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AFRIQUE MAGAZINE - AOÛT-SEPTEMBRE 2017
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
AFRIQUE MAGAZINE NUMÉRO DOUBLE EN VENTE DEUX MOIS
Gabon État d’urgence dans la maison Bongo Interview
Algérie
Au pays du meilleur… et du pire
Isabelle Adjani : « Au nom du père et de l’art »
Et aussi TOURIA EL GLAOUI nous raconte son ambition 1:54 ! L’AFROPUNK et les BLACK COMICS secouent la scène
Portrait Sofia Boutella, de Bab El Oued à Hollywood
France
www.afriquemagazine.com
Ces députés presque africains !
UN ENTRETIEN EXCLUSIF
SINDIKA DOKOLO
POURQUOI JE ME BATS Son engagement en RD Congo, ses projets, le business, les diamants, l’art contemporain… Et son épouse Isabel dos Santos. France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0
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ÉDITO par Zyad Limam
LA TUNISIE
FACE AU CHOIX
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in juillet, début août, sous le soleil exactement. La Tunisie est profondément, confortablement, installée dans son été. Dans une sorte de dolce vita à contrecourant de l’ambiance nationale générale, assez dépressive, il faut bien le reconnaître. Comme si le pays faisait une pause. S’oubliait quelques semaines. Même les touristes reviennent, un petit peu, motivés aussi par la baisse assez vertigineuse du dinar. Ce n’est pas encore le nirvana, on est encore loin des chiffres de 2010, mais il y a quelque chose d’un peu plus joyeux, plus festif dans l’air. Les Tunisiens profitent aussi de chez eux, postent des images idylliques d’eau turquoise sur les réseaux sociaux, et de nombreuses destinations balnéaires affichent quasi complet. Sur la plage, dans les restaurants, les piscines, sur les routes bondées, on essaye d’oublier, d’éloigner le spectre de la violence terroriste qui plane. On essaye de se défaire de cette sensation d’un pays qui fonctionne un peu à l’aveuglette, sur le chemin escarpé et incertain de la construction nationale. Les visiteurs qui découvrent la Tunisie ou ceux qui n’y sont pas revenus depuis quelques années ne cachent pas, eux, leur surprise. Voilà un pays qui, fin 2010, donna un formidable coup d’envoi au printemps arabe, et qui apparaît aujourd’hui comme le rare, le dernier des rescapés de cette tempête. Voilà un pays presque démocratique, un des seuls de la région et du monde arabe. Avec un président et un Parlement réellement élus. Où l’on fait de la politique (pas toujours de haut niveau). Bienvenue surtout dans un pays où l’on peut s’exprimer librement, y compris sur des sujets tabous comme la drogue, l’homosexualité, l’égalité, la police, la justice… Ici, on peut parler de presque tout, sur un ton vif et même parfois à tort et à travers, ce qui n’est pas si grave. Talk-shows télévisés, journaux, émissions de radio, réseaux Internet, ça bouillonne. Les débats de l’été ont été musclés. On s’est empoignés sans ménagements sur la venue ou non de l’humoriste Michel Boujenah (enfant de Tunis, taxé
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de sionisme) au festival de Carthage. Il est venu. Et ça s’est bien passé. Tout comme le pèlerinage de la Ghriba d’ailleurs, en mai dernier. On a débattu sans fin sur l’invasion des plages par les masses populaires, les uns accusant les autres d’élitisme ou de populisme et vice versa. Bienvenue, surtout, et au-delà de ce qui peut paraître anecdotique, dans un pays qui propose des réformes réellement révolutionnaires. Le 26 juillet dernier, la ministre de la Femme, Néziha Laabidi, masquait à peine son émotion après l’adoption par l’Assemblée nationale, à l’unanimité des députés présents, d’un texte historique sanctionnant toutes les violences faites aux femmes : celles du mari, d’un parent, d’un employeur, le harcèlement de rue… La violence physique, morale, sexuelle, économique. Un texte unique. Qui ne changera pas du jour au lendemain les comportements des uns et des autres, mais qui pose la loi. Et qui montre que l’esprit de la révolution est toujours vivant. Qu’il y a une recherche de novation, de mouvement, de modernisme. Pourtant, la révolution est en danger. La construction démocratique est sapée par le défi économique. Le dernier rapport FMI sur la Tunisie (publié le 10 juillet dernier), dont on a déjà beaucoup parlé, ne cache pas la sévérité de son diagnostic : la crise économique et financière menace de tourner à la débâcle. En six ou sept ans, l’endettement extérieur du pays a doublé, passant de 45 % à 72 % du PIB. Un poids insurmontable qui risque de s’aggraver et qui surtout ne profite pas au secteur productif, à l’innovation, à l’exportation, à la valeur ajoutée. Le coût de la fonction publique absorbe près de 50 % des recettes de l’État. L’administration suradministre à vide. Malgré quelques coups de canif dans la machine, la corruption et le marché noir sabotent les efforts des entreprises privées. Les investissements sont en chute libre. Le pays ne produit plus assez, il n’exporte plus assez, il devient entièrement dépendant d’apports financiers extérieurs. On ne le dira jamais assez, mais le bilan des gouvernements post-révolution et en particulier ceux de la 3
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ÉDITO LA TUNISIE FACE AU CHOIX
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Troïka, dirigés par les islamistes d’Ennahda, portent une lourde responsabilité dans cette impasse. Et ceux qui sont issus de la Constitution de 2014 n’ont pas la force nécessaire, la légitimité massive, pour remettre les pendules à l’heure. Et passent une bonne partie de leur temps dans de stériles et suicidaires jeux d’appareils. Ou à attendre que la situation atteigne le point de non-retour et que le pouvoir revienne « naturellement » entre leurs mains… Le reste du monde, l’Occident, l’Europe en particulier, ne laisseront pas entièrement tomber la Tunisie. On mettra ce qu’il faudra pour permettre au patient de ne pas se noyer, de ne pas sombrer, de montrer que la démocratie peut exister « chez ces gens-là »… Quelques centaines de millions par-ci ou par-là. Mais, devant l’absence de réformes de fond, structurelles, de mise en ordre, de lutte réelle contre la corruption, le marché noir, on ne pourra pas espérer un sauvetage généralisé, un très hypothétique plan Marshall spécial Carthage. Avec à la clé, de toute façon, la mise sous tutelle du pays, un incontournable ajustement social brutal, l’appauvrissement durable avec leurs imprévisibles conséquences politiques. Au mieux une sorte de libanisation de l’économie, disparition du secteur public, explosion de l’économie grise où les plus modestes payeront la facture. Ou pire une sorte de Grèce, une Grèce sans les mécanismes de soutien et de sauvegarde de l’Union européenne… La sauvegarde ne pourra venir que de l’intérieur. Que de la Tunisie elle-même. On ne peut pas croire que ce pays de 11 millions d’habitants, avec un PIB de près de 45 milliards de dollars, qui fait déjà partie des économies moyennement développées, qui a accompli un si long chemin depuis la décolonisation et son indépendance, ne trouvera pas en lui les ressources pour rebondir. On ne peut pas croire que cette Tunisie, riche en talents, en élites, intellectuelles, commerciales, scientifiques, d’entrepreneurs, se résigne à cette défaite. Et ne trouve pas en elle-même les forces de son sauvetage. On ne pourra pas changer tout d’un coup. Il est temps de sortir des schémas traditionnels du pouvoir, des clivages antiques, de ne pas laisser aux politiciens impuissants le privilège de l’action. Il y a en Tunisie un vrai camp de la réforme, des femmes et des hommes qui y croient, qui ont la capacité d’agir et de rassembler. De transformer le pays. Ils doivent se réunir, s’organiser, informer, convaincre, se présenter, se faire élire. Ils doivent faire bouger les lignes. Proposer une alternative forte. Avant qu’il ne soit trop tard. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Instants de farniente sur la plage de La Marsa, à 20 km de Tunis, où résidents et vacanciers oublient les tracas du quotidien.
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SOMMAIRE Août-septembre n°371-372 AFRIQUE MAGAZINE NUMÉRO DOUBLE EN VENTE DEUX MOIS
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Rencontre
TOURIA EL GLAOUI nous raconte sa grande ambition 1:54 !
ÉDITO La Tunisie face au choix par Zyad Limam
TEMPS FORTS 18
Au pays du PIRE… et du MEILLEUR !
ON EN PARLE
Édito
LA TUNISIE À L’HEURE DU CHOIX par Zyad Limam
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Interview exclusive
ISABELLE ADJANI « Au nom du père et de l’art »
RD Congo
SINDIKA DOKOLO « Pourquoi je me bats »
Gabon
ÉTAT D’URGENCE DANS LA MAISON BONGO
SOFIA BOUTELLA DE BAB EL OUED À HOLLYWOOD
Fille de musicien, elle est née dans les quartiers populaires d’Alger. Elle est devenue la star montante du cinéma US. Retour sur un parcours hors norme. France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0
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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
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NUMÉRO
DOUBLE EN VENTE DEUX MOIS
Interview exclusive SINDIKA DOKOLO « Pourquoi je me bats »
CULTURE POP L’AFROPUNK et les BLACK COMICS secouent la scène
Entretien ISABELLE ADJANI « Au nom du père et de l’art »
Francee CES DÉPUTÉS PRESQUE AFRICAINS !
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Écrans : Vendre la mèche
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Agenda : Le meilleur de la culture
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C’EST COMMENT ? Famille, je vous hais ! par Emmanuelle Pontié
Algérie g e AU PAYS
DU MEILLEUR… ET DU PIRE
ÉTATS D’URGENCES DANS LA MAISON
Ali Bongo Ondimba au Palais du bord de mer à Libreville.
GABON
Crise politique p q interminable, stress l’élection économique q : un an après p contestée d’Ali Bongo, g il est plus p que nécessaire de sortir du statu quo. France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0
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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
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AFRIQUE MAGAZINE NUMÉRO DOUBLE EN VENTE DEUX MOIS
Gabon État d’urgence dans la maison Bongo Interview
Algérie
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Au pays du meilleur… et du pire
Isabelle Adjani : « Au nom du père et de l’art »
Et aussi TOURIA EL GLAOUI nous raconte son ambition 1:54 ! L’AFROPUNK et les BLACK COMICS secouent la scène
Portrait Sofia Boutella, de Bab El Oued à Hollywood
Musique : Pierre Kwenders, l’orfèvre afrofuturiste par Sophie Rosemont
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Livres : Kamel Daoud, histoires sans fin par Catherine Faye
CE QUE J’AI APPRIS Oulimata Gueye par Sabine Cessou VINGT QUESTIONS À… Ibrahim Koma par Astrid Krivian
POURQUOI JE ME BATS Son engagement en RD Congo, ses projets, le business, les diamants, l’art contemporain… Et son épouse Isabel dos Santos. France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0
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PHOTOS DE COUVERTURE : MAGHREB : ARMANDO GALLO/ZUMA STUDIO/REA AFRIQUE SUBSAHARIENNE : URIEL SINAI/THE NEW YORK TIMES/REDUX/REA INTERNATIONALE : ABBIE TRAILER SMITH/PANOS/REA
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France : Ces députés presque africains ! par Thalie Mpouho
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Interview : Touria El Glaoui par Zyad Limam
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Reportage : Une vie clandestine par Maryline Dumas
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Culture pop : Les super-héros ne sont pas tous blancs ! par Régis Dubois
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Débat théâtral en Avignon
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Tendances : Afropunk à Paris
par Sabine Cessou
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Interview : Isabelle Adjani par Fouzia Marouf
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Portrait : Sofia Boutella, de Bal El Oued à Hollywood par Fouzia Marouf
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France
SINDIKA DOKOLO
Perspectives : Algérie, le paradoxe du pire… et du meilleur ! par Akram Belkaïd
40
Ces députés presque africains !
UN ENTRETIEN EXCLUSIF
Événement Gabon : un an déjà… par Emmanuelle Pontié
34
par Jean-Marie Chazeau
PARCOURS Alioune Ifra Ndiaye par Sabine Cessou
Interview : Sindika Dokolo par Zyad Limam
Algérie
par Amanda Rougier
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Portfolio : Le monde brut par Hedi Dahmani
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NICOLAS FAUQUÉ POUR AM - SHUTTERSTOCK
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
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FONDÉ EN 1983 (33e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR GÉNÉRAL ET RÉDACTEUR EN CHEF
zlimam@afriquemagazine.com
Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION
Emmanuelle Pontié
DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION
p. 74
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Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com
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Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
Alexandra Gil RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE EN CHARGE DES ÉDITIONS NUMÉRIQUES
DÉCOUVERTE
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Éléonore Quesnel
C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
Cameroun
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sr@afriquemagazine.com
PRIORITE SANTE
DÉCOUVERTE
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO François Bambou, Sabine Cessou, Astrid Chacha, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Régis Dubois, Maryline Dumas, Catherine Faye, Alexis Gau, Virginie Gazon, Alexis Huguet, Dominique Jouenne, Abdeslam Kadiri, Fouzia Marouf, Thalie Mpouho, Sophie Rosemont.
Réformer en profondeur le secteur médical et offrir à tous un meilleur accès aux soins. L’État prend toutes les mesures pour relever le défi de la nécessaire modernité.
Cameroun : Priorité santé
par François Bambou et Alexis Huguet
MADE IN AFRICA
112 Escapades : Tanger, belle et rebelle
VIVRE MIEUX
par Abdeslam Kadiri
par Sabine Cessou
Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
ALEXIS HUGUET
114 Focus : Hicham Lahlou, designer militant
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
D O S S I E R D I R I G É PA R E M M A N U E L L E P O N T I É - R É A L I S É PA R F R A N Ç O I S B A M B O U E T A L E X I S H U G U E T
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116 Fashion : Noh Nee, fusion hybride par Catherine Faye
VIVRE MIEUX
118 Gastro : comment se protéger 119 Voyages : les risques du « jet-leg » 120 Tendinite : une douloureuse inflammation 121 Se remettre au sport : 4 règles d’or BERTRAND RIEGER/HEMIS.FR - MARVEL COMICS CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE - ALEXIS HUGUET - DR
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VENTES EXPORT Arnaud Desperbasque TÉL.: (33) 5 59223575 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL.: (33)156821200
ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32
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p. 116
Commission paritaire : 0219 / I 856 02. Dépôt légal : août 2017. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2017.
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« ZABOR OU LES PSAUMES », Kamel
Kamel Daoud Histoires sans fin L’auteur du multi-primé Meursault, contre-enquête signe un second roman pétri d’une conviction inaltérable : le pouvoir quasi DIVIN de la littérature. par Catherine Faye DEPUIS toujours, Zabor est convaincu d’avoir un don : s’il écrit, il repousse la mort. « Les gens ont essayé la prière, les médicaments, la magie, les versets en boucle ou l’immobilité, mais je pense être le seul à avoir trouvé la solution : écrire. » Fable, parabole, confession, le second roman de Kamel Daoud, journaliste et écrivain algérien, rend hommage à la nécessité de l’imaginaire et à la liberté d’une langue choisie. « L’écriture est la première rébellion, le vrai feu volé et voilé dans l’encre pour empêcher qu’on se brûle. » Et s’il appelle son héros Zabor, ce n’est certainement pas un hasard. Car Zabor 8
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est selon l’islam un des livres saints révélés par Allah avant le Coran et fait référence au Livre des Psaumes confié à David. Soit… Daoud en arabe. « La langue est une aventure en soi. […] Dans mon pays, elle est dissidence, elle est le lieu des imaginaires désobéissants. Comment raconter le monde entre le récit de la guerre de libération, qui fait passer la mort avant la vie, et le récit des religieux, qui fait passer l’au-delà avant l’ici-bas ? C’est une question qui obsède mon écriture : prouver que le monde existe ! » Qu’il brocarde l’islam politique ou la déliquescence du régime algérien, qu’il embrasse l’espoir suscité par les révolutions arabes ou qu’il défende la cause des femmes, ses points de vue tendent un miroir à ses adeptes comme à ses détracteurs. À travers la plume de son héros, imagée, percutante et engagée, Kamel Daoud expérimente nuit après nuit, telle une Shéhérazade voulant sauver ses semblables, la folle puissance des mots, de l’imaginaire. Par la voix de Zabor, père de deux enfants et contraint aujourd’hui d’accepter une protection policière dans les rues d’Oran pour ses prises de position, il affirme sa singularité en défiant la mort au sein d’une société algérienne minée par des croyances. « Un homme qui vous dit qu’il écrit pour sauver des vies est toujours un peu malade, mégalomane ou affolé par sa propre futilité », écrit-il en 2015 dans une de ses chroniques de La Cause littéraire. Son titre ? « Zabor ». C’est de ce texte court que découle sa fiction. Un roman au cœur duquel s’esquisse une interrogation : peut-on sauver le monde par un livre ? Une question à laquelle l’écrivain et chroniqueur fécond, observateur subtil de la société algérienne et défenseur de la laïcité, répond par l’affirmative. D’abord par son amour de la vie. Mais aussi par son indéfectible travail d’écriture, de lecture et de relecture, en se replongeant notamment régulièrement dans les Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar, parce que l’homme sans Dieu l’intéresse. « Et si l’écriture est venue au monde aussi universellement, c’est qu’elle était un moyen puissant de contrer la mort, et pas seulement un outil de comptables en Mésopotamie. » Mais au-delà d’une quête d’éternité, c’est de liberté dont Kamel Daoud se fait le chantre. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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RENAUD MONFOURNY
Daoud, Actes Sud, 336 p., 21 €.
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roman
Savoureuses chroniques ivoiriennes.
JAMES BROWN, UN MYTHE « CHACUN dans cette vie, homme ou femme, a sa chanson, et si vous avez un peu de chance, vous ne l’oubliez pas. […] Pour nous, les AfricainsAméricains, la chanson de notre vie, la chanson de toute notre histoire, s’incarne dans l’existence et l’époque de James Brown. » Quarantecinq ans de carrière, plus de 200 millions de disques vendus, 321 albums enregistrés, dont 16 hits, 832 chansons écrites et 45 disques d’or, James Brown a révolutionné la musique. Jazzman et romancier, lauréat du National Book Award, James McBride s’est lancé
« METS LE FEU ET TIRE-TOI », James
McBride, Gallmeister,
336 p, 23 €.
sur les traces de cette icône. De rencontres en entretiens, il nous offre un tableau magistral de l’univers du parrain de la soul et nous livre une vision troublante de la société américaine actuelle. « Un homme qui échappait à toute tentative de description. La raison ? Brown était l’enfant d’un pays de la dissimulation : le Sud des États-Unis. » Une enquête passionnante. ■ C.F.
3 questions à… VENANCE KONAN, UNE PLUME AU VITRIOL « NÈGRERIES »,
Venance Konan,
Michel Lafon, 278 p., 17,95 €.
récit
UN APPRENTI REPORTER À « KIN »
« KINSHASA JUSQU’AU COU »,
Anjan Sundaram, CAMILLE MILLERAND
RENAUD MONFOURNY
ON EN PARLE livres
éd. Marchialy, 342 p., 21 €.
AFRIQUE MAGAZINE
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L’AUTEUR, originaire d’Inde et formé à la finance aux États-Unis, plaque tout et se prend un aller simple pour Kinshasa, en 2006. Un projet des plus fous qui va changer sa vie. Ce carnet de bord rempli de phrases courtes énonce des faits à la mitraillette. Il ne transige pas avec la réalité qu’il observe autour de lui, ni avec ses propres sentiments, qu’il expose aussi. Sa plongée à la fois objective et subjective dans la RDC d’après la deuxième guerre du Congo lui a valu le Reuters Prize en 2006. Elle a été suivie en 2016 d’un autre livre non moins courageux, après cinq années passées au Rwanda. Non traduit, il s’intitule en anglais : Bad News, Last Journalist in a Dictatorship. Un écrivain est né. ■ Sabine Cessou
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AM : C’est le troisième recueil de vos chroniques publiées dans le quotidien Fraternité Matin, et le premier qui sort en France et en Europe. Quel public visez-vous ? V.K. : Les Africains de l’étranger et les Français ou Européens qui s’intéressent à l’Afrique. Ceux qui ont un regard intelligent, décalé, avec un peu d’humour ! Mes derniers ouvrages, comme la série des Catapila, m’ont fait connaître hors de la Côte d’Ivoire. Mon éditeur y croit. Ça devrait se vendre ! Quelle est la chronique qui a le plus fait couler d’encre ou qui vous a attiré le plus de réactions ? Peut-être « Le dictionnaire France-Afrique à l’intention de François Hollande », parue au lendemain de son élection. Gros succès. Après, toutes celles qui parlent des questions ivoiro-ivoiriennes, comme la réconciliation ou Laurent Gbagbo. Elles attirent toujours des gens qui adorent et d’autres qui m’appellent, fous de rage. Vous fustigez non-stop vos compatriotes. Quel est, si on devait n’en retenir qu’un, le plus grand défaut des Ivoiriens, selon vous ? Le fait de toujours rejeter la faute à autrui lorsqu’ils ont un problème. Si on est malade ou si on a un accident de voiture, c’est à cause d’un sorcier qui nous en veut. Si on est sousdéveloppé, c’est la faute à la colonisation, etc. Mais c’est un travers africain en général. ■ propos recueillis par Emmanuelle Pontié
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Pierre Kwenders
« MAKANDA AT THE END OF SPACE, THE BEGINNING OF TIME »,
Pierre Kwenders,
Bonsound.
L’orfèvre afrofuturiste
Lingala, anglais, hip hop, rumba… Grâce à ce Congolais canadien d’adoption, le sens de l’entertainment africain rencontre la culture URBAINE nord-américaine. À 31 ANS, c’est l’un des musiciens les plus passionnants de la diaspora africaine. Né à Kinshasa, il vit au Canada depuis l’adolescence. C’est dans une église québécoise prisée par la communauté congolaise qu’il pousse pour la première fois la chansonnette. Révélation : il sera chanteur. Quelques années plus tard, il décide de ne pas donner suite à ses études de comptable et commence à enregistrer EP sur EP. Il fonde le collectif artistique montréalais Moonshine, collabore régulièrement avec Win Butler, leader d’Arcade Fire – dont il a récemment assuré les premières parties. Dans son premier album, Le Dernier Empereur bantou (2014), il introduisait sa musique à la fois nourrie de la pop actuelle occidentale et des 10
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grands noms tels Papa Wemba ou Koffi Olomidé. Avec ce deuxième effort baptisé Makanda at the End of Space, the Beginning of Time, Pierre Kwenders affirme, dès les premières minutes, qu’il est capable de beaucoup. Jonglant entre français, anglais, shona ou encore lingala, ce chanteur polyglotte joue aussi la carte des variations avec un son résolument éclectique. On y entend de la rumba congolaise, du hip hop actuel, du folk ancestral, du R’n’B des années 90, de la disco seventies… Alternant ritournelles lancinantes (« Makanda », « Rendez-vous », « Zonga ») et titres plus remuants (« La La Love », « Sexus Plexus Nexus », formidable tube), Makanda reste cohérent grâce à la production avisée de Tendai Baba
Maraire. Moitié du duo de rap indie américain Shabazz Palaces, ce dernier a su en faire un disque synthétique sans excès, utilisant généreusement les claviers électroniques et les beat machines sans négliger les instruments organiques – notamment les cuivres, irrésistibles. Reconstituant l’ambiance des soirées de Kinshasa, le clip de « Sexus Plexus Nexus » témoigne du désir de Kwenders de transmettre toute la sensualité d’un pays sachant célébrer l’amour malgré les troubles sociaux et politiques. Ce que partagent avec lui ses invités comme la chanteuse zaïroise Tanyaradzwa, les rappeurs Fly Guy Dai et Palaceer Lazaro (autres membres de Shabbazz Palaces) ou l’iconique chanteuse funk SassyBlack. ■
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NEIL MOTA
par Sophie Rosemont
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Le musicien, qui maîtrise l’ilimba et le zeze, fabrique ses propres instruments. « UHAMIAJI »,
Msafiri Zawose,
tradition revisitée
Soundway.
MSAFIRI ZAWOSE, ROI DE LA WAGOGO-FUSION
Avec Uhamiaji, le Tanzanien signe son MEILLEUR album à ce jour. FILS DU CÉLÈBRE Hukwe Zawose, Msafiri réussit à réinterpréter à sa sauce la musique traditionnelle wagogo – il maîtrise d’ailleurs à la perfection l’ilimba et le zeze. Et, fort de trois disques, il affirme, avec ce superbe Uhamiaji (« frontières » en français), sa volonté d’offrir une nouvelle vague sonore aux mélodies tanzaniennes. Banco, dès l’ouverture « Nzala Urugu », on est hypnotisé par des mélodies profondément organiques, furieusement tribales mais dotées d’une production électronique tendance jazzy – celle de l’Anglais Sam Jones. Capable de fabriquer seul ses propres instruments, s’entourant de nombreux musiciens, pour la plupart issus de sa famille, Msafiri signe là son meilleur album à ce jour. Car, lorsque résonne la conclusion « Hali Halisi », on peine à croire que notre trip a seulement duré 55 minutes. ■ S.R.
jazz JULIA BIEL, UNE VOIX À PART NÉE en Angleterre d’un père sud-africain et d’une mère allemande ayant immigré à Londres pour changer de vie, Julia Biel se passionne très tôt pour le piano, qu’elle manie dès l’université dans des formations jazz. Après deux disques prometteurs, la voici avec cet album éponyme doté d’une rare élégance, co-écrit avec Idris Rahman et mixé par Laurent Dupuy (Angelique Kidjo, Féfé…). Julia Biel trouve le parfait équilibre entre pop et jazz, étayant la sophistication de sa voix, superbe, et de son jeu au piano par des mélodies finement groovy. En témoignent les très chics « Always » ou « Emily ». ■ S.R. « JULIA BIEL »,
Julia Biel,
Rokit Record.
« TANGERINE MOON WISHES »,
Sandra Nkaké,
Pias.
soul BENJAMIN CLEMENTINE, HOBO MAGNIFIQUE
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NEIL MOTA
ON EN PARLE musique
APRÈS un premier album, At Least for Now (2015), couronné de succès, un Mercury Prize et une Victoire de la musique, Benjamin Clementine aurait pu se perdre en chemin. Mais le Londonien d’origine ghanéenne en a vu d’autres, sait la chance « I TELL A FLY », qu’il a eue de vivre de son art après une Benjamin Clementine, enfance austère et instable. Il cultive Barclay/Universal. toujours le même terrain, celui d’un folk au piano. Sensible, écorché et engagé, quitte à être grandiloquent. De « Farewell Sonata » à « Ave Dreamer » en passant par « Phantom of Aleppoville », il parle de la société, de ce qui l’entoure tout en exposant ses états d’âme. Réussi. ■ S.R. AFRIQUE MAGAZINE
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groove MAGNÉTIQUE SANDRA NKAKÉ « J’AI OUVERT mon cœur et mon monde. J’y ai vu de la douceur et des ombres », chante-t-elle sur l’ouverture de « The Dawn ». Camerounaise ayant grandi entre Paris et Yaoundé, la belle Sandra Nkaké dispose d’une voix cristalline et d’un songwriting ciselé, ce qu’ont prouvé ses disques précédents et ses multiples activités musicales. Mais ce talent, cette élégance vocale (soutenue par l’apport de Jî Drû) ainsi qu’une capacité à évoluer entre ciel et terre, eau et lune, prennent toutes leur dimension sur des titres comme « Mon cœur », « Lune rousse » ou « The Last Journey ». Un joli voyage. ■ S.R. 11
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Vendre la mèche
Les réalisateurs ont passé trois ans dans le Xe arrondissement, pour s’immerger dans son atmosphère.
À travers l’histoire de Charles, chef d’un groupe de rabatteurs pour salons de coiffure afro, c’est le PORTRAIT du célèbre quartier parisien de Château d’Eau qui se dessine. Loin des caricatures. par Jean-Marie Chazeau
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blanchiment interdites en France…). Mais rien de méchant, on est plus proche des Pieds nickelés, et ce sont finalement les femmes qui semblent tirer les ficelles. Dommage que le rythme du film ne corresponde pas toujours à la vie trépidante qu’il décrit, et que les effets comiques soient parfois dilués dans des séquences qui s’étirent. Mais on apprécie le jeu des acteurs, dont celui de Tatiana Rojo, décidément très en vue (lire ci-contre), et l’aspect documentaire sur un milieu fermé : les deux cinéastes se sont immergés pendant trois ans dans ces rues et ces boutiques, pour pouvoir tourner avec la complicité des habitants et des travailleurs du quartier. Ivoiriens, Congolais, mais aussi Chinois, Indiens ou Kurdes, se côtoient dans un melting-pot très… parisien. Un témoignage drôle et doux à la fois, assez loin finalement de la caricature des habitants d’un quartier tout proche, celui du Sentier, dans La vérité si je mens !… ■ « LA VIE DE CHÂTEAU » (France) de Modi Barry et Cédric Ido. Avec Jacky Ido, Tatiana Rojo, Félicité Wouassi. AFRIQUE MAGAZINE
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TOUTE L’AFRIQUE connaît le quartier Château d’Eau à Paris : autour de cette station de métro, la plus grande concentration de salons de coiffure afro de France donne la tendance jusque sur le continent noir en matière de mode du cheveu. Mais on s’y livre aussi une concurrence féroce, avec ces équipes de rabatteurs aux sorties du métro qui rivalisent de tchatche pour attirer les clientes vers le meilleur lissage ou la plus belle mèche. Un vrai spectacle qui a inspiré deux réalisateurs parisiens d’origine africaine, pour leur premier long-métrage : Modi Barry et Cédric Ido. Ce dernier en a confié le rôle principal à son frère Jacky, dont le charisme sert parfaitement le personnage, Charles (« comme le prince »), qui se veut à la pointe de l’élégance sur son bout de trottoir. L’argent circule, mais les affaires sont difficiles, le quartier étant « coincé entre les Chinois et les bobos », menacé de transformation par l’évolution immobilière et sociologique du centre de Paris. Dans ce contexte, toute une galerie de personnages hauts en couleur se croise entre quiproquos et magouilles (y compris autour des crèmes de
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comédie musicale
QUAND LAURENT RENCONTRE SAFI « JE NE SUIS PAS UNE FEMME AFRICAINE, je suis une femme ! », s’écrie Safi, qui réclame à sa famille le droit d’épouser qui elle veut… Il faut dire qu’elle aime un jeune homme de bonne famille de Neuilly, alors qu’elle, de Montreuil, est promise à un riche cousin à Bamako. Chez les Maliens comme chez les grands bourgeois parisiens, pas question de se marier hors de son milieu. C’est l’habileté du scénario d’insister sur ce racisme qui ne s’assume pas, même si côté blanc, la caricature est lourde et presque sinistre, quand elle est exubérante et drôle chez les Africains de Paris. Une comédie musicale où Laurent, le toubab amoureux, sombre dans la guimauve (et tente un zouk) alors que Safi (Tatiana Rojo, subtile dans ce roman-photo) baigne dans le coupé-décalé et le zouglou les plus débridés. ■ J.-M.C.
De la liaison a priori impossible entre Laurent et Safi, naît une histoire d’amour musicale entre la France et l’Afrique.
« LAURENT ET SAFI » (France-Mali) d’Anton Vassi.
Avec Tatiana Rojo, Xavier Jozelon, Michel Gohou, Habib Dembélé « Guimba ».
documentaire
Les Cissé contre les Diakité « O KA », en soninké, c’est « notre maison », celle de la famille Cissé où le réalisateur malien est né, dans le quartier de Bozola (Bamako). Sur son seuil, ses quatre sœurs, expulsées à la demande des Diakité, à qui la justice corrompue a reconnu la validité d’un faux titre de propriété… Le Mali d’aujourd’hui n’a décidément plus rien à voir avec celui de la tradition et de la tolérance, nous dit le grand cinéaste, en partant de ce contentieux qui l’a touché de près. Deux ans après sa présentation au Festival de Cannes, le film n’a rien perdu de son acuité, en mêlant enquête, archives et fiction. Depuis, la cour suprême du Mali a rendu justice à la famille Cissé, confirmant l’espoir qui transparaît malgré tout. ■ J.-M.C. « O KA, NOTRE MAISON » (Mali) de Souleymane Cissé.
aventures
LE MYTHE DU ROUTARD
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ON EN PARLE écrans
GABRIEL, étudiant brésilien parti faire le tour du monde, boucle son périple au Kenya et veut faire une incursion au Malawi pour gravir une montagne sacrée, malgré les mises en garde des locaux… Cette histoire vraie qui finit mal, comme on l’apprend dès le début, est une fiction qui a des allures de documentaire : le réalisateur, ami d’enfance du jeune homme, a tourné sur les lieux mêmes en faisant rejouer aux témoins les scènes vécues avec Gabriel. Le personnage force l’empathie, refusant de se comporter en touriste, vivant chez les habitants, apprenant leur langue, etc. Le résultat est troublant et lumineux, et aborde frontalement le comportement des Occidentaux qui, voulant bien faire, ne voient pas forcément leur arrogance… ■ J.-M.C. AFRIQUE MAGAZINE
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« GABRIEL ET LA MONTAGNE »
(Brésil) de Fellipe Barbosa. Avec
João Pedro Zappa, Caroline Abras. 13
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événement
« AKWABA » À ANGOULÊME
Marseille
Portrait de don Afonso de Albuquerque, gouverneur des Indes portugaises (1509-1515), Goa, Inde, XVIe siècle.
Le Mucem explore l’Ancien Monde
Entre Méditerranée et océan Indien, mille ans d’aventures maritimes et d’ÉCHANGES entre civilisations. DE L’EMPIRE PERSE aux conquêtes d’Alexandre le Grand, de l’expansion de l’Islam aux explorations chinoises, des aventures portugaises aux navigations hollandaises, l’exposition conduit le visiteur à travers d’extraordinaires récits de voyages. Un parcours au croisement de l’or d’Afrique et de l’argent d’Occident, ’Occident, des verreries de Venise, des cotonnades indiennes, nnes, des porcelaines et des épices venues des mers de Chine. Avec plus de deux cents œuvres provenant nant de cinquante musées et institutions, de Lisbonne nne à Singapour, l’Ancien Monde tel qu’il est apparu ru aux premiers aventuriers des mers, riche d’un avenir à construire. ■ Catherine Faye « AVENTURIERS DES MERS, MÉDITERRANÉEÉEOCÉAN INDIEN, VIIe-XVIIe SIÈCLE », Mucem,
jusqu’au 9 octobre. 7, promenade Robert-Laffont, affont, Marseille. mucem.org
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Bézoard serti de filigrane d’or, Goa, Inde, fin du XVIIe siècle.
C’EST L’UN DE CES FESTIVALS incontournables qui font la trame de l’été. Peut-être moins glam, moins big, moins too much que Cannes, mais tout aussi efficace. Bienvenue donc au Festival du film francophone d’Angoulême (FFA), la grande affaire de deux grands professionnels : Marie-France Brière et de Dominique Besnehard. John Malkovich présidera le jury de ce dixième FFA. On attend avec impatience l’arrivée de Gérard Depardieu et de Catherine Deneuve en guest-stars pour la projection hors compétition de Bonne pomme. Parmi les films en compétition, deux œuvres africaines : les remarqués Frontières d’Apolline Traoré (Burkina Faso) et La Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania (Tunisie). Enfin et surtout, cette édition rend hommage à la Côte d’Ivoire à travers expositions, projections et événements. Et avec fin août, la visite de la Première dame Dominique Ouattara (photo), épouse du président Alassane Ouattara, accompagnée d’une forte délégation. Donc, akwaba à Angoulême ! ■ Zyad Limam « FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE D’ANGOULÊME (FFA) », du 22 au 27 août.
www.filmfrancophone.fr AFRIQUE MAGAZINE AFRIQU
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La dixième édition du FESTIVAL du film francophone ouvre ses portes à la Côte d’Ivoire.
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ON EN PARLE agenda festival mémoire
« Thiaroye », 1944 (série Liberty, 2016) par Omar Victor Diop.
VOYAGE ENTRE LE HAVRE ET DAKAR
La ville de Normandie, qui fête ses 500 ans, ÉCLAIRE ses liens historiques avec le Sénégal. 10 000 SÉNÉGALAIS et Franco-Sénégalais vivent au Havre et dans sa périphérie. À travers l’exposition « Le Havre-Dakar, partager la mémoire », la Ville, qui fête le cinquième centenaire de sa création, rend hommage à cette communauté. Des liens forts et singuliers, qu’ils soient douloureux – à travers les comptoirs de traite – ou artistiquement féconds. Avec le concours du musée Théodore-Monod (Dakar) et de collections rassemblées en France, les œuvres et objets patrimoniaux côtoient le travail de 14 artistes contemporains (photo, vidéo, peinture, textiles…). Des parcours thématiques complètent l’exposition et une salle de 100 m2 est spécialement dédiée au plus jeune public. ■ Hedi Dahmani Jusqu’au 31 décembre. museum-lehavre.fr
OMAR VICTOR DIOP/COURTESY GALERIE MAGNIN-A - DAVID OZOCHUKWU
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cinéma
L’œil des femmes LA 11e ÉDITION du Festival de Salé (Maroc) joue une nouvelle séquence au fil d’une programmation dévolue aux premiers films. La condition féminine se dessine selon des chroniques intimistes : « Une majorité de récits initiatiques évoquent des adolescentes et des héros enfants », confie Hicham Falah, directeur artistique. Le jury sera présidé par la réalisatrice Dominique Cabrera et les actrices Saadia Ladib et Souad Hussein. Côté compétition internationale, le Maroc concourt avec « Le Clair obscur » (Khaoula Benomar), l’Afrique subsaharienne avec des opus sur la pérennité des traditions dans nos sociétés modernes : le tendre « Zin’naariyâ ! », de la Nigérienne Rahmatou Keïta, et l’acide « I Am Not a Witch », de la Zambienne Rungano Nyoni. Et des hommages, master class, ateliers de réalisation, débats… ■ Fouzia Marouf « FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE FEMMES DE SALÉ »,
du 25 au 30 septembre. fiffs.ma AFRIQUE MAGAZINE
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ARLES, MECQUE DE LA PHOTO
Moins nombreux que par le passé, les ARTISTES du continent se distinguent par une qualité certaine.
« I will learn to like the skies I’m under », de David Ozochukwu. 47 ANS, pas une ride et un engouement toujours intact. Fondé en 1970, le festival d’Arles, qui rassemble chaque été le must de l’art contemporain, a accueilli près de 18 000 festivaliers dans sa première semaine. Un record. Les 250 artistes à l’affiche s’invitent dans différents sites de la ville, parfois habituellement fermés au public, pour exhiber leurs clichés. Le palais de l’Archevêché, par exemple, a animé la projection « Regards croisés » d’AKAA (Also Known As Africa), qui mettait à l’honneur une sélection de photographes africains comme le Nigérian David Ozochukwu ou le Sud-Africain Mohau Modisakeng. Entre rencontres, débats, projections nocturnes, réalité virtuelle et surtout expositions, profitez d’une programmation inédite jusqu’à la fin de l’été. ■ Thalie Mpouho
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« LES RENCONTRES D’ARLES 2017 », jusqu’au 24 septembre. rencontres-arles.com
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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié
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’est la période où les diaspo prennent l’avion. Pour aller passer quelques semaines en famille, au pays. Voir une maman âgée, quelques potes de promotion pour boire des coups dans les maquis-souvenirs. Ou accompagner un enfant chez leur belle-sœur pour les vacances. En Europe, ce genre de programme, classique, ne présage a priori que du bonheur. Mais en Afrique, c’est une autre paire de manches… Le diaspo black, qu’il ait réussi ou non à l’étranger, lui, il est attendu de pied ferme chez les siens. Avec une litanie de doléances et de besoins pécuniaires sonnants et trébuchants. Pas question que la famille restée « souffrir » au bled ne rançonne pas un peu (et souvent beaucoup) celui qui a eu « la chance » de partir s’installer dans un pays riche. Les yeux pleins d’étoiles lorsqu’on évoque la tour Eiffel ou la statue de la Liberté, elle ne peut imaginer qu’il y a aussi des banlieues éloignées sordides où l’on souffre pareil, voire plus en étant déraciné, loin de la chaleur familiale. Que la vie est chère et les revenus souvent non alignés. Du coup, devant un monde aussi impitoyable, les diaspo multiplient les ruses pour échapper au racket organisé. Certains ne préviennent pas qu’ils arrivent, prétextant l’effet de surprise. Juste pour éviter l’interminable liste de courses qu’on leur demande d’apporter par avion, jamais remboursées et entraînant évidemment des excédents de bagages pour leur pomme. Parfois, ils s’installent chez un pote, pour éviter les cohortes de cousins et neveux affamés qui défilent à la maison familiale. J’en connais un qui a même prétexté s’être fait dérober son portefeuille à l’aéroport, pour passer trois semaines à dire à tous qu’il ne pouvait rien donner, malheureusement. Bien sûr, il y a ceux qui prodiguent des largesses, en ayant prévu la dépense à l’avance. Eux, heureux et fiers au départ de montrer AFRIQUE MAGAZINE
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quand même qu’ils ont « réussi », se retrouvent ratissés comme des passe-lacets pour le reste de l’année, contraints de manger des nouilles ou de la bouillie d’igname jusqu’à ce que les économies se reconstituent. Avant d’être spoliés à nouveau l’année d’après. Alors, conseil d’un autre ami qui a tout compris pour l’été : envoyer un billet d’avion à sa mère ou à son père et profiter d’eux loin de la famille-aspirateur. Moins compliqué, même avec les histoires de certificats d’hébergement, assure-t-il. Mais bon, aux autres aussi, bonnes vacances quand même! ■
J’en connais un qui a même prétexté s’être fait dérober son portefeuille, pour passer trois semaines à dire qu’il ne pouvait rien donner. 17
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Sindika Dokolo
Pourquoi je mebats
Il est l’époux d’ISABEL DOS SANTOS, l’autre moitié d’un incroyable power couple. Entrepreneur et homme d’affaires de talent, collectionneur d’art, mécène, il se jette, à 45 ans, dans la bataille pour la transition politique en RD Congo. Une interview exclusive.
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Propos recueillis par Zyad Limam a caricature consisterait à le réduire à quelques clichés qui ont la vie dure : celui de « mari de », celui d’une « PEP », personnalité politiquement exposée, au parcours de jet-setteur financier à la fois efficace et flamboyant, au carrefour des affaires internationales, des enjeux stratégiques, de la politique et des arts… Évidemment, les choses ne sont pas si simples. L’histoire de Sindika Dokolo n’est pas celle d’un nouveau riche. On pourrait au contraire parler de dépossession, de reconstruction d’un héritage familial, de redonner de la force à un nom. Tout en écrivant sa propre histoire. Sindika est l’un des quatre enfants d’Augustin Dokolo Sanu et Hanne Kruse, citoyenne danoise, épousée en 1968. Dokolo père construit un vaste empire économique dans le Zaïre de Mobutu, avec pour
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fleuron la Banque de Kinshasa. Sindika, enfant de bonne famille, grandit entre l’Afrique et l’Europe, où il fréquente à Paris le lycée jésuite Saint-Louis-de-Gonzague. À la fin des années 90, un Mobutu sur le déclin s’attaque à Augustin Dokolo, devenu trop puissant au goût du pouvoir (ou de ce qu’il en reste). L’entrepreneur ne se remettra pas du dépeçage de son œuvre. Il meurt en 2001. La famille quitte Kinshasa. Sindika s’installe à Luanda. Où il épouse la belle Isabel, fille de Eduardo dos Santos, président depuis 1979. La reconquête est en marche. Métis culturel, précis, ambitieux, sans complexe, il défend son patrimoine congolais, investit dans le diamant, l’orfèvrerie et tout récemment dans les ciments. Il constitue la plus importante collection d’art contemporain africain. Et a décidé aujourd’hui de mettre tout son poids dans la balance pour mettre fin au pouvoir de Joseph Kabila et entamer une vraie transition démocratique en RD Congo. AFRIQUE MAGAZINE
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ABBIE TRAYLER SMITH/PANOS-REA
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COVER STORY SINDIKA DOKOLO : « POURQUOI JE ME BATS »
AM : Vous êtes entrepreneur, collectionneur, mécène. Avez-vous une ambition politique en RD Congo ? Sindika Dokolo : Ma motivation n’est pas de me positionner sur l’échiquier politique congolais. Il y a suffisamment de politiciens et de candidats présidents en RDC. Ce qui nous manque, c’est la prise de conscience collective qu’il nous faut défendre nos acquis démocratiques face à M. Kabila, qui veut rester au pouvoir. Ma démarche est avant tout un engagement citoyen qui a pour point de départ une double conviction. La première est que les maux de la RDC viennent du choix délibéré du président de la République de ne pas respecter notre Constitution, et notamment l’obligation de tenir les élections dans les délais et de respecter le principe de l’alternance. La seconde est que seule la masse citoyenne congolaise résolue dans la défense de notre démocratie peut empêcher le sabordage de nos institutions. Je fais donc à ce stade davantage partie de la société civile que de la classe politique. Pour quelle raison vouloir faire de la politique, prendre part au débat congolais ? Pourquoi prendre ce risque ? Lorsque les institutions d’un pays sont prises en otage par ses dirigeants, il appartient à chaque citoyen d’agir selon sa conscience. La prise de risque est à la mesure de l’enjeu. Un tribunal de Kinshasa vient de vous condamner à un an de prison pour un délit immobilier. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’immeubles qui appartiennent à ma famille depuis les années 70. Un procès sur une affaire déjà jugée – j’ai été acquitté en février dernier –, auquel j’ai été convoqué par un huissier qui n’existe dans aucun tribunal de la ville et qui m’aurait donc remis une citation directe que je n’ai jamais reçue. Une vraie parodie de justice. L’objectif est d’intimider ou de rendre inéligible, comme c’est malheureusement maintenant la règle en RDC pour ceux qui dénoncent les dérives du régime. Pourquoi ce « retour » dans un pays que vous avez quitté depuis de nombreuses années ? Je n’ai jamais vraiment quitté mon pays. Ma famille est liée à l’histoire économique de la RDC. Mon père a été le premier Congolais à créer une banque, la Banque de Kinshasa, et a longtemps été l’homme d’affaires numéro 1 du pays. Nous possédons encore de nombreux actifs stratégiques aux quatre coins de la République. Vous connaissez bien Joseph Kabila. Vous étiez même, dit-on, en bons termes. Pourquoi avoir adopté, depuis, une attitude d’opposition aussi nette ? Comme beaucoup de Congolais, j’ai été sensible au destin du tout jeune président dont le père venait d’être assassiné, en 2001. Même si Joseph Kabila a pu avoir un temps l’intérêt du pays à cœur, il a pris goût au pouvoir au point de tenter de se maintenir par la force au-delà de son second et dernier mandat. Ce faisant, il a affaibli nos institutions et a créé le 20
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« Lorsque les institutions d’un pays sont prises en otage par ses dirigeants, il appartient à chaque citoyen d’agir selon sa conscience. » chaos. Il porte à mes yeux la responsabilité morale des foyers d’instabilité qui ont mis le feu à la RDC. L’utilisation de ces violences comme excuse pour repousser les élections a fini de me convaincre qu’il a délibérément franchi la ligne rouge. Comment expliquez-vous le jusqu’au-boutisme du président Kabila ? Serait-il prisonnier d’un « clan » ? Je ne connais ni ses relations avec les membres de sa famille, ni avec les collaborateurs de son premier cercle, dont la fidélité va jusqu’à s’exposer aux sanctions ou au spectre de la justice internationale. Cependant, j’ai la conviction que M. Kabila a pris seul la décision de transgresser son serment constitutionnel. Il a sciemment créé une culture d’instrumentalisation de la justice et des services de sécurité afin d’éteindre toute contestation dans l’œuf. En choisissant l’option de l’abus de pouvoir et du non-droit, il a en pleine conscience franchi le point de non-retour. Désormais, il est tenu de se maintenir par la force, au risque de devoir rendre des comptes sur les exactions commises au quotidien en son nom. Il a créé une spirale de violence politique qui ne prendra fin qu’avec son départ. Vous invoquez une interprétation littérale de l’article 64 de la Constitution congolaise. C’est une déclaration de guerre à l’égard du régime… Aux termes de cet article, tout Congolais a le devoir de faire barrage à un individu tentant de garder le pouvoir en violation de la Constitution. Un article aussi clair peut-il souffrir d’une autre interprétation ? La question que chaque citoyen doit désormais se poser en son âme et conscience est « Kabila essaie-t-il de se maintenir au-delà de son mandat ?» Malgré tous les efforts de ses communicants pour convaincre l’opinion qu’il est de bonne foi, plus personne en RDC n’est dupe. L’appel de l’Église catholique à lui faire obstacle va générer une pression populaire sans précédent et faire de l’alternance la priorité de l’agenda politique de 2017. AFRIQUE MAGAZINE
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Juillet 2017. Main dans la main (de droite à gauche), Sindika Dokolo, Moïse Katumbi, Félix Tshisekedi et le conseiller Salomon Kalonda réaffirment leur volonté commune de voir Joseph Kabila quitter le pouvoir à la fin de l’année.
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L’homme d’affaires est formel : le chef de l’État congolais a « créé le chaos » et est responsable des « foyers d’instabilité qui ont mis le feu à la RDC ».
Pensez-vous que des élections transparentes soient encore possibles, dans un délai raisonnable, en RDC ? Avec Joseph Kabila à la tête du pays, je ne crois pas que de telles élections soient envisageables. L’idée même va à l’encontre de toute sa stratégie de survie politique. L’usage qu’il fait de son contrôle sur la Commission électorale, sur la Cour constitutionnelle et son refus d’accepter un réel contre-pouvoir prouvent à suffisance que la démocratie n’est pas à l’ordre du jour. Comment vous situez-vous par rapport à des personnalités comme Moïse Katumbi ou Félix Tshisekedi ? Nous avons en commun la certitude que la normalisation de la vie politique en RDC et l’apaisement social sur toute l’étendue du territoire ne se feront qu’au prix du départ de M. Kabila. De plus en plus de politiciens congolais, mais aussi de simples citoyens, arrivent à cette conclusion. C’est important, car cela permet la constitution d’un front citoyen uni autour de principes plutôt que d’individus et au-delà des clivages politiques. Seule une alliance aussi large sera capable de faire céder le pouvoir sans effusion de sang. Ensuite seulement viendra le temps des élections. Comme tous les Congolais, je devrai, le moment venu, faire le choix du meilleur candidat. Il n’est un secret pour personne que je considère les capacités organisationnelles et entrepreneuriales de Moïse Katumbi AFRIQUE MAGAZINE
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comme un atout précieux à un moment où la lutte contre la crise économique et ses effets sociaux est la priorité absolue. Il me semble cependant important que le climat de la campagne permette aux citoyens de choisir entre deux visions, deux projets, afin de dépasser les facteurs émotionnels et subjectifs, et que le meilleur gagne. Peut-on espérer une transition pacifique, démocratique du pouvoir ? Peut-on faire l’économie de la violence ? Face à la coercition d’État, il faut une réaction citoyenne pacifique mais déterminée. Le risque de dislocation de la RDC étant réel, M. Kabila attise les braises tout en se présentant comme le seul rempart face au chaos humanitaire que représenterait un pays livré aux rébellions. Le sentiment anti-Kabila, bien que largement partagé, est confronté à cette peur du vide et de l’anarchie qui pourraient découler de son départ impromptu. Il faut donc communiquer largement sur le fait qu’il est la principale source d’instabilité et qu’il existe des scénarios de maintien de la paix sociale après son départ. Le pays n’a connu aucune transition pacifique du pouvoir depuis l’indépendance… Les destins tragiques sont en effet omniprésents lorsqu’on fait le bilan de l’histoire politique de la RDC, avec les violences qui ont marqué la fin de Lumumba, de Mobutu ou de Kabila père. Ces événements graves n’ont cependant rien de commun avec la violence extrême constatée depuis quelques années dans l’Est, notamment à Beni, où l’on tue et viole tous les jours. Cette barbarie insupportable n’a jamais fait partie 21
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de nos mœurs. Elle s’est développée après la chute du régime Mobutu et vise clairement l’éclatement du pays par la terreur infligée aux populations civiles des régions limitrophes des Grands Lacs. Plutôt que de la combattre, M. Kabila a essayé d’en tirer un profit politique en la laissant s’exporter au Kasaï pour justifier de l’impossibilité d’organiser les élections. C’est en soi une trahison pour laquelle l’histoire le jugera à défaut d’un tribunal. Il faut rappeler qu’alors que de nombreux opposants croupissent en prison à la suite de parodies de procès, Gédéon Kyungu, seigneur de guerre convaincu de crimes contre l’humanité d’une rare barbarie, a été gracié et travaille de son propre aveu pour le régime. Tant qu’il aura un sentiment d’impunité, il est à craindre que Joseph Kabila continue sa politique de la terre brûlée. Peut-on être un homme d’argent et un homme politique ? Toutes les combinaisons sont possibles et aucune n’offre de garantie absolue de probité. Je suis d’avis que, les défis principaux de nos pays étant économiques, il est important que les responsables politiques comprennent profondément les principes qui régissent le marché et permettent à un pays de déployer une vraie stratégie de développement. Lors d’une interview, vous aviez annoncé que l’Afrique centrale serait la terre d’élection des futurs oligarques. Compte tenu de votre fortune, de vos ambitions, n’êtes-vous pas vous-même un de ses premiers oligarques ? J’aimerais que ma réussite entrepreneuriale inspire d’autres Africains, notamment des jeunes. Il n’est pas normal que tant de groupes internationaux fassent de l’Afrique leur cash cow, leur vache à lait, leur chasse gardée, et qu’il n’y ait pas plus de champions africains capables de les concurrencer. Produire des capitaines d’industrie africains devrait figurer tout en haut des priorités des États du continent, car on ne se développe pas en enrichissant les autres. Même si le terme « oligarque » a une connotation négative, j’ai toujours été admiratif de la décision difficile prise par les Russes après l’écroulement de l’URSS de céder des actifs stratégiques en faillite aux plus capables d’entre eux, parfois sans contrepartie, plutôt que de les brader à des groupes étrangers. 22
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Vous êtes installé à Luanda depuis 1999. Votre mariage avec Isabel dos Santos a fait de vous un personnage de première importance en Angola : le gendre du président. Pouvez-vous faire abstraction des intérêts angolais vis-à-vis de la RDC ? Je connais profondément ces deux pays. Je crois qu’une relation de partenariat stratégique fondée sur le respect mutuel serait une vraie source de stabilité et de développement pour toute l’Afrique centrale. Pour que cela fonctionne, il faut que la relation soit franche et équilibrée. L’avantage est que la culture politique angolaise a été forgée par son long combat contre les colonialismes portugais et sud-africain. Le principe de ne pas s’immiscer dans les affaires internes de ses voisins est donc une réalité, limitée à peine par les besoins de sa propre stabilité interne. En clair, l’intérêt de l’Angola visà-vis de la RDC se limite à éviter que l’affaiblissement de ce grand voisin ne crée de l’instabilité dans la sous-région. Pouvez-vous encore être « congolais » ? Peut-on être citoyen de plusieurs pays dans l’Afrique d’aujourd’hui ? La plurinationalité est pour tous nos pays une réalité. Les Africains s’exilent hors du continent depuis des générations, et pour un grand nombre prospèrent à l’étranger. Se priver de ces talents est une stupidité et le débat sur la nationalité en RDC me semble dépassé tant la diaspora congolaise sera stratégique pour relever les défis de notre pays. Quelle est votre analyse de la situation angolaise ? Le candidat du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), João Lourenço, est le grand favori des élections d’août prochain. Une transition en douceur peut-elle s’opérer ? Le président Dos Santos aurait pu se présenter une nouvelle fois aux élections. Rien ne l’en empêche dans la Constitution. Il a préféré assurer une transition qui, comme le reprend le slogan du MPLA, permettra d’améliorer ce qui a été bien fait et de corriger les erreurs. Je n’ai aucun doute sur le succès de AFRIQUE MAGAZINE
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Avec Joao Lourenço, le ministre angolais de la Défense et probable successeur du président dos Santos après les élections d’août 2017, lors de l’inauguration de la cimenterie Nova Cimangola II (Luanda).
« Il n’est pas normal que tant de groupes internationaux fassent du continent leur vache à lait, leur chasse gardée. »
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la collaboration entre João Lourenço, à la tête de l’État et de l’exécutif, et le président Dos Santos, à la tête du parti. Une majorité confortable au Parlement devrait permettre de maintenir les acquis et d’opérer les réformes rendues nécessaires par la crise du prix du baril. Qu’est-ce qui a manqué ces dernières années pour que la croissance angolaise se traduise par « un vrai décollage » ? Du temps, principalement. Les principaux défis de l’Angola à la sortie de la guerre, en 2002, étaient l’éducation et les infrastructures. Des avancées considérables ont été faites sur ces deux fronts, même si de grandes inégalités sociales persistent et que le combat contre la pauvreté demandera encore beaucoup d’efforts. Il faut cependant relever que des centaines d’écoles, des dizaines d’instituts supérieurs et d’universités ont été ouverts en quinze ans. De même, le programme de construction de barrages électriques, qui a coûté aux caisses de l’État des milliards de dollars, va aboutir d’ici à la fin de l’année avec la mise en fonction du premier barrage, de 1 500 MW, et aura un impact décisif sur la compétitivité de la production intérieure. Il faut également le temps du recul afin de pouvoir faire un bilan et définir ce qu’il convient de réformer. Le secteur pétrolier, qui est la colonne vertébrale de l’économie angolaise, est en crise. La Sonangol a souffert d’une culture trop administrative et pas suffisamment basée sur la rémunération de son actionnaire, l’État. La crise économique est, de ce point de vue, au-delà des difficultés conjoncturelles qu’elle génère, une véritable opportunité pour l’économie angolaise. Vous avez des intérêts dans Nemesis, une plateforme de commerce de diamants installée à Dubaï. Comment êtes-vous sûr de l’origine des diamants angolais que vous vendez et des conditions dans lesquelles ils sont extraits ? L’Angola est depuis quinze ans à la pointe des initiatives du processus de Kimberley, et la transparence des industries extractives, notamment dans ce secteur, a fait l’objet d’un réel progrès, jusqu’à atteindre les standards internationaux. La proportion de la production formelle (mines industrielles) représente désormais quatre cinquièmes de la production totale. Grâce à un processus rigoureux de certification, les opérateurs illégaux ont dû quitter l’An-
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gola. La promotion des investissements dans les mines est le meilleur moyen de se prémunir, partout en Afrique, contre les effets pervers des ressources naturelles. L’Angola a, dans ce domaine, un bilan largement positif. Pourquoi s’investir dans un secteur aussi connoté ? Mon père a ouvert les premiers comptoirs de diamant au Zaïre lorsque le marché a été libéralisé, au début des années 80. Il serait ridicule que je m’interdise d’évoluer dans ce secteur à cause du qu’en-dira-t-on. De plus, l’Afrique centrale et australe constitue une masse critique de la production mondiale et le diamant est donc une commodity sur laquelle des groupes africains devraient pouvoir développer assez logiquement une approche stratégique. La perception « connotée », comme vous dites, n’est pas anodine. Il n’est pas normal que l’exploitation des matières premières africaines ne gêne que
Avec son épouse Isabel dos Santos, fille du président de l’Angola, en marge du Festival de Cannes, en mai 2016.
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COVER STORY SINDIKA DOKOLO : « POURQUOI JE ME BATS »
Sindika Dokolo (à gauche) a grandi en Belgique puis en France avec ses parents. Ici, son père, le banquier Augustin Dokolo Sanu, disparu en 2001, et son frère Luzolo (à droite).
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Cette collection représente donc avant tout un acte culturel fort plus qu’un investissement patrimonial ? Même si ma collection a une valeur patrimoniale, mon objectif n’est certainement pas financier, au regard de ce que ma fondation me coûte. Il s’agit plutôt d’une forme de responsabilité sociale dont je me sens investi. J’ai la conviction qu’il est important pour l’Afrique de se remettre à penser par ellemême et à cultiver son propre regard sur notre époque. Pour ce faire, un travail sur l’Africain lui-même est nécessaire et la culture est le meilleur moyen d’y parvenir. L’enjeu est la reprise en main de notre destin commun. Pouvez-vous évoquer deux ou trois œuvres emblématiques de votre collection ? L’œuvre du Nigérian Yinka Shonibare Diary of a Victorian Dandy illustre le désir de l’artiste de se voir représenté en tant qu’Africain dans l’imagerie universelle. J’ai également beaucoup travaillé ces dernières années sur la partie classique de ma collection – l’art africain « pré-contact ». Alors que j’avais longtemps le sentiment d’avoir deux collections, je me suis rendu compte en relisant Picasso et son concept de l’art d’exorcisme que nos ancêtres étaient au-delà de ce que les artistes contemporains arrivent à produire de nos jours. L’idée de l’art puissant où l’artiste donne une forme physique à un esprit me fascine et m’inspire dans les choix contemporains. Le masque gorille gon des Kweles du Gabon de ma collection en est un vibrant exemple. Vous vous êtes lancé dans le combat des restitutions — en particulier au Bénin. Vous avez annulé le prêt d’œuvres au musée du quai Branly. Comment amener les ex-puissances coloniales à restituer les biens « volés » ? Lorsqu’on parle du patrimoine africain éparpillé hors d’Afrique, il convient d’être précis, au risque d’être contre-productif. Je mène depuis un an une action de récupération AFRIQUE MAGAZINE
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lorsqu’un Africain y prospère. Qu’un Indien, un Chinois ou un Israélien y occupe pendant des décennies une place de quasi-monopole ne choque personne. Pourquoi Dubaï ? Les Émirats arabes unis ont développé depuis une quinzaine d’années une vision stratégique : devenir une plateforme de services et de trading située idéalement au carrefour de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique. Ils ont créé un cadre idéal pour concurrencer les places traditionnelles de commercialisation de certaines matières premières, et notamment Anvers ou Tel-Aviv dans le secteur diamantifère. Le marché accepte trop souvent comme un fait établi la prévalence de situations héritées du passé, sans chercher suffisamment à les remettre en cause. C’est ce que j’admire aux Émirats, cette capacité de développer des visions stratégiques qui se donnent les moyens de bousculer l’ordre établi. Nous allons inaugurer à la rentrée la plus grande taillerie de diamants du Moyen-Orient en partenariat avec le Dubai Multi Commodities Center (DMCC) et continuer à développer agressivement notre présence tout au long de la chaîne de création de valeur, et notamment hors d’Afrique. Vous avez créé la première collection d’art privée africaine. D’où est venue cette passion ? De mes parents. L’art et la culture demandent une initiation. Ce « supplément d’âme » que j’ai reçu d’eux, je me sens la responsabilité de le rendre disponible au plus grand nombre. En Afrique, à un moment où le continent doit se projeter dans le XXIe siècle, la connaissance de soi, de ses valeurs, de sa valeur me semble absolument fondamentale. Exposer le public africain à son histoire et à sa création contemporaine va bien au-delà du goût du beau ou de l’esthétique. C’est une vraie stratégie de développement.
« Les Africains doivent apprendre à ne plus accepter l’inacceptable. Nous devons, par la culture, repenser notre regard sur nous-mêmes. »
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d’œuvres volées dans les années 80 en Angola. Dans ce cas spécifique, les principes de droit sont clairs et en faveur de l’Angola. Cela nous a permis de retrouver et rapatrier une quinzaine d’objets importants et d’en localiser une quinzaine d’autres qui sont en négociation. Dans le cas du musée du quai Branly, c’est plus compliqué. L’intégration des œuvres d’art et des objets de culte du palais du roi Beanzin dans le patritrimoine français est immorale et illéégitime mais légale du point de vuee du droit français. Cette question nee se résoudra qu’au terme de la redéfinition du rapport des forces entre le Bénin et la France, entre l’Afrique et le reste du monde. Il est impor-tant que les Africains apprennent à ne plus accepter l’inacceptable. Nouss devons, par la culture, repenser notre re regard sur nous-mêmes. Vous avez souvent évoqué l’ouverture re d’un grand musée d’art contemporain in à Luanda. Où en est ce projet ? Il s’agit du Palacio de Ferro, un bâtiment historique de la vieille ville de Luanda commissionné à la fin du XIXe siècle à Gustave Eiffel. La réfection de l’immeuble principal est déjà achevée et la principale halle d’exposition sera prête à la fin de l’année. Elle sera inaugurée avec la grande expo organisée en partenariat avec la Documenta de Kassel l’été prochain. Que souhaitez-vous transmettre et exprimer par l’intermédiaire de ce musée ? Donner un accès aux jeunes à la culture est un de mes objectifs principaux. C’est un peu comme leur apprendre dès la naissance une langue étrangère, un enrichissement humain comparable au fait de leur offrir une deuxième âme. À travers les divers projets de la fondation, nous avons déjà accueilli plus de 100 000 enfants angolais. Grâce à ce musée, nous pourrons généraliser les programmes éducatifs en partenariat avec les écoles de la ville et augmenter l’impact de l’art et de la culture dans la société angolaise. Par vos liens avec le pouvoir en Angola, votre mariage, vous êtes devenu ce que l’on appelle une « personne politiquement exposée ». Quelle influence cela a-t-il sur vos différentes activités ? Comment lutter contre ce « soupçon » permanent ? Le système financier international a beaucoup évolué dans les récentes années du fait de la lutte contre le financement du terrorisme. Il est presque impossible aujourd’hui de faire le moindre transfert sans avoir à justifier de l’origine des fonds AFRIQUE MAGAZINE
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« Diary D of a Victorian Dandy », de Yinka Shonibare (ci-dessus), et cce masque gorille gon des Kweles du Gabon (ci-contre), comptent parmi les œuvres les plus emblématiques de sa collection. par eet de l’identité du bénéficiaire économique. Malgré cela, la méfiance et la suspicion caractérisent souvent la perception m de l’Afrique et des opérateurs économiques africains. Lorsque ceux-ci sont des « personnes politiquement exposées », on part ceu du principe qu’ils sont forcément coupables de malversations et qu’ils portent la responsabilité de la pauvreté du continent. Cette perception sert les intérêts des groupes internationaux Ce qui prospèrent en Afrique en tirant profit de notre croissance et qui voient d’un mauvais œil la concurrence de groupes locaux. Il faut donc travailler au changement progressif de cette perception afin que l’opinion africaine arrive à porter un jugement plus objectif sur ses élites économiques. Vous êtes métis, afro-européen. Votre femme est également métisse. Appartenez-vous à deux mondes ? Ou êtes-vous à la marge de chacun d’entre eux ? Est-ce une force ou une faiblesse ? L’homme d’État et écrivain brazzavillois Henri Lopes avait une formule intéressante sur le sujet du métissage. Il disait qu’enfant, lorsqu’on le traitait de « demi-demi », il répondait qu’il était plutôt « 200 % » ; 100 % africain et 100 % européen. C’est un peu mon sentiment, même si mes racines africaines me définissent probablement davantage. Je n’ai aucun complexe comme africain et me sens à la fois un citoyen du monde. L’Afrique reste un continent d’hommes. Vous êtes marié avec une femme puissante, qui mène une carrière en vue. Comment vivez-vous ce rôle particulier, celui « d’homme à égalité » ou de « mari de » ? Son succès est pour moi et les miens une source de fierté. Je suis convaincu que le secret du développement de l’Afrique repose sur les femmes. Les hommes devront s’y faire. C’est incontournable. Par son exemple, Isabel inspire d’autres jeunes femmes du continent et c’est tout ce qui compte. Et puis, lorsque nous allons au musée, c’est elle qui est la « femme de »… ■ 25
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Boulevard du Bord de mer. Dans la capitale, la vie nocturne a baissé en intensité. 26
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ANALYSE
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UN AN DÉJÀ...
Pendant que les uns et les autres se livrent à une bataille de légitimité, le pays est à l’arrêt. Avec une économie durement touchée par la crise du brut. ALI BONGO ONDIMBA reste le maître à bord. Mais la stabilité et la continuité ne sont plus un argument. Plus encore qu’hier, les Gabonais demandent un vrai changement.
CHRISTIAN DUMONT/RÉA
par Emmanuelle Pontié
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ANALYSE GABON : UN AN DÉJÀ…
Bienvenue en terre d’Afrique centrale. Dans un pays gorgé d’or noir, où la forêt règne encore sur plus de 80 % du territoire, où le taux d’humidité peut culminer à 95 % en saison des pluies, qui se prélasse dans une culture de services sans avoir jamais réussi à développer des routes ou une production agricole, et dont la même famille préside aux destinées depuis près d’un quart de siècle. Ali Bongo Ondimba, dauphin plus ou moins désigné, a succédé à son père Omar le 30 août 2009 au terme d’une élection contestée. Il a été réélu le 27 août 2016 lors d’une présidentielle encore plus contestée. Un an après le second mandat d’ABO, le Gabon, peuplé d’environ 1,91 million d’âmes, continue inlassablement à manier le paradoxe. Un sous-sol renfermant de riches matières premières, exploitées, mais dont la rentabilité n’a jamais vraiment permis au panier de la ménagère de se garnir. Un climat tropical propice aux cultures et une économie vivrière dépendante de l’importation de poulets ou de salades venues du Cameroun ou d’Afrique du Sud. Un niveau de scolarité et de formation plutôt bon et une main-d’œuvre étrangère privilégiée dans les bureaux ou sur les chantiers. Une passion viscérale pour les signes extérieurs de richesse, pour les modèles dernier cri dans tous les domaines et un farouche attachement au village, aux rites traditionnels et à la sorcellerie. Un ras-le-bol plus ou moins global de la mainmise de la famille Bongo sur le pays et dans le même temps une forme d’allégeance plus ou moins résiliente pour elle. Réflexe très bantou, en souvenir de Papa Union (OBO) et du temps où le clientélisme paternaliste contentait toujours un petit frère sans avenir. Un an donc après la réélec-
tion d’ABO, le pays se cherche, peinant à émerger d’une double crise, économique et politique. Il est plombé par une dette publique abyssale, de plus de 3 000 milliards de francs CFA (plus de 4,5 milliards d’euros) selon le FMI. Son leadership est clairement handicapé par une présidentielle aux résultats entachés de fraudes de part et d’autre. On se souvient entre autres d’un vote massif, excédant le nombre d’habitants, dans le Haut-Ogooué, par exemple, au profit d’ABO, de violentes exactions et d’une lourde répression entre les deux tours, dénoncées par la communauté internationale. Alors, que se passe-t-il vraiment autour du célèbre boulevard du Bord-deMer, jadis réputé pour son orgueil et ses paillettes ?
La méthode Ali
Le président, lui, avance. Il multiplie les programmes, les projets. Il instaure des règles nouvelles, demande à ses collaborateurs plus de travail, de rigueur. Pourtant, les progrès concrets, les chantiers achevés, les résultats se font attendre. Durant la période ABO 1, plusieurs bonnes idées ont été lancées. Par exemple, il avait promis de réussir à consolider la zone économique spéciale de Nkok. À ce jour, et sept ans après son lancement, en 2010, grâce au PPE signé entre l’État gabonais et l’entreprise singapourienne Olam, le projet a un peu avancé, certes, mais a bien du mal à être vraiment opérationnel, à séduire les investisseurs et créer le nombre ambitieux d’emplois escomptés. Prenons encore le projet Graine, dont l’ambition était de mettre enfin les Gabonais au travail des champs. Il piétine. Fin juin, au moment même des Assises sur la redynamisation de l’agriculture et l’accélération du programme Graine, les agriculteurs épinglaient la Société de transformation agricole et de développement rural (Sotrader), accusée de ne pas tenir ses engagements dans le cadre de l’évacuation des produits des récoltes. Idem du côté des logements sociaux. Le projet lancé en février 2016 des 650 premières villas d’Okolassi qui doivent être livrées en avril 2018 est à l’arrêt depuis des mois. Le promoteur serait empêtré dans de graves difficultés financières. « C’est comme si les bonnes idées étaient abandonnées en chemin, ici. Du coup, chaque nouveau projet étant lancé à grand renfort de tapage médiatique présidentiel, les gens sont devenus incrédules. Il y a trop d’effets d’annonce ! » commente un Librevillois. Entouré d’une équipe rapprochée fidèle et ultracommunicante, ABO
Devant le bâtiment de l’Assemblée nationale (à gauche), le 1er septembre 2016, une voiture calcinée témoigne de la violence des affrontements qui ont suivi l’élection. Pour apaiser les esprits, le président ABO (à droite) ouvre début 2017 un « dialogue politique ».. 28
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Une terre de paradoxes
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ANALYSE GABON : UN AN DÉJÀ…
Un dialogue politique de sourds
Il faut dire que, côté politique, le contexte n’est pas simple. Le président doit travailler avec, face à lui, un « président élu » autoproclammé, son ex-beau-frère et récent opposant Jean Ping, plus ou moins soutenu au début par la communauté internationale. Et rejoint par une bonne partie de l’opinion publique, sans que l’on ait jamais bien su si ses soutiens étaient « pro-Ping » ou juste « anti-ABO ». Malgré les multiples tentatives d’aller à Canossa et les réunions de conciliation proposées par le pouvoir, l’ancien ministre des Affaires étrangères et ex-président de l’Union africaine campe sur ses positions. Et avec lui, ou seulement comme lui, pas mal de caciques de la classe politique gabonaise ont aussi décidé de tourner le dos au « fils ». Jusqu’à quand ? Le climat politique est des plus délétères. Les élections législatives, prévues initialement avant le 31 juillet dernier, ont été reportées le 11 juillet par la Cour constitutionnelle à avril 2018. Au motif que les Accords d’Angondjé, signés entre les parties prenantes du dialogue politique, stipulent que certaines réformes électorales doivent être prises en compte. En attendant, Jean Ping s’accroche et promettait le 17 juillet dernier, lors d’un séjour à Paris, où la diaspora lui apporte un soutien inconditionnel : « La chute est proche. Ali Bongo va partir. J’en fais le pari. » Un pari loin d’être gagné… Au fin fond du cœur des Gabonais, croit-on vraiment que ce beau-frère, plusieurs fois ministre sous la houlette de Bongo père, soit capable d’incarner un quelconque changement ? En près de cinquante ans, avec une classe politique vieillissante qui n’a jamais vraiment su se renouveler, une vraie alternative à la dynastie Bongo a bien du mal à se dessiner. 30
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Entre morosité et insécurité Libreville a changé de visage. Et ses habitants aussi. Fini les paillettes sur la Croisette. Le casino, la Montée de Louis n’accueillent plus les ballets de 4X4 rutilants qui sillonnaient les lieux, les établissements chics, chers où l’on festoyait jusqu’au bout de la nuit. Sauf devant le bar-boîte le No Stress, qui attire encore une clientèle jeune et aisée. L’heure est globalement à la discrétion, aux signes extérieurs de richesse dissimulés et à la suspicion généralisée. On ne s’affiche plus avec X ou Y, de peur d’être soupçonné de ceci ou de cela. Les élites déjeunent au bureau ou dans des restaurants moins ostentatoires du centre-ville. Le soir, fait totalement nouveau chez les Gabonais, on reçoit plutôt à la maison. On va éventuellement boire un verre au luxueux complexe de bars et restaurants Sky Life, dont le promoteur est Noureddine Bongo, fils du président. Pour faire bien… En revanche, on ne va plus depuis bien longtemps bronzer le week-end à l’hôtel Maïsha, propriété de la famille de l’opposant Zacharie Myboto, qui roule pour Jean Ping… Là, ça ne fait pas bien… Dans les quartiers, on « mange la crise », selon l’expression d’un chauffeur de taxi. L’argent ne circule plus comme avant et les denrées, principalement importées, restent chères. Selon le récent rapport de mesure de l’indice harmonisé des prix à la consommation (IHPC), le prix des produits de consommation est en hausse de 3,3 % en moyenne au premier trimestre 2017. Le commerce et les petits marchés que l’on passait jadis, publics, privés, végètent. Résultat, l’ambiance est à la morosité. Par ailleurs, autre fait nouveau dans la capitale, la petite criminalité et l’insécurité se sont peu à peu installées. Résultat, dit-on, de la baisse drastique du pouvoir d’achat. Et des violences d’un autre ordre, disons politiques, ont désormais le vent en poupe. Le président et son entourage sont régulièrement victimes à l’étranger d’actes, disons, d’incivilité. De la part d’activistes qui n’ont pas digéré la réélection d’ABO l’année dernière. Ils ont hurlé « Ali is a killer » en juin devant l’hôtel de New York où séjournait le président, malmené son directeur de cabinet, Martin Boguikouma, molesté son beau-père, Édouard Valentin, à Paris… Au Gabon aussi, des gangs incendient des voitures d’opposants. Ces derniers sont excités par les propos violemment antipouvoir de Ping, selon le porte-parole du gouvernement, Billie-By-Nzé ; ou plutôt manipulés par le pouvoir, selon l’opposant. Et pendant que chaque camp se renvoie la balle, l’ambiance à Libreville se dégrade peu à peu, symptôme d’un malaise généralisé.
La population (ci-contre, dans le quartier des charbonnages de Libreville), connaît une baisse de son pouvoir d’achat. AFRIQUE MAGAZINE
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gouverne selon le principe de l’hyperprésidence. Son dernier gouvernement, composé à la suite du scrutin de 2016 et dirigé par Emmanuel Issoze Ngondet, ne comporte pas vraiment de ténors. « Il a pris ceux qui voulaient bien y aller. Et après son élection tellement contestée, au moment où l’opposant Jean Ping continuait à proclamer sa victoire, ils n’étaient pas légion. Du coup, on ne peut pas s’attendre à des miracles », explique une cadre franco-gabonaise. Et finalement, la période ABO 2 n’a pas vraiment montré de changements de braquet par rapport à la première. La « méthode » est la même. Ali avance avec ses idées à lui, multipliant les initiatives, et tant pis si elles ne sont pas suivies d’effets. Le pays, lui, ne suit pas toujours. Et tant pis encore si la rue a donné un signe fort de mécontentement il y a un an. Comme si l’essentiel, clament les mauvaises langues, était de se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Et après, advienne que pourra…
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ANALYSE GABON : UN AN DÉJÀ…
ÉTATS D’URGENCES par Zyad Limam
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Au 4, rue de la Baume (Paris), un des hôtels particuliers du colossal patrimoine immobilier de la famille Bongo.
Affaires présidentielles et paranoïa ambiante Dans le même temps, au sommet de l’État, on est fragilisé par les « affaires ». Vraies, fausses, supputées, elles empoisonnent l’atmosphère et suscitent un sentiment quasi permanent de complot international ourdi contre le chef et les membres de son clan. Le 6 juillet dernier, la chaîne France 2 diffusait un « Complément d’enquête » sur Ali et le clan Bongo, qui a défrayé la chronique locale et déclenché une véritable affaire Dreyfus entre les pour et les contre. Parmi les arguments des détracteurs : la France, comme d’habitude, veut la peau d’ABO. Et surtout, l’affaire des biens mal acquis, où sont cités Ali et sa sœur Pascaline, court toujours. Avec une procédure plus ou moins gelée tant que la famille n’aura pas réglé la succession du père. Celle-ci étant retardée à dessein par le clan, selon les avocats de la partie plaignante. Enrichissements pantagruéliques ou patrimoine immobilier gargantuesque, tout a été lu, entendu, commenté jusqu’au fin fond des bars de Lalala ou des dos tournés de Nzeng Ayong. Il n’empêche, l’opinion de la rue, dans un étonnant sursaut patriotique récurrent en pareille circonstance, s’émeut davantage de prétendues velléités louches d’une Françafrique qui règle ses comptes plutôt que d’un éventuel pillage des ressources du pays par la famille au pouvoir. D’aucuns analyseront que, dans la tradition bantoue, l’enrichissement du chef, respecté s’il est le plus nanti, est pratiquement érigé en loi traditionnelle…
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e qui est peut-être le plus exaspérant, ce sont les opportunités perdues. Celle d’un pays potentiellement riche, (encore) heureusement doté en pétrole, en matières premières, en éco-diversité. Au cœur de l’Afrique centrale, avec une population éduquée, ouverte sur le monde. Un pays qui pourrait s’affirmer comme une porte d’entrée vers la région. Plateforme de services, d’idées, d’intelligence, de projets. Et puis voilà où nous en sommes… L’impression d’un décor immuable, celui d’un pays figé dans le temps, sans projection dans l’avenir. Cette quasi-impossibilité à diversifier les ressources. Un Gabon avant tout mobilisé par la gestion de ses conflits politiques. Avec en conclusion de ce cycle, une élection présidentielle calamiteuse, en août dernier. Et des victimes, nombreuses. Et un scrutin sans vainqueur, finalement. Ni le président « élu », Ali Bongo Ondimba, héritier du système paternel en place depuis 1967... Ni Jean Ping, candidat « malheureux », contestataire et issu du même sérail. Une sorte de guerre d’héritage au sens propre et figuré. Depuis, s’ajoute un dialogue politique entre le pouvoir et une « opposition adoubée », une procédure qui accouche d’une micro-réforme constitutionnelle. Et qui permet par ailleurs de diviser les opposants radicaux. Sur lequel un Jean Ping, tour à tour mystérieux, déterminé, excessif, a bien du mal finalement à garder le contrôle. Pendant que les uns et les autres se livrent à cette bataille des fauteuils, le Gabon est à l’arrêt. L’économie, si peu diversifiée, est durement touchée par la crise du brut et par les incertitudes politiques. Le FMI prête de l’argent pour passer le cap. Mais exige des réformes. Le piège de l’ajustement structurel s’installe. Un ajustement dont les plus fragiles font toujours les frais. Installé au palais, Ali Bongo a les commandes en main et sait que la situation joue malgré tout en sa faveur. Mais pour quoi faire ? Et pour combien de temps ? On pense à ces pays paralysés pendant des années… Il faut sortir de la nasse. Maintenir la paix. Renouer avec la croissance. Et retrouver de l’air suppose de dénouer le nœud gordien politique. Ali Bongo Ondimba reste le mieux placé pour impulser cette tâche essentielle. Mais la continuité, la stabilité ne sont plus des arguments. Le président et la classe politique doivent admettre que l’époque a évolué. L’exigence de changement est forte. 60 % des Gabonais ont moins de 25 ans. Ils demandent autre chose. ■
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Un an après le début du second mandat d’ABO, certains indicateurs ne sont pas bons. L’agence internationale de notation financière Moody’s a abaissé la note du Gabon en juillet dernier de B1 à B3, tout en mainBaie du Cap Lopez. Longtemps adossée à la manne pétrolière, tenant des perspectives négatives. Une note déprél’économie a subi de plein fouet la chute du prix du baril. ciative due en partie à la détérioration des finances publiques en raison de la chute des prix du baril de pétrole et de l’absence de politique d’ajustement adaptée. « Encore un effet du complot international », entend-on dans les couloirs feutrés du Palais du bord de mer… Il n’emPrincipal cheval de bataille du président ABO : la jeunesse. pêche, la chute des cours des matières premières a affecté La motiver, lui donner espoir, lui trouver un chemin pour sérieusement l’économie de services du pays, arrimée au seul demain. Témoin le projet Un jeune = Un métier destiné à la or noir depuis des décennies. La petite production aurifère a réinsertion de Gabonais sans formation, lancé en février 2016. chuté pour sa part de 65 % en début d’année… En parallèle, Ou encore le Grand Prix de l’excellence, qui récompense les le marché test de l’automobile neuve, si reluisant il y a encore jeunes entrepreneurs du pays. Les incubateurs de projets et de deux ans, a régressé de 30,2 % selon l’Union des représentants bonnes idées se sont multipliés. Car c’est là, selon un proche de l’automobile et de l’industrie. Au final, seul le secteur du du Palais, que se jouera la réussite de ce second mandat : « Il bois semble résister, avec une production industrielle qui a faut parier sur la jeunesse, qui ne raisonne plus comme la progressé de 14,9 % en raison d’un approvisionnement régugénération d’hier. Les garçons et les filles d’aujourd’hui, élevés lier en grumes et de la montée en puissance d’unités nouvelavec Internet et les nouvelles technologies, ont une vision diflement installées. Malgré l’accord de prêt de 382 milliards de férente de l’avenir. Ils ont envie de travailler, de reconstruire francs CFA (environ 582 millions d’euros) du Fonds monétaire leur pays loin des réflexes de leurs pères et grands-pères. Ils international en appui au Plan de relance économique triennal veulent lancer des entreprises, réussir, créer des emplois. S’en(PRE) 2017-2019, lancé par le gouvernement, les perspectives richir grâce à leur talent. » Il ne croit pas si bien dire. Car économiques à court terme du pays demeurent moroses. Selon la vraie « question gabonaise », c’est de savoir comment cette le chef de mission du FMI au Gabon, Alex Segura-Ubiergo : société dominée par des générations de caciques, riches à mil« Le taux de croissance a diminué, passant de 3,9 % en 2015 liards, qui n’ont finalement pas créé d’emplois ni de richesses à 2,1 % en 2016. Il s’agit d’un fort ralentissement par rapà leur tour, saura changer, se moderniser, tourner la page du port à la croissance moyenne de 6 % enregistrée de 2010 à passé et des vieux réflexes et tracer un avenir pour demain. 2013, avant le choc pétrolier. » Ici, peut-être plus qu’ailleurs en Et, quelque part, la crise semble aujourd’hui donner des ailes Afrique centrale, la diversification de l’économie, malgré pluà certains. La création d’entreprise, une envie si peu répandue sieurs effets d’annonce, n’a jamais vraiment eu lieu. Le travail, du temps d’OBO, où l’on guignait d’abord un poste dans l’admil’excellence, l’autoentrepreneuriat… Autant de concepts cités nistration ou dans le sillage d’un oncle haut placé, devient à la dans les divers programmes présidentiels lancés à grand renmode. Quelques trentenaires se sont lancés dans le tourisme, fort de conférences de presse depuis 2009. Mais ils semblent l’élevage, le transport, le traitement de déchets, et ont réussi. À rester lettre morte dans la réalité. Le PRE a été défendu par leur propre compte, sans dépendre de personne. Ils partagent le Premier ministre Issoze Ngondet le 28 juin devant l’Assemleur expérience dans les médias locaux et font des émules. blée, avec la promesse de relancer la croissance, réduire la Cette génération incarne, peu à peu, un profond changement pauvreté et créer 2 000 emplois. Dans les quartiers, on n’y croit de mentalité dans le pays. Et la clé de l’émergence passera plus beaucoup… La deuxième enquête relative à l’évaluation par elle, bien au-delà des promesses d’un ABO ou d’un autre. de la pauvreté au Gabon a été annoncée le 18 juillet par le Après le slogan « L’avenir en confiance », que le chef de l’État directeur général de la statistique et des études économiques, avait adopté, plutôt sûr de lui, pour sa campagne de 2009, il Francis Thierry Tiwinot. De la première, menée en 2007, il a vite lancé pour celle de 2016 : « Changeons ensemble ». Les était ressorti que le Gabon comptait déjà 33 % de citoyens Gabonais, eux, ont compris bien avant l’urgence du changevivant au-dessous du seuil de pauvreté. Quel sera le résultat ment. Et, s’ils en ont la volonté, ils pourraient bien l’accomplir cette année, c’est-à-dire dix ans plus tard ? seuls, affranchis de tout devise présidentielle. ■
Et demain ?
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Un anniversaire en quelques chiffres
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PERSPECTIVES
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LE PARADOXE DU PIRE ET... DU MEILLEUR
Immobilisme, contrôle, peur du changement… On connaît les éléments du malaise national. Pourtant, le pays FAIT PREUVE aussi de résilience, d’innovation, de dynamisme. Il suffirait, en quelque sorte, de se faire confiance !
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par Akram Belkaïd
ANIS BELGHOUL/AP/SIPA
e 22 juillet dernier, l’interdiction d’une conférence de l’écrivain et éditeur Ramdane Achab par les autorités a provoqué des émeutes dans la petite ville d’Aokas, à l’est d’Alger et de Béjaïa. Connue surtout pour sa quiétude et une grotte impressionnante, cette cité balnéaire a symbolisé l’espace de quelques jours tout le paradoxe algérien. D’un côté, une société civile qui ne se cesse de piaffer d’impatience, entendant jouer enfin son rôle sur la scène nationale et dont on ne
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compte plus les initiatives diverses, qu’elles soient culturelles, sociales, économiques ou même politiques. De l’autre, des autorités qui restent en permanence sur la défensive et qui n’admettront jamais le principe de base qui fonde leur attitude coercitive à tout ce qui ressemble à une tentative d’autonomisation de la société algérienne : depuis l’indépendance, le « pouvoir », quelle que soit sa forme, ne fait pas confiance à sa population. On peut analyser la situation actuelle de ce pays à travers plusieurs prismes, mais celui de l’absence de confiance est un élément majeur. AFRIQUE MAGAZINE
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5 juillet 2017. À l’occasion du 55e anniversaire de l’indépendance, un parachutiste de l’armée effectue un saut d’honneur, flanqué d’un étendard à l’effigie du président Abdelaziz Bouteflika. AFRIQUE MAGAZINE
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PERSPECTIVES ALGÉRIE, LE PARADOXE DU PIRE… ET DU MEILLEUR
Dans son essai très remarqué sur les défis auxquels fait face l’Algérie (La Martingale algérienne, éditions Barzakh), l’ancien gouverneur de la Banque centrale Abderrahmane Hadj Nacer rappelle un fait important que n’importe quel diplomate étranger, en poste ou simplement de passage, finit très vite par intérioriser. Dans ce pays, tout le monde ou presque critique le système, à commencer par celles et ceux qui en sont membres ou qui en sont les chevilles ouvrières. Devenez intime avec un ministre, un député du FLN ou un général et il se laissera aller à des discours des plus acerbes, exprimant frustration et découragement. Mais si, du coup, vous évoquez la question d’un changement profond, nécessaire, votre interlocuteur tout en agréant se retranchera derrière une nécessaire prudence. Jadis chef de file des « progressistes », l’Algérie est en réalité un pays ultra-conservateur qui craint le changement. Qui voit en lui l’outil préféré d’un colonialisme et d’un impérialisme toujours prêts à revenir. On peut comprendre cette retenue. Au poids de l’histoire, s’ajoute le legs des expérimentations socialisantes des années 70 et de la transition démocratique qui a dérapé en terrible guerre civile pendant les années 90. Le changement ? C’est la fawdha ! L’anarchie et le chaos Cinquante-cinq ans après l’indépendance, l’Algérie dispose pourtant de tous les outils possibles pour tenir un rang bien plus important que celui où elle stagne actuellement. Bon an, mal an, le pays s’est équipé. La population est éduquée, l’analphabétisme est pratiquement éradiqué, des universités existent partout et la jeunesse a soif d’entreprendre. Quel que
soit le domaine, on est en présence d’une dualité antagoniste qui ne cesse à la fois de surprendre et d’accabler. On parle ainsi beaucoup de l’état calamiteux des hôpitaux. Mais, à Constantine comme à Oran, des opérations, novatrices pour la région (greffes d’organes, par exemple) ont lieu régulièrement. Le capital humain, dans ce secteur clé de la santé existe bel et bien. Il suffirait donc de peu pour que les infrastructures soient vraiment à la hauteur des attentes de la population. Autre exemple, celui de l’agriculture. L’idée reçue est que l’Algérie a gâché son potentiel agricole en raison de la collectivisation des terres puis du bétonnage des plaines fertiles du nord. Le constat est vrai. Mais, dans le même temps, des initiatives fleurissent du nord au sud, pour le développement d’une agriculture biologique. Oran, Biskra, Blida, Annaba : partout, de jeunes ingénieurs agronomes tentent le pari d’une diversification et d’une modernisation de la production. L’industrie agroalimentaire privée commence à peine à suivre. À chaque expérimentation, les mêmes reproches reviennent : indifférence des pouvoirs publics, hostilité de l’administration. UNE LÉGISLATION UBUESQUE Un autre aspect oblige les plus pessimistes à garder une étincelle d’espoir. Il faut s’attarder sur le fonctionnement de l’éducation pour bien comprendre la résilience des Algériens. Au plus fort de la guerre civile, les parents continuaient d’envoyer leurs enfants à l’école. Aujourd’hui, des ménages modestes se saignent pour inscrire leur progéniture dans des
À droite, plantation d’oliviers dans la région de Tlemcen. 36
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Consommation au quotidien, mais les classes moyennes portent le poids de la crise.
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YANN ARTHUS-BERTRAND/HEMIS.FR
LAHCÈNE ABIB/SIGNATURES
Des jeunes agronomes tentent le pari de la diversification. Les mêmes reproches reviennent : indifférence des pouvoirs publics, hostilité de l’administration. AFRIQUE MAGAZINE
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Plusieurs officiels affirment que, desserrer le verrou, c’est prendre le risque d’une nouvelle « décennie noire ». C’est ouvrir la voie au retour des « barbus ». écoles privées où, en raison d’une législation ubuesque, les gamins suivent en même temps – et avec succès (!) – deux programmes différents : l’algérien et celui calqué sur les enseignements en France. On rétorquera que tout ceci est destiné à préparer le départ des futurs bacheliers à l’étranger. C’est tout à fait vrai dans la plupart des cas, mais on oublie juste de s’interroger sur ce qui se passerait si l’amélioration des conditions politiques et économiques du pays venait à inciter ces jeunes élites à rester chez elles. UNE SITUATION PRÉRÉVOLUTIONNAIRE On en revient donc à cette affaire de confiance. En privé, plusieurs officiels algériens affirment que, desserrer le verrou, c’est prendre le risque d’une nouvelle « décennie noire ». C’est ouvrir la voie au retour des « barbus », qui ne demandent qu’à prendre leur revanche et qui n’auraient pas renoncé à leur projet de dawla islamiya, la république islamique. De nombreuses élites intellectuelles, journalistes, écrivains, artistes, sont elles-mêmes mal à l’aise avec cette exigence d’ouverture. Car la question, récurrente depuis les années 90 et amplifiée par les déboires des printemps arabes, est toujours la même : à quoi bon un changement si c’est pour ouvrir la voie à une régression et à la mise en place d’un régime encore plus liberticide que celui qui existe actuellement ? Mais l’islamisme a bon dos. Pour citer encore Abderrahmane Hadj Nacer (voir Afrique Méditerranée Business n° 4), « le drame de nos pays, c’est que leurs dirigeants ne comprennent pas que l’enrichissement du collectif permet celui de la minorité qui détient le pouvoir. Chez nous [en Algérie], cette dernière est persuadée qu’elle ne peut accumuler qu’au détriment 38
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du reste de la population. Or, l’équation est simple : plus la majorité est riche, plus celui qui est aux manettes s’enrichit. » Résumons la situation. Un pays riche, doté d’importantes ressources énergétiques et disposant aussi d’un grand potentiel hydraulique, y compris dans le Grand Sud, sans lequel aucun développement n’est vraiment possible. Une population éduquée, connectée vaille que vaille au reste du monde, et des élites intellectuelles, culturelles et artistiques qui n’ont rien à envier à leurs homologues maghrébines, arabes ou africaines. En face, l’absence de confiance de la part du pouvoir et la volonté de garder tout le gâteau pour soi, pour les clientèles qui le composent. Une analyse historique comparative, même sommaire, démontrerait que l’Algérie est dans une situation prérévolutionnaire, car c’est bien l’insatisfaction des classes moyennes, y compris les plus aisées, qui peut déboucher sur un tel bouleversement. Pour l’heure, deux éléments incitent à endurer les épreuves. La mémoire traumatisée des années 90 et les drames de la Syrie, de la Libye et même du Yémen. Dans un contexte marqué par la faiblesse des cours du brut (les dirigeants algériens sont néanmoins persuadés qu’ils vont tôt ou tard repartir à la hausse) et par une incertitude politique quant à la succession du président Abdelaziz Bouteflika, tous les scénarios sont possibles. Pour dire les choses autrement, l’Algérie est capable, comme dans le passé, du meilleur comme du pire. Sa population, comme en décembre 1960 où elle avait pris le relais d’un FLN et de maquis épuisés pour revendiquer l’indépendance à la surprise générale, peut peser afin que l’inévitable transition se déroule au mieux dans un contexte de consensus entre ordre ancien et nouvelles générations. La convergence de toutes les compétences et de toutes les aspirations de la société, notamment la jeunesse, créerait un choc d’envergure salutaire. En comparaison, le bouillonnement démocratique et créatif de la fin des années 80 (avant même la chute du mur de Berlin, aiment à rappeler les Algériens) apparaîtrait bien modeste. Mais il y a aussi l’option inverse. Celle d’une radicalisation de la contestation sociale mais aussi politique à laquelle répondrait une répression plus féroce de la part du pouvoir. On sait ce que ce genre de confrontation a donné dans les années 90, et personne ne peut prétendre que l’Algérie est définitivement immunisée contre ce genre de dérapage. À cela s’ajoute un nouveau motif d’inquiétude, peut-être même le plus important : depuis plusieurs mois, la Kabylie ne cesse de bouillonner, à la grande satisfaction d’un mouvement séparatiste aussi radical que minoritaire (du moins, pour l’instant). Les ingrédients du pire sont donc présents. Il ne tient qu’au pouvoir algérien de comprendre qu’il est temps de faire confiance à son peuple. Le poète et philosophe Hölderlin a écrit un jour que « là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». L’Algérie de 2017 en est une bonne illustration. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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La Kabylie, derrière son apparente plénitude, bouillonne de revendications identitaires.
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Sofia Boutella DE BAB EL OUED À HOLLYWOOD Enfant intrépide des quartiers populaires d’Alger, reine du BREAK DANCE dans les rues de Paris, danseuse pour Madonna… Et maintenant, étoile montante du cinéma américain, qui terrorise TOM CRUISE (La Momie, c’est elle !) et s’apprête à hypnotiser l’Atomic Blonde Charlize Theron. Retour sur une success-story singulière, de la capitale algérienne aux studios de Los Angeles. par Fouzia Marouf
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PORTRAIT SOFIA BOUTELLA, DE BAB EL OUED À HOLLYWOOD
GYMNASTIQUE ET UNDERGROUND L’homme, resté proche de sa fille et qui l’a toujours encouragée, nous reçoit dans son studio d’enregistrement niché en région parisienne. Ses productions musicales, encadrées, fleurissent l’espace confiné. Il revient volontiers sur l’enfance de Sofia, passée à Bab El Oued, un quartier populaire d’Alger où elle est née. Fruit des amours entre une mère architecte et ce père, elle commence la danse classique à 5 ans : « C’était une 42
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petite fille très énergique, qui bougeait sans cesse. Comme le font tous les parents, nous l’avons inscrite à ces cours qui lui ont plu », se souvient Safy. Posée sur le haut d’une étagère, une photo de Sofia, à 16 ans, sourire en bannière et déjà très photogénique, attire l’attention : mêmes yeux en amande, air buté et obstiné. « Elle a toujours été très souriante, ouverte aux autres. Très chef de bande, la première à faire des jeux dangereux, une vraie casse-cou. Elle se blessait souvent. Elle n’a peur de rien. » La famille, aux prises avec la décennie noire en Algérie, arrive en France en 1992. Peu à peu, Sofia s’adapte et trouve ses repères. Sa ténacité et ses capacités de sportive de haut niveau la mènent naturellement à la gymnastique rythmique et sportive : « j’avais envie d’exprimer autre chose », dit-elle.
REPÉRÉE PAR BLANCA LI ET JAMIE KING Ado de la pop culture, sortie des lignes de l’underground, ses performances en public datent de 2002. Du haut de ses 16 ans, pétrie de curiosité et férue de bon son, la jolie môme dotée d’une rare souplesse fréquente le quartier du Châtelet, fief de la street dance où des bandes rivalisent de beat et de battles. « Je m’y suis énormément entraînée, le hip hop brisait les règles acquises depuis mes bases classiques. Je pouvais m’ouvrir à quelque chose de plus libre et naturel », préciset-elle. Un an plus tard, Sofia est remarquée par Blanca Li. La chorégraphe-danseuse franco-espagnole et figure emblématique de la mouvance street dance, la choisit pour le rôle de Samia dans son film, Le Défi. Elle décroche son premier rôle de danseuse professionnelle au cinéma. Le rythme s’accélère pour la jeune femme qui ne fait pas de sur-place, et tape dans l’œil du chorégraphe Jamie King, alors en quête d’un nouveau visage et d’une silhouette imprégnée de style urbain, pour AFRIQUE MAGAZINE
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egard de braise, sourire ravageur, épaules droites et jambes interminables… Difficile d’associer une origine, tant les traits félins que dessine son visage sèment le trouble. Est-elle perse ? Orientale ? Sud-Américaine ? 1,65 mètre de beauté brute et une silhouette de rêve… Who’s that girl ? Un avis de recherche sommaire pourrait indiquer ceci : Sofia Boutella, 35 ans, née en Algérie, danseuse adoptée par la France et, désormais, actrice installée à Los Angeles. Voilà pour un résumé lapidaire. La réalité, plus complexe bien sûr, est que nous sommes en présence d’un objet d’énergie non identifiée, acquise au fil de prestigieuses expériences et collaborations : Mariah Carey, Rihanna ou Madonna, pour ne citer qu’elles. Dans le milieu de la danse, après un passage par le classique, sa formation initiale, elle s’est imposée comme l’une des plus talentueuses de sa génération, passant avec aisance du style hip hop/jazz, au genre contemporain. Au cinéma, à l’affiche de La Momie, elle a volé la vedette à Tom Cruise, avec qui elle a assuré la promotion de cette super-production sortie en France en juin. Si Alex Kurtzman, le réalisateur du reboot, a été conquis par sa performance physique (depuis ses rôles dans Kingsman : services secrets (2015) et Star Trek 3 (2016), Sofia a hésité à accepter le rôle d’Ahmanet, sexy et terrifiante, princesse d’Égypte ancienne : « Je lui ai dit que c’était un honneur d’avoir une forte personnalité féminine dans un film, confie-t-elle à AM. Mais je ne voulais pas qu’elle soit un monstre sans aucune compréhension de ce qu’elle faisait. » Rassurée par l’écoute du cinéaste, Sofia accepte le défi. Très physique, son rôle de monstre, qui l’a menée en Namibie, a demandé l’apprentissage de l’égyptien ancien et, chaque jour, plus de six heures de maquillage. « Ça a été un rôle très éprouvant tant psychologiquement que physiquement », confie son père, Safy Boutella, célèbre compositeur algérien (lire encadré), qui a assisté aux séquences de tournage à Londres.
« Madonna m’a appris la rigueur. Elle travaille dur, elle aime ce qu’elle fait. Je l’ai observée pendant dix ans. »
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Indianapolis, 5 février 2012 : aux côtés de Madonna, elle enflamme la fameuse mi-temps du Superbowl, suivie par une centaine de millions de téléspectateurs.
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SAFY BOUTELLA, LE PAPA ARTISTE
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’un tempérament discret, Safy Boutella est considéré comme un génial architecte du son. Compositeur, il est aux origines du façonnage du sulfureux raï, en raison de sa proximité avec les jeunes raï men originaires de la ville de Saïda, fief de ce flot au parfum de scandale qui chante la femme, l’amour, la liberté. On lui doit entre autres le succès de l’inégalable Kutché de Cheb Khaled : « Le raï est un état d’esprit, un mode de vie authentique. Un univers très touchant, qui vous marquait et ne vous quittait plus. » Suivront l’excellent album jazz Mejnoun et plus de 70 musiques de films. Metteur en scène, il signe notamment Watani, vibrante fresque historique, créée lors du 40e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Safy a aussi signé en 2011, pour les dix ans du festival Mawazine, une création inspirée des tubes légendaires des Nass El Ghiwane, mythique groupe né à Hay Mohammadi (Casablanca) et surnommé les Rolling Stones du Maroc ! ■ F.M.
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UN FORT DÉSIR DE CINÉMA Rompue à des performances de plus en plus intenses, ayant le sentiment d’avoir fait le tour de son art au bout de dix ans, elle arrête la danse et s’installe à Los Angeles. Durant trois ans, elle suit les cours de comédie de l’école de Stella Adler, où sont notamment passés Marlon Brando, Robert de Niro, Benicio del Toro… Anxieuse, en proie au doute, elle doit attendre 2012, pour camper le rôle d’une danseuse de salsa dans Street Dance 2. « Sofia est très instinctive, animale. Elle sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Elle se posait beaucoup de questions après cette pause mais elle avait un fort désir de cinéma. C’est de plus, une dévoreuse de films ! », souligne, Safy, son père. Sa capacité d’adaptation, son envie d’être sur d’autres fronts la mènent à un vrai jeu de rôles, de tournages en capitales, car « elle aime là où ça bosse ». Londres, Berlin, Paris, qu’elle adore, pendant trois ans, Sofia, multiplie les projets, pique la curiosité des cinéastes outre-Atlantique : « je ne sais plus trop où j’habite », confie-t-elle à son père. Être actrice la comble. « Elle aime son nouveau métier par-dessus tout. Ce n’est pas un travail facile, si Sofia est heureuse, ça me rend heureux », conclut Safy dans un sourire. De nature indépendante, la AFRIQUE MAGAZINE
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DOCUMENTS PERSONNELS
Père et fille, toujours aussi complices : près de trois décennies séparent ces deux clichés.
un client prestigieux : Nike. En 2005, Sofia devient ainsi la nouvelle égérie féminine de la marque. Elle promène avec aisance son corps fuselé et musclé à souhait, le temps d’un clip qui va la propulser au rang de danseuse star. Suivent des propositions alléchantes avec les plus grandes vedettes qui signent définitivement le lancement de sa fulgurante carrière aux États-Unis. Cette même année, une rencontre va se révéler déterminante : Madonna, la reine de la pop, l’engage pour la tournée « Confessions Tour ». Rebelote en 2008 pour « Sticky & Sweet ». « Madonna, m’a appris la rigueur. Elle travaille dur, elle aime ce qu’elle fait. Je l’ai observée pendant dix ans », souligne Sofia. Une exigence et une ténacité dont elle fait aussi preuve, telle une irrépressible envie de retourner sur scène et au combat. Son talent naturel et sa personnalité solaire lui valent la reconnaissance aux États-Unis et dans l’Hexagone, où elle incarne un modèle de réussite sociale pour toute une génération. Elle marque tant les esprits que la rappeuse Diam’s lui rend un incroyable hommage dans le titre « Peter Pan » : « Je veux danser toute ma vie comme Sofia Boutella », chante-telle. Parce qu’elle est une performeuse effrénée, Sofia décide de passer un casting lors du retour de Mickael Jackson en 2009, pour « This Is It ». « Juste afin d’honorer son retour sur scène », se souvient-elle. Le King of Pop l’appelle : elle est sélectionnée ! Mais, la mort dans l’âme, Sofia y renonce car elle déjà engagée auprès de Madonna dont la tournée joue les prolongations.
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Agile et dangereuse : pour incarner la méchante Gazelle de « Kingsman : Services Secrets » (2015), la belle s’est mise au taekwondo et à la boxe thaï. Dans « Star Trek : Sans Limites » (2016), elle marque les espritss avec son personnage d’extra-terrestre guerrière.
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DOCUMENTS PERSONNELS
Dans « La Momie », elle en fait voir de toutes les couleurs à Tom Cruise… Jusqu’à lui voler la vedette !
jeune femme se nourrit d’échanges et aime partager. Pudique que sur ses amours, elle a partagé un temps la vie de Matt Pokora ora et est actuellement avec l’acteur irlandais Robert Sheehan. n. Entourée de quatre agents artistiques « publicists » qui forment une solide équipe, très stratégiques lors de la préparaaration de certains projets, la belle liane n’en est plus à son coup oup d’essai. Enchaînant les super-production et les rôles physiques, ues, pour des « action movies », elle a dès lors plus d’une dizainee de films au compteur : ayant donné la réplique à Samuel L. Jackackson, Colin Firth, et récemment Charlize Theron, dans Atomic mic Blonde, un film d’espionnage de David Leitch. Aux côtés dee la blonde planétaire, un agent au service de Sa Majesté, Sofia ia y campe le rôle de Delphine, une Française. Tourné à Budapest, est, le film, qui dévoile une torride scène de baiser langoureux eux entre Sofia et Charlize, sortira en France le 16 août. « J’étais tais très intimidée par Charlize, surtout par son jeu dans Monster. ter. r Elle m’a mise à l’aise et m’a encouragée. On a besoin de films lms avec des femmes fortes. Comme dans la vie… », conclut Sofia. fia. Modeste, elle ne pense pas à elle en disant cela. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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PARCOURS par Sabine Cessou
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DRAMATURGE ET PRODUCTEUR malien, fondateur de la troupe BlonBa, il perpétue l’art théâtral traditionnel du kotéba. Créateur culturel et inlassable pourfendeur des fléaux de la société, il envisage, à 47 ans, de se lancer en politique.
EMMANUEL DAOU BAKARY - DR
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ils de gendarme, Alioune Ifra Ndiaye n’est pas un Malien comme les autres : son franc-parler, dans ses pièces comme dans la vie, lui vaut beaucoup d’admirateurs, mais aussi quelques ennemis. Capable, fait rare au Mali, de dire qu’il ne prie pas dans les règles de l’islam, il affiche son animisme et ne se gêne pas pour critiquer le « travestissement » de sa société. Il a étudié le cinéma à Montréal, inspiré par Souleymane Cissé, son aîné. Mais très vite, il renonce à cette voie, lorsqu’il comprend qu’il va dépendre de subventions. Férocement indépendant, nationaliste dans la pratique plutôt que dans les discours, Alioune Ifra Ndiaye n’est pas homme à faire de compromis. Après des études d’ingénierie culturelle à la Sorbonne nouvelle, à Paris, il monte en 1998, avec son ami JeanLouis Sagot-Duvauroux, philosophe et écrivain français, un « Malien de cœur » qui parle le bambara, la troupe du BlonBa. Ouvert en 2007, son espace culturel BlonBa, seule alternative au Centre culturel français (CCF), a fermé après le coup d’État de mars 2012 et la grave crise qui a suivi. Il ne s’avoue pas vaincu pour autant : il a rouvert en juillet dernier dans un espace encore plus grand. En marge de ces activités, il se forme aux derniers logiciels de montage à Paris, participe à des productions télévisuelles et offre ses services de consultant, au Tchad notamment, pour restructurer des chaînes existantes. La télévision, c’est l’un des chevaux de bataille d’Alioune Ifra Ndiaye. Il a envoyé sa candidature en 2012 pour le poste de directeur général de la chaîne publique nationale. L’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM) ne l’a pas retenu. Qu’à cela ne tienne. En 2013, il construit sur fonds propres, sur la plus haute colline de Bamako, dans le quartier populaire de Kalabancoro-Adeken, le siège de sa chaîne privée, qu’il veut axée sur la citoyenneté et financée par le public. Son nom : Wôklôni, qui désigne les lutins de la mythologie mandingue et, par extension, les personnages de dessins animés. Son investissement de 800 millions de francs CFA aura du mal à être amorti, puisque la licence qu’il espérait des autorités ne lui a jamais été octroyée. Les politiques se méfient de lui, et de son impact potentiellement subversif… Et pour cause. Après le coup d’État de 2012, il a monté un spectacle intitulé Taynibougou, « la cité des profiteurs », pour faire réfléchir le public sur le niveau atteint par la corruption. Un fléau toujours lancinant au Mali. Lassé de voir la crise durer dans son pays, qu’il quitte tous les deux mois pour « ne pas devenir fou », il est plus que jamais déterminé à mener des actions citoyennes. « La société elle-même est en faute, dit-il. Le corps social n’est pas construit, personne n’est jamais responsable de rien. Le Mali ressemble au samasogo – l’éléphant sur le dos duquel on se nourrit, sans se soucier de son état de santé. » Cohérent avec lui-même, il va lancer dans les semaines qui viennent un mouvement politique, Wele Wele – « l’appel » en bamanan. Son objectif : mobiliser les jeunes, sur tout le territoire national, pour qu’ils s’occupent eux-mêmes des affaires de la cité et se présentent aux élections municipales, régionales et nationales. L’objectif : injecter du sang neuf et renouveler les élites par le bas. Une idée qui risque fort de faire mouche. Après tout, Alioune Ifra Ndiaye l’a maintes fois prouvé : on n’est jamais mieux servi que par soi-même. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Charge féroce contre la corruption, « Ala te sunogo - Dieu ne dort pas », le dernier spectacle de sa compagnie, allie danse contemporaine et ressorts burlesques.
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INTERVIEW
Isabelle Adjani
Au nom du père, au nom de l’art Artiste rare au palmarès inégalé, la comédienne réputée pour son franc-parler s’est confiée à AM. De ses origines algériennes à son attirance pour l’Afrique, elle évoque ici ses combats et ses espoirs. Sans oublier le cinéma… et l’amour. propos recueillis par Fouzia Marouf
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MARCEL HARTMANN
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INTERVIEW ISABELLE ADJANI, AU NOM DU PÈRE, AU NOM DE L’ART
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lle éblouit. Fascine. Irrite. Actrice majeure, Isabelle Adjani est cette insoumise qui est passée de La Gifle (1974) à L’Été meurtrier (1983), de La Reine Margot (1994) à La Journée de la jupe (2009), s’affranchissant des décennies d’un pas léger. Entrée à 17 ans à la Comédie-Française, encensée dès ses débuts par une critique élogieuse et dithyrambique, elle affiche une cinquantaine de longs-métrages, des téléfilms, et un amour indiscutable pour le théâtre. Avec un prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes et cinq Césars de la meilleure actrice, elle est la seule comédienne à détenir ce palmarès en France. Elle s’éclipse pourtant dans les années 2000. Mère de deux garçons, ayant partagé la vie de Daniel Day-Lewis et Bruno Nuytten, elle explique en toute simplicité à son retour : « J’ai aimé ». Phénomène au franc-parler jamais démenti, elle s’invite en 1987 au journal télévisé de TF1 pour faire cesser la rumeur sordide qui la dit séropositive, voire décédée. Engagée, elle défend Salman Rushdie aux Césars en 1989 plutôt que de se satisfaire de sa récompense. Invité d’honneur du 16e Festival international du film de Marrakech (FIFM), en décembre 2016, c’est une artiste tournée vers le continent, forçant le respect, qui a marqué public, critiques et profession. L’icône au regard toujours aussi hypnotique y a présenté Carole Matthieu, son premier film comme productrice. Elle est réclamée de toutes parts ; des projets avec Yamina Benguigui et Abderrahmane Sissako se profilent à l’horizon. Sensible à l’appel de ses racines algériennes, par son père, elle accepte d’emblée de répondre aux questions d’AM alors qu’elle se trouve au plus fort du Festival d’Avignon. « Très honorée, dit-elle, d’être sollicitée par une publication panarabe et panafricaine », ses propos dessinent surtout une femme entière et sans concessions.
AM : Vous avez présenté Carole Matthieu lors de la Semaine du cinéma positif au Festival de Cannes. Comment ce drame social, qui fait plus que jamais débat, a-t-il été accueilli ? Isabelle Adjani : Le film a été très bien accueilli par un public français marqué par différents drames survenus ces dernières années : des entreprises ont mis une pression insupportable sur nombre d’employés, soit pour augmenter leur productivité, soit pour les pousser à la démission via le burn out et/ou la dépression. Perdre son travail est aujourd’hui synonyme de déclassement, de mort sociale. La souffrance est telle, et l’angoisse de tout perdre si profonde, que la mort peut finir par apparaître comme l’unique issue. 50
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Pourquoi le rôle de cette femme médecin et ce film à la fois humain et subversif vous ont-ils autant touchée ? Cette femme, réduite à l’impuissance parce que son statut de médecin du travail ne lui donne pas les moyens de répondre vraiment aux attentes de ses patients, devient malgré elle un ange de la mort. Elle brise son serment d’Hippocrate. Pour soulager un mal qui détruit la vie, elle prescrit la mort. Estelle une meurtrière ? Ce n’est pas le propos du film, même si cela en constitue la trame, le suspense. C’est ce qui m’avait touchée dans le roman de Marin Ledun, dont s’inspire le film. Et j’ai aussi choisi ce rôle parce qu’une ancienne amie de mon frère s’est elle-même suicidée, de façon atroce, victime de cette souffrance au travail. Vous aviez déjà incarné avec intensité une femme bouleversante et entière : Camille Claudel, dans le film du même nom réalisé par Bruno Nuytten, qui partageait alors votre vie. Après votre séparation, vous aviez dit à ce sujet que c’était « la perte artistique la plus douloureuse ». Pourtant, vous avez poursuivi votre carrière avec talent et détermination. Comment avez-vous dépassé cette perte ? L’analyse freudienne permet de faire un travail de deuil qui n’efface ni les blessures ni la perte, mais qui les rend supportables, et parfois même les transforme paradoxalement en une source d’énergie créative. Mais puiser à cette source n’est pas sans risque. Alors donner du temps au temps pour que les choses s’apaisent est aussi une manière de les dépasser. Ce qui ne nous tue pas nous permet de continuer à vivre, et ce n’est déjà pas mal. Le cœur des femmes apprend à vivre avec la douleur de la perte, de la séparation, de l’abandon, depuis la nuit des temps, et à l’apprivoiser. Le 16e Festival international du film de Marrakech, en décembre dernier, vous a rendu un vibrant hommage. Et votre discours sur l’Afrique, le royaume du Maroc et le 7e art a été l’un des plus pétris de sens qu’on n’ait jamais entendus lors de cet événement… J’étais très émue par l’hommage qui m’a été rendu. La fin de l’année 2016 avait été très sombre en France et dans le monde : les frontières des pays – et les esprits – se refermaient, le repli, la peur de l’autre étaient instrumentalisés pour diviser et alimenter toutes les haines… Alors, dans cette ville de Marrakech, ouverte à toutes les cultures, à toutes les idées, le souffle de la tolérance a dû m’inspirer… (Sourire). AFRIQUE MAGAZINE
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L’actrice, à Alger, après les émeutes d’octobre 1988, intervient dans un meeting.
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« Parce que les causes sont des raisons de vivre, je prête parfois ma voix pour faire entendre celle des autres. » Abderrahmane Sissako dit à votre sujet que, chaque fois que vous prenez la parole, les causes que vous défendez ne semblent pas vaines… Parce que les causes sont des raisons de vivre et qu’elles sont rarement vaines, je prends parfois la parole, ou plutôt je prête ma voix pour faire entendre celle des autres. Une cause, c’est aussi et avant tout des militants qui luttent au quotidien pour défendre des valeurs, des idéaux… C’est leur courage et leur détermination qui me donnent à certains moments une force de conviction, avec mon humble capacité citoyenne. Le cinéma arabo-africain affiche une belle vitalité. De jeunes auteurs comme Cédric Ido (Burkina), Lyes Salem (Algérie), Daouda Coulibaly (Mali), Hicham Lasri (Maroc), Kaouther Ben Hania (Tunisie) s’emparent de sujets sociopolitiques à travers leurs premiers films. Seriez-vous tentée de travailler avec cette relève pleine d’audace, comme actrice ou productrice ? Je suis prête à tenter une véritable aventure de cinéma quand il y a rencontre avec de jeunes auteurs archidoués… Je me réjouis de cette liberté de communiquer la vie, magnifique et régénérante, dans leurs films. Et ça, c’est un formidable changement ! AFRIQUE MAGAZINE
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Très tôt, vous avez été sensible au sentiment d’injustice, que vous avez vécu, notamment à la façon dont l’employeur de votre père prononçait son nom… C’est un atavisme, chez moi, si je suis hypersensible à l’injustice. Ça s’est inscrit dans l’enfance, puis s’est confirmé à l’adolescence : ce sentiment d’injustice, sa violence et ses conséquences. Quand votre frère ou votre sœur reçoit un cadeau plus grand, plus beau, plus cher que le vôtre, vous pouvez le ressentir – mais c’est léger, passager, même si cela prouve déjà une attention particulière à la notion d’égalité dans le partage. Mais quand on fait de ce que vous êtes, de vos différences, un levier de rejet, d’exclusion et de discrimination, alors là, l’injustice devient une intolérable source d’humiliation et de souffrance. Il devient très difficile de préserver son estime de soi quand on est méprisé par les autres. Dans les années 90, alors que l’Algérie était aux prises avec le terrorisme, vous n’avez pas hésité à vous y rendre pour être parmi le peuple algérien, qui se sentait abandonné par la communauté internationale… Oui. Je n’ai jamais pu aller en Algérie sans mon père, décédé en 1983. On ne fait pas de tourisme là-bas et pour51
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responsable politique : « Au fond, il s’en fout… » De là, la dérive tant, c’est un pays tellement sublime à découvrir… J’étais donc vers le « tous pourris » est rapide, surtout si elle est nourrie allée à Alger quelques jours, comme observatrice, et je me suis par un populisme et des haines refoulées, utilisés et détournés retrouvée intervenante, modestement bien sûr. Mais il arrive par Marine Le Pen. Cette phrase a été le début de la chroque ça suffise pour attirer l’attention des opinions publiques nique d’une catastrophe annoncée pour le Parti socialiste et sur ce que le monde ne veut ni voir ni entendre. Un malheur les grands partis de gouvernement, ainsi que pour la politique entraîne toujours beaucoup de curiosité : une guerre éclate, la en général. L’abstention record du second tour famine sévit, la terre tremble… Puis la lasdes présidentielles était une manière de dire : « Si situde s’installe, le malheur devient imporvous vous en foutez, nous aussi ! » tun, la misère dérange. Ensuite vient l’oubli Que vous inspire l’ère Macron ? ou, plutôt, l’indifférence. Ça doit être aussi S’agit-il d’une nouvelle ère ou d’un air noule destin des souffrances, répétées à travers veau ? Ce qui est certain, c’est qu’un ouragan les temps de ce pays, qui m’avait fait m’ems’est abattu sur la classe politique française et barquer, l’âme dissidente, vers l’Algérie… qu’Emmanuel Macron a été le seul à avoir su Est-ce une façon de rappeler vos origines éviter l’œil du cyclone. Et s’il n’est ni Jupiter, ni algériennes ainsi que de rendre hommage Neptune, il est au moins Éole : quand le mouveà la mémoire de votre père et à son pays ? ment En Marche ! s’est levé, ce qui semblait n’être Ça devait l’être, oui. Cet ADN me donqu’un coup de vent est devenu une tempête qui a nait une légitimité pour dire : « Vous qui me fait tomber toutes les vieilles branches… Il s’agit regardez sur les écrans et dans les magabien d’un nouvel élan, d’un souffle nouveau, zines, voici d’où je viens par mon père, de mais l’enthousiasme n’est pas général, alors cette terre, de ce pays profondément lié à La dérive d’un médecin du travail n’est-ce pas maintenant qu’il doit convaincre la France par un traumatisme qui semble confronté à son impuissance. pour remporter l’adhésion ? Ce qu’il réussit à inguérissable… Il ne faut pas l’oublier. Alors, faire à l’international, qu’il le réussisse dans l’Hexagone ! À regardez-moi, regardez-le, ce pays, et aidez à briser le silence lui qui aime le théâtre, j’adresse quelques vers, car nous qui pour redonner de l’espoir au peuple algérien. » Mon père était sommes comme la Phèdre de Racine subjuguée par Hippolyte, par essence dans mon cœur, dans mes pensées, à ce moment-là. nous voulons qu’il réussisse mieux que ses pairs : Il avait une présence dans un moment tellurique où je prenais « Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche, pied dans une partie encore inconnue de mon histoire… Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi, Lors de notre précédente interview, vous étiez préoccupée Tel qu’on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous vois. » par l’évolution de la scène politique française. L’été dernier, Vous avez aussi dit l’année dernière : « J’ai trouvé la polémique vous n’avez pas hésité à évoquer François Hollande et sa phrase sur le burkini ridicule et dangereuse. Je suis toujours mal à « Je n’ai pas eu de bol »… l’aise quand on veut imposer la liberté à coups d’interdits. » Pour celui qui a décidé de se présenter à la plus haute foncLe corps de la femme continue-t-il encore d’être prétexte tion de l’État afin de servir un pays, c’est un peu « short » que à des formes de non-droit ? d’invoquer le manque de chance pour justifier ses erreurs et Le corps de la femme n’est-il pas un enjeu pour les hommes ? ses égarements. La fonction est sûrement infernale à occuper, Et son esprit aussi ? L’emprise sur son corps et tous les interdits mais elle exige autre chose que « Je n’ai pas eu de bol » lorsqu’il qui s’y rapportent traduisent une peur qui, à son tour, produit s’agit de rendre des comptes à ceux qui vous ont élu. C’est cette volonté panique d’emprise sur sa pensée et sur sa liberté. peut-être une gaffe, mais elle a eu beaucoup de répercussions Interdire le voile ou le burkini ? L’imposer ? Ma première réacdans la perception que les Français ont eue de leur principal
« Depuis le tournage de L’Histoire d’Adèle H., de François Truffaut, je me rends au Sénégal chaque fois que c’est possible. » 52
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tion serait de me dire que, au fond, c’est dénier aux femmes le droit d’affirmer leurs choix et leurs convictions dans un État où leurs droits existent et doivent être respectés. Ma seconde réaction, c’est de me dire que ces « choix » affichés sont peut-être, au contraire, l’expression cachée de la contrainte, de la soumission inévitable. Et ce n’est pas simple… Il y a d’un côté Simone de Beauvoir, qui en parlait de façon prémonitoire : « N’oubliez jamais qu’il sufDans « Carole Matthieu », elle incarne avec force une femme en plein désarroi. fira d’une crise politique, économique ou religieuse renom. Là où on craint la faune, la flore, les micro et macro-orpour que les droits des femmes soient remis en question. Ces ganismes, les insectes, les bactéries, les virus, comme le foyer droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre des pandémies futures, c’est en réalité la source des plus vie durant. » Et de l’autre, aujourd’hui, l’écrivaine franco-ségrandes richesses de la planète. Alors si vous me demandez à négalaise Fatou Diome, qui nous fait du bien en déclarant : quoi je voudrais que l’Afrique rêve pour elle-même, mon choix « Moi, je me bats pour une femme sous la lumière, au soleil, serait une fondation pour la biodiversité du bassin du Congo. pour la liberté d’exister… Je ne peux pas accepter qu’on cache Comment vous occupez-vous quand vous ne faites les femmes. » pas du cinéma, du théâtre ? Comment vous évadez-vous ? Parlez-nous de votre premier lien charnel avec l’Afrique… Je lis quand la paresse m’en laisse le temps… Je voyage, je Je me sens attachée au continent africain depuis ma décourends visite à mes proches, je m’inscris à des séminaires de théverte de l’île de Gorée et de Dakar, quand j’avais 19 ans, lors rapies douces pour le corps, l’esprit… Je ne me soigne que par du tournage de L’Histoire d’Adèle H., avec François Truffaut. la phytothérapie dans un pays où on voudrait faire disparaître Depuis, je me rends au Sénégal chaque fois que c’est possible. les plantes dans l’intérêt du big pharma ! Un comble, non ? Je J’y ai des amis, comme Diagna N’Diaye, j’y suis bien accueillie. me passionne pour toutes les formes de traitements préventifs, Il n’y existe pas de rejet de l’autre, alors même que le pays garde dérivés de la médecine de terrain, qui reposent aussi sur l’alitout naturellement sa culture propre. C’est un pays stable, qui mentation sans pesticides, la respiration, la méditation. sait porter la voix de son peuple à l’international. Ça me touche. Avez-vous un métier rêvé que vous auriez aimé exercer ? Tout comme l’élan et la vitalité de sa jeunesse, qui donne Je voulais m’occuper des démunis. Sans blague ! À 11 ans, à l’Afrique son visage jouissif… ça allait de Médecins sans frontières à juge pour enfants, Comme le dit – encore une fois – Fatou Diome, « l’Afrique a soulager le malheur des autres… Aujourd’hui, je me dis que été longtemps dans son statut de dominé et si on lui payait le j’aurais peut-être dû faire les grandes écoles pour briguer un juste prix de ses matières premières, elle n’aurait plus besoin poste de ministre de la Santé afin de mettre à l’abri tous ces d’aide humanitaire. […] Ça ne peut plus durer ». Mais le parabébés et enfants auxquels on veut désormais inoculer, de force, digme est en train de changer, la mutation a commencé, c’est onze maladies d’un seul coup : c’est de la dictature vaccinale. ce que nous apprend Lionel Zinsou, ce chef de file de l’école de Comme si l’immunité, qui diffère en plus pour chaque indipensée qui s’appelle l’afro-optimisme. Tant mieux ! L’Afrique a vidu, n’allait pas produire des réactions catastrophiques ! D’ici du génie, il serait temps que le monde entier le sache. De plus, plusieurs générations, si des mesures de santé aussi aberrantes Yamina Benguigui, qui vient d’être nommée présidente de la sont actées et maintenues, il y a fort à parier qu’on pourra Fondation Robert Schuman pour l’Europe, souhaite d’ailleurs parler d’un crime contre l’humanité ! mettre la question des droits des femmes au cœur de son action Si vous pouviez vivre où vous voudriez, maintenant dans le rapprochement entre l’Afrique et l’Europe. et pour quelques années, ce serait où ? Avez-vous un rêve personnel pour le continent ? J’adore le Portugal. La mélancolie et la nostalgie y sont Si l’avenir du monde se joue en Afrique, comme le répètent synonymes de douceur de vivre, cette saudade impossible à si justement les intellectuels africains, il y a effectivement un traduire en français… Il y existe un art de vivre au rythme du aspect qui m’interpelle : l’existence dans le bassin du Congo Fado. C’est un refuge pertinent, ce pays offre un apaisement. d’une des plus grandes biodiversités du monde. C’est un espace Si vous deviez vous qualifier, vous décrire en quelques mots… unique, à l’image de la forêt intouchée. La biodiversité est le Rêveuse, nonchalante, impatiente, maternante, contraplus grand luxe et le plus grand enjeu du monde moderne. riable, fidèle, endurante, fragilisable, indécise, têtue, dis« L’étudier, c’est se donner les moyens de préserver les restraite, enthousiaste, pessimiste. J’aime la générosité et la sources à venir de l’humanité, pour l’équilibre de la planète et bienveillance. ■ de son climat », déclare George Oxley, botaniste chercheur de AFRIQUE MAGAZINE
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Le changement, c’est maintenant. Si l’élection d’Emmanuel Macron a fait voler en éclats les traditionnels clivages droite-gauche, elle a aussi permis de faire émerger une nouvelle génération d’élus… Riche de leurs diversités.
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CES DÉPUTÉS PRESQUE AFRICAINS! par Thalie Mpouho 54
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u bout du pont de la Concorde, un souffle de renouveau plane au sein de l'Assemblée nationale. Sous le charme de la « Macronmania », les Français ont en effet donné leur chance à des nouveaux visages lors des élections législatives. Une métamorphose inouïe : ce sont 430 nouveaux députés sur les 577 (75 %) du palais Bourbon qui y siègent désormais. La précédente législature comptait 155 femmes ? Elles sont maintenant 223, soit presque 39 %. À la faveur de ce changement, les électeurs ont aussi accordé leurs suffrages à des candidats souvent cantonnés à des rôles d’alibi ou envoyés jusque-là dans des circonscriptions réputées ingagnables : ceux issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne, qu’elle soit récente ou ancienne. La plupart a été élue sous l’étiquette ou avec le soutien de La République en marche (LREM), mais figurent également une députée de la France insoumise (FI) et un du Mouvement démocrate (MoDem). Des hommes et des femmes aux parcours divers qui ont en commun de vouloir porter, suivant leurs convictions, leur idéal républicain. ■
Amal-Amélia Lakrafi
39 ans, experte en sécurité informatique FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER, 10e CIRCONSCRIPTION (LREM)
Madame mille et une compétences Son parcours professionnel est long comme le bras : études d’expertise comptable, diplôme de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), fondatrice de plusieurs entreprises… Où s’arrêtera la native de Casablanca, désormais experte en intelligence économique, sécurité des entreprises mais aussi dans l’environnement et la cyberdéfense ? Impliquée dans le développement économique et environnemental, elle représente les Français de 49 pays, soit la majeure partie de l’Afrique et un pan du Moyen-Orient.
DANIÈLE OBONO
SHUTTERSTOCK - GILLES ROLLE/RÉA - © ASSEMBLÉE NATIONALE 2017 (2)
36 ans, bibliothécaire PARIS (FI)
MOUNIR MAHJOUBI
33 ans, secrétaire d’État chargé du numérique PARIS (LREM)
De la stratégie digitale au virus de la politique Né au sein d’une famille ouvrière d’origine marocaine, Mounir Mahjoubi est le nouveau visage du numérique français. Second plus jeune membre du gouvernement, il a déjà un CV bien rempli : maîtrise de droit, master d’économie et de finance de Sciences-Po Paris, une année à AFRIQUE MAGAZINE
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Columbia puis à Cambridge. Expert du digital et de la communication, François Hollande le nomme alors président du Conseil national du numérique (CNNum) en février 2016. Un an plus tard, il quitte l’organisme pour rejoindre la campagne d’Emmanuel Macron en tant que conseiller en stratégies numériques. Le virus de la politique se propage. Il propose alors sa candidature aux législatives. Confirmé au gouvernement, c’est sa suppléante, Delphine O, d’origine coréenne, qui siège donc à sa place à l’Assemblée. Avec les mêmes convictions.
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L’Insoumise persiste et signe Danièle Obono n’a pas la langue dans sa poche. En 2012, elle signait une pétition lancée par Les Inrockuptibles pour défendre un rappeur qui avait publié un texte et une chanson intitulés « Nique la France », fustigeant notamment son passé colonial. À peine élue, ce soutien lui est revenu comme un boomerang. Mais la Franco-Gabonaise, ex-militante de la LCR et du NPA, naturalisée il y a six ans, n’en démord pas. Porte-parole de JeanLuc Mélenchon pendant la campagne, elle maintient qu’il faut « défendre la liberté d’expression de ces artistes ». 55
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BELKHIR BELHADDAD 48 ans, chef d’entreprise, adjoint au maire de Metz MOSELLE (LREM)
RAMLATI ALI
Nouveau parti, nouvelle vie
La volonté d’abord
« Exaspéré » par les pratiques du Parti socialiste, il rend après dix ans sa carte de militant en décembre 2016. Converti au macronisme, ce père de trois enfants, qui a éliminé dès le premier tour l’ex-ministre de la Culture Aurélie Filippetti, lutte pour la diversité dans les entreprises depuis 2012 grâce à son association « Cap avenir diversité ». Né à Timgad (Algérie), Belkhir Belhaddad, arrivé en France à 7 ans pour rejoindre son père ouvrier, est titulaire d’un diplôme en droit à la faculté de Metz.
56 ans, médecin MAYOTTE (LREM) Les premières, elle connaît ! Ramlati Ali a été la première femme mahoraise à devenir médecin psychiatre au centre hospitalier de Mayotte (1996). Elle continue son ascension en devenant maire de Pamandzi (2008) puis en prenant la tête de la société immobilière de Mayotte (SIM). Son investissement médical mais aussi politique veut à cette socialiste dans l’âme d’être nommée chevalier de la Légion d’honneur en 2016. Cerise sur le gâteau, elle devient le 18 juin 2017 la première députée féminine de l’île.
Pour ces nouveaux élus, le plus dur commence : s’insérer dans le collectif sans renoncer à leurs idéaux.
MOHAMED LAQHILA SONIA KRIMI
34 ans, docteur en gestion et finance MANCHE (MAJ. PRÉSIDENTIELLE)
En pleine lumière
Jeune, belle, multidiplômée. La FrancoTunisienne, naturalisée il y a cinq ans, semble avoir les qualités requises de cette nouvelle ère politique. Venue rejoindre son père, magasinier chez Peugeot, elle s’installe en France en 2002. Elle obtient un diplôme en gestion et finance ainsi qu’un master en commerce international puis rejoint l’industrie nucléaire où elle conseille les entreprises dans l’optimisation de leurs performances. Inconnue du grand public, la Cherbourgeoise réussit l’exploit de battre son adversaire Bernard Cazeneuve, alors Premier ministre sortant, implanté dans la circonscription depuis 1997.
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57 ans, expert-comptable BOUCHES-DU-RHÔNE (MODEM)
SIRA SYLLA
Ceinture noire de l’efficacité
Des fast-food aux ors de la République
Son dicton préféré est une règle des « quatre tiers » : « Un tiers d’organisation, un tiers de volonté, un tiers de travail et un dernier tiers de passion ». Titulaire d’un DESS en monnaie banque et finance suivi d’un diplôme de commissariat aux comptes, ce père de trois enfants dirige un cabinet d’expertise comptable de 45 collaborateurs dont le réseau est implanté à Paris, Marseille, Lille, Toulon… Du haut de son 1,90 m, il est ceinture noire de karaté et, titulaire d’un brevet de pilote, s’adonne à l’aviation. Originaire de Calais, né de parents marocains, il est un défenseur de la cause environnementale et se dit profondément attaché à la laïcité.
37 ans, avocate en droit du travail SEINE-MARITIME (LREM)
Un père chauffeur de bus, une mère qui enchaîne les petits boulots, dix frères et sœurs… Née à Rouen, issue d’une famille modeste d’origine sénégalaise, Sira Sylla a grandi dans la commune de SaintÉtienne-du-Rouvray (Normandie). Pour financer ses études de droit (Rouen) puis son école d’avocats (Lille), elle a travaillé dans un fast-food pendant des années, puis dans une école comme assistante d’éducation. Mordue de politique depuis l’enfance, celle qui est aussi bénévole au Secours populaire se décrit comme « une fille de l’école républicaine ».
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SARAH EL HAÏRY
28 ans, cadre commerciale LOIRE-ATLANTIQUE (LREM)
Bien au centre À la tête du MoDem Loire-Atlantique depuis deux ans, elle est l’une des plus jeunes présidentes départementales d’un parti politique en France. D’origine marocaine, elle a suivi des études de droit à la faculté de Nantes et effectué un séjour au Canada avant de devenir cadre dans l’économie sociale et solidaire. Ex-militante de l’UMP, elle rejoint le MoDem 2010. Sarah El-Haïry est également déléguée régional ouest de la fondation UP, qui lutte contre toutes les formes d’exclusion et de discrimination.
RODRIGUE KOKOUENDO 43 ans, cadre à BNP-Paribas SEINE-ET-MARNE (LREM)
Le militant autrefois socialiste Pendant douze ans, Rodrigue Kokouendo, conseiller municipal de Villeparisis de 2008 à 2014, a milité au Parti socialiste. Puis, ce natif de Bangui (République centrafricaine) en a eu assez. En septembre 2016, le quadra rejoint La République en marche et terrasse son adversaire Front national aux législatives avec un score sans appel de 61,4 %. Diplômé en gestion et finance, il travaillait jusque-là pour une filiale de la BNP.
M’JID EL GUERRAB
34 ans, chef de service à la Caisse des dépôts et consignations FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER, 9e CIRCONSCRIPTION (LREM)
Une élection miraculeuse S’il quelqu’un peut remercier le ciel, c’est bien ce natif d’Aurillac. Encarté au Parti socialiste auquel cette circonscription tendait les bras, il renonce, faute de poids, à la primaire. Donnée favorite, Leïla Aïchi, sénatrice (ex-MoDem) perd le soutien d’En Marche à la suite d’une campagne médiatique qui l’accuse d’avoir été favorable au Polisario, un sujet sensible au Maroc, poids lourd de la circonscription. M’jid El Guerrab présente alors sa candidature, obtient sur le fil le soutien d’Emmanuel Macron et remporte une élection à rebondissements.
ANISSA KHEDHER HERVÉ BERVILLE
27 ans, économiste CÔTES D’ARMOR (LREM)
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Une success story
Il a beau être l’un des plus jeunes élus de l’Assemblée, son parcours est déjà l’un des plus brillants : diplômé de Science-Po Lille et de la London School of Economics, économiste à l’agence française de développement (AFD) au Mozambique, il était aussi, jusque-là, chargé de programme au Kenya pour l’université de Stanford. Porte-parole du groupe parlementaire LREM, il intègre la commission des affaires étrangères de l’Assemblée où siègent Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Hervé Berville ne doit ses succès qu’à sa seule abnégation : orphelin, il a été évacué du Rwanda au début du génocide avant d’être adopté, à 4 ans, par un couple de Bretons de Pluduno (Côtes-d’Armor). AFRIQUE MAGAZINE
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37 ans, cadre hospitalière RHÔNE (LREM)
Plus belle est sa revanche Comment la rater sur la Toile ? À la veille du second tour des législatives, Anissa Khedher, d’origine tunisienne, a été la risée du web avec un montage vidéo d’un débat de la chaîne locale Télé Lyon Métropole (TLM) auquel elle avait participé. L’ancienne infirmière s’était montrée hésitante voire perdue dans ses propos. Une starification involontaire vue alors plus de 350 000 fois sur YouTube. Ex-conseillère municipale à la mairie de Bron (Est lyonnais), celle qui déclarait en juin « découvrir la vie politique nationale avec gourmandise » s’est justifiée en évoquant son inexpérience. Malgré ce mauvais buzz, elle l’a tout de même remporté dans sa circonscription.
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HUGUETTE TIEGNA
35 ans, ingénieure en génie électrique LOT (LREM)
Un signe du destin Diplômée de l’École des mines de l’industrie et de la géologie (Niger), Huguette Tiegna est accueillie à son arrivée en France au Havre, en 2009, par le maire de la ville : Édouard Philipe, l’actuel chef du gouvernement. La Franco-Burkinabè, née d’un père combattant pour la France en Indochine et en Algérie, a su s’imposer dans le milieu scientifique : doctorat en génie électrique, obtention d’un prix pour travaux de recherche sur l’éco-conception des machines électriques… Benjamine d’une fratrie de 9 enfants, elle défend l’émancipation et la reconnaissance des droits des femmes par le travail. 57
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PORTRAITS FRANCE , CES DÉPUTÉS PRESQUE AFRICAINS !
MUSTAPHA LAABID
SAÏD AHAMADA
48 ans, directeur associatif ILLE-ET-VILAINE (LREM)
L’égalité d’abord Vingt ans qu’il connaît et travaille dans le milieu associatif. À 48 ans, Mustapha Laabid est le directeur de l’une des antennes de la Fondation Agir contre l’exclusion, une institution qui regroupe 400 entreprises qui luttent contre les discriminations et qui se battent pour l’égalité des sexes et la diversité. Une mère femme de ménage, un père maçon : le Franco-Marocain, né à Rennes où il réside depuis toujours, prévoit de mettre toutes ses activités de côté afin de se consacrer pleinement à son titre de député.
44 ans, fonctionnaire territorial BOUCHES-DU-RHÔNE (LREM)
FADILA KHATTABI
Le visage des Comores
55 ans, professeur d’anglais CÔTE D’OR (LREM)
Une femme d’expérience Enfin une députée qui n’est pas… novice en politique. Vice-présidente (PS) du Conseil régional de Bourgogne en 2004 puis réélue en 2010, cette professeur d’anglais, née dans le Doubs, a toujours jonglé entre responsabilités familiales et joutes politiques. En 2015, lors des élections régionales, elle tente ainsi de présenter une liste dissidente associée au MoDem. Échec. Après une courte pause, elle rejoint LREM dont les instances apprécient son franc-parler et son expérience.
Voici le premier député de France issu de l’immigration comorienne. Enfant des quartiers nord de Marseille, il décroche un master en finance, démarre dans l’accompagnement à la création d’entreprise mais se réoriente ensuite dans la fonction publique, dont il passe de nombreux concours. Il débute alors une nouvelle carrière à la Caisse des dépôts et consignations puis à un poste de directeur général d’une collectivité territoriale à Avignon. Son intérêt pour la politique s’éveille durant la campagne de 1995 lorsqu’un jeune Comorien, Ibrahim Ali, est tué par des militants du FN dans sa ville.
FIONA LAZAAR
31 ans, docteur en gestion et contrôles stratégiques, cadre dans le secteur privé VAL D’OISE (LREM)
Jamais sans sa ville « On est là pour incarner quelque chose de nouveau et rassembler des gens de la gauche et de la droite » clamait la jeune femme en mai dernier. Fiona Lazaar, qui s’est présentée en tant que simple mère de famille, souhaitait en finir avec l’alternance des partis politiques, d’où son engagement. Venue du Maroc, la famille de cette diplômée de la faculté de Cergy-Pontoise (Val d’Oise) et de management à l’Essec s’est installée à Argenteuil à partir des années 60. C’est aussi dans cette ville où elle exerçait dans le secteur privé. Un ancrage local qui lui a valu de remporter un fauteuil dans sa circonscription.
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BRAHIM HAMMOUCHE 46 ans, médecin MOSELLE (MODEM)
LAËTITIA AVIA
De la gauche vers l’extême centre
31 ans, avocate au barreau de Paris PARIS (LREM)
Arrivé d’Algérie à l’âge de 2 ans, Brahim Hammouche a toujours vécu en Lorraine. Issu d’une famille nombreuse et de parents ouvriers, il dirige désormais le service psychiatrique de l’hôpital d’Hayange. Engagé au Parti socialiste jusqu’en 2002, il rejoint le MoDem en 2006 dont il devient le président départemental en 2014. Soutenu par LREM, le nouvel élu a battu le candidat Front national par plus de 58 % des voix. Père de trois enfants, il souhaite mettre en place un conseil de citoyens tirés au sort dans toutes les villes de Moselle.
La « Macronista » de la première heure Elle a beau connaître Emmanuel Macron depuis presque dix ans, elle n’avait jamais imaginé de carrière politique. D’origine togolaise, elle a intégré Sciences-Po Paris grâce aux conventions d’éducation prioritaire (ZEP) avant d’étudier au Canada. Elle débute ensuite une carrière d’avocate dans un cabinet. Elle est également enseignante à l’école de droit de Science-Po et députée de sa circonscription.
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NAÏMA MOUTCHOU
36 ans, avocate en droit de la presse VAL D’OISE (LREM)
« Engagez-vous, rengagez-vous… » Sa devise : « Garder les pieds sur terre, ne jamais oublier d’où je viens. » Née à Ermont (Val d’Oise) de parents marocains, Naïma Moutchou, mère de deux enfants, aime s’engager. Bénévole auprès de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), elle a soutenu dès les premières heures Emmanuel Macron après l’annonce de sa candidature. Ambition première affichée : « Participer à la modernisation de la justice. »
Issus de la société civile, toutes et tous savent ce que signifie vraiment le monde du travail.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
35 ans, pilote de ligne et entrepreneur dans l’aviation civile HAUTE-VIENNE (LREM)
Le changement vu du ciel L’homme, discret, ne souhaite pas mettre en avant ses origines. Diplômé de l’École nationale de l’aviation civile (ENAC), il est pilote de ligne, mais aussi directeur des opérations aériennes d’un groupe privé. Pour le nouvel élu du palais Bourbon, le rôle de député requiert les mêmes compétences que le pilotage : « Il faut savoir analyser et prendre une décision toujours dans le calme. » Investi dans la culture limousine, il participe à la valorisation du patrimoine communal depuis quelques années.
JEAN-FRANÇOIS MBAYE 38 ans, juriste en droit de la santé, professeur en bioéthique VAL DE MARNE (LREM)
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De Dakar à l’Assemblée, un parcours sans tache Né et élevé dans la capitale du Sénégal, où il fréquentera un établissement privé catholique, il s’installe dans le sud de la France en 1998 où il obtient une maîtrise en droit. Il décrochera ensuite un master 2 en droit de la santé, médical et médico-social à l’université de Paris-VIII, où il est aujourd’hui professeur en bioéthique. À 38 ans, le nouveau député se dit ardemment attaché au civisme et au respect d’autrui : « Je suis En marche […] pour incarner le renouvellement des visages et des pratiques et pour affirmer cette diversité. » AFRIQUE MAGAZINE
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PATRICE ANATO
41 ans, juriste, consultant SEINE-SAINT-DENIS (LREM)
Le citoyen touche-à-tout
La vie réelle, Patrice Anato connaît. Le juriste a exercé nombre de petits métiers, de caissier de station-service à intérimaire en usine. Mais ce natif de Lomé a persévéré jusqu’à obtenir un master en droit des affaires à la Sorbonne, avant de créer son activité de consultant. Jusque-là, à Noisy-leGrand, il n’avait jamais eu d’activité politique, le déclic se produisant, dit-il, après avoir entendu Emmanuel Macron déclarer vouloir « remettre le citoyen au cœur de la politique ». Pourquoi pas lui ? En effet… ■ 59
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INTERVIEW
Touria El Glaoui
fondatrice «Sur les trois Laet directrice de la foire continents, d’art contemporain africain 1:54 tous les ans ! » se lance à
VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA
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ouria a la foi, de l’énergie, du dynamisme. C’est le moins que l’on puisse dire quand on la rencontre. La fondatrice de la foire d’art contemporain africain 1:54 se bat sur tous les fronts pour faire vivre son concept, défendre les artistes, mais aussi construire une entreprise, un label unique sur ces territoires encore fragiles, tout en étant déjà hautement compétitifs. Touria est née à Casablanca, l’une des trois filles du grande peintre Hassan El Glaoui et du mannequin Christine Legendre. Jeune élève, elle a fréquenté les classes du fameux Collège royal à Rabat avant de prendre la route d’une université américaine. Elle fait une carrière dans le business, la banque d’affaires, les télécoms. Elle réussit, et se cherche aussi. Nomade, elle adore les avions et déteste les bureaux. Elle vit, disons, entre Londres et un peu « ailleurs », elle parcourt le continent de long en large et découvre l’immensité de la création africaine. Il est là, son projet, son aventure, la fusion entre la trace familiale, son histoire, son ambition. La première édition de 1:54 s’est tenue à Londres en 2013. Le cinquième anniversaire aura lieu en octobre prochain dans le cadre prestigieux de Somerset House. New York a vu le jour en 2015. Arrive enfin, l’étape attendue, nécessaire et incontournable, le retour au Maroc, avec 1:54 Marrakech, prévu en février 2018. Une manière de renouveler avec force ses vœux africains. ■ Z.L.
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Marrakech, pour la première fois, après Londres et New York. Un retour ambitieux vers les origines du sujet. Et le pays natal. propos recueillis par Zyad Limam
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INTERVIEW TOURIA EL GLAOUI : « SUR LES TROIS CONTINENTS TOUS LES ANS ! »
AM : Votre grand-père Thami était pacha de Marrakech, et fut un ami de Winston Churchill. Votre père, Hassan, est l’un des peintres figuratifs majeurs de sa génération. Votre mère, un mannequin connu de la maison Givenchy… Comment parvient-on à s’émanciper de telles figures familiales ? Touria El Glaoui : S’émanciper, c’est un bien grand mot ! Je suis très proche de ma famille. Toute ma vie, j’ai été inspirée par leurs choix, leurs parcours, leur liberté et leur créativité. Je me suis construite avec eux, pas contre eux. Si j’ai, au début de ma vie d’adulte, pris un chemin bien différent de la plupart de mes proches en travaillant dans le milieu bancaire à New York, c’est notamment grâce à leur inspiration constante que j’ai eu le courage de changer tout à fait de voie et lancer 1:54 Contemporary African Art Fair. Je suis consciente de la chance que j’ai d’avoir grandi au sein d’un milieu multiculturel, ouvert sur le monde tout en étant riche d’une histoire berbère fascinante. Avec 1:54, je ne marche pas dans les pas spécifiques des uns ou des autres, mais j’espère leur rendre hommage et respecter cette filiation. D’où vous est venue cette idée de créer une foire d’art contemporain africaine ? Vous êtes issue du monde de l’entreprise, des télécoms, de l’information et de la communication. Pourquoi cette aventure dans un monde difficile ? Avant de créer 1:54, je dirigeais le département Afrique et Moyen-Orient d’une grande entreprise de télécommunications et j’étais, de fait, amenée à voyager énormément, notamment dans certaines capitales africaines. À chacun de ces déplacements, et puisque j’ai grandi dans un environnement qui a toujours mis la culture au cœur de tout, j’en profitais pour observer les scènes artistiques locales, visiter des studios et des galeries. Progressivement, j’ai fait un constant accablant : l’extraordinaire créativité que j’observais sur le continent était trop peu visible en Europe. Seuls quelques artistes étaient représentés dans des galeries à l’étranger ou exposés dans des musées d’art contemporain, et peu de collectionneurs internationaux s’intéressaient à ces scènes. C’est donc très naturellement que j’ai décidé de quitter mon job et de lancer la foire à Londres. Il n’y a pas eu un moment de « rupture », je n’ai pas l’impression d’avoir pris une décision radicale. Quand je regarde cinq ans en arrière, je réalise à quel point cette aventure a pris une ampleur, notamment internationale, à laquelle je n’aurais pas pu rêver à ses débuts ! C’est un débat récurrent : faut-il « ghettoïser » l’art contemporain africain, lui organiser ses propres événements ? Pourquoi ne pas tenter de s’introduire 62
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« Les artistes ne pourront prendre leur envol que lorsqu’ils recevront un soutien massif de leurs concitoyens. » sur le marché mondial, les foires comme celles de Paris, Londres, Bâle, Dubaï… Ce sont deux démarches différentes et complémentaires, je ne pense pas qu’il faille soutenir l’une ou l’autre, mais l’une et l’autre. En 2013, avant que je ne crée 1:54, il y avait moins de 1 % d’artistes d’origine africaine dans les grandes foires internationales que vous citez, je les ai comptés à l’époque ! La réponse que j’ai trouvée fut d’apporter à ces créateurs et à ces galeries – ne les oublions pas car leur travail est fondamental et souvent exceptionnel – une plateforme sur mesure, de très grande qualité, permettant de combattre les idées reçues d’un monde occidental parfois refermé sur lui-même. Je ne dis pas que c’est la solution idéale, juste un projet qui m’a semblé indispensable alors. Depuis, 1:54 a énormément fait pour mettre sur le devant de la scène certains acteurs. Nous sommes par ailleurs proches des organisateurs de plusieurs foires internationales, avec qui nous discutons et que nous soutenons avec enthousiasme lorsqu’elles décident de faire un « focus Afrique » pour l’une de leurs éditions. Mais ne nous trompons pas, bien trop souvent encore, il s’agit d’intégrer ces galeries pour une année seulement, pas sur le long terme… C’est pour cela que je pense que 1:54 a encore un rôle à jouer aujourd’hui. Lorsque toutes les galeries que nous défendons auront trouvé leur place dans ces grandes manifestations, alors 1:54 disparaîtra. J’aurai répondu à ma problématique de départ et j’en serai ravie. Pourquoi parler d’art contemporain « africain » ? Y a-t-il quelque chose de spécifiquement « africain » qui ferait la différence ? C’est la question à laquelle j’ai essayé de répondre à travers le nom de « 1:54 », en référence aux 54 pays qui composent le continent, pour systématiquement rappeler, au cœur de notre identité même, à quel point l’Afrique est faite de diversité, de multiplicité. Les artistes que nous présentons à la foire ne sont pas « africains », ils sont issus d’un ou de plusieurs pays, habitent à l’étranger parfois, y sont nés pour d’autres, leur pratique étant liée à leur continent de naissance ou d’adoption. Ce terme n’entend pas exclure mais inclure. AFRIQUE MAGAZINE
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ALAN KEOHANE/LA MAMOUNIA - MAGNUM - BEN HOFFMAN
C’est l’emblématique Le concept 1:54 s’adresse à toute l’Afrique. Mais palace de y a-t-il encore véritablement un lien entre l’art La Mamounia qui émerge du Maghreb et de l’Afrique du Nord qui accueillera et l’art qui émerge d’Afrique subsaharienne ? l’événement, Les références ont l’air si fortement différentes… les 24 et 25 février 2018. Pour moi, les distinguer revient à oublier que le Kenya est tout aussi différent de l’Afrique du Sud que L’édition le Maroc l’est de l’Éthiopie, ou Madagascar du Libede New York, née en 2015, ria. Cette fameuse « frontière » que le Sahara serait a pris ses censé matérialiser n’a pas de sens. Au contraire, l’hisquartiers toire culturelle, économique et même politique du à Brooklyn. continent prouve que ce désert fut à travers le temps un lieu de passage, de commerce, d’échanges. C’est à mon sens avoir une vision « eurocentrée » que de comparer ou d’opposer systématiquement le nord au sud du continent. Chaque pays d’Afrique a ses multiples identités et influences artistiques propres. Il est indispensable que les États du Maghreb occupent leur siège autour de la « table culturelle » africaine. Comment voyez-vous l’évolution du marché de l’art contemporain africain ? Avons-nous affaire à un effet de mode ou à une tendance à long terme ? Tout ce à quoi je travaille à travers 1:54 vise à mettre en place des dynamiques sur le long terme, avec cette plateforme mobile capable de se réinventer à chaque édition, et qui sera désormais présente sur trois Celle de Londres, en plein centre historique, continents chaque année. Ce qui est certain, c’est qu’à Londres s’est installée dans la monumentale tout autant qu’à New York, nos publics ne cessent de grandir, Somerset House dès ses débuts en 2013. nos collaborations avec des institutions de se renforcer et notre influence de s’étendre en offrant à ces mondes de l’art occidentaux d’autres façons d’appréhender ce qu’ils connaissent mal. Mais il est vrai qu’il faut faire attention à ces éphémères effets de mode autour d’une poignée d’artistes très bien « marketés », dont tout à coup le prix des œuvres s’envole – pour probablement aussi vite retomber. Et être tout autant attentifs à ces art advisors trop avides de gain rapide ou ces collectionneurs plus intéressés par leur portefeuille que leurs œuvres d’art. Si certaines galeries ont été tentées de jouer avec le feu il y a quelques années, je pense que chacun a pris conscience de l’importance de construire ces scènes artistiques sur le long terme. Et que les aspects de mode et d’investissement de court terme ne prennent clairement guère le pas sur l’intérêt véritable que notre base de collectionneurs d’origine africaine, qu’ils vivent l’on ressent de la part de la très grande majorité des acheteurs. sur le continent, y travaillent ou s’en soient éloignés. Certains Qui achète de l’art contemporain africain ? pays sont particulièrement présents, comme l’Afrique du Sud, En tout cas, à 1:54 Londres et New York, ce sont des colle Nigeria et le Maroc, dont nous avons de nombreux reprélectionneurs et amateurs d’art, tout simplement ! Certains sont sentants. Mais on rencontre tout type de nationalité de collectrès connus et présenteront dans leur collection des artistes tionneurs à 1:54, des Soudanais autant que des Ougandais, des rencontrés à 1:54 à côté d’autres, occidentaux, de renom. Français, des Britanniques ou encore des Chinois. Il n’y a pas D’autres sont plus jeunes, très mobiles, ont moins de budget, de profil type, même si bien entendu, et puisque nous parlons mais la même curiosité. Nous avons aussi, à la foire, vu grandir ici du monde de l’art, les revenus et le patrimoine comptent. AFRIQUE MAGAZINE
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INTERVIEW TOURIA EL GLAOUI : « SUR LES TROIS CONTINENTS TOUS LES ANS ! »
Les Africains sont-ils eux-mêmes intéressés par « leur » art contemporain ? Bien évidemment ! Mais il y a une énorme différence entre être intéressé, acheter et promouvoir. L’action des ministères de la Culture est minimale. Il y a un manque crucial de structures dans la plupart des pays du continent, ce qui freine de fait l’accès aux œuvres. Acheter et promouvoir impliquent d’autres dynamiques, financières ou d’influence notamment. Les artistes ne pourront réellement prendre leur envol que lorsqu’ils bénéficieront d’un soutien massif et direct de leurs concitoyens. Mais je suis de nature optimiste et je pense que les choses changeront vite, sentiment d’ailleurs encouragé par mes observations à 1:54, où nous accueillons chaque année toujours plus de collectionneurs africains. Globalement, le marché de l’art contemporain connaît un net recul depuis 2015. Faut-il continuer à y croire ? Oui, car aucun de nous ne travaille dans ce milieu uniquement pour les bénéfices commerciaux, ou alors pas comme nous le faisons à 1:54 ou pour pas très longtemps… Ma vision s’applique au long terme, si certains soutiens habituels – grandes fortunes privées, collections et fondations d’entreprises, institutions publiques européennes notamment – sont un peu frileux en ce moment, d’autres prendront le relais progressivement. Je ne pense pas être aveugle ou obstinée, et pourtant il me semble évident qu’il faut continuer à avancer. C’est peut-être une autre leçon apprise à travers mon éducation familiale : la culture n’est pas un moyen, un « goodie », elle est une fin en soi, indispensable à nos sociétés. Comment financez-vous les éditions de 1:54 ? Est-ce une bonne affaire ? Pas vraiment, d’ailleurs je ne conseille à personne cherchant à faire fortune de lancer une foire d’art contemporain ! Plus sérieusement, une foire et notamment un événement très spécialisé et de qualité comme 1:54, avec des frais de production importants, ne peut survivre que grâce à ses sponsors. Nous avons la chance immense que Floreat [groupe londonien de conseil en investissements, NDLR] renouvelle son soutien en tant que sponsor principal de 1:54 Londres. Un dialogue s’est mis en place entre nous grâce à leur regard d’expert via Modern Forms, la collection d’art contemporain issue de pays émergents de Floreat. Nous recevons aussi le soutien de Nando’s, une chaîne de restaurants d’origine sud-africaine, peu connue en France mais présente dans le monde entier et qui possède la plus grande collection au monde d’art contemporain d’Afrique australe. Nous sommes très chanceux d’avoir des sponsors qui sont passionnés eux aussi, qui apprécient et
comprennent le travail que nous fournissons. Sans eux, 1:54 ne pourrait continuer à exister. Les mécènes et les sponsors ont-ils leur mot à dire sur les contenus ? Sur le contenu, nous dialoguons, nous échangeons, mais jamais nos sponsors n’interviennent dans ce qui fait l’identité même de 1:54, c’est-à-dire les galeries que nous sélectionnons et le programme de FORUM. Bien entendu, et puisque nous travaillons ensemble sur le long terme, nous discutons de certains projets avec eux. Ainsi, nous avions envie de travailler avec l’artiste Emeka Ogboh, très connu pour ses installations sonores, pour notre cinquième édition à Londres. Nous en avons parlé avec Floreat qui, enthousiasmé par le projet, s’est engagé à supporter cette installation. Mi-juillet, Nando’s a transformé l’un de ses restaurants du centre de Londres en galerie d’art pour quelques jours, présentant au grand public certains artistes sud-africains de sa collection. Nous avons accompagné Nando’s dans ce projet avec une table ronde sur le marché de l’art en Afrique du Sud et des intervenants aussi prestigieux que Hannah O’Leary, qui dirige le département d’art contemporain africain chez Sotheby’s à Londres, ou encore Emma Menell, directrice de Tyburn Gallery, à Londres.
« Mon objectif : que Marrakech tout entière soit vivante pendant la semaine de 1:54 ! »
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Londres fonctionne remarquablement bien aux dires des galeries participantes — et des visiteurs concernés. New York, en revanche, semble avoir du mal à sortir d’une certaine confidentialité. Je ne suis pas certaine de partager cet avis. Bien sûr, 1:54 fut d’abord créé à Londres, nous y accueillons davantage de galeries et un public très large, car nous sommes situés en plein centre-ville, dans un bâtiment adoré des Anglais. Mais l’affluence du public de 1:54 New York n’a cessé de croître depuis notre lancement en 2015. Les galeries qui y participent, internationales, sont sérieuses. Près de la moitié des exposants sont venus de pays africains lors de l’édition en mai 2017, ce qui est impressionnant lorsque l’on pense aux coûts de transport. Nous avons d’excellentes relations avec les institutions new-yorkaises, notamment le Brooklyn Museum et le Studio Museum, deux grands musées qui se sont ouverts, voire spécialisé dans le cas du second, aux scènes africaines et afro-américaines depuis de longues décennies ; mais également avec Performa, structure dédiée à la performance artistique, ou avec Aperture, une fabuleuse maison d’édition et fondation AFRIQUE MAGAZINE
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consacrée à la photographie, qui s’intéresse de près à l’Afrique. La différence de poids entre nos éditions est leur localisation : si à Londres nous sommes en plein centre-ville, à New York nous avons fait le choix de nous installer dans un quartier très « arty » mais en dehors de Manhattan, accueillant historiquement et aujourd’hui encore une nombreuse population noire et défavorisée. Ce quartier, Red Hook, à Brooklyn, est à nos yeux une partie de ce qui constitue 1:54 New York et nous comptons y rester encore, Le père de Touria et peintre de renom Hassan El Glaoui et tente d’expliquer pourquoi cette plateforme est importante, continuer à accueillir ce public pas vraiment et ça n’est pas plus facile à Marrakech qu’ailleurs. habitué aux foires d’art contemporain et à travailler avec des Aura-t-on un jour l’occasion de voir une foire 1:54 en Afrique écoles locales par exemple. S’il faut que, une fois par an, les subsaharienne ? grands collectionneurs de Manhattan traversent l’Hudson Peut-être, je ne sais pas encore. Chaque chose en son temps, River pour venir visiter 1:54 New York, je vous avoue que cela j’ai travaillé deux années au lancement de 1:54 à Marrakech, ne me dérange pas beaucoup. donc pour l’instant mon énergie se focalise sur cette édition, Vous vous lancez pour la première fois en territoire africain, pour en faire la plus belle et intéressante foire possible. avec Marrakech en février prochain. On serait tenté de vous Si je devais investir dans de l’art contemporain africain, quels demander : pourquoi avoir attendu si longtemps ? conseils nous donneriez-vous ? Parce que le moment n’était pas encore venu. Parce que Réfléchissez avec votre cœur, pas autour d’hypothétiques lorsque j’ai créé 1:54, je voulais d’abord répondre à un manque, valeurs d’investissement. L’art contemporain africain est à un problème de visibilité en Occident de la créativité artisencore relativement abordable, par rapport au marché intertique du continent africain. Progressivement, d’autres difficulnational en tout cas, et vous pouvez acquérir de belles pièces tés sont apparues, et j’ai mis plusieurs années à trouver le bon de jeunes artistes. Soyez curieux, n’écoutez pas trop ce que l’on moment et le bon lieu pour lancer la foire en Afrique. C’est vous dit et choisissez des œuvres qui vous parlent, aux côtés maintenant chose faite, je suis certaine que les collectionneurs desquelles vous pourriez vivre cent ans. marocains et internationaux vont nous soutenir ainsi que nos Vous vivez entre Londres et « ailleurs ». Avez-vous été tentée exposants et que 1:54 Marrakech aura une longue vie. d’avoir un lieu fixe, une galerie peut-être, pour promouvoir Y aura-t-il une particularité 1:54 Marrakech ? Quelque chose vos propres artistes ? de différent par rapport à Londres ou New York ? Pas pour l’instant, car le projet de 1:54 me tient trop à Son ancrage territorial, bien sûr. On ne peut pas monter cœur, je m’y suis investie à 100 %. Le métier de galeriste est une foire aussi spécifique que ne l’est 1:54 « clés en main », la très différent de celui de directrice de foire, où je ne défends déplacer d’une ville d’Europe aux États-Unis et enfin en Afrique pas une poignée d’artistes corps et âme, mais aide une scène avec exactement le même modèle. Chacune de nos éditions gigantesque et diverse à se structurer, à faire porter une voix, est différente. Nos galeries et les artistes présentés ne seront à convaincre sur sa raison d’être et sa qualité. pas nécessairement les mêmes que dans nos autres éditions. Vous sentez-vous dépositaire de l’œuvre de votre père ? Mais, surtout, ce qui va beaucoup changer, c’est l’ampleur des Je me sens responsable de la pérennité de son œuvre, oui, collaborations que nous mettons en place à Marrakech avec des et j’entends bien, avec l’aide de ma famille, faire perdurer sa structures locales, des galeries, des musées, mais aussi des colprésence, voire protéger ses intérêts. Mon père est aujourd’hui lectifs d’artistes, des espaces de résidence, etc. Mon objectif est âgé ; nous devrons prendre le relais un jour, continuer à faire que la ville entière soit vivante pendant la semaine de 1:54, que voyager son travail grâce à des prêts à travers le monde, orgatous les lieux d’art soient ouverts, proposent un programme niser un catalogue raisonné de l’intégralité de son œuvre afin hors norme et qu’ils dialoguent entre eux. de s’assurer qu’elle soit toujours protégée, délivrer des certifiMarrakech, c’est vraiment chez vous, à divers points de vue. cats d’authenticité, et bien sûr continuer à raconter l’histoire Avez-vous eu un soutien des autorités ou de sponsors privés ? de mon père et de son travail, pour que la reconnaissance qu’il Nous sommes en train de chercher nos sponsors et je dois a acquise à travers sa vie ne se ternisse pas mais au contraire bien avouer que, pour l’instant, on ne se presse pas vraiment continue à inspirer les plus jeunes. ■ au portillon. Comme je l’ai fait dans les autres villes, je me bats AFRIQUE MAGAZINE
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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Sabine Cessou
Oulimata Gueye Chercheuse, commissaire d’expositions et critique d’art, cette
Franco-Sénégalaise s’est formée au Batofar et à la Gaîté lyrique, à Paris, mais aussi à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Sa préoccupation : l’Afrique digitale, de Nollywood à la science-fiction. En un mot, l’avenir.
› Je suis née et j’ai grandi à Dakar, où j’étais une adolescente introspective et happée par la littérature. J’ai adoré la peinture sociale de Balzac et dévoré les polars d’occasion que je trouvais au marché Sandaga. J’ai étudié la finance à Lille, mais bifurqué très vite vers la culture, qui m’attirait plus. Après 1989 et l’exposition « Magiciens de la Terre » [au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette, à Paris], une immense polémique est née sur la place des « non-Occidentaux » dans l’art contemporain. Quelque chose montait avec Revue Noire et la révolution numérique. En 1997, la Documenta de Kassel explose l’ancien format pour inscrire l’art dans le moment politique. Dans le catalogue Politics/Poetics, elle convoque Edward Saïd, Frantz Fanon, Raoul Peck. Je me suis dit que c’était sur ce terrain qu’il fallait se battre. D’autant que je mettais en place au même moment un programme de résidences d’artistes au Bénin… › Entre 1998 et 2001, j’ai travaillé à l’ouverture du Batofar, un navire d’acier rouge amarré sur les quais de la Seine dans le XIIIe arrondissement. C’était un lieu culturel atypique à l’époque. J’aimais son côté alternatif, en marge, avec une programmation centrée sur la musique électronique et des cultures urbaines qui n’intéressaient pas les musées… On avait l’enthousiasme des explorateurs. J’y ai développé un programme de résidences avec des artistes internationaux – allemands, japonais, finlandais – axé sur l’histoire de l’immigration dans le quartier. › L’école, qui n’a jamais cessé d’être mon moteur et mon espace de réalisation, me pousse à continuer mes études en permanence. J’ai passé un diplôme de troisième cycle en management culturel à l’université de Vincennes à Saint-Denis, et un master « Art et langage » à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). C’est le lieu où je vais le plus ! Je suis allée dans toutes les capitales, Berlin, Barcelone, Tokyo, Vienne, Helsinki, rechercher l’impact du numérique sur l’art, pour faire un festival qui se passait deux ou trois fois par an au Batofar. › J’ai recréé avec mon amie Jos Auzende, curatrice, le même concept sous le titre Infamous Carousel au Centre Pompidou, un festival qui a existé huit ans. Quand Jos Auzende a intégré la Gaîté lyrique à partir de 2011, j’ai décidé d’explorer la question du numérique en Afrique, où se produisaient déjà de petites éruptions volcaniques avec Ushahidi au Kenya, Nollywood au Nigeria. Là s’est jouée une rencontre entre les effets spéciaux, l’imagination et l’outil numérique, qui a élevé la SF au rang d’esthétique. J’aime l’idée des utopies alternatives et non alignées. › Je travaille aujourd’hui sur ces contenus en donnant des conférences sur « l’afrofuturisme » à la fondation Gulbenkian, entre autres. Je m’intéresse à la projection des nouvelles générations dans l’avenir, et un goût nouveau pour la culture scientifique qui ne s’est jamais autant affiché sur le continent. › La question de mon retour à l’Afrique s’est toujours posée pour moi en pointillé. J’aime aller à Dakar et j’ai énormément de respect pour les structures qui y travaillent dans l’art, comme la galerie Raw Material ou l’espace Kër Thiossane. On ne se rend jamais assez compte du travail réalisé sur place ! ■
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OLIVIER ROUBERT
« J’aime aller à Dakar et j’ai énormément de respect pour les structures qui y travaillent dans l’art. »
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Une vie clandestine Son cas est loin d’être isolé. Arrivée de Côte d’Ivoire pour poursuivre des études, Océane a rejoint le flot des MIGRANTS qui transitent par le Maghreb, étape sur le chemin de l’Europe. À TUNIS, où elle vit depuis sept ans, la jeune mère raconte son quotidien entre la solidarité des uns et le rejet des autres. NICOLAS FAUQUÉ POUR AM
par Maryline Dumas
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Océane, qui a un diplôme d’aide-soignante, effectue des ménages occasionnels pour subvenir à ses besoins et ceux de son fils. Elle et cinq compatriotes vivent dans ce modeste logis de La Soukra (banlieue de Tunis).
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lle a appelé son garçon Eden. Comme si elle voulait approcher son rêve : trouver un paradis, un lieu lui offrant du travail et une vie stable. Océane est ivoirienne. Arrivée en Tunisie en 2010, elle est en situation irrégulière depuis cinq ans. Dans la cour de la maison qu’elle partage avec cinq compatriotes, la jeune femme couve du regard son fils. Il aura 2 ans en août et se montre déjà débrouillard. Vêtu seulement d’une couche sous ce fort soleil matinal, Eden gambade joyeusement. En pleine activité de nettoyage, les femmes de la maison ont laissé la porte de la cour entrouverte. Sans hésiter, le garçon s’y faufile, suivi de près par Primmael, 13 mois, fils de l’une des colocataires du lieu. Océane s’interrompt pour récupérer en vitesse les bébés partis en exploration. Océane, pas encore 30 ans, fait ensuite visiter la maison. Une salle de bains avec des toilettes fêlées, une cuisine défraîchie, un salon où trône un grand canapé, et deux chambres. Des matelas y sont posés à même le sol. Autour, le linge est rangé en pile dans des sacs. « Ma chambre est là, mais je préfère dormir sur le canapé, parce que, sinon, nous sommes cinq avec les deux bébés à dormir dans cette pièce », indique Océane. Le loyer, dans ce quartier de la Soukra, à l’est de l’aéroport de Tunis-Carthage, est de 220 dinars (80 euros) par mois. Une somme relativement modeste – surtout divisée
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par six – qu’Océane a quand même du mal à parfois réunir. « J’estime que pour vivre bien en Tunisie, il me faudrait entre 800 et 1 000 dinars (290 et 365 euros). Généralement, je suis plutôt à 350 (128 euros). Entre les couches et la nourriture, les dépenses filent… » Elle travaille de façon irrégulière : quelques « patrons » l’appellent occasionnellement, selon leurs besoins, pour faire le ménage chez eux. Une journée lui rapporte entre 25 et 30 dinars (9 à 11 euros). Pour le moment, ce rythme lui convient. Il lui permet de garder les bébés lorsque ses colocataires s’absentent. « On s’épaule, on est solidaires », explique Océane. Les difficultés n’empêchent pas de rire, de vivre. Le dimanche, elles vont parfois au Maquis, un restaurant africain pas très officiel caché à l’abri d’une villa, ou à la plage, le long du littoral qui relie La Goulette à La Marsa. Parfois, des fêtes sont aussi organisées, ce qui permet d’élargir les rencontres et le cercle de la maisonnée. Océane est devenue la présidente de l’Association subsaharienne des travailleurs en Tunisie (ASTT), un organisme sans existence légale, qui se donne pour objectif d’aider et soutenir ces personnes en difficulté. La solidarité entre migrants, Océane l’a expérimentée. Elle a pu en profiter lors de sa grossesse. Fatiguée, elle a arrêté de travailler au bout du septième mois et a repris trois AFRIQUE MAGAZINE
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mois après la naissance d’Eden. « Pendant ces cinq mois, j’ai pu vivre grâce au soutien des frères et sœurs », explique la jeune maman. Le papa, lui, est parti au sixième mois de la grossesse. Algérie, Maroc, l’Espagne, puis la France… Il a miraculeusement réussi à passer grâce à une « nouvelle route » qui permet d’éviter la Libye devenue trop chaotique. Océane n’a eu de ses nouvelles qu’à son arrivée à Paris. « Nous parlions de la France avant son départ. Mais, quand on s’en va, on ne prévient pas. On laisse son passeport et on disparaît sans rien dire. C’est ce qu’il a fait », raconte-t-elle, reconnaissant qu’elle a traversé une période difficile. L’homme a envoyé un peu d’argent, mais il ne travaille plus depuis six mois. « La France, l’Europe, on en parle comme d’un rêve, admet l’Ivoirienne. On n’imagine pas que ce sera difficile sur place… » Les départs, qu’ils concernent l’Europe ou un retour au pays, sont dans toutes les conversations entre migrants irréguliers. L’association dirigée par Océane doit d’ailleurs se réorganiser après de nombreux départs parmi ses responsables. La Tunisie est devenue un véritable carrefour : c’est à la fois un pays d’émigration (1,3 million de Tunisiens vivent à l’étranger), d’immigration (quelque 60 000 étrangers, hors coopérants, sont résidents officiels, auxquels
La nostalgie du pays est prégnante. Quelques objets et modestes souvenirs l’aident à ne pas oublier son identité.
s’ajoutent entre 10 et 15 % de clandestins selon l’Organisation internationale pour les migrations – OIM), et de transit. D’après les statistiques de l’association Terre d’Asile, établis sur la base des bénéficiaires de sa permanence sociale ou juridique, la Tunisie est une terre de séjour durable pour 90 % des migrants, qui y passent en moyenne quatre ans. Parmi les personnes interrogées, 6 % reconnaissent vouloir rejoindre l’Europe. La plupart d’entre eux se dirigent alors vers la Libye pour tenter la traversée de la Méditerranée. D’un autre côté, 90 % ont déclaré leur intention de rentrer au pays. En 2016, l’OIM a ainsi organisé 261 retours volontaires. Ceux-ci sont généralement motivés par les conditions de vie difficiles en Tunisie. Au premier rang desquelles se trouvent
« L’Europe, on en parle comme d’un rêve. On n’imagine pas que ce sera difficile sur place. »
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Face aux conditions de vie difficiles, les migrants s’épaulent et organisent la solidarité.
les blocages liés à la législation, notamment du travail. Le pays applique les conditions d’opposabilité : seuls les emplois ne pouvant être remplis par les nationaux peuvent être occupés par des étrangers. Avec 15,3 % de chômeurs en Tunisie, il reste peu de possibilités. En 2016, 7 000 permis de travail seulement ont été accordés aux non-Tunisiens. Parmi les nationalités bénéficiaires, la France se trouve au premier rang. Les Subsahariens, eux, ne sont pas clairement répertoriés, inclus vraisemblablement dans la case « autres ». « Dans les faits, nous travaillons tous au noir, reconnaît Océane, vu qu’il est impossible d’avoir un permis. » Un travail informel qui implique parfois des abus de certains employeurs, ici comme partout dans le monde. Des cas de traite ont été rapportés : l’Organisation internationale des migrations (OIM) en a recensé 155 depuis 2012. « C’est un nombre important, avec des histoires qui se répètent », estime Imen Naija, qui travaille pour l’OIM sur le projet « Lutte contre la traite des personnes ». La victime est recrutée dans son pays d’origine. Un travail qui correspond à ses attentes lui est proposé. À l’aéroport, elle est récupérée par un membre du réseau, qui la place dans une maison ou un chantier. La personne est généralement obligée de travailler pendant cinq mois pour payer son billet d’avion alors qu’elle a déjà donné une forte somme avant son départ. Signature d’un contrat en arabe – langue que ne connaît pas l’employé –, confiscation du passeport, mauvais traitements, enfermement, les abus peuvent être plus ou moins importants. « C’est le résultat d’un processus de recrutement peu sûr, où les travailleurs ne sont ni protégés, ni informés. Dans certains cas, les employeurs eux-mêmes ne sont 72
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pas au courant de leurs obligations et des infractions graves qu’ils peuvent commettre », explique Mohamed Belarbi, coordinateur du projet « Fair », mené par le Bureau international du travail, qui vise à mettre en place un recrutement équitable. Sur ce sujet – qui touche également les Tunisiens –, l’État se montre volontaire. L’instance de lutte contre la traite des personnes a été créée en février dernier. Une loi a également été votée en 2016. UNE LÉGISLATION QUI DATE Mais d’autres mesures compliquent la vie des migrants, comme les pénalités. Chaque semaine passée de façon irrégulière sur le territoire tunisien engendre 20 dinars (7,30 euros) de taxe. Océane, irrégulière depuis cinq ans, a ainsi accumulé une dette de plus de 4 800 dinars (1 748 euros). Sans l’intervention d’un organisme comme l’OIM, qui négocie régulièrement des exonérations, elle ne pourra quitter le pays sans s’acquitter de cette somme. Les pénalités sont également un problème pour les étudiants subsahariens, estimés à 6 000 dans le pays. Les citoyens du Cameroun ou de la République centrafricaine, qui n’ont pas d’accord avec la Tunisie, doivent obtenir un visa. Qui n’est généralement délivré que pour un séjour de 7 à 14 jours. Or, pour faire la demande de carte de résident en tant qu’étudiant, il faut une attestation de présence à l’école de 30 jours. Mack Arthur Deongane-Yopasho, président de l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT), dénonce « une législation datée qui n’est pas en phase avec notre temps. Quelle que soit la bonne volonté AFRIQUE MAGAZINE
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Les agressions, qu’elles soient psychologiques ou physiques, sont de plus en plus fréquentes envers les Subsahariens. Dans la colocation d’Océane, chacun en a déjà été victime.
« Parfois, je n’en peux plus. Je me dis que je veux rentrer. Mais mon père refuse… »
de l’étudiant, il passe forcément par des pénalités à payer. D’autant plus compliqué que les étudiants dans le privé n’ont pas de couverture santé ». Océane, elle, a eu de la chance. Arrivée en Tunisie en 2010 pour suivre des cours d’aide-soignante, elle a bénéficié, comme tous les Ivoiriens, de trois mois de présence en tant que touriste. Le temps de régler sa situation. Elle dénonce par contre la publicité mensongère de son école : « Mon père a payé 1 500 dinars (546 euros) l’année scolaire pour des cours en français. Mais, dès le premier jour, on m’a dit qu’étant la seule à parler français, les cours seraient du coup dispensés en arabe… » L’étudiante a finalement passé ses deux années de scolarité à travailler à partir de livres, en se rendant de façon intermittente à l’école. Selon l’AESAT, le nombre d’étudiants subsahariens aurait baissé de 50 % entre 2013 et 2017. Le bouche-à-oreille vantant les mérites de la Tunisie se serait inversé selon Mackarture DeonganeYopasho. En cause, les mensonges publicitaires de certaines écoles, le fait que des universités privées se soient installées dans les pays d’origine, mais aussi l’intégration et la sécurité. Océane a obtenu son diplôme, sans jamais se faire d’amis parmi ses camarades tunisiens. « Un des premiers jours où j’étais à l’école, on est allés manger dans un parc à la pause. Un Tunisien est venu s’attoucher devant moi, tout le monde a trouvé cela drôle, se souvient-elle. » Les agressions, qu’elles soient psychologiques ou physiques, reviennent régulièrement dans les conversations avec les Subsahariens. Dans la colocaAFRIQUE MAGAZINE
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tion d’Océane, tout le monde a une histoire à raconter. Lorie marchait dans la rue avec Primmael, 6 mois à l’époque, accroché dans le dos, quand elle a été passée à tabac par des jeunes de 16 ou 17 ans. Christelle, elle, s’est fait toucher la poitrine par un enfant de 12 ans qui avait fait mine de lui demander une pièce. Océane dit se faire régulièrement traiter de « singe ». Le racisme est prégnant, mais les agressions physiques seraient nouvelles selon Mackarture Deongane-Yopasho. Elles auraient débuté en 2015 avec l’agression d’un diplomate sénégalais à l’aéroport de Tunis-Carthage. En décembre dernier, trois étudiants congolais ont été attaqués au couteau dans le centre-ville de la capitale. Le président de l’AESAT dénombre une dizaine de cas cette dernière année. Océane se désole : « Parfois, je n’en peux plus. Je me dis que je veux rentrer. Mais mon père refuse, il dit que ce n’est pas possible. Il me calme et je reprends courage. » Lorsque celui-ci l’a envoyée en 2010 en Tunisie, il avait une idée bien précise en tête : le pays offre des formations renommées et les aides-soignantes sont recherchées en France. À l’époque, il avait une « bonne place » dans l’administration ivoirienne et pouvait se permettre un effort financier. Mais aujourd’hui, il n’est plus en mesure d’aider sa fille et son petitfils, ni même de les accueillir à nouveau chez lui. Océane le sait, elle doit se débrouiller. C’est à elle de créer son propre paradis sur terre. Même si elle ignore encore où. ■ 73
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Meteor Man, Blade, la Panthère noire…
Les super-héros ne sont pas tous blancs ! Sauveurs de l’humanité ou méchants impitoyables, dotés de pouvoirs surnaturels, ils (et elles) peuplent l’univers des comics, ces bandes dessinées américaines emblématiques. À partir des années 70, apparaissent des personnages « de couleur », en prise avec l’évolution de la société. Voici le dernier né en date : BLACK PANTHER, roi du Wakanda, et premier surhomme africain de fiction, héros d’un film qui sortira en salles en février 2018. par Régis Dubois 74
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MARVEL STUDIOS/THE WALT DISNEY PICTURES
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CULTURE POP LES SUPER-HÉROS NE SONT PAS TOUS BLANCS !
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es fans trépignaient depuis quatre ans. Quand allait-on enfin voir sur grand écran les aventures de T’Challa, alias Black Panther, le super-héros 100 % africain de Marvel ? D’autant que le film, réalisé par le jeune prodige Ryan Coogler (Creed : l’héritage de Rocky Balboa), s’appuie sur un casting éloquent : Chadwick Boseman, Michael B. Jordan, Lupita Nyong’o, Forest Whitaker… L’annonce de la date de sa sortie en salles en février 2018 a ravi les impatients : la première bande-annonce officielle a été vue plus de 30 millions de fois, laissant présager un carton au box-office. À l’origine, Black Panther est le premier super-héros noir de l’histoire des comics. Il fut créé par les légendaires Stan Lee et Jack Kirby, ceux-là mêmes qui avaient donné naissance au début des années 60 aux Quatre Fantastiques, Spider-Man, Hulk, Iron Man ou encore les X-Men. Vraisemblablement influencés par la lutte pour les droits civiques qui battait alors son plein aux États-Unis et par l’émergence du Black Power (lire pages suivantes), ils créent en juillet 1966 un super-héros baptisé T’Challa, roi du Wakanda, un pays africain à la pointe de la science et, en secret, l’un des plus puissants au monde. Cette création a-t-elle influencé le choix du nom du mouvement politique radical des droits civiques ? C’est en effet seulement en octobre 1966, soit trois mois plus tard, que le Black Panther Party est officiellement créé en Californie par Bobby Seale, obligeant, pendant un temps, les scénaristes à rebaptiser T’Challa en… Black Leopard. Par la suite, chez Marvel Comics, suivront de nombreux autres super-héros noirs dont les plus illustres se nomment Le Faucon (1969), Luke Cage (1972), Blade (1973), Tornade (1975), Black Lightning (1977)… Au fil des ans, la figure du super-héros black se banalise dans les comics et l’on en compte aujourd’hui quelque 500, auxquels il faut ajouter quelque 150 super-vilains*. Fait nouveau : des Afro-Américains remplacent même désormais de mythiques personnages blancs, comme Spider-Man, devenu métis en la personne du Latino-Africain Miles Morales. Ou encore le mythique Captain America qui, privé de ses pouvoirs, a depuis légué son costume à son ami, le black new-yorkais Samuel Wilson. LES SUPER-HÉROS (BLANCS) AU CINÉMA, DE CAPTAIN MARVEL AUX AVENGERS Sur grand écran, les premiers super-héros, blancs forcément, apparaissent au cinéma dès les années 40 sous la forme de serials, les ancêtres des séries télévisées. Ce fut d’abord Les Aventures du Captain Marvel (1941), suivies de celles de Batman (1943), Captain America (1944) et Superman (1948)… Disons-le, ces courts-métrages de série B ont bien mal vieilli, à l’image de leurs interprètes bedonnants, comiques malgré eux
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Ils apparaissent au moment de la lutte pour les DROITS civiques et avec l’émergence du Black Power. dans leurs collants moulants et disgracieux. Les serials passés de mode, les super-héros disparaissent durant les années 50-70 pour ne réapparaître sur grand écran qu’à l’aube des années 80 avec le flamboyant Superman (1978) interprété par feu Christopher Reeve, bientôt suivi du crépusculaire Batman (1986) de Tim Burton avec Michael Keaton. Mais c’est véritablement l’apparition des effets spéciaux numériques durant les années 90 qui va révolutionner le genre et permettre la multiplication des reboot, spin-off et autres sequels à partir notamment du X-Men de Bryan Singer (2000). Depuis lors, on assiste à une véritable surenchère de films de super-héros avec, au bas mot, quatre ou cinq blockbusters par an : Spider-Man, X-Men, Iron Man, Thor, Captain America, Wonder Woman… Autant de productions aux recettes et aux budgets colossaux à l’image de Avengers (2012), qui engrangea 1,5 milliard de dollars au box-office pour un budget estimé à 220 millions. METEOR MAN, BLADE, HANCOCK AND CO : LES PREMIERS SUPER-HÉROS NOIRS HOLLYWOODIENS D’après une datation au carbone 14, il semblerait bien que le premier super-héros noir sur grand écran soit apparu en Amérique en 1977 en pleine vogue blaxploitation. Baptisé Abar, le Superman noir, le film en question, pauvre production fauchée et mal fichue, raconte l’histoire d’un scientifique black débarqué dans un quartier blanc et victime de la vindicte de ses voisins racistes. Il décide d’administrer un mystérieux sérum à un garde du corps nommé Abar, qui acquiert dès lors des super-pouvoirs lui permettant de punir les vilains blancs. Cette production ayant connu une exploitation somme toute confidentielle, on peut considérer que c’est Meteor Man (1993) AFRIQUE MAGAZINE
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« Meteor Man », une comédie au succès mitigé.
Luke Cage, le premier Afro-Américain à obtenir sa propre série.
Le très confidentiel « Abar, le Superman noir » (1977) a été le précurseur du super-héros black incarné au cinéma.
qui marque l’avènement du premier véritable super-héros noir ir au cinéma. À l’époque, son réalisateur Robert Townsend, un n Afro-Américain précurseur du cinéma New Jack (c’est-à-dire re « du ghetto ») des années 90 avec Spike Lee, avait connu deux ux succès d’estime : Hollywood Shuffle (1987), une comédie qui ui dénonçait les rôles stéréotypés confiés aux Noirs à Hollywood, d, et The Five Heartbeats (1991), un film musical évoquant le desstin d’un quintet vocal façon Motown. Partant du constat que les es kids noirs n’avaient que Superman et Batman comme modèles es de super-héros, il décida d’inventer – et d’interpréter – le preemier super-Afro-Américain en la personne d’un professeur ur investi de pouvoirs après avoir été au contact d’une météorite. e. Sa mission : débarrasser le ghetto des dealers et autres gangs gs qui terrorisaient les bons citoyens. Plutôt naïf dans son proopos et cheap dans sa réalisation, Meteor Man fut un échec au box-office, ce qui n’empêcha pas les éditions Marvel d’en tirer err une bande dessinée.
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Bishop (incarné par Omar Sy en 2014) est un mutant capable d’absorber toutes sortes d’énergies.
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En 1998, un vrai super-héros noir s’impose enfin sur grand écran, un certain Blade, chasseur de vampires de sa profession.
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tan Lee ne s’en est jamais caché : lorsque lui et Jack Kirby créent les X-Men en 1963, tous deux sont fortement Malcolm X. influencés par le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Deux figures émergent alors : Martin Luther King, pasteur modéré, et Malcolm X, au discours plus radical. Cette opposition se retrouve entre le Professeur Xavier et Magneto, qui luttent pour la même cause : les droits des mutants, minoritaires et opprimés par le pouvoir en place. Le premier encourage la coopération et le dialogue, le second, ne faisant pas confiance aux humains, préconise le recours à la force. Des références que l’on retrouve dans les blockbusters récents. Ainsi, la scène finale de X-Men (2000) se termine par les derniers mots de Magneto : « by any means necessary » (« par tous les moyens nécessaires »), la célèbre formule choc de Malcolm X. Idem dans X-Men : L’Affrontement final (2006) : la mutante Raven, proche de Magneto, exprime son refus de répondre aux policiers sous son « nom d’esclave », soit la même raison qui avait poussé Malcolm à choisir un X en remplacement de Little, son « nom d’esclave ». ■ R.D.
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DERRIÈRE LES X-MEN, L’OMBRE DE MARTIN LUTHER KING ET MALCOLM X
L’année suivante, c’est un autre comique noir, Damon Wayans, qui se prête à l’exercice en interprétant un super-héros ringard et burlesque affublé d’un ridicule pyjama rouge dans Blankman (1994). Suivront les décevants Steel (1997) d’après le héros DC Comics avec le géant Shaquille O’Neal qui fut un flop retentissant, ainsi que Spawn (1997), le super-héros de l’enfer qui, de l’avis des fans, resta bien en deçà du héros de BD. Il faudra ainsi attendre 1998 pour qu’enfin un vrai super-héros noir charismatique s’impose sur grand écran, un certain Blade, chasseur de vampires de sa profession. C’est Wesley Snipes qui s’y colle et confère au célèbre héros Marvel créé en 1973 une vraie consistance. À première vue, il n’avait pas de super-pouvoirs, mais sa mère ayant été mordue mortellement par un vampire lors de l’accouchement, Blade avait quelques atouts : il vieillissait très lentement, était immunisé contre les morsures de vampires et avait une force décuplée. Devant le succès rencontré, New Line produisit deux suites (en 2002 et 2004) ainsi qu’une série TV (en 2006) et même une série d’animation (en 2011). Mais force est de constater que, à part Blade, aucun autre super-héros noir n’aura marqué les mémoires cinéphiles, ni Catwoman (2003) avec Halle Berry, spin-off au succès plus que mitigé de Batman, ni l’anecdotique personnage Invisible Man des Mystery Men (1999) à l’échec tout aussi cuisant. On aurait pu ajouter aussi Akasha (interprétée par la défunte chanteuse Aaliyah) dans La Reine des damnés (2002), mais il s’agissait d’une super-vilaine. Quant à Hancock (2006), interprété par Will Smith, le super-héros alcoolique et loser que tout le monde déteste, il s’inscrit lui dans la veine des comédies loufoques façon Blankman et, bien qu’il connût un succès conséquent, était loin de rivaliser avec les nobles héros Marvel…
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Magneto, incarné à l’écran par Michael Fassbender (à g.), et le Professeur Xavier, joué par James McAvoy (à dr.).
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« Blade » (1998). Wesley Snipes, mi-homme, mi-vampire. « Catwoman » (2004). Halle Berry a succédé à Michelle Pfeiffer dans ce spin-off de « Batman ».
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« Hancock » (2008). Capable de voler, John Hancock (Will Smith) est aussi un héros alcoolique, détesté par les habitants de sa ville.
TORNADE, LE FAUCON, BISHOP… LE TEMPS DES SECONDS RÔLES Avec la multiplication des productions Marvel & DC à partir de 2000, nombreux furent les super-héros noirs à se retrouver à l’écran : Tornade (X-Men, 2000), War Machine (Iron Man, 2008), Darwin (X-Men : Le Commencement, 2011), Bishop (X-Men : Days of Future Past, 2014), Le Faucon (Captain America, 2014), Billy (Power Rangers, 2017)… Parfois même, des personnages à l’origine blancs dans les comics furent incarnés à l’écran par d’illustres acteurs noirs, à l’image de Nick Fury (Iron Man, 2008) avec Samuel Jackson, Heimdall (Thor, 2011) avec Idriss Elba, La Torche (Les 4 Fantastiques, 2015) avec Michael B. Jordan ou Deadshot (Suicide Squad, 2016) avec Will Smith. Mais ils restaient pour l’essentiel cantonnés à des seconds rôles. Finalement, c’est encore le petit écran qui se montrera le plus audacieux en créant les premières séries entièrement consacrées à des super-héros. Déjà, dès 1994, la série M.A.N.T.I.S développait l’histoire d’un scientifique afro-américain paralysé qui fabriquait un exosquelette et devenait un super-héros justicier. Puis ce fut Blade en 2006. Plus récemment, après huit années de présidence d’Obama – faut-il y voir une relation de cause à effet ? – ce ne sont pas moins de trois séries qui furent créées autour de super-héros noirs : Luke Cage (2016) et Black Lightning (2017) aux USA, deux super-héros à la retraite obligés de reprendre du service malgré eux, et Jongo (2016), produit en Afrique du Sud, qui n’est autre que le premier super-héros « made in Africa ». Et ce, bien sûr, en attendant le très prometteur Black Panther (2018) qu’il faut bien considérer comme le premier blockbuster entièrement consacré à un super-héros noir et africain. ■ * www.worldofblackheroes.com
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T’CHAKA, SAUVEUR DU ROYAUME
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ntouré de montagnes, le royaume du Wakanda, a, caché en Afrique centrale, possède des mines de vibranium m qui lui ont permis de secrètement prendre dre un siècle d’avance technologique sur le reste du monde. Un métal rare qui permet d’acquérir une force surhumaine ou de construire des armes indestructibles, comme le bouclier offert à Captain America par le roi T’Chaka, alias Black Panther. Pour ne pas éveiller les convoitises, le pays, qui possède aussi l’armée la plus puissante sur Terre, se fait passer pour une nation du tiersmonde. Des secrets éventés durant la Seconde Guerre mondiale… Après des années d’intrigues et machinations, Ulysses Klaue (Andy Serrkis), physicien super-méchant, parvient à tuer T’Chaka afin de s’emparer du vibranium. T’Challa (Chadwick Boseman), le fils aîné, s’apprête à lui succéder pour devenir le nouveau Black Panther. Mais un traître et dissident, Erik Killmonger (Michael B. Jordan), s’allie à ses ennemis car lui aussi convoite le trône. Aidé par Nakia (Lupita Nyong’o), une contre-espionne chargée de préserver les secrets du Wakanda, T’Challa comprend que son pays, qui n’a jamais été colonisé, risque de chuter de l’intérieur… Des aventures à suivre en 2018. ■ H.D.
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TEMPS FORT
DÉBAT THÉÂTRAL EN AVIGNON La 71e édition du plus important festival de SPECTACLE vivant avait l’Afrique en invitée de marque. L’occasion d’une salutaire polémique sur les choix des œuvres présentées. Et sur la nature même de la scène continentale. par Sabine Cessou, envoyée spéciale
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CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE (2)
« Kalakuta Republik », de Serge Aimé Coulibaly. Un étrange hommage à Fela qui a interloqué une partie du public.
« Femme noire », avec Angélique Kidjo, d’après Léopold Sédar Senghor, le « clou » de la manifestation. Et pas forcément un modèle de modernité… AFRIQUE MAGAZINE
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ans les rues animées de la petite ville de Provence, sur fond sonore de cigales, l’Afrique était à l’affiche cette année. La 71e édition du festival « in » d’Avignon lui a consacré un nouveau « focus », après le Moyen-Orient en 2016 et l’Argentine en 2015, le dernier en date remontant à 2013. Dans une ambiance carnavalesque, durant les trois semaines du festival, le continent s’est aussi invité sur le pavé, spontanément, avec des joueurs de djembé et des garçons issus de l’immigration démontrant leurs talents de danseurs hip hop. Musique et danse… oui, mais quid du théâtre ? Telle a été la grande question qui a sous-tendu cette dernière édition dirigée par le metteur en scène français Olivier Py. Tout le monde ne s’est pas retrouvé dans les spectacles proposés, qui étaient présentés dans le programme de manière séparée, sur des pages de couleur rouge, avec des descriptions parfois approximatives. Une vingtaine de spectateurs, surtout des hommes blancs de plus de 50 ans, sont sortis en courant au beau milieu de Kalakuta Republik le 19 juillet. Cet hommage à Fela du chorégraphe burkinabè Serge Aimé Coulibaly, adoubé par la critique, s’est avéré assez décevant. Derrière les paillettes et l’afrobeat perçaient beaucoup d’autosatisfaction et peu de profondeur. L’un de ces spectateurs échaudés, professeur à la retraite et grand habitué du festival, a tempêté contre cette « transe sans propos, une danse qui se veut contemporaine, hachée et désarticulée, qui évoque plus les maladies neurodégénératives que la qualité de la création africaine, absente ici ». Des spectateurs plus jeunes ont au contraire aimé le spectacle, « parce qu’il a donné envie de danser ». Très peu d’Africains se trouvaient dans la salle, pas plus d’ailleurs qu’à la fête donnée le même soir pour les artistes du « in », dans les beaux jardins du site Supramuros de l’université. Dorine Mokha, 28 ans, danseur et chorégraphe de République démocratique du Congo (RDC), invité à Avignon en dehors du focus pour participer à des ateliers de réflexion critique avec une dizaine d’artistes du monde entier, était de la fête ce soir-là. Il n’a pas caché son « malaise ». « A-t-on besoin de convoquer l’Afrique dans la création contemporaine ? s’interroge-t-il. Un artiste a le droit de parler à la première personne du singulier, sans forcément porter le fardeau et tous les masques de son continent, ni même de sa communauté. Il faut à mon sens regarder les propositions artistiques sous ce prisme – “dire je” – et non chercher le continent à tout prix, même dans Kalakuta Republik, sur lequel j’aurais certainement des questions à poser sur ce qui a été fait de Fela. » 81
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TEMPS FORT DÉBAT THÉÂTRAL EN AVIGNON
Ce type de débat n’a pas prévalu lors des focus MoyenOrient ou Argentine, dont les spectacles n’ont pas été passés au crible des questions sur un rapport post-colonial avec ces régions du monde. Olivier Py, quand on le questionne sur ses choix « africains », les revendique « interdisciplinaires », à la croisée de la danse, de la musique et de la poésie, et « politiques », pour montrer une Afrique en mouvement. Il les a en partie faits, expliquet-il sur RFI, en allant aux Récréâtrales de Ouagadougou, pour repérer des spectacles existants et des artistes confirmés – et non des représentants de l’avant-garde africaine qui auraient produit spécialement pour le festival. Depuis la polémique qui a éclaté en mars à l’annonce de son programme, le metteur en scène paraît cependant gêné aux entournures, et tend à livrer des réponses à la fois défensives et évasives, pour ne pas donner prise aux attaques. Lors de la conférence de presse bilan du 25 juillet, la veille de la clôture du festival, il a ainsi déclaré : « Pour les parties du globe qui n’ont pas d’excellentes infrastructures, il faut qu’on prévoie ces focus plus en avance, sans ce geste de surplomb qui consisterait à faire une commande et donc à devancer le désir des artistes eux-mêmes. Ces thématiques géographiques ne sont jamais exhaustives, il est partiel et partial. On essaie aussi de faire de la découverte et d’aller au-delà des valeurs déjà repérées. » Selon une programmatrice de théâtre parisienne, le malaise dépasse largement le cercle des artistes africains qui ne se sont pas reconnus dans les choix d’Avignon. « Lors de la conférence de presse donnée fin mars, trois mois avant le festival, tout le monde a souri – et parfois même rigolé – en prenant connaissance du détail du programme, sur lequel le siège de l’Institut français à Paris a donné des conseils, en fonction de considérations qui nous échappent. Les productions retenues nous ont parues assez datées, à nous professionnels du théâtre travaillant avec des scènes asiatiques et africaines. » Allusion au « clou » du focus et du festival, qui s’est terminé dans la cour d’honneur du palais des Papes avec deux soirées (25 et 26 juillet) Femme noire, données par des stars absolues des années… 1980 – Angélique Kidjo, Manu Dibango, Isaach de Bankolé – pour mettre en musique la lecture de poèmes de Léopold Sédar Senghor – qui n’ont rien d’actuel ni de révolutionnaire. « La partie musicale était enlevée, mais Isaach de Bankolé a récité le poème d’une voix monocorde, comme un élève l’aurait fait d’un vieux poète à l’école, selon un spectateur parisien qui s’est ennuyé. Le public était content, ce qui fait sans doute un peu partie du problème. Si l’on donnait des odes d’après-guerre à la beauté de la femme blanche comme représentation de l’Europe “en mouvement”, on verrait bien comment le public le prendrait… » 82
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« Inviter un continent sans sa parole est inviter un mort. C’est une façon comme une autre de déclarer que l’Afrique ne parle pas. » COUP DE GUEULE RETENTISSANT Pour le reste, le bilan paraît mitigé. Sur les 7 spectacles du focus Afrique, parmi les 34 du festival « in », la part belle a été faite à de bons artistes. Les chorégraphes et danseurs burkinabè Salia Sanou et Seydou Boro, la danseuse haïtienne basée à Bamako Kettly Noël, ou encore l’ensemble musical Basokin, venu de Kinshasa, étaient à l’affiche. La musicienne malienne Rokia Traoré, de son côté, a donné un spectacle musical retraçant l’épopée du roi mandingue Soundiata Keïta. Des pièces originales ont été remarquées, comme The Last King of Kakfontein, du Sud-Africain Boyzie Cekwana, ou Unwanted, de la musicienne, comédienne, danseuse et chorégraphe originaire du Rwanda Dorothée Munyaneza, sur le rejet des femmes violées durant le génocide de 1994 et de leurs enfants. À noter : ces deux créations ont été jouées dans une splendide salle d’un ancien couvent à la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, assez difficile d’accès, à 4 bons kilomètres du centre-ville d’Avignon. Mais de théâtre, point… ou si peu. D’où la polémique qui n’a pas manqué de suivre l’annonce du programme du festival avec le retentissant coup de gueule donné par l’acteur et dramaturge congolais Dieudonné Niangouna, qui était l’artiste associé du précédent focus africain en 2013. « Le festival vient de donner sa lecture sur les créateurs subsahariens : zéro théâtre. […] Fuir la question du texte pour des gens qui disent penser le théâtre me paraît complètement dichotomique. Inviter un continent sans sa parole est inviter un mort. C’est une façon comme une autre de déclarer que l’Afrique ne parle pas, n’accouche pas d’une pensée théâtrale dans le grand rendez-vous du donner et du recevoir. Et insister en invitant cette Afrique sous cette forme muselée c’est bien pire qu’une injure. C’est inviter un mort à sa table, lui envoyer toutes les abominations à la gueule, sans se reprocher quoi que ce soit, parce que AFRIQUE MAGAZINE
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Olivier Py, le directeur de la manifestation, s’est justifié en déclarant notamment : « On essaie aussi de faire de la découverte et d’aller au-delà des valeurs déjà repérées. »
PATRICK AVENTURIER/SIPA - PASCAL BASTIEN/DIVERGENCE
Le dramaturge congolais Dieudonné Niangouna (ici au festival, alors qu’il était l’artiste associé du précédent focus africain, en 2013) a été le premier à critiquer la programmation. de toute évidence on sait que le mort ne parlera pas, et c’est bien la raison de cette invitation. » Rokia Traoré s’est ensuite défendue dans une lettre de ne pas avoir « la parole » ou de voir son art ramené à un genre mineur… En termes plus posés, l’écrivain français Jean-Louis Sagot-Duvauroux, auteur de l’essai On ne naît pas Noir, on le devient (Albin Michel, 2004), qui parle le bambara et participe depuis ses débuts, en 1998, à la troupe de kotéba malienne du BlonBa, à Bamako, est revenu sur cet épineux débat sur son blog. Il voyait déjà en 2016 à Avignon « une fabrique de la classe dirigeante ». Que pense-t-il de cette édition 2017 ? « Ces quelques pépites ne rendent pas compte du bouillonnement qu’on voit en Afrique aujourd’hui. Le théâtre est inexplicablement absent de cette programmation, le théâtre d’autodérision notamment, si important dans le relèvement de ce continent humilié devenu champion toutes catégories dans l’art de se placer au-dessus de lui-même en riant de soi. Comme s’il était admis de pleurer sur les malheurs du continent […], mais déplacé de se moquer avec elle des vices qu’elle exorcise ainsi. Comme si l’Afrique était sans mots pour se dire. » Et d’enfoncer le clou sur l’engouement du jeune public, du Mali au Cameroun, pour les productions contemporaines sur le continent : « Il y avait là une grande leçon à travailler, à retenir du théâtre africain, une leçon salutaire et urgente pour la vie théâtrale française, dont la base sociale et générationnelle rétrécit de façon préoccupante. » Typique de cette arrogance qui peut prévaloir chez l’élite culturelle en France : « Une polémique ? Quelle polémique ? » a ainsi répondu un attaché de presse du festival à nos questions, sans donner suite à nos trois demandes de contact avec les responsables de la programmation. Une animatrice d’ateliers de réflexion à Avignon, elle, avoue ne pas comprendre le fin mot de l’histoire. « Pour une fois qu’une bonne initiative se fait et qu’on peut enfin découvrir des productions africaines, pourquoi faut-il se quereller ainsi et tout critiquer ? » demande-t-elle. Après tout, relèvent certains, le festival a donné de la place au texte, avec des lecAFRIQUE MAGAZINE
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tures de passages de livres organisées par RFI et des films africains récents et bien choisis, comme Le Président, de Jean-Pierre Bekolo, ou Félicité, d’Alain Gomis, projetés pendant le festival. UNE IDÉE ANACHRONIQUE ? Boyzie Cekwana, qui a convaincu le public comme la critique avec sa pièce, The Last King of Kakfontein (qui peut se traduire comme « le dernier roi de la fontaine à caca »), dans laquelle sa réflexion passe par la musique, la vidéo, la danse, le chant et un poème, ne veut pas entrer dans des querelles « franco-françaises ». Mais cet artiste né en 1970 qui fait partie de la génération de Sud-Africains ayant connu l’apartheid et la période de libération nationale qui a suivi estime que la France « devra faire le travail pour se décoloniser, de toutes parts ». Il relève l’absence d’un public issu de la diversité dans les salles à Avignon. Et pense clairement qu’un focus Afrique n’a pas lieu d’être en 2017. « Je ne comprends pas, poursuit-il, pourquoi il paraît toujours nécessaire, trente ans après l’apparition d’artistes contemporains comme Germaine Acogny sur les scènes d’Europe, d’essentialiser le continent. Ce focus est une idée coloniale et anachronique. Le festival d’Avignon est assez puissant pour en être conscient et ne pas le faire ! Il est assez mûr pour engager des relations adultes avec les artistes, africains ou pas… » Qu’il soit lui-même sud-africain, d’ailleurs, ne lui paraît pas central, dans la mesure où son propos est universel. Sa pièce, troublante, dénonce les dérives du populisme en partant de l’expérience son pays – avec dans sa bande-son le rire narquois de Jacob Zuma, un président corrompu mais très content de lui. Par extension, son œuvre se propose de démonter les ressorts du populisme partout dans le monde, aux ÉtatsUnis, aux Philippines comme en Europe. Sans complexes. ■ 83
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TENDANCES
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Programmation exigeante, dégaines clinquantes, esprit libre… L’édition française de l’événement est devenue un rendez-vous populaire. 84
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texte et photos par Amanda Rougier AFRIQUE MAGAZINE
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NEW YORK, ATLANTA, LONDRES… Douze ans après sa création à Brooklyn, le festival, chantre d’une scène musicale black alternative, s’exporte toujours plus loin. Au risque de se banaliser et devenir mainstream , en rupture avec la culture underground des origines ? Pour cette troisième édition parisienne, à la mi-juillet, le show, à la Grande Halle de la Villette, était davantage dans l’allée principale que sur scène. Entre jeunes models, néo-entrepreneurs et instagrameurs, c’était à qui rivaliserait d’audace en termes de coiffure, chaussures ou personality, certains avouant même être venus pour, surtout… agrandir leur réseau professionnel (!). Sur scène, quelques poids lourds comme De La Soul ou FFF ont assuré le spectacle avec des jeunes brut de décoffrage, tels les Anglaises Nova Twins ou les Américains de Ho99o9. En attendant qu’Afropunk ne s’exporte enfin sur le continent en fin d’année, à Johannesburg (30décembre), pour tenter de retrouver la flamme des origines. I 331 7 1 - 3 72 – AO ÛT- S EPTEM B R E 2 017
Lors des concerts, le public, bon enfant, s’est souvent retrouvé en transe.
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TENDANCES AFROPUNK À PARIS
Nova Twins, le duo heavy punk originaire de Londres.
Marco Prince, leader de FFF, le groupe funk rock français.
Ho99o9 (pour « HoRRoR »), du hip hop aux sonorités metal.
Yasiin Bey, l’artiste autrefois connu sous le nom de Mos Def.
Sur fond de grosses basses et de guitares saturées, rock, punk et hip hop fracassent le mur du son. 86
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Look is beautiful... Mannequins, blogueuses, fashionistas ou simples anonymes rivalisent d’imagination pour attirer les flashs. AFRIQUE MAGAZINE
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PORTFOLIO par Hedi Dahmani
Le monde
brut
Depuis 1989, Perpignan devient, pour 15 jours, la capitale du photojournalisme. Cette année encore, pour sa 29e édition (du 2 au 17 septembre), Visa pour l’image mettra à l’honneur le travail des plus grands professionnels, témoins capitaux d’une humanité sans cesse en mutation. visapourlimage.com 88
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Marco Longari • Une jeunesse en colère
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Afrique du Sud, novembre 2016. À travers tout le pays, des étudiants manifestent contre la hausse des droits d’inscription dans les facultés. À l’université du Witwatersrand (Johannesburg), des jeunes affrontent les forces de l’ordre qui n’hésitent pas à faire usage de leurs armes.
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PORTFOLIO Vlad Sokhin • Réchauffement climatique
VLAD SOKHIN/COSMOS/PANOS PICTURES/LAIF
Ce garçon a 16 ans. Il nage dans ce qui était un quartier, désormais inondé, du village d’Aberao. Situées dans l’océan Pacifique, les îles Kiribati, sont l’un des États les plus durement touchés par la montée du niveau des mers.
Ferhat Bouda • Berbères de l’Atlas
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FERHAT BOUDA/AGENCE VU
La communauté berbère du Maroc perpétue avec fierté sa culture. Ci-contre, le portrait de Touda qui, avec sa petite fille, rend visite à sa sœur au village de Tinfgam. AFRIQUE MAGAZINE
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SARAH CARON/LE FIGARO MAGAZINE
Sarah Caron • La Havane côté islam
À Cuba aussi, des citoyens se convertissent à l’islam. Sur le Malecon, la promenade maritime de la capitale, Hamed et ses amis prennent le frais en fin de journée avant de retourner à la salle de prière, qui rythme leur vie quotidienne. Ils ont arrêté toute autre activité.
STANLEY GREENE/NOOR
Stanley Green • Hommage
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Visa salue la mémoire du reporter d’images américain Stanley Green, disparu en mai, (ici, une femme à Grozny, Tchétchénie, en 2001), ancien militant Black Panther, figure de la photographie de guerre. 91
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MICHAEL NICHOLS/NATIONAL GEOGRAPHIC CREATIVE
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Michael Nichols • L’orphelinat des éléphants
Au Kenya, le David Sheldrick Wildlife Trust (DSWT) est un organisme chargé de la préservation des espèces menacées. Parmi les différents projets, « l’orphelinat des éléphants », au parc national de Nairobi, une structure d’accueil pour les pachydermes séparés de leurs parents ou de leur famille en raison de la folie des hommes.
Alvaro Canovas • Irak, la lente reconquête En novembre 2016, l’État
islamique (EI) tient encore la ville de Mossoul. Dès que les pauses dans les combats le permettent, des civils fuient pour se réfugier derrière les lignes des forces armées irakiennes.
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ALVARO CANOVAS/PARIS MATCH
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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N
Cameroun
PRIORITE SANTE
ALEXIS HUGUET
Réformer en profondeur le secteur médical et offrir à tous un meilleur accès aux soins. L’État prend toutes les mesures pour relever le défi de la nécessaire modernité.
D O S S I E R D I R I G É PA R E M M A N U E L L E P O N T I É - R É A L I S É PA R F R A N Ç O I S B A M B O U E T A L E X I S H U G U E T
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L’urgence nationale
Infrastructures, équipements, recherche, gestion des personnels… Pour mettre à niveau les moyens technologiques et humains, le gouvernement mène de front tous les chantiers. par François Bambou
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Fiers de leur formation : les étudiants de l’Institut supérieur de technologie médicale défilent lors de la fête de la Jeunesse, le 11 février 2017 à Yaoundé.
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e 16 juin 2017, Michael Stephen Hoza, ambassadeur des États-Unis, et André Mama Fouda, ministre camerounais de la Santé publique, assistent au lancement de la construction d’un Centre de coordination des opérations d’urgence à Yaoundé, entièrement financé à hauteur de 1,5 milliard de francs CFA (2,2 millions d’euros) par la Coopération américaine. « Ce Centre national des opérations des urgences de santé publique (CNOUS) est une sorte de quartier général, explique Mama Fouda, où le personnel des équipes se réunit afin de coordonner les informations opérationnelles et les ressources pour la gestion stratégique des événements et des situations d’urgence. Il s’agit, pour le Cameroun, de s’aligner sur les standards internationaux qui exigent des États de développer, renforcer et maintenir leurs capacités pour riposter promptement et efficacement aux risques de portée internationale. Nous sommes satisfaits de ce partenariat avec le gouvernement américain. Celui-ci a permis au pays de mieux coordonner ses actions, et éviterait la propagation d’une épidémie sur l’ensemble du territoire. » Une nouvelle qui ne pouvait pas mieux tomber car l’opinion, ici, est encore meurtrie par l’ampleur des pertes humaines occasionnées par le grave accident ferroviaire du 21 octobre 2016 à Eseka. On avait alors constaté des difficultés de coordination des secours, ce qui avait provoqué une vive colère du président de la République, Paul Biya. Le CNOUS, complexe sanitaire de 3 200 m2, viendra donc compléter le centre des urgences de Yaoundé, inauguré il y a deux ans, et financé 97
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par la coopération sud-coréenne. Suivant la politique du gouvernement, la construction d’autres hôpitaux devrait suivre, afin de répondre aux grands enjeux de santé publique. Pour le chef de l’État, cette approche, aussi coûteuse soit-elle, est indispensable. Il l’indiquait déjà dans son discours d’investiture en 2011 : « Faciliter l’accès aux soins de santé et aux médicaments de qualité est une autre façon d’améliorer les conditions de vie de notre population, surtout pour les plus démunis. Des progrès indéniables ont été faits à cet égard. Ils restent insuffisants. C’est pourquoi nous continuerons à ouvrir de nouveaux centres de santé et à apporter à nos formations hospitalières les équipements de pointe qui leur font défaut parfois. Dans la mesure du possible, nous étendrons la gratuité ou la réduction du coût des soins pour les pandémies ou les maladies infantiles. La mise en place, dans le cadre de notre système de sécurité sociale, d’un dispositif d’assurance maladie, facilitera l’accès aux soins des moins favorisés. » Suivant cette logique, le budget du secteur de la santé est en constante hausse depuis quelques années, et a atteint 236,2 milliards en 2016 (+14 % par rapport à 2015). Une somme allouée pour l’essentiel aux secteurs prioritaires que 98
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sont la santé de la mère, de l’enfant et de l’adolescent (vaccins et soins gratuits, construction de pavillons spécialisés dans les hôpitaux) ; la lutte contre la maladie et le renforcement des districts de santé.
retour à la normalité Au-delà de la construction de nouvelles plateformes hospitalières et de l’acquisition d’équipements, les autorités s’attachent également à optimiser l’efficacité des structures existantes. Car ces dernières années, du fait de l’insuffisance de l’offre technique, de maladresses du corps médical ou de défaillances des procédures de prise en charge, certains hôpitaux ont été le théâtre de drames qui ont choqué l’opinion, obligeant le ministre de la Santé publique à prendre des mesures fortes comme le limogeage de dirigeants d’établissements et la mise en place de nouvelles règles de prise en charge. André Mama Fouda a ainsi motivé ces mesures par la récurrence d’« événements malheureux survenus dans certains hôpitaux, conduisant à une forte dégradation de l’image de marque de l’hôpital public et du corps médical. Ce qui a pour conséquence une tendance à la perte de confiance des malades pour l’hôpital public, qui est dépeint comme un environnement hostile où il est notamment décrié : le mauvais accueil des patients et leurs proches, le retard et les défaillances dans la prise en charge des maladies, le rançonnement, le détournement des malades et les circuits parallèles de vente de médicaments et consommables ou encore l’absence de compassion pour les malades en détresse et en état de souffrance physique, morale et ou mentale ». Un diagnostic accablant, suivi de la publication de 26 mesures d’application impératives dans tous les hôpitaux du pays afin de restaurer un service normal. Depuis, les cas d’altercations voire d’émeutes à l’issue parfois dramatique entre accompagnateurs de malades et personnel médical se font désormais plus rares, signe d’un retour à la normalité. Cette tâche qui consiste à réconcilier les médecins avec le serment d’Hippocrate, n’est pour autant pas si simple. Car il s’agit de mettre à niveau les normes de travail dans environ 5 900 formations sanitaires à travers le pays, dont quelque 2 675 entités publiques (hôpitaux généraux, AFRIQUE MAGAZINE
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PRÉSIDENCE DU CAMEROUN
Grâce au « plan d’urgence santé » décidé par le président Paul Biya en 2014, huit nouveaux hôpitaux de référence de 150 lits chacun doivent voir le jour.
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PRÉSIDENCE DU CAMEROUN
L’offre technique, qui monte en gamme, sera renforcée avec l’acquisition d’équipements dernier cri.
Le programme de recherche hôpitaux de districts, centres de santé, etc.), près sur les plantes médicinales est intensifié. de 750 établissements appartenant aux fondations religieuses, et 2 430 cliniques et centres de santé privés de proximité. Une des clés réside dans le renforcement des ressources humaines en volume et en qualité. Car sur cet aspect aussi, le diagnostic était préoccupant. Les effectifs dans le secteur médical avaient considérablement diminué du temps de la récession économique des années 90, qui avait entraîné la mise en œuvre d’un plan d’ajustement structurel aux conséquences rudes pour le secteur : baisse des salaires des personnels fonctionnaires, gel des recrutements, notamment dans les hôpitaux publics, fermeture de certains cycles de formation des personnels de santé, les cliniques privées et hôpitaux publics de personnel de démotivation… Selon le ministère de la Santé, « cette qualité. L’État, lui, recrute massivement pour répondre aux crise économique a engendré des répercussions à long besoins des nombreuses formations sanitaires publiques. terme, traduites par la raréfaction ou la quasi-disparition Selon un recensement effectué fin 2011, 38 207 personnes de certaines catégories de personnels et un déficit travaillaient dans le système médico-sanitaire camerounais quantitatif énorme. En effet, les départs à la retraite ont (1 842 médecins, 18 954 paramédicaux et 17 411 employés continué à grever l’effectif disponible tandis que l’évolution administratifs). Le développement rapide de nouvelles démographique de l’ordre de 2,6 % a accentué l’écart entre infrastructures hospitalières devrait d’ailleurs accroître l’offre en personnel et le nombre d’habitants. La dégradation les besoins en ressources humaines. Un défi pour la des indicateurs de base en santé est en partie tributaire de dizaine de facultés publiques et privées de médecine et de cette inadéquation entre l’offre qualitative et quantitative en pharmacie, ainsi que pour la centaine d’écoles d’infirmiers personnels de santé et la demande accrue. » C’est une des et de laborantins. Pour le moment, la tendance est plutôt questions essentielles que le chef de l’État veut résoudre. satisfaisante, comme le souligne le gouvernement : « La Plusieurs facultés de médecine et écoles d’infirmiers ont gestion des ressources humaines a connu une amélioration ainsi été créées ces dernières années, permettant de doter AFRIQUE MAGAZINE
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grâce à l’élaboration et à la mise en œuvre du Plan de développement des ressources humaines (PDRH 20132017). En effet, ce dernier a permis d’améliorer la gestion et la gouvernance des personnels, de renforcer leur production, comme la veille stratégique sur leur gestion. » Reste la question de la recherche. Le Cameroun veut d’abord faire monter en régime l’Institut de recherches médicales et d’études des plantes médicinales (IMPM), chargé d’élaborer et d’exécuter des études scientifiques fondamentales et appliquées, dans toutes les disciplines médicales. Le gouvernement est également chargé de déterminer les potentialités nutritionnelles des aliments locaux et de développer des techniques appropriées et peu coûteuses pour leur transformation et leur conservation. Autre mission de cet établissement : promouvoir l’utilisation des plantes médicinales pour le traitement des maladies, mener des études en vue de l’intégration de la médecine traditionnelle dans le cadre des soins de santé primaires, et assurer une large diffusion des résultats de la recherche susceptibles d’être exploités par les opérateurs économiques. Parallèlement, plusieurs structures publiques ont vu le jour ces dernières années, et se consacrent aux recherches sur des maladies telles que le paludisme ou encore le sida. Un domaine dans lequel la Fondation Chantal Biya, créée par l’épouse du chef de l’État, s’investit au quotidien. la question des fonds à régler Si la prise en compte de toutes ces problématiques par le gouvernement traduit une grande ambition, l’obstacle majeur à lever reste celui des fonds. « Le Cameroun ne dispose pas encore d’une stratégie nationale de financement de la santé, déplore l’État dans une étude présentée en juin dernier. Les différentes fonctions de l’investissement (collecte des ressources, mise en commun des ressources et mécanismes de partage du risque maladie, et achat des services de santé) ne répondent donc pas à un cadre logique national. » Selon les Comptes nationaux de la santé de l’année 2012, le volume total du financement de la santé était de 728 milliards de francs CFA (1 milliard d’euros), soit 5,4 % du produit intérieur brut (PIB). Les principales sources de financement étaient : les ménages (70,6 %), le gouvernement (14,6 %), le secteur privé (7,7 %) et les bailleurs de fonds pour le reste. Autant dire que pour le moment, le coût de la santé est pour l’essentiel supporté par les familles, ce qui cause des disparités dans l’accès aux soins. Une autre question que le gouvernement veut régler dans l’urgence, avec l’instauration de la couverture maladie universelle. ■ 100
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Plateau technique: le temps de la rénovation La création de nouveaux hôpitaux, dotés de systèmes d’équipements de pointe, devrait permettre à tous accéder à des soins de meilleure qualité.
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ien visible avec ses couleurs bleu et blanc sur l’avenue qui dessert l’hôpital Laquintinie de Douala, le pavillon « Samuel Eto’o Fils » a été officiellement offert à l’État le 8 mai 2017 en présence du ministre de la Santé publique et du donateur, le footballeur international qui lui a donné son nom. Un complexe de 48 lits dédié aux urgences et à la réanimation des enfants composé d’une salle de déchocage, d’une photothérapie, d’un service diététique et de plusieurs blocs de consultation. Coût total : 700 millions de francs CFA. « Ce pavillon est à vous, c’est l’accomplissement d’un rêve pour un monde solidaire. Apporter du sourire aux enfants est notre plus belle victoire. En outre, le pavillon va contribuer de manière efficiente à réduire le taux de mortalité infantile au Cameroun », a déclaré le joueur. De son côté, le ministre André Mama Fouda a salué la généreuse initiative de l’icône du ballon rond : « Une belle réalisation qui va permettre de maintenir en vie de nombreux enfants. Ce beau pavillon vient renforcer la carte sanitaire de notre pays et de l’hôpital Laquintinie de Douala. Ce n’est pas la première fois que ce fils du pays fait un geste à l’endroit du secteur de la santé. Il avait offert par le passé une ambulance
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Le pavillon « Samuel Eto’o Fils », flambant neuf, officiellement offert à l’État le 8 mai 2017 par le footballeur international du même nom.
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médicalisée avec des équipements appropriés. Je profite encore de cette occasion pour promouvoir le partenariat public-privé. Je lance également un appel à l’endroit des personnels hospitaliers. Je leur demande de maintenir ce pavillon en son état, de mettre un accent sur l’accueil et de prendre soin des petits malades. » déséquilibre entre régions Si le gouvernement est à ce point reconnaissant envers Samuel Eto’o Fils, c’est parce que l’une des principales faiblesses du système de santé camerounais réside dans l’insuffisance d’infrastructures et d’équipements adaptés à la croissance démographique, à la montée de certaines pathologies, et à l’évolution technologique. Le ministère de la Santé a constaté que les équipements des hôpitaux régionaux et de district sont pour la plupart dégradés, faute de maintenance. D’autre part, la qualité des soins reste insuffisante en raison de plateaux techniques (équipements et personnels) peu adéquats, justifiant ainsi le nombre élevé d’évacuations sanitaires à l’étranger. Il existe enfin un déséquilibre entre les différentes régions et entre les districts de santé, où l’on trouve AFRIQUE MAGAZINE
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encore des populations vivant à plus de huit régions (Bafoussam, Bamenda, 20 km d’une formation sanitaire. Une Bertoua, Buea, Ebolowa, Garoua, situation que le gouvernement veut Ngaoundéré, Maroua) pour un coût corriger. Comme l’indique la stratégie total de 120 milliards de francs CFA, sectorielle adoptée en juin dernier, de ainsi que la réhabilitation, pour une nombreux efforts ont été consentis valeur de 30 milliards de francs CFA, ces dernières années par l’État pour la des plateaux techniques des hôpitaux construction d’hôpitaux de référence en généraux de Yaoundé et de Douala, région, de dispensaires et de centres de ainsi que du Centre hospitalier et santé dans les contrées universitaire de Yaoundé. reculées. Pour demain, Les travaux sont lancés. le gouvernement Au-delà du plan veut davantage d’urgence, un programme L’une des investir. En effet, de développement des principales l’offre sera enrichie infrastructures est en faiblesses réside par la construction et cours et précisera les dans l’insuffisance choix d’investissements l’équipement de huit d’infrastructures centres hospitaliers par région et par secteur, adaptées à régionaux, la en adéquation avec les réhabilitation des spécificités de chaque zone. la croissance hôpitaux généraux et Reste la question de la démographique. du centre hospitalier maintenance. Car si l’État universitaire de investit massivement dans Yaoundé (CHUY). l’acquisition d’appareils médicaux, Pour parer au plus pressé, le chef leur maintien en état de marche n’est de l’État a décidé en 2014 de lancer un pas toujours garanti. Les utilisations « plan d’urgence santé » sur trois ans inappropriées par le personnel (2015-2017), essentiellement axé sur entraînent souvent leur détérioration les infrastructures et équipements de prématurée. D’où la décision de mettre pointe. Ce plan prévoit la construction en place un dispositif opérationnel d’hôpitaux de référence de 150 lits de maintenance, afin de garantir leur chacun dans les chefs-lieux de fonctionnement. ■ F.B.
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Le combat de Chantal Biya L’engagement et le dévouement de la Première dame ne datent pas d’hier. Depuis 1994, année de la création de la fondation qui porte son nom, elle agit en faveur des plus fragiles, en particulier des femmes et des enfants.
À
52 ans, Monique désespérait de pouvoir enfin avoir un bébé. Pourtant, ce 12 juillet 2016, elle tient dans ses bras son fils, né au Centre hospitalier de recherche et d’application en chirurgie endoscopique et reproduction humaine (CHRACERH). Une des premières prouesses du centre inauguré par la Première dame le 5 mai dernier, qui en a inspiré la construction. Il vise à résoudre les problèmes d’infertilité des femmes, au moyen de technologies de pointe, notamment la fécondation in vitro. Une démarche qui, comme l’a souligné l’épouse du chef de l’État, s’inscrit en droite ligne de son engagement : « La santé des Camerounais et plus particulièrement celle des femmes et des enfants a toujours été au cœur de mes préoccupations, de mes combats. Il était donc tout naturel d’accepter d’être la marraine de ce centre. Ce nouvel établissement se situe dans le prolongement du Centre Mère et enfant et du travail de notre fondation. Je veux saluer la décision heureuse du chef de l’État, Son Excellence Paul Biya, de créer ce centre. Au nom de toutes les femmes et de toutes les futures mamans, qu’il soit chaleureusement remercié. Il s’agit de redonner espoir aux couples stériles, leur ouvrir les portes de ce bonheur incomparable de poursuivre, comme avant eux, leurs parents, la chaîne de la vie. » L’action sociale de Chantal
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africaines contre le sida et les Biya consiste d’abord à soulager les souffrances », dédiée à la lutte contre souffrances, au moyen de dons directs, le rétrovirus à travers toute l’Afrique. ou de plaidoyers auprès de décideurs Sa motivation : « renforcer l’esprit de ou d’autres philanthropes. Un des coopération, de collaboration et de piliers de son action caritative, c’est la partenariat entre acteurs au niveau Fondation Chantal Biya, et notamment international, dans une nouvelle le Centre Mère et enfant de Yaoundé. approche de solidarité plus agissante, Il s’agit d’un pavillon hospitalier qui car c’est dans la synergie que le emploie 300 personnes, dont près de plaidoyer peut avoir une audience 25 spécialistes et dispose de plus de mieux affirmée auprès de nos 200 lits. « Notre mission, c’est la partenaires et de nos populations », prestation de soins aux mères et aux explique-t-elle. Dans cette démarche, enfants, la formation, la recherche et elle a su rassembler des personnes la participation à la mise en œuvre des déterminées à lutter efficacement programmes du ministère de la Santé contre les fléaux qui entravent le publique », témoigne un responsable de développement de l’Afrique. Selon la structure. Le centre dispose d’un Chantal Biya, « en dehors du VIH/sida, service de périnatalité et propose des les populations africaines font face à consultations en gynécologie, en d’autres endémies qui causent autant mettant l’accent sur la prévention de la de ravages. On ne compte transmission du VIH de plus les victimes la mère à l’enfant. Le provoquées chaque année service de pédiatrie Sa motivation : par la méningite, la accueille environ « renforcer l’esprit tuberculose et le tétanos, 7 000 hospitalisations par an. La Première de coopération, de surtout parmi les couches dame a aussi créé en collaboration et de les plus vulnérables de nos que sont les 2010 une unité partenariat entre populations, femmes et les enfants. À pédiatrique de jour qui acteurs au niveau cela s’ajoutent la mortalité apporte un soutien international ». maternelle et néonatale, la nutritionnel, malnutrition, les violences psychosocial et faites aux femmes et aux thérapeutique (vaccins, enfants. Nos pouvoirs publics déploient médicaments, etc.), aux mères et des efforts appréciables pour trouver enfants atteints du VIH/sida. des solutions à ces problèmes. Toutefois, en raison des moyens limités de bonnes volontés dont disposent nos pays, les efforts Chantal Biya s’investit aussi fournis sont encore insuffisants, au-delà des frontières. Elle a créé en devant l’ampleur des besoins. D’où la 2001 l’ONG internationale « Synergies AFRIQUE MAGAZINE
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6 mai 2016. Chantal Biya et le ministre de la Santé André Mama Fouda inaugurent le Centre hospitalier de recherche et d’application en chirurgie endoscopique et de reproduction.
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Visite aux plus petits, pris en charge par sa fondation. nécessité d’une très large mobilisation des bonnes volontés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent pour renforcer cette action. De par nos qualités de mères, d’épouses, de sœurs et de leaders, aucune souffrance ne peut nous laisser indifférentes. Aucune ne doit nous être étrangère. Nous sommes toutes concernées, et devons apporter notre appui sans réserve, dans cette lutte contre le VIH/sida et les souffrances. C’est cela, le défi maternel que nous devons relever ». Les Premières dames réunies au sein de Synergies africaines travaillent AFRIQUE MAGAZINE
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ainsi à réduire la proportion de nourrissons infectés par le VIH et accroître la proportion des femmes et enfants mis sous traitement. ambassadrice de l’unesco Sur la question du sida en particulier, Chantal Biya a fondé en partenariat avec la Fondation mondiale recherche et prévention sida (FMRPS) du professeur Luc Montagnier, co-découvreur du virus et Prix Nobel de médecine (2008), le Centre international de référence Chantal Biya (CIRCB) pour la
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recherche sur la prévention et la prise en charge du VIH/sida. Elle a rassemblé des soutiens internationaux dont certains venant de la fondation de Bill et Melinda Gates ou encore de l’Unesco, de l’université de Rome Tor Vergata ou de l’Institut supérieur de santé de Rome, pour soutenir son programme de recherche vaccinale pédiatrique contre le sida. Son engagement, et ses résultats concrets, lui valent une reconnaissance internationale, à l’exemple de l’Unesco, qui a fait d’elle une ambassadrice de bonne volonté. En visite au Cameroun il y a trois ans, Irina Bokova, directrice générale de l’organisation, a visité le centre : « Je suis très fière de l’implication de l’Unesco dans les merveilleux projets menés au sein du CIRCB. Je suis également fière de notre ambassadrice, Chantal Biya, que j’ai rencontrée à plusieurs reprises. Je sais tout au sujet de son action dans les domaines de l’éducation, la lutte contre la pauvreté, de la prévention du VIH/sida et toutes ses œuvres en faveur des couches défavorisées », s’est réjouie Irina Bokova. ■ F.B. 103
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Des ressources humaines aux petits soins Une bonne nouvelle pour l’emploi… La création de nouvelles facultés de médecine et l’ouverture de la formation médicale aux établissements privés, sous la supervision de l’État, devraient enfin permettre de couvrir les besoins croissants en personnel qualifié.
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angangté. C’est dans cette bourgade de l’Ouest que s’est établie en 2000 l’Université des montagnes, une des premières entités privées à ouvrir une faculté de médecine. Elle offre une douzaine de filières. Les curricula de formation et les critères d’admission y sont drastiques et homologués par le ministère de l’Enseignement supérieur. Pour le Pr. Lazare Kaptué, son président, cette initiative était indispensable : « Jusqu’en 2000, seul le Centre universitaire des sciences de la santé de Yaoundé était habilité à former des médecins. Et, pour devenir pharmacien ou chirurgien-dentiste, il fallait s’expatrier. Des membres de la société civile issus de différents milieux professionnels et réunis au sein de l’Association pour l’éducation et le développement ont voulu pallier le manque cruel de cursus médicaux en permettant aux étudiants les plus modestes, incapables d’aller à l’étranger, de bénéficier de cours sur place. Dix-sept ans plus tard, nous avons formé pas moins de 1 600 médecins et autres personnels médico-sanitaires, ainsi que des ingénieurs », confiait-il à la presse en février dernier. Une démarche qui a créé de l’émulation. À Yaoundé, l’Institut supérieur de technologies médicales et l’École des sciences de la
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Pour Jacques Fame Ndongo, ministre de l’Enseignement supérieur (à d.), l’un des principaux objectifs est de « niveler la formation médicale universitaire par le haut ».
santé (ESS) de l’Université catholique d’Afrique centrale (UCAC) (ancienne École des sciences infirmières de Yaoundé) sont les plus réputés. On compte également près d’une centaine d’écoles publiques et privées de formation des personnels médicosanitaires. Ces instituts privés viennent compléter les efforts des quatre facultés de médecine ouvertes auprès des universités d’État. Car le décalage est grand entre les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les statistiques camerounaises en matières de disponibilité de ressources humaines. L’étude sur le profil sanitaire publiée en juin dernier révèle qu’en 2011, le ratio personnel de santé
(médecin, sage-femme, infirmier, pharmacien)/population était de 1,07 personnel pour 1 000 habitants alors que la norme de l’OMS est de 2,3 personnels pour 1 000 habitants. Plus spécifiquement, on comptait dans le sous-secteur public un infirmier pour 3 157 habitants et un médecin pour 11 335 habitants ainsi qu’une inégale répartition géographique du personnel. « Les régions du Centre, du Littoral et de l’Ouest, à travers les grandes villes de Yaoundé, Douala et Bafoussam, comptent plus de 55 % des personnels contre 10 % seulement pour les régions de l’Est, de l’Adamaoua et du Sud », déplorent les rédacteurs de l’étude. Les autorités ont, sur la base de ces constats, pris la résolution de multiplier les facultés de médecine ainsi que
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Au Centre des urgences de Yaoundé comme ailleurs, les équipes médicales compétentes sont très recherchées.
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les filières de formation auprès des universités d’État, là où il n’y avait que le Centre universitaire des sciences de la santé (CUSS) de l’université de Yaoundé. Dans la même dynamique, la formation médicale supérieure a été ouverte au secteur privé. davantage de spécialisations Dans un souci de cohérence, le gouvernement a tenu à harmoniser aussi bien les modalités d’admission que les offres et les contenus de formation, au moyen d’une réforme menée en 2013. Selon le Pr. Jacques Fame Ndongo, ministre de l’Enseignement supérieur qui a porté cette réforme, « les objectifs sont de trois ordres : niveler la formation médicale universitaire par le haut, consolider l’arrimage de cette formation aux fondamentaux universels (corps enseignant, programmes, équipements, apprentissage technico-professionnel, éthique) afin de l’inscrire dans la mouvance de la mondialisation de l’enseignement supérieur et, enfin, élargir le spectre de la spécialisation AFRIQUE MAGAZINE
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(avec la création du cycle d’internat des promotions de spécialistes en hôpitaux). Il s’agit là d’une prescription néphrologie, neurologie, pneumologie, stratégique du chef de l’État et d’une hépato-gastro-entérologie, etc. À orientation opérationnelle du Premier cela, il faut ajouter les pharmaciens ministre, chef du gouvernement ». et les chirurgiens-dentistes désormais De quoi réjouir le ministère formés localement. À ce jour, le de la Santé chargé de la mise à nombre de spécialistes est de 626 disposition d’un personnel hautement dont 5 psychiatres et 9 néphrologues, compétent: « Le niveau professions qui étaient de production ciblé dans quasi inexistantes. le Document de stratégie Cependant, certaines pour la croissance et spécialités restent sousL’ « exil » vers l’emploi (DSCE) est de l’étranger n’est plus représentées, comme la 500 médecins par an, gériatrie, la radiologie une obligation : 150 pharmaciens par interventionnelle, pharmaciens an, et 150 chirurgiensl’hématologie, la biologie ou chirurgiensdentistes par an. Au médicale, l’infectiologie. » dentistes sont regard du nombre Le gouvernement va d’établissements formés localement. accentuer la formation publics et privés de dans les domaines où la formation actuellement pénurie persiste. fonctionnels, les cibles du DSCE seront D’autres mesures sont prises par le probablement atteintes à court terme. ministère, comme la réhabilitation des Cependant, on note un important plateaux techniques dans les hôpitaux déficit en médecins spécialisés. Un pour que les étudiants en médecine plan stratégique de développement y effectuent une formation dans de des spécialités médico-chirurgicales a bonnes conditions, et la création de été mis sur pied en 2010. Il a abouti à postes de praticiens pour l’encadrement la production en 2014 des premières des médecins stagiaires. ■ F.B.
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Vers une couverture maladie universelle
À la maternité de l’hôpital d’Éfoulan (Sud).
Mis en place en 2015, un comité technique a déjà conçu l’architecture du système qui permettra bientôt à tous les citoyens d’accéder aux soins indispensables.
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document de stratégie sectorielle de la santé (2016-2027). Jusqu’ici, pour faciliter l’accès financier aux soins, plusieurs plans ont été mis en œuvre par le gouvernement, générant des solutions telles que les mutuelles de santé, les politiques de gratuité et l’assurance. Mais jusqu’en 2014, seuls 1 % et 2 % de la population étaient couverts par les mutuelles de santé et l’assurance maladie privée respectivement. Les mesures instaurant la gratuité des soins concernent des
maladies, des services, et la prise en charge de certaines populations cibles comme les femmes enceintes, les enfants de moins de 5 ans (traitement gratuit du paludisme) et les personnes économiquement et socialement défavorisées. une solution pérenne Ces mesures s’étant avérées insuffisantes, depuis 2015, le chef de l’État a ordonné la mise en place d’un comité technique national intersectoriel
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n 2014, il existait 43 mutuelles actives couvrant 63 000 personnes, soit 0,2 % de la population nationale. L’affiliation à une mutuelle se fait sur la base du volontariat pour une contribution annuelle allant de 3 000 à 5 000 francs CFA par personne (8 euros). Un ticket modérateur de 10 à 50 % des frais des services et soins de santé reste à la charge du patient. Cet état des lieux est dressé par le
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chargé de doter le pays d’un système de couverture universelle qui apporterait une solution pérenne et structurelle devant garantir l’accès aux soins de qualité à toutes les couches sociales. Selon le ministre de la Santé, André Mama Fouda, « la couverture santé universelle permet à tout un chacun d’avoir accès aux soins sans difficulté financière aucune. Celle-ci s’organise sur deux principales thématiques. D’abord l’organisation et le financement de l’offre de soins, puis l’organisation et le financement de la demande de soins qui est le champ de l’assurance maladie. Nous sommes pour une couverture progressive de toute la population, y compris pour les plus pauvres et les plus vulnérables. Les coûts ne sont pas seulement à la charge des malades, mais sont supportés par l’ensemble de la population et de l’État du Cameroun. Ceci par le biais du prépaiement et de la mise en commun des risques ». À brève échéance Le ministre a déjà mené à bien les travaux relatifs à la mise en place d’une structure nationale unique de gestion technique et financière. Au sein de ce comité, un consensus a déjà été obtenu sur un régime de base de la couverture santé, obligatoire pour l’ensemble de la population et offrant des soins et services de santé essentiels communs. Pour le gouvernement, la mise en place de cette couverture maladie devrait aboutir à brève échéance, car il ne reste plus qu’à organiser l’affiliation par système d’immatriculation biométrique avec l’assistance des communes, le recouvrement des contributions des travailleurs et retraités du secteur formel (public, privé) ainsi que celles des populations actives de l’économie informelle et du secteur agricole (celui-ci étant le plus important, avec près de 80 % des travailleurs). ■ F.B. AFRIQUE MAGAZINE
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Structures privées: un secteur à assainir Parmi les formations médicales non publiques ou confessionnelles, certains centres et cliniques exercent dans l’illégalité. Un autre chantier pour le gouvernement.
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’il y a un secteur social au Cameroun où les initiatives privées de qualité foisonnent, c’est bien celui de la santé. Des milliers de formations sanitaires sont mises en place par des professionnels, dotées d’investissements financiers et technologiques colossaux. Rien qu’à Yaoundé, pas moins de six cliniques de référence offrant des prestations de haut standing ont vu le jour ces dernières années, à l’instar de la polyclinique Innova, fortement sollicitée pour ses équipements de pointe, ou encore du Centre médical La Cathédrale, dont la réputation va au-delà des frontières. Selon le gouvernement, ces opérateurs privés sont un appoint décisif à l’efficacité de l’ensemble du
système de santé national. Certains d’entre eux sont des organisations à but lucratif, mais d’autres travaillent sans aspirer aux bénéfices, prélevant auprès des patients le juste nécessaire pour couvrir les frais des soins. Dans le sous-secteur privé à but lucratif, on dénombre des polycliniques, des cliniques, des cabinets médicaux ou dentaires, mais aussi des officines de pharmacies et des laboratoires d’analyse. En général, ces formations sont mises en place par des professionnels. Les autorités saluent ce déploiement d’initiatives. Mais une évaluation de l’offre des soins, réalisée par le ministère de la Santé et publiée en juin dernier, indique que « la plupart des structures privées à but lucratif se retrouvent en milieu urbain. Par ailleurs, on note une
L’hôpital Ad Lucem de Bonamoussadi (Douala), géré par la fondation du même nom, reconnue d’utilité publique et qui dispose d’un réseau de formations sanitaires.
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prolifération anarchique de structures sanitaires clandestines. D’autre part, déplore le gouvernement, l’activité du sous-secteur privé à but lucratif est purement curative, et offre une gamme réduite de services pour un nombre faible de malades consultés. Ce sous-secteur investit faiblement dans le domaine de la prévention et ses structures de soins restent économiquement peu accessibles à des populations de plus en plus pauvres ». Dans le sous-secteur privé à but non lucratif, on compte pour l’essentiel des srtuctures appartenant aux organisations confessionnelles et à quelques associations. Dans la première catégorie, on note la présence marquée de l’Organisation catholique pour la santé au Cameroun (OCASC), du Conseil des églises protestantes du Cameroun (CEPCA), de la fondation Ad Lucem et des Associations islamiques, qui disposent chacun d’un réseau de formations sanitaires, y compris dans les zones les plus reculées du pays. Au ministère de la Santé, on estime que les établissements confessionnels représentent 17 % du total des centres de santé publics et privés à but non lucratif, soit 8,8 % pour le Service catholique de santé, 7,3 % pour le CEPCA, et 0,9 % pour Ad Lucem. À côté des privés lucratifs et des confessionnels qui sont constitués en conformité avec la loi, il existe des milliers de structures qui défient les réglementations en vigueur. En avril dernier, André Mama Fouda rappelait que sur 3 343 formations sanitaires privées, laïques et confessionnelles, 1 055 disposent d’au moins un arrêté et 2 288 fonctionnent dans l’illégalité, tandis que 75 autres sont identifiées sans région d’implantation. Il a lancé une opération d’assainissement du secteur, devant aboutir à la fermeture pure et simple de ces hôpitaux clandestins. ■ F.B. 108
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Prévenir (et guérir) les endémies Paludisme, tuberculose… Des programmes spécifiques sont mis en place pour prendre en charge les pathologies les plus répandues.
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ux grands maux les grands remèdes. Telle est l’option prise par le gouvernement pour faire face aux problèmes de santé les plus importants au sein de la société. Il s’agit de créer des programmes spécifiques pour les maladies les plus répandues, ou à fort potentiel endémique, via une unité opérationnelle qui gère aussi bien leur prévention que leur prise en charge, tout en tirant le meilleur avantage de la coopération avec les principaux donateurs internationaux. Par exemple, le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) s’est distingué par la distribution à grande échelle de près de 12 millions de moustiquaires imprégnées à longue durée d’action à travers tout le territoire. Une distribution qui, ajoutée à d’autres mesures de prévention et de prise en charge, commence à produire des résultats, comme le confirme le Dr Étienne Fondjo, secrétaire permanent du PNLP : « Le paludisme reste un problème de santé publique au Cameroun. Toutefois, la maladie est en baisse. Selon les données en notre possession, en 2015, 6 931 113 personnes ont consulté dans nos formations sanitaires, parmi lesquelles 1 431 000 cas de paludisme ont été enregistrés, avec une morbidité de près de 21 %, en baisse comparée à celle de l’année 2011, où elle était
de 29,2 %. Cette baisse est due à la mise en œuvre des interventions à haut impact. Notamment, la gratuité du traitement préventif intermittent chez la femme enceinte, la gratuité du traitement du paludisme simple chez l’enfant de moins de 5 ans, la réduction du prix du traitement d’un épisode du paludisme simple dans nos formations sanitaires à moins de 300 francs CFA pour toutes les tranches d’âges au-dessus de 5 ans. Selon l’organisation mondiale de la Santé qui a salué cette opération, la couverture nationale obtenue à l’issue de cette opération est de 93,4 % et les couvertures régionales sont satisfaisantes, variant entre 83 % et 99 %. Reste le défi de l’utilisation effective des moustiquaires distribuées. Objectif : 90 % L’enjeu stratégique, selon le gouvernement, vise à améliorer l’accès des groupes vulnérables, comme les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans, au traitement préventif intermittent et à la prise en charge gratuite de la maladie. Une démarche semblable a été engagée pour la lutte contre le sida, avec la création du Comité national de lutte contre le sida. Ses missions sont, entre autres, de réduire la propagation du VIH par la mise en œuvre des mesures de prévention efficaces et
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Pour endiguer le paludisme, des moustiquaires ont été distribuées et une campagne de prévention, mise en place.
efficientes, et d’améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH grâce à une meilleure prise en charge globale. L’objectif du programme à court terme est de faire en sorte que 90 % des personnes vivant avec le virus connaissant leur statut sérologique reçoivent un traitement. Un programme semblable a été mis en place pour coordonner la lutte contre la tuberculose, ce qui se justifie, selon le ministre de la Santé André Mama Fouda, par le fait que ces trois maladies représentent de réels fléaux pour la société camerounaise : « Le sida, le paludisme et la tuberculose sont toujours des problèmes de santé publique, des véritables freins au développement. En effet, le paludisme représente 46 % des lits d’ hospitalisation dans nos formations sanitaires, 43 % des consultations chez les enfants de moins de 5 ans et 30 % des consultations chez la population générale. S’agissant de la tuberculose, 26 110 cas ont été détectés en 2013 dont 15 080 nouveaux à microscopie AFRIQUE MAGAZINE
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endémique (tuberculose, poliomyélite, positive, ce qui correspondant à diphtérie, tétanos, coqueluche, des taux de notification de 124 et hépatite virale de type B, infection 73 pour 100 000 habitants. Environ à hémophilus de type B, infection à 40 % des personnes atteintes de la pneumocoque, diarrhée à rotavirus, tuberculose sont séropositives au VIH. fièvre jaune, rougeole Quant au sida, 620 000 et rubéole) permet personnes vivaient avec d’assurer la prévention le VIH au Cameroun en Depuis 2014, le de pathologies. Des 2016 et la prévalence campagnes massives taux des enfants est plus élevée dans la de vaccination sont tranche d’âge 30-39 ans complètement régulièrement mises (8,1 %), c’est-à-dire la vaccinés est en œuvre à travers plus économiquement en progression tout le pays. Le taux productive. Au-delà constante. des enfants de 12-23 des statistiques, le mois complètement sida, le paludisme et la vaccinés aurait connu une nette tuberculose sont des causes majeures amélioration soit 75,3 % en 2014 contre d’absentéisme prolongé, entraînant 48,2 % en 2004. Cette augmentation ainsi une baisse drastique de la a doublé, voire plus dans trois régions, productivité et engendrant une grande passant de 20,3 % à 65 % au Nord, de augmentation des dépenses liées 37,5 % à 78,5 % à l’Est, et de 47,4 % aux prestations de santé, aux frais à 89,9 % au Centre (sans la ville de funéraires et à l’assistance des familles Yaoundé). En outre, des activités de affectées ». vaccination supplémentaires sont Plus en amont, le programme organisées contre la polio, la rougeole, élargi de vaccination qui couvre déjà la rubéole et la fièvre jaune. ■ F.B. une douzaine de maladies à potentiel
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VIH: du progrès et des espoirs Pour mieux protéger les enfants qui naissent séropositifs, les autorités ont intégré un groupe de pays pilotes dont les recherches permettent de réduire la mortalité des nouveau-nés. par Alexis Huguet
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transport entre les lieux de prélèvement u Cameroun, 50 % des nouveau-nés infectés par le VIH. des échantillons sanguins et ces trois des enfants qui naissent Le ministère de la Santé publique laboratoires sont pour une grande séropositifs décèdent camerounais, en partenariat avec la part responsables du taux de mortalité avant leur deuxième fondation Elizabeth Glaser Pediatric chez les nouveau-nés atteints du VIH. anniversaire et 80 % AIDS (EGPAF), a acquis des machines Cela prend généralement plusieurs avant leur sixième année1. Pour faire de tests rapides – dont certaines sont semaines, parfois même plus d’un an2, semi-autonomes en énergie, permettant face à ces chiffres, les nouveau-nés de remédier aux coupures d’électricité – de mères séropositives doivent être pour que la famille de l’enfant testé ait spécialisées dans la détection du virus dépistés le plus tôt possible et, s’ils ont connaissance des résultats. Durant ce chez les enfants de moins de 18 mois. été contaminés pendant la grossesse laps de temps, si l’enfant est porteur Ce programme, intitulé Point-ofou à l’accouchement, doivent care Early Infant Diagnosis, est être mis sous traitements financé par l’organisation médicale antirétroviraux (gratuits au de solidarité internationale Unitaid Cameroun depuis 2007). Toute pour un total de 3,6 millions la difficulté de ce dépistage de dollars – l’État mettant à précoce réside dans le fait disposition les bâtiments et le que les anticorps de la mère, personnel. La phase pilote de ce transmis à l’enfant, brouillent projet, qui concerne cinq sites, les tests classiques. Une simple initiée en décembre 2016, s’est goutte de sang déposée sur achevée en juillet 2017. À partir une bandelette réactive permet du mois d’août, de nouvelles en quelques minutes d’établir plateformes seront enrôlées le statut sérologique au VIH À l’hôpital de district de la Cité verte à Yaoundé, progressivement pour atteindre d’une personne. Mais, en-deçà où est installée une des cinq machines un total de 31 plateformes de 18 mois, on estime que les (en date de juillet 2017) de dépistage infantile du VIH. opérationnelles et 75 sites satellites résultats ne sont pas fiables. Il dans quatre des dix régions, d’ici le faut alors effectuer un prélèvement du VIH, le virus peut se développer premier trimestre 2018. Parallèlement, sanguin et l’expédier dans l’un des et dégrader dramatiquement son état l’Unicef et la fondation Clinton Health rares centres possédant le matériel de santé – la mise sous traitement Access Initiative ont lancé en avril nécessaire à ce diagnostic. Le approprié ne pouvant se faire qu’après dernier un projet similaire pour Cameroun, jusqu’en décembre 2016, obtention des résultats. couvrir, d’ici quatre ans, les six autres ne comptait que trois laboratoires Depuis décembre 2016, le régions. Les dix premières machines capables d’effectuer ces tests : le Centre Cameroun fait parti d’un groupe pilote devraient être installées d’ici la fin international de référence Chantal Biya de neuf pays africains (Cameroun, Côte de l’année dans les régions Ouest, à Yaoundé (Centre), le National Early d’Ivoire, Kenya, Lesotho, Mozambique, Est, Sud et Nord. ■ Infant Diagnosis Reference Laboratory Rwanda, Swaziland, Zambie et à Mutengene (Sud-Ouest) et l’hôpital Zimbabwe) où est mise en place une 1. Corrélation estimation Lancet 2004 et données régional de Bamenda (Nord-Ouest). technologie de pointe permettant de hôpital de Bamenda (source : EGPAF). 2. Source : EGPAF. Les distances et les difficultés liées au réduire considérablement la mortalité 3 7 1 - 3 72 – AO ÛT- S EPTEM B R E 2 017
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À la porte de l’Afrique, la ville mythique connaît un nouvel essor.
destination
TANGER, BELLE ET REBELLE
Longtemps marginalisée, la « Perle du Nord » est devenue the place to be du Maroc. Les décisions politiques s’y prennent, les vacances s’y passent, la CRÉATION y fleurit. d’affaires, port de Tanger Med, zones franches, nouvelle DÈS QU’ON FOULE le sol de Tanger, que son chergui vivifiant marina… La Perle du Détroit connaît un vrai chambardement vous fouette le visage, on sent qu’on est dans une cité à part, depuis quinze ans. L’été, la ville est en plein rush. Casablancais singulière. Porte de l’Afrique, trait d’union avec l’Europe, et Rbatis y affluent ainsi que touristes de l’étranger et, bien servie par l’histoire et la mythologie – les grottes d’Hercule sûr, expatriés marocains. Les célébrités et les artistes ne sont sont un passage obligé –, Tanger la néréide a de tout temps pas en reste. Derniers conquis : le roi Salman d’Arabie saoudite exercé un fort pouvoir de séduction sur les artistes et les et le chanteur Marcel Khalifé. À Tanger, on a ses rituels : faire écrivains : de Delacroix à Bernard-Henri Lévy (voir page le paseo le long du « Boulevard », contempler le suivante), en passant par la Beat Generation des LES BONNES bras de mer séparant Tanger de l’Espagne le long Burroughs, Capote et Gysin. Dans les étroites ADRESSES du Mur des paresseux, acheter deux ou trois ruelles du centre et dans les troquets plane ✔ Hôtel Villa de France livres aux Colonnes ou aux Insolites, siroter un l’ombre de l’écrivain Mohamed Choukri et de ✔ Hôtel Continental thé à la menthe au café El Hafa face aux côtes son best-seller Le Pain nu… ✔ Librairie Les Colonnes ibères échancrées. À la Kasbah, on boit un verre Tanger cristallise les passions contradictoires. ✔ Café El Hafa au Morocco Club ou au Salon Bleu sans oublier Jusqu’en 1956, la ville bénéficie d’un statut ✔ Restaurant l’Océan de faire du shopping à Las Chicas, boutique inouï. Neuf puissances garantes, plusieurs ✔ Boutique Las Chicas tendance, avec les dernières créations déco et consulats et légations, trois postes, quatre textiles marocaines. Les hôtels mythiques Le devises… On y croise à la fois gangsters et Continental – où a séjourné Churchill – et Villa de France sont espions anglais, travailleurs espagnols, banquiers indiens… des bijoux d’architecture coloniale. Les galeries y existent, Mais la ville est aussi rebelle. Et Hassan II la boude après les même si l’art ne fait pas vivre son homme… Les festivals émeutes de 1958, comme tout le nord du pays. Il faut attendre comme Tanjazz ou récemment les Nuits sonores attirent une l’avènement de son fils Mohammed VI, en 1999, qui aime la faune nouvelle. Le mythe de Tanger se perpétue. ■ ville et le fait savoir, pour assister au réveil de Tanger. Centres 112
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par Abdeslam Kadiri
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MON CHÂTEAU À OUAGA
Au Hamerkop Manor, on la joue vieille Europe en plein BURKINA sur un air de fusion... SI LE CONCEPT du chic, c’est la rareté, le Hamerkop Manor est champion toutes catégories. Édifié en bordure du barrage de Loumbila, à 20 kilomètres de Ouagadougou, ce château surréaliste, fabriqué exclusivement à l’aide de matériaux locaux, est le fruit des rêves originaux de Thibault Fournier, Français amoureux du Burkina, ex-commercial, qui a décidé de s’établir ici, caché sous les hautes tours de sa demeure incroyable où l’on s’attend à croiser les personnages de Shakespeare. Le concept est privé. On y dort et on y dîne sur commande, très à l’avance. Compter 120 000 francs CFA (183 euros) par personne pour un dîner gastronomique 5 plats, le coucher et un brunch le lendemain. Le site se privatise au gré des ambiances souhaitées. Grandes tables éclairées aux chandeliers, avec menus ultra-fins, composés de phacochère grand veneur et marquises au chocolat par exemple, concoctés par l’orfèvre cuisinier Jean Koala. Il y a régulièrement des expositions d’artistes, des concerts de musique classique. Lits à baldaquins, portraits de personnages historiques accrochés aux murs des tourelles... Bref, visite obligée pour les curieux de passage. ■ Emmanuelle Pontié
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DR - CASTEL WINERY
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Castel, le géant français, a investi le marché il y a trois ans.
L’Éthiopie, nouveau pays du vin 12 millions de BOUTEILLES y sont déjà produites. Et ce n’est pas fini… BERCEAU MONDIAL du café, l’Éthiopie deviendra-t-il un jour celui du vin ? Avec une température moyenne de 25° C, une pluviométrie optimale et des sols sablonneux, les vignes mûrissent dans un environnement idéal. Mieux, la proximité de l’équateur terrestre raccourcit le cycle végétatif, permettant de faire deux vendanges annuelles, de juin à juillet et de novembre à décembre ! Comme à Awash Winery, à 150 km d’Addis-Abeba : premier domaine viticole moderne à avoir vu le jour, en 1956, il a été acquis en 2013 par un hommes d’affaires local et… Bob Geldof, la rock star impliquée dans le développement de l’Afrique. Depuis 2014, encouragé par le gouvernement, c’est aussi un géant du secteur, le français Castel, qui a commencé à produire les premières bouteilles d’un nouveau domaine, Castel Winery. Avec une production nationale avoisinant les 12 millions de bouteilles, l’objectif est de parvenir à 20 millions d’ici à 2020. De quoi satisfaire la demande accrue des classes émergentes africaines. ■ Hedi Dahmani
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Le but du fondateur d’AFRICA DESIGN DAYS ? Mettre en lumière les talents d’ici et d’ailleurs. HICHAM LAHLOU, designer marocain de renom, fait bouger les lignes. Et ce, pas seulement dans ses créations. La troisième édition de ses Africa Design Days, fin juin à Rabat, lui a permis de se positionner en professionnel du Sud déterminé à échanger d’égal à égal avec ses pairs, en les invitant sans complexe à sa table. Norvège, États-Unis, Allemagne, Inde, Corée du Sud, Kenya, Afrique du Sud… Ils sont venus du monde entier pour évoquer leur filière et leurs pratiques, dans une démarche qui a attiré le directeur de la prestigieuse Biennale du design de Londres, ainsi que Yo Kaminagai, le designer de la RATP (Régie des transports parisiens). Si l’on voit peu d’objets lors de ces rencontres consacrées à la réflexion, les prix qui sont remis permettent cependant d’identifier les étoiles montantes de la discipline. Sur le continent et ailleurs, puisque le premier prix est allé cette année à une jeune Britannique, Scrimgeour Hazel, qui a inventé une application de téléphone mobile pour mettre les paysans africains en relation entre eux. Un autre prix « produit » a couronné la lampe solaire mise au point par le Marocain Mehdi Riah, en forme de femme ronde au voile noir. Et le prix « jeune designer » est revenu à Felix Fokoua, un illustrateur camerounais à l’imagination débordante. ■ Sabine Cessou 114
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Une sélection dédiée à toutes les cultures noires.
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Son événement constitue une vitrine inédite pour la communauté de l’innovation.
EN LANÇANT en France le premier coffret dédié aux cultures noires, la bloggeuse Virginie Ehonian (africanlinks.net) s’ingénie à combler un vide sur la scène culturelle. Comment ne pas rater les rendezvous incontournables des arts et artistes noirs reconnus ? D’Afrique mais aussi d’ailleurs. « Je tiens à parler des artistes afro-américains, caribéens ou sud-américains : l’histoire a tristement déplacé des communautés hors du continent. Et comprendre l’histoire, c’est comprendre également comment ces cultures se sont inventées et réinventées. » Pour satisfaire cette curiosité, cette Française de 30 ans, originaire de Côte d’Ivoire, expédie donc à ses clients une « boîte culturelle » bimestrielle, un kit en papier kraft fabriqué en série limitée et qui renferme une sélection de trois ou quatre articles culturels (CD, littérature, cinéma, art contemporain, places de concert…), ainsi que des goodies, comme un recueil de dictons en langue wolof, un DVD, un sac banane en pagne wax ou des revues. La Nooru Box, starlette du salon de la mode Wax a Wonderful World 2017 le mois dernier, livre ces jours-ci sa sixième édition. Nooru ? Un mot swahili qui signifie « lumière ». Un coup de projecteur bienvenu. ■ Astrid Chacha
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Résidence privée (ci-dessous) ou mall chic à Johannesburg (à d.), Morojele travaille à petites et grandes échelles.
urbanisme
L’architecte post-apartheid Auteur de bâtiments prestigieux ou à faibles coûts, dont la singularité suscite l’intérêt aux quatre coins de la planète, MPHETHI MOROJELE aspire à refaçonner le visage du continent. BIENNALE de Venise en 2006, Royal Institute of British Architects à Londres en 2007, Shanghai Expo en 2009… Les réalisations de Mphethi Morojele font le tour du monde. Cet urbaniste sud-africain installé à Johannesburg est considéré comme un leader de l’architecture post-apartheid. C’est en effet après 1995 que l’ancien professeur de l’Université du Witwatersrand crée son propre cabinet, MMA Architects. Originaire du Lesotho, Morojele a grandi et fait ses études au Swaziland, au Botswana ou encore en Éthiopie. Et son intérêt culturel pour le continent se concrétise dans ses œuvres. En 2003, il érige à Berlin la première ambassade sud-africaine après la ségrégation, qui arbore des esquisses traditionnelles africaines sur tout son édifice. Le Freedom Park de Pretoria, consacré aux victimes des deux guerres mondiales, dévoile également cette vision en intégrant
Isiviane, lieu de repos des victimes des conflits d’Afrique du Sud. Aspirant à refaçonner le visage du continent par l’architecture, il s’est vu plusieurs fois primé pour sa pratique singulière avec les bâtiments des chancelleries en Éthiopie et en Allemagne. Ne dédaignant pas pour autant les actions humanitaires, Morojele a également été récompensé en 2008 par le prix international Curry Stone Design après avoir édifié à faible coût une maison pouvant loger six personnes, en utilisant des techniques de construction à base de boue et de bitume. Un projet intimiste qui tranche avec l’espace démesuré qui lui fut octroyé, par exemple, en 2011, lors de la rénovation du centre commercial de Sandton City, à Johannesburg (photo), l’un des plus huppés d’Afrique du Sud, et qui n’a rien à envier aux malls européens ou d’Extrême-Orient. ■ Thalie Mpouho
LE LIEU : COSY POOL (YAOUNDÉ) QU’EST-CE ?
Bar-restaurant et lounge. ET SINON ?
Cuisine excellente en terrasse, calme et discrétion. POUR QUI ? DR (4)
LAURENT LA VEILLE
MADE IN AFRICA carrefours insolites
Gastronomes et amateurs BCBG de lieux sélects. AFRIQUE MAGAZINE
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Bien caché dans une petite rue du quartier cossu de Bastos, ce restaurant bar lounge accueille une clientèle fortunée qui veut parler discret tout en dégustant des plats de choix. Situé dans un jardin fleuri, avec une terrasse en bord de piscine, le restaurant sert des brochettes de bœuf géantes, des gambas succulentes et une kyrielle de recettes cuisinées à base de produits d’une exceptionnelle qualité. Ambiance bar au soussol en intérieur. L’adresse must de la capitale. ■ E.P. Quartier usine Bastos, rue 1766, Yaoundé.
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Taille corsetée, jupe ample et tablier : oui, il s’agit bien d’une « dirndl » !
Rahmée Wetterich, l’une des deux co-créatrices.
Noh Nee
Fusion hybride Deux sœurs camerounaises réinventent la mode traditionnelle BAVAROISE en la mixant à des textiles africains. Un croisement TENDANCE qui fait le buzz outre-Rhin.
IL FALLAIT oser. Rahmée Wetterich et Marie Darouiche font un tabac en Allemagne avec leur dirndl revisitée. Repensée à l’africaine, cette robe traditionnelle bavaroise à corset étroit et jupe large, portée notamment lors de l’Oktoberfest (grande fête populaire munichoise de la bière), est ici taillée dans des pagnes multicolores. Avec son petit tablier noué à la taille, chaque modèle, conçu dans l’atelier bavarois de la marque Noh Nee, puis produit dans les environs de Passau, à la frontière autrichienne, allie authenticité et touche glamour. Créée en 2010 à Munich, Noh Nee, qui signifie en swahili « cadeau de Dieu », combine des coupes classiques des années 50 avec des étoffes africaines (wax, kitenge ou khanga). « Nous voulions relier les cultures », explique Rahmée Wetterich, 52 ans, qui a créé avec sa sœur, Marie Darouiche, 64 ans, la marque d’« afro-dirndl ». Un mélange de genres et un succès inattendu pour les deux stylistes, filles d’un légionnaire syrien et d’une couturière camerounaise, qui grandissent dans un décor d’étoffes et de tissus pleins la 116
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maison. Arrivées en Bavière il y a plus de trente-huit ans, la plus jeune sœur devient décoratrice d’intérieur, la seconde couturière. « Un jour, nos enfants, qui baignent dans un constant métissage culturel, nous ont dit : pourquoi ne créeriez-vous pas une dirndl inédite ? », racontent-elles. Qu’à cela ne tienne, elles se jettent à l’eau, découpent, cousent, façonnent et présentent leur premier prototype à l’occasion d’une exposition. « Nous avons consulté une couturière bavaroise spécialisée pour nous retrouver véritablement dans la tradition. Nous voulions aller à l’original, apprendre à connaître cette culture avant d’apporter notre touche personnelle. » Immédiatement, des admiratrices viennent leur demander où se procurer ce surprenant modèle. Le concept est né. « On a commencé dans un bureau, puis, au printemps 2011, on a ouvert un AFRIQUE MAGAZINE
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par Catherine Faye
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Avec leurs modèles élégants, le duo de créatrices fait sortir cet habit d’antan de son carcan folklorique.
magasin dans le nord de Munich, un peu caché, dans une cour intérieure. » Depuis, la marque Noh Nee a pignon sur rue. Et si, à l’origine, la dirndl était une sous-robe portée par les servantes, le savoir-faire des sœurs lui offre désormais une surprenante renaissance. « Nous avons toutes sortes de clientes, des femmes du monde de la culture, celles qui aiment l’Afrique, mais aussi celles qui ont porté la dirndl enfant. » Coupes alpines, textiles africains, broderies à sequins, accessoires taquins font aujourd’hui la renommée de Noh Nee. Et de ces deux sœurs, décidées à exporter une partie de leur production vers le Bénin, via le Projet Justine, qui permet à des femmes d’acquérir les compétences pour devenir des couturières qualifiées. Une façon supplémentaire de créer des ponts. Entre les femmes d’ici et d’ailleurs. ■
Trench-coats fifties, châles ou pochettes, la marque ne se cantonne pas qu’aux robes.
Les tissus, imprimés à la main en Afrique, sont cousus à Munich.
LE PLEIN D’IMAGINATION Jupes, maillots de bain, pantalons, sacs, bijoux et autres accessoires : Lago54 est une nouvelle plateforme, pour femmes et hommes, qui propose un choix éclectique et de qualité de designers africains, tel l’Ivoirienne Loza Maléombho, qui a habillé Beyoncé et Solange Knowles ou encore Lalesso, une marque de beachwear sud-africaine plébiscitée par Kate Moss et Elle McPherson. Les produits, distribués en quantités limitées, proviennent d’Abidjan, Dakar, Lagos, Le Cap et Nairobi. ■ H.D. www.lago54.com
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Gastro Comment se protéger
CE QU’ON APPELLE « gastros de l’été » sont en réalité Vite au frigo bien frais des toxi-infections alimentaires. Défaut d’hygiène, de Bien sûr, on met rapidement au froid les produits frais conservation des aliments… Et avec la chaleur, achetés, et on transporte les plus fragiles (poisson, viande, les bactéries ont vite fait de se multiplier pâtisseries…) dans un sac isotherme ou une glacière. ET en trop grande quantité. Ce sont Tout ce qu’on a préparé ne doit pas être laissé POUR LES VOYAGES… celles-ci, ou les toxines qu’elles trop longtemps à température ambiante peuvent produire, qui (jamais une nuit entière). Pour un plat « Turista » ? Attention à cette affection. s’attaquent à la muqueuse qui vient d’être cuit, on le sépare en Outre les conseils donnés ici, de l’intestin… Et voilà plusieurs parts, au besoin, pour le il est recommandé de boire de l’eau les symptômes de la refroidir plus vite afin de pouvoir le en bouteille (ouverte devant soi) ; filtrée, fameuse gastro : diarrhées, bouillie pendant 15 min et refroidie, ou désinfectée ranger au réfrigérateur. maux de ventre, parfois On vérifie la température de avec un produit spécifique. Sont à éviter : vomissements. Pour celui-ci. Elle doit être à 4 °C dans la les glaçons, les aliments crus (crudités s’épargner ces troubles, à quoi partie la plus froide (variant selon les notamment), les fruits et légumes être vigilants ? Réponses. appareils). En l’absence d’indicateur de qui ne s’épluchent pas. 118
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Attention aux aliments ! Avec les grandes chaleurs, les bactéries prolifèrent beaucoup plus vite. Ne vous laissez pas piéger par inadvertance, et adoptez de bonnes HABITUDES.
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température, on la vérifie avec un thermomètre plongé dans un pot d’eau. Et dans la zone la plus froide, on range le plus fragile : viandes et poissons crus, préparations maison à base de produits d’origine animale, en particulier œufs et viandes en sauce. Enfin, attention à l’hygiène dans le frigo… On emballe tout dans des boîtes, ou on recouvre d’une feuille aluminium ou d’un film alimentaire. Il est conseillé de laver les fruits et légumes avant de les y entreposer. On évite de le remplir à bloc : sinon, l’air ne circule pas bien et ne refroidit pas correctement les aliments. On nettoie aussitôt une salissure, et la totalité de l’appareil à l’eau javellisée ou vinaigrée une à deux fois par mois.
Prudence avec les glaces et la viande hachée Pour les restes d’un déjeuner ayant séjourné un peu à température ambiante, mieux vaut les manger au dîner suivant. On se méfie notamment du poulet rôti : à ne pas laisser traîner au soleil, c’est un des plats dans lequel les bactéries se multiplient vite. Et il est des restes qu’il ne faut jamais garder : ceux d’une mayonnaise maison (à préparer d’ailleurs au dernier moment), et de tout ce qui a été haché, car cela augmente le risque de contamination microbienne. Même chose pour les crudités râpées. De plus, celles qui contiennent du sucre comme les carottes, sont un excellent milieu de culture. Enfin, tout ce qui est resté à température ambiante suite à un pique-nique, est à jeter aussi. À l’extérieur, attention aux marchands de glaces ambulants : leur glacière ne maintient pas toujours bien la même température… Choisissez des sorbets, à base de fruits et donc peu à risque. En tout cas, fuyez les crèmes glacées un peu « molles », et celles servies avec une cuillère trempée dans une eau douteuse.
En cuisine, propreté exigée
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VIVRE MIEUX forme & santé
pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
Bon nombre de gastros estivales proviennent de petites négligences. On se lave toujours les mains au savon avant de cuisiner. Il faut aussi se les laver à nouveau ainsi après avoir manipulé des produits crus – viandes, œufs, légumes –, pour continuer à cuisiner. Côté ustensiles, on pense à nettoyer (avec du produit vaisselle) le couteau ou autre ayant servi pour du cru, avant de l’utiliser pour du cuit. Et on ne met jamais d’aliments cuits dans le même plat où on les a mis crus : on le lave ! Enfin, on s’équipe côté planches à découper, car elles deviennent vite des nids à bactéries. Il est conseillé d’en avoir une pour les viandes et les poissons crus, et une autre pour les produits cuits et les légumes propres. On nettoie toujours la planche sitôt utilisation à l’eau bien chaude avec du produit vaisselle et une brosse ou un tampon abrasif (bien frotter les endroits entaillés). ■ AFRIQUE MAGAZINE
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VOYAGES : LES RISQUES DU « JET-LEG »
En avion ou en voiture, on évite à tout prix la phlébite. LES PHLÉBITES sont causées par une station assise prolongée sans bouger. La circulation sanguine, moins fluide, favorise la formation de caillots dans les veines profondes des jambes. Un risque encore plus grand en avion car la pression basse en altitude active les facteurs de coagulation du sang. Ainsi, comme le précise la Fédération française de cardiologie, même chez une personne en bonne santé, la probabilité de développer une phlébite dans ce contexte est multipliée par 2,8, quel que soit le temps de trajet. Le risque augmente de 26 % toutes les 2 heures, et il est également accru lors de vols successifs. Enfin, certains facteurs sont aggravants : l’avancée en âge, l’obésité, la prise d’une pilule contraceptive classique, une grossesse… En prévention, pour tout voyage de plusieurs heures, portez des chaussettes de contention (classe 2) et des vêtements amples qui n’entravent pas la remontée du sang. Ne croisez pas les jambes. Buvez de l’eau régulièrement. Et il faut bouger ! En avion et en train, on marche dans les allées au minimum toutes les 2 heures. Si c’est impossible, on fait des flexions-extension des pieds. En voiture, on fait des pauses. Malgré tout, on reste vigilant sur les signes annonciateurs de phlébite (qui peut se produire après le voyage) : douleur au mollet, rougeur ou gonflement localisé. En ce cas, il faut consulter aussitôt, et le soir ou le week-end, aller aux urgences. ■ 119
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TENDINITE : UNE DOULOUREUSE INFLAMMATION
Cela vous fait mal, toujours lors du même geste ? C’est votre tendon qui souffre. SÉANCE DE SPORT OU TRAVAUX DE BRICOLAGE, DE JARDINAGE… Une tendinite s’installe lorsqu’on sollicite de façon inhabituelle un membre. Elle peut toucher le coude, le poignet, l’épaule, mais aussi le pied : un tendon (reliant les muscles aux os), surmené, se met à s’enflammer, d’où la douleur. Premiers soins à faire : pour diminuer l’inflammation, on applique du froid avec une poche de glace ou un pack placé au congélateur (protéger la peau avec un linge). Pour une bonne efficacité, on le fait durant 20 min deux fois par jour. Et ce, sur plusieurs jours, même si la douleur s’atténue. En plus, matin et soir, on applique un antiinflammatoire à base d’ibuprofène ou de diclofénac, sous forme de gel (Voltarène, Nurofen… sans s’exposer au soleil), ou sous forme de compresses imprégnées, qui ont l’avantage de diffuser le médicament en continu, donc d’être plus performantes. Parallèlement, il est recommandé de ménager son tendon : il ne faut plus faire le ou les gestes qui entraînent la douleur. La mise au repos du membre, sans l’immobiliser pour autant, est capitale pour guérir. Lorsqu’il s’agit d’une tendinite modérée – le mal est supportable –, elle peut ainsi disparaître en une dizaine de jours. Dans le cas contraire, mieux vaut consulter. En revanche, lorsque la douleur est dès le début très importante et gêne beaucoup les mouvements, 120
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EN BREF LE KIWI : ALLIÉ DU SOMMEIL ? On aurait cru le contraire, vu sa richesse en vitamine C. Pourtant, selon une étude de la Taipei Medical University (Taïwan), manger deux kiwis une heure avant le coucher, aiderait à s’endormir plus vite, et même à dormir un peu plus longtemps. Cet effet serait dû à des substances impliquées dans le sommeil, que contient ce fruit. Les résultats de l’étude, modeste, sont à confirmer. Mais en attendant, on peut toujours essayer…
L’HUILE DE COCO, PAS SI BONNE QUE ÇA Ses bienfaits sont vantés pour la santé. Pourtant, selon l’Association américaine de cardiologie (AHA), c’est plutôt une ennemie. Elle regorge de graisses saturées, néfastes pour la santé cardiovasculaire. Elle augmente le taux de mauvais cholestérol qui encrasse les artères. De plus, chauffée, elle peut développer certains composés cancérogènes. À éviter ! LE CAFÉ A TOUT BON ✔ Bon pour le mal de tête ✔ Bon pour la mémoire ✔ Bon pour les artères Informez-vous. AFRIQUE MAGAZINE
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il est conseillé de voir le médecin d’emblée. Divers traitements sont proposés : prescription d’anti-inflammatoires par voie orale, soins de kinésithérapie avec selon les cas, des massages pour « relâcher » le tendon, traitement par le froid (cryothérapie) pour son action anti-inflammatoire, par ondes de choc ou encore par ultrasons, pour redonner de l’élasticité au tendon. Par la suite, il faut bien suivre les consignes médicales données quant aux précautions à prendre. Une fois qu’on a souffert de cette affection, le tendon peut rester fragile un certain temps : si on force, on s’expose à une rechute ou même à des tendinites à répétition. ■
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Se remettre au sport :
4 règles d’or
À cette période de vacances, c’est décidé, on reprend l’EXERCICE ! Une excellente initiative pour vous sentir bien. CONSEILS. L’ACTIVITÉ PHYSIQUE est essentielle à notre santé et à notre forme. Mais reprendre alors que cela fait un « certain » temps qu’on ne pratique plus, nécessite certaines précautions.
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On ne met pas la barre trop haut. Cela, pour éviter des blessures, et ne pas courir le risque de se décourager. On reprend en augmentant peu à peu la durée et l’intensité de l’effort, afin que le corps s’habitue. On ne doit jamais avoir le souffle coupé, et pouvoir parler. On s’échauffe au moins 10 min pour préparer ses muscles à l’effort. À la fin de la séance, on prend aussi 10 min pour ralentir le rythme et s’étirer.
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On pense à… S’hydrater : on boit 3 à 4 gorgées d’eau toutes les 30 min d’exercice. Et à manger correctement : pas question de se contenter d’une salade, on a besoin de protéines et de sucres lents avant l’effort. Enfin, on évite de fumer 2 heures avant et après l’activité. Après 40 ans, on fait le point avec son médecin avant de se lancer. D’autant plus en cas de prise de poids, de tabagisme, d’excès de cholestérol, de diabète ou d’hypertension. ■
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40 °C À L’OMBRE : ON ÉVITE LE COUP DE CHAUD
Voici les précautions à prendre pour ne pas être victime d’insolation. EN CAS D’EXPOSITION trop longue à une température élevée, un coup de chaleur peut vite survenir. L’organisme souffre, n’arrive plus à s’adapter : fièvre, maux de tête, crampes musculaires, nausées, peau chaude, rouge et sèche ; somnolence, confusion… peuvent être le signe de ce malaise potentiellement grave. Les jeunes enfants, personnes malades ou âgées, sont davantage à risque, mais nul n’est à l’abri. Pour se protéger, deux grands mots d’ordre : s’hydrater et se rafraîchir. Il faut boire régulièrement de l’eau sans attendre d’avoir soif ; et éviter l’alcool, les boissons sucrées ou caféinées qui favorisent une déshydratation. Côté alimentation, on écarte ce qui est difficile à digérer (viandes grasses, pâtisseries…) car les efforts de digestion font monter la température du corps. Pour se rafraîchir, on mouille son corps avec des linges frais et humides, ou avec un brumisateur. On s’équipe de ventilateurs, voire de climatiseurs. On évite de sortir aux heures les plus chaudes, on porte des vêtements amples et de couleur claire. Si on le peut, on va chaque jour dans un lieu frais climatisé (supermarché, cinéma, musée…). Très important également, on proscrit les efforts physiques importants : sport, mais aussi travaux manuels fatigants chez soi. Des signes de faiblesse ? Arrêtez vos activités, mettez-vous au frais, mouillez votre corps, et buvez par petites quantités de façon répétée. Si malgré tout, les symptômes d’un coup de chaleur apparaissent, cela nécessite d’appeler les services d’urgences. ■ 121
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LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian
1. Votre objet fétiche ? J’étais un peu superstitieux avant, mais j’ai arrêté. J’évite de m’embarrasser d’objet fétiche car si on ne l’a pas sur soi, on pense qu’on va passer une mauvaise journée.
3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Le Cameroun. Un beau pays : j’y ai donné une masterclass de jeu d’acteur. 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Un ami ! (rires) J’aime être entouré. 5. Un morceau de musique ? « Too Hot to Hold » de Betty Everett. Elle est joyeuse, inspire le soleil… 6. Un livre sur une île déserte ? L’Alchimiste de Paulo Coelho. Un livre qui parle du destin. Une belle histoire. Il m’apaise, m’aide aussi dans ma vie… 7. Un film inoubliable ? Scarface de Brian De Palma. La prestation d’Al Pacino m’a donné envie de faire du cinéma. Dans Wùlu, je joue aussi un gangster, mais il est très différent de Tony Montana. Mon personnage est plus intelligent, plus réfléchi, n’agit pas pour les mêmes raisons. 122
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15. La dernière rencontre qui vous a marqué ? Les Alchimistes, un groupe de rap aux influences punk. Ils sont belges, l’un d’origine russe, l’autre du Congo. Ils sont bien partis pour être connus.
Ibrahim Koma Il est la tête d’affiche du thriller politique Wùlu de Daouda Coulibaly. Pour construire son personnage,
16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Ma chérie !
l’acteur français d’origine malienne a notamment appris
17. Votre plus beau souvenir ? Quand j’ai appris que Wùlu allait enfin se faire après toutes les difficultés de production rencontrées.
le bambara, vécu dans un foyer pour enfants des rues à Bamako… Une prestation récompensée par le prix d’interprétation masculine au Fespaco en 2017. 8. Votre mot favori ? Successful, c’est-à-dire « kiffer la vie ». C’est une valeur, pas une fin en soi. 9. Prodigue ou économe ? Avec mes proches, plutôt prodigue. Mais en période de vaches maigres, j’essaie d’être économe ! 10. De jour ou de nuit ? J’adore l’ambiance de la nuit, apaisante. Tout est plus cool. Par contre, je ne suis pas du tout un clubber.
11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? J’ai un peu de mal avec les réseaux sociaux. Plutôt coup de fil alors, c’est plus rapide. 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Rider avec mes amis, c’està-dire sortir, écouter de la musique, jouer au poker…
19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Je n’en fais jamais ! (rires) Top secret !
13. Votre extravagance favorite ? Je me ruine au restaurant. J’adore la gastronomie, française notamment. Par contre, au Mali, je préfère la cuisine faite maison. Un bon mafé par exemple… AFRIQUE MAGAZINE
18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Je ne connais pas encore assez le monde. J’aimerais bien passer un an dans des endroits qui m’attirent, comme New York, l’Australie ou le Japon (je suis fan de mangas !).
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20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Le rire ! Oh, et puis… si on ne retient rien, ce n’est pas grave. Moi, je sais que je suis passé. ■ À l’affiche de Wùlu, de D. Coulibaly, et de Wallay, de Berni Goldblat.
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2. Votre voyage favori ? Le Mali, pays de mes origines, j’adore ! C’est la moitié de mon âme, de mon être ! J’ai toute ma famille là-bas, beaucoup d’amis…
14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? J’ai toujours voulu être acteur, métier que j’ai commencé très tôt, à 9 ans.
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