Afrique MAG N°374

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AFRIQUE MAGAZINE

N o 3 7 4 -

AFRIQUE MAGAZINE - NOVEMBRE 2017

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

EN VENTE CHAQUE MOIS

Portrait

Nadia El Bouga

Interview

La sexologue voilée qui fait parler

Cellou Dalein Diallo

« Ce qui ne va pas avec Alpha Condé! »

ART

Les confidences très rares de

Pascale Marthine Tayou

Tunisie

Ghannouchi président ?

+Cameroun DÉCOUVERTE

Les clés de l’émergence

UNE ENQUÊTE EXCLUSIVE

ILS SONT 101 ANCIENS CHEFS D’ÉTAT Ils ont connu le pouvoir suprême. Prison, exil, seconde vie, honneurs…

www.afriquemagazine.com

Que sont-ils devenus ?

N° 374 – NOVEMBRE 2017

M 01934 - 374 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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Marrakech


ÉDITO par Zyad Limam

L’ÈRE

CHINOISE

N

ous en reparlerons dans notre prochain numéro. Mais les images et le son qui nous sont parvenus du dernier congrès du Parti communiste chinois fin octobre (19e de la série, dans le hall immense du Palais du peuple, avec les milliers de délégués qui applaudissent à l’unisson, droits comme des « i »…) transmettent un message sans équivoque : la Chine, libérée de la pauvreté et du sous-développement en moins de quarante ans, veut s’affirmer comme une très grande puissance, pourquoi pas la toute première, influente, rayonnante, avec la force nécessaire et des concepts planétaires comme celui des nouvelles routes de la soie. L’homme chargé de cette incroyable mission, l’actuel patron du pays, Xi Jinping, a fait inscrire « sa pensée », celle qui doit structurer la « nouvelle ère » (terme répété 36 fois dans son discours) dans la constitution du parti. Le logiciel du socialisme chinois a donc été « rebooté ». Xi Jinping devient ainsi l’égal du grand Mao (fondateur de la République populaire, défenseur de sa souveraineté), de Deng Xiaoping (architecte de la métamorphose économique). Xi Jinping devenant le nouveau timonier, celui qui portera les ambitions de ce pays immense. Avec comme horizon, le centenaire de la révolution chinoise, en 2049… Pour que cela fonctionne, Xi (surnommé « Dada », « l’oncle ») a martelé une donnée tout aussi fondamentale : démocratie, peut-être, justice, certes, lutte contre la corruption, évidemment, mais le PCC, le Parti communiste chinois, doit rester au centre de tout. Les masses et l’idéologie redéfinie, c’est le cœur de la machine, du réacteur, qui s’impose à l’État et à tout le reste. Résultat, depuis cinq ans et l’arrivée au pouvoir de Xi, la relative ouverture, l’émergence d’une société civile, les espaces de liberté d’expression, tout cela a été vigoureusement remisé au placard, de manière souvent musclée. Et le nouveau timonier semble s’être attribué un bail au pouvoir indéfini, au-delà de son nouveau mandat. Xi est là pour rester, quel que soit le titre, ou la fonction future. C’est d’autant plus impressionnant, vertigineux, qu’au fond, au-delà des sourires énigmatiques et de la poigne de fer, personne, semble-t-il, ne connaît vraiment cet homme… Cette mutation chinoise, cette expérience est réellement stupéfiante : une nation de plus d’un milliard et demi d’habitants, au cœur d’une Asie émergente, portée par une formidable ambition, une histoire et une culture millénaires, tenue par un régime à poigne, tentée par un autoritarisme grandissant… Le China power est devenu une évidence. Il faudra apprendre à comprendre, à dialoguer, coexister, vivre avec. D’autant que rien n’est inscrit dans le marbre, que la « nouvelle ère » pourrait prendre des directions surprenantes. Comment assumer le rayonnement mondial, projeter une influence, un soft power, en verrouillant la pensée, l’expression, le débat ? Comment maintenir des centaines de millions de personnes économiquement émancipées dans un carcan idéologique rigide ? Comment affronter l’immense chantier écologique, accélérer sans trop de casse la transformation industrielle, la mutation vers une économie d’intelligence ? Comment vivre en paix et en harmonie avec ses voisins, alors que se multiplient les conflits de territoires ? Comment éviter une opposition frontale avec les États-Unis au moment où certains à Washington qualifient Beijing de danger immédiat et préconisent, entre autres, un rapprochement plus net avec l’Inde, cet autre géant, démocratique et plus proche des intérêts occidentaux ? Oui, allons vers la Chine, évidemment, là où l’histoire est certainement en marche. Mais cette histoire n’est pas écrite d’avance. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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p. 52

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SOMMAIRE Novembre n°374 ÉDITO L’ère chinoise

TEMPS FORTS 18

ON EN PARLE Livres : Rachid Boudjedra De bruit et de fureur

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Musique : Kelela Pas de doute, la relève est bien là

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Écrans : En cas d’urgence, briser la glace

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par Catherine Faye

EN VENTE CHAQUE MOIS

Portrait

Nadia El Bouga

Interview

La sexologue voilée qui fait parler

Cellou

Dalein Diallo « Ce qui ne va pas avec Alpha Condé! »

ART

Les confidences très rares de

Pascale Marthine Tayou

par Sophie Rosemont

Tunisie

Ghannouchi président ?

+Cameroun DÉCOUVERTE

Les clés de l’émergence

UNE ENQUÊTE EXCLUSIVE

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ILS SONT 101 ANCIENS CHEFS D’ÉTAT Ils ont connu le pouvoir suprême. Prison, exil, seconde vie, honneurs…

par Jean-Marie Chazeau

Que sont-ils devenus ?

N° 374 – NOVEMBRE 2017

M 01934 - 374 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

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Agenda : Le meilleur de la culture

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C’EST COMMENT ? Défier la menace par Emmanuelle Pontié

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PARCOURS Jochen Zeitz par Catherine Faye

31/10/2017 21:08

EN VENTE CHAQUE MOIS

Exclusif

Ils sont 101 anciens chefs d’État

Que sont-ils devenus ?

Cellou Dalein Diallo « Ce qui ne va pas avec Alpha Condé ! »

Portrait

Nadia El Bouga

La sexologue voilée qui fait parler

SONS Les confidences

+Cameroun

d’Anouar Brahem :

DÉCOUVERTE

« La musique était une évidence »

Les clés de l’émergence

Tunisie

40

CE QUE J’AI APPRIS Anouar Brahem par Loraine Adam

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LE DOCUMENT Eldridge Cleaver, à tombeau ouvert par Hedi Dahmani

98

VINGT QUESTIONS À... Fadily Camara par Astrid Krivian

GHANNOUCHI

PRESIDENT ?

Le chef du parti islamiste cultive un nouveau look et une approche pragmatique. Pour certains, une stratégie pour l’élection de 2019 .

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

N° 374 – NOVEMBRE 2017

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PHOTOS DE COUVERTURE : INTERNATIONALE : SHUTTERSTOCK TUNISIE : NESSMA TV

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Ghannouchi, objectif présidence ? par Frida Dahmani

Portrait : Nadia El Bouga Elle s’attaque aux mille et uns tabous par Fouzia Marouf

AFRIQUE MAGAZINE

Interview

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par Sabine Cessou, Cédric Gouverneur, Frida Dahmani, Hedi Dahmani, Zyad Limam, George Ola-Davis, Emmanuelle Pontié, Julien Wagner

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

Cover story La vie après le pouvoir

52

Cellou Dalein Diallo : « Ce qui ne va pas avec M. Alpha Condé » par Julien Wagner

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Pascale Marthine Tayou : « Je n’essaie pas d’être un artiste, mais un être humain » par Sabine Cessou

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JF PAGA - JÉRÔME DELAY/AP/SIPA

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AFRIQUE MAGAZINE

FONDÉ EN 1983 (33e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION

Emmanuelle Pontié

p. 60

DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

epontie@afriquemagazine.com

Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

p. 71 p. 90

Alexandra Gil RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE EN CHARGE DES ÉDITIONS NUMÉRIQUES agil@afriquemagazine.com

Éléonore Quesnel

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, François Bambou, Sabine Cessou, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexis Gau, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, George Ola-Davis, Sophie Rosemont, Julien Wagner.

DÉCOUVERTE 71

VIVRE MIEUX

CAMEROUN Les clés de l’émergence

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

par François Bambou

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles. VENTES

MADE IN AFRICA 88

Escapades : La Tunisie, au sud par Frida Dahmani

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Design : Les défis de Sara Ouhaddou

18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32

afriquemagazine@cometcom.fr

Architecture : le « musée zoulou » récompensé

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ

Fashion : Nelly Wandji, un écrin branché pour les créateurs par Sophie Rosemont

JEAN-PIERRE KEPSEU - DR (2)

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine

par Loraine Adam

par Sabine Cessou

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p. 92

EXPORT Arnaud Desperbasque TÉL.: (33) 5 59223575 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL.: (33)156821200

AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)153844181 – Fax: (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

VIVRE MIEUX

31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Zyad Limam.

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Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

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Forme : Vous avez l’estomac un peu lourd ? Travailler assis, mais rester actif Booster ses défenses, c’est maintenant ! Toutes les astuces contre les ronflements

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Commission paritaire : 0219 D 85602. Dépôt légal : novembre 2017. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2017.

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Rachid Boudjedra De bruit et de fureur

« AU NOM de ma mère, je jure de dire la vérité, toute la vérité. Je ne crois pas en Dieu, ni en la religion musulmane, je ne crois pas en Mahomet comme prophète. » Nous sommes le 3 juin 2015. Invité de l’émission Mahkama (« Tribunal ») sur Echorouk TV, une chaîne de télévision privée algérienne conservatrice, l’écrivain prolifique clame en arabe dialectal son athéisme face à la caméra. En faisant de tels aveux, Rachid Boudjedra clame, une fois encore, ce jour-là, sa liberté de ton assumée et ses positions tranchées. Récemment, alors que paraît La Dépossession, roman sur la guerre d’indépendance algérienne, l’auteur révolutionnaire, aux allégations parfois contradictoires, lance à nouveau un pavé dans la mare en publiant un pamphlet, Les Contrebandiers de l’histoire, aux éditions FrantzFanon. Ses propos choquent. Kamel Daoud, qu’il accuse

« LA DÉPOSSESSION »,

Rachid Boudjedra,

Grasset, 220 p., 18 €.

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d’avoir appartenu au Groupe islamique armé (GIA), dépose une plainte contre lui et son éditeur afin d’exiger réparation et excuses publiques ; Yasmina Khadra, calomnié, réagit par une lettre ouverte sur Facebook. Qu’à cela ne tienne, Boudjedra ne se démonte pas. Il faut dire que l’homme n’en est pas à un coup d’essai. Depuis près de cinquante ans, avec son style inimitable, il n’a jamais caché ses convictions et se fiche du qu’en dirat-on. Son parcours est celui d’un homme affranchi. La passion de son pays, l’ironie de la condition humaine, la liberté de parole habitent ses textes. Son engagement politique et ses convictions athéistes en font une figure de la résistance à toute forme d’oppression dans le monde arabo-musulman. Parfaitement bilingue, l’homme au faciès de barbouze et à la voix effilée, écrit aussi bien en français qu’en arabe. Son écriture dans laquelle il mêle désinvolture et sérieux, est conçue comme une catharsis par laquelle l’écrivain se libère. Dans son dernier roman, l’auteur de La Répudiation raconte un incident : la destruction dans les années 50 de l’atelier du peintre Albert Marquet, ami de Matisse, installé en Algérie en 1927. Une destruction sous forme de métaphore. Celle d’un pays mutilé par la colonisation, mais qui se cherche, par la langue, la poésie des mots et des sens. Témoin direct de ce naufrage, le narrateur revient sur son enfance à Constantine. L’Algérie est encore meurtrie par les purges antisémites perpétrées par le régime de Vichy. Et la guerre d’indépendance plonge le pays dans le sang et la violence. Boudjedra met en scène un adolescent miné par une obésité maladive et un père humiliant. Ce sont deux tableaux découverts dans le cabinet d’expertcomptable de son oncle qui vont apaiser le jeune Rachid. L’un est signé du plus grand peintre de l’âge d’or musulman, Al Wacity ; l’autre, Albert Marquet. Chacun à sa manière, contient la mémoire du Maghreb. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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ANDERSEN ULF/SIPA

Subversif et LIBRE-PENSEUR : l’écrivain algérien n’en finit pas d’afficher ses convictions. Ici avec un roman qui se déroule dans les années 50, en pleine guerre d’indépendance. Le portrait brutal d’un pays mutilé et d’une enfance chaotique. par Catherine Faye


« ALORS, ÇA MARCHE ? »,

collectif, « L’ABSENTE DE NOËL, », D

Karine Silla, éd. K de d l’Observatoire, 448 p., 4 21,90 €.

roman LIENS DE PARENTÉ SOPHIE, 20 ans, partie faire du bénévolat à Dakar, doit rentrer fêter Noël en famille. Tout le monde l’attend. Mais elle ne réapparaît pas. Face à cette disparition inexpliquée, la famille au complet part à sa recherche au Sénégal. Là, dans l’effervescence de la capitale, chacun est forcé de dépasser ses préjugés, de se confronter

aux souffrances enfouies et de faire un pas vers l’autre. Dans ce troisième roman, Karine Silla, dramaturge, réalisatrice et scénariste francosénégalaise, reprend un de ses thèmes phares : les désordres et les passions des familles recomposées. Et si ses personnages sont largement inspirés de ses proches et de faits réels, c’est l’Afrique qui tient ici le rôle principal. Avec Sophie, l’absente. Sophie, l’enfant adultérine. Une épopée familiale proche du roman policier. ■ C.F.

Gallimard/ Cartooning for Peace, 140 p., 19,50 €.

ON EN PARLE livres

presse EMMANUEL, VU PAR CARTOONING FOR PEACE EXTRÊMEMENT utile, nécessaire, irrévérencieuse, l’association Cartooning for Peace, fondée entre autres par Plantu et Kofi Annan, rassemble plus de 160 dessinateurs de presse dans le monde. Et lutte avec détermination et humour pour le respect de la liberté d’expression. Et quand il le faut, pour la protection des dessinateurs, souvent menacés par des régimes peu enclins au second degré… L’association édite aussi régulièrement des recueils de dessins de presse. À découvrir, ce dernier opus, Alors ça marche ?, chronique sucrée, salée, acide de la montée en puissance d’Emmanuel Macron et de sa victoire. ■ Zyad Limam

essai « EN COMPAGNIE DES HOMMES »,

Véronique Tadjo,

Don Quichotte, 200 p., 17 €.

roman

CARTOONING FOR PEACE

DEVOIR DE MÉMOIRE ENTRE 2014 et 2016, 11 323 personnes ont succombé au virus Ebola. Depuis l’Afrique du Sud, où elle a longtemps dirigé le département de français à l’université du Witwatersrand de Johannesburg, ou encore depuis Abidjan et Londres AFRIQUE MAGAZINE

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où elle partage son temps, Véronique Tadjo a suivi tout ce que les médias diffusaient sur l’épidémie. Elle rend ici hommage à ceux qui ont lutté contre le virus au risque de leur vie. Son récit polyphonique en forme de conte entremêle poésie et fable africaine, journal intime et essai philosophique. Pour ne pas oublier les victimes anonymes et les héros invisibles. ■ C.F.

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LES HOMMES DU FUTUR À QUOI ressemblera la vie dans cent ans ? Pour l’historien israélien Yuval Noah Harari, les nouvelles technologies permettront à l’homme d’atteindre un nouveau stade de l’évolution. Alors l’homo deus, muni de pouvoirs quasi-divins, évincera l’homo sapiens. Après le succès mondial de Sapiens : une brève histoire de l’humanité, Homo Deus dévoile ce que sera le monde lorsque les progrès des biotechnologies et des sciences congédieront l’idée classique de l’humain. Si le best-seller d’Harari interrogeait l’histoire de l’humanité, de l’âge de la pierre à l’ère de la Silicon Valley, son nouveau livre esquisse une image inquiétante du XXIe siècle et anticipe un univers où Google et Facebook connaîtront nos goûts et nos préférences politiques mieux que nous-mêmes et où nous serons évincés du marché de l’emploi par des ordinateurs. Vertigineux. ■ C.F.

« HOMO DEUS – UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’AVENIR »,

Yuval Noah Hariri,

Albin Michel, 464 p., 24 €.

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Kelela

Pas de doute, la relève est bien là Avec TAKE ME APART, son premier album, la nouvelle recrue du R’n’B alternatif américain impose son flow et son sex-appeal. MÉFIEZ-VOUS des apparences ! La jolie Kelela Mizanekristos n’est pas une débutante. En effet, cela fait des années qu’on entend son joli brin de voix. D’abord sur sa mixtape Cut 4 Me (2014). Puis chez Solange Knowles, sur une chanson de l’album A Seat at the Table. Et même chez Gorillaz, plus tôt cette année. Ayant grandi au sein d’une famille éthiopienne très soudée et d’origine modeste, Kelela n’imaginait pas sortir aussi vite du Maryland. Sauf qu’influencée par le charisme d’une mère qui chantait à toutes les fêtes, qu’elles soient africaines ou américaines, elle a décidé de plaquer ses études de sociologie et quitter Washington pour Los Angeles. Elle mettra des années à percer : elle est belle, chante bien, mais refuse d’être formatée. Produit par ses bons 8

Féminine, féministe, elle qui soins, bénéficiant de écoute aussi bien Björk que l’intervention de Miriam Mabeka ou Pink pointures triées sur Floyd se révèle une soul le volet (Jam City, woman d’un genre hybride et Arca, Romy Madley détonant. « Blue Light », Croft du groupe « Onanon », « Bluff » ou The XX et Ariel « Enough », aux tempos plus Rechtshaid, ou moins relevés, collaborateur d’Adele « TAKE ME APART », témoignent d’une écriture ou de Vampire Kelela, Warp Records. ciselée et d’une Weekend), Take Me orchestration forte du Apart s’ouvre sur un dialogue sensuel entre claviers titre annonçant d’emblée l’élégance organiques et beats électroniques. Une de l’album, « Frontline ». Nous voilà nouvelle preuve que s’émanciper des aux prises avec un R’n’B synthétique pressions et des diktats marketing aux échos jazz, dubstep, soul… permet souvent de produire les plus Et avant, tout, résolument urbain, où Kelela déroule ses histoires de cœur, belles œuvres. Si l’on rajoute à cela un ses déceptions et ses combats de femme look affirmé, de longues tresses et un carnet d’adresses bien rempli, on peut indépendante – d’autant plus qu’elle présager le meilleur pour Kelela. ■ est noire américaine. AFRIQUE MAGAZINE

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DR

par Sophie Rosemont


ON EN PARLE musique

Mamadou Kouyaté, Hawa Diabaté et Lassana Diabaté, un super-groupe qui fait groover l’art ancestral des griots.

retour aux sources GRIOT BLUES, DU MISSISSIPPI À BAMAKO

métissage

DA KALI ET KRONOS, PLUS D’UNE CORDE À LEUR ARC

Trio malien versus quator californien : deux traditions se confrontent…

D’UN CÔTÉ, le trio griot Da Kali, avec sa chanteuse Hawa Kassé Mady Diabaté, dont tout le monde réclame le timbre profond – d’Alex Wilson à Madou « Sidiki » Diabaté. De l’autre, le quatuor de cordes Kronos Quartet, basé à San Francisco. Imaginez le meilleur qui pourrait résulter de cette rencontre, et vous aurez le son étonnamment singulier de Ladilikan. Porté par le tube instantané « Eh Ya Ye », l’album fait preuve d’une belle cohérence malgré l’éclectisme de ses origines et de son orchestration. Une réussite. ■ S.R. « LADILIKAN », Trio Da Kali & Kronos Quartet, World Circuit.

QUAND LE BLUESMAN Mighty Mo Rodgers rencontre le musicien malien Baba Sissoko, cela donne Griot Blues. Fidèle à son désir de manipuler des instruments traditionnels au sein de structure jazzy ou blues, Sissoko ne pouvait que sympathiser avec son acolyte américain et, quelques années et beaucoup de jams plus tard, ce premier album en commun voit le jour. Aux guitares sous influence Chicago se mêle le tamani (tambour) ; les voix, aussi sages qu’enthousiastes, construisent un pont entre Mississippi et Bamako. Le duo parvient à un équilibre mélodique et sémantique qui démontre que la fraternité est l’un des plus solides terreaux de la musique. Bonne nouvelle, ce Griot Blues s’invitera sur les cènes françaises au printemps 2018. On a hâte. ■ S.R.

« GRIOT BLUES »,

Mighty Mo Rodgers & Baba Sissoko, One Root Music / Socadisc Distribution.

« BEBALEE », Fayrouz, Mercury/ Universal.

légende revisitée

LEEROY, FOU DE FELA

YOURI LENQUETTE - DR

L’ex-« Saïan » rend hommage au roi de l’afrobeat. Joli. KHALID dehbi, aliais Leeroy, a compris qu’il y avait une vie après Saïan Supa Crew. Après un premier solo tout à fait honorable, le voici de retour avec un projet ambitieux : faire redécouvrir l’univers de Fela Kuti, disparu il y a vingt ans. Réunissant Femi et Seun Kuti, Féfé, Nneka, Nakhane, et des musiciens historiques tels le percussionniste Wura Samba, Leeroy rend hommage au « Black President » en mettant en lumière son intemporelle modernité. ■ S.R. « LEEROY PRESENTS : FELA IS THE FUTURE », BMG.

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icône FAYROUZ SE REPLONGE PLONGE DANS LES CLASSIQUES BELLE IDÉE que de reprendre à sa sauce (orientale) et en arabe les grands classiques qui lui tiennent à cœur : « Imagine » (qui devient « Yemken »), « Besame Mucho » (« Ana Weyyak »), « My Way » (« Hkayat Keer »), « Pour qui veille l’étoile » (« Lameen »)… À 82 ans, la diva libanaise est toujours aussi majestueuse – et bien entourée puisque la brillante Reema Rahbany, à qui elle a confié l’adaptation et l’arrangement, a ourlé d’or ce disque, certes de facture classique mais dont chaque interprétation va droit au cœur. ■ S.R. 9


Kate Winslet, de nouveau héroïne d’un survival movie, vingt ans après « Titanic ».

En cas d’urgence, briser la glace Scénario catastrophe : un avion s’est crashé en pleine montagne. Les RESCAPÉS, une photoreporter et un médecin, étrangers l’un pour l’autre, vont devoir s’allier pour tenter de survivre dans des conditions extrêmes… va se former sous nos yeux, même s’il leur faudra IL Y A QUELQUES années, l’actrice américaine du temps pour briser la glace. Il faut dire qu’elle, Kelly Lynch rapportait cette confidence de photoreporter toujours pressée, et lui, chirurgien Denzel Washington, son partenaire du film demandé, se retrouvent seuls au monde dans la Programmé pour tuer : « Je déteste dire ça, mais, neige au sommet d’une montagne où s’est écrasé tu sais, quand les hommes blancs amènent des le petit bimoteur qui devait les amener d’urgence femmes au cinéma, ils ne veulent pas voir à à Denver. Inconnus l’un pour l’autre avant l’écran un homme noir avec une femme l’accident, mariés ou quasi chacun de leur côté, blanche »… Il faut dire qu’à Hollywood, jusqu’en ils vont apprendre à se découvrir dans les pires 1956, une règle interdisait tout rapprochement conditions. Si ce film de survie est très plaisant sexuel interracial à l’écran. Et même si l’industrie « LA MONTAGNE à suivre, dans des paysages grandioses, lorsqu’il a évolué et fait quelques progrès, jusqu’à présent, ENTRE NOUS » vire à la romance, la mise en scène est parfois les films osant montrer un homme noir en (États-Unis) de Hany maladroite, à coups de flash-back de scènes qu’on couple avec une femme blanche traitaient Abu-Assad. Avec Idris surtout du problème que ça posait à Elba et Kate Winslet. vient à peine de voir, pour souligner combien le rapprochement était inévitable. l’entourage… Ici, il n’en est jamais question. Le réalisateur, Hany Abu-Assad, était plus à l’aise en 2005 Pourtant, la 20th Century Fox a choisi un comédien noir, le pour terminer son excellent film à suspense sur les attentats Britannique Idris Elba (The Wire, Mandela), et sa compatriote suicides à Tel-Aviv : Paradise Now. ■ Kate Winslet (Titanic). Deux stars pour un couple mixte qui 10

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KIMBERLY FRENCH

par Jean-Marie Chazeau


ON EN PARLE écrans road movie

L’ALGÉRIE ET SES FANTÔMES UN (PREMIER) film qui imprime la rétine et l’esprit : six mois après l’avoir vu à Cannes, ce road movie algérien reste bien ancré en mémoire. Parce qu’il a surpris d’abord par sa construction en trois parties, abandonnant en cours de route des personnages auxquels on commence à s’attacher, trois générations d’Algériens : un promoteur immobilier taiseux et confronté à la corruption, une jeune fille obligée d’être conduite en voiture par son ancien amoureux pour rejoindre le fiancé à qui elle est promise par sa famille, et un neurologue rattrapé par la terreur des années de guerre civile. Un voyage politique sans le dire, sentimental sans forcer, qui

Trois récits pour une radiographie de l’Algérie d’aujourd’hui. nous fait traverser le désert et la région de Biskra au son de Bach et des rythmes traditionnels revisités par la jeunesse algérienne d’aujourd’hui. Envoûtant et pertinent. ■ J.-M.C.

« EN ATTENDANT LES HIRONDELLES »

(Algérie-France) de Karim Moussaoui. Avec Mohamed

Djouhri, Hania Amar, Sonia Mekkiou, Mehdi Ramdani.

fable

Une tempête anti-colonialiste UN PRÉSIDENT africain décide de nationaliser l’exploitation des ressources naturelles de son pays, aux mains d’entreprises occidentales qui ne vont pas se laisser faire… Le mécanisme de déstabilisation qui s’ensuit est bien décrit, mais qu’est-il arrivé à Sylvestre Amoussou ? Si on retrouve avec plaisir l’acteur et réalisateur béninois, sa bonhomie malicieuse laisse place à une charge sans nuance contre le néocolonialisme : les Blancs sont tous des rapaces, et les Noirs qui les soutiennent viennent de l’étranger… Pas de place à l’humour : un premier degré qui permet d’assouvir un légitime sentiment de revanche sur l’histoire (d’où l’accueil public et l’Étalon d’argent au dernier Fespaco) mais qui semble aussi exonérer toute responsabilité de certains dirigeants du continent dans l’accaparement des richesses de leur pays… ■ J.-M.C. « L’ORAGE AFRICAIN - UN CONTINENT SOUS INFLUENCE » (Bénin) de Sylvestre Amoussou. Avec lui-même, Sandrine Bulteau, Ériq Ebouaney.

comédie

HICHEM MEROUCHE - JOHN WAXX

PAR TOUS LES SAINTS ! EN QUÊTE D’UN SUCCÈS COMMERCIAL, un producteur de musique décide de former un groupe composé d’un rabbin, d’un prêtre et d’un imam. On retrouve bien l’humour caustique de son auteur-réalisateur, le comédien d’origine camerounaise Fabrice Eboué. Cette confrontation des différences est prétexte à des gags et dialogues hilarants, exhumant par le rire toutes ces tensions communautaires et ces non-dits, s’amusant des clichés. Dommage que tout cela demeure un peu en surface, avec ce goût de déjà-vu d’un standard « comédie française » gentillet. Pour cette histoire de groupe hors norme, on aurait justement préféré un récit moins convenu, plus audacieux. ■ Astrid Krivian « COEXISTER » (France), de Fabrice Eboué. Avec Audrey Lamy, Ramzy

Bedia, Jonathan Cohen, Guillaume de Tonquédec, Mathilde Seigner. AFRIQUE MAGAZINE

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Un imam, un prêtre et un rabbin… Non, ce n’est pas le début d’une blague !

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Fototala King Massassy, « Anarchie productive », 2017.

À BAMAKO, LA BIENNALE TIENT LE CAP Avec « Afrotopia », un thème plus que jamais tourné vers L’AVENIR. CES BIENNALES africaines de la photographie ont heureusement la vie longue ! Bamako, ville mère des Rencontres de la photographie, accueille donc les visiteurs pour la 11e édition, à partir du 2 décembre. La manifestation se renouvelle sous la houlette de sa nouvelle directrice, la commissaire germanocamerounaise Marie-Ann Yemsi. Le thème choisi, « Afrotopia », regarde résolument vers l’avenir. La programmation s’inscrit dans un dispositif urbain comprenant le Musée national du Mali, le musée du District, la Galerie Médina, l’Institut français de Bamako et le Parc national. De nombreuses expositions en off accroîtront l’offre. Les épicentres de la photographie africaine sont bien représentés, avec dans le comité de sélection Sammy Baloji (Biennale de Lubumbashi), Olfa Feki (Maison de l’Image à Tunis), Lekgetho James Makola (Market Photo Workshop à Johannesburg), ou encore Azu Nwagbogu (Lagos Photo Festival). L’affiche de la rencontre, un guitariste qui bondit, évoque l’euphorie en cours dans les arts sur le continent. Sous tous ces regards avertis, on a hâte de voir éclore une flopée de nouveaux talents. ■ Sabine Cessou « RENCONTRES DE BAMAKO », du 2 décembre au 31 janvier. rencontres-bamako.com 12

David Uzochukwu, « Wildfire », 2015.

art contemporain

AKAA, AU CŒUR DE PARIS

« Also Known As Africa » REVIENT au Carreau du Temple pour sa 2e édition. APRÈS LE FRANC SUCCÈS de la première édition en 2016, visitée par 15 000 personnes, AKAA accueille cette année 38 galeries venues de 19 pays, pour moitié des nouveaux venus. C’est la seule foire d’art contemporain africain qui se tient dans la capitale française. Avis aux collectionneurs : le design sera plus présent cette année, avec 10 % des œuvres exposées. La foire, dont le comité de sélection comprend Simon Njami, directeur de la prochaine Biennale de Dakar et Azu Nwagbogu, directeur du festival de photographie de Lagos, s’étend par ailleurs dans les sous-sols du Carreau du Temple pour organiser AKAA Underground. Ce laboratoire d’art et de rencontres abritera des discussions, menées notamment par la philosophe Seloua Luste Boulbina avec des artistes issus des Caraïbes. L’idée étant de relier le contient à ses diasporas, mais aussi aux artistes d’ailleurs qui s’en inspirent. La peintre sud-africaine Lady Skollie aura quant à elle carte blanche pour investir un espace qui lui sera dédié, et la foire rendra hommage au grand sculpteur sénégalais Ousmane Sow, disparu le 1er décembre 2016. ■ S.C. « ALSO KNOWN AS AFRICA, ART & DESIGN FAIR »,

Carreau du Temple, 4, rue Eugène Spuller, du 10 au 12 novembre. akaafair.com AFRIQUE MAGAZINE I 3 7 4 – N O V E M B R E 2 0 1 7

FOTOTALA KING MASSASSY - DAVID UZOCHUKWU

festival


ON EN PARLE agenda curiosité

Royaume magique en Alsace

Mami Wata, divinité des océans.

Le Château-Musée VODOU héberge une collection privée exceptionnelle d’objets ouest-africains issus de cette religion. MARC ET MARIE-LUCE Arbogast sont des passionnés, fascinés par le vodou, religion d’ordre cosmique issue des cultes animistes née en Afrique de l’Ouest autour du XVIIe siècle. Leurs voyages leur ont permis de rassembler plus de 1 000 pièces, allant de petits talismans à des costumes ou masques rituels. Une collection originaire du Ghana, du Bénin, du Togo et du Nigeria, dont une partie est présentée dans le cadre de l’exposition permanente « Le vodou, l’art de voir autrement ». Ils viennent de lancer une campagne de crowdfunding pour organiser « Vodou au féminin », leur première exposition temporaire, de mars à octobre 2018. ■ Catherine Faye Château-Musée Vodou, 4, rue de Koenigshoffen, Strasbourg. chateau-vodou.com

grand écran

MICHAEL WITTMER - COURTESY MOHAMED SOMIJ

YAOUNDÉ FAIT SON CINEMA

L’édifice est signé par le célèbre architecte Jean Nouvel.

inauguration

LE LOUVRE À ABU DHABI

Après des années de négociations et de travaux, le premier musée universel du monde arabe ouvre ENFIN ses portes. CONSTRUITE dans la capitale du plus grand émirat des Émirats arabes unis, sur l’île de Saadiyat (l’île du bonheur), cette « villemusée » est née d’un accord avec la France et se veut un lieu œuvrant au dialogue entre l’Orient et l’Occident. Conçue par l’architecte français Jean Nouvel, la structure est virtuose, impressionnante. Elle est recouverte d’un vaste dôme argenté composé de près de 8 000 étoiles en métal entrelacées et s’étend sur presque 64 000 m2, dont 6 000 m2 consacrés aux collections permanentes et 2 000 m2 aux expositions temporaires. Avec 600 œuvres d’art, dont 300 prêtées par 13 musées français durant la première année d’ouverture (La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci ou encore un Autoportrait de Vincent van Gogh), le musée couvre tous les pans de la création artistique, des origines de l’art à nos jours. Intitulée « D’un Louvre à l’autre : Naissance du musée du Louvre », l’exposition inaugurale, qui ouvrira le 21 décembre 2017, retracera la naissance du musée du Louvre. ■ C.F.

APRÈS Dakar, Abidjan ou Beyrouth, la 5e édition des Trophées francophones du cinéma fait halte à Yaoundé pour récompenser la vitalité du 7e art et soutenir les futurs cinéastes du continent. Cet événement pose chaque année des jalons au sein du pays d’accueil afin de « favoriser la création locale », nous confie Fanny Benkara, la chef de projet. Enfin, cette édition récompensera par des bourses de financement certains projets de fictions et de documentaire consacrés à l’Afrique. ■ Fouzia Marouf

LOUVRE ABU DHABI,

« TROPHÉES FRANCOPHONES DU CINÉMA, CAMEROUN », du 4 au 16 décembre.

ouverture le 11 novembre. Saadiyat Cultural District, Abu Dhabi.

trophees-francophones.org

www.louvreabudhabi.ae

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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié

DÉFIER

LA MENACE

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’est devenu banal. On a appris à vivre sous haute surveillance, dans un univers peuplé d’hommes en tenue, comme on dit en Afrique. L’entrée des hôtels et des restaurants est barricadée, à Ouaga, à Bamako… Des sas de fouille, hermétiques, ont été installés à la porte des brasseries, boîtes de nuit, espaces de loisirs. On passe des détecteurs d’explosifs sous les voitures. À Yaoundé, une patrouille de sécurité est installée à l’entrée de l’aéroport, qui demande les papiers d’identité et inspecte les coffres. Des cordons de vigiles sont déployés autour de chaque manifestation, des gendarmes sillonnent les marchés surpeuplés. Tout cela a un coût. Énorme. Qui pèse dangereusement sur les budgets des États. Qui alourdit aussi les dépenses des patrons d’établissements privés, et se répercutent sur le prix au consommateur. À Abidjan, Cotonou, Lomé, Niamey, N’Djaména aussi. Entre les djihadistes qui opèrent au Sahel et ceux qui se déploient depuis le nord du Nigeria, le continent noir est pris en tenaille, de l’ouest au centre. Avec des moyens financiers et techniques limités. Le danger, permanent, est grand pour les populations, les visiteurs. Et pourtant, la capacité de résilience de toutes ces capitales, qu’elles aient déjà été touchées au cœur ou placées en alerte rouge, est étonnante. Chacun vaque à ses occupations comme si de rien n’était, se déplace de jour, de nuit, s’installe aux terrasses des maquis et des bars, consomme, va aux concerts, fait du business, lance des projets, investit. « Dieu est grand », selon l’adage. La survie, la vie, semblent plus fortes que tout. Et la notion de fatalité aussi, omniprésente. Côté investissements étrangers, AFRIQUE MAGAZINE

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on constate quelques ralentissements, certes. Mais finalement pas tant que ça. Les grands projets avancent, les routes, les ponts, les usines se construisent, financées par telle organisation ou tel consortium. Une manière comme une autre de banaliser la menace. Ce qui est bien sûr dangereux, risqué. Mais c’est aussi incroyablement positif. Regarder l’avenir, y croire, en faisant fi des sinistres tueurs d’âmes, qui apportent chaos et déshérence, est une vraie performance. L’Afrique a de la ressource. De l’ambition. Et met tous les jours au défi le terrorisme de gagner. Avec un courage hors norme, dans des pays réputés pour être si faciles à affaiblir. ■

Chacun vaque à ses occupations comme si de rien n’était, s’installe aux terrasses des maquis et des bars, va aux concerts, fait du business, investit. 15


PARCOURS par Catherine Faye

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CROOKES AND JACKSON

Jochen Zeitz AFRIQUE MAGAZINE

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SON NOM a longtemps été associé à la réussite de la marque Puma. Aujourd’hui, c’est avec l’art et le continent que rime le patronyme de ce charismatique homme d’affaires : le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA), au Cap en Afrique du Sud.

IWAN BAAN

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e plus grand musée d’Afrique. Un temple pour l’art contemporain. Des œuvres de Zanele Muholi, El Anatsui ou encore Kudzanai Chiurai… Sur 6 000 m2, « The Zeitz » – comme on l’appelle déjà dans le milieu, inauguré fin septembre dans la ville du Cap (lire aussi p. 93), ambitionne d’être le pendant continental de la Fondation Louis Vuitton à Paris. Un pari qui semble sur la bonne voie grâce à la volonté d’un homme, Jochen Zeitz, 54 ans. Pas un Sud-Africain mais un Allemand, natif de Mannheim et qui, il y a une dizaine d’années, était davantage connu dans le cercle des « big boss » internationaux que celui du marché de l’art. Un manager qui a réussi ce qui, au départ, semblait être une mission entrepreneuriale impossible avant de tomber amoureux de l’Afrique. Scepticisme : lorsqu’en 1993, Puma annonce que Jochen Zeitz, 30 ans à peine, est son nouveau PDG, peu y croient. La firme créée par Rudolf Dassler en 1945 accumule les pertes. Le jeune Allemand met alors en œuvre une stratégie musclée. Il réduit les coûts de façon drastique, repositionne Puma en marque décalée et haut de gamme. Il attire les fashion victims en habillant Brad Pitt et Madonna, recrute le styliste Hussein Chalayan. Il sponsorise aussi des équipes de football africaines comme le Cameroun qui se fera mondialement connaître pour ses maillots pittoresques : sans manches (2002) ou en maillot-short une-pièce (2004). Et investit sur un athlète inconnu de 16 ans : Usain Bolt. Enfin, le jeune président convainc le groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute), devenu Kering depuis, d’en prendre le contrôle. On est en 2007. En moins de quinze ans, ce fils de médecin à la carrure sportive a ressuscité la marque, avec un chiffre d’affaires qui progresse en moyenne de 20 % par an. Il préfère finalement laisser sa place en 2011 pour se consacrer à une nouvelle mission : l’écologie. Dès lors, il y pilote le développement durable au sein du groupe Kering et crée en 2012, avec le tumultueux entrepreneur britannique Richard Branson, sa propre fondation de protection de l’environnement, B Team, consacrée à la préservation de la planète et des équilibres sociaux. L’objectif ? Favoriser une entreprise plus responsable, notamment en Afrique. Car le continent est une passion chevillée au corps de l’entrepreneur. Dans un premier temps, l’Afrique, jeune, bouillonnante, créative, sert l’image de Puma. Jochen Zeitz acquiert d’ailleurs au Kenya un ranch de 20 000 hectares qu’il survole à bord du Gypsy Moth de 1929 – le fameux biplan du film Out of Africa. Mais plus encore, c’est dans l’art contemporain africain que cet ambitieux austère et discret investit sa fortune. D’abord fasciné par le pop art, il commence par acheter des photographies africaines de Peter Beard, ancien compagnon d’Andy Warhol, puis rencontre l’historien et curateur sud-africain Mark Coetzee, avec qui germe l’idée de collectionner des œuvres d’artistes africains et de la diaspora. Plus encore, il veut les donner à voir. Il commence donc par exposer une partie de sa collection à Segera, son lodge au Kenya, y reçoit des artistes en résidence. Mais voir naître un premier musée avec une ambition mondiale sur le continent est une attente forte. L’ouverture du Zeitz MOCAA dans un ancien silo à grains reconverti du Cap a pour ambition d’y remédier et d’attirer un nouveau public. En attendant de doter à terme le musée d’une véritable collection permanente, les salles accueillent déjà les œuvres du collectionneur, ceux des artistes africains cités mais aussi des stars américaines Glenn Ligon et Rashid Johnson ou encore l’Anglais Isaac Julien. Et si de Puma à l’Afrique, Jochen Zeitz n’a fait qu’un saut, il s’en faut de peu pour qu’il suscite enfin de nouveaux dialogues entre le continent et le monde. ■

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Repensé comme une cathédrale, cet ancien silo à grains abrite désormais le musée Zeitz. Une fois par semaine, l’entrée est gratuite pour les titulaires d’un passeport africain.

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COVER STORY

Exclusif

LA VIE

LE POU Ils et elles sont donc à notre dernier décompte 101. Ils et elles, ce sont ces « ex »-chefs d’État africains qui, durant plusieurs décennies ou seulement quelques jours, ont présidé aux destinées de leur nation. AM a mené un recensement inédit de ces « retraités particuliers ». Et enquêté sur ce qu’ils sont devenus, une fois la page tournée. Dossier réalisé avec Sabine Cessou, Cédric Gouverneur, Frida Dahmani, Hedi Dahmani, Zyad Limam, George Ola-Davis, Emmanuelle Pontié, Julien Wagner 18

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APRÈS

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u’ont-ils fait une fois quitté le pouvoir ? Et combien sont-ils ? Ce mois-ci, AM s’est plongé dans un inventaire inédit : recenser toutes celles et ceux, encore de ce monde, qui ont été à un moment ou à un autre à la tête de leur pays. Ils sont donc finalement 101 ex-chefs d’État africains (ou Premier ministre lorsque la charge de président est honorifique, comme à Maurice) à « être et avoir été ». Le doyen, Kenneth Kaunda (Zambie), 93 ans, est deux fois plus âgé que le benjamin, Amadou Haya Sanogo (Mali), 46 ans. Le record de longévité est détenu par José Eduardo dos Santos, qui vient de passer la main après plus de trente-huit ans de règne, alors que Fernando Pereira (São Tomé-etPrincipe) n’a été président que 10 petits jours. Passe-temps préférés ? Pour Yahya Et c’est le Nigeria, pays le plus peuplé Jammeh, l’agriculture. Et pour Jerry d’Afrique, qui fournit le contingent le plus Rawlings, l’équipe nationale de foot. important des ex-chefs d’État, avec huit personnalités toujours en vie. A contrario, 14 pays ne comptent aucun ancien chef d’État*. Signe de nombreuses morts violentes ? Plutôt celui de régimes – à l’exception bien sûr des monarchies – qui durent ou de nations récentes. La Guinée équatoriale n’a

Boni Yayi reste actif et voyage, comme ici à Paris.

Abdou Diouf en famille. Blaise Compaoré dans un maquis. Instant détente pour Sékouba Konaté aux États-Unis.

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COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

Nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à « décrocher » et restent actifs sur la scène nationale. Certains demeurent des acteurs majeurs du jeu politique intérieur, tandis que d’autres rêvent de repartir pour un tour. ainsi connu que deux présidents depuis l’indépendance (1968), alors que l’Érythrée n’en a connu qu’un depuis sa création (1993). Et l’Ouganda, malgré huit chefs d’État différents depuis 1962, n’a plus un seul ancien président encore de ce monde. Alors, que deviennent donc ces « survivants » ? Et quelle vie s’offre à eux ? Un gros quart, dans une forme de « recyclage » noble, a exercé ou exerce des fonctions à l’international, dans des missions concernant principalement le continent : haut représentant pour l’Union africaine (Sékouba Konaté), secrétaire général de la Francophonie (Abdou Diouf), directeur de la mission d’observation de l’UA (Catherine Samba-Panza) ou encore envoyé spécial de l’ONU sur le changement climatique (John Agyekum Kufuor). Le Ghanéen John Dramani Mahama dirige ainsi actuellement le groupe d’observation des pays du Commonwealth pour la campagne présidentielle kényane. Plus rares, ceux qui ont exercé des fonctions de médiation à l’intérieur de leur propre pays. Ce fut le cas, il y a peu, de JeanBaptiste Ouédraogo, devenu médiateur dans les redditions de Blaise Compaoré (2014) puis de Gilbert Diendéré (2015). Plus philanthropes, Pedro Pires (Cap-Vert) ou Salou Djibo (Niger) ont créé des fondations et courent désormais les conférences internationales, au même titre que Pierre Buyoya ou Olusegun Obasanjo, jamais avares de partager leur expérience. Nombreux aussi sont ceux qui n’arrivent pas à « décrocher » et restent actifs sur la scène nationale. Fait notable, en Afrique 20

du Sud, les trois anciens présidents encore en vie (Frederik Willem de Klerk, Thabo Mbeki et Kgalema Petrus Motlanthe) se sont joints pour appeler le leader actuel, Jacob Zuma, à la démission. Et si certains demeurent encore aujourd’hui des acteurs majeurs du jeu politique intérieur, tels Henri Konan Bédié ou Abdoulaye Wade, d’autres encore rêvent de repartir pour un tour : Marc Ravalomanana (Madagascar) et Joyce Banda (Malawi) se sont d’ores et déjà déclarés candidat aux élections présidentielles à venir (2018 et 2019). Inspirés, peutêtre, par les cas de Azali Assoumani (Union comorienne) et, surtout, Muhammadu Buhari (Nigeria), exceptions qui confirment la règle : ils sont les deux seuls parmi cette liste de 101 à être redevenus président en exercice. Mais le pouvoir comporte aussi de douloureux revers. On compte ainsi une quinzaine d’anciens chefs d’État aujourd’hui en exil. Parmi eux, Blaise Compaoré, qui vit en Côte d’Ivoire, François Bozizé au Cameroun, ou encore Amadou Toumani Touré au Sénégal. Zine el Abidine Ben Ali et Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya sont, eux, au Moyen-Orient, tandis qu’Isaac Zida et Joyce Banda ont fui en Amérique du Nord. Mais tous, sans doute, espèrent suivre les exemples de Dawda Jawara ou Marc Ravalomanana, qui ont réussi à revenir au pays. Si l’exil est si prisé parmi nos anciens présidents, c’est qu’ils sont quelquesuns à être poursuivis dans leur pays, comme Hosni Moubarak, voire déjà jugés, comme l’Éthiopien Haile Mariam Mengitsu (condamné à mort par contumace). Et puis, bien sûr, il y a ceux qui connaissent la prison, tels Mohamed Morsi, Hissène Habré ou Charles Taylor… Laurent Gbagbo est lui aussi privé de liberté, mais il n’est pas condamné, et l’instruction de la Cour pénale internationale se poursuit à La Haye. D’autres encore sont passés par la case prison mais ont été libérés depuis, tels Moussa Traoré ou Shehu Shagaris. C’est que, être président comporte des risques et des périls. On comprend dès lors que certains, sans doute fatigués d’une vie de pouvoir, aient choisi, en définitive, la discrétion la plus absolue. C’est le cas de Lamine Zeroual, Adli Mansour, Moussa Traoré, ou encore Sani Abacha. Voici donc, dans le détail, les 101 « ex ». Qui seront bientôt… 102 : au Liberia, Ellen Johnson Sirleaf s’apprêtait, au moment où AM mettait sous presse, à passer la main. Mais nul ne sait encore ce que sera sa vie d’après. ■ J.W. * Cameroun, RD Congo, Djibouti, Érythrée, Gabon, Guinée équatoriale, Lesotho, Libye, Maroc, Ouganda, Somalie, Soudan du sud, Togo, Zimbabwe.

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Chacun sa route, chacun son chemin Retraités, condamnés, exilés ou encore très présents, ils ont tous un parcours singulier. crise entre les deux Soudan et est pressenti comme envoyé spécial de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) pour « suivre le processus électoral » en RDC. J.W.

Kgalema Petrus Motlanthe 68 ans 25/09/08 – 09/05/09 (7 mois, 14 jours)

Encore sollicité, De Klerk continue de donner son avis sur l’évolution de son pays.

AFRIQUE DU SUD

Frederik Willem de Klerk 81 ans 15/08/89 – 10/05/94 (4 ans, 8 mois, 25 jours)

Prix Nobel de la Paix avec Mandela en 1993, cet ancien avocat protestant élu en 1989 mit fin à l’apartheid en 1991 avant d’être défait par son « meilleur ennemi » aux élections de 1994. Retiré dans sa ferme de Paarl (province du Cap-Occidental) à partir de 1998, il est resté une figure ambiguë pour avoir été à la fois le dernier président d’un régime tortionnaire, mais aussi celui qui a fait un pas vers la paix. Il ne manque jamais une occasion de fustiger l’état de son pays et de critiquer ses successeurs, Mandela inclus. J.W.

ROGER ASKEW/REX/REX/SIPA - CAPTURE D’ÉCRAN

Thabo Mbeki 75 ans 14/06/99 – 25/09/08 (9 ans, 3 mois, 11 jours)

Accusé d’interférences dans le procès de Jacob Zuma, son rival au sein de l’ANC, il avait dû démissionner en 2008 avant la fin de son mandat. Sévèrement critiqué à l’international pour avoir remis en cause les liens entre VIH et sida, Thabo Mbeki demeure actif sur la scène diplomatique africaine. Il a été nommé médiateur de l’UA en 2010 dans la AFRIQUE MAGAZINE

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Vice-président de Thabo Mbeki, il lui succède après sa démission, avant de redevenir vice-président jusqu’en 2012, cette fois de Jacob Zuma. Cette même année, il tente de devenir président de l’ANC mais est défait. Grand pourfendeur de la corruption, il s’est joint, en mai dernier, à Frederik de Klerk et Thabo Mbeki pour tenter de « régler la crise politique intérieure sudafricaine ». Une initiative perçue comme un appel à la démission de Zuma. J.W.

ALGÉRIE

Liamine Zéroual 76 ans 30/01/94 – 27/04/99 (5 ans, 2 mois, 28 jours)

Alors qu’il refusait d’amnistier des membres de l’Armée islamique du salut dans le cadre d’un accord de résolution globale de la guerre civile (1991-2002), le 4e président algérien a été poussé à l’organisation d’élections anticipées en 1999. Malgré des rumeurs faisant de lui, en 2014, le successeur de Bouteflika, il se tient depuis des années à l’écart de la politique. Il est retourné vivre dans sa région berbère d’origine, à Barika (250 km au sud-est d’Alger), loin des regards. J.W.

ANGOLA

José Eduardo dos Santos 75 ans 10/09/79 – 25/09/17 (38 ans, 15 jours)

Dos Santos a beau être un tout « jeune » retraité (depuis septembre 2017), il est loin d’avoir abdiqué le pouvoir. Ce fils d’un tailleur de pierre et d’une employée de maison est toujours président du parti dominant, le MPLA. Sa fille, Isabel, gère la compagnie Sonangol, État dans l’État. Et son fils, José Filomeno de Sousa, est à la tête du fonds souverain de l’Angola. J.W.

BÉNIN

Nicéphore Dieudonné Soglo 82 ans 04/04/91 – 04/04/96 (5 ans)

Successeur et prédécesseur de Mathieu Kérékou, il gagne en 1991 avant d’être battu en 1996. Énarque, administrateur de la Banque mondiale, il devient maire de Cotonou en 2003, réélu en 2009, puis battu en 2015. Lors de l’élection présidentielle de 2016, il se prononce en faveur de Lionel Zinsou, puis contre la réforme constitutionnelle voulue par le nouveau président, Patrice Talon. Son fils, Lehady, perd en 2017 la présidence de Renaissance du Bénin, le parti qu’il avait créé vingtcinq ans plus tôt. J.W.

Thomas Boni Yayi 65 ans 06/04/06 – 06/04/16 (10 ans)

Dix-huit mois après la fin de son second mandat, Boni Yayi, qui vit dans le quartier de Cadjehoun à Cotonou, ne pipe toujours mot. Une discrétion qu’il pourrait toutefois ne pas conserver longtemps : il viserait la députation en 2019. Et l’UA lui a confié une mission d’observation électorale en Guinée équatoriale en 2016. Depuis, il s’est beaucoup rapproché du président Obiang. J.W. 21


BOTSWANA

Festus Gontebanye Mogae 78 ans 01/04/98 – 01/04/08 (10 ans)

Ancien fonctionnaire au FMI, il démissionne de son deuxième mandat de président un an avant son terme, et crée dès 2008 le Champions for an HIV-Free Generation, qui se donne pour mission d’éradiquer le sida d’ici 2030. Récipiendaire de nombreuses récompenses (Prix Mo Ibrahim, Grande-Croix de la Légion d’honneur…), il est le président de la commission mixte de suivi de l’IGAD (autorité intergouvernementale sur le développement sur le conflit soudanais). J.W.

BURKINA FASO Jean-Baptiste Ouédraogo 75 ans

08/11/82 – 04/08/83 (8 mois, 27 jours)

Moins d’un an après son coup d’État, il est à son tour renversé par son ancien Premier ministre : Thomas Sankara. Emprisonné puis libéré en 1985, il renonce à la politique et fonde la clinique Notre-Dame de la Paix à Ouagadougou, où cet ancien médecin exerce toujours. En 2014 et 2015, il devient un médiateur clé des négociations de reddition de Blaise Compaoré puis du général Diendéré. J.W.

Blaise Compaoré 66 ans 15/10/87 – 31/10/14 (27 ans, 16 jours)

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Blaise Compaoré (à dr.), exilé à Abidjan, est reçu par l’ancien président ivoirien Henri Konan Bédié en octobre 2016.

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ISSOUF SANOGO/AFP

A-t-il vu venir la tempête révolutionnaire qui allait emporter son régime ? En tous les cas, celui qui fut l’un des hommes les plus puissants du continent est renversé par un vaste mouvement populaire coalisé contre son projet de modification de l’article 37 de la loi fondamentale limitant le nombre de mandats présidentiels. Après une mystérieuse errance entre Rabat et Yamoussoukro, Blaise Compaoré s’installe à Abidjan, avec son épouse Chantal, au cœur

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de Cocody dans une confortable villa bourgeoise que ce passionné d’architecture se met évidemment à aménager. Il lit beaucoup, fait du sport, cède régulièrement à sa passion du football à la télévision. Il maintient une posture de grande discrétion, ne s’exprime pas sur les affaires du Burkina. Ni sur les aléas de son procès à Ouaga. Il reste pourtant un expert dont les avis sont recherchés, il reçoit des hommes politiques ivoiriens, des proches et des partisans burkinabè, des visiteurs internationaux. Et hier comme aujourd’hui, sa proximité avec ADO est réelle. On se demande pourtant comment cet homme si essentiellement burkinabè pourra se contenter très longtemps de l’exil… Z.L.

Isaac Zida 51 ans 01/11/14 – 21/11/14 (20 jours)

Cet officier, ancien numéro 2 de la garde présidentielle de Blaise Compaoré (RSP), prend le pouvoir à la chute du dictateur. Sous la pression civile et internationale, il cède son fauteuil trois semaines plus tard à Michel Kafando et devient Premier ministre. Il quitte son poste en janvier 2016, avant qu’un audit de l’État ne l’accuse d’appropriation indue. En septembre, l’homme de Yako s’enfuit pour le Canada et est depuis sous le coup d’une procédure de « désertion en temps de paix » et d’un mandat international. J.W.

Michel Kafando 75 ans

DR

21/11/14 – 29/12/15 (1 an, 1 mois, 8 jours)

Succédant à Isaac Zida comme chef d’État de la transition après la chute de Blaise Compaoré, il cède le fauteuil présidentiel à la suite de l’élection de Roch Kaboré. Désormais à la retraite, dans sa ferme de Dayoubsi (à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou), Michel Kafando continue cependant des missions de bons offices. Cet été, en tant qu’envoyé AFRIQUE MAGAZINE

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spécial de l’ONU, il s’est rendu au Burundi, en Tanzanie et en Ouganda pour être un « facilitateur » dans le dénouement de la crise burundaise. H.D.

BURUNDI

Pierre Buyoya 67 ans 03/09/87 – 01/06/93 • 25/07/96 – 30/04/03 (12 ans, 6 mois, 4 jours)

Putschiste en 1987, ce major tutsi œuvre à la démocratisation du Burundi, permettant l’élection en juin 1993 de Melchior Ndadaye. L’assassinat de ce Hutu, quatre mois plus tard, par un groupe d’officiers, plonge le pays dans la guerre civile. Après 1993, il occupe le poste de président de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, puis de la Communauté économique des pays des Grands Lacs. Il mène un second coup d’État en 1996 pour mettre le pays sur les rails des accords de paix. Puis quitte le pouvoir en 2003 pour courir les conférences et missions d’observation électorales. Il est depuis 2012 le haut représentant de l’UA au Sahel. Il a brigué en vain le secrétariat général de la francophonie, en octobre 2014. S.C.

Sylvie Kinigi 65 ans 27/10/93 – 05/02/94 (3 mois, 9 jours)

Elle a beau n’avoir été présidente que durant trois mois, Sylvie Kinigi a laissé son empreinte. Depuis son départ, elle a effectué plusieurs missions pour le compte des Nations unies, notamment pour la région des Grands Lacs. Elle a récemment pris la tête de la mission d’observation des élections au Burundi pour le compte de la Fondation Jimmy Carter. Critique à l’égard du régime actuel, elle vit désormais à l’étranger. G.O.D.

Sylvestre Ntibantunganya 61 ans 06/04/94 – 25/07/96 (2 ans, 3 mois, 19 jours)

En tant que président de l’Assemblée nationale, ce Hutu consensuel de 61 ans a assuré l’intérim après la mort du président Cyprien Ntaryamira, dans l’attentat perpétré le 6 avril 1994 à Kigali contre l’avion du président rwandais. Renversé en juillet 1996 par Pierre Buyoya, il fait partie depuis 2015 du Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha (Cnared), la plateforme formée par l’opposition en exil à Bruxelles, où il réside. S.C.

Domitien Ndayizeye 64 ans 30/04/03 – 26/08/05 (2 ans, 3 mois, 27 jours)

Pierre Buyoya remet le pouvoir en 2003 à ce président de transition hutu qui organise les élections de 2005, remportées par Pierre Nkurunziza. Ce dernier le fait mettre aux arrêts en 2006, lui imputant un complot en vue d’un coup d’État. Incarcéré pendant cinq mois, il est ensuite libéré. Distant du pouvoir, propriétaire du centre d’affaires White Stone à Bujumbura, il fait partie des voix critiques à l’encontre de Pierre Nkurunziza, qui a entamé en 2015 un troisième mandat non constitutionnel. Menacé de mort par la milice du parti au pouvoir, il ne se rend plus au Sénat en signe de protestation, mais ne s’est pas résolu à l’exil. S.C.

CAP-VERT

Pedro Pires 83 ans 22/03/01 – 09/09/11 (10 ans, 5 mois, 18 jours)

Lauréat 2011 du prix Mo Ibrahim, cet ex-Premier ministre (1975-1991) et président (1991-2011) du Cabo Verde voyage et donne des conférences. Son Institut Pedro Pires pour le leadership envoie tous les ans une dizaine de jeunes cap-verdiens se former aux ÉtatsUnis, deux semaines en été. Apôtre de la démocratie, il a néanmoins « observé » d’un œil bienveillant, à 83 ans, les élections d’août dernier en Angola. S.C. 23


COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

CENTRAFRIQUE

François Bozizé Yangouvonda 71 ans 15/03/03 – 24/03/13 (10 ans, 9 jours)

Tombeur d’Ange-Félix Patassé en 2003, ce général putschiste, élu et réélu (2005, 2011), est renversé en mars 2013 par la rébellion Seleka. Il vit depuis au Cameroun sous la protection de Paul Biya, malgré un mandat d’arrêt lancé contre lui en 2013 par la justice centrafricaine. S.C.

Michel Djotodia 68 ans 24/03/13 – 10/01/14 (9 mois, 17 jours)

Porté au pouvoir par la rébellion Seleka en mars 2013, il est le premier chef d’État musulman de Centrafrique. Militaire formé en Union soviétique, il doit quitter son fauteuil en janvier 2014, sous la pression internationale, faute d’avoir su stopper les exactions de la Seleka. Il retourne ensuite au Bénin, où il a déjà vécu en exil entre 2005 et 2012, et coule des jours tranquilles à Cotonou. S.C.

Alexandre-Ferdinand N’Guendet 45 ans 10/01/14 – 23/01/14 (13 jours)

Président du Conseil national de la transition de 2013 à 2016, il assure un intérim après la démission de M. Djotodia, et avant de passer la main à Catherine Samba-Panza. Il soutient le futur président Faustin-Archange Touadéra au 2nd tour des élections de mars 2016. En mai dernier, il claque la porte de la majorité après qu’une pétition lancée par son mouvement (RPR) en faveur de l’arrestation du leader de la Seleka, Ali Darassa, échoue à convaincre le gouvernement. J.W.

Catherine Samba-Panza 63 ans 23/01/14 – 30/03/16 (2 ans, 2 mois, 7 jours)

Juriste de formation, brièvement maire de Bangui en 2013, elle devient présidente de transition en Centrafrique en janvier 2014 car elle n’est affiliée à aucun parti politique. 24

Elle cède son fauteuil en 2016 au président élu Faustin-Archange Touadéra, et vit depuis, à 63 ans, une retraite active. Elle a dirigé en juillet dernier une mission d’observation de l’UA des législatives au Sénégal. S.C.

mohélienne et une partie des membres de son ancien gouvernement sont auditionnés par une Commission d’enquête pour une affaire de vente de passeports à des étrangers. J.W.

COMORES

30/04/99 – 21/01/02 • 26/05/02 – 26/05/06 (6 ans, 8 mois, 22 jours)

Hamadi Madi, dit Boléro 52 ans 21/01/02 – 26/05/02 (4 mois, 5 jours)

C’est l’un des artisans de l’Accord de Fomboni (2001) qui conduisit à la rédaction d’une nouvelle Constitution. Il devient Premier ministre puis président par intérim après la démission d’Assoumani. Après l’élection de Sambi (2006), il quitte les Comores pour la France. Revenu en 2008, il est arrêté par les autorités pour avoir emporté en exil du mobilier de l’État. Et devient en 2012 directeur de cabinet du président Dhoinine. Depuis mars 2016, il est secrétaire général de la Commission de l’océan Indien. J.W.

Ahmed Abdallah Sambi 59 ans 26/05/06 – 26/05/11 (5 ans)

Confortablement élu en 2006 (58 % des voix), il est surnommé l’« Ayatollah » pour avoir étudié la théologie. Mais il est aussi un industriel, dans la literie, la parfumerie et l’embouteillement. Aux élections de 2016, le fondateur du parti Juwa a soutenu son vieil ennemi politique, Azali Assoumani… non sans avoir tenté de concourir lui-même, au mépris de la règle de la « présidence tournante entre les îles de l’Union ». J.W.

Ikililou Dhoinine 55 ans 26/05/11 – 26/05/16 (5 ans)

Originaire de l’île de Mohéli, le docteur en pharmacie de l’université de Conakry (Guinée) avait été élu dans la confusion en 2011 à la suite d’un compromis avec son prédécesseur Depuis la fin de son mandat en 2016, le propriétaire de La Pharmacie

Azali Assoumani 1 58 ans Depuis 2001, la Constitution de l’Union des Comores dispose qu’à chaque mandat, le président doit être issu d’une île différente – sur les quatre que comporte le pays. Entre deux élections, Assoumani a donc attendu patiemment son tour. Réélu en 2016, il est actuellement en fonction. H.D.

RÉPUBLIQUE DU CONGO Pascal Lissouba 85 ans

31/08/92 – 25/10/97 (5 ans, 1 mois, 24 jours)

La guerre civile, qui l’a opposé à Denis Sassou-Nguesso, a contraint Lissouba à fuir son pays il y a vingt ans. Réfugié à Londres, il est condamné en 1999 par la justice congolaise à trente ans de travaux forcés pour « crime de haute trahison ». Le Parlement de Brazaville l’amnistiera en 2009. L’ex-chef d’État passe l’essentiel de son temps à Paris. Son fils, Jérémy Lissouba, 35 ans, vient de rallier le camp Sassou-Nguesso et se présente aux élections législatives. H.D.

CÔTE D’IVOIRE

Henri Konan Bédié 83 ans 07/12/93 – 24/12/99 (6 ans, 17 jours)

Étonnant parcours que celui que l’on surnomme d’Abidjan à Daoukro « le sphinx ». Successeur d’Houphouët, le théoricien de « l’ivoirité » est déboulonné par un coup d’État de caporaux le jour de Noël 1999. Et pourtant, il a su rester un acteur majeur du jeu politique. Après deux ans d’exil à Paris, HKB revient à Abidjan en 2001. Il reprend la main sur le PDCI, et est candidat dès 2006 à l’élection présidentielle qui aura lieu en… octobre 2010. Battu au premier tour avec 25 % des voix, il AFRIQUE MAGAZINE

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Détenu à La Haye, Laurent Gbagbo espère toujours une liberté provisoire.

se rallie bon gré, mal gré, et comme prévu, au candidat Alassane Ouattara. Haute personnalité de l’État, HKB est remis en selle en quelque sorte par le nouveau président, qu’il avait pourtant tenté d’exclure de la scène politique. La réconciliation fonctionne à plein régime. Le PDCI ne présente pas de candidat aux élections présidentielles d’octobre 2015. Pourtant, à mesure que se profile l’échéance de 2020, et que les ambitions s’aiguisent, les uns et les autres se demandent si HKB a vraiment renoncé au pouvoir suprême… Z.L.

Laurent Gbagbo 72 ans

PETER DEJONG/AP/SIPA

26/10/00 – 11/04/11 (10 ans, 5 mois, 16 jours)

En prison, à La Haye, depuis déjà six ans… Évidemment, les choses auraient pu se dérouler autrement. Élu chef de l’État en 2000, le politicien roué (on l’appelait « le boulanger » pour sa capacité à rouler ses adversaires dans la farine) aurait pu accepter les résultats de l’élection présidentielle de 2011. Et se poser en chef de l’opposition, ou se consacrer à une carrière internationale. Entouré par un clan de faucons, dont l’emblème reste son épouse Simone, Gbagbo fait AFRIQUE MAGAZINE

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le mauvais choix. Il refuse de quitter le pouvoir, ce qui entraîne une crise politico-militaire fratricide de plusieurs mois. Il est finalement arrêté par les forces proches d’Alassane Ouattara le 11 avril 2011. Le 30 novembre 2011, il est incarcéré auprès de la Cour pénale internationale. Où il reçoit assez régulièrement proches et partisans, y compris sa « seconde épouse » Nady Bamba. Le procès s’est ouvert le 28 janvier 2016, le dossier fait plus de 22 000 pages, les débats pourraient durer près de trois ans. Et la cour a refusé à plusieurs reprises la mise en liberté provisoire. Z.L.

ÉGYPTE

Hosni Moubarak 89 ans 14/10/81 – 11/02/11 (29 ans, 3 mois, 28 jours)

Depuis sa démission forcée le 11 février 2011 après des semaines de manifestations, la vie du raïs est une suite d’audiences et de procès, entrecoupés de séjours à l’hôpital. Acquitté le 2 mars 2017 dans son procès pour « meurtre et tentative de meurtre sur des manifestants », il demeure sous le coup d’autres procédures. Il a ainsi été poursuivi

pour corruption en compagnie de ses deux fils, Alaa et Gamal, affaire pour laquelle ils ont été condamnés en janvier 2016 à trois ans de prison chacun et a payé 17,5 millions d’euros à l’État. Un moindre mal pour celui dont la fortune était estimée à 1,2 milliard de dollars en 2014 par la justice égyptienne. Libéré le 24 mars 2017, il vit désormais à Héliopolis, dans la banlieue du Caire, mais reste l’objet d’une autre enquête pour prise illégale d’intérêts et blanchiment. J.W.

Mohamed Hussein Tantawi Soliman 82 ans 11/02/11 – 30/06/12 (1 an, 4 mois, 19 jours)

Le maréchal originaire de Nubie, ministre de la Défense et commandant en chef des forces armées égyptiennes de Moubarak de 1991 à 2012, devient chef de l’État de facto à la démission du raïs. Il assure la transition jusqu’à l’élection de Mohamed Morsi. Le 12 août 2012, il est mis à la retraite par le nouveau président. Réputé secret, il a été chargé, en novembre 2016, par le président Al-Sissi, de rencontrer les leaders de la contestation dans l’État de Nubie (extrême sud) concernant des conflits récurrents sur la terre. J.W. 25


COVER STORY

CHINE NOUVELLE/SIPA

LA VIE APRÈS LE POUVOIR

Mohamed Morsi est derrière les barreaux. La Cour de cassation, qui a annulé sa peine de mort a, en revanche, confirmé sa condamnation à la prison à vie en septembre 2017.

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Mohamed Morsi 66 ans

ÉTHIOPIE

30/06/12 – 03/07/13 (1 an, 3 jours)

Mengistu Haïle Mariam 80 ans

Premier président démocratiquement élu d’Égypte, ce fils de paysans du delta du Nil est aujourd’hui en prison, et possiblement pour longtemps. Élu le 30 juin 2012 avec 51,73 % au 2d tour, il est « déposé » un peu plus d’un an plus tard par le général Al-Sissi après des manifestations monstres de l’opposition, qui lui reproche de concentrer tous les pouvoirs. L’ancien étudiant en génie civil est alors inculpé pour « espionnage, incitation à la violence et destruction de l’économie », puis pour « assassinats de soldats » et « conspiration avec le Hamas ». Condamné à mort en mai 2015, et à la perpétuité dans un autre procès en juillet 2016, l’ex-directeur de campagne des Frères musulmans pour les législatives de 2010 n’était pourtant pas le premier choix de la confrérie pour la présidentielle de 2012. Ce n’est qu’après l’invalidation de la candidature de Khairat-al-Chater qu’il est désigné candidat du Parti Liberté et Justice. En novembre 2016, sa condamnation à mort a été invalidée par la Cour de cassation. J.W.

11/02/77 – 21/05/91 (14 ans, 3 mois, 10 jours)

Adli Mansour 71 ans

Depuis 1991, « MHM » coule des jours tranquilles au Zimbabwe, où Robert Mugabe lui a offert l’asile politique. L’ancien chef de la junte militaire, responsable de massacres et de famines durant son règne, s’y était en effet réfugié après la chute de son régime. Condamné à mort pour génocide en décembre 2008, il demeure dans une villa de Harare, les autorités du pays refusant toujours de l’extrader. H.D.

GAMBIE

Sir Dawda Jawara 93 ans 24/04/70 – 22/07/94 (24 ans, 2 mois, 28 jours)

Qui voudrait d’une vie en exil ? Pas le père de l’indépendance gambienne qui a été contraint de quitter son pays après le coup d’État mené par Yahya Jammeh. De retour en 2002, il mène depuis, une existence tranquille à Fajara, à la périphérie de Banjul. En février dernier, il a apporté son soutien au nouveau président, Adama Barrow, démocratiquement élu. G.O.D.

Yahya Jammeh 52 ans 22/07/94 – 21/01/17 (22 ans, 5 mois, 30 jours)

L’ancien dictateur, ses grands boubous et son curieux sceptre étaient partis de manière « ubuesque ». Reconnaissant un temps sa défaite contre Adama Barrow, Yahya s’est ensuite accroché à son trône durant un mois et demi, avant que la communauté internationale ne le boute hors du territoire. Il a atterri à Mongomo (Guinée Équatoriale), à 175 km de Bata. Il est logé depuis neuf mois dans un des trois palais présidentiels de son hôte Teodoro Obiang, dont c’est le village natal. Installé en pays fang, en zone forestière, et traité avec égards, il donne des cours d’agriculture en famille aux autochtones du cru. Mais un dossier fourni, composé d’accusations de détournements de fonds colossaux et de violations des droits de l’homme, se constitue à Banjul contre lui. Et son successeur, qui le soupçonne de rêver de déstabiliser son pays, a demandé à son homologue guinéen de bien vouloir l’en dissuader… À suivre. E.P.

Défait en 2016, Yahya Jammeh a quitté la Gambie pour la Guinée équatoriale.

JÉRÔME DELAY/AP/SIPA

04/07/13 – 08/06/14 (11 mois, 4 jours)

Président de la Cour constitutionnelle suprême, c’est lui qui assume la charge de président de la République à titre provisoire au lendemain de la destitution de M. Morsi, et ce, en lieu et place du président du Conseil consultatif (issu des Frères musulmans), qui normalement le précède dans l’ordre constitutionnel. À l’élection du général Al-Sissi, l’économiste et haut magistrat retourne à son poste précédent, puis prend sa retraite. En décembre 2016, il refuse le poste de président de la Chambre des représentants. J.W.

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COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

GHANA

Jerry Rawlings 70 ans 31/12/81 – 07/01/01 (19 ans, 7 jours)

À la retraite mais pas inactif : Jerry John Rawlings a toujours un œil sur le NDC, le parti politique qu’il a fondé en 1992, et dont ont été issus John Atta-Mills et John Mahama, futurs présidents qu’il a… régulièrement critiqués, les accusant de corruption et d’actes contraires à la probité. En revanche, depuis l’élection de Nana Akufo-Addo, Rawlings se montre très discret. Sur la scène internationale, il a notamment été l’envoyé spécial de l’Union africaine en Somalie en 2010. G.O.D.

John Agyekum Kufuor 78 ans

John Dramani Mahama 58 ans

07/01/01 – 07/01/09 (8 ans)

24/07/12 – 07/01/17 (4 ans, 5 mois, 14 jours)

L’ancien président a connu des ennuis de santé en 2012. Opéré pour un problème vasculaire, il a refusé d’être soigné en dehors du Ghana, déclarant que le pays possède tous les talents et ressources nécessaires. En novembre 2016, il accepte un traitement médical en Afrique du Sud et, de retour, fait campagne en faveur du National Patriotic Party (NPP). En 2013, il a été nommé par les Nations unies envoyé spécial sur le changement climatique. G.O.D.

Après sa défaite, en décembre dernier, face à Nana Akufo-Addo, JDM s’est mué en globe-trotter continental, représentant le groupe d’observation des pays du Commonwealth lors de la campagne présidentielle au Kenya (août 2017), et en tant que chef de mission d’observation de la Cédéao quant à la régularité des élections au Liberia, lors du 1er tour, le mois dernier. A-t-il renoncé à revenir au pouvoir ? Son parti, le NDC, s’organise déjà pour reconquérir le fauteuil présidentiel lors des élections de 2020. G.O.D.

LUC GNAGO/REUTERS

Jerry Rawlings à la cérémonie d’intronisation du nouveau chef d’État, Nana Akufo-Addo, en janvier 2017.


GUINÉE

une semaine après un coup d’État militaire. Dans un premier temps, il refuse la charge, avant de l’accepter trois semaines plus tard. Sa présidence est marquée par les accusations américaines de trafic de drogue à l’encontre de plusieurs haut gradés du régime. Resté un commentateur avisé de la politique intérieure dans son pays, il a également été, en janvier 2015, chef de la mission électorale d’observation de l’UA lors des élections au Cap-Vert. J.W.

Moussa Dadis Camara 53 ans 24/12/08 – 15/01/10 (1 an, 22 jours)

L’ex-président qui abreuva YouTube de ses frasques et autres interviews farfelues en pyjama, avait dû quitter son pays pour se faire soigner à Rabat, après avoir pris une balle dans la tête le 3 décembre 2009 par son aide de camp. Le 12 janvier 2010, il est transféré à Ouagadougou, où il vit toujours dans une villa de Ouaga 2000, « sous contrôle international ». Il s’est converti au christianisme le 22 août à l’église Notre-Damedes-Apôtres de la Patte d’Oie, où il a épousé le même jour Jeanne Saba. Sans solde de l’armée ni statut d’ancien président, il subsiste grâce aux deniers burkinabè. Et rêve de rentrer chez lui, où il garderait une certaine popularité dans la région de la Guinée forestière. Il attend d’être entendu par la justice de son pays, dans le cadre de l’enquête engagée après le massacre du stade le 28 septembre 2009 (voir p. 52). Pour lequel il promet de raconter « sa vérité ». E.P.

KENYA

Daniel Arap Moi 93 ans

Moussa Dadis Camara est réfugié au Burkina Faso.

Sékouba Konaté 53 ans

AHMED OUOBA/AFP

18/01/10 – 21/12/10 (11 mois, 3 jours)

Numéro 2 du régime de Dadis Camara, le général de mère libanaise et de père guinéen succède à « Dadis » après que celui-ci a fui en exil au Burkina Faso. Le « Tigre » mène alors la transition et organise l’élection présidentielle de 2010 à laquelle il ne participe pas. Dans la foulée, il part à Addis-Abeba (Éthiopie) et devient Haut représentant pour l’Union africaine. Ministre de la Défense lors du massacre du 28 septembre 2009, il n’a toujours pas été AFRIQUE MAGAZINE

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22/08/78 – 30/12/02 (24 ans, 4 mois, 8 jours) Après vingt-quatre ans de règne, Moi a été contraint de renoncer à la présidence. Il partage l’essentiel de son temps dans sa ferme de la ville de Kabarak, à 200 km de Nairobi, où il a fondé une université et une école secondaire. Fervent chrétien, il a continué de donner son avis sur les institutions du pays. Mais, à 93 ans, celui que les Kényans appellent Mzee (« vieux sage ») Moi serait diminué par son grand âge. G.O.D.

Mwai Kibaki 85 ans 30/12/02 – 09/04/13 (10 ans, 3 mois, 10 jours)

entendu par les juges guinéens en charge de l’affaire. Il vit aujourd’hui en France, à Enghien-les-Bains (Val-d’Oise), où il bénéficie d’une carte de séjour de dix ans. J.W.

GUINÉE-BISSAU

Manuel Serifo Nhamadjo 59 ans 11/05/12 – 23/06/14 (2 ans, 1 mois, 12 jours)

Président de l’Assemblée nationale à deux reprises (2009 et 2012), éliminé au 1er tour des élections de 2012 (18 mars), il est désigné président par intérim le 20 avril,

Au terme de ses deux mandats, Mwai Kibaki a connu des problèmes de santé, raison pour laquelle il s’est montré relativement discret après qu’il a quitté le pouvoir. En août 2016, il a été transporté vers l’Afrique du Sud pour y être soigné à la suite d’un accident vasculaire. Affecté également par le décès de son épouse, Lucy, en avril 2016, il est sorti de son silence au mois de juin, déclarant : « J’ai un problème là – en montrant sa gorge – voilà pourquoi ma voix est si faible. » Il semble aller mieux depuis, se disant prêt à faire campagne aux quatre coins du pays pour soutenir la candidature du président sortant, Uhuru Kenyatta. G.O.D. 29


COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

de l’université de Bloomington (Indiana, États-Unis). Président du conseil d’administration de l’African Centre for Development et de la Commission libérienne de gouvernance, il a soutenu Sirleaf Johnson lors de ses deux élections. G.O.D.

Condamné pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, l’ancien président libérien Charles Taylor purge une peine de cinquante années de prison.

MADAGASCAR

Didier Ratsiraka 80 ans 15/06/75 – 27/03/93 • 09/02/97 – 05/07/02 (23 ans, 2 mois, 8 jours)

Charles Taylor 69 ans 02/08/97 – 11/08/03 (6 ans, 9 jours)

Arrêté par des douaniers nigérians à la frontière camerounaise alors qu’il tente de s’enfuir, l’ex-président déchu, impliqué dans la guerre civile sierraléonaise, est « livré » par Olusegun Obasanjo à la Sierra Leone en mars 2006. Pendant deux ans, l’ancien chef de guerre avait coulé des jours paisibles à Calabar (centre-sud du Nigeria) en vertu d’un accord signé avec l’opposition rebelle sous l’égide de la communauté internationale. Après cinq années de procès devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) à La Haye (Pays-Bas), il a été finalement condamné à cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sentence confirmée en appel en 2013. Emprisonné depuis dans un lieu tenu 30

secret en Grande-Bretagne, celui qui fut le personnage central d’une des plus sanglantes guerres civiles (environ 400 000 morts) qu’a connu l’Afrique, qui s’est étalée sur près de quinze ans (1989-2003) et a touché trois pays (Sierra Leone, Liberia, Guinée), a récemment refait parler de lui durant la dernière campagne présidentielle libérienne : son ex-femme, Jewel Howard-Taylor, étant la colistière du candidat George Weah. J.W.

Amos Sawyer 72 ans 22/11/90 – 08/08/93 (2 ans, 8 mois, 17 jours)

Le professeur Amos Sawyer a 50 ans lorsqu’il devient président, par intérim, du gouvernement d’union nationale. Puis, cet universitaire retourne dans le monde académique, notamment au département des sciences politiques

Albert Zafy 90 ans 27/03/93 – 05/09/96 (3 ans, 5 mois, 9 jours)

Après trois ans et demi de présidence chaotique, « l’homme au chapeau de paille », en conflit ouvert avec son Premier ministre, est destitué en 1996 à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale d’une motion d’empêchement. Arrivé troisième aux élections de 2001, il devient un farouche opposant du nouveau président, Marc Ravalomanana, mais refuse de soutenir le putsch de 2009 contre ce dernier. Impliqué lui aussi depuis 2009 dans les négociations pour un gouvernement de transition, il serait, d’après le site NewsMada, en réanimation dans une polyclinique d’Antananarivo depuis le 11 octobre dernier. J.W. AFRIQUE MAGAZINE

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TOUSSAINT KWITERS/UNITED PHOTO/REUTERS

LIBERIA

Élu président à deux reprises, « Deba », ancien commandant de marine, s’exile en France en 2002 alors qu’il est en conflit avec Marc Ravalomanana au sujet des résultats des élections. L’« Amiral rouge » rentre définitivement au pays en 2013 afin de se présenter de nouveau à l’élection présidentielle, mais sa candidature est rejetée. Depuis 2009 et le putsch d’Andry Rajoelina, il participe aux négociations en vue d’un gouvernement consensuel et transitoire, projet toujours inabouti. D’après certains médias malgaches, il cherche actuellement un candidat pour porter les couleurs de son parti (Arema) à l’élection de 2018. J.W.


21 janvier 2012. L’avion qui devait ramener Marc Ravalomanana après près de trois ans d’exil a dû faire demi-tour, l’espace aérien de Madagascar lui ayant été interdit. Rentré depuis, il a annoncé sa candidature à la prochaine élection présidentielle.

JÉRÔME DELAY/AP/SIPA

Marc Ravalomanana 67 ans

MALAWI

06/05/02 – 17/03/09 (6 ans, 10 mois, 11 jours)

Bakili Muluzi 74 ans

« Dada », fondateur du fleuron de l’agroalimentaire malgache Tiko, est contraint à la démission après un coup de force le 17 mars 2009, deux ans après sa réélection (dès le 1er tour avec 54,79 %). Parti en exil en Afrique du Sud, l’ancien maire d’Antananarivo (1999-2002) revient sur la Grande Île en 2014, où il est arrêté pour la mort, le 7 février 2009, d’une trentaine de partisans d’Andry Rajoelina. Relâché, il devient en 2015 conseiller spécial de sa femme, Lalao, élue maire de la capitale. L’enfant des Hauts Plateaux a d’ores et déjà annoncé qu’il serait candidat à l’élection présidentielle de 2018. J.W.

21/05/94 – 24/05/04 (10 ans, 3 jours)

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Premier président démocratiquement élu du Malawi, réélu en 1999, le fondateur de l’United Democratic Front (UDF) a tenté d’amender la Constitution en 2002 pour pouvoir se présenter à un troisième mandat, mais recula devant le pouvoir législatif et l’ampleur des manifestations. En conflit avec son successeur, Bingu wa Mutharika, il est arrêté par deux fois, en 2008 et en 2009, pour corruption : accusé d’avoir détourné 12 millions de dollars de fonds provenant de l’aide internationale, il n’a toujours pas été jugé. Depuis 2012, l’UDF est présidé par son fils, Atulepe Muluzi. J.W.

Joyce Banda 67 ans 07/04/12 – 31/05/14 (2 ans, 1 mois, 24 jours)

Vice-présidente de la République de 2009 à 2012, l’enfant du Nyasaland succède à Bingu wa Mutharika le lendemain de son décès. Candidate à l’élection de 2014, elle perd face à Peter Mutharika (le fils), non sans avoir tenté d’annuler les résultats en invoquant des irrégularités. Femme d’affaires, activiste, philanthrope multirécompensée à l’international, elle s’est exilée de son propre chef en 2014 aux États-Unis, où elle réside toujours. Accusée de corruption et de blanchiment d’argent par la justice de son pays, elle a annoncé être candidate à l’élection présidentielle de 2019. J.W. 31


COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

MALI

Moussa Traoré 81 ans 19/11/68 – 26/03/91 (22 ans, 4 mois, 7 jours)

Tombeur de Modibo Keïta en 1968, cet ancien lieutenant a lui-même été renversé en 1991, après la répression sanglante d’émeutes étudiantes contre sa dictature. Condamné à mort en 1993 au Mali, il voit sa peine commuée en prison à vie en 1997, avant d’être gracié par le président Alpha Oumar Konaré, au nom de la réconciliation nationale. Ce fervent musulman, âgé de 81 ans, coule, depuis, des jours tranquilles à Bamako, dans une villa offerte par l’État. S.C.

Alpha Oumar Konaré 71 ans 08/06/92 – 08/06/02 (10 ans)

Après deux quinquennats, le premier président élu du Mali a ensuite présidé la commission de l’Union africaine (UA) de 2003 à 2008. Celle-ci l’a nommé président du Groupe de haut niveau pour l’Égypte en 2013 et 2014, puis haut représentant pour le Soudan du Sud en 2015. À 71 ans, membre du Haut Conseil de la francophonie, il vit à Bamako, en famille et en retrait, mutique sur la situation du pays, contrairement à son épouse, l’écrivaine et historienne Adame Ba Konaré. S.C.

Amadou Toumani Touré 68 ans 08/06/02 – 22/03/12 (9 ans, 9 mois, 14 jours)

Depuis sa chute en mars 2012, cet ancien président du Mali vit en exil à Dakar. À 68 ans, hébergé avec sa famille dans une résidence d’État au Plateau, le centre-ville, il se fait très discret. Tombeur de Moussa Traoré, il est à la fois l’homme qui a permis l’avènement de la démocratie chez lui en organisant une transition express en 1991, et celui qui l’a vue s’effondrer vingt ans plus tard, lui-même balayé par un coup d’État. Un procès pour haute trahison est envisagé contre lui au Mali, pour avoir laissé le Nord aux mains de groupes armés, sans donner 32

aux militaires les moyens de riposter. Ces poursuites risquent cependant de virer au grand déballage sur le trafic présumé de cocaïne qui passe depuis les années 2000 par le Mali. Le procès n’a pas encore été soumis au vote des députés. S.C.

Amadou Haya Sanogo 46 ans 2

Pravind Jugnauth, jusque-là ministre des Finances, lui a succédé au poste de chef de gouvernement. Jugnauth junior a alors nommé Jugnauth senior ministre de la Défense. C.G.

Navinchandra Ramgoolam 70 ans 22/12/95 – 17/09/00 • 03/07/05 – 17/12/14 (14 ans, 2 mois, 9 jours)

Ce capitaine putschiste qui a présidé le Comité national pour le redressement de la démocratie (CNRD) au Mali, du 22 mars au 12 avril 2012, est assigné à résidence dans une base militaire à Sélingué (120 km au sud de Bamako). Il se trouve en procès depuis fin novembre 2016, pour l’exécution sommaire d’au moins 26 bérets rouges ayant tenté un contre-coup d’État en mai 2012. S.C.

Chef du Parti travailliste mauricien, Premier ministre de 1995 à 2000 et de 2005 à 2014, Navin Ramgoolam, battu à l’élection de décembre 2014, a été interpellé en février 2015, soupçonné de détournement de fonds et d’entraves à la justice. À son domicile, les enquêteurs trouvent plus de 100 000 euros en liquide. Ramgoolam conteste la légalité de ces perquisitions et demande la restitution des biens saisis. C.G.

Dioncounda Traoré 75 ans

Paul Raymond Bérenger 72 ans

12/04/12 – 04/09/13 (1 an, 4 mois, 23 jours)

30/09/03 – 05/07/05 (1 an, 9 mois, 5 jours)

À 75 ans, l’ex-président de l’Assemblée nationale du Mali et chef d’État par intérim de mars 2012 à août 2013 vit dans le quartier moderne ACI 2000 à Bamako, où un bureau ainsi que du personnel lui sont octroyés par l’État. Il a dû laisser la villa gouvernementale qu’il s’était attribuée par décret lors de son bref passage au pouvoir. Blessé en mai 2012 par des manifestants au Palais présidentiel, il reste un symbole de la fragilité de l’État malien. S.C.

Paul Bérenger fut, entre 2003 et 2005, le premier Blanc à diriger un pays africain depuis la fin du colonialisme. Ancien de Mai 68 en France, dirigeant du Mouvement militant mauricien, cette figure de la gauche mauricienne fut chef de file de l’opposition jusqu’à sa démission, en 2013, pour raisons de santé. C.G.

MAURICE 3

03/06/79 – 04/01/80 (7 mois, 1 jour)

22/03/12 – 12/04/12 (21 jours)

Sir Anerood Jugnauth 87 ans 19/12/82 – 05/07/95 • 22/12/00 – 30/09/03 • 17/12/14 – 23/01/17 (17 ans, 5 mois)

Premier ministre de 1982 à 1995 et de 2000 à 2003, Anerood Jugnauth ne s’est jamais éloigné du pouvoir : président de la République – un poste largement honorifique – entre 2003 et 2012, puis de nouveau Premier ministre (2014-2017), il a démissionné en janvier dernier. Son propre fils,

MAURITANIE

Mohamed Mahmoud Ould Ahmed Louly 75 ans Lorsqu’il succède à Mustapha Ould Mohamed Saleck, les prérogatives du président de la République sont rognées et le pouvoir est transféré au Premier ministre, Mohamed Khouna Ould Haïdallah. Sept mois plus tard, une restructuration du Comité militaire de salut national (CMSN) écarte Ould Louly. Depuis, il mène une vie discrète et ne s’est plus exprimé publiquement. Ses proches évoquent un récent état de santé très fragile. H.D. AFRIQUE MAGAZINE

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Mohamed Khouna Ould Haïdallah 78 ans 04/01/80 – 12/12/84 (4 ans, 11 mois, 8 jours)

Renversé en 1984 par un putsch, il est revenu en 2007 pour se présenter à l’élection présidentielle. Come-back raté : il n’a recueilli que 1,73 % des voix. Ses trois fils sont incarcérés pour divers délits, notamment trafic de stupéfiants, agression et violences. Leur père dénonce une « instrumentalisation de la justice ». C.G.

Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya 75 ans 12/12/84 – 03/08/05 (20 ans, 7 mois, 22 jours)

En août 2005, l’avion du président Ould Taya quittait la Mauritanie pour assister aux funérailles du roi Fahd d’Arabie saoudite. Renversé par un putsch militaire durant son absence, Ould Taya n’a jamais remis les pieds en Mauritanie. Depuis, il vit en toute discrétion avec sa famille au Qatar et n’accorde aucune interview. C.G.

Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi 79 ans

SEYLLOU/AFP

19/04/07 – 06/08/08 (1 an, 3 mois, 18 jours)

Seul président civil de Mauritanie depuis Mokhtar Ould Daddah, il n’aura passé que quinze mois au pouvoir, avant d’être renversé en août 2008 par l’ex-chef de la garde présidentielle et actuel chef de l’État, Mohamed Ould Abdelaziz. Il est sorti de son silence en mars dernier, pour dénoncer, dans une lettre ouverte, « la violation de la Constitution » par son tombeur. Il vit à Lemden, à 250 km de Nouakchott, où, en figure respectée à l’étranger, il a reçu au mois d’août la visite médiatisée de l’ambassadrice d’Allemagne. C.G.

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Joaquim Chissano s’active désormais en tant qu’envoyé spécial de l’UA, comme ici, lors de la présidentielle en Guinée-Bissau, en 2014.

MOZAMBIQUE

Joaquim Alberto Chissano 77 ans 19/10/86 – 02/02/05 (18 ans, 3 mois, 14 jours)

Successeur en 1986 de Samora Machel, père de l’Indépendance, à la présidence de la République, il a mis un terme à la guerre civile au Mozambique en négociant la paix en 1992. Chef du Front de libération du Mozambique (Frelimo), élu en 1994, il s’est retiré en 2004 sans briguer le troisième mandat que la Constitution lui autorisait. En 2007, il est le premier à recevoir le prix Mo Ibrahim pour la gouvernance. À 77 ans, cet adepte de la méditation transcendantale ne coule toujours pas des jours tranquilles à Maputo, dans la villa luxueuse que l’État lui loue à vie. Envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU en Ouganda et au Soudan en 2006, il a ensuite été chargé par l’UA de l’épineux dossier du Sahara occidental, mais son autorité n’est pas reconnue par le Maroc, qui le juge trop proche du Front Polisario. S.C.

Armando Emílio Guebuza 74 ans 02/02/05 – 15/01/15 (9 ans, 11 mois, 13 jours)

La justice mozambicaine s’intéresse de près à l’ancien président, surnommé « Guebusiness ». Homme d’affaires prospère, Armando Guebuza aurait profité de ses deux mandats pour faire fructifier les intérêts des sociétés familiales, et emprunté 2 milliards de dollars en toute opacité. Face au

scandale, le FMI a interrompu son aide, et conditionné le retour de celle-ci à la réalisation d’un audit indépendant. C.G.

NAMIBIE

Sam Nujoma 88 ans 21/03/90 – 21/03/05 (15 ans)

Vétéran du combat indépendantiste, premier président de la République de Namibie, compagnon de lutte de Nelson Mandela et de Robert Mugabe, Sam Nujoma a quitté le pouvoir en 2005, non sans désigner son successeur, Hifikepunye Pohamba. Eminemment respecté en Namibie, il est, de par la loi, « président fondateur » et « père de la nation ». Il s’exprime régulièrement, faisant notamment des discours devant l’Union africaine (UA). C.G.

Hifikepunye Pohamba 82 ans 21/03/05 – 21/03/15 (10 ans)

Élu puis réélu, le successeur de Sam Nujoma a effectué deux mandats, puis s’est retiré sans s’éterniser. Attitude rare qui lui a valu le prix Mo Ibrahim 2015, récompensant les chefs d’État ayant renforcé la démocratie. Président de la SWAPO (Organisation du peuple du Sud-Ouest africain, parti aussi dominant que l’est l’ANC en Afrique du Sud), l’ancien révolutionnaire n’est pas avare de déclarations publiques. Il a ainsi récemment condamné le racisme antichinois. C.G.

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COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

NIGER

NIGERIA

Yakubu Gowon 83 ans

Ernest Adegunle Oladeinde Shonekan 81 ans

16/04/93 – 27/01/96 (2 ans, 9 mois, 11 jours)

01/08/66 – 09/07/75 (8 ans, 11 mois, 8 jours)

26/08/93 – 17/11/93 (2 mois, 22 jours)

Premier président démocratiquement élu du Niger, il est renversé en 1996 par le colonel Maïnassara. Aux élections législatives de 2004, son parti (CDS) obtient 17 sièges, ce qui lui permet de décrocher la présidence de l’Assemblée nationale (2004-2009). Ousmane préside le Comité interparlementaire sur les droits de l’homme de l’UEMOA (depuis 2004), ainsi que le Parlement de la Cédéao (depuis 2006). C.G.

Renversé par un coup d’État en 1975, le général déchu s’est exilé en GrandeBretagne jusqu’en 1983. De retour au pays, il a dirigé les assurances IGI jusqu’à l’an dernier. Il a également été observateur des élections au Ghana en 2008. Dans un livre paru à Abuja cet été, il raconte par le détail son putsch victorieux de 1966. C.G.

Il n’est resté que trois mois président par intérim, avant d’être renversé par Sani Abacha. Avocat et industriel, il a depuis fait carrière dans plusieurs conseils d’administration. Après avoir présidé Unilever Nigeria, il dirige désormais la filiale locale de l’armateur danois Maersk. C.G.

Mahamane Ousmane 67 ans

Mamadou Tandja 79 ans 22/12/99 – 18/02/10 (10 ans, 1 mois, 27 jours)

Tandja avait, en 2009, organisé un référendum anticonstitutionnel pour prolonger son mandat. Renversé par Salou Djibo en 2010, il reste à la tête du Mouvement national pour la société de développement (MNSD). En 2013, il a accusé ses successeurs du vol de 400 milliards de francs CFA. La Cour de cassation a dès lors levé son immunité, le plaçant sous la menace de poursuites judiciaires. Depuis, l’ex-président se fait discret. C.G.

Salou Djibo 52 ans 22/02/10 – 07/04/11 (1 an, 1 mois, 16 jours)

Chose promise, chose due : l’ancien putschiste du « Conseil suprême pour la restauration de la démocratie » a assuré la transition aux civils et remis le pouvoir au président élu Issoufou. Très respecté, le général a lancé sa fondation pour la paix et la démocratie (Fonsad), et pris la direction d’une « task force » de la Cédéao ayant pour objectif la libéralisation des échanges. Il vit entre Abuja et Ouagadougou, où réside sa seconde épouse. C.G.

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Shehu Usman Shagari 92 ans 01/10/79 – 31/12/83 (4 ans, 3 mois)

Élu en 1979 après un régime militaire, sa réélection en 1983 est contestée. Le 31 décembre de la même année, il est renversé par le général Buhari, qui met fin à la Deuxième République du Nigeria. Détenu jusqu’en 1986, Shehu Shagari est depuis interdit de toute activité politique. C.G.

Muhammadu Buhari 1 74 ans 31/12/83 – 27/08/85 (1 an, 7 mois, 27 jours)

Général putschiste, il fut lui-même renversé par un coup d’État vingt mois plus tard. Après avoir concouru sans succès aux élections présidentielles de 2003, 2007 et 2011, il l’emporte face à Goodluck Jonathan en 2015. Devenu président élu, Buhari déclare « assumer la responsabilité de ce qui s’est passé lors de (son) régime militaire ». Et se définit désormais comme « un démocrate converti ». C.G.

Ibrahim Babangida 76 ans 27/08/85 – 27/08/93 (8 ans)

Ancien chef de la junte (1985-1993), « IBB » a tenté à deux reprises de sortir de sa retraite dorée de Minna (au nord-ouest d’Abuja), en annonçant en fanfare sa candidature à la présidence de la République. Las ! à chaque fois, le Parti démocratique du peuple (PDP) lui a préféré un rival : d’abord Umaru Yar’Adua en 2007, puis Goodluck Jonathan en 2011. C.G.

Abdulsalami Abubakar 75 ans 05/06/98 – 29/05/99 (11 mois, 24 jours)

Succédant à Sani Abacha, il a transféré le pouvoir au président élu Olusejun Obasanjo. En 2003, l’ancien général a présidé, avec succès, les pourparlers de paix d’Accra qui ont mis fin à la guerre civile libérienne. Il profite désormais d’une retraite dorée. Sa villa de Minna est située juste en face de celle de « IBB ». En 2015, des photos de sa salle de bains, au luxe extravagant, ont fuité dans la presse nigériane. C.G.

Olusegun Obasanjo 80 ans 29/05/99 – 29/05/07 (8 ans)

Obasanjo est sûrement le plus actif des anciens dirigeants : ne pouvant se représenter après ses deux mandats, il enchaîne depuis les conférences internationales, l’écriture de livres, et est l’envoyé spécial de l’Union africaine et des Nations unies, dans le cadre de la résolution de la crise congolaise, notamment. En mars dernier, il a inauguré un complexe culturel à Abeokuta, sa ville natale, comprenant notamment hôtel de luxe, musée, théâtre, jardin zoologique, ainsi qu’une bibliothèque qui rend hommage à son parcours personnel et politique. Un projet pharaonique s’étendant sur 32 ha, financé en partie par Aliko Dangote – l’homme le plus riche d’Afrique – pour le remercier des nombreux services rendus, pendant et après sa présidence. G.O.D.

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MARK CHILVERS FORTAR

Olusegun Obasanjo se partage entre sa ville d’Abeokuta, les conférences internationales et des missions de bons offices.

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COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

SÉNÉGAL

Goodluck Jonathan 59 ans

Leonel Mário d’Alva 82/83 ans

06/05/10 – 29/05/15 (5 ans, 23 jours)

04/03/91 – 03/04/91 (30 jours)

Abdou Diouf 82 ans

Défait par Muhammadu Buhari il y a deux ans, l’ex-chef d’État serait en train de rédiger ses Mémoires et de créer la Fondation Goodluck Jonathan pour la gouvernance et la démocratie, engagée en faveur d’actions humanitaires. Depuis son départ, il fait profil bas : son épouse, Patience, ainsi que des proches sont soupçonnés de multiples escroqueries et d’enrichissement illicite. G.O.D.

Président par intérim d’un mois en 1991, Leonel Mário d’Alva a ensuite présidé l’Assemblée nationale (19911994), puis le Parti de Convergence démocratique – Groupe de réflexion (PCD-GR, centre gauche). C.G.

01/01/81 – 01/04/00 (19 ans, 3 mois)

RWANDA

Pasteur Bizimungu 68 ans 19/07/94 – 23/03/00 (5 ans, 8 mois, 4 jours)

Président du Rwanda après le génocide des Tutsis, en 1994, ce Hutu qui a rejoint le Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir) dès 1990 est un symbole de la réconciliation nationale. Il démissionne en 2000 à la suite de désaccords avec son vice-président, Paul Kagame, qui lui succède. Son parti d’opposition, lancé en 2001, est interdit. Il est condamné à quinze ans de prison ferme en 2004 pour atteinte à la sécurité de l’État, avant d’être libéré en 2007 sur grâce présidentielle. Il vit depuis au Rwanda, mais a renoncé à toute activité politique. S.C.

Fradique de Menezes 75 ans

Président du Sénégal de 1981 à 2000, Abdou Diouf vit depuis trois ans une retraite paisible à Paris. Il a quitté en 2014 son poste de secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qu’il occupait depuis 2003, et publié dans la foulée ses mémoires (Seuil, Paris, 2014). Celles-ci lui ont valu des critiques au Sénégal, où on ne le voit guère. Il s’abstient d’en commenter la gestion des affaires. Ses quatre enfants, à qui il a conseillé de ne pas faire de politique, sont actifs dans le secteur privé à Dakar. Ils sont allés remercier Macky Sall, lorsque celui-ci a baptisé « Abdou Diouf » le nouveau Centre international de conférences de Diamniadio, près de Dakar. Il a fait part de son souhait d’être enterré avec son épouse, Élisabeth, dans un cimetière mixte (musulman et chrétien) de la ville de Ziguinchor, en Casamance. S.C.

03/09/01 – 16/07/03 • 23/07/03 – 03/09/11 (9 ans, 11 mois, 24 jours)

Abdoulaye Wade 91 ans

Miguel Trovoada 80 ans 03/04/91 – 15/08/95 • 22/08/95 – 03/09/01 (10 ans, 4 mois, 25 jours)

Ex-Premier ministre de Pinto da Costa, embastillé pendant deux ans, Miguel Trovoada est élu en 1991, puis réélu en 1996, après une brève interruption de son mandat en août 1995 en raison d’un coup d’État. Il préside depuis 2009 la Commission du Golfe de Guinée, organisme de la coopération régionale. En 2014, Ban Ki-moon le nomme chef du bureau des Nations unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau. C.G.

Manuel Pinto da Costa 80 ans

Après deux mandats, l’ex-président n’a pas coupé les ponts avec la politique. Issu de l’Action démocratique indépendante, le Santoméen a été pressenti en 2016, mais sans succès, au poste de Premier ministre. C.G.

12/07/75 – 04/03/91 • 03/09/11 – 03/09/16 (20 ans, 7 mois, 20 jours)

Fernando Pereira 55 ans

SãO TOMÉ-ET-PRÍNCIPE

Après sa défaite lors des premières élections libres en 1991, l’ancien leader indépendantiste, prosoviétique formé en Allemagne de l’Est, avait annoncé son retrait de la vie politique. Il s’est néanmoins présenté, sans succès, aux présidentielles de 1996 et de 2001. En 2011, il l’emporte. Mais, faute de majorité absolue, il doit nommer au poste de Premier ministre… Patrice Trovoada, fils de son vieil ennemi Miguel Trovoada, ancien Premier ministre puis président. C.G. 36

16/07/03 – 26/07/03 (10 jours)

En juillet 2003, le major Fernando Pereira, dit « Cobo », profite d’un déplacement du président de Menezes au Nigeria pour fomenter un putsch « contre la misère ». En échange d’une amnistie, il remet le pouvoir aux autorités légitimes. « Cobo » a fini sa carrière comme chef de la sécurité à l’aéroport international de São Tomé-et-Príncipe. C.G.

01/04/00 – 02/04/12 (12 ans, 1 jour)

L’infatigable « Guorgui » (« le Vieux » en wolof) bat toujours la campagne, à 91 ans. Président de 2000 à 2012, il est rentré en juillet au Sénégal pour les législatives, afin de soutenir la coalition de l’opposition, se faire élire député et démissionner aussitôt de son mandat. Il réside à Versailles avec sa femme Viviane depuis sa défaite de mars 2012 face à Macky Sall, son ancien Premier ministre. En semiretraite, il fait des retours fracassants au Sénégal. En 2015, il était venu soutenir son fils Karim Wade, ancien de ses ministres, en procès pour enrichissement illicite. Après la condamnation de ce dernier

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son élection en 1992 : il a ouvert une école d’informatique – à destination des défavorisés – à Allen Town. Mais, entre le manque d’ordinateurs et les fréquentes coupures d’électricité, le projet relève du parcours du combattant. « J’ai demandé l’aide du gouvernement mais on ne voit rien arriver. » Strasser est aussi, sans doute, le seul ex-chef d’État à ne pas posséder de voiture. G.O.D.

SOUDAN

Abdel Rahman Swar al-Dahab 84 ans 06/04/85 – 06/05/86 (1 an, 1 mois)

Entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, 31 ans de pouvoir à eux deux, un respect mutuel. à six ans de prison, le « Vieux » a fait pression et obtenu en juin 2016 sa libération. Exilé au Qatar, Karim Wade est donné comme présidentiable en 2019. En attendant, son « renard » de père s’est rapproché de Khalifa Sall, maire de Dakar emprisonné et autre challenger possible de Macky Sall en 2019. S.C.

SEYCHELLES

France-Albert René 81 ans

SEYLLOU DIALLO/AFP-IMAGE FORUM

05/06/77 – 16/04/04 (26 ans, 10 mois, 11 jours)

L’ancien homme fort socialiste des Seychelles couve une retraite tranquille depuis sa démission en 2004. Une biographie tout à la gloire de « Papa René » est parue en 2010. Patron de la société para-étatique Islands Development Company (IDC), son beau-fils Glenny Savy est l’un des hommes les plus puissants de l’archipel, qui abrite désormais deux fois plus de sociétés offshore que d’habitants. C.G.

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James Alix Michel 73 ans

L’ancien général putschiste a présidé, de 1987 à 2012 (au moins) l’Organisation de l’appel islamique (Islamic Call Organization). Basée à Khartoum, cette association caritative et prosélyte est proche des Frères musulmans. C.G.

SWAZILAND

16/04/04 – 16/10/16 (12 ans, 6 mois)

Ntombi Indovukazi 67 ans

Après sa défaite aux législatives de septembre 2016, James Alix Michel a démissionné de la présidence, mais tient encore les rênes du parti Lepep (« le peuple », en créole). Il a aussi lancé la Fondation James Michel, afin de promouvoir « l’économie bleue », le développement durable des États insulaires face au réchauffement. Il participe à des conférences régionales, notamment en Asie et dans le Pacifique. C.G.

18/08/83 – 25/04/86 (2 ans, 8 mois, 7 jours)

SIERRA LEONE

Valentine Strasser 50 ans

Régente du Swaziland jusqu’à la majorité de son fils, l’actuel roi Mswati III, Ntombi est redevenue reine mère (« Ndlo Vukati » : « Grande Éléphante » en langue swati). Comme le prévoit la Constitution du royaume, elle peut de nouveau être régente en cas de vacance du pouvoir. À noter qu’en 1985, l’artiste américain Andy Warhol l’a immortalisée en incluant son portrait dans sa série Reigning Queens, aux côtés d’Elizabeth II. C.G.

TANZANIE

29/04/92 – 16/01/96 (3 ans, 8 mois, 15 jours)

Ali Hassan Mwinyi 92 ans

Il est rare qu’un ancien chef d’État reprenne ses études, encore plus rare qu’il les abandonne et retourne dans son pays pour y créer une école. C’est pourtant ce que fait le capitaine Valentine Strasser, qui fut le plus jeune chef d’État du monde (26 ans) après

05/11/85 – 23/11/95 (10 ans, 18 jours)

L’ancien président vit une retraite paisible à Dar es-Salaam. En 2016, il a été mandaté par la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE, organisation de coopération rassemblant six pays de la région) pour observer le déroulement de la présidentielle en 37


COVER STORY LA VIE APRÈS LE POUVOIR

Ouganda. Deux de ses enfants ayant été emportés par la malaria, il a aussi participé à un spot télévisé de prévention contre le paludisme. C.G.

Habré, il a décliné l’invitation, expliquant ne garder « aucune rancune ». C.G.

Benjamin William Mkapa 78 ans

07/06/82 – 01/12/90 (8 ans, 5 mois, 24 jours)

23/11/95 – 21/12/05 (10 ans, 28 jours)

Il est sorti de sa retraite en mars 2016, lorsqu’il a été nommé facilitateur dans la crise burundaise. En décembre de la même année, il a scandalisé l’opposition à Pierre Nkurunziza en qualifiant de « légitime » le troisième mandat présidentiel de l’homme fort de Bujumbura. C.G.

Jakaya Mrisho Kikwete 66 ans 21/12/05 – 05/11/15 (1 an)

À peine avait-il quitté le bureau présidentiel que Jakaya Kikwete remontait en selle. En janvier 2016, l’Union africaine le nomme haut représentant pour la Libye avec mission de parvenir à une solution pacifique aux conflits qui minent les camps politiques du pays. Son combat de prédilection reste cependant la lutte contre la faim, la pauvreté et pour l’éducation, en particulier des jeunes Africaines, raison pour laquelle Ban Ki-moon, alors secrétaire général des Nations unies, le nomme fin 2016 parmi les 29 dirigeants du réseau SUN qui lutte contre la malnutrition. G.O.D.

Hissène Habré 75 ans Renversé par Idriss Déby en 1990, il s’était exilé au Sénégal. Il est le premier chef d’État jugé devant un tribunal d’un autre pays pour violations des droits de l’homme. En avril dernier, les Chambres extraordinaires africaines (CEA) ont confirmé en appel la condamnation à perpétuité de l’ancien dictateur, âgé de 75 ans, pour « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité » et « actes de tortures ». Le bilan humain de son règne est évalué à 40 000 morts. C.G.

TUNISIE

Zine el-Abidine Ben Ali 81 ans 07/11/87 – 14/01/11 (23 ans, 2 mois, 7 jours)

L’histoire retient que, lorsqu’il a fui la Tunisie le 14 janvier 2011, le président en a oublié ses lunettes dans sa précipitation. Depuis, l’ancien dirigeant vit un exil doré en Arabie Saoudite dans une somptueuse demeure sur les rives de la mer Rouge à Jeddah, mise à disposition par les autorités du royaume. à 80 ans, Zine el-Abidine Ben Ali est libre de ses mouvements, mais est tenu à un devoir

de réserve à l’égard de ses hôtes. Condamné à la prison à vie par la justice tunisienne, celui qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt international profite de l’hospitalité des Ibn Saoud, qui par tradition n’extradent pas les ressortissants musulmans. Il reçoit néanmoins des Tunisiens de passage, suit de près les événements en Tunisie et est en contact régulier via Skype avec des proches ainsi que ses filles aînées restées à Tunis. Depuis 2011, il n’est jamais apparu en public et répond par l’entremise de ses avocats quand des fuites dans les médias imposent des démentis ou des précisions. En 2013, un cliché le montrant souriant et en pyjama avec son fils Mohamed a été publié sur les réseaux sociaux, mais le compte a été aussitôt supprimé. Un an plus tôt, il pose avec son épouse Leïla pour démentir les rumeurs de divorce, mais consacre son temps essentiellement à la rédaction de ses Mémoires. F.D.

Fouad Mebazaâ 84 ans 15/01/11 – 13/12/11 (10 mois, 28 jours)

Président de la Chambre des députés, il devient, en application de l’article 57 de la Constitution, président par intérim le 14 janvier 2011, et il quitte ses fonctions en décembre de la même Zine Ben Ali et son épouse Leïla : un selfie posté en 2012 pour démentir les rumeurs de séparation.

TCHAD

Goukouni Weddeye 74 ans 23/03/79 – 29/04/79 • 03/09/79 – 07/06/82 (2 ans, 10 mois, 10 jours)

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Renversé par Hissène Habré, l’ancien chef du GUNT (gouvernement d’union nationale et de transition) a, avec l’appui du colonel Kadhafi, combattu les armées tchadienne et française (opération Épervier), jusqu’à sa défaite et son exil à Alger en 1987. Rentré au Tchad en 2009, il vit désormais à N’Djamena, dans une maison louée par les autorités. Invité à Dakar pour témoigner lors du procès d’Hissène AFRIQUE MAGAZINE

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année pour retrouver ses habitudes et sa villa de Carthage qu’il préférait au Palais. Tous les samedis, il reçoit selon un rituel immuable et serre des mains en se rendant le dimanche chez Abdelkrim, son barbier de Marsa Plage. Présent lors des fêtes officielles, cet ancien apparatchik de 84 ans n’est sorti de son silence que pour répondre à ses détracteurs, qui lui reprochaient de percevoir une retraite mensuelle de 30 000 dinars au titre de son passage à Carthage. F.D.

Moncef Marzouki 72 ans

En 2014, Kenneth Kaunda a fêté ses 90 ans à l’ambassade de Chine de Lusaka.

13/12/11 – 31/12/14 (3 ans, 18 jours)

Sa défaite à la présidentielle de 2014 a été amère. Après un temps de silence, celui qui avait été désigné par les constituants n’a jamais accepté de ne pas avoir été plébiscité par les urnes. Il a depuis quitté le Congrès pour la République (CPR), parti qui lui avait permis d’accéder à Carthage, pour fonder la formation de Harak al-Irada. À 72 ans, il retourne dans le circuit politique et fait de la chaîne Al Jazeera une tribune privilégiée pour critiquer avec virulence la politique menée en Tunisie, et se faire quelques nouveaux ennemis. Mais celui que les Tunisiens surnommaient « tartour » – l’insignifiant – peut encore compter sur des appuis dans le sud du pays, alors que de moins en moins de fidèles lui rendent visite à Hammam Sousse, où il réside quand il est au pays. F.D.

ZAMBIE

Kenneth Kaunda 93 ans

PENGLIJUN/XINHUA REA

24/10/64 – 02/11/91 (27 ans, 9 jours)

Avec Dawda Jawara (Gambie), c’est le seul « père de l’indépendance » encore de ce monde. Une fois battu aux élections de 1991 après vingt-sept ans de règne par le syndicaliste Frederick Chiluba, les polémiques avec son successeur s’enveniment. Au point que Kaunda est déchu de

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sa nationalité en 1997, un jugement qu’il parviendra à faire annuler en 2000. En dépit de son âge avancé, les observateurs sont estomaqués par son intervention aux funérailles de Nelson Mandela en décembre 2013 où, vif et alerte, il livre un discours de quinze minutes délivré d’une traite, sans notes et d’une rare qualité. Mais, à 93 ans, il effectue parfois des séjours à l’hôpital de Lusaka, séjours qui relancent des rumeurs régulières sur son décès. G.O.D.

Rupiah Banda 80 ans 19/08/08 – 23/09/11 (3 ans, 1 mois, 4 jours)

Actif sur Facebook, l’ancien président donne régulièrement de ses nouvelles, qu’il s’agisse de ses déplacements à l’étranger, de ses rencontres avec d’autres dirigeants, voire de sa passion pour l’équipe nationale de football dont il est un fervent fan. Poursuivi pour corruption et blanchiment d’argent en 2013, il a depuis été relaxé. Et soutient désormais le président actuel, Edgar Lungu. G.O.D.

Guy Lindsay Scott 73 ans 29/10/14 – 25/01/15 (2 mois, 27 jours)

Un CDD de moins de trois mois… Vice-président de Michael Sata, il assure l’intérim après le décès de ce dernier dans un hôpital de Londres. Premier président blanc d’un pays d’Afrique subsaharienne depuis Frederik de Klerk, mais il ne peut cependant se présenter à la magistrature suprême en raison de ses ascendances anglaise et écossaise. Toujours actif en politique, ses relations avec Edgar Lungu, l’actuel président et membre comme lui du Front patriotique sont exécrables. H.D. 1. Azali Assoumani et Muhammadu Buhari sont les exceptions de cette liste : tous deux ont quitté le pouvoir, mais sont actuellement à la tête de leur État. Assoumani l’avait laissé en 2006 en raison de la Constitution des Comores qui stipule une présidence tournante. Quant au militaire Buhari, qui avait quitté la présidence en 1985, il y est revenu par les urnes. 2. L’âge exact d’Amadou Haya Sanogo est inconnu et parfois sujet à caution : nombre de ses adversaires prétendent que, plus jeune, il l’aurait falsifié pour pouvoir être enrôlé dans l’armée. 3. À Maurice, le pouvoir réel est entre les mains du premier ministre, le président n’ayant qu’une fonction symbolique.

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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Loraine Adam

Anouar Brahem Depuis plus de trente ans, ce grand maître tunisien du oud (ce fameux instrument à cordes, séculaire et pourtant très actuel) nous emmène dans des contrées singulières, jetant des ponts entre musiques arabes et jazz. Une œuvre sophistiquée, intuitive et libre. Car pour cet improvisateur inspiré, qui revient avec un album* en quartette, la création reste un espace de liberté unique.

*Album « Blue Maqams », ECM. Voir page 10. 40

❯ Je suis né à Halfaouine, dans les faubourgs de la médina de Tunis, mais je vis à Carthage, d’où ma femme est originaire. J’ai peu de souvenirs d’enfance, je me souviens cependant qu’un jour, alors que la radio était allumée, mes parents ont remarqué que j’étais très attiré par la musique. Ils n’étaient pas musiciens mais, plus tard, ne se sont pas opposés à mon choix, ce qui n’était pas évident, à l’époque. Je les ai quand même inquiétés lorsque j’ai arrêté mes études l’année du bac. Mais, pour moi, la musique était une certitude. ❯ C’est un plaisir mais aussi un espace de liberté que je me suis approprié afin de ne pas avoir de contraintes. Je laisse les idées venir spontanément, j’ai besoin de me laisser surprendre. L’écoute est un formidable voyage. Comme avec ce transistor familial qui m’accompagnait autrefois dans le monde entier : je « fouillais » les ondes pour trouver des mélodies turques, grecques… Je procède par tâtonnements, je doute beaucoup. Parfois, certains morceaux sont sur le point d’aller à la poubelle mais je les récupère… Je suis un improvisateur. ❯ Paradoxalement, j’ai toujours été plus proche du milieu du cinéma, des arts plastiques et du théâtre, que de la musique. Dès que j’ai commencé à donner des concerts, le 7 e art m’a fait des propositions et cela a été un formidable champ d’expériences. J’ai eu une envie folle de rencontrer des artistes d’origines diverses et je m’en suis donné à cœur joie. J’étais au service de l’image et j’ai fait des choses que je n’aurais pas faites autrement, comme de composer des chansons. Réaliser un documentaire [Mots d’après la guerre, 2007, tourné à Beyrouth, dévasté par les raids israéliens de 2006, NDLR] est né d’une autre envie spontanée, ce fut si excitant que j’ai même envisagé d’arrêter la musique. Repasser derrière la caméra est l’un de mes fantasmes. ❯ Paris est ma deuxième ville. À peine débarqué en 1982, l’assistante du chorégraphe Maurice Béjart m’a contacté car il voulait me rencontrer. J’étais impressionné car je m’intéressais beaucoup à la danse moderne. Affable, charmant et très simple, il m’a tout de suite mis à l’aise. Il préparait alors Thalassa Mare Nostrum et m’a demandé d’improviser en live avec ses deux danseurs étoiles. J’avais 21 ans et je suis resté quatre ans à ses côtés. ❯ J’adorerais prendre une année sabbatique pour lire notamment. Je lis très peu car j’ai besoin de prendre mon temps. C’est un peu comme de regarder un film, une expérience extraordinaire. Il y a quelques mois, j’ai pu prendre trois jours et j’ai lu deux romans, le Goncourt 2016 – Chanson douce de Leïla Slimani – et L’Accompagnatrice de Nina Berberova. ❯ Personne ne pense avoir son âge. Tant qu’on n’a pas de problèmes, on n’y pense pas. Aujourd’hui, je me rends compte qu’être artiste, avec toutes les contraintes professionnelles que cela représente, est une grande chance pour maintenir la jeunesse de l’esprit. Quand j’avais des passages professionnels difficiles, je me plaignais… Mais j’ai cessé. À partir d’un certain âge, on a davantage conscience du temps et on lui accorde plus de valeur. Tant de choses m’émerveillent encore. La nature sous toutes ses formes mais surtout la capacité qu’ont certains à donner d’eux-mêmes aux autres. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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MARCO BORGGREVE

« Être artiste, avec toutes les contraintes professionnelles que cela représente, est une grande chance pour maintenir la jeunesse de l’esprit. » AFRIQUE MAGAZINE

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Lors de son intervention très remarquée sur Nessma TV, le 1er août dernier.

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ENQUÊTE

RACHED GHANNOUCHI

OBJECTIF PRÉSIDENCE? Barbe taillée, habits ajustés, discours policé… Le leader d’Ennahdha, le parti islamiste tunisien, peaufine patiemment son image, responsable et toute en rondeur. Un costume sur-mesure taillé pour l’élection de 2019 ?

NESSMA TV

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par Frida Dahmani

ne métamorphose au pic de la torpeur estivale. Le 1er août, en pleines vacances, Rached Ghannouchi accorde une interview à la chaîne Nessma TV. Un entretien où il excelle dans la rhétorique mais sans aborder alors le buzz du moment, qui évoquait un remaniement ministériel imminent. Les téléspectateurs ne retiennent rien de l’intervention hormis deux détails qui enflamment médias et réseaux sociaux : un, le président d’Ennahdha demande à Youssef Chahed, le chef de gouvernement, de ne pas se porter candidat à l’élection présidentielle de… 2019 ; et deux, il porte une cravate. Une première. Deux points symboliques qui amènent les observateurs à en déduire que Ghannouchi souhaite briguer la présidence. Interrogé sur ce nouveau look vestimentaire, le service de communication d’Ennahdha fait savoir qu’il s’agit d’un personnel ». Le cheikh, lui, le justifie par un I 3« 7choix 4 – NOVEMBRE 2017

simple « changement d’habitude ». Mais Lotfi Zitoun, l’un des dirigeants du parti et pilier du pré carré de Ghannouchi, se montre plus disert, expliquant qu’il s’agit d’« une sortie du cadre de la communauté et d’un pas vers l’État ». Sous-entendu Carthage ? La formule, sibylline, ne dévoile rien des réelles intentions du leader islamiste mais laisse place à toutes les interprétations. « L’intervention de Ghannouchi ce soir-là doit être comprise comme un premier pas sur la route de Carthage et l’élimination d’un rival » : pour Issam Chebbi, secrétaire général du parti Al-Joumhouri, l’intervention sur Nessma TV ne fait pas de doute. Il faut dire que le leader islamiste n’en est pas à son coup d’essai : en 2014, à deux mois des élections législatives et présidentielles, il avait transmis pareille requête à Mehdi Jomaa. À sa nomination, le chef du gouvernement s’était engagé à ne pas se présenter mais, devenu populaire, aurait pu changer d’avis. Il s’était finale43


ENQUÊTE RACHED GHANNOUCHI : OBJECTIF PRÉSIDENCE ?

(TRÈS) CHERS CONSEILS…

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ment abstenu sous la pression des partis politiques, Ennahdha en tête. Cette fois-ci, le patron du mouvement islamiste dispense donc un avertissement avec deux ans d’avance. De quoi s’interroger sur les intentions de celui qui, en homme politique avisé, ne laisse rien au hasard. D’autant qu’il sait qu’avant cette échéance, le processus de transition doit compter avec les municipales (reportées de décembre 2017 à mars 2018) puis l’organisation des législatives au quatrième trimestre 2019. À 44

2000. Réfugié politique en Grande-Bretagne, il incarne une opposition dure au régime. cette aune, le scrutin présidentiel paraît un horizon encore lointain. Mais occuper le terrain est essentiel. Depuis l’échec de la troïka gouvernementale que conduisait Ennahdha en 2013 (avec Ettakatol et le Congrès pour la République), la stratégie des islamistes, impulsée par son chef, est de ne pas occuper les devants de la scène mais de travailler en coulisses, notamment à travers l’Assemblée des représentants du peuple (ARP, avec 69 députés sur 217), le gouvernement – où la formation détient quatre portefeuilles – et des organismes publics où certains de ses sympathisants sont en place. UN PARTI DEVENU INCONTOURNABLE En parallèle, Ennahdha continue de développer ses réseaux dans l’administration, la police, la justice et les écoles, et est active dans le tissu associatif, une présence qui dérange le reste de la société civile, qui dénonce l’entrisme et le militantisme à outrance des islamistes. Une stratégie payante qui rend Ennahdha incontournable bien qu’elle ne soit pas majoritaire : en 2014, Rached Ghannouchi a ainsi décidé de l’issue de la présidentielle bien que ni lui, ni l’un des siens, n’aient été candidats. Au second tour, il n’a pas adoubé Moncef Marzouki, le président sortant qui nourrissait cet espoir, et ouvert ainsi les portes de Carthage à Béji Caïd Essebsi avec lequel Ennahdha allait signer une alliance pour gérer le pays. Ghannouchi AFRIQUE MAGAZINE

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ODD ANDERSEN/AFP - CAPTURE D’ÉCRAN

ertains y voient la patte de communicants chevronnés, des professionnels ayant saisi que sur la scène internationale, les islamistes n’avaient plus le vent en poupe comme au début du printemps dit arabe. Des spécialistes qui œuvrent dans l’ombre tandis qu’au sein d’Ennahdha, curieusement, les responsables officiels de la communication du président du parti changent régulièrement. Car la formation islamiste est soucieuse de son image, surtout après avoir quitté le pouvoir en 2013. Ainsi, en septembre 2014, elle embauchait la firme Burson-Marsteller pour 45 jours de campagne à l’étranger. Les résultats ont été immédiats avec d’efficaces opérations de lobbying, une tournée de Rached Ghannouchi aux États-Unis et même un reportage très favorable sur la chaîne américaine CNN. La campagne électorale pour les législatives de 2014 porte en revanche l’estampille turque, puisque qu’un spot du Parti de la justice et du développement (AKP) a été adapté au contexte tunisien et repris à l’identique. En revanche, pour le 10e Congrès du parti, c’est aux équipes de Karoui et Karoui qu’Ennahdha s’est adressée pour organiser un immense show à l’américaine en ouverture. Selon ses proches, le cheikh tient également compte des commentaires et conseils de son fils Mouadh et de ses filles. « Il ne lui manque plus que d’assister aux matchs de foot de l’équipe de Tunisie », lance un militant de gauche, agacé par la nouvelle image du leader d’Ennahdha. ■ F.D.


2011. Entouré de trois de ses filles, le leader fête les résultats obtenus par Ennahdha aux législatives.

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM - DR

2015. Alors que les responsables arborent la jebba lors des fêtes religieuses (comme ici, Mohsen Marzouk, ex-secrétaire général de Nidaa Tounes à l’occasion de la fin du ramadan), Ghannouchi détonne en costume. Un habile contre-emploi. a-t-il depuis changé d’avis ? Rien n’est moins sûr mais, trois ans après, il doit tenir compte d’un paysage recomposé. À l’international, les perspectives d’un islam politique soluble dans la démocratie ne fait plus recette. Sur le plan intérieur, il doit tenir compte de la frustration des militants d’Ennahdha qui reprochent à leur direction de n’avoir ni maintenu le parti au pouvoir en 2013 ni présenté de candidat à la présidentielle de 2014. Et, surtout, de la méfiance grandissante de la société civile et de ceux qui se réclament de la neutralité religieuse. Des critiques qui font sens d’autant qu’Ennahdha, au vu du délitement de Nidaa Tounes qui a remporté les législatives de 2014, est devenu le premier groupe parlementaire à l’ARP. Si le nombre des députés reste insuffisant pour mener le bal, il est assez conséquent pour nouer des alliances sous couvert d’une AFRIQUE MAGAZINE

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nécessité de consensus avec la mise en place en 2017 d’une coordination entre Ennahdha et Nidaa Tounes à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et une participation au gouvernement dit d’union nationale. Cette politique des étapes ou des « petits pas », que ne renierait pas Habib Bourguiba, son précurseur, permet à Rached Ghannouchi d’opérer sa mue et, avec lui, celle de son 45


ENQUÊTE RACHED GHANNOUCHI : OBJECTIF PRÉSIDENCE ?

i l’habit ne fait pas le moine, il peut contribuer à faire l’image de l’homme politique. Ghannouchi l’a compris ou, du moins, ses conseillers, car on imagine mal cet intellectuel peu expansif s’embarrasser des futilités de la mode. Celui qui arborait jusqu’il y a peu des costumes quelconques, un peu amples, avec col de chemise ouvert comme les islamistes orientaux a opté, progressivement, pour des vêtements de meilleure facture. Jusqu’à en devenir… élégant. Sa cravate, le 1er août, a fait oublier son très chic costume bleu à la coupe ajustée qui, selon les spécialistes des codes vestimentaires, évoquerait pour le public « l’assurance, la confiance, la sincérité, la loyauté et l’intelligence ». Ce n’est pas la première fois que le patron d’Ennahdha étonne. Alors que lors des fêtes religieuses, il est de tradition que la classe politique tunisienne délaisse le costume pour la jebba nationale, lui apparaît régulièrement en veste et pantalon, comme pour marquer une différence et souligner de manière subliminale l’hypocrisie de ses pairs. Celui qui a opéré une mue par petites touches, a eu aussi recours à des soins dentaires et change régulièrement de lunettes. Finies les montures en écaille qui lui mangeaient le visage ; elles ont été remplacées par des lunettes plus légères, presque transparentes, qui dégagent son regard et lui donnent des allures de patron d’entreprise. Enfin, alors que, dans le temps, on ne le voyait guère serrer la main aux femmes, le voilà qui désormais, et semble-t-il de bonne grâce, se prête à la mode des selfies avec des jeunes femmes accortes, telle Nermine Sfar, chanteuse du tube salace « Twari, Nwari » (« Tu montres, je montre ») et dont les paroles évoquent un homme et une femme qui doivent suggestivement s’occuper l’un de l’autre. Suffisamment rassurant pour séduire les électeurs ? ■ F.D.

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Avec la starlette Nermine Sfar. Un cliché qui a tourné sur les réseaux sociaux et fait couler beaucoup d’encre.

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POUR LA PRÉSIDENCE, PAS DE LIMITE D’ÂGE Une manière de rassurer les radicaux de son clan, déçu qu’Ennahdha ne soit pas plus présent et influent dans le gouvernement. Cela n’a pas empêché Abdellatif Mekki, dirigeant qui souhaiterait un renouvellement à la tête du parti, de profiter du silence de son chef, auquel il s’oppose souvent, de déclarer que « la question de l’héritage a été tranchée dans le texte coranique et la Constitution qui stipule qu’une loi ne peut contredire le texte sacré. » À l’opposé, Lotfi Zitoun, lui, adopte des positions avant-gardistes dans des déclarations sur les libertés individuelles, incluant les homosexuels et leurs droits à l’intégrité physique. Une voix isolée qui confirmerait, pour certains, que le mouvement islamiste tunisien n’a pas fondamentalement changé de cap idéologique. « Ennahdha a encore du mal à s’éloigner de sa tradition totalitaire qui fait de lui un intraitable modèle de l’islam politique », estime l’islamologue et historien Yassine Essid. Il relève qu’en déplacement aux États-Unis en octobre 2017, Zied Laâdheri, secrétaire général d’Ennahdha et ministre du Développement et de la Coopération internationale, « a appris à porter un vêtement idéologiquement bigarré – le costume d’un ministre de la République, représentant le mouvement islamiste – et deux déguisements de théâtre : une écharpe de démocrate exalté avec, taillé dans le même tissu, un joli masque revêtant les valeurs de l’économie libérale de marAFRIQUE MAGAZINE

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CAPTURE D’ÉCRAN

UNE ÉVOLUTION À TOUS LES ÉTAGES

parti. La formation islamiste, sous sa férule, a annoncé son aggiornamento en opérant, à l’issue de son 10e Congrès en 2016, la séparation entre la prédication et son activité politique. Un moment aussi fort que symbolique qui a déplacé Ennahdha de la droite conservatrice religieuse vers un parti civil – bien que toujours aussi conservateur. Le leader a donné le tempo, notamment en modulant son discours. Après l’islam politique pur et dur, il avait pris comme référent le modèle turc. Mais depuis que Recep Erdogan apparaît comme un autocrate, Ghannouchi ne s’y réfère plus guère. Désormais, place aux « musulmans démocrates », pendants des chrétiens-démocrates italiens ou de la CDU allemande. Un islamisme « light », édulcoré, un « néo-islamisme » dont la charia et le mirage du califat seraient expurgés. Cette évolution, si elle est réelle, ne sera perceptible que sur la durée… même s’il semble difficile de rompre avec ses traditions. Le cheikh a ainsi été poussé dans ses retranchements par le président de la République à l’occasion de la Fête de la femme. Le 13 août, Béji Caïd Essebsi a lancé une initiative visant à mettre en place l’égalité parfaite des femmes et des hommes dans l’héritage. Absent des festivités, Ghannouchi s’est gardé de répondre mais a suggéré ensuite vouloir un retour à l’exploitation des biens de mainmorte1 – les fameux habous – autrefois dissous par Bourguiba.


HASSENE DRIDI/AFP/SIPA

« Faiseur de rois », le patron d’Ennahdha a contribué à faire élire Béji Caïd Essebsi en 2014. De quoi, peut-être, s’imaginer un destin similaire en 2019. ché. Il est ainsi devenu, poursuit Essid, l’expression vivante d’un nouveau mode d’engagement des Nahdhaouis, à la fois séduisant et rassurant, fait de compromis et de compromissions, adhérant aux vertus démocratiques tout en étant préoccupé d’intégrer à l’espace public une loi religieuse pas trop dogmatique ». Un changement de façade qui relèverait plus d’une opération cosmétique que d’un renouvellement sur le fond ? Dans tous les cas, Ennahdha tient à faire oublier ses liens avec les Frères musulmans et n’est pas assez solide, au vu de sa récente pratique du pouvoir et des courants divergents qui la traversent, pour imposer une évolution similaire à celle de l’AKP turc. Dans ce contexte, l’accession à Carthage permettrait à Ennahdha d’être représentée à tous les étages du pouvoir. Rached Ghannouchi peut-il être candidat ? Être dirigés par un homme (très) mûr ne dérange pas les Tunisiens – ils en ont l’habitude –, d’autant que la Constitution de 2014 ne fixe pas de limite d’âge aux postulants. En 2019, le cheikh aura 78 ans, soit dix ans de moins que Béji Caïd Essebsi lors son accession à la présidence en 2014. Il faudra d’ailleurs au président d’Ennahdha tenir compte des intentions de l’actuel locataire de Carthage qui, dit-on, pourrait être tenté de demander le renouvellement de son bail. D’autant que selon l’enquête d’Emrhod Consulting2, Essebsi reste la personnalité politique jugée la plus apte à diriger le pays avec… 11 % d’adhésion. Le président est suivi de Youssef Chahed (10,4 %) puis de Samia Abbou (2,8 %), la populaire députée du Courant démocrate. Quant à Ghannouchi, il se trouve pour le moment distancé, avec 1,2 % de supporters déclarés. D’où la nécessité de continuer, comme depuis son retour en Tunisie en 2011 après vingt-trois ans d’exil, d’opérer un changement par petites touches. En sept ans, son évolution radicale en termes AFRIQUE MAGAZINE

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d’image s’est ainsi accompagnée d’une mutation de son discours et des éléments de langage ciselés de manière à séduire le plus grand nombre. L’image du prédicateur idéologue n’est plus qu’un lointain souvenir. Avec un discours policé au contenu très consensuel, des arguments très étudiés, un ton de voix maîtrisé et une nouvelle garde-robe, le voilà qui endosse donc, avec costume-cravate de bonne facture, les habits d’un homme d’État respectable. « Pour certains du conseil consultatif d’Ennahdha, Ghannouchi à la présidence constituerait une porte de sortie honorable pour le leader, qui serait contraint de se mettre en retrait du parti qui pourrait alors revoir son leadership», assure, sous couvert d’anonymat, un membre actif de la « choura ». Si nombre de cadres le pensent tout bas, Rached Ghannouchi, avec son profil de leader, pourra-t-il toutefois se contenter des prérogatives du président de la République tunisienne qui intervient, officiellement, uniquement dans les affaires étrangères et de la défense ? Dans les faits, Béji Caïd Essebsi a prouvé que ses pouvoirs, au quotidien, pouvaient être plus étendus. Un rôle auquel Ghannouchi ne songe peut-être pas, mais il aura suffi d’un costume et d’une cravate pour que la Tunisie se l’imagine éventuellement en président de la République. Même s’il ne dévoilera ses intentions que fin 2018, début 2019, il est certain que le leader a, dès ce 1er août, indiqué qu’il faudrait compter avec lui. Ghannouchi président ? Jusqu’à présent, nul n’a déclaré vouloir lui barrer la route. ■ 1. Issus du droit musulman, les habous ou « biens de mainmorte » concernent des biens fonciers ou immobiliers qui restent immobilisés dans la même famille, sans qu’ils ne puissent être cédés. À la disparition du dernier héritier, ces biens sont ensuite légués à des fondations religieuses ou caritatives suivant les vœux du légataire testamentaire. 2. Enquête réalisée entre les 12 et 15 septembre 2017 et publiée par le journal «Assabah».

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PORTRAIT

Nadia El Bouga

Elle s’attaque aux mille et un tabous

Féministe et musulmane, cette sexologue et sage-femme se décrit comme un OVNI, un « objet voilé non identifié ». Voix phare de Beur FM, elle milite pour un érotisme décomplexé. par Fouzia Marouf

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l y a soixante façons d’exprimer l’amour en arabe. Abou Nawas1 décrit quatorze états amoureux : la passion, le flirt, la fusion […] J’invite les auditeurs à se questionner sur leur amour… » Mardi 18 octobre. Il est midi sur les ondes de Beur FM, la voix est lente et soyeuse, ponctuée au passage de rires cristallins. À l’antenne, les auditeurs se succèdent. C’est le tour d’un homme, Mohamed. Il appelle l’animatrice pour savoir comment qualifier un « amour égoïste ». Sa partenaire est-elle trop narcissique ? Libératrice pour certaines, subversive pour d’autres, la chronique sulfureuse de Nadia El Bouga dévoile chaque semaine, au fil du magazine À votre santé, co-animé par Philippe Robichon, les méandres insondables de la sexualité. Nadia y répond sans détours ni langue de bois, disséquant ce qui relève

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des tabous pour beaucoup : perte de désir, panne sexuelle, vaginisme… La chronique et la personnalité d’El Bouga connaissent un tel succès depuis trois ans que, désormais, cet érotisme décomplexé se poursuit en librairies, avec la parution de La Sexualité dévoilée2. L’animatrice est légitime : elle est d’abord sexologue et sage-femme. Philippe Robichon, son partenaire de studio, dit avoir été conquis dès leur première rencontre par sa « liberté de ton ». « Elle ira très loin, tout chez elle respire l’ouverture aux autres. » L’animateur est d’autant plus enthousiaste qu’au départ, il l’avait simplement invitée à participer à l’une de ses émissions. « J’ai aussi d’emblée été séduit par sa tessiture vocale, souligne Robichon. La radio permet de ne se concentrer que sur sa voix. » Sous-entendu, non pas son voile. Car il n’y a pas que la chronique « hot » de Nadia, 40 ans, qui fait sensation : c’est surtout de découvrir AFRIQUE MAGAZINE

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JF PAGA

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PORTRAIT NADIA EL BOUGA : ELLE S’ATTAQUE AUX MILLE ET UNS TABOUS

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a tradition érotique arabe est marquée par treize siècles. Elle naît au VIIe siècle à Médine, insufflée par une brillante société où éclot un art de vivre inédit lié aux plaisirs. Pour la première fois, le poète prend la femme pour centre d’intérêt. Un nouveau genre basé sur le badinage se substitue à l’ancien, axé sur le souvenir, qui évoquait tout sauf l’amour…C’est ensuite à Bagdad, cœur de la jouissance épicurienne, où « l’ambiance est éminemment favorable à l’éclosion d’une poésie érotique pleine de fraîcheur, de réalisme et d’adresse » que trois écrivains flirtent avec l’interdit : Bassâr Ibn Burd, Ibn Al-Mu’tazz et Abou Nawas, « héros de la sensualité la plus débridée et de la débauche la plus tapageuse » (Charles Pellat, Langue et littérature arabes, Armand Collin, collection U2). Suivent au Xe siècle les fameuses Mille et Une Nuits, recueil de contes populaires d’origines variées : la femme savante commet l’adultère et les jeunes vierges plongent dans la volupté des relations saphiques. En quête de sensualité, Le Jardin parfumé, écrit au XVIe siècle par Cheikh Nefzaoui, est le manuel d’érotologie arabe [ill. ci-dessous]. Une irrésistible invitation à découvrir les innombrables positions amoureuses. Feu Malek Chebel a été le Monsieur sexe du monde arabe. Docteur en anthropologie à la libre parole, il a décliné au XXIe siècle de façon éclairée la doctrine musulmane, ses pratiques et ses fantasmes, notamment à travers Psychanalyse des Mille et Une Nuits, Le Kama-Sutra arabe ou encore L’Érotisme arabe. ■ F.M. Gravure de Frédillo illustrant « Le jardin parfumé » du Cheikh Nezfaoui, édition Isidore Lisieux (1904).

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qu’elle porte un voile qui en surprend plus d’un. Au point, parfois, de choquer. À ses débuts, alors qu’elle ponctue ses conseils d’érotisme brûlant, certains collègues s’en offusquent dans les couloirs de la radio : « Comment peux-tu dire ça au sein de la communauté ? », lui assène un jour l’un d’entre eux. « Il faut appeler un chat un chat ! », réplique-t-elle sans ambages à ses détracteurs. Elle dit avoir d’abord été perçue comme une provocatrice. Mais hors de question de renoncer aux droits de la femme, libre de « dire son plaisir ». Et que l’on ne se fie cependant pas à ses airs poupins et sa douceur apparente. Nadia El Bouga, d’origine berbère – culture où la femme tient une place centrale dans le couple et jouit d’une rare autonomie au point de choisir son futur époux – a de qui de tenir. Son arrière-grand-mère trouvait naturel, par exemple, d’aller prier avec les hommes à la mosquée de leur village natal de l’Atlas. Quant à sa tante, Aïcha Sakmassi, elle est notamment connue au Maroc pour avoir créé à Agadir l’association « Voix de femmes » et une maison d’hébergement destinée aux femmes battues. El Bouga, elle, est une pure « titi parisienne » qui a grandi à Château Rouge, dans le XVIIIe arrondissement, choyée par des parents protecteurs. Très proche de son père avec qui elle parle même de sexualité autour du fameux verre de thé, leur rituel, elle ira cependant à l’encontre de ce qu’il lui a inculqué : à 20 ans, elle choisit de porter le voile islamique. « Ce lien avec Dieu qui m’avait transcendée la veille, je ne voulais plus en sortir […] Au fond, je n’ai qu’un seul regret, j’ai fait pleurer mon père » écrit-elle dans son livre, confirmant que sa décision a été prise en pleine conscience, sans l’influence de l’entourage. UNE ADEPTE DU SOUFISME Plus tôt, dès l’adolescence, elle souhaite « se frotter à la marge de la société ». Alors qu’elle est en classe de seconde, elle consacre un jour un exposé à Mauricette, prostituée gouailleuse de Pigalle. « Tout comme j’aurais pu le faire sur une prostituée d’un quartier populaire de Casablanca », avoue-t-elle. Ce qui ne surprend pas son père : « Ça, ça ne m’étonne pas de toi, Nadia. Tu ne peux pas faire les choses comme tout le monde ! » La retrouver quelques années plus tard, au micro de Beur FM titiller et triturer la sexualité est tout, sauf un mystère. Où trouve-t-elle la source qui inspire ses chroniques ? D’abord au sein de son cabinet de sexologue, « le cœur de la matrice », se plaît-elle à dire. « Un havre de paix » dans lequel elle reçoit les confessions et écoute la parole des autres. Mère de deux enfants, épouse épanouie, elle investit de front deux terrains, celui de son premier métier de sage-femme qu’elle a exercé de nombreuses années en province et actuellement en région parisienne, et celui de sexologue, notamment auprès de patients d’origine arabo-africaine, qu’elle dit « rassurés par leur culture commune » et son voile assorti à ses colliers berbères. AFRIQUE MAGAZINE

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GUSMAN/LEEMAGE

ISLAM ET VOLUPTÉ


« Comment pouvait-on être pratiquante et venir parler de fellation à la radio ? »

Des récits intimes, des langues qui se délient, des mots sur des maux révélant surtout à la praticienne que « les gens ne connaissent pas leur corps. C’est pourquoi, je prône l’éducation à la sexualité à laquelle il faut ajouter la part d’affectivité en France comme dans le monde arabo-musulman ». Cette amoureuse de la vie, de l’amour, du divin a eu envie de pousser plus loin les limites de son exploration du corps, de son inclination pour l’humain à travers la publication de La Sexualité dévoilée. Ce récit autobiographique, touchant et profond, retrace ses vies de féministe et de républicaine. Et surtout, déconstruit « les interprétations fondamentalistes du Coran, qui profitent aux hommes », ou le wahhabisme qui écrase la femme et ses droits. Adepte du soufisme, Nadia forme avec son mari, ingénieur et théologien, aussi féministe, un couple égalitaire, uni par une complicité aussi forte dans littéraire. « Comment pouvait-on se proclamer féministe et la vie privée que dans la vie professionnelle. porter le voile ? Être pratiquante et venir parler de fellation Ils projettent d’écrire une thèse à quatre mains sur la et de sodomie tous les mardis midi à la radio ? D’emblée, religion et la sexualité qui considérera « les dimensions ces paradoxes m’ont séduite. Il fallait que j’en sache plus. sociologiques, anthropologiques, culturelles et Nadia m’a fait comprendre les nuances de religieuses afin d’adapter leurs principes d’éducasa vie, de sa pratique de la sexologie, de tion à la sexualité au monde arabo-musulman », ses croyances. Elle m’a permis de relire le précise-t-elle.Nadia partage de plus la pensée Coran différemment, à l’aune des travaux d’Asma Lamrabet, auteure de Islam et femmes. qui sont aujourd’hui entrepris pour redonner Cette féministe, très appréciée des Marocaines au texte sacré tout son sens, spolié par des dans le Royaume, s’appuie sur la « troisième siècles d’exégèse masculine », dit-elle. Même voie » (alliant revendications aux droits universon de cloche pour Christophe Bataille, son sels avec un référentiel musulman) pour libérer éditeur, pour qui le mythe El Bouga reste les femmes. « Il s’agit d’individus que l’on ne peut entier : « Quelle est cette femme à la fois pas mettre dans une case. Nous devons unir sage-femme, sexologue, qui fait pleurer son nos volontés pour considérer que la femme doit père parce qu’elle a décidé de porter le voile ? simplement être elle-même, vivre sa sexualité Et qui a un regard libre sur les pratiques et comme elle le souhaite. Une femme, c’est un les tabous sexuels ? En tant qu’éditeur, c’était corps épanoui, je lutte contre l’excision, déni du assez troublant », confie-t-il après l’avoir rendésir, du plaisir féminin », précise Nadia pour « La Sexualité dévoilée », contrée il y a deux ans. Pour lui, ce livre fera qui « il est indéniable que Malek Chebel a fait un paru en septembre, nous son chemin auprès de différents publics car travail de recherche remarquable et a ouvert les emmène des villages de l’Atlas « Nadia est une femme de sincérité ». Nul portes de la sexualité, longtemps prisonnière de aux sex-shops parisiens. doute que son audace, sa personnalité hors la pudibonderie du monde arabe ». norme piquent la curiosité des lecteurs, séduits par le corps du La Sexualité dévoilée lève aussi le voile sur l’histoire de récit de Nadia. La première page ouverte, battante comme un ses parents, la richesse de sa double culture acquise entre la poème liminaire, est une invitation aux préliminaires… Un jeu France et le Maroc (où elle a passé de nombreuses vacances), amoureux entre elle et son mari, son complice. « À ce jeu-là, sa rencontre avec la médecine, sa véritable profession de foi il n’y a jamais de perdant », écrit-elle. Lorsqu’on évoque une comme son admiration pour le Dr Boujenah, médecin de filiation possible entre sa pensée libre et la tradition érotique famille. « Je voulais être comme lui, faire du bien aux gens », arabe, Nadia El Bouga rappelle qu’elle lui aurait préféré des nous confie-t-elle. Après sa première année de médecine, elle textes écrits par des femmes car « ils sont vus et décrits par des choisit l’obstétrique, car « la femme a toujours été au centre de hommes pour les hommes », conclut-elle. ■ mon intérêt ». Alors qu’elle est stagiaire sage-femme dans une clinique de province, face à la détresse sexuelle de la jeunesse 1. Abou Nawas (vers 747-815) est un poète de langue arabe connu maghrébine, elle s’orientera aussi vers la sexologie. pour ses travaux abordant les thèmes de l’amour et de l’érotisme. Victoria Gairin, co-auteure du livre, explique l’aventure 2. Éd. Grasset, co-écrit avec Victoria Gairin, journaliste au « Point », 234 p.

Victoria Gairin, co-auteure du livre

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INTERVIEW

CELLOU DALEIN DIALLO

« CE QUI NE VA PAS AVEC MONSIEUR ALPHA CONDE »

Économiste, ancien Premier ministre, chef de l’opposition guinéenne, il évoque en toute liberté et sans concession son combat. Et conclut que, oui, il sera président un jour, si Dieu le veut ! propos recueillis à Paris par Julien Wagner

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JEROME DELAY/AP/SIPA

ébut octobre, hôtel Atala, rue Chateaubriand, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Au moment de débuter cet entretien, l’ancien Premier ministre de la République de Guinée (2004-2006) et chef actuel de l’opposition, Cellou Dalein Diallo (65 ans), n’est pas seul. Quelques aficionados guinéens vivant en France sont venus voir leur « leader » et prendre des photos. Surtout, le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UDFG) est entouré de son premier cercle de conseillers. L’économiste passé par la Banque centrale de Guinée, tour à tour ministre des Transports, de l’Équipement, des Travaux publics, de la Pêche, n’a pourtant pas vraiment besoin qu’on lui tienne la main. Ce Peul né à Labé (centre de la Guinée) a la réputation d’être « un homme de dossier » apprécié des institutions internationales. Au cours de notre rencontre de plus d’une heure (et qui aurait pu en durer deux si cela n’avait tenu qu’à lui), pas une demande, un conseil, ni même un regard vers son aréopage. Petit col roulé serré, couleurs sombres, avec une montre en or pour seul bijou, « Cellou » a le regard perçant et déterminé. Il n’est plus le « technocrate », il est 21 septembre 2010. Au palais du Peuple, entre les deux tours de l’élection, Cellou Dalein Diallo écoute une allocution du président par intérim Sekouba Konaté.

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INTERVIEW CELLOU DALEIN DIALLO : « CE QUI NE VA PAS AVEC M. ALPHA CONDÉ »

l’« opposant irréductible ». Le massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry (157 morts et des centaines de blessés), l’élection « imperdable » de 2010 (il avait 25 points d’avance au 1er tour) face à Alpha Condé dans une atmosphère de guerre civile, les manifestations incessantes contre le pouvoir, ont forgé un autre homme. Dans sa ligne de mire, une seule et unique cible. Pas Moussa Dadis Camara, pourtant soupçonné d’avoir commandité les événements du 28 septembre qui ont coûté la vie à des membres de son parti et qui auraient pu lui coûter la sienne propre. Pas la France, qui a pourtant soutenu son adversaire en 2010. Pas la communauté internationale et son impuissance. Non. Une seule et unique cible : le président Alpha Condé. Ou plutôt « Monsieur Alpha Condé » car jamais au cours de l’entretien, pas une fois il ne l’appellera « président ».

AM : Quand vous voyez ce qui se passe aujourd’hui au Gabon, au Kenya, ce qui s’est passé en Gambie ou ailleurs, regrettezvous d’avoir reconnu si vite votre défaite au profit d’Alpha Condé lors des élections de 2010 ? Cellou Dalein Diallo : Comment regretter ? Le pays aurait pu sombrer dans la guerre civile. Il y avait des tensions ethniques très fortes alimentées par mon adversaire. Alors qu’il avait réalisé un score minable de 18 % et que moi je trônais avec 44 % *, il a choisi de tribaliser le débat politique en stigmatisant la communauté à laquelle j’appartiens (peule, NDLR). Si j’avais refusé les résultats, les conséquences auraient pu être dramatiques. Mais attention, je n’ai pas reconnu la défaite tout de suite, j’ai d’abord introduit des recours. C’est seulement après le rejet de la Cour suprême que j’ai décidé d’accepter cette décision. Bien entendu, si à l’avenir les conditions de transparence des élections devaient à nouveau ne pas être respectées, je réfléchirais. Je ne peux pas accepter éternellement que le vaincu soit déclaré vainqueur. Quel bilan tirez-vous des sept ans de pouvoir d’Alpha Condé ? Le bilan est négatif sur tous les plans. Mais je voudrais avant tout parler de l’état de la démocratie dans notre pays. Depuis sept ans, le mandat des élus locaux a été supprimé. Monsieur Alpha Condé a catégoriquement refusé d’organiser des élections locales. Il a remplacé tous les élus par des militants zélés de son parti pour diriger les quartiers, les districts et les communes. Ceux-ci sont devenus autant d’auxiliaires précieux de sa propagande et de la fraude électorale. Nous nous sommes battus. Nous avons obtenu au cours d’un dialogue politique l’organisation des élections locales. Mais jusqu’à présent, cet engagement n’a jamais été respecté. Les élections législatives étaient quant à elles prévues pour mars 2011. Là encore, il a systématiquement refusé qu’elles aient lieu. Pendant deux ans et demi, nous avons manifesté pacifiquement, et avons été réprimés dans le sang. Le bilan est très lourd : 57 jeunes manifestants ont été tués sans que jamais aucune enquête ne 54

soit diligentée, qu’aucun procès n’ait lieu, qu’aucune sanction administrative ne soit prononcée à l’encontre des criminels. Il les a protégés et leur a garanti l’impunité. De telle sorte que nous avons assisté à des récidives. Car l’impunité encourage le crime. Et lorsqu’enfin, en 2013, les élections législatives ont eu lieu, celles-ci ont été entachées d’irrégularités et de fraudes que le pouvoir avait organisées avec la complicité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Voilà la situation de notre pays. La démocratie a reculé, les droits humains aussi.

« Le combat serait plus fair-play si on avait un gouvernement qui avait à cœur de respecter les lois » Vous avez signé quatre accords politiques avec le gouvernement depuis 2010. Le dernier, celui du 12 octobre 2016, n’est toujours pas appliqué dans son intégralité. Certains vous qualifient de « naïf ». Quel est votre sentiment ? Si j’ai le sentiment d’être roulé en permanence dans la farine ? (Il sourit) Oui en effet. J’ai décidé d’utiliser les moyens légaux mis à ma disposition pour protester contre le refus de Monsieur Alpha Condé d’appliquer la Constitution. C’est la Constitution qui dispose que les collectivités locales doivent être dirigées par des élus et non par des gens nommés par dérogation spéciale. Ce n’est pas légal. En plus de ça, Monsieur Alpha Condé refuse de respecter les accords politiques. Lorsqu’on organise des manifestations, il nous appelle à la table des négociations pour retrouver le calme. Nous venons de bonne foi, nous faisons des concessions. Des décisions sont prises de manière consensuelle par le gouvernement et l’opposition. Mais, au final, rien n’est appliqué. Alors à intervalle régulier, nous retournons manifester. C’est notre unique recours légal. La communauté internationale ne vous apporte aucun soutien ? Ces quatre accords sont revêtus de la signature de l’Union européenne, des États-Unis, des Nations unies et de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Ils en sont les témoins et les garants. Lorsque nous constatons un retard ou un refus d’appliquer des dispositions, nous nous tournons bien évidemment en premier vers eux. Généralement, ils nous disent « nous allons faire passer le message » et ainsi de AFRIQUE MAGAZINE

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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE-REA

Investi en décembre 2010, Alpha Condé a annoncé vouloir devenir le « Mandela de la Guinée ».

suite. Mais il n’y a jamais aucun résultat. Nous sommes dans un cercle vicieux. C’est la nature de l’homme et de son pouvoir [il parle d’Alpha Condé]. Il n’a d’égards ni pour la Constitution ni pour la parole donnée. Face à un tel pouvoir, l’opposition est dans une situation difficile et le pays se retrouve en état de crise permanente. Attendiez-vous une attitude différente de la part de la communauté internationale lors des élections de 2010 ? Il s’est déroulé plus de quatre mois (27 juin 2010-7 novembre 2010) entre le 1er et le 2nd tour. Ce qui est contraire à la Constitution. La communauté internationale a soutenu le report du 2nd tour à plusieurs reprises. Nous voulions que la Constitution soit respectée, que l’on puisse aller au 2nd tour deux semaines après la proclamation des résultats du 1er, comme prévu. Nous n’avons pas compris et nous ne comprenons toujours pas pourquoi nous n’avons pas obtenu le respect de la Constitution. Pensez-vous que, malgré la limitation constitutionnelle à deux mandats, Alpha Condé se représentera pour un 3e mandat ? Je ne sais pas. Ce que je constate, c’est qu’aujourd’hui, ses lieutenants font naître un peu partout des comités de soutien en faveur d’un 3e mandat et des gens demandent qu’on le laisse continuer son travail. Je remarque aussi que lui-même maintient une ambiguïté à ce propos et ne répond jamais à cette question. Pourtant, la réponse est simple. Il suffit de dire, comme les présidents Issoufou au Niger ou Ouattara en Côte d’Ivoire : « Je respecterai la Constitution de mon pays. » AFRIQUE MAGAZINE

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N’êtes-vous pas parfois fatigué de la vie d’opposant ? Non. Je suis un homme de conviction. Je mène certes un combat pour accéder au pouvoir mais je me bats aussi pour la démocratie, le respect des droits humains, pour l’égalité des citoyens devant la loi, pour l’application de la Constitution… J’organise des manifestations. Je prends des risques. Ce combat que je mène entre deux élections, c’est pour que la Guinée ne retombe pas dans la dictature. Vous aimez cette vie-là ? (Il fait la moue) Oui. Bon, il y a les risques et les contraintes du métier… mais je l’ai choisi librement. Le combat aurait été plus fair-play si on avait en face de nous un gouvernement qui avait à cœur de respecter les lois de la République. Ce n’est pas le cas. Pour moi, il s’agit de dénoncer et combattre cette dictature qui s’instaure insidieusement dans notre pays. Et je n’ai pas de regrets par rapport à ça. Comment réussissez-vous à financer ce combat, vos déplacements, vos frais courants ? J’ai beaucoup de militants. Les adhérents du parti payent une cotisation. Je reçois aussi des aides directes de sympathisants, d’opérateurs économiques. Beaucoup de gens croient en moi. J’ai quand même fait 44 % en 2010 et il faut ajouter à cela tous les déçus et les désabusés d’Alpha Condé. On a appris récemment que vous touchiez 1,25 milliard de francs guinéen (environ 117 000 euros) par trimestre de la part de l’État. Qu’en est-il exactement ? Un statut de chef de file de l’opposition a été créé dans de nombreux pays africains. C’est un phénomène relativement nouveau. En 2014, Monsieur Alpha Condé a décidé de proposer une loi à l’Assemblée, adoptée à l’unanimité, créant un statut officiel de chef de l’opposition. Avec un budget dédié comme au Burkina Faso ou au Mali, et comme dans d’autres pays d’Afrique. Cette loi devait prendre effet en 2015, mais il n’y a eu aucun décaissement. Pareil en 2016. Pour 2017, un budget a enfin été alloué. Existe-t-il un risque qu’en 2020, à nouveau, tous les autres partis s’unissent contre les Peuls ? Ce risque est moindre aujourd’hui. Dans toutes les communautés, dans tous les partis politiques, les gens ont pris conscience que, face aux engagements non tenus, face à la pauvreté qui s’est accentuée, notre problème n’est pas ethnique mais que c’est une question de gouvernance. Les erreurs et les incohérences de la politique d’Alpha Condé ont contribué à détribaliser le débat. Les citoyens sont confrontés à des problèmes de droit, de sécurité, de bien-être ; ils sont prêts à se battre pour exiger la transparence et une meilleure gouvernance afin que leurs conditions de vie changent. Vous étiez arrivé en tête au 1er tour des élections de 2010 avec presque le double des voix de votre adversaire. En 2015, vous étiez battu dès le 1er tour avec près de 20 points de moins 55


INTERVIEW CELLOU DALEIN DIALLO : « CE QUI NE VA PAS AVEC M. ALPHA CONDÉ »

que lui. La dynamique ne semble pas en votre faveur. 2020 ne serait-elle pas l’élection de trop ? En 2015, il n’y a pas eu d’élection. C’était un « coup KO », annoncé et préparé un an à l’avance par Alpha Condé en trafiquant les fichiers d’électeurs avec la complicité de la CENI. D’après les chiffres officiels, 53 % de la population a voté, contre 39 % seulement en 2010. C’est le résultat d’un enrôlement massif de jeunes dès l’âge de 10 ans dans les fiefs d’Alpha Condé. Le corps électoral s’y est accru de façon démesurée. Si vous regardez les scores en Haute-Guinée, vous observez 96 % de participation, dont 95 % des suffrages pour Alpha Condé, alors que la participation est entre 50 et 60 % dans tout le reste du pays. Pour accomplir ces résultats soviétiques, nos représentants dans les bureaux de vote ont été chassés, battus, parfois même emprisonnés, et à la place, ils ont promu assesseurs des gens issus du RPG Arc-en-ciel (parti d’Alpha Condé). Comment comptez-vous faire pour que ce que vous décrivez ne se reproduise pas en 2020 ? Lors du dialogue avec le pouvoir, nous avons émis différentes revendications qui peuvent concourir à ce que les élections soient plus transparentes. Si ces réformes sont menées à bien, alors nous aurons des chances de lutter contre la fraude. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas prêts à accepter de nouveau une mascarade électorale. Vous faites depuis 2014 partie de l’Internationale libérale, dont vous êtes devenu membre du bureau exécutif en mai dernier. Est-ce un choix politique ou dans l’espoir de nouer des soutiens à l’étranger ? C’est une conviction. Je suis pour le libéralisme, contre le communisme, et même le socialisme. Je crois qu’il faut donner plus de libertés à l’homme et aux entreprises dans un cadre où les règles du jeu sont claires. L’État doit être un régulateur et laisser le secteur privé jouer son rôle. Vous avez été reçu par Franck Paris, le conseiller chargé des questions africaines du président Emmanuel Macron le 9 octobre dernier. Quelle a été la teneur de vos discussions ? La France est un partenaire important de la Guinée. Elle accompagne le pays dans son processus démocratique. Puisqu’il y a une nouvelle équipe à la tête de l’État français, il était important de prendre contact et de partager notre lecture des choses sur la situation en Guinée et dans la sous-région. Notamment concernant les menaces qui pèsent sur la paix, la stabilité et la sécurité. Nous souhaitons que la France continue de soutenir la consolidation de la démocratie et l’instauration de l’État de droit dans notre pays. Jugez-vous le rôle de la France impartial dans les affaires guinéennes ? Dans le passé, on a soupçonné une certaine solidarité entre partis frères (le RPG Arc-en-ciel d’Alpha Condé et le Parti socialiste français, NDLR). Monsieur Alpha Condé a toujours été un 56

socialiste. Il a fait de l’agitation politique à gauche. De ce fait, il s’est fait beaucoup d’amis en France et disons que, certainement, ce réseau d’amis a cherché à le privilégier. Comment expliquez-vous que plus de huit ans après les faits, ni Moussa Dadis Camara, ni Mamadouba Toto Camara, ni Abubakar Toumba Diakité n’aient encore répondu devant une cour de justice de leurs responsabilités pour le massacre du 28 septembre 2009 (157 morts et des centaines de blessés dans un stade lors d’une manifestation politique contre le pouvoir du capitaine Camara) ?

« J’ai senti un violent coup derrière la tête et j’ai perdu connaissance. J’ai été évacué en urgence » Monsieur Toumba Diakité a été extradé du Sénégal vers la Guinée en mars. Il est en train d’être interrogé sur son rôle mais je ne sais pas exactement ce qu’il en est. Je ne suis pas dans les secrets de la justice guinéenne. En revanche, je sais qu’on a empêché Monsieur Dadis Camara (qui a soutenu Cellou Dalein Diallo aux élections de 2015, NDLR) de rentrer au pays pour s’expliquer. Lui en tout cas avait exprimé le désir de rentrer pour, disait-il, « contribuer à la manifestation de la vérité ». Mais il en a été empêché. Certains appellent à ce que Moussa Dadis Camara soit traduit devant la Cour pénale internationale (CPI). Reconnaissez-vous la compétence de la CPI en général et la lui reconnaissez-vous dans le cas d’espèce ? La CPI peut être utile. Mais elle aurait aussi pu être plus objective et plus professionnelle dans les dossiers qu’elle a eu à traiter jusqu’ici. Concernant cette affaire, les trois personnes que vous avez citées sont toutes pour le moment présumées innocentes. Ce dossier est complexe. Et il est clair que si la CPI l’avait instruit, l’influence négative exercée aujourd’hui sur les juges guinéens n’aurait pas existé. Vous avez vous-même été blessé lors de ces événements. Quel souvenir en gardez-vous ? J’étais au stade comme tout le monde. Des militaires sont arrivés. Ils ont fermé les portes et ont commencé à tirer sur la foule. J’ai vu des gens tomber. Puis des militaires sont monAFRIQUE MAGAZINE

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SEYLLOU DIALLO/AFP

28 septembre 2009. La police arrête un manifestant. 157 personnes seront tuées le même jour…

tés à notre tribune. L’un d’entre eux qui s’appelait Sankara, le propre chauffeur de Moussa Dadis Camara, a pris une arme à feu qu’il avait attachée derrière sa jambe, m’a pointé et a tiré. Mon garde du corps, Abdoulaye Sylla, s’est jeté sur moi et a reçu la balle dans l’épaule. Peu de temps après, j’ai senti un violent coup derrière la tête et j’ai perdu connaissance. J’ai été évacué en urgence par des membres de mon parti et quand je me suis réveillé, j’avais quatre côtes cassées. Pensez-vous que ces militaires avaient des consignes précises pour vous tuer ? En tout cas, on me tenait pour l’un des responsables de ce rassemblement puisque la grande majorité des gens présents appartenaient à mon parti. D’ailleurs, par la suite, ils ont refusé que je sois exfiltré pour me soigner. Il a fallu d’âpres négociations menées par le président du Sénégal Abdoulaye Wade et avec le concours du conseil interreligieux guinéen pour qu’on m’autorise à sortir du pays. De nombreux témoignages affirment qu’en plus des 157 morts, plus d’une centaine de femmes ont été violées sur place. En avez-vous été le témoin ? Oui. J’ai vu beaucoup de femmes de mon parti se faire violer. C’est la réalité. Cette journée a-t-elle changé quelque chose dans votre manière de voir les choses ? Elle a été éprouvante pour nous tous. En plus, le même jour, AFRIQUE MAGAZINE

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des militaires sont venus piller mon domicile et ont détruit tout ce qu’ils ne pouvaient pas emporter. Mais cette journée ne m’a pas fait dévier de ma course si c’est ce que vous voulez dire. Repensez-vous souvent à ce jour ? Oui, bien sûr. J’ai failli perdre la vie. Avez-vous eu peur ? Non. Vous n’avez pas peur de mourir ? Bon… Je suis un croyant. Je mourrai quand Dieu le décidera. Vous croyez qu’il existe quelque chose après la mort ? (Il sourit) Oui. Il y a le paradis. Et vous irez au paradis ? Ceux qui ont été honnêtes et pieux iront au paradis. Et donc vous irez au paradis ? Je ne sais pas. Je pense que oui. Comment expliquez-vous qu’un pays aussi riche que la Guinée constitue depuis si longtemps un tel scandale économique ? C’est un problème de gouvernance ? D’ethnicisme exacerbé ? De gouvernance, de qualité des politiques publiques. Comme beaucoup d’autres pays, nous nous sommes engagés à l’indépendance dans la voie du « socialisme scientifique ». On a tout nationalisé, créé des coopératives, des entreprises d’État et supprimé le commerce privé. Le moins que l’on puisse dire est que les résultats ont été maigres. Puis Lansana Conté est arrivé en 1984. Il a libéralisé l’économie et la Guinée a connu quelques bonnes performances. Entre 1990 et 2000, la croissance était proche de 5 %. Un programme d’investissements économiques ambitieux a été engagé grâce à nos partenaires techniques et financiers internationaux. On a construit des centres de santé un peu partout et le taux d’inscription à l’école primaire a crû jusqu’à 80 % d’une classe d’âge. Il y a aussi eu l’avènement de nouvelles libertés, du multipartisme, de la liberté d’expression, de la liberté d’entreprendre, l’ouverture des frontières. Cela doit être mis au crédit de Lansana Conté. Après… disons qu’il y a eu un concours de circonstances. À partir des années 2000, nous avons subi des agressions rebelles à nos frontières à partir du Liberia et de la Sierra Leone (la Guinée a accueilli des rebelles libériens durant les années 90). On est entrés dans une économie de guerre. Et en 2002, le président a commencé à être très malade. L’État s’est affaibli. Certains en ont profité. Et l’élan que nous avions observé dans les années 90 a été rompu. Quel est votre diagnostic sur la situation économique actuelle ? D’abord, il faudrait faire un bilan de la gestion par Monsieur Condé de l’exploitation des mines. Quand il est arrivé au pouvoir, il y avait beaucoup de méga-projets envisagés. Les prix étaient bons, le fer était à près de 180 dollars la tonne. Le massif de Simandou (Guinée forestière) était convoité par toutes les multinationales du secteur. Des conventions avaient été signées. Chaque partie attendait la transition pour lancer les investissements. Mais l’inexpérience et parfois l’incompétence 57


INTERVIEW CELLOU DALEIN DIALLO : « CE QUI NE VA PAS AVEC M. ALPHA CONDÉ »

« Clairement, j’envisagerais d’intégrer l’UEMOA. de ce monsieur leur auront été fatales (voire encadré). Y a-t-il un pays en Afrique aujourd’hui qui vous semble un bon modèle pour la Guinée ? (Instantanément) La Côte d’Ivoire. Et pour au moins deux raisons. D’abord parce que nous avons besoin d’une croissance forte. Et avec ces 9 % de croissance, c’est clairement le pays à suivre. Ensuite, parce que comme en Côte d’Ivoire, notre pays a besoin d’une réconciliation crédible. Nous devons lire les pages sombres de notre passé pour pouvoir les tourner. Il y aura la vérité, le pardon ou non, puis la réconciliation. Nous devons mettre un terme à la violence. Il nous faut une justice forte et indépendante pour dire le droit et redonner de la confiance. Depuis trop longtemps, la confiance entre les citoyens guinéens et l’État est rompue. Il faut la restaurer Croyez-vous à l’émergence d’ici 2025 ou 2030, comme beaucoup de chefs d’État l’ont promis à leur peuple ?

Oui, c’est possible. Même si la croissance a globalement ralenti ces derniers temps. Le poids d’économies comme le Nigeria ou l’Angola, qui ont fortement pâti de la chute des cours du pétrole, est très important, et a impacté la performance du continent dans son ensemble. Mais d’autres économies, de plus petites tailles, ont connu une croissance très satisfaisante. Le Sénégal est autour de 7 %, la Côte d’Ivoire est à 9. Si les politiques publiques en Afrique de l’Ouest continuent à être de plus en vertueuses, nous pouvons y arriver. D’une certaine façon, nous sommes en train de récolter les fruits des ajustements structurels des années 90. Ils ont eu leurs mauvais côtés mais la gestion macroéconomique a été vertueuse. Les déficits budgétaires comme l’inflation demeurent faibles. Vous louez l’inflation faible et une politique budgétaire restrictive, est-ce à dire que vous êtes plutôt favorable au franc CFA ? Si vous étiez élu président,

Mines : « Notre PIB aurait pu doubler ! » AM : Vous reprochez à Alpha Condé sa gestion des droits miniers, mais les problèmes d’exploitation du fer de Simandou (massif en Guinée forestière) datent de bien avant son arrivée au pouvoir. Rio Tinto (groupe minier australo-britannique) en avait acquis les droits d’exploitation dès 1997… Cellou Dalein Diallo : Oui, mais en 2010, deux conventions étaient signées : les deux blocs de Rio Tinto et les deux autres blocs avec Vale (groupe minier brésilien) et BSGR (Beny Steinmetz Group Resources, israélien). Du fer avait été découvert à Zogota (Guinée forestière). Les multinationales étaient prêtes à l’exploiter tout de suite et à l’exporter dès la fin 2011 vers le Liberia. En remettant tout en cause, en changeant à la va-vite le code minier, et en voulant tout renégocier au cas par cas, Alpha Condé a perdu la confiance des investisseurs. En plus, parfois, il

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fallait passer à la caisse, payer à un autre guichet (sic). Et finalement, nos partenaires ont été découragés. Pour tenter de stabiliser son investissement et son permis, Rio Tinto a accepté de payer 700 millions de dollars tout de suite. Le gouvernement a pris les 700 millions mais a quand même voulu renégocier… Sauf qu’entretemps, les cours du fer ont plongé de 180 à moins de 60 dollars la tonne et tout a capoté. À ce bilan, il faut ajouter les contentieux hérités de cette mauvaise gestion, entre l’État guinéen et BSGR, Vale, Rio Tinto. Alors qu’avec un peu de pragmatisme, nous aurions aujourd’hui le Transguinéen (chemin de fer reliant Conakry à la Guinée forestière) et le port en eaux profondes (sud de Conakry). L’exploitation du seul Simandou aurait pu doubler le PIB de la Guinée sur la période. Au Nord, les engagements des investisseurs non plus n’ont pas été tenus et aucune usine de

transformation n’a encore été construite sur place… Ce qui est vrai pour le fer l’est aussi pour la bauxite. Rusal (producteur russe d’aluminium) s’était engagé dans une convention négociée pour construire une usine d’alumine d’1,2 million de tonnes à Dian-Dian (200 km au nord de Conakry). Emirates Global Aluminium (à travers Guinea Alumina Corporation) s’était également engagé à construire une usine d’aluminium. Alcoa (producteur américain d’aluminium) avait un projet similaire. Le tout aurait déclenché une dynamique digne d’une véritable industrialisation de la Guinée. Mais tous ces projets ont été abandonnés. Récemment, ces compagnies ont même négocié des avenants pour reporter sine die la construction des usines et vont finalement exporter la bauxite brute, sans que l’impact sur l’environnement soit suffisamment prise en compte et sans que les

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Une monnaie commune est un pas important » chercheriez-vous à intégrer cet espace monétaire ? J’envisagerais clairement d’intégrer l’UEMOA . L’objectif de l’intégration sous-régionale est un objectif partagé. Le fait d’avoir une monnaie commune est un pas important. Avoir un droit des affaires commun, une Banque centrale commune, un contrôle de l’activité bancaire commun, une bourse régionale, ce n’est pas négligeable. D’ailleurs, la plupart des pays membres sont plus avancés que nous. Le débat sur le franc CFA est pourtant de plus en plus aigu en Afrique francophone. Certains veulent le quitter, d’autres le réformer, d’autres en changer le nom… La zone franc, c’est quoi ? Quoi qu’on en dise, c’est une monnaie africaine. Et quel que soit son nom, c’est une monnaie qui bénéficie aux pays qui l’utilisent. Les portes du CFA sont ouvertes à ceux qui veulent entrer comme à ceux qui veulent sortir. La Guinée équatoriale est entrée en 1985, la Guinée-

Bissau en 1997. Ils n’étaient pas obligés de le faire. Madagascar et la Mauritanie en sont, eux, sortis (en 1973). Chacun fait son choix. Après, effectivement, des réformes méritent d’être menées et des choix doivent être opérés. Par exemple, le taux de change du CFA devrait être défini par rapport à un panier de monnaies et non plus par rapport au seul euro. Avant, l’Europe, et particulièrement la France, était le principal fournisseur et le principal client de la zone. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La structure du commerce extérieur a changé. En résumé, le franc CFA ne me gêne pas en soi, mais il faut le réformer. Pensez-vous sincèrement que vous serez effectivement un jour président de la République de Guinée ? J’en suis persuadé. Avec l’aide de Dieu et la confiance des Guinéens. ■ * 18,25 % et 43,69 % selon les chiffres de la CENI.

ANTHONY BANNISTER

Une mine à Pic de Fon, point culminant de Simandou. La Guinée possède un tiers des ressources mondiales de bauxite.

populations locales puissent en bénéficier. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a eu récemment des manifestations à Boké (Nord). Faites-vous confiance au nouvel acquéreur chinois Chinalco pour enfin exploiter le fer de Simandou ? Apparemment, Chinalco veut les quatre blocs. Il a les deux blocs qu’il partageait auparavant avec Rio Tinto, mais les deux autres sont l’objet d’un litige avec BSGR et n’ont pas encore

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été récupérés par l’État. C’est à la justice internationale de trancher. À ce stade, il est donc impossible de prévoir si les investissements espérés seront réalisés. En tout cas, lors des négociations avec Chinalco, il faudra que la Guinée intègre et exige un délai au terme duquel les investissements devront obligatoirement avoir démarré. Les Chinois semblent également intéressés par la bauxite.

Un accord-cadre a été signé en septembre dernier entre l’État guinéen et la Chine. Un accord « financements contre ressources » d’un montant de 20 Mds de dollars sur vingt ans. C’est une bonne nouvelle ? Tout dépendra de la mise en œuvre. Il faut s’assurer qu’il y a bien équivalence entre le coût des infrastructures et la valeur des minerais exploités. Les infrastructures réalisées le seront sans doute par des entreprises chinoises. Y aura-t-il un appel d’offres ? Sera-t-il ouvert uniquement à des entreprises chinoises ? Et si c’est le cas, la concurrence jouera-t-elle vraiment son rôle dans la fixation du prix ? Ces entreprises sont toutes publiques, elles appartiennent à l’État chinois. La banque qui prête comme les entreprises qui construisent. Il faut s’assurer qu’il y ait un minimum de transparence afin d’éviter un risque de surfacturation. Sans concurrence véritable, il est rare que l’État obtienne le meilleur prix. ■

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INTERVIEW

Pascale Marthine Tayou « Je n’essaie pas d’être un artiste, mais un être humain » Installations monumentales ou détournements d’objets, portés par un questionnement politique… Présent de Miami à la foire d’art contemporain 1:54, le plasticien camerounais raconte son œuvre. propos recueillis à Londres par Sabine Cessou


ELA BIALKOWSKA

Le créateur devant son « Génie bamiliké » de cristal (2008).

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INTERVIEW PASCALE MARTHINE TAYOU : « JE N’ESSAIE PAS D’ÊTRE UN ARTISTE, MAIS UN ÊTRE HUMAIN »

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asé à Gand, en Belgique, il est l’un des « faiseurs » – un terme qu’il préfère à « artiste » – les plus cotés du marché de l’art contemporain. Il est de toutes les biennales : Dakar, Johannesburg, Venise et Kassel. Ses expositions solo sont montées par des musées à travers le monde. Il était mi-octobre au Bass Museum d’art moderne, situé à Miami Beach, en Floride, pour préparer la prochaine. Intitulée « Beautiful », elle se tiendra jusqu’au 2 avril 2018, dans ce grand musée qui rouvre ses portes au public après rénovation. Proche de Revue Noire depuis ses débuts, dans les années 1990, cet autodidacte de la forme et des formes conçoit des installations qui veulent toujours dire quelque chose. Souvent monumentales, ses pièces détournent des objets usuels ou des déchets. Elles tirent souvent le beau du laid ou de ce qui est considéré comme tel, et déclenchent toujours la réflexion. À 51 ans, ce champion de l’observation doit se concentrer quelques minutes en fronçant les sourcils, pour savoir où il en est dans son agenda, géré par la prestigieuse Galleria Continua, basée à San Giminiano en Italie, Boissy-le-Châtel près de Paris, Pékin et La Havane. Cette institution affiche dans son catalogue des sommités telles que Daniel Buren et Anish Kapoor. Pascale Marthine Tayou les côtoie donc au firmament du marché de l’art, mais veut rester les pieds sur terre et surtout, en interaction avec le public. Ses Plastic Bags, à la gare Saint-Lazare (Paris), ont par exemple invité les passants à accrocher des sachets plastiques à ce qui devenait une œuvre… Il a signé les Poings d’eau, cinq fontaines publiques posées Porte de Montreuil en 2012 pour l’inauguration d’une ligne de tramway. Pour « Afriques Capitales », la grande exposition organisée au printemps dernier à La Villette par son ami Simon Njami, il avait suspendu des maisons flottant en l’air, à l’envers. Ces Falling Houses faisaient aussi bien allusion au roman de Chinua Achebe Things Fall Apart (Le monde s’effondre), qu’à l’anarchie des mégapoles africaines. Des capitales dont l’urbanisme marche sur la tête, faute de plan digne de ce nom. L’artiste se trouvait aussi à Londres pour la foire d’art contemporain 1:54, du 5 au 8 octobre, à Somerset House. Se jouant des jets d’eau de la cour de cet édifice, il a installé une œuvre en bois, hérissée de pavés suspendus, intitulée Summer Surprise. Le 4 octobre, il était là pour régler les derniers détails avant de s’éclipser – et non pour rencontrer la presse, à laquelle il ne parle jamais, refusant de s’inscrire dans une logique de « promotion ». À Afrique Magazine, il a cependant accordé cet entretien exclusif. Il vise à aborder – comme dans son art – les questions qui lui paraissent essentielles. ■ 62

« En général, on ne vient pas à moi pour des raisons de marché, mais par rapport à ma logique, ma façon de mettre les choses en place. » AM : Votre propos est hautement politique. Est-ce une constante dans vos œuvres ? Pascale Marthine Tayou : Tout est politique. Je parle souvent de la quête de confort. Avoir de l’argent ou des voitures peut ressembler à une forme de réussite, même si le problème n’est pas là, car nous sommes fondamentalement riches. La richesse n’est pas matérielle. Elle est d’abord en nous-mêmes. Je suis frappé par le fait que les gouvernants ne comprennent même pas de quoi il est question ! Ils ne sont pas conscients de ne pas traiter les bons sujets… Essayez-vous de leur faire passer un message ? Non. Il ne s’agit pas de se battre, mais de comprendre. Mon attitude consiste à prendre ma part de responsabilité dans mon choix d’outil de travail, et de mener ma petite vie. Le dirigeant, c’est moi ! Je ne vais pas entrer dans le militantisme… Je me vois plutôt comme un passant, comme tout le monde. Parlez-vous de la faillite des plans d’urbanisme avec Falling Houses, présentées pour « Afriques Capitales » ? Vous le voyez parce que vous pouvez le comprendre, et même l’expliquer de manière rationnelle. La vraie question serait plutôt de savoir comment je suis arrivé à ce point, après tout ce que j’ai rêvé enfant et reçu comme éducation. Mes parents et ma société m’ont dit : « Voilà ce qu’il faut faire pour se construire en homme. » Or, tous ceux qui ne sont pas allés à l’école sont arrivés plus vite que moi. J’ai établi mon diagnostic personnel, sur le fait que l’on m’enseigne les choses à l’endroit – un peu comme en couture – alors que le revers est essentiel. Comment l’expliquer ? Je le fais d’une manière émotionnelle, par mes œuvres. Progressivement, des gens s’associent à ma logique et me font confiance. Je ne cherche pas les lauriers, mais je vis une tristesse : je suis un humain qui essaie d’être un homme. AFRIQUE MAGAZINE

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Avec «Summer Surprise » (2017), créée pour la foire 1:54 de Londres, il se joue des jets d’eaux de Somerset House.

KATRINA SORRENTINO - MARC DOMAGE - LORENZO FIASCHI

La fontaine « Tabourets poings d’eau » (2013), Porte de Montreuil à Paris.

« The Falling House 3 » (2014), ou l’allégorie de l’anarchie des mégapoles africaines, dont l’urbanisme marche sur la tête, faute de plan digne de ce nom… AFRIQUE MAGAZINE

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INTERVIEW

longtemps, ne pas avoir été écouté… Les médias donnent Pourquoi êtes-vous souvent dans la transgression ? l’impression que c’est toujours l’autre. Or, nous sommes tous, C’est mon attitude générale parce que la réalité m’y oblige. potentiellement, des terroristes ambulants. Comment être confortable dans un espace d’inconfort ? Je prends encore ma part de virus dans ce grand corps Comment ne pas parler des sujets difficiles comme les guerres malade qu’est le monde, lorsque je me demande si les gens et les maladies ? qui traversent le désert à pied le font pour faire les clowns à Un des axes de la création africaine contemporaine Lampedusa. Je suis un activiste de la forme, je me préoccupe reste identitaire, centré sur la figuration, le portrait… d’une pensée première que j’appelle le « taudisme » et dont je ne Ce qui peut donner l’impression qu’on danse tout le temps parle pas trop, même si elle motive mon esthétique. C’est très sur la même chanson… Mais il faut nuancer. On peut traiter de simple : comme nous vivons dans un taudis, il faut apprendre à tous les sujets et bien faire la différence entre celui qui propose le balayer ! Tout simplement ! et ce qu’on peut ressentir face à son travail. Quelque chose n’est Pensez-vous que toutes les installations et vidéos, qui pas maîtrisable dans une œuvre. Son interprétation relève de semblent relever d’un effet de mode, ont lieu d’être ? la personne qui la reçoit. On peut par exemple trouver très Toutes les installations ont lieu d’être, en effet. Si une œuvre beaux des portraits d’enfants des rues, sans comprendre le est ratée, elle l’est uniquement par rapport à propos derrière ces images. J’ai fait porter ce qu’on attend d’elle. Celui qui la regarde des masques chinois à des enfants dans dirige ses attentes, mais peut aussi rentrer un village, dans la série de photographies dans l’univers de celui qui propose l’œuvre. intitulée Kids Mascarade. [ill. ci-contre]. En retour, l’artiste peut assumer que son « Tiens, comme ils sont joyeux ! » peut-on se œuvre soit ratée – et si c’est le cas, alors elle dire à première vue… En fait, non. devient réussie ! Que pensez-vous du marché de l’art ? Pour ma part, je ne suis pas un artiste. Ce que je propose ne rentre pas dans J’essaie d’être un humain. On a posé l’ego au le format du marché. Le film de ma survie centre des débats, alors qu’on n’en a rien à tient au fait que les institutions et les acteurs faire ! Je respecte le fait que l’on me respecte, de ce champ se sentent obligés de m’avoir, mais ce n’est pas mon moteur. Lorsque j’ai parce qu’on leur demande s’ils n’ont pas de exposé à Serpentine à Londres, des gens Tayou. Alors, ils me prennent sans forcément m’ont sollicité pour fêter la présence d’un comprendre. Disons que je suis dans les Africain dans cette grande galerie. Je leur collections. Ma galerie s’en occupe. Si je ai conseillé de plutôt faire une fête pour un mise sur le marché, je m’éloigne de ce qui Européen, un Anglais, un Français ou un me motive… Américain – non pas parce qu’il est noir, Le marché pourrait consacrer la qualité mais parce qu’on l’aime bien et que nous d’une démarche en lui donnant une valeur sommes des humains. À quoi sert de créer marchande. Celle-ci pourrait faire qu’on des communautés qui n’apportent rien ? achète, qu’on voie et qu’on discute de la On sort bien plus grandi en allant dans la proposition d’une œuvre. Des gens regardent chambre de l’autre, plutôt de rester à tourner et comprennent. D’autres veulent me voir dans sa propre chambre comme un hamster. pour savoir quel est le nœud du problème Je suis invité à la Serpentine par des gens que je traite. En général, on ne vient pas à « Kids Mascarade », 2009. qui croient à ma sincérité, et non parce que moi pour des raisons de marché, mais par je suis africain ! Qu’on arrête ces bêtises ! Mon continent est rapport à ma logique, ma pensée, ma façon de mettre les choses d’abord mon poste d’observation. L’Amazonie m’intéresse au en place. Du coup, je me sens honoré. En même temps, je dois même titre que le fleuve Congo ou le Mississippi. respecter cet honneur et savoir comment broder au mieux mon Êtes-vous plus à l’aise dans le contexte long gilet existentiel. anglophone ou francophone ? L’observation est-elle au cœur de votre démarche ? Je comprends mieux l’environnement francophone, mais Oui. Chaque fois que l’on dresse le portrait d’un terroriste je vis en Flandres, ce qui m’offre un certain repos. Je regarde à la télévision, par exemple, c’est la même histoire. Ses voisins les gens sans comprendre ce qu’ils racontent. Peu importe la parlent de lui comme d’un « type bien », insoupçonnable. Or, langue : derrière la posture de la belle parole, je perçois la peur ce « type bien » est devenu fou au point de se faire exploser. d’agir. Racontez dans des conférences de haut niveau tout ce Comment peut-on en arriver là ? Il faut avoir été frustré 64

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PASCALE MARTHINE TAYOU

PASCALE MARTHINE TAYOU : « JE N’ESSAIE PAS D’ÊTRE UN ARTISTE, MAIS UN ÊTRE HUMAIN »


« Face à Boko Haram, qui sont ceux qui portaient les pancartes Bring back our girls ? Les puissants de ce monde, n’est-ce pas ? » que vous voulez depuis la création du monde, les problèmes n’en sont pas moins là devant vous. Pensons à notre temps ! En tant que français, anglais, camerounais, américain, que puis-je apporter au premier des nécessiteux ? Personne n’a été éduqué dans la logique de l’offrande désintéressée… Lorsque le directeur du musée Bozar à Bruxelles, qui est blanc, me demande comment réagir face à Boko Haram, je sais intimement que je n’ai pas de solution. Je vais devoir réfléchir. Quand on enlève les filles de Chibok, que se passe-t-il ? Qui sont ceux qui portaient les pancartes « Bring back our girls » ? Les puissants de ce monde, n’est-ce pas ?… Les filles sont-elles vraiment rentrées chez elles ? Entend-on encore ceux qui tenaient les pancartes ? Se soucie-t-on de savoir qui a enlevé les jeunes femmes ? Les garçons qui l’ont fait n’ont-ils pas été capturés eux-mêmes ? J’ai donc proposé et réalisé pour Bozar une œuvre au néon qui dit : « Bring back our boys and girls ». Je voulais donner à réfléchir sur le fait que nous sommes aussi les otages de notre vérité. Comment stopper le terrorisme ? Le gouvernant qui fait des lois oublie qu’il est lui-même souvent terroriste à col blanc… Certains puissants, qui pensent être si bien élus, sont-ils vraiment convaincus de faire le bien pendant vingt, trente, quarante ou cinquante ans à un peuple qui crie sans cesse misère et douleur ? Ces gouvernants qui refusent le jeu de l’alternance sont en réalité la cause des maux qui minent les peuples d’ici et d’ailleurs ! Refusez-vous parfois des propositions ? Oui. J’ai été invité un jour à m’exprimer dans une vidéo dans le cadre d’une conférence Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) pour livrer avec d’autres artistes un message aux chefs d’État de ces pays. J’ai répondu ceci : « Vous me prenez pour un idiot ou quoi ? Les hommes du pouvoir n’ont-ils pas une profession de foi ? »… Le type a insisté pour que je donne un slogan. « Puisqu’il faut que je parle, pose ta caméra », lui ai-je dit. Et j’ai déclamé : « Moi président, je vais me poser deux ou trois questions. Pourquoi, AFRIQUE MAGAZINE

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quand je suis malade, vais-je me soigner ailleurs que dans mon propre pays ? Pourquoi depuis vingt, trente, quarante ans que je suis au pouvoir, mes solutions sont-elles devenues des problèmes ? Pourquoi suis-je donc incapable de me poser ces questions, moi président ? » Le message est-il passé ensuite ? Êtes-vous censuré ? Je ne sais pas si le message est passé… Autre exemple ? Un ami me signale un jour que la Banque mondiale organise un événement à Yaoundé. Je suis invité à parrainer une exposition à cette occasion. Je prépare donc une installation, une étagère en bois sur laquelle sont posés trois seaux – vert, rouge et jaune, les couleurs du drapeau. L’un est vide, l’autre à moitié plein et le troisième rempli. Une ampoule et une plaquette de médicaments vide sont fichés sur la planche frappée des mots « Paix, Travail, Patrie », la devise de mon pays. J’ai construit une interrogation destinée à tous, et non une « provocation » ou une décoration. Plus tard, mon contact m’annonce dans un mail stressé que les organisateurs de l’événement ont décidé, malgré l’indignation et l’opposition des artistes invités, que l’œuvre était purement et simplement censurée. Depuis, j’attends toujours l’appel promis par les responsables de cet événement, pour en savoir plus. Quelques personnes de la Banque mondiale se voient comme les bons servants des peuples misérables, et c’est bien dommage. Qu’est-ce qui compte le plus pour vous ? Continuer à faire ce que je sais faire. Ouvrir de nouvelles portes, sans rentrer dans le confort des certitudes. C’est très difficile de créer des phrases, de se renouveler, lorsqu’on est confronté aux perceptions construites autour de son travail, qui invitent à la répétition. Dans ce champ que représente l’art contemporain, certains – mais pas tous – savent qu’il faut prendre des risques et aller vers l’inconnu. Ce qui me motive, c’est la vie. Partager la légèreté de vivre… Si ce que je propose pouvait permettre une respiration quelconque, alors j’aurais gagné. Je ne veux pas qu’on dise demain que je suis simplement venu décorer le monde. Que signifie l’œuvre que vous avez présentée à Londres pour la dernière édition de la foire 1:54 ? La célébration de toutes les révolutions possibles. Summer Surprise est une structure éclatée qui donne l’impression d’être sans murs. Or, ces derniers sont transparents. Les pavés, eux, ont le même sens, que nous soyons à Ramallah ou Paris. Sauf que je les colore… J’adoucis la tension de l’acte qui consiste à les jeter. Ils s’agrippent à la structure. Le pavé est le portrait de la personne qui l’a jeté. Il demande pourquoi le pouvoir que le citoyen donne à l’institution ne se retourne pas positivement vers eux. Où est donc la liberté ? Je détourne la banalité, pour donner corps, profondeur et poésie à une forme. Je rêve… Peutêtre deviendrai-je cet homme qui pourra un jour se promener dans le grand jardin du monde, sans avoir à éviter ses épines ni ses ronces. ■ 65


LE DOCUMENT présenté par Hedi Dahmani

À tombeau ouvert

« Ministre de l’Information » des Black Panthers, Eldridge Cleaver, au passé de jeune délinquant, s’est trouvé immergé au carrefour des années 60, entre droits civiques, rêves politiques et utopies sans lendemains. Un livre* retrace une vie méconnue, brûlée par les deux bouts.

Eldridge Cleaver - Vies et morts d’une Panthère noire, par Régis Dubois, 210 p., Afromundi éditions (2017). 66

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BRUNO BARBEY / MAGNUM PHOTOS

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n road movie digne de Tarantino. Et une destinée qui semble échapper à toute logique tant Eldridge Cleaver aura pris malin plaisir à effectuer des virages à 180°. Natif de l’Arkansas, l’adolescent grandit à Los Angeles où il s’adonne au trafic de drogue. Premier séjour en prison à l’âge de 18 ans. Cinq ans plus tard, le voilà condamné pour viol et tentatives de meurtres. Une fois libéré en 1966, il rejoint le Black Panther Party (BPP) dont il deviendra l’une des figures mythiques. Investi « ministre de l’Information » du mouvement, il tente de se présenter à l’élection présidentielle. Mais accusé d’avoir préparé le meurtre d’un policier, il disparaît. On le retrouve à Cuba, il réapparaît ensuite à Alger. Là, le maoïste, converti à l’islam durant son séjour en prison, qui se réclame de Frantz Fanon et du communisme révolutionnaire, s’adonne au trafic de voitures. Puis il gagne Paris où, bien que recherché, il obtient des papiers sur intervention de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances. Il y devient styliste. Trop beau pour être vrai ? Et pourtant… Au tournant des années 80, revenu aux États-Unis, le gauchiste radical rejoint le parti républicain de Ronald Reagan. Puis sombre dans la drogue, devient chrétien évangéliste et finit par rejoindre la secte Moon… Régis Dubois, spécialiste de la culture pop noire américaine, nous livre ici le condensé et les contradictions d’une figure de cette époque. À dévorer comme un film. ■

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À Alger, au Festival culturel panafricain de 1969.

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LE DOCUMENT

Extraits Résumé des chapitres précédents : Eldridge Cleaver, ministre de l’Information des Black Panthers, accusé de tentative de meurtre d’un policier à Oakland (Californie), trouve refuge à Cuba. Mais ne s’y sentant plus en sécurité, il gagne clandestinement l’Afrique du Nord…

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Chapitre XIV Exilé politique Début juin 1969, Cleaver fut escorté sous une fausse identité jusqu’à Alger, via la Tunisie, par un diplomate cubain. Il était censé être en transit, en route pour la Jordanie, mais il décida de rester. À cela au moins trois bonnes raisons : l’Algérie était le pays d’adoption du Martiniquais Frantz Fanon, l’auteur des Damnés de la terre – la « Bible noire » des Black Panthers – qui avait consacré sa vie à l’indépendance de cette ancienne colonie française. Qui plus est, le régime algérien se revendiquait du modèle socialiste – et, comme le cubain, reposait concrètement sur un parti unique – et faisait figure de chef de file des pays africains non-alignés. Enfin, depuis la guerre des Six Jours, l’État militaire avait coupé ses liens diplomatiques avec les USA et Eldridge ne risquait donc pas d’être extradé. Mais très vite, il se retrouva dans une situation encore plus délicate qu’à La Havane. Les autorités du pays ignoraient sa présence sur son sol. Il faisait donc figure de clandestin et devait se faire discret. Quand il sortait dans la casbah, il rasait les murs et ne se baladait jamais sans un revolver caché sous son dashiki – il n’était en effet pas exclu que la CIA soit sur ses traces et tente de l’assassiner. Seul point positif, Kathleen le rejoignit aussitôt, enceinte de sept mois, escortée par Emory Douglas, l’illustrateur du BPP avec qui Eldridge avait collaboré sur le journal en 1967-1968. […] 68

Mais les jours passant, leur situation commença à s’améliorer. Un important festival culturel et international était programmé pour la fin juillet à Alger. Grâce à des relations, Eldridge put être inscrit sur la liste des invités en tant que représentant des Black Panthers. Le 17 juillet, il fit ainsi sa première apparition publique depuis son départ des États-Unis, huit mois auparavant, à l’occasion d’une conférence de presse organisée à Alger. Le 21 juillet, alors que Neil Armstrong marchait sur la Lune, s’ouvrait le Festival culturel panafricain, premier rassemblement anticolonialiste d’envergure qui réunit des artistes du monde entier dont la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba – par ailleurs épouse de Stokely Carmichael qui l’accompagnait pour l’occasion –, le saxophoniste camerounais Manu Dibango ou le réalisateur sénégalais Sembene Ousmane, mais aussi de nombreux Afro-Américains dont Nina Simone, Barry White ou le jazzman Archie Shepp. Eldridge fut pour l’occasion autorisé à installer un « Centre d’information afro-américain » en plein centre-ville durant toute la durée du Festival. Ce pavillon reconverti en vitrine du Parti des Panthères noires eut un grand succès. En plus d’une exposition des œuvres d’Emory Douglas, le centre proposa des conférences dont une table ronde sur « la culture américaine » avec Emory Douglas, Eldridge Cleaver, Nathan Hare, Ed Bullins & Ted Joans. Ainsi, le « Panaf » permit-il à Eldridge de sortir de l’ombre et du silence, mais aussi de son isolement : il retrouva d’anciennes connaissances, et en particulier des membres du BPP – dont David Hilliard qui fit le déplacement depuis Oakland pour s’entretenir avec lui de l’avenir du Parti – et rencontra de nombreuses personnalités du tiers-monde, parmi lesquels Amilcar Cabral, Léopold Sédar Senghor ou Yasser Arafat du Fatah palestinien avec qui il noua des liens. […] AFRIQUE MAGAZINE

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En attendant, à Alger même, il demeurait relativement isolé et il lui faudra encore attendre six mois et le printemps 1970 pour enfin obtenir un statut officiel d’exilé politique, avec papiers d’identité et visa pour les siens. Le Black Panther Party accédait ainsi à une reconnaissance internationale, ce qui n’était pas rien dans ce contexte de guerre froide et d’enlisement des USA au Sud Vietnam. Grâce à l’appui du Gouvernement provisoire du Vietnam justement – très au fait des mouvements de contestation en cours aux États-Unis – les Panthères d’Alger obtinrent de s’installer dans les locaux de l’ancienne ambassade vietnamienne qui, en l’absence d’une représentation diplomatique des États-Unis, deviendrait une sorte d’« ambassade du peuple noir d’Amérique » lorsque serait officiellement créée, en septembre, la Section Internationale du BPP.

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Chapitre XVI Chef de gang Dans Soul on Fire, Eldridge raconta comment à Alger il organisa des trafics de passeports et de visas afin de renflouer les caisses de son organisation. En quatre ans passés dans la capitale algérienne, confiera-t-il, ils avaient ainsi amassé plusieurs milliers de dollars. Puis ce sera le trafic de voitures en provenance de toute l’Europe qu’ils faisaient transiter par Marseille et vendaient ensuite aux pays africains limitrophes. Il faut dire que les Panthers de la Section Internationale manquaient cruellement d’argent depuis que le Département d’État américain avait confisqué les droits d’auteur de Cleaver en vertu d’une loi qui interdisait tout « commerce avec l’ennemi », droits d’auteur qui constituaient l’essentiel des revenus des Cleaver mais aussi de l’organisation. Et malgré la pension de cinq cents dollars mensuelle allouée gracieusement par le gouvernement algérien à AFRIQUE MAGAZINE

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chaque Panther, ils ne s’en sortaient quand même pas. C’est la raison pour laquelle Eldridge ne trouva rien de mieux que de mettre en place une véritable petite organisation criminelle formée de sa garde de panthères exilées, renouant ainsi avec les bons vieux réflexes de son adolescence. Il s’était toujours senti proche des gars du ghetto, et encore plus de ceux qui avaient connu comme lui les maisons de redressement et la prison. Ce n’est pas pour rien qu’il avait choisi Bunchy Carter comme témoin à son mariage, Carter qui avait été dans sa jeunesse un important chef de gang de Los Angeles avant d’être enfermé à Soledad pour braquage. Pas pour rien non plus qu’il avait pris pour garde du corps William Lee Brent incarcéré de 1955 à 1962 au pénitencier de San Quentin pour vol à main armée. Eldridge avait la prison dans la peau, c’est là qu’il avait grandi et appris tout ce qu’il savait, là qu’il avait acquis ses réflexes de survie et son mode de communication. […] Rien d’étonnant dès lors à ce qu’à Alger, sans argent et entouré de fugitifs recherchés par la justice, il ne forme un véritable gang. Celui-ci était composé de Donald L. Cox (arrivé en mars 1970), un Panther d’Oakland de la première heure accusé d’avoir tué un informateur de la police ; de Pete O’Neal (arrivé en avril 1970), un Black Panther de Kansas City recherché pour port illégal d’arme ; et de quatre Panthers 21 de New York accusés d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes : Sekou Odinga, Larry Mack, Michael « Cetewayo » Tabor et Richard Moore (arrivés via des détournements d’avion en 19701971). Tous furent accompagnés ou rejoints par leurs femmes qui pour la plupart étaient aussi des membres des Panthers, dont Charlotte Hill O’Neal, Barbara Easley-Cox et Connie Matthews, ex-secrétaire personnelle de Newton. […] Mais revenons à Alger au début des années soixante-dix. Lorsque le vétéran du Vietnam Roger 69


LE DOCUMENT

Holder et sa compagne blanche Cathy Kerkow arrivèrent en juin 1972 à bord d’un avion détourné, avec une rançon de cinq cent mille dollars dans un attaché-case, ils furent accueillis par un Cleaver surtout intéressé par leurs billets verts. Même son de cloche de la part des cinq pirates de Détroit qui atterrirent le mois suivant avec une rondelette somme d’un million de dollars. Tous pensaient trouver une organisation politique d’envergure et un leader charismatique, mais ils ne rencontrèrent concrètement qu’une bande de pieds nickelés qui en voulait surtout à leur argent. Le problème cependant fut qu’à chaque fois le gouvernement algérien avait saisi la rançon des pirates à l’instant même où ils avaient foulé le tarmac. Au départ les Panthers pensaient qu’elle leur serait remise, mais finalement, afin d’éviter des imbroglios diplomatiques avec le gouvernement américain à qui il espérait vendre son pétrole, Boumédiène restitua l’intégralité des rançons à qui de droit. Eldridge était fou de rage. Kathleen expliqua alors à une journaliste américaine : Nous sommes criblés de dettes. Notre facture téléphonique pour février-avril s’élève à cinq mille dollars, et pour avril-juin à trois mille dollars. Nous ne pouvons pas payer ces factures. Nous louons quatre maisons et sommes en retard sur les loyers. Tous nos fonds partent en frais vestimentaires, médicaux et alimentaires pour huit familles et sept enfants. Vous vous imaginez ce que ça coûte. Cleaver décida alors d’écrire une lettre ouverte au Président Boumédiène après que ses nombreuses requêtes pour récupérer les rançons furent restées lettres mortes. Après avoir loué la haute stature militaire et politique du « Camarade Boumédiène », ainsi que l’hospitalité du peuple algérien, Cleaver concluait un peu abruptement sa lettre par : Afin de mener à bien notre bataille visant à la libération de nos peuples, il nous faut – ainsi que 70

tout révolutionnaire combattant pour la paix peut le comprendre – des finances. Il n’y a pas de « si », de « et » ou de « mais » qui tiennent […] Le peuple afro-américain ne demande pas au peuple algérien de combattre en son nom. En revanche il demande au gouvernement algérien de ne pas faire le jeu du gouvernement américain […] Il ne faudrait pas qu’on pense que l’Algérie a tourné le dos à la lutte du peuple afro-américain. L’effet de cette déclaration publique fut on ne peut plus désastreux. Elle fut ni plus ni moins perçue par tous les Algériens comme une insulte au Président Boumédiène. Dès lors la présence des Panthères sur le sol algérien n’était plus vraiment souhaitée. Le lendemain, des militaires firent une descente dans le local de la Section Internationale et embarquèrent tout, téléphones, machines à écrire et AK-47. Des Panthers furent interrogés – et en particulier Eldridge et Kathleen, convoqués dans les bureaux des renseignements généraux par Salah Hidjeb, aussi connu sous le patronyme de Salah Vespa, dont la réputation de tueur n’était plus à faire – et tous furent assignés à domicile. Cela commençait à sentir mauvais. Nul doute que Boumédiène, connu pour son autoritarisme, pouvait très bien les faire disparaître du jour au lendemain s’il le désirait. C’est ainsi que peu à peu la Section Internationale se disloqua. Les Algériens les regardaient dorénavant de travers et les diplomates communistes ne les invitaient plus pour ne pas froisser leur allié Boumédiène. Peu à peu tous quittèrent le pays. Ce fut d’abord le cas de Larry Mack et Sekou Odinga qui gagnèrent l’Égypte en septembre 1972, puis de Pete O’Neal qui s’éclipsa vers la Tanzanie. Pressentant de son côté que Boumédiène était prêt à les livrer aux Américains lorsqu’une visite d’Henri Kissinger à Alger fut annoncée, Cleaver quitta à son tour discrètement le pays à bord d’une Renault 16, le jour de l’an 1972, en direction de la Tunisie et à destination de la France. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

CAMEROUN

LES CLÉS DE L’ÉMERGENCE

PRÉSIDENCE DU CAMEROUN

Les grands projets se concrétisent et l’unité du pays est plus que jamais prioritaire. Objectif : répondre aux défis de la croissance et valoriser les talents nationaux.

D O S S I E R D I R I G É PA R E M M A N U E L L E P O N T I É - R É A L I S É PA R F R A N Ç O I S B A M B O U


DÉCOUVERTE/Cameroun

Sur le fleuve Wouri, l’ouverture du second pont a permis de fluidifier la circulation entre les deux berges.

L’avenir dès… aujourd’hui par François Bambou

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n grand soulagement. En ce début du mois d’octobre, la population de Douala, capitale économique construite sur les deux berges du Wouri, respire. Pour mettre fin aux embouteillages lors de la traversée du fleuve, le gouvernement a décidé d’ouvrir le second pont sur le Wouri à la circulation, soit un mois avant la date prévue. Lancé le 14 novembre 2014 par Paul Biya, qui en a posé la première pierre, la construction de cet ouvrage d’art de 752 m de long aura duré trois ans. Le pont routier de 2 x 3 voies a une largeur de 25,5 m, tandis que l’ouvrage ferroviaire, large AFRIQUE MAGAZINE

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VICTOR ZEBAZE

Le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) et le plan d’urgence voulus par le chef de l’État posent les bases de l’ambitieuse « Vision 2035 ».


l’intérieur de notre ville. L’autre grand chantier, c’est celui de l’assainissement, un enjeu fondamental pour la viabilisation de cette métropole qui est quasiment au niveau de l’océan. Depuis le début de l’année 2015, nous avons pour ce cas 105 milliards de francs CFA à investir dans la construction de 44 km linéaires de drains ». Cette dynamique de modernisation des infrastructures est perceptible à travers tout le pays, avec des affectations budgétaires à la hauteur des ambitions. Rien qu’à Douala, le schéma directeur d’aménagement urbain à l’horizon 2025 est chiffré à 1 500 milliards. Et plusieurs autres villes du pays, y compris des chefs-lieux de département, bénéficient désormais des financements dédiés à la mise à niveau des systèmes de voiries et d’assainissement. Les effets de cet effort de modernisation du cadre de vie en milieu urbain sont déjà visibles à Yaoundé, avec ses rues refaites, éclairées, ses jardins publics… Certes, sur le plan des routes, le pays s’active pour rattraper un important retard, dû à la pénurie d’investissements pendant les années de crise économique. Pour résorber ce déficit en infrastructures et renforcer l’offre d’énergie afin que le Cameroun accède aux fondamentaux nécessaires au statut de pays émergent à l’horizon 2035, le gouvernement a élaboré un Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE), devant couvrir la première séquence 2010-2020. À l’évaluation, la mise en œuvre des grandes articulations de cette stratégie a permis de doter le pays d’un tissu d’infrastructures modernes appelées à être densifiées.

de 10,10 m, permet à terme de bénéficier de deux voies de chemin de fer, une seule étant déjà posée pour le moment. Cet ouvrage colossal et futuriste, qui transforme le visage de la ville, est à la dimension des entrées est et ouest de Douala, larges voies rapides comprenant des échangeurs et giratoires destinés à éliminer tout conflit dans la circulation pour les véhicules allant vers Yaoundé ou vers les régions de l’ouest et du sud-ouest. Pour Fritz Ntone Ntone, délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, « ces voies et plusieurs autres qui sont en travaux dans la cité auront pour vertu de fluidifier le trafic vers et à AFRIQUE MAGAZINE

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relever le niveau de vie Comme l’explique le ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, Louis Paul Motaze, « le DSCE est la première phase de la “Vision 2035”, avec une emphase sur les grands projets structurants. Il met l’accent sur la création de la richesse durable et inclusive, de nature à améliorer structurellement notre économie, en offrant de meilleures conditions pour un véritable essor des investissements privés et relever le niveau de vie des populations ». Dans les détails, on note que le port ultramoderne de Kribi a été construit, équipé et mis en concession avec l’un des meilleurs tirants d’eau du golfe de Guinée. Dans le domaine du transport terrestre, environ 2 000 km de routes nationales, départementales, et urbaines ont été bitumées, et des ouvrages majeurs tels que le second pont sur le Wouri et les autoroutes ouest et est de Douala sont quasiment achevés, de même que la section située en rase campagne de l’autoroute devant relier l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen au centre de la capitale. Dans ces deux villes, quelque 2 500 logements sociaux ont déjà été mis à disposition. Avec pour objectif d’atteindre 10 000 habitations 73


Louis Paul Motaze, ministre de l’Économie, de la planification et de l’aménagement du territoire.

dans trois ans. Dans le domaine de l’énergie, la construction de nouveaux barrages hydroélectriques et de centrales thermiques a déjà permis l’installation d’environ 750 MW de nouvelles capacités de production d’énergie électrique. Dans le domaine des infrastructures numériques, le gouvernement a lancé un maillage de l’ensemble du territoire avec la fibre optique. Sur certains aspects où la mise en œuvre des projets structurants n’est pas allée au rythme souhaité, Paul Biya a lancé en 2015 le Plan d’urgence triennal pour l’accélération de la croissance (PLANUT), qui concerne les domaines prioritaires tels que la santé avec la construction des hôpitaux de référence dans les chefs-lieux de huit régions, et la réhabilitation des plateaux techniques des hôpitaux généraux de Yaoundé et de Douala, ainsi que le centre hospitalier et universitaire de Yaoundé. La composante « énergie » de ce plan vise la remise à neuf du réseau de transports d’électricité depuis les centrales jusque dans les pôles urbains pour limiter les pertes. une plaque tournante régionale Le secteur agricole verra quant à lui se mettre en place un programme spécial de distribution de semences, d’engrais et d’équipements, en fonction des zones écologiques, et de la construction d’abattoirs frigorifiques modernes dans les principales villes du pays. Les routes bénéficient d’une importante dotation dans le PLANUT, car chaque région dispose de deux axes routiers majeurs qui vont désenclaver les bassins de production. Cette ouverture des zones rurales les connecte aux pôles urbains pour faciliter l’écoulement des produits agricoles. Le taux d’électrification des populations des zones rurales s’est aussi amélioré, la construction des barrages hydroélectriques à Lom Pangar, Memve’ele et Mekin ayant facilité le développement florissant de la pêche, l’élevage et le petit commerce. Outre la construction de 100 logements sociaux dans les capitales régionales, et de postes supplémentaires de gendarmerie et de police à 74

Yaoundé et Douala, ce plan prévoit aussi l’installation de moyens d’adduction d’eau dans 30 villes secondaires et le forage de 100 puits par région. Fin 2017, la plupart des ouvrages de ce plan d’urgence seront livrés. Pour le chef de l’État, l’accomplissement de ces projets malgré le contexte de crise vise à doper les capacités du pays à exporter vers les marchés voisins, et à créer les conditions du développement d’un tissu industriel performant, étape ultime du programme d’émergence. Il s’en est d’ailleurs longuement expliqué, lors de son message de vœux à la nation le 31 décembre dernier : « Malgré le poids des dépenses de sécurité, le gouvernement n’a pas relâché ses efforts pour favoriser la croissance de notre économie », avait alors indiqué le président, citant notamment les grands projets énergétiques déjà aboutis, qui ont vocation à réduire la fracture énergétique et mettre fin aux délestages. Il annonçait d’ailleurs, toujours dans le secteur énergétique, d’autres grands chantiers, comme les centrales de Bini à Warak, Menchum, Song Dong et Nachtigal, qui vont compléter le programme et faire du Cameroun un pays exportateur net d’électricité. Au-delà du secteur vital de l’énergie, Paul Biya a également annoncé : « Un vaste programme de construction ou de réhabilitation de routes est en cours d’exécution à travers tout le pays. […] À plus long terme, nous envisageons la création d’un réseau routier et ferroviaire à vocation inter-régionale pour faciliter l’accès à nos gisements miniers et stimuler nos échanges avec les pays voisins. Le Cameroun se trouve à la jonction des deux grands ensembles économiques d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Pourquoi n’ambitionnerait-il pas de devenir cette plaque tournante à laquelle la géographie le prédispose ? Le développement de notre capacité énergétique et l’extension de notre réseau routier ont pour finalité principale la création des conditions optimales pour l’industrialisation de notre pays. Celle-ci est notre grand défi des prochaines décennies. » Dans cette optique de l’édification d’une nation émergente dont l’économie est basée sur une agriculture dynamique et une industrie performante orientée vers la transformation de ses produits agraires, le Cameroun a adopté cette année un nouveau plan directeur d’industrialisation baptisé « Cameroun, usine de la nouvelle Afrique industrielle », qui fixe les secteurs prioritaires et indique la méthodologie devant guider la mise en place de ce plan directeur. Comme l’explique Ernest Ngwaboubou, ministre de l’industrie et du développement technologique, ce PDI est appelé à traduire dans la réalité l’ambition de faire du Cameroun un pays émergent en 2035, une boussole de l’action gouvernementale pour assurer de manière rationnelle, l’industrialisation du pays. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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SOPECAN JEAN-CYRILLE NGBWA

DÉCOUVERTE/Cameroun


Le 1er octobre, à Yaoundé, une grande marche du RDPC a appelé à l’union.

Dialoguer, pour résoudre la crise anglophone La détermination violente de certains leaders syndicaux et politiques a encouragé des velléités séparatistes. Une situation que Yaoundé a choisi de régler en créant un cadre d’échanges pour favoriser l’indispensable unité.

VICTOR ZEBAZE

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e suis franglophone. » Avec la touche d’humour qu’on lui connaît, le « Kardinal Aristide 1er » (de son vrai nom Aristide Betnga Yankoua), comique camerounais réputé pour son goût prononcé de la satire, réussit encore à faire sourire au sujet de la pourtant sérieuse crise anglophone. Pourtant, ces derniers mois, la société a traversé des moments de tension inattendue, qui ont culminé le 1er octobre 2017 – date de la proclamation symbolique de l’indépendance des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest –, entraînant des heurts meurtriers entre sécessionnistes et forces de l’ordre. Ce qui apparaît aujourd’hui comme l’une des crises sociopolitiques les plus graves de l’histoire post-indépendance du Cameroun a commencé il y a un an par des revendications essentiellement corporatistes exprimées par des enseignants et avocats originaires des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. « Le gouvernement de la République a, dès le début de ces événements, privilégié le dialogue à travers

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la création de plateformes où les problèmes corporatistes étaient posés. Mais il s’est avéré par la suite que les combats légitimes des avocats et enseignants anglophones ont été récupérés et travestis en manœuvres politiques afin d’obtenir le changement de la forme de l’État et même la partition du Cameroun », peut-on lire dans une note explicative du gouvernement sur la crise anglophone. Au commencement, le 10 octobre 2016, les avocats anglophones manifestaient leur ras-le-bol de ne pas disposer de la version anglaise des actes uniformes OHADA sur le droit des affaires. Ils refusent notamment que le code civil francophone soit appliqué dans les juridictions de leurs régions. Quant aux enseignants anglophones qui ont lancé leurs mouvements de grève quasiment à la même période, ils protestaient contre l’absence de prise en compte des particularismes de l’héritage colonial anglo-saxon dans le système éducatif en vigueur dans les deux régions concernées. Dès le 8 novembre, le Premier ministre Philémon 75


DÉCOUVERTE/Cameroun

Dépêché par Paul Biya, Philémon Yang, le Premier ministre, est en première ligne avec les interlocuteurs anglophones.

au redéploiement des magistrats en tenant compte de leur maîtrise de la langue officielle la plus usitée dans les régions d’affectation. Il y a également eu la création d’une faculté de sciences juridiques et politiques à Buéa, de départements d’English Law dans les universités publiques situées dans les régions francophones, ainsi que d’une section de la Common Law à l’ENAM. Quant aux enseignants anglophones dont les revendications sont passées de 11 à 18 puis à 21 au fur et à mesure qu’elles étaient satisfaites, comme le rapporte le professeur Paul Ghogomu Mingo, directeur de cabinet du Premier ministre, ils n’ont toujours pas appelé à la reprise des cours. Leurs revendications du début ont servi de catalyseur aux récriminations d’une frange plus large des ressortissants des deux régions anglophones, composant 20 % de la population. Globalement, celles-ci se plaignent d’être marginalisées par le pouvoir central, et deviennent des cibles faciles pour les mouvements séparatistes, dont certains n’ont jamais abandonné le rêve de créer un État anglophone 76

indépendant. Depuis quelques mois, les revendications corporatistes laissent définitivement place aux problèmes politiques, portés par une aile dure, en partie basée à l’étranger. Sur les réseaux sociaux, les activistes diffusent des informations à profusion, souvent assorties de manipulations d’images. Des images d’enfants brutalisés par des hordes de jeunes violents font le tour de Facebook et de WhatsApp, de même que des messages audio de menaces adressés à quiconque enverrait ses enfants à l’école, ou à ceux qui voudraient ouvrir leur commerce. halte à l’escalade des tensions Une situation qui inquiète les missions diplomatiques. Le ministre des Relations extérieures LeJeune Mbella Mbella a reçu les ambassadeurs pour leur dresser l’état des lieux sur la situation. Suite aux violences du 22 septembre et en prévision de la « proclamation d’indépendance » annoncée par certains activistes, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait rappelé la position de l’instance internationale, soulignant « l’importance de faire prévaloir l’unité et l’intégralité territoriale du Cameroun et enjoint toutes les parties à s’abstenir d’actes susceptibles de mener à une escalade des tensions et de la violence. Le Secrétaire général est convaincu qu’un dialogue véritable et inclusif entre le gouvernement et les communautés des régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest est le meilleur moyen de préserver l’unité et la stabilité du pays ». Un désaveu pour les sécessionnistes. Paul Biya a choisi la solution du dialogue, sous la forme d’échanges directs entre les élites anglophones et les populations des deux régions. Il a demandé au Premier ministre Philémon Yang, anglophone du Nord-Ouest, d’organiser des délégations d’élites pour rendre visite aux populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, afin de leur porter le message de paix du président de la République et encourager au retour de la normalité. « Ces délégations vont mener un dialogue constructif avec les populations », annonçait un communiqué du Premier ministre. Ces échanges ont commencé le 15 octobre et les élites politiques et administratives anglophones sont allées au contact des populations concernées. Sur le terrain, Philémon Yang a reçu jusqu’aux associations de vendeurs à la sauvette ou de moto-taxi pour recueillir leurs propositions. Un dialogue qui a permis aux populations d’exprimer une attente majeure qui pourrait être la clé de sortie de la crise : la mise en œuvre de la décentralisation telles que prévue par la Constitution de 1996, et qui donne à chaque région du pays une forme d’autonomie administrative et financière. ■ F.B. AFRIQUE MAGAZINE

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WANG ZHAO/AP/SIPA

Yang a mis en place un comité interministériel « chargé d’examiner et de proposer des solutions aux préoccupations soulevées par les syndicats des enseignants », tandis que parallèlement, le ministre de la Justice engageait des discussions avec les avocats. Un an plus tard, la crise est dans l’impasse : l’enseignement n’a pas repris dans les deux régions concernées, pas plus que les plaidoiries des avocats dans les tribunaux. Pourtant, le président de la République a ordonné une modification du fonctionnement de la Cour suprême, pour y intégrer la section de la Common Law. Il a en outre demandé une nouvelle évaluation de la maîtrise de la Common Law par les magistrats en service dans les cours d’appel du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. De quoi aboutir


Il était une fois la réunification Partagées entre Français et Britanniques après la Première Guerre mondiale, les deux parties du pays ont pu se resouder grâce à la lutte audacieuse des jeunes élites intellectuelles.

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e 1er octobre 1961 est un jour historique. Un jour de grand bonheur pour tous les Camerounais. Après quarante-deux ans d’incertitudes et de vicissitudes, des frères, longtemps séparés, qui n’ont jamais cessé de se rechercher, se trouvent enfin réunis… et réunis pour toujours. Le 1er octobre 1961, jour de la renaissance du grand Cameroun, est un jour de gloire immense pour notre pays. » Ainsi parlait Paul Biya lors de la célébration du cinquantenaire de la réunification des deux parties du Cameroun, divisées au lendemain de la défaite allemande à l’issue de la Première Guerre mondiale. En ratifiant le traité de Versailles le 28 juin 1919, l’Allemagne renonce à tous ses droits sur le Cameroun qui est alors partagé par la Société des nations (la SDN, ancêtre de l’ONU) entre la France et la Grande-Bretagne, cette dernière héritant de la partie frontalière avec le Nigeria déjà sous contrôle. Mais déjà, les jeunes intellectuels camerounais, francophones ou anglophones ne rêvent que de reconstituer les pays dans ses frontières avant même l’indépendance. Les élèves et étudiants camerounais, pour la plupart éparpillés au Nigeria, créent le 27 mars 1940 la Cameroons Youth League (CYL) pour porter leur désir de retrouver leurs frères placés sous tutelle française. En mai 1949, l’évolution de la conscience politique locale est matérialisée par la création, sous l’impulsion du Dr Emmanuel Mbela Lifate Endeley, du premier parti politique, dénommé Cameroons National Federation (CNF), qui milite pour la réunification. Certains lieutenants du Dr Endeley, qui NE le jugent pas assez radical sur cette question, décident de le quitter pour fonder leur propre formation politique. C’est ainsi que R.K. Dibongué et N.N. Mbile, deux dissidents du CNF, fondent le Kamerun United National Congress (KUNC), avec pour objectif la restauration du « grand Kamerun » du temps de l’empire colonial allemand. « Nous voulons que le Cameroun britannique et le Cameroun français se réunissent comme sous le règne de l’Allemagne. D’où l’adoption de l’orthographe allemande Kamerun », indique alors leur manifeste. En 1953, une fusion entre le CNF du Dr. Emmanuel Endeley, et le Kamerun United National Congress des dissidents, va engendrer le Kamerun National

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Congrès (KNC), qui remportera les élections de 1953, faisant de Endeley le leader du tout premier gouvernement autonome, non annexé au Nigeria. Un référendum est organisé le 11 février 1961 pour départager les « pro » et « anti » rattachement au Nigeria. À l’issue de ce vote, la zone septentrionale se prononce pour le rattachement, tandis que la méridionale (les actuelles régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest) vote pour le rattachement au Cameroun oriental « francophone ». un état « un et indivisible » Dans l’intervalle, le Cameroun francophone a acquis son indépendance le 1er janvier 1960. L’impatience de voir les deux parties du pays à nouveau réunies gagne. Dans la perspective de cette autonomie du versant anglophone, les acteurs politiques des deux Cameroun se rencontrent de manière formelle à Bamenda, Foumban et Yaoundé, en juin, juillet et août 1961 avec, à leur tête, le président du Cameroun francophone, Ahmadou Ahidjo, et le premier Ministre du Cameroun Anglophone, John Ngu Foncha, pour peaufiner les clauses de la réunification. C’est surtout lors de la conférence de Foumban du 17 au 21 juillet 1961, que l’essentiel des modalités de cette opération est arrêté, avec le projet de Constitution. Ce nouveau texte fut adopté par l’Assemblée nationale du Cameroun francophone lors de sa session extraordinaire tenue à Yaoundé du 10 au 14 août 1961 puis par la Chambre des élus du Cameroun méridional sous tutelle britannique. Le 1er septembre 1961, la Constitution de la République fédérale du Cameroun est promulguée. Le 1er octobre de la même année, l’indépendance du Cameroun anglophone est proclamée, et la réunification des deux Cameroun est aussitôt actée. Pour autant, l’élan vers la reconstitution d’un Cameroun « un et indivisible » ne s’arrête pas et dès 1972, un référendum est organisé pour supprimer la forme fédérale et instaurer un État unitaire. Ce sera fait le 20 mai, désormais jour de la fête nationale. Une date qui a le mérite d’annuler tout débat sur la célébration de l’indépendance du Cameroun francophone le 1er janvier, et celle du Cameroun anglophone le 1er octobre ! ■ F.B.

La vision de pionniers, tel Emmanuel Endeley, a créé l’impulsion nécessaire au rassemblement.

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Avec une circulation fluidifiée, la zone industrielle de Bonabéri (Douala) se prépare à un regain d’activités.

Grands projets : une véritable transformation

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es négociations entre le Cameroun et le Fonds monétaire international (FMI) en vue de la signature d’un nouvel accord triennal n’auront pas été simples. Quelques divergences de fond subsistaient quant à l’opportunité ou non de poursuivre l’ambitieux programme d’infrastructures engagé par le Cameroun dans le cadre de sa marche vers l’émergence. Pour l’institution, il faudrait mettre un bémol aux ambitions du Cameroun dans le domaine des infrastructures, car la chute des cours internationaux des matières premières ont réduit les ressources de l’État. De plus, la guerre contre les terroristes de Boko Haram dans l’Extrême-Nord nécessite une nouvelle affectation de ressources dans le domaine de la sécurité. Un message déjà énoncé par Christine Lagarde, la directrice générale du FMI lors de sa visite au Cameroun, a qui a été répété

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avec insistance par Mitsuhiro Furusawa, le directeur général adjoint du FMI, le 15 septembre dernier à Yaoundé : « L’économie camerounaise étant la plus diversifiée de la région de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), elle s’est avérée plus résiliente. Mais du fait des grands projets dans les infrastructures et de l’augmentation des dépenses de sécurité, les réserves budgétaires et extérieures diminuent rapidement. L’an dernier, votre pays a fait face à un ralentissement de la croissance, à une aggravation des déséquilibres budgétaires et extérieurs, ainsi qu’à une augmentation rapide de la dette publique », expliquait l’économiste face à un imposant parterre de membres du gouvernement. Il ajoutait que « la santé économique du Cameroun est relativement meilleure que celle de ses voisins, mais il n’en est pas moins essentiel AFRIQUE MAGAZINE

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Malgré les obstacles, l’État est déterminé à mettre en œuvre son programme d’investissements dans les infrastructures.


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Christine Lagarde, directrice générale du FMI, au Palais d’Etoudi, le 7 janvier 2016.

de poursuivre les réformes ». Le gouvernement a donc opté pour un redimensionnement du portefeuille des projets pour les ajuster à la capacité d’absorption des financements extérieurs. Il s’agit pour les autorités de mener à bien les projets déjà inscrits dans le portefeuille de l’État tout en préparant les grands, ceux de seconde génération. Les experts camerounais soulignent ainsi que ce regain de volontarisme économique sur ces derniers, associé à une politique active d’appuis directs au secteur privé, stimulerait la production à court terme, tout en dopant la demande globale. De quoi augmenter la capacité productive de l’économie dans la durée. Ils s’inspirent d’ailleurs d’autres analyses du Fonds monétaire, selon lesquelles la massification des investissements publics dans les infrastructures donne au PIB une impulsion qui compense l’accroissement de la dette, de sorte que le ratio dette publique/PIB ne progresse pas. améliorer le climat des affaires Car si l’absence d’infrastructures fait perdre des points de croissance au pays, la réalisation des grands projets qui améliorent la performance de l’économie permet également de générer les ressources nécessaires au remboursement des emprunts contractés. C’est le cas, par exemple, du port de Kribi. Dans le cadre de ces projets de AFRIQUE MAGAZINE

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Ces productions permettent également de générer les ressources nécessaires au remboursement des emprunts. seconde génération, les autorités entendent privilégier les engagements productifs avec un accompagnement soutenu des pouvoirs publics, parallèlement à la poursuite des réformes visant l’amélioration du climat des affaires pour faire progressivement de l’investissement privé, un relais du financement public. Si le gouvernement camerounais a tenu à poursuivre son programme de développement des infrastructures, c’est aussi parce qu’à l’analyse, les bonnes performances réalisées par le pays dans ce contexte de crise sont attribuées à la mise en œuvre du volet infrastructures du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE), comme l’explique le ministre de l’Économie, Louis Paul Motaze : « Il y a lieu de reconnaître que depuis 2010, date de mise en œuvre du DSCE, le Cameroun est passé d’une mollesse économique à une certaine vigueur, avec un taux de croissance projeté à 5,9 % cette année. En effet, grâce aux changements et transformations économiques induites 79


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par la mise en œuvre du DSCE, notamment à travers le Programme de grands projets adossés à l’axe stratégique n°1 portant sur le développement des infrastructures, l’économie camerounaise a été plus résiliente face aux divers chocs. » Le ministre cite ainsi des réalités inattendues comme le coût élevé de la guerre contre la secte terroriste Boko Haram ; la conjoncture internationale de moins en moins stable avec notamment la Chine, qui s’emploie à revisiter son modèle économique, la baisse prolongée des cours des matières premières, en l’occurrence le pétrole, et le durcissement des conditions d’emprunt. Des facteurs contraignants auxquels il faut ajouter la persistance des dérèglements climatiques,

surtout dans la région de l’Extrême-Nord, et l’afflux des réfugiés sur le territoire, dont la prise en charge a un coût économique et social lourd pour les pays. C’est pourquoi, insiste Louis Paul Motaze, « conformément à la vision du chef de l’État, nous devrions nous engager dès à présent, au lancement d’un Programme de grands travaux de seconde génération, qui devrait prendre le relais de celui qui est en cours d’achèvement. Nous pensons ici aux projets tels que la construction des lignes ferroviaires conformément au Schéma ferroviaire national approuvé en 2011, du troisième pont sur le Wouri, du port de Limbé, ou encore de la densification de la fibre optique sur tout le territoire national ». ■ F.B.

TROIS EXEMPLES DE RÉALISATIONS MAJEURES Électricité : doper la production

En plus de résorber le déficit intérieur, les infrastructures en cours de réalisation dans le secteur de l’électricité visent à faire du Cameroun un pays exportateur d’énergie. HYDROÉLECTRICITÉ, solaire, centrales thermiques, biomasse. Pas un seul compartiment de la production énergétique n’est négligé par le Cameroun, déterminé à couvrir l’ensemble des besoins des entreprises et des ménages en énergie électrique. Le plus emblématique de ces projets est le barrage de Lom Pangar. Un ouvrage de retenue d’une capacité de 6 milliards de mètres cubes d’eau, dont la construction a été achevée fin 2016 et qui permet de réguler le débit de la Sanaga pour augmenter la capacité de production des centrales existantes comme Édéa et Song Loulou et fournir assez d’eau pour la construction d’autres barrages, comme Nachtigal ou Song Mbengue. Il est en outre prévu l’implantation d’une usine hydroélectrique de pied d’une puissance de 30 MW, dotée de quatre groupes de 7,4 MW chacun. L’énergie produite sera évacuée sur Bertoua par une ligne à haute tension de 90 kV sur environ 120 km, principalement pour alimenter la région de l’Est. Implanté sur le fleuve Ntem, près du village de Nyabizan, le barrage hydroélectrique de Memve’ele offre une puissance installée de 201 MW à injecter dans le réseau interconnecté sud (RIS). La construction du barrage et de ses voies d’accès étant achevée, le gouvernement a commencé cette année l’installation de la ligne d’évacuation d’énergie à 225 kV, d’une longueur d’environ 300 km reliant Nyabizan (poste sortie d’usine) à Yaoundé (poste d’Oyom-Abang), et le poste de transformation et d’interconnexion d’Ebolowa. 80

L’aménagement hydroélectrique de Mekin est également l’un des projets d’infrastructure énergétique prioritaires. Cet ouvrage dont la construction est en cours d’achèvement comprend un barrage-réservoir d’une capacité de 105 millions de mètres cubes d’eau, une usine de pied de 15 MW et une ligne de transport haute tension de 63 kV reliée au réseau interconnecté sud (RIS). Livrée au début de l’année 2013, la centrale thermique à gaz de Kribi a une capacité de 216 MW injectée sur le réseau électrique national à travers une ligne de transport de 225 kV sur 100 km. De quoi alimenter quelque 163 000 ménages, et générer une réserve d’énergie de 50 MW pour Alucam, l’industriel de l’aluminium qui réfléchit à l’extension de ses capacités de production. Au-delà de ces ouvrages, l’ensoleillement généreux du Cameroun a conduit un nombre croissant d’opérateurs à investir dans la production d’énergie propre. Pour sa part, l’État a lancé un projet qui devrait inonder plusieurs villes secondaires en énergie solaire. En novembre 2016, l’entreprise chinoise Huawei a lancé à Ngang, dans la région du Centre, la première séquence du projet de l’électrification de 1 000 localités par énergie solaire photovoltaïque à travers le pays.

L’habitat social sort de terre Le programme des logements à prix modérés produit ses premières œuvres.

POUR couvrir les besoins en logements, le chef de l’État a lancé la construction de 10 000 unités et l’aménagement de 50 000 parcelles. Selon Jean-Claude Mbwentchou, ministre de l’Habitat et du développement Urbain, 4 500 d’entre eux sont déjà achevés à Yaoundé et Douala. AFRIQUE MAGAZINE

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Kribi : le port le plus compétitif du golfe de Guinée La construction du port en eau profonde est achevée et ses équipements de manutention installés.

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Les habitats de Mbanga-Bakoko (Douala) seront bientôt achevés. Le ministre cite aussi les 1 675 logements sociaux dont la construction a été confiée aux PME nationales, et qui se déploient à Yaoundé sur le site d’Olembé et à Douala sur celui de Mbanga-Bakoko, réalisés à 60 %. Le programme mis en œuvre par la société chinoise Shenyang pour la construction de 1 500 logements, est entièrement achevé dans les villes de Yaoundé (660 unités), Douala (660 unités), Limbé, Bafoussam, Bamenda et Sangmélima, où 50 habitations ont été construites dans chacune de ces localités. Pour ce qui est du projet de construction de 32 immeubles de 640 logements à Yaoundé dans la zone d’Olembé, par la firme suisse Coffor CEMAC S.A., le ministre estime le taux d’avancement des travaux à 25 %. D’ici à l’année prochaine, assure-t-il, les 800 logements prévus dans le plan d’urgence triennal seront achevés. Pour rendre ces habitations accessibles au plus grand nombre, l’État a pris en charge le foncier, les études, les aménagements des voiries et le raccordement des réseaux des concessionnaires en plus d’une subvention spéciale sur les coûts de construction, décidée par le chef de l’État, de l’ordre de 40 %. « Le coût des logements produits avec la coopération chinoise et dans le cadre du plan d’urgence, sera très abordable », indique le ministre, qui confirme que l’aménagement des 50 000 parcelles constructibles par la Maetur se poursuit. Le programme de 10 000 unités doit s’étendre dans d’autres villes industrielles (Edéa, Kribi, Limbé), universitaires (Soa, Dschang, Bangangté, Ngaoundéré et Maroua) et des chefs-lieux de départements (Bafia, Batouri, Nkongsamba, Kousséri, Sangmélima et Kumba). En outre, le gouvernement a signé avec la société italienne Pizzarotti, pour la mise en œuvre d’une phase expérimentale de construction de 1 000 logements à Mbankomo dans la banlieue de Yaoundé, tandis que la firme chinoise (Shenyang) devrait produire 3 200 nouvelles unités à Yaoundé et Douala. AFRIQUE MAGAZINE

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« KRIBI sera, demain, le grand port en eau profonde de cette partie de notre littoral. C’est de là que nous exporterons nos minerais – fer, cobalt, aluminium, hydrocarbures – mais aussi les productions agricoles de notre arrière-pays », disait Paul Biya, le 8 octobre 2011, lors de la cérémonie de lancement du chantier. Pari tenu : la construction de la plateforme portuaire ultra-moderne est achevée. Le port comprend des systèmes de contrôle et de communication, de navigation, de levage et manutention, des véhicules et bateaux de remorquage. L’ouvrage pourra accueillir des grands navires de commerce d’une capacité de 100 000 tonnes et d’un tirant d’eau de 15 à 16 mètres. De ce fait, Kribi palliera les insuffisances du port de Douala, par où transitent jusqu’ici 95 % des échanges extérieurs du pays, mais dont le chenal souvent ensablé accueille des navires de 15 000 tonnes au plus. Pour le ministre Louis Paul Motaze, président du comité de pilotage de la construction du complexe industrialo-portuaire de Kribi, « ce port marque le début d’une ère nouvelle dans le développement économique du pays. Le Cameroun va accélérer son industrialisation par la mise en exploitation du fer et de la bauxite. De grandes industries, de l’aluminium à la liquéfaction du gaz naturel, génératrices de métiers divers par les filières associées, vont s’implanter dans la zone. Cet ensemble va générer plus de 20 000 emplois directs et autant d’emplois indirects, ainsi que l’éclosion d’une ville nouvelle de près de 100 000 habitants dotée d’infrastructures sociales adéquates », ajoute-t-il. Le port comprend un terminal à conteneurs 400 000 EVP (conteneur équivalent vingt pieds) dès la première phase, avec une extension à 1 000 000 EVP à l’issue de la seconde phase en cours. Il est également prévu un terminal aluminium, un terminal hydrocarbures et un polyvalent. Un trafic de transbordement s’ajoutera également. Quant à l’appontement minéralier (quai spécifique) prévu dans le cadre de l’exploitation du fer de Mbalam, il fera transiter 35 millions de tonnes par an d’exportation du minerai. Le projet de gaz naturel liquéfié (GNL) conduit par la société nationale des hydrocarbures SNH et GDF-SUEZ devrait également générer un trafic d’environ 3,5 millions de m3. Et un volume transporté d’environ 2 millions de tonnes d’exportation d’alumine est attendu du projet Cam Alumina. Le contrat pour l’extension des quais a déjà été signé, et les terminaux ont été mis en concession au profit des groupements Bolloré/CMA CGM/CHEC (conteneurs) et KPMO (terminal polyvalent). ■ F.B 81


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MARIE MADELEINE NGA

« Le PNDP a permis d’améliorer les conditions de vie de plus de 2 millions de citoyens » Coordinatrice du Programme national de développement participatif, elle est l’architecte de la planification des 360 communes du pays, qui entre dans sa troisième phase. AM : Le Programme national de développement participatif est entré dans sa troisième phase. Quels montants ont été investis à ce jour, et pour quels résultats ? Marie Madeleine Nga : Le PNDP a été conçu pour trois phases de quatre ans chacune. La première phase, dite « d’initiation », s’est étalée d’octobre 2004 à décembre 2009, et concernait 155 communes de 6 régions. Elle a été suivie par une deuxième phase dite « d’extension », de janvier 2010 à novembre 2013, couvrant 329 communes dans les dix régions du Cameroun. La troisième phase, qui a démarré depuis 2016, devrait aller jusqu’en 2019, et étendre le Programme à toutes les communes d’arrondissement permettant ainsi de couvrir toutes les 360 communes du Cameroun. Elle vise principalement à assurer la consolidation des acquis. Le PNDP est une déclinaison à l’échelle communale du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) qui fixe les axes prioritaires de développement de l’État. Sur les deux premières phases, le PNDP a bénéficié de l’appui de la Banque mondiale (60 millions de dollars), de l’Agence française de développement, à travers les fonds du Contrat désendettement développement (C2D) (77,77 millions d’euros), de la KFW pour la mise en œuvre d’activités spécifiques à l’ExtrêmeNord (7 millions d’euros), du JSDF notamment, le GEF pour la mise en œuvre du Projet de gestion durable des terres dans quatre régions (Nord, Adamaoua, Centre et Ouest) pour un financement de 6 millions de dollars. Selon différentes évaluations indépendantes, les premiers résultats des actions du PNDP sont très encourageants. D’après l’Institut national de la statistique (INS), elles ont permis d’améliorer les conditions de vie de plus de 2 millions de Camerounais vivant en zones rurales. Le PNDP a fortement contribué au renforcement des capacités techniques et opérationnelles des communes et aidé à la modernisation de la chaîne budgétaire et comptable des communes. Grâce à l’installation du

logiciel SIM_ba, 329 communes ont été accompagnées à l’élaboration de leur Plan communal de développement (PCD). Ce précieux outil de pilotage et de planification à l’échelle communale a permis d’identifier et de cofinancer dans les dix régions du pays, plus de 4 000 microprojets d’accès à l’eau, d’électrification, de construction d’établissements scolaires ou de santé, de routes rurales. Le PNDP a également mis en œuvre des opérations spécifiques telles que le Projet de gestion des plantes médicinales, qui a permis de former 900 personnes aux techniques d’inventaires des plantes médicinales. De même, à travers le Projet de gestion durable des terres et des systèmes agro-sylvo-pastoraux, près de 293 microprojets ont été mis en œuvre en vue d’enrayer la dégradation des terres dans certaines régions. Le projet Haute Intensité de main-d’œuvre (HIMO) se met en œuvre à l’Extrême-Nord et permet de sédentariser des milliers de jeunes en leur donnant les moyens d’une insertion socio-économique. Quels sont les objectifs de cette troisième séquence ? Renforcer la gestion des finances publiques locales ainsi que la fourniture en infrastructures et en services socio-économiques durables. Ce troisième volet permettra aussi de faciliter l’éclosion d’une économie locale et d’améliorer le contrôle de l’action publique. L’idée est de faire des communautés les véritables acteurs de leur développement. Enfin, en vue de créer une certaine émulation dans les communes, le PNDP 3 propose une prime à la performance basée sur un ensemble de critères. L’édition de 2017 a récompensé en septembre dernier deux communes primées par région, à hauteur de 50 000 000 francs CFA, soit 20 communes sur l’ensemble du territoire, ceci pour un montant total d’un milliard. Comment améliorer la gouvernance dans les collectivités territoriales décentralisées ? Nous accompagnons les communes dans la gestion budgétaire et comptable à travers le déploiement sur

Faciliter l’éclosion d’une économie locale et améliorer le contrôle de l’action publique.

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l’ensemble du territoire du progiciel SIM_ba, car l’informatisation de la gestion financière facilite la production des comptes de gestion, des comptes administratifs et des états financiers. Nous organisons aussi des sessions de renforcement des capacités pour les responsables et mettons à disposition des agents communaux pour installer des process durables, identifier les niches de développement, élargir l’assiette fiscale. En outre, les communes sont accompagnées dans le processus d’élaboration de leur plan d’investissement annuel. Nous appuyons aussi les communes dans leurs actions de communication. À ce jour, huit radios ont été réhabilitées tandis que douze nouvelles ont été créées en faveur des collectivités territoriales décentralisées. Le PNDP dynamise-t-il l’économie à travers la stimulation de la production locale ? Pour qui suit de près l’activité du PNDP, il comprendra que les infrastructures ne sont que la partie visible, l’iceberg des actions du programme. La partie immergée est ancrée sur les mécanismes durables mis en place pour donner aux communes les moyens de dynamiser l’économie locale et développer les territoires ruraux. Et l’outil phare de cette action, c’est le plan communal de développement (PCD). Il identifie avec plus de précisions les besoins des populations et offre des idées de projets pour l’ensemble de la commune, lesquels n’attendent que l’identification du financement, en dehors du modeste appui du PNDP, pour donner un coup de fouet à l’économie locale. L’objectif, en toile de fond, est le même : donner aux communes les moyens d’une prise en main autonome des défis de leurs territoires. Où en est justement la mise en œuvre de ces plans communaux de développement ? Le PCD est un document qui favorise la participation de tous les acteurs au niveau local, définit la vision à long terme du développement social, économique, environnemental et culturel de la commune. De par son organisation en secteurs, c’est l’ outil idéal pour l’identification des besoins sectoriels à consolider dans le cadre de l’élaboration du budget d’investissement public. À ce jour, 329 plans communaux de développement ont été élaborés. Depuis le premier trimestre de cette année 2017, nous avons engagé un vaste chantier d’actualisation de plus de 85 PCD élaborés

Experte, elle suit le programme depuis l’année 2003.

depuis plus de quatre ans, en y intégrant des thématiques et problématiques nouvelles comme la prise en compte des réfugiés. Nous comptons d’ailleurs étendre l’actualisation à 70 autres PCD d’ici la fin de l’année. Le ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, qui chapeaute et oriente notre activité, a mis sur pied un groupe de travail qui planche sur un mécanisme visant à prendre en compte les PCD dans la programmation des projets d’investissements des collectivités territoriales décentralisées. Au-delà des communes, il existe des populations autochtones vulnérables telles que les Bororos ou les Pygmées. Que fait le PNDP pour ces cas particuliers ? Ces populations sont des bénéficiaires directs de nos interventions. Déjà, pendant le processus d’élaboration des PCD, leurs besoins spécifiques et pistes de solutions sont pris en compte. Avec le projet de gestion durable des terres évoqué plus haut, les Bororos ont bénéficié de nombreux appuis directs, notamment pour la mise en place des champs fourragers dans la région de l’Adamaoua. Il y a également le plan de développement des peuples pygmées (PDPP) qui a pour objectif général d’assurer que le processus de développement engagé favorisera le respect total de la dignité, des droits de la personne et la culture des peuples autochtones. Il est mis en œuvre dans les 37 communes les abritant. Ce projet permet de leur faciliter l’établissement de documents administratifs, d’assurer l’approvisionnement en médicaments des centres de santé qu’ils fréquentent ou encore d’améliorer leur représentativité dans les instances de décision. ■ propos recueillis par F.B.

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Autre priorité : favoriser les droits et la culture des peuples autochtones.

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CAN 2019: show devant! Toute la communauté est mobilisée pour faire de la Coupe d’Afrique des Nations, qui se déroulera en juin 2019, un succès. Tant sur les plans sportif et infrastructurel que festif.

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e 7 octobre, le chantier du complexe sportif de Japoma connaît une ambiance inhabituelle. Et pour cause, un invité surprise vient d’arriver dans la place : Samuel Eto’o Fils. Le célèbre footballeur, en enfant du pays, est venu s’enquérir de l’état d’avancement des travaux de construction de ce stade, l’un des plus impressionnants qui va accueillir la Coupe d’Afrique des Nations en juin 2019. Il faut dire que ces derniers mois, la polémique sur le rythme d’évolution des chantiers était telle que la Confédération africaine de football (CAF) a dû donner un coup de semonce. Les plus pessimistes voyaient même l’organisation de ce tournoi être retirée au Cameroun, quintuple champion d’Afrique. Un débat stérile, selon Joseph-Antoine Bell, ancien gardien des Lions indomptables et désormais membre de la commission permanente de la CAF pour la CAN : « La CAN se tient en juin 2019, il s’agit donc d’être prêt pour 2019. Et il n’y a aucun ouvrage, aucune infrastructure de génie civil nécessaire à la CAN qui ne puissent être construits en vingt-deux mois. […] Pour l’instant, on ne connaît même pas les équipes sélectionnées, hormis celle du Cameroun, qui est le pays organisateur et qui a remporté la dernière CAN », confiait-il cet été. Même son de cloche du côté du chef de l’État Paul Biya, qui a sobrement déclaré que « le Cameroun sera prêt le jour dit », avant de procéder à la nomination de dizaines des membres du comité local d’organisation, comprenant des acteurs de la fédération camerounaise de football, ceux du ministère des sports et d’autres départements impliqués dans les commissions logement, transports, télécommunication, et sécurité. Certes, le défi est grand. Car il s’agit d’ici à la mi-2019, de mettre à la disposition des délégations de la CAF, des pays en compétition comme des milliers de supporters, des infrastructures sportives sur chaque site, constituées d’un stade de compétition et de cinq terrains d’entraînement. Bien entendu, les structures annexes (hôtelières, hospitalières, routières, aéroportuaires, etc.) devront répondre aux standards exigé par la CAF, de même que les équipements

en communication et télécommunications. Pour l’heure, le gouvernement a réparti l’organisation de la CAN 2019 sur quatre sites (Yaoundé, Douala-Buéa-Limbe, Garoua, Bafoussam). « L’examen de l’état général des infrastructures nous permet de relever que sur les 32 stades dont disposera le Cameroun, les onze qui ont servi lors de la CAN 2016 sont prêts, disponibles et fonctionnels. Parmi les 21 autres, 14 sont à réhabiliter, 7 à construire ; les travaux des deux complexes les plus prestigieux, en l’occurrence Olembe et Japoma, ayant déjà démarré », assure Pierre Ismaël Bidoung Kpwatt, le ministre des Sports et de l’Éducation physique, qui chapeaute l’organisation du grand événement. Les stades de compétition d’Olembe à Yaoundé (60 000 places) et de Japoma à Douala (50 000) seront dotés chacun de deux stades d’entraînement. Leurs constructions, qui évoluent normalement, ont été confiées au groupe Italien Piccini pour Olembe et à l’entreprise turque Yenigun pour le complexe sportif de Japoma. Les marchés relatifs à toutes les autres plateformes de jeu ou d’entraînement ont déjà été attribués à des entreprises de réputation internationale. Concernant l’hébergement des différentes délégations, le Cameroun serait même en avance dans les préparatifs, à en croire le ministre Bidoung Kpwatt : « Pour ce qui est des hôtels, les villes ayant abrité la CAN féminine de 2016, à savoir Yaoundé et Limbé ainsi que la ville de Douala, disposent des infrastructures hôtelières aux normes prescrites par la Confédération africaine de football. Dans les autres villes (Garoua et Bafoussam), des projets sont engagés en vue de la mise à niveau ou de la construction d’hôtels qui répondent aux standards exigés. » Côté festif, le Cameroun veut renouveler l’exploit de l’organisation de la CAN féminine 2016 qui lui a valu non seulement les félicitations de la Confédération africaine de football, mais aussi le coup de cœur du jury lors de la 11e édition des Heavent Awards en avril 2017 à Cannes, en France, une compétition qui distingue les meilleures réalisations événementielles à travers le monde. Pour le ministre des Sports et de l’Éducation physique, le pays doit

Douala, Limbé et Yaoundé disposent déjà des infrastructures hôtelières aux normes de la CAF. Et Garoua et Bafoussam vont suivre…

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Le stade flambant neuf de Limbé, à 80 km de Douala, peut accueillir jusqu’à 20 000 spectateurs.

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« relever le défi d’honneur d’assurer l’organisation de la CAN 2019 pour réaffirmer le leadership et le génie de notre pays en matière d’organisation des événements importants nationaux et internationaux ». une académie d’excellence Reste à gagner le pari sportif. Car si les Camerounais, vainqueurs de la Coupe d’Afrique des nations 2017, tiennent tant à l’organisation de l’édition 2019, c’est qu’ils ont la ferme intention de garder le trophée. Une prétention largement répandue au sein d’une société très accro du football, où l’on scrute avec soin la composition de chaque sélection des Lions Indomptables. Après la déroute lors de la Coupe du monde 2014 au Brésil (soldée par trois défaites en trois matches), le chef de l’État avait demandé à une commission « de lui soumettre dans un délai d’un mois, les résultats de ses investigations sur les causes de la campagne peu glorieuse de notre équipe nationale, avec des propositions en vue d’une restructuration profonde et urgente du football camerounais ». Ce qui fut fait avec la mise en quarantaine de certains joueurs, le limogeage de l’entraîneur et de son staff en octobre 2015, la révision du mode de coopération entre la Fecafoot (Fédération camerounaise de football) et le gouvernement. Le rapport parvenu au chef de l’État a AFRIQUE MAGAZINE

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également suggéré la refondation complète de la sélection nationale avec de nouvelles figures plus jeunes, un toilettage des textes régissant le sport et notamment les équipes nationales, et la mise en place de l’Académie de football du Cameroun, pensée il y a quelques années par Paul Biya. En mai 2017, Issa Hayatou, ancien président de la CAF (19882017), a été nommé président du conseil d’administration de cette académie et l’entraîneur à succès des Lionnes indomptables, Carl Enow Ngachu, directeur général. Le succès du Cameroun à la CAN 2019 dépend aussi de la restauration de la paix au sein de la Fédération camerounaise de football. En raison des querelles interminables entre les membres de l’exécutif de la fédération depuis plusieurs années, la FIFA et le gouvernement ont désigné le 23 août un comité de normalisation présidé par l’avocat Dieudonné Happi. Il est chargé de gérer les affaires courantes de la Fecafoot, d’élaborer de nouveaux statuts en conformité avec les standards de la FIFA ainsi qu’avec la législation nationale obligatoire en vigueur, et enfin, d’organiser l’élection d’un nouveau comité exécutif de la Fecafoot au plus tard le 28 février 2018. Pour les autorités, la réussite de ces missions est centrale. Car l’instabilité à la tête de la Fecafoot a beaucoup joué dans les retards observés dans certains aspects des préparatifs de la CAN. ■ F.B. 85


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Ils ont réussi à l’étranger « Doués, travailleurs, conquérants… » Les superlatifs ne manquent pas pour la plupart des Camerounais de la diaspora. Et dont l’expérience peut être précieuse de retour au pays.

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profit du développement du Cameroun ». Pour beaucoup rnest Simo est peut-être la figure la plus réputée de de Camerounais de la diaspora, l’envie de revenir jouer la diaspora camerounaise. Titulaire d’un doctorat un rôle dans l’émergence de leur patrie est omniprésente. en génie électrique à l’université de Birmingham et Jean Biangue Tinda, ingénieur, auteur d’un annuaire d’une maîtrise en télécommunication par satellite, électronique des compétences de la diaspora camerounaise, il occupe un poste d’astronaute à la NASA, la célèbre agence avoue : « J’ai eu la chance de recevoir une bourse de l’État spatiale américaine. Ses inventions ne se comptent plus et il camerounais. Je l’ai certes reçue suite à mes performances figure dans le top 50 des scientifiques les plus distingués de scolaires, mais sans cette bourse, je n’aurais sûrement la planète. Il incarne à côté de bien d’autres noms, la figure jamais eu l’une des formations les plus réputées même du Camerounais de l’étranger : batailleur, en électrotechnique dans une université allemande. avec une véritable ambition de réussir. J’ai toujours eu en moi ce besoin de rendre Selon les chiffres actualisés du ministère des ce que j’ai reçu. C’est une dette morale envers Relations extérieures, près de cinq millions de les miens. Il faut que les Camerounais comprennent citoyens vivent en dehors des frontières nationales, que leurs fils et filles qui sont hors du pays dont près 700 000 en Amérique du Nord, 30 000 aimeraient tous participer à la au Gabon, 16 000 en Guinée équatoriale comme en Axel Ngonga construction nationale », expliquait-il Belgique, et un peu plus de 20 000 en Allemagne. Ernest Simo Ngomo à l’occasion d’un forum de la diaspora, En Europe comme en Amérique, ils essaient organisé à Yaoundé. de se hisser au sommet, chacun dans son Cet électrotechnicien souhaite que métier, à l’image de Tony Smith dont la firme le pays organise un retour massif des Limitless marche sur les plates-bandes de cadres dotés de compétences qui vivent Samsung, de Richard Bona, icône mondiale à l’étranger : « si nous réussissons à parmi les joueurs de basse, Axel Ngonga faire revenir nos cadres expérimentés Ngomo, chercheur en web sémantique, ou ceux qui veulent faire des affaires David Mola, industriel du photovoltaïque en dans leur pays d’origine et avoir les Allemagne, ou encore Richard Nouni, patron Tony Smith pieds dans les deux mondes, nos chances de CFAO Technologie à Paris. de réussir pour une longue durée est plus élevée. Et nous pourrons espérer émerger. des compétences précieuses Ceux qui ont de l’expérience de travail dans Plusieurs fois, le président Biya a tendu la main à la diaspora représentent de nos jours les la diaspora pour lui demander de mieux s’impliquer David plus grands atouts du Cameroun, si on les dans le développement du pays. Comme ce 24 juillet Mola mettait dans des conditions productives », 2009 à Paris, devant la communauté camerounaise de indiquait M. Biangue Tinda à l’issue du 4e forum Davoc France : « Je voudrais que vous sachiez que je suis informé du caractère industrieux de vos communautés, et pour (Draw A Vision of Cameroon), le forum mondial des beaucoup, du haut degré de compétence dont vous faites compétences de la diaspora camerounaise. preuve. Vous faites ainsi honneur au Cameroun, et je tiens En juin dernier, le gouvernement a organisé le Fodias, à vous en exprimer toute mon appréciation. Mais, il va sans le premier forum sur le thème « Le Cameroun et sa dire que mon vif souhait est de vous voir un jour mettre diaspora : agir ensemble pour le développement de la le savoir et le savoir-faire que vous avez pu acquérir au nation ». Une initiative très appréciée par les Camerounais prix de tant d’efforts personnels, et pour certains, grâce de l’étranger, qui ont fait le déplacement en masse à l’assistance de l’État, que vous mettiez ces talents au pour participer aux travaux. ■ F.B


U A E V U O N

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Avis aux cinéphiles : à Tataouine (qui a donné son nom à la planète fictive Tatooine), subsistent des vestiges des décors de la saga « Star Wars » !

destination

LA TUNISIE, AU SUD

Aux portes du désert, des voyages pleins de surprises entre villages anciens, OASIS luxuriantes et lacs salés. Et il n’y a pas que des mirages… jasmins et rosiers. Un bouquet d’effluves aussi odorant que le AU SUD-OUEST de la Tunisie, le Jérid, qui signifie palme couscous à l’agneau ou la chakchouka (rataouille de pâtes et de dattier, est une contrée singulière où les oasis, enclavées légumes secs) de Nefta et le rob, sirop de dattes. Ce Sud qui entre les lacs salés des chotts, tutoient le désert. Ici, il y a plus vit les pénuries avec un certain atavisme, peine à se remettre de palmiers que d’hommes ; ils sont 1,6 million à produire la de la défection des touristes étrangers après la révolution de deglet el nour (doigt de lumière), la plus prisée des variétés 2011, malgré l’engouement des Tunisiens pour de dattes, et à assurer la subsistance des LES BONNES des virées dans des oasis et un désert à 6 heures 100 000 habitants de la région, qui exploitent ADRESSES de route de Tunis et 4 de Djerba. aussi le bois du palmier et ses branches. La ✔ Dar Zergouni, maison Le chômage touche plus de la moitié des population métissée, aux lointaines origines d’hôtes à Nefta jeunes mais les mouvements protestataires n’ont berbère, arabe et subsaharienne, a délaissé ✔ Musée Dar Cheraït pas secoué le Jérid, comme ailleurs en Tunisie. Au ses habitudes nomades pour s’installer à à Tozeur contraire, Tozeur continue chaque mois de janvier Tozeur ou Nefta, les perles du désert. Le ✔ Site de tournage de fêter l’oasis à laquelle elle doit tout tandis que temps des caravanes qui échangeaient Ong El Jmel la région, avec l’appui de la société civile, a profité leurs marchandises à l’ombre des murailles ✔ Le campement de Mars de ce temps de latence pour valoriser des sites en briques est révolu ; aujourd’hui, ce sont exceptionnels, comme Ong El Jmel, où ont été les convois de touristes qui sillonnent les tournés Star Wars et Le Patient anglais. Nefta la mystique, fief anciennes pistes devenues des routes. Ils découvrent un de la confrérie de la Qadiriyya, dévoile ces traditions soufies territoire sans industries, des traditions anciennes mais aussi les plus confidentielles à l’occasion d’un festival de musique l’ingéniosité des hommes du Jérid ; le système d’irrigation sacrée en novembre. Un moment d’extase aux portes d’un d’Ibn Chabbat permet de préserver l’eau, le bien le plus désert qui pour beaucoup est un lieu de révélation. Même si précieux dans ce Sud de plus en plus aride. Cette eau fait de la vraie richesse du Jérid reste sa population, des hommes et l’oasis un jardin luxuriant où rien n’est laissé au hasard ; sous des femmes fiers, pudiques, d’une extrême gentillesse, dont les palmiers dattiers poussent des pêchers et des grenadiers, l’humour décapant est devenu une référence. ■ à leurs pieds sont cultivés les légumes, le henné, mais aussi 88

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CATERS NEW AGENCY/SIPA

par Frida Dahmani


MADE IN AFRICA escapades tourisme

À MADAGASCAR, L’ÎLE MERVEILLEUSE inauguration

Le Cap… vu du silo

Oui, on peut allier LUXE et écologie. Démonstration avec le lodge Miavana… L’HÔTELIER sud-africain Time & Tide a ouvert en juin l’écolodge Miavana, sur l’île privée de Nosy Ankao, au cœur de la réserve marine Loky Manambato, au large de la pointe nord-est de Madagascar. Les quatorze villas privatives ne consomment que de l’énergie solaire, fournie par des panneaux photovoltaïques. Elles font face à l’océan et à ses récifs coralliens, et disposent chacune d’une piscine, d’une cuisine ainsi que d’un personnel dédié. Deux hélicoptères permettent aux clients d’explorer les îles alentour. Spécialisé dans le safari, Time & Tide se targue de pratiquer un tourisme durable et de créer des emplois bénéficiant aux communautés locales. À Nosy Ankao, les architectes sud-africains Silvio Rech et Lesley Carstens affirment n’utiliser que des « matériaux locaux et durables ». Dans un décor de rêve, La construction de cet écolodge aurait quatorze villas fourni du travail à « 500 personnes possèdent non qualifiées pendant quatre ans ». chacune À partir de 2 500 dollars la nuit. ■ C.G. une piscine www.timeandtideafrica.com privative.

DR - RENDERS

Accolé au fameux Zeitz MOCAA, un HÔTEL avec des vues à couper le souffle…

NOUS vous en parlions déjà en mars (voir AM n° 366, et Parcours p. 16) : comme prévu, le Zeitz MOCAA (Museum of Contempory Art Africa) a ouvert ses portes le 22 septembre. Érigé en 1921, le silo à grains du Cap fut pendant des décennies, avec ses 57 mètres, le plus haut bâtiment d’Afrique du Sud. L’architecte anglais Thomas Heatherwick l’a reconverti en musée d’art contemporain et en hôtel de luxe pour un coût de 31 millions d’euros. Les 40 tubes du silo ont été découpés et transformés en un atrium de 27 mètres de hauteur. Le Zeitz MOCAA présente 90 galeries, sur 6 000 m2 et 9 étages. Les visiteurs peuvent y contempler des œuvres venues de tout le continent, ainsi que des prêts de la collection du mécène allemand Jochen Zeitz. Il s’agit sans conteste du plus important musée inauguré en Afrique depuis plus d’un siècle. « Une plateforme pour nous autres Africains, afin de raconter notre propre histoire et créer notre propre identité », résume le conservateur du Zeitz MOCAA, Mark Coetzee. Les six derniers étages du bâtiment accueillent un hôtel de 28 chambres de la chaîne sud-africaine Royal Porfolio, ainsi qu’une piscine panoramique et un vaste toit-terrasse, avec vue sur la Montagne de la Table et sur la promenade en bord de mer Victoria & Alfred, entièrement rénovée. La gamme de prix des nuitées démarre à 12 000 rands en basse saison (745 euros). ■ Cédric Gouverneur

https//zeitzmocaa.museum • www.thesilohotel.com AFRIQUE MAGAZINE

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design

Les défis de Sara Ouhaddou Pour la jeune plasticienne, la CRÉATION est un outil de développement. Présentation. secrets de pro/abidjan

PARFAIT ZOUZOU KONAN Profession : chauffeur privé. Signe particulier : garde son calme, même dans les embouteillages.

AM : Comment avez-vous commencé dans le métier ? En 2010, à l’université de Cocody, j’ai rencontré un camarade, qui m’a aidé à devenir chauffeur de Wôrô Wôrô (taxi collectif). J’aimais conduire, parler aux clients et j’ai fini par envoyer mon CV au garde du corps d’un ministre. J’ai travaillé pour lui pendant deux ans, puis en 2015, j’ai été embauché dans mon entreprise actuelle en tant que chauffeur privé. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette activité ? Rencontrer des personnes vraiment différentes et intéressantes avec lesquelles je peux échanger. Par exemple, il y a quelques semaines, j’ai conduit deux réalisateurs, qui étaient à Abidjan pour un clip vidéo. Le contact est bien passé. Au point que j’ai eu la chance de pouvoir manger au restaurant Kaaran au Plateau et ils m’ont même offert une séance de massage à l’hôtel Ivoire ! Une anecdote particulière ? Il n’y a pas longtemps, j’ai croisé A’Salfo de Magic System. Mon client, qui le connaissait, me l’a présenté, et j’ai pris une photo avec lui. Je l’ai publiée sur ma page Facebook et je crois n’avoir jamais autant de likes et de commentaires ! ■ Elisabeth Remy

SARA OUHADDOU, la plasticienne designer franco-marocaine, fait feu de tout bois. Diplômée de l’école parisienne Olivier de Serres, cette créatrice d’objets originaux et poétiques – en céramique, tissage, vitraux… –, a fait ses premiers pas chez Lancôme tout en s’intéressant de près à l’artisanat du Maghreb. En concevant son travail comme un outil de développement économique, social et culturel, elle entame une collaboration suivie avec des artisans marocains. Aux USA, après un prix de design à New York et un projet artistique à Detroit et San Diego, le département des parcs de New York lui passe commande d’une œuvre destinée à un espace vert baptisé « Little Syria » en réaction à l’élection de Donald Trump et prévu pour 2019. Aujourd’hui, à 31 ans, après la 1:54 Contemporary African Art Fair de Londres avec la galerie marrakchie Voice Gallery, Sara présentera ses œuvres à la Dubaï Design Week (du 13 au 18/11) puis en décembre au Sharjah Islamic Festival dans les Émirats. ■ Loraine Adam

« En Afrique, un adage dit que les personnes les plus importantes sont le cuisinier, le garde du corps et le chauffeur car ce sont eux qui peuvent vous ôter la vie (rires). J’aurais deux conseils à donner. Le premier s’adresse aux clients : respectez votre chauffeur, c’est la garantie d’avoir un séjour réussi. Par ailleurs, les jeunes qui voudraient se lancer doivent comprendre que c’est un vrai travail à part entière. Être chauffeur me permet de gagner ma vie. Mais il faut aussi du courage car, malgré les apparences, ce n’est pas un métier facile. »

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SON CONSEIL : « Respectez votre conducteur »

« L’Œil » (2016) a notamment été présenté à la foire AKAA, à Paris.

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MADE IN AFRICA carrefours insolites

Ce bâtiment ultra-moderne évoque à la fois le bouclier, le pagne et les tissages de perles de la culture zouloue.

architecture

Le « musée zoulou » récompensé

Le Umkhumbane Cultural and Heritage Museum de Durban a remporté le Grand Prix des 1ers Africa Architecture Awards. Mérité. DANS LA CATÉGORIE « meilleur bâtiment neuf d’Afrique », c’est l’Umkhumbane Cultural and Heritage Museum, un musée de Durban dédié à la culture zouloue, qui a remporté le Grand Prix de la toute première édition des Africa Architecture Awards, le 29 septembre au Cap… Les courbes de cette structure majestueuse et circulaire s’élèvent en hauteur comme une termitière, rouges comme la terre du KwaZulu-Natal. Un panneau d’acier cylindrique les enrobe, avec des perforations triangulaires qui laissent la lumière imprimer ses dessins dans le vaste patio du musée. L’ensemble évoque à la fois le bouclier, le pagne et les tissages de perles traditionnels de l’ethnie zouloue, la plus nombreuse d’Afrique du Sud (20 % de la population environ). Commandé par la municipalité de Durban, l’édifice abritera aussi les bureaux de l’actuel roi des Zoulous,

Goodwill Zwelithini. Il est situé dans le township de Cato Manor, l’un des sites les plus marqués par les déplacements forcés de population sous l’apartheid (1948-1991). Ce projet, signé par la firme sud-africaine Choromanski et achevé en 2016, l’a emporté parmi 307 autres, issus de 32 pays. Derrière l’initiative de ces prix d’architecture se trouve le groupe industriel français Saint-Gobain, soucieux de mettre en valeur l’excellence issue du continent. Celui-ci reste malheureusement dépourvu d’une structure qui lui serait propre, afin de s’attribuer lui-même ses premiers prix. Petite consolation : le célèbre architecte ghanéen David Adjaye était là pour faire l’éloge de ces récompenses, tandis que le jury était présidé par Mark Olweny, un Ougandais « global », formé en Australie, au Canada et en Grande-Bretagne. ■ Sabine Cessou

LE LIEU : BMK PARIS-BAMAKO C’est la table africaine qu’on attendait à Paris : une carte traditionnelle et ouverte aux nouvelles saveurs ! En plus des classiques comme le yassa ou le thiéboudiène, on savoure un délicieux mafé revisité à la mode vegan ! Le tout dans un ET SINON ? Cette « cantine-épicerie » vend décor élégant et coloré. Tendance, cette « cantine-épicerie » aussi des produits du continent vend aussi des produits importés d’Afrique. Car l’une des (poudre de baobab, cacao...). valeurs de cette adresse est de contribuer au développement POUR QUI ? économique du continent. ■ Astrid Krivian Novices ou fins connaisseurs. 14, rue de la Fidélité, Paris. bmkparis.com QU’EST-CE ?

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Cuisine africaine à la fois tendance et traditionnelle.

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Élégant et minimaliste, le lieu a bénéficié de l’œil affûté de l’architecte Jean-Guillaume Mathiaut (Issey Miyake, Louis Vuitton…).

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Nelly Wandji,

un écrin branché pour les créateurs Les talents du continent ont désormais leur temple, un CONCEPT-STORE situé dans les quartiers chics de Paris et qui porte le nom de sa fondatrice. NE PARLEZ surtout pas de wax à Nelly Wandji. D’après elle, ce « motif de colons » a été bien trop exploité par des stylistes n’ayant aucune affinité pour la création africaine. Alors qu’on peut au contraire s’extasier devant la couleur et la tenue de tissus comme le batik ghanéen, le bogolan malien ou le kasai congolais. Dans ces pays, certes, mais aussi au 93, rue du Faubourg Saint-Honoré, où cette jeune entrepreneuse a ouvert sa boutique aux allures de conceptstore – hyper-pointue, désirable et accessible à la fois. Née au Cameroun, partie étudier à Paris à sa majorité, elle est diplômée d’un master en commerce international spécialisé en management du luxe. Après avoir fait ses armes au sein du groupe Swatch, elle lance une première boutique online, MoonLook.com, en 2014. Son objectif : mettre en 92

lumière les maisons de mode africaine, le savoir-faire et le twist d’un look éclectique. Permettant à des marques installées de profiter d’un espace de vente supplémentaire et à des jeunes créateurs d’être repérés, Nelly Wandji a ainsi appris son rôle préféré : celui d’une défricheuse insatiable, prête à découvrir ce qu’il y a de plus trendy au Sénégal, au Kenya ou en Afrique du Sud. Depuis le printemps 2017, la voici donc au milieu des Miu Miu, Hermès et autres Chanel, sur ce Faubourg SaintHonoré qui fait davantage référence aux épisodes parisiens de Sex and the City qu’aux rues de Douala. Tant mieux, Wandji souhaitait justement toucher une clientèle qui sait reconnaître la qualité d’une étoffe, la sophistication d’une coupe, qui respecte des siècles de tradition et qui a les AFRIQUE MAGAZINE

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JONZY - DR

par Sophie Rosemont


À g., des vêtements du Camerounais Imane Ayissi, qui a présenté une collection à la dernière Fashion Week haute couture parisienne.

Exit le wax que l’on voit beaucoup. Nelly Wandji, déjà à l’époque de son e-shop Moonlook, a toujours voulu mettre en avant la grande variété de la création africaine, avec des techniques insoupçonnées, souvent très complexes.

Textiles made in Sénégal d’Aïssa Dione (à g.) ou babouches Zyne, cousues main à Casablanca : des pièces artisanales et trendy.

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moyens de s’offrir des pièces de créateurs. On y trouve des souliers façon babouches, des robes ultra-féminines, des tops plus décontractés, des sacs multicolores… Parmi les créateurs qu’elle met en avant : Sophy Aiida (Cameroun), Nadrey Laurent (Ghana), Jessica Nguema-Metoule (Gabon) avec sa marque Otinguema, ou AAKS, maison ghanéenne de maroquinerie assez irrésistible. Avec pour point commun un savoir-faire respectueux de l’environnement. Comme le déclarait Nelly Wandji à Madame Figaro en 2015 : « Mon ambition est de créer de la valeur ajoutée sur le continent, pas de faire un simple business. » Hors de question de surfer sur une tendance, cela fait des années que la mode et le marketing sont des outils pour promouvoir ce dont a toujours témoigné l’Afrique : une attitude inégalée. ■

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Vous avez l’estomac un peu lourd ? Alimentation trop riche, excès en tout genre, manque de temps… Tout cela favorise les DIGESTIONS difficiles. Comment se sentir plus LÉGER tout en se faisant plaisir ?

On cesse de manger « speed » Par manque de temps, il peut arriver que l’on avale son repas à la va-vite… Mais on le fait parfois aussi simplement par réflexe, sans même s’en rendre compte. Cette habitude est à bannir car on digère plus difficilement. Il faut manger lentement, et penser à bien mastiquer. La mastication est en effet la première étape de la digestion : elle stimule la sécrétion salivaire et pré-digère les aliments. Si on avale sans mâcher, c’est l’estomac qui devra faire le travail de 94

fragmentation, qui lui prendra du temps, et ralentira donc le processus naturel. De plus, lors de cette opération, il doit sécréter plus d’acide et d’enzymes, ce qui le « remplit » davantage – d’où un inconfort. En outre, si on « engloutit » son repas, la satiété n’est pas atteinte, nous amenant à manger plus qu’on ne le devrait… Enfin, les repas excessifs restent souvent sur l’estomac un plus long moment.

Des idées toutes faites On dit souvent qu’il ne faut pas boire en mangeant, pour ne pas trop « remplir » son estomac… Pas forcément, on peut boire un peu d’eau : cela dilue les aliments et permet à l’estomac de se vider plus vite. Seule réserve : les personnes sujettes aux petits reflux doivent éviter les eaux gazeuses, ou les autres boissons de ce type. AFRIQUE MAGAZINE

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SENSATIONS d’inconfort, de pesanteur… Ballonnements, impression de trop-plein… La gêne survient vite après les repas et peut parfois durer des heures ! Cette digestion difficile, dite « dyspepsie » en langage médical, ne cache aucune maladie. En cause : de mauvaises habitudes alimentaires, amenant à un « encombrement » de l’estomac.


VIVRE MIEUX forme & santé

pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

On discute à table, certes… Mais on le fait lors d’une pause fourchette : sinon, avec les aliments, on avale de l’air qui s’accumule dans l’estomac, d’où la sensation de gonflement. On se méfie des en-cas compacts, type sandwich et gâteau, sans crudités… Que se passe-t-il alors ? L’estomac ralentit le processus d’évacuation pour avoir le temps de diluer et liquéfier les aliments. Et la digestion est lente, lente… Enfin, on mange en étant assis, pas en marchant ou en faisant autre chose !

On scrute les excès de gras et sucre Des repas trop riches en graisses et/ou en sucres sont redoutables non seulement pour la silhouette et la santé, mais aussi pour la digestion ! À cause de ces excès, l’estomac est obligé de ralentir sa vidange afin que les aliments ne passent pas trop vite dans l’intestin grêle. Un trop-plein de graisses peut aussi favoriser de petits reflux. L’idéal est d’adopter une alimentation de type méditerranéenne : poisson, huile d’olive, légumes verts et secs, fruits, avec modération des graisses, viandes, charcuteries, fromages. En tout cas, on pense équilibre : avec une viande ou un plat un peu gras, on n’associe pas des frites, mais des légumes. Et on n’en rajoute pas avec une entrée à la mayonnaise, ou un dessert crémeux.

On anticipe les ballonnements Outre les repas avalés trop vite qui en sont responsables, on évite d’autres coupables : les sodas, la bière (qui provoquent gaz et ballonnements), ainsi que les chewinggums qui font avaler de l’air. On se méfie des excès de crudités ; et des aliments qui fermentent comme les légumes secs ou les choux, notamment. Faire une marche digestive après les repas est un bon moyen de prévenir les ballonnements. Et l’idéal est une activité physique régulière : une meilleure tonicité musculaire peut éviter la distension abdominale. En cas de gêne ponctuelle, un produit à base de siméticone et/ou de charbon qui agit sur les gaz, peut soulager.

On lutte contre les aigreurs Là encore, elles sont favorisées par des repas riches en graisses, et les boissons gazeuses. Les boissons acides et hypertoniques (pour le sport) ne les causent pas, mais peuvent donner des sensations de brûlures. Il faut lutter contre l’excès de poids, qui augmente la pression abdominale. Le simple fait de se pencher en avant peut aussi déclencher les troubles. Tout comme manger juste avant de se coucher : on dîne au moins 2 heures avant. Si la gêne est récurrente, mieux vaut consulter. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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TRAVAILLER ASSIS, MAIS RESTER ACTIF

Pour éviter d’être SÉDENTAIRE au bureau, voici la marche à suivre. NOUS SOMMES nombreux à rester assis sept, huit heures ou plus par jour. Nombreux aussi à n’avoir aucune activité physique. Cette sédentarité/inactivité a un impact néfaste sur la santé : elle augmente le risque d’accident cardiovasculaire, de diabète, d’hypertension, voire de cancer. Mais, pour prévenir ces dangers, il suffit de bouger un peu.

• Alors, on prend l’habitude de « casser » le temps assis : en marchant quelques minutes toutes les heures, pour aller à la machine à café, aux toilettes, parler avec un collègue… En plus, se mettre debout de temps à autre, par exemple pour téléphoner, est bénéfique.

• Et en dehors du travail ? Dans les transports en commun, sauf grande fatigue, mieux vaut rester debout pour ne pas en rajouter. Et si on ne fait aucun sport, on s’efforce d’être un peu plus actif, avec au moins 150 minutes d’activité modérée par semaine, par exemple 30 minutes de marche d’un bon pas sur cinq jours. Une demi-heure d’affilée si possible, car c’est plus efficace. Sinon, au minimum par tranches de 10 minutes. ■ 95


RÉTENTION D’EAU : PETITS SOUCIS ET BONNES MÉTHODES

Jambes gonflées, prise de poids rapide ? Comment agir contre ce trouble BÉNIN.

Sommeil, sport, vitamines : n’attendez surtout pas que les infections VIRALES pointent leur nez pour agir. POUR LUTTER contre ces maladies de manière efficace, il faut prendre les devants. En hiver, pour limiter les risques de tomber malade, on doit d’abord penser hygiène de vie. Cela commence par un bon sommeil : si on ne dort pas assez, cela altère grandement les défenses immunitaires. Parallèlement, on fait de l’activité physique : la contraction des muscles fait libérer des substances myokines, qui, par divers mécanismes, boostent de façon extraordinaire l’immunité. Pour un vrai bénéfice, on opte pour une activité modérée et régulière (dans l’idéal, 30 minutes par jour) : marche d’un bon pas, vélo, gymnastique, natation…

Et on mise sur ces coups de pouce Une alimentation équilibrée est capitale pour nos défenses : avec chaque jour des fruits et légumes, et toutes les autres familles d’aliments : viandes, poissons, ou œufs ; produits laitiers (de préférence fermentés type yaourts) ; pains et féculents ; et beurre ou huile à chaque repas, car les corps gras permettent de bien absorber les composés bénéfiques des aliments. À côté de cela, on pense aux probiotiques, bactéries de la flore intestinale qui stimulent en permanence le système immunitaire : on prend un complément spécial défense en cure de 10 jours par mois. Pour les personnes mangeant peu de protéines, un complément de zinc est préconisé en plus. Autrement, plutôt que se tourner vers un cocktail vitamines-minéraux comme on en a l’habitude, mieux vaut recourir à des boucliers spécifiques comme les trésors de la ruche (propolis, gelée royale) ou l’échinacée. De plus en plus de produits les proposent en association. ■ 96

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BOOSTER SES DÉFENSES, C’EST MAINTENANT !

LA RÉTENTION d’eau est due à une fragilisation des petits vaisseaux dits capillaires : l’eau en sort trop et s’accumule dans les tissus. En principe, le système lymphatique la réabsorbe, mais pas toujours assez… D’où les gonflements. Pour lutter, on agit sur plusieurs plans. Premier point : contre une mauvaise circulation veineuse accentuant la rétention d’eau, on peut prendre des phlébotoniques, porter des collants ou bas de contention, mais un bilan chez un phlébologue est conseillé. On veille à son alimentation… Avec des fruits et légumes riches en vitamines et oligo-éléments renforçant les parois des veines et dynamisant la circulation lymphatique : agrumes, mangues, kiwis, fruits rouges, tomates, poivrons rouges, légumes verts. On mange des protéines chaque jour (volailles, poissons, œufs) : sinon, un manque nuit à la réabsorption de l’eau. On limite le sel (donc aussi les produits industriels, très salés), qui favorise les gonflements. Et on ne se prive surtout pas d’eau ! Côté soins, des drainages lymphatiques (massages doux) chez le kiné sont efficaces. À la maison, on profite des vertus décongestionnantes de la camomille : 5 gouttes d’huile essentielle dans un bol d’eau froide, ou infusion d’une cuillère à soupe de feuilles : on imbibe des compresses et on pose environ 20 minutes. On peut aussi prendre un bain de pieds et de jambes dans une bassine d’eau (froide) dans laquelle on a fait infuser deux sachets de camomille. Enfin, masser ses jambes par mouvements circulaires en remontant fait du bien, tout comme marcher le plus possible. ■

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VIVRE MIEUX forme & santé

Toutes les astuces contre les ronflements Inutile de siffler ou de lui pincer le nez pour retrouver des nuits plus calmes… D’autres options sont plus EFFICACES. COMMENÇONS par ce qu’on peut faire soi-même… Attention au manque de sommeil, à l’alcool ou au tabac le soir, qui aggravent le ronflement. En cas de surpoids, maigrir est souvent efficace. Et quand on ronfle surtout sur le dos, on peut user d’astuces pour éviter cette position : coussinet dans le pyjama, oreiller avec renflement central qui fait mettre la tête sur le côté… En revanche, on proscrit les oreillers gonflables ou bracelets délivrant des impulsions électriques pour faire changer de position : cela nuit trop au repos !

Et les traitements médicaux… Que penser des produits anti-ronflement (en pharmacies ou sur Internet) ? Les sprays n’ont guère d’action, ou alors très brève. Les écarteurs de narines peuvent aider à mieux respirer et atténuer des bruits légers. De nouveaux dispositifs, comme Nastent, sont également commercialisés. Il s’agit d’un tube fin et souple en silicone qu’on glisse dans une narine, jusqu’à ce qu’il arrive près de la luette. Par un effet mécanique, il maintient les voies ouvertes. Il peut permettre des nuits calmes, mais mieux vaut s’assurer auprès d’un ORL qu’il convient bien (en fonction de la zone responsable). En cas de ronflement venant des tissus mous de la gorge, un traitement par radiofréquence (ondes délivrées par une petite AFRIQUE MAGAZINE

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aiguille), ou encore au laser, peut être proposé pour rigidifier ces tissus ou diminuer leur volume : les résultats sont en général bons. Autre option efficace, les gouttières dentaires : placées sur les dents, elles poussent la mâchoire du bas vers l’avant pour laisser plus de place au passage de l’air en arrière. Celles fabriquées sur mesure (après prise d’empreintes chez le dentiste) sont fines et efficaces. Il existe des modèles standards en vente libre moins coûteux, mais le conseil d’un professionnel est important (l’état dentaire notamment doit être parfait). Et lorsque le ronflement vient du nez ? Si une allergie respiratoire provoque l’obstruction nasale, son simple traitement peut changer la donne. Et lorsque le problème vient de petits renflements dans les fosses nasales, un traitement pour les amincir par, encore une fois, radiofréquence ou laser, est salvateur. Plus rarement, une déviation de la cloison nasale nécessitera une chirurgie. À noter que lorsqu’on ronfle, d’autant plus si le conjoint remarque des pauses de la respiration, on devrait vérifier si l’on fait des apnées (enregistrement du sommeil). Une précaution importante car les apnées entraînent une fatigue, et augmentent le risque de maladies cardiovasculaires. ■ 97


LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian

Fadily Camara 2. Votre voyage favori ? Bali, en Indonésie, c’est très beau ! Je ne me suis pas énervée une seule fois ! (rires) Les gens sont tellement détendus, calmes… C’était la première fois que je faisais du yoga. 3. Le dernier voyage que vous avez fait ? La Tunisie, pour un mariage : Tunis, Zarzis et Carthage. C’était mortel, c’était l’été, ça bougeait bien… Mon mari est tunisien, donc je suis obligée d’aimer ! (rires) 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Mon peigne, qui ne quitte jamais mon sac, pour faire des petits raccords. Et mon gloss, obligatoire ! J’aime avoir les lèvres bien brillantes. 5. Un morceau de musique ? « Bodak Yellow », de Cardi B, une rappeuse américaine. C’est le phénomène de l’année. Je suis à fond ! 6. Un livre sur une île déserte ? Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor et Entre chiens et loups de Malorie Blackman. Les héroïnes de ces romans me parlent et me touchent beaucoup. 98

Sur scène*, cette comédienne d’origine guinéenne, sénégalaise et marocaine met le feu ! Avec ses mimiques mordantes et sa folie douce, elle nous parle de féminisme, d’actualité ou encore de ses aventures new-yorkaises. So fresh !

7. Un film inoubliable ? Le Seigneur des anneaux, sans hésiter ! Je le regarde quatre fois par mois, c’est LE film qui m’a marquée et m’a donné envie d’être actrice. Les frissons qu’il me donne… Incroyable !

12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Le yoga. Je ne suis pas encore très souple mais ça me détend.

8. Votre mot favori ? Plutôt une phrase : You know what I’m saying?! Mon petit gimmick !

13. Votre extravagance favorite ? La pâtisserie ! Je peux ne manger que ça dans une journée ! Mais je fais du sport et je bois beaucoup d’eau pour équilibrer !

9. Prodigue ou économe ? Économe, car on a connu la galère ! J’aime dépenser pour des choses utiles. Mais à chaque fois qu’un de mes amis fête son anniversaire, j’offre un cadeau, j’adore ! 10. De jour ou de nuit ? De nuit. Je joue le soir, j’ai de l’inspiration pour écrire, je fais ce que j’ai à faire… 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Téléphone : simple, efficace. Lettre ? Je ne sais plus quand j’en ai écrit une la dernière fois !

14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Archéologue. J’avais soif de découverte, j’adorais la Préhistoire, les dinosaures, l’Égypte ancienne… 15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Euh… Ma mère, avant-hier ! C’est toujours un plaisir de la voir ! 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Faire une partie de GTA, le jeu vidéo, tous les jours.

17. Votre plus beau souvenir ? Mon mariage. C’était exactement comme je voulais. J’aimais trop ma robe, ma coiffure, mon mari… tout ! 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? À Hawaï. Le temps change tout le temps, tu ne peux pas t’ennuyer! Ou en NouvelleZélande, pour courir dans les plaines comme dans Le Seigneur des anneaux! (rires) 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Celles de mon mari, chaque matin. Il est motivé ! 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Mon énergie, ma joie de vivre, et le travail que j’ai accompli. ■ *Au théâtre du Point-Virgule, Paris, le 17 novembre.

AFRIQUE MAGAZINE

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BENJAMIN BOCCAS

1. Votre objet fétiche ? Aucun, je ne crois pas trop à un objet porte-bonheur.



L’AFRIQUE pour un monde repensé Du 25 au 28 Novembre 2017 - Saint-Louis du Sénégal

www.forumdesaintlouis.org


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