent une approche attentiste qui consiste à rester sur place en attendant des jours meilleurs mais en évitant de s’engager dans des projets de développement à la pérennité et à la rentabilité future jugées aléatoires. Dans son plan de développement pour la période 2018-2021, la compagnie a donc déclaré que sa production libyenne va baisser de 320 000 barils par jour pour rester plafonnée à 200 000 b/j. Même si Claudio Descalzi, le PDG d’Eni, a répété qu’il n’était pas question de se désengager de Libye, le message est sans ambiguïtés. À l’inverse, le pétrolier français Total semble quant à lui toujours croire au marché libyen. En mars dernier, il a acquis 16,33 % des concessions du champ de Waha en déboursant 450 millions de dollars auprès de l’ancien propriétaire de ces parts, la compagnie Marathon Oil Libya. Le champ est l’un des emblèmes de la production pétrolière libyenne avec 300 000 b/j. AFRIQUE MAGAZINE
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Outre Total, les autres compagnies qui le détiennent (NOC à 59,17 %, ConocoPhillips à 16,33 % et Hess à 8,16 %) entendent porter les pompages à 400 000 b/j d’ici 2020. Un pari manifeste sur un avenir plus stable et moins heurté pour le pays. La présence d’un géant américain est d’ailleurs interprétée comme le signe qu’à Washington, on gardera toujours un œil vigilant sur ce qui se passe en Libye. Le département du Trésor a d’ailleurs pris des sanctions, en mars, contre 24 entreprises, sept navires et six personnes accusées de contrebande de pétrole libyen. Les États-Unis démontrent régulièrement leur volonté de lutter contre un phénomène lié à l’instabilité du pays. L’US Navy aide son homologue libyenne à intercepter les tankers ayant chargé du brut ou de l’essence de contrebande. Quant aux sanctions du Trésor, elles vont jusqu’au gel des avoirs et à l’interdiction faite aux compagnies américaines de commercer avec les mis en cause. Selon une estimation de la NOC faite mi-2017, la contrebande représenterait une perte de 50 000 b/j. Pour lutter contre, les marines américaine et libyenne surveillent notamment les eaux à proximité du terminal d’Abou Kammache, l’un des principaux complexes pétrochimiques de l’ouest libyen. Fin mars, c’est le Lamar, un tanker battant pavillon togolais avec équipage grec, qui a été arraisonné et sa cargaison de 950 000 litres de carburant confisquée. De quoi permettre à Tripoli de démontrer que l’ordre et la sécurité reviennent peu à peu, du moins pour ce qui concerne le secteur pétrolier. ■ 31
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27 février 2004 à Syrte (Libye), lors d’une assemblée extraordinaire de l’Union africaine. Le Guide, aux côtés de Romano Prodi, président de la Commission européenne, du président du Mozambique Joaquim Chissano, d’Oumar Konare, président de la commission de l’UA, et de Saïd Djinnit, commissaire de l’organisation.
Le Roi des rois africains
Pendant des années, le colonel s’est efforcé de faire adopter ses rêves unionistes d’« États-Unis » au reste du continent. En vain.
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dole de la jeunesse du continent, parrain forcené des États-Unis d’Afrique, Mouammar Kadhafi n’est pas né panafricaniste. Il l’est devenu. Quand il prend le pouvoir, le 1er septembre 1969, le jeune officier rêve de devenir le nouveau Nasser, raïs égyptien, leader charismatique du monde arabe, disparu en septembre 1970. Cependant, Nasser était le maître incontesté d’un pays incarnant une civilisation vieille de 5 000 ans, avec une population de 35 millions d’habitants (95 millions aujourd’hui) alors que la Libye n’a jamais été, depuis l’Antiquité, ni un État, ni une nation, et encore moins une civilisation. Sa population, consti-
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tuée de tribus nomadisant dans le désert, était alors estimée à 2 millions d’habitants. Trop peu pour le rêve de grandeur du Frère Guide. Kadhafi se lance dans des projets unionistes, avec l’Égypte et la Syrie, en 1971, avec la Tunisie, en 1974, autant de vélleités qui tournent court. Dépit amoureux, il se détourne du monde arabe pour l’Afrique devenue, par défaut, le prolongement stratégique pour ses ambitions mégalomaniaques. Disposant de la manne pétrolière, il distribue des mallettes aux chefs d’État africains pour en faire ses obligés. Ministres ou organisations de la société civile ne sont pas oubliés. Ni AFRIQUE MAGAZINE
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HERWIG PRAMMER/REUTERS
par Cherif Ouazani
la population. Lors de ses déplacements en Afrique subsaharienne, il jetait de sa limousine des liasses de billets verts pour être sûr que son cortège déplace les foules. En 2008, le fonds souverain Libyan Arab African Investment Company (Laaico) voit le jour avec une cagnotte de 8 milliards de dollars. Kadhafi investit massivement : Burkina, Gambie, Mali, Niger Ouganda, en passant par l’Afrique du Sud ou le Tchad. Aucun secteur n’est ignoré : agriculture ou télécoms, finances ou infrastructures. Phobie de l’avion oblige, ses multiples voyages en Afrique sont le plus souvent terrestres. Chaque village traversé obtient un projet, forage pour un puits collectif, une école ou un centre de santé. Une manière empirique de lutter contre la pauvreté. Si Tombouctou dispose aujourd’hui de l’eau potable, c’est parce que Kadhafi y a réalisé pour 50 millions de dollars, un canal transférant l’eau du fleuve Niger jusqu’au centre de la ville. Le gouvernement malien est doté d’un siège digne de ce nom à Bamako grâce à un cadeau du Guide : une cité administrative ayant coûté la bagatelle de 200 millions de dollars. Kadhafi devient le dirigeant africain le plus populaire du continent, rivalisant à l’applaudimètre avec Nelson Mandela. Toutefois, ses rêves de fédérer l’Afrique sous sa bannière avec le label USA (United States of Africa) buttent sur le pragmatisme de certains dirigeants africains, peu sensibles à ses arguments sonnants et trébuchants. Il se voyait président des « States ». Il se contentera du titre symbolique de Roi des rois.
AURELIEN MORISSARD/IP3
LA CONVERSION DU BÉNIN L’Afrique était également un territoire à « arabiser et à islamiser », autre manière d’entrer, selon lui, dans l’Histoire. Une anecdote : Kadhafi harcelait feu Mathieu Kérékou, président du Bénin et évangéliste convaincu. À chacune de leur rencontre, le Guide insistait pour le convertir à l’islam. Lassé, Kérékou lui dit : « Que dois-je faire pour devenir musulman ? – Tu n’as qu’à prononcer la profession de foi, il n’y de dieu qu’Allah et Mahomet est son prophète. » Le malheureux Kékérou s’exécute mais ne pense à aucun moment renier sa foi protestante. Kadhafi n’en a cure. Depuis ce jour-là, selon la littérature officielle libyenne, le Bénin, pays du vaudou, est devenu un État musulman, dirigé par el-Hadj Ahmed (pas même Amadou) Kérékou. Sept années après sa disparition, le fantôme de Kadhafi plane toujours sur l’Afrique. Ses réalisations, les ouvrages d’art et les palaces qu’il a construits ou rénovés dans une quinzaine de capitales africaines, rappellent le souvenir du Guide généreux. Sa popularité n’a pas été entamée par ses travers, sa mégalomanie et son arrogance. Entrer dans l’Histoire à tout prix fut son obsession. Il y a réussi. Les conditions dramatiques de sa mort en ont fait un martyr africain. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LE « K » DE NICOLAS SARKOZY
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a mise en examen de Nicolas Sarkozy, le 21 mars 2018, pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens, par la justice française, a réjoui la rue africaine. Il n’y a pas eu de manifestations populaires mais la nouvelle a inspiré les éditorialistes, alimenté les conversations dans les salons, les bars et les maquis. Pourquoi les ennuis judiciaires d’un ancien chef d’État français ont-ils provoqué tant de passions, voire de satisfactions, d’Alger au Cap, de Djibouti à Praia ? Cela aurait pu s’expliquer par le discours prononcé, en juillet 2007, à Dakar, au cours duquel il avait humilié ses hôtes en affirmant : « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Cette déclaration n’a été ni oubliée, ni pardonnée. D’autant que la mort de Kadhafi en a fait un martyr africain. Au nord et au sud du continent, il est admis que c’est Nicolas Sarkozy qui a décidé, en 2011, d’éliminer le Guide pour des raisons personnelles : « faire disparaître celui qui aurait financé à hauteur de 50 millions d’euros sa campagne électorale, en 2007 ». Si l’intervention militaire en Libye fut francobritannique, dans l’imaginaire collectif africain, le seul coupable reste et demeure Nicolas Sarkozy. Pour célébrer sa création, en octobre 2017, le Front international des sociétés civiles panafricaines (Fispa, une organisation regroupant une quinzaine d’associations et d’ONG ouest-africaines) a porté plainte contre l’ancien président de la République française devant la Cour pénale internationale (CPI) pour assassinat. Mais l’instance de La Haye n’a pas jugé utile de donner suite à la plainte. Grâce aux journalistes de Mediapart qui ont dévoilé l’affaire, et à quelques magistrats français tenaces, la mise en examen de Sarkozy est plus qu’un simple lot de consolation. Un moment jubilatoire. ■ Ch.O. Le 22 mars 2018, l’ex-président français au « 20h » de TF1.
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COVER STORY LES FANTÔMES DE KADHAFI
Racket, sévices, détention ou même esclavage moderne… Une des grandes portes d’entrée vers l’Europe est devenue un piège pour les clandestins en transit. par Frida Dahmani 34
Tripoli, le 19 février 2018, après le sauvetage de 324 personnes, dont les deux embarcations ont fait naufrage au large de la ville de Zuwara.
vant d’être un pays de transit, la Libye a d’abord été une destination d’arrivée pour les Subsahariens qui y trouvaient des opportunités pour vivoter. Kadhafi avait « mis en place une stratégie d’ouverture des portes qui s’inscrivait dans un projet panafricain, afin de gagner du crédit auprès des leaders de la région », explique Ferruccio Pastore, directeur du Forum international et européen de recherche sur l’immigration. En parallèle, les autorités, avec l’appui de l’Ita-
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HAMZA TURKIA/XINHUA/REA
Les migrants, des enjeux politiques aux mannes du trafic
lie, exerçaient une stricte surveillance de l’espace maritime, réduisant pratiquement à néant les tentatives de traversées. Sept ans après la chute du régime, la Libye est au cœur d’une des crises migratoires majeures en Méditerranée. Pour la seule année 2017, le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) estime à 84 830 les arrivées en Italie par voie maritime et à 15 500 les disparus en mer depuis 2013.
PETITS ARRANGEMENTS ENTRE ÉTATS ET RETRAIT DES ONG Toute une organisation de passeurs et d’intermédiaires a mis à profit le chaos ambiant pour prospérer dans le trafic humain. Jusqu’à ce que l’Union européenne (UE) s’en mêle et donne un coup de frein à la migration irrégulière. Outre aider les pays membres les plus exposés à protéger leurs frontières, Bruxelles adopte une politique de coopération avec les pays de départ, dont la Libye, avec un appui de 200 millions d’euros. L’Italie se prémunit désormais en s’accordant avec la marine libyenne, mais est aussi accusée de traiter avec les milices qui tiennent les points de départ tels que Sabratha, moyennant
finances et armes. Le retrait des ONG effectuant les sauvetages en mer explique également la baisse des départs : « Elles faisaient le taxi pour les passeurs », assène le général Ayub Ghassem, porte-parole des garde-côtes. L’an dernier, le flux migratoire depuis la Libye vers l’Italie a ainsi baissé de 22 %. Mais les problèmes n’en sont pas moins résolus. Les experts de la migration en Libye assurent que les trafiquants vont poursuivre leurs activités en s’implantant ailleurs sur les côtes. Il n’en demeure pas moins que le territoire libyen, hors contrôle, est devenu un piège pour les candidats à la migration. Les Subsahariens, venus de Gambie, du Sénégal, du Nigeria ou d’Érythrée, sont dépouillés par les passeurs et des milices armées, sans compter les nombreux sévices qu’ils subissent quand ils ne sont pas réduits en esclavage ou parqués dans des centres de détention. De clandestins, ils deviennent victimes de traite et subissent des « horreurs inimaginables » selon le HautCommissaire aux droits de l’Homme de l’ONU. Ils sont encore près de 19 000 déplacés et réfugiés à souffrir de sous-alimentation, de viols et de tortures. La Libye, passage vers l’Europe, conduit en enfer. ■
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INTERVIEW
Sanaa El Aji « Le corps des femmes est sous le contrôle de la société » Durant six ans, cette sociologuejournaliste-romancière a étudié la vie sexuelle des Marocains et des Marocaines célibataires, avant le mariage. Hors la loi, hors des normes admises, mais pourtant bien réelle. Pour la sortie de ce premier essai, elle décrypte les enjeux de cet univers tabou. propos recueillis par Astrid Krivian
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INTERVIEW SANAA EL AJI : « LE CORPS DE LA FEMME EST SOUS LE CONTRÔLE DE LA SOCIÉTÉ »
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es chroniques modernistes publiées dans la presse marocaine défendent les libertés individuelles, l’égalité hommes/femmes, dénoncent l’hypocrisie sociale sur des sujets encore tabous comme la religion, la sexualité, décryptent les paradoxes des discours et des actes, prônent la tolérance, l’acceptation du pluralisme des individus. Originaire de Casablanca, d’une « famille nombreuse et plutôt modeste » précise-t-elle, Sanaa El Aji, 41 ans, cultive l’indépendance et la diversité des disciplines, à l’image de son parcours : journaliste, doctorante en sociologie, romancière, consultante en communication. Elle a contribué à deux ouvrages collectifs, Lettres à un jeune marocain (Le Seuil, 2009) et Femmes et religions (Le Fennec, 2014). Elle publie un essai sociologique sur la sexualité préconjugale dans son pays : Sexualité et célibat au Maroc, pratiques et verbalisation (La Croisée des Chemins, 2017). Pendant six ans, elle a enquêté sur cette sexualité interdite par la loi, la religion, la société, mais existant pourtant dans le réel. Elle y analyse les conduites des hommes et des femmes pour contourner cette norme, leur conception de la sexualité, sa verbalisation, les rôles attribués au masculin et au féminin, l’éducation, l’influence du digital, l’impact des évolutions démographiques, socio-économiques et culturelles… Une étude passionnante à l’opposé d’une vision stéréotypée de cette sexualité et de la victimisation de ses acteurs.
« Les interdits les plus oppressants sont le religieux et surtout, le social. C’est le regard de l’autre que l’on craint, plus que celui de Dieu. »
individus inventent leurs propres codes de contournement de la norme. C’est logique, car une transition ne peut s’effectuer en une année. Cela en prendra peut-être une trentaine. Mais la dynamique sociale est en marche. On a tendance aussi à simplifier les choses. On considère qu’il y a des personnes « bien » pour qui sexualité va de pair avec l’entrée dans la vie maritale, et les autres, qui ont des rapports sexuels hors mariage, seraient des marginaux. En réalité, les parcours sexuels et affectifs se complexifient, AM : Pourquoi la sexualité préconjugale se déstandardisent. Les uns enfreignent la au Maroc mérite-t-elle une recherche loi, en sont conscients et le revendiquent, sociologique ? militent pour les libertés sexuelles. D’autres Sanaa El Aji : Celle-ci est l’objet d’une triple gardent cette sexualité secrète, pour ne pas illégitimité : juridique, religieuse et sociale. Sexualité… est le premier livre s’afficher contre la norme sociale, la famille. Interdite dans ce cadre normatif, elle existe de l’auteur, qui avait contribué D’autres transgressent mais exigent dans pourtant dans les faits. Il ne s’agit pas d’une à des ouvrages collectifs. leur discours le respect de cet ordre tradirévolution sexuelle, car cette évolution peut tionnel. Enfin, il faut remettre en question cette essentialisation se faire de manière discrète, non-assumée. Notre société vit du monde arabo-musulman en matière de sexualité. Sur un tel une transition en la matière. La preuve en est ce débat, parsujet, on ne trouvera pas les mêmes données en Arabie saoufois tendu, entre les différentes mouvances. Les conservateurs dite, en Jordanie… Les divergences sont plus importantes que militent pour le retour à l’abstinence, ce qui démontre que l’on les points communs. a quitté cette norme. Les partis laïcs, modernistes, militent En quoi l’évolution démographique du Maroc influe-t-elle pour légiférer positivement, pour que cette sexualité ne soit sur cette sexualité ? plus cachée. Dans les années 60, parler de sexualité préconjugale n’avait Quelles sont les idées reçues à ce sujet ? pas de sens : les femmes se mariaient à 17 ans, les hommes à 24. Dans un pays comme le Maroc, considéré arabe, musulLe laps de temps entre le moment où le corps exprime du désir man, africain, on parle de sexualité en termes de frustration, de sexuel et celui du mariage était relativement court. Aujourd’hui, victimisation, de violence. Mais au fil des recherches sur le terl’âge du premier mariage recule : 25 ans pour les femmes, 31 rain, on observe que ce cadre très restrictif n’empêche pas cette pour les hommes. Entre 1994 et 2010, le célibat définitif, c’estsexualité d’exister, même de manière joyeuse et agréable. Les
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Rabat, octobre 2013. Pour protester contre l’arrestation d’adolescents ayant posté une photo d’eux en train de s’embrasser sur Facebook, des activistes se rassemblent pour un « kiss-in » mouvementé. à-dire arriver à 50 ans sans n’avoir jamais été marié, a doublé pour les hommes, et a été multiplié par huit pour les femmes et par dix en milieu citadin. Les individus qui transgressent la loi, la redoutent-ils vraiment ? La loi juridique est crainte dans la mesure où elle peut être source de scandale, d’arrestation par les policiers, etc. Mais les interdits les plus oppressants sont le religieux (le haram) et surtout, le social. C’est le regard de l’autre, de la société que l’on craint plus que celui de Dieu. Dans la religion musulmane, cette interdiction concerne autant les hommes que les femmes. Mais dans la réalité, elle s’applique davantage aux femmes ! C’est une usurpation de la règle religieuse pour mettre en exergue la norme sociale, notamment le contrôle du corps de la femme. La virginité pour les femmes est-elle toujours une contrainte sociale ? Oui. Le corps féminin est sous contrôle de la communauté. Il n’est pas un bien individuel qui lui appartient à elle seule. Et la virginité jusqu’au mariage est l’une de ces injonctions, elle symbolise aussi l’honneur de sa famille, la virilité de ses membres masculins (frères, pères…). Là aussi, on vit une transition, car la majorité des individus savent qu’une femme à l’hymen préservé n’est pas forcément vierge de relations sexuelles. Mais cet hymen intact est une condition importante pour accéder à la vie matrimoniale, pour toutes les catégories sociales et niveaux d’études confondus. Le mariage demeure une institution majeure, il consacre l’entrée dans la vie adulte, la reconnaissance sociale. Les femmes sont alors obligées de répondre à cette exigence. Il faut savoir que pour autoriser le mariage, la loi marocaine exige le certificat de célibat des futurs mariés. Or, il est souvent confondu avec le certificat de virginité, qui n’est requis ni par la religion ni par la loi, mais dont la demande reste une pratique assez courante ! AFRIQUE MAGAZINE
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Malgré les interdits, l’homme est implicitement encouragé à avoir des relations sexuelles avant le mariage ? Oui. On demande tacitement à l’homme de ne surtout pas être vierge au mariage. Sinon, il sera la risée de ses amis et même de son épouse. Presque toutes les femmes que j’ai interviewées ne souhaitent absolument pas se marier avec un homme vierge. Il y a cette pression envers les hommes d’avoir un rapport sexuel le plus tôt possible dans leur parcours. Et de multiplier les partenaires. Ça valoriserait leur virilité, et forgerait leur expertise. À l’opposé de la femme, qui non seulement doit rester vierge, mais une fois mariée, ne doit pas montrer qu’elle sait mener un rapport. Ce serait le signe qu’elle aurait un passé affectif et sexuel. Elle doit faire preuve d’un manque de connaissances, aussi pour ne pas inverser les rôles de domination du couple. C’est l’homme qui doit initier l’acte, et conduire son déroulement. Quel est le rôle des mères dans la perpétuation de ces normes ? Les mères sont le principal canal de transmission des valeurs traditionnelles. Ce sont elles qui vont fermer les yeux et encourager le garçon à avoir une sexualité préconjugale, et elles qui vont dire aux filles « attention à ta virginité ». Cette différence d’évaluation des mêmes actes selon qu’ils soient faits par des hommes ou par des femmes est poussée, encouragée par elles. Aussi pour les rôles au sein d’une famille, les tâches ménagères, les répartitions économiques etc. Dans ce contexte restrictif, comment se vit cette sexualité préconjugale ? Cela consiste en du « bricolage sexuel », pour citer la sociologue marocaine Mounia Bennani-Chraïbi. On a recours à des pratiques sexuelles par défaut, qui permettent de préserver l’hymen de la fille (sodomie, fellation etc.). Il y a aussi l’hymenoplastie (réfection chirurgicale de l’hymen), l’acquisi39
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tion de « l’hymen chinois » (hymen artificiel, à l’origine gadget sexuel)… Pour partager une intimité, les jeunes se rencontrent dans des espaces semi-publics, des salles de cinéma, les étages de cafés plus discrets… Ceux qui le peuvent financièrement louent des appartements meublés, marché informel assez développé. Ou des chambres d’hôtels, et contournent la loi interdisant aux couples non-mariés d’avoir une chambre commune, en réservant deux chambres… Une stratification économique se crée ainsi, car ceux qui disposent de moyens subissent moins les contraintes que ceux qui n’en ont pas. Tout est à l’initiative de l’homme : recherche du lieu de rendez-vous, apport du préservatif… C’est une normalisation sociale, une mission quasi exclusivement masculine. Même quand la femme peut s’occuper de cette logistique, c’est dévalorisant pour sa féminité. De même, et ce n’est pas une spécificité marocaine, c’est au garçon d’assumer financièrement toutes les sorties et autres frais au cours d’une relation amoureuse. Une femme estime être honorée quand elle est prise en charge, peu importe le niveau financier de l’un ou de l’autre. C’est une représentation liée à la répartition des rôles dans la société. La femme doit non seulement recevoir beaucoup de cadeaux, de biens matériels, mais aussi l’exiger. Ça intervient aussi quand on veut se marier, avec la dot, la fête de mariage etc. Plus elle reçoit, plus elle est valorisée. Avec qui les jeunes hommes ont-ils leur premier rapport sexuel ? Très souvent avec une professionnelle du sexe. Car à l’adolescence, ce n’est pas toujours possible que leur petite amie puisse avoir un rapport avec pénétration. Parfois, même si c’est difficile à quantifier, des adolescents s’initient à la sexualité avec des femmes mariées. Autre phénomène qui tend à disparaître, heureusement : il y a encore dix ans, chez beaucoup de familles moyennes et aisées, la mère embauchait une jeune employée de maison, afin qu’elle soit aussi le terrain de l’initiation sexuelle de ses garçons. Ce qui faisait subir à cette jeune fille une double domination, masculine et socio-économique. Pourquoi certaines femmes sont rassurées de voir leur petit ami fréquenter des prostituées ? C’est là encore une question de virilité. Il y en a qui considèrent aussi que c’est une forme de respect. Il ne lui demande pas à elle d’avoir un rapport sexuel, il va voir ailleurs pour ça, il la préserve jusqu’au mariage. C’est une hypothèse de ma part, mais une fois mariées, beaucoup de femmes estiment ainsi que l’homme sera « rassasié » : il aura eu tout ce qu’il voudra avant le mariage et donc il n’aura pas envie de la tromper. Il y a cette croyance que l’homme aurait « naturellement » des pulsions sexuelles difficiles à contenir… Oui. Or, selon les sociologues spécialistes de la question, il n’y a pas de sexualité naturelle, biologique. Elle est toujours 40
« L’éducation sexuelle est souvent perçue comme une incitation à la débauche.» encadrée par les normes sociales, le cadre de référence, la religion, les relations hommes/femmes, etc. Par exemple, en Ouganda, cela n’est pas mal vu, pour les femmes, d’avoir plusieurs partenaires sexuels en même temps, tant qu’il y a un caractère de durée dans les relations. Dans certaines sociétés la polygamie est acceptée, tandis qu’ailleurs elle peut choquer. Au Maroc, il y a cette croyance populaire : si on divise le désir sexuel par cent, un homme aurait 99 % et une femme le reste. L’homme sera forcément demandeur, et c’est à sa partenaire d’accepter ou pas. Si elle refuse, elle est chaste. Si elle accepte et qu’il y a défloration de l’hymen ou grossesse, ce sera elle la responsable aux yeux de la société. En quoi la femme est-elle à la fois objet de l’acte sexuel mais aussi responsabilisée par la société ? C’est l’homme qui doit initier, donc dans une certaine mesure, la femme est l’objet du désir masculin. Et, selon la société, elle devient responsable de l’acte. Les proverbes populaires marocains disent « C’est elle qui a provoqué », « Si elle n’avait pas accepté, le rapport n’aurait pas eu lieu », etc. On l’observe dans les débats publics : certains trouvent même une responsabilité chez la femme harcelée ou victime d’un viol. Dans le cas des mères célibataires, presque personne ne parle de la responsabilité du père de l’enfant, que ce soit dans le rapport sexuel ou dans l’acte d’abandon, car il est très souvent au courant. Vous analysez les expressions et mots pour dire la sexualité en darija, l’arabe dialectal marocain. C’est un langage très cru, violent, marqueur de la domination masculine… La langue n’est pas neutre. Elle véhicule des valeurs et les renforce. Au Maroc, c’est un registre, une verbalisation agressive, très violente, où l’homme est acteur du rapport sexuel que la femme subit. Des expressions comme « Il l’a rendue pourrie, abîmée », « Il l’a explosée, écrasée »… Certaines personnes nomment aussi la sexualité par le mot « lebssala » qui signifie « les bêtises ». Et il y a aussi ces formules proférées dans la rue, qui sont censées être de la drague, où la femme est souvent assimilée à de la viande, un mets que l’on va dévorer. Par exemple « La chair existe à profusion, mais le boucher est fermé. » « Tes AFRIQUE MAGAZINE
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En public, chaque geste est scruté… Les jeunes, même pour partager des instants d’intimité innocente, doivent alors chercher des lieux plus discrets, à Casablanca (photo) comme ailleurs. fesses sont bien grosses, gonflées. Tu t’es fait piquer par une mouche ?» Existe-t-il une éducation sexuelle au Maroc ? Officiellement, elle est quasiment absente. Il y a des initiatives individuelles extrêmement rares de la part de certains professeurs ou parents. Mais l’éducation sexuelle est souvent perçue au Maroc comme une incitation à la débauche. Cela équivaudrait à apprendre aux jeunes comment avoir une sexualité. Dans les manuels scolaires, elle n’existe pas. Ainsi, la sexualité est perçue avec beaucoup de méfiance, d’interdits, mais aussi de nombreuses idées fausses. D’autant plus qu’aujourd’hui, le risque de diffusion d’informations erronées s’est accru avec Internet, concernant les MST, la masturbation, ou encore le danger des sites pédophiles. L’absence d’éducation sexuelle est dangereuse dans l’absolu, mais à l’ère numérique où la majorité des jeunes sont connectés, la menace est plus grave et importante. Quid de la pornographie, désormais facilement accessible via Internet ? Avec un taux d’équipements en smartphones de plus en plus important, et des cybercafés qui offrent une connexion à faible coût, les sites pornographiques font partie de la consommation des jeunes, même s’il est difficile d’obtenir des chiffres précis. En l’absence d’éducation sexuelle, et de rencontres réelles, cela peut avoir beaucoup d’impacts négatifs sur la qualité du rapport sexuel et sa représentation : très mécanique, de l’ordre de la performance, détaché de l’affectif, du sentimental, banalisation de la violence, humiliation des femmes… Des chercheurs en Occident sont en train d’étudier cette question, et les résultats sont parfois inquiétants. AFRIQUE MAGAZINE
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Vous démontrez que les tabous culturels ne provoquent pas un plus grand usage d’une cybersexualité… Très souvent, dans les médias au Maroc, on affirme que les Marocains sont les plus gros consommateurs de sites pornographiques. Or, quand on vérifie sur Internet les tendances de consommation, le Maroc se situe dans les moyennes mondiales. Par exemple, en 2015, concernant le temps passé sur le site PornHub, le plus visité au monde, il devance certains pays (Égypte, Turquie, Tunisie…) mais se trouve derrière la Chine, la France, les États-Unis, où la sexualité est plus libre. Il n’y a donc pas une spécificité marocaine en matière de pornographie. C’est une donnée importante, parce que très souvent on lie la frustration sexuelle, les contraintes liées à la sexualité préconjugale, à la pornographie, comme s’il y avait une relation de cause à effet. Pourquoi la sexualité comme objet de recherche n’est pas prise au sérieux ? En effet, j’entends parfois ce genre de remarques quand je présente mon livre. Les sujets « sérieux » admis, méritant une recherche académique, sont le chômage, l’éducation, la répartition des pouvoirs politiques… Mais la sexualité serait un sujet futile, banal, un luxe intellectuel. On peut en parler en Norvège mais pas au Maroc. C’est pourtant une évidence : il y a une évolution d’ordre démographique, socio-économique, qui impacte la vie des individus sur de nombreux aspects, dont la sexualité. Il est donc important d’étudier cette question pour accompagner cette dynamique en cours. ■ * Sexualité et célibat au Maroc, pratiques et verbalisation, Sanaa El Aji, éditions La Croisée des Chemins, 2017.
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ENQUÊTE
En mai 2018, le G5 devrait déployer 5 000 hommes. Objectif : éradiquer la menace terroriste, lutter contre la criminalité transfrontalière et assécher les réseaux de migrants. Une mission quasi-impossible.
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Kidal, fief de l’Adrar des Ifoghas, à 350 km au nord de Gao (Mali) est le symbole du nationalisme touareg. Depuis 2013, les Casques bleus de la Minusma y patrouillent.
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Mali, l’épicentre
La première rébellion touarègue a débuté en 1963. Une partie de cette communauté berbère conteste le pouvoir central de Bamako, réclame l’indépendance de l’Azawad, territoire englobant les trois grandes régions du nord du Mali : Gao, Kidal et Tombouctou. Soit les deux tiers du territoire. Le nord malien devient une « exception permanente » avec, à la clé, une administration militaire. L’inimitié atavique entre Blancs (Touaregs et Maures) et Noirs (les autres communautés vivant dans l’espace sahélien) est exacerbée par la répression des solEn mars 2017, Iyad Ag Ghali, 60 ans, chef du groupe d’Ansar Dine, a réussi à fédérer tous les mouvements islamistes de la région. Il est, depuis, l’ennemi n° 1 de l’armée française et de la FC G5.
Focalisés sur la réponse au djihad, les acteurs de la crise minimisent les conflits, les réalités locales. Et l’extrême pauvreté des populations. AFRIQUE MAGAZINE
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ecrudescence des attaques terroristes, multiplication des conflits inter et intracommunautaires, criminalité transfrontalière. La bande sahélo-saharienne fait face à une inquiétante dégradation de la situation sécuritaire. Dernière illustration en date, la double attaque, le 2 mars 2018, contre l’état-major de l’armée burkinabè et le siège de la chancellerie de l’ambassade de France, à Ouagadougou. Une action revendiquée par Nusrat al-Islam wal-Muslimin (NIM), que l’on pourrait traduire par « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » (GSIM). Dans des milieux djihadistes où les alliances se font et se défont, NIM est un regroupement d’organisations islamistes créé en réponse à la stratégie adoptée par cinq États de la région (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) organisés, depuis 2014, en un G5. En février 2017, les cinq présidents décident le lancement d’une force conjointe (FC G5) de 5 000 hommes, censée devenir, à partir de mai 2018, le bras armé régional de la lutte antiterroriste. Un mois plus tard, le 1er mars 2017, Iyad Ag Ghali, leader d’Ansar Dine (les Partisans de la religion), annonce la création de NIM, alliance regroupant les principaux acteurs du mouvement djihadistes au Sahel : outre Ansar Dine, les brigades sahéliennes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), les francs-tireurs d’Al-Mourabitoune, de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, ainsi que le Front de libération de Macina (FLM du prédicateur peul Amadou Kouffa). Appelée à intervenir dans un environnement où se bousculent de nombreux dispositifs militaires : nationaux (les armées régulières des États membres), international (la Minusma, opération de maintien de la paix des Nations unies au Mali), français (opération Barkhane) et américain (un contingent au Niger), la FC G5 est considérée, à tort ou à raison, comme une création de la France. Cependant, le drame de ce dispositif militaire tient à l’absence d’une stratégie politique cohérente. Les acteurs régionaux et internationaux réduisent l’équation sahélienne à la seule menace djihadiste, minimisant les conflits locaux et l’extrême pauvreté des populations. La FC G5 est une réponse militaire pour réparer une zone grise, résultant d’une crise multidimensionnelle, partie d’un épicentre, le Mali, sur un clivage central Blancs contre Noirs (Touaregs contre le reste du Mali) ayant fait le lit à la radicalisation des esprits, produit une violence qui a contaminé deux pays voisins, le Burkina et le Niger, et gravement menacé deux autres, la Mauritanie et le Tchad. C’est pourquoi le nouveau front qu’ouvre la FC G5 a toutes les chances de devenir une guerre de cent ans. Cent ans, une évaluation exagérée ? Le principal facteur de la transformation du Sahel en zone grise est, sans conteste, l’irrédentisme touareg. L’origine du conflit de l’Azawad date de… 55 ans.
dats maliens. Aux bavures militaires répliquent des attaques contre les positions de l’armée par des Touaregs, de mieux en mieux préparés aux opérations de guérilla. Au fil des ans, les haines s’accumulent et entre les communautés, les fossés creusés se transforment en falaises abyssales. En 1990, la rébellion a désormais un nom, le mouvement populaire de l’Azawad (MPA) et un visage, Iyad Ag Ghali. La revendication indépendantiste est de mise mais le mouvement est séculier, ne faisant aucune référence à la religion. Mais cela ne va pas durer.
SALAFISATION DU SAHEL : DE TORA BORA À L’ADRAR DES IFOGHAS En 1991, le grand voisin du nord, l’Algérie, est en butte à une montée de l’islamisme politique, incarné par le Front islamique du salut (FIS). Coïncidence ? Une nouvelle organisation, baptisée Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA), voit le jour. Ce mouvement est la première manifestation politique de la communauté arabe vivant dans le Tilemsi. La référence à l’islamisme n’inquiète pas outre mesure Bamako. « Simple
mimétisme avec le grand frère algérien » minimise un rapport de la Sécurité d’État (SE, services de renseignement maliens). Cependant, l’islamisation des esprits était en marche. Elle viendra d’Algérie mais sera décidée ailleurs. Depuis les contreforts de Tora Bora, aux confins du Pakistan et de l’Afghanistan. Le succès des opérations du 11 septembre 2001 rend Oussama Ben Laden euphorique. Le fondateur d’Al-Qaïda caresse un rêve fou : reconquérir l’Andalousie et le sud de l’Europe. Le déclin des maquis islamistes en Algérie contraint OBL d’envisager la « reconquista » par la mise en place d’un croissant djihadiste en Afrique, partant des bords de l’océan Indien, avec les Shebab somaliens, aux bords de la Méditerranée, avec les maquisards algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, devenu depuis Aqmi) en passant par la guérilla islamiste qui sévit alors dans les États du nord du Nigeria, et par l’imprenable Adrar des Ifoghas, que contrôlent les indépendantistes touaregs. Pour faire la jonction entre tout ce beau monde, Ben Laden charge un de ses lieutenants, le Yéménite Imad Alwan, de créer la plus grande armée djihadiste
PASCAL MAITRE/COSMOS
2008. Dans les mines de sel de Taoudeni, au nord du Mali, Oussama Ben Laden était très populaire parmi les travailleurs.
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ENQUÊTE SAHEL, UNE GUERRE DE CENT ANS
pour « reprendre Grenade ». En quelques mois, Imad Alwan passe de la Somalie, au Soudan, puis de la République centrafricaine au Cameroun, du Nigeria au Niger et arrive en Algérie en 2002, semant les graines qui donnent naissance à Boko Haram au Nigeria et préparant la reconversion du GSPC en franchise régionale d’Al-Qaïda. Le Sahel constitue une priorité pour le missi dominici de Ben Laden. L’affaire est confiée à deux barons du GSPC : Amara Saïfi, alias Abderrezak el-Para, et Abdelhamid Abou Zeid. Un troisième larron, Mokhtar Belmokhtar, s’invite dans cet agenda. Comment sait-on tout cela ? Une patrouille de l’armée algérienne tombe, par hasard, sur la planque d’Imad Alwan. Le Yéménite est tué mais la documentation qu’il laisse est édifiante. Elle dévoile son parcours africain, les personnes qu’il a rencontrées et le projet sahélien de Ben Laden. La disparition d’Alwan ne met pas fin au processus de salafisation du Sahel. En compagnie d’une quarantaine d’hommes, el-Para et Abou Zeid quittent leur maquis dans les Aurès, dans l’est algérien, à destination des frontières maliennes. Mais ils ne partent pas les mains vides. Sur le chemin, ils retiennent en otage une trentaine de touristes occidentaux, principalement allemands. Avec un double objectif : en faire des boucliers humains lors de leur dangereuse expédition vers le Mali et obtenir une rançon pour financer leur implantation au Sahel. La prise d’otages occidentaux au Sahel devient alors une juteuse activité. En quelques années, Aqmi engrange plus de 120 millions d’euros, soit l’équivalent du budget annuel des armées malienne et nigérienne réunies. L’argent ne sera pas le seul argument pour rendre convaincant le discours intégriste.
RADICALISATION DES PEULS, SONINKÉS ET BAMBARAS Touaregs et Arabes étaient prédisposés à l’écoute de cette version ultra-conservatrice de l’islam. Les autres communautés du nord du Mali, beaucoup moins. Elles finissent par devenir réceptives aux prêches improvisés des groupes djihadistes en zone rurale et lors d’opérations de brève occupation de centres urbains dans les villes et villages du Sahel. La cause tient autant à un État défaillant, incapable d’assurer ses missions de service public, qu’à la corruption de ses représentants locaux. Mal payés ou pas payés du tout, les fonctionnaires multiplient les taxes locales, rançonnent commerçants, éleveurs et agriculteurs. La brutalité des « porteurs d’uniformes » multipliant les bavures, finit par salir durablement la perception d’un État « vu au mieux comme illusoire, au pire comme prédateur et répressif », écrit Aurélie Campana, professeure en sciences politiques à l’université canadienne de Laval. Outre un État dysfonctionnel et gangréné par la corruption, les conflits inter et intracommunautaires transforment le discours djihadiste en recours pour les frustrés de toutes les communautés. Héritage 46
d’une Histoire complexe, conséquence d’une géographie hostile, les contentieux se transforment rapidement en conflits meurtriers. Nomades contre sédentaires, éleveurs contre agriculteurs, Peuls contre Dogons, Soninkés contre Bambaras. À défaut d’armes létales, on se tourne vers celui qui en dispose : les groupes djihadistes font office de conciliateurs entre les protagonistes, protègent celui qui se laisse pousser la barbe, rétrécit son pantalon, porte une calotte et impose le voile intégral à ses épouses et à ses filles. Les conflits à l’intérieur des communautés sont également du pain bénit pour les djihadistes. Les castes inférieures se rebellent contre la chefferie traditionnelle et l’aristocratie locale. Les frustrés de toutes les communautés ont désormais un recours : l’islam que prônent les « étrangers » est égalitaire. Conséquence : qu’il s’agisse d’Ansar Dine, d’Aqmi, ou d’Al-Mourabitoune, toutes les organisations djihadistes opérant au Sahel comptent désormais dans leurs effectifs Peuls, Soninkés, Bambaras, Dioulas, Maures ou Touaregs.
L’AFFAIBLISSEMENT DE L’ÉTAT En mars 2012, un putsch militaire accélère le processus de délitement de l’État malien. L’armée n’est plus en mesure de tenir face à un ennemi équipé et motivé. Alliés objectifs, indépendantistes et islamistes chassent les pouvoirs publics de Gao, Kidal et Tombouctou puis marchent sur Bamako. Longtemps confiné au nord, le Front s’élargit au centre du pays. Livrées à elles-mêmes, les populations de ces régions sont alors victimes d’une violence à visage multiple : terrorisme, brigandage (vols de bétail, coupeurs de routes) et vendettas entre nomades et sédentaires. Un autre phénomène complique la situation sécuritaire. Face à la modicité des moyens de son armée, le gouvernement encourage la formation de milices d’autodéfense. Celles-ci s’avèrent incontrôlables et deviennent des groupes de mercenaires au profit de leur communauté. Enfin, la résolution de la crise malienne prévoit des processus de Démobilisation, Désarmement et Réintégration (DDR). Autant de promesses de manne financière ou de recrutement pour les opportunistes de tous bords. L’intervention de la France, en janvier 2013, à travers l’opération Serval, stoppe l’avancée des islamistes. Serval puis Barkhane (dispositif militaire français mis en place en 2014) portent de rudes coups aux djihadistes. Ils se déconcentrent, se retirent des centres urbains pour les zones rurales où ils se réorganisent. De son côté, le président Ibrahim Boubacar Keïta tente avec volontarisme de restaurer l’autorité de l’État. Mais le retour de l’armée malienne dans les localités du nord s’accompagne de bavures, de racket des populations nomades ou sédentaires, peules ou touarègues. Ces dépassements servent d’argument de recrutement pour les djihadistes, qui n’ont aucun mal à trouver des candidats pour leurs attaques suicides. AFRIQUE MAGAZINE
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CHRISTOPHE PETIT TESSON/POOL/REA
Les armées doivent surveiller et sécuriser un territoire de plus de 5 millions de km2.
Mission de militaires français dans la région de Gao. Forte d’environ 4 000 hommes, l’opération Barkhane est amenée à « se poursuivre » et à être renforcée, selon le président Emmanuel Macron. AFRIQUE MAGAZINE
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ENQUÊTE SAHEL, UNE GUERRE DE CENT ANS
Le cas Burkina Depuis 2016, Ouagadougou a été secouée par trois attaques terroristes de grande envergure faisant une cinquantaine de morts, dont 22 étrangers. Cette flambée de violence intervient deux ans après une révolution qui a chassé, en octobre 2014, Blaise Compaoré du pouvoir. La diplomatie de l’ancien président se caractérisait par une gestion ultra-prudente des conflits qui minaient la région ou le continent. Sa stratégie ? Avoir deux fers au feu dans chaque crise. Ménager la chèvre et le chou, le gouvernant et l’opposant, le militaire et le rebelle. Cela agaçait ses pairs africains mais ils en ont fait le médiateur le plus sollicité de la Cédéao ou de l’UA. L’autre botte secrète de Compaoré ? Certains de ses collaborateurs burkinabè ou étrangers (le Mauritanien Moustapha Chafi et le Nigérien Mohamed Akotey) lui ont permis d’obtenir la libération d’otages occidentaux contre paiement de rançons à leurs ravisseurs islamistes. Les liens qu’entretenait Blaise Compaoré avec les Touaregs, qui avaient table ouverte dans les palaces ouagalais et dans le quartier cossu de Ouaga 2 000, ont longtemps épargné son pays des attaques. Le communiqué de revendication de l’attentat du 2 mars 2018 jette plus de trouble. Le NIM y déplore que l’actuel gouvernement fasse moins preuve de « neutralité dans le conflit qui oppose les moudjahidines à la France et à
LES AUTRES ACTEURS RÉGIONAUX SNOBENT LA FORCE CONJOINTE G5
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uissance régionale incontournable, son armée, classée à la deuxième position en Afrique, disposant d’une indéniable expérience dans la lutte antiterroriste, l’Algérie refuse d’engager ses troupes dans les opérations de maintien de la paix au Mali. Pourquoi ? Les officiels algériens répètent inlassablement la même réponse : « Notre Constitution interdit à nos unités combattantes toute intervention militaire en dehors des frontières du pays. C’est notre doctrine. » Réputée pour son hostilité aux interventions non régionales, Alger est persuadée que la mise en place de la FC G5 est une idée de la France pour torpiller l’initiative africaine du processus de Nouakchott, regroupant onze pays Ouestafricains et maghrébins. La Cédéao, organisation régionale dont trois membres font partie du G5, s’estime, elle aussi, flouée par Paris qui aurait manœuvré pour l’écarter du processus de résolution de la crise au Sahel. Les acteurs régionaux ne sont pas les seuls à snober la FC G5. Au niveau continental, l’Union africaine n’a pas déploré la création de ce nouveau dispositif militaire au Sahel mais elle ne l’a à aucun moment cautionné. ■ C.O.
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ses valets dans la région » que son prédécesseur. Mais évoquer une complicité d’anciens barons du régime précédent ou une volonté de remettre Blaise Compaoré au pouvoir par le biais des attaques terroristes relève du fantasme. La violence qui secoue le Burkina n’est pas uniquement un débordement de la crise malienne. Elle est le résultat d’une désorganisation de son armée, de ses services de renseignement et d’autres causes endogènes. Ouaga est loin d’être le théâtre le plus meurtrier des assauts islamistes qui endeuillent le Burkina (plus de 150 morts dont une cinquantaine de membres des forces de l’ordre). Les deux tiers de ces victimes ont été tuées par une organisation djihadiste locale : Ansarul Islam, les partisans de l’islam. Créée en 2016 par Boureima Dicko, alias Malam Ibrahim, originaire du Sahel burkinabè. Son premier « haut fait d’armes » ? L’attaque menée, le 16 décembre 2016, à Nassoumbou, provoquant la mort de 12 soldats burkinabè. En juin 2017, l’opération Bayard, menée conjointement par l’armée burkinabè et le dispositif Barkhane, porte un rude coup à Ansarul Islam, avec l’élimination de nombreux djihadistes. Depuis, Ibrahim Malam Dicko n’a plus donné signe de vie. Mais les capacités de nuisance d’Ansarul Islam semblent être intactes.
DIVERSITÉ RELIGIEUSE Contrairement au Mali et au Niger, musulmans à plus de 90 %, la population du Burkina baigne depuis l’indépendance du pays dans un contexte multiconfessionnel apaisé. Si les musulmans sont majoritaires (près de 60 %), ils constituent une minorité politique dans la mesure où le pouvoir est entre les mains des chrétiens (25 % répartis approximativement entre 20 % de catholiques et 5 % de protestants). Les 15 % restants sont formés par les animistes. Héritage du passé colonial, la prédominance politique des chrétiens tient aux choix de l’administration française et de l’église catholique ayant privilégié, par l’accès à l’école, les autochtones s’étant convertis au christianisme au détriment des « autres communautés indigènes ». Résultat : à l’indépendance du pays, en 1960, l’élite est exclusivement de confession chrétienne et dans un pacte non écrit, les Burkinabè s’accordent pour que les catholiques aient la haute main sur le pouvoir politique, les musulmans héritant du commerce et du pouvoir coutumier. Au fil des années, la majorité démographique accède à l’école franco-arabe, mêlant enseignement classique et coranique. Une élite se forme et commence à dénoncer son statut de minorité politique. Au milieu des années 90, un mouvement baptisé sunnite, financé par les pays du Golfe, prône une idéologie wahhabite (islam rigoriste au pouvoir dans plusieurs pétromonarchies du Golfe) et dénonce les pratiques soufies, marqueurs de l’islam ancestral au Burkina. Ce discours excommunie les « mauvais musulmans » et crée les premiers clivages au sein de la communauté. Les comportements changent, AFRIQUE MAGAZINE
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2 mars 2018. Des hommes lourdement armés attaquent l’ambassade de France et l’Institut français de Ouagadougou, protégé ici par les forces burkinabè.
les habitudes vestimentaires évoluent. Les chrétiens, à leur tour, vivent des mutations avec une inquiétante montée de l’intégrisme. Les nouveaux évangélistes refusent le dialogue interreligieux en accusant l’islam de tous les maux. À la Dawa salafiste répond le prosélytisme des nouvelles églises évangélistes qui multiplient les tentatives de conversion de musulmans. C’est sur ces crispations qu’intervient l’apparition du phénomène djihadiste qui provoque des violences verbales contre les musulmans. Au Burkina comme dans les autres pays du Sahel, la seule réponse militaire qu’incarne désormais la FC G5 ne saurait être suffisante sans un volet politique. Une force qui, avant de voir le jour, est déjà fragile.
AHMED OUOBA/AFP
L’impasse militaire ?
Avant même sa mise en place, la FC G5 part avec de lourds handicaps. Les cinq pays qui constituent le nouvel ensemble régional sont parmi les plus pauvres de la planète. Ils trustent les dernières places dans le classement de l’indice de développement humain (IDH). À titre d’illustration, le projet de budget pour le lancement de cette force s’établit à 423 millions d’euros. Ce montant correspond au budget Défense des cinq pays réunis. Si, par miracle, les promesses d’engagements financiers sont respectées, qu’en sera-t-il pour les années suivantes ? Les États membres auront-ils l’aptitude d’absorber une telle somme et la soustraire au système de corruption qui caractérise leurs gouvernants ? Autre handicap : l’état des institutions militaires de ces pays. L’armée malienne, jadis l’une plus disciplinées du continent, n’existe plus que sur le papier. Celle du Burkina ne s’est toujours pas remise de la chute de Blaise Compaoré. Ses services de renseignement, redoutables d’efficacité, se sont avérés fragiles car reposant sur ses hommes et leur réseau plutôt que sur AFRIQUE MAGAZINE
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une institution. L’armée nigérienne entretient des relations exécrables avec le pouvoir politique qui se méfie de son passé putschiste. L’armée mauritanienne est loin d’être « un foudre de guerre ». Quant à l’armée tchadienne, la combativité de ses soldats s’est nettement altérée par la multiplication des sollicitations. Les effectifs des armées du G5 ne sont pas extensibles à souhait. Un casque bleu sur trois de la Minusma vient du Burkina, du Niger ou du Tchad. Par ailleurs, Niamey et N’Djaména participent avec 2 000 soldats chacune à la Force multinationale mixte (FMM), autre dispositif militaire régional regroupant, depuis 2012, les armées du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad. Son objectif ? Lutter contre Boko Haram autour du lac Tchad. Présentée comme la « grande sœur » de la FC G5, la FMM s’appuie sur les moyens financiers d’un État membre, le Nigeria, alors que la FC G5 est contrainte de faire le tour des bailleurs de fonds. La FMM a la réputation d’être une initiative régionale alors que la FC G5 est soupçonnée d’être une « création » de la France, pressée de voir ses soldats quitter le bourbier malien. Cependant, la plus grande dissemblance entre FMM et FC G5 est ailleurs. La première poursuit un seul ennemi, Boko Haram, dans un champ de bataille de quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés avec un effectif de 10 000 soldats, alors que la seconde a pour vocation de combattre la menace djihadiste qu’incarne une vingtaine d’organisations terroristes, de lutter contre la criminalité transfrontalière et d’éliminer les réseaux de trafic humain, le tout avec 5 000 militaires pour un théâtre des opérations de 5 millions de kilomètres carrés (soit la présence d’un soldat dans 1 000 kilomètres carrés de désert) où l’hostilité du climat et la configuration du terrain usent les hommes et le matériel. Voilà pourquoi la FC G5 s’apprête à entamer une guerre de cent ans sans avoir les moyens pour durer aussi longtemps. ■ 49
LE DOCUMENT présenté par Hedi Dahmani
Tripoli inside Deux journalistes français, Maryline Dumas et Mathieu Galtier, se sont installés en Libye en 2012 pour « couvrir » la post-révolution, les espoirs immenses, les fractures et les divisions, l’impossible reconstruction. Une opportunité aussi de raconter le quotidien extraordinaire de l’après-Kadhafi, entre joies et tourments, coupures d’électricité et petits restaurants sur la plage. Extraits.
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jours tranquilles à tripoli, Maryline Dumas et Mathieu Galtier, préface de Nicolas Hénin, Riveneuve,220 p., 15 €.
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uin 2012. À la veille des premières élections libres, sept mois après la fin de la révolution, Maryline Dumas, qui collabore régulièrement à AM, et Mathieu Galtier débarquent à Tripoli. Après une année passée au Soudan voisin, ces deux journalistes indépendants se choisissent la Libye comme terrain d’investigation. Comment le peuple va-t-il reconstruire son pays ? « L’avenir ne peut être qu’aux lendemains qui chantent », pensent-ils alors. De cette immersion quotidienne, les deux confrères tireront au fil des mois et aux quatre coins du pays nombre d’articles et reportages pour la presse internationale ainsi que, aujourd’hui, un recueil de chroniques. Si l’actualité ne retient que les faits marquants, souvent dramatiques, Jours tranquilles à Tripoli a le mérite de raconter aussi les événements en apparence anecdotiques mais qui donnent, page après page, à mieux comprendre la complexité, parfois les ambiguïtés, de l’âme d’un pays. Coupures d’électricité, alcool (officiellement) interdit, drague dans la rue, accès à Internet… Les auteurs narrent avec une certaine empathie la manière dont chaque Libyen tente de contourner les règles tacites ou de s’affranchir des aléas journaliers. Parfois amusants, ces brefs récits contrastent avec ceux qui évoquent le terrorisme, la prison ou le sort fait aux migrants… Désormais installé à Tunis, le duo continue de retourner en Libye pour «couvrir». Tout en avouant un véritable coup de foudre. « Un jour, nous rêvons de faire venir nos amis, nos familles pour leur montrer les beautés de ce pays immense », écrivent-ils à la dernière page. ■
Extraits
Bagnoles, drague et Céline Dion « Viens, on va à Gargaresh ! » Si un Tripolitain vous fait cette proposition, acceptez et vivez une expérience sociologique unique. En Libye, le jeudi soir est l’équivalent du vendredi soir en Europe. Dès 15 h, les queues dans les stations d’essence s’allongent pour faire le plein et surtout pour faire reluire la carrosserie et faire étinceler les jantes. La voiture et les Libyens, c’est fusionnel. En l’absence de police routière (oui, ok, l’absence de police tout court), l’appel de l’asphalte est irrésistible. Vous imaginez des courses sauvages en pleine ville, façon Fast and Furious * ? Pas du tout. L’ambiance est plutôt celle de l’autoroute du Soleil pendant le chassé-croisé estival. Cela peut prendre toute la soirée de parcourir aller/retour les 10 km de la route de Gargaresh, à l’ouest de Tripoli, où sont installés les magasins et les cafés les plus hype de la capitale. Une fois la voiture toilettée, il s’agit de se procurer un nousse-nousse, mi-café mi-lait fouetté. Les plus rebelles auront pris soin de remplir plusieurs petites bouteilles d’eau d’un contenu transparent comme le H2O, mais au degré d’alcool à deux chiffres… La musique est à l’avenant : rap local, US, Céline Dion, Khaled – la chanson C’est la vie étant un des hits du moment –, musique traditionnelle, techno, etc. Il est amusant d’entendre les mélopées de la diva canadienne se mêler au beat de 50 Cent lorsque deux voitures arrivent au même niveau, toutes vitres ouvertes, bien que la clim soit elle aussi à fond – à moins de 10 centimes d’euro le litre, l’écologie ? « Ma fich mouchkila (pas de problème). » Les fenêtres ouvertes, c’est indispensable pour le fil rouge de la soirée : mater les filles. Les boutiques ferment très tard à Tripoli, surtout le jeudi soir. Les jeunes filles ont l’habitude de sortir en bande, accompagnées (ou non) de chaperons. Dans la voiture, les remarques plus ou moins de bons goûts fusent, AFRIQUE MAGAZINE
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mais la pratique n’est pas aussi anodine. Dans une société où les relations amoureuses sont très encadrées, ces sorties peuvent constituer une première étape pouvant déboucher sur un mariage. Deux techniques d’approche sont possibles : la vieille école et la 2.0. Dans le premier cas, si le jeune homme a flashé sur une fille, il peut écrire son numéro de téléphone en gros sur une feuille de papier qu’il exhibe à travers la fenêtre ouverte. À une moyenne de 5 km/h, la future dulcinée a toutes les chances de mémoriser les 10 chiffres… Les plus modernes dégainent leur téléphone et vérifient la connexion Bluetooth. Un réseau est ouvert, le message est aussitôt envoyé : « C’est toi la princesse avec le voile satiné qui sort de Mango ? » Ça marche vraiment ? « Non. Ta femme, tu vas plutôt la rencontrer parce qu’elle habite ton quartier, à l’université ou parce que c’est ta mère qui va te la présenter, m’explique Hatem. En fait, ça ne débouche jamais sur rien ces techniques, c’est surtout pour s’amuser. » Tripoli, juin 2013 * L’auteur tient à s’excuser pour cette référence.
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La malédiction du zoo de Tripoli Les hommes ne sont pas les seuls à vivre le changement brutal de régime, les animaux du zoo de Tripoli aussi. L’édifice, situé à quelques centaines de mètres de Bab al-Aziziya, le QG de Kadhafi, n’a pas subi de dommages durant la révolution. Une roquette est bien tombée dans le hangar des hippopotames, mais elle n’a pas explosé. Aucune bête n’est morte du fait des combats, mais elles n’ont pas été correctement nourries pendant des mois. Aujourd’hui, l’État
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LE DOCUMENT ***
La mystérieuse église de Hay Andalous prend en charge les quelque 2 500 dollars (1 992 euros) nécessaires à l’alimentation, mais c’est à peu près tout. Le zoo était fermé depuis 2009 pour rénovation. « 70 % des travaux sont finis mais les sociétés ne sont pas revenues pour achever le travail », se désole Tayseer Rushdy, en charge de la communication du site. Pire, depuis la fin de la révolution, les ONG internationales ont arrêté de fournir leur aide. Les vétérinaires sont à court de médicaments. Un puma, le pelage souillé, souffre de dysenterie et se meurt sous l’œil de Mohamed Abouzza, l’un des médecins animaliers : « Je n’ai même pas de quoi atténuer ses souffrances. » Une commission doit se prononcer pour savoir quelle administration est responsable du zoo. En attendant, les bébés gazelles meurent de chaleur à cause de l’absence d’abris, les hiboux ne peuvent déployer leurs ailes dans leur cage trop petite… Quelques animaux, pourtant, font l’objet d’une attention particulière : ceux de la famille Kadhafi. Les lions blancs de Saïf el-Islam, le tigron de Saïf el-Arab, les chamelles du Roi des rois d’Afrique – il était friand de leur lait – ne sont pas à plaindre. En octobre 2011, deux lions sont nés, dont l’un a été nommé Barack en hommage au président américain. Tayseer Rushdy espère rouvrir le zoo dans l’année à venir. Tripoli, juin 2012 Mise à jour : Cinq ans plus tard, le zoo n’a toujours pas rouvert. Ses bureaux administratifs ont même été utilisés pour enregistrer les migrants clandestins arrêtés à Tripoli. Certains médias affirmeront que des cages ont servi de prisons pour ces hommes : une affirmation fausse, mais qui contribuera encore un peu plus à la légende noire du zoo.
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Rien ne la distingue des autres villas de la rue, ni même du quartier d’Andalous, à l’ouest de Tripoli. Derrière les hauts murs, on devine un jardin. Les murs beiges ne disent rien de ce qui se trame à l’intérieur. Trouver le lieu est compliqué : il n’existe pas de numéro de rue à Tripoli, ni ailleurs en Libye, et les rues ne portent pas toutes des noms. En général, pour se repérer, les Tripolitains s’aident des magasins, des stations-service, des mosquées, etc. Là, il n’y a rien, si ce n’est de grandes maisons. Les voisins ne savent pas, ou plutôt refusent d’indiquer laquelle des villas est la « Kanissa », l’église. Non pas parce que c’est une église : les Libyens n’ont pas de problème avec les chrétiens. La médina accueille deux églises à l’architecture bien reconnaissable : une protestante et une orthodoxe. Les catholiques ont également leur édifice, en ville, surmonté de la croix. Même si ces maisons de Dieu sont parfois la cible de vols et de vandalisme, il est possible pour les croyants étrangers de prier Jésus en toute tranquillité. Mais celle-là est différente, justement parce qu’elle se fond dans le paysage. Il s’agit de l’église évangélique. Pour les Libyens, cette différence les intéresse autant que les subtilités doctrinales entre l’école malikite et chaféite pour un non-musulman. Ce qui les dérange, c’est que cette église soit fréquentée par des Noirs exclusivement. Elle est, en effet, le point de ralliement des évangélistes d’Afrique subsaharienne. On y croise des membres d’ambassades comme des journaliers-migrants. Ici, les croyants n’hésitent pas à entrer en transe durant les prêches. C’est aussi un excellent lieu de rendez-vous, avec la complicité des pasteurs, pour ceux qui veulent parler à des journalistes en toute discrétion. C’est là que je rencontre des dissidents soudanais. Originaires des Monts Nouba, dans AFRIQUE MAGAZINE
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à nous. Si ce n’est au moment du départ, pour me glisser : « Quand vous irez en France, vous pourrez nous rapporter des Bibles * ? » Tripoli, novembre 2012 * Apporter des ouvrages religieux autres que le Coran est passible de la peine de mort en Libye. Leptis Magna, Beni Welid… Les chroniques de Maryline Dumas et Mathieu Galtier ne se cantonnent pas à la seule ville de Tripoli.
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La course à l’électricité
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le sud du pays, ils s’opposent à la dictature d’Omar el-Béchir. Réfugiés en Libye, ils se disent, depuis la révolution, persécutés par la police libyenne. « Les gouvernements d’après révolution ont autorisé les milices à arrêter tous les opposants soudanais pour nous rapatrier à Khartoum », expliquent, en substance, mes interlocuteurs. Omar el-Béchir a soutenu la révolution de 2011 car Kadhafi était un solide appui aux rebelles du Darfour. Il a même été accueilli à Tripoli en janvier 2012. Depuis la révolution, on soupçonne Omar el-Béchir d’utiliser le sud libyen, hors de contrôle de Tripoli, pour mieux réprimer les opposants darfouris. La discussion dure longtemps sur toutes ces questions géostratégiques dans le bureau des pasteurs, qui vont et viennent sans vraiment prêter attention
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Vous êtes chez vous et vlan ! coupure d’électricité. Que faites-vous ? J’imagine que le premier réflexe est d’aller au tableau électrique vérifier les plombs. Pas en Libye. Ici, à part un soupir, un haussement d’épaules ou un juron – qui peut échapper à toute personne bien éduquée –, aucun geste ne suivra. À Tripoli, les coupures ont lieu quotidiennement pendant plusieurs heures, la faute aux infrastructures énergétiques vieillissantes et à une surconsommation – personne ne paye les factures d’électricité alors pourquoi mettre la climatisation à 25 °C quand on peut la mettre à 16 ? (Personnellement je répondrais pour éviter un rhume, mais l’argument ne fonctionne pas auprès des Libyens avec qui je l’ai tenté). Généralement, sur trois jours d’affilée, nous avons droit à une coupure le matin, puis l’aprèsmidi du lendemain et enfin coupure le soir du surlendemain. Et on recommence. Ça, c’est quand tout va bien. Parce qu’une coupure qui dure 7 ou 8 heures, on ne sait plus trop si elle est du matin, de l’après-midi ou du soir… Pour la vie quotidienne, il faut donc s’équiper de quelques objets indispensables : lampes torches, bougies et batteries externes. C’est aussi une question d’organisation. Il faut profiter des moments avec électricité pour brancher tous les appareils. Dans notre appartement, l’eau arrive à nos robinets grâce à une pompe électrique, donc pas moyen de se doucher sans courant. 53
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Alors, lorsque la coupure s’éternise, nous avons mis en place une technique : nous nous couchons en laissant l’interrupteur de la lumière de notre chambre ouvert. Ainsi, lorsque l’électricité revient, que ce soit à minuit ou à 3 heures du matin, nous sommes réveillés. Et à ce moment-là, je peux vous dire qu’on a des réflexes ! Le marathon commence : nous branchons téléphones, ordinateurs, lampes électriques et batteries à toutes les prises et lançons la machine à laver. Il faut aussi faire la vaisselle et se laver les cheveux. Ces scènes – course aux prises électriques, file d’attente devant la salle de bain… –, toutes les familles libyennes les vivent. La coupure d’électricité qui débute quand vous êtes sous la douche, plein de mousse, est également un grand classique. Ce matin, à la conférence de presse hebdomadaire du Premier ministre, un appel aux « mères de famille » a été lancé pour faire attention à la consommation d’électricité. Le Premier ministre Ali Zeidan a bien promis de faciliter l’importation de générateurs, mais cela ne concerne que ceux qui en ont les moyens. Sans solution concrète, le politique adresse ses « plus sincères condoléances aux familles des personnes mortes à cause des coupures d’électricité dans les hôpitaux ». Tripoli, 29 mai 2013 ***
Viande ou poisson ? Voilà une question qui ne se pose pas à Tripoli : c’est poisson, et c’est un carnivore qui vous l’affirme. Les restaurants sur la route de Tajoura, à l’est de Tripoli, sont un incontournable. Avant d’entrer, le client est invité à choisir parmi la pêche du jour, étalée sur des présentoirs garnis de glace. Dorades, calamars, crevettes sont quotidiens, mais vous 54
pouvez aussi vous sustenter de thon rouge, de crabes, voire d’araignées de mer quand la pêche a été fructueuse. Et on dit merci Kadhafi. En 2005, la Jamahryiah décide de créer une zone exclusive de pêche qui empiète de 60 milles marins (111 km) dans les eaux internationales. Ordre est donné aux garde-côtes de tirer à vue sur les pêcheurs étrangers, hormis les Égyptiens qui bénéficiaient d’une autorisation spéciale. Résultat, la vie aquatique est l’une des plus denses et l’une des plus diversifiées de la Méditerranée. Après avoir choisi votre mets, le cuisinier vous demandera la cuisson. Conseil : choisir le grill, qui fait ressortir le goût de la chair. Pour les calamars, préférez la friture, moins diététique certes. Si vous êtes une femme ou accompagné d’une femme, montez à l’étage réservé aux familles pour profiter de la vue sur la grande bleue. Seul bémol, nous sommes en Libye, alors oubliez le verre de vin blanc et évitez le jus de raisin servi par des serveurs en costume dans des verres à pied. Cela fait illusion pour la photo, pas au niveau des papilles. Pour les plus aventureux et les cuisiniers amateurs, le must est de faire les emplettes au marché aux poissons. Lever à 5 h de rigueur. Ici, le choix est encore plus grand que dans les restaurants : requins, espadons, rougets… À côté, les étals de boucheries moyennement réfrigérés, où les mouches sont plus nombreuses que les clients, ne font pas le poids. Montrer la tête de l’animal dans la devanture de la boucherie pour garantir la fraîcheur de la viande n’est pas forcément la meilleure des publicités, surtout si des insectes s’engouffrent dans la gueule. Enfin, les bouchers libyens ne savent pas couper la viande. Impossible de trouver un vrai bon morceau de viande tendre sans résidus. Donc, poisson. Tripoli, novembre 2015 ■ AFRIQUE MAGAZINE
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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N
Côte d’Ivoire
KAMBOU SIA
VIVE LA DÉMOCRATIE ! Installation du Sénat, élections locales, mise en place d’institutions sur la transparence, le pays cherche à promouvoir un véritable pluralisme.
D O S S I E R D I R I G É PA R Z YA D L I M A M - AV E C E M M A N U E L L E P O N T I É E T O U A K A LT I O O U AT TA R A
DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire
Sur les chemins de 2020 En filigrane des scrutins de cette année, se profile dans deux ans et demi la mère de toutes les batailles, l’élection présidentielle. L’opportunité pour les citoyens d’avoir le dernier mot. par Zyad Limam, envoyé spécial
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e 10 avril, le président Alassane Ouattara installe officiellement, et certainement avec solennité, le Sénat à Yamoussoukro. Une chambre haute nouvelle dans le paysage, prévue par la Constitution de la « IIIe République » entrée en vigueur le 8 novembre 2016. Au courant de cette même année 2018 auront normalement lieu d’importantes élections locales qui concerneront les mairies et les régions. Ce double processus devrait permettre un renouvellement significatif du personnel politique sur le terrain. Bref, un agenda qui s’annonce riche sur le plan de la compétition politique, sur les rapports de forces entre partis, sur les enseignements que pourront en tirer les États-majors. Il y aura du brainstorming, de « la tempête des cerveaux », car en filigrane de ces consultations se profile déjà la mère de toutes les batailles électorales : la présidentielle de 2020. 2020, ce n’est pas maintenant, c’est même dans deux ans et demi, au mois d’octobre, mais évidemment, tout le monde en parle. Dans les salons, les cercles abidjanais, au coin d’une bonne table, dans les quartiers chics et moins chics, la perspective fait déjà monter la pression. Il y a de l’ambivalence dans l’air. Depuis
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l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011, beaucoup a été accompli. Et si vite, finalement. Il n’y a pas si longtemps, le canon résonnait à Abidjan, le pays était coupé en deux en quasiguerre civile. Huit ans sont passés. La stabilité et la paix sont de retour. Sur le fond, les questions de l’unité ne font plus vraiment débat, et c’est déjà une grande victoire. Les Ivoiriens sont rationnels.
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Le 4 janvier 2018, lors des vœux du nouvel an, à la présidence.
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Personne ne pourra contourner le système. Personne ne gagnera sans convaincre les citoyens qu’il incarne une promesse de progrès et de stabilité. Il faudra « y aller » !
Ils savent que l’unité offre un chemin d’avenir. Et que les divisions peuvent mener à des conflits tragiques. Sur le plan économique, deux décades de recul et de stagnation (1990-2010) ont été inversées. La croissance durable est de retour. La Côte d’Ivoire a repris sa place de leader régional et le discours sur l’émergence n’est pas qu’un argument de communication. Et pourtant, la compétition politique au sommet reste source d’anxiété. Trop d’ambitions, trop d’appétits personnels, trop de divisions encore et de blessures qui ne sont finalement pas si lointaines. Et puis ces incidents de l’année dernière, les mutineries, les caches et les fraternités d’armes… Les choses pourraient mal se passer. Bien sûr, certains se voient président, y pensent depuis des années, et tous les jours depuis. Certains rêvent de revanche historique. D’autres se croient prédestinés. C’est normal dans tout les pays, c’est légitime pour un homme politique. Mais le processus des ambitions doit se jouer dans un cadre démocratique, soutenu par des institutions, qui ont la confiance du citoyen, qui balisent le terrain, qui permettent à la compétition de se jouer normalement. C’est ce que disait Barack Obama alors président des ÉtatsUnis : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes fort. Elle a besoin d’institutions fortes. » Cette institutionnalisation est un vrai défi pour un pays jeune, encore marqué par les blessures du passé comme la Côte d’Ivoire. l’article 35 enterré Un défi auquel le président Alassane Ouattara a voulu répondre avec la mise en place de la IIIe République, adoptée par référendum le 30 octobre 2016. Le nouveau texte élimine les dispositions « confligènes » qui ont poussé le pays dans la crise. Le fameux « article 35 » (sur les conditions d’accession à la candidature présidentielle) a été enterré sans regrets. En Côte d’Ivoire, nul ne peut être exclu en raison de son origine, de sa couleur, de sa religion, de son ethnie ! Le système cherche à asseoir des mécanismes de stabilité durables. Avec en clé de voûte la création d’un poste de vice-président de la République (à l’image de nombreux pays anglophones
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comme le Ghana ou le Nigeria). Le viceprésident est le successeur constitutionnel en cas d’empêchement du numéro un. Il est élu sur un ticket avec le président – « à l’américaine ». Un ticket qui permet évidemment pas mal de souplesse politique à l’heure où les candidatures et les équilibres identitaires et régionaux devront s’exprimer. meilleur équilibre législatif Tout ce qui peut également se révéler dangereusement imprévisible dans une élection présidentielle a été balisé par le texte constitutionnel : le premier tour du scrutin doit avoir lieu le dernier samedi d’octobre de la cinquième année du mandat, le second tour le dernier samedi de novembre. Autre point majeur, même si l’on sait que la réécriture est toujours possible, la confirmation de la limitation des mandats présidentiels. Le président ivoirien reste rééligible une seule fois. Un principe d’alternance régulière au sommet est posé. Enfin, dernière innovation majeure et celle-ci d’actualité, la création d’un Sénat. Objectif : un meilleur équilibre législatif, avec une représentation plus forte de la diversité ivoirienne, des régions, des collectivités locales (voir p. 62). Les deux tiers des membres seront élus au suffrage universel indirect, et un tiers devrait être nommé par le président, ce qui permettra d’affecter à la chambre haute des personnalités de talent et d’expérience. Les élections au suffrage indirect ont eu lieu de 24 mars et la seconde chambre sera officiellement installée par le président Ouattara le 10 avril à Yamoussoukro. Ce qui ajoute une touche symbolique de décentralisation. Avec cette Constitution, se dégagent donc cinq centres majeurs du pouvoir, « cinq grands postes » : présidence, vice-présidence, présidence de l’Assemblée nationale, présidence du Sénat et Premier ministère. Chacun devrait trouver une place au sommet dans une sorte de grand équilibre des ambitions personnelles, sociales et régionales. C’est l’enjeu de cette Constitution et de sa mise en œuvre : installer un cadre institutionnel adaptable, moderne, capable d’absorber les successions, contradictions et AFRIQUE MAGAZINE
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compétitions en préservant l’essentiel : la paix et la stabilité. C’est tout le pari présidentiel. Solder les comptes du passé et maîtriser autant que possible les paramètres du futur, en quelque sorte. Comme tous les textes constitutionnels, et les institutions qu’il installe, celui-ci ne prouvera sa valeur que confronté aux réalités de la vie politique. Et comme on l’a dit, l’ambiance à Abidjan se tend. L’élection présidentielle de 2020, la succession supposée d’Alassane Ouattara aiguisent les appétits. La transformation constitutionnelle et surtout la nomination du fidèle entre les fidèles, du fils politique, Amadou Gon Coulibaly, comme Premier ministre, ont lancé la séquence. Au sein du RDR, certains voudraient proposer leur statut d’héritier alternatif possible. Au sein du PDCI, d’autres estiment que l’échéance de 2020 doit impérativement jouer en leur faveur. En vertu d’un très controversé accord d’alternance entre le président Ouattara et le président Bédié. Tous soulignent l’hypothèse Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale, vice-président du RDR, son ambition, son « impatience » même, selon les initiés, à se hisser au plus haut. Et puis, il y a aussi les nébuleuses de l’opposition, tout particulièrement les nostalgiques du Gbagboïsme, très divisés mais qui espèrent que leur chef historique pourrait être libéré un jour… Et qui contestent activement la représentativité de la composition de la CEI (Commission électorale indépendante), institution clé du processus démocratique. un parti unifié ? Mais ce que l’on ressent assez nettement, au fond, c’est la forte tentation pour les acteurs politiques de revenir aux bons vieux schémas, ceux d’hier, le repli sur les bases régionales, identitaires. La question essentielle, du parti unifié (la fusion du RDR et du PDCI au sein du RHDP, Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix) n’étant finalement acceptée par les AFRIQUE MAGAZINE
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uns et par les autres que s’il s’inscrit en leur faveur. Un parti unifié qui aurait pourtant vraiment du sens. Au-delà des stratégies d’appareils. Et en coupant à travers les fidélités régionales. La réalité du projet, comme le souligne l’un de ses initiateurs, « c’est d’abord de rassembler les compétences qui se retrouvent dans un projet commun, le développement de la Côte d’Ivoire ». Un parti unifié qui serait donc une maison commune pour ceux qui veulent avant tout et au-delà de leurs différences, privilégier le progrès, la croissance, la bonne gouvernance. Le calcul de ceux qui parieraient sur une supposée « fragilité de l’intérieur » serait hasardeux.
Le gouvernement est bien en place, dirigé par un Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, d’abord soucieux de réussir cette mission précise. La conjoncture s’améliore. Le pays bénéficie de la confiance des bailleurs et des investisseurs internationaux, comme le montre la réussite spectaculaire du dernier eurobond émis par l’État : 1,7 milliard d’euros avec deux maturités longues (12 et 30 ans). Quant à Alassane Ouattara, il est président, vraiment, aux commandes, il a de l’expérience, des moyens, soutenu aussi par les grands partenaires extérieurs. Le président est évidemment décidé à imprimer sa marque
Amadou Gon Coulibaly (à d.), Premier ministre, avec son prédécesseur Daniel Kablan Duncan, désormais vice-président, à l’inauguration de l’hôpital Mère-Enfant de Bingerville, le 16 mars.
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sur la suite. Il se laisse encore plusieurs mois avant de fixer son propre cap. Plus de deux ans en politique, c’est long… ADO souligne à ses interlocuteurs que son premier objectif sera avant tout la stabilité du pays. Les stratèges politiques devront surtout tenir compte d’un facteur essentiel. La Côte d’Ivoire change. La forte croissance économique des années ADO a bousculé un paysage identitaire et social longtemps figé. Le pays est jeune, les trois quarts des habitants ont moins de 35 ans. La troisième génération post-indépendance arrive. La très grande majorité des Ivoiriens d’aujourd’hui n’ont pas connu Houphouët, beaucoup n’étaient que des enfants au moment de la fin du Gbagboïsme et de la crise électorale de 2010. Une classe moyenne, encore largement urbaine, émerge progressivement avec la volonté de peser sur les décisions politiques. Une société civile se crée en s’appuyant sur les réseaux sociaux. La mixité des origines bouleversent les schémas. « L’électeur nouveau » est attaché à ses origines, à « son village personnel », mais on devine sans difficultés ses réelles motivations : de l’éducation, de la formation, du travail, un logement accessible, plus de justice sociale… La période qui s’ouvre s’annonce à la fois ambitieuse et difficile. L’étape du « rattrapage » rapide est passée. Ce pays qui pourra être certainement l’une des premières nations réellement émergentes du continent, reste encore fragile. La pauvreté diminue trop lentement. Les défis structurels, à long terme, qui nécessitent une gouvernance de haut niveau, sont encore nombreux : … Il faudra en quelque sorte réconcilier le pays neuf et ambitieux avec le pays précaire et fragile. En 2020, l’élection sera une élection. Personne ne pourra contourner le système. Personne ne gagnera sans convaincre les citoyens qu’il incarne une promesse de progrès et de stabilité. Il faudra y aller. Et les électeurs auront le dernier mot. C’est le processus démocratique, et c’est probablement l’une des évolutions les plus importantes du pays. Son inscription dans la modernité politique. Témoignage aussi, in fine, que les institutions ont joué leurs rôles. ■ 60
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« Le pays a retrouvé ses couleurs ! » La création d’un Parlement bicaméral est intimement liée à la naissance des régions. Une nouvelle chambre qui accompagne une évolution majeure, la décentralisation, comme l’explique le ministre d’État auprès du président de la République, chargé du dialogue politique et des relations avec les institutions. propos recueillis par Emmanuelle Pontié, envoyée spéciale
AM : Des institutions nouvelles ont vu le jour en Côte d’Ivoire. À votre avis, pourquoi maintenant ? Jeannot Ahoussou-Kaoudio : Nous revenons de loin. En 1999, un coup d’État a mis à mal la société de droit qui était en train de se construire. En 2002, il y a eu la rébellion avec toutes ses conséquences. En 2010, nous avons connu une crise postélectorale avec plus de 3 000 morts. Et l’ensemble des instruments juridiques ont été mis à mal. À son arrivée, le président Alassane Ouattara, soutenu ensuite par le RHDP, a estimé qu’il fallait mettre en place les mécanismes capables de faire de la Côte d’Ivoire un État de droit. C’est pourquoi le 8 novembre 2016, une nouvelle Constitution a été promulguée, mettant fin à celle de la IIe République, qui était entachée d’un premier vice rédhibitoire : l’amnistie des auteurs de coups d’État. Ceux-ci étaient condamnés d’un côté et amnistiés par la Constitution de l’autre. Une contradiction à laquelle il fallait mettre fin. Et plus largement, nous devions offrir aux Ivoiriens une Constitution moderne, ouverte. Elle a introduit d’autres nouveautés… Un des changements majeurs, c’est la création de la Chambre des rois. Ces derniers, dans nos sociétés africaines, tiennent une place importante. Ce sont des régulateurs sociaux. La nouvelle Cour des comptes contrôle, conseille, dans le cadre de la bonne gouvernance.
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ISSAM ZEJLY POUR AM
Le Conseil économique et social a intégré l’aspect environnemental. Le président de la République a mis sur pied la Haute Autorité pour la bonne gouvernance. Il a par ailleurs largement expliqué pourquoi il fallait créer un Parlement bicaméral. Cela est lié à la création des régions, qui constituent aujourd’hui des pôles de développement à la base. C’est pour cela que le chef de l’État a souhaité approfondir la décentralisation. Le Sénat sera mis en place le 10 avril. Qu’est-ce que cela va changer ? Nous souhaitons communaliser toute la Côte d’ivoire. Aucun citoyen ne vivra en dehors d’une commune. Le Sénat viendra doper cette évolution. En ce qui concerne les collectivités décentralisées, les lois passeront d’abord par le Sénat avant d’aller à l’Assemblée nationale. Il prend aussi en compte notre diaspora, qui doit apporter sa contribution dans le développement du pays. Nous retrouverons dans la partie des sénateurs nommés, des Ivoiriens de l’étranger. Le président les choisira en fonction de la plus-value qu’ils ont pu acquérir en vivant ailleurs. Un mot sur les élections municipales et régionales. Le mandat des maires échoit
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d’accord. Ces derniers sont sortis le 21 avril. Quand auront-elles lieu ? de leurs partis politiques en prêtant Autour de juillet-août. On attend serment. Ils sont indépendants. Cela ne un fort taux de participation. Car les plaît pas aux partis d’origine. Certes, Ivoiriens ont vu la force des conseillers un arrêt de la Chambre africaine des régionaux. Nous sommes membres droits de l’homme a été rendu à propos de l’AIRF (Association internationale de la CEI. Mais il n’est pas contraignant des régions francophones) et de pour l’État ivoirien. Il s’agit de l’Organisation mondiale des régions. recommandations. Et nous prévoyons Les bailleurs de fonds traitent une refonte de toutes les institutions, directement avec les conseils régionaux. Ils veulent être visibles dans anciennes et récentes, qui les rendra conformes à la nouvelle Constitution. leurs actions au niveau local. Avec La CEI sera concernée. Comme la loi la Banque mondiale, nous avons par sur les partis politiques, qui date de exemple lancé le projet Péjédec, qui 1993 ! Il faut harmoniser tout cela, en créera 35 000 emplois à l’endroit des tenant compte des arguments de la jeunes et des femmes. Et les régions Chambre africaine des droits de sont les interlocuteurs et les maîtres l’homme, car la Côte d’Ivoire est un d’ouvrage. Nous travaillons à asseoir pays sérieux. un développement intégré, en créant Quel est votre sentiment personnel des activités génératrices de revenus. sur l’évolution globale de votre pays ? Quelles sont les prérogatives La Côte d’Ivoire a retrouvé ses de la Haute Autorité pour la bonne couleurs. Les investisseurs viennent, gouvernance? on nous accorde une considération Elle oblige les gestionnaires de internationale, nous fonds publics à déclarer « Nous sommes membres non leur patrimoine. Elle peut souhaitons interpeller, enquêter, saisir le communaliser permanents du Conseil de sécurité des Nations procureur de la République tout le territoire. unies. Aujourd’hui, pour des poursuites. Aucun citoyen on peut circuler librement. La CEI fait l’objet de critiques ne vivra en Il n’y a plus de barrages des partis politiques, qui dehors d’une de police. Le gouvernement réclament le départ de son commune. » travaille à apporter président. Qu’en pensez-vous ? sécurité et paix aux citoyens. La CEI existe depuis 2001. Que manque-t-il encore, selon vous ? De 2001 à 2014, elle a fait l’objet Il faut que les Ivoiriens construisent de 50 amendements ! En 2014, on s’est entre eux la confiance, protègent mis autour d’une table, on a pris en ensemble la paix retrouvée. Ils doivent compte toutes les critiques. Il en est décider qu’il n’y ait plus jamais de sorti une loi. Les partis politiques coup d’État, de rébellion, ni de chef membres de la CEI ont choisi quatre d’État qui s’accroche au pouvoir, et membres qui siègent. Notre alliance que nous puissions vivre une passation des partis au pouvoir en a installé apaisée entre un ancien et un nouveau quatre autres. À l’intérieur de la CEI, président de la République élus. un président a été élu, Youssouf Bakayoko. Dans la loi, il est précisé que En résumé, devenir ce modèle promis à l’humanité, comme le dit notre son mandat est de 6 ans. Tous les hymne national. ■ commissaires de la CEI étaient
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Le nouveau Sénat : équilibres et propositions C’est l’une des réformes majeures de la IIIe République : la création d’un Sénat de 99 membres. Élus aux deux tiers par un collège de grands électeurs, et nommés pour le tiers restant par le président de la République, ses membres prendront leurs quartiers le 10 avril à Yamoussoukro, à la fondation Félix Houphouët-Boigny. par Ouakaltio Ouattara
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évision des conditions d’éligibilité du président de la République notamment en levant la limite d’âge anciennement fixée à 75 ans ; création d’un poste de vice-président, pour assurer la continuité du pouvoir exécutif en cas de vacance au sommet de l’État ; et, autre nouveauté majeure, la création d’un Sénat. Tels sont les trois principaux changements de la Constitution votée à 93,42 % en novembre 2016. Le Sénat, tel que le mentionne cette Constitution, procédera à une seconde lecture du travail des députés et mettra à contribution plusieurs expertises. Cette haute chambre du Parlement assurera la représentation des collectivités territoriales et des Ivoiriens établis hors du pays. Ces derniers devront être reconnus pour leur expertise et compétence dans les domaines politique, administratif, économique, scientifique, culturel, professionnel et social. Pour cette première expérience ivoirienne, les élections du 24 mars concernaient 66 candidats sur 33 listes, constituant ainsi les deux tiers de la chambre haute. Ils ont été choisis par un collège de 7 010 électeurs composés d’élus locaux et de députés. Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) au pouvoir depuis 2011, largement favori, a obtenu 50 sièges contre 16 pour les indépendants. Toutefois, il est bon de noter qu’en dehors de quatre élus indépendants, les 12 autres appartiennent à la mouvance présidentielle et certains d’entre eux se réclament d’ores et déjà élus RHDP. Par exemple, à Yamoussoukro, capitale politique (Centre), la liste RHDP a perdu face à deux élus issus des rangs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et du Rassemblement
des républicains (RDR), les deux partis forts de l’alliance. À Bouaké (Centre), deuxième grande ville, la liste RHDP a perdu face à deux candidats issus du PDCI et dans la région du Béré (Nord), la liste RHDP s’est inclinée face à deux candidats indépendants sortis des rangs du RDR. Le collège électoral est composé de députés, de maires et de présidents de conseil régionaux essentiellement issu de ce groupement politique. Ces élus seront rejoints par 33 autres dont le choix relève du pouvoir discrétionnaire du président de la République. Selon le calendrier fixé pour l’installation des sénateurs prévue au 10 avril, ces derniers devront être nommés après le 5 avril, date du vote prévue pour le président du Sénat, à laquelle ne prendront part que les sénateurs élus. Des anciens à repêcher… Conformément à l’article 87 de la Constitution, la liste des personnes nommées par le président de la République sera composée d’anciens présidents d’institutions et d’anciens Premiers ministres, y compris des membres de l’opposition. À ce jour, la Côte d’Ivoire compte un seul ancien Premier ministre encore « valable ». Il s’agit de Charles Konan Banny (76 ans), ex-président de la défunte Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) et membre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, membre de l’alliance du RHDP au pouvoir). Les relations entre ce dernier, rentré dans les rangs de son parti depuis la fin 2016, et Henri Konan Bédié, se sont améliorées et il pourrait être repêché au Sénat. Nommé à la tête de l’autorité pour la bonne gouvernance en mars 2015, l’ex-Premier ministre Seydou Elimane Diarra (84 ans) en a été débarqué en juillet 2017. Son AFRIQUE MAGAZINE
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état de santé l’empêchant de remplir sa tâche, il n’est pas évident qu’il soit appelé au Sénat. Mamadou Koulibaly (60 ans) reste également le seul en course pour ce qui concerne les anciens présidents de parlement (il fut à la tête de l’Assemblée nationale de 2001 à 2011). Seul bémol, ce dernier, défavorable à la révision de la Constitution en décembre 2016, s’est toujours opposé aussi à la création du Sénat. Il en est de même pour toute l’opposition, qui a multiplié les appels à la suspension des élections pour le Sénat tout en « invitant le gouvernement à la table des discussions ». Autre ancien président d’institution, Niamien N’Goran (69 ans, PDCI), inspecteur d’État de juillet 2011 à juillet 2017. Débarqué dans un contexte de tension entre son parti et le Rassemblement des républicains (RDR, parti au pouvoir), il pourrait être repêché au Sénat. Laurent Dona Fologo (78 ans, PDCI), ex-président du Conseil économique et social (CES), réapparu sur les écrans le 12 mars dernier à la faveur du lancement du forum des Houphouëtiste et favorable à la création d’un parti unifié, ne devrait pas non plus se faire prier pour un fauteuil. À ces derniers, il faudra ajouter un ou des représentants de la diaspora. Seconde chambre La Constitution, faisant obligation au Parlement de se réunir chaque année de plein droit en une session ordinaire le premier jour ouvrable du mois d’avril, indique également en son article 94 que l’ouverture de la session du Sénat a lieu sept jours ouvrables après celle de l’Assemblée AFRIQUE MAGAZINE
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nationale et prend fin sept jours ouvrables avant la clôture de la session de celle-ci. Toutefois, chaque chambre fixe le nombre de jours de séance qu’elle peut tenir au cours de la session ordinaire. L’Assemblée et le Sénat devront ainsi rédiger leur règlement intérieur. De sources proches du Parlement ivoirien, celui des députés est encore en chantier. Les rédacteurs devront ainsi tenir compte de la nouvelle donne. Avant leur entrée en vigueur, le règlement de chaque chambre ainsi que les modifications ultérieures sont soumis au Conseil constitutionnel qui se prononcera sur leur conformité. Tandis que les députés siègent à Abidjan, la capitale économique, les sénateurs, eux, prendront leurs quartiers à Yamoussoukro, à la fondation Félix Houphouët-Boigny. Toutefois, les deux chambres pourront se réunir en cas de convocation du Congrès, à la demande du président de la République, sur les questions économiques. Le Congrès est dirigé par le président de l’Assemblée nationale, assisté du président du Sénat qui en est le vice-président. Selon un député membre de la Commission des affaires générales et institutionnelles (CAGI), les lois sur les collectivités territoriales, la décentralisation et les Ivoiriens de l’extérieur devraient être soumises aux sénateurs en priorité, puis aux députés pour un second niveau de lecture. Le Sénat sera-t-il une force de proposition ? Un nouveau cadre utile de débat? Sa naissance vient en tous les cas renforcer l’ensemble des mécanismes démocratiques peu à peu mis en place en Côte d’Ivoire. ■
En 2012, le bâtiment de la Fondation FHB avait accueilli les députés pendant les travaux de rénovation du siège d’Abidjan.
Les deux chambres pourront se réunir en Congrès, sur les questions économiques, à la demande du président de la République.
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CEI : le nécessaire débat ? C’est l’autorité administrative qui veille à la régularité des scrutins. Composée de tous les partis, la Commission électorale indépendante (CEI) est pourtant sujette à de vives contestations de la part de l’opposition.
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e débat n’est pas nouveau. La Commission électorale indépendante avait même fait l’objet de longues et chaudes discussions avant l’élection présidentielle de 2010. Et l’on pourrait même aller bien avant cette date. Créée en octobre 2001, la Commission électorale indépendante (CEI), dans sa forme actuelle, a connu plusieurs évolutions. Censée être composée par des représentants du gouvernement et des partis politiques, elle a dû, à la faveur de la crise de 2002 à 2010, tenir compte des représentants des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion). La CEI compte désormais 17 membres. Quatre sont issus de la mouvance présidentielle, quatre de l’opposition, trois de la société civile (dont deux des confessions religieuses et un des organisations non gouvernementales et non confessionnelles), quatre au titre des institutions de la République, un avocat et un magistrat. Pour une partie de l’opposition, la présence des représentants des institutions fausse le jeu d’équilibres au sein de la commission centrale. Une autre frange milite plutôt pour le retrait systématique de tous les partis politiques de l’instance électorale, de même que des représentants des institutions de la République. L’opposition dans son ensemble réclame la tête de Youssouf Bakayoko, président de la CEI depuis 2010, en qui elle voit l’incarnation de la crise postélectorale. En novembre 2016, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), saisie d’une plainte pour déséquilibre à la commission, au profit de la mouvance présidentielle, par l’association Actions pour la protection des droits de l’Homme (APDH), a confirmé que la composition de la CEI « viole le droit à l’égalité de tous devant la loi, ainsi que le droit d’avoir un organe électoral national indépendant et impartial, chargé de la gestion des élections, prévues par les articles 10 et 17 de la Charte africaine sur les élections ». Ordonnant ainsi
à l’État de rendre sa loi électorale conforme aux instruments internationaux, dont la Charte africaine sur les élections. Dans un communiqué rendu public le 9 mars dernier, le ministre de la Justice et Garde des sceaux Sansan Kambilé indiquait que le gouvernement avait saisi la CADHP afin d’avoir « des indications plus précises sur la nomenclature de la CEI ». Une saisine restée sans suite à ce jour, selon ledit communiqué. La CEI dans son organisation comprend une commission centrale et des commissions locales (régionales, départementales, communales, sous-préfectorales). Elle est en outre composée de membres permanents et de membres non permanents. Les premiers, au nombre de 17, composent le Bureau de la Commission centrale. Pour conduire des réflexions en vue d’aider à la définition des actions et la prise de résolution, la Commission centrale se dote d’un règlement intérieur et de sous-commissions techniques chargées de domaines spécifiques qui couvrent le champ d’intervention de la CEI. Il s’agit entre autres, pour le cycle électoral en cours, des sous-commissions Affaires juridiques, Éthique et Discipline, Opérations électorales, Liste électorale, etc. Chaque sous-commission est dirigée par un président secondé par un rapporteur. Une organisation pyramidale La Commission centrale peut créer autant de sous-commissions que nécessaire. Ces dernières travaillent sous l’autorité du Bureau, à qui elles transmettent les résultats de leurs travaux. Après analyse, ils sont soumis à l’adoption de la Commission centrale. La CEI compte 577 commissions locales (CEL) dont 31 CEI régionales (CER), 83 CEI départementales (CED), 39 CEI communales (CEC), 424 CEI sous-préfectorales (CESP) et 21 CEI à l’étranger dans les représentations diplomatiques ivoiriennes (CERD). Une pareille organisation lui permet de publier AFRIQUE MAGAZINE
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les résultats à chaque échelle de l’électorat depuis les bureaux de vote où débute la centralisation des scrutins. Deux faits restent tout de même à noter. Le premier se situe au niveau « arithmétique » et le second au niveau du processus participatif et inclusif qui a conduit à la composition de la Commission centrale. Initialement composé de six personnes, le bureau de la CEI est passé à neuf membres avec la création d’un quatrième poste de vice-président pour l’Alliance des forces démocratique (AFD, groupement de l’opposition) dirigé par le Front populaire ivoirien (FPI) et deux autres postes de secrétaires. Une situation qui a conduit le gouvernement à préciser que « d’une CEI caractérisée en 2001, 2004, et 2005 par une prédominance des institutions de la République et des membres du gouvernement […], nous sommes passés à une institution dont la composition respecte les équilibres politiques et techniques, traduisant la normalisation de la vie politique ». De 13 membres et là où l’opposition en réclamait 15, le gouvernement a tranché pour 17. Alors qu’ils s’étaient retirés lors des débats en juin 2014 et que la conférence épiscopale avait fini par revenir à la table des discussions et autorisé ses représentants à prêter serment en août 2014. Mais le 19 mars dernier, les représentants de l’opposition ont décidé de se retirer de la commission. Une manière pour eux d’accentuer la pression sur le gouvernement afin de le contraindre à la discussion pour une recomposition de la commission. un bon équilibre Des élections de 2010 aux dernières élections législatives de décembre 2016, les observateurs nationaux et internationaux se sont accordés pour dire que ces différentes élections « étaient crédibles. Et les quelques violences notées n’étaient pas de nature à entacher la crédibilité des scrutins ». L’on note par ailleurs un bon équilibre au niveau de la représentation des partis politiques avec AFRIQUE MAGAZINE
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quatre personnes pour l’opposition et quatre pour le parti au pouvoir en plus des trois membres de la société civile auxquels il faut ajouter un avocat et un magistrat. Malgré l’annonce du retrait des représentants de l’opposition de la CEI, les concernés continuent de siéger et opposent une fin de non-recevoir à leur parti. À raison d’ailleurs, puisque après après avoir prêté serment, ils ne reçoivent plus d’injonction de leurs mandants (partis politiques et institutions) comme l’a rappelé Ganin N’Goran Bertin, secrétaire adjoint de la CEI et membre de l’opposition. Une logique qui s’applique d’ailleurs à tous les membres de
la commission électorale, y compris les représentants des institutions. L’on peut ainsi déduire que les membres de la CEI sous serment sont des personnalités crédibles et cela devrait pouvoir rejaillir sur l’institution. Toutefois, la Côte d’Ivoire pourrait aller plus loin, en profitant des réserves émises par l’opposition, en essayant de former une instance électorale sans représentant de parti politique. Une CEI qui serait alors composée uniquement de personnalités issues de la société civile dont la probité ne ferait l’objet d’aucun doute. Avec un tel schéma, ni les partis de l’opposition, ni ceux au pouvoir, ni les institutions n’y auront leur mot à dire, et les suspicions de contrôle de la CEI pourraient à ce prix, ne plus exister. ■ O.O.
En 2015, une délégation chinoise, venue apporter son soutien au gouvernement ivoirien en matière de logistique électorale, remettait à Youssouf Bakayoko, président de la CEI, du matériel informatique en vue du scrutin présidentiel.
Les observateurs nationaux et internationaux se sont accordés pour dire que les différentes élections conduites entre 2010 et 2016 étaient crédibles.
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Élections locales: une étape décisive Des élus davantage à l’écoute des citoyens et plus proches de leurs problématiques au quotidien, qui pourront intervenir dans un large panel de domaines : c’est ce qui devrait ressortir des prochains scrutins municipaux et régionaux. par Emmanuelle Pontié
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près les premières élections sénatoriales qui se sont tenues le 24 mars dernier, l’année 2018 verra le renouvellement des mandats des maires et présidents de régions, qui seront échus le 21 avril prochain. Le 24 janvier dernier, la Commission électorale ivoirienne déclarait que les scrutins seraient couplés et le fichier électoral préalablement révisé. À ce jour, la date retenue pour les locales et régionales n’a pas été fixée, même si plusieurs sources avançaient en mars dernier que les municipales et régionales devraient vraisemblablement avoir lieu entre juillet et août 2018. Dans les 197 communes ivoiriennes et les 31 régions assorties de deux districts autonomes à Abidjan et Yamoussoukro, on se prépare déjà sur le terrain. Les candidatures se déclarent peu à peu dans les grandes communes d’Abidjan, et les alliances se font et se défont. Un peu partout, on s’attend à un rajeunissement des candidats. Selon Charles Sanga, maire RHDP de Tafiré depuis avril 2013, une commune rurale de 23 000 habitants située à 150 kilomètres au nord de Bouaké, « un recensement devrait avoir lieu avant le scrutin, qui intégrera les nouveaux majeurs de 18 ans. Le dernier, qui avait eu lieu en 2015, a été boycotté par le FPI, ce qui ne devrait pas être le cas cette fois-ci ». Les municipales de 2018, selon la plupart des observateurs, seront un bon test pour la présidentielle de 2020 et témoigneront entre autres de la solidité du parti unifié, le RHDP, qui présentera cette fois-ci des listes. Tout dépendra du nombre de candidats qui décideront de continuer à rouler pour leur parti d’origine, tournant le dos à l’alliance qui n’existait pas en 2013.
Exemple : Akossi Bendjo, maire PDCI de la commune du Plateau à Abidjan, à moins qu’il ne change de position d’ici là, est opposé au parti unifié et devrait se présenter sous les couleurs du PDCI. Avec face à lui, le communicant Fabrice Sawegnon, candidat déclaré du RHDP. Autre test : le poids du parti d’opposition, le FPI. Selon un bon connaisseur de la vie politique locale : « Le FPI ne pèse plus grand-chose dans le pays, mais a encore quelques fiefs où ses candidats vont se battre pour conserver des communes rurales, du côté de Gagnoa ou Bongouanou. Leur parti conserve quelques assises idéologiques à l’ouest, vers Bangolo, Guiglo, Duékoué, au sud aussi chez les Attiés ou les Abbeys. On peut aussi supposer, après dix ans d’absence de gestion, qu’ils vont tenter de récupérer les communes de Yopougon, Koumassi, Cocody ou Marcory, qu’ils possédaient en 2010. Sans espoir d’y parvenir. Peut-être gagneront-ils quelques sièges dans les conseils municipaux, vu qu’il s’agit d’une élection proportionnelle à un tour. Et ailleurs et pratiquement partout dans le pays, on s’attend à un raz-de-marée du RHDP ». davantage d’autonomie L’autre enjeu du scrutin à venir tourne autour du pari de la décentralisation. Le président Ouattara en a fait une des priorités de son mandat. À la Direction générale de la décentralisation et du développement local (DGDDL), on en est bien conscient. Placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, cette direction joue le rôle de courroie entre l’État et les collectivités, coordonne leurs projets communs, contrôle les transferts de compétence qui concernent à ce jour 16 secteurs, dont notamment AFRIQUE MAGAZINE
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la santé, l’éducation, l’environnement, et détache des fonctionnaires en appui aux collectivités dans une grande diversité de domaines. Les mairies, satisfaites de la volonté nationale de donner davantage d’autonomie aux communes, sont en attente de ses retombées concrètes. Car les besoins sont grands, en matière d’infrastructures sociales, d’adduction d’eau, d’électrification, de soutien à l’emploi, de routes, de moyens de transport… Du côté des conseils régionaux, même son de cloche. Les Ivoiriens ont déjà pu constater que de plus en plus de projets voient le jour via les régions et leurs présidents, le Conseil régional étant devenu l’interlocuteur et le maître d’ouvrage à la place de l’État, dans plusieurs cas concrets. Ces derniers traitent dorénavant directement avec les bailleurs de fonds, qui soutiennent des projets de proximité, y compris dans le domaine de l’environnement. C’est le cas par exemple de AFRIQUE MAGAZINE
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l’Agence française de développement (AFD) qui finance le programme Écoter (Économie des territoires) pour un coût global de 35 millions d’euros, visant le développement économique des territoires ruraux en mettant en avant la gestion durable des forêts. Un nouveau témoignage de transfert de compétences utile, selon la majorité des Ivoiriens. Ils savent, pour la plupart, que leurs élus « locaux » seront davantage au fait de la réalité des attentes des citoyens sur le terrain. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles le taux de participation pour ces prochaines élections pourrait être assez élevé, en zones rurales comme urbaines. La récente création du Sénat, enfin, devra renforcer encore la décentralisation, puisque les lois concernant les collectivités décentralisées passeront, selon le nouveau système bicaméral de la Côte d’Ivoire, par le Sénat d’abord avant d’être soumises à l’Assemblée nationale. ■
31 régions, 197 communes et deux districts autonomes Abidjan (photo) et Yamoussoukro. Dans la capitale économique, les candidatures se déclarent déjà.
Les conseils régionaux verront leurs prérogatives renforcées, témoignant de la réalité de la décentralisation.
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Robert Beugré Mambé
« Renforcer les infrastructures »
AM : Quel est le rôle du district autonome d’Abidjan ? Robert Beugré Mambé : C’est un espace économique, politique et social qui regroupe la moitié de la population urbaine de Côte d’Ivoire et le tiers de la population nationale. Du point de vue électoral, son poids est d’environ 25 à 30 % du pays. Et du point de vue économique, 80 % de la capacité industrielle du pays est regroupée à la capitale. Le district d’Abidjan possède une superficie de 2 000 km2 pour une population qui varie autour de 5 millions, répartie sur 10 communes intramuros et 3 périphériques. Quel est votre budget et comment est-il réparti ? Il est financé de trois manières. La plus grande partie du budget vient des recettes affectées par l’État et votées dans la loi des finances. Une autre partie est issue de nos revenus propres, à travers la collecte de taxes. Notre troisième source de financement provient des soutiens de l’État dans le cadre d’activités spécifiques. Nous bénéficions à la fois de l’autonomie de gestion d’une entité décentralisée et de l’accompagnement gouvernemental pour les activités propres à une entité déconcentrée. Notre budget pour 2018 est de 36 milliards de francs CFA, mais peut augmenter en cours d’année en fonction des réalités rencontrées sur le terrain. Vous en êtes à votre deuxième mandat. Qu’avez-vous réalisé et quels sont les projets en cours ? Nous avons construit des écoles primaires et des collèges, des ouvrages d’adduction d’eau dans les communes périphériques et certains quartiers. De grands travaux routiers portant sur plus de 102 kilomètres sont en cours, dont beaucoup ont été livrés. Le développement du transport lagunaire avance. Et le grand projet de métro est lancé, qui devrait voir le jour autour de 2021.
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Nous gérons par ailleurs des programmes d’aide aux femmes. Et soutenons aussi les jeunes élites et leurs projets, financés par le district à travers le Prix Alassane Ouattara des jeunes entrepreneurs émergents. Les Abidjanais ont-ils des attentes particulières ? Parmi les problèmes que nous devons résoudre en priorité, on peut citer celui du transport. Il faut renforcer les infrastructures capables de fluidifier les trajets quotidiens des citoyens. L’autre chantier, c’est le logement. Avec un taux de croissance d’environ 4 %, 200 000 personnes supplémentaires par an sont à prendre en charge. La taille des ménages varie entre 5 et 10 personnes. Cela induit des besoins en logements de 20 000 à 30 000 unités par an. Nous devons aussi offrir à la population le maximum d’espaces pour qu’elle puisse évoluer dans un cadre de vie agréable. Notre capitale accueille un tourisme d’affaires de masse. Nous possédons le 2e port à containers du continent sur la côte Atlantique, après Durban en Afrique du Sud. L’aéroport d’Abidjan accueille plus d’une vingtaine de compagnies, et affiche un trafic de plus de 2 millions de passagers par an. Et il y a une volonté politique affichée de faire venir des grandes entreprises pour offrir de nombreux emplois à la jeunesse. Votre avis personnel sur la Côte d’Ivoire aujourd’hui ? Notre pays a connu des taux de croissance qui oscillent entre 8,5 et 9 % depuis 2012. Nous aurons certainement la chance d’accéder à l’émergence d’ici 2020, 2021. Les indicateurs du FMI le montrent. Bien sûr, nous devons poursuivre nos efforts. Et de ce point de vue, beaucoup d’innovations sont en cours sous l’impulsion du chef de l’État, au plan du numérique, de la gestion de la protection civile, du développement humain pour améliorer le fameux indice IDH. ■ propos recueillis par E.P.
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Ministre auprès du président de la République chargé des VIIIe Jeux de la Francophonie, gouverneur du district autonome d’Abidjan.
Aux côtés d’Alassane Ouattara, le président de la Cour des comptes Kanvaly Diomande et les membres de l’instance, le 8 janvier 2018 à Abidjan.
La transparence pour tous
KAMBOU SIA,
Des institutions crédibles, c’est aussi la confiance dans les comptes publics. C’est dans cette optique que le président de la République a procédé à l’installation d’une Cour des comptes, la première du genre dans le pays, et d’une Haute Autorité pour la bonne gouvernance.
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réée par une ordonnance du 20 septembre 2013, la Haute Autorité pour la bonne gouvernance (HABG) fait partie des instruments mis en place par le gouvernement dans son plan national de lutte contre la corruption. Elle vient chapeauter le Secrétariat à la bonne gouvernance créé au lendemain de la crise en 2011. Placée sous l’autorité du président de la République, elle assure depuis lors une mission de prévention contre la corruption et les infractions assimilées, et elle dispose d’une compétence juridictionnelle sur tout le territoire. Depuis sa création, la HABG s’est employée, parmi ses missions, à faire des recommandations sur des mesures d’ordre législatif et réglementaire de prévention de lutte contre la corruption. Tout en contribuant à la moralisation de la vie publique qui reste d’ailleurs un vaste chantier et un défi majeur, elle consolide les principes de bonne gouvernance ainsi que la culture du service public. Présidée à sa création par l’ex-Premier
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ministre Seydou Elimane Diarra, qui bénéficie d’une vraie confiance en Côte d’Ivoire après avoir été Premier ministre à deux reprises (en 1999 avec la junte militaire et en 2003 au plus profond de la crise), elle est, à ce jour présidée par l’ex-médiateur de la République (20122017) N’golo Coulibaly, 73 ans, ex-directeur général de la comptabilité publique et du Trésor (1986-1991) et proche du président Alassane Ouattara depuis 1994. Une institution salutaire dont les missions s’élargissent parfois à des investigations sur les pratiques de la corruption et à l’identification des auteurs présumés et leurs complices pour entreprendre les poursuites. Tout en lui permettant, le cas échéant, de saisir le procureur de la République, le législateur ivoirien a mis à sa disposition tous les arguments pour mener à bien ses missions. Autre institution, mais cette fois initiée par la nouvelle Constitution adoptée par référendum en octobre 2016 : la Cour des comptes. Elle est chargée du contrôle de la gestion des comptes des services de l’État, des 69
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N’golo Coulibaly, le nouveau président de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance, a prêté serment le 10 janvier 2018, au Palais de la présidence de la République.
établissements publics nationaux, des collectivités territoriales, des autorités administratives indépendantes et de n’importe quel organisme bénéficiant d’une aide de l’État ou d’une autre personne morale de droit public et de tout organisme ayant le concours financier des entreprises publiques et de leurs filiales. Elle se charge aussi de vérifier les comptes des membres du gouvernement, des maires, des préfets et surtout du président de la République. En somme, elle est un gage de transparence dans la gouvernance ivoirienne. C’était aussi l’une des promesses de campagne du président Ouattara, estimant que la corruption étant très répandue dans les rouages de la vie ivoirienne, il fallait une institution solide, capable de lutter contre ce fléau. Elle remplace de ce fait la Chambre des comptes de la Cour suprême, dissoute en 1998 et dont étaient également issus la Cour de cassation et le Conseil d’État. La mise en place de cette Cour permet aujourd’hui de se conformer aux dispositions pertinentes du Traité de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Son tout premier 70
président, le professeur Kanvaly Diomandé, 64 ans, a prêté serment le 8 janvier dernier. Ce magistrat hors hiérarchie a été président de la Chambre des comptes de la Cour suprême (2014-2017). Agrégé en Sciences économiques, il a été conseiller spécial (en matière d’économie) du Premier ministre, de février 2006 à juillet 2012. Cette institution clé du dispositif de la bonne gouvernance et de la transparence dans la gestion des affaires publiques, avec l’installation du Sénat, porte à 12 le nombre des institutions de l’État de Côte d’Ivoire. Dans une telle dynamique de séparation des pouvoirs et de leur contrôle, la Côte d’Ivoire peut se vanter d’avoir mis en place les principaux outils lui permettant d’ancrer son cadre démocratique. Pourvu que chaque entité fasse droit de ce « devoir d’ingratitude » vis-à-vis de l’autorité de qui elle détient le pouvoir, tout en allant au bout de ses missions dans une administration où les allégations et les suspicions de corruption vont bon train. C’est à ce prix, pensent les Ivoiriens, que ces institutions joueront pleinement leur rôle. ■ O.O. AFRIQUE MAGAZINE
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Des instances qui se chargent notamment de vérifier les dépenses des membres du gouvernement, des maires, des préfets, du chef de l’État… C’était une des promesses de campagne de ce dernier.
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INTERVIEW
Mahamat Saleh Haroun « Pour trouver sa voie, la culture est la seule arme »
Récompensé à Cannes, Venise et dans d’autres festivals internationaux, en « exil » permanent, il est devenu l’un des grands du 7e art africain. À l’occasion de la sortie de son dernier film, le réalisateur tchadien revient sur son parcours, son œuvre, ses craintes et ses espoirs. par Fouzia Marouf
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STEPHANE REMAEL FOR THE WALL STREET JOURNAL
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INTERVIEW MAHAMAT SALEH HAROUN : « POUR TROUVER SA VOIE, LA CULTURE EST LA SEULE ARME »
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« On représente les comédiens issus du continent à travers des clichés. Or, il est difficile de jouer une caricature. »
n début d’après-midi, sur les hauteurs d’un quartier de Paris. Le bureau de Mahamat Saleh Haroun est baigné de lumière. Deux affiches de ses films fleurissent les murs, parsemés de nombreux livres. Né au Tchad, à Abéché en 1960, le réalisateur vit en France depuis 1982. Il est un des trop rares cinéastes du continent à collectionner les prix et la reconnaissance des cinéphiles. En 2010, alors qu’il n’a que cinq longs-métrages à son actif, le Festival de Cannes couronne Un homme qui crie du Prix du jury et la Mostra de Venise lui décerne le Prix Robert Bresson. Venise avec laquelle « MSH » connaît une véritable liaison amoureuse : Bye-bye Africa, sa première œuvre, y avait obtenu la Mention spéciale du jury (1999) et Darat, saison sèche, le Prix spécial du jury (2006). D’abord journaliste dans une autre vie, chacun de ses films porte les stigmates de la réalité et des bouleversements de son pays. Miracle : après la récompense cannoise et AM : Comment êtes-vous venu les éloges de la presse, les autorités tchaau cinéma ? diennes restaurent en 2011 le cinéma Le Mahamat Saleh Haroun : En voyant mon Normandie à N’Djaména, fermé depuis premier film sur grand écran à l’âge de le milieu des années 80 au plus fort de 9 ans : un film indien, des studios de la guerre civile. Créée en 1949, c’est Bollywood. Je me souviens d’un gros aujourd’hui encore la seule salle ouverte. plan qui m’a profondément marqué : À travers ses œuvres, Mahamat Saleh une très belle actrice fixait la caméra, Haroun parvient à imposer une singuc’était ma Joconde. J’ai dès lors eu larité : chacun de ses films est différent tellement d’amour dans ce regard, ce du suivant. Maîtrisant le documentaire sourire, que j’ai eu envie à mon tour de comme la fiction, il flirte par exemple transmettre ce bonheur et ce cadeau à avec les codes du polar avec Grigris dans d’autres. lequel il n’hésite pas à briser le tabou de Vous avez été journaliste dans la prostitution. Sa personnalité et son une autre vie, parlez-nous de votre cinéma à la fois radical et teinté d’une passage à la réalisation… esthétique hors pair séduisent la proJ’ai d’abord étudié le cinéma, que fession. On le retrouve membre du jury j’ai complété par une école de journaUne saison en France est le huitième au Festival de Cannes aux côtés d’Abbas lisme. Cela m’a beaucoup aidé, notamlong-métrage de Mahamat Saleh Haroun. Kiarostami, en 2011. Et en juin 2012, il ment pour acquérir les outils d’écriture monte au créneau en adressant à Auréet la façon d’aborder des angles méconlie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication nus, ou que personne ne soupçonne, contrairement à ceux qui en France, un appel à sauvegarder le Fonds Sud qui permet s’avèrent être des lieux communs, afin d’aiguiser un regard notamment d’aider à financer des films africains. Aujourd’hui, neuf. J’ai travaillé comme journaliste car je ne voulais pas exeravec Une saison en France, situé à Paris – une première –, Saleh cer un métier déclassé, je pouvais alors vivre de ma plume tout retrace les difficiles destins de migrants. S’il prend le temps en étant proche du 7e art. de répondre à chaque question, il préfère ne pas se prononcer Abbas, le personnage principal d’Une saison en France, incarné sur son expérience d’ancien ministre de la Culture au Tchad, par Eriq Ebouaney, a fui la guerre en Centrafrique et se voit poste qu’il a occupé durant un an et dont il a démissionné en refuser sa demande d’asile politique. Vous avez aussi fui la février dernier. Il nous reste toujours la possibilité d’imaginer guerre au Tchad au début des années 80… Ce récit d’inspiration ses amours déçues avec la sphère politique, ses espoirs et ses autobiographique est-il une forme d’exutoire pour vous ? craintes pour sa terre natale qu’il n’a cessé de rêver, raconter, Oui, absolument. En France, je n’étais pas enseignant révéler à travers son regard de cinéaste engagé. comme Abbas mais simple étudiant, nourri de nombreux rêves
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Fuyant la guerre en Centrafrique, Abbas (Eriq Ebouaney), père de deux enfants, trouve refuge aux portes de Paris.
et plein d’espoir. On m’a refusé l’asile politique en 1983… Et aujourd’hui, la situation des réfugiés s’est aggravée, à l’instar des guerres civiles et du contexte politique difficile et peu enviable en Afrique. Il me fallait apporter un regard neuf sur l’odyssée des migrants, les risques auxquels ils sont confrontés, afin d’éviter l’écueil du côté spectaculaire véhiculé par certains films : montrer le quotidien, les conditions de vie d’un demandeur d’asile, cette souffrance qui ronge les êtres de l’intérieur. Et vous avez choisi Eriq Ebouaney pour donner cette dimension de combativité et de fragilité au héros principal… Il est, selon moi, l’un des grands comédiens d’origine africaine. Eriq n’a pas la carrière qu’il mérite alors qu’il a une présence extraordinaire. J’ai d’ailleurs écrit le scénario en pensant à lui. Après l’avoir lu, il m’a dit qu’on ne lui avait jamais proposé un rôle aussi important, complexe. Aujourd’hui, j’ai fait un long-métrage pour quelqu’un comme moi. Mais aussi pour donner de la visibilité à de acteurs talentueux auxquels la majorité des cinéastes ne fait pas appel ou alors pour des rôles mineurs. Est-ce par ignorance pour les acteurs issus du continent ? On ne les connaît pas. Dès lors, on les représente à travers des clichés, des caricatures, or il est difficile de jouer une caricature. Un comédien ne peut pas être bon en étant uniquement cantonné à une succession de clichés. Ça pose une autre problématique : comment faire carrière lorsqu’on est assigné à ce genre de rôles ? Était-il important pour vous de rappeler la vie passée d’Abbas, homme aisé à Bangui, entouré de sa femme et de ses enfants, AFRIQUE MAGAZINE
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Pour leur première collaboration, le film a mis en lumière une sincère complicité entre Sandrine Bonnaire et le metteur en scène. qui tient à sa dignité au prix de lourds sacrifices ? La dignité est la dernière richesse que les hommes ont pour rester des êtres humains. Ensuite, vient la culture. Elle est l’ultime carapace. Contre laquelle personne ne peut rien. J’ai toujours filmé des gens dignes car c’est ce qui leur insuffle une forme d’humanité quelles que soient les épreuves qu’ils traversent. C’est en quelque sorte le dernier bastion, ils se battent férocement pour ne pas tomber en indignité. Une saison en France est à mes yeux un film positif, qui met justement en lumière cette forme d’exemplarité face à l’adversité. Cette bouffée d’espoir dans la vie de ce réfugié qui incarne également le visage accueillant de la France est portée par 75
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Sandrine Bonnaire, bloc d’énergie solaire et rebelle. Leur couple rappelle une France mixte, faite de diversité. Comment s’est déroulée votre rencontre avec la comédienne ? J’avais envie de travailler avec Sandrine Bonnaire depuis plusieurs années. J’ai pensé à elle très vite, pour incarner le rôle de Carole. C’est une comédienne qui est « cash », elle s’engage totalement dans ce qu’elle fait. Je voulais précisément ce sourire, cette humanité, cette bienveillance. Ce sourire qui représente cette France généreuse, accueillante. Je souhaitais, de plus, rompre avec l’image d’un cinéma dénué de mixité au quotidien. Je vis en France depuis plus de trente ans, j’ai vu un évident métissage éclore, se mettre en place, que je ne retrouve pas forcément dans les films actuels. Le sort des migrants est peu enviable. Votre cinéma est-il aussi garant d’une France plurielle ? Oui. C’est important : si on ne le fait pas, personne ne le fera. Nous sommes les dépositaires d’une mémoire. Ces histoires doivent s’inscrire dans le récit national, c’est un devoir. Elles apportent un autre regard et nous sommes les mieux placés pour parler de ces destins qui appartiennent à ce récit français. Représenter l’intimité de personnages confrontés à l’âpreté est associé à une esthétique hors pair qui signe un genre très affirmé dans vos films. Pourquoi ? Je ne pense pas que la violence puisse uniquement être représentée sous le prisme de la laideur. Je m’attache à montrer des hommes engagés, en colère. J’en reviens à la représentation totalement biaisée de films qui se situent en banlieue, à coups de héros qui hurlent sans cesse. Au contraire, on peut filmer un SDF inscrit dans une révolte où la nature est sublimée, célébrée et non pas hideuse. C’est précisément ce contraste entre la beauté du monde et la violence vécue par certains êtres qui m’intéresse, cette âpreté dont vous parlez. À travers certains de vos précédents films – Un homme qui crie, Daratt saison sèche, Grigris – vous humanisez à l’extrême les personnages en marge. Pourquoi une telle fascination? Je ne sais pas si c’est une fascination pour les petites gens mais ceux qui sont en marge sont majoritaires dans le monde. Ce sont les destins de ces petites mains qui m’interpellent dans leur quotidien car ils se battent pour donner du sens à leur vie. C’est ce que j’ai envie de montrer à travers mes films. De plus, la marge est ce qui impulse le centre, on le voit avec la langue qui accouche de mots, nés de cette marge qui dit ce que ressentent les laissés-pour-compte, exclus du boom économique. C’est à partir de là, qu’il y a une force créative et une marche en avant, on y est plus libre et moins formel : du sang neuf est irrigué vers ce centre incarné par des gens opulents, en place. Des films réalisés de l’autre côté du périphérique comme Divines de Houda Benyamina ou La Haine de Mathieu Kassovitz le démontrent. Cela dit, je ne cherche pas seulement à humaniser mes personnages, mais j’essaie de les intégrer en humanité. Sans regard 76
« On négocie en permanence avec notre nouvelle vie, l’exil étant une souffrance qu’on allège par le biais de la création. » condescendent bien entendu, tout en les inscrivant dans leur intimité. Mon désir est le suivant : comment faire société quand on partage le même espace ? Comment raconter les autres en rappelant qu’on est ensemble, qu’on partage le même destin. La filiation, la passation des aînés vers les plus jeunes se fait dans la douleur, le sang, la mort. Est-ce une métaphore de l’Afrique et de sa jeunesse face à son avenir ? Et aux nouveaux défis du continent ? Je ne sais pas, mais il y a bien plus de réflexion, de matière à raconter des histoires dès lors que les problématiques sont plus aiguës. Évoquer le bonheur est relatif : pour certains, c’est avoir une maison, une femme, un compte en banque bien rempli. Alors que pour d’autres, c’est de manger trois fois par jour. La question c’est : comment faire face à la mort, la tragédie ? Des souffrances que tout être humain peut comprendre, s’il y a égalité entre les êtres humains, c’est finalement face à la mort, la maladie, la perte : face à cela, nous sommes tous démunis. Mon désir est de transmettre ces problèmes existentiels au plus grand nombre. Comment a été accueilli au Tchad votre précédent documentaire Hissein Habré, une tragédie tchadienne ? Il a été bien accueilli, les gens étaient contents. J’ai appris qu’il figurait parmi les 20 meilleurs films de l’année d’après le New York Times. Je ne suis pas un cinéaste politique, je viens d’un endroit où parler de cette histoire est un devoir pour le réalisateur que je suis. Raconter le combat de ces Tchadiens, ces héros du quotidien qui se battaient pour que justice soit rendue, est important. Ce sont des gens qui font aussi l’Histoire. Mon rôle est de rendre compte de leur combat, de documenter. Il s’agissait pour moi de les inscrire dans l’éternité en toute fraternité. Ils avaient besoin de moi pour que je raconte leur histoire. Une réalisatrice espagnole a fait un court-métrage sur ce sujet, diffusé sur les réseaux sociaux avec la voix off de Juliette Binoche qui n’a jamais mis les pieds au Tchad, qui ne connaît rien de la réalité du pays. On a voulu faire de cette histoire un projet artistique alors qu’il s’agit d’une question éminemment politique. Je me devais de parler de cette tragédie. Vous êtes un des rares cinéastes africains à avoir été AFRIQUE MAGAZINE
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Aux côtés d’Asia Argento lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes 2010, où son film, Un homme qui crie a remporté le Prix du jury.
récompensé au Festival de Cannes en 2010, avec le poignant Un homme qui crie, couronné du Prix du jury. Qu’est-ce que cela vous a alors inspiré ? C’était un prix chargé d’une incroyable reconnaissance et, ce qui était aussi très important, tenait au devoir d’exemplarité que ça avait suscité auprès de la jeunesse. J’avais davantage envie de raconter avec exigence l’amour de cette terre tchadienne, donc africaine. La joie témoignée par les Tchadiens m’a beaucoup ému, ils avaient enfin l’impression d’exister. C’était absolument extraordinaire, certains confondaient Cannes et Paris, mais avaient conscience que cette récompense représentait un titre important dans la profession. Je me suis dit qu’une porte était ouverte afin que d’autres poursuivent sur la même voie. Vous aviez une grande amitié avec Idrissa Ouedraogo, grand cinéaste burkinabè récemment disparu il y a peu et primé à Cannes en 1990… Idrissa était le meilleur d’entre nous. Sa disparition laisse un grand vide. Il m’appelait souvent, il avait toujours des idées, des projets. C’était un homme d’une grande générosité. Il nous manque. Vous vivez depuis plusieurs années entre la France et le Tchad. Vous avez dit « j’ai eu une vie d’exilé, la création était en quelque sorte ma maison, la seule maison possible pour disposer d’une sorte de territoire mental »... Oui. Mon équilibre se situe au milieu de ces deux pays. Pour moi, avancer, c’est se mettre en déséquilibre en permanence. (Il se lève et met un pied devant l’autre). À un moment donné, l’exilé habite un territoire mental et la création permet de se souvenir de ce dont on a été séparé, arraché. On reconstruit en créant. On négocie en permanence avec notre AFRIQUE MAGAZINE
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nouvelle vie, l’exil étant une souffrance qu’on allège par le biais de la création. Si Picasso n’avait pas vécu en France, aurait-il eu cette énergie ? Son œuvre aurait-elle été aussi prolifique ? Aussi importante ? Mystère. On vous dit solitaire, homme à la libre parole… Comment vous définiriez-vous ? (Il sourit). Je ne saurais le dire. Le mot liberté a été un peu galvaudé au sens où aujourd’hui, on l’entend davantage comme radical. Mais dans son étymologie, son sens premier, radical vient du mot racine. Et cela est très beau. Je dois avouer qu’il m’est difficile de me définir moi-même, mon humilité m’empêche de le faire. Qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas été réalisateur ? J’aurais été cuisinier. Métier qui rejoint le cinéma puisque faire la cuisine est aussi un acte d’amour, partagé avec les autres. La création de plats différents est comme chaque nouveau film, une forme de voyage : nourri de diverses saveurs à travers les goûts, la texture, la matière. D’ailleurs, les exilés s’attachent en premier à la cuisine qui les lie à leur terre natale tel que quelque chose d’essentiel. Vous dites, « plus on est pauvre, plus la culture et la pensée sont importantes ». La culture peut être une arme pour combattre les dogmes et le fanatisme ? Est-ce la réponse de Djibril, héros indomptable de votre premier roman Djibril ou les ombres portées (éd.Gallimard) aux prises avec la vindicte et la bêtise humaine qui apprend Candide par cœur car on apprend aussi le Coran par cœur ? Oui, la culture est la seule arme qui permet à chacun de trouver sa voie, de se construire, de se soustraire à l’aliénation, de cheminer vers la liberté, liberté que j’estime comme horizon incontournable de l’humanité. ■ 77
PORTFOLIO par Hedi Dahmani
L’Afrique dans le regard
En 2006, séduits par l’éclosion d’une génération inventive, Jeanne Mercier et Baptiste de Ville d’Avray décidaient de créer Afrique In Visu, une plateforme d’échange et de collaboration entre photographes passionnés, médias et milieu artistique. À Marrakech, le Musée d’art contemporain africain Al Maaden (MACAAL) présente 10 ans d’images et 40 talents – confirmés et émergents – à travers l’exposition « Africa Is No Island ». AM vous en ouvre les portes… « Africa Is No Island », Musée d’art contemporain africain Al Maaden, Marrakech, jusqu’au 24 août 2018.
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Nicola Lo Calzo (Italie) Idelphonse Adogbagbe, prêtresse du culte Mami Tchamba, Grand-Popo, Bénin, 2011 Série « Tchamba-Agoudas », Cham Project, 2007-2016, 50 x 50 cm © Nicola Lo Calzo, L’agence à Paris et Dominique Fiat
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François-Xavier Gbré (France-Côte d’Ivoire) Archives I, Imprimerie nationale, Porto Novo, Bénin, 2012 Série « Tracks », 2009-2016, 60 x 90 cm © François-Xavier Gbré et Galerie Cécile Fakhoury
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Namsa Leuba (Suisse-Guinée) Statuette Nganga Sale Laye
Guinée, 2011, série « Ya Kala Ben », 35 x 28,8 cm © Namsa Leuba et Art Twenty One Gallery
Leila Alaoui (France-Maroc) Khamlia Sud du Maroc #1 2014, série « The Moroccans », 150 x 100 cm © Fondation Leila Alaoui
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Joana Choumali (Côte d’Ivoire) Madame Djeneba Haabré, la dernière génération
Série 2013-2014, 90 x 60 cm © Joana Choumali et 50 Golborne Gallery
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Walid Layadi-Marfouk (Maroc) Fatiha (Post-Anterior Medium) 2017, 112 x 90 cm © Walid Layadi-Marfouk
Baudouin Mouanda (République du Congo) Série Hip-Hop et société
90 x 60 cm © Baudouin Mouanda
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Joan Bardeletti (France) Des jeunes filles d’une école privée de Nairobi
Série « Les classes moyennes », 2008-2011, 80 x 100 cm © Joan Bardeletti
Maïmouna Guerresi (Italie) Throne in Black
2016, 200 x 125 cm © Maïmouna Guerresi et Mariane Ibrahim Gallery
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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Astrid Krivian
Magyd Cherfi On l’a connu avec Zebda, le groupe toulousain auteur du tube « Le bruit et l’odeur ». Chanteur, écrivain et acteur, il livre aujourd’hui son 3e album solo*, qui replonge dans ses souvenirs d’enfance : ses parents, immigrés kabyles, la vie de quartier, les filles… Il reste avant tout un artiste engagé, en phase avec les questions des origines et de la diversité.
*Catégorie Reine de Magyd Cherfi, LKP/Idol/Pias. 86
❯ Mon album Catégorie Reine parle beaucoup des femmes. Parce que j’ai bâti mon combat anti-raciste en me calquant sur la lutte féministe. Et dans l’aventure du groupe Zebda, j’écrivais sur des sujets sociétaux, une dynamique plus politique qu’émotionnelle. ❯ La parole de Zebda, citoyenne, républicaine, solidaire, n’a pas eu d’écho en banlieue. J’ai mis du temps à comprendre que cette jeunesse n’avait pas accès aux codes, qu’elle avait d’abord besoin d’un cri de colère primaire. « Nique la police » étant un symbole clair, plutôt qu’un discours solidaire. C’est toute la contradiction : ces mômes qui sont des victimes du libéralisme, de l’impérialisme américain, en font l’apologie, avec des paroles réactionnaires, capitalistes. ❯ Notre élan associatif nous a menés à la politique. On a démarré à 18 ans avec la Marche des Beurs. On est entrés dans cette brèche, tiraillés par mille contradictions. Est-on un groupe artistique ou politique ? On fait un concert ou un meeting ? En 2001, on a créé le mouvement des Motivé-e-s, une sorte de Mai 68 occitan, un idéal cosmopolite. Portés par une folie locale, on a cru que la France était prête : elle serait multicolore ou ne serait pas. Mais on a disparu au second tour des élections municipales. J’ai fait partie des moins idéalistes, je doutais beaucoup de moi. On m’a dit que j’étais anti-politique car si on doute, on perd sa conviction. ❯ Enfant, je voyais mon père vouvoyer ses collègues, alors qu’eux le tutoyaient ! J’ai compris la condescendance. Cette histoire de langue a été un calvaire entre nous et nos parents. Avec mes frères et sœurs, on avait un parcours scolaire et on voulait que nos parents suivent. On ne supportait plus qu’ils parlent du charabia. C’est aussi ça qui m’a donné envie d’écrire. ❯ J’ai gardé de mes vacances d’enfance en Kabylie le souvenir d’un territoire magique, où l’on était les rois du monde. On rentrait dans une tribu : des cousins partout, toutes les femmes étaient mères de substitution. On était les petits Français élevés comme des anges. Toute une construction conceptuelle de mélancolie, d’histoire, de nostalgie. ❯ Je dis à mes mômes : « vous êtes français, mais… » Pourtant, je n’ai pas vraiment subi la discrimination, j’ai plutôt une trajectoire de réussite. Mais quand même, restez sur vos gardes ! Aux manifestations suite aux attentats de 2015, des amis de gauche m’ont demandé : « Mais vous êtes où ? ! » Ils parlaient à un Arabe ! Alors que, depuis trente ans, j’étais le littéraire du groupe, l’exemplarité républicaine ! Et là, ils voulaient que je sois le musulman, pour incarner dans leur fantasme le consensus républicain. J’ai alors pris conscience qu’on ne devient jamais français dans le regard de l’autre. Le Blanc réussit, l’Arabe s’intègre ! On a le vocabulaire de l’indigène. ❯ On court après le diplôme de la francité comme des éperdus. Alors que c’est à la France de déclarer le cosmopolitisme de son identité. La confiance en la République a été perdue, dès 1981, entre autres avec la promesse du droit de vote des étrangers, jamais appliquée. On s’étonne qu’il y ait un précipice entre les Français blancs et les autres, qu’il y ait tant de filles voilées… demandez à la République ! L’idée multiculturelle n’a pas été semée. On nous brandit les cas particuliers : Zidane, Jamel Debouzze, Rachid Taha… Les arbres qui cachent la forêt. Parlez-nous de la forêt ! ■ AFRIQUE MAGAZINE
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« On court après le diplôme de la francité comme des éperdus. Alors que c’est à la France de déclarer le cosmopolitisme de son identité. »
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La beauté de la cascade est sublimée par la brume, les embruns et les arcs-en-ciel.
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Les chutes Victoria, la nature à son sommet
Une merveille préservée… À la frontière entre le Zimbabwe et la Zambie, le SPECTACLE est à couper le souffle. ELLES sont parmi les plus grandes et les plus inscrit depuis 1989 au Patrimoine mondial de l’Unesco. impressionnantes cascades du monde. À vrai dire, peu Évidemment très fréquenté, le site est devenu un point rivalisent avec les chutes Victoria dans les derniers jours de de passage obligé pour les amoureux de la nature et pour la saison des pluies, fin mars, début avril. Le courant et le tous les mordus de sensations fortes. Les premiers iront niveau d’eau y sont alors à leur maximum et c’est dans un observer la faune locale dans les réserves environnantes fracas assourdissant que le fleuve Zambèze, ou profiteront du dépaysement offert par LES BONNES large ici de 2 kilomètres, se jette dans la faille une croisière sur le Zambèze au coucher ADRESSES du plateau pour poursuivre sa route 100 mètres du soleil ; les autres s’offriront une virée en ✔ Le Victoria Falls Hotel plus bas dans un étroit corridor de basalte. hélicoptère ou en ULM au-dessus des chutes pour une ambiance Belle Larges d’environ 1 700 mètres, avec une pour profiter du plus beau point de vue qui Époque profondeur maximale de 108 mètres, les chutes soit, ou vivront le grand frisson en sautant à ✔ Le lodge Elephant Camp, Victoria sont formées d’une succession de huit l’élastique depuis le pont reliant le Zimbabwe parfait pour une lune de miel gorges creusées dans la roche. L’incroyable à la Zambie à 111 mètres au-dessus des ✔ Zambezi Explorer (dîner bouillonnement de la cascade produit un nuage eaux furieuses du fleuve. Enfin, les plus romantique sur le fleuve) d’embruns visible jusqu’à 30 kilomètres côté courageux pourront en saison sèche ✔ Les vols Victoria Falls zambien, 50 côté zimbabwéen. Ajoutez à cela s’aventurer, accompagnés bien sûr, Helicopter Flights les arcs-en-ciel qui semblent directement surgir les pieds dans l’eau le long de la cascade pour des eaux (particulièrement impressionnants atteindre la « piscine du Diable » dans leur version nocturne, en période de pleine lune) et se baigner à quelques mètres du précipice. Point de vue et vous obtenez un spectacle grandiose à nul autre pareil, unique et frissons garantis. ■ 88
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par Alexis Hache
MADE IN AFRICA escapades voyage
TENDANCE KENYA
C’est LA nouvelle destination : touristique, mais aussi, stratégique et économique. Construit au bord d’un lac salé et d’une montagne de calcaire, l’Adrere Amellal et ses murs de kershef se fond dans son environnement.
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En Égypte, hors du temps
NINA WESSEL - DR (2)
100 % confort et 100 % écolo : dans cet hôtel en plein DÉSERT, on vit à la lueur des bougies. Sans faire l’impasse sur le luxe. DE LOIN, les murs en kershef, mélange d’eau sablée, de pierres et de terre, se fondent dans le décor irréel d’une montagne de calcaire blanc. Le Caire est à six heures de route de l’oasis de Siwa, 550 kilomètres d’étendues désertiques les séparent. Là, tout près de ce poumon vert luxuriant, bâti au bord d’un lac salé, l’Adrere Amellal offre l’impression d’un petit village traditionnel. Pas d’électricité, pas de téléphone ni de réception : on vit dans cet écolodge de luxe à l’écart du monde. Le soir, c’est à la lueur des bougies que l’on évolue. Nul besoin de climatisation, les murs conservent la fraîcheur l’été et la chaleur l’hiver. L’hôtel, suite de couloirs débouchant sur des espaces de vie au charme enchanteur, propose 40 chambres décorées simplement mais avec goût, tout y est en matériaux naturels. Un spa et une piscine d’eau de source sont à disposition des clients, preuve que l’on est bien ici, malgré l’apparente simplicité du lieu, dans un hébergement de luxe. Cerise sur le gâteau, les fruits et légumes proviennent tous du potager biologique de l’hôtel. À partir de 230 euros la nuit. adrereamellal.net ■ A.H.
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ON Y VIT de magnifiques expériences en safari et on y parle affaires à Nairobi, siège des grandes entreprises mondiales en Afrique de l’Est : le Kenya réunit tous les atouts pour briller sur la scène continentale. Ce n’est donc pas un hasard si Air France a décidé de faire de Nairobi l’une de ses trois destinations africaines pour le cinquième Boeing 787-9 Dreamliner acquis l’hiver dernier. Dès cet été, la compagnie desservira la capitale à raison de trois vols par semaine pouvant transporter jusqu’à 276 passagers. À bord, des hublots plus grands, une classe Economy plus spacieuse et confortable, et le wi-fi, permettront aux voyageurs de profiter pleinement de leur vol. Côté hôtellerie, Nairobi a également su séduire un géant. Conscient du potentiel de la destination, Hilton Worldwide, qui ne possédait qu’un hôtel au Kenya, le luxueux palace de Nairobi, a ouvert un deuxième établissement sous enseigne Hilton Garden Hill, marque de L’hôtel milieu de gamme du groupe, afin d’attirer une Hilton Garden Hill, clientèle moins aisée. Situé sur Mombasa Road, à Nairobi, à côté de l’aéroport, il se veut un lieu idéalement est la placé pour les hommes d’affaires comme pour deuxième implantation les touristes. La piscine à débordement sur le toit avec vue dégagée sur les environs est son du groupe dans le pays. indéniable point fort. ■ A.H.
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secrets de pro ABIDJAN
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Profession : Guide du musée des Civilisations noires. Signe particulier : à ses côtés, les visiteurs ne voient pas le temps passer. de musée ? Au départ, j’ai eu un diplôme supérieur d’études de théâtre. Puis, j’ai effectué une formation de muséologue. L’opportunité de travailler dans le plus prestigieux musée de Côte d’Ivoire s’est présentée et… c’est une puissante source de motivation. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ? C’est de lire clairement sur le visage des visiteurs leur satisfaction à leur retour de la salle d’exposition qui abrite la collection permanente. Avez-vous connu une visite inoubliable ? En 2013, j’ai reçu une délégation conduite par l’ambassadeur de France, accompagné du ministre délégué à l’Agro-Alimentaire, Guillaume Garot. À peine arrivés, ils m’ont fait savoir qu’ils n’avaient que 15 minutes. Je me suis arrangé pour faire le tour de la salle principale dans le temps indiqué. À la fin, le ministre a souhaité voir d’autres collections. Nous avons donc continué la visite. Je me suis vu faire tout le musée alors que mon schéma initial ne prenait en compte que quelques objets répartis dans les différents espaces. Satisfait, le ministre m’a demandé si j’avais étudié en France. Je lui ai répondu que non. Mais cet échange m’a rendu fier car cela m’a conforté dans l’idée que j’avais reçu une bonne formation de muséologie en Côte d’Ivoire – et non ailleurs… ■ Astrid Chacha
SON CONSEIL : « Instaurez le dialogue » Avec le public, j’essaie toujours d’être poli et sympathique. Je me présente humblement, je rassure mes interlocuteurs afin de les inciter à dialoguer. Le guide ne doit pas faire des monologues dans son coin. En interrogeant mes visiteurs pendant et après ma prestation, je m’assure qu’ils me comprennent. Souvent, les gens sont surpris d’être restés si longtemps… Je suis heureux de réussir à leur transmettre des connaissances sur la culture ivoirienne.
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Le charme du métal
Au Maroc, la coopération entre savoir-faire artisanal et conception française donne vie à des lampes HYBRIDES. Lumineux. DES TAMBOURS de machines à laver qui se transforment en tables lumineuses ou en lampadaires, des pièces détachées de plomberie qui viennent s’incruster sur des lampes de chevet… Le détournement d’objet, la récup’ et le recyclage sont les trois concepts clés derrière toute création du Français Emmanuel Cavaniol. Venu s’installer au Maroc en 2010, cet ancien publicitaire a noué des partenariats avec une quinzaine d’artisans de la région d’Agadir dans le but de produire des séries de luminaires écoresponsables, entièrement réalisées à la main. Au-delà des pièces uniques et sur demande, il a dessiné huit collections en cinq ans pour sa marque Esprit Matières. Dont ces lampes de table cactus, disponibles en petite ou grande taille. Le socle a été façonné par un menuisier à partir de bois de cyprès local et l’élément central en métal brossé a été forgé par un ferronnier. Des pièces de plomberie en cuivre viennent se souder sur cette structure ramifiée pour accueillir des ampoules à filament, telles des fleurs sur les branches d’un cactus. Lampes entre 80 et 600 euros. ■ Luisa Nannipieri espritmatieres.com
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AM : Comment êtes-vous devenu guide
Ces luminaires écoresponsables sont entièrement réalisés à la main.
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Yesomi Umolu s’occupe notamment des expositions du Logan Center for the Arts de l’Université de Chicago.
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Yesomi, la visionnaire
Maître de conférences, CRITIQUE et curatrice, cette native de Lagos prend les rênes de la très courue Biennale d’architecture de Chicago. L’ANGLO-NIGÉRIENNE Yesomi Umolu vient d’être nommée directrice artistique du plus grand festival international d’architecture contemporaine d’Amérique du Nord, la biennale de Chicago. Sans vouloir dévoiler la thématique de la 3e édition de l’évènement, qui se tiendra fin 2019, celle que le maire de Chicago appelle une « curatrice visionnaire » assure que sous sa direction seront mis en avant les travaux de ces architectes, artistes et urbanistes qui développent des approches nouvelles et novatrices. Née à Lagos, Yesomi Umolu a grandi au Royaume Uni, où elle a étudié architecture avant de poursuivre une carrière de conservatrice dans le milieu de l’art contemporain londonien. Déjà assistante à la programmation culturelle
de la Serpentine Gallery, elle fait partie de la commission consultative du pavillon des États-Unis pour la prochaine biennale d’architecture de Venise. Curatrice des expositions du Logan Center for the Arts de l’Université de Chicago, son travail met en valeur le lien qui existe entre l’art contemporain et ses représentations dans l’espace. La façon dont la construction d’un lieu influence les relations sociales est également l’un de ses thèmes de prédilection. De cette expérience naît son aspiration à faire de la prochaine biennale de Chicago « un lieu d’échange, un forum où explorer les réponses créatives à des espaces et des environnements en mutation, que ce soit au niveau local, régional ou international ». ■ L.N.
LE LIEU : LE NUBIA (BOULOGNE-BILLANCOURT) DR- ANTHONY RAUCHEN/KORBO2017
QU’EST-CE ?
Le nouveau club du bassiste camerounais Richard Bona. ET SINON ?
Concerts du jeudi au samedi soir, brunchs le dimanche. POUR QUI ?
Les gourmets mélomanes. AFRIQUE MAGAZINE
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Après avoir ouvert avec succès un premier club à New York, Richard Bona s’installe en région parisienne sur la prestigieuse île Seguin, au pied de l’Auditorium de la Seine musicale. Au programme : de la musique évidemment (jazz, musiques du monde, classique) sur une scène de 50 m2, mais aussi une cuisine raffinée aux influences méditerranéennes concoctée par le chef Francis Lapuyade. Avis aux amateurs, Richard Bona jouera au Nubia les 24 et 25 avril. ■ A.H. Île Seguin, 92100 Boulogne-Billancourt
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Inutile d’aller trop loin : les tissus et accessoires proviennent des marchands voisins du XVIIIe arrondissement.
Maison Château Rouge De la Goutte d’Or aux concept stores
Les grandes enseignes s’arrachent ses créations pop. Mais la jeune marque PARISIENNE de Youssouf et Mamadou Fofana n’a pas attendu que le wax soit BRANCHÉ pour s’en emparer ! par Loraine Adam YOUSSOUF et Mamadou Fofana sont d’origine sénégalaise, trentenaires, frères, malins, audacieux, généreux et inspirés. En trois ans à peine, leur marque s’est ouverte avec succès à l’export. Leur petite boutique colorée et chaleureuse est située à Paris, au cœur du quartier de la Goutte d’Or, près du métro Château-Rouge dans la très animée et populaire rue Myrha, où leur grand-père tenait un magasin de tissus africains. Dans une ambiance décontractée, clientes et reines des tendances y convoitent désormais vêtements et sacs en wax, bijoux ou bibelots. « 100 % français, 100 % sénégalais », les deux entrepreneurs ont grandi à Villepinte (Seine-Saint-Denis). En 2015, Maison Château Rouge est née, une marque qu’ils 92
ont souhaitée « parisienne à l’âme africaine » comme une passerelle entre les cultures et pour rendre hommage à la vitalité et à la créativité du XVIIIe arrondissement. Là, où ils se fournissent en matières premières auprès des commerçants de wax présents depuis toujours, bien avant que cela ne devienne tendance chez Burberry ou Zara. Tout a démarré quand ils ont cherché à financer leur association « Les oiseaux migrateurs », dont le nom s’inspire de la diaspora africaine et des transferts d’argent des pays d’adoption vers le continent. Un projet social visant à participer de manière collaborative au développement de petites entreprises grâce à l’amélioration et à l’export de leurs produits dans trois secteurs : mode, artisanat mais aussi AFRIQUE MAGAZINE
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MADE IN AFRICA fashion
La pièce emblématique da du label : ce top rendant hommage au quartier africain de la capitale.
Danemark, États-Unis, Japon ou même Australie : la griffe s’exporte partout !
Une histoire de famille avant tout : Youssouf, le styliste, suit les tendances, mais s’inspire aussi volontiers de la garde-robe de sa mère. agroalimentaire avec leur premier projet, la production de Bana Bana, une boisson à base de fleurs d’hibiscus. Car « comprendre une culture, c’est découvrir les coutumes vestimentaires et les pratiques artisanales, mais aussi s’intéresser aux traditions culinaires ! » déclarent les deux frères, qui espèrent ainsi donner une image nouvelle et authentique de l’Afrique. Pour lancer leur association, ils ont donc imaginé une série de tee-shirts en wax, immédiatement reprise par le concept store Merci, le Bon Marché et les Galeries Lafayette. Depuis, la ligne s’est étoffée de blousons, top et chemises streetwear à coupe carrée, jupes, cirés de pluie et robes. Et les collaborations se poursuivent comme avec Sawa Shoes ou Monoprix en mai prochain pour qui ils ont imaginé sweats, tabourets en plastique tressé ou vaisselle à message… Le nom de la marque est un clin d’œil : « Le quartier de Château Rouge a une image très populaire. On a voulu confronter ce monde avec celui des grandes maisons de couture » déclare Youssouf, diplômé d’une école de commerce. Pour le choix des coupes, il observe les Parisiennes, suit les tendances, farfouille en friperie, s’inspire de la garde-robe de sa mère, puis dessine et transmet les modèles à l’atelier situé non loin de la boutique. « Je ne me suis jamais vu
maison-chateaurouge.com 40 bis rue Myrha, 75018 Paris
comme un styliste, reprend-il, il s’agit surtout d’un projet social en lien avec l’Afrique, de donner de la visibilité à cette culture tout en participant au développement et à la revalorisation du quartier. » « Les Japonais trouvent la marque ultraclasse, ils pensent qu’elle est purement parisienne, alors que nous, on sait que Château Rouge, c’est l’Afrique ! » s’amusent les deux frères, décidément plein de ressources. ■
OMBRE CLAIRE, LA BONNE ARRIVÉE O
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E 2017, Maison Château Rouge développe avec Ombre Claire une ligne de bijoux éthiques En et équitables pour femmes. Dessinées en France, façonnées en argent, bronze, ébène e ou acacia par des artisans touaregs au Niger et au Mali, les pièces sont ensuite assemblées à l’atelier parisien d’Aude Durou, la créatrice. Emblématique de l’association, un collier doré affiche le message « Bonne arrivée » qu’arbore Michelle Obama sur les publicités drôles et originales qui n’hésitent pas à reprendre les plus grandes égéries de la mode telles que Grace de Monaco ou Iris Apfel. De son côté, , la créatrice d’Ombre Claire crée également des bijoux pour femmes, hommes et des accessoires. ■ L.A. ombreclaire.com
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Il est essentiel de mesurer sa pression artérielle au moins une fois par an, chez le médecin ou soi-même.
Hypertension : comment se protéger
C’est la première maladie chronique au monde. Ses conséquences à long terme peuvent être graves. En améliorant son hygiène de vie, il est possible de DIMINUER le risque.
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pathologie augmente le risque d’infarctus, d’accident vasculaire cérébral, de mauvais fonctionnement des reins, pouvant aboutir à une insuffisance rénale. Parce que le cerveau est mal vascularisé, cela accroît aussi le risque de troubles de la mémoire et de démence type Alzheimer. C’est dire l’importance de garder une bonne tension, et de se faire contrôler au minimum une fois par an.
Manger équilibré (et pas trop salé) Impossible de modifier certains facteurs favorisants comme l’âge (en vieillissant, la maladie est plus fréquente), l’origine ethnique (les populations noires ont un risque plus élevé), ou le fait d’avoir un parent atteint, ce qui multiplie par deux le risque d’être soi-même concerné. En revanche, on peut se protéger en agissant sur d’autres plans. AFRIQUE MAGAZINE
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ELLE est très répandue : l’hypertension artérielle touche environ un quart des adultes. Elle se caractérise par une pression trop importante du sang dans les artères. On est concerné quand la tension est égale ou supérieure à 14/9, en permanence. Pour établir ce diagnostic, une mesure au cabinet du médecin ne suffit pas. Plusieurs contrôles sont nécessaires. Et dans l’idéal, il est conseillé de confirmer l’excès de tension en dehors du cabinet, par exemple par des mesures faites soi-même avec un tensiomètre. L’hypertension ne provoque généralement pas de symptômes. Mais elle n’en est pas moins sans conséquences. Avec le temps, en réaction à la forte pression du sang, la paroi des artères s’épaissit, laissant ainsi moins de place à la circulation sanguine. À terme, il y a un danger d’obstruction des vaisseaux. Ainsi, cette
VIVRE MIEUX forme & santé
pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
À commencer par contrôler son poids. En effet, être en surcharge pondérale expose davantage à l’hypertension. Pour les personnes déjà dans cette situation, perdre ne serait-ce que quelques kilos de façon durable peut diminuer considérablement les risques. Pour cela, pas de régimes trop sévères, difficiles à tenir et finalement, contre-productifs la plupart du temps. On privilégie une alimentation équilibrée, légère (légumes, fruits, poissons, viandes plutôt blanches car souvent moins riches en graisses). Au besoin, on se fait conseiller par son médecin.
On lutte contre la sédentarité Second bon moyen de prévention : éviter l’excès de sel, qui rigidifie les artères et favorise de façon prouvée l’hypertension. La consommation journalière devrait rester à 6 g maximum pour se protéger. Une dose souvent dépassée, avec 9 à 10 g quotidiens. Que faire ? Évitez de resaler les plats : relevez le goût avec du poivre ou d’autres épices, des herbes aromatiques ; limitez les charcuteries, les plats cuisinés industriels, souvent trop salés… À titre d’exemple, une rondelle de saucisson, une part de pizza, un bol de soupe en brique, contiennent chacun 1 g de sel ! Autre conseil : on modère la consommation d’alcool (pas plus de deux verres par jour). Très importante également, la lutte contre la sédentarité : le manque d’activité physique favorise une prise de poids, mais aussi une augmentation de la tension. L’activité physique n’a pas besoin d’être très intense : marche à un rythme assez soutenu, vélo, natation, danse, jardinage… L’essentiel est de pratiquer de façon régulière, plusieurs fois par semaine. Enfin, le sommeil compte. Ne pas dormir suffisamment, ou mal dormir (insomnies) peut, si le problème dure, favoriser une hypertension. Il faut veiller à dormir les traditionnelles 7 à 8 heures (sauf petits dormeurs qui n’en ont pas besoin), ou consulter pour trouver une aide afin de mieux dormir.
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Et si les chiffres grimpent trop… Toutes les mesures précédentes restent capitales pour mieux stabiliser sa tension (il faut aussi stopper si possible le tabagisme, qui augmente le risque de problèmes cardiovasculaires). Mais en cas d’hypertension confirmée, le médecin prescrit des médicaments antihypertenseurs. Il en existe plusieurs classes, avec des modes d’action différents. Il faut en moyenne six mois pour obtenir un équilibre tensionnel, c’est-à-dire des chiffres qui reviennent à la normale, tout en ayant quasiment aucun effet indésirable. Les traitements ont démontré leur efficacité, ils permettent de vivre plus longtemps en bonne santé ! ■ AFRIQUE MAGAZINE
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PETITE DÉTOX PERSO
Raplapla ? Fatigué ? Voici quelques recettes SIMPLES pour retrouver son énergie. POUR évacuer les toxines, commencez par le citron : un jus mélangé à de l’eau tous les matins. Et pensez à vous hydrater tout au long de la journée : c’est la base pour drainer et éliminer les déchets. Vous pouvez boire de temps à autre des jus de légumes pour leurs vitamines, leurs enzymes et leur cocktail d’antioxydants ; ou encore des tisanes au thym ou à la sauge, du thé vert. Une cuillère à soupe de charbon végétal dans un verre d’eau tiède une fois par jour, est une autre bonne recette pour détoxifier l’organisme. Marquez une pause côté graisses et sucres. Consommez des aliments les plus naturels possibles, en misant sur le végétal : légumes cuits, notamment crucifères, artichauts, endives. Pensez aussi aux bouillons de légumes, dans lesquels il est conseillé d’ajouter des épices détox comme le curcuma et le gingembre. Légumineuses, quinoa, céréales complètes, fruits secs, seront bénéfiques pour la vitalité. Enfin, bouger, prendre le temps de respirer, sont des réflexes qui doivent aussi faire partie de la détox ! ■ 95
Enfant hyperactif : les signaux d’alerte Est-il simplement trop agité ou souffre-t-il d’un vrai TROUBLE ? Les clés pour y voir plus clair. L’HYPERACTIVITÉ, appelée aussi trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), est un problème bien spécifique, qu’il ne faut pas confondre avec un tempérament agité, plein d’énergie. En effet, tous les petits turbulents ne souffrent pas d’hyperactivité. Ainsi, de 18 mois à 2 ans, beaucoup d’enfants sont très agités, poussent les autres… Mais cela n’a rien d’inquiétant. À cet âge, ils comprennent tout, mais ils ne peuvent pas encore bien s’exprimer par la parole : du coup, ils le font avec leur corps. D’autre part, même en grandissant, certains enfants sont des boules d’énergie : ils ne restent pas en place, mais sans avoir par ailleurs de problèmes sur le plan scolaire ou social. Là encore, pas de raison d’avoir d’inquiétude, même s’il faut canaliser un minimum l’énergie pour que ce soit vivable.
En revanche, lorsque la « bougeotte turbulente » existe depuis toujours, et en plus cause des problèmes importants, il faut s’interroger sur une possible hyperactivité et en parler au médecin. Les enfants concernés ont trois types de difficultés : une inattention (ils ont du mal à se concentrer, sont facilement
EN BREF LES SODAS IMPACTENT AUSSI LA FERTILITÉ
On savait qu’il ne fallait pas en abuser à cause de leur richesse en sucres et de leurs apports en calories, de l’augmentation du risque de surpoids et de diabète, de maladies du foie… Et aussi pour leur agressivité sur l’émail des dents. Mauvaise nouvelle en plus : une étude américaine (publiée dans Epidemiology) vient de montrer qu’une consommation quotidienne de soda (en moyenne un par jour) réduit fortement le taux de fécondité, tant chez la femme que chez l’homme : la fertilité baisse de 20 % par rapport aux personnes qui ne consomment pas ce type de boissons.
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Le diagnostic n’est en général pas établi avant l’âge de 6 ans. À partir de là, la prise en charge se fait à plusieurs niveaux. distraits), une hyperactivité (ils bougent sans arrêt et ne peuvent s’en empêcher) et une impulsivité (ils agissent avant de réfléchir, ne se conforment pas aux règles, ne terminent pas des activités même plaisantes). Leur comportement cause des ennuis partout : à l’école, avec des difficultés d’apprentissage malgré une intelligence normale, mais aussi à la maison, dans les activités extrascolaires, avec des problèmes relationnels.
On mise sur les séances de rééducation Le diagnostic n’est en général évoqué qu’après l’âge de 6 ans. L’hyperactivité est un trouble neurologique, qui touche la transmission de l’information dans certaines zones cérébrales. Hypothèse avancée : elle serait liée à un déficit en dopamine, substance qui justement transmet les informations dans le cerveau et est responsable de la vigilance et de l’attention. La prise en charge se fait à plusieurs niveaux. Un traitement qui rend l’enfant plus concentré et plus attentif à ce qui se passe peut être prescrit pour un temps. Mais parallèlement, il est aidé avec des séances de rééducation (orthophonie, psychomotricité pour mieux maîtriser ses mouvements…), un accompagnement psychologique, parfois des aménagements scolaires. Et les parents doivent aussi être épaulés avec des conseils éducatifs. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Des difficultés de tout ordre
VIVRE MIEUX forme & santé EN BREF CRÈMES DÉPIGMENTANTES : PRUDENCE !
L’éclaircissement de la peau est un phénomène de société chez les femmes africaines. Or, l’utilisation de crèmes dépigmentantes contenant de l’hydroquinone n’est pas sans risque : ce composé favorise le vieillissement prématuré de la peau, et la fragilise. Comme il empêche la production de mélanine, la peau perd sa protection contre les UV, d’où des risques accrus de cancer. L’application à long terme peut aussi la rendre rugueuse, et entraîner parfois l’apparition de taches cutanées. L’emploi de ce type de crèmes doit se faire sous surveillance médicale, à des concentrations précises, et sur une durée limitée.
QUATRE RAISONS DE SE METTRE À LA DOUCHE FROIDE
Ce rituel du matin donne un coup de fouet. À condition d’y aller en DOUCEUR.
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Rien de tel qu’une douche fraîche pour démarrer la
journée : elle booste la circulation sanguine, ce qui stimule l’organisme (et en même temps les défenses immunitaires). On ressent un coup de fouet, idéal pour se réveiller !
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Elle constitue un vrai soin pour les jambes
lourdes. Ce problème, qui occasionne fréquemment des douleurs et des gonflements, est accentué par la chaleur. En resserrant les vaisseaux, une douche fraîche améliore la remontée du sang. Il faut prendre son temps, en partant de la voûte plantaire, en remontant doucement sur les chevilles, les mollets et jusqu’aux cuisses.
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Elle raffermit la peau. Toujours parce qu’elle provoque une constriction des vaisseaux et des capillaires en surface cutanée, l’eau fraîche contracte la peau, et exerce ainsi un effet tenseur et tonifiant sur elle.
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Côté cheveux, elle lutte contre la tendance grasse, et leur donne de la brillance.
En pratique, pas question de se mettre sous une eau glacée. On commence par de l’eau tiède, et on baisse la température petit à petit. Au fil des douches, le corps s’habitue. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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STOP AUX YEUX CERNÉS
Comment redonner de la lumière à votre REGARD.
CHEZ LES PERSONNES qui y sont sujettes, un manque de sommeil provoque vite des cernes : la peau du contour de l’œil étant très fine, elle laisse facilement des marques de fatigue. Une période de modifications hormonales (règles, grossesse, ménopause) peut aussi les entraîner. Tabac et alcool les favorisent également, à cause d’une mauvaise circulation sanguine. Enfin, ce problème devient plus fréquent avec l’âge, la peau autour des yeux s’affinant davantage, les micro-vaisseaux ayant tendance à se distendre, d’où une stagnation du sang visible. Sur les peaux mates, les cernes bruns sont souvent dus à une accumulation de mélanine. Les cernes creux sont, eux, liés à la disparition de la graisse autour des yeux. Que faire ? Outre une bonne hygiène de vie, une hydratation suffisante essentielle à la circulation sanguine, on soigne son contour de l’œil avec une crème spécifique. On la conserve au frigo car le froid stimule la microcirculation. Et lors de l’application, on fait un automassage drainant : petites pressions circulaires de l’intérieur vers l’extérieur de l’œil. Ensuite, on lisse. Pour camoufler, on recourt à un produit anticernes de la bonne couleur : un peu plus claire que sa carnation pour des cernes foncés ; plutôt jaune orangé pour des cernes violacés, et tirant vers le marron pour les peaux noires. Puis on unifie avec une poudre. En cas de cernes vraiment trop marqués, recourir à la médecine esthétique est possible : laser ou peeling pour les colorés, injections de produits de comblement ou de graisse (acte chirurgical) pour les creux. ■ 97
LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian
Dominique Tchimbakala
2. Votre voyage favori ? Hong Kong, avec mes parents, quand j’avais 14 ans. Un choc. Inoubliable ! 3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Le Burkina Faso. Pays qui a chassé son président, pays où la jeunesse n’hésite pas à tancer un chef d’État étranger… Le pays de l’impertinence ! 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Mon téléphone portable !
5. Un morceau de musique ? « L’amour d’une mère » de la Gabonaise Patience Dabany. J’aime son rythme et ses paroles sur l’amour éternel. 6. Un livre sur une île déserte ? La Bible. Une source spirituelle inépuisable. Je pourrais la relire cent fois ! 7. Un film inoubliable ? Bal Poussière du réalisateur ivoirien Henri Duparc. À 12 ans, je découvrais mon premier film réalisé par un Africain, avec des acteurs africains, sur des problématiques africaines. Et il est très drôle ! 8. Votre mot favori ? « Tchimuntu » en lari, une langue du Congo. C’est le fait de savoir se comporter en être humain face à un autre être humain. C’est à cette aune que j’estime les gens. 9. Prodigue ou économe ? Ni cigale ni fourmi ! Disons que je suis raisonnable.
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10. De jour ou de nuit ? De nuit ! Même si le matin est formidable, quand la nature s’éveille, l’actualité émerge… Mais ce que j’aime, c’est vivre en décalé. 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Plutôt WhatsApp et SMS. Et Facebook pour partager des articles, des réflexions. Le téléphone ? Aussi peu que possible. C’est trop chronophage ! 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Voyager. Ou le rituel de l’apéro : un verre de vin blanc et du fromage de chèvre, installée dans ma méridienne. 13. Votre extravagance favorite ? Dire ce que je pense, même si ça peut être jugé inconvenant, impertinent. 14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Coiffeuse. Puis travailler dans une ONG. Mais je ne regrette rien, j’adore mon métier !
15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Mon écrivaine préférée Maryse Condé, française de Guadeloupe. J’étais très émue et impressionnée. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Des excellents macarons ! 17. Votre plus beau souvenir ? L’obtention de mon bac, à Brazzaville. C’était ma dernière année au Congo, passée avec les gens que j’aimais. J’avais beaucoup travaillé. Un moment fort, un passage vers une autre vie. 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Quelque part en Afrique, entourée d’arbres, avec un très grand jardin potager. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? De savoir aimer sans vouloir posséder. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Que j’ai fait mon métier avec rigueur, et que j’ai suscité des vocations auprès des jeunes, notamment en Afrique. Je serais comblée ! ■
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CH. LARTIGE/CL2P/TV5 MONDE
1. Votre objet fétiche ? Je porte toujours un pendentif, une poupée de la fécondité ashanti, héritée de ma grand-mère.
Originaire du Congo-Brazza, la journaliste a fait ses classes à France 2 et France 5 avant de présenter le journal Afrique du week-end sur TV5 Monde. Attachée à ses racines, elle s’implique dans les questions de société. Sans oublier de valoriser les individus qui font bouger les lignes sur le continent.
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BEN JANNET JALEL, TUNIS: RUE DU LAC LÉMAN, 1052 LES BERGES DU LAC – LES JARDINS DE LA SOUKRA, ROUTE DE LA MARSA, 2046 SIDI DAOUD PA S S I O N , C A S A B L A N C A : 8 3 , R U E M O U S S A B E N N O U S S A I R