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N o 3 7 7 - A F R I Q U E
MAGAZINE - FÉVRIER 2018
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS
UN ENTRETIEN EXCLUSIF
ISMAÏL OMAR GUELLEH «DJIBOUTI EST LIBRE DE SES CHOIX !»
TUNISIE MAIS LA RÉVOLUTION CONTINUE ! LIBYE LE MYSTÈRE
SEIF AL-ISLAM KADHAFI
TOGO SORTIES DE CRISE MAROC
NABIL AYOUCH : « IL EST DIFFICILE D’ASSUMER SA DIFFÉRENCE »
SOMMES-NOUS VRAIMENT DES
«PAYS DE M…»? Le président des États-Unis, himself, l’a dit. Beaucoup, dans le monde occidental, ne sont pas loin d’être d’accord. Même en Afrique, quelques-uns estiment que oui, et que nous n’avons qu’à nous en prendre à nous-mêmes. N° 377 - FÉVRIER 2018 Ils sont vraiment à côté de la plaque et voici pourquoi.
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France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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ÉDITO par Zyad Limam
PAYS DE M… ?
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était le 12 janvier dernier, une réunion entre le président américain Donald Trump et des élus républicains et démocrates dans le Bureau ovale, à la Maison-Blanche. Un lieu solennel. Le cœur du pouvoir. Sur le sujet hautement inflammable de l’immigration. Le président, mèche au vent, se lâche, fidèle à son tempérament, à sa perception du sujet. Il se demande pourquoi l’Amérique accueille ces gens venus de ces « shithole countries », traduit en français par « pays de merde », évoquant l’Afrique, Haïti, certains États d’Amérique centrale comme le Salvador. Et pourquoi ne pas plutôt aller chercher « des Norvégiens » (tout le monde sait que les Norvégiens ne rêvent que d’émigrer…). Parmi les présents, élus entre autres, certains se chargent d’informer le monde extérieur sur ce dérapage (pour le moins…). Et ce n’est pas la première fois que le président laisse échapper sa vision de l’Afrique. On se rappelle des « huttes » (décembre 2017) que les immigrés ne voudraient plus revoir après avoir découvert « la grandeur de l’Amérique ». Ou de ce pays africain qui n’existe pas (la Nambia) évoqué lors d’un déjeuner à l’assemblée générale des Nations unies. Pays situé dans un continent où les amis de Donald Trump se sont fait « beaucoup d’argent… » (toujours lors du même déjeuner). C’était pas brillant. Mais shithole countries… « Pays de m…. » C’est du brutal, dans la forme et dans le fond. Du racisme généralisé à l’échelle d’un continent. Un mot trop vite dit probablement, dans la chaleur de l’échange, mais tout à fait Trumpien AFRIQUE MAGAZINE I 3 7 7 – F É V R I E R 2 0 1 8
dans son essence. Pour le président et ceux qui pensent comme lui, l’Afrique, c’est le « dark continent », pas de business, pas de tours à construire, que de la pauvreté et de la violence, des maladies, une nature hostile probablement, des gens ingérables, qui n’ont pas grand-chose à acheter, ni à vendre, violents, corrompus, quémandeurs, certainement responsables de leur propre pauvreté. Trump n’est pas un cas isolé. Il dit « tout haut » ce que beaucoup pensent « tout bas ». En Occident, dans le monde riche, dans une conversation habituelle, de comptoir, l’Afrique, c’est souvent : « mais pour quoi faire ? pourquoi y aller ? C’est dangereux, désespérant… » Aucun intérêt, en quelque sorte. Un regard souvent formaté par ce qui passe à la télévision, ce qui se publie sur les réseaux sociaux, limité évidemment par l’ignorance. L’Afrique est méconnue par le reste du monde. Ce continent vaste de 30 millions de km2 et peuplé de plus d’1,2 milliard d’habitants n’a reçu que 62 millions de visiteurs en 2017 (moins que la France) et la plupart sont allés sur un coin de plage, ou vers une expédition tropicale entièrement balisée. Bref, nous n’avons pas bonne presse. Et nous sommes nuls. D’autant plus nuls que certains en Afrique sont d’accord avec ce jugement sans appel. Exemple, l’inamovible président ougandais Yoweri Museveni, qui résume : « J’aime Trump parce qu’il parle avec franchise. Je ne sais pas s’il a été cité de manière incorrecte ou pas, mais il parle des faiblesses de l’Afrique avec franchise », et qui précise sur son compte Twitter : « Les Africains doivent résoudre leurs problèmes, on ne peut pas survivre si on est faible, et c’est la faute des Africains s’ils sont faibles… » Évidemment, on serait tenté de dire à Yoweri Museweni qu’un pays faible, ce n’est pas un pays 3
ÉDITO
de m…. Et que même, dans le cas de figure, il est au pouvoir depuis plus de trente ans, et qu’on pourrait estimer que son leadership aurait permis de sortir l’Ouganda de la faiblesse… De toute façon, on voudrait d’abord marteler aux uns et aux autres, qu’il n’y a pas de pays de m…, il n’y a que des pays, multiples, différents, parfois faibles, violents, déchirés, prometteurs, en crise, en renouveau, en décadence… Il n’y a qu’une humanité multiple, enserrée sur la même planète, elle-même logée dans un coin perdu de l’univers. Et pour en revenir aux migrations, rappeler que partout dans le monde, du nord au sud, de l’est à l’ouest, les plus défavorisés cherchent toujours une route vers plus de sécurité, vers une vie décente. Que les migrations font partie de l’Histoire, depuis la nuit des temps. Rappeler que les premiers humains ont quitté l’Afrique pour peupler la planète. Que l’Amérique a été fondée entre autres par des bagnards européens. Et que sa richesse est aussi le produit d’une migration cruelle et forcée, celle de l’esclavage, théorisé, défendu pendant des siècles, y compris par les dogmes religieux. On pourrait expliquer que la colonisation, système de domination à l’échelle planétaire d’une minorité sur une majorité, essentiellement à des fins lucratives, n’est pas été sans conséquence sur la fragilisation des dominés, provoquant humiliations et déséquilibres. Et que les Trente Glorieuses européennes n’auraient peut-être pas été si glorieuses sans l’apport de larges populations de travailleurs corvéables venues du sud. Rappeler que dans l’échelle des valeurs de l’humanité, il n’y a pas que les tours de 50 étages, l’immobilier, le mercantilisme, le business, que les richesses des humains, c’est aussi la culture, l’art, l’humour, la vitalité, le désir, et que de ce point de vue, l’Afrique est loin d’être à la traîne de qui que ce soit. On pourrait aussi proposer à chacun de balayer devant la porte de son pays, rappeler que dans l’Histoire, l’Amérique et d’autres pays « grands » ont montré à quel point ils pouvaient sombrer dans la sauvagerie et la guerre. Que dans les pays « riches », les écarts, les inégalités sont d’autant plus inacceptables, encore plus intolérables que dans les pays de m… On serait tenté d’expliquer aux Américains, certes grande nation parmi les nations, qu’ils sont le seul pays occidental à ne pas garantir une couverture maladie pour tous. Qu’ils sont le seul aussi où l’on peut se balader armé et s’entre-tuer à tout bout de champ… On pourrait évoquer tous ces pays « évolués », qui ont sabordé leur écologie, qui ont mis en coupe réglée l’écosystème de la planète, qui ont puisé, foré, coupé et réchauffé, et qui aujourd’hui cherchent 4
à ne pas trop payer l’addition… Monter du doigt cette Europe assise sur ces conforts (relatifs) et qui laisse se noyer des centaines, des milliers de damnés de la terre à ses frontières. On pourrait rappeler aussi , tout en restant respectueux, que par certains côtés, Donald Trump et d’autres personnalités politiques du premier monde n’ont pas grand-chose à envier à certains de nos chefs les moins présentables : confusion entre l’argent public et privé, désordre intime, outrances, mensonges, égocentrisme… Et on pourrait surtout regarder l’Afrique telle qu’elle est vraiment, en dehors des prismes, des préjugés, de l’anxiété et des peurs de l’Occident. L’Afrique est pauvre, parfois désespérante, certains veulent la quitter par n’importe quels moyens, mais elle change, vite. Très vite. En termes d’éducation, de santé, de progrès démocratique, d’opportunités économiques. Elle se construit à vue d’œil. Une classe moyenne de plus de 300 millions de personnes AFRIQUE MAGAZINE
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Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie et siège de l’Union africaine. Pour répondre au président des États-Unis sur les réseaux sociaux, les internautes africains ont posté des « cartes postales » de leurs pays de m…. émerge. Elle pèsera lourd dans les enjeux du siècle. Que cela soit pour son marché en émergence, pour le business que l’on pourra y faire, mais aussi pour les dangers qu’elle incarne : démographie, climat, migrations, terrorisme… Trump et d’autres sont bloqués dans un espace-temps dépassé. Les pays de m… sont aussi largement les pays du futur. L’Afrique s’insère dans la montée en puissance des Sud, des émergents. Et ces Sud représentent aujourd’hui plus de 50 % de la richesse mondiale. L’Amérique, toujours toute-puissante, s’isole, laisse le chemin plus libre encore à la Chine, qui, elle, voit dans ces pays autant d’opportunités économiques. Alors oui, oui, nous sommes responsables en partie de notre faiblesse, de notre pauvreté, de nos désordres. Mais nous montons la pente. Nous luttons. Nous faisons le ménage progressivement. Nous prenons notre place dans le siècle. Nous avons de la force et un optimisme mesuré sur l’avenir. AFRIQUE MAGAZINE
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D’ailleurs, on ne s’est pas laissé faire. La réaction a été vive. Et Donald Trump a dû se fendre (tout de même) d’un mea culpa diplomatique. Dans un courrier adressé aux dirigeants présents à Addis pour le sommet de l’Union africaine, le président américain écrit : « Les États-Unis respectent profondément les partenariats et les valeurs que nous partageons avec l’Union africaine, ses pays membres et ses citoyens à travers le continent. Je tiens à souligner que les États-Unis respectent profondément les Africains. » « Nos soldats combattent côte à côte pour défaire les terroristes » et « nous travaillons ensemble pour intensifier un commerce libre, juste et réciproque », a-t-il notamment ajouté. Bref, Monsieur le président, nous ne sommes pas trop rancuniers, et nous sommes prêts à avancer. À vous croire. Sur les actes. ■ Voir aussi le « C’est comment ? » d’Emmanuelle Pontié p. 25.
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SOMMAIRE Février n°377 ÉDITO Pays de m… ? par Zyad Limam
TEMPS FORTS 26
Interview : Ismaïl Omar Guelleh : « Djibouti est libre de ses choix ! »
ON EN PARLE 14 AFRIQUE MAGAZINE
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
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ISMAÏL OMAR GUELLEH «DJIBOUTI EST LIBRE DE SES CHOIX !»
GEORGE WEAH
OU LES TRAVAUX D’HERCULE
TOGO SORTIES DE CRISE LIBYE LE MYSTÈRE
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SEIF AL-ISLAM KADHAFI
AFRIQUE MAGAZINE SOMMES-NOUS VRAIMENT DES
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
EN VENTE CHAQUE MOIS
«PAYS DE M…»?
Le président Béji Caïd Essebsi et son « allié », Rached Ghannouchi, leader du parti Ennahdha.
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
EN VENTE CHAQUE MOIS
ISMAÏL OMAR GUELLEH
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EST LIBRE DE SES CHOIX !»
La jeune démocratie fonctionne en mode équilibrisme et transition permanente. Et pourtant, ça bouge, ça vit, ça vibre.
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Interview
NABIL AYOUCH : « AU MAROC, IL EST DIFFICILE D’ASSUMER SA DIFFÉRENCE »
Libye
LE MYSTÈRE SEIF AL-ISLAM KADHAFI
TUNISIE
Algérie
YASMINA KHADRA, MÉMOIRES D’ENTRE LES DUNES
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«PAYS DE M…»? Le président des États-Unis, himself, l’a dit. Beaucoup, dans le monde occidental, ne sont pas loin d’être d’accord. Même en Afrique, quelques-uns estiment que oui, et que nous n’avons qu’à nous en prendre à nous-mêmes. N° 377 - FÉVRIER 2018 Ils sont vraiment à côté de la plaque et voici pourquoi.
par Frida Dahmani, Maryline Dumas et Francis Ghilès
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PHOTOS DE COUVERTURE : AFRIQUE SUBSAHARIENNE : VINCENT FOURNIER/JA/REA - ZUMA PRESS/ZUMA/ REA - LAURENT GILLIERON/AP/SIPA MAGHREB : ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS AFRIQUE INTERNATIONALE : VINCENT FOURNIER/JA/REA - PHILIPPE QUAISSE/ PASCO - LAURENT GILLIERON/AP/SIPA
Musique : Le dandy qui secoue son monde
par George Ola-Davies et Hugues Berton
Agenda : Le meilleur de la culture PARCOURS Elnathan John par Loraine Adam
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CE QUE J’AI APPRIS Bumba Massa par Astrid Krivian
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Libye : les mystères de Seif Kadhafi par Maryline Dumas
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Le Liban en mode résilience par Thomas Abgrall
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VINGT QUESTIONS À... Valérie Ekoumè par Astrid Krivian
Nabil Ayouch : « Au Maroc, il est difficile d’assumer sa différence » par Astrid Krivian
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Oum Kalthoum, à jamais la diva
LE DOCUMENT : Les nouveaux Mamelouks par Hedi Dahmani
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Cover story : les travaux d’Hercule de « Mister George »
C’EST COMMENT ? Lettre à M. Trump par Emmanuelle Pontié
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Tunisie : la révolution continue !
par Jean-Marie Chazeau
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NABIL AYOUCH : « IL EST DIFFICILE D’ASSUMER SA DIFFÉRENCE »
SOMMES-NOUS VRAIMENT DES
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LIBYE LE MYSTÈRE SEIF AL-ISLAM KADHAFI TOGO SORTIES DE CRISE MAROC
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LA RÉVOLUTION CONTINUE ! France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
20 TUNISIE MAIS LA RÉVOLUTION CONTINUE !
Écrans : La femme qui dévoile les hommes
par Sophie Rosemont
AFRIQUE MAGAZINE
Le président des États-Unis, himself, l’a dit. Beaucoup, dans le monde occidental, ne sont pas loin d’être d’accord. Même en Afrique, quelques-uns estiment que oui,UN ENTRETIEN EXCLUSIF et que nous n’avons qu’à nous en prendre à nous-mêmes. N° 377 - FÉVRIER 2018 Ils sont vraiment à côté de la plaque et voici pourquoi.
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
par Zyad Limam
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par Catherine Faye
EN VENTE CHAQUE MOIS
UN ENTRETIEN EXCLUSIF
Livres : Tahar Ben Jelloun Une jeunesse sacrifiée
par Catherine Faye
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Yasmina Khadra, mémoires d’entre les dunes par Nina Hadjam
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AFRIQUE MAGAZINE
FONDÉ EN 1983 (34e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
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Éléonore Quesnel
DOSSIER
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
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Amanda Rougier PHOTO
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Togo : Sorties de crise
arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Thomas Abgrall, Loraine Adam, Hugues Berton, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Maryline Dumas, Catherine Faye, Nataka Noun, Francis Ghilès, Nina Hadjam, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, George Ola-Davies, Sophie Rosemont.
par Nataka Noun et Emmanuelle Pontié
MADE IN AFRICA 96
Escapades : les merveilles de la mer Rouge
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Carrefours : David Adjaye, architecte de l’année
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Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
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VIVRE MIEUX 102 Ne plus fumer : le voulez-vous vraiment ? 103 Petit-déjeuner, c’est essentiel
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AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)153844181 – Fax: (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT Elisabeth Remy AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.
Commission paritaire : 0219 D 85602. Dépôt légal : février 2018.
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La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2018.
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LE TOGO, UN PAYS QUI AVANCE
Le Togo, un pays qui avance
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n 2017, le mandat social du chef de l’Etat, SEM Faure Gnassingbé s’est révélé essentiel pour préserver la cohésion dans le pays. L’instabilité politique n’a pas dévié le gouvernement conduit par le Premier ministre Komi Sélom Klassou des objectifs fixés par le Président de la République. Pour aborder sereinement la nouvelle année, il est donc nécessaire de réaliser un inventaire des actions du gouvernement et d’esquisser des perspectives pour permettre aux Togolais de garder le cap du développement sous l’impulsion du chef de l’Etat, Faure Gnassingbé.
Un Togo toujours ouvert à l’international
En 2017, la plupart des différents voyages effectués par le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé s’inscrivaient dans le cadre des relations de coopération et d’amitié qui lient le Togo et les pays visités. Ils ont surtout permis au Togo de consolider ses liens d’amitié avec les différents pays mais également d’établir de nouvelles relations de partenariat notamment sur le plan économique. Depuis le 4 juin, le chef de l’Etat togolais Faure Gnassingbé est le
Visite de travail de Tony Blair avec SEM Faure GNASSINGBE dans la région de la Kara Novembre 2017
président en exercice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il a été élu par acclamation par ses pairs lors du 51e sommet ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement, tenue à Monrovia (Libéria).
Un mandat social toujours en chantier
Le Président de la République togolaise a fait de son nouveau quinquennat (2015-2020) un quinquennat social. L’exécutif a annoncé le renforcement des actions dans ce domaine avec l’augmentation du nombre de ménages bénéficiaire des transferts monétaires qui passera de 30 000 à 120 000 en 2018. Pour l’amélioration des conditions de vie de la jeunesse et pour aider les jeunes entrepreneurs, le Chef de l’Etat envisage par exemple que l’attribution des marchés publics réserve un quota allant jusqu’à 20% aux jeunes entrepreneurs et aux femmes, qui bénéficieront par la même occasion des procédures allégées. Dans le domaine de la santé, le gouvernement a indiqué que les initiatives en matière de protection sociale prendront en compte un plus grand nombre de Togolais en 2018 et le projet de contractualisation des hôpitaux publics sera étendu à ceux de Lomé et de Kara. Enfin, selon le président de la République, toutes les dispositions seront donc prises par le gouvernement afin que la couverture d’assurance maladie pour les deux millions d’élèves togolais devienne une réalité en 2018. Mise en œuvre du PUDC en 2017. Le Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC) opérationnel depuis juillet 2016 est un projet pion de la mise en œuvre du mandat social de Faure Gnassingbé. Quatre composantes concernent ce programme. Le développement des infrastructures et équipements socio-économiques de base, Le renforcement des capacités institutionnelles des acteurs nationaux et locaux Le développement de l’entrepreneuriat rural Le développement du système information géo-référencée des infrastructures et équipements. D’un montant total estimé à 155 milliards de FCFA (environ 258 millions de dollars), le PUDC sera exécuté sur 3 ans avec pour but, la réalisation des principaux Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies. Le programme d’Appui aux populations vulnérables. Le Programme d’Appui aux Populations Vulnérables (PAPV) qui
Participation de SEM Faure E. GNASSINGBE au 52e sommet ordinaire de la CEDEAO 15 décembre 2017
a également pour objectif, la réduction de la pauvreté. Il a été Initié par le Chef de l’Etat lui-même en 2015, le PAPV est l’un des dispositifs au cœur de la lutte contre la pauvreté, la précarité tout en favorisant l’emploi des jeunes . School Assur. Dans le but de faciliter la vie aux acteurs de l’éducation notamment les élèves et leurs parents, le Chef de l’Etat SEM Faure Essozimna Gnassingbé a initié le programme « School Assur » qui est une nouvelle ère qui s’ouvre dans la vie des élèves togolais.
Renforcement de la démocratie
Economie
PUBLI REPORTAGE
Le programme économique du Togo pour 2017-19 vise à baisser la dette publique de 76,0 % du PIB en 2016 à 56,4 % à l’horizon 2021. Le gouvernement mobilise des financements pour un programme industriel (2016-18) qui a pour objectif la promotion de l’agro-industrie et la mise en place d’un fonds pour l’entrepreneuriat. Le programme (2017-19) envisagé au titre de la FEC avec le FMI vise à garantir la viabilité de la dette à long terme. Depuis janvier 2017, l’accord au titre de la FEC considère que l’État ne peut plus contracter de nouveaux emprunts non concessionnels sachant que les emprunts concessionnels sont encadrés. Avec cette nouvelle orientation budgétaire, la dette publique du Togo pourrait baisser de 56,4 % du PIB en à l’horizon 2021. Le programme « Facilité Elargie de Crédit du FMI ». Le 18 décembre 2017, le Conseil d’administration du Fonds Monétaire Internationale (FMI) a achevé à Washington (EtatsUnis), la première revue des performances du Togo dans le cadre du programme appuyé par un accord au titre de la Facilité Elargie de Crédit (FEC). Au terme de la réunion, les administrateurs du
AFRIQUE MAGAZINE
Sur le plan politique. L’année 2018 sera très riche en activité sur le plan politique au Togo. En se référant au discours de présentation de vœux du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé prononcé le 3 janvier 2018, on peut s’attendre à la tenue d’un dialogue national entre pouvoir et opposition sur les questions liées aux réformes politiques. Ensuite, les Togolais seront convoqués aux urnes en 2018 pour trois scrutins différents. D’abord il sera organisé un référendum pour permettre au peuple de se prononcer sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles, ensuite le gouvernement prévoit d’organiser les législatives et les locales toujours en 2018. Les réformes. Le gouvernement a poursuivi le chantier sur les réformes politiques en 2017 en initiant avec la Commission de Réflexion sur les Réformes Politiques, Institutionnelles et Constitutionnelles (CRRPIC) une tournée nationale du 1er au 28 août 2017. Cette tournée a permis de présenter à l’Assemblée Nationale le 15 septembre 2017, un projet de loi portant modification des articles 52, 59 et 60 de l’actuelle constitution. Ces modifications visent à limiter à deux le nombre du mandat présidentiel et des députés et l’utilisation d’un mode de scrutin à deux tours pour choisir désormais le président de la République.
Après ce vote, le processus des réformes politiques devrait donc se poursuivre avec l’organisation d’un référendum en 2018, a annoncé le gouvernement. Le chantier de la décentralisation. En mars 2017, le gouvernement avait adopté en conseil des ministres une feuille de route de la décentralisation et des élections locales comportant les principales orientations et options stratégiques pour une mise en œuvre réussie du processus.
LE TOGO, UN PAYS QUI AVANCE Fonds ont jugé satisfaisant l’assainissement budgétaire entamé dans le cadre du programme FEC par le gouvernement togolais. Par conséquent, le FMI a décidé de mettre à la disposition du régime de Lomé toujours au titre du programme FEC, une nouvelle enveloppe d’un montant de 19 milliards de FCFA (environ 35, 61 millions de dollars américains). Le geste vise à soutenir les efforts engagés depuis mai 2017 par les autorités togolaises pour assainir les finances publiques. Dons et prêts de la Banque Mondiale et de la BAD. Le Togo a encore bénéficié de plusieurs dons et prêts auprès de la Banque Mondiale dans l’année 2017. Un prêt de 10 millions de dollars qui servira à continuer les travaux déjà entamés afin d’apporter une amélioration sensible aux productions agricoles et de soutenir les efforts de financement de l’Etat dans les recherches et les politiques de développement agricole. Trois accords de financement d’un montant de 39 milliards de FCFA destiné à lutter contre la pauvreté. Un prêt de 30 millions de dollars pour la mise en œuvre du Programme Régional Ouest-Africain de Développement des Infrastructures de Communications. L’institution de Breton Wood a approuvé un don de 15 millions de dollars de l’Association Internationale de Développement (IDA). Trois nouveaux accords de financement d’un montant de 51, 9 millions de dollars ont été accordés. Ils visent à soutenir les efforts entrepris par le Togo pour améliorer la viabilité de ses finances publiques et favoriser la croissance économique. Par ailleurs, la Banque Africaine de Développement (BAD) a également fait don d’une enveloppe de 7,47 milliards de FCFA le 21 décembre à l’Etat togolais dans le cadre du Programme d’Appui à la Promotion de l’Agrobusiness (PAGPA). Baisse d’impôts et taxes sur certains produits. L’Etat togolais à travers l’Office Togolais des recettes (OTR) a décidé en décembre 2017 de revoir à la baisse soit de 8% la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) applicable aux produits de première nécessité. Cette disposition est valable du 1er janvier au 31 décembre 2018. Classement du Togo dans les études internationales. Dans son rapport de 2017 sur le climat des affaires, la Banque Mondiale a classé le Togo à la 156e place sur 190 pays dans le monde. De son côté la Fondation Mo Ibrahim a rendu public le 20 novembre 2017 son indice annuel sur la Bonne Gouvernance en Afrique. Selon l’institution, le Togo a fait des efforts au point de se positionner au rang des pays ayant effectué des « bonds remarquables ». Le pays a donc gagné 7 places. Du 33e rang, il se retrouve au 26e.Le Programme Millenium Challenge Corporation (MCC) Le programme MCC du Togo avance. D’après les évaluations, le Togo est plus proche des milliards du programme Compact. Le MCC est un programme américain qui aide les pays en développement, éligibles, à réduire la pauvreté à travers la croissance économique durable. Création de la Cellule Climat des Affaires (CCA) : Le gouvernement togolais poursuit ses initiatives pour l’amélioration du climat des affaires dans le pays. Il a annoncé, la création de la Cellule du Climat des Affaires (CCA).
Lancement à Awagomé de l’initiative présidentielle CIZO (électrification rurale par kits solaires individuels) 2 décembre 2017
Cadre de concertation Etat secteur privé : La volonté manifeste du Président de la République et du Gouvernement de faire du secteur privé la cheville ouvrière de la croissance économique dans notre pays. Le Comité de Concertation entre l’Etat et le secteur privé a tenu sa toute première réunion en novembre 2017. Cellule présidentielle d’exécution et de suivi : Le gouvernement togolais a annoncé, en novembre 2017, la création d’une Cellule présidentielle et de suivi des projets dont le but est de réaliser davantage des projets concourant au bien-être des populations togolaises.
Autres domaines de l’action gouvernementale
Toujours soucieux du développement de la population togolaise, le gouvernement, sous la houlette du Chef de l’Etat SEM Faure Essozimna Gnassingbé, a entrepris en cette année 2017 plusieurs activités dans plusieurs domaines dont certaines sont toujours en cours. Energie. Les autorités togolaises ont fait de l’accès à l’énergie, une priorité. Les zones urbaines, mais surtout les zones rurales sont prises en compte dans la politique nationale d’électrification, personnellement conduite par le Chef de l’Etat SEM Faure Essozimna Gnassingbé. Développement à la base. La vision du développement à la base est de contribuer à la réduction de la pauvreté à travers l’amélioration de l’accès des communautés et des organisations à la base au « minimum vital commun ». Finance inclusive. La vision est de promouvoir dans la durée auprès des prestataires de services financiers, des approches novatrices qui génèrent des produits financiers pertinents et adaptés, destinés aux personnes pauvres ou à revenus intermédiaires. Pour réaliser cette vision il a été mis en place en 2014 le Fonds National de la Finance Inclusive (FNFI) avec pour objectifs au moins deux millions des Togolais exclus des systèmes financiers classiques touchés à l’horizon 2018. Projet des transferts monétaires. Dans ses vœux à ses compatriotes pour 2018, le Président de la République a annoncé que
le projet des transferts monétaires qu’il a lancé en 2015 à Landa (préfecture de la Kozah), passera à sa phase d’extension, portant le nombre des ménages de 30.000 actuellement à 120.000 durant les trois prochaines années et dans toutes les régions du pays. Secteur informel. Ainsi, le gouvernement a instauré en février 2017, le projet « améliorer la gouvernance du travail dans les TPE/PME ». Ce projet favorisera l’intervention des inspecteurs du travail dans l’économie informelle. Agriculture. Pour ce qui concerne le secteur de l’agriculture au Togo, depuis 2011 le gouvernement sous l’impulsion du Chef de l’Etat, a initié un projet dénommé Programme National d’Investissement Agricole et de Sécurité Agricole (PNIASA) destiné à améliorer la productivité, la qualité et la rentabilité des produits agricoles. Infrastructures. Pas de développement sans infrastructures. Le développement de l’infrastructure est un pilier essentiel du développement et de la croissance économique à long terme. Afin d’exploiter le mieux possible les nombreuses possibilités qui s’offrent à elle et de réaliser son potentiel, l’Afrique doit, se montrer beaucoup plus énergique et remédier à l’inefficacité et à l’insuffisance de l’infrastructure des transports. À cette fin, le Togo a pris de l’avance et est devenu en quelques années un hub de transports et de logistiques. Santé. L’année 2017 est marquée par plusieurs actions du gouvernement dans le but de protéger les citoyens contre diverses attaques pouvant nuire à leur santé physique que mentale. Ainsi, on peut noter le lancement de la campagne des Traitements De Masse pour les Maladies Tropicales Négligées au Togo en août 2017 par le ministère de la santé. Economie numérique. L’un des faits marquants de l’actualité dans le secteur du numérique en 2017 au Togo reste indubitablement Lancement par le Chef de l’Etat des activités de la Ferme Agricole Moderne Egypto-togolaise d’Abatchang (FAMETA) à Lama-Tessi dans la préfecture de Tchaoudjo 25 novembre 2017
le lancement par le Chef de l’Etat Faure Gnassingbé du projet e-gouvernement. Outre ce projet, 2017 a été également marqué par l’octroi de deux nouvelles licences à des opérateurs pour la fourniture d’accès à internet au Togo. En plus des opérateurs traditionnels que sont Togo-Télécom, Togocel et Moov, les sociétés Téolis et GVA ont également reçu des agréments de la part du gouvernement en juin 2017 pour la fourniture de l’internet au Togo. Enfin, la ministre Cina Lawson a signé début janvier à Dakar au Sénégal le protocole d’accord sur le « free roaming ». Environnement. En 2017, le Togo s’est résolument engagé à freiner la dégradation de ses terres. Pour lutter efficacement contre ce fléau, le ministère de l’Environnement et des Ressources forestières a rassemblé les acteurs du secteur pour l’élaboration d’un document stratégique devant reprendre les grands codes utilisés dans la préservation des terres au plan national et ceci à l’horizon 2030. Sports. Au Togo, sur le plan sportif, l’année 2017 a été marquée par les participations du Togo à la CAN 2017 au Gabon et aux jeux de la francophonie en Côte d’Ivoire, la victoire de Prince Lorenzo dans le championnat du monde des poids moyens et le tour cycliste international du Togo 2017. Culture. Pour soutenir la culture, le chef de l’Etat Faure Gnassingbé a inauguré le 24 octobre 2017 à Lomé un complexe culturel servant de salle de spectacle et de cinéma. Cette salle dénommée « Canal Olympia » est d’une capacité de 300 places et est dédiée à la jeunesse togolaise.
AFRIQUE MAGAZINE
PUBLI REPORTAGE
2018 est une année où les Togolais auront à de multiples occasions, la possibilité de démontrer leur patriotisme. Aucun progrès n’est possible sans la paix. Et le principal défi sera pour tous de protéger la flamme d’une stabilité aussi durement acquise. Les discours extrémistes ne peuvent plus prospérer dans un pays qui se relève doucement mais sûrement de décennies d’instabilité politique. La politique justement est bien l’art de favoriser le mieux vivre des citoyens. Le chef de l’Etat a, conformément à ses prérogatives constitutionnelles, fixé le cap pour cette année. Cohésion sociale, dialogue, élections démocratiques, promotion de la jeunesse, inclusion financière, renforcement de la santé et de la protection sociale des Togolais, sécurité.... seront les leitmotivs pour faire de 2018 une année exceptionnelle pour notre pays.
« LA PUNITION »,
Tahar Ben Jelloun,
Gallimard, 160 p., 16 €.
Avec La Punition, l’écrivain revient sur la journée du 23 mars 1965 – date symbole au Maroc – et le calvaire de 94 étudiants. Récit d’une longue nuit. par Catherine Faye « POUR avoir manifesté calmement, pacifiquement, pour un peu de démocratie, j’ai été puni. Pendant des mois, je n’ai plus été qu’un matricule, le matricule 10 366. » Depuis la publication en 1973 de Harrouda, son premier roman, avec lequel il fait scandale en abordant la sexualité, Tahar Ben Jelloun, 73 ans, n’a cessé de construire une œuvre multiforme. Son dernier ouvrage revient sur un épisode capital de sa jeunesse sous le règne de Hassan II. Il y raconte les dix-neuf mois de détention arbitraire d’étudiants, dont il fait lui-même partie, punis pour avoir manifesté pacifiquement dans les grandes villes du Maroc le 23 mars 1965. Leur but est d’interpeller les autorités et l’administration sur l’atteinte à leur droit à l’enseignement public. Condamnés à une peine de détention illimitée, les 94 jeunes gens sont enfermés dans des casernes sous couvert de service militaire. Ils y subissent humiliations, mauvais traitements, manœuvres militaires dangereuses. Certains y perdent la vie dans l’indifférence générale, d’autres sombrent dans la folie. Jusqu’à ce que la première tentative de coup 14
d’État militaire contre le régime de Hassan II du 10 juillet 1971 ne précipite leur libération. La Punition raconte ces jours sombres qui ont marqué à jamais l’auteur de Cette aveuglante absence de lumière (2001). Et qui l’ont également fait naître écrivain. Car Tahar Ben Jelloun a imaginé ses premiers textes dans les camps disciplinaires de El Hajeb et d’Ahermoumou. Des poèmes écrits secrètement. On est en 1966. Deux ans plus tard, alors qu’il vient d’être libéré, il fait lire ses pages au sociologue et romancier Abdelkébir Khatibi. Celui-ci les présente à son tour au futur prix Goncourt de poésie Abdellatif Laâbi, qui a fondé la revue Souffles. C’est dans cette tribune singulière du paysage de la presse marocaine que ses premières lignes sont publiées. En 1971, installé en France, il commence une collaboration avec le journal Le Monde. Il publie son premier recueil de poèmes, Cicatrices du soleil, en 1972. « Sans Souffles, je n’aurais jamais été écrivain », confie celui pour qui la mémoire, notamment celle du Maroc, est la source vive de toute son œuvre, qu’il ne conçoit qu’ancrée dans la société marocaine, ses problèmes, ses violences. Écrire lui permet également d’interroger la complexité des relations entre les individus et le réel. À travers l’intime, les quêtes, l’engagement citoyen. Avec La Nuit sacrée, qui succède à L’Enfant de sable, il reçoit le prix Goncourt en 1987. Ces deux romans connaissent un succès planétaire et sont traduits dans 43 langues. La Punition vient éclairer le sens de son œuvre. Et nous livre ainsi une clé. Essentielle. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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F. MANTOVANI/GALLIMARD
Tahar Ben Jelloun Une jeunesse sacrifiée
ON EN PARLE livres exil MILLE ET UNE VIES EXIT WEST, de Mohsin Hamid, pose une équation basique qui évolue de façon singulière. Saïd et Nadia, jeunes amoureux, pétris de rêves et de désir, vivent dans une ville inconnue du Moyen-Orient. Mais leur destin se corse, ils fuient la guerre civile, le chaos par la sortie ouest : la porte de l’Occident. Au milieu de ce tourbillon de violences, de sacrifices, apatrides, ils errent de Mykonos à
aventures DESTIN CHORAL
« EXIT WEST »,
Mohsin Hamid,
Grasset, 208 p., 19 €. Londres et échouent en Californie. Ce conte sur l’immigration forcée, dit avec âpreté et poésie l’enfer de nos frères humains contraints à l’exil. Un livre, un cri, scandant telle une litanie le mot réfugié, vrai héros de ce récit. ■ Nina Hadjam
génération Y
« MILLENIUM BLUES »,
TANGO PANACHÉ
UNE SAGA FRANÇAISE
2234 p., 19 €.
2001, année des tours jumelles… De passage à Buenos Aires, une mère et son fils, 11 ans, entrent dans une librairie. Le garçon est fasciné par d’étranges petites boîtes dans lesquelles reposent des poupées. Si le soir on leur confie ses problèmes et soucis, lui explique la maman, ils disparaissent au réveil. Lucien désire une boîte. Hésite. Le temps de se décider, c’est sa mère qui a disparu. Le voilà qui erre dans une ville étrangère. Et les rencontres avec les
ELLE raconte des histoires comme l’amie avec qui on discute en buvant un café. Révélée à 19 ans avec Kiffe kiffe demain (230 000 exemplaires vendus en France), récit d’une adolescente délaissée par son père retourné au bled, cette « Sagan des cités » revient, à 32 ans, avec un cinquième roman, Millenium Blues, et une nouvelle alter ego, Zouzou, représentante de la génération Y. Une saga douce-amère où l’héroïne passe de l’enfance à l’âge adulte, où s’entrechoquent des souvenirs marquants, le 11 septembre 2001, le second tour de l’élection présidentielle de 2002 ou la grippe A. Récit d’une femme en marche. ■ C.F.
premier roman
SIMON ISABELLE/SIPA
DES CÔTES africaines au Brésil, puis en mer des Caraïbes et jusqu’à l’Italie en passant par la péninsule ibérique, Dom Antonio Manuel, né Nsaku Ne Vunda vers 1583 sur les rives de fleuve Kongo, va vivre une succession d’aventures et de revers. C’est le destin singulier de ce héros méconnu, premier ambassadeur « UN OCÉAN, africain au Vatican, mort à Rome en DEUX MERS, TROIS 1608, que Wilfried N’Sondé raconte au CONTINENTS », fil de rebondissements et de rencontres Wilfried N’Sondé, Actes Sud, 272 p., inopinées. Un récit picaresque et saisissant, rythmé par un style et une voix 20 €. poétique et puissante. Un voyage d’hier, au cœur d’une époque marquée par la traite, pour nous réconcilier aujourd’hui. ■ C.F.
AFRIQUE MAGAZINE
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« L’ATTRAPE-SOUCI »,
Catherine Faye,
Mazarine, 300 p., 18 €. marginaux des rues lui permettent petit à petit à apprendre à se construire. Écrit par notre collaboratrice Catherine Faye, ce premier roman pourrait bien devenir un attrape-cœur. ■ H.D.
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Faïza Guène, Fayard, F
Faïza Guène a été révélée à seulement 19 ans, en 2004, avec la publication de Kiffe kiffe demain.
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À Tunis, une jeune veuve reprend peu à peu goût à la vie en photographiant des garçons dans la rue, à contre-courant des conventions et des interdits. par Jean-Marie Chazeau AMEL est une jeune Tunisienne qui a grandi en France, est devenue photographe à Tunis, et qui perd son mari dans un accident dès le début du film. Sa vie bascule, mais elle va réussir à émerger de son deuil en photographiant le corps des garçons qu’elle croise dans la rue ou sur des chantiers… Voilà un point de vue féministe peu courant dans le cinéma maghrébin. Un rapport de force dans la séduction inversé sans trop de pudeur. Mehdi Ben Attia avait déjà mis en valeur le corps masculin dans Le Fil, qui racontait une belle histoire d’amour entre hommes. Ici, Amel demande à ses modèles de se déshabiller, et son beau-père l’encourage : « Il faut secouer ce pays, la provocation, il n’y en a jamais assez ! » On est dans un milieu visiblement aisé, intellectuel, une grande maison bourgeoise où, sous des dehors libéraux, se 16
perpétue un certain féodalisme à l’égard du petit personnel, et même un droit de cuissage… C’est une des trouvailles du scénario que de ne pas présenter les personnages les plus progressistes comme étant les meilleurs du monde. C’est d’ailleurs en se retrouvant dans les quartiers populaires que la jeune photographe fera les rencontres qui transformeront « L’AMOUR DES HOMMES » son regard sur la Tunisie (France/Tunisie) de Mehdi d’aujourd’hui et les rapports de Ben Attia. Avec Hafsia classes. L’occasion de croiser un Herzi, Raouf Ben Amor. coiffeur interprété, le temps d’une courte scène, par… le célèbre cinéaste Férid Boughedir. Quant à Hafsia Herzi, son personnage lui ressemble, jusque dans sa façon de bouger dans ses tenues courtes et légères. Actrice sensuelle et décidée, dix ans après La Graine et le Mulet qui signait son irruption dans le cinéma, devant la caméra d’Abdellatif Kechiche (qui, lui, n’aime rien tant que de s’attarder sur les formes féminines, comme on le verra encore bientôt dans Mektoub, my Love : Canto uno), la voici qui bouscule avec grâce les codes de la virilité. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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AMEL GUELLATY/4A4 PRODUCTIONS-CINÉTÉLÉFILMS
La femme qui dévoile les hommes
Amel (Hafsia Herzi) n’a pas peur d’inverser les rôles. Derrière son objectif, un regard féministe sur le monde.
ON EN PARLE cinéma écrans
drame
Droit d’exil UN PROFESSEUR de français (Eriq Ebouaney) qui a perdu sa femme en fuyant la guerre en Centrafrique, se débrouille comme il peut avec ses deux jeunes enfants en travaillant sur les marchés en France. Il y rencontre une femme sensible (Sandrine Bonnaire) à sa situation alors qu’il tente d’obtenir le droit d’asile. Le contexte est parfaitement décrit, et le cinéaste tchadien joue sur l’émotion avec une distance salutaire. Mais les couleurs et la poésie des superbes plans de Grigris ou d’Un homme qui crie se sont comme dilués dans la grisaille parisienne et celle de la « jungle » de Calais… ■ J.-M.C.
Abbas, réfugié centrafricain, se reconstruit une vie en France avec Carole, sensible à son courage.
« UNE SAISON EN FRANCE » (France)
de Mahamat Saleh Haroun.
Avec Eriq Ebouaney, Sandrine Bonnaire.
drame
Ménage à trois UNE BOURGEOISE des beaux quartiers de Lyon dont on découvrira le passé, un jeune barman tunisien, et une clandestine échouée sur les rives européennes… Entre ces trois-là, bien des sentiments vont se heurter. En toile de fond, la peur de voir surgir le frère islamiste de la jeune immigrée. La réalisatrice de Satin rouge réussit à maintenir une vraie tension entre ses personnages, et traite d’une façon biaisée bienvenue la question de l’immigration, à travers un regard féminin. Hiam Abbass est formidable, entourée de deux jeunes comédiens magnétiques. ■ J.-M.C. « CORPS ÉTRANGER » (France/Tunisie) de Raja Amari. FRANCK VERDIER/PILI FILMS - ZADE ROSENTHAL/MARVEL - ARMANDO GALLO/ZUMA STUDIO-REA
Avec Hiam Abbass, Sarra Hannachi, Salim Kechiouche.
comics
Ryan Coogler, l’Afrique rêvée BLACK PANTHER [voir AM 371-372], le blockbuster de Marvel, sera sur les écrans le 14 février. Il fallait se rendre en Afrique pour le tourner. « Personne dans ma famille n’a eu l’opportunité d’y aller, a expliqué le réalisateur américain Ryan Coogler. C’était comme un endroit mythique pour nous, comme pour tous les Afro-Américains. » Il a donc sillonné l’Afrique du Sud, pour s’imprégner du continent. Car au cœur des aventures de Marvel, il y a le Wakanda, pays imaginaire caché en Afrique. Dans le rôle-titre, Chadwick Boseman, mais aussi Michael B. Jordan (Creed), l’oscarisée Lupita Nyong’o ou Danai Gurira, qui, bien que née dans l’Iowa, a vécu en Afrique, au Zimbabwe, le pays de ses parents. ■ J.-M.C. AFRIQUE MAGAZINE
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Le réalisateur Ryan Coogler.
Dans le rôle de Black Panther, Chadwick Boseman (le James Brown de Get On Up).
« BLACK PANTHER » (États-Unis)
de Ryan Coogler. Avec Chadwick Boseman, Michael B. Jordan, Lupita Nyong’o, Danai Gurira. 17
KillASon Le dandy qui secoue son monde
Avec son flow décalé et ses productions denses, le Français affole les charts.
C’EST LE DERNIER chouchou de la presse française, et même The New York Times ou The Quietus parlent de lui avec enthousiasme. Marcus Dossavi-Gourdot alias KillASon cultive un hip hop ultra esthétique et sexy, révélé par les EPs The Rize et STW1. Quand il nous confie avoir été profondément marqué par un live de Michael Jackson diffusé à la télévision lorsqu’il n’avait que 6 ans, on n’est guère étonné… « J’ai eu la chance de grandir dans une famille de danseurs [Julie Dossavi, d’origine béninoise, et Gérard Gourdot, tous deux danseurs/ chorégraphes, NDLR]. La musique était la source première mais j’exprimais l’énergie à travers la danse. Le son m’a toujours ému et le mouvement était la manifestation directe et authentique de cette émotion. » À l’âge de 8 ans, son beau-père, le percussionniste Yvan Talbot, lui place des baguettes de batterie entre les mains et l’inscrit au conservatoire. Il pratique assidûment la musique comme la danse, 18
à terme que mes actes pourront enchaînant compétitions et concours témoigner d’une implication plus chorégraphiques avec son groupe concrète dans les problématiques de Undercover. À 14 ans, il enregistre son notre monde. La musique est pour moi premier morceau avec l’aide d’Yvan un transformateur d’énergie en ondes Talbot. Quelques années plus tard, il se positives. Donc je peux lance pour de bon, même parfois être amené à aborder s’il étudie aussi à des thèmes plus durs comme l’université… dans mon dernier clip, Blow, Ses références ? qui évoque la xénophobie « Enfant, je faisais tourner en Europe, tout en gardant les platines vinyle toute en tête que l’objectif principal l’après-midi. J’écoutais en est de transporter l’auditeur boucle des artistes comme dans une bonne “vibe”. » Afrika Bambaataa, The « STW2 », KillASon, Supanova. Avec ses tempos addictifs Police, Musical Youth, Bob et ses mélodies bien pensées, Marley. Il y avait aussi KillAson peut se réclamer de l’influence beaucoup de CD d’électro, de house d’un Stromae, qui fait danser les foules music, de techno… » Autant d’influences sans oublier son empathie. « J’aimerais qui se retrouvent dans sa musique atteindre cette efficacité et faire ressentir anglophone et dans ce nouveau court cet amour au public. Je ne me prends album, STW2 (pour « Strange the pas au sérieux, je rentre dans l’état, World »). Si l’entertainment reste un comme dans une performance. » Nul objectif, KillAson est aussi conscient de ce qui l’entoure « en tant que Français, doute que les fans seront plus nombreux à chacune de ses prestations. ■ métisse africain et caucasien » : « J’espère AFRIQUE MAGAZINE
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GRÉGORY BRANDEL
La vingtaine fringante, un sens de la mise en scène aiguisé et des titres imparables : ce rappeur accompli offre une leçon de hip hop ÉLECTRIQUE et bariolé. par Sophie Rosemont
ON EN PARLE musique
grande voix
OUM KALTHOUM, TOUJOURS
Un nouveau best-of fait revivre la légende de l’icône égyptienne. MARIA CALLAS disait de sa voix qu’elle « THE VERY BEST OF », était incomparable. Une voix qu’Oum Oum Kalsoum, Kalthoum avait façonnée, enfant, Addictive Music. en psalmodiant des versets du Coran. En témoigne cette nouvelle rétrospective (la poule aux œufs d’or, ce bon vieux concept qui fait toujours ses preuves) consacrée à « L’Astre d’Orient », chanteuse du peuple égyptien, mais aussi du monde oriental dans ses grandes largeurs. Tous ses plus beaux morceaux sont là : « Beredak Ya Khaliqi », « Ghana Rabi », « Leh Tilaweini » ou encore « Men Elli A’Al ». D’où le titre un peu prétentieux mais assez juste de « very best of ». [Lire aussi p. 70] ■ S.R.
blues / world JACOB SALEM, APÔTRE DU ROCK MOSSI DESCENDANT d’une famille de serviteurs du Mogho Naba, le souverain du peuple mossi, ce chanteur et guitariste burkinabè a grandi aussi bien au son d’un joueur de kundé traditionnel qu’à celui de James Brown. À 18 ans, lorsqu’un pasteur lui apprend à jouer de la guitare, c’est la révélation. Il invente le rock mossi, mariage passionné de blues et de rythme ternaire warba. Dans les années 2010, le guitariste suisse André Courbat dit « Somkieta » succombe à cette dextérité et lui confectionne un album sur mesure. Nanluli emporte par sa poésie et sa soif de l’absolu, n’hésitant pas à s’attaquer à des sujets sociaux. Déjà un classique. ■ S.R.
Originaire de l’île de São Nicolau, l’artiste veut faire rayonner les genres musicaux de son pays à l’international.
« NANLULI »,
Jacob Salem & Somkieta, RFI Talents.
« IVY TO ROSES »,
découverte
N’KRUMAH LAWSON DAKU - DR
LUCIBELA, JOLIE LUMIÈRE
Mabel McVey, Mercury/ Universal.
Avec grâce, la jeune Capverdienne suit les pas de Cesaria Evora.
R’n’B
ENREGISTRÉ à Lisbonne et produit par le célèbre musicien capverdien Toy Vieira (Tito Paris, Cesaria Evora, Lura), voilà un premier album qui ne commet aucun écart, tant rythmique que mélodique. Normal : son auteure est loi d’être une débutante. À 31 ans, cette native de l’île de São Nicolau chante depuis sa plus tendre enfance. Après avoir fait ses armes dans un groupe, Mindel Som, elle écume les hôtels des îles voisines. Aujourd’hui, tout le monde parle de Lucibela au Portugal. À raison : son timbre profondément chaleureux, sa maturité expressive et son interprétation de la morna et de la coladera trouvent peu de concurrence. En témoigne Laço Umbilical, à découvrir notamment sur la scène de l’Alhambra (Paris) le 12 février. ■ S.R.
VOILÀ un pedigree qui promet : fille de Neneh Cherry et de Cameron McVey (producteur de Massive Attack), Mabel, à peine la vingtaine, a décidé de suivre la voie familiale, mais en explorant ses idoles de toujours (Beyoncé, TLC…). Examen réussi. Sous influence des années 90, son R’n’B sonne à la fois très soul grâce à une voix de velours et synthétique juste comme il faut. À l’écoute des 8 titres de sa mixtape Ivy to Roses, l’on comprend que cette fille cherry ira loin. D’autant que son physique lui vaut déjà de poser pour les marques et les magazines de mode, tous fascinés par l’aura de Mabel. ■ S.R.
« LAÇO UMBILICAL », Lucibela, Lusafrica.
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MABEL MCVEY, Y DIGNE HÉRITIÈRE
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Olu Amoda, « Corner Eye II », (2016), Art Twenty One. Ouattara Watts, « Matrix 5 », (2004),, Galerie (S)itor.
Sory Sanlé, « Elvis » (1974), Yossi Milo Gallery.
art contemporain
1:54 : rendez-vous à Marrakech ! ON serait presque tenté de dire « enfin » ! Cinq ans après la première édition à Londres en 2013, trois ans après l’atterrissage à New York, la foire d’art contemporain africain 1:54 pose ses valises sur le continent. Et plus précisément au Maroc, à Marrakech, la ville de Touria El Glaoui, fondatrice de 1:54. Rendez-vous donc les 24 et 25 février dans les salons luxueux et les allées ombragées des jardins fameux de la Mamounia, partenaire de la foire. Dix-sept galeries soigneusement sélectionnées feront le voyage, dont six africaines : Art Twenty One (Nigeria), les ivoiriennes Galerie Cécile Fakhoury, LouiSimone Guirandou Gallery, et les marocaines L’Atelier 21, Loft Art Gallery et VOICE Gallery. Le public de visiteurs, d’experts et surtout d’acheteurs pourra (re)découvrir le travail de plus de 60 artistes africains et de la diaspora. Trois expositions individuelles seront mises en vedette : l’artiste béninois, directeur du Centre Arts et Cultures de Lobozounpka à Cotonou Dominique Zinkpè, Ouattara Watts, le plus américain des Ivoiriens, et le photographe burkinabè Ibrahim Sory Sanlé, incroyable témoin visuel artistique et documentaire, à l’image d’un 20
Dominique Zinkpè, « Femme diva » (2016), Galerie Vallois.
Malik Sidibé ou d’un Seydou Keita. Enfin, 1:54 accueillera le traditionnel FORUM, le programme de conférences et de débats réunissant des personnalités culturelles, sur le thème « Always Decolonise! ». Et qui sera organisé pour la première fois par Omar Berrada, commissaire d’exposition et écrivain, directeur de Dar al-Ma’mûn à Marrakech. Pour Touria El Glaoui, il y a clairement un retour aux origines, à l’Afrique, au Maroc, et aussi à la ville de sa famille, là où a travaillé son père, le grand peintre figuratif Hassan El Glaoui. Mais il a y a aussi la volonté de s’arrimer à l’énergie de la Ville ocre, qui dépasse le cliché touristique et qui s’installe parmi les nouveaux hubs artistiques du monde. Également, de nombreux « special projects » en partenariat avec le Musée d’art contemporain africain Al Maaden (MACAAL), le Musée Yves Saint Laurent, la Fondation Montresso, en collaboration avec des institutions locales comme la galerie Comptoir des Mines, Le 18 et le Riad Yima. Voilà. Faites vos valises et rendez-vous à Marrakech ! ■ Zyad Limam « 1:54 », Marrakech, 24-25 février. 1-54.com AFRIQUE MAGAZINE
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OLU AMODA - OUATTARA WATTS - SORY SANLÉ - DOMINIQUE ZINKPÈ
La célèbre FOIRE prend ses quartiers sur le continent pour la première fois, dans le cadre de la Mamounia.
ON EN PARLE agenda Couple en habits du dimanche, États-Unis, v. 1890-1910.
spectacles
Une saison africaine
Danse ou littérature : le cycle « Voix d’Afrique » met en avant la création sous toutes ses formes.
Le théâtre Jean Vilar, en région parisienne, battra au RYTHME du continent jusqu’à fin mars. anthropologie
LES POUPÉES REBELLES
ELLEN MCDERMOTT, NEW YORK CITY, COURTESY OF THE ARTIST & LA MAISON ROUGE, PARIS - CHRISTINE MALARD - CLAUDE TRUONG-NGOC
Dans l’Amérique ségrégée des xixe et xxe siècles, des anonymes créent d’étonnantes figurines. À leur IMAGE. CONCEVOIR des jouets qui ressemblent à leurs enfants : c’est ce qu’ont fait, entre 1850 et 1940, des mères et nourrices africainesaméricaines, qui ne se reconnaissaient ni dans le poupon (blanc) dominant, ni dans la poupée raciste façonnée selon des stéréotypes. De la figurine la plus abstraite à la plus réaliste et détaillée, ces 150 artefacts de bois, cuir ou tissu, collectés par une avocate de la côte Est et montrés pour la première fois hors des États-Unis, surprennent par leur extraordinaire diversité. Une collection émouvante qui dévoile, surtout, une autre histoire des Noirs américains, culturelle et intime. À une époque où ce geste, bien plus politique qu’il n’y paraît, prenait la forme d’un acte de résistance. ■ Éléonore Quesnel « BLACK DOLLS – LA COLLECTION DEBORAH NEFF », La Maison rouge, Paris, du 23 février
au 23 mai. lamaisonrouge.org AFRIQUE MAGAZINE
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UN BAL, des spectacles, des rencontres… À travers son cycle « Voix d’Afrique », le théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine nous embarque dans un voyage inattendu, des falaises du pays dogon au Shrine, le mythique night-club de Lagos. Où l’on part sur les traces de figures fascinantes : l’écrivain et penseur malien Amadou Hampâté Bâ, chantre de l’oralité, dans un spectacle plein d’humour et de sagesse (le 6/03), ou le sulfureux pape de l’afrobeat Fela Kuti, dans l’« hommage dansé » et effréné Kalakuta Republik (23/03). Mais aussi Requiem, héros de la pièce Tram 83 (25/03), adaptée du roman à succès du même nom de Fiston Mwanza Mujila. Une création poétique mêlant théâtre, littérature et musique, à l’image de ce cycle joliment cosmopolite et résolument étonnant. ■ E.Q. « VOIX D’AFRIQUE », Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine,
jusqu’au 25 mars. theatrejeanvilar.com
casablanca
AUTEURS ET LIVRES EN FÊTE
Kamel Daoud.
Très attendu, le 24e Salon international de l’édition et du livre (SIEL) réunira cette année près de 300 auteurs et chercheurs avec, en pays invité d’honneur, l’Égypte. Outre les écrivains marocains, cet événement rassemblera des plumes palestiniennes (le romancier Ibrahim Nasrallah, le poète Ghayath Al Madhoun…), d’Algérie (Kamel Daoud, Bouzid Harzallah) ou du Sénégal (Amadou Lamine Sall). La Syrie sera présente avec Nouri al-Jarrah, le Niger avec le poète touareg Mohamadine Khawad et la Jordanie avec l’écrivaine Racha al-Khatib. À suivre... ■ Nina Hadjam Office des Foires et Expositions, du 8 au 18 février. salonlivrecasa.ma/fr/ 21
PARCOURS par Loraine Adam
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BERTINI/ÉD. MÉTAILIÉ
Elnathan John I
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SON PREMIER roman, enfin traduit en français, a été encensé par la critique. Dans Né un mardi, l’écrivain et satiriste nigérian suit un enfant des rues de Sokoto, jetant une lumière crue sur le contexte politique et religieux de la région. Sans se départir du mordant qui le caractérise.
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l est avocat de formation, né à Kaduna, en 1982. Il écrit régulièrement chroniques, satires. Et vit, comme il le dit lui-même, dans un « ailleurs », quelque part entre Berlin, sa ville d’accueil, et son Nigeria natal. Et son premier roman est un véritable succès. Né un mardi est un récit d’apprentissage poignant et réaliste que le Guardian et le New York Times, entre autres, ont largement encensé. La plume est sûre, maîtrisée, et le style dépouillé, implacable. Paru en 2015 au Nigeria, en 2016 en Grande-Bretagne et aux États-Unis, ainsi qu’en Allemagne l’an dernier, il sort aujourd’hui en France. Un texte en forme d’hommage aux sans-nom « que l’on a délibérément refusé de nommer, dissimulés ou effacés de notre conscience ». Et qui dénonce la situation d’une jeunesse et d’un peuple « victimes des dommages collatéraux du dysfonctionnement nigérian, trop souvent réduits à de simples statistiques englobant pauvres, défavorisés et autres victimes des innombrables tragédies écologiques ou politiques issues de violences entre militants ou du fait de l’État ». Dantala, protagoniste du roman (dont le prénom signifie « né un mardi »), est un adolescent que son père expédie dans une école coranique des faubourgs de Sokoto, loin de son village. À la mort de ce dernier, faute d’argent pour payer sa scolarité, l’enfant intègre une bande de gamins des rues entre bagarres, magouilles, cigarettes de wee-wee et autres basses manipulations électorales. Après de sanglantes émeutes, il trouve finalement refuge dans une mosquée salafiste où l’iman, touché par sa vivacité d’esprit et sa soif d’apprendre, deviendra son mentor sur fond d’escalade de la violence entre extrémismes politiques et religieux. Ce roman est né d’une nouvelle intitulée Bayan Layi, sélectionnée par le Caine Prize de l’écriture africaine en 2013 : « J’ai alors compris que j’avais exposé au monde une histoire incomplète. J’essayais d’y nuancer un débat très local alors qu’on pouvait interpréter cette histoire comme une succession d’actes de violence dépourvus de sens. J’ai donc souhaité développer la trajectoire et les découvertes de mon personnage. » C’est par la poésie qu’il est arrivé en littérature : « La première fois que j’en ai écrit, c’était en cours d’anglais. Je n’en avais jamais lu et ne savais même pas ce que c’était. J’ai regardé la définition dans la vieille encyclopédie de mes parents et je suis sorti acheter une petite anthologie de poèmes pour voir à quoi ça ressemblait. J’ai essayé d’écrire un sonnet mais la prof n’a pas cru que c’était de moi. Pour lui prouver le contraire, j’ai rempli tout mon cahier. » Sur son site, dans la rubrique « Fiction : Quelques très mauvais poèmes », on peut d’ailleurs en découvrir de plus récents… Avec Cassava Republic, son éditeur nigérian, « aucune pression pour aplanir ou sur-expliquer à l’attention d’un public étranger non averti. Ils comprennent instantanément ce que j’essaie de faire avec ma fiction. » Et dans ce pays où les librairies sont rares et les lecteurs, très demandeurs, il a souvent été surpris par les critiques et retours positifs. « Le gouvernement nigérian, quant à lui, ne lit pas, ce qui nous permet de nous passer de son opinion », lâche l’auteur avec le mordant qui le caractérise et que l’on retrouve avec délectation au fil des pages de son site personnel et de son blog intitulé « Le coin sombre d’Elnathan John ». À Berlin, il se consacre pleinement à l’écriture : « C’est dans notre nature de raconter des histoires, nos histoires. La loi fait son travail de loi, la littérature fait son travail de littérature. On ne pourrait pas dire qui des deux est le plus efficace… » Dans le Daily Trust au Nigeria, il poursuit ses chroniques satiriques hebdomadaires. Il prête parfois sa plume au Guardian, au Monde diplomatique et d’autres encore… Actuellement, il travaille sur un projet de roman graphique et à l’écriture de sa prochaine fiction, tous deux à paraître en 2019. De nouveaux hommages à ceux qui « tels des étoiles sans nom traversent un ciel nocturne aux lumières anonymes ». ■
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Elnathan John, Né un mardi, éd. Métailié, 272 p. Site : elnathanjohn.com
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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié
LETTRE À
M. TRUMP onsieur, J’ai été ravie pour vous le 16 janvier dernier d’entendre la lecture de votre bulletin de santé et d’apprendre que vous étiez donc en pleine forme. En effet, vos propos du 11 janvier où vous avez qualifié Haïti et des États d’Afrique de « pays de merde », auraient pu laisser entendre le contraire. Chacun, bien entendu, a le droit de penser ce qu’il veut. Et dans le cas d’espèce, personne ne doute que vous ayez été très sincère en prononçant ces mots, au vu de votre méconnaissance et de votre mépris du continent, dont vous êtes incapable d’écrire le nom des pays avec la bonne orthographe. Le problème, c’est que vous êtes chef d’État, et de surcroît d’une nation qui pèse plutôt lourd dans le paysage international. Vos propos, véritable insulte à toute règle diplomatique d’abord, sont donc inadmissibles. Et le courrier (une prouesse quand l’on sait que vous n’affectionnez que les tweets et leur mode minimal d’expression) que vous avez adressé au président de la Commission de l’Union africaine dix jours plus tard, pour rappeler que vous respectez les nations du continent et leurs citoyens, est bien le constat d’un drôle de rétropédalage. Comme pour rattraper en vitesse une « boulette ». Heureusement, vos propos choquants ont entraîné une levée de boucliers globale. Laissons de côté quelques intellos avides de pensées à rebrousse-poil qui ont glosé sur le thème « Vous avez raison, on est des nuls, il faut prendre notre destin en main, bla-bla… ». Comme si le continent avait besoin de votre grossièreté pour savoir que l’Afrique a ses défauts, ses travers, ses fai-
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blesses. Comme si on avait besoin de vous pour ouvrir le débat. J’ajouterai d’ailleurs un carton rouge au passage au président ougandais, Yoweri Museveni, qui a cru bon d’en rajouter une couche en avouant que sur le fond, vous n’aviez pas tort de pointer ces faiblesses. Vous, un si grand manitou du business au départ, devriez pourtant savoir que l’Afrique, c’est aussi l’avenir, votre richesse de demain, un immense marché de consommateurs, et une terre d’opportunités d’affaires aussi. Mais c’est sûrement un peu loin, un peu compliqué pour vous. Ce n’est pas grave. Essayez juste de respecter votre fonction, Monsieur Trump, et d’éviter à l’avenir ce genre de (grand) écart de langage. Lorsque vous ne serez plus président, vous serez libre de traiter qui vous voudrez de ce que vous voudrez, tout le monde s’en moquera comme de sa première frite d’igname. Car on se sera tous empressé de vous avoir oublié. Mais ces propos n’engagent que moi ! ■
Comme si le continent avait besoin de votre grossièreté pour savoir que l’Afrique a ses défauts, ses travers, ses faiblesses.
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INTERVIEW
Ismaïl Omar Guelleh « Djibouti est libre À de ses choix ! » Dettes, lutte contre la pauvreté, souveraineté nationale, la Chine, les projets pour demain… Le chef de l’État n’élude pas les questions. Et se voit comme le premier de cordée d’une caravane courageuse, sur un chemin difficile, qui se dirige vers l’objectif…
propos recueillis par Zyad Limam, envoyé spécial à Djibouti
découvrir ou redécouvrir la capitale et ses environs, on mesure l’importance des mutations en cours. Certes, il y a cette image traditionnelle, celle des bases militaires, d’un pays-garnison, sorte d’avant-poste des intérêts stratégiques des grandes puissances, à l’entrée du détroit de Bab-el-Mandeb, par là où passent près de 20 % des exportations mondiales, 10 % du transit pétrolier annuel, et plus d’un milliard de dollars de marchandises chinoises tous les jours. Pourtant, au-delà de cette presque carte postale contemporaine, celle des hauts murs couleurs kaki, se dessinent des enjeux autrement plus économiques et commerciaux. Ici, ce petit pays d’un million d’habitants, d’un peu plus de 23 000 km2 (149e nation du monde par la taille) compte bien s’imposer avec l’appui déterminé de la Chine, comme une nouvelle Singapour, l’une des places fortes logistiques et portuaires majeures de l’Afrique. Un centre de services capable de servir de manière compétitive l’Éthiopie, géant de 100 millions d’habitants dépourvu de façade maritime et en pleine expansion économique. Mais aussi, tout aussi efficacement, la région
VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE-REA
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INTERVIEW ISMAÏL OMAR GUELLEH : « DJIBOUTI EST LIBRE DE SES CHOIX ! »
et l’immense hinterland qui s’étend vers l’Afrique centrale et peut-être, un jour, jusqu’à l’autre côté, l’océan Atlantique. Et de s’insérer activement dans l’immense projet des nouvelles routes de la soie. En quelques mois, il y a eu clairement un effet démultiplicateur, porté par les investissements et l’appui de Beijing. Après la mise en service du port de Tadjourah (pour le bétail en particulier) et de celui de Goubet (pour l’exploitation du sel), le début de l’année a vu le démarrage, près de la capitale, du DMP, Doraleh Multipurpose Port, après trente mois de travaux (et avec un budget de 580 millions de dollars). À ses côtés, les engins s’activent quasiment nuit et jour pour faire naître l’ambitieuse zone franche (Djibouti Free Trade Zone) de 48 km2, qui fait face à l’imposante base militaire chinoise. Le long de la route passent les rails du fameux chemin de fer Djibouti – Addis-Abebba. Un chantier pharaonique, porté lui aussi par la Chine, et qui permet de faire circuler plus efficacement les biens et les personnes entre les deux capitales sur un trajet de plus de 700 km. L’imposante gare de Nagad, à la sortie de la capitale, témoigne de l’ambition du projet. Le centre-ville se transforme petit à petit avec l’éclosion rapide d’un secteur bancaire et financier. Les projets sont nombreux. On parle de nouvelles routes vers l’Éthiopie, d’un aéroport, de centre télécoms pour le traffic data entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Dans ce contexte survitaminé, Djibouti devrait faire partie des dix économies à la plus forte croissance en 2018. Il y a évidemment une immense part de risques dans le pari djiboutien. Le pays est pauvre en ressources naturelles, avec une population limitée. Il faut tout parier sur la stratégie, et la mise en compétition habile des partenaires extérieurs. Attirer les investisseurs sans renoncer à sa souveraineté. Monter des projets sans se noyer dans la dette. Quelque chose se joue ici, dans ce qui fut longtemps une périphérie, un confetti d’empire colonial et qui semble trouver sa place au cœur des nouveaux mondes émergents. Et il faut aussi que cette richesse se traduise par des avancées concrètes pour les citoyens du pays. Au pouvoir depuis dix-neuf ans, le président Ismaïl Omar Guelleh est au cœur de cette stratégie d’émergence. Il a reçu Afrique Magazine, au premier étage du palais, une grande maison moderne et tout en blanc construite juste à côté de l’ancien palais des gouverneurs. Affable, habile et déterminé sur ses objectifs, « IOG » a répondu à nos questions. ■ Z.L.
AM : Trains, nouveaux ports, infrastructures… Les changements sont vraiment spectaculaires à Djibouti. Pourtant, de nombreux analystes estiment que cette forte croissance n’est pas assez « inclusive », que la pauvreté ne recule pas assez vite, que le modèle, en quelque sorte, ne consacre pas assez d’efforts à la lutte contre la précarité. Pour reprendre une expression courue en Afrique, « le goudron, ça ne se mange pas »… Ismaïl Omar Guelleh : C’est une question légitime. Entre nous, 28
« La Chine est un véritable partenaire, le seul finalement aujourd’hui qui fonctionne sur une coopération à long terme. » entre Djiboutiens, nous mesurons notre ambition commune, la lutte contre la pauvreté et la précarité. Nous mesurons les effets de la sécheresse, qui pousse les gens vers notre seule grande ville, la capitale. Nous mesurons la solidarité active qui transcende notre société, qui permet aux plus fragiles d’éviter la faim ou le dénuement. Nous sommes aussi un pays de tradition humble et dans notre culture, la richesse ne veut pas dire grand-chose. Ce que nous voulons avant tout, c’est un toit, une éducation pour nos enfants, la capacité à nous soigner. Nous avons construit des écoles dans toutes nos localités. Et il n’y en a pas une qui s’est faite sans qu’il y ait un forage pour l’eau. Et même une cantine. Nous organisons des caravanes médicales régulièrement à travers le pays. Mais nous sommes aussi un pays ouvert, avec des frontières difficiles à « verrouiller ». Au cœur d’une région où les gens se déplacent. Des migrants occasionnels, qui passent et qui repassent chez nous, pour des raisons familiales, climatiques, économiques. Ou qui finissent par s’installer définitivement. Nous avons un sérieux défi avec ces « populations flottantes » souvent démunies, que nous accueillons, mais qui alourdissent les contraintes sur notre économie et que les institutions internationales ne veulent pas prendre en compte. Elles ne rentrent pas dans les catégories traditionnelles. Le gouvernement essaye de voir avec nos partenaires éthiopiens et l’Organisation des migrations internationales (OMI) comment nous pourrions fixer ces populations chez eux, en leur permettant d’obtenir en une fois ce qu’ils viennent chercher à acquérir sur plusieurs mois (ou années…) à Djibouti. Ces « populations flottantes » ne concernent pas d’ailleurs que les gens pauvres. Nos écoles, nos universités attirent aussi des jeunes de toute la région, même s’ils ne sont pas francophones, et qui désirent se former, se donner une chance, qui souhaitent même travailler à Djibouti et qui accentuent la pression sur le marché de l’emploi. Nous faisons de notre mieux AFRIQUE MAGAZINE
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ZHANG DUO/XINHUA-REA
Pékin, le 23 novembre 2017. Ismaïl Omar Guelleh est reçu par son homologue Xi Jinping. Une visite au cours de laquelle les deux chefs d’État ont pu renforcer leur collaboration stratégique, et signé des accords de coopération économique, technique et agricole. avec toutes ces données qui méritent d’être mieux expliqués à nos partenaires. Les statistiques évoquent un chômage de près de 60 % de la population. Ce sont des chiffres qui circulent et qui nous semblent peu compréhensibles. Je vous ai expliqué notre contexte régional et l’afflux de « populations flottantes ». Par ailleurs, les modalités de calcul excluent les emplois de l’économie informelle. Ainsi, ne sont pas pris en compte des secteurs dynamiques, comme celui du bâtiment, du commerce, du transport urbain, de l’élevage et de la pêche où le travail traditionnel, informel, est très important… Autre point important soulevé par ces « partenaires », la question de la dette publique, qui grèverait le budget de l’État. Très bon débat, mais là aussi, permettez-moi de relativiser. Une partie de cette « dette » est constituée auprès des entreprises publiques qui sont dans les secteurs marchands : télécoms, électricité, aéroport, ports… L’État a pu donner sa garantie sur tel ou tel emprunt, mais ces organismes sont indépendants financièrement, ils collectent leurs revenus, assument leurs charges, ne font pas appel au budget de l’État et au Trésor public. C’est le cas en particulier des différentes entités de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti (APZFD) qui payent, sans défaut, leurs créanciers et aussi des dividendes à l’État ! Par ailleurs, nos partenaires traditionnels AFRIQUE MAGAZINE
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au développement sont constitués à 80 % par les fonds arabes qui accordent des crédits concessionnels à très faible taux d’intérêt et sur des longues échéances, avec des périodes de différés conséquentes : Fades, Banque islamique de développement, fonds saoudien, fonds koweïtien, fonds de l’OPEP… Et puis aussi, comme on l’a dit pour le chômage, il faudrait mieux prendre en compte l’apport du secteur informel à notre produit national brut. Et admettre qu’une croissance élevée (7 %) va alléger rapidement le poids de notre endettement. D’où vient alors le « débat » ? La question concerne notre collaboration très ambitieuse avec la Chine. Et en particulier deux projets d’infrastructures, à long terme, qui ont fait grimper « l’addition ». Il y a d’abord le chantier, vital permettez-moi de le dire, d’adduction d’eau entre l’Éthiopie et Djibouti, que nous avons inauguré en juin dernier. Et qui permet de nous libérer d’une véritable anxiété existentielle, que ce soit pour la consommation du pays, celle de la capitale, ou l’agriculture. Coût de l’opération pour nous, un peu plus de 322 millions de dollars, financés par l’Eximbank chinoise. Et puis surtout, il y a le chemin de fer Djibouti – Addis-Abeba, qui a été porté aussi via Eximbank. C’est un projet essentiel pour l’avenir de notre pays, et celui de l’Éthiopie. Une ambition coûteuse (à hauteur de 491 millions de dollars pour notre part) nécessaire, avec une rentabilité à long terme. L’ancien Premier ministre éthiopien, mon ami le regretté Meles 29
INTERVIEW ISMAÏL OMAR GUELLEH : « DJIBOUTI EST LIBRE DE SES CHOIX ! »
Zenawi, était intimement persuadé de l’importance du rail. Nous avons voulu faire vite, la Chine a répondu positivement, certains éléments de rentabilité n’ont peut-être pas été suffisamment appréhendés en termes de charges financières et de revenus, en particulier dans les premières années d’exploitation. J’ai parlé de ces problèmes avec le président Xi Jinping lors de ma visite récente à Beijing. Il s’est montré très ouvert à une solution rapide. Mais il faut tenir compte des règles et des procédures de l’Eximbank. Et aussi bien comprendre, souligner que dans les deux cas, l’eau et le train, il s’agit de projets incontournables, essentiels pour notre développement, qui offrent des perspectives à long terme. Et que seuls nos amis chinois se sont proposés pour les réaliser. Autre question qui interpelle les « partenaires internationaux », la fameuse loi sur les investissements stratégiques, votée par le Parlement en octobre 2017 et qui permet à l’État de renégocier, voire de rompre des contrats déjà signés, mais contraires à ses intérêts fondamentaux… Il n’y a pas de cible cachée, d’intentions inavouées. C’est une loi de la République dont l’objectif est clair. Nous avons une grande ambition économique pour notre pays. Élément-clé de notre approche, nous voulons devenir l’une des principales plateformes logistiques et commerciales de l’Afrique émergente. Cette stratégie suppose des investissements dans le secteur des infrastructures. Dans ce cadre, des contrats majeurs ont été signés depuis le début des années 2000. La mise en place, la réalisation de certains d’entre eux s’est révélée insatisfaisante au regard d’exigences essentielles : celles qui relèvent des intérêts fondamentaux de la nation, de la souveraineté, des prérogatives régaliennes de l’État. Notre devoir est de défendre ces intérêts, tels qu’ils sont d’ailleurs communément admis par l’ensemble des pays du monde. En particulier quand nous devons faire face à des contrats qui ne tiennent pas compte de ces intérêts, ou pas suffisamment… Le monde a changé. Ce texte vise-t-il particulièrement DP World et le port à containers de Doraleh (DCT) ? Comme je vous le dis, cette loi a une portée générale. C’est important de le rappeler. Mais évidemment, tout le monde le sait, nous avons un problème particulier avec DP World (Dubaï Ports World). Je me permets de rappeler le contexte. Le port de Djibouti existe depuis 1926. Nous avons été l’un des tout premiers ports de France « époque coloniale » et même du monde. Nous avons une histoire, un passé, une expérience dans le domaine. Mais depuis l’indépendance, nous avons dû repartir de zéro. Le port ancien s’est vite révélé insuffisant. Il a été pollué gravement, en particulier à l’époque où de grandes entreprises pétrolières françaises géraient le soutage. Nous avions besoin d’évoluer vite, de retrouver une capacité d’action. À l’époque, au début des années 90, nous risquions d’être rudement concurrencés par le port érythréen d’Assab. Il fallait 30
« Notre devoir est de défendre nos intérêts souverains, tels qu’ils sont d’ailleurs admis par l’ensemble des pays du monde. » une structure mieux à même de servir l’Éthiopie pour ne pas perdre le marché. Et nous devions aussi envisager une activité de transbordement pour équilibrer l’activité. Et pour s’adapter à l’évolution du trafic mondial. Nos partenaires de Dubaï avaient lancé le grand port de Jebel Ali, au cœur du golfe arabo-persique, un peu à l’écart de la grande route maritime est-ouest. Il voulait aussi s’ouvrir vers le monde, qu’il connaissait peu alors. Le contrat de gestion du port de Djibouti conclu en 2000 a été leur première opération en dehors de chez eux et la structure Doraleh Container Terminal (DCT) était simplement une extension du port de Djibouti destinée à répondre à la forte croissance du marché. Et aujourd’hui, DP World gère près de 50 ports aux quatre coins de la planète. À l’époque, l’urgence et les circonstances dont je vous parle ont fait que nous avons signé vite, trop vite. Nous avons fait des erreurs, de bonne foi, et nous le reconnaissons. Résultat, aujourd’hui, nous sommes propriétaires de la majorité des actions, mais minoritaires au conseil d’administration. DP World est en situation d’exclusivité sur le territoire de la République, ce qui limite nos capacités de développement. Nous avons souscrit des dettes liées au projet et dès que nous les avons remboursées, nous avons tenté de rediscuter de tout cela. Sans résultat. Nous nous sommes retrouvés en arbitrage à Londres et nous avons perdu. La loi des parties fait la loi, nous a-t-on dit. Nous ne voulons « nationaliser » aucune structure. Nous sommes patients. Nous avons des intérêts diversifiés avec les Émirats arabes unis. Nous avons des amis qui sont leurs amis. Nous ne voulons heurter personne. Nous sommes tout d’abord et essentiellement à la recherche d’un accord. Mais nous sommes tenus par une exigence, au-delà des termes contractuels, celle des intérêts fondamentaux de notre nation. La structure Doraleh Container Terminal (DCT) doit fonctionner AFRIQUE MAGAZINE
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ZYAD LIMAM
Après trente mois de travaux, l’ultramoderne Doraleh Multipurpose Port (DMP), dont la construction a coûté 580 millions de dollars, a été inauguré en mai 2017.
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INTERVIEW ISMAÏL OMAR GUELLEH : « DJIBOUTI EST LIBRE DE SES CHOIX ! »
au bénéfice du pays, elle doit pouvoir se développer, s’étendre, investir en particulier dans l’activité de transbordement qui est vitale, essentielle pour nous. Vous avez été réélu en avril 2016. Un peu moins de deux ans donc. Quel premier bilan faites-vous de votre action ? Je pense que nous avons déjà agi efficacement pour préserver notre sécurité dans une région difficile, en proie à de multiples conflits. Permettez-moi une métaphore. Djibouti c’est un peu comme une caravane qui passe dans le désert, qui se dirige vers un objectif, en parcourant un terrain difficile et inconnu, en évitant au mieux les obstacles. C’est ce que nous faisons. Et vous, vous êtes donc le chef de cette caravane ? Voilà (rires) ! Oui, je cherche à guider la caravane, à tracer la route, le chemin, dans le rassemblement, dans l’unité la plus large de ceux qui composent le convoi, en tenant compte de leurs diversités et de leurs différences. Estimez-vous, 40 ans après l’indépendance, que le concept de nation djiboutienne a progressé ? Ou sommes-nous encore prisonniers des divisions ethniques supposées entre Afars, Issas, Arabes… Nous avons été créés par le Tout-Puissant en races, en tribus, en clans. Nos anciens disaient : « Ton proche, ton parent, c’est ton voisin, celui qui vit près de toi. » L’essentiel, c’est de reconnaître ce qui nous rapproche, reconnaître que nous appartenons à la même terre. Le colonialisme nous a rassemblés. En 1977, à l’indépendance, tout le monde disait, Djibouti, ça ne durera pas six mois. Nous sommes toujours là, nous avons démenti ces sombres prédictions. Nous avons beaucoup avancé sur le chemin de l’unité, de « l’être ensemble ». Et pour moi, cette mission de rassemblement est essentielle. Les populations « flottantes », les migrants, les réfugiés, mettent-ils en péril cette union nationale, ce sentiment d’appartenance à un même pays ? Non, au contraire. Cela renforce notre identité. Et puis nous avons une chance. Les populations à nos principales frontières sont soit de culture afare (en Éthiopie) ou de culture somalie (en Somalie, au Somaliland). Cela crée une continuité, une homogénéité, une communauté d’intérêts. Les élections législatives vont avoir lieu le 23 février prochain. Le 11 janvier dernier, le gouvernement a fait voter par le Parlement une loi instaurant un quota de 25 % de positions éligibles réservées aux femmes sur les différentes listes. On nous dit que la classe politique n’est guère réjouie par cette évolution… Ah ça ! Disons que la tradition et une certaine forme de misogynie ont la vie dure. Les hommes ne veulent pas laisser leurs places éligibles… ! Mais il faut que l’on avance, que cela bouge. À pas raisonnables mais déterminés. Les femmes sont majoritaires à Djibouti. Elles sont aussi majoritaires sur les listes électorales. Et elles votent aussi plus que les hommes. 32
« L’Éthiopie est notre pays frère. Nous sommes liés de manière inextricable par les intérêts stratégiques, la géographie, les liens humains. » Sans présager de l’avenir, quelles sont les priorités de la seconde partie du mandat ? Outre tous les points stratégiques dont nous avons parlé, nous avons deux préoccupations majeures : l’emploi des jeunes et le logement. Sur le logement, il est impératif de tenir nos engagements, à la fois pour des questions d’équité sociale, mais aussi pour répondre aux défis démographique et migratoire. En tant que gouvernement, pouvoirs publics, nous avons des objectifs à atteindre. Je me suis également investi à titre privé dans la fondation « Droit au logement » que j’ai créée et dont l’objectif est de faire accéder à la propriété les populations les plus démunies. En s’appuyant sur la solidarité des Djiboutiens et, en particulier, celle du secteur privé. Sur le front de l’emploi, l’objectif est aussi de pouvoir répondre aux mutations de notre économie, basé sur le portuaire, les services, les infrastructures, les industries… Une formation qui passe en particulier par le bilinguisme, avec une maîtrise de l’anglais. Parlons, justement, d’un sujet récurrent, émotionnel : la France. Qui a changé de président en mai de l’année dernière. Quel est votre premier regard sur Emmanuel Macron ? J’ai trouvé un homme plus ouvert, direct, pragmatique, sans a priori. Il s’intéresse aux investissements, aux commerces, au développement. Cette évolution très positive arrive à un moment où l’intérêt français pour Djibouti paraît plus marqué. Nous sommes, je le rappelle, le seul pays francophone de la région. Nous y tenons. Nous faisons rédiger les contrats en français. Nous sommes aussi une porte ouverte sur toute une partie de l’Afrique. Avec des infrastructures qui évoluent vite pour desservir l’hinterland… AFRIQUE MAGAZINE
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ZYAD LIMAM
Autre sujet récurrent pour Djibouti, la stabilité de votre puissant partenaire et voisin, l’Éthiopie. Les conflits identitaires, régionaux, sont nombreux, parfois violents, avec des déplacements de populations. Voyez-vous un risque ? L’Éthiopie est notre pays frère. Nous sommes liés de manière je dirais inextricable par les intérêts commerciaux et stratégiques, la géographie, les liens humains, l’histoire. C’est une nation immense, complexe, qui connaît des cycles récurrents de crises politiques, identitaires, qui peuvent être aggravées par la croissance économique, les problèmes de territoires, de terres. L’ouverture du pays, le développement d’Internet et des réseaux sociaux jouent aussi un rôle. Il y a aussi des alliances plus surprenantes, comme celles de certaines élites oromos et amharas. Il y a certainement des situations d’injustices à réparer comme partout ailleurs. Une adaptation probablement de l’État fédéral. Un équilibre doit se récréer. Mais je ne crois pas du tout au risque d’implosion avancé par certains. L’Éthiopie est un pays fort, en émergence, qui à l’habitude des soubresauts. Et le Premier ministre Hailemariam Desalegn sait gérer avec habileté la situation. Autre question stratégique, le Golfe. Comment se positionne Djibouti entre ces différentes puissances qui sont à vos portes ? Très récemment (fin décembre 2017), vous étiez aussi en visite officielle en Turquie et vous avez de bonnes relations avec le président Erdogan. Ce qui n’est peut-être pas fait pour plaire à vos alliés saoudiens… Et le Yémen, déchiré par la guerre civile, est juste là, en face de vous. Nous sommes un petit pays, vous savez ! Je ne pense pas que notre position a une telle importance. Pour vous répondre franchement, tout d’abord, nous sommes membre de la coalition islamique antiterroriste créée par nos amis saoudiens. Mais le Yémen, c’est comme vous le dites, en face de nous, ce sont nos frères, nos cousins. Et nombreux sont ceux qui se sont réfugiés chez nous. Parfois des proches de l’ancien président Abdallah Saleh. Nous essayons de maintenir les équilibres. Même chose pour la Turquie. Nous avons des relations denses, mais notre position par rapport aux Frères musulmans est claire, sans équivoque. Nous luttons contre eux. Et le président Erdogan connaît nos relations avec l’Arabie saoudite et d’autres pays alliés du Golfe. Encore une fois, nous sommes réalistes. Ce qui compte pour nous, ce n’est pas le jeu stratégique entre les grands pays. Ce qui compte pour nous, c’est ce que les uns et les autres peuvent apporter en termes de développement à notre pays. Et dans une relation équilibrée. Donc, parlons de la Chine et de vos relations avec Beijing. Certains évoquent un nouveau colonialisme… AFRIQUE MAGAZINE
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Parmi les grandes infrastructures, un symbole : la gare de Nagad, au sud de la ville, et sa fameuse ligne Djibouti – Addis-Abeba, qui vient d’entrer en service au terme d’un chantier pharaonique. Ces gens disent n’importe quoi ! La Chine est un véritable partenaire, le seul finalement aujourd’hui qui fonctionne sur une coopération à long terme. Elle est notre amie. Elle a ouvert sa première base hors de ses frontières chez nous. Nous sommes inclus dans le grand plan des routes de la soie. Elle investit massivement à Djibouti. Les Chinois sont particulièrement dynamiques et ambitieux. Ils sont durs en affaires, il faut s’y habituer et bien négocier aussi. Ils s’investissent comme personne d’autres sur l’Afrique. Ils parient sur notre avenir, notre émergence. Et Djibouti par ailleurs représente à leurs yeux un intérêt stratégique majeur avec notre position sur le Bab-elMandeb, là où transite une bonne partie du commerce chinois et international. Et nous avons de grands projets en cours, qui vont au-delà des ports, des zones franches, du commerce. Je pense en particulier à ces projets de connexions télécoms par câble qui relieraient la Chine, l’Asie, à l’Afrique et à l’Europe en transitant par des data centers à Djibouti (projet Peace). Permettez-moi de revenir, et pour conclure, à l’actualité nationale. Pour certains, Djibouti est « une démocratie sous tutelle ». Acceptez-vous cette description ? (Sourires) Sous quelle tutelle ? Sous votre tutelle. La vôtre. Celle du président Guelleh. Franchement, je ne demande rien. J’ai beaucoup travaillé. J’ai beaucoup donné. Je pourrais vivre, je voudrais vivre, en dehors du pouvoir. Me consacrer à d’autres œuvres importantes. Je pense en particulier à la fondation Droit au logement. C’est très important pour moi. Ça touche la vie des gens. Mais ce que disent certains Djiboutiens, c’est que personne n’a été préparé à vous succéder… Et que vous voulez-vous que je fasse ? Si je désigne du doigt un successeur, il sera certainement la cible de toutes les attaques. Et si je ne dis rien, on me le reproche. Mais en même temps, je me dois d’assurer mon mandat, de tenir la maison. Et de toute façon, je suis confiant dans l’avenir de mon pays. Nous sommes un peuple pacifique, nous regardons devant nous. Nous progressons. Nous avançons. ■ 33
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révolution continue! Sept ans après le soulèvement de 2011, la jeune démocratie fonctionne en mode transition permanente. Et l’économie aurait besoin d’une approche bien plus audacieuse. Et pourtant, ça bouge, ça vit, ça vibre.
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par Frida Dahmani
NICOLAS FAUQUÉ / IMAGESDETUNISIE.COM
S Vendredi 12 janvier, des manifestants mobilisés par le collectif Fechnastanaou (« qu’est-ce qu’on attend ») adressent des «cartons rouges » au gouvernement pour protester contre sa politique économique. AFRIQUE MAGAZINE
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ept ans de réflexion, mais aussi sept années de désillusions. Depuis 2011, le bouleversement continue à la fois de surprendre encore les citoyens, leur procurant un sentiment de fierté, et de les angoisser, persuadés qu’une catastrophe est imminente. Car la révolution, livrée sans mode d’emploi, est toujours en phase de transition, comme bloquée en mode d’apprentissage perpétuel. Un pas en avant, deux en arrière : la Tunisie tâtonne, les résultats se font attendre, ce qui génère impatience, frustrations et malaise. Ou, pour paraphraser le héros du Guépard, unique roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « Tout change sans que rien ne change. » Tout se joue comme si les acquis de liberté, l’adoption d’une Constitution, un pluralisme réel et l’émergence de la société civile n’étaient pas des remparts assez puissants contre les retours en arrière. Certains caciques de Ben Ali sont revenus dans le jeu politique. Ils ont changé de parti, de patron, mais donnent de nouveau de la voix. Même dans leur droit, la résurgence de ces fantômes du passé réveille le spectre d’une restauration. Certains la souhaitent au grand jour, à coups de « c’était mieux au temps de Ben Ali », suscitant la colère de ceux qui croient en la révolution. 35
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Les nostalgiques expriment un besoin de stabilité et de sécurité minimum, les révolutionnaires veulent fait bouger les lignes. Pourtant, tous ne réalisent pas toujours les progrès accomplis. « Par atavisme ou par effet de décennies de culte de la personnalité, sous Bourguiba et Ben Ali, les réflexes perdurent, souligne Ahmed, huissier, ex-opposant à Bourguiba. Le type de régime politique a changé, l’État providence n’est plus, mais le système n’a finalement pas été remanié ; les mentalités non plus. On continue de focaliser sur les présidentielles alors que le pouvoir est désormais partagé entre présidence, gouvernement et Assemblée. C’est une chance dont les Tunisiens ne se rendent pas compte. » Le constat est juste. La reconfiguration politique est au cœur des préoccupations, avec des élections municipales (mai 2018) et des législatives et présidentielle (2019) qui se profilent. Ces échéances seront un test pour l’ensemble de la classe politique. Mais avec l’ancien système pour seul référent, difficile de se renouveler. Conséquence, les islamistes d’Ennahda s’inscrivent dans la différence, profitent d’un important vivier électoral et participent à une polarisation du paysage politique. Non seulement rien ne peut se faire sans eux mais, en plus, ce sont ses alliés qui pâtissent de leur rapprochement. L’échec de la troïka gouvernementale de 2011 a impacté les formations d’Ettakatol et du Congrès pour la République sans éclabousser Ennahdha. Depuis 2014, c’est au tour de Nidaa Tounes, fondé comme un contrepoids aux islamistes par Béji Caïd Essebsi, actuel président de la République, de subir le même sort après avoir misé sur une stratégie du consensus. Quant à ceux qui ont tiré les leçons de ces expériences, comme Afek Tounes, leur poids relatif ne leur donne que peu d’influence à l’échelle nationale.
ACCÉLÉRER LA CADENCE DES RÉFORMES Paradoxalement, Ennahdha craint désormais de connaître une victoire trop large aux municipales, qui entraînerait des accusations de bourrage des urnes. Pour les élections générales de 2019, les sondages annoncent une réédition du scénario de 2014 avec de nouvel Ennahda et Nidaa Tounes au pouvoir. Pourtant, l’expérience du quinquennat actuel n’est pas concluante et le rapport de force n’a été en faveur d’aucun d’entre eux. Les observateurs espéraient qu’une Assemblée issue des urnes avec de réels pouvoirs accélère la cadence des réformes et surtout, mette en application les principes de la Constitution. Il n’en a rien été. Certaines instances, inscrites dans la loi fondamentale, comme la Haica, régulatrice de l’audiovisuel, ont encore un statut provisoire. Le Conseil supérieur de la magistrature a été désigné après plus d’un an de tractations et la Tunisie est toujours en attente d’une Cour constitutionnelle. Sameh Bouhaouel, vice-présidente de la commission de la législation générale à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), avoue que « les élus craignent que les institutions constitutionnelles 36
indépendantes deviennent un État dans l’État ». Une position qui en dit long sur le manque de confiance et le malentendu sur le rôle de régulation et de contrôle d’institutions, socle de la démocratie. LA TENTATION D’UNE RESTAURATION Dans ce contexte, la crainte d’une restauration n’est pas qu’une hypothèse théorique. Le passage de cinquante-cinq ans d’autoritarisme à une démocratie naissante est une étape fragile et délicate à négocier. À telle enseigne que c’est Béji Caïd Essebsi (91 ans), une figure proche de celle de Bourguiba, que les Tunisiens ont élu à la présidence en 2014, et qui est actuellement donné favori aux prochaines présidentielles s’il était candidat. Moderniste en matière de réformes sociétales mais attaché à l’autorité de l’État, il fustige le régime parlementaire et le système électoral qui ne permet pas de dégager une majorité franche. Résultat, faute de réelle majorité, l’Assemblée peine à transcrire dans les lois une vision politique. D’autant que l’alliance conclue en 2015 entre Nidaa Tounes et Ennahda, qui devait permettre une meilleure gestion des affaires, a montré ses limites et conduit à l’immobilisme. Mohsen Marzouk, secrétaire général de Machrouu Tounes, qui dénonce la prise d’otage du gouvernement par l’Assemblée et les partis au point de craindre une partitocratie à l’italienne, suggère une révision de la Constitution et de la loi électorale. Béji Caïd Essebsi y est favorable. Reste à savoir qui en prendra l’initiative, comment elle sera perçue, au risque d’être interprétée comme la volonté de remettre le pouvoir entre les mains d’un seul homme ou d’un seul parti. « C’est une question de vigilance ; les médias et la société civile doivent jouer leur rôle. Bourguiba et Ben Ali les avaient muselés ; cela ne pourra plus être le cas », assure Khaled, un graphiste de 25 ans qui estime que la révolution n’est pas achevée et que les collectifs de jeunes, comme ceux du mouvement Fechnastanaou (« qu’est-ce qu’on attend ») qui s’élève contre la loi de Finances 2018, auront de plus en plus d’impact. « Nous avons appris qu’il faut nous rassembler », conclut celui qui n’envisage pourtant pas de voter aux municipales. Dans tous les cas, le pluralisme politique cherche ses équilibres, bien que les formations semblent préférer entretenir une certaine instabilité politique, comme pour compenser leurs faiblesses ou leur absence de vision. UN EXÉCUTIF PIÉGÉ Le gouvernement dirigé par Youssef Chahed est pris au piège des partis, d’autant que sa mission est d’appliquer une feuille de route édictée par l’accord de Carthage, soutenu par neuf partis et trois organisations nationales. Autant dire qu’il n’a pas les coudées franches et qu’il subit également l’immobilisme de l’Assemblée. N’empêche, sa mission est de remettre le pays sur les rails, mais les indicateurs socio-économiques AFRIQUE MAGAZINE
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Tunis, le 13 janvier. Le chef de l’État rencontre les responsables des partis au pouvoir, de la centrale syndicale et du patronat.
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Le fossé s’est installé entre un exécutif qui manque d’écoute et une jeunesse qui cherche son présent. inquiètent aussi bien les Tunisiens que la communauté internationale. Les dirigeants se veulent rassurants, font parfois dans le déni mais peinent à convaincre et à mettre en place les réformes. Malgré les dénégations de ministres, les chiffres sont têtus ; la dette extérieure caracole à 73 millions de dinars, l’inflation s’affiche à 6,4 % et la dévaluation du dinar frôle les 30 %, tandis que le déficit de la balance commerciale extérieure grimpe à 15,3 millions, soit 76,9 % du PIB. Difficile dans ce contexte de dégager des perspectives autres que celles de résorber les déficits au détriment du développement. C’était justement l’une des revendications portées par la révolution et la promesse récurrente mais non tenue par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011. « Du temps de Bourguiba, on pouvait grimper l’échelle sociale. Sous Ben Ali, l’argent a biaisé les choses, mais il est triste qu’une révolution portée par des jeunes ne leur apporte que peu de satisfaction. Briser des rêves est un crime », s’emporte Ahmed. Encore une fois, il s’agit d’un système inchangé et obsolète axé sur l’économie de la rente et qui creuse les disparités régionales. Pire, son inertie, la lourdeur de son administration font le lit de l’informel, qui AFRIQUE MAGAZINE
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réalise 53 % du PIB. Au point que certains partis, dont Ennahda, sont favorables à un dialogue national socio-économique pour réconcilier le secteur formel, soit les nantis des zones côtières, avec l’informel, composé des exclus issus de régions déshéritées. Il faudrait, en ce cas, inviter également à ce tour de table les barons de l’économie grise, et dans leur sillage, la corruption. Une situation intenable pour l’État, qui en viendrait à reconnaître, voire absoudre, les contrevenants et signifier, implicitement, ses difficultés à appliquer les lois. N’empêche, une voie de sortie doit être trouvée pour juguler l’exclusion. Cela ne semble pas être le cas de la loi de Finances 2018. Basée sur une imposition lourde de la classe moyenne déjà ponctionnée, elle attribue une faible part à l’investissement. Les maux s’aggravent, faute de remèdes efficaces. Économistes, syndicats, ONG avaient pourtant proposé des solutions, mais n’ont pas été entendus. Conséquence d’une austérité qui avance, la grogne sociale a explosé. Mais pour les protestataires, il est aussi question d’emploi, d’éducation, d’accès aux soins et surtout, de recouvrer un peu de dignité. À la différence des jeunes de 2011 qui étaient néophytes en politique, la génération 2018 est plus alerte, plus avertie, a appris à décoder les propos officiels et juge sur pièce. Là aussi un fossé s’est installé entre un exécutif qui manque d’écoute et une jeunesse qui cherche son présent, à défaut de pouvoir envisager un avenir. Deux chiffres sont alarmants : près de 100 000 adolescents sont en abandon scolaire chaque année, et 90 000 « cerveaux » ont quitté le pays. L’élite 37
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s’en va, les autres jetteraient l’éponge ; ce n’est pas si simple ; tous ont besoin de perspectives d’avenir, de motivation qu’ils ne trouvent ni dans le système éducatif ni dans les circuits de l’emploi. « Sur les neuf ans de l’enseignement de base, 100 heures de cours d’histoire sont dispensées au total, quatre fois plus pour l’éducation civique et religieuse », constate une universitaire. Paradoxalement, depuis 2011, ils se sont approprié la scène culturelle et sportive tandis que certains se mobilisent autour de la cause LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) qui s’exprime désormais à travers une radio et un festival. Des verrous ont sauté ; la société, libérée de ses carcans, est mise au pied du mur de ses contradictions. Largement conservatrice, elle ne remet pas en cause les acquis des femmes mais voudrait que les débats soient centrés sur la famille et refuse certaines évolutions. Ilhem, 48 ans, gynécologue en milieu hospitalier, alerte sur le relâchement en matière de contrôle des naissances et ses conséquences démographiques : « L’État n’est pas présent sur ces questions ; le nombre des natalités explose, un risque pour les générations futures. »
UN CERTAIN DÉSENCHANTEMENT Cette réalité risque d’être occultée par d’autres débats, comme celui sur l’égalité dans l’héritage ou la transmission du patronyme de la mère à son enfant, qui provoqueront de nombreuses polémiques. Dans les faits, les choses avancent, mais lentement. Au cœur de cette dynamique, les puissants mouvements de la société civile ; à l’œuvre depuis 2011, ils ont été le rouage qui a participé à protéger les libertés et conquérir des droits. Avec ses stratégies propres, elle se fait entendre de l’Assemblée sur des problématiques environnementales ou sociétales, comme la discrimination des minorités. On pourra évoquer l’inexpérience des dirigeants, l’accumulation des problèmes, le risque terroriste, l’épidémie de la corruption, une administration obsolète et attentiste. On pourra imputer les désordres à la mauvaise gouvernance, au manque d’argent, ou envisager toutes les théories du complot mais in fine, l’enjeu est que le pays se reconstruise à partir de fondamentaux. Toute transition a un coût mais pour la Tunisie, elle risque, au vu de l’ingérence et de la mainmise du politique, d’être au prix de la démocratie. Selon le Centre tunisien de l’Institut républicain international (IRI) ; 41 % des Tunisiens estiment que la prospérité économique est plus importante que la démocratie. Sept ans après une révolution, ce chiffre est édifiant et dit un certain désenchantement ou du moins, une certaine lassitude. Cependant, le pays est encore en mutation, nul n’est capable de dire vers quoi il va ; mais une société aussi divisée exprime une chose et son contraire. Un exercice de démocratie et du vivre-ensemble au quotidien qui cherche ses équilibres. Une démarche saine pour implanter une culture de la démocratie, rare dans les pays arabes. ■ 38
La croissance, c’est possible! Restructurations courageuses, lutte contre la corruption, imagination, jeunesse, branding… Le made in Tunisia a du potentiel. À condition de le vouloir. par Francis Ghilès*
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a répartition des dépenses dans le budget de la Tunisie pour 2018 illustre parfaitement les défis auxquels est confronté le gouvernement et les objectifs qu’il s’assigne. Ces chiffres suggèrent aussi quelles réformes sont prioritaires, si le Premier ministre Youssef Chahed veut sérieusement relancer l’économie du pays, dont la croissance de 2,3 % en 2017 est insuffisante pour créer le nombre d’emplois nécessaires pour stabiliser une jeune démocratie affaiblie par les luttes de clans byzantines. Et minée par une corruption qui, elle, s’est démocratisée plus vite que les mœurs de la classe politique. Dans un budget de 36 milliards de dinars, 41 % des dépenses sont consacrées aux salaires de la fonction publique et aux entreprises publiques, qui ont vu leurs effectifs croître de 140 000 personnes, pour atteindre 640 000 depuis janvier 2011, sans que la productivité n’ait augmenté. La plupart ont été recrutées sous les deux gouvernements présidés par le parti islamiste Ennahda entre fin 2011 et fin 2014. Le deuxième poste du budget est le service de la dette, qui absorbe 22 % des dépenses. Suit la caisse de compensation avec 16 % et les dépenses d’investissement; avec un maigre 14 %. Une politique de relance économique digne de ce nom impose de réallouer les ressources vers les investissements productifs en AFRIQUE MAGAZINE
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Port de Radès. Les trafics, entrés dans les habitudes, font perdre à l’État des centaines de millions de dinars.
commençant par réduire la masse salariale. Mais comment mettre certains fonctionnaires, fussent-ils recrutés récemment et incompétents, à la porte ? Par conséquent, améliorer la productivité de l’administration est une ardente obligation. Dans ce cadre, informatiser certains services clés, comme les douanes et la fiscalité, aiderait grandement à réduire la corruption, permettrait aux citoyens un accès plus facile et rapide aux services de l’État, et obligerait les fonctionnaires à travailler mieux et plus. Le Premier ministre vient d’annoncer une mesure qui aura un impact certain – si elle est suivie d’effets : tout dossier de création d’une entreprise déposé auprès de l’administration sera considéré comme agréé si l’administration ne donne pas de réponse dans un délai d’un mois. Le limogeage du directeur de la douane Adel Ben Hassen et son remplacement par un magistrat intègre, Youssef Zouaghi, aidera à restaurer l’autorité de l’État. D’autres nominations de fonctionnaires intègres à des postes à responsabilités conforteront ceux qui doutent qu’il y ait un pilote pour gérer l’économie du pays, notamment les chefs d’entreprise.
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TRANCHER DEMANDE DU COURAGE POLITIQUE Le port de Radès à Tunis constitue le haut lieu de tous les trafics imaginables qui privent l’État de centaines de millions de dinars de rentrées fiscales chaque année. Cette gangrène, qui trouve son point de départ dans les passe-droits que s’étaient attribués les membres du clan Ben Ali avant 2011, doit être stoppée sous peine de métastaser dans l’économie. L’administration des douanes avait fort mal accepté le limogeage de six de ses directeurs centraux l’été dernier par le ministre des Finances de l’époque, Fadhel Abdelkefi. Il faudrait renouveller le secteur des transitaires (chargés d’organiser la liaison entre les différents transporteurs de marchandises) : aucun nouveau permis n’a été accordé depuis environ trente ans, ce qui a favorisé un véritable marché noir des permis et sous-permis. Trancher demande du courage politique. Mais c’est seulement en osant AFRIQUE MAGAZINE
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défier les barons du secteur informel, dont l’argent irrigue la plupart des partis politiques, que Youssef Chahed convaincra le peuple tunisien et les opérateurs intègres de l’économie de la crédibilité de son engagement. Une réforme fiscale qui supprime le régime forfaitaire et inclut l’ensemble des professions (médecins, avocats…) dans le régime déclaratif est essentielle. Professions qui roulent carrosse (grosses cylindrées, villa à La Marsa, etc.) et narguent le petit peuple avec une insolence qui est une incitation permanente à la révolte. Non seulement des chômeurs, mais aussi de ceux qui perçoivent des salaires, objets de retenue à la source, et ne pouvant échapper à l’impôt. Les cafés et restaurants doivent aussi être sortis du système forfaitaire : combien de familles du sud, soi-disant pauvres, ont, collectivement, recyclé de l’argent de contrebande gagné grâce aux trafics avec la Libye, ou au blanchiment d’argent dans l’achat de cafés et de restaurants dans le Grand Tunis ?
NIVELLEMENT PAR LE BAS Réduire les dépenses passe aussi par une réforme de la Caisse de compensation. Cette dernière doit être organisée de manière à aider directement les familles les plus pauvres. Par exemple, l’État garde toujours le monopole sur l’achat du café, ce qui est aberrant. Les torréfacteurs n’ayant jamais la moindre idée de quelle qualité de produits ils vont hériter d’un mois à l’autre. Impossible à Tunis d’avoir un café de plus ou moins grande qualité, et à un prix différencié. C’est le nivellement par le bas. Il y a vingt ans, l’État a aboli son monopole sur l’exportation de l’huile d’olive, une richesse qui fait vivre de nombreux Tunisiens. Aujourd’hui la marque Terre d’Alyssa,wmenée par un homme dynamique, Aziz Melkhoufi, s’est implantée aux États-Unis après une rude bagarre. Slim Fendri a construit une usine près de Sfax, qui est un bijou, et vend son huile au magasin de grand luxe Harrod’s à Londres. L’huile tunisienne est encore exportée pour l’essentiel, mais nombreux sont ceux qui remontent la chaîne de valeur, ce qui rapporte 39
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tionnaires qualifiés pour une institution qui n’est que l’ombre de ce qu’elle fut dans le passé. Trop de membres de la classe dirigeante se délectent de luttes partisanes que la jeunesse, qu’elle soit éduquée ou pas, regarde avec un mépris dangereux pour le futur de la démocratie. Ceux-ci attendent une grande initiative de formation UN NOUVEAU BRANDING DE LA « MARQUE TUNISIE » professionnelle pour convertir les chômeurs diplômés dans les Associer l’huile à un nouveau branding de la « marque filières scientifiques (maths, physique, sciences naturelles) en Tunisie » serait opportun. Au lieu de dépenser 100 millions de intégrateurs et éditeurs IT ou encore en personnel paramédidinars à faire coller des affiches vantant la destination Tunical pour les nombreuses cliniques privées qui accueillent des sie dans le métro de Paris et ailleurs, la ministre du Tourisme étrangers à Tunis – secteurs à fort besoin de main-d’œuvre. Les Selma Elloumi, qui vient d’une famille éminente du secteur jeunes entrepreneurs attendent que le gouvernement divise par privé, devrait peut-être songer à consacrer une part du budget deux le nombre d’autorisations nécessaires à la création et à la publicité de son ministère à faire établir, par des Tunisiens en gestion d’une entreprise. Les discours de l’Union générale tuniassociation avec un grand cabinet international, une « marque sienne du travail (UGTT), qui a joué un rôle important dans Tunisie ». On y trouverait l’huile d’olive, les dattes, les magnil’histoire du pays, sont par trop démagogiques. Leur secrétaire fiques maisons d’hôtes qui fleurissent partout comme Couleur Noureddine Taboubi ne disait-il pas récemment au ministre Méditerranée à Tabarka, Dar Alyssa au Kef ou Dar Salma à des Finances qu’il n’était pas question que le gouvernement Sfax, mais aussi des entreprises de ICT (technologies de l’inprivatise les tabacs ? L’UGTT aurait pu créer un parti de gauche formation et de la communication), la mécatronique, la filière en 2011 et séparer les fonctions de parti et de syndicat. auto et aéronautique, la pharmacie et la chimie fine, La nature a horreur du vide et la faiblesse des gouverneles énergies renouvelables et le textile technique. Ce ments successifs depuis janvier 2011 a donné des ailes à branding que le Maroc a si bien réussi depuis vingt ans M. Taboubi : cette situation est lourde de dangers mais, aiderait à construire une image nouvelle de la Tunisie par des mesures courageuses, M. Chahed semble vou– terre de vieille civilisation qui accueille chaque année loir reprendre les rênes de l’État. l’un des plus anciens pèlerinages juifs du monde, à la La Banque mondiale devrait aussi lancer une iniGhriba à Djerba, et offre des sites puniques, romains, tiative pour encourager la création d’entreprises au byzantins et arabes incomparables. En cette deuxième travers d’une étude stratégique apportant des réponses décennie de XXIe siècle, associer le nom de Carthage à aux freins à l’investissement. Un fonds de 3 milliards ceux du philosophe et homme d’État du XIVe siècle Ibn de dinars permettrait de lancer des projets d’infrastrucKhaldoun, et de Habib Bourguiba, et de la défense des tures et de les réaliser sur deux ans. En 2011, la France, droits de la femme, à la culture, à des entreprises de de concert avec le Royaume-Uni, les États-Unis et le haute technologie et une gastronomie de qualité metQatar et l’appui de l’OTAN, a mené une politique qui trait la Tunisie sur la carte d’un monde globalisé où les a détruit le régime de Mouammar Kadhafi. Le chaos touristes sont de plus en plus nombreux à la recherche en Libye qui dure depuis coûte 2 points de croissance de destinations nouvelles et de qualité. perdue à la Tunisie chaque année. La France a aidé à Pour revenir au budget, rééchelonner la dette pour monter l’alliance militaire G5 pour tenter de pacifier le faire en sorte que son service ne dépasse pas plus de 15 % du budget serait nécessaire. C’est ici que les par- L’huile d’olive Sahel. Son jeune président s’honorerait en prenant, avec tenaires extérieurs de la Tunisie, des pays comme la de Slim Fendri, la Banque mondiale, le leadership d’une initiative ambiun succès de tieuse pour aider le pays. Bousculer les dirigeants pour France, l’Italie et l’Allemagne mais aussi le FMI et la branding. la bonne cause ne serait pas nécessairement mal perçu Banque mondiale devraient pouvoir aider. Mais ils par l’opinion tunisienne. Sept ans après la chute de la maison ne le feront que si le gouvernement et le président, Béji Caïd Ben Ali, n’est-ce pas le moment pour Emmanuel Macron de parEssebsi, appliquent l’adage : aide-toi et le ciel t’aidera. Rajeunir ler avec franchise à la jeunesse tunisienne, d’aider à redonner la direction du pays est essentiel : nonobstant les qualités du espoir aux milliers d’entre eux qui ont risqué leur vie en janprésident, il ne fait vibrer aucune corde chez la vaste majovier 2011 ? Leur dire avec conviction qu’ils ont un avenir dans rité des Tunisiens de moins de 30 ans et s’il veut sortir par la cette terre africaine. Cette position honorerait le président de grande porte de l’Histoire, ne se représentera pas à l’élection la République et au-delà de lui, l’Europe tout entière. ■ présidentielle de 2019. Et le gouverneur de la Banque centrale, Chedly Ayari, a 84 ans. On pourrait certainement retrouver des forces plus jeunes et reconstruire un cadre de hauts fonc* Journaliste, chercheur au CIDOB (Centre d’études internationales de Barcelone). 40
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gros. Les oliviers sont, sur le plan écologique, une aubaine pour les plaines centrales de la Tunisie et un employeur important. La demande mondiale pour l’huile d’olive continuera de croître dans les années à venir. C’est une situation gagnant-gagnant !
Juillet 2015. À Hammamet, la police sillonne les plages… désertées par les touristes.
Terrorisme: il faut que justice soit faite La crédibilité du pays implique de mener à bien les procès liés aux attentats du Bardo et de Sousse.
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par Maryline Dumas
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oixante morts, de nombreux blessés, des familles endeuillées et des questions qui restent sans réponse. Tunis, le 18 mars 2015. Deux hommes armés entrent dans le Musée national du Bardo et ouvrent le feu. Vingt-deux personnes (21 touristes étrangers et un agent sécuritaire tunisien) décèdent. Trois mois plus tard, le 26 juin, un jeune Tunisien arrive sur la plage de l’hôtel Imperial Marhaba d’El Kantaoui, près de Sousse (150 kilomètres au sudest de la capitale). Il sort une arme et tire sur les vacanciers. Trente-huit personnes, toutes étrangères, meurent. Revendiquées par l’État islamique, ces deux attaques ont bouleversé la Tunisie et affecté le secteur du tourisme, dont les recettes ont chuté de 35,9 % en 2016 par rapport à 2014. Le pays se relève peu à peu et fait face à un nouveau défi : tenir et réussir les procès de ces attentats. Commencés en 2017, ils sont jusque-là marAFRIQUE MAGAZINE
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qués par la désorganisation générale. À l’image des audiences – les troisièmes – du 9 janvier, désormais ajournées au 5 juin. « C’est invraisemblable », résume en un souffle un observateur étranger ce jour-là. Lors des audiences des deux procès qui se sont enchaînées l’une après l’autre au tribunal de Bab Bnet dans le centre de Tunis, les débats se sont concentrés sur les difficultés administratives. Dans l’affaire du Bardo, traduction de certificat de décès, absence de dossiers médicaux et de documents d’état civil prouvant la filiation des victimes étaient au cœur des discussions. Sans ces pièces, impossible d’avoir une idée claire des dommages directs et indirects sur les héritiers, et donc, de finaliser les dossiers de plainte. « On ne peut plus parler de problèmes de certificats de décès près de trois ans plus tard. Mon client ne peut pas attendre indéfiniment en prison » s’est agacée Me Bousselmi, qui défend l’un des accusés. L’avocate, 41
TEMPS FORT TUNISIE : LA RÉVOLUTION CONTINUE !
exaucé, avec la date du 5 juin. La défense, elle, espère qu’il s’agit du dernier renvoi. Me Zouari a notamment demandé au juge de respecter le droit : « Mon client ne devrait pas attendre deux ans pour être jugé ! » En réalité, c’est justement pour garder les inculpés en prison, que les procès ont débuté précipitamment, selon une juriste locale : « La loi tunisienne impose une durée maximale de 14 mois de détention provisoire en cas de crime. Pour ne pas relâcher les suspects, il faut ouvrir les procès. » Ce 9 janvier, 27 inculpés étaient présents. Les charges retenues GARDER LES INCULPÉS EN PRISON contre eux (crimes terroristes, homicides, complot contre la Certains ont choisi des avocats français, comme Me Géralsûreté de l’État…) sont passibles de la peine de mort, même si dine Berger-Stenger. Celle-ci avait fait le déplacement à Tunis celle-ci n’est plus appliquée depuis 1991. Des accusations très le 31 octobre dernier pour la deuxième audience du procès du lourdes pour ces jeunes, majoritairement étudiants ou dans la Bardo. Ses clients, eux, étaient restés en France : « Les psycholovingtaine, qui ont probablement fait office de petites mains. gues leur déconseillent de venir. Il y a un risque d’aggraver les Les cerveaux, eux, sont en fuite ou décédés. Ces hommes et souffrances. Mais il est important que les victimes aient accès femmes ont été arrêtés pour posséder l’application Telegram aux informations. C’est pour cela que nous demandons la mise (système de messagerie sécurisée) sur leur téléphone, avoir un en place d’un système de visioconférence. » Les négociations contact plus ou moins proche avec un des terroristes, participé sont en cours entre les deux pays. Pour l’aide juridictionnelle à l’achat d’un scooter… Une dizaine d’inculpés sont communs et la traduction, l’ambassade de France botte en touche : « Nous aux deux affaires. Les auteurs des attentats de Sousse et du conseillons aux victimes de prendre des avocats tunisiens. Cela Bardo – tous tués – auraient été membres du même réseau et se limite les frais, sachant qu’un avocat français est de toute façon seraient entraînés en Libye voisine avant de rentrer en Tunisie. obligé de prendre un correspondant local. » L’affaire de Sousse, Plus étonnant, des membres des forces de sécurité se elle, est encore moins avancée. Contrairement au Bardo, les trouvent aussi sur le banc des accusés. Ils doivent répondre de ayants droit des victimes n’ont aucune demande particulière. « non-assistance à personne en danger ». Leur intervention a D’ailleurs, la plupart sont totalement absents. Pour cette troiété jugée désorganisée et trop lente. La Cour royale de justice sième audience, les avocats de la partie civile, tous commis de Londres s’était saisie du dossier, 30 des 38 victimes étant d’office, n’ont toujours pas de contact avec leurs clients resbritanniques. Début 2017, le juge Nicholas Lorraine-Smith a pectifs. Me Adel Hannachi n’a ainsi que le nom et l’adresse de rendu ses conclusions, peu tendres envers les forces de l’ordre la personne qu’il est censé défendre. « Une convocation a été tunisiennes : « Leur réponse aurait pu et dû être plus efficace. » envoyée via les représentations diplomatiques. Mais il n’y a eu Me Fathi El Mouldi, avocat d’un policier, mettait en garde en aucune réponse », se désole l’avocat, incapable de finaliser le dossier de plainte. La partie civile a demandé, le 9 janvier, un mai dernier : « Attention aux abus, il ne faut pas condamner des report avec un « long délai » dans les deux procédures. Vœu personnes simplement pour faire plaisir à la Grande-Bretagne. » Le défi de la Tunisie réside aujourd’hui dans sa justice. Juger des actes terroristes de cette ampleur, avec des parties prenantes étrangères, est loin d’être facile. Malgré les difficultés et l’aspect inédit de ces procès, peu doutent des capacités de la jeune démocratie. Le bureau de l’ONG Avocats sans frontières à Tunis s’appuie sur les procès des martyrs de la révolution, menés en 2012 et 2014 : « En termes de gestion des audiences et de logistique, c’était réussi. La Tunisie peut renouveler l’expérience avec les procès du Bardo et de Sousse. C’est d’ailleurs une obligation morale. » Me Gérard Au Bardo, Chemla, avocat de plusieurs victimes françaises du un monument Bardo, va plus loin : « Des personnes étrangères ont a été érigé en été ciblées sur le sol tunisien dans un contexte détendu mémoire des 21 victimes de de vacances. Je n’ai pas de leçon à donner à la Tunisie. Mais nous attendons que l’État prouve sa capacité à l’attentat du 18 mars 2015. mener un procès d’une telle envergure. » ■ 42
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comme ses collègues, souhaite que les débats sur le fond de l’affaire commencent. Les victimes françaises et leurs proches (4 morts et 11 blessés) se sont organisés et mobilisés, posant leurs exigences. Ils demandent notamment une aide juridictionnelle, la traduction complète du dossier de 15 000 pages de l’arabe au français et la retransmission par visioconférence du procès.
Amna Guellali « Il y a une crainte légitime de retour aux réflexes autoritaires »
CATALINA MARTIN-CHICO/ COSMOS
La directrice du bureau tunisien de l’organisation internationale Human Rights Watch (HRW) fait le point sur l’avancée démocratique du pays. Et appelle à la vigilance afin que les libertés acquises le demeurent. AM : Plus de 900 arrestations ont eu lieu, en janvier, lors des manifestations contre la vie chère, que pouvez-vous nous en dire ? Amna Guellali : Le gouvernement a justifié les arrestations par la violence qui a émaillé les mouvements sociaux. Mais certains éléments dont nous disposons font douter de la version officielle. En tant que chercheuse à Human Rights Watch (HRW), j’ai fait des interviews avec des dizaines de familles de personnes arrêtées, notamment de la ville de Tebourba [à 40 km de Tunis, où un manifestant est décédé le 8 janvier, NDLR], et j’ai assisté au procès le 18 janvier de ces 23 jeunes qui comparaissaient au tribunal de première instance de Manouba. Ces personnes ont été arrêtées dans des rafles de nuit, elles ont été traînées hors de chez elles et battues en face de leurs familles, elles auraient été également frappées au district de police pour les forcer à signer des procès-verbaux confessant les crimes qui leur sont reprochés. Ces jeunes n’ont pas bénéficié des garanties fondamentales du droit tunisien, notamment la présence d’un avocat en garde à vue. Lors de leur procès, ils ont tous récusé ces aveux. Le juge les a d’ailleurs acquittés et a ordonné leur libération. Sur les arrestations dans d’autres gouvernorats, nous n’avons pas beaucoup d’informations. Mais le procès de Tebourba jette une ombre sur la véracité des allégations du gouvernement. En marge de ces manifestations, des journalistes ont rencontré des difficultés avec les forces AFRIQUE MAGAZINE
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Juriste, Amna Guellali a suivi de près les divers dossiers qui ont marqué la période de transition (nouvelle Constitution, procès des martyrs de la révolution…). de l’ordre. Le président Béji Caïd Essebsi a également accusé les médias étrangers de véhiculer une mauvaise image du pays. Quel est l’état de la liberté de la presse aujourd’hui en Tunisie ? Il y a eu des avancées importantes. Mais les vieux réflexes ont la vie dure. L’appareil sécuritaire voit d’un mauvais œil les médias indépendants, qui ne sont pas acquis au récit officiel. Certains voudraient faire revenir les journalistes sous la tutelle du pouvoir. Les forces de l’ordre ont trouvé dans les propos du président une légitimation de leur méfiance. Il est à craindre qu’un tel discours donne le la pour plus de restrictions en matière de liberté de la presse.
Ces derniers mois, HRW a critiqué un projet de loi sur la répression des atteintes aux forces de l’ordre… Il s’agit d’un texte dont la philosophie sous-jacente est le retour à un État policier, sous couvert de protection des forces de sécurité. S’il est adopté et interprété d’une façon littérale, il fera de ces agents des « super-citoyens » que l’on ne pourra ni critiquer, ni mettre en cause. Tous les Tunisiens pourraient en être les victimes. Filmer sans autorisation un policier en train de frapper un manifestant serait alors passible de deux ans de prison. Le « dénigrement des forces armées », notion très vague qui peut être utilisée pour museler toute critique, est également lourdement poursuivi. Des ONG estiment que la Tunisie retombe dans ses travers autoritaires. En faites-vous partie ? Il y a une crainte légitime de retour aux réflexes autoritaires. Certains signes avant-coureurs sont en place : adoption d’une loi sur la réconciliation administrative, blanchissant ceux qui ont favorisé la corruption au sein de l’appareil étatique ; maintien du projet de la loi sur les forces de l’ordre ; absence de volonté pour mettre en place une cour constitutionnelle, nécessaire au développement démocratique. Tout cela pèse sur l’avenir du pays. Mais il me semble qu’il y a assez d’antidotes contre ces tentations de dérives autoritaires, créés par la pratique de la démocratie. Ils rendraient extrêmement difficile un retour en arrière pur et simple. ■ Propos recueillis par M. D. 43
CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Astrid Krivian
Bumba Massa Il est le vétéran de la rumba congolaise, une musique qui accompagna les indépendances. Faisant revivre les sixties électriques de Kinshasa, Lagos ou Abidjan, le chanteur aux 54 ans de carrière revient aux sources de son art dans son dernier album*. Tourné vers ses racines, autant que vers l’avenir : pour le musicien, on ne cesse jamais d’apprendre.
*V70, Bumba Massa, Cantos/Pias. 44
› Pour mes 70 ans, j’ai voulu revenir à la vraie rumba, telle qu’elle a été conçue par nos aînés. Faire un album différent, ne pas chercher d’autres influences… La rumba congolaise est une culture, elle a accompagné la modernité de notre pays. Il ne s’agit pas que de danse : les artistes de l’époque incarnaient la révolution, le renouveau. Ils ont joué un rôle crucial dans l’éducation. En 1960, il y a eu une rencontre à Bruxelles [entre Congolais et Belges, NDLR] pour décider de notre indépendance. La rumba était présente : les leaders politiques ont ramené avec eux l’orchestre African Jazz ! C’est cette année-là qu’ils ont enregistré le morceau « Indépendance Cha Cha », qui se chantait et dansait dans presque toute l’Afrique, au-delà du Congo ! › Quelles que soient les difficultés de nos pays aujourd’hui, la rumba est le seul secteur qui garde toujours la tête haute. C’est pour ça que nous, artistes congolais, devons la préserver. Les temps ont changé, mais moi je ne veux pas changer ceux de la rumba. Dans sa vie, elle a eu plusieurs tendances, mais n’a jamais été déstabilisée. › Vicky Longomba, le patron de la rumba congolaise, était mon idole. C’est lui qui m’a inspiré et donné envie de chanter. Je lui rends hommage sur cet album. En 1972, séparé de son compère Franco de l’OK Jazz, il a fondé l’orchestre Lovy du Zaïre et est venu me chercher. Pour moi, jeune chanteur, c’était une victoire ! Un soir, après un concert, il a dit à ses amis en me désignant : « Si je ne suis plus là un jour, vous penserez à moi à travers ce garçon. » Aujourd’hui encore, les musiciens me réservent ses chansons. Je suis son dauphin, je le représente. › Comme le bon vin, ma voix devient meilleure avec le temps. Mais ce n’est pas tombé du ciel ! Certains se demandent comment j’ai fait pour enregistrer mon disque, donner des concerts, alors que l’époque est dure pour la musique. C’est grâce au travail, à la recherche permanente. À 93 ans, Charles Aznavour a toujours un professeur de chant ! L’apprentissage est continuel. › Dans ma carrière, je n’ai pas cherché à avoir de grand succès. Car il n’est pas synonyme de talent. Alors je ne me suis pas trop tracassé pour ça… J’ai commencé la musique à 18 ans, la plupart de mes collègues d’alors ne sont plus là. Soit ils ont quitté ce monde, ou arrêté la musique. Si le succès vient, c’est bien, mais s’il ne vient pas, je devrais m’enterrer ?! Ah non ! (rires) Dans la rue à Paris, personne ne sait que je suis chanteur. Quand un artiste fait un triomphe, il pense qu’il est arrivé. Or il faut continuer à travailler. C’est peut-être à cause de ça que les jeunes ne veulent pas regarder derrière eux, s’intéresser aux racines de la rumba congolaise par exemple. Mais c’est essentiel de faire demi-tour pour comprendre d’où l’on vient, notre histoire, notre musique… C’est à la jeunesse d’opérer cette prise de conscience. › Je n’enseigne rien à mes enfants. Mais je leur donne toujours ce conseil : il faut bien faire et apprendre ce qu’ils veulent exercer comme métier dans la vie. Quand on maîtrise quelque chose, on ne manque de rien. La musique m’a sauvé, et ce n’est pas une question de richesse ou de célébrité… non ! Je me vois toujours comme un vieux jeune. Mon expérience artistique m’a donné une sagesse. C’est important, car vivre dans le monde actuel demande beaucoup de réflexion. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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« La musique m’a sauvé, et ce n’est pas une question de richesse ou de célébrité… Je me vois toujours comme un vieux jeune. »
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LES TRAVAUX D’HERCULE DE «MISTER GEORGE»
L’ancienne star de foot est devenue président du Liberia. La tâche s’annonce immense, avec un pays où tout, ou presque, est à reconstruire.
par George Ola-Davies 46
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Sportif le plus populaire de son pays, George Weah a largement remporté l’élection, avec 61,5 % des suffrages au 2nd tour. Ici à Monrovia, le 27 décembre, à la veille de la proclamation des résultats.
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ister George », comme le surnomment affectueusement les supporters du monde entier, a toujours attiré des foules. Quand il était footballeur, ses fans se pressaient dans les stades pour le regarder mystifier les autres joueurs et marquer but sur but. Il en a réussi un autre, le 26 décembre 2017, en remportant la course pour la présidentielle. Vêtu d’une longue tunique blanche lors de son investiture le 22 janvier, George Manneh Weah, 51 ans, a prêté serment sur la bible en tant que le 24e président du Liberia en présence, notamment, d’Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Ali Bongo Ondimba (Gabon), Faure Gnassingbé Eyadéma (Togo) et Nana Kafu Addo (Ghana). Et surtout devant une foule qui, selon les observateurs, n’avait jamais été aussi nombreuse au stade Samuel Kanyon Doe. Une cérémonie officielle qui marque le début de six années longues et difficiles. Son discours était empreint de messages conciliants, d’avertissements, d’optimisme et d’espoir. Il a appelé la communauté internationale – les Nations unies, l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’Union européenne et les États arabes – et, en particulier, la Chine, à aider le pays à sortir de son marasme actuel. Le nouveau chef de l’État a devant lui une tâche ardue et peu enviable. Sera-t-il à la hauteur ? Il y a toutes les raisons d’y
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croire. Son accession au pouvoir est sans précédent sur le continent africain. L’homme, encore jeune, a usé de son charme, sans avoir recours à la langue de bois, la rhétorique politicienne ou de vagues promesses pour gagner les voix du peuple libérien. Il n’a rien à se reprocher. Sa fortune ne provient pas de la politique, mais de son talent de footballeur puis d’homme d’affaires avisé. Beaucoup de Libériens l’ont ainsi perçu comme quelqu’un qui saurait faire le nécessaire dans un pays doté de richesses naturelles. Weah n’a non plus jamais été mêlé à des affaires de corruption. « Je suis le président des pauvres », a-t-il déclaré lors de son investiture, soulignant qu’il comptait « combattre la corruption et obtenir des résultats concrets ». Une promesse marquée par un geste fort et symbolique : après qu’il a été officiellement déclaré vainqueur du scrutin, George Weah était allé à la rencontre de son rival, l’ancien vice-président Joseph Boakai, pour le réconforter et, par la même occasion, lui proposer que tous deux travaillent ensemble à redresser le pays. Il faut dire que les tâches à venir sont herculéennes. Le réseau routier, l’éducation, la santé, l’agriculture, les mines, les infrastructures et réseaux de communication et bien d’autres secteurs ont un besoin urgent de réaménagement, d’amélioration ou de réhabilitation. Et il reste primordial d’établir la paix et la solidarité : la campagne électorale a prouvé une fois encore à quel point le pays reste divisé malgré les efforts acharnés de consolidation de la paix. Weah, conscient de la situation, souhaite faire taire les sceptiques, en particulier ceux qui doutent de sa capacité à faire le job. Des critiques qui affirment que ses lacunes, tant en ce qui concerne son parcours scolaire que ses compétences managériales, constituent des obstacles majeurs. Mais il a été sénateur et a officié comme ambassadeur de la paix auprès des Nations unies, deux expériences considérées comme réussies. Pour l’instant, la seule ombre
En 1998, avec son épouse Clar Duncan Weah, qu’il a épousée en 1993, et sa famille. 48
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GEORGE WEAH : LES TRAVAUX D’HERCULE DE « MISTER GEORGE »
CLARO FUMAGALLI/AP/SIPA
Après trois fantastiques saisons sous les couleurs du Paris SG, Weah rejoint le Milan AC à l’été 1995 et devient, à 29 ans, le premier footballeur africain, et le seul à ce jour, à recevoir le trophée du « Ballon d’or ». 7 janvier 1996, au stade San Siro de Milan. L’attaquant brandit son trophée avant un match contre la Sampdoria de Gênes. AFRIQUE MAGAZINE
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au tableau est à chercher du côté de ses liens, même indirects, avec les anciens chefs de guerre qui ont apporté le malheur au pays. Le candidat Weah a choisi Jewel Howard-Taylor, l’exépouse de Charles Taylor, comme colistière. Puis, a accepté le soutien de Prince Johnson lors de la campagne du second tour, incontournable politiquement et capable de faire perdre une élection. Alors que la vice-présidente tente énergiquement de se défaire de l’emprise de Taylor, qui purge une peine de cinquante ans d’emprisonnement, Johnson, lui, est considéré comme le meurtrier du président Samuel Doe en 1990, acte qui, à l’époque, avait attisé encore plus la guerre civile. Les Libériens auront du mal à oublier alors que Weah, lui, cherche à tourner la page du passé afin de rebâtir une nation nouvelle. Cet objectif, en sus des divisions régionalistes, amène le nou50
veau président à estimer que son rôle est au rassemblement et que tous doivent participer à la reconstruction du pays. Mais le poids et l’influence des anciens chefs de guerre sont encore tels que certains craignent qu’il n’ait les mains liées. Dans son premier discours, le nouveau président a ainsi dit à ses compatriotes qu’il allait transformer le pays mais qu’il n’était pas un magicien. Pour l’instant, il faut attendre et voir ce que seront ses 100 premiers jours à la tête de l’État. Une période critique qui déterminera ses objectifs et sa capacité à tenir sa feuille de route. S’il n’a pas critiqué le bilan de sa prédécesseure, Ellen Johnson-Sirleaf, George Weah a néanmoins souligné qu’il était insuffisant. Mais a félicité le gouvernement précédent pour avoir permis la liberté d’expression – celle de la presse – dont il considère qu’elle a besoin de dispositifs de contrôles et régulations. C’est une étape audacieuse. Weah, enfant d’un bidonville de Monrovia, a émergé dans une sous-région qui avait été paralysée par des guerres et des épidémies. À cela s’ajoute le virus Ebola, qui a fait des milliers de victimes dans l’Union du fleuve Mano, qui regroupe la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia. Son administration devra travailler en étroite collaboration avec les pays voisins, notamment en matière de sécurité transfrontalière. Un geste n’est toutefois pas passé inaperçu, celui où il a visiblement snobé son homologue sierra-léonais, Ernest Bai Koroma, devant les caméras de télévision mondiales. Le chef de l’État devra faire amende honorable même si le geste était peut-être prémédité : le 7 mars, le Sierra Leone élira un nouveau président. Tout compte fait, le président Weah est jeune, dynamique, regorge d’idées et aime son pays. Il a le soutien du peuple – pour le moment – et surtout la personnalité nécessaire pour mener à bien ses objectifs. Il est relativement à un carrefour et le temps sera l’un de ses plus grands ennemis : la route vers le succès est encore longue et semée d’embûches. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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22 janvier 2018. Le chef d’État prête serment au stade Samuel Kanyon Doe devant 35 000 personnes, aux côtés de sa prédécesseure, Ellen Johnson-Sirleaf.
COVER STORY GEORGE WEAH : LES TRAVAUX D’HERCULE DE « MISTER GEORGE »
Liberia, terre de douleurs
Fondé en 1847 par les descendants d’esclaves américains, le « pays de liberté » va connaître une histoire tragique marquée par la dictature, les divisions ethniques, les guerres civiles et plus récemment, l’apparition du virus Ebola. par Hugues Berton
NANZER/SIPA
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erritoire de conquêtes portugaises, hollandaises et anglaises du XVe au e XVII siècle, le Liberia bascule sous domination américaine en 1816. Cette année, les États-Unis décident de permettre à des esclaves affranchis de gagner l’Afrique. L’American Colonization Society y acquiert des terres et donne à la région le nom de Monrovia, en hommage au cinquième président des États-Unis, James Monroe. L’indépendance acquise en 1847 confirme la mainmise des milliers d’Américano-Libériens (les « freemen ») qui imposent leur loi aux natifs. En 1944, à la faveur du suffrage censitaire en vigueur, le pays porte à sa tête William Tubman, « le père du Liberia moderne », qui prône l’unité nationale. La réduction des inégalités passe notamment par le droit de vote des autochtones. Mais bien décidé à conserver le pouvoir, le guide américano-libérien durcit le ton. Sa présidence vire à la dictature. À sa mort, en 1971, le vice-président William Tolbert, lui aussi américano-libérien, lui succède. Sous son mandat, le pays s’enlise dans la corruption et les trafics en tout genre ; la culture de l’hévéa, principale ressource avec le fer, est abandonnée au géant américain du pneu Firestone, le pavillon maritime libérien se négocie à tour de bras… Les natifs, qui représentent 95 % de la population, n’en peuvent mais. Un coup d’état militaire mené par le sergent-chef Samuel Doe, porte
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ce natif à la tête du pays en 12 avril 1980. La dureté du régime conduit ses opposants à fuir. Depuis la Côte d’Ivoire, la résistance s’organise. Mais le NPFL de Charles Taylor est concurrencé par l’INPLF de son ex-lieutenant Prince Johnson qui massacre Doe, le 9 septembre 1990. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) parvient à mettre fin aux luttes entre partisans de Doe et de Taylor, finalement élu président en 1997. Une seconde guerre civile éclate deux ans plus tard. Des événements sanglants qui feront plus de 150 000 morts. Taylor démissionne le 11 août 2003*. Après une transition politique contrôlée par l’ONU, Ellen Johnson
Sirleaf accède à la présidence le 23 novembre 2005. Première femme à la tête d’un État africain, elle reçoit le Prix Nobel de la paix en 2011, année de sa réélection. En 2014, le pays, en voie de pacification et d’unification est cette fois touché par le virus Ebola, qui décimera plus de 5 000 personnes jusqu’en 2016 et isolera le territoire. Le 26 décembre, le sénateur George Weah, fraîchement élu à la tête du Liberia s’attaquait au plus dur match de sa vie : apaiser et développer son pays, l’un des dix plus pauvres du monde. ■ Hugues Berton * Soutien actif du pouvoir pendant la guerre civile de la Sierra Leone 1991-2002, il a été condamné en 2006 à cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité.
Avril 1996. Dans les rues de Monrovia, la guerre civile dure déjà depuis six ans.
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Dernier fils encore en fuite de Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam a été capturé en novembre 2011. Pour échapper aux recherches, il s’était laissé pousser la barbe et prétendait être un simple chamelier. 52
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LES MYSTÈRES DE SEIF Seif al-Islam, le deuxième fils de l’ancien dictateur Mouammar Kadhafi, aurait été libéré au courant de l’été 2017. Sans « adresse connue », il demeure pourtant invisible. Pour certains, cet homme dans l’ombre reste un recours politique potentiel. Pour la plupart, il n’est qu’un personnage du passé, recherché et dont « l’héritage politique » divise même les milieux kadhafiste. par Maryline Dumas AFRIQUE MAGAZINE
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(alors unique) et de la Cour pénale internationale qui a lancé ssis en tailleur sur un tapis posé un mandat d’arrêt contre lui pour « crimes de guerre présuà même l’herbe, l’homme, en més » pendant la révolte, Seif al-Islam restera donc à Zintan. pantalon et T-shirt vert kaki, C’est depuis le tribunal de la ville, par vidéo-conférence, qu’il tourne la tête, comme pour comparaît devant la justice – de façon aléatoire – au procès éviter la photo. Sa casquette qui s’ouvre à Tripoli, où sont jugés une trentaine de responau motif de camouflage et ses sables kadhafistes, dont lui-même. Il est officiellement accusé lunettes de soleil cachent son de crimes de guerre, de corruption, d’incitation au viol et aux visage. La main gauche vient meurtres, avant et pendant la révolution de 2011. recouvrir la main droite, ne Au printemps 2014, il apparaît ainsi pour la dernière fois : laissant pas apparaître les doigts de celle-ci. Le pouce, l’index en tenue bleue de prisonnier, enfermé derrière de lourdes et l’annulaire sont vraisemblablement coupés, résultat des viogrilles, il ne parlera – laissant entrevoir la perte d’une dent – lents affrontements de l’année 2011. Difficile de reconnaître que pour dire au juge qui s’inquiète de sa défense : « C’est Dieu avec certitude Seif al-Islam Kadhafi sur cette photo. Pourtant, mon avocat. » Fin du premier acte. il s’agit bien de lui, l’été dernier en Libye, selon le Haut Conseil suprême des tribus libyennes, réunissant des représentants tribaux partisans de l’ancien régime. Si cet organe kadhafiste AUCUNE APPARITION MÉDIATISÉE dit vrai, cette image est le seul élément ayant filtré depuis la 28 juillet 2015. Après un interminable et chaotique prolibération supposée de Seif al-Islam, et même depuis sa dercès, Seif al-Islam est condamné à mort par contumace. Huit nière apparition publique en 2014. autres personnes – parmi lesquelles son oncle par alliance et Nous sommes bien loin du dandy, ami de Tony Blair et ex-chef des services de renseignements, Abdallah Senoussi – se d’Albert de Monaco, qui fréquentait la jet-set. Connu pour ses voient infliger la même peine. Seule différence : alors que ces frasques – malgré tout moins mouvementées que celles de ses derniers sont dans la capitale, Seif, lui est toujours à Zintan. À frères –, le second fils de Mouammar Kadhafi (le premier issu l’été 2014, la ville a pris un peu plus ses distances avec Tripoli, du mariage avec Safia Farkash) s’était constitué un sérieux tombée aux mains de la coalition islamo-conservatrice de Fajr carnet d’adresses dans les milieux diplomaLibya (Aube libyenne), ennemie jurée de Zintiques. Diplômé en architecture à Tripoli, tan. Le fief révolutionnaire soutient alors la d’un MBA d’économie et management à Chambre des représentants, parlement élu en Vienne et d’un doctorat de la prestigieuse juin 2014 qui s’est installé à Tobrouk (libéré London School of Economics, Seif al-Islam en février 2011), dans l’extrême-est. a longtemps été considéré par les chancelAu lendemain des procès, cette assemleries occidentales comme un successeur blée vote une loi d’amnistie pour les responpotentiel à Mouammar Kadhafi, d’autant sables kadhafistes. Dès lors, les rumeurs de qu’il apparaissait plus souple et accommolibération du fils du Guide se succèdent. On le dant. Mais quand éclate la révolution, il se dit d’abord libre de ses mouvements à Zintan, montrera pourtant intraitable, promettant voire marié et même jeune père de famille. des « rivières de sang » si les manifestations Mais l’homme est aux abonnés absents. se poursuivaient. En début d’année 2017, Ajmi Al-Atri, chef C’est en novembre 2011 – après la mort de la brigade Abou Baker Al-Sidiq de Zintan de son père et la chute du régime – que Seif qui détenait Seif al-Islam, affirme à France Été 2017, la dernière photo al-Islam est arrêté dans la région de Sebha, 24 : « Selon la loi libyenne, Seif est libre, il se publique de Seif al-Islam Kadhafi, capitale du Fezzan (sud libyen) par une britrouve quelque part sur la terre libyenne. Seif selon son entourage. gade de Zintan, fief révolutionnaire bédouin al-Islam peut avoir un rôle primordial pour (nord-ouest). Le quadragénaire, qui se faisait passer pour un réunir le peuple libyen et refaire son unité. Lui seul est capable chamelier, aurait été trahi par un de ses hommes. Pour la de fédérer les partisans de l’ancien régime et ceux qui ont fait petite cité de 42 000 âmes (80 000 dans le district), l’illustre la révolution. » De leur côté, les autorités de Zintan – de plus prisonnier devient un véritable trésor. Pas question de le laisen plus divisées entre les déçus de la révolution et ceux qui y ser partir à Tripoli, « sous la coupe des brigades de Misrata croient encore – s’agacent, nient l’information et interdisent à qui veulent se venger. Ici, à Zintan, Seif al-Islam est en sécuAjmi Al-Atri de s’exprimer publiquement. Seif est devenu un rité » disait, juste après la capture, un rebelle au quotidien fardeau. « Les Libyens se battent contre nous à cause de lui. Ils Libération. Malgré les demandes du gouvernement de Tripoli pensent que nous sommes des kadhafistes », explique Mokthar
REUTERS
Mai 2014. Au tribunal de la ville de Zintan, il comparaît devant la justice, à distance, au procès des responsables kadhafistes qui se tient à Tripoli.
al-Akhdar, un des leaders militaires de la ville. En juin 2017, sa libération est de nouveau annoncée. Et cette fois, personne ne dément. Tout le monde attend une apparition ou une déclaration du fils Kadhafi. Peine perdue. Seif al-Islam reste muet et invisible, hormis cette photo mentionnée plus haut dont la date, le lieu et la véracité n’ont pas pu être authentifiés. Pourtant, nombreux sont ceux qui s’attendent à le voir revenir sur la scène politique. En ligne de mire, l’élection présidentielle que les Nations unies souhaitent voir se dérouler en septembre 2018 (voir encadré). Dans cette hypothèse, il semble toutefois difficile au fils du Guide de se présenter, selon Jalel Harchaoui, doctorant à l’Institut français de géopolitique : « Ce qui était possible il y a six mois le devient de moins en moins. […] L’apparition de Seif, dans le cas d’une candidature, est une étape clé qui ne doit pas avoir lieu à Zintan ou Bani Walid [bastion kadhafiste, NDLR] pour avoir une envergure nationale. » Le chercheur voit deux raisons à cette absence prolongée. La première concerne la sécurité. Recherché par le procureur de Tripoli et considéré comme un rival par Khalifa Haftar, le chef de l’autoproclamée Armée nationale de libération, Seif al-Islam ne peut se déplacer facilement en Libye. Tripoli, Misrata et Benghazi lui sont fermés. L’expert envisage également une hypothèse plus politique : Seif souhaiterait créer une alliance avec les Frères musulmans et les islamistes avant de se prononcer. « Ce serait AFRIQUE MAGAZINE
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Les rumeurs de sa libération se succèdent. On le dit même marié et jeune père de famille. un joli coup. Il utiliserait ses liens passés pour s’ouvrir de nouvelles pistes. Avec Abdelhakim Belhadj [membre de l’ancien Groupe islamique combattant, considéré comme proche d’AlQaïda, classé terroriste par l’ONU et opposant à Mouammar Kadhafi, NDLR] à ses côtés, il serait bien plus pris au sérieux, tout en restant compatible avec l’ordre ancien », estime Jalel Harchaoui. Pour accréditer cette thèse, il convient de remonter à 2007, lorsque la Libye a normalisé ses relations à l’international. Seif al-Islam utilise alors la « Fondation internationale Kadhafi pour la charité et le développement » qu’il préside pour lancer un dialogue avec les membres du Groupe islamique combattant en Libye (GICL). C’est à lui qu’Abdelhakim Belhadj, Ali Sallabi (théoricien religieux) et de nombreux opposants islamistes à la dictature doivent leur sortie des prisons de la Jamahiriya. Aujourd’hui, ils jouent un rôle d’influence 55
ENQUÊTE LIBYE, LES MYSTÈRES DE SEIF
en Libye. Une ouverture qui pourrait donner à Seif al-Islam une figure de consensus mais également se retourner contre lui. Mokthar al-Akhdar, un des leaders militaires de Zintan, résume ainsi : « Si son père était encore en vie, il aurait luimême placé Seif en prison. Ghariani [mufti de Tripoli, NDLR], Belhadj, Sallabi… Tous ces islamistes qui posent problème en Libye, c’est Seif qui leur a permis de rentrer dans le jeu. » Une frange non négligeable de kadhafistes partagent cette opinion, estimant que l’ouverture prônée par le fils prodigue a conduit à la chute du régime. Publiquement, Seif al-Islam a plusieurs fois fait part de ses regrets. « Je le jure devant Dieu. J’ai fait beaucoup trop pour ces deux hommes et en retour, ils m’ont trahi. Abdelhakim Belhadj et Ali Sallabi n’apporteront rien de bon, ni au pays, ni aux Libyens », affirme-t-il à ses geôliers dans une vidéo de novembre 2011. Élections ou pas, Seif, 45 ans, a en tout cas été formé pour succéder à son père. Dans les années 2000, il était considéré comme un ministre des Affaires étrangères bis. Mais de l’avis de nombreux observateurs, le bilan réel de ses années d’« héritier » est mauvais. Sa volonté d’élaborer une Constitution et d’engager un programme de réformes ont créé beaucoup d’espoirs, même parmi les opposants de la Jamahiriya en 2007. Ils seront finalement douchés par le Guide
UNE ÉLECTION IMPOSSIBLE ?
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ans son « plan d’action », dévoilé en septembre dernier, Ghassan Salamé, représentant des Nations unies en Libye, prévoyait une renégociation des Accords de paix de Skhirat (signés en décembre 2015 et jamais appliqués), un référendum validant une nouvelle Constitution et des élections législatives et présidentielles à l’été 2018. Un calendrier irréalisable dans les délais. C’est, en tout cas, le point de vue d’Emad Essayeh, le président de la Haute Commission nationale aux élections (HNEC). Dès octobre, le Libyen affirmait à AM qu’il n’était pas question d’organiser un référendum : « Pour une consultation de ce genre, nous aurons besoin d’un haut niveau de sécurité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. » Celui qui a organisé les élections législatives de 2012 (Congrès général national) et de 2014 (Chambre des représentants) jugeait plus facile de préparer directement une élection : « Cela sera plus simple, car tous les acteurs veulent le pouvoir, donc participer au vote. » Mais pour organiser celle-ci, la HNEC estime qu’il lui faut six mois, à compter du vote de la loi électorale. Un texte qui n’a pas encore été débattu à la Chambre des représentants. Malgré tout, la HNEC a ouvert, en décembre, les inscriptions sur les listes électorales. En un peu plus d’un mois, près de 500 000 personnes sur une population estimée aujourd’hui à 6,5 millions s’y sont enregistrées. ■ M.D.
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lui-même. « Cela lui a brisé les ailes », juge un diplomate. Jalel Harchaoui va plus loin : « Il avait un rôle en or à cette époque. Il fallait être incompétent pour rater les années 2007-2010. Et même lorsque la révolution a éclaté, il n’a pas abattu la bonne carte. Il aurait alors dû jouer au “ good cop-bad cop ” avec son père, lui-même endossant le rôle du bon. » Malgré tout, l’expert estime que dans le cas d’une candidature, Seif pourrait avoir une influence certaine et notamment « gâcher la fête de Khalifa Haftar ». Ce dernier ne semble ne pas s’y tromper. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique (07/01/18), le maréchal le décrit comme un « pauvre type que l’on essaye d’utiliser à des fins vénales ». Et ajoutant que « beaucoup de naïfs continuent malheureusement de croire en Seif al-Islam ».
QUAND LES TRIBUS S’EN MÊLENT Un sondage effectué par le Centre maghrébin d’études sur la Libye (CMEL) révèle que plus de 90 % des individus interrogés ont déclaré ne pas être satisfaits de la situation générale du pays *. Pour 10,2 % de ceux-ci, l’arrivée de Seif al-Islam au pouvoir est considérée comme une solution. Le directeur du CMEL, Rachid Khechana, reste cependant prudent : « Il y a une sympathie certaine. Mais il ne faut pas négliger la part des nostalgiques, qui ne sont pas forcément kadhafistes mais jugent que la situation était meilleure avant. Cela ne veut pas dire que cette sympathie se transformera en bulletin de vote au nom de Seif. » L’atmosphère semble en tout cas favorable à la réconciliation. En mai 2017, la prison al-Hadhba de Tripoli a changé de mains, jusqu’alors contrôlée par Khaled Cherif, un ancien du GICL et proche d’Abdelhakim Belhadj. Les brigades de Tripoli ont mis en fuite cet ancien secrétaire d’État et transféré les prisonniers les plus illustres. Parmi eux, les kadhafistes condamnés à mort, tel que Abdallah Senoussi, deux anciens Premiers ministres (Abuzed Dorda et Baghdadi Mahmoudi) et Saâdi Kadhafi, un des quatre fils encore en vie du leader. Extradé du Niger vers Tripoli en 2014, il est accusé du meurtre d’un footballeur et d’être impliqué dans la répression de 2011. Les conditions de vie de ces prisonniers, Éloignés de Khaled Cherif, se sont beaucoup améliorées. Un membre de la famille d’Abuzed Dorda indique à présent pouvoir lui rendre visite comme bon lui semble. D’après nos informations, les responsables verts ont pu fêter plus que dignement l’Aïd el-Kebir, à l’automne dernier, dans un hôtel de luxe de la capitale. « Certains révolutionnaires ont fait bien plus de mal à notre pays que les kadhafistes » justifiait, en septembre, Hashim Bechir. Un revirement spectaculaire pour le conseiller sécuritaire du Premier ministre de Tripoli et ancien chef du Conseil suprême de sécurité de la ville. Encore faudrait-il que Seif al-Islam soit candidat. Or le Haut Conseil suprême des tribus libyennes (constitué de la plupart des chefs du temps du Guide), qui l’a nommé en septembre « représentant légal de la JamaAFRIQUE MAGAZINE
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Les années champagne et jet-set. Comme à l’Opéra de Vienne, ici en 2006, en compagnie notamment de la chanteuse Carmen Electra (à sa gauche).
Le dandy polyglotte détient des secrets qui vaudraient certainement des milliards. hiriya occupée », s’oppose à ces élections. Franck Pucciarelli, représentant pour l’Europe de l’organisation kadhafiste, pointe d’abord les problèmes sécuritaires qui rendent presque impossible l’organisation d’un scrutin ouvert à tous et qui exclura très probablement les exilés. Leur nombre varie selon les sources, mais il dépasse très certainement le million. Beaucoup sont des hauts fonctionnaires ou partisans de l’ancien régime forcés, à la révolution, de quitter le pays. Surtout, « le conseil considère que la Jamahirya est aujourd’hui occupée, il ne peut accepter des élections menées par l’ONU, considérée comme responsable du chaos actuel à travers la résolution 1973 [le texte de mars 2011 renforce l’embargo sur les armes et instaure un régime d’exclusion aérienne pour « protéger les civils contre des attaques systématiques et généralisées », NDLR]. » Alors pourquoi tout ce bruit autour d’une candidature de Seif al-Islam ? Khaled Al-Zaïdi, l’avocat de la famille Kadhafi, et, plus récemment, Abdel Majid al-Mansouri, un proche, ont fait des déclarations alimentant ces conjectures. « Les personnes qui ont fait partie du réseau tentent une dernière sortie médiatique », juge Jalel Harchaoui. Franck Pucciarelli est plus cassant : « Seif n’a pas besoin de passer par son avocat. Mais c’est positif car cela fait parler de lui. »
WILLI SCHNEIDER/REX SHU/SIPA
DES LINGOTS DANS LE DÉSERT Les kadhafistes ont un autre objectif, qu’ils tentent de défendre auprès des chancelleries occidentales : l’organisation d’un référendum sur un retour à la Jamahiriya arabe libyenne. Le Haut Conseil suprême des tribus libyennes a déjà ficelé un scénario en cas de victoire : Seif al-Islam serait légitimé avec, à ses côtés, sa sœur, Aïcha Kadhafi, en tant que responsable des affaires étrangères, et Ali Kana comme responsable de la défense populaire. La première a fui la Libye en août 2011, bien avant la mort de Mouammar Kadhafi. L’avocate de formation est l’unique fille biologique de l’ancien leader. Réfugiée en Algérie avec sa mère et deux de ses frères Mohamed et Hannibal, elle appelle, fin 2011, au soulèvement : « Vengez le sang de vos martyrs. Révoltez-vous contre le nouveau gouvernement. » Alger est gêné par cette invitée trop bavarde. Officiellement, le AFRIQUE MAGAZINE
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ministère des Affaires étrangères déplore « le fait que Madame Aicha Kadhafi ait enfreint les règles de l’hospitalité qui lui est accordée, à titre humanitaire. » La famille est finalement envoyée à Oman. Depuis leur installation dans le sultanat, en 2012, les Kadhafi restent muets. Le second, Ali Kana, est moins connu. Ce général touareg, originaire de la région de Ghat (sud-ouest), a commandé en 2011 les forces pro-Kadhafi dans le sud du pays. Il s’est ensuite exilé au Niger avant de réapparaître en Libye où il aurait formé une petite armée. À la libération de Seif al-Islam, beaucoup estimaient qu’il avait probablement rejoint le chef touareg. Où qu’il soit, une chose est sûre : le dandy polyglotte a besoin d’argent pour s’organiser. Pour Jalel Harchaoui, ce ne devrait pas être un problème. Le chercheur estime que les fonds et actifs libyens dans le monde s’élevaient à 180 milliards de dollars en 2010. D’autres experts évoquent même la somme de 400 milliards. Disséminée dans le monde entier et contrôlée par la Guide et son entourage proche, cette fortune, issue de la manne pétrolière libyenne, reste opaque et difficile à identifier. Elle serait constituée de fonds liquides, d’or – Abdullah Senoussi affirmait en 2012 que des lingots avaient été enterrés dans le désert libyen –, de comptes bancaires dans des paradis fiscaux, de sociétés-écrans et d’investissements dans des secteurs comme les télécommunications, les hôtels, les infrastructures… Une toile d’araignée si vaste que tout n’aurait pas pu être gelé en 2011. « Il est difficile d’avoir des chiffres précis mais j’estime qu’entre 10 et 20 milliards de dollars ont disparu pendant la révolution. Seif al-Islam, au fait des montages, pourrait en récupérer un milliard. Le problème, c’est qu’il est pris entre deux feux : il lui est difficile de voyager avec la CPI et Tripoli qui le recherchent. » Pour les kadhafistes, c’est précisément pour des questions financières que Seif ne peut pas sortir au grand jour. Détenteur de nombreux secrets, il pourrait demander, pour prix de son silence, à récupérer son argent placé à l’étranger. ■ * Sondage réalisé en octobre 2017 auprès de 1 211 Libyens vivant dans cinq villes de Tripolitaine (côté occidental).
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Le Liban en mode résilience
Instabilité politique, afflux massif de réfugiés, menaces géostratégiques, dettes et corruption… Pourtant, le pays du cèdre résiste en s’appuyant en particulier sur une diaspora fidèle et mobilisée. par Thomas Abgrall
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Beyrouth et sa baie. La capitale attire toujours autant de touristes.
açades de la place de l’Étoile colorées par des projecteurs, concerts de chanteurs et de DJ libanais, feux d’artifice et pluie de paillettes. Pour la première fois depuis une bonne décennie, les festivités du Nouvel An à Beyrouth ont été organisées en grande pompe dans ce qu’il est convenu d’appeler le « centre-ville », une zone où se situe le Parlement. Depuis l’assassinat de Rafic Hariri en 2005, blocs de béton et fils barbelés étaient installés à toutes les entrées. Des obstacles qui ont été levés par la municipalité, qui a voulu célébrer « un retour à la stabilité ». Malgré l’épisode de la démission soudaine de Saad Hariri au mois de novembre – qui a fait craindre à nouveau le pire pour le Liban – puis le retour sur sa décision un mois plus tard, l’économie a tenu le choc en 2017. La fréquentation 59
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touristique a même augmenté de 12 %, avec 1,9 millions de vacanciers en visite au pays du cèdre. Le secteur reprend peu à peu des couleurs, après s’être effondré entre 2011 et 2013, en raison de l’instabilité dans la région. Un signe crucial pour une économie de services (à 80 %) comme celle du Liban. Le tourisme assure 25 % du produit intérieur brut (PIB) et génère un quart des emplois dans cet État de 6 millions d’habitants situé au bord de la mer Méditerranée et au cœur du Proche-Orient, entre la Syrie et Israël. Cette éclaircie, également portée par la normalisation de sa situation politique, permet au pays de respirer. Selon la Banque mondiale, le taux de croissance du PIB a atteint 2 % sur l’année 2017, soit un point de plus qu’en 2016. L’agence de notation Moody’s l’estime à 2,8 en 2018.
APRÈS LA RÉVOLUTION DU CÈDRE Si l’on reste loin des niveaux historiques des années 2008 à 2010 – 8 % par an en moyenne grâce à un boom des investissements immobiliers et du tourisme –, c’est parce que le Liban a dû gérer plusieurs crises. Après deux ans et demi de vide institutionnel, il s’est enfin doté, il y a un an, d’un nouveau président : le général Aoun, un chrétien maronite, comme le prévoit le système national qui répartit les postes à responsabilités selon les confessions. L’ex-dirigeant de l’armée, chassé en 1990 du pays par les troupes syriennes et en exil en France, avait fait son grand retour en 2005, après la « révolution du Cèdre » provoquée par l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri et le départ de l’armée syrienne du Liban (qui l’occupait depuis 1976). Un an plus tard, en 2006, il s’était allié avec le Hezbollah, le parti chiite, pourtant soutien inconditionnel de Damas, et scellait avec lui l’alliance dite du « 8-Mars », opposée à celle du « 14-Mars », une autre coalition regroupant les partisans de Saad Hariri, le fils de Rafic Hariri, et d’autres partis chrétiens, comme les Forces libanaises de Samir Geagea, le grand rival chrétien du général Aoun. Après de nombreuses années de querelles et de blocages, un Liban sans président et un Parlement paralysé, les deux rivaux chrétiens se sont réconciliés au début de l’année 2016. Le mouvement du « 14-Mars » a validé la candidature d’Aoun à la présidence de la République, en échange du poste de Premier ministre pour Saad Hariri. Après leur « deal », les
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la baisse des exportations industrielles entre 2012 et 2016.
anciens ennemis politiques ont voté une loi électorale permettant la tenue d’élections législatives en mai 2018. Ce seront les premières depuis neuf ans, les députés ayant autoprorogé leur mandat en 2013. Et, pour la première fois depuis 2005, un budget a été voté par le Parlement en octobre 2017. Cette stabilisation politique a permis une amélioration de la situation sécuritaire : Beyrouth, visé par une dizaine d’attentats entre 2013 et 2015, n’en a plus connu depuis plus de deux ans, et l’État islamique, qui tenait encore des positions à la frontière orientale du pays, a récemment capitulé face à l’armée libanaise et au Hezbollah. Sauf que, en parallèle, le pays a été frappé de plein fouet par les conséquences du conflit syrien et des tensions régionales associées. Entre 2011 et 2015, il a absorbé 1,5 million de réfugiés, soit le quart de sa population. Un afflux massif qui a bousculé l’équilibre démographique et pesé sur des infrastructures déjà dégradées, perturbant la fourniture de services publics (eau, électricité…). Dans un tel cas de figure, on pouvait craindre que PIB s’effondre. Cela n’a pas été le cas. « Le gouvernement a bénéficié d’une forte mobilisation. L’aide internationale a été en moyenne de 1,5 milliard par an sur les cinq dernières années, explique Jad Chaaban, professeur d’économie à l’Université américaine de Beyrouth. Plus récemment, elle a permis d’aider directement les communautés accueillantes, donc les Libanais. » Le pays a également bénéficié d’effets de substitution, notamment dans le secteur industriel, qui représente environ 15 % du PIB. Certes, les exportations industrielles (85 % du total) ont baissé de 30 % entre 2012 et 2016, principalement en raison de la fermeture des frontières entre la Syrie et ses principaux voisins, privant le Liban d’une voie d’accès vers les pays arabes. Mais dans le même temps, les entreprises ont profité de l’explosion de la demande de biens de consommation et de logements générée par l’arrivée des réfugiés. Concernant le marché du travail, le constat est plus nuancé. « Les réfugiés syriens ont concurrencé les travailleurs libanais les plus pauvres. On estime que le chômage qui était de 11 % en 2011 se situe aujourd’hui entre 15 et 20 % », affirme Kamal Hamdan, le directeur exécutif du Consultation and Research Institute à Beyrouth. Pour Jad Chaaban, l’afflux d’exilés syriens n’a pas eu de répercussions en premier lieu sur les Libanais. « L’arrivée des réfugiés a surtout pesé sur les emplois des travailleurs syriens, palestiniens et égyptiens qui vivaient déjà au Liban. Elle a donc permis aux employeurs libanais de baisser leurs coûts de production. » Durant cette période difficile, le Liban a aussi pu compter
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voire 20 % : le taux estimé de chômage, contre 11 % en 2011.
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Le président de la République Michel Aoun (à g.), et Saad Hariri, Premier ministre, tandem improbable face aux menaces.
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sur la solidité de son secteur bancaire, pilier central de son économie avec le tourisme. Les profits des grandes banques ont ainsi continué d’augmenter en 2016, comme pendant toutes les crises traversées par le pays (assassinat de Rafic Hariri en 2005, guerre avec Israël en 2006), enregistrant même des dépôts et des revenus records après la crise financière internationale de 2008. C’est avant tout le résultat de la politique prudente de l’indéboulonnable gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, en poste depuis près de vingt-cinq ans, qui avait publié une circulaire interdisant aux banques locales d’acquérir des produits liés aux subprimes. La réussite du secteur bancaire repose sur un système bien rodé. Les établissements offrent de juteux taux d’intérêt sur les dépôts – environ 6 % pour un compte en livres libanaises – pour attirer les capitaux et en particulier les fonds de la diaspora, qui compte environ 12 millions de personnes. Disposant d’importantes provisions, ils peuvent financer – avec la Banque centrale – la dette publique, sur laquelle ils touchent des taux d’intérêt très attrayants (de l’ordre de plus de 7 % sur la dette libellée en livre).
VIGNOBLES ET DÉFILÉS DE MODE D’autres signaux positifs sont aussi apparus. Sous l’impulsion de la Banque centrale, l’accent a été mis sur le numérique. En 2013, l’institution dirigée par Riad Salamé a débloqué 400 millions de dollars et offert sa garantie pour pousser les AFRIQUE MAGAZINE
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banques commerciales à miser sur les start-up. La circulaire 313 prévoit qu’en cas de faillite, la perte de l’organisme prêteur se limitera à 75 % de sa mise de départ. Résultat, de 2014 à 2016, le secteur des TIC a connu un taux de croissance moyen de 7 %. Et ces cinq dernières années, les start-up se sont multipliées au pays du cèdre, qui pointe à la deuxième place régionale derrière Dubaï. D’autres activités, plus modestes, se sont aussi développées. C’est le cas de la production vinicole (les domaines Ksara et Kefraya sont les plus connus) et de la mode. Les créations libanaises sont souvent sur le devant de la scène dans les défilés internationaux, qu’il s’agisse d’Elie Saab, de Georges Chakra ou encore de Zuhair Murad, alors qu’une dizaine de stylistes réaliseraient déjà individuellement un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions de dollars. La Beirut Art Fair, créée il y a seulement cinq ans, connaît déjà un succès considérable, attirant des collectionneurs du monde entier dans la capitale libanaise. Sans oublier que la récente découverte au large du pays de gisements pétroliers et gaziers pourrait rapporter plusieurs milliards de dollars à l’État et booster la croissance. Enfin, la désescalade du conflit qui s’amorce en Syrie pourrait favoriser l’économie libanaise dans les prochaines années. « Des négociations pour la reconstruction de la Syrie ont déjà commencé en coulisses, notamment avec des ambassades étrangères. Nos entreprises apportent leur connaissance du terrain, savent évoluer dans un contexte de crise. Elles seront des intermé61
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15 % :
la part que représenterait la corruption dans le PIB.
diaires et des partenaires très efficaces », assure Fouad Zmokhol, président du Rassemblement des chefs d’entreprises libanais (RDCL World). Malgré tout, il demeure de nombreuses ombres au tableau. La dette publique n’a cessé de s’accroître depuis la période de reconstruction, après la guerre civile entre 1975 en 1990. Elle augmente chaque année. En octobre 2017, elle était évaluée à 78,2 milliards de dollars, équivalant à 150 % du PIB, le troisième ratio le plus élevé au monde. « Les finances publiques sont mauvaises, mais relativement stables, relativise Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la banque Byblos. Le secteur bancaire continue à augmenter ses dépôts en dollars. Les banques peuvent à la fois prêter au secteur privé et financer les besoins d’endettement de l’État. » Fitch et Standard & Poor’s ont maintenu début septembre 2017 leurs notations respectives du pays du cèdre à B- avec une perspective « stable ». D’autres voix se font plus alarmistes : « Les banques se sont toujours appuyées sur les capitaux de la diaspora. Mais ces transferts de fonds dépendent aussi de la bonne santé des économies d’accueil de ces Libanais de l’étranger », note Rosalie Berthier, consultante pour la plateforme Synaps. Or, dans un rapport publié début 2017, le FMI estime que le faible niveau des prix du pétrole devrait nuire aux envois de fonds des expatriés, essentiellement pour ceux qui vivent dans le Golfe (10 à 15 % de la population active libanaise). Des flux qui devraient baisser de 19 % d’ici à 2019. Un désengagement de la diaspora que l’on constate déjà dans le secteur immobilier, autre moteur de la croissance libanaise. La présence des émigrés sur le marché se fait discrète, alors qu’ils représentaient 60 à 70 % de la clientèle en 2010. Résultat, le secteur fait du surplace depuis quatre ans. Le ciel de Beyrouth est toujours hérissé de grues mais les constructions avancent au ralenti. « Depuis deux ans, on constate 20 à 30 % de projets résidentiels en moins. Il existe de nombreux invendus, qui représentent une valeur de 750 millions de dollars », souligne Guillaume Boudisseau, consultant chez Ramco, une société de conseil immobilier. En se promenant le soir dans les rues de la capitale, il n’est pas rare d’observer des étages entiers de bâtiments neufs sans lumière. Depuis vingt-cinq ans, l’État a peu investi dans les secteurs productifs de l’économie, accaparé par le remboursement de la dette et le poids du secteur public. « Entre 1993 et 2016, sur les 200 milliards de dollars dépensés par le gouvernement, 90 % sont des dépenses courantes.
Seulement 9 % ont été affectées aux investissements », explique Kamal Hamdan du Consultation and Research Institute. « L’État n’a jamais réellement favorisé le secteur privé. La survie des entreprises locales tient essentiellement à la persévérance de leurs patrons », déplore de son côté Fouad Zmokhol, le président du RDCL World. Les services publics et sociaux laissent à désirer. Les Libanais n’ont toujours pas l’électricité 24h/24 et doivent souvent payer deux factures, celle de l’Électricité du Liban, la compagnie nationale, et celle des générateurs privés. Idem pour la fourniture d’eau. Le réseau de transports est saturé et les conditions d’hygiène dans les rues de Beyrouth (qui concentre la moitié de la population du pays) se détériorent, en raison d’une interminable crise des ordures aux effets désastreux sur le plan sanitaire et environnemental. Les indicateurs sociaux du pays laissent à désirer. Selon les chiffres officiels, 28,5 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (70,5 % au sein des réfugiés syriens d’après les Nations unies). Les inégalités sont patentes : les revenus des 2 % les plus riches équivalent à ceux des 60 % les moins favorisés, ce qui place le Liban à la 129e position sur 141 pays, d’après une étude du ministère des Finances et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
28,5 % :
le taux de la population vivant sous le seuil de pauvreté.
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LA CRISE DES ORDURES PERSISTE Car une autre donnée empêche l’économie de décoller : la corruption, qui représenterait environ 15 % du PIB, dans un Liban classé en 2016 parmi les 40 pays les plus corrompus au monde par l’ONG Transparency International. Les pratiques actuelles, qui vont du « graissage de patte » administratif au scandale politique se chiffrant en centaines de millions de dollars, se sont mises en place après la fin de la guerre civile. Parvenus à de hauts postes au Parlement ou au sein de l’administration, les chefs de clans ou milices, qui sont aussi des leaders de communautés religieuses (le Liban compte 18 confessions), ont pris l’habitude de distribuer les ressources de l’État à leurs proches, sans s’oublier eux-mêmes. Ainsi, si une longue crise des déchets dure depuis deux ans, c’est parce que les principaux leaders confessionnels ne se sont pas mis d’accord sur un partage du gâteau dans ce business lucratif, autrefois contrôlé en majorité par Rafic Hariri, leader de la communauté sunnite, via les compagnies Sukleen et Sukomi. En outre, beaucoup de Libanais bénéficient d’aides ou de wasta (pistons) dans le cadre professionnel, n’osant pas remettre en cause le système. Sans oublier le développement du secteur informel. « Depuis le début de la guerre en Syrie, un important trafic de tabac, d’armes ou encore de médicaments s’est développé et a profité à beaucoup AFRIQUE MAGAZINE
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de marchands libanais, souligne l’économiste Jad Chaaban. Le poids du marché noir dans le PIB est difficilement quantifiable, mais il joue un rôle indirect certain dans la croissance de l’économie. » Seul le mouvement de la société civile « Beirut Madinati » (Beyrouth, ma ville), créé en 2016, propose un projet politique transcommunautaire. Il a fait une percée lors des élections municipales, mais encore insuffisante pour menacer le système actuel. L’arrivée au pouvoir du général Aoun, chef auto-
proclamé de la lutte anticorruption, n’a pas changé la donne. À part l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information, qui impose aux administrations de rendre leur activité publique, le bilan est maigre. « Les méthodes et la finalité restent les mêmes, dénonce Sahar Al-Attar, la rédactrice en chef du mensuel économique Le Commerce du Levant. Les anciens détracteurs sont devenus partenaires d’un système fondé sur l’emploi des ressources de l’État au service d’intérêts particuliers. » ■
Une puissante diaspora Très présente en Afrique, la communauté libanaise représente un poids économique réel.
AZIZ TAHER/REUTERS
S
’il n’existe aucun recensement officiel, on estime la communauté libanaise sur le continent à 300 000 personnes, majoritairement installées en Afrique de l’Ouest. La plus importante diaspora vit en Côte d’Ivoire, avec 80 000 à 100 000 membres. Viennent ensuite le Nigeria et le Sénégal, qui totalisent entre 100 000 et 150 000 personnes. Implantés dans toute la sous-région (notamment en Guinée, au Ghana et Sierra Leone), les Libanais sont aussi présents plus au sud, au Cameroun, Gabon, dans les deux Congo et en Angola. Durant la première période d’émigration, au début et milieu du XXe siècle, ils étaient cantonnés au commerce de détail, jouant le rôle d’intermédiaires entre les firmes européennes et les producteurs locaux. Aujourd’hui, ils sont actifs dans de nombreux secteurs : immobilier, industrie, grande distribution, santé, import-export, construction d’infrastructures… Selon la Chambre de commerce et d’industrie libanaise de Côte d’Ivoire (CCILCI), ils contrôleraient 40 % de l’économie ivoirienne. « Environ 3 000 entreprises libanaises y sont installées, employant 300 000 personnes. Leur apport fiscal est estimé à environ 350 milliards de francs CFA par an », affirme Charif Kojok, le directeur adjoint de la CCILCI à Abidjan. De grandes familles, les
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Dans le nord du Liban, la ville de Miziara est connue pour ses extravagantes demeures, comme la « maison-A380 ». Et une particularité : 80 % de ses « habitants » travaillent au Nigeria. Khalil, les Omaïs, les Dagher, les Fakhry, contrôlent ainsi des pans entiers de l’économie. Au Sénégal, la communauté libanaise détient 60 % des PME-PMI et en République du Congo, 75 % des secteurs de la construction, de l’alimentation et du transport. Depuis la crise financière de 2008, l’Afrique est très convoitée. « Les concurrents sont plus nombreux, et la taille du marché n’est pas extensible à l’infini. Mais les Libanais sont habitués à s’adapter, assure Charif Kojok. Ils connaissent bien le climat des affaires, ont tissé de nombreux réseaux locaux. Leurs entreprises sont des sociétés de droit ivoirien et ne sont pas considérées comme des firmes étrangères qui rapatrient leurs bénéfices une fois
leurs projets achevés. » Certaines familles vivent en Afrique depuis trois générations. Les entreprises libanaises servent aussi d’intermédiaires pour attirer les investisseurs étrangers : elles leur permettent de rentrer sur le marché sans avoir à effectuer de gros investissements. Notamment pour la France, qui perd du terrain en Afrique. D’après le Trésor français, les parts de marché des entreprises hexagonales en Afrique subsaharienne sont passées de 7 % à 4 % en dix ans (entre 2005 et 2015). Fin octobre 2016, plus de 250 hommes d’affaires libanais et français se sont réunis à Paris pour participer à un forum pour évoquer la question. Une première étape vers une coopération plus large. ■ T.A. 63
INTERVIEW
Nabil Ayouch «Au Maroc, il est difficile d’assumer sa différence» Trois ans après le sulfureux et acclamé Much Loved, le cinéaste revient avec RAZZIA, pour interroger encore un pays pétri de paradoxes. Cette fois, c’est à CASABLANCA que cinq personnages, qui n’aspirent qu’à vivre comme ils l’entendent, s’entrecroisent, sur fond de révolte grandissante. Entre fiction et réalités, le réalisateur se livre en avant-première. par Astrid Krivian
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PHILIPPE QUAISSE/PASCO
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INTERVIEW NABIL AYOUCH : « AU MAROC, IL EST DIFFICILE D’ASSUMER SA DIFFÉRENCE »
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’image cinématographique est pour lui un miroir. Celui de la société, de ses blessures, de ses maux. Quitte à provoquer des réactions d’une extrême violence. Pour son précédent film, Much Loved (2015), qui abordait la prostitution au Maroc, interdit dans son pays, Loubna Abidar – l’actrice principale – et lui-même avaient été menacés de morts. Sur Facebook, 5 000 personnes avaient même approuvé un appel à leur exécution. Trois ans après, le réalisateur n’a rien cédé à sa liberté d’expression, à sa volonté de raconter le Royaume chérifien dans tous ses paradoxes. Il dit faire un cinéma de minorités (les enfants des rues dans Ali Zaoua, prince de la rue, les jeunes exclus devenus terroristes dans Les Chevaux de Dieu…). Né d’un père musulman et d’une mère juive, élevé entre le Maroc et Sarcelles, ville cosmopolite de la banlieue parisienne, Nabil Ayouch revendique la diversité culturelle marocaine, et cette urgence à l’entretenir et la valoriser. Razzia, sa prochaine fiction (en salles le 14 février au Maroc et le 14 mars en France), s’inscrit dans cette continuité, avec des protagonistes formant selon lui « une majorité silencieuse ». Dans le Casablanca d’aujourd’hui, des personnages de tous milieux sociaux, de toutes générations et confessions, luttent pour conquérir leur liberté, leur droit à vivre une vie selon leurs désirs, leurs différences. Tandis qu’en toile de fond grondent des émeutes de revendications sociales et économiques ou des manifestations islamistes contre l’égalité homme-femme. Un film choral ambitieux, traversé par la grâce, où s’imbriquent passé et présent, et qui, à travers ces différents parcours, dessine une destinée du Maroc dans toute sa pluralité. Pour AM, il s’en explique en avant-première.
AM : Razzia s’ouvre sur ce proverbe berbère : « Heureux celui qui vit selon ses désirs. » Pourquoi ? Nabil Ayouch : Il résume le sujet du film : les libertés individuelles, le choix et le désir de vivre comme on l’entend. Mes personnages sont tous en proie à cette impossibilité, à ce décalage entre vie rêvée et vécue. Je parle du Maroc parce que j’y habite mais c’est un propos global, beaucoup de gens vivent ainsi partout dans le monde. Or, le rêve est l’une des plus belles choses, il doit être protégé, préservé. Le premier personnage, Abdallah, est un instituteur d’un village de l’Atlas, à qui on impose d’enseigner désormais en langue arabe à la place du berbère. Il se demande : « À quoi bon la langue si vous leur ôtez leurs voix ? À quoi bon la foi si vous leur ôtez leurs rêves ? »... En voix off, il parle à cet inspecteur qui vient l’empêcher de transmettre, de faire son métier, qui pour lui est une raison d’être : donner à ces enfants des clefs, des outils de réflexion et 66
d’éducation pour devenir des adultes capables d’avoir un point de vue sur le monde. Tout part de là : le combat d’un homme et son abandon. La défaite d’une part d’humanité, une blessure qu’on porte trente, trente-cinq ans après : cette réforme d’arabisation commune aux trois pays du Maghreb [Algérie, Maroc, Tunisie, NDLR] au début des années 80. Et la suppression de toutes les humanités du programme, la philosophie, la sociologie… Ça ne peut pas être sans conséquence ! Si on détruit l’esprit critique, ça se retrouve incarné dans la vie sociale au quotidien, une génération plus tard. On parle aussi beaucoup de diversité culturelle, et j’en suis un ardent défenseur. J’ai d’ailleurs monté la Coalition marocaine pour la diversité culturelle, ce n’est pas un concept creux, ça a du sens. En Europe, on a tendance à voir le monde arabe comme un ensemble monobloc, ce qu’il n’est pas ! Au départ, il y avait des Berbères, des juifs, puis les Arabes, les populations d’Afrique subsaharienne, un mélange avec le christianisme… Et cette idée d’annihiler la pensée critique, d’uniformiser les populations par la langue, cette espèce d’hégémonisme, vient aussi briser un socle sur lequel ce pays s’est construit depuis des siècles, des millénaires. C’est donc un choix délibéré que le premier personnage soit un instituteur, l’éducation comme berceau d’une société ? Les instituteurs sont les vrais héros. C’est l’école et la MJC de Sarcelles qui m’ont sauvé. Je sais ce que je leur dois, à ces éducateurs sociaux, à ces professeurs qui enseignent plus que du savoir : avoir une ouverture d’esprit, un regard sur le monde. Qui d’autre peut sauver l’humanité, finalement ? La famille est souvent démissionnaire ou incapable. Les réseaux sociaux, Internet ? Trop nocifs ! La place de l’instituteur est essentielle, sa fonction doit être sacralisée, protégée, valorisée. Pendant AFRIQUE MAGAZINE
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Destins croisés… Collègues dans un restaurant, Joe le patron (Arieh Worthalter, à gauche), et Ilyas le serveur (Abdallah Didane), sont tous deux en quête de sens.
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À Casablanca, Salima (Maryam Touzani) tente de conquérir peu à peu sa liberté dans l’espace public.
tout le film, l’âme d’Abdallah continue à briller, les personnages qu’on retrouve trente-cinq ans plus tard à Casablanca sont liés par des fils spirituels très forts avec lui. Son humanité trouve des échos chez chacun, même si elle a été stoppée. C’est un lien qu’on n’arrive pas à définir mais qui nous définit. On a du mal à mettre des mots sur la construction de l’identité marocaine. Il faut la déterrer, la chercher, c’est une question de survie. Abdallah enseigne dans un village reculé, voire oublié de l’Atlas, comme on a pu oublier beaucoup de choses qu’on pense être perdues. Mais la vocation est là, elle s’exprime et peut sauver des âmes. Autre personnage : Joseph, juif marocain, qui semble très seul… Joseph est à l’image d’une population juive qui a participé à l’édification du Maroc depuis des siècles, des millénaires, et dont la place s’amenuise de plus en plus. Les mesures gouvernementales, qui sont plutôt en faveur de la préservation de cette communauté et de son patrimoine, ne sont pas en cause. Au Maroc, il y a ceux qui ont vécu et travaillé avec les juifs, il y a des échanges extraordinaires entre les deux communautés. Malheureusement, il y a aussi ceux qui ont grandi dans une forme d’obscurantisme, pour qui le juif est Au début des années 80, Abdallah (Amine Ennaji), instituteur dans l’Atlas, est contraint d’enseigner en arabe au détriment du berbère. AFRIQUE MAGAZINE
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« Les instituteurs sont les vrais héros. La famille est souvent démissionnaire. Et Internet et les réseaux sociaux trop nocifs. » l’ennemi, « sale », comme on dit dans le film. Jo, mon personnage, se sent profondément marocain, est heureux d’y habiter. Mais il voit son espace se rétrécir et est obligé de vivre dans une forme de déni pour tenir le cap. C’est triste, car cette minorité apporte de la richesse. Tout cela blesse l’âme marocaine, car elle n’a pas été ainsi pendant très longtemps. Non seulement cette communauté a sa place, mais elle doit même se développer. J’ai envie qu’on le sache, et qu’on s’éveille par rapport à ça. Il y a aussi Salima, jeune femme moderne, qui s’émancipe peu à peu du regard réprobateur de la société et de son conjoint. Je voulais un personnage qui ait une trajectoire ascendante, qui relève la tête, et qui nous donne de l’espoir. Et ce combat
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dans le débat public la question de l’égalité dans l’héritage. Et les femmes étaient aux avant-postes ! Elles refusaient de remettre cette loi en question au nom du principe religieux. Parce que tout simplement, on ne leur a pas appris ! Encore une fois, ce n’est pas l’homme qui donne des droits à la femme, c’est elle qui doit aller chercher la connaissance, tout ce qui va nourrir ses combats… Il n’y a pas de raison qu’un homme ait un salaire ou une part d’héritage plus importants que la femme. Que représente le chanteur Freddie Mercury, que le jeune Hakim idolâtre ? La liberté, l’homosexualité assumée, en totalité ou en partie, en tout cas une recherche sur l’identité, au sens large. Et cette part de rêve, cette capacité à se projeter et à se dire : moi, gamin de la médina, des quartiers pauvres de Casa, je vais devenir une rock star, le Freddie Mercury marocain. On va m’aimer, me comprendre, accepter ma différence. Le rêve doit être accessible à tous, pas seulement à une élite. Ça vient en contrepoint total à la vie quotidienne de Hakim, au sein de sa famille ou dans la rue. Il se révolte contre cette hogra, l’humiliation qu’il subit. Au Maroc, il est difficile d’affirmer son homosexualité et sa différence en général. Si on ne suit pas les normes, le conformisme… on est un intrus, source de soupçons, de méfiance. On ne fait pas partie de la communauté. Or moi ce qui m’a construit, dès mon plus jeune âge, c’est la différence. Moitié français, moitié marocain, une mère juive, un père musulman… J’ai mis du temps à le comprendre car enfant, on veut forcément Révolté, Hakim (Abdelilah Rachid), appartenir à un groupe. Mais quand j’ai réalisé homosexuel, fan que je pouvais avoir plusieurs identités, je me de Queen, tient à suis ouvert sur le monde. Pour ça, il m’a fallu affirmer son identité. l’école, la MJC, les humanités… toute cette richesse intellectuelle et culturelle à laquelle la jeunesse du monde arabe n’a pas eu accès ces trente dernières années et qu’il est urgent de lui donner.
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des femmes est pour moi la figure de proue qui incarne cette espérance. Là, il n’est plus question d’une minorité : il s’agit de la moitié de la population. Salima résiste face à son compagnon qui, comme beaucoup d’hommes, veut la contrôler ; et contre une société qui veut lui dire comment s’habiller. La question est essentielle dans le monde arabe : quelle place la femme doitelle prendre ? Et non pas quelle place on veut lui donner. C’est très différent ! Dans la sphère privée, on a compris, tout va bien : on est caché par les murs de la maison, la femme gère et décide comme elle l’entend, ça fait des siècles que ça fonctionne comme ça. Mais dans l’espace public, on veut la couvrir, lui mettre un voile, lui dicter la longueur de ses vêtements… On veut payer pour se l’offrir et on est dans une schizophrénie totale : en condamnant la prostitution, on l’encourage. On ne veut pas lui donner des responsabilités, tout en disant « les femmes évoluent »… Or, les gouvernements sont phallocrates, il y a très peu de femmes dans la haute fonction publique. Dans le secteur de l’économie, elles sont de moins en moins nombreuses. Il y a un vrai combat à mener. Les femmes arabes pensent souvent qu’en Occident, la lutte a été gagnée grâce aux institutions. Mais non ! Ce sont les femmes qui se sont battues et ont fait changer les lois. Et ce combat n’est pas terminé. Le film se clôture avec cette image d’elle en maillot de bain à la plage, face à la mer… L’acte de résistance de Salima va bien au-delà de se mettre en maillot. Elle s’affirme, elle prend en main son corps et son destin, elle va vers un ailleurs, un espace ouvert. Une brèche qu’elle décide d’ouvrir elle-même, et non qu’on lui autorise. Il y a quelques années, ma femme se mettait en maillot à la plage, et c’était banal, comme partout. Mais aujourd’hui, c’est quasi anormal au Maroc ! Mon épouse n’ose plus le faire car il y a le regard des hommes, les femmes qui se baignent habillées sont de plus en plus nombreuses… Ça s’est complètement inversé, c’est terrible ! Mais si on ne résiste pas, tout s’arrête. Le film montre une manifestation publique contre l’égalité hommes-femmes, conduite aussi par des femmes… Dans le monde arabe, l’un des plus grands ennemis de la femme peut être… la femme. Je l’ai observé en 2015, au Conseil national des droits de l’homme au Maroc. Il y a eu une série de manifestations pour dénoncer le fait même de poser
« Bien sûr qu’il y a un destin commun dans ce pays. Certaines élites ne l’ont pas encore compris. »
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TOUJOURS EN MARGE La jeunesse aisée, dorée, apparaît livrée à elle-même et vidée d’un idéal… En apparence choyée, cette jeunesse marocaine des beaux quartiers tend de plus en plus à vivre dans un enfermement. Tout comme les élites vivent cloisonnées, coupées du reste de la population. Avec des barrières, des résidences fermées, des écoles réservées qui sont souvent des missions étrangères, américaines, françaises… Il y a un vrai fossé qui se creuse par la langue, et par ces différences culturelles : ces jeunes habitent sur une terre mais leurs fantasmes, leurs rêves et aspirations sont tournés vers l’Occident. Du coup, ils ne côtoient pas le Maroc, ils vivent en zone franche. Je pense que ça les abîme. Ils ne vivent pas heureux de leurs privilèges. La mixité sociale est vraiment l’un des enjeux cruciaux du Maghreb. Par le montage, la musique, la construction narrative, le film suggère l’idée d’un destin commun… Bien sûr qu’il y a un destin commun dans ce pays. Certaines élites ne l’ont pas encore compris. Elles pensent qu’elles peuvent vivre dans leur citadelle pendant que le peuple crève de faim. Par exemple, la scène de la violente bagarre dans la soirée d’adolescents est très symbolique. C’est un microcosme de ce qui se passe dans la ville, la société, cette partie du monde. Les émeutes, les luttes de revendications sociales et économiques prennent leur source dans l’humiliation, l’injustice, l’absence d’écoute et de reconnaissance. Il n’y a pas de dialogue, alors on arrive à un goulot d’étranglement qui s’incarne par la colère, la rage, la violence. C’est aussi un portrait de Casablanca, avec cette référence au célèbre film du même nom… Le film Casablanca est un mythe devenu réalité pour beaucoup [en effet, aucune scène du chef-d’œuvre de Michael Curtiz, sorti en 1942, n’a été tournée dans la ville marocaine. Celui-ci a été principalement shooté dans les studios hollywoodiens de la Warner, NDLR]. C’est à la fois touchant et effrayant d’entendre des personnes âgées de la médina vous raconter des scènes auxquelles elles auraient participé, en tant que figurants, ou aidant à tirer des câbles, porter des caisses… Alors le mythe devient dangereux, car il supplante le réel. Il peut être castrateur, nous enfermer dans une bulle et nous empêcher de voir la réalité. Casablanca est un immense film auquel j’ai voulu rendre hommage, qui a fait connaître la ville dans laquelle je vis depuis vingt ans et dont pas une seule image n’y a été tournée ! C’était intéressant de mettre ça en perspective avec mon histoire. J’avais envie qu’on sente le pouls du vrai Casablanca d’aujourd’hui. AFRIQUE MAGAZINE
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Depuis ses débuts, ses films multiprimés à l’international s’intéressent aux marginaux. Ali Zaoua, prince de la rue (2000) suit l’itinéraire d’un enfant vagabond. Il s’essaye au documentaire avec My Land (2011), où il recueille les témoignages de Palestiniens et d’Israéliens sur le conflit au Proche-Orient. Les Chevaux de Dieu (2012), adapté du livre de Mahi Binebine, s’inspire des jeunes du bidonville de Sidi Moumen devenus kamikazes lors des attentats de Casablanca en 2003. Et Much Loved (2015), censuré au Maroc, qui a déchaîné les passions à sa sortie, montre la réalité de prostituées à Marrakech aujourd’hui. ■ A.K.
Est-elle une « ville-monde », comme dit un personnage ? Paradoxalement, j’adore cette ville parce qu’elle est violente, sale, bruyante, chaotique, extrêmement agressive. Ça peut être un mouroir pour des populations fragiles. C’est une ville qui vous engloutit. Elle ne s’offre pas, il faut aller la chercher. Elle est en mouvement permanent, brasse énormément de populations, de cultures. C’est une cité marchande, d’économie, d’échange, donc elle est dure. Comme Tanger, elle a dû faire face à tous les conflits, tous les paradoxes, en terre d’Orient de la modernité. J’aime ses contrastes. Pourquoi ce titre, Razzia ? C’est l’idée que je me fais d’une razzia : aller dans un territoire qui n’est pas le vôtre, prendre ce qui ne vous appartient pas et repartir. C’est ce que vivent mes personnages. Il s’agit ici de territoires mentaux. On ne peut pas impunément, sans conséquences, prendre à l’autre des choses qui lui appartiennent sans qu’à un moment il se rebelle, le reprenne par la force. Votre précédent film, Much Loved, a été l’objet de violentes attaques au Maroc. Avez-vous eu des difficultés pour tourner celui-ci ? Je n’ai pas eu de difficultés au niveau des autorités, j’ai obtenu toutes les autorisations. Pour Much Loved, ce n’est pas la censure officielle qui a été la plus dure, c’est vraiment celle de la population, de la masse, sa morale. Alors, pendant le tournage de Razzia, des décors sont tombés à la dernière minute, des employés se désistaient… Mais on a géré. Nous savions qu’il y aurait un après-Much Loved. ■ *Razzia, de Nabil Ayouch, Ad Vitam Distribution, sortie le 14 février au Maroc 14 mars en France.
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Paris, 14 novembre 1967. Princes, émirs et gens du peuple se pressent pour l’entendre à l’Olympia. Même le général de Gaulle lui adressera un message de félicitations, clin d’œil diplomatique à sa « politque arabe ».
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DESTIN
Oum Kalthoum
À jamais la diva C’est l’histoire d’une icône populaire, d’une artiste engagée, d’une femme mystérieuse, d’une chanteuse de légende, qui aura unifié l’Égypte, le monde arabe, par ses incroyables mélopées. Et le son de sa voix. Aujourd’hui, le mythe est toujours là, porté par les réseaux sociaux et les nouvelles générations qui redécouvrent l’Astre de l’Orient. par Catherine Faye
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/GAMMA-KEYSTONE/GETTY IMAGES
es fans prétendent qu’elle vend plus d’albums que Madonna, Céline Dion ou Mariah Carey. Encore aujourd’hui, des millions de disques de la diva égyptienne continuent d’être écoulés dans le monde : best-of [lire aussi p. 10], rééditions, voire coffret intégral, disponible uniquement dans le monde arabe (à… 1 268 euros !), mais qui est en réalité une simple boîte luxueuse contenant les CD sortis dans les années 90. Al-Atlal, un de ses tubes, affiche plus de 28 millions de vues sur YouTube. Ses chansons, vues et écoutées en boucle sur les réseaux sociaux, touchent les nouvelles générations. Le mythe Oum Kalthoum est un phénomène hors norme qui perdure. « Si on veut la décrire, on n’arrivera jamais à trouver son équivalent », prophétisait le poète
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DESTIN OUM KALTHOUM, À JAMAIS LA DIVA
égyptien Ahmed Rami, un de ses plus fameux paroliers. Astre de l’Orient, Rossignol du Caire, Quatrième Pyramide… L’impressionnante vague de superlatifs et de surnoms laudateurs incarnent l’impossibilité d’exprimer tout l’amour que le monde arabe lui voue. Avec elle, les femmes rêvent de prétendants transis, les paysans récitent des vers, les hommes se pâment dans un amour impossible avec une diva qui incarne tout à la fois, l’amante, la mère, la patrie. Ses chansons, bouleversantes et subtiles, se limitent invariablement au triptyque formé par l’amour, l’Égypte et Dieu. Véritable muse, elle rassemble et insuffle une énergie exaltante. Telle une Liberté guidant le peuple. « Elle parlait aux princes comme aux gens de la rue », confirmait Naguib Mahfouz dans un documentaire 1 réalisé vingt ans après la mort de la chanteuse. Une voix aussi singulière qu’inoubliable, qui chante le cœur et la foi, conjure le sort de l’histoire égyptienne, incarne les frustrations, le désespoir et l’identité.
UN ACCUEIL DE CHEF D’ÉTAT « Elle a fait couler nos larmes quand nous avions besoin de pleurer », soulignait Anouar el-Sadate, président de la République arabe d’Égypte de 1970 à 1981 après les obsèques de la chanteuse. De fait, devenue « la voix du régime » sous la présidence de Gamal Abdel Nasser de 1956 à 1970, Oum Kalthoum chante la nationalisation du canal de Suez, la redistribution des terres aux paysans, la construction du barrage d’Assouan… Elle qui a fréquenté le palais royal et chanté pour le couronnement du roi Farouk en 1936 devient deux décennies plus tard l’égérie du socialisme nassérien et du nationalisme arabe. Après la révolution de juillet 1952, quand une rumeur circule sur l’interdiction de ses chansons à la radio parce qu’on lui reproche d’avoir trop chanté pour les dirigeants de l’ancien régime, le nouveau maître du pays prend sa défense. Pour le plus grand soulaAu Caire, un théâtre gement du peuple. de marionnettes Cette union étroite continue chaque qui lie Nasser et la semaine d’entretenir diva est audacieuse. le mythe.
Et déterminante. Leurs trajectoires, leurs ambitions, sont parallèles. Ils se fascinent mutuellement, se soutiennent, s’apprécient. D’un côté, Oum Kalthoum, dotée d’un vrai flair politique, est terriblement attirée par le pouvoir. Elle traverse tous les régimes, celui du roi Fouad jusqu’en 1936, celui du roi Farouk jusqu’en 1952, dont elle envie l’opulence de la vie de cour. Mais lorsque Nasser devient président, c’est comme si son propre village accédait au pouvoir. Les militaires sont des paysans ou d’origine modeste, comme elle. Nasser, lui, a besoin de cette figure charismatique. Elle lui offre son soutien quand il nationalise le canal de Suez en 1956. Ou après la cuisante défaite de la guerre des Six Jours contre Israël. Et lorsqu’il annonce sa démission le 9 juin 1967, que les foules se rassemblent partout dans le monde arabe pour le faire revenir sur sa décision, Oum Kalthoum monte en première ligne. « L’Arme secrète de Nasser », comme la qualifie le magazine Time, somme toutes les femmes d’Égypte de donner leurs bijoux pour réarmer le pays et entame une tournée au Maghreb, en Orient et à Paris. Les bénéfices sont reversés à l’armée égyptienne afin qu’elle garde la tête hors de l’eau. Et partout, on l’accueille comme un chef d’État. Leur symbiose est magistrale. Lorsque Nasser meurt d’une crise cardiaque, le 20 novembre 1970, elle annule son déplacement en Union soviétique et rentre en Égypte. Sous le choc, une foule innombrable suivra le cercueil du défunt. Deux millions de personnes suivront également le sien. Car si les Égyptiens considéraient Gamal Abdel Nasser comme leur père, ils perdent leur mère en ce 3 février 1975. Si elle émeut tant, c’est bien évidemment par l’amplitude exceptionnelle de sa voix, mais aussi parce qu’elle console. Et berce tout un peuple lorsqu’il est bafoué ou qu’il se redresse.
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Avec la disparition de Nasser puis celle de Oum Kalthoum, les Égyptiens perdent tour à tour leur père et leur mère…
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UNE AURA QUASI MYSTIQUE
Aux côtés du compositeur Mohamed al-Mogi, Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate (de g. à dr.). Elle devant. Et les hommes derrière…
« Rends-moi ma liberté, détache mes mains/ Je t’ai tout donné et n’ai rien gardé pour moi/ Mes poings saignent encore à cause des liens que tu m’as fait porter/Pourquoi les garderais-je alors que tu m’as tout enlevé ?/Pourquoi resterais-je captive alors que le monde m’appartient ? » Enregistrés en 1966, ces vers écrits par Ibrahim Naji et mis en musique par Riad al-Sunbati, sont extraits d’Al Atlal (« Les Ruines »), une des plus belles chansons de son répertoire. Quand elle les psalmodie, ce sont les ruines d’un amour qu’elle évoque. Mais, après la défaite de la guerre des Six Jours, les auditeurs associent ces mêmes termes aux événements politiques, leur donnant une dimension idéologique certaine. Ce cri devient un ralliement du Golfe aux rives de l’Atlantique et « la Dame » s’entoure alors d’une aura quasi mystique. C’est un des sommets de sa carrière. Elle devient une merveille du patrimoine. La Quatrième Pyramide. « J’ai réalisé à ce moment que la musique peut résoudre plein de différends entre les nations. Oum Kalthoum, elle, avait réussi à unir les Arabes. Une chose que ni la religion, ni la langue, ni les politiciens n’ont jamais réussi à obtenir », confie Saïd Hekal, violoniste, qui l’a accompagnée de 1959 à sa mort. Doyen de l’Institut supérieur de la musique arabe de l’Académie des arts au Caire, il a également collaboré avec les artistes les plus célèbres de l’époque comme Abdel Halim Hafez. Mais Oum Kalthoum sort du lot. Rarement artiste aura à ce point maîtrisé son image, s’auto-staAFRIQUE MAGAZINE
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tufiant de son vivant. Que ce soit la Syrienne Asmahan, l’Algérienne Warda, les Libanaises Sabah ou Fairouz, aucune de ces chanteuses adulées dans le monde arabe n’aura réussi à détrôner l’Astre de l’Orient, ni de son vivant, ni après sa mort. Car Oum Kalthoum tire toutes les ficelles de sa vie et de sa carrière. Elle impose le respect, ne se donne pas en spectacle, revoit textes et musique à la virgule près. Sa vie intime est mystérieuse. Une assurance et une force vraisemblablement liées à son enfance singulière… Oum Kalthoum, de son vrai nom Fatima Ibrahim al-Sayyid al-Beltagui, naît à Tmaïe al-Zahayira, un village du delta du Nil. Son registre de naissance indique le 4 mai 1904. Mais selon le ministère égyptien de l’Information, elle aurait vu le jour le 18 décembre 1898. Elle grandit dans une famille paysanne pauvre, s’amuse à répéter les textes sacrés que chantent son frère, Khaled, et son père, imam du village. Ce dernier, alors qu’elle joue un jour à la poupée en psalmodiant, est stupéfié par sa voix. Indocile, elle refuse d’abord de l’accompagner chanter dans les cérémonies religieuses. Mais finit par accepter en échange de sucreries à la fleur d’oranger. « J’étais têtue, mais gourmande », raconte-t-elle lors d’un entretien donné à la radio. Après un bref passage à l’école, elle anime, dès l’âge de 6 ans, mariages, circoncisions et fêtes religieuses en chantant avec les hommes de sa famille au sein d’une petite troupe de cheikhs. L’un des plus renommés, Abou El Alaa Mohamed, lui donne des leçons puis convainc le père de 73
DESTIN OUM KALTHOUM, À JAMAIS LA DIVA
le laisser emmener la jeune fille au Caire. Pour ne pas déroger à la bienséance, on l’habille en jeune bédouin, tenue qu’elle conservera jusqu’à sa majorité. À 16 ans, sa notoriété est faite. On l’appelle déjà le Rossignol. La première guerre mondiale a mis fin à quatre siècles d’hégémonie ottomane. Quand elle s’installe dans la capitale en 1924, le royaume d’Égypte, fondé deux ans plus tôt, est alors sous domination britannique. La décennie est marquée par d’importantes manifestations réprimées par l’occupant. Ce contexte propice aux bouleversements artistiques rend possible l’émergence d’une femme sur le devant de la scène musicale. Par ailleurs, l’offre du disque se développe en même temps que la demande d’un art national qui, tout en respectant les traditions, se veut populaire. Elle s’inscrit dans cette nouvelle vague et, en 1928, presque trentenaire, la jeune femme ose enfin braver l’autorité paternelle et abandonne ses vêtements de garçon. Oum Kalthoum, qui porte le nom de la troisième fille du Prophète, se dévoile. Dès les années 30, la célébrité l’amène au-delà des frontières : Bagdad, Al-Qods (Jérusalem), Beyrouth ou encore Haïfa où elle offre la recette du concert à la fondation contre l’occupation britannique et l’immigration juive. La Mère des peuples – encore un surnom – s’inscrit dans le rayonnement de la musique égyptienne qui s’exerce depuis la fin du XIXe siècle. Plus encore, elle chante chaque premier jeudi du mois à l’antenne de la chaîne de radio La Voix des Arabes créée en 1953 sous l’impulsion de Nasser.
le cinéma et les comédies musicales, qui font du Caire la capitale culturelle du Moyen-Orient. Dure en affaire, elle exige et obtient des cachets démesurés. Au point de constituer une fortune comme en voit peu. Lors d’une négociation âpre qu’elle mène avec un producteur de cinéma qui lui demande d’embrasser son partenaire à l’écran, non seulement elle n’y consent pas, mais parvient à soustraire 40 % des recettes du film. Dans son contrat radiophonique, elle fait inclure une clause exigeant qu’elle soit la mieux payée de toutes les chanteuses. On la dit avare, notamment avec ses musiciens. Pourtant, celle que l’on surnomme aussi la Cantatrice des pauvres sait se montrer généreuse en certaines occasions, participant à la reconstruction de Port-Saïd après la guerre, faisant construire écoles et mosquée dans son village natal, reversant la plupart de ses gains à l’armée égyptienne lors de sa tournée à Tripoli, Beyrouth, Damas, Bagdad, et lors de ses deux uniques concerts en Occident, à Paris, au lendemain de la victoire de Tsahal sur les armées arabes en 1967. Une ambiguïté à l’aune de cette « divinité hermaphrodite » telle que décrite par Selim Nassib 2.
La diva exige et obtient des cachets démesurés. Qu’elle reverse parfois à des causes.
DU RITUEL À L’OFFRANDE Progressivement, il faut accroître la puissance de l’émetteur car tous, d’Oman à Nouakchott, la réclament. Le rendez-vous devient un rituel où le temps suspend son vol : la population se précipite au café ou à la maison et fait corps autour du poste de radio. Dans le monde arabe, pas une oreille ne l’ignore. Bien sûr, quelques voix s’élèvent pour dire qu’elle endort le peuple avec ces chansons qui n’en finissent pas, mais ses millions d’admirateurs réclament cette offrande. « On se réunissait avec ma famille autour d’un bon repas et on écoutait le concert pendant trois heures. Riches ou pauvres, tous étaient pendus à ses lèvres », se souvient Saïd Hekal, son violoniste. Mais, derrière la magie et la fascination, il y a aussi une machine commerciale et artistique. Exigeante, ambitieuse, Oum Kalthoum mène sa carrière d’une main de maître, n’oublie pas de s’investir dans 74
UN POÈTE FOU D’AMOUR
Sous l’égide de Deutsche Grammophon et Odeon, deux maisons de disques parties à la conquête des marchés de l’Égypte et du Proche-Orient dès 1903, Oum Kalthoum fera des rencontres déterminantes. Notamment Zakaria Ahmed et Riad al-Sunbati, compositeurs fondamentaux pour sa carrière. Sans oublier Mohammed Abdel Wahab, alter ego et icône masculine de la variété égyptienne, avec qui elle a su utiliser les médias, l’industrie du disque et le cinéma pour offrir au grand public une musique à mi-chemin entre répertoire savant et chanson légère, le plus souvent en arabe populaire. Ses paroliers jouent également un rôle clé. Tel le poète égyptien Ahmad Rami qui tombe follement amoureux d’elle lors d’un de ses concerts. Pour cette Perle de l’art, il traduit les vers d’Omar Khayyam, écrivain persan né au XIe siècle : « Et il n’est pas plus grand gâchis/ Que ce jour passé sans amour ni désir. » Elle lui impose d’écrire en langue dialectale, alors qu’il compose plus volontiers en arabe classique. Il lui offrira 137 de ses 283 chansons. Des œuvres brûlant d’un amour sans espoir, comme « Enta Omri » (« Tu es ma vie ») reprise en 2013 par la star colombienne Shakira, qui feront le tour du monde. Et tandis que leur relation perdure durant cinquante ans avec une force et une intensité inouïes, la diva ne lui cédera jamais. Il faut dire que la Dame ne s’en laisse pas conter. Chignon laqué, AFRIQUE MAGAZINE
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CLAUDE SALHANI/SYGMA/CORBIS
5 février 1975. lunettes noires, pendentifs en diamants, mouchoir en Sur le chemin menant d’amis. On ne savait pas grand-chose sur elle », soie à la main, elle ne cesse de travailler son image, au cimetière d’El révèle encore Naguib Mahfouz. De toutes les celle d’une créature mythique. « Je n’ai pas de secret, Bassatine, deux stars, c’est une des plus secrètes. Parfois quand mon seul secret c’est que j’aime mon art », répond-elle millions de personnes elle n’était pas satisfaite de sa voix sur une l’accompagnent. à un journaliste à Paris, lors de ses deux concerts à phrase, en plein concert, elle la chantait de guichets fermés à l’Olympia, en novembre 1967, où nouveau, encore et encore, jusqu’à ce que les le Tout-Paris du show-business se bouscule à prix d’or pour spectateurs finissent par crier « Allah, Ya Sett ! », expression entrer, et où les Arabes de la diaspora y côtoient princes et intraduisible, signe d’admiration suprême. Ce n’est pourtant émirs. « Ses admirateurs étaient venus en charters spéciaux pas la seule explication de son succès phénoménal. Il tient de toute l’Europe, elle les domptait, elle les tenait en haleine, bien davantage dans la relation quasi-charnelle qu’elle insils étaient à quatre pattes, implorant Dieu sait quoi ! », confiera taure avec son public. Alors qu’elle est l’image physique de la Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia. En chantant debout vertu et de la bienséance, la sensualité vibrante de son chant, et au milieu des hommes, elle revendique sa féminité, revêt les variations qu’elle sait faire subir aux textes et aux musiques des robes non traditionnelles, invite les femmes à ôter leur qu’elle interprète mettent son auditoire à genoux. Une dualité voile pendant ses concerts. paradoxale dans laquelle elle passe maîtresse. Au Caire, on peut assister, aujourd’hui encore, à un spectacle de marionnettes dédié à la chanteuse, au Sakia Puppet ENTRE VERTU ET SENSUALITÉ Theater. Adultes et enfants y sont aussi extraordinairement On lui prête toutes les vertus. Quelques vices aussi. Colère, réactifs que face à la Oum de chair, pour atteindre collectivecupidité, orgueil, libertinage. En dépit de son mariage tardif ment le tarab, cette émotion maximale, artistique et physique. en 1954 avec son médecin, des rumeurs sur sa bisexualité Oum Kalthoum, tout à la fois mère, amie, amante, continue circulent. En 2013, une photo inédite d’elle embrassant une d’ensorceler les cœurs. ■ femme fait le tour d’Internet. Certains prétendent qu’il ne s’agit que d’une fan emportée par sa fougue. Qu’importe, on l’aime. « C’était une forteresse, elle ne répondait jamais au 1. Oum Kalsoum, de Simone Bitton, 1991. 2. Oum, Balland, 1994. téléphone, répugnait à accorder des interviews, avait très peu AFRIQUE MAGAZINE
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LE DOCUMENT présenté par Hedi Dahmani
Les nouveaux
Mamelouks
Comme au temps de cette fameuse caste de soldats, une grande partie du monde arabe reste aujourd’hui sous la coupe de puissants lobbies militaires qui n’entendent en rien céder aux volontés démocratiques des peuples. Quitte à pactiser avec le « diable jihadiste » qu’ils combattent. Une démonstration de l’historien Jean-Pierre Filiu.
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emonter aux sources de l’Histoire pour mieux appréhender les rapports de force contemporains. Sept ans après les révolutions, Jean-Pierre Filiu convoque les Mamelouks, ces anciens esclaves affranchis qui exercèrent, au nom des califes, le pouvoir réel entre les XIIIe et XVIe siècle en Égypte et Syrie. Historien arabisant, l’auteur établit un parallèle avec les situations actuelles où les « héritiers » modernes, à l’instar du maréchal Al-Sissi et Bachar el-Assad par exemple, s’appuient systématiquement sur des structures à domination militaire pour soumettre les peuples tout en se prévalant d’eux. En toile de fond, la « guerre au terrorisme » islamiste qui règne depuis plus de quinze ans ne constituerait qu’un alibi permettant de grossir une rente bienvenue : celle des milliards de dollars déversés chaque année par les États-Unis, la Russie ou les pétromonarchies du Golfe, redistribuées à une élite sélectionnée selon une logique mafieuse et dont la population ne recueille que les miettes. De l’Algérie au Yémen, en passant par l’exception tunisienne et les rôles de l’ombre d’Israël ou de la Turquie, Jean-Pierre Filiu nous invite dans une région où généraux, gangsters et jihadistes constituent de parfaits alliés de circonstance lorsqu’il s’agit d’enterrer les espérances démocratiques. L’ensemble est plus qu’instructif, même si l’on aurait tort de penser que ces pratiques ne seraient l’apanage que du seul monde arabe. ■
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Généraux, gangsters et jihadistes, « Histoire de la contrerévolution arabe », Jean-Pierre Filiu, La Découverte, 312 p.
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Extraits
Révolution et contre-révolution
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ept longues années ont passé depuis que le monde arabe a été secoué par une vague de contestation démocratique sans précédent. Durant l’hiver 2010-2011, les dirigeants arabes stupéfaits voyaient le président Ben Ali en Tunisie, puis son homologue égyptien Hosni Moubarak tomber moins d’un mois l’un après l’autre. Mais l’effondrement du « mur de la peur » dans le monde arabe fut loin de susciter en Europe l’élan de solidarité qui avait suivi la chute du « mur de Berlin » en 1989. On qualifia bientôt cette vague de fond de « printemps », la réduisant ainsi à une agitation saisonnière, et l’amputant de sa part révolutionnaire, trop souvent caricaturée, quand elle n’était pas ouvertement combattue. C’est dire le lâche soulagement qui prévalut chez de nombreux décideurs occidentaux lors de l’étouffement progressif de ces différentes expériences révolutionnaires. La Tunisie, à la transition constitutionnelle réussie d’une République à une autre, était d’autant plus glorifiée comme une exception que les autres pays arabes étaient rejetés dans les ténèbres d’un autoritarisme quasi existentiel. L’épouvantail islamiste était agité pour mieux justifier une contre-révolution débridée et refermer au plus tôt la parenthèse démocratique. Le monde semblait prêt à sacrifier les droits des peuples arabes sur l’autel de la stabilité d’une région à tous égards stratégique. […] En guise de « régimes », parés de la légitimité internationale, les cliques dirigeantes au pouvoir dans le monde arabe constituaient en effet un attelage troublant entre hiérarques militaires et trafiquants de haut vol, mis à l’honneur par les « guerres globales contre la terreur ». […] Lors du renversement des dictateurs Ben Ali et Moubarak, en janvier-février 2011, j’étais professeur invité à l’université de Columbia, à New York, loin de la France et du monde arabe, mais assez intimement lié à cette région et à ses militants pour ne nourrir aucun doute sur le caractère révolutionnaire de tels événements. AFRIQUE MAGAZINE
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Mon bagage d’historien m’amena vite à replacer ce mouvement dans le temps long de la Nahda, la Renaissance arabe. J’avais de fortes réserves envers l’expression « Printemps arabe » dont je voyais trop bien qu’elle préparait le terrain à un « automne islamiste » et à un « hiver intégriste » : or les formations islamistes, du fait de leur ancrage historique et de leur appareil militant, ne pouvaient qu’arriver en tête des premiers scrutins libres, même si ce succès initial ne leur garantissait en rien l’inscription dans la durée du pouvoir. Je préférais donc parler de « Révolution arabe » pour rendre compte d’une dynamique panarabe de protestation radicale à l’échelle de la région, qui n’impliquait pourtant pas un changement révolutionnaire dans chacun des pays concernés. […] Mon hypothèse est que la Nahda, la Renaissance arabe, a été combattue avec constance par deux idéologies d’État, le kémalisme fondateur de la Turquie moderne et le wahhabisme constitutif de l’Arabie saoudite. Il a fallu par ailleurs un demisiècle, de 1922 à 1971, aux Arabes colonisés pour devenir progressivement indépendants. Mais, à l’intérieur de cette séquence historique, deux décennies furent suffisantes, de 1949 à 1969, pour que des cliques militaires détournent ces indépendances à peine conquises et imposent l’arbitraire de leur « élite » (khassa) autoproclamée à des « masses » (‘amma) infantilisées. […]
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L’éternelle guerre de libération de l’Algérie Lorsque l’Algérie accéda à l’indépendance en 1962, les militaires fidèles à Boumediene éliminèrent, nous l’avons vu, toute opposition sérieuse à l’installation de Ben Bella à la présidence de la République. Ce détournement dictatorial fut facilité par l’impact dévastateur de la répression coloniale sur les réseaux nationalistes en Algérie. Près de 1,7 million de militaires français ont servi en Algérie entre 1954 et 1962 31, alors que le
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LE DOCUMENT
FLN, même à l’apogée de sa puissance en 1958, ne pouvait jamais mobiliser plus de 25 000 combattants. Les offensives françaises sous la présidence de Charles de Gaulle, de 1958 à 1962, avaient porté un coup terrible à la résistance intérieure, ouvrant la voie à la prise du pouvoir par l’« armée des frontières » de Boumediene, basée au Maroc et en Tunisie. En fait, De Gaulle avait remporté la guerre proprement dite contre le FLN, mais il n’entretenait aucune illusion sur la valeur d’un tel succès militaire si une majorité de la population algérienne continuait d’aspirer à l’indépendance. En outre, il savait trop bien la menace que la poursuite du conflit algérien faisait peser à la République elle-même, tant l’extrême droite la plus violente se nourrissait du mythe de l’« Algérie française ». Le président Ben Bella et Boumediene, devenu ministre de la Défense, exclurent du pouvoir les militants qui avaient rendu l’indépendance possible et la direction politique qui l’avait négociée avec la France. Les vaincus de l’été 1962 furent effacés du récit officiel, où « révolution » devint synonyme de « guerre de libération » nationale. Toute autre forme de « libération », et a fortiori de « révolution » était dorénavant exclue. Les réseaux de Boussouf et de Boumediene se confortaient l’un l’autre, attirant chaque jour de nouveaux affidés. Boussouf envoya l’élite de ses agents pour une formation auprès du KGB surnommée « Tapis rouge » et décida de placer Kasdi Merbah *, une de ses recrues les plus talentueuses, auprès de Boumediene. Chadli Bendjedid devint l’adjoint à Ghardimaou de Boumediene, lui-même le plus souvent basé à Oujda. Quelques dizaines de sous-officiers algériens, comme Khaled Nezzar, désertèrent alors des troupes coloniales, préférant se rallier à Boumediene, plutôt que de demeurer des supplétifs du corps expéditionnaire français. On les désignait sous le terme générique de DAF, 78
acronyme de « déserteurs de l’armée française ». Ce retour sur certains des épisodes les plus sombres de la lutte de libération contre la France est essentiel pour comprendre la dynamique des Mamelouks algériens et la résilience de leurs réseaux de pouvoir : de même que les « Officiers libres » ont aboli le pluralisme parlementaire dans le même élan que la monarchie, les nouveaux maîtres de l’Algérie, une décennie plus tard, ont liquidé l’héritage libéral de la résistance intérieure, en même temps qu’ils s’affranchissaient enfin de la domination française. Cette « Algérie nouvelle » devint littéralement la leur, puisqu’ils déniaient toute légitimité nationaliste à leurs différents rivaux. Un mythique « parti de la France » (hizb Fransa) fut bientôt dénoncé avec constance par la propagande officielle, chaque opposant étant accusé de conspirer contre le FLN avec cette « cinquième colonne ». La militarisation de la lutte de libération (avec l’élimination de toute contestation interne qui en découla) mena à la militarisation de l’Algérie indépendante, avec le FLN en parti unique « par le peuple et pour le peuple ». […] Boumediene s’était appuyé sur la Sécurité militaire (SM) pour éliminer des survivants du noyau fondateur du FLN, puis pour tenir en respect les membres trop gourmands du « clan d’Oujda » (à l’exception notable de Bouteflika, que les affaires diplomatiques tenaient, heureusement pour lui, plutôt à l’écart des intrigues algériennes). Il lisait tous les matins attentivement les « bulletins de renseignement quotidiens » (BRQ) compilés par la SM pour l’ensemble du territoire algérien, voire la diaspora. Il était le maître absolu, sans contestation aucune, un statut dont Nasser n’avait joui que de 1967 à 1970, comme contre-coup inespéré de la désastreuse confrontation avec Israël. Le président algérien pouvait puiser à volonté dans des ressources en hydrocarbures jugées alors
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inépuisables, une manne colossale depuis le choc pétrolier de 1973. La réforme agraire et la politique d’« industrialisation industrialisante » étaient gagées sur un cocktail baroque de boom pétrolier et de planification de type soviétique. Ainsi que le décrypte la politologue Miriam Lowi, « la formule institutionnelle évacuait tout pluralisme, tout en entretenant l’illusion d’une participation populaire. Cette participation soigneusement contrôlée préservait les privilèges de l’élite et les priorités de Boumediene. Il s’agissait en fait d’un régime autoritaire voué à restructurer radicalement la société et l’économie, en l’absence d’engagement politique réel ». […]
principaux, Hafez al-Assad, Hosni Moubarak, Moammar Kadhafi, Zine al-Abidine Ben Ali, Chadli Bendjedid ou Ali Abdallah Saleh (la fraternité des dictateurs arabes offre une vaste série de combinaisons possibles). Mais l’intrigue reposait toujours sur deux dirigeants, leurs palais grandioses… et un pont. Les Mamelouks arabes n’ont pas déchaîné leurs instincts prédateurs du jour au lendemain. Ils ont parfois commencé leur aventure en officiers patriotes et dévoués, déterminés à démanteler un système à leurs yeux corrompu. Mais la dynamique même des conspirations et de l’allégeance les contraignit rapidement à récompenser les fidélités et à redistribuer une richesse de *** moins en moins publique. […]. L’opacité des budgets Les parrains arabes militaires, et des appareils de Le dirigeant A, en visite sécurité en général, ne pouvait chez le dirigeant B, est à cet égard que faciliter les très impressionné par la détournements collectifs ou magnificence de son palais. Il est personnels. L’impératif de aimablement guidé, d’une pièce « défense nationale » n’avait Jean-Pierre Filiu, historien, richement meublée à une autre, qu’à être mentionné pour est spécialiste de l’islam jusqu’à un balcon où, n’y tenant légitimer tous les passe-droits. contemporain. plus, A interroge B sur la source de sa En Algérie, le statut très convoité fortune. B répond avec un sourire entendu : « Le d’ancien combattant (moudjahidine) dans la pont », avant de montrer un pont inachevé dans guerre de libération ouvrait l’accès aux biens le paysage et de désigner sa propre poche. Plus laissés vacants par les Européens et à de tard, B est invité en retour par A, qui lui fait nombreux autres privilèges. L’été 1962 vit ainsi le découvrir une résidence présidentielle encore gonflement spectaculaire des effectifs militaires, plus luxueuse que celle de son homologue. La et ce après le cessez-le-feu conclu avec la France, visite s’achève une fois encore sur un balcon mais dans le cadre de la lutte implacable contre panoramique où B interroge A sur le secret d’une la résistance intérieure. Même si certains de telle opulence. A : « Le pont. » B : « Mais quel ces anciens combattants avaient une légitimité pont ? Il n’y a aucun pont sous nos yeux. » A : nationaliste incontestable, nombre d’entre eux « C’est bien vrai, vous avez absolument raison. » étaient de simples profiteurs, qui n’avaient eu Et A sourit en tapotant sa poche de costume. qu’à verser un pot-de-vin pour intégrer les rangs J’ai entendu cette même blague des des privilégiés. […] ■ dizaines de fois à Alger, Le Caire ou Damas. * La véritable identité de Kasdi Merbah était Je l’ai entendu narrer avec, dans les deux rôles Mohammed Khalef.
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ELLES ET EUX
YASMINA KHADRA MÉMOIRES D’ENTRE LES DUNES Avec Ce que le mirage doit à l’oasis, le prolifique écrivain algérien nous entraîne dans un récit magistral, à la mesure de l’immensité du Sahara. Et si la plume reste remarquable, la langue parlée ne l’est pas moins. Rencontre. propos recueillis par Nina Hadjam
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aris. C’est en début d’après-midi, dans un café populaire de l’ouest, que rendez-vous a été fixé. D’emblée, à l’heure dite, l’homme qui fait son entrée, regard droit, rappelle le commissaire Llob. Héros de la trilogie policière qui l’a révélée au grand public, ce justicier incorruptible de l’Algérie des années 90 avait survécu aux pires violences et trahisons. Yasmina Khadra bouleversait alors les lecteurs en disséquant avec acuité le fanatisme, la corruption dans L’Automne des chimères, polar d’une rare force dédié « aux absents, à la femme, au soldat et au flic de mon pays ». Traduit dans 40 langues, l’écrivain algérien, inclassable, passe avec aisance de l’œuvre au noir, à l’autobiographie et à la fiction.
On revient sur le choix de son pseudonyme féminin, constitué des deux prénoms de son épouse. Il en confie l’origine : « Tu m’as donné ton nom pour la vie, je te donne les miens pour la postérité », lui dit-elle lorsqu’il ne pouvait écrire sous son vrai nom, Mohammed Moulessehoul, parce que officier supérieur de l’armée algérienne durant trente-six ans. Depuis, la femme ne quittera plus son œuvre singulière. Elle est Zunaïra, avocate interdite d’exercer dans Les Hirondelles de Kaboul, Aïda, prostituée dans Les anges meurent de nos blessures, Siham, kamikaze dans L’Attentat… Aujourd’hui, Khadra crée encore la surprise en publiant Ce que le mirage doit à l’oasis, méditation contemplative oscillant entre récit intime et conte philosophique empreint de sagesse et de poésie. L’auteur s’y adresse en creux au Désert, témoin de l’Histoire et confident inattendu de ses espoirs, rêves, et questionnements. Il revient sur les pas de ses ancêtres bédouins, de son inclination pour l’écriture au cœur du Sahara, de sa première vie liée à l’armée. Chaque étape franchie dans l’immensité des dunes lève le voile sur les liens de l’écrivain avec sa tribu natale, ponctuée au fil des pages par les magnifiques calligraphies de Lassaâd Metoui, boucles solaires qui éclairent le destin atypique de Yasmina Khadra. Tissant entre le célèbre artiste tunisien et l’auteur algérien, fraternels amis, un beau dessein d’humanité.
VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/REA
ELLES ET EUX YASMINA KHADRA, MÉMOIRES D’ENTRE LES DUNES
AM : Pourquoi ce titre, « Ce que le mirage doit à l’oasis » ? Yasmina Khadra : Peut-être parce que nous vivons dans un monde d’illusionnistes. On nous fait voir les choses et les êtres Il ne faut pas conjuguer le jihadisme à tous les temps. Ils non comme ils sont, mais comme on voudrait que nous les ne sont pas les seuls à chahuter mon ascèse. Je connais des voyions, nous privant ainsi de notre libre-arbitre. Nous ne gens lettrés qui m’insupportent autant que les vauriens et les réfléchissons plus ; nous déléguons nos certitudes à des manimeurtriers. L’écriture de ce livre m’a beaucoup apaisé. C’était pulateurs chevronnés et nous nous diluons dans la masse pour comme si, par enchantement, le Sahara m’avait rattrapé. Il me ne pas assumer nos responsabilités. On nous montre un zèbre semblait que je n’écrivais plus, que je traversais la page blanche et on nous le fait passer pour une licorne. Nous traversons comme le désert. En quête de mes oasis. Chaque paragraphe une époque brouillonne qui trouble notre lucidité et lamine m’éloignait un peu plus de ce qui me chagrine, c’est-à-dire le nos hypothétiques convictions, une époque spectaculaire où monde des apparences et des connivences assassines. À travers chacun tente de se donner une visibilité. On ne monte plus ce livre, que le calligraphe Lassaâd Métoui enguirlande de très sur la tribune défendre ses idées mais pour exhiber son lifbelles œuvres, j’ai cherché à me persuader que, quelle que soit ting. Le mirage nous devient alors plus fascinant que l’oasis. leur féerie, les mirages ne sauraient se substituer tout à fait à Nous prenons pour argent comptant ce qu’on nous raconte et la quiétude simple et naturelle des oasis. nous devenons des « suiveurs » assermentés, prêts à cautionner Vous y parlez également d’une femme qui vous est très chère, n’importe quelle rumeur. Nous sommes comme hypnotisés et votre mère, torturée par les Français nous faisons nôtre n’importe quel mensonge. dans la commune de Kenadsa et contrainte Il suffit d’interroger la Toile pour mesurer de quitter le désert pour Oran… l’étendue de notre addiction à tout ce qui C’était la guerre. Ma mère en a gardé des nous échappe et que nous rejoignons avec une séquelles, mais aucune rancune. Il faut savoir conviction telle que nous finissons par élever dépasser les vacheries du passé si l’on tient le mensonge au rang des vérités absolues. Mon à aller de l’avant. Jamais je n’ai entendu ma livre a choisi d’affronter le mirage à proximité mère maudire quelqu’un ou vouloir du mal à des oasis. Dans le désert, nous sommes face ceux qui lui avaient brisé le cœur. Elle a vécu à notre vérité propre. Sa nudité fait tomber sans haine et elle repose en paix maintenant. les masques et son silence nous rend à nousDe vos oncles indépendantistes qui ont mêmes. La vanité du monde moderne, le chacombattu aux côtés des Rifains issus du nord hut des promiscuités, les fantasmes d’ailleurs marocain… s’estompent comme un mirage pour qu’appaSeulement deux d’entre eux, qui furent raisse, dans son éclat abrupt, la réalité des Son dernier ouvrage, très proches de Abdelkrim El Khattabi. L’un êtres et des choses : nous nous rendons compte Ce que le miracle doit à l’oasis, est mort au combat, aux côtés de Rifains, soudain que nous ne sommes que les otages (Flammarion, novembre 2017). l’autre s’est éteint en 1993, pauvre, aveugle. consentants de nos effroyables hallucinations. La gloire ne sourit pas souvent aux héros et Vous avez choisi d’embarquer le lecteur la postérité ne retient parfois que ceux dont le tapage a damé au cœur d’un dialogue inattendu entre l’homme et le désert le pion au roulement des tambours. sous la forme d’une joute verbale… L’Écrivain retraçait votre vocation d’écrivain et votre destin Pas seulement le lecteur. Moi, surtout. Je ne savais pas d’officier supérieur de l’armée algérienne, L’Imposture comment commencer mon livre. C’est en m’interrogeant quant des mots évoquait votre nouvelle vie à Paris en tant à la meilleure manière d’appréhender mon texte que je me suis que romancier. Ce que le mirage doit à l’oasis lève le voile surpris en train de dialoguer avec le désert. Ce fut comme si sur l’histoire de vos ancêtres et de votre tribu, est-ce votre une porte dérobée s’était brusquement ouverte sur mon passé, roman le plus intime ? ma tribu, l’histoire de mon Sahara. J’ai accouché de ce texte Je n’ai jamais triché dans mes romans. Comment tricher aux forceps, mais d’une traite. Les souvenirs s’imbriquaient dans mes autobiographies ? Mon histoire est simple malgré aux mots, se déversaient sur la page blanche comme une crue. mon parcours atypique. J’ai suscité tant d’interrogations chez J’écrivais avec mes tripes, mes affres, mes colères, mes peines certains intellectuels que ce qui est évident en est devenu suset mes joies. pect. J’espère leur avoir apporté des réponses dans ce livre. Le désert y condamne l’islamisme : « Et ces jihadistes Non pour éclaircir les choses, mais pour les éclairer, eux. Souqui troublent mes ascèses à coups de prêches assassins vent, l’aveugle est celui qui refuse de voir. et de carnages ignobles, que cherchent-ils à prouver ? » 82
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Vous y révélez, de plus, votre premier récit, Gomri et le capitaine, écrit dans le désert lorsque vous étiez officier. Votre destin a longtemps été lié au Sahara où vous êtes né, et aussi à l’armée… Je n’ai pas choisi ma famille et je n’ai pas choisi mon destin. Je suis fier des deux. Parce que pour ma famille, aussi bien pour mon destin, il m’a fallu me battre pour être ce que je suis aujourd’hui. Mais je ne gagne pas à tous les coups. Gomri et le Capitaine fait partie de mes défaites. J’ai commencé ce roman à Tin Zaouatine, à l’extrême sud-ouest du Hoggar, il y a presque trente ans. Je n’ai jamais réussi à le poursuivre. C’est comme si le désert m’avait repris ce qu’il considère comme son bien : l’inspiration qu’il m’a prêtée un soir, à l’ombre d’un acacia, non loin d’un camp de réfugiés azawad. Dans votre œuvre, vous avez tour à tour évoqué les années noires de l’Algérie, le chaos de l’Afghanistan, le conflit israélo-palestinien et celui de l’Irak. Vous vous emparez de thématiques brûlantes liées à l’actualité, pourquoi un tel intérêt pour ce genre de sujets ? Je suis un écrivain qui ne se sent libre que lorsqu’il se diversifie. Je touche à tout, et j’essaye de créer des univers différents. J’ai écrit des romans policiers, des sagas, des textes courts. Je n’ai aucun complexe et je ne m’impose aucune réticence. La littérature est d’abord une générosité. J’ai écrit sur le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Asie, les Caraïbes. J’ai même une trilogie sur le Mexique, dont le premier tome se trouve déjà chez mon éditeur mexicain. Ce que je cherche, à travers mes romans, c’est comprendre mon époque et le dysfonctionnement qui martyrise les relations entre les peuples. Avez-vous envie de revenir à l’écriture de polar ? À quoi rêvez-vous pour l’Algérie qui a fortement marqué votre œuvre ? Ma tête grouille de projets. Polars, sagas, essais, scénarios se bousculent dans mon esprit. En plus du livre d’entretiens qui sort chez Bayard fin février, un autre roman paraîtra en août chez Julliard. Mon ouvrage mexicain pourrait, lui aussi, sortir vers la fin 2018 au Mexique, et en 2019 en France. Je suis retraité. Je n’ai pas d’amis à Paris. Lorsque je ne voyage pas, je suis chez moi. Que faire pour meubler ma solitude ? J’écris. Cela me permet d’échapper à la grisaille de la capitale. Quant à l’Algérie, il lui appartient de se relever de ses blessures ou bien de prolonger sa convalescence. Une chose est sûre : le pays finira par s’en sortir. Il a touché le fond et il est condamné à remonter à la surface. Cette bonne vieille Algérie a tout pour elle, et tout lui sera restitué un jour, tel est le serment de ses morts. Croyez-vous à la succession d’Abdelaziz Bouteflika ? Au renouveau du système éducatif pour la jeunesse ? Je crois dans mon pays. Les êtres ne sont que des figurants,
certains remarqués, d’autres transparents. L’Algérie n’est pas ménopausable. Elle en a encore dans le ventre et continuera d’enfanter des prodiges. Aujourd’hui, l’école et l’université battent de l’aile, mais il existe une diaspora éblouissante et une jeunesse fiable pour garder espoir. La patrie qui a tant sacrifié ne peut pas disparaître. Seuls les prédateurs finissent par se casser les dents sur les remparts de l’Histoire. Auteur particulièrement prolifique, à quoi vous adonnez-vous lorsque vous n’écrivez pas ? Je m’occupe de ma petite famille, me promène dans mon quartier et regarde les matchs de foot à la télé. Depuis mon opération ratée de la cataracte, je peine à lire. Au bout d’une dizaine de minutes de lecture, mes yeux se fatiguent et me font mal à la tête. Bizarrement, je peux passer des heures à écrire sur mon ordinateur. Et pour vous évader… ? Il me suffit de penser à un projet de roman. D’un coup, je
« Quand je n’écris pas, je me promène dans mon quartier et regarde les matchs de foot à la télé. »
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ne suis plus là. Je peuple ma solitude de personnages suffisamment bruyants pour me déconnecter du tohu-bohu de la ville. Je me surprends à froncer les sourcils, à sourire, parfois à rire en m’aventurant dans un roman en chantier. Écrire, pour moi, est vivre autrement. Plus qu’un voyage, c’est une sorte de résurrection dans un monde parallèle qui sied à mes états d’âme. Je me laisse aller à mon imaginaire, et ce qui n’est que fiction me devient aussi vrai que la réalité. Dans mes livres, je me sens à l’abri des mauvaises passes et des malentendus. Flaubert disait que tout ce que nous inventons est vrai. L’avantage, dans la littérature, est de vivre pleinement une histoire inventée de toutes pièces, de suivre à la trace un personnage qui n’existe pas et qui nous devient aussi attachant qu’un proche. C’est magique. Ce qui nous paraît absurde dans la vie de tous les jours s’explique d’un coup et nous devenons un peu plus attentifs à ce qui nous arrive. J’ai beaucoup appris sur moi en lisant, et j’ai beaucoup mieux compris les autres en écrivant. ■ 83
DOSSIER
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Sorties de crise Avec un taux de croissance de 5 %, et l’essor des secteurs de l’énergie, des technologies ou de l’agriculture, le pays peut envisager des lendemains meilleurs. À condition que citoyenneté et dialogue démocratique soient au rendez-vous. par Emmanuelle Pontié et Nataka Noun
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ékon. Quartier des affaires situé en plein milieu du boulevard circulaire, pas loin du grand marché de Lomé. Ici, comme toujours, divers commerces et une circulation dense s’entremêlent. Mais l’environnement a évolué. De nombreux immeubles ont remplacé les vieilles bâtisses au bord de l’artère principale. Ici, plus qu’à l’accoutumée, c’est la course aux petites affaires : vente et réparation de téléphones portables, fourniture d’appareils électroménagers, motos, prêt-à-porter, restaurants, etc. Tout ce remue-ménage, c’est le quotidien de Joël, gérant d’une boutique de gadgets électroniques. Sourire aux lèvres, il déclare fièrement : « J’ai ouvert mon affaire depuis plusieurs années. D’ici, je suis un témoin privilégié de tout ce qui se passe à Lomé, de l’avancée du business aux différentes crises politiques. En passant bien sûr par les travaux et les embellissements qui ont été réalisés en ville. » En effet, la capitale togolaise changé de visage depuis près d’une décennie. Des immeubles neufs sont sortis de terre un peu partout. En périphérie, un quartier administratif est en cours de construction
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Réunion de vendeuses de pagnes au grand marché de Lomé, qui se sont mises sur leur trente et un…
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autour de la nouvelle présidence. Les différentes artères ont été restaurées. La banque panafricaine Ecobank a construit son imposant siège, Bolloré un troisième quai visible de loin, et de nombreux groupes internationaux ont élu domicile à Lomé, qui s’est construit peu à peu une image accueillante pour les grandes sociétés désireuses de rayonner en Afrique de l’Ouest. Ces cinq dernières années, et sur de nombreux plans, le Togo a enregistré des progrès notables et affiche des indices plutôt bons. Notamment avec un taux de croissance supérieur à 5 %, projeté en hausse de 0,3 pour 2018. Ou encore en obtenant la deuxième place parmi les meilleurs pays réformateurs selon l’indice 2017 sur la bonne gouvernance en Afrique de la Fondation Mo Ibrahim, qui souligne même des « bonds remarquables ».
ÉNERGIE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES L’ambition du pays, fort de 7 millions d’âmes et encore classé à la 162e place pour l’indice de développement humain, est claire : s’offrir une place de hub sous-régional. Avec une belle ouverture sur l’océan et des infrastructures de qualité. En 2017, la capitale a accueilli le 16e forum de l’AGOA (Africa Growth and Opportunity Act), deux rencontres de l’UEMOA, une réunion de la Cédéao, etc. Une politique active de grands travaux a été menée, avec la réalisation du nouvel aéroport Gnassingbé-Eyadéma, la restauration du port autonome de Lomé, poumon économique du pays, ou la construction du nouveau port de pêche attenant, qui devrait être livré dans à peine un an. Le réseau routier a été renforcé. D’autres
secteurs bougent, de l’énergie aux nouvelles technologies. Le Togo vient par exemple de signer avec l’AFD (Agence française de développement), l’Union européenne et la banque allemande de développement KFW un prêt de 37,9 milliards de francs CFA qui permettra au pays d’étendre le réseau électrique dans les environs de Lomé et réhabiliter 911 kilomètres de pistes rurales dans les régions cotonnières, ou productrices de café/cacao. Les universités et les centres hospitaliers du pays se sont vu doter d’Internet haut débit accessible gratuitement pour les étudiants et le personnel médical. En parallèle, en avril 2017, 250 kilomètres de fibre optique ont permis le raccordement à l’Internet haut débit de 560 bâtiments (543 à Lomé et 17 à Kara) pour constituer le nouveau e-gouvernement, qui marque le début d’une administration modernisée, capable de délivrer des services améliorés aux citoyens. La liste est longue en matière de dons, prêts, projets, dans une kyrielle de domaines. Et des gens comme Joël, depuis Dékon, sont comptables d’avancées palpables. Pourtant, comme souvent, les retombées des bons indices macroéconomiques peinent à rejaillir sur le panier de la ménagère, malgré les efforts du gouvernement pour l’amélioration des conditions de vie des populations. Le chômage, l’accès aux soins, à l’électricité ou à l’eau potable pour tous sont autant de questions non résolues et de défis majeurs que doit encore relever le locataire de la nouvelle présidence. Il le sait, connaît l’urgence et a notamment lancé le Programme d’appui aux populations vulnérables (PAPV) en 2015, puis rendu opérationnel en juillet 2016, le Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC). Le gouvernement promet rapidement des retombées positives des batteries de mesures qu’ils contiennent, dès cette année qui commence. Faure Gnassingbé, pour sa part, a par exemple assuré aux deux millions d’élèves togolais début janvier qu’ils bénéficieraient d’une couverture maladie dès cette même année 2018. Pour les nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi, plusieurs projets, comme le Fonds d’appui aux initiatives et à l’entrepreneuriat jeune (FAIEJ), le Programme d’appui au développement à la base (PRADEB), et l’Agence nationale du volontariat au Togo (ANVT), ont vu le jour. Objectif du gouvernement : promouvoir l’autoemploi et détourner la jeunesse togolaise de sa vocation naturelle pour la fonction publique. Par ailleurs, 20 % des marchés publics pourraient dorénavant être réservés en priorité aux jeunes entrepreneurs et aux femmes. Une initiative originale, qui, si elle se concrétise, pourrait être plutôt bien accueillie par l’opinion.
Au cœur de la capitale, l’imposante place de l’Indépendance a été rénovée.
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BAUDOIN MOUANDA
Les deux millions d’élèves bénéfieront d’une couverture maladie dès cette année.
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Lomé, 26 avril 2016. Le président visite le nouvel aéroport GnassingéEyadema, financé par la China Exim Bank, aux côtés de Liu Yuxi, ambassadeur de Chine au Togo.
Dans l’entourage du chef de l’État, on sait que l’année 2018 sera déterminante. Car côté pouvoir, on a urgemment besoin de mettre en avant un bilan. Économique, social. Politique aussi. En particulier depuis août 2017 et les mois qui ont suivi, où le pays a été secoué par la montée de violentes tensions. Une série de manifestations hostiles au pouvoir ont eu lieu à Lomé. Elles ont occupé le paysage médiatique et enflammé les réseaux sociaux à l’étranger, où la diaspora, qui n’est toujours pas autorisée à voter, est particulièrement réactive. Le bras de fer qui se joue porte sur le changement ou non de la Constitution et la date de départ du président Faure Gnassingbé, élu le 24 avril 2005, qui devrait terminer son 3e quinquennat en 2020. L’opposition, avec en tête le Parti national panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam, demande le départ immédiat du chef de l’État, qui a succédé aux trente-huit ans de pouvoir de son père le général Gnassingbé Eyadéma au Palais présidentiel de Lomé II. Le président Faure Gnassingbé, pour sa part, souhaite modifier la Constitution et notamment limiter à deux le nombre de mandats présidentiels à partir de 2020, en instaurant désormais un mode de scrutin à deux tours. Une manière, selon certains, de remettre les compteurs à zéro. Les AFRIQUE MAGAZINE
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slogans de l’opposition sont plus ou moins cristallisés sur un seul sujet : le maintien au pouvoir d’une même famille durant plus de 50 ans. Les réformes institutionnelles et constitutionnelles, selon le discours de présentation des vœux du chef de l’État le 3 janvier dernier, seront soumises à référendum en 2018. Vers le mois d’avril selon des sources concordantes. Suivra l’organisation des élections législatives et locales.
LE DIALOGUE, À PRIVILÉGIER En ce mois de février, à Lomé, comme dans l’ensemble du pays, on est suspendu aux évolutions prochaines du contexte politique, qui pourrait impacter les efforts de développement et d’apaisement, indispensables au maintien de la croissance économique et à la confiance des investisseurs. Le président togolais a donné, pour sa part, des signaux positifs pour une sortie de crise politique, en prononçant ces mots lors de son dernier discours : « Le dialogue doit rester la voie privilégiée de résolution des désaccords entre les acteurs politiques. » Un dialogue dont il reste encore à définir le cadre, mais qui représentera, certainement, de Lomé à Kara, un gage de stabilité propice à la poursuite du développement du Togo. ■ 87
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De bons indices économiques
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entre de formalités des entreprises. Edem, la trentaine, jeune entrepreneur, vient de finir les démarches pour la création de sa société de communication. Une décision prise récemment, lorsqu’il a découvert dans les médias que la procédure a été allégée depuis quelques mois ; et surtout, que les coûts d’enregistrement ont été revus à la baisse. Le gouvernement togolais a investi ces dernières années pour offrir aux entreprises des facilités administratives. Grâce aux différentes réformes initiées, Lomé est en passe de se donner les moyens de son ambition : celui de se transformer en hub économique de premier plan, et s’imposer comme une destination de choix pour les grands groupes internationaux et sous-régionaux. Ecobank, le groupe panafricain, a construit en face de l’océan Atlantique le siège de son institution. Puis,
Le siège d’Ecobank, à Lomé.
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plusieurs autres sociétés panafricaines ont suivi, dont la compagnie aérienne Asky, les banques BOAD, Orabank… Plusieurs initiatives du gouvernement togolais ont été mises en place afin de garantir aux entreprises un climat des affaires sécurisé. Déjà classé parmi les meilleurs réformateurs en Afrique par le dernier classement « Doing Business » de la Banque mondiale, et deuxième meilleur réformateur en Afrique par la Fondation Mo Ibrahim, le pays a encore initié, dès ce début d’année, de nouvelles réformes pour attirer les entreprises et les investisseurs. Outre l’ouverture du guichet unique, la réduction du droit du capital social pour la création et l’enregistrement des entreprises, la dématérialisation des formalités pour la création des sociétés a été annoncée en janvier. Le gouvernement togolais vient également de mettre sur pied un nouveau plan d’action global pour l’amélioration du climat des affaires. Celui-ci a été présenté en conseil des ministres le 26 janvier. Il prend en compte différentes problématiques, dont cinq sont considérées comme prioritaires : la création d’entreprise, le permis de construire, le transfert de propriété, l’exécution des contrats et l’accès à l’énergie. Une Cellule chargée de l’amélioration du climat des affaires (CCA) au Togo avait été créée en novembre 2017. Sa mission : veiller à la mise en œuvre des réformes déjà opérées, et celles à venir. Sur le plan local, ces diverses initiatives ont permis de booster la création de sociétés et d’accompagner les jeunes entrepreneurs. D’après les statistiques du Centre de formalités des entreprises, 120 SARL ont été créées en 2008, contre 1 800 en 2017. Avec un taux de croissance au-dessus de 5 % et un climat des affaires jugé de plus en plus favorable à la création d’entreprises et à l’installation de groupes étrangers, le Togo entend se positionner carrefour économique international. Une ambition qui devrait se poursuivre en 2018. À condition que le climat politique s’améliore et que les échéances électorales se déroulent dans le calme. L’instabilité sous toutes ses formes, et sous tous les cieux, étant l’ennemie du business. ■ N.N. AFRIQUE MAGAZINE
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L’allègement des formalités et la multiplication d’initiatives en faveur de la création d’entreprises confortent le pays sur la voie de la croissance.
Patrick Mestrallet « Beaucoup d’efforts sont réalisés »
Pour le président du Club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique francophone, le secteur est encore trop éclaté. Mais les initiatives de l’État vont dans le bon sens… AM : Comment se porte le secteur bancaire ? Patrick Mestrallet : La situation est mitigée. Le paysage bancaire togolais se compose de 13 banques disposant de près de 240 agences ou bureaux et de plus de 275 distributeurs ou guichets automatiques (DAB/GAB). Le taux de bancarisation est de près de 25 % au sens strict, et passe à plus de 70 % si on prend en compte les organismes de microfinance. Le total du bilan des banques a progressé de plus de 10 % en un an, à environ 2 450 milliards de francs CFA, et le produit national brut (PNB) global, de plus de 12 % à plus de 100 milliards. Toutefois, le taux de dégradation brut du portefeuille des banques s’élève à plus de 20 % et le niveau de provisionnement des créances difficiles dépasse les 75 %. Le montant des dépôts en banque est de l’ordre de 1 500 milliards de francs CFA, ce qui, pour 13 établissements bancaires, est relativement faible. Selon vous, que manque-t-il ou que faudrait-il pour le booster ? Le secteur bancaire est trop éclaté : 13 banques pour un volume de dépôt de 1 500 milliards de francs CFA. Le Togo a connu plusieurs regroupements ces dernières années, avec la fusion BTD/ Orabank Togo, puis l’absorption de la BRS à nouveau par Orabank Togo. Mais ces mouvements ont été compensés par l’ouverture de nouveaux établissements. Il n’est pas certain que cette concurrence conduise à la baisse des taux du crédit sur le moyen terme, compte tenu de la lutte que les banques mènent pour collecter les dépôts. L’accès au crédit, souci récurrent en Afrique, est-il facilité, et comment ? Avec l’avènement des réformes de Bâle II et III, les règles concernant la prise en compte des crédits dans le dispositif prudentiel sont durcies. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a mis en place un dispositif de facilitation du financement des PME/PMI pour en adoucir les effets. Par
ailleurs, le gouvernement togolais a institué des dispositifs d’accompagnement des primo-entrepreneurs, des jeunes opérateurs et des femmes afin de faciliter l’accès aux services et financements bancaires. Malgré ces initiatives qui méritent d’être saluées, la prise de garantie, notamment hypothécaire, demeure longue et incertaine. L’accès au crédit en est pourtant dépendant. Des alternatives peuvent exister, comme le crédit-bail, et des réflexions sont menées dans ce domaine. Y a-t-il des projets ou des réformes en cours capables d’améliorer le climat des affaires ? Des initiatives sont prises pour faciliter le dispositif des affaires au Togo. Le gouvernement souhaite par exemple que les PME nationales puissent bénéficier d’au moins 20 % des marchés publics. De même, l’attribution desdits marchés fait l’objet de procédures publiques et transparentes. Les infrastructures ont bénéficié d’importants investissements de modernisation. Tous ces efforts contribuent évidemment à l’amélioration du climat des affaires. La gestion du foncier reste néanmoins un véritable problème au Togo. Vous êtes le chef de projet de la fusion des banques UTB et BTCI. Pourriez-vous en dire quelques mots ? Après avoir privatisé deux des quatre banques publiques existantes, le gouvernement togolais a souhaité fusionner les deux restantes : la BTCI, ancienne filiale du groupe BNP, et l’UTB, anciennement établissement du réseau Crédit lyonnais. Cette fusion est justifiée par la volonté de regrouper les moyens d’action des deux entités d’une part et de constituer un pôle bancaire public, respectant les meilleures pratiques de gouvernance et appuyant, tout en conservant son libre arbitre en matière d’octroi de financement, les priorités économiques du gouvernement. Cette fusion devrait voir son aboutissement au milieu de l’année 2018. ■ propos recueillis par N.N.
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« L’attribution des marchés fait l’objet de procédures publiques et transparentes. »
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Une terre d’atouts La production agricole contribue à plus de 38 % au PIB national. Pour consolider cette filière, le président a annoncé plusieurs mesures. Dont celle de créer des agropoles, pourvoyeuses d’emplois.
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PRÉSIDENCE TOGO
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5 décembre 2017. Le chef de l’état, Faure Gnassingbé, pose la première pierre des travaux de construction de l’Institut de Formation pour l’Agro-Développement (IFAD) à Elevagnon (Est-Mono). AFRIQUE MAGAZINE
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vec l’appui de la Banque Africaine de Développement (BAD), l’état a décidé de lancer le Projet de développement des agropoles au Togo (Prodat). Estimé à 64 milliards de FCFA et couvrant la période 2018-2022, le programme aura pour vocation de créer des unités de transformation au sein d’agropoles situées sur des réserves foncières, proches des centres de production et des axes routiers majeurs. L’objectif est de passer de l’agriculture familiale de subsistance à une étape commerciale, profitable à tous. En termes pratiques, les technopoles agroalimentaires permettront d’équiper les zones de productions en infrastructures capables à la fois de produire les récoltes et stocker leurs produits. En plus de promouvoir la recherche du secteur et de créer des centres de formation, le programme devrait en parallèle développer les domaines de l’énergie et des télécommunications dans le bassin de couverture. Prodat couvrira dix sites dont trois sont déjà identifiés pour la phase pilote : les bassins des fleuves Kara, Oti et Mono. Selon Alassani Ennardja, directeur des politiques de la planification et du suivi-évaluation des agropoles, le programme se concentrera les cinq prochaines années autour de plusieurs chaînes de valeur : le sésame et la volaille autour du site de Kara ; le riz, la volaille et le bétail autour de l’Oti. Enfin, concernant le bassin du Mono, c’est la filière de l’anacarde sera privilégiée. Mais les attentes liées aux technopoles se seront pas limitées à leur aire d’implantation. Conçu pour booster les économies locales, le Prodat devra améliorer le revenu des producteurs. À terme, 25 000 emplois devraient être créés dans les zones de couvertures dont, objectif affiché, 40 % destinés aux jeunes et aux femmes. Le projet permettra également de « réduire le déficit de la balance commerciale agricole de 15 points » estime Alassani Ennardja. Une contribution qui devrait permettre, selon les projections du gouvernement, de réduire la pauvreté en milieu rural de 67,4 % à 53 % d’ici à 2022. Pour Wahabou, jeune diplômé en agronomie de l’université de Lomé, et résident dans la préfecture de l’Oti, ce projet est une aubaine : « Mango a pour vocation de devenir un carrefour agricole commercial et nous permettra à nous, jeunes de la localité, de nous impliquer davantage dans le développement de la préfecture de l’Oti. Depuis plusieurs années, je conçois avec les paysans des programmes, mais le rendement n’était pas aussi conséquent que celui que promettent les agropoles. Ici, on attend leur mise en œuvre avec impatience. » Il faut rappeler que le Prodat a été initié à la suite du Programme national d’investissement agricole et de la sécurité alimentaire ( PNIASA), politique quinquennale phare du Togo en faveur du secteur agricole qui avait déjà permis au pays de parvenir à dégager des excédents et de réduire de moitié le taux de sous-alimentation. ■ N.N. 91
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Génération engagée
Ismaël Tanko La tomate fraîche, sinon rien À 33 ANS, Ismaël Tanko, a été directeur exécutif adjoint de l’Association des grandes entreprises du Togo (Aget) pendant quatre ans, avant de créer en 2014 sa propre société. Aujourd’hui PDG de Tim Agro Sarl, il transforme, puis conditionne localement, de la purée de tomates fraîches. Une façon pour le promoteur du produit Togo Timati de lutter contre le gaspillage trop fréquent et de promouvoir la consommation bio. Cette purée est en effet confectionnée sans additifs ni conservateurs. Elle est commercialisée dans plusieurs pays africains. Le jeune Togolais de 92
l’agrobusiness compte toucher au moins 24 pays du continent d’ici à 2019. Un objectif pas facile à atteindre, vu la concurrence sur le marché. Mais l’ambition du jeune entrepreneur, qui multiplie les initiatives et les rencontres pour atteindre son but, est intacte.
Félix Tagba Courir et sauver la planète IL EST L’INITIATEUR de l’« ecojogging », une pratique sportive plutôt originale pour sauver la planète. Le concept : ramasser les déchets plastiques rencontrés sur le chemin tout en faisant du jogging. Ceux-ci sont ensuite recyclés et utilisés pour
fabriquer des objets de la vie de tous les jours, comme des sacs de courses, etc. Lui, c’est Félix Tagba, un jeune journaliste togolais de 26 ans, volontaire national. Ecojogging, un projet lancé début 2017, déjà dupliqué au Ghana, est pour lui la combinaison de deux hobbies : son amour pour le sport et son intérêt pour l’environnement. « Pendant mon engagement volontaire, je me suis rendu compte de ma contribution au développement. Je me suis alors dit que je pouvais faire davantage pour la planète, mon autre sujet d’intérêt. J’ai donc décidé de jumeler mes deux passions. » Prochaine étape : lancer une plateforme d’information libre sur l’environnement et le développement durable où les journalistes pourront contribuer à l’animation par la rédaction d’articles depuis leurs zones de résidence. AFRIQUE MAGAZINE
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Ils veulent lutter contre le gaspillage, la prolifération des déchets, valoriser leur environnement et représenter leur pays… Et si c’était eux, les leaders de demain ?
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Nathalie Kpanté Son cœur est 100 % chocolat L’AVENTURE du chocolat made in Togo, Nathalie Kpanté l’a commencée en 2012. Elle a fait partie des six jeunes Togolais sélectionnés parmi des milliers d’autres, dans le cadre du projet Fair Young Sustainable Inclusive and Cooperative (FYSIC), ayant bénéficié d’une formation sur la fabrication artisanale du chocolat en Italie. À 30 ans, Nathalie est aujourd’hui responsable de la coopérative Choco Togo. La jeune entrepreneure représente fièrement son pays. En 2016, elle est lauréate du programme YALI des États-Unis, qui donne un coup de pouce aux leaders africains de demain. L’année suivante, elle reçoit le Africa Youth Award 2017 dans la catégorie agriculture, et est à la tête du classement des jeunes les plus influents au Togo. AFRIQUE MAGAZINE
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Afate Gnikou Il réinvente l’imprimante 3D GÉOGRAPHE de formation, rien ne prédestinait Afate Gnikou à la fabrication d’une imprimante 3D. Et pourtant, en 2013, Afate invente le premier modèle entièrement conçu à partir de… déchets électriques et électroniques ! Une réalisation qui lui permet de remporter en 2014 le premier prix de l’innovation technologique à Barcelone. Pour lutter contre le gaspillage des objets
électroniques, l’inventeur continue de les récupérer et les recycle en leur donnant une seconde vie, utile au quotidien. Afate Gnikou dirige la communauté « Woora Make », qui fait la promotion des technologies et vulgarise l’impression 3D en Afrique. À travers elle, il organise régulièrement à Lomé des ateliers de fabrication d’imprimante 3D au profit des enfants et des jeunes. Son projet : ouvrir un « Makerspace » (espace de fabrication), à l’attention de toutes les personnes désireuses de travailler dans le domaine. ■ N.N. 93
DOSSIER TOGO : SORTIES DE CRISE
se distingue par un imaginaire libertin dans ses romans. Une philosophie, selon lui, gage de la bonne santé d’une société démocratique. Ses derniers ouvrages (L’Éthnologue et le Sage, Éditions Odem, septembre 2013 ; Ainsi parlait mon père, Éditions JC Lattès, 2018) marquent un retour sur ses origines avec un questionnement autour du savoir africain.
Kossi Efoui L’enfant terrible
Écrire, encore et toujours
De nouveaux auteurs littéraires s’affirment chaque année. En espérant connaître le succès de ces quatre plumes incontournables.
55 ans, mais toujours rebelle, jusqu’au style vestimentaire hippie. Utile provocateur, Kossi Efoui est considéré comme l’enfant terrible de la littérature togolaise. Polémiste à souhait, il a déclaré au cours du festival Étonnants voyageurs à Bamako que « la littérature africaine n’existe pas », tout comme l’Afrique, d’ailleurs ! Son œuvre théâtrale et romanesque, s’inscrit dans une démarche de rupture. Pour lui, l’espace politique reste à inventer sur le continent afin de l’ancrer dans la modernité. Son dernier roman, Cantique de l’acacia (Seuil, 2017) ritique la situation sociopolitique au Togo et porte un regard au vitriol sur l’impact des rencontres de l’Afrique avec l’Occident. Kossi Efoui est l’écrivain togolais, voire africain, le plus étudié dans les milieux universitaires en France, au Canada et au Togo.
Kangni Alem Questionner l’histoire
es dernières années, la littérature togolaise a connu un véritable boom, grâce à l’éclosion d’une kyrielle d’éditeurs locaux. Parmi plus d’une vingtaine d’auteurs du cru, quelques noms commencent à se distinguer, à l’instar de Kokouvi Dzifa Galley (finaliste du Prix RFI Théâtre en 2016 puis 2017), Koffi Boko, Joël Amah Ajavon, ou encore Anas Atakora. Ce dernier, doctorant dans une université canadienne, s’affirme comme un grand espoir de la poésie. Mais les critiques s’accordent à dire que le meilleur de la production littéraire est porté par un petit nombre d’auteurs togolais résidant à l’étranger. Cette vague d’écrivains de la diaspora s’est révélée vers les années 90 dans le sillage des ouvertures démocratiques en Afrique. En attendant que de nouveaux talents se fassent connaître par-delà les frontières, voici quatre plumes incontournables.
Complice de Kossi Efoui sur le plan intellectuel, Kangni Alem avait été consacré, à 23 ans, Grand Prix RFI du Théâtre africain grâce à sa pièce Chemins de croix, rédigée en pleine lutte populaire contre le régime d’Eyadéma. Depuis, Kangni Alem a confirmé ses qualités de dramaturge. Atterrissage porte sur la scène les tourments de la jeunesse africaine attirée par les lumières occidentales. Son premier roman, Cola Cola Jazz (Dapper, 2002), couronné du Grand Prix de littérature Afrique 2003, parle de révolte et d’envies de liberté. Avec Esclaves (JC Lattès, 2009), il aborde le passé de l’Afrique et met en lumière le sujet de la mémoire dans les sociétés africaines. Il préconise de questionner sans œillères le passé et de rétablir la vérité historique pour mieux construire le futur. À 51 ans, Kangni Alem est le seul écrivain togolais de renom à faire le chemin inverse de l’exil. Revenu au pays, il est aujourd’hui enseignant à l’université de Lomé et conseiller culturel du chef de l’État.
Sami Tchak Sexe et liberté
Théo Ananissoh Le moraliste
À 58 ans, c’est le plus prolifique des auteurs togolais. Sami Tchak édite son premier roman, Femme infidèle (NEA-Togo) en 1988, où il relate les subterfuges d’une musulmane pour échapper aux contraintes d’une société islamique et phallocratique. S’en suivra la publication en France de sept autres romans, dont Le Paradis des chiots (Mercure France, 2006, Prix Ahmadou Kourouma). Il reçoit en 2004 le Grand Prix de littérature Afrique pour l’ensemble de son œuvre. Sociologue de formation, épris de littérature latino-américaine, Sami Tchak
Théo Ananissoh a huit romans à son actif. Il réside en Allemagne et son univers romanesque est imprégné de philosophie kantienne et allemande, de cette lutte constante entre le bien et le mal, ce dernier devant être éradiqué de façon radicale. Ses romans constituent une charge contre la dictature militaire, la corruption, les élites incultes, et l’absence de liberté. Ses derniers romans, Un reptile par habitant (Gallimard, 2007), Le Soleil sans se brûler (Elyzad, 2015) et Délikatessen (Gallimard, 2017) sont les plus emblématiques de cette pensée. ■ N.N.
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Dahab. À seulement un jet du rivage, l’enchantement est au rendez-vous.
destination
Les merveilles de la mer Rouge
Spot incontournable des amateurs de plongée sous-marine, grâce à ses multiples côtes bordées de JARDINS AQUATIQUES très diversifiés, l’Égypte déborde d’atouts. LE TOURISME en Égypte ne se résume pas à la Vallée des recommandées. Et connues pour la pratique du snorkelling, rois, aux pyramides ou aux croisières sur le Nil. Le pays, qui randonnée palmée qui permet une belle exploration et abrite également parmi les plus riches et divers fonds marins, observation des paysages marins pour s’immerger en douceur continue d’être une destination phare pour les passionnés de dans un ballet de couleurs. Avides de sensations fortes, plongée sous-marine. Explorer la faune et la de décors gravés au contact brut avec la nature, flore de la mer Rouge est un plaisir doublé les plongeurs plus chevronnés peuvent s’orienter LES BONNES d’un challenge tant les spots y sont multiples et ADRESSES vers les côtes de la mer Rouge, liées à celles surtout, adaptés aux différents niveaux de de Charm-el-Cheikh : les eaux s’y ouvrent sur ✔ Le beach resort plongée. Leur particularité ? Dotés d’eaux The Three Corner Equinox les spots de Jackson Reef, posés au nord du récif chaudes tout au long de l’année, ils regorgent, de l’île Tiran à l’abri du vent et des vagues. Dans (Marsa Alam) de plus, d’époustouflants murs et jardins de le même sillage, port Ghalib, est un magnifique ✔ Le village de tentes coraux. Parmi les plus prisés, Dahab, village site peu fréquenté proche de Marsa Alam : belle Camp Marsa Nakari piéton et joyau du Sinaï avec son célèbre station dotée d’une incroyable vie aquatique, ✔ Le centre de plongée Red Blue Hole (trou bleu), attire des plongeurs de surcroît, porte vers des spots incontournables Sea Diving Safari des quatre coins du monde. Un site à explorer comme le récif de Sha’ab Samadaï, lagon réputé ✔ L’hôtel Nesima Resort avec précaution : à – 55 m, une arche étroite pour abriter de nombreux dauphins évoluant au (Dahab) donne un accès à un tombant de plus de 700 m milieu des plongeurs les plus chanceux. et les accidents, parfois mortels, n’y sont Les questions de sécurité restent évidemment présentes malheureusement pas rares. et, même si des contrôles policiers sont effectués à l’entrée Moins risquée, idéale pour les amateurs, les eaux peu des sites touristiques et des hôtels, la prudence reste profondes d’Hurgada, situées au nord, sont vivement de mise. ■ 96
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par Nina Hadjam
MADE IN AFRICA escapades envol
DÉCOLLAGE À BLAISE-DIAGNE
Filtrage des passagers à l’aéroport de Miami.
À 47 km de DAKAR, le nouvel aéroport souhaite devenir un hub régional.
palmarès
Montre-moi ton passeport…
SIPANY/SIPA - CARLEY PETESCH/AP/SIPA
Face aux difficultés liées à la LIBRE circulation, Kenya et Rwanda donnent l’exemple. « MIEUX VAUT être riche et Allemand que pauvre et Afghan. » Ceci n’est pas un proverbe, encore moins un jugement de valeur, mais le résultat de l’index Henley & Partners 2018 qui classe chaque année les pays en fonction de la liberté de circulation des citoyens. Numéro un, l’Allemagne, qui permet à ses ressortissants de voyager sans visa (ou d’en obtenir un à l’arrivée) dans 177 pays, suivie de Singapour (176) et d’une dizaine de pays dont la France et le RoyaumeUni (175). Résultats contrastés en Afrique : si les Seychelles (27e rang mondial), Maurice (32e) et l’Afrique du sud (52e) permettent de se rendre dans plus de 100 pays, Libyens et Somaliens, eux, ne peuvent en visiter que respectivement 36 et 32. La Sierra Leone, elle, connaît la meilleure progression en un an avec un bond de huit places (73e rang). À l’heure où la libre circulation des personnes connaît de sérieux tour de vis, le continent a compris la nécessité de faciliter les échanges et réduire les tracasseries administratives. Le Kenya a ainsi supprimé les formalités d’entrée dans les consulats africains : tous les ressortissants du continent se voient désormais remettre un visa à l’entrée du pays. Et depuis le 1er janvier 2018, c’est le Rwanda qui a adopté une politique inédite. Si le séjour ne dépasse pas 30 jours, Kigali attribue désormais un visa à l’arrivée pour tous les citoyens du monde. Sans exception. ■ Hedi Dahmani AFRIQUE MAGAZINE
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L’AIBD, qui s’étend sur 4 500 hectares, ambitionne d’accueillir 10 millions de passagers en 2035.
DIX ANS tout rond. Il aura fallu une décennie et bien des péripéties pour que l’aéroport international Blaise-Diagne de Diass (AIBD) voie enfin le jour. Lancé en décembre 2007 sous Abdoulaye Wade, le nouvel aérogare aura finalement été inauguré par Macky Sall le 7 décembre dernier. Avec un engagement financier dépassant les 600 millions d’euros, il faudra un peu de temps pour espérer un retour sur investissement. Mais l’infrastructure, qui souhaite devenir le hub central de la région (bien qu’éloigné de près de 50 km de la capitale), s’est donné les moyens d’y parvenir : cinq fois plus grand que l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor, pour le terminal passagers, l’AIBD a une capacité de traitement de 3 millions de voyageurs par an, extensible à 10 millions et de 50 000 tonnes, pour le terminal fret. Et une piste de 75 m de large permettra notamment d’accueillir l’A380. De quoi mieux accompagner un (petit) phénix qui veut renaître de ses cendres : la compagnie Air Sénégal, dont on attend beaucoup… ■ H.D.
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Babouches chic À Sidi Bou Saïd, Thouraya Ouahada REVISITE cet accessoire ancestral.
secrets de pro/Cotonou
FRANK KAYODE PROFESSION : tailleur traditionnel. SIGNE PARTICULIER : travaille vite. AM : Comment avez-vous commencé dans le métier ? Complètement par hasard et très jeune, dès l’école primaire. J’ai tout appris par moi-même. Mes parents n’aimaient pas ça, ils ont même voulu que je change de travail, mais j’ai persévéré. Et je ne le regrette pas. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette activité ? La mode, c’est ma grande passion. J’ai eu certaines difficultés à mes débuts mais j’ai tant d’amour pour ce métier qui a fait de moi ce que je suis… Un jour, j’aimerais devenir un grand styliste renommé dans toute l’Afrique. Mon rêve serait de voyager dans le monde entier pour montrer que je suis un Africain digne de ce nom et pour aider mes frères à progresser dans la mode. Où en êtes-vous maintenant ? Aujourd’hui, à 36 ans, j’ai ma boutique sur une grande avenue de Cotonou avec une bonne clientèle. Les étrangers aiment bien venir chez moi. Ils achètent le tissu au marché, passent à la boutique pour choisir le modèle et je leur livre les habits dans la journée. Récemment, j’ai créé des costumes de scène pour les 7 musiciens et les 20 choristes d’un spectacle, une belle expérience ! ■ propos recueillis par Loraine Adam
LA ROUTE de la soie passe par Sidi Bou Saïd ; c’est dans ce célébrissime village de la banlieue de Tunis que se niche Samarkand, la griffe de Thouraya Ouahada, une talentueuse touche-à-tout devenue depuis 2016 créatrice de babouches. Après différentes expériences dans l’audiovisuel ou le marketing et le monde associatif, la jeune femme se prend de passion pour la création de vêtements et accessoires ethniques ; démarre alors l’aventure de la balgha, babouche tunisienne. Elle revisite cet accessoire du patrimoine tombé en désuétude, l’habille de tissus précieux et chatoyants qu’elle déniche au gré de ses voyages. « Ce sont des tapis volants pour aller au bout des rêves », assure Thouraya, qui confie à un artisan réputé les finitions de ses créations cousues main. Séries limitées, déclinées au féminin et au masculin, à partir de 100 dinars (33 euros), font des babouches Samarkand, la pièce tendance du moment. Dans son showroom de Sidi Bou Saïd, entre créations multicolores et pièces de soie, c’est aussi le royaume des chats que recueille Thouraya. Et qui consacre 50 % de ses bénéfices à leurs soins avant de leur trouver une famille. ■ Frida Dahmani
SON CONSEIL : « Être patient »
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« À tous les jeunes qui veulent faire ce métier, je dis qu’il faut énormément d’amour et de patience. Il faut aussi aimer satisfaire la clientèle, être agréable avec elle et, bien sûr, avoir la tête sur les épaules ! »
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MADE IN AFRICA carrefours
C’est à deux pas de Wall Street (New York) que naîtra son prochain projet salué par la critique : un immeuble résidentiel haut de 243 m, conçu telle une plante amenée à grandir encore.
prix
Adjaye, architecte de l’année
Entre bâtiments publics, petits édifices ou gratte-ciels majestueux, le Britannique d’origine ghanéenne s’impose sur tous les continents. SIR DAVID Adjaye a encore frappé. Anobli par la reine d’Angleterre l’an dernier, seul de sa profession à figurer dans le top 100 des personnes les plus influentes du monde du magazine Time, l’architecte d’origine ghanéenne vient de se voir attribuer le Beazley Designs of the Year pour la réalisation du Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaine (NMAAHC) de Washington. Depuis sa création en 1989, c’est la deuxième fois seulement que ce prix, organisé par le Design Museum de Londres, est décerné à un bâtiment. Inauguré par Barack Obama en 2016, l’édifice de 39 000 m2, d’un montant de 480 millions d’euros, et financé pour moitié par des dons privés (Michael Jordan, Oprah Winfrey…), a notamment été salué pour ses références
historiques : la forme générale est inspirée d’un objet d’art classique yoruba nigérian ; et la ferronnerie est un hommage au travail des esclaves afro-américains au XIXe siècle. Né en Tanzanie d’un père diplomate ghanéen, David Adjaye, 51 ans, s’impose à l’international comme l’architecte de ce début de siècle. À son actif, le Centre Nobel de la paix à Oslo (2005), l’École de management de Moscou (2015) et des réalisations en cours à Londres, Denver, Doha… Jusqu’à Libreville où il réalise le bâtiment destiné à abriter la Fondation Sylvia Bongo Ondimba. Dernier projet salué par la critique : un gratte-ciel résidentiel de 66 étages, au rooftop culminant à 243 m où les plus chanceux (ou fortunés) profiteront d’une vue imprenable sur le pont de Brooklyn, à New York. ■ H.D.
LE LIEU : P.A.L. (PARIS-ABIDJAN-LISBONNE) Prenez un bon poulet des familles. Désossez-le. Grillez-le tout en le badigeonnant d’une sauce maison. Voilà une volaille à la portugaise. Accompagnez-la de frites de patate douce, banane plantain, tomates à l’ivoirienne ou attiéké, et vous voilà au P.A.L., le restaurant de poulet du quartier Montorgueil. À prix modeste (à partir de 9,5 €), on peut jouer les coqs en pâte… ■ H.D. 20 rue Tiquetonne, 75002 Paris restaurantpal.fr
C’EST QUOI ?
Lieu sympa pour amateurs de poulet.
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ET SINON ?
Le soir, tapas et bières à gogo. POUR QUI ?
Gourmands sans chichi. AFRIQUE MAGAZINE
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Ces œuvres aux formes irréelles, entre architecture et mode, avaient séduit Pierre Bergé.
créateur
Noureddine Amir
Le magicien des matières par Loraine Adam CE N’EST PAS UN HASARD si la plus haute distinction de la Chambre syndicale de haute couture française a été décernée en novembre dernier au créateur de mode marocain Noureddine Amir. À 50 ans, les portes de la cour des grands s’ouvrent devant cet artiste visionnaire, inconditionnel d’Yves Saint Laurent. Premier styliste du royaume chérifien à être ainsi récompensé, il aura l’honneur de présenter ses singulières robes-sculptures, aux côtés de 17 autres artistes sélectionnés et venus du monde entier, sur le podium Haute Couture de la prochaine Fashion Week, qui se déroulera à Paris du 1er au 5 juillet. La plus importante récompense du métier, décernée par Chanel, Christian Dior ou Jean Paul 100
Gaultier, « est un grand événement dans ma carrière. C’est un privilège d’être reconnu en tant que marocain, mais également un réel pari à relever ! » dit l’artiste né à Rabat et basé à Marrakech depuis 2002. Futuristes, instinctives, poétiques voire fantasmagoriques, ces robes-sculptures qui ont fait sa renommée semblent comme surgies des entrailles de la terre, des limbes, des cieux ou du futur. « Il lit dans les plis de la matière tout ce que ses ancêtres africains y ont déposé comme symboles, magie et amour », analyse Moulim El Aroussi, critique d’art, son compatriote et ami. Les matières premières sont brutes, organiques, végétaux. Le styliste a inventé une seconde peau AFRIQUE MAGAZINE
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JEAN MADEYSKI/STILL IMAGES - JEAN BERNARD YAGUIYAN
C’est le premier Marocain à participer au défilé HAUTE COUTURE de la Fashion Week parisienne. Il y montrera ses robes-sculptures, aussi futuristes qu’inspirées du savoir-faire ancestral de son pays.
MADE IN AFRICA fashion
LUC CASTEL - JEAN BERNARD YAGUIYAN
Laine sauvage, raphia, toile de jute, organza, feutre… Les tissus utilisés par le styliste pour créer des « secondes peaux » sont bruts, organiques.
en apprivoisant laine sauvage, raphia, toile de jute, organza, feutre et même éclats de cannelle…L’artisanat et le savoirfaire ancestral de son pays d’origine lui ont livré tous leurs secrets pour réaliser ces œuvres aux formes irréelles. La carrière de cet artiste, aujourd’hui présent sur les podiums et les écrans, dans les musées et les théâtres, a démarré à New York. Costumier pendant un an pour l’industrie du cinéma, il restera juste le temps de se faire remarquer avec ses premières « sculptures à porter ». De retour à Casablanca, il expose dans diverses galeries, puis repart à Paris pour y suivre les cours de L’École supérieure des arts et techniques de la mode (Esmod) dont il sortira diplômé en 1996. Il collabore ensuite avec l’artiste iranienne Shirin Neshat. En 1999, ils créent les costumes d’un film intitulé Rapture qui remporte le premier prix de la Biennale de Venise. Ce n’est qu’en 2000 qu’il décide de retourner dans son pays natal. Depuis 2003, le Musée de la mode d’Anvers (MoMu) expose ses robes et le Palais des Beaux-Arts de Lille les a, quant à lui, accueillies en 2004. Mais, c’est en 2014, à l’Institut du monde arabe, que tout s’est précipité pour Noureddine Amir lors de l’exposition « Maroc contemporain », qui a rencontré un vif succès public. Pierre Bergé tombe sous le charme de ses créations aux parfums étranges et lui offre en 2016, une exposition-rétrospective à la fondation qu’il a créée avec Yves Saint Laurent à Paris. Sur cette belle lancée, du 23 février au 22 avril 2018, la Fondation Jardin Majorelle à Marrakech, toujours fidèle à sa mission de promotion du patrimoine marocain, présentera ses œuvres au musée Yves Saint Laurent, sous la houlette de Hamid Fardjad, commissaire de l’exposition, et du scénographe Christophe Martin. Noureddine Amir suit les traces de son maître, « révolutionnaire pour avoir libéré le corps de la femme ». Il pare les amazones des temps modernes, libres, fortes, différentes, de lignes irréelles, magistrales, cinématographiques, théâtrales, spectrales... Toutes uniques. Toujours en majesté. « Un artiste qui ne copie personne », disait Monsieur Pierre Bergé. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Pour s’offrir ces pièces d’exception, trois adresses à Marrakech : la boutique 33 Majorelle et les hôtels Royal Mansour et Amanjena. 101
Ne plus fumer : le voulez-vous vraiment ? ARRÊTER de fumer est un défi, et la première clé pour y parvenir est d’en avoir envie. On peut prendre cette décision pour préserver sa santé, bien sûr, mais aussi pour se libérer d’une dépendance qui pèse. Même avec la meilleure volonté, ce n’est pas toujours facile. Mieux vaut donc utiliser les bons moyens et, pourquoi pas, se fixer le challenge d’un mois sans tabac… Cela multiplie par cinq les chances d’arrêter définitivement, car après 30 jours d’abstinence, la dépendance est bien moins forte, on est plus serein, et on respire déjà beaucoup mieux !
Multiplier les aides Premier point important : on se fait aider par son médecin ou un tabacologue, afin d’avoir une prise charge adaptée. Un grand nombre de fumeurs ne consultent pas 102
de professionnel de santé… Mais ceux qui franchissent le pas ont jusqu’à quatre fois plus de chances de réussir. Les traitements pour l’aide au sevrage sont légion. À commencer par les substituts nicotiniques (patchs, gommes à mâcher, comprimés…) qui comblent le manque de nicotine : ils soulagent l’envie de fumer, mais aussi l’irritabilité, les difficultés de concentration… Associer plusieurs substituts est plus efficace : un patch qui diffuse la nicotine doucement de façon continue, avec des gommes ou comprimés qui la délivrent rapidement en cas de forte envie. Sachez toutefois que pour ces derniers : il ne faut pas boire de café ou de jus de fruits avant et pendant leur prise, car cela en réduit l’action. Il existe aussi des inhalateurs : ressemblant à une cigarette, leur intérêt est surtout dans le geste. Pour tout substitut, le conseil médical est capital AFRIQUE MAGAZINE
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Une bonne résolution cette année : se libérer une fois pour toutes de la dictature du TABAC. Dès la décision prise, on peut vraiment mettre toutes les CHANCES de son côté. Voici quelques pistes pour triompher.
VIVRE MIEUX forme & santé
pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
pour juger du dosage suffisant. Et du côté de la cigarette électronique ? Désormais considérée comme une aide, il est établi qu’elle est bien moins nocive que la cigarette, et peut faciliter le passage au sans tabac : les « vapoteurs » réussissent plus souvent à arrêter de fumer que les autres. Là encore, le dosage en nicotine doit être suffisant. Au besoin, le médecin peut prescrire un médicament tel que la varénicline, diminuant les symptômes de sevrage et le plaisir de fumer. Ou orienter vers d’autres méthodes selon le profil de chacun, comme l’acupuncture, qui réduit l’envie, ou l’hypnose, qui amplifie le désir d’arrêter. Il ne faut négliger aucune piste ! Et pourquoi pas essayer l’inhalateur Olfactab, qui associe cinq huiles essentielles favorisant la désaccoutumance, la quiétude, et donc le sevrage : des tests ont montré 65 % d’arrêt au bout d’un mois.
Après le réveil, mieux vaut faire le plein… et de préférence avec des produits sains !
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Des conseils à mettre à profit Afin d’atteindre son objectif, il est capital de se faire confiance. Au début, il faut se valoriser en étant fier des jours sans cigarette, de ses efforts ; cela donne de l’énergie pour continuer. Et se trouver des piliers sur lesquels s’appuyer. En plus du suivi médical, il est essentiel d’avoir un proche qui apporte son soutien de près : quelqu’un à qui on peut se confier, et qui rebooste, surtout le premier mois. On peut par ailleurs utiliser une application mobile qui propose un suivi (par exemple, celle de Tabac Info Service), ou rejoindre un réseau social d’entraide. Parallèlement, il est conseillé de changer son mode de vie, d’être actif, de participer à des activités en groupe : cela constitue une aide précieuse. Se tourner vers l’exercice physique fait du bien, apporte du plaisir et aide à tenir. La relaxation, le yoga, permettent de lâcher prise, de lutter contre le stress et la nervosité liés au sevrage. Si l’arrêt du tabac entraîne souvent une prise de poids, ce n’est pas pour autant le moment de commencer un régime : ce serait s’infliger une double souffrance. Il faut veiller à avoir une alimentation équilibrée, avec une bonne quantité de protéines, qui agissent comme coupe-faim. Si on prend quelques kilos, inutile de dramatiser : au bout d’un an, en général, ils disparaissent. Enfin, on ne s’effondre pas en cas de rechute, car il est difficile d’arrêter à la première tentative. On se dit que si d’autres, pourtant grands fumeurs, y sont arrivés, on le peut aussi ! On essaie à nouveau sans tarder. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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PETIT-DÉJEUNER, C’EST ESSENTIEL
Faire L’IMPASSE sur le repas du matin ? Grave erreur… ON DIT traditionnellement que le petit-déjeuner est le repas le plus important de la journée. Des travaux scientifiques récents vont bel et bien dans ce sens ! Ainsi, une étude israélienne, publiée dans la revue Diabetes Care, montre que ne pas s’alimenter au réveil a des effets négatifs sur les fonctions de l’organisme, tout au long de la journée : cela dérègle les horloges biologiques, peut favoriser une prise de poids, et une augmentation de la glycémie, donc exposer à un risque de diabète. Et ce, même sans manger davantage lors des autres repas. Chez les personnes déjà diabétiques, la même étude constate que le petit-déjeuner est essentiel pour mieux contrôler son taux de sucre dans le sang. D’autre part, d’après une étude espagnole (parue dans le Journal of the American College of Cardiology), se passer de petit-déjeuner ou manger très peu à ce repas est associé à un risque accru de dépôts de plaques graisseuses dans les artères. Et à l’inverse, les personnes mangeant le matin ont aussi une tension artérielle plus correcte. ■ 103
5 bons réflexes
pour retrouver son énergie C’est la période de l’année où on peut se sentir un peu à plat. NOS CONSEILS pour repartir du bon pied.
1
Rééquilibrer ses repas.
L’alimentation moderne, avalée sur le pouce, malmène notre organisme, et entraîne souvent des carences en vitamines et minéraux. La solution : revenir à des menus diversifiés, riches en fruits et légumes, en oméga 3 (huiles, poissons), avec pas trop de graisses animales, et le moins possible de sucres et d’aliments industriels. Buvez aussi de l’eau régulièrement tout au long de la journée, et évitez les excès de café ou boissons énergisantes qui dopent sur le moment, mais engendrent une fatigue ensuite. Ainsi, il ne faudra pas longtemps pour vous sentir mieux.
2
Être à l’écoute de son cor ps.
Il n’y a pas de secret… Quand l’organisme est épuisé, il faut lui accorder du repos, avec des nuits assez longues : quand on a tendance à se coucher tard, la mélatonine peut aider à trouver le sommeil plus tôt. En revanche, mieux vaut oublier la grasse matinée, peu efficace pour récupérer, car on ne dort pas profondément. D’autre part, il faut savoir lever le pied, s’accorder des moments de détente, sans chercher à tout faire à la maison, au jardin… C’est indispensable pour mieux gérer le stress, et l’épuisement qu’il peut induire.
3
Aller prendre l’air.
Si possible au vert. Une belle balade dans la nature permet d’oxygéner l’organisme, et de regagner en énergie. En plus, voir la lumière du jour est capital quand on travaille en intérieur : elle régule notre horloge biologique, notre humeur, canalise notre fatigue.
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Miser sur l’activité physique.
Cela n’épuise pas davantage, bien au contraire ! Elle est énergisante, et permet de combattre un état de fatigue généralisée assez rapidement. En plus, elle aide à mieux dormir. Il faut seulement ne pas en faire trop tard le soir, car cela peut retarder l’arrivée du sommeil.
5
S’aider d’un coup de pouce si besoin.
Si vous mangez varié comme conseillé, vous n’avez pas spécialement besoin d’un cocktail vitaminé. Misez sur le ginseng, racine idéale pour rebooster : faites une cure de quinze jours. Et si le stress vous submerge, prenez du magnésium pendant deux mois pour remonter vos réserves épuisées. ■
CUISINER PLUS SAINEMENT
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Bisphénol, aluminium, silicone, téflon, phtalates… Tous ces éléments qui peuvent engendrer une toxicité, nous envahissent. L’ouvrage Opération détox dans ma cuisine vous propose de découvrir ce qui se cache dans vos ustensiles, plats, et emballages, et d’apprendre à bien choisir vos contenants. Il vous conseille également sur les modes de cuissons à privilégier ou les manières de conserver les aliments sans risque. Vous trouverez aussi plein de repères pour vous alimenter sainement. Opération détox dans ma cuisine, par Romain Morlot, éditions Eyrolles, 17,90 euros.
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LA MARCHE, UN TRAITEMENT DE CHAMPION
VIVRE MIEUX forme & santé
C’est bon pour la ligne, la circulation sanguine, le moral… Se balader est ESSENTIEL. UNE PROMENADE de santé, un vrai médicament… Voilà comment on peut qualifier la marche active, c’est-àdire d’un bon pas, au vu des données qui s’accumulent. Marcher vite en balançant bien les bras permet de muscler et tonifier son corps, et de dépenser des calories : c’est tout bénéfice pour la silhouette et le poids. Mais ce n’est pas tout : en luttant contre la sédentarité, cette activité permet d’être en meilleure santé ! En effet, elle peut prévenir bien des maladies. D’abord, sur le plan cardiovasculaire : une marche de 30 minutes par jour peut abaisser la tension artérielle et diminuer le risque d’hypertension, même en cas d’antécédents familiaux. Cela peut aussi éloigner le diabète, d’autant plus si on se promène après les repas. Autres bonus : la marche améliore la circulation veineuse, peut endiguer la sensation si pénible de jambes lourdes, et l’apparition de varices. Côté os et articulations, elle est excellente pour se protéger de l’ostéoporose avec l’âge, et entretenir ses cartilages en cas d’arthrose. Il a également été montré qu’elle peut aider à la prévention de divers cancers (sein, côlon, prostate). Enfin, côté psychisme, elle fait le plus grand bien ! Parce que comme le sport, elle permet de libérer des endorphines, molécules agissant sur le mental et le sentiment de bien-être. Ainsi, elle aide à lutter contre le stress, les baisses de moral et les états dépressifs. Alors, on chausse de bonnes chaussures, on s’y met si possible au moins trente minutes par jour, et dans l’idéal cinq heures par semaine. ■
EN BREF
SHUTTERSTOCK
BOIRE « LIGHT » ? ATTENTION…
Les boissons allégées sont consommées souvent en bonne conscience, car à base d’édulcorants. Ils ne sont malgré tout pas anodins… Une étude parue dans la revue américaine Obesity Facts montre un lien entre leur consommation et le développement du surpoids. Plusieurs hypothèses sont avancées : les édulcorants augmenteraient la sensation de faim, réduiraient la sécrétion des hormones de la satiété, ou encore perturberaient le microbiote. Mieux vaut les limiter ! AFRIQUE MAGAZINE
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377 – FÉVRIER 2018
REFROIDISSEMENT, ÉTAT GRIPPAL : LES BONS REMÈDES DE GRANDS-MÈRES
Naturels et SIMPLES, ils permettent de remonter la pente plus vite. DÈS QU’ON sent qu’on a pris froid, qu’on couve quelque chose, il faut contre-attaquer aussitôt. Pour cela, deux stratégies gagnent à être associées. D’abord, misez sur le citron chaud : c’est une boisson anti-infectieuse, antiinflammatoire, et en outre tonifiante. N’hésitez pas à en consommer trois tasses par jour. Et en plus, prenez un produit de la ruche. Ce peut être du miel. Encore plus efficace pour stimuler les défenses immunitaires : la gelée royale qui, d’antan, était donnée en prévention à l’arrivée de la mauvaise saison car très concentrée en vitamines, oligo-éléments et acides aminés. La bonne dose : une petite cuillère chaque matin, qu’il est possible de mélanger à un peu de jus de fruits pour masquer sa saveur âcre. Et quand un état grippal ou infectieux est déclaré ? Vous pouvez continuer le citron chaud, en ajoutant lors de la préparation quatre clous de girofle (à enlever ensuite), aux propriétés antivirus. Côté tisanes, essayez la suivante : mélangez à parts égales de la reine-des-prés, des fleurs de sureau et de tilleul, et laissez infuser 10 minutes dans l’eau bouillante. Ou plus simple, faites une tisane de thym avec de la cannelle. Autre bon remède de grand-mère pour anéantir les microbes, ce « grog » sans alcool : faites bouillir pendant 10 minutes de l’eau (pour une tasse) avec un bâton de cannelle, quatre clous de girofle, et une pincée de thym. Laissez un peu tiédir, ajoutez le jus d’un citron et un peu de miel, puis filtrez avant de boire. ■ 105
LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian
Valérie Ékoumè
2. Votre destination favorite ? Le Japon ! Une culture tellement différente, un dépaysement total ! J’ai été impressionnée par leur discipline, leur sens de la propreté, et ces coiffeuses dans les WC publics ! 3. Votre dernier voyage ? Londres, pour assurer l’ouverture des concerts de Manu Dibango au Ronnie Scott’s. J’ai kiffé ! 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? De la crème pour les mains. 5. Un morceau de musique ? « Flamenco Sketches » de Miles Davis. Et l’album R.E.D de la chanteuse nigériane Tiwa Savage. 6. Un livre sur une île déserte ? Mon bel oranger de José Mauro de Vasconcelos. L’histoire d’un petit garçon pauvre au Brésil, qui devient ami avec un oranger. Il m’a fait pleurer… 7. Un film inoubliable ? La Couleur des sentiments de Tate Taylor. Une histoire de femmes, universelle, qui aborde la détermination face aux difficultés, le travail en commun… 106
8. Votre mot favori ? Amour ! Sinon je dis tout le temps « p… ! » Mais il faut que je me calme car ma fille de 3 ans et demi commence à comprendre ! (rires) 9. Prodigue ou économe ? Je suis un vrai panier percé ! Je n’arrive pas à me raisonner. 10. De jour ou de nuit ? De jour. Et quand je compose, c’est jusque tard dans la nuit. 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Coup de fil, la relation directe. Twitter m’intrigue, je l’utilise de plus en plus,
Instagram aussi. Facebook me convient moins, mais je ne peux pas le délaisser car ma communauté m’y suit de manière assidue. 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Rester dans mon lit, bien au chaud, à regarder des films. 13. Votre extravagance favorite ? Ma folie, je l’exprime sur scène. Mais dans la vie, je ne suis pas extravagante. 14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Je voulais accomplir quelque chose de spécial, sans savoir quoi exactement. 15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Miriam Makeba ! Ce qu’elle représente, sa voix, son combat, sa carrière, son charisme… Elle m’a aidé à savoir qui je voulais être.
16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? La nourriture, sous toutes ses formes ! De l’ekoki camerounais au hamburger bien gras avec des onion rings en passant par les sushis ! 17. Votre plus beau souvenir ? En octobre, quand on a emmené notre fille au Cameroun pour la première fois. Impressionnant de la voir s’épanouir, rencontrer sa grand-mère, nos familles, fouler la terre de ses parents et grands-parents. Et elle a raffolé des brochettes soya ! 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? J’y vis déjà : à la campagne, en Haute-Saône, en FrancheComté. J’aime le calme, la nature. Je respire. Et ça me fait faire beaucoup d’économies car les magasins ferment entre midi et deux ! (rires) 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Un jour, en rentrant à la maison, j’ai trouvé une bague sur la table. Depuis l’étage, mon amoureux m’a dit : « Ça y est chérie, on est fiancés ! » 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Que j’ai aimé promouvoir les relations entre les gens, que j’étais une soldate de l’amour. ■ *Valérie Ékoumè, Kwin Na Kinguè, Val2ValProd/In Ouïe Distribution.
AFRIQUE MAGAZINE
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377 – FÉVRIER 2018
YANNICK LECONTE
1. Votre objet fétiche ? Une bague offerte par mes élèves de chant, que je mets à tous mes concerts. Un rappel de l’amour qu’ils m’ont donné.
Ancienne choriste de Manu Dibango, la chanteuse camerounaise sort un deuxième album* d’afropop chamarré et dansant, en douala, lingala ou portugais, placé sous le signe de l’amour universel. À découvrir sans modération.
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ORGANISATEURS
PARTENAIRES PLATINUM
PARTENAIRE RÉGION
Société d’Etat créée en 2012, Togo Invest Corporation S.A. (Togo Invest) est l’un togolais. Par sa création, le Togo a voulu initier une
Au titre de ces réalisations, Togo Invest compte plusieurs études et travaux en lien avec la faisabilité de projets d’infrastructure, notamment la réalisation d’une
approche novatrice et ciblée visant l’accélération de
nouvelle ligne de chemin de fer Nord – Sud à écartement
la croissance économique et le développement de
standard, le développement du Port de Lomé, ainsi que
l’économie togolaise.
le potentiel minier.
des acteurs stratégiques et économiques clé de l’Etat
Cette approche est centrée sur le développement d’un corridor moderne de logistique et de développement qui
Par ailleurs, les initiatives entreprises par l’Etat togolais pour doter sa Holding d’actifs productifs de revenus, notamment fonciers et immobiliers, lui permettront sur le moyen et le long terme de renforcer son bilan et de
aura vocation à servir aussi bien l’économie nationale
mettre en place des investissements majeurs dans les
que celle des pays voisins, en particulier les pays de
secteurs clé de développement de l’économie togolaise.
l’hinterland. Ce Corridor confortera le rôle privilégié
de développement et contribuer à bâtir une économie
Pour 2018 et dans les 5 prochaines années à venir, Togo Invest entend poursuivre le développement de projets stratégiques dans la droite ligne de la politique nationale de l’Etat – Actionnaire et conformément à son objet.
forte et dynamique pour le bien être de la population
Suivant les lignes directrices de l’Etat – Actionnaire,
togolaise.
Togo Invest s’attèlera à accentuer ses efforts pour
de la place du TOGO comme un hub multimodal et multidimensionnel. Togo Invest constitue pour l’Etat, le véhicule financier privilégié appelé à nouer des partenariats stratégiques dans divers secteurs clé pour la réalisation effective de ce projet de corridor
Doté d’un capital social de 20 milliards de franc CFA, Togo Invest a pour objet, entre autres, de :
conduire et/ou participer aux grands projets prioritaires d’investissements tel que définis par l’Etat – Actionnaire dans les secteurs de la logistique, des infrastructures et de l’énergie.
Mener les activités d’une société de portefeuille d’investissement afin d’atteindre les objectifs de développement de l’économie togolaise ; Investir dans des actifs et prendre des participations sous forme d’actions, majoritaires ou minoritaires, de créer des co-entreprises avec des sociétés nationales et/ou étrangères conformément à son objet ; Concevoir et élaborer des mécanismes de financements et de partenariats efficaces en vue d’implanter la vision stratégique du corridor de développement du Togo.
Avenue Duisburg 43 QAD - BP. 7633 Lomé TOGO +228 22 23 12 80 +228 22 23 12 81 info@togoinvestcorp.com
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