ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
AFRIQUE MAGAZINE EN TE VENTE QUE CHAQUE S MOIS
Transition
L’Angola après Dos Santos Maroc Le grand malaise des femmes
Algérie L’urgence
de se réinventer!
Portrait Leïla Menchari, la voyageuse du temps
Faure Gnassingbé, Ali Bongo, Joseph Kabila et les autres...
Présidents de père en fils Enquête sur ces héritiers particuliers, élus ou « désignés », qui incarnent le pouvoir de la famille et du clan.
Foot
KYLIAN MBAPPÉ Le talent à l’état pur
Pop star
JAY-Z, maître du music business
Faure Gnassingbé, président du Togo depuis 2005.
N° 373 – OCTOBRE 2017
M 01934 - 373 - F: 4,90 E - RD
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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ÉDITO par Zyad Limam
LES FILS, LEURS PÈRES
ET LE POUVOIR
L
e pouvoir de père en fils, plus rarement de père en fille, l’héritage, sont des mécanismes presque aussi vieux que l’humanité. Le clan, la filiation, la transmission font partie de nos gènes. Dans le monde de l’argent et du business, les choses sont simples en théorie, la propriété privée règle la question. Et encore, les conflits familiaux peuvent être d’une violence légendaire, s’étaler sur deux ou trois générations… Dans la sphère publique et celle du pouvoir d’État, on entre en zone trouble. Officiellement, le pouvoir n’appartient à personne, ou, pour être plus précis, il appartient aux citoyens, au peuple. En pratique, ceux qui sont au sommet peuvent être tentés de s’entourer de fidèles, et quoi de plus simple, de plus efficace pour être en confiance, partager des secrets, pour se protéger, que sa propre descendance. Sachant qu’il y a des exceptions notables, en particulier le fameux « tu quoque mi fili » (toi aussi, mon fils) adressé par César à Brutus en train de le poignarder… Bref, dans les coulisses du pouvoir, les enfants sont nombreux. Ils ont un rôle majeur d’influence. Ils sont ceux qui peuvent entrer dans le bureau, ou qui en tiennent les accès. Ceux qui peuvent décoder la carte affective du « patron ». Parfois, ils deviennent « patrons » à leur tour. Ils « héritent » d’une manière ou d’une autre. Par l’histoire, par les urnes, parce qu’ils ont appris, dès l’enfance, à aimer la politique, ou par cynisme, par volonté de contrôler les avantages acquis, la puissance… L’affaire n’est pas qu’africaine : on pense à Justin Trudeau au Canada, fils de Pierre Elliott Trudeau. On peut penser à la dynastie des Bush aux États-Unis (George and George W.). À la dynastie des Gandhi en Inde, celle des Bhutto au Pakistan, celle des Lee à Singapour, à celle, nettement plus contestable, des Kim en Corée du Nord (voir page 66). Mais en Afrique, où la question démocratique et les impératifs de gouvernance se posent avec une acuité particulière, le débat est essentiel (voir notre cover story page 28). Être « le fils » implique forcément, et sans faire trop de psychanalyse, une charge, une responsabilité, celle du lignage, de la famille. On ne peut pas s’exempter du nom que l’on porte (sauf évidemment à changer entièrement de monde, de métier, de vie, partir sur d’autres aventures). Un « fils de… » peut certainement être président. Pourquoi en serait-il de facto exclu ? Mais, dans ce cas, il faut le mériter, plus que d’autres encore. Un fils devra faire « mieux ». En termes de résultats, d’efficacité, de développement. Être élu, vraiment, passer les urnes, dans un processus le plus transparent possible. Être adoubé par les citoyens et non pas par le clan. Agir en démocratie, et non pas en oligarchie, où le pouvoir se concentre entre les mains de quelques-uns. Accepter aussi et surtout l’alternance, de rendre un pouvoir qui ne vous appartient pas. Au fond, les choses sont assez claires. Il n’y a pas de délit de patronyme ou de progéniture, il ne peut y avoir que des délits de mal-gouvernance, de détournement de démocratie. L’Afrique n’est plus celle de nos aînés. Elle change. Elle exige plus de modernité, plus de pluralisme. Un « grand fils de » doit pouvoir quitter le palais. Être autre. Se consacrer à des tâches différentes et tout aussi essentielles. Favoriser le changement. Être un passeur, un transmetteur, au lieu de s’inscrire dans une interminable et stérile continuité. Aujourd’hui, l’Afrique compte, à l’exception des successions monarchiques, six chefs d’État ou de gouvernement (exécutif) qui sont des fils de chef. Dans trois cas, leur autorité est fortement contestée (Togo, Gabon, RD Congo). Dans un quatrième, la justice a invalidé le processus électoral (Kenya)… Des « statistiques » qui ne sont pas anodines. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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373 – OCTOBRE 2017
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SOMMAIRE Octobre n° 373 AFRIQUE MAGAZINE
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
EN VENTE CHAQUE MOIS
Algérie
Transition
L’urgence de se réinventer!
L’Angola après Dos Santos
Leïla Menchari, la voyageuse du temps
KYLIAN MBAPPÉ Le talent à l’état pur
Faure Gnassingbé, Ali Bongo, Joseph Kabila et les autres…
Pop star
Présidents de père en fils
Maroc
FEMMES, LE GRAND MALAISE
Libertés, violences, pressions sociales… De Casablanca à Marrakech en passant par Tanger, AM est allé à leur rencontre.
N° 373 – OCTOBRE 2017
M 01934 - 373 - F: 4,90 E - RD
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
Femmes, le grand malaise
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EN VENTE CHAQUE MOIS
Portrait
Leïla Menchari, la voyageuse du temps
ÉDITO Les fils, leurs pères et le pouvoir par Zyad Limam
ON EN PARLE
AFRIQUE MAGAZINE
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
Maroc
3
JAY-Z, maître du music business
Faure Gnassingbé, Transition Ali Bongo, Joseph L’Angola après Kabila et les autres… Dos Santos
Écrans : les démons de Detroit
12
Musique : Ibeyi, soul sisters spirituelles par Sophie Rosemont
14
Agenda : Le meilleur de la culture
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PARCOURS Mariame Tighanimine par Catherine Faye
19
C’EST COMMENT ? Le cercle non-vertueux par Emmanuelle Pontié
Alger, le quartier de Bab-el-Oued.
ET SI L’ALGÉRIE SE RÉINVENTAIT! Le pays fait face à une crise multiple : succession, économie, écologie… Des défis immenses. Mais aussi de grandes opportunités pour demain.
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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
N° 373 – OCTOBRE 2017
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AFRIQUE MAGAZINE EN TE VENTE CHAQUE QUE MOIS S
Transition
L’Angola après Dos Santos Maroc Le grand malaise des femmes
Algérie L’urgence de se réinventer!
Portrait Leïla Menchari, la voyageuse du temps
Faure Gnassingbé, Ali Bongo, Joseph Kabila et les autres...
Présidents de père en fils Enquête sur ces héritiers particuliers, élus ou « désignés », qui incarnent le pouvoir de la famille et du clan.
56
CE QUE J’AI APPRIS Raoul Peck par Astrid Krivian
98
VINGT QUESTIONS À… Roukiata Ouedraogo par Astrid Krivian
Foot
KYLIAN MBAPPÉ Le talent à l’état pur
Pop star
JAY-Z, maître du music business
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PHOTOS DE COUVERTURE : MAROC : SHUTTERSTOCK ALGÉRIE : ALESSANDRO COSMELLI/CONTRASTO/REA INTERNATIONALE : VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/REA
6
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Perspectives : Réinventer l’Algérie ? par Akram Belkaïd
48
Reportage : l’Angola, après JES par Estelle Maussion
58
Centrafrique, la nation improbable par Sabine Cessou
62
Kylian Mbappé : la France-Afrique a un incroyable talent ! par Hugues Berthon
66
Corée du Nord, voyage chez Kim par Jean-Louis Gouraud
72
Portrait : Jay-Z, maître du star business par Sophie Rosemont
Faure Gnassingbé, président du Togo depuis 2005.
N° 373 – OCTOBRE 2017
Pouvoir : au nom du fils par Sabine Cessou, Hedi Dahmani, Zyad Limam et Emmanuelle Pontié
par Jean-Marie Chazeau
Présidents de père en fils
Maroc : femmes, le grand malaise par Fouzia Marouf
28
Livres : Kaouther Adimi, le pouvoir des mots par Catherine Faye
10
TEMPS FORTS 20
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Portfolio : Miroirs arabes par Hedi Dahmani
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Portrait : Leïla Menchari, les voyages de la « Reine Mage » par Catherine Faye
AFRIQUE MAGAZINE
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373 – OCTOBRE 2017
MARCO LONGARI/AFP - LAURENCE GEAI NURPHOTO/ZUMA/REA
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Portrait
AFRIQUE MAGAZINE
FONDÉ EN 1983 (33e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR GÉNÉRAL ET RÉDACTEUR EN CHEF
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Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION
Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION
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Alexandra Gil RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE EN CHARGE DES ÉDITIONS NUMÉRIQUES agil@afriquemagazine.com
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Éléonore Quesnel
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SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
Escapades : l’autre Bruxelles par Sabine Cessou
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Yennenga, un air de futur
arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, Hugues Berton, Sabine Cessou, Astrid Chacha, Jean-Marie Chazeau, Véronique Cheneau, Catherine Faye, Jean-Louis Gouraud, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Estelle Maussion, Sophie Rosemont.
par Loraine Adam
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Fashion : Teddy Ondo Ella, funky Africa ! par Loraine Adam
VIVRE MIEUX 94 95 96 97
VIVRE MIEUX
Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
Migraines : comment y mettre fin Micro-ondes : la mauvaise réputation Ne maltraitez plus vos dents ! Aliments industriels : modérer la « malbouffe »
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles. VENTES
p. 76
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Commission paritaire : 0219 / I 856 02. Dépôt légal : octobre 2017.
p.92
AFRIQUE MAGAZINE
I 373 – OCTOBRE
2017
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2017.
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Avec son troisième roman en lice pour les GRANDS PRIX LITTÉRAIRES, l’auteure algérienne impose une œuvre entre fiction et RÉALITÉ. par Catherine Faye ON LA DIRAIT sortie d’un film de fantasy, yeux gris-vert, regard perçant, grande bouche aux contours parfaitement dessinés, longues mèches rebelles. Cependant, cette héroïne du XXIe siècle brille par bien autre chose que des pouvoirs surnaturels. Et ses talents font entrer aujourd’hui la jeune romancière dans l’arène des plus prestigieux prix littéraires français. Lorsqu’elle parle, Kaouther Adimi, 31 ans – elle en paraît dix de moins –, pétille, s’emballe, affiche un goût contagieux pour les mots et la littérature. Dans son dernier roman, un hymne au mythique éditeur Edmond Charlot, elle met en lumière leur rôle et leur nécessité. D’ailleurs, d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours aimé se plonger dans la lecture. Elle grandit portée par les histoires, entre l’Algérie, son pays natal, et la France. Mais lors d’un retour avec sa famille en Algérie, en 1994, c’est la guerre civile, le terrorisme sévit. Menacés, parfois assassinés, la plupart des libraires ont mis la clé sous la porte et il y a très peu de livres. Qu’à cela ne tienne, Kaouther se met à écrire… pour pouvoir lire ensuite ses propres textes. Elle a 8 ans. Douée, passionnée, curieuse, la future romancière n’en est qu’à ses débuts. Diplômée en lettres modernes et en management international des ressources humaines, elle s’installe à Paris en 2009, travaille comme responsable des ressources humaines dans une entreprise de luxe et ne cesse d’écrire. Elle est très vite publiée en France. Ses deux premiers romans L’Envers des autres (Actes Sud, 2011) et Des Pierres « NOS RICHESSES »,
Kaouther Adimi,
Seuil, 224 p., 17 €. 8
dans ma poche (Seuil, 2016) sont remarqués et paraissent également en Algérie chez Barzakh, la maison d’édition de Kamel Daoud. Ce troisième roman, Nos Richesses, la propulse sur la scène littéraire. Elle y fait revivre l’épopée du libraire, éditeur et bibliothécaire Edmond Charlot (1915-2004) et de sa minuscule boutique algéroise ouverte en 1936, baptisée Les Vraies Richesses en hommage à Giono. La romancière, qui refuse de figer son identité dans un seul pays, ancre ainsi son récit dans Alger, « une ville pour laquelle [elle a] une espèce de fascination parce que c’est le lieu où [elle retournera] toujours ». Comment en a-t-elle entendu parler ? Un peu par hasard, raconte-t-elle. « C’est en me promenant que je suis tombée sur ce tout petit local qui existe toujours au 2 bis, rue Hamani. » Sur la porte vitrée, ces mots : « Un homme qui lit en vaut deux. » Et derrière la vitre, une photo en noir et blanc avec une seule indication : Edmond Charlot. Elle sait qu’il a été le premier éditeur de Camus. C’est tout. Intriguée, elle se plonge alors dans les archives, fouille, cherche, rencontre les gens qui l’ont connu, relit les textes des écrivains qu’il a publiés, SaintExupéry, Kateb Yacine, André Gide, Vercors, se fond dans la vie de ce passionné de littérature, dont la vocation est de promouvoir de jeunes écrivains de la Méditerranée. Et se lance dans une exofiction (biographie s’autorisant des inventions) où elle met en scène des personnages réels et d’autres fictifs. Un roman traversé par deux temporalités. Celle de Charlot, des années 30 aux années 60, et celle de Ryad, jeune étudiant de passage à Alger avec la charge de repeindre un local… où les livres céderont bientôt la place à des beignets. Kaouther Adimi fait ainsi entrer Les Vraies Richesses dans la légende et accède à la cour des grands. ■ AFRIQUE A AF AFR FR FR RII QU QU QUE UE E MAG MAGA MAGAZINE G A ZINE I NE E
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PATRICE NORMAND/OPALE/LEEXTRA VIA LEEMAGE
Kaouther Adimi Le pouvoir des mots
ON EN PARLE livres roman FASCINANTE MÉGALOPOLE À TRAVERS les apprentissages de Mevlut, marchand ambulant à Istanbul, Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature, explore tous les contrastes de la Turquie contemporaine. Le cheminement de son héros, paysan venu d’Anatolie dans les années 60, raconte la métamorphose et l’émergence, ces cinquante dernières années, de la fascinante mégalopole. Nouvelles mœurs, coups d’État
« CETTE CHOSE ÉTRANGE EN MOI »,
Orhan Pamuk,
Gallimard, 688 p., 25 €. militaires, émeutes, montée de l’islamisme, c’est un livre profondément politique. Mais aussi une fresque captivante, rivée à une question : que signifie être né à tel endroit du monde et à tel moment de l’histoire ? ■ C.F.
en images
NORDINE KADRI
TROUPES AFRICAINES, ENTRE STÉRÉOTYPES ET PRÉJUGÉS ALORS que la Première Guerre mondiale est sur le point d’éclater, plus de 140 000 Africains sont enrôlés par l’armée française. Pour rassurer l’opinion publique, des millions de cartes postales sont éditées durant la guerre. Qu’y voit-on ? Des combattants noirs farouches, loyaux à la mère patrie et sans danger pour les citoyens. C’est cette campagne de AFRIQUE MAGAZINE
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« WITH A WEAPON AND A GRIN »,
Stephan Likosky,
Schiffer Publishing Ltd, 128 p., 30 €. propagande historique que présente l’ouvrage (en anglais) à travers 150 images saisissantes, mettant enfin en lumière un aspect méconnu de la Grande Guerre. ■ C.F.
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3 questions à… ISABELLE BONI-CLAVERIE, « TROP NOIRE POUR ÊTRE FRANÇAISE » AM : Après un documentaire réalisé en 2015, vous publiez un essai portant le même titre. Quelle a été votre motivation ? I.B.-C. : Après la diffusion du documentaire sur Arte, j’ai reçu des témoignages, de jeunes, de femmes, me demandant comment dépasser la discrimination, le déterminisme. J’ai voulu donner une clé à travers mon parcours. Le lecteur me voit grandir face à ces questions d’identité auxquelles j’ai été confrontée. Qu’est-ce que ce livre vous a permis d’exprimer ? Depuis mon plus jeune âge, je me sens chargée de la mission de raconter l’histoire de mes grands-parents. Sans volonté ni travail, mon grand-père, Alphonse Boni, aurait dû « TROP NOIRE être commis ou paysan. Mais il a été magistrat POUR ÊTRE de la République française et ministre de FRANÇAISE », Isabelle Bonila Justice de la Première République de Claverie, Côte d’Ivoire. J’ai également pu y citer des éd. Tallandier, passages d’un manuscrit de ma grand-mère. 352 p., 19,90 €. Elle y raconte les préjugés sur le mariage entre un Noir et une Blanche, en France comme en Afrique. Votre essai parle aussi beaucoup de l’Afrique et des Africains… La génération des Africains qui ont conduit leurs pays à l’indépendance dans les années 60 a fait de son mieux, mais elle n’a que très partiellement réussi la mission que l’histoire leur a assignée. Aujourd’hui cette indépendance, c’est à nous de l’achever car sinon, on en paie le prix, quel que soit l’endroit de la planète où l’on vit. ■ propos recueillis par C.F. 9
L’action se déroule au moment où la ségrégation commence à provoquer des vagues de contestation.
Les démons de Detroit S’appuyant sur un long travail d’investigation, Kathryn Bigelow revient sur un épisode particulièrement sombre de l’histoire des États-Unis : les ÉMEUTES raciales de 1967, dans le Michigan, très violentes et réprimées dans le sang. Intense et oppressant. IL Y A CINQUANTE ans, des émeutes raciales à Detroit, au nord-est des États-Unis, faisaient 43 morts, des centaines de blessés, près de 1 700 incendies et plus de 7 000 arrestations. Cinq jours d’affrontements très violents entre AfroAméricains et policiers soutenus par l’armée. Kathryn Bigelow, la réalisatrice de Zero Dark Thirty (sur les derniers jours de Ben Laden), reconstitue très efficacement la violence de ces journées, avant de s’attarder longuement sur un épisode qui tourne au film d’horreur : de jeunes Blacks qui n’étaient pas du tout mêlés aux émeutiers se retrouvent séquestrés par des policiers (blancs) alertés par des tirs entendus du côté de l’Algiers Motel où ils résident. Un agent de sécurité noir se mêle à l’action, spectateur impuissant et sidéré par la violence psychologique puis physique exercée par ces policiers qui semblent avoir carte… blanche, pensant avoir affaire à des tireurs embusqués ou au moins à leurs complices, et tentent de les faire passer aux aveux. 10
L’action partagée avec le spectateur se déroule presque en temps réel, et c’est d’autant plus oppressant. Une restitution minutieuse des faits (pas moins de six enquêteurs ont rencontré les témoins de l’époque et travaillé sur toutes les archives « DETROIT » (États-Unis) possibles) rend justice aux de Kathryn Bigelow. victimes de cette nuit-là. Les Avec John Boyega, Will dernières séquences virent au Poulter, Algee Smith. film de procès, classique, et on reste un peu sur sa faim faute de mise en perspective politique, malgré un très beau générique retraçant des décennies de ségrégation raciale. Mais ce procès oublié ainsi mis en lumière rencontre forcément un écho dans l’Amérique post-Obama du mouvement Black Lives Matter. ■ AFRIQUE MAGAZINE
I 373 -OCTOBRE
2017
FRANÇOIS DUHAMEL
par Jean-Marie Chazeau
ON EN PARLE écrans
« TÉHÉRAN TABOU »
(Allemagne) d’Ali Soozandeh.
Avec Elmira Rafizadeh, Zar Amir Ebrahimi.
animation
SEXE, ARGENT… ET RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE COMMENT parler des tabous religieux et des non-dits d’une république islamique verrouillée par les mollahs ? Le cinéaste iranien Ali Soozandeh réussit à montrer la corruption, les abus de pouvoir, la prostitution, les amours hors mariage… en nous plongeant au cœur de la grouillante Téhéran. Une capitale dessinée, plus vraie que nature, d’autant que les personnages sont des comédiens, comme repassés au pochoir : c’est un autre genre d’animation, qui permet une immersion dans le réel très
réussie. Malgré des baisses de régime dans la narration, le film accroche par la qualité des personnages, dont une prostituée au caractère bien trempé, qui emmène partout son petit garçon, le laissant à la porte de la chambre de ses clients… ■ J.-M.C.
Le film a été réalisé en rotoscopie : les comédiens sont filmés puis redessinés image par image pour en faire des personnages animés réalistes.
télévision
Garçon, une coupe ! DES CLIENTS qui défilent dans un salon de coiffure afro parisien, et des punchlines qui fusent : la nouvelle mini-série de Canal+ Afrique réussit à faire rire tout le continent avec sa distribution panafricaine (et quelques guests : Claudia Tagbo, Tatiana Rojo, Jessy Matador…), son tempo serré et une réalisation soignée. Auteur et acteur principal : le YouTubeur Dycosh. « C’est un clin d’œil à tout ce qui a pu se faire aux États-Unis, explique-t-il. Dans la diaspora, le barbershop, c’est un lieu de rassemblement de plusieurs cultures, et le métro Châteaud’Eau, un carrefour de l’Afrique. » Vivement la saison 2 ! ■ J.-M.C. « BARBERSHOP-CHÂTEAU D’EAU » (sur Canal+ Afrique, du lundi au vendredi à 20h25). Avec Dykosh, Jean Bédiébé,
Ivanne Niaba, Frédéric Bukolé.
remake
DR (2) - MERAPI
KNOCK, LE MÉDECIN IMAGINAIRE UN EX-ESCROC reconverti en médecin fait fortune en persuadant les habitants d’un village que « tout bien portant est un malade qui s’ignore »... En donnant à Omar Sy un grand rôle classique du cinéma français, la réalisatrice transpose le héros d’Intouchables dans une France des années 50 volontairement exempte de tout racisme. Une seule scène évoque la « couleur » du nouveau docteur… Très gênant pour la crédibilité de l’histoire, même dans une comédie pleine de bons sentiments. Trop d’ailleurs : à vouloir apparaître solaire et humain, Omar Sy rate l’occasion d’incarner un grand personnage trouble et inquiétant, ce que lui offrait pourtant ce Knock. ■ J.-M.C. « KNOCK » (France) de Lorraine Lévy. Avec Omar Sy, Alex Lutz, Pascal Elbé.
AFRIQUE MAGAZINE
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373 -OCTOBRE 2017
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« ASH »,
Ibeyi, XL
IBEYI
Spirituelles soul sisters En deux albums seulement, les sœurs franco-cubaines Lisa-Kaindé et Naomi Díaz imposent un nouveau LANGAGE musical, polyglotte et épuré. par Sophie Rosemont EN 2015, LES SŒURS Ibeyi (« jumelles » en yoruba) sortaient leur premier album éponyme. Produit par leur mentor Richard Russell, directeur du célèbre label londonien XL (Adele, The XX), il brillait d’un R’n’B cristallin et tribal, chanté en yoruba, cette langue pratiquée dans les églises 12
cubaines ou dans les villes nigérianes. Séduite, Beyoncé leur a alors demandé d’apparaître dans un de ses clips. Résultat, la presse anglo-saxonne ne peut désormais se passer d’Ibeyi, qui enchaîne les couvertures des magazines. Lisa-Kaindé et Naomi Díaz ont la petite vingtaine mais une
maturité innée. Sans doute grâce à leur éducation musicale, nourrie des chants de leur mère et des percussions de leur père, Angá Díaz (aujourd’hui disparu). Si l’on y rajoute leur charisme singulier, entre réserve et exubérance, soul vintage et rap contemporain, sourire et méfiance, on tient là de fortes personnalités qui ne demandent qu’à s’exprimer en unissant leurs voix célestes. Aujourd’hui, leur deuxième album Ash confirme tout le bien qu’on pensait d’elles. On y retrouve encore Richard Russell et des invités de marque : le saxophoniste Kamasi Washington (« Deathless »), le pianiste Gonzales (« When Will I Learn »), les chanteuses Me’shell Ndegeocello (« Transmission/Michaelion ») et Mala Rodríguez (« Me Voy »)… Porté par des hymnes d’une force vocale et mélodique devenues rare, tels « Away Away », « Numb » ou « No Man Is Big Enough for my Arms », le disque fait preuve de ce talent polyglotte propre au duo, entre anglais, yoruba et espagnol. Côté son, le R’n’B est à la fois organique et synthétique, avec des boucles et des beats hypnotisants. De Nina Simone à Kendrick Lamar, de James Blake à Solange Knowles, leurs influences s’y font entendre de loin, sans leur faire perdre leur identité. Ash est une expérience sonore, sensorielle et spirituelle dont on aurait tort de se priver. Et les sœurs Díaz entrent dans la cour des grandes, la tête haute. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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373 – OCTOBRE 2017
DAVID UZOCHUKWU
Recordings.
ON EN PARLE musique folk-soul KELE OKEREKE, APRÈS LA FÊTE
hip hop
PRINCESS NOKIA, NOUVEAU MODÈLE DU RAP
Féministe et PIQUANTE, la bad girl de Harlem ne laisse pas indifférent. LA RÉÉDITION augmentée (de huit titres !) de son disque 1992 offre un excellent prétexte pour revenir sur le parcours de cette nouvelle reine du hip hop. Née Destiny Fresqueri à Harlem il y a 25 ans, l’Afro-Portoricaine a passé son adolescence à dealer de l’herbe mais la volonté de réussir l’a rapidement titillée. D’autant qu’elle admire aussi bien M.I.A que les Riot Grrrls. À 17 ans, elle enregistre son premier morceau. Depuis quelques mois, le public et les médias ont saisi la force de son flow et de ses productions sous influence des années 90. Chouchoute du créateur de mode Alexander Wang, celle qui se fait désormais appeler Princess Nokia devrait aller loin. ■ S.R. « 1992 DELUXE », Princess Nokia, Rough Trade.
pop
groove
COLIN YOUNG-WOLFF/AP/SIPA - PAULINE MIKO/MIKO/MIKO STUDIO
AMADOU & MARIAM, L’HYMNE À LA JOIE
LES VOYAGES DE TÉMÉ TAN
Le duo malien revient avec un 8e disque dansant et OUVERT sur le monde. « LA
AVEC UN TITRE aussi réussi que « Ta Promesse », CONFUSION », Amadaou à la fois naïf et mélancolique, lucide et rêveur, & Mariam, le couple malien prouve qu’il sait jouer avec les Because. émotions de ses auditeurs. Après avoir travaillé avec Damon Albarn, Manu Chao, David Sitek (de TV on the Radio) ou Keziah Jones, Amadou & Mariam font appel à une tête inconnue du grand public, Adrien Durand, leader du groupe français Bon Voyage Organisation. Prenant très à cœur sa mission de producteur, il a fait du huitième album du duo un manifeste de pop synthétique ouvert sur la planète – de l’Afrique à l’Occident. Et en cela, il porte mal son titre (La Confusion) qui fait allusion aux méandres du monde qui nous entoure : l’œuvre, elle, est limpide ! ■ S.R. AFRIQUE MAGAZINE
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DÈS LE PREMIER album de Bloc Party, le charisme de son chanteur et guitariste « FATHERLAND », anglais Kele Okereke a Kele Okereke, explosé. Or, malgré le succès BMG. de son groupe de rock, il est cependant allé voir du côté de l’électro avec ses deux premiers solos, le superbe The Boxer et le moins convaincant Trick. Tout en œuvrant à la reconstitution de Bloc Party… Avec Fatherland, Kele passe dans une autre dimension. Plus organique, moins électrique, d’obédience folk et soul. On y entend même, sur « You Keep on Whispering », des échos dub ! Le sentiment amoureux est omniprésent, tout comme l’infinie tendresse que l’on entend dans la berceuse « Savannah », dédiée à sa fille. Kele a rarement été aussi proche de ses origines dans ses chansons, comme en témoigne « Road to Ibadan », où il raconte son voyage au Niger pour aller voir sa grand-mère. Petit bonus, un duo avec Corinne Bailey Rae. Un très beau disque. ■ S.R.
TANGUY HAESEVOETS a déjà une belle expérience de voyageur, entre Brésil, États-Unis et Guinée. Il a passé sa jeunesse entre Kinshasa et Bruxelles, et les rythmes africains n’ont jamais cessé de le hanter – même s’il aime autant la soul de la Motown que MC Solaar ou la samba. Résultat, son premier album éponyme est un savant mix de l’ensemble regorgeant de paroles francophones qui tiennent, elles aussi, bien la route ! ■ S.R. « TÉMÉ TAN », Témé Tan, Pias. 13
Andy Warhol, « Double Elvis », 1963. « Mar’a » de Nassima Moucheni.
événement
DANSES NOIRES DANS LA VILLE ROSE
Une partie de l’exceptionnelle COLLECTION de l’institution est à découvrir à la Fondation Vuitton. DE LA NAISSANCE de l’art moderne à la période la plus contemporaine, en passant par l’abstraction américaine, le minimalisme et le pop art, plus de 200 œuvres du mythique Museum of Modern Art (MoMA) de New York s’installent à la Fondation Vuitton. Ces pièces maîtresses qui font figure de pivots dans l’histoire de l’art proposent ici une forme de manifeste pour continuellement « être moderne ». Certaines sont exposées en France pour la première fois : L’Oiseau dans l’espace de Brancusi (1928) ; Identical Twins, Roselle, New Jersey de Diane Arbus (1967) ; Campbell’s Soup Cans d’Andy Warhol (1962)… La sélection alterne chefs-d’œuvre reconnus – Picasso, Matisse, Hopper… – et œuvres moins familières mais tout aussi significatives. Des artistes issus de zones géographiques peu présentes dans les collections y trouvent leur place, tels l’Égyptienne Iman Issa ou la Turque Asli Cavusoglu. Alors que le MoMA est engagé dans un important projet d’agrandissement, cette exposition met en avant le rôle fondateur du musée dans l’écriture de l’histoire de l’art du XXe et XXIe siècle. ■ Catherine Faye « ÊTRE MODERNE : LE MOMA À PARIS », Fondation Louis Vuitton,
GERMAINE ACOGNY, la marraine du festival depuis sa première édition, ne s’y est pas trompée. Le festival de danse toulousain créé par le chorégraphe, danseur et chercheur franco-camerounais James Carlès est aujourd’hui une vitrine internationale des œuvres contemporaines des chorégraphes noirs d’Amérique et d’Afrique. Cette année, le festival tente de saisir comment le sens du sacré se métamorphose à partir des trajectoires personnelles ou collectives. Avec La Tactique du vautour de Sophiatou Kossoko, Mar’a (femmes en arabe) de Nassima Moucheni, le spectacle autobiographique Champs de sons du comédien Émile AbossoloMbo ou encore le Gospel d’Emmanuel Djob, la programmation donne voix à des figures de la danse, de la musique et du théâtre. C’est au chorégraphe Merlin Nyakam – notamment pour le Fifa World Tour de la chanteuse Angélique Kidjo – que sera remis cette année le Prix international Elsa Wolliaston, en reconnaissance de son engagement en faveur des danses noires. ■ C.F.
8 avenue du Mahatma Gandhi, du 11 octobre au 5 mars.
« 19e FESTIVAL DANSES ET CONTINENTS NOIRS », Toulouse, du 28 octobre
fondationlouisvuitton.fr
au 10 novembre. jamescarles.com
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ANDY WARHOL. - DR
Chic, le MoMA s’invite à Paris !
Le sens du SACRÉ et ses métamorphoses : cette année, le festival de Toulouse célébrera le rythme et le corps.
ON EN PARLE agenda
À droite : statuette de gardien de reliquaire.
Le créateur, place Djemaa El Fna.
exposition
Sculptures sylvestres
Au Quai Branly, « Les Forêts natales » offre un large aperçu de la STATUAIRE de l’Afrique équatoriale atlantique. Somptueux.
inauguration
MARRAKECH RAVIVE LE MYTHE SAINT LAURENT
HUGHES DUBOIS/MUSÉE DU QUAI BRANLY - GEORGES FESSY - REGINALD GRAY
À TRAVERS une sélection de 300 œuvres emblématiques – et souvent uniques – de collections publiques et privées majeures, l’exposition explore la créativité et l’originalité exceptionnelle des arts des peuples de la forêt équatoriale atlantique. Somptueux masques d’artistes kota, punu, aduma, remarquables statuettes de gardiens de reliquaire de Fang et de Mbede dessinent une histoire de l’art des principaux styles de cette région de grande tradition sculpturale. Un génie plastique lié au culte des ancêtres et aux masques d’esprit. Et un art majeur issu des migrations bantoues du nord au sud qui, dès sa découverte au début du XXe siècle par des artistes comme Picasso, Derain ou Braque, a été déterminant dans la constitution du regard moderne en Occident. ■ C.F. « LES FORÊTS NATALES », musée du Quai Branly-Jacques Chirac, jusqu’au 21 janvier. 37, quai Branly, Paris. quaibranly.fr
saison culturelle
L’IMA, 30 ANS L’AUDACE : depuis son ouverture à Paris en 1987, c’est le maître mot de l'Institut du monde arabe, qui présente un nouvel accrochage de ses collections et dont la mythique façade de moucharabiehs vient d’être rénovée. Audace que l’on retrouve dans la programmation de cette rentrée-anniversaire, en forme de focus – Soudan, Liban, chaâbi –, cartes blanches (Tahar Ben Jelloun, Oxmo Puccino) et rendez-vous majeurs (Biennale des photographes arabes contemporains…). ■ Éléonore Quesnel imarabe.org AFRIQUE MAGAZINE
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La fameuse façade, conçue par Jean Nouvel et Architecture Studio.
L’immense couturier a enfin son MUSÉE dans la cité qui l’a tant inspiré. Visite. « LORSQUE Yves Saint Laurent découvrit Marrakech en 1966, ce fut un tel choc qu’il décida tout de suite d’y acheter une maison », écrivait son compagnon Pierre Bergé en guise d’introduction au musée marocain que le mécène, disparu le 8 septembre, n’aura pas vu ouvrir – pas plus que l’établissement consacré au créateur qui vient d’être inauguré à Paris. Celui de Marrakech, situé à deux pas du sublime Jardin Majorelle que le couple racheta et sauva en 1980, présente une collection où 50 créations, parfois inédites, inspirées entre autres de « l’Afrique et du Maroc », mélangent les genres. Un second espace est, lui, dédié aux expositions. « Pensé comme un véritable centre culturel », précise Björn Dahlström, son directeur, ce temple dévolu « à la mode compte une bibliothèque, une librairie, une galerie photo ». Quant à l’auditorium, les cycles cinématographiques y débuteront en avril 2018, car « la volonté du regretté Pierre Bergé d’y créer une émulation entre artistes marocains et étrangers en est le socle », confie Quito Fierro, secrétaire général de la Fondation Jardin Majorelle. L’histoire d’amour entre YSL et Marrakech n’a pas fini de faire rêver. ■ Fouzia Marouf MUSÉE YVES SAINT LAURENT, Marrakech.
Ouverture le 19 octobre. museeyslmarrakech.com 15
PARCOURS par Catherine Faye
Mariame Tighanimine 16
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FILLE D’OUVRIER, issue de l’immigration marocaine, musulmane… Cette serial entrepreneure française, créatrice du webzine Hijab and the City, a décidé d’aller à l’encontre des préjugés. Enseignante à Sciences Po, elle publie aujourd’hui un essai décapant, invitation à passer à l’action et réussir au-delà des différences.
PIERRE ANTHONY ALLARD (2)
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ne coupe à la garçonne. Un regard conquérant. Et, surtout, du cran. Il en faut quand on est femme, entrepreneure et, surtout, que l’on vous rappelle que vous avez « une tête à être d’ailleurs ». Car si, après des études d’économie à Nanterre puis un master à Sciences Po Paris, où elle enseigne aujourd’hui, Mariame Tighanimine a réussi, le chemin a été long. La jeune femme est née il y a trente ans à Mantes-la-Ville, dans les Yvelines. Son père, ouvrier chez Renault, et sa mère, femme au foyer, ont débarqué du Maroc au début des années 60. C’est une excellente étudiante. Elle se destine à la recherche en sciences sociales « mais »… elle porte le hijab. Signe extérieur rédhibitoire pour le laboratoire de recherche dont elle se voit interdire l’accès. En colère mais pas abattue, elle décide, avec sa sœur Khadija, elle aussi voilée, diplômée, et en butte au même ostracisme, de prendre le taureau par les cornes. Elle a 20 ans lorsqu’elle créé en 2007, Hijab and the City, le premier webzine francophone et participatif destiné aux femmes françaises de culture musulmane. On y parle de tout sans tabous. Une liberté de ton dont elle se sert pour pousser des coups de gueule contre les stéréotypes. « On en avait marre d’entendre constamment parler des femmes musulmanes dans les médias alors que personne ne leur donnait la parole. » Aujourd’hui, le site réunit jusqu’à 350 000 visiteurs par mois, des femmes mais aussi des hommes d’horizons culturels, cultuels et sociaux divers, ainsi qu’une trentaine de contributrices de différentes sensibilités, nationalités et religions. La couverture médiatique est internationale. Mais, une fois la parole libérée, vient le moment de poser une question simple à cette communauté de femmes : que voulez-vous vraiment ? Réponses : « je veux être plus riche » ; « je veux éprouver ma capacité à changer le monde… » Cap sur l’action économique. Voilà donc en 2012, babelbag.com, un site collaboratif qui promeut et distribue le sac à main Babelbag, par le bouche-à-oreille et de la main à la main. Une centaine de femmes démarre ainsi une micro-activité et se procure un revenu. La marque de maroquinerie vend plus de 500 sacs et plus de 10 000 petits accessoires. Une réussite et la conviction, pour Mariame, qu’au-delà du produit, ce qui intéresse les femmes, c’est d’apprendre à faire des affaires. De ce constat naîtra, en 2015, Babelbusiness, une méthode « Différente comme d’entraînement pour devenir un « business athlète ». Accessibles à tous, les programmes et outils issus tout le monde », de ce système permettent de se lancer avec 0 euro et d’être opérationnel en 24 heures. Il est testé Mariame Tighanimine, sur plus de 500 personnes – allocataires du RSA, vendeurs ambulants en France, au Maroc Le Passeur, et en Ouganda – mais aussi des grands groupes comme Danone pour former des 288 p., 18,50 €. microdistributeurs… « Tout le monde peut et devrait faire du business. C’est une discipline formidable, qui permet d’apprendre énormément sur soi et sur les autres ! […] Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons. Mais il faut le faire sérieusement, comme n’importe quelle discipline, parce qu’on ne sait pas comment cela peut se terminer », scande la jeune femme dans une de ses tribunes écrite pour Cheek magazine. Depuis peu, Mariame a cessé de porter le voile. « Parce que je suis un être qui change dans un monde qui change. » Pour la première fois, elle découvre et vit le sexisme ordinaire, noyé auparavant dans le racisme ou le mépris de classe. « J’ai compris ce jour-là que je resterai toujours quelque chose d’« autre » pour certaines personnes : une (ex)voilée, une banlieusarde, une étrangère, une femme… Une autre qui a depuis appris à ne plus perdre de temps avec des individus qui, quoi qu’elle fasse, ne cesseront de lui rappeler qu’elle n’est pas comme eux », ajoute-t-elle. Qu’à cela ne tienne, la serial entrepreneure prend alors sa plume. Différente comme tout le monde est un véritable plaidoyer pour l’acceptation de la différence, une invitation à passer à l’action et à réaliser ses aspirations quels que soient les obstacles. Percutant. ■
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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié
LE CERCLE
NON-VERTUEUX
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l est tout de même étonnant que la corruption dans nos zones africaines francophones prospère, galope, s’étende à une vitesse aussi vertigineuse. Elle gagne peu à peu des pays qui ne la connaissaient pas jusqu’alors. Sans que les systèmes ne s’en émeuvent. Pire, elle semble finalement arranger tout le monde. Du plus petit fonctionnaire qui double le prix d’un timbre fiscal à son guichet au ministre qui demande droit dans les yeux à son prestataire de services combien tel marché public va lui rapporter, en passant par les joyeuses taxes fantaisistes ou les détournements sans ambages de tel ou tel budget alloué, décaissé trois ou quatre fois du Trésor public, chacun y trouve son compte et arrondit allègrement ses fins de mois. Passons sur la kyrielle de dossiers, dans les ministères, à la caisse d’allocations de ceci ou cela, à tel ou tel concours, remis sous la pile, en attente de gombo sonnant et trébuchant pour aboutir. Ce genre de pratiques est le lot quotidien de tous et dans tous les domaines. Chacun en pâtit à un moment et en profite à un autre. Et lorsque le vol, petit ou grand, est pratiqué par tous, il devient bien entendu la norme. Pire, celui qui est honnête passe pour un plouc auprès de ses congénères. Et les valeurs s’inversent. Arrondir ses revenus est intelligent, ne pas le faire est stupide. Mieux, le grapillage à tous les étages permet aux foyers de s’en sortir et aux pouvoirs politiques de ne pas augmenter les salaires, minables pour la plupart du temps. Et la corruption crée une sorte d’équilibre, maintient les peuples en paix, garantit un salaire complémentaire… Le problème, bien sûr, c’est qu’elle induit en parallèle un cercle vicieux. Plus on pompe dans les caisses, plus le pays plonge dans le rouge. Les estimations de l’évaporation des fonds dans certaines contrées, AFRIQUE MAGAZINE
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lorsqu’elles existent, donnent le tournis. De quoi paralyser le système logique de redistribution sociale, des assurances sociales aux retraites, ou encore l’amélioration des infrastructures ou des indices économiques. En gros, l’arrimage des nations africaines aux progrès mondiaux dans tous les secteurs devient un mirage. Il y a certainement d’autres freins au développement et à l’émergence, pour utiliser un mot à la mode. Mais la corruption érigée en réponse organisée à la pauvreté, et qui s’ancre profondément dans les rouages d’une société et dans la mentalité collective, est l’un des facteurs de blocage les plus inquiétants qui existent. Justement, parce qu’elle n’inquiète plus personne… ■
Celui qui est honnête passe pour un plouc auprès de ses congénères. Arrondir ses revenus est intelligent, ne pas le faire est stupide.
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REPORTAGE
MAROC FEMMES, LE GRAND MALAISE
Cet été, une vague d’agressions a provoqué colère et émotion. Et la liberté officielle se heurte à la pression permanente d’une société conservatrice. De Marrakech à Tanger, en passant par Casablanca, AM est allé à la rencontre de celles qui vivent cette schizophrénie au quotidien. 20
par Fouzia Marouf, envoyée spéciale
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THOMAS KIEROK/LAIF/REA
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REPORTAGE MAROC : FEMMES, LE GRAND MALAISE
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’ai l’impression de vivre dans deux Maroc, de passer dans la même journée d’Ibiza à Kaboul ! » Imen, 20 ans, a le sens de la formule. En cette fin d’après-midi à Marrakech, la terrasse du Grand Café de la poste, situé à proximité du quartier Guéliz, est prise d’assaut. Locaux, résidents français et touristes sirotent leurs apéritifs. La réaction d’Imen résume lapidairement une réalité complexe, celle de la femme marocaine en 2017 qui évolue dans un pays qui, à la fois, est ouvert sur le monde, mais où le conservatisme religieux fait encore autorité. La saison estivale a ainsi été marquée par plusieurs faits divers à connotation sexuelle, dont deux, sordides, ont suscité l’indignation générale. À Tanger d’abord, où, le 11 août, une jeune femme a été suivie et prise à partie par une meute d’hommes au prétexte que sa tenue – un jean moulant – était indécente. À Casablanca ensuite, une semaine plus tard, où, dans un bus, Zineb, une jeune fille handicapée, était livrée aux attouchements de gamins hystériques qui lui arrachaient ses vêtements. Dans les deux cas, les agresseurs ont filmé la scène à l’aide de leurs téléphones portables. Pour l’heure, rien ne semble troubler le calme marrakchi. Imen, bien dans ses Stan Smith et son jean slim, est née et a grandi dans la Cité ocre. Pourtant, elle se sent tiraillée au quotidien et compose avec les paradoxes. « Hier soir, je me suis rendue à un concert électro en taxi, le chauffeur m’a sermonnée parce que je portais un short. Il a alors poussé à fond le volume de l’autoradio qui diffusait le Coran et m’a recommandé d’être prudente. C’était… bienveillant, mais franchement, entre son taxi et le concert, j’ai été catapultée dans deux mondes totalement opposés », précise-t-elle en touillant nerveusement la paille de son verre de soda. Elle questionne du regard Rita, sa tante, attablée à ses côtés. « C’est surtout l’ambiance actuelle qui n’est pas rassurante, souligne cette dernière, cadre supérieure. Même si nous vivons comme d’habitude, il y a forcément dans la journée un regard déplacé ou une réflexion sexiste qui va nous rappeler le risque des dernières agressions. » Rita revient sur les faits divers et dit son émotion face aux nombreux commentaires qui ont parsemé le web, et qui minimisaient les faits, voire accablaient les victimes. Cette jeune quadragénaire est d’autant plus heurtée qu’elle a de qui tenir. Sa mère, l’une des premières femmes médecins au Maroc, a été de tous les combats féministes dans les années 70. « Ce sont des valeurs de respect que j’ai eues et qui ont naturellement été transmises à Imen. Elle est armée pour vivre sa vie de femme n’importe où dans le monde », assène-telle fermement. Elle-même travaille pour un prestigieux établissement de luxe. « Je n’ai pas eu de mal à obtenir mon poste, mais je me suis battue pour me faire ma place. J’avais 25 ans, et mes collègues hommes me considéraient comme une pis-
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tonnée, une gamine inexpérimentée. Ils ne m’ont jamais dit de façon explicite qu’ils ne me faisaient pas confiance car j’étais une femme. Pour eux, je ne devais pas gravir les échelons car chacun pensait “c’est à moi que revient cette place”. » À ses débuts, elle venait de revenir au Maroc, après une prépa HEC Paris, une école de commerce et des premières expériences au sein de grands groupes français. Pour l’heure, elle encourage vivement Imen à réussir ses études supérieures car « la plus grande liberté d’une femme, ce sont ses diplômes », conclut-elle. Lendemain matin. Dans la casbah, les éclats de voix de jeunes enfants jouant dans la rue retentissent. La porte d’entrée de l’espace exigu où vit Batoul reste ouverte. Cette femme corpulente qui affiche la cinquantaine dispose de peu de temps. Entre la préparation du biberon de son petit-fils et celle du thé qu’elle s’applique à nous préparer, elle essuie d’un geste rapide les gouttes de sueur qui perlent sur son visage, cerclé d’un foulard rose pâle assorti à sa djellaba du même ton. Mariée à 14 ans, aînée d’une fratrie de neuf enfants, elle se confie de sa voix posée. « J’ai compris très tôt qu’une femme accède à un statut uniquement quand elle se marie. Ensuite, c’est la maternité qui complète son épanouissement. » Issue d’un milieu très populaire, Batoul sait de quoi elle parle. Un an après son mariage, elle ne parvient pas à tomber enceinte. Soumis à la pression familiale, elle et son mari décident d’adopter un enfant, une fille, à Taroudant, ville du Sud marocain. « L’honneur sauf, le secret gardé », elle aura ensuite trois enfants. Veuve depuis dix ans, elle a caché la mort de son mari à son voisinage durant longtemps, craignant « d’être considérée comme une proie par les hommes aux intentions malveillantes de son quartier ». Batoul travaille comme femme de ménage quatre fois par semaine au sein d’un complexe touristique excentré de la médina. Elle s’y rend en mobylette, regrette de ne pas savoir lire ni écrire… « Parfois, je pleure, je me sens très seule », avoue-t-elle, le regard triste, souligné de khôl. Elle fait part pourtant d’une curiosité inassouvie, une soif de s’ouvrir à d’autres horizons. Pour elle, la société en demande trop aux femmes car « ce sont elles qui subissent et souffrent en silence ».
PSEUDO-PRÉDICATEURS À LA TV Deux jours plus tard, arrivée à Casablanca. Le quartier du Twin Center est comme à son habitude : piétons pressés et concert de klaxons dus aux embouteillages. Maria Chraïbi, rédactrice en chef adjointe du mensuel Grazia Maroc, la quarantaine, met les pieds dans le plat. « Je ne reconnais plus ce pays. J’ai grandi entre un père marocain et une mère française qui partageaient des valeurs communes, AFRIQUE MAGAZINE
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Casablanca, 23 août 2017. Quelques jours après l’agression filmée d’une jeune fille dans un autobus de la ville, des centaines de personnes se rassemblent pour protester contre le harcèlement sexuel et la « culture du viol ». des idéaux. La génération de mes grands-parents considérait comme une richesse le fait de parler français et comme une fierté d’aller étudier à l’étranger. Aujourd’hui, tout ce qui est francophone est en train de disparaître au profit de je ne sais quelle bigoterie ! » Pour Maria, seule la complémentarité homme-femme peut permettre de revenir à un rapport sain et un discours apaisé au sein de la société actuelle. « Les hommes doivent nous considérer comme leurs partenaires, leurs alliées et non comme leurs concurrentes. Partout dans le monde, la classe moyenne se bat coude à coude, ils doivent comprendre
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Maria Chraïbi, rédactrice en chef adjointe du mensuel Grazia : « Comment peuvent-ils préconiser aux femmes de ne plus travailler ? »
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que pour certaines femmes, s’affirmer professionnellement n’est pas incompatible avec la volonté de s’épanouir aussi dans le foyer. » Elle regrette également l’envahissement des chaînes satellitaires qui ont permis à des pseudo-prédicateurs de s’inviter dans les foyers marocains. « Comment peuvent-ils préconiser aux femmes de ne plus travailler ? Que va-t-on faire ? Devenir invisibles ? Nous déguiser en homme ? » Depuis plusieurs années, que ce soit sur son lieu de travail ou dans l’espace public, elle, qui a conscience d’incarner le mythe de la ben’t al ness (fille de bonne famille), veille à « respecter certains codes vestimentaires ». « C’est le fruit de mon éducation, et le regard de nombreux hommes m’a amenée à ne pas exposer mes atouts féminins. J’invite la jeune génération de femmes à aborder la modernité autrement qu’en portant une minijupe ou un maquillage outrancier mais en étant responsable : en se prenant en charge, en gagnant sa vie honnêtement, en contribuant économiquement au bonheur du foyer. Et, de grâce, qu’on cesse de considérer que si une femme n’est pas voilée, c’est d’emblée une prostituée ! » Dans la métropole casablancaise, l’émotion suscitée par l’agression contre Zineb est encore vive. Maria, comme de nombreuses femmes et hommes, a participé à la marche de protestation qui s’est tenue le 23 août. « J’ai trouvé lamentable l’absence des prédicateurs, qui n’étaient pas parmi nous pour 23
REPORTAGE MAROC : FEMMES, LE GRAND MALAISE
condamner de tels actes. Mais on ne lâchera rien… » Banderoles et slogans appelaient à la lutte commune contre le harcèlement des femmes dans la rue, qui s’est banalisé. Des slogans écrits en français et en arabe, sur lesquels on pouvait lire « N’empêchez pas vos filles de sortir, apprenez à vos fils le respect ! » Très sensible à la récente loi qui autorise les Tunisiennes à épouser des non-musulmans, Maria est admirative : « C’est révolutionnaire ! » Rajae Benchemsi, romancière : « Au lendemain du protectorat, les femmes étaient considérées car elles avaient participé activement à l’évolution et à la transformation du pays en jouant un rôle politique. »
Pour l’écrivaine Rajae Benchemsi, qui a publié de nombreux romans qui évoquent la condition de la femme et la prostitution, notamment à travers Fracture du désir (Actes Sud), le passage à l’acte des jeunes agresseurs de Zineb résulte d’un manque cruel d’éducation. « Au lendemain du protectorat, les femmes étaient considérées car elles avaient participé activement à l’évolution et à la transformation du pays en jouant un rôle politique. Aujourd’hui, elles subissent les résultats de la déstructuration de la société marocaine, qui est misogyne. Dans le temps, dès l’âge de 4 ans, un enfant allait au « Msid » (école coranique), il était au contact d’une forme d’enseignement. Les nourrices, elles, n’étaient réservées qu’aux gens aisés. De nos jours, peu de quartiers populaires sont dotés de crèches, l’enfant est livré à lui-même, à la rue. Mais il arrive que la femme soit elle aussi misogyne, qu’elle travaille contre elle-même en adoptant le voile sans en comprendre les enjeux », souligne-t-elle. Elle salue vivement l’adoption en Tunisie du texte historique, le 26 juillet dernier, porté par la ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, Néziha Laabidi, qui sanctionne toutes les violences faites aux femmes, car « la législation condamne les violences. La loi est souveraine », souligne Rajae.
que rarement des cadeaux ». Et dit préférer travailler aux côtés d’hommes. « Je n’ai pas subi de frein dans la progression de ma carrière au Maroc, en tant que femme. Les mécanismes dus au machisme ambiant qui empêchent les femmes d’accéder à de hauts postes sont identiques à ceux en Europe. Hormis dans le milieu politique, qui est plus compliqué. Au contraire, j’apprécie de travailler main dans la main avec des hommes. J’avoue être une séductrice, ça peut être un atout, j’aime avoir un public. En tant que femme, les rapports professionnels sont plus apaisés. » Éléonore a conscience qu’en exerçant un métier intellectuel, elle est privilégiée, mais reconnaît que c’est sur le terrain de la vie privée et dans l’espace public que vivre au Maroc s’avère plus complexe. Toujours célibataire, elle ne répond pas au modèle social et familial : « Je suis hors norme, s’amuse-telle. Ce n’est pas un genre admis ou désiré par les hommes de ce pays car ils sont face à quelque chose qui renvoie à la marge. Ici, le couple signe la normalité, et je suis en défaut de couple… » Cet été, Éléonore s’est retrouvée sur la plage de l’Océan, dans le Nord marocain. « On devait être deux à porter un maillot, un une-pièce en ce qui me concerne. La dizaine de femmes présentes se baignaient tout habillées, le reste de la plage était occupé par les hommes. Là, je ne me sentais plus sexy mais épiée, seule et en danger, car soi-disant dangereuse. […] Triste Maroc, triste pays que celui qui ne perçoit le corps de la femme qu’à travers une vision archaïque, dangereuse, fallacieuse : sainte ou putain. » Pour ce qui a trait à la tentative Éléonore Bénit, rédactrice en chef du magazine féminin Icônes : « Les mécanismes dus au machisme ambiant qui empêchent les femmes d’accéder à de hauts postes sont identiques à ceux en Europe. »
HYPOCRISIE ET MÉPRIS Samedi après-midi. Bureau du groupe Telquel Média. CARLOS MUNOZ YAGUE - DR
Éléonore Bénit, rédactrice en chef du magazine féminin Icônes, est une jeune trentenaire dynamique et pragmatique. De père marocain et d’une mère française, arrivée au Maroc à 22 ans, elle a fait ses classes au sein de magazines féminins de luxe avant de participer à l’aventure éditoriale et au lancement d’Icônes. Elle définit le milieu de la mode comme « difficile, parfois impitoyable, peuplé de femmes qui ne se font 24
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de viol dans le bus de Casablanca, ce qui choque particulièrement Éléonore tient aussi à la publication de cette vidéo par l’un des agresseurs sur le web : « Ça signifie qu’il ignorait qu’il avait commis un acte criminel envers une jeune femme », déplore-telle. Seule l’éducation, socle indispensable à la jeunesse, pourra être « salutaire » à ces jeunes voués à un « no future » dans une société qui n’a rien à leur apporter, à leur promettre, « de plus en plus malade, avec la jeunesse sacrifiée et la montée du wahabisme. C’est à la société d’assurer son rôle de protection pour ses femmes, ce n’est pas au religieux », confie-t-elle. À la misère sexuelle de certains s’ajoute l’ambivalence de cette société, nourrie d’hypocrisie et de mépris envers les femmes, qui devient de plus en plus difficile à vivre. Abla Ababou, galeriste à Rabat, avoue sa surprise et constate « une régression ambiante ». Tout juste rentrée d’un voyage à l’étranger, elle confie : « Ça me fait mal ce retour en arrière, lorsque j’étais enfant et adolescente dans les années 80, les gens ne passaient pas leur temps à surenchérir à propos de ce qui est de Abla Ababou, galeriste : l’ordre du haram (inter« Je crois à la vertu dit) et du halal (autorisé). de l’éducation et à la liberté C’est insupportable ! Qui d’expression de l’art et de la création. Tant qu’il y a débat, sont ces objecteurs de il y a de l’espoir. » conscience ? On n’est pas chez les talibans. » Enthousiaste, suite à la publication du livre Sexe et Mensonges de Leïla Slimani, récompensée du prix Goncourt en 2016, Abla est dans l’attente d’une embellie des mentalités au Maroc. « Je crois à la vertu de l’éducation et à la liberté d’expression de l’art et de la création. Tant qu’il y a débat, il y a de l’espoir. Nous avons plus que jamais besoin de Leïla Slimani et de ses émules », conclut-elle.
SAAD A.TAZI - DR (2)
UN CONSERVATISME EXARCERBÉ Tanger, quelques jours plus tard. Les venelles de la cité du détroit grouillent de vie, de monde, les voix s’élèvent en tanjaouia (dialecte tangérois) et espagnol de la place du Grand Socco au marché. Non loin, à la terrasse de la Cinémathèque, Bouchra El Azhari, animatrice à Médi 1 Radio, est souriante. Rien, pas même l’actualité morose, ne semble l’atteindre. « Tanger est magnifique, mais les mentalités y sont AFRIQUE MAGAZINE
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particulières. Je passe tous les matins plus d’une demi-heure devant ma garde-robe pour trouver ce qu’il y de plus ample et couvrant. » Bouchra a plusieurs fois été exhortée à « mettre un foulard sur la tête » par ses concitoyens, juste parce qu’elle aimait simplement marcher. Un conservatisme exacerbé, au vu du rythme de vie très Bouchra El Azhari, festif de certains, car les nuits tananimatrice à Médi 1 Radio : géroises, inspirées par le goût de la « Je passe tous les matins plus d’une demi-heure fête espagnole, débutent tard. « C’est pour trouver ce qu’il y très hypocrite, précise-t-elle. Lorsque de plus ample et couvrant je bouquine avec mon café et ma comme vêtements… » cigarette au Grand Café de Paris, les hommes me regardent de travers, ma présence les dérange. » Pour elle aussi, l’ennemi de la femme n’est pas uniquement l’homme. « Ce sont les femmes qui éduquent leurs fils. En termes de liberté individuelle, elles ont un rôle à jouer et doivent élever leurs filles et leurs fils sur un pied d’égalité ». Pourquoi les jeunes femmes voilées sont-elles majoritaires ? « Elles s’achètent une paix sociale et s’affichent comme de bonnes candidates au mariage », avance-t-elle en souriant. Les vidéos des deux agressions lui ont rappelé une mésaventure, tristement banale dans le quotidien marocain. Il y a peu de temps, alors qu’elle marchait dans la rue, casque audio sur les oreilles (Bouchra est une chroniqueuse musique pêchue), un homme en mobylette l’a abordée mais elle ne l’a pas entendu. C’est lorsqu’une passante d’une cinquantaine d’années, totalement hors d’elle, est venue vers Bouchra, en traitant l’homme, qui aurait pu être son père, de hmar (âne), qu’elle a compris… « Elle m’a dit qu’il m’avait violemment insultée et que je ne devais pas me laisser faire. Il faut parler, leur répondre encore plus fort… » Selon Bouchra, la culture du harcèlement sexuel dans la rue a pris de l’ampleur car les femmes, lasses, ont peu à peu baissé les bras. Asmaa Chaïdi, l’une des premières journalistes à avoir enquêté sur la mort d’Amina Asmaa Chaïdi, journaliste : Filali (adolescente mariée à son « On vit dans deux Maroc, violeur en 2012, NDLR), origil’un ouvert et l’autre naire de Larache, située à une complètement rétrograde. » heure trente de Tanger, rejoint le sentiment de Bouchra : « J’ai pris une vraie claque lors de ce reportage, on vit dans deux Maroc, l’un ouvert et l’autre complètement rétrograde. Dès qu’une jeune fille est pubère, elle doit se marier », se désole cette belle rousse. La journaliste avoue que si les circonstances ayant mené Amina au suicide sont 25
REPORTAGE
Soumaya Guessous, sociologue : « Nous sommes face à une jeunesse qui a accès à la modernité mais qui est nourrie au discours religieux qui condamne la femme, qui ne doit pas être dans la rue et se doit de se couvrir ! » encore floues, « elle a été écrasée par les mentalités archaïques de sa famille ». Pour sa part, la sociologue Soumaya Guessous souligne : « La ruralité des villes a amené une vague d’hommes issus des campagnes pour qui le corps de la femme, associé uniquement à de la chair, est objet de fantasme. Ils n’ont pas été intégrés à la mentalité urbaine. De plus, nous sommes face à une jeunesse nourrie au discours religieux qui condamne la femme, qui ne doit pas être dans la rue et se doit de se couvrir ! Dans les années 70, j’allais en cachette dans les cafés avec mes amies, car les femmes n’allaient qu’au glacier. J’avais mauvaise réputation mais à cette époque, quand une fille était dérangée dans la rue, un père de famille intervenait. Aujourd’hui, nous n’avons aucun numéro à appeler, et la police ne nous protège pas et nous interroge lorsqu’on lui demande du secours : “Que fais-tu seule le soir ? Rentre chez toi !” Quel est ce pays où on ne peut pas marcher ! Toutes celles qui ont étudié à l’étranger repartent du Maroc à leur retour car elles s’y sentent mal. »
LES PLUS PAUVRES LES PLUS VULNÉRABLES Début de soirée, un restaurant de poisson face au port. Salma préfère dîner à l’intérieur plutôt qu’en terrasse, la musique andalouse bat son plein. Comptable à Tanger, elle a énormément voyagé avant de se marier et de porter le voile. Sur son portable, elle montre la photo de ses deux jeunes enfants. Et, fière, des clichés pris en Espagne où elle pose en maillot de bain, cheveux au vent. « Je me suis mariée tard, je suis croyante et, l’âge aidant, je me suis rapprochée de la foi, d’autant que mon mari n’appréciait pas que je ne porte pas le voile. » Très touchée par les deux agressions, elle confie : « Ce sont les plus vulnérables qui sont victimes de cette violence, les plus pauvres, même les chauffeurs de bus sont agressés par des jeunes à Casablanca. Et il n’est pas normal qu’une femme ne se sente en sécurité que dans sa voiture ! Les Marocaines issues de milieux populaires n’ont pas les moyens d’être motorisées. » Entre un espace public, exclusivement masculin, où « les femmes ne sont pas les bienvenues », précise la sociologue Soumaya Guessous, et la culture du harcèlement sexuel dans la rue 26
qui s’est banalisée, doit-on rendre délictuelles les injures et les agressions physiques à l’encontre des Marocaines ? « Absolument », nous confie Nouzha Skalli, ancienne ministre PPS (Parti du progrès et du socialisme) de la Famille et de la Solidarité qui milite avec acharnement pour les droits des femmes depuis plusieurs années. « Mais comment la faire appliquer par un gouvernement islamiste, avec une ministre de la Femme qui appartient au PJD (Parti de la justice et du développement) ? », avoue-t-elle. Il est vrai que les Marocaines reprochent à Bassima Hakkaoui, ministre de la Famille, sa réserve lors des agressions successives à Casablanca puis à Tanger et, surtout, le projet de loi contre les violences à l’égard des femmes passé sous silence depuis deux mandats. « La question de l’égalité des femmes est une préoccupation Nouzha Skalli, déterminante au sein de ancienne ministre PPS l’État, Sa Majesté le roi de la Famille et de la Mohammed VI y met un Solidarité : « La question point d’honneur », poursuit de l’égalité des femmes est une préoccupation Nouzha Skalli, qui s’est déterminante au sein déjà battue en 2011, « bec et de l’Etat, Sa Majesté ongles pour une législation le Roi Mohammed VI partielle de l’avortement et y met un point d’honneur. » du harcèlement sexuel dans les lieux publics ». Pour l’heure, entre un projet de réforme du code pénal qui n’a pas abouti après avoir été présenté devant le Parlement à plusieurs reprises et l’urgence de changer les mentalités, les Marocaines, très impliquées dans la société civile, ont besoin du soutien de tous, car « notre Constitution nous assure une mobilité au sein de l’espace public, mais la femme ne se l’approprie pas. Si une loi est adoptée, elle doit être appliquée par les autorités et les citoyens », rappelle Soumaya Guessous. Quant à l’éducation, doit-on instaurer des cours de civisme et lancer des actes de sensibilisation afin de faire respecter le droit des femmes ? « Oui. Avec l’aide des mosquées, des familles, des médias, des établissements scolaires », suggère la sociologue. Comme une course assumée et engagée par la population marocaine pour la liberté, dictée désormais par l’attente de changements et de réformes au nom des femmes. Et le soubresaut d’un islam qui se métamorphose, s’adapte à la mondialisation et à la modernité ? Ultime signe de contre-pouvoir contre le conservatisme religieux et le combat des Marocaines. Au moment de conclure ce reportage, une Marocaine était kidnappée et violée par un chauffeur de taxi à Marrakech. Incident isolé mais qui en dit long sur les luttes qu’il reste à mener. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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MAROC : FEMMES, LE GRAND MALAISE
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POUVOIR
AU NOM DU FILS Faure Gnassingbé, Ali Bongo Ondimba, Joseph Kabila… Enquête sur ces héritiers particuliers, « élus » ou « désignés », qui incarnent souvent des présidences familiales au long cours. par Sabine Cessou, Hedi Dahmani, Zyad28 Limam et Emmanuelle Pontié
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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE-REA
Faure Gnassingbé au siège de la présidence à Lomé, en 2015.
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Faure face aux échéances Ce qui se joue au Togo, ce n’est ni plus ni moins que le départ du président en 2020. Et la fin d’une dynastie de plus d’un demi-siècle. PAR SABINE CESSOU
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inquante ans, ça suffit ! » Ce slogan a été mar telé dans les rues de Lomé le 7 septembre dernier, par une marée humaine de 100 000 personnes selon la police – 1 million selon les organisateurs. La colère s’est exprimée après la répression d’une autre manifestation, le 19 août, qui a fait au moins deux morts et des dizaines de blessés. Un parti d’opposition lancé par un nouveau venu, Tikpi Atchadam, juriste et anthropologue, ancré dans les régions nord – traditionnellement acquises au pouvoir – a fait mouche. Il a su mobiliser en tenant un discours plus ferme que les autres opposants à l’égard du gouvernement, pour contrer les manœuvres en cours qui permettraient au président sortant de rester en place encore longtemps. Du coup, un sommet Israël-Afrique prévu pour fin octobre a été reporté, et les réformes politiques en cours, accélérées… Les autorités ont d’ores et déjà fait marche arrière sur leur projet « rwandais » de modifier par référendum la Constitution pour transformer le quinquennat en septennat et limiter à deux le nombre de mandats présidentiels successifs. Le but de la manœuvre était de se laisser la possibilité de rester en place jusqu’en 2034, comme Paul Kagame – l’un des héros et modèles de Faure Gnassingbé, le président du Togo, en politique. Désormais, il n’est plus question que de quinquennat, avec limitation des mandats, mais en remettant les compteurs à zéro à partir de 2020… Or la population a fait part de ses doléances à la « commission de réflexion » qui est chargée de sillonner le pays pour la consulter sur ces « réformes ».
«
UNE PLACE À PART DANS LA FRATRIE Un Accord politique global (APG) resté lettre morte avait déjà été passé avec l’opposition pour apaiser le climat en 2006. Il portait sur le retour à la Constitution de 1992, retouchée en 2002 par Eyadéma père pour rabaisser à 35 ans l’âge du président et faire « sauter » la limitation de mandats. L’opposition demande la restauration d’un article de la loi fondamentale qui disposait très clairement : « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats ». Autrement dit, le bras de fer qui se joue au Togo porte ni plus ni moins sur le départ de l’actuel président en 2020. C’est dire à quel point la pression monte contre Faure Gnassingbé, qui a entamé en 2015 son troisième 30
quinquennat. Malgré son bilan, qu’il défend à coups de grands chantiers dans la ville nouvelle WellCity, au nord de Lomé, ou de nouveaux axes routiers, il représente, à 51 ans, le « système Eyadéma ». Ou l’emprise, depuis 1963, d’une famille et d’un clan sur les affaires du Togo, un petit pays de 8 millions d’habitants, doté d’un grand port qui dessert les pays enclavés du Sahel, Burkina Faso, Mali et Niger, et qui dépend largement de son agriculture. Né le 6 juin 1966, trois ans après le putsch qui a porté son père au sommet de l’État, et un an avant que ce dernier ne devienne président, Faure Gnassingbé a reçu en héritage des méthodes et toute une culture politique. Qui est ce jeune chef d’État au sourire avenant ? Depuis son enfance, il occupe une place à part dans sa fratrie. Il n’est « que » le demi-frère des nombreux autres fils d’Eyadéma Gnassingbé*. Sa mère, Séna Sabine Mensah, une femme d’Agou, localité du sud du pays, a laissé derrière elle le fils issu de sa relation extraconjugale avec le général-président pour aller s’installer avec son époux légitime, un professeur d’université, en Côte d’Ivoire. Surnommée « Maman Sabine », elle réside aujourd’hui à Lomé, et a accompagné son fils à Rome en juillet 2014 lors d’une visite au pape François. Faure, dont le deuxième prénom est Essozimna, a donc été élevé entre Lomé et Kara, le fief paternel, au nord du pays, en enfant kabyè, l’ethnie septentrionale qui domine largement dans l’armée. Il a participé aux « Evalas », ces tournois de lutte d’initiation marquant le passage des garçons à l’âge adulte à Kara. Et terrassé, en 1980, un adversaire plus costaud que lui, pour le plus grand plaisir de son père. Il a fait son école primaire dans un camp militaire de Lomé, parmi les enfants d’officiers, avant d’entamer ses études secondaires au collège protestant de Lomé. En cours de route, pour des raisons sur lesquelles il ne communique pas, il est envoyé au collège Chaminade de Kara, où il décroche son BEPC en 1982, à 16 ans. Son père l’inscrit ensuite en seconde au prestigieux lycée militaire de Saint-Cyr, en France, où il obtient son baccalauréat section D (biologie) à 19 ans. À la discipline de l’armée il préfère cependant la liberté de la vie d’étudiant à Paris, et s’inscrit en 1985 en finances à l’université de Paris-Dauphine. Il en sort en 1989 avec une maîtrise de gestion. Un « blanc » de trois ans suit dans sa biographie officielle. Après quoi, il séjourne aux États-Unis de 1992 à 1997, où il obtient un Master of Business AdministraAFRIQUE MAGAZINE
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REUTERS
Lomé, le 7 septembre 2017 : 100 000 personnes (1 million selon les organisateurs) défilent pour réclamer le départ du chef d’État. tion (MBA) à l’université George Washington. Mais certains doutent qu’il ait réellement décroché ce diplôme, et ce en raison de son faible niveau en anglais. De retour au Togo en 1998, à 32 ans, il est élu un an plus tard député du parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple togolais (RPT), dans la préfecture de Blitta, au centre du pays. Nommé président de la Commission des relations extérieures et de la coopération de l’Assemblée nationale, il part fréquemment en mission à l’étranger, indique sa biographie. Réélu député en 2003, il est nommé la même année par son père « super-ministre » de l’Équipement, des Mines, des Postes et Télécommunications. Bien avant qu’Abdoulaye Wade n’en fasse de même avec son fils Karim au Sénégal, en 2009. Un lourd portefeuille, malgré les doutes du général-président concernant les capacités de son fils, qu’il réprimandait parfois en présence AFRIQUE MAGAZINE
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d’autres ministres pour son goût prononcé pour la fête, l’argent et les beaux costumes, bien plus que pour ses dossiers. La biographie officielle de Gnassingbé Eyadéma aborde sa succession en ces termes elliptiques : « À la suite du décès de Gnassingbé Eyadéma le 5 février 2005, il [le fils] devient président de la République le 7 février. Pour éviter au pays de basculer dans le chaos, il renonce à ses fonctions le 25 février afin de garantir la transparence de l’élection présidentielle du 24 avril à laquelle il est candidat. Faure Gnassingbé est élu président de la République le 24 avril 2005 en obtenant 60,15 % des suffrages. » Mais telle qu’elle a été relatée par la presse à l’époque, la version de ces événements est un peu différente. Le général Eyadéma, décédé à bord d’un avion au cours d’une évacuation sanitaire le 5 février 2005, n’avait pas clairement désigné de successeur, même s’il avait fait modifier en 2002 la Constitution, abais31
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sant l’âge légal de 45 à 35 ans pour accéder à la présidence et préparer un boulevard au jeune Faure, alors âgé de… 35 ans. Parmi ses nombreux fils, c’était le préféré, car il était le seul à avoir terminé ses études. La Constitution du Togo, elle, prévoit que le président de l’Assemblée nationale assure l’intérim en cas de décès du chef de l’État, et organise des élections dans les soixante jours. Or Fambaré Ouattara Natchaba, qui préside l’Assemblée à l’époque, est resté bloqué à Cotonou, au Bénin, toutes les frontières du pays ayant été fermées après l’annonce de la mort du « Grand Baobab de Pya ». Deux heures après cette nouvelle, Faure Gnassingbé est proclamé successeur par les généraux qui tiennent l’armée (8 500 hommes). Il procède ensuite à un « coup d’État constitutionnel », décrié par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’Union africaine (UA) et la communauté internationale, France et Union européenne (UE) en tête. En toute hâte, il fait modifier la Constitution, le 6 février 2005, un dimanche, de manière à restaurer le ministre qu’il est dans son ancien mandat de député. Ce qui permet à la majorité parlementaire, acquise au RPT, de l’élire nouveau président de l’Assemblée nationale. PAS DE RUPTURE DE STYLE Soumis à la pression internationale, et notamment à celle du Nigeria, alors dirigé par Olusegun Obasanjo, Faure fait marche arrière et démissionne de ses fonctions de président le 25 février, pour se porter candidat à l’élection présidentielle, et se faire élire le 24 avril. Le scrutin est marqué par une répression massive, aussi importante que celle qui avait fait 500 morts en 1993 lors de la difficile transition démocratique du pays. Entre 400 et 500 personnes ont péri entre février et mai 2005, selon un rapport d’enquête établi un an plus tard par les Nations unies. « À l’échelle de la population du Togo, c’est comme si 4 200 personnes devaient mourir en France pour une élection », note un journaliste à Lomé. Le scrutin est aussi entaché d’une fraude éhontée, des militaires ayant été filmés par des caméras de télévision françaises sortant des bureaux de vote avec des urnes pleines sous les bras. La fraude gagne en sophistication lors des scrutins de 2010 et de 2015, dont Faure sort vainqueur avec respectivement 60,88 % et 58,75 % des voix. En 2010, la commission électorale a changé au dernier moment le mode de transmission des résultats des bureaux de vote, sous prétexte de panne du système VSAT installé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). En 2015, après trois jours de tension, un coup de force télévisé se produit : les gendarmes ont neutralisé le vice-président de la commission électorale, issu de l’opposition, pendant que le président de la Ceni s’est dépêché de déclarer Faure vainqueur à la télévision, alors que le scrutin s’est joué dans un mouchoir de poche – avec des irrégularités dénoncées par l’opposition dans le nord du pays. 32
« Qu’il le veuille ou non, il représente désormais une anomalie en Afrique de l’Ouest, à l’écart des avancées démocratiques de ses voisins directs. » Répression, élections truquées, peur du complot, manœuvres pour maintenir l’opposition divisée, nomination de l’ancien opposant Edem Kodjo comme Premier ministre, un poste qu’il occupait déjà sous le général Eyadéma… Dès l’arrivée de Faure au pouvoir, tous les ingrédients semblent réunis pour la perpétuation du « système » Eyadéma, népotisme inclus. Le fils, qui ne revendique aucune véritable rupture avec le style de son père, nomme son demi-frère Kpatcha ministre de la Défense dès 2005. Cet homme proche des militaires a coordonné la répression durant la présidentielle. Kpatcha ayant des vues sur l’héritage paternel – une fortune estimée à 4 000 milliards de francs CFA placée dans une banque suisse selon la presse togolaise –, mais aussi le pouvoir, il n’est pas reconduit dans ses fonctions en 2007. Arrêté manu militari en avril 2009, il est accusé d’avoir comploté en vue de renverser Faure, puis jugé avec 31 complices présumés, civils et militaires, parmi lesquels son frère Essolizam et trois cousins. Il dénonce une « machination » et réclame une « réconciliation », mais il est condamné à vingt ans de réclusion ferme en 2011. Une peine qu’il purge à la prison civile de Lomé, où son état de santé s’est dégradé, en raison d’un diabète, et où il aurait été victime d’une agression le 18 août dernier – le pays se mettant aussitôt à bruisser de rumeurs. Comme sous le général Eyadéma, Faure Gnassingbé règne par la peur, mais aussi par extension de son clan et de son pouvoir dans l’armée comme la société civile… Le chef d’étatmajor actuel n’est autre que l’un de ses beaux-frères, Félix Abalo Kadanga, en poste depuis 2014. Réputé dur, ce fidèle avait mené l’arrestation musclée de Kpatcha, au cours de laquelle deux militaires ont été tués. Trois autres de ses beaux-frères tiennent des postes clés dans l’armée. AFRIQUE MAGAZINE
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1960 BY KEYSTONE PICTURES USA/ZUMA/REA
Olusegun Obasanjo. Et d’enfoncer le clou : « Il a dû épuiser Par ailleurs, Faure Gnassingbé est décrit, à tort, comme toutes les idées qu’il a pu avoir en termes de développement, marié avec Nana Ama Kufuor, la fille de l’ancien président sauf s’il a quelque chose de nouveau à nous apprendre. » ghanéen John Kufuor. Ce dernier avait exigé les fiançailles de À quel point peut-il craindre pour son propre avenir ? Son sa fille en 2005, tombée enceinte au cours de sa liaison avec silence, de ce point de vue, paraît éloquent. Il n’a dit mot depuis Faure. Mais nulle trace d’une union officielle. Depuis, la liste les événements du 19 août, laissant son ami et ministre de la de ses conquêtes et de sa descendance s’est allongée, selon Fonction publique, le prolixe Gilbert Bawara, s’exprimer à sa une méthode là encore éprouvée par le père – comme d’autres place. Toujours prêt à attaquer l’opposition, menée par Jeanprésidents d’ailleurs, sous d’autres cieux. Pierre Fabre, 65 ans, chef de l’Alliance nationale pour le chanFaure Gnassingbé s’est fait des ennemis au cœur même de gement (ANC), Gilbert Bawara a déclaré le 15 septembre : « Un son « système », en évinçant des barons et de hauts gradés de l’armée qui l’ont soutenu lors de son coup d’État constitutionnel, comme le général Zakari Nandja, ancien chef d’état-major mis à l’écart en 2009 après l’arrestation de Kpatcha. Cherchant à redorer son blason sur la scène diplomatique, il a organisé en 2016 une conférence internationale sur la piraterie maritime à Lomé. Et marqué quelques points dans la gestion de son pays. Le Togo a en effet atteint en 2010 le point d’achèvement de l’Initiative pour les pays pauvres et très endettés (PPTE) et beaucoup investi dans son réseau routier. Il affiche une croissance positive de 5,3 % en 2015 et 5 % en 2016. L’agriculture, qui représente 51 % des actifs et 48 % du PIB en 2016, reste malgré tout prépondérante, sur fond de déclin de l’indus- Le général Gnassingbé Eyadéma, en 1976. Il dirigea le pays de 1967 à sa mort, en 2005. trie (20 % du PIB) et des services (32 % du PIB en 2015 contre 47 % en 2005). La pauvreté gouvernement doit toujours être à l’écoute de sa population. » recule mais reste endémique (55,1 % de la population et sept Un référendum constitutionnel pourrait avoir lieu, comme au ruraux sur dix en 2015). La moitié des ménages ruraux n’a pas Rwanda, mais dans des conditions qui s’annoncent tendues. Le accès à l’eau potable, tandis que l’Indice de développement pouvoir accuse déjà l’opposition de créer un climat « d’insurrechumain du PNUD classe le pays dans le peloton de queue, au tion ». Les opposants, eux, redoutent de voir des militaires en 162e rang sur 188 pays. civil s’infiltrer dans leurs manifestations pour provoquer des violences et justifier la répression. D’ores et déjà, des escouades de soldats se prépareraient dans le nord du pays à rejoindre OBASANJO ENFONCE LE CLOU les rangs des policiers, pour mater toute velléité de révolte. Le C’est sur le plan de la gouvernance que son régime a le mot « insurrection » n’en reste pas moins gravé dans les esprits. plus de mal à se défendre. « Qu’il le veuille ou non, Faure Pas si lointain, le soulèvement d’octobre 2014 au Burkina Faso, représente désormais une anomalie en Afrique de l’Ouest, où donné pour improbable par les diplomates malgré de nomil paraît plus proche des dynasties à l’œuvre en Afrique cenbreux signes avant-coureurs, avait chassé Blaise Compaoré du trale que des avancées démocratiques de ses voisins directs, pouvoir. Et ce, juste avant… une réforme constitutionnelle taille Ghana et le Bénin », note un diplomate européen en poste lée sur mesure pour le maintenir au pouvoir. ■ à Lomé. « Il devrait mettre en place une nouvelle Constitution qui contiendrait une limite du nombre de mandats durant les* Dans les années 70, au plus fort du culte de sa personnalité, quels quelqu’un peut être président, et la respecter », a déclaré le prénom du général, Eyadéma, est devenu son patronyme officiel, de son côté en septembre à la BBC l’ancien président du Nigeria et son nom, Gnassingbé, son prénom. AFRIQUE MAGAZINE
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Six chefs (et leurs pères) Certains ont juste pris le fauteuil. D’autres ont été élus, parfois au terme d’un long parcours. Tous sont intimement liés à l’histoire de leur pays.
ALI BONGO ONDIMBA ET OMAR BONGO ONDIMBA (Gabon) Dynastie à Libreville
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À Libreville, en 2005.
ÉRIC BONNIER/LE FIGARO MAGAZINE
UNE SEULE lettre change dans leurs initiales. Pourtant, lorsqu’Ali Bongo Ondimba se présente au scrutin présidentiel du 30 août 2009, deux mois et demi après le décès d’Omar dans une clinique de Barcelone, c’est sur un air de renouveau, au terme d’une séduisante campagne de rupture. Il y croit. Et travaille à se détacher de l’écrasante image de son père. Le « Tsunali » promet de rompre avec plus de quarante ans de bongoïsme. Mais déjà, à l’époque, ABO est élu sur fond de contestation et de violentes émeutes. Même scénario, amplifié, pour le passage au second mandat en 2016. Entre-temps, le Gabon s’est enfoncé dans la crise, économique, sociale, politique. Les chantiers piétinent et les indicateurs placent l’émergence loin derrière. Au point que certains se prennent à regretter le « Vieux » et les années d’opulence, l’époque du plein or noir. Au final, on reproche au fils de gouverner plus ou moins comme le père, sans son élégance de redistribuer des richesses dans les rouages de la grande famille Gabon. Et surtout, ABO, malgré ses 58 ans, incarne la dynastie qui préside aux destinées du pays depuis un demi-siècle. Un scénario décrié en 2017 par les nouvelles générations africaines. ■ E.P.
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GRAIG RUTILE/AP/SIPA - NANZE/SIPA
JOSEPH KABILA ET LAURENT-DÉSIRÉ KABILA (RDC) Le Mzee et son héritier APRÈS l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila par son garde du corps, le 16 janvier 2001, dans des circonstances troubles, son fils Joseph lui succède, à 29 ans. À l’époque, il est chef d’état-major de l’armée de terre de la République démocratique du Congo (RDC). Bombardé président par l’entourage du « Mzee » (« sage » en swahili), beaucoup s’interrogent sur ses capacités. Il les prouve un an plus tard en acceptant un accord de paix à Sun City en 2002, qui met fin à la seconde guerre du Congo. Il partage le pouvoir avant de se faire élire en 2006 avec 58 % des voix face à Jean-Pierre Mbemba. Il supprime en janvier 2011 le second tour de la présidentielle, qu’il remporte la même année dans des conditions contestées. À la tête d’un système verrouillé et d’un pays constamment au bord du gouffre, il n’a pas modifié la Constitution pour rester au pouvoir, mais n’a pas organisé les élections de novembre 2016 prévues au terme de son second et dernier mandat. Ni celles attendues avant la fin de l’année 2017… La RD Congo est enfoncée dans une crise politique et économique majeure. ■ S.C. AFRIQUE MAGAZINE
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Joseph Kabila à l’assemblée générale des Nations unies, enseptembre 2017.
Laurent-Désiré Kabila lors d’un meeting à Goma, en 1997.
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POUVOIR : AU NOM DU FILS
EN 2011, The Economist Intelligence Unit avait classé Maurice seul pays africain « démocratie parfaite ». Une exception il est vrai, où les débats sont souvent vifs, avec des chefs charismatiques, le tout dans un petit « paradis » touristique (et fiscal diront certains). Sir Anerood Jugnauth rythme la vie politique, passant du pouvoir à l’opposition et vice versa. Premier ministre de 1982 à 1995, et de 2000 à 2003, il en devient ensuite le président de la République – fonction honorifique mais qui lui permet de rester aux avant-postes. Avant de redevenir Premier ministre. Et de préparer au mieux son fils, Pravind
Jugnauth, né en 1961, juriste et avocat de formation, aux arcanes du pouvoir. Ce dernier entre en politique au virage des années 2000 et occupe toutes les fonctions possibles des bancs de l’opposition et du pouvoir. Il est impliqué dans un retentissant scandale de corruption en 2015, avant
Entre Pravind (à g.) et Sir Anerood Jugnauth, l’union fait la force.
IAN KHAMA ET SERETSE KHAMA (Botswana) (Bo
Une longue lignée Un Ian Khama, président depuis 2008.
AUX COMMANDES du Botswana depuis 2008, Ian, le fils de Seretse depu Khama, héros de l’indépendance, a Kham qui tenir. Son père est issu d’un de q lignage royal, celui des rois des ligna Bamangwato. Le mariage de Sir Bam Seretse avec une « Blanche », Ruth Sere Williams, avait défrayé la chronique Willi dans une région marquée par les
Seretse Khama dirigea le pays de 1966 à sa mort, en 1980. 36 6
d’être blanchi par la cour suprême. Ministre des technologies, il devient Premier ministre en janvier 2017 à la démission de Sir Anerood, sans passer par les urnes… Le fils reconnaissant nomme son père, 87 ans, ministre de la Défense ! Exemplaire. Ou presque. ■ H.D./Z.L
préjugés raciaux. Ian, métis, est né en 1953 dans le Surrey alors que son père, humilié, avait été contraint à l’exil. En 1980, il a 27 ans lorsque son père, en fonction depuis 1966, décède. Formé au Swaziland puis à l’Académie militaire de Sandhurst, en GrandeBretagne, il devient pilote et dirige les forces armées du pays. Il entre en politique en 1998, date à laquelle le chef de l’État, Festus Mogae, le nomme vice-président et démissionne en 2008, lui laissant le pouvoir. Khama remporte les législatives (ce sont les députés qui élisent le président) de 2009 et de 2014. Il aurait annoncé son intention de se retirer l’année prochaine. Critique à l’égard des « despotes », il est lui même reconnu comme austère et autoritaire, accusé sur le dossier des terres bushmen. Il est surtout le 4e président d’un des pays les plus riches et les plus stables du continent. ■ S.C./Z.L. AFRIQUE MAGAZINE
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PRAVIND JUGNAUTH ET ANEROOD JUGNAUTH (Maurice) L’histoire en boucle
SUNDAY/ALAMBA/AP/SIPA - DR
NANA AKUFO-ADDO ET EDWARD AKUFO-ADDO (Ghana) Le style Oxford APRÈS les tentatives de 2008 et 2012, celle de 2017 aura été la bonne : il est élu président du Ghana en décembre 2016, au premier tour, avec 53 % des voix contre le sortant John Dramani Mahama. Une élection qui sera aussi remarquée par son discours d’investiture, largement plagié sur celui de présidents américains… Nana Akufo-Addo présente des similitudes troublantes avec le parcours de son père. Dans les années 30, Edward AkufoAddo est envoyé par ses parents à l’université d’Oxford : engagé aux côtés de Kwame Nkrumah, chantre de l’indépendance, il est juge à la cour suprême, puis ministre de la Justice avant d’accéder à son tour, en août 1970, à la présidence, largement honorifique, du pays. Celle-ci sera de courte durée : le régime est renversé AFRIQUE MAGAZINE
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Nana Akufo-Addo, pendant la campagne présidentielle de décembre 2016. Le candidat s’est imposé face au président sortant, John Mahama.
par le général Ignatius Acheampong en janvier 1972. Son fils Nana est alors en Angleterre. Dix ans plus tôt, lui aussi est allé à Oxford pour étudier le droit, comme son père, et devenir, lui aussi, avocat. Lorsque Edward meurt en 1979, Nana ouvre son propre cabinet à Accra. Puis s’engage en politique, militant notamment contre les atteintes aux droits de l’homme perpétrées par les généraux. En 2000, son rival au sein du Nouveau parti patriotique (NPP), John Kufuor, devient président. Nana Akufo-Addo devient… ministre de la Justice, comme Edward. Depuis, le fils de n’a eu de cesse de briguer l’élection présidentielle. Jusqu’à cette victoire, au nom du père… Et avec la lourde mission de sortir le pays de la crise économique. ■ H.D. /Z.L
Edward Akufo-Addo (1906-1979) a été l’un des « Big Six », groupe d’hommes qui, avec Nkrumah, dans les années 50, ont lutté pour l’indépendance du Ghana.
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POUVOIR : AU NOM DU FILS
Uhuru Kenyatta avec ses partisans le 5 septembre 2017, au sud de Nairobi, quelques jours après l’invalidation de son élection.
EN SWAHILI, son prénom signifie « liberté ». Uhuru est le fils de Jomo Kenyatta, fondateur de la nation kényane, premier président, et de sa quatrième épouse Mama Nigna. Il est né en octobre 1961, deux ans avant l’indépendance, enfant d’une grande famille kikuyu, la puissante ethnie dominante. Le 1er septembre, la cour suprême du Kenya a invalidé l’élection présidentielle du 8 août et la victoire de Kenyatta, président sortant. Une révolution. La justice aura inversé le cours du processus électoral pour cause de simples irrégularités. Le Kenya est souvent à l’avant-garde, mais c’est aussi un pays profondément divisé, le long de fractures historico-ethniques, héritées de la colonisation. Uhuru Kenyatta devra donc retourner aux urnes, fin octobre, face à son vieil adversaire Raila Odinga. Une histoire où hier retrouve aujourd’hui, qui mêle ethnie, famille, sentiments profonds d’injustices… Raila est le fils d’Odinga Odinga, qui fut vice-président de Jomo Kenyatta avant d’entrer dans son opposition (et en prison). C’est aussi la figure de proue des Luo, 4e groupe du pays, 10 % de la population, souvent marginalisés, majoritaires dans les grands bidonvilles de Nairobi et sur les rives du lac Victoria… ■ Z.L. 38
Jomo Kenyatta, premier président de la République du Kenya, de 1964 à 1978.
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UHURU KENYATTA ET JOMO KENYATTA (Kenya) L’histoire en boucle
Une affaire de famille Ils ne sont pas forcément tout au sommet du pouvoir, mais les « fils et filles de » jouent un rôle clé dans son exercice. Une partition entre ombres et lumières souvent délicate…
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ls ont grandi dans les palais ou y ont été nommés conseillers de leur père, voire « super-ministres ». Ils ont semé la zizanie dans les partis de gouvernement, dont les dauphins potentiels rongent leur frein, à cause de cette nouvelle tendance en vogue depuis les années 2000 sur le continent. Et ce, même si la succession dynastique n’a rien de spécifiquement africain. Faut-il y voir une dernière poche de résistance à la vague de démocratisation et d’alternances pacifiques qui balaie le continent ? L’essor des héritiers directs des chefs d’État, inconnu après les indépendances, n’a certes rien de spécifique à l’Afrique. Il se retrouve ailleurs, de manière plus exceptionnelle, en Inde avec le Premier ministre Nehru et sa fille Indira Gandhi, en Corée du Nord avec la seule dynastie communiste du monde (lire page 66), ou encore aux ÉtatsUnis avec George Bush senior (président de 1989 à 1993) et junior (2001-2009). Au nord du Sahara, les plus influents ont sans doute été les fils de Hosni Moubarak en Égypte et de Mouammar Kadhafi en Libye, et aujourd’hui Hafedh Caïd Essebsi en Tunisie, qui dirige le parti de son père Béji Caïd Essebsi, président depuis 2014. Au sud du Sahara, Karim Wade et Téodorin Obiang-Nguema ont en commun d’avoir eu maille à partir avec la justice, En 2006, l’un à Dakar pour « enrichissement Abdoulaye Wade, illicite », l’autre à Paris pour « bien alors président mal acquis ». Ils n’en restent pas du Sénégal (à moins présidentiables dans leurs dr.), avec son fils pays, le Sénégal et la Guinée Karim Wade. équatoriale. Teodorin ObiangNguema, dont le procès est en cours, semble plus proche du but que Karim Wade, en exil depuis 2016 au Qatar. Son père, au pouvoir depuis 1979, l’a nommé en juin 2016 vice-président chargé de la Défense et de la Sécurité. Dans une autre république pétrolière, le Congo, Denis-Christel Sassou Nguesso, fils du président DSN, se positionne lui aussi, lentement mais sûrement. Élu député en 2012, il a été nommé
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en janvier 2011 PDG de la branche distribution et directeur général adjoint de la toute-puissante Société nationale des pétroles du Congo (SNPC). À ces postes, il tient les rênes du pays sur le plan financier. Il s’est d’ailleurs fait épingler par les Panama Papers, trois de ses amis ayant été cités parmi les clients d’une firme du Panama qui domicilie des sociétés dans des paradis fiscaux. Sont-ils les plus dignes de confiance ou perçus par leurs clans comme mieux capables de les protéger après le départ du patriarche ? D’autres « fils et filles de » prennent de l’importance. En Afrique du Sud, le fils Duduzane Zuma défraye la chronique en raison de ses liens avec la famille Gupta, au cœur d’un scandale de corruption. En Guinée, au Mali et au Congo, Alpha Mohamed Condé, Karim Keïta et Claudia Sassou Nguesso sont les conseillers de leurs pères respectifs. Les filles, de leur côté, restent moins considérées comme de possibles « chefs ». Elles n’en ont pas moins une grande influence, qu’il s’agisse de Pascaline Bongo, nommée ministre des Affaires étrangères par Omar Bongo, ou Isabel dos Santos, qui domine dans le monde des affaires en Angola. Là encore, elles n’ont rien à envier à Ivanka Trump, femme d’affaires, styliste, fille et conseillère du président des États-Unis. ■ S. C.
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PERSPECTIVES PERSPECTIVES
RÉINVENTER L’ALGÉRIE ? Cinquante-cinq ans après l’indépendance, le pays est confronté à une crise multiforme. Succession, modèle économique, éducation, environnement, influence, les défis sont immenses. Les opportunités aussi.
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par Akram Belkaïd
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PERSPECTIVES SIX GRANDS DÉFIS POUR L’ALGÉRIE
1. La succession d’Abdelaziz Bouteflika
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Officiellement, le président est toujours aux manettes du pouvoir.
2. Encaisser le choc de la crise In-fla-tion. Le terme est dans toutes les bouches. En reconnaissant la gravité de la situation financière du pays et en évoquant le recours probable à la planche à billet pour permettre à l’État de vivre à crédit (sans s’endetter à l’étranger), le Premier ministre Ahmed Ouyahia a jeté un pavé dans la mare. Lui qui, au début des années 2010, expliquait à ses concitoyens que leur pays avait de quoi vivre longtemps en autarcie grâce à ses importantes réserves de change (plus de 200 milliards de dollars), reconnaît désormais que la baisse des cours du pétrole sape la stabilité financière du pays. Reste à savoir comment les autorités vont gérer cette raréfaction annoncée des revenus extérieurs dans un contexte où le bas de laine diminue d’un mois à l’autre. Dans ces conditions, on le sait, l’une des recettes classiques est de diminuer les importations et de sabrer dans les dépenses publiques, notamment les subventions. Déjà, plusieurs grands projets sont gelés mais les lobAFRIQUE MAGAZINE
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TOUFIK DOUDOU/AP/SIPA
Plus le temps passe, plus les rumeurs sur la dégradation de l’état de santé du président courent et plus les hypothèses sur sa succession se multiplient. On le sait, la liste des impétrants inclut Saïd Bouteflika, le frère, mais aussi nombre d’anciens Premiers ministres (Mouloud Hamrouche, Ali Benflis…) sans oublier l’actuel chef du gouvernement Ahmed Ouyahia. Certains pronostics tablent sur un militaire qui pourrait être l’actuel chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah. Même si la question alimente nombre de discussions, les Algériens n’accordent finalement que peu d’intérêt à ces conjectures. Pour eux, ce qui prime, c’est que cette succession annoncée se déroule sans violence. Pour les plus anciens, cela rappelle les craintes de la population alors que le président Houari Boumediene (19651978) était au plus mal. Finalement, le « pouvoir » avait réussi à surmonter ses divisions et la désignation de Chadli Bendjedid, voulue par l’armée, avait fait consensus. Près de quarante ans plus tard, la situation a changé. Les clans sont nombreux, les milieux d’affaires sont de la partie, l’armée, du moins ses services de sécurité, ont une moindre emprise sur la vie politique et le souvenir de la « décennie noire » reste prégnant. Pour les rares optimistes, cette succession pourrait être enfin l’occasion de libérer l’espace politique en faisant le pari d’une immense concertation nationale. Un dialogue politique qui permettrait de dégager un consensus national. En somme, une manière de renouer avec les grandes espérances nées de l’indépendance.
LALI DJENIDI/GAMMA
Gaz et pétrole (ici, la raffinerie d’Arzew) représentent 95 % des exportations, deux tiers des recettes budgétaires et un tiers du PIB. Une dépendance alarmante depuis la plongée des cours du baril.
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PERSPECTIVES RÉEINVENTER L’ALGÉRIE ?
bies de l’importation s’opposent à un retour aux années 90 où les achats à l’étranger étaient strictement encadrés. L’histoire moderne du pays démontre aussi que toucher aux subventions (aliments, énergie…) provoque le plus souvent de violents mouvements sociaux et populaires. L’affaire est d’autant plus complexe que les Algériens se demandent désormais où sont passés la manne pétrolière et les 600 milliards de dollars de surplus engrangés entre 2000 et 2014. Faire admettre à la population qu’il est nécessaire de faire des sacrifices ne sera pas très aisé, quelle que soit la nature, nouvelle ou non, du pouvoir à Alger.
3. Trouver (enfin) un nouveau modèle économique
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4. Réformer le système éducatif Pour qui a connu l’Algérie dans les années 70, le pays a profondément changé. Phare du progressisme et du tiers-mondisme, il s’est peu à peu transformé en terre conservatrice où la religiosité est omniprésente. Certes, l’islam politique a perdu en légitimité après les terribles violences des années 90, mais il n’empêche. C’est à l’aune d’une pensée rétrograde et peu ouverte sur le reste du monde que nombre d’Algériens appréhendent désormais leur environnement immédiat, comme leurs rapports au reste de la planète. Les femmes en sont les principales victimes, mais aussi la jeunesse qui se voit bridée dans ses projets de vie. Pour nombre d’Algériens, la responsabilité relève en grande partie de l’école, dont les AFRIQUE MAGAZINE
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SIDALI DJABOUB/AP/SIPA
C’est le serpent de mer. L’incontournable sujet qui revient à la surface quand les choses commencent à aller mal. L’Algérie, comme nombre de pays producteurs d’or noir, est malade de son pétrole. Plus de 95 % de ses recettes d’exportations proviennent de la vente des hydrocarbures. Dès 1970, le pouvoir réfléchissait à cette question en cherchant notamment à industrialiser le pays. Mais l’Algérie, malgré ses efforts et plusieurs plans ambitieux de diversification, n’a jamais réussi à modifier la donne. Quand le baril va, tout va. Quand les cours refluent, les problèmes réapparaissent. La rente, quel que soit le secteur, s’avère être un obstacle redoutable. Pourquoi produire des biens d’équipements, des automobiles ou des pièces détachées quand il est si simple (et tellement plus rentable pour le lobby de « l’import-import ») d’importer. Certes, des secteurs commencent à émerger comme l’agroalimentaire ou les services informatiques. Mais, à chaque fois, la rengaine est la même. Trop de barrières administratives, une législation tatillonne et une vision relevant encore de la bureaucratie planificatrice. Et, surtout et encore, la rivalité implacable des importateurs. Plus important encore, la grande majorité des dirigeants algériens est convaincue que le secteur privé n’est pas à la hauteur et qu’il ne saurait être le moteur du développement économique. Quant aux investisseurs étrangers que pourrait intéresser un marché de 40 millions de personnes, ils subissent une vision antagoniste. Appelés régulièrement à s’implanter en Algérie, ils sont confrontés à des lois qui les obligent, dans nombre de secteurs, à s’associer à des opérateurs locaux, ne pouvant détenir au maximum que 49 % du capital d’une entreprise commune. En 2017, l’Algérie attend toujours la formulation d’une doctrine économique qui lui permettrait de s’engager pleinement dans la mondialisation.
BACHIR/DIVERGENCE
À Oran, un ouvrier s’affaire sur la chaîne de montage de l’usine Renault, inaugurée fin 2014. Mais les initiatives pour diversifier l’économie et la consommation locales sont encore trop peu nombreuses.
Université de Constantine. L’enseignement, chantier prioritaire, est l’objet de querelles permanentes entre conservateurs et modernistes.
programmes sont âprement critiqués. Signe qui ne trompe pas, quand ils peuvent, et quitte à se saigner, les ménages inscrivent leurs enfants dans des écoles privées. Ces dernières dispensent deux programmes en même temps. L’officiel, imposé par les autorités, et celui inspiré par d’autres systèmes éducatifs, notamment français. Chaque année ou presque, des scandales ternissent la réputation du baccalauréat, tandis que l’université connaît des actes de violence inconnus jusque-là. Sur le plan politique, les réformes du système éducatif posent la question de l’opposition entre courants politiques plus ou moins proches de l’islamisme voire du nationalisme, et ceux plus enclins à défendre une vision plus modernisatrice de la société. Un exemple parmi tant d’autres : l’usage du français comme langue d’enseignement de certaines matières scientifiques ne cesse d’alimenter un débat passionné où fusent les accusations de traîtrise à la nation. AFRIQUE MAGAZINE
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PERSPECTIVES SIX GRANDS DÉFIS POUR L’ALGÉRIE
5. Protéger l’environnement Tous les visiteurs étrangers qui sillonnent l’Algérie le disent. Ce pays, vierge de tout tourisme de masse, pourrait devenir la destination phare du sud de la Méditerranée. À condition, bien sûr, qu’il se dote des infrastructures nécessaires (transports, hôtels…). Mais il n’y a pas que cela. Depuis les années 90, l’environnement subit de multiples attaques et dégradations. Des plages et des oueds sont pillés pour leur sable. Des constructions anarchiques rognent sur les terres fertiles, la plaine de la Mitidja en étant l’un des exemples. Régulièrement, des scandales sanitaires et alimentaires ébranlent la confiance des consommateurs. Les nappes phréatiques et les côtes subissent la pollution d’industries vieillottes aux normes désuètes. Il y a quelques années, les cultivateurs du sud du pays se sont mobilisés pour s’opposer à l’extraction des gaz de schiste susceptibles de contaminer les nappes fossiles. Suspendue, cette exploitation est de nouveau à l’ordre du jour. De même, les forages hydrauliques dans les hauts plateaux et dans les régions semi-désertiques se multiplient dans l’anarchie, alimentant des serres géantes dont les productions abusent des engrais chimiques. Dans ce panorama, les voix réclamant une promotion nationale de l’agriculture biologique peinent à se faire entendre. Dans les discours mobilisateurs récurrents (nation, identité, langue, religion, souveraineté nationale), l’environnement et sa protection sont rarement évoqués y compris sous l’angle de l’anticipation des effets du réchauffement climatique. Un tel sujet renouvellerait pourtant les programmes politiques et donnerait de nouvelles perspectives aux Algériens. 46
6. Repenser son rôle international Dans l’imaginaire collectif, l’Algérie se voit aujourd’hui comme un pays cerné. Aux appétits d’un Nord toujours suspecté d’impérialisme et d’ingérence politique s’ajoutent les foyers de crise en Libye et dans le Sahel, sans oublier la tension permanente avec le voisin marocain. Depuis plus d’une décennie, la diplomatie algérienne semble moins active que par le passé, abandonnant des terrains qui étaient sa zone privilégiée, à l’image de l’Afrique subsaharienne. Cultivant encore sa différence et sa souveraineté (Alger refuse, par exemple, d’emboîter le pas à l’Arabie saoudite dans sa « guerre froide » contre l’Iran), le pays peine pourtant à se positionner sur le plan international. Une situation qui alimente un vrai sentiment de frustration chez les élites algériennes et qui exacerbe le chauvinisme désormais surnommé « wanetoutrisme » (il tire son origine du slogan « one-two-three, viva l’Algérie », entonné dans les stades). S’il faut être critique à l’égard de la vision, parfois paranoïaque, des Algériens vis-à-vis du reste du monde (les théories du complot y font florès depuis les printemps arabes de 2011), il n’en demeure pas moins que ce pays est confronté à la nécessité de repenser ses alliances. En rivalité avec le Maroc, obligé de fournir un effort militaire conséquent au sud du pays pour contenir les groupes armés islamistes qui essaiment dans le Sahel, Alger est aussi en froid avec l’Égypte en raison de divergences quant à la situation libyenne. Et si l’armée algérienne participe de temps à autre à des manœuvres conjointes avec l’Otan, le pouvoir algérien sait que ses relations avec l’Occident ne lui garantissent pas un statut d’allié inconditionnel. Proche de la Russie, son principal fournisseur d’équipements militaires, l’Algérie entend garder ses distances. Une position d’équilibriste qui reste à théoriser afin qu’elle permette à la population algérienne de pacifier son rapport au reste du monde. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Dans les discours, l’écologie est rarement évoquée. Sans sensibilisation réelle, le littoral (ici, la baie d’Alger) ne peut être valorisé.
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Jadis porte-voix emblématique des pays « non-alignés », l’État n’est plus une locomotive sur la scène internationale. Ici, le 20 septembre, la tenue de la 8e Commission mixte Algérie-Russie à Alger.
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Luanda, le 19 août. Lors du meeting de clôture du MPLA pour les élections générales, José Eduardo dos Santos (à gauche) affiche son soutien à son successeur désigné, João Lourenço.
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REPORTAGE
L’ANGOLA, APRÈS
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MARCO LONGARI/AFP
Chef incontesté depuis trente-huit ans, José Eduardo dos Santos confie le pays à un nouveau président, João Lourenço. Un homme de consensus. Ou de compromis. Et une transition historique qui ne manque pas de défis, dans un système à bout de souffle. par Estelle Maussion, envoyée spéciale à Luanda
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REPORTAGE L’ANGOLA, APRÈS JES
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’est l’un de ces nouveaux palais de verre qui ont fait leur apparition sur la baie de Luanda, front de mer planté de palmiers de la capitale angolaise. Le Fortaleza Shopping – centre commercial de près de 12 000 m2 – a poussé au pied de l’historique forteresse São Miguel, l’un des rares édifices du XVIe siècle de la ville, jusqu’à venir la masquer en partie avec ses six étages. Son promoteur, le groupe Sopros, détenu par les principales banques du pays, le présente fièrement comme le premier temple de la consommation moderne de l’hyper centre-ville. Pourtant, dans la rue et certains médias, on entend un autre son de cloche : le bâtiment fait honte à beaucoup de Luandais. Il est le symbole de l’avidité d’une élite d’investisseurs qui se moque de compromettre le classement au patrimoine mondial de l’Unesco d’un vestige de l’histoire angolaise. Il illustre les errements d’un pouvoir multipliant les projets immobiliers de luxe quand les hôpitaux manquent de médicaments et de poches de perfusion. Il incarne le mal-développement d’un pays, deuxième producteur de pétrole d’Afrique mais dont la moitié de la population vit encore avec moins de deux dollars par jour. Voilà l’Angola dont hérite le nouveau président, João Lourenço, 63 ans, sorti victorieux des élections générales d’août dernier et en fonction depuis fin septembre. Ex-ministre de la Défense et cacique du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), le parti qui dirige le pays depuis son indépendance en 1975, il succède à celui que l’on pensait inamovible, José Eduardo dos Santos (JES). Après 38 ans de règne sans partage, ce dernier, âgé de 75 ans et qu’on dit malade depuis longtemps, a été contraint de passer la main. Son bilan est en demi-teinte. Propulsé à la tête de l’Angola à 37 ans après le décès soudain d’Agostinho Neto en 1979, JES a survécu à presque trois décennies d’une guerre civile sanglante sur fond de guerre froide, menant son camp jusqu’à la victoire en 2002, après la mort de Jonas Savimbi, le leader de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Au sortir du conflit, qui a fait au moins 500 000 morts et provoqué le déplacement de 4 millions de personnes, l’Angola (en lutte pour son indépendance entre 1961 et 1975) n’est qu’un champ de ruines. « Architecte de la paix », José Eduardo dos Santos se mue alors en artisan de la reconstruction nationale. Réalisé en un temps record, le processus est cependant imparfait. La qualité
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de certaines infrastructures laisse à désirer, les conditions d’attribution de différents contrats sont opaques, l’omniprésence des membres du camp présidentiel est critiquée. Des travers qui se sont accentués ces dernières années, au point d’assister à une fin de règne difficile, « décadente » selon certains, et provoquant un agacement au sein de la population comme chez certains cadres du MPLA. Après la nomination en 2013 du fils de JES, José Filomeno, à la tête du fonds souverain angolais (doté de 5 milliards de dollars), sa fille aînée, Isabel, a pris les commandes de la société nationale de pétrole Sonangol en 2016. « La princesse », surnom d’Isabel, aurait également décroché, selon un article publié en août dernier par le journal portugais Expresso, 40 % de participation dans un projet de construction de barrage chiffré à 4,5 milliards de dollars, une information fermement démentie par l’intéressée. Comme si cela ne suffisait pas, l’un des plus jeunes enfants de JES, Eduane Danilo, 26 ans, a fait parler de lui, en mai dernier, en achetant lors d’une vente aux enchères caritative à Cannes AFRIQUE MAGAZINE
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La baie de Luanda et ses gratte-ciel en construction (en 2015), symbole de l’essor de la capitale angolaise.
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Pour imprimer sa patte et s’imposer, João Lourenço devra d’abord asseoir son autorité sur son propre camp.
une montre à 500 000 euros… En dépit de ce contexte délicat, la transition a été bien gérée : le MPLA a fait bloc derrière Lourenço et dos Santos a quitté le pouvoir en évitant le chaos, assurant une passation en douceur. Pourtant, les défis restent nombreux. Frappée de plein fouet par la chute du prix des matières premières depuis mi-2014, l’Angola est en crise, une situation qui accroît les tensions sociales, nourrit les critiques des partis de l’opposition et, surtout, remet en cause le fonctionnement même du MPLA. Pour João Lourenço, comme pour le pays, le plus dur commence.
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MANIFESTATIONS ET JOURNÉES MORTES Sur le plan politique, le nouveau président va évoluer en terrain miné. Sa victoire, intervenue après un scrutin jugé « satisfaisant » par les observateurs internationaux, est contestée par l’opposition. Dénonçant de nombreuses violations de la loi électorale (comme lors des dernières élections en 2012), elle a multiplié les recours devant la commission nationale AFRIQUE MAGAZINE
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électorale (CNE) et devant le Tribunal constitutionnel (TC) pour obtenir l’annulation du vote et le recompte des voix. En vain. Selon les résultats officiels et désormais confirmés, le MPLA a remporté 61,07 % des suffrages, contre seulement 26,67 % pour l’Unita, son rival historique, et 9,54 % pour Casa (Convergence ample de sauvetage de l’Angola), mouvement lancé en 2012 par Abel Chivukuvuku, un dissident de l’Unita. Un score qui permet au parti de João Lourenço de disposer d’une majorité absolue de députés (150 sur 220) et des pleins pouvoirs à l’Assemblée nationale. « Personne ne doutait de cette victoire mais on espérait un score moindre pour qu’il puisse y avoir de vrais débats au parlement, pour forcer le MPLA à faire des concessions. Il n’en sera rien. C’est reparti pour cinq ans d’arrogance », confiait, amer, Daniel, un chauffeur de taxi quelques jours après le vote. Un sentiment largement partagé dans les rues de Luanda. L’Unita et Casa, cantonnés à un rôle de quasi-figuration au Parlement, attendent désormais avec impatience une autre échéance, les élections locales, maintes 51
REPORTAGE L’ANGOLA, APRÈS JES
fois reportées avant d’être finalement annoncées pour la fin 2018. Si elles se tiennent véritablement, elles constitueront un nouveau test de popularité pour le MPLA. À l’issue des élections générales, les deux principaux partis d’opposition réunis ne sont arrivés en tête que dans deux provinces sur 18, Luanda et Cabinda, l’Unita seule ne dépassant le MPLA que dans un quartier de Luanda. Le « M », comme on l’appelle, est-il capable de récolter une telle unanimité au niveau municipal ? L’opposition assure que non. Avant même d’anticiper sur les résultats, l’organisation du scrutin, une première dans le pays, promet d’être un casse-tête politique, logistique et administratif pour
LA FIN DES « ANNÉES D’OR »
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vec la chute du prix des matières premières, l’Angola, dont 45 % du produit intérieur brut (PIB) et 75 % des recettes fiscales dépendent de l’or noir, a vu ses revenus s’effondrer. Son taux de croissance, en moyenne de 10 % depuis la fin de la guerre civile en 2002, est tombé à 1,3 % cette année et ne devrait pas dépasser 1,5 % en 2018, selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Un coup d’arrêt qui engendre un cercle vicieux : effondrement du kwanza (la monnaie nationale), inflation, diminution des investissements étrangers, chômage et endettement. Pour autant, en cette année électorale, l’exécutif a tenu à inaugurer une série de projets, attendus de longue date, dont trois ponts routiers à la sortie de Luanda et le plus grand barrage hydroélectrique du pays, à Lauca, à 250 kilomètres à l’est de la capitale. « On s’attend maintenant à un douloureux et inévitable retour de bâton », lâche un chef d’entreprise. Pour boucler le budget 2018, l’État – qui a déjà emprunté près de 30 milliards de dollars cette année – devrait à nouveau recourir à l’endettement. Mi-août, un décret présidentiel a mandaté la banque russe VTB pour diriger l’émission d’un eurobond de 2 milliards, une procédure qui pourrait toutefois être contrariée par la dégradation, intervenue à la même époque, de la note souveraine angolaise (de B à B-) par l’agence Standard&Poor’s. Même avec la Chine, premier partenaire économique et financeur de l’Angola, les choses commencent à se corser : en juin dernier, Luanda, incapable d’honorer ses engagements, a réussi à négocier l’effacement d’une partie d’une créance dont l’échéance arrivait à terme pour une valeur de 6 millions d’euros. Mais, d’autres échéances sont encore à venir, Pékin ayant, rien qu’en 2015, octroyé une ligne de crédit de plus de 4 milliards de dollars. ■ E.M.
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João Lourenço, qui voudra à la fois en garantir la transparence et en maîtriser l’issue. Pour s’imposer comme le nouvel homme fort du pays, João Lourenço va surtout devoir asseoir son autorité sur son propre camp. C’est-à-dire relever une double épreuve : s’affranchir de la tutelle de l’ancien président et s’assurer de l’adhésion du parti. Dans les deux cas, la tâche s’annonce ardue. S’il abandonne les commandes de la présidence, JES reste – au moins jusqu’à la fin de l’année – à la tête du MPLA, ce qui limite de fait les marges de manœuvre de son successeur. En outre, avant de quitter la « Cidade Alta » (le nom du palais présidentiel), « Zédu » (contraction de José Eduardo) a pris soin de publier un décret confirmant à leurs postes pour une durée de quatre ans les hauts responsables militaires, policiers et des services d’intelligence. Officiellement, il s’agit d’assurer une transition en douceur. Dans les faits, c’est là un autre moyen de conserver de l’influence. Sans compter que des membres de sa famille sont présents dans tous les secteurs de l’économie, du pétrole aux banques en passant par l’immobilier, les transports et les médias. Une accumulation de contraintes qui fait dire à l’opposition et à une partie de la jeunesse que João Lourenço ne sera que la « marionnette » de JES.
GÉRER LES DIVISIONS DU MPLA Au niveau du parti, les choses ne sont guère plus aisées. Certes, celui que l’on appelle « JLo » en connaît parfaitement les rouages pour avoir été son secrétaire général de 1998 à 2003. Certes, il y dispose d’alliés, dont l’ancien vice-président Manuel Vicente dit la rumeur, et d’un capital sympathie auprès des militants fatigués de l’omniprésence du clan dos Santos. Certes, le parti l’a soutenu comme un seul homme durant la campagne, mettant à sa disposition sa machine militante. Mais, comme toujours avec le MPLA, cette belle unité de façade cache de profondes divisions. Certains jaloux se seraient bien vus à la place de l’heureux élu et tenteront de lui mettre des bâtons dans les roues. D’autres camarades voudront défendre leur position. Que feront les anciens bras droits de JES, en particulier l’ex-monsieur sécurité du régime, le général Kopelipa, sortis du gouvernement mais toujours puissants ? « José Eduardo dos Santos avait tout le pouvoir mais consultait beaucoup, souligne un très proche du cercle présidentiel. Ce système devrait survivre malgré les ambitions personnelles. » De surcroît, JLo devra également rassembler les différents courants du MPLA, des membres de la vieille garde aux jeunes générations en passant par les héritiers du premier président Agostinho Neto. Un exercice de synthèse qui a tout d’une mission impossible. Preuve que le nouveau chef de l’État marche sur des œufs, il a nommé un gouvernement de continuité, composé de 32 membres dont 9 ont été reconduits à leur poste. Et, sur les 18 gouverneurs de provinces, 13 restent en fonction. AFRIQUE MAGAZINE
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JOAO SILVA/THE NEW YORK TIMES/REDUX/REA
Au quotidien, la capitale oscille entre projets immobiliers de luxe et précarité, comme ici, dans le quartier de Kinaxixe.
À cette équation politique complexe s’ajoute un autre danger, bien plus périlleux : la crise économique qui dure depuis mi-2014, provoquée par la baisse mondiale des cours du pétrole. Avant ce choc, Luanda était un eldorado et un champ de grues, attirant un flux continu d’investisseurs et d’expatriés. L’Angola était même devenue le refuge de nombre de Portugais, fuyant la crise dans leur pays et à la recherche de meilleures conditions de vie. Pendant ces années d’or, la capitale angolaise a vécu un véritable boom et s’est transformée : immeubles de bureaux modernes, centres commerciaux, stades, villes nouvelles géantes se sont multipliés aux quatre coins de la ville. Débordante d’énergie et embouteillée, Luanda était un symbole de l’émergence africaine et d’une impressionnante résilience. Ce qui rend le contraste avec la situation actuelle d’autant plus saisissant. Les chantiers sont toujours là mais à l’arrêt ou tournant au ralenti. Le flot de vendeurs ambulants qui animait les rues s’est amoindri, faute de pouvoir acheter des produits à revendre ou faute de clients. Dans les supermarchés, le prix de la boîte de thon, du paquet de riz ou de la plaquette de beurre a doublé, parfois plus en fonction des enseignes. Finis les terribles embouteillages d’il y a quelques années, preuve du ralentissement de l’activité. João Lourenço, qui a déclaré la veille de l’élection vouloir être « l’homme du miracle économique », va, avant toute chose, devoir sauver le navire Angola du naufrage. Dans le secteur pétrolier, les majors ont drastiquement dimiAFRIQUE MAGAZINE
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Les prix du beurre, du riz ou de la boîte de thon ont doublé. Un indicateur qui ne ment pas…
nué leur activité, cherchant par tous les moyens (y compris les licenciements) à réduire leurs coûts, alors que la société nationale Sonangol, en pleine restructuration, a annoncé fin 2016 qu’elle ne verserait pas de dividendes à l’État, une première. En parallèle, la diversification de l’économie annoncée n’a pas eu lieu, privant le pays d’autres sources de revenus possibles. « Non seulement la part des revenus non pétroliers dans le PIB tend à diminuer, mais, au sein du PIB non pétrolier, c’est le secteur public qui pèse le plus lourd et non l’industrie minière, transformatrice ou le commerce », souligne Alves da Rocha, le directeur du Centre d’études et de recherches scientifiques (CEIC) de l’Université catholique d’Angola. « La première chose 53
REPORTAGE
« JLO », L’HOMME DU CONSENSUS
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e nouveau président angolais était-il le premier choix de José Eduardo dos Santos (JES) ? Rien n’est moins sûr. La rumeur affirme que ce dernier aurait tout d’abord proposé son fils, José Filomeno, ce que le parti aurait rejeté. Outre le fait que Lourenço n’a jamais fait partie du premier cercle de JES, les deux hommes ne s’entendent pas particulièrement bien : au début des années 2000, alors que JES avait laissé entendre qu’il ne représenterait pas aux prochaines élections, Lourenço avait, lui, laissé transparaître ses ambitions, une audace qui lui avait valu d’être mis au placard (doré), comme premier vice-président de l’Assemblée nationale, de 2003 à 2014. Pendant la dernière campagne, dos Santos a assisté à un seul meeting – le dernier, à Luanda – de João Lourenço. Une fois sur scène, il a fait un discours de 10 minutes, introduit le candidat à la foule, puis est reparti, sans attendre la fin de l’intervention de son successeur… Alors, pourquoi lui ? Parce que Lourenço était le seul candidat qui faisait consensus au sein du parti. Ancien militaire (général 3 étoiles réformé), membre João Lourenço, à historique du MPLA la sortie du bureau de vote, le 23 août. (depuis 1974, lors de la lutte pour l’indépendance), c’est un homme discret et réservé, qui n’a jamais été touché par une affaire de corruption. Tout l’inverse de Manuel Vicente, le vice-président jusqu’à présent et l’homme dont dos Santos a, un temps, voulu faire son dauphin. Nommé patron de Sonangol, puis ministre de la Coordination économique et enfin numéro deux sur la liste du MPLA aux élections de 2012, Vicente était ainsi devenu viceprésident, une promotion imposée au parti et qui avait provoqué beaucoup de remous. Depuis, il fait l’objet de poursuites au Portugal pour des affaires de corruption. ■ E.M.
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à faire, c’est demander l’aide du Fonds monétaire international (FMI) afin de faciliter l’élaboration du budget et de redonner de la crédibilité au pays sur le plan international », affirme Carlos Rosado, le directeur de l’hebdomadaire économique Expansão. Un pas que le pouvoir angolais a toujours du mal à franchir, marqué par le passé : au sortir de la guerre civile, l’institution de Bretton Woods avait conditionné son aide à l’amélioration de la transparence des comptes publics, un affront à la souveraineté angolaise, selon JES, qui avait fait échouer les négociations. Seule la crise mondiale de 2008, et l’effondrement des cours du pétrole associé, avait conduit Luanda à demander une assistance financière, intervenue entre 2009 et 2012, à hauteur de 1,4 milliard de dollars. Preuve de la difficile normalisation des relations, en avril 2016, le pays avait une nouvelle fois fait appel au FMI, pour un prêt de 4,5 milliards de dollars, avant de brutalement suspendre les négociations en juin… Le nouveau président, dont l’épouse, Ana Dias Lourenço, ministre du Plan de 1999 à 2012 et ancienne représentante de l’Angola à la Banque mondiale (BM) à Washington, pourrait définitivement s’engager sur la voie d’une collaboration de long terme avec le FMI et mettre en œuvre les réformes structurelles suggérées depuis des années pour améliorer les indicateurs macroéconomiques, la gouvernance et le climat des affaires. Pour l’heure, l’Angola pointe en queue de peloton dans les classements internationaux, à la 182e position sur 190 dans le rapport « Doing Business » 2017 de la BM, tristement réputée pour ses difficultés logistiques (coût de l’énergie, de l’approvisionnement), sa bureaucratie et sa corruption. La réussite du nouveau chef de l’État dépendra de sa capacité à tenir sa promesse de campagne : « améliorer ce qui va bien et corriger ce qui ne va pas ». Cela signifie continuer à investir massivement dans les infrastructures comme cela a été fait depuis 2002, mais aussi contrôler l’efficacité, la qualité et la transparence des projets. Cela veut également dire réduire l’importance de la défense et de la sécurité (premier poste de dépense dans le budget) pour concentrer les efforts sur les secteurs sociaux, éducation et santé, ainsi que sur l’agriculture, clés de la création d’emplois et du développement. L’avenir de l’Angola, dont la production de pétrole va mécaniquement baisser à partir de 2021 en raison de l’épuisement de ses champs, repose sur cette capacité à diversifier et à dynamiser l’économie. Il s’agit de sortir de la « malédiction des matières premières », de la dépendance à l’or noir et de la logique d’économie de rente. Or, cette logique AFRIQUE MAGAZINE
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BRUNO FONSECA/AP/SIPA
L’ANGOLA, APRÈS JES
Luanda, capitale en contraction
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eureusement qu’il y avait la campagne électorale pour mettre un peu d’animation dans les rues de la capitale angolaise. Le centre-ville, et notamment la place de l’Indépendance (avec la statue du premier président Agostinho Neto), n’était qu’une compétition de drapeaux et une bataille de couleurs : rouge, or et noir pour le MPLA, vert et rouge pour l’Unita, jaune et bleu pour Casa. Impossible de rater les grands panneaux publicitaires présentant le candidat du « M » (le surnom du MPLA), João Lourenço, en chemise rouge et la main levée montrant le chiffre quatre, la case à cocher sur le bulletin de vote. En face, on voyait défiler les portraits d’Isaías Samakuva (Unita), présents sur nombre de tee-shirts, et ceux d’Abel Chivukuvuku (Casa), collés sur des pick-up. Chaque parti a voulu marquer les esprits avec son meeting de clôture de campagne, dans le quartier de Camama, en périphérie de Luanda, pour le MPLA, dans celui de Cazenga pour l’Unita et dans la province rurale du Zaïre, au nord du pays, pour Casa. Les conversations, entre amis au café, entre agents de sécurité sur le pas des portes, entre vendeurs de téléphones portables à la sauvette dans la rue, allaient bon train sur le bilan du MPLA, les belles promesses de l’opposition, la tentation de l’abstention et la conscience que ce vote ne transformerait pas le quotidien. Car, mise à part cette agitation électorale, l’ambiance était morose à Luanda. Avec la chute du cours de l’or noir, la ville s’est vidée d’une partie de ses occupants : nombre d’expatriés – issus du secteur pétrolier et parapétrolier – ont été renvoyés chez eux et beaucoup de Portugais ont plié bagage, retournant dans leur pays, désormais sorti de la crise. Les personnes qu’ils employaient comme femmes de ménage, nounous et chauffeurs ont dû trouver d’autres maisons ou d’autres occupations. Même ralentissement du côté de la construction : de nouvelles tours sont sorties de terre sur la baie de Luanda mais peinent à être terminées, leur silhouette de béton – pas
a été poussée à l’extrême par José Eduardo dos Santos, à la tête d’un réseau clientéliste liant généraux, hauts responsables du MPLA, membres de sa famille et contrôlant l’ensemble des ressources nationales. « Corriger ce qui ne va pas », c’est donc aussi faire la guerre à la corruption, mettre à mal le monopole des quelques importateurs-rois du pays, assainir un système bancaire gangrené par l’omniprésence de PPE (personnes politiquement exposées, João Lourenço est lui-même actionnaire AFRIQUE MAGAZINE
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encore recouvertes de verre – obscurcissant un horizon déjà gris. Dans la rue, les vendeuses de légumes et de recharges téléphoniques, tout comme leurs collègues qui changent les dollars contre des kwanzas, sont chaque jour plus insistantes : « La vie est dure, tout est plus cher et on ne vend pas assez pour nourrir notre famille. » Si le taux de change officiel n’a que peu bougé (1 dollar pour 100 kwanzas en 2014, contre 166 kwanzas actuellement), le cours informel, lui, s’est envolé : il est d’environ 380 kwanzas, après être monté à plus de 500 en début d’année. Luanda a déjà vécu une période difficile comme celle-ci après la crise mondiale de 2008. Entre 2009 et 2010, l’activité s’était contractée, l’argent s’était raréfié, les investisseurs avaient levé le pied. Puis, le cours du pétrole était remonté, relançant la machine et redonnant le moral. Le problème actuellement, c’est que la crise dure, déjà depuis mi-2014, et qu’elle devrait encore se poursuivre, alors que le prix de l’or noir stagne.
ILHA, CAÏPIRINHA ET CANDONGUEIROS Aujourd’hui comme hier, certaines choses ne changent pas. Autour du 20 du mois, on voit des files d’attente se constituer tôt le matin devant la banque BPC (Banco de Poupança e Crédito) : des fonctionnaires attendant de toucher leur salaire. Sur Ilha, la presqu’île en face la baie, il y a toujours du monde dans les cafés, restaurants et discothèques. On vient boire une caïpirinha, manger un poisson grillé ou un steak au poivre, discuter entre amis ou danser jusqu’au bout de la nuit face à la mer. Sur la baie, se croisent des Luandais de tous horizons, angolais ou étrangers, jeunes ou vieux, familles ou solitaires. Tous viennent, en fin de journée, pour une marche, un jogging, un tour de vélo. En centre-ville comme en périphérie, les « candongueiros », ces Toyota Hiace bleu et blanc qui servent de taxis collectifs, sont toujours aussi occupés, conduisant inexorablement comme s’ils étaient seuls sur la route. ■ E.M.
à hauteur de 5 % de Banco Sol, l’une des principales banques angolaises) et abandonner la mentalité « soviétique » de capitalisme d’État au service d’un clan pour encourager l’émergence d’une classe d’entrepreneurs réussissant grâce à leur talent et non leur réseau. Autrement dit, c’est s’attaquer au système établi et au camp dos Santos, un camp dont João Lourenço fait partie et auquel il doit son élection comme président. Le nouveau chef de l’État le peut-il ? Le veut-il ? Lui seul le sait. ■ 55
CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Astrid Krivian
Raoul Peck Après le remarquable et multi-primé documentaire I Am Not Your Negro1, le réalisateur haïtien s’attaque au mythe Karl Marx et à sa pensée2, déconstruisant les codes du biopic hollywoodien pour privilégier une approche critique. Pour le cinéaste engagé, un thème plus que jamais actuel en ces temps de « confusion idéologique générale ».
1. « I Am Not Your Negro », James Baldwin et Raoul Peck (éd. Robert Laffont), et en DVD (décembre 2017). 2. « Le Jeune Karl Marx » de Raoul Peck, sortie le 27 septembre. 56
› Je suis venu au cinéma par le politique. Mon dernier film s’intéresse à Karl Marx, philosophe qui a le mieux analysé la société capitaliste, et dont le travail reste indépassable aujourd’hui encore. Nous sommes en plein dedans : un système qui produit de manière structurante aussi bien de la richesse que de la pauvreté. Avec des excès sans bornes, une planète fatiguée, une confusion idéologique générale, des démocraties malades, dans les pays les moins comme les plus développés, le recul de la science, du politique… › Face à ce chaos, je suis revenu aux fondamentaux qui m’avaient permis, jeune garçon du tiers-monde, de me construire, de comprendre le monde. À l’époque de mes études en Allemagne, Berlin était une ville très politisée, où se retrouvaient les organisations de libération africaine, latino-américaine, turque, iranienne… Et Marx était central : on ne pouvait pas discuter de manière productive si on n’avait pas des notions sur le fonctionnement du système, qu’on appelait alors « impérialisme ». On ne lit pas Le Capital, on l’étudie. C’est une approche très réaliste, très matérialiste. Malheureusement il a été récupéré, usurpé. › Mon film fait le lien entre plusieurs événements historiques, pour montrer que c’est toujours la même histoire qui se joue. Tout est lié au capital et à ses crises. Les deux guerres mondiales, notamment. Le grand capital a aussi soutenu l’Afrique du Sud pendant des décennies, Mandela a été emprisonné toutes ces années à cause de ça. Quant à Mobutu, il a été encouragé, payé, toléré par l’Occident pour garder la main sur les richesses du Congo, dont l’uranium a servi à construire la bombe d’Hiroshima. On trouve son coltan dans nos téléphones portables. Ce n’est pas un hasard si ce pays est toujours en guerre, en crise, près de soixante ans après son indépendance. › Parfois, on peut être las de ce milieu du cinéma conservateur en majorité, qui laisse de côté le regard critique et l’aspect collectif des histoires au profit de l’individuel. J’ai arrêté plusieurs fois. J’ai enseigné, ai été ministre de la Culture en Haïti… J’ai toujours veillé à ne pas être otage d’un cinéma où beaucoup d’argent en jeu implique des compromis. › Il faut connaître les codes du cinéma dominant d’Hollywood pour se les approprier, et les déconstruire. À la manière de Brecht et de sa distanciation avec le récit. Le public n’est pas vierge, comme moi, il a été élevé par ce cinéma. J’essaie de le captiver en incluant l’esprit et l’émotion, ce n’est pas contradictoire. Je suis un passeur, je livre des éléments pour permettre à d’autres de les capter. Se servir des leçons du passé, surtout dans une période où l’ignorance monte, où l'on rejette tout ce qui est logique, argumenté. › Je suis en colère tous les jours. Mais je suis privilégié, j’ai les moyens de m’exprimer, de canaliser cette révolte dans mes films. Bien sûr, je porte en moi l’histoire de mon pays. La France commémore l’abolition de l’esclavage, terme que nous, Haïtiens, rejetons. Quelle abolition ? Nous avons conquis notre liberté avec les armes et avons créé une nation, la première démocratie libre d’Amérique puisque les États-Unis pratiquaient encore l’esclavage. Cet héritage me permet de me battre et de percer les attitudes paternalistes, eurocentriques, que je n’ai jamais pu accepter. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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STEPHANE LAVOUE / PASCO
« On ne lit pas Le Capital, on l’étudie. C’est une approche très réaliste, très matérialiste. Malheureusement il a été récupéré, usurpé. » AFRIQUE MAGAZINE
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RÉCIT
De décembre 2013 à octobre 2016, l’opération Sangaris, conduite par l’armée française (la 7e dans le pays) visait à mettre fin à la guerre civile entre milices musulmanes et chrétiennes.
Centrafrique, la nation improbable 58
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Un livre passionnant, Oubangui-Chari, le pays qui n’existait pas, revient sur la genèse d’un territoire quasi failli où plane l’ombre permanente de la France. par Sabine Cessou
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LAURENCE GEAI/NURPHOTO/ZUMA/REA
ncien journaliste au quotidien français Le Monde, Jean-Pierre Tuquoi a couvert bien des crises, de la décennie noire en Algérie aux affrontements en Côte d’Ivoire, en passant par un pays qu’il nomme au masculin : le Centrafrique. Une nation d’à peine 4,5 millions d’habitants, enclavée au cœur de l’Afrique centrale et plongée depuis 2003 dans une crise qui a viré au conflit. Selon les Nations unies, les affrontements ont fait 3 000 morts parmi les civils entre décembre 2013 et octobre 2014. Et le pays reste au bord du gouffre : des signes avant-coureurs de « génocide » y ont été détectés fin août par Stephen O’Brien, secrétaire général adjoint des Nations unies pour les affaires humanitaires. La minorité musulmane reste confrontée aux exactions des milices chrétiennes anti-balaka, apparues pour contrer les crimes commis par d’autres milices et factions rebelles agrégées dans la Seleka. Une coalition à majorité musulmane qui a renversé en mars 2013 le gouvernement de François Bozizé. À l’histoire de ce bourbier de la fin du XIXe à nos jours, Jean-Pierre Tuquoi consacre donc son dernier ouvrage, Oubangui-Chari, le pays qui n’existait pas (La Découverte, Paris). Son titre résume tout le drame de la RCA : l’Oubangui et le Chari, ces deux rivières qui ont donné leur nom à une « invention française », irriguent depuis l’indépendance un pays « improbable », qui peine à trouver son équilibre. Coincée entre le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo, le Congo et le Cameroun, la RCA semble condamnée par sa position géographique comme par son passé. Elle traîne un sillage de crises politiques et d’interventions militaires françaises – sept au total depuis l’indépendance -, sans oublier l’un des dictateurs les plus fantasques qui aient marqué le XXe siècle africain : Jean-Bedel Bokassa, au pouvoir de 1966 à 1976, une caricature à lui tout seul. Le récit ne s’attarde pas sur lui. Il l’aborde à travers deux personnages secondaires – l’une de ses épouses et un directeur français d’origine tchèque de la prison de Bangui. Écrit comme un roman et puisant à plusieurs sources – archives, témoignages et choses vues sur le terrain –, ce récit a été inspiré, entre AFRIQUE MAGAZINE
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RÉCIT CENTRAFRIQUE, LA NATION IMPROBABLE
autres, par le célèbre Congo, une histoire, de l’historien belge David Van Reybrouck (Actes Sud, Paris, 2012). Il ne juge pas et ne propose pas de prêt-à-penser sur ce dossier compliqué. Il propose plutôt une exploration au long cours – le réel sujet du livre et ce qui fait tout son intérêt. De cette enquête sur laquelle il a travaillé quatre ans, Jean-Pierre Tuquoi partage d’ailleurs, dans une partie « notes et sources » originale en fin d’ouvrage, ses réflexions sur l’appui documentaire dont il s’est servi.
EXTRAITS « L’ancien Oubangui-Chari est un fantôme de pays et pas simplement un fantôme d’État. D’ailleurs, faut-il écrire le Centrafrique ou la Centrafrique ? L’appellation varie (alors qu’officiellement il faudrait parler du Centrafrique et de la République centrafricaine). Même ses cartes officielles sont fausses qui continuent à signaler des montagnes qui n’ont jamais existé, indiquent des routes au tracé fantaisiste, donnent aux cours d’eau et aux villes des noms capricieux. Pourquoi se pencher sur l’histoire ou plutôt sur une tranche d’histoire de ce pays naguère qualifié de « porteavions au cœur de l’Afrique » mais dépourvu d’intérêt géostratégique depuis la fin de la guerre froide ? Parce que, même en se cantonnant à une brève période – à peine plus d’un siècle, du milieu du XIXe au début « OubanguiChari, du XXIe siècle -, cette histoire le pays qui est d’une richesse inouïe, déroutante n’existait pas », et instructive. On met ses pas dans de Jean-Pierre ceux d’une poignée d’hommes partis Tuquoi, éd. explorer le « dernier blanc de la carte La Découverte, 272 p. d’Afrique » à la fin du XIXe siècle. […] Dérouler l’histoire du Centrafrique, c’est également faire le point, comme un navigateur, sur ce que fut la colonisation des corps et des âmes en Afrique, avec ses épisodes peu glorieux et ses rares instants de grâce. L’entreprise coloniale fut une faute. Sous couvert de lutter contre la traite des Noirs, ce sont des raisons avant tout mercantiles qui poussèrent les puissances européennes de l’époque à se partager l’Afrique perçue par les capitalistes d’alors comme un investissement prometteur dépourvu de risques. Il n’empêche : que ce soit comme militaire, fonctionnaire colonial ou homme d’Église, à la fin du XIXe siècle, il fallait avoir un tempérament bien trempé pour aller vivre au plus profond d’un tel continent. » ■
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Au final, l’auteur ne cache pas sa fascination pour les aventuriers français qui ont marqué l’histoire de ce pays. Il revient sur le sort de Maurice Musy, jeune chef du poste militaire français de Banqui en 1890, tué et décapité au retour d’une expédition punitive contre des villageois ayant commis des vols chez leurs voisins. Ou encore sur le père Prosper Augouard, qui lance des missions catholiques « comme on implante des postes militaires », avec ses jugements à l’emporte-pièce qui suintent le profond racisme construit en métropole tout au long de la traite négrière, et qu’il renforce avec ses témoignages sensationnels en France sur l’anthropophagie. « Il serait injuste d’accabler le père Augouard, écrit Jean-Pierre Tuquoi. Ses coups ne sont pas toujours à sens unique. Il ne se prive pas à l’occasion de critiquer l’avidité des commerçants blancs plus prompts à vendre de l’eau-de-vie aux Noirs que des objets utiles. Surtout, ses préjugés sont ceux de son temps, du milieu social dans lequel il baigne. » La barbarie des exploitations de caoutchouc est retracée, tout comme celle de la construction des chemins de fer, qui ont coûté la vie à des milliers d’hommes. De même, l’indignation qui monte, avec les protestations d’André Gide ou d’Albert Londres, est relatée. Mais l’auteur remarque que le célèbre journaliste ne s’oppose pas à la colonisation : « Ce qu’il déplore, c’est le peu de cas que fait la France de ses possessions africaines. » Après plusieurs essais sur le Maroc et la Tunisie, dont Notre ami Ben Ali (avec Nicolas Beau, La Découverte, 1999), Le Dernier Roi (Grasset, 2001) et Paris-Marrakech (avec Ali Amar, Calmann-Lévy, 2012), Jean-Pierre Tuquoi entraîne son lecteur non pas dans l’actualité mais dans un conte. Il prend la peine de retracer le contexte de chaque époque sur plus d’un siècle, fait le choix de ne pas s’appesantir sur l’une ou l’autre, et prend la liberté d’extraire ce qui le frappe le plus. Du coup, il peut ne pas paraître « politiquement correct » sur le sujet des plus clivants en France que reste le passé colonial. Mais l’auteur congolais Alain Mabanckou a salué lui-même ce « récit salutaire d’une fluidité extraordinaire ». Avec ce livre, on s’embarque pour une visite guidée de ces deux rivières, qui hantent une partie de l’inconscient français. En ressort une galerie de portraits patiemment reconstitués grâce aux archives. Des tranches de vie de ceux qui ont fait et défait l’actuelle RCA. On y croise des « salauds » comme Otto Sacher, cet ancien de la France libre devenu régisseur de la prison de Bangui sous Jean-Bedel Bokassa. Mais aussi des « personnages exceptionnels » comme Barthélémy Boganda, prêtre et politicien, élu en 1946 à l’Assemblée nationale française, qui s’est battu pour que l’Afrique équatoriale française (AEF) s’érige en fédération. Il fut président en 1958 avant de périr dans un mystérieux accident d’avion en 1959. Puis d’être oublié par l’histoire de cette « colonie poubelle » qui n’était pas encore indépendante. Et qui ne l’est toujours pas, d’ailleurs, puisqu’elle se trouve aujourd’hui, de fait, sous tutelle. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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JEAN-PIERRE TUQUOI
« Un concentré du conscient et de son malheur » Écrivain, ancien journaliste du Monde, spécialiste de la région, il raconte l’histoire de la RCA, entité « créée ex nihilo » et au destin tragique et contrarié. AM : En apprend-on beaucoup sur la France lorsqu’on
Sangaris s’est déroulée dans la foulée de l’opération Serval au Mali. L’une a semblé vertueuse, l’autre plus contrainte… En Centrafrique, les Français redoutaient un génocide et de se retrouver accusés comme au Rwanda. Au Mali, les enjeux étaient différents. Quel était l’intérêt de déployer Serval, alors qu’il aurait suffi de stopper les colonnes armées qui marchaient sur Bamako ? À cette question, un responsable de la DGSE m’a répondu que ces islamistes allaient vraiment prendre le pouvoir et que Paris en redoutait les conséquences sur les immigrés maliens en France. Avoir un régime islamiste qui recrute partout et sème la pagaille était inconcevable. Paris a suivi la même logique en soutenant l’armée algérienne face au Front islamique du salut (FIS), privé de sa victoire électorale lors des législatives de décembre 1991. La France avait une peur bleue du terrorisme sur son territoire national. ■ propos recueillis par S.C.
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se penche sur l’histoire de la République Centrafricaine ? Jean-Pierre Tuquoi : Les Français ne connaissent pas l’Afrique ni l’histoire de la colonisation. On traîne cette ignorance comme un boulet. L’Oubangui-Chari n’évoque plus rien… Et « le » Centrafrique, tout le monde s’en moque, même s’il représente la quintessence de la colonisation. C’est un concentré du continent et de son malheur, avec l’État le plus failli de tous, sur lequel il est difficile d’obtenir des statistiques, souvent inexistantes. Il est arrivé qu’un ministre des Affaires étrangères se fasse briefer par l’ambassade de France avant une réunion internationale, tellement il est démuni. Une fois le livre refermé, on se demande ce que vous pensez exactement du destin de ce pays. Aurait-il dû être démantelé ? Ce pays a été créé ex nihilo, comme d’autres, mais sa situation géographique est peut-être la plus dramatique. Sans l’incident de Fachoda (un face-à-face entre Anglais et Français en 1898 au Soudan, NDLR), qui a marqué « Les pouvoirs l’opposition des Britanniques publics français au projet français de créer l’ont confié à un continuum entre l’Afrique des sociétés occidentale et orientale, il aurait eu un destin différent. privées qui l’ont Il aurait pu servir d’étape à exploité sans mi-chemin d’un long corridor investir, comme est-ouest à travers le continent. une économie Or il est devenu une impasse. Les pouvoirs publics français de cueillette. » l’ont confié à des sociétés privées qui l’ont exploité sans investir, en pratiquant une économie de cueillette. Les indépendances ont été octroyées dans des conditions scandaleuses, « à l’étourdi », sans administration, compétences et dirigeants dignes de ce nom. Le pouvoir dans nombre d’anciennes colonies est tombé entre les mains de gens médiocres, sans envergure, voire des escrocs finis. La France porte une grande part de responsabilité.
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PORTRAIT
Kylian Mbappé
La France-Afrique a un incroyable talent ! 18 ans et 18 millions d’euros de salaire net par an : le nouvel attaquant du Paris Saint-Germain est au centre de toutes les attentions. Désormais STAR mondiale, l’enfant de la banlieue parisienne, né de mère algérienne et de père camerounais, cherche à garder la tête sur les épaules.
par Hugues Berthon
ALEXIS REAU/PRESSE SPORTS
U
n transfert pharaonique : le deuxième le plus cher de l’histoire du football. Un talent indéniable : cet été, tous les grands clubs européens ont voulu s’attacher ses services. Et, enfin, une maturité surprenante : à 18 ans, le nouvel attaquant du PSG, et désormais star mondiale du football a, dans ses propos et son attitude, les pieds bien sur terre. Plutôt rare dans un milieu où l’on a vite fait de prendre la grosse tête. Avec Neymar le brésilien et Cavani l’uruguayen, Kylian Mbappé forme désormais un monstrueux trio d’attaque. Inimaginable il y a encore quelques mois, ce rêve est devenu réalité pour le jeune prodige qui a grandi en région parisienne avant de s’épanouir ensuite à Monaco. L’histoire démarre à Bondy (Seine-Saint-Denis), à quelques minutes au nord-est de Paris, au début des années 90. Wilfried Mbappé rencontre Fayza Lamari. Lui est Camerounais d’origine, éducateur sportif au club de football. Elle est d’origine algérienne et handballeuse professionnelle pour l’AS Bondy. C’est le coup de foudre. En AFRIQUE MAGAZINE I 3 7 3 – O C T O B R E 2 0 1 7
1994, le couple, qui n’a pas encore d’enfant, accueille Jirès Kembo-Ekoko, 6 ans. Il vient de l’ex-Zaïre, où son père était footballeur professionnel. « Mes parents m’ont envoyé en France pour que j’aie une meilleure vie », explique Jirès. Les Mbappé le prennent sous leur aile. Il s’entraîne à Bondy, puis file à l’Institut national du football de Clairefontaine (INF) avant de passer professionnel à Rennes. Kylian, lui, naît en 1998. Il en fait sa première idole avant de craquer, plus tard, pour Cristiano Ronaldo. Jirès est le grand frère rêvé. Contrairement à une rumeur, les Mbappé ne l’ont pas adopté, mais il les considère comme ses parents et appelle Kylian son « petit frère ». Et comme lui, Kylian, doué de la tête et des deux pieds, quitte Bondy pour l’INF Clairefontaine. Courtisé par Madrid, il visite, à l’invitation de Zinédine Zidane, les installations du Real fin 2012 et rencontre Ronaldo. Il choisit pourtant de rejoindre un autre club qui s’intéresse à lui, l’AS Monaco, à l’été 2013. La fusée « Kyky » (comme le surnomme Benjamin Mendy, son ex-partenaire monégasque) est lancée. Le commencement de la fulgurante ascension est un modèle de progression. 63
PORTRAIT KYLIAN MBAPPÉ : LA FRANCE-AFRIQUE A UN INCROYABLE TALENT !
À son arrivée sur le Rocher, le 3 juillet 2013, le garçon, 14 ans, fait ses classes au centre de formation. Il aligne les matches, régulièrement surclassé. Un peu plus de deux ans plus tard, habitué à jouer en Championnat de France amateurs (CFA) avec l’équipe de 4e division de Monaco, il rejoint le groupe de Ligue 1. L’enfant de Bondy n’a pas encore 17 ans, ce 2 décembre 2015, quand le coach Leonardo Jardim le fait entrer contre Caen, à deux minutes du coup de sifflet final. Encore un peu de patience… Le voilà qui plante son premier but dans l’élite, le 20 février 2016, contre Troyes, devenant le plus jeune buteur de l’histoire de l’AS Monaco ! Les dirigeants s’empressent de lui faire signer son premier contrat pro. En guise de remerciement, Kylian offre au club de la Principauté la Coupe Gambardella (Coupe de France des U-19), en inscrivant un doublé en mai 2016. Sélectionné avec les Bleuets, le voilà qui emporte l’Euro U-19 en Allemagne. Son talent est tel que Didier Deschamps, sélectionneur des Bleus, lui offre sa première cape en mars 2017 face au Luxembourg, en match de qualification pour la Coupe du monde. Depuis, titulaire ou joker, Kylian semble avoir signé un long bail avec l’équipe de France. COURTISÉ PAR TOUS DEPUIS SON ADOLESCENCE En club, son père Wilfried avait dû élever la voix pour faire entendre au coach Leonardo Jardim que les performances du rejeton, régulières et de qualité, mériteraient qu’il soit plus souvent sur la feuille de match. Mais l’entraîneur portugais souhaitait préserver son petit trésor. Il le lancera d’ailleurs dans le grand bain de la Ligue des Champions avec bonheur. En neuf matches, il inscrit six buts et Monaco ne trébuche qu’en demi-finale face à la Juventus. Auteur de 15 buts et 11 passes décisives en six mois de Ligue 1, « KM » écrit sa légende et empoche son premier titre de Champion de France le 17 mai 2017. Courtisé par tous, pendant l’été, au terme d’interminables tractations autour de son transfert éventuel, Kylian fait ses valises et arrive à Paris. Il faut dire que le montant de la transaction (180 millions d’euros) et un salaire estimé à 18 millions d’euros nets par an* ont vite fait de convaincre le prodige de rester en Ligue 1 et non de rejoindre une écurie étrangère où la concurrence aurait
Kylian, 12 ans sur cette photo, doit beaucoup aux conseils et à l’affection de son père Wilfried, éducateur sportif à Bondy. été plus rude. Depuis son adolescence, beaucoup de grands clubs l’ont en effet approché : Dortmund, Bayern, Real, Liverpool, Arsenal, Manchester City… Kylian aurait aussi pu porter le maillot de la sélection nationale d’Algérie ou du Cameroun. Même si la Fédération française de football a un peu tardé à lui faire signe (il a rejoint les moins de 17 ans en septembre 2014), il ne se voyait ni chez les Fennecs, ni chez les Lions indomptables. « La question ne s’est jamais posée », a-t-il lâché, coupant court à la discussion et aux rêves des fans algériens ou camerounais sur les réseaux sociaux. À raison, car aucune des deux fédérations africaines ne lui a jamais fait signe… Kylian Mbappé possède déjà, comme Zinédine Zidane à Marseille, une fresque géante à son effigie sur les murs d’un immeuble de sa ville, ornée de ce slogan : « Bondy, ville des possibles ». Un hommage qu’il a inauguré en compagnie de la Maire, Sylvine Thomassin, le 6 septembre dernier. Attaché à la commune qui l’a vu éclore, il était déjà venu présenter l’Hexagoal (le trophée de champion de France) dans son club formateur en mai dernier, et remercié l’association sportive, les éducateurs et tous les bénévoles, chevilles ouvrières de sa réussite. Ce jour-là, le gymnase était rempli de gamins qui ont reçu les maillots offerts par leur jeune idole les yeux pleins d’étoiles. « Je me dois d’être exemplaire pour ces jeunes dans
LES 10 PLUS CHERS TRANSFERTS DE L’HISTOIRE DU FOOTBALL 1. Neymar Jr. : 222 M € du FC Barcelone au PSG (2017). 2. Kylian Mbappé : 180 M € de l’AS Monaco au PSG (2017). 3. Ousmane Dembélé : 145 M € de Dortmund au FC Barcelone (2017). 4. Paul Pogba : 120 M € de la Juventus Turin à Manchester United (2016). 5. Gareth Bale : 101 M € de Tottenham au Real Madrid (2013).
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6. Cristiano Ronaldo : 94 M € de Manchester United au Real Madrid, (2009). 7. Gonzalo Higuain : 90 M € de Naples à la Juventus Turin (2016). 8. Neymar Jr. : 86 M € de Santos au FC Barcelone (2013). 9. Romelu Lukaku : 85 M € d’Everton à Manchester United (2017). 10. Luis Suarez : 81 M € de Liverpool au FC Barcelone (2014).
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LAURENT TROUDE
Après la star brésilienne, ce sont trois Français, d’origine africaine, qui trustent les premières places du podium !
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Ni jalousie, ni guerre d’ego : arrivés cet été au PSG, Neymar et Mbappé sont déjà complices sur le terrain.
tout ce que je fais, commentait le Champion de France. Je suis moi-même… » Un an plus tôt, il avait décroché son bac STMG (sciences et technologies du management et de la gestion) au rattrapage, en septembre. Un succès de plus qui lui servira pour plus tard, car il se verrait bien entraîneur après sa carrière de joueur. Voilà donc un jeune footeux qui a grandi en banlieue, fait tourner les têtes et affole les statistiques sportives et financières. Malgré une réussite insolente, il n’a pas de Ferrari (et n’a d’ailleurs même pas son permis) et ne s’affiche pas avec des starlettes d’un jour. Sa coupe de cheveux est terriblement banale, il s’exprime bien et paraît aussi à l’aise dans son costume sombre Hugo Boss du PSG qu’en short et crampons. Et si, balle au pied, Kylian Mbappé épate les observateurs depuis longtemps, il n’est pas en reste à chacune de ses déclarations ou interviews, micro et caméra sous le nez. « Aujourd’hui, les gens sont surpris par la réussite mais aussi la communication de Kylian. Mais c’est le reflet d’une éducation carrée où prédominent des valeurs de respect et d’honnêteté », confiait au Parisien son oncle, Pierre Mbappé. « Tu dois travailler pour obtenir ce que tu désires, expliquait il y a peu la jeune star au micro de beIN Sports. On m’a toujours éduqué ainsi. Dans le foot, je suis peut-être en avance, dans la vie, je suis un gamin de 18 ans comme les autres. » Ou presque. Derrière l’image d’Épinal que renvoie son nouveau club parisien auquel tout sourit, se cache sans doute une réalité plus complexe. Car les premiers succès de la saison du PSG ne sont pas parvenus à faire taire les guerres d’ego qui rampent dans les vestiaires où s’affichent tant de stars. Au cinéma, certains se battent pour que AFRIQUE MAGAZINE
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Malgré une réussite insolente, il n’a pas de Ferrari et… n’a d’ailleurs même pas son permis ! leur nom soit plus gros sur l’affiche. Dans un groupe de rock, on ne retient souvent que le prénom du leader. Alors, quand dans une même équipe de foot, on décide d’aligner des noms ronflants, pas étonnant que les susceptibilités apparaissent. Pour le moment, elles ne concernent que le Brésilien Neymar et l’Uruguayen Edinson Cavani, ses compères en attaque. L’origine de l’irritation ? Le penalty – raté – que l’Urguyaen n’a pas laissé tirer au Brésilien après que celui-ci lui a grillé la politesse sur un coup franc lors de la réception de Lyon, le 17 septembre. Tel un vieux sage, Mbappé, interrogé à chaud, ironisait en confiant qu’il se gardait bien de tirer un penalty de son propre chef. Une pirouette qui le met pour le moment à distance des coups fourrés, d’autant qu’en match, il se met régulièrement au service de ce duo, ne tirant jamais la couverture à lui. Protégé par sa malice et son talent, Kylian poursuit son odyssée. ■ * L’Équipe, 25/09/2017.
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Fin 2016, l’écrivain Jean-Louis Gouraud s’est rendu dans la très fermée « République populaire ». Un témoignage à contre-courant sur la seule dynastie communiste du monde.
CORÉE DU NORD
VOYAGE CHEZ KIM par Jean-Louis Gouraud
Érigé à Pyongyang en 1995, le « Monument à la fondation du Parti », d’une hauteur de 50 m, représente les ouvriers (marteau), les paysans (faucille) et les intellectuels (pinceau).
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e n’est certes pas l’endroit où je vous recommanderais d’aller passer vos prochaines vacances, mais « en même temps » (selon la formule préférée du jeune président français), on ne peut pas dire que la Corée du Nord soit l’antichambre de l’enfer. Ni même cette nation-caserne peuplée de robots fanatiques que décrivent
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souvent mes excellents confrères les journalistes – spécialement ceux qui n’y sont jamais allés. M’y étant rendu moi-même (à la fin de l’année dernière) je peux en témoigner. Pyongyang, la capitale, ressemble à n’importe quelle grande ville du monde, hérissée d’immeubles plus ou moins moches, sillonnée de gens pressés, qui, le téléphone collé à l’oreille, s’engouffrent dans les trolleybus ou le métro, et dont le centre est, aux heures de pointe, engorgé par des débuts d’embouteillages. Comme un peu partout, on peut s’y déplacer aussi en taxi et aller manger dans un des nombreux restaurants tout à fait convenables où les étrangers et leurs
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RÉCIT VOYAGE CHEZ KIM
devises sont les bienvenus. Pyongyang est une ville apparemment « normale », à ceci près que chaussées, trottoirs, jardins et esplanades sont d’une incroyable propreté. Et que la publicité – omniprésente dans le monde capitaliste – est ici totalement absente. Elle est remplacée, en revanche, par une abondante propagande politique, composée d’interminables slogans et mots d’ordre (en lettres coréennes, et donc incompréhensibles par le visiteur étranger) qui s’étalent sur toute la largeur d’une avenue, d’une colline ou d’un immeuble. Plus faciles à comprendre : des affiches géantes montrant de méchants soldats (américains) repoussés par de courageux soldats (coréens). Ou encore, à tous les coins de rue, ou presque, des représentations monumentales des deux Kim ayant précédé l’actuel (Kim Jong-un) à la tête du pays : Kim Il-sung le fondateur et son fils Kim Jong-il. Ces immenses statues hyperréalistes ne sont pas sans rappeler à celui qui, comme moi, a beaucoup fréquenté
l’Afrique dans les années 80/90, celles qui avaient été érigées à Kinshasa, Bangui ou Lomé à la gloire des empereurs ou maréchaux de l’époque : Mobutu, Bokassa, Eyadema. Rien d’étonnant : ces bronzes colossaux avaient été réalisés en Corée du Nord ! Et nombreux sont ceux qui, de nos jours encore, font appel au savoir-faire des artistes et fondeurs nord-coréens : ce fut récemment le cas, par exemple, pour l’édification à Dakar en 2010, du Monument de la Renaissance africaine voulu par le Président sénégalais Abdoulaye Wade. Je n’ai donc pas l’intention de nier ici, on l’a bien compris, que le régime nord-coréen pratique à outrance le culte de la personnalité. Je me contente de raconter ce que j’ai vu. Bien qu’on m’ait autorisé à voir beaucoup de choses, je sais bien qu’on ne m’a pas tout montré. Ni centrale nucléaire, ni rampe de lancement de missiles ! Si j’ai été invité à me rendre au mausolée – plus grand que le château de Versailles – où reposent les momies de ses deux prédécesseurs, je
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Le « Pont de l’amitié » relie la ville nord-coréenne de Sinuiju (au fond) à la ville chinoise de Dandong où des vendeurs proposent des souvenirs aux touristes.
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« Les premiers à s’être lancés dans cette folle surenchère, ce ne sont pas les Coréens, mais les Américains en 1950… »
15 septembre. L’agence de presse du régime annonce que Kim Jong-un a personnellement assisté au lancement d’un missile balistique en direction du Japon. Une distance de 2 200 km qui pourrait théoriquement atteindre l’île américaine de Guam.
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Les statues géantes des deux précédents dirigeants de la Corée du Nord, le fondateur Kim Il-sung et Kim Jong-il, respectivement grand-père et père de l’actuel leader. 70
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Aux côtés de son épouse, la chanteuse Ri Sol-ju (à sa dr.) et de cadres de l’armée, Kim Jong-un assiste, en octobre 2015, aux festivités marquant le 70e anniversaire du parti.
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« Le régime ne tolère aucune opposition, y compris au sein du cercle rapproché de Kim Jong-un. » n’ai pas pu savoir où réside exactement le dirigeant actuel. De la même façon, je sais bien que le régime ne tolère aucune opposition, ni même la tiédeur ou de la passivité à son égard y compris au sein du cercle rapprochée de Kim Jong-un, président du parti et de la commission des affaires de l’État, chef de l’armée ! Comme tout le monde, j’ai entendu dire que le pays était constellé de bagnes, de pénitenciers, de camps de redressement idéologique. C’est plus que probable, d’autres jurent que c’est certain. Ce qui est vrai aussi – et de cela au moins je peux témoigner – c’est un effort d’ouverture et de AFRIQUE MAGAZINE
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« décrispation » de l’ambiance. Un effort pour fournir aux citoyens d’autres distractions que les réunions du Parti, les défilés militaires et autres mobilisations patriotiques. Tout en investissant massivement dans l’armement le plus sophistiqué et donc le plus coûteux, le régime du jeune Kim Jong-un a trouvé les moyens de faire « bouger » Pyongyang, où se sont ouverts, au cours de ces dernières années, d’extraordinaires parcs d’attractions, complexes hippiques, ensembles de jeux aquatiques et même des stations de sports d’hiver… Non, certes non, la Corée du Nord, bien qu’elle soit un très beau pays de
montagnes et de rizières, est loin d’être un paradis, mais ce n’est pas non plus, je l’ai dit dans les premières lignes de cet article, l’enfer que l’on croit. Quant à l’espèce de délire mégalomaniaque dont feraient preuve les Nord-Coréens en voulant se doter de moyens balistiques nucléaires, je me contenterai de faire à ce sujet un bref rappel historique. Les premiers à s’être lancés dans cette folle surenchère, ce ne sont pas les Nord-Coréens, mais les Américains, par la bouche du général MacArthur qui, en 1950, avait menacé le régime de Pyongyang de la bombe atomique. Lorsque cinq ans après avoir balancé leurs engins sur Hiroshima et Nagasaki, les Américains vous menacent d’en faire autant chez vous, mieux vaut les prendre au sérieux. C’est ce que font les Nord-Coréens, qui sont des gens peutêtre un peu rancuniers, c’est vrai, mais sérieux et obstinés. ■ Dernier ouvrage paru : Petite géographie amoureuse du cheval, Belin, prix de la Société des explorateurs.
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PORTRAIT
JAY-Z MAÎTRE DU STAR BUSINESS L’époque où il vendait lui-même ses CD n’est plus qu’un lointain souvenir. À 47 ans, le rappeur, qui a sorti cet été 4:44, 13e album très intime, est l’un des boss incontestables du HIP HOP. Un statut qu’il entretient grâce à un sens des affaires inné et l’appui d’une déesse de la pop : son épouse Beyoncé. par Sophie Rosemont 72
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ay-Z n’a plus besoin de prévenir : quand il sort un album, c’est un événement. » Si, début juillet, le communiqué officiel de sa maison de disques se veut triomphant, en coulisse, c’est un autre son de cloche : la sortie du treizième album du rappeur a été décidée… du jour au lendemain. De quoi compliquer le travail commercial, marketing et communication pour 4:44… même s’il n’en a pas besoin. Car Jay-Z sait très bien faire sa publicité tout seul. Ou presque : son épouse, Beyoncé, Néfertiti des temps modernes, veille au grain sur la super-popularité de leur couple devenu famille. En témoigne sa dernière photographie publiée en guise de faire-part de naissance de leurs jumeaux. Couronnée de fleurs devant un décor ultra-kitsch, vêtue comme une déesse de l’Olympe, elle tient ses deux bébés, maquillée à la perfection. La mamma, la madone, la femme fatale… le tout en une seule image qui a dû demander des jours de préparation. Hormis la fameuse bagarre en ascenseur entre Solange et Jay-Z, il y a trois ans, qui avait sérieusement secoué Internet (classée sans suite par les principaux concernés), tout est sous contrôle chez les Carter. Et si l’on ne peut que saluer le parcours sans faute de Beyoncé, d’abord grâce à ses parents, puis avec l’aide de son cher et tendre, AFRIQUE MAGAZINE
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DAMON WINTER/THE NEW YORK TIMES/REDUX-REA
Labels de musique, marques de vêtements ou champagne, équipe de basket-ball, plate-forme de streaming… L’artiste endosse volontiers le costume d’entrepreneur et investit partout. AFRIQUE MAGAZINE
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PORTRAIT JAY-Z, MAÎTRE DU STAR BUSINESS
voter pour Donald Trump. Son nouvel allié ? No I.D., beatmaker de Chicago comptant Drake ou Nas dans son tableau de chasse, chargé de la totalité de la production de 4:44. Une preuve de confiance assez rare chez Jay-Z, qui n’accorde sa confiance qu’à ceux montrant autant d’ambition que lui. UN MENTOR HORS PAIR « I’m not a businessman, I’m a Parrain du hip-hop américain, Jay-Z a toubusiness, man », chante-t-il. Et il a raijours aimé s’entourer. Timbaland, Eminem, son. Après avoir créé les labels Roc-ASnoop Dog, R.Kelly ou Pharrell Williams sont Fella Records, Roc Nation et StarRoc, ses invités de la première heure, tandis que la marque de vêtements Rocawear, Damian Marley, James Blake ou Frank Ocean racheté l’équipe de basket-ball des assurent les featurings de 4:44. Il sait aussi Brooklyn Nets, lancé une enseigne manier la confrontation des genres, avec son de champagne, Armand de Brignac, tube « Numb/Encore », un mash-up avec 14 juillet 2017. acquis des parts dans le restaurant le groupe de métal Linkin Park. Mais ce Beyoncé poste The Spotted Pig (avec Bono et Michael que Jay-Z préfère par-dessus tout, c’est la première photo Stipe), ou dans la chaîne de bars sporde jouer au Pygmalion. Offrir (ou du de ses jumeaux tifs 40/40 Club, Jay-Z s’est mis en moins intervenir sur) des tubes aux divas sur Instagram, tête de concurrencer Spotify, Apple et de la pop : « Heartbreaker » pour Mariah un mois après leur naissance. Deezer sur leur propre terrain. En 2015, Carey, « XXXO » de M.I.A., « Umbrella » il rachète, pour 56 millions de dollars, la pour Rihanna, sa grande trouvaille – plateforme Wing, devenue Tidal sous sa houlette. Un pari qui, d’après les rumeurs, suscita la plus risqué, d’abord raillé par la presse. vive jalousie de Beyoncé. Il relance aussi e Sauf que la sauce semble prendre : Tidal propose 75 % la carrière de Mary J. Blige lors d’une Son 13 album solo, certifié disque de platine la proportion des revenus reversés aux ayants droit – la tournée en duo en 2008, découvre Rita peu après sa sortie. plus haute du marché et, peu à peu, des sponsors impoOra, signe les enfants Spielberg pour sants comme Samsung et Sprint s’acoquinent avec la plateleur groupe Wardell, J.Cole dès sa première mixtape, etc. forme. Banco, Tidal vaut désormais 600 millions de dollars Ses collaborations avec Kanye West, à qui il a donné sa (514 millions d’euros). Et, en y publiant son album en exclusichance sur l’album The Blueprint, appartiennent désormais au vité, Jay-Z enfonce le clou. De quoi entretenir sa fortune perpassé, après plusieurs brouilles dont la plus retentissante date sonnelle de 810 millions de dollars qui, additionnée à celle de de 2016, lorsque « M. Kardashian » l’a insulté tout en affirmant 74
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celui-ci n’a pas à rougir de la main de fer avec laquelle il dirige son business depuis ses débuts. Né le 4 décembre 1969 à Brooklyn, Shawn Carter grandit sans présence paternelle, avec trois frères et sœurs. Son père, Adnes Reeves, quitte le domicile conjugal lorsqu’il a 11 ans. Sa mère, Gloria, est une forte tête. Mais, comme il vient de le révéler dans 4:44, un secret la ronge : son homosexualité. « Maman a quatre enfants, mais elle est lesbienne… avoir fait semblant si longtemps, c’est une vraie comédienne. » À l’époque, il est très risqué de s’assumer. Mrs Carter mère attendra donc plusieurs décennies avant de vivre ses amours au grand jour. Surnommé Jazzy dans son quartier, admirant les dealers, le jeune Shawn partage son temps entre trafics de drogue, querelles de petites frappes et la musique. C’est elle qu’il finit par choisir. Très tôt, il comprend que s’il ne tient pas lui-même les ficelles en main, il ne sera qu’un pantin au sein d’une industrie qui prend et jette les artistes comme elle le souhaite. En 1995, il cofonde le label RocA-Fella et sort son premier album Reasonable Doubt dans la foulée. Quatre ans plus tard, il rencontre la gloire avec Vol. 2… Hard Knock Life, en samplant (entre autres) la bande sonore de la comédie musicale Annie.
« I’m not a businessman, I’m a business, man », chante celui dont la fortune s’élève à 810 millions de dollars.
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19 février 2017, La Nouvelle Orléans. Au premier rang avec sa fille Blue Ivy, 5 ans, et Beyoncé, au match annuel All-Star Game de la NBA. Beyoncé, s’élève à 1,16 milliard de dollars. Une belle revanche pour le rappeur qui impose sa réussite aux stars hors du secteur hip hop. Cette réussite, il la doit aussi à Beyoncé – et inversement. Leur couple est une entreprise qui ne connaît pas la crise et, depuis le tube « Crazy in Love », surfe sur une vague narcissique. Cependant, si Mrs Carter s’en donne à cœur joie depuis des années, Jay-Z est longtemps resté assez pudique sur sa vie privée. Sauf quand il s’agit de se défendre face à Madame qui, dans Lemonade, l’accuse de l’avoir trompée – tout en y affirmant aussi lui pardonner. Un mois après la sortie dudit album, Jay-Z répliquait avec le titre « All the Way Up ». Aujourd’hui, grâce à 4:44 (qui donne son nom à l’album, baptisé en référence à leur chiffre porte-bonheur, tous deux né un 4 et mariés le 4 avril 2008), il se rachète entièrement une conduite, chantant les louanges de Beyoncé, avec laquelle il partage le bien nommé « Family Feud ». Fait exceptionnel, il lui présente officiellement ses plates excuses, rappelant à la face du monde à quel point elle ne méritait pas de telles offenses. Citant même sa fille Blue Ivy, régulièrement invitée sur ses disques, Jay-Z affirme son statut de star ayant décidé, une fois pour toutes, de respecter son rang de patriarche et de filer droit. Jusqu’à quand ? Espérons que la naissance ultra-médiatisée des jumeaux Sir et Rumi, en juin 2017, scelle définitivement son union tout bénef avec Queen B. Est-ce AFRIQUE MAGAZINE
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parce qu’il est devenu un emblème du rêve américain, suffisamment riche et célèbre pour assumer ses origines et ses convictions ? Ou alors parce que le slogan Black Live Matters est (enfin) dans l’air du temps, s’imposant comme un sujet de prédilection de la pop culture 2.1 ? Les deux, sans doute… En tout cas, Mr Carter suit la bonne parole de sa femme, prêchant pour le Black Empowerment sur son album Lemonade, et profite de 4:44 pour mettre en pleine lumière sa fierté d’être afro-américain. Avec « The Story of O.J. », il revient sur le destin d’O.J. Simpson et sample « Four Women », morceau de Nina Simone évoquant les dissensions raciales. Clairement engagé, le clip (réalisé avec Mark Romanek) en est déjà à 12 millions de vues. JAY-Z LIVE MATTERS Sur « Moonlight », il rappelle le couac des Oscars et le fait que le film éponyme ait souffert de la couleur de peau de ses acteurs : « Nous sommes coincés dans La La Land, même lorsque nous devons gagner, nous perdons ». Or, comme il le raconte dans la chanson « Legacy », Jay-Z sait qu’il a construit un patrimoine hors du commun, savamment entretenu à coups de poker et de punchlines fanfaronnes, et dont ses enfants bénéficieront, s’ils sont assez malins. Car – et ce sont ses derniers mots – : « Black excellency, baby, let’em see. » ■ 75
PORTFOLIO par Hedi Dahmani
Miroirs arabes Un choix éclectique, des visions complémentaires… La deuxième Biennale des photographes du monde arabe contemporain qui, cette année, met à l’honneur l’Algérie et la Tunisie, aura tenu ses promesses en faisant la part belle à une nouvelle génération d’artistes. Des regards décalés ou travaux documentaires qui, avec conviction, témoignent de sociétés en mouvement. Jusqu’au 12 novembre 2017 à l’Institut du monde arabe (Paris) et dans plusieurs galeries. biennalephotomondearabe.com 76
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Zied Ben Romdhane, « Oumm Laarayes » • 2015. À travers la série West of Life, le photographe tunisien, né en 1981, s’est penché sur la situation des habitants de la région de Gafsa, riche en ressources minières, mais polluée et comptant parmi les plus modestes de Tunisie.
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Rania Matar, « Christina, 10 ans » • Beyrouth, 2012. Née au Liban, arrivée aux États-Unis en 1984, la photographe explore essentiellement la vie quotidienne des femmes, comme avec Becoming, travail qui s’attache au passage des jeunes filles à l’âge adulte.
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Farida Hamak, « Sur les traces » • Bou Saâda, 2014. Arrivée en France à l’âge de 6 ans, Farida Hamak est retournée à sa terre natale, au pied de l’Atlas saharien, où elle oscille entre moments volés et instants de grâce.
Karim Tidafi, « Aperto libro » • Alger, 2015. Un jeune photographe qui voit dans les bus de la capitale algérienne les fenêtres d’une société active en quête d’un avenir meilleur. AFRIQUE MAGAZINE
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Mouna Karray, « Noir 1 » • 2013. Un cliché tiré d’une série où l’artiste tunisienne se met elle-même en scène, enfermée dans un drap blanc. Une symbolique des conditions d’enfermement de la société – mais aussi de résistance, continuant de déclencher son appareil.
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Tasneem Alsultan, « Saudi Tales of Love » • 2014. « Doit-on se marier pour signifier que l’on aime ? Avez-vous besoin d’un époux pour donner un sens à votre vie ? » Des interrogations que cette photographe saoudienne pose à la société de son pays.
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Ahmad El-Abi, « Alphabet arabe » • 2016. Égyptien, ce directeur artistique imagine des concepts qu’il met en scène de A à Z. Ce cliché, intitulé Les Funérailles, est tiré d’une série qui revisite chaque lettre (ici, le « ») de la calligraphie arabe.
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Scarlett Coten, « Mectoub » • Le Caire, 2015. Établie à Paris, la Française travaille essentiellement dans les pays arabes. En 2012, elle a commencé à parcourir l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient pour réaliser des portraits d’hommes, interrogeant les thèmes de genre, de virilité et de l’identité masculine. Un travail notamment récompensé par le prestigieux prix Leica Oskar Barnack.
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Leïla Menchari LES RÊVES DE LA « REINE MAGE» CAROLE BELLAICHE
Pendant plus de trente ans, elle a imaginé, façonné les univers et les vitrines de la très célèbre maison Hermès. Un destin tunisien hors du commun sur les chemins du monde. par Catherine Faye
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24, rue du Faubourg Saint-Honoré, années 80. La créatrice décore patiemment la célèbre vitrine : l’extraordinaire prend forme.
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onnez-moi de l’extraordinaire ! » C’est ce que s’entend répondre Leïla Menchari chez Hermès lorsque, un beau jour de 1961, ses dessins sous le bras, elle frappe à la porte d’Annie Beaumel, la directrice de la création de l’enseigne parisienne, au moment du lancement du parfum Calèche. Cela tombe bien, l’extraordinaire, c’est son élément. La jeune peintre tunisienne de 34 ans, diplômée des BeauxArts de Tunis et de Paris, et mannequin vedette chez Guy Laroche, devient son assistante, puis sa première dessinatrice. À l’époque, Hermès est une maison très sérieuse. « Il y avait des gens du XVIe arrondissement qui achetaient des carrés pour les nouer à l’anse de leur sac ou sur leur collier de perles, racontet-elle. Et les seules couleurs autorisées étaient le brun, le bleu marine, le vert foncé et, à la rigueur, le beige. » Son premier carré, c’est pour la reine d’Angleterre qu’elle le dessine, dans une explosion de fleurs aux couleurs chatoyantes. « J’avais des rêves de décors d’opéra, de théâtre et de ballet plein la tête. Chez Hermès, j’ai appris comment on fabrique du rêve. » En 1978, Jean-Louis Dumas, patron de l’affaire familiale, la provoque : « Vous êtes une rêveuse, vous allez partir réaliser
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vos rêves, on ne vous le dira pas deux fois. » Elle ne le regrettera pas : « On me demandait de dessiner mes rêves, on ne me demandait que ça. » Seule contrainte et exercice imposé : un lever de rideau tous les trois mois. Jean-Louis Dumas lui confie non seulement la décoration des vitrines du magasin historique du VIIIe arrondissement, 24, rue du Faubourg Saint-Honoré, mais également la direction du comité de couleur de la soie, dont les choix de palettes symbolisent le carré Hermès, l’un des produits phares du sellier parisien. C’est ainsi que, jusqu’en 2013, la « reine mage », comme l’appelait son ami l’écrivain Michel Tournier, a fabriqué du rêve pour les badauds pressés, repoussant toujours plus loin les limites de l’impossible dans les douze mètres carrés de la vitrine triangulaire du magasin, au rythme des quatre saisons. Un travail exceptionnel, salué en cette fin d’année par la publication d’un beau livre et une exposition au Grand Palais*. Durant trente-cinq ans, Leïla a fait surgir les ruines de Carthage, la savane africaine, la jungle amazonienne… Un univers baroque peuplé d’éléphants, de paons, d’aras, de papillons bleus. Ses cavernes d’Ali Baba regorgent de soies chamarrées, de cuirs, de cachemires, de marbres et de métaux frappés. Une théâtralité tressée d’imagination, d’érudition et de curiosité. 85
PORTRAIT LEÏLA MENCHARI, LES RÊVES DE LA « REINE MAGE »
À Hammamet, la découverte du jardin de Violet et Jean va changer sa vie. Leïla Menchari court les cinq continents, les palais indiens, les mosquées, les villages et les bazars d’Orient. Elle chine et commande sans compter des claustras, des fontaines, des trônes d’argent, un plafond à caissons doré à la feuille, des tentes bédouines, des curiosités insoupçonnées… « L’art de Leïla Menchari, écrit Michel Tournier, consiste à transposer dans la profusion des objets exposés la chaleureuse cohue des souks. » Pour réaliser ses décors éphémères, rien n’est trop beau ni trop fou : des tonnes de sable sont expédiées du désert, des bois précieux acheminés d’Asie, des céramiques anciennes de Nabeul… Montant ? « Je ne vais pas vous donner le chiffre, s’amuse-t-elle, sinon vous ne rêveriez plus. » Aux matériaux d’exception trouvés aux quatre coins du monde s’ajoute le savoir-faire inégalé d’artisans dans le travail du verre, du bois, de l’acier… Elle fait réaliser une selle en cuir repoussé à la manière de Cordoue, propose des sacs Kelly peints à l’or, perlés, en organdi. Elle fait aussi travailler des artistes du monde entier. Georges Mathieu, Thierry Bruet ou encore César, ami des premières années parisiennes, et anonymes se côtoient ainsi au fil de ses créations.
MARIAGE OU LIBERTÉ
« La Reine Mage » « C’est un jardin qui m’a ou le récit d’une changée et m’a tout appris », vie aux instants exceptionnels. se rappelle-t-elle. Née dans les environs de Hammamet d’un père avocat et d’une mère greffière au tribunal, la Tunisienne est issue d’une famille aisée, à l’esprit libre et indépendant. Enfant, elle apprend à boxer avec son père. Sa mère, petite-fille du dernier sultan de Touggourt, est l’une des premières à refuser de porter le voile en ce début du XXe siècle. Un jour, au gré de ses escapades dans les ruelles de Hammamet, elle tombe sur un jardin luxuriant. « Il y avait, se souvient-elle, un grand bassin où flottaient des nénuphars bleus et une jungle où s’entremêlaient figuiers, yuccas, cactus et papyrus. Les odeurs étaient si envoûtantes ! » La petite fille de 11 ans y est accueillie par Violet et Jean Henson, un couple d’Anglo-Saxons bohèmes passionnés d’archéologie et d’histoire, tombés sous le charme de ce qui n’est alors qu’un 86
modeste port de pêcheurs. À Hammamet, où ils se sont établis en 1927, ils ont construit une somptueuse demeure qui devient un repaire pour la jet-set de l’époque. Ils se prennent d’amitié pour la petite Leïla et lui ouvrent les portes d’un univers où Jean Cocteau, Luchino Visconti, Diego Giacometti ou Serge Lifar ont leurs habitudes. « C’est dans ce jardin, à l’écoute de tous ces esthètes, que j’ai compris ce qui déterminerait ma vie : la beauté et la liberté. » Quelques années plus tard, encouragée par ses mentors, Leïla entre aux Beaux-Arts de Tunis. Une fois ses études terminées, sa mère lui annonce qu’il est temps de préparer son trousseau de mariage. « Comment voulez-vous être capable d’affirmer à un homme que vous allez rester avec lui toute votre vie, et vice versa ? » s’insurge alors celle dont la liberté a toujours guidé les choix. Si les mœurs de la Tunisie des Des mondes à années 40 destinent Leïla à être femme découvrir de près, au foyer, le hasard la fait changer de traau Grand Palais, durant un mois. jectoire. De passage pour une journée à Paris, elle décide de se rendre aux BeauxArts. Elle y découvre une longue file d’attente pour les inscriptions aux examens d’entrée. Au pied levé, elle décide de remplir un dossier. Quelques semaines plus tard, elle est contactée pour passer les épreuves. « Mon père a convaincu ma mère de me laisser y aller, et j’ai réussi. Les jeux étaient faits. » Dès lors, son œuvre n’a cessé de s’inscrire dans des lieux et des rencontres d’exception. À travers le monde, à Paris et à Hammamet où, dans les années 70, elle hérite de la propriété de Violet et de Jean Henson. Enterrés dans le parc, où vivent une trentaine de paons, ils ont toujours considéré Leïla comme leur fille spirituelle. À près de 90 ans, elle continue aujourd’hui de retrouver régulièrement son jardin extraordinaire, dont les senteurs lui ont inspiré Un jardin en Méditerranée, parfum créé pour Hermès en 2003. Et y reçoit ses amis : Frédéric Mitterrand, Azzedine Alaïa, le prince Albert de Monaco… « J’ai bâti un pont entre les deux rives de la Méditerranée », assure l’élégante au regard pétillant. « Les frontières, ce sont les cicatrices de l’histoire », estime cette voyageuse insatiable, éprise de beauté, dont le propos onirique vise à faire dialoguer des savoir-faire d’exception et à jeter des passerelles entre l’Orient et l’Occident. Leïla Menchari AFRIQUE MAGAZINE
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Quatre fois l’an, la styliste a composé les tableaux dans lesquels les accessoires de la maison pouvaient se fondre dans le décor, comme ici, fin 2008, avec cette invitation à passer Noël chez un maharadja.
VÉRONIQUE MATI - QUENTIN BERTOUX
Pour cette vitrine, hommage à l’Égypte antique (2005), le sable fin a été apporté du désert. n’hésite jamais à s’engager pour la Tunisie. « L’histoire de mon pays, ce sont les strates de civilisations qui sont passées par là. Chacun a laissé quelque part une empreinte, une culture, et c’est ce tissage des cultures qui fait que, par instinct, on peut s’adapter à toutes sortes de situations. » En 2006, elle participe à l’organisation d’une soirée à Versailles, avec l’Association française pour la vie-Espoir contre le cancer (Avec), mettant à l’honneur la Tunisie. La même année, elle se voit décerner dans ce pays le Didon d’or, en récompense de l’action soutenue qu’elle mène pour l’image de la Tunisie à l’international. En 2007, elle reconstitue, avec le traditionnel prix de Diane Hermès, le village de Sidi Bou Saïd en plein cœur de Chantilly. En 2009, la caméra de la réalisatrice Josée Dayan la suit jusqu’en Tunisie et immortalise sur la pellicule ses dialogues AFRIQUE MAGAZINE
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avec Jeanne Moreau, dans un documentaire intitulé M par M. Enfin, en 2010, l’Institut du monde arabe consacre à la créatrice tunisienne une exposition, « Orient-Hermès. Voyages de Leïla Menchari », où sont retracés ses périples à travers huit vitrines. La seule obsession de celle qui se disait malade d’angoisse à chaque lever de rideau a toujours été de ne pas décevoir. « Ce souci-là est un moteur. Les gens que vous admirez, vous levez la tête pour les regarder, vous vous hissez pour être près d’eux. » Une exigence et une force de caractère qui ont conduit la petite fille du jardin de Hammamet aux fastes de la Ville lumière. ■ * Leïla Menchari, la reine mage, texte de Michèle Gazier, Actes Sud. Et exposition « Hermès à tire-d’aile », Grand Palais, Paris, du 8/11 au 3/12.
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destination
MaTibearciis expe none velit et utem anihitiist atis et laut aut fugiaspient aut faccaero earum volup Le Mont des Arts, qui comprend la Bibliothèque royale, les Archives générales du Royaume, le centre de congrès Square et un magnifique jardin.
L’AUTRE BRUXELLES
Ce n’est pas seulement la « CAPITALE DE L’EUROPE », ni celle de l’Art nouveau, du chocolat ou de la bande dessinée ! Musées, GALERIES pointues, cuisine fusion : cette cité à taille humaine vit aussi à l’heure africaine. SOUS DES APPARENCES tranquilles et décontractées, Bruxellois depuis de longues années, l’écrivain In Koli Bruxelles, capitale européenne, reste une ancienne métropole Jean Bofane, auteur de Congo Inc. (Actes Sud, Paris, 2014), coloniale, avec versant « afro » en pleine ébullition. Le Musée s’apprête de son côté à ouvrir une galerie d’art contemporain. royal de l’Afrique centrale (MRAC), un bâtiment imposant Situé rue Longue Vie, en plein quartier congolais de Matonge, qui semble tout droit sorti des bandes dessinées de Hergé, le nouveau lieu gardera son ancien nom, « Car Wash XL ». va rouvrir ses portes en juin 2018 après rénovation. Exit la Il permettra aux amis artistes de l’auteur – comme poussière du temps du roi Léopold II, le musée fait toilette le sculpteur kinois Freddy Tsimba ou le photographe à grands frais, avec une nouvelle approche burundais Teddy Mazina exilé à Kigali – de LES BONNES dans l’exposition de son fonds. En attendant présenter leur travail et dialoguer avec le public. ADRESSES l’ouverture, la promenade vaut toujours le Côté cuisine, l’Afrique a aussi pignon ✔ Le Palais des Beaux-Arts détour, en tramway, sur une ligne 44 ou 39 sur rue, Maghreb inclus… Hémisphères, une Bozar qui traverse une majestueuse forêt avant de bonne adresse du centre, met la fusion à l’ordre ✔ La galerie Car Wash XL toucher le bout de la très longue avenue de du jour avec une carte « world » alléchante ✔ Le restaurant L’Horloge Tervuren et le grand parc du musée. et des plats du monde entier. Le lieu est aussi du Sud En ville, ça bouge aussi, et pas seulement une galerie d’art et un espace culturel, ✔ La table-galerie-espace du côté de Bozar, un Palais des Beaux-Arts interculturel Hémisphères qui cultive comme toute la ville un art subtil qui a abrité fin 2016 et début 2017 une de la lumière et du design. Stratégiquement situé, grande exposition sur la peinture populaire en République à mi-chemin du Quartier européen et de Matonge, l’Horloge démocratique du Congo (RDC). Didier Claes, belgodu Sud marque quant à elle une heure panafricaine. Tenu congolais, a déménagé en juin sa galerie d’arts premiers sur par Khadim Dieng, un chef sénégalais, ce restaurant l’avenue Louise, bordée de boutiques de luxe et d’adresses sympathique concocte les grands classiques subsahariens : prestigieuses – dont la boîte de nuit « afro » Mystic Club. yassa, mafé, moambe, kédjénou, liboké, moqueca, etc. ■ 88
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par Sabine Cessou
MADE IN AFRICA escapades aérien
La future terrasse extérieure, au bord de la piscine.
LE TOP 100 DES COMPAGNIES DÉVOILÉ
Qui propose la meilleure 1 CLASSE ? Qui est le meilleur transporteur ? re
Ouagadougou
DES SURPRISES ? Pas vraiment. Dévoilé cet été, l’organisme de référence Skytrax a établi son classement 2017 de plus de 320 compagnies aériennes. Dans le peloton de tête, les mastodontes habituels trustent les titres. Qatar Airways reprend le titre de meilleure compagnie mondiale à Emirates – étonnament reléguée à 4e place, après Singapore Airlines et All Nippon Airways (Japon). En Afrique, c’est Ethiopian Airlines (48e mondial) qui est sacrée première compagnie du continent, devant South African Airways, Air Mauritius, Air Seychelles, Kenya Airways et Royal Air Maroc. Cette dernière (97e mondiale) remporte toutefois la palme de « meilleure compagnie régionale africaine » grâce Royal Air Maroc à son réseau et l’extension de ses destinations a été sacrée et partenariats. L’allemand Lufthansa meilleure (7e mondial) est le premier européen tandis compagnie qu’Air France recule en 18e position (- 4). Dans régionale africaine, la catégorie « Première classe », c’est Etihad et Ethiopian Airways (EAU) qui est récompensée tandis Airlines, que Thai Airways propose, elle, la meilleure première classe économique. De quoi affiner vos compagnie prochains déplacements… ■ H.D. du continent.
Indépendance : l’hôtel mythique va renaître de ses cendres
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Le célèbre établissement, lié à l’histoire du Burkina Faso, ROUVRIRA en 2019. L’HÔTEL INDÉ, l’âme de Ouaga. Le cœur du Fespaco et de ses festivaliers passionnés de cinéma qui boivent des verres autour de sa piscine jusqu’au bout de la nuit… La chambre 1, réservée durant des décennies au regretté metteur en scène sénégalais Sembène Ousmane… L’hôtel Indé, définitivement lié à l’histoire du Burkina. Racheté par le groupe Azalaï en 2004, l’établissement avait été détruit dix ans plus tard au moment des émeutes qui renversèrent le président Blaise Compaoré. Aujourd’hui, sa reconstruction est lancée. Budget : 14 milliards de francs CFA, dont 7 milliards prêtés par la BOAD, 3 milliards via un financement de la banque Atlantique et 4 milliards apportés par les actionnaires de la Société burkinabè de promotion hôtelière (SPBH). Mossadeck Bally, président du groupe Azalaï et président du conseil d’administration de la SPBH, annonce l’achèvement de la première phase de travaux pour fin 2018 et une « soft opening » pour début 2019. Avec un projet très ambitieux : 230 chambres et suites de standing 4 étoiles, des centres de conférence, un restaurant, jardin, bar, centre de fitness et une piscine entièrement rénovée. De quoi augmenter l’offre hôtelière de la capitale burkinabè, et surtout faire revivre le centre de Ouaga, à l’heure où les établissements haut de gamme se trouvent en périphérie, entre Ouaga 2000 et la route de Ziniaré. ■ Emmanuelle Pontié AFRIQUE MAGAZINE
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Sacs à rêves
YOUGONE BI GOURE LÉOPOLD, alias DJ LEO PROFESSION : DJ chanteur. SIGNE PARTICULIER : surnommé le dangôrô (« le chef ») par le public qu’il électrise. AM : Comment êtes-vous devenu DJ ? Par hasard et… la force des choses. Au départ, j’étais danseur, accompagnant des célébrités comme Ziké ou Clé Salé. J’ai quitté Bassam, ma ville natale, et arrivé à Abidjan, j’ai fait tous les petits boulots. Un jour, en passant devant un maquis, j’ai vu un type chanter et… les gens lui donnaient de l’argent ! J’ai réalisé que je pouvais en faire autant, d’autant que je chantais mieux que lui (rires). Puis, j’ai commencé à officier dans un maquis à Marcory en tant que DJ chanteur. Et je n’ai plus arrêté. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette activité ? Faire ce que je préfère dans la vie : chanter. Et donner du plaisir aux gens. Quel est votre meilleur souvenir ? Mon tout premier concert, parce que j’avais la foi. Mais, autour de moi, personne n’y croyait. Ça « chuchotait »… On disait que je n’étais pas assez connu pour oser faire un concert, que j’allais échouer… Mais Dieu leur a prouvé le contraire. ■ Astrid Chacha
« L’AMBIANCE ? Adaptez-vous aux autres » Il faut pouvoir s’adapter à toutes les circonstances, et surtout à son public. J’improvise et change souvent mes textes et, en fonction du public et du moment, je lui donne la musique qu’il a envie d’écouter. Je sais quoi jouer et à quel moment précis. Mon conseil aux DJ chanteurs ou exclusivement platine est de faire plaisir aux gens, d’être soi-même dans l’ambiance et de ne pas produire de prestations automatisées. Je ne rate jamais les entrées et les sorties. C’est capital pour ne pas casser l’ambiance.
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LES PLUS GRANDES marques de maroquinerie n’ont qu’à bien se tenir depuis l’arrivée d’une jeune designer bruxelloise de 37 ans : Yeba Olayé, une Belge d’origine béninoise qui signe depuis deux ans une ligne de « chic business bags » aux lignes intemporelles. Élégants et fonctionnels, ses modèles s’appellent The First, The Signature, The Smart et The Friend. Et comme les rêves les plus fous sont faits pour être partagés, Yeba Essentials propose du luxe accessible ! Cette battante répète à l’envi que « dans la vie, ce qui est secondaire vaut d’être sacrifié ». C’est ainsi qu’après dix ans passés dans la finance, cette mère de deux enfants décide d’ouvrir « sa boîte à rêves » et signe sa première collection. Fille de diplomate, elle quitte son Bénin natal à 5 ans, pour vivre en Belgique. L’histoire raconte qu’à 6 ans, elle voulait déjà devenir styliste. Pour réaliser ce rêve, Yeba Olayé a su s’entourer : Émilie Beaumont, une créatrice formée à La Cambre, célèbre école de design belge, réalise ses maquettes, et un ancien maître des ateliers Delvaux lui enseigne les secrets du métier. Un atelier florentin fabrique ses prototypes et le catalogue est signé par la photographe Tine Claerhout… Une trajectoire qui encourage les femmes « à atteindre leurs La créatrice limites une première fois propose des modèles qui pour ensuite ne jamais se veulent aussi en avoir » déclare la élégants que créatrice ; ou quand le fonctionnels. luxe, symbole de réussite, devient aussi celui de liberté. ■ Loraine Adam yeba-essentials.com/fr/
EMMANUEL SORO K - TINE CLAERHOUT
secrets secret de pro/ abidjan
Esthétique contemporaine et cuirs d’EXCEPTION, Yeba Olayé a tout bon !
Au centre du concept : le soleil, l’éolien, la climatisation naturelle, la récupération des pluies…
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Yennenga, un air de futur
Créer une ville autonome ex-nihilo en plein Sahel : c’est le PROJET FOU d’un studio burkinabè associé à quatre français. Présentation. À 15 KILOMÈTRES de Ouagadougou, sur ce qui n’est encore qu’une plaine désolée, les premiers travaux de terrassement ont d’ores et déjà commencé. Ici se joue un pari fou : concevoir une cité « futuriste » pouvant accueillir quelque 80 000 habitants en plein Sahel. Le projet, baptisé Yennenga, du nom de la plus populaire des princesses burkinabè, préfigurera peut-être ce que seront les villes africaines du XXIe siècle. Le projet est mené par un groupement de quatre agences d’architecture françaises associées à un cabinet burkinabè qui a remporté en mars 2017 le concours international de ce partenariat public-privé, où la maîtrise d’ouvrage a été confiée à la CGE Immobilier. Ainsi, Architecture-Studio (associée aux Burkinabè d’Agence Arcade), Hardel + Le Bihan Architectes, Beckmann N’Thépé, Coldefy & Associés-Architectes Urbanistes sont chargés de conceptualiser le cœur de ville
et le principal axe de circulation, où les espaces verts feront partie intégrante de la cité – comme à Brasilia, capitale du Brésil où, pour chaque mètre carré construit, un mètre carré devait être planté. Cette ville de demain est aussi et surtout pensée pour être autonome au plan énergétique, et bâtie sur des critères de durabilité, en tirant avantage du climat et en exploitant au mieux les ressources naturelles. Au centre même du concept : le soleil, bien sûr, le vent – avec un système éolien de nouvelle génération – mais aussi des moyens de climatisation naturelle pour les édifices, ou encore la récupération des faibles pluies et de la rosée par des capteurs de haute technologie. L’enjeu est d’anticiper le développement démographique du Burkina Faso et de servir de modèle à tout un continent qui, à l’horizon 2050, dépassera les 2,5 milliards d’habitants. ■ L.A.
LE LIEU : CHEZ SLAH (TUNIS) QU’EST-CE ?
Cuisine tunisienne typique. ET SINON ?
Spécialités de fruits de mer et poissons.
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POUR QUI ?
Habitués tunisois et nostalgiques en quête de calme.
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À deux pas de l’avenue Bourguiba, se niche un restaurant sur lequel le temps et les modes n’ont pas de prise. « Chez Slah », pas de chichi : le personnel « old school » sert immuablement les mêmes spécialités depuis des années, notamment une variété de poissons (rougets, loup, mérou) grillés dans la tradition tunisienne. Calamars persillés, spaghettis à l’encre de seiche… Ici, on aime la mer, les bons vins locaux et ça se voit. Idéal pour déjeuner business ou sans se presser. ■ H.D. 14 bis, rue Pierre de Coubertin, Tunis • +216 71 258 588
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Teddy Ondo Ella Funky Africa !
C’est le styliste gabonais qui monte. L’angle d’attaque ? Adapter l’HÉRITAGE et les traditions à la plus pure modernité. par Loraine Adam
« UN STYLE africain, sexy et élégant, une identité forte, déterminée et sans agressivité » : ainsi se définit Teddy Ondo Ella, talentueux créateur de 38 ans. Avec une collection masculine graphique et funky, cet ex-rappeur de la scène parisienne, né au Gabon puis élevé en France est entré, grâce à des débuts très remarqués, directement dans la cour des grands. 92
C’est au tournant des années 2010 qu’il a finalement décidé de retourner aux sources après des études de commerce. Installé à Libreville, il y ouvre avec succès une boutique, The Sneakers Club, avant de se lancer, en 2012, dans le streetwear avec sa marque Only Made in Gabon. L’expérience, réussie, l’a amené à viser plus haut en se lançant dans le
prêt-à-porter masculin haut de gamme, présenté cet été, lors de la dernière Fashion Week masculine de New York sous les yeux d’une planète mode attentive. Baptisée Héritage, cette collection joyeusement colorée d’imprimés aux références culturelles subtiles sur popeline de coton ou soie modernise l’esprit du wax. Fusion réussie entre culture occidentale et élégance africaine contemporaine, elle rend hommage à l’abacost (traduire « à bas le costume »). Cette veste sans col à manches longues ou courtes, apparue au début des années 70, dont la paternité est attribuée à Mobutu, entendait rompre AFRIQUE MAGAZINE
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BENJAMIN LOZOVSKY
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BANICA/WWD/SHUTTERSTOCK/SIPA - DR (3)
En juillet 2017, il fait sensation à la Fashion Week de New York avec sa collection de prêt-à-porter masculin haut de gamme Héritage. avec l’impérialisme occidental et le traditionnel costume-cravate. Dès 2018, Teddy Ondo Ella prévoit d’ouvrir au Gabon de nouvelles boutiques afin d’y présenter les créations d’artistes locaux proches de son univers ou d’invités tels que le peintre américain Bradley Theodore. Sa prochaine collection, quant à elle, s’inspirera de l’univers de la sape. Bien que très connue, il veut insister sur ses règles, son caractère pacifiste, ses codes couleurs très stricts et, surtout, son « ouverture d’esprit ». Car, dit-il, ce n’est pas le costume qui fait l’homme, mais l’homme qui fait le costume. AFRIQUE MAGAZINE
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Le businessman est également derrière la marque Only Made in Gabon : des pièces contemporaines, streetwear et luxe, qui rendent hommage à ses racines.
Conscient que le marché du luxe à Libreville est restreint, il espère que ses initiatives inspireront les pays voisins et qu’elles donneront des raisons aux talents de rester chez eux afin d’y créer des emplois pour renforcer les infrastructures nécessaires au bon développement de l’exploitation des ressources naturelles, de la fabrication et du secteur tertiaire. « Si on réussit au Gabon, on peut réussir partout ailleurs ! Les frontières n’existent que dans les esprits et le ciel n’est pas une limite, c’est juste une vue. C’est pourquoi je n’ai pas de limite », résume ce passionné, dont on n’a pas fini d’entendre parler. ■
La patte « TOE » : des slogans forts et clins d’œil subtils, comme… ce baril de pétrole brodé aux couleurs du pays. 93
Migraines Comment y mettre fin Médicaments, homéopathie mais aussi hygiène de vie : voici comment faire face à cette affection neurologique très FRÉQUENTE mais aux mécanismes largement méconnus.
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L’automédication à tester Vous vous reconnaissez dans le portrait ci-dessus ? Il arrive notamment, pour des crises modérées, que les antidouleurs en automédication suffisent à soulager : paracétamol, ibuprofène ou aspirine, à la dose d’1 g, de préférence sous forme soluble ou effervescente pour une action plus rapide. Mais – règle d’or –, il faut prendre le médicament dès les prémices de la crise : elle est ainsi plus facile à stopper. Car, l’erreur fréquente est d’attendre pour voir si « ça va passer… ». Bon à savoir, la caféine (café, coca) peut constituer un traitement complémentaire. En cas de nausées/vomissements accompagnant les migraines, AFRIQUE MAGAZINE
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IL EXISTE encore beaucoup de confusion entre les maux de tête et les migraines. Si bien que celles-ci sont loin d’être toujours soignées comme elles le devraient, nombre de personnes ignorant qu’elles souffrent en réalité de cette maladie neurologique complexe. Les migraines se manifestent par plusieurs signes caractéristiques : la douleur s’installe très fréquemment d’un seul côté de la tête (qui peut changer). Et elle est intense : ça « bat » ou «cogne » dans le crâne. Elle est souvent associée à d’autres symptômes : nausées, vomissements, intolérance au bruit, à la lumière… Enfin, non ou mal traitée, une crise dure de 4 à 72 heures.
VIVRE MIEUX forme & santé
pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
il est conseillé de prendre un antinauséeux en plus de l’antidouleur. Au tout début d’une crise, on peut recourir parallèlement à des « petits moyens », comme appliquer du froid sur le front et les tempes (packs mis au réfrigérateur) : il diminue la dilatation des vaisseaux qui se produit lors de la migraine, et bloque la conduction nerveuse de la douleur. L’application d’huiles essentielles de menthe poivrée et lavande sur le front, les tempes et la nuque, peut aussi soulager efficacement.
Si cela ne suffit pas… Lorsque l’automédication ne fonctionne pas, il faut consulter pour obtenir des médicaments appelés triptans, délivrés uniquement sur ordonnance. Là encore, il est capital de les prendre dès le tout début de la crise. Il existe différentes molécules, et l’action varie d’une personne à l’autre. Pour juger de la bonne efficacité, il faut tester au moins trois fois le même triptan, avant de passer à un autre si besoin. Dans les faits, il est rare de ne pas en trouver un qui soulage. Mais si tel est le cas, le médecin peut préconiser la prise d’un anti-inflammatoire en plus, ou encore d’autres médicaments dérivés de l’ergot de seigle.
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Limiter la survenue des crises Le cerveau des migraineux est « sensible », et certaines habitudes peuvent favoriser les crises, sans qu’on ne s’en rende compte. C’est pourquoi les médecins conseillent de tenir un « agenda céphalées » quelque temps : en notant les circonstances de survenue, on repère plus facilement ce qui peut les déclencher. Et y faire attention peut vraiment permettre de diminuer la fréquence des maux. Parmi ces facteurs, le manque de sommeil : il faut adopter des horaires réguliers, et dormir 7 ou 8 heures. Attention toutefois à l’effet inverse, les siestes ou les grasses matinées du week-end déclenchent parfois aussi le mal : dormir plus que d’habitude n’est pas bon non plus. Par ailleurs, on boit assez d’eau, et on ne saute pas de repas. Certains aliments sont accusés d’être des facteurs déclencheurs : l’alcool (vin blanc et champagne notamment), les plats chinois, les charcuteries. Enfin, attention au stress et à la luminosité du soleil : porter des lunettes couvrantes est recommandé. Si malgré ces précautions, les crises sont trop fréquentes – plus de 8 à 10 par mois –, il faut le signaler au médecin. Car il y a alors le risque d’un abus de médicaments, qui peut entretenir le mal. La solution est la prescription d’un traitement préventif. Il faut deux à trois mois pour juger de son action, avant si besoin d’en tester un autre. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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MICRO-ONDES : LA MAUVAISE RÉPUTATION
Pourtant, ce mode de cuisson n’est pas plus DANGEREUX que d’autres. Décryptage. LE FOUR À MICRO-ONDES est souvent accusé de nuire à la santé. Et pourtant, il ne mérite pas sa mauvaise réputation. À commencer par le fait qu’il détruirait vitamines et nutriments. En réalité, il n’est pas plus nocif pour ceux-ci que les autres modes de cuisson, à commencer par l’eau bouillante, et est même un atout de ce point de vue, d’autant plus si on « cuisine » en mode vapeur. Quant à modifier le goût des mets, idem. Le micro-ondes n’a pas plus à se reprocher qu’un autre mode de cuisson. À condition de respecter les consignes de préparation. Enfin, reste l’idée ancrée qu’il augmente les risques de cancer… Aucune donnée scientifique n’indique un tel risque, même avec des utilisations fréquentes. En revanche, on évite absolument les récipients plastiques dans ce four, susceptibles de libérer des substances dans les aliments, substances qui sont des perturbateurs endocriniens et peuvent avoir un impact néfaste notamment sur le système hormonal (problèmes de fertilité par exemple). Préférez donc le verre. ■ 95
NE MALTRAITEZ PLUS VOS DENTS !
Des conseils utiles pour afficher un beau SOURIRE.
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On n’utilise pas ses dents comme outil tranchant. Ouvrir un sachet, couper du fil, arracher l’étiquette d’un vêtement, casser une noix ou une pince de crustacé... Les dents prennent souvent la place de ciseaux ou même décapsuleurs ! Or, à chaque fois, elles risquent de s’effriter, de se casser ou de s’affaiblir. L’émail se détériore, et cela le laisse vulnérable.
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On évite le grignotage entre les repas. À chaque prise alimentaire, des sécrétions acides attaquent l’émail et augmentent le risque de caries. Les aliments « collants », sucrés et/ou gras sont les plus dangereux. Mais toute petite prise alimentaire, quelle qu’elle soit, si elle est répétée, a une influence néfaste. Mieux vaut manger sucré pendant les repas, aux effets moins impactants. Et on préfère l’eau à toute autre boisson.
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On ne boit pas dans le même verre que son enfant. Partager sa bouteille d’eau avec son enfant, goûter ses plats sans changer de cuillère, mettre sa sucette dans la bouche pour la « nettoyer », sont des gestes à oublier : ils peuvent transmettre à l’enfant des bactéries qui vont causer des caries.
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Et on stoppe l’habitude pouce ou tétine à temps. Les succions se poursuivant tardivement risquent d’être dommageables sur le développement des mâchoires et des dents. Pour éviter cela, cette habitude doit être abandonnée vers 3 ans, âge auquel toutes les dents de lait sont apparues. Si l’enfant continue après 4 ans, voire après 6 ans, il risque de devoir porter un appareil dentaire pour en corriger les conséquences. ■
STOP AUX PELLICULES
Toutes les clés pour en FINIR avec ce problème, qui touche une personne sur deux. C’EST UN RENOUVELLEMENT trop rapide des cellules du cuir chevelu qui est à l’origine des pellicules. Elles peuvent se détacher sous forme de particules sèches, ou grasses, collant alors aux cheveux, et s’accompagnant en général de démangeaisons. La plupart du temps, les pellicules sont dues à une irritation du cuir chevelu sensible. Il ne faut pas l’agresser ! Pour commencer, évitez le lavage à l’eau chaude et préférez l’eau tiède. Pour ce qui est du shampoing, choisissez un produit bien adapté pour pellicules sèches ou grasses. Astuce : pour mieux traiter le problème, on ajoute deux ou trois gouttes d’huile essentielle assainissante – arbre à thé ou eucalyptus – dans sa dose de shampoing. Autre conseil : on ne lave pas ses cheveux tous les jours ! Cela décape le cuir chevelu, et le rend plus sensible. Deux à trois lavages par semaine suffisent. Attention aussi à l’abus de produits qu’on ne rince pas… Tels que gels, laques, shampoings secs : leur usage doit rester très ponctuel, ou même être évité. Enfin, la chaleur du sèche-cheveux est trop agressive. Misez donc sur la température la plus basse. ■
À LIRE Dans son livre Docteur, je ne dors pas !, le Dr Patrick Lemoine nous explique que chacun a son propre rythme de sommeil, et que si on ne le respecte pas, c’est là que des troubles peuvent apparaître. Et il nous livre des solutions naturelles pour retrouver des nuits réparatrices. Car les médicaments, s’ils sont parfois indispensables, sont loin d’être le meilleur traitement… « Docteur, je ne dors pas ! - Le sommeil en 50 questions », par le Dr Patrick Lemoine, éd. In Press, 9,50 euros.
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Pour bien dormir, naturellement
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À la nourriture conditionnée, il faudrait préférer les produits bruts.
Aliments industriels : modérer la « malbouffe »
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Ils sont bien pratiques, mais souvent trop gras, trop salés, trop sucrés et de PIÈTRE QUALITÉ nutritionnelle. Pourtant, on en consomme de plus en plus… ON S’EN DOUTE, manger dans un fast-food au quotidien est néfaste : pour la ligne comme pour la santé car c’est gras, plein de mauvaises graisses. Avec les aliments industriels, on a souvent meilleure conscience… Pourtant, plats préparés, pizzas et autres surgelés cachent souvent de la « malbouffe ». Trop de sucres même dans des plats salés où on ne s’attend pas à en trouver, trop de sel, trop de matières grasses, sans oublier les exhausteurs de goût, les additifs, les colorants… Tout pour augmenter l’appétence des produits, leur apporter une texture agréable. Côté graisses, les industriels privilégient en général celles à bas coût, type huile de palme ou de coprah (en affichant la mention « graisses végétales ») : des graisses riches en acides gras saturés qui font le lit des maladies cardiovasculaires. Côté sucres, le sirop de glucose-fructose ou de maïs est omniprésent : or, il favorise la résistance à l’insuline et le diabète, l’élévation du taux de triglycérides néfastes pour nos artères, ainsi que l’augmentation des graisses dans le foie (pouvant conduire à une atteinte hépatique dite Nash, de plus en plus fréquente). Pour le reste, malgré leur coût assez onéreux, les produits industriels se révèlent souvent de piètre qualité sur le plan des éléments nutritionnels. Avec par exemple des protéines AFRIQUE MAGAZINE
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(viande, poisson…) qui peuvent cacher un mélange de diverses choses, et de surcroît n’être présentes qu’en minime quantité. Enfin, tous les traitements subis par les aliments font qu’ils ne contiennent pas assez de minéraux, de vitamines, ou de fibres. Ils sont vite assimilés par l’organisme, et on a souvent vite faim après !
Revenir le plus possible à du non transformé La solution pour se nourrir plus sain est simple ! Revenir à l’achat de produits bruts (viandes, poissons, œufs, légumes) pour profiter de leurs qualités nutritives, et remettre la main à la pâte en cuisine : on peut faire des plats basiques rapidement, et autrement meilleurs pour sa santé. Lorsqu’on n’a pas d’autre choix, par exemple pour le déjeuner, que d’acheter des plats préparés, il faut scruter les étiquettes. Notamment regarder le rapport protéines-gras. Les protéines doivent être en quantité bien supérieure aux lipides dans la liste des ingrédients : ainsi, on a une portion de viande ou de poisson correcte, et non pas de maigres morceaux noyés dans la sauce (les photos sur l’emballage sont en général trompeuses !). En dessert, on privilégie les yaourts nature et les fruits frais, plutôt qu’une douceur lactée onctueuse, mais bourrée de calories. ■ 97
LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian
2. Votre voyage favori ? Chez moi au Burkina ! Si je pouvais y aller plus souvent… Ma mère me prépare toujours un plat, même si je débarque à trois heures du matin !
Roukiata Ouedraogo Dans son troisième spectacle*, la
comédienne et humoriste burkinabè aborde sa double culture, son parcours d’artiste en France, mais aussi des sujets plus graves comme l’excision. Sans tabou, avec malice et énergie !
3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Épernay, dans la région du champagne, vin que j’adore. J’y ai joué mon spectacle au festival des Escales africaines, dont je suis la marraine. 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Mon téléphone. Pour gérer ma carrière, rester en contact avec ma famille, répondre aux interviews ! 5. Un morceau de musique ? « Mama Africa » du groupe nigérian Bracket, que j’utilise dans mon spectacle. Cette chanson est festive, chaleureuse. Et « Africa » d’Angélique Kidjo. 6. Un livre sur une île déserte ? La moitié du ciel de Nicholas Kristof et Sheryl WuDunn. Il raconte les violences que subissent les femmes dans le monde. Un livre poignant, bouleversant, qui m’a donné envie de m’engager. 98
7. Un film inoubliable ? La Couleur des sentiments de Tate Taylor. J’ai pleuré ! Un film sur l’injustice, mais aussi sur l’espoir. 8. Votre mot favori ? Barka wusgo : « merci beaucoup » en mooré. Et espoir ! 9. Prodigue ou économe ? J’ai vécu seule à Paris et j’ai appris à ne pas être dans le rouge. Mais je suis généreuse, j’aime faire des cadeaux à mes proches, les recevoir… 10. De jour ou de nuit ? J’aime beaucoup travailler, donc de jour. Il y a plein de choses à faire.
11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Coup de fil. Les réseaux sociaux, à fond, car ça me donne une visibilité. Lettre, pas du tout, je le regrette, car c’est beau d’écrire.
15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? L’écrivain congolais Alain Mabanckou que j’admire. Il m’a félicitée, c’était grandiose ! 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Le to, un plat burkinabè : de la semoule bouillie ! 17. Votre plus beau souvenir ? Au Point-Virgule, quand j’ai invité des femmes africaines en situation difficile. Mon spectacle parle de migration, de solitude, d’excision, elles ont vécu le même parcours. Elles se sont marrées comme jamais ! 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? N’importe où, du moment que je me sente bien.
12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Marcher, si possible en forêt. C’est calme, reposant.
19. Votre plus belle déclaration d’amour ? La demande en mariage de mon mari.
13. Votre extravagance favorite ? Parfois, je me mets à hurler ! (rires) Ça me libère.
20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Mes spectacles, et mon sourire. Une arme que le bon Dieu m’a donnée pour affronter la vie. ■
14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Sauver le monde. Je voulais une baguette magique pour régler tous les problèmes des humains.
*Roukiata tombe le masque, au Point-Virgule, Paris. Et « Par Jupiter ! », sur France Inter.
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RACHEL-SADDEDINE
1. Votre objet fétiche ? Mon oreiller ! Je ne dors bien qu’avec lui, comme un doudou ! (rires)
NEW YORK 4—6 May 2 018 Pioneer Works
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