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N o 3 7 5 - 3 7 6
AFRIQUE MAGAZINE
DÉCEMBRE
2017-JANVIER
2018
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
LIBYE
MIGRANTS : TERMINUS EN ENFER
GOLFE
STUPEURS ET TREMBLEMENTS
Interview
JAMEL DEBBOUZE UGÉS « LES PRÉJUGÉS ONT LA VIE DURE » DOCUMENT KADHAFI L’AFRICAIN DJ ARAFAT « JE SUIS IVOIRIEN AI ET JE MOURRAI IVOIRIEN »
AFRIQUE MAGAZINE NUMÉRO DOUBLE EN VENTE DEUX MOIS
2018 ATTACHEZ VOS
CEINTURES ! AVEC CE QUI NOUS ATTEND : ✓ Des Présidentielles à hauts risques ✓ UN Maghreb instable ? ✓ DES économies convalescentes ✓ le choc démographique ✓ Rd Congo : Droit dans le mur ? ✓ Coincés entre Trump et Xi Jinping… ✓ Coupe du monde : enfin un exploit ? Un dossier spécial de 16 pages
La star du coupé-décalé s’est livrée à AM. France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0
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N°375-376 DÉC. 2017 – JANVIER 2018
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ÉDITO par Zyad Limam
L’AFRIQUE, DEMAIN ous sommes de plus en plus nombreux (1 milliard et quelques aujourd’hui, plus de 2 milliards en 2050). Nous sommes jeunes (la moitié de notre population a moins de 30 ans). Nous avons des sources d’énergie abondantes, un sous-sol largement pourvu de matières premières, des terres fertiles et de l’eau. Des travailleurs éventuels à foison. Mais aussi une classe moyenne nouvelle avec plus de 200 millions de personnes. Quelque chose change, se transforme, on bouge, il y a de l’énergie, comme si on sortait de la gangue épaisse, collante, de l’échec permanent. Et le monde entier nous regarde (à l’exception peut-être de Donald Trump et ses amis). Nous sommes devenus un enjeu autre que sécuritaire ou migratoire. Nous sommes une opportunité historique. Pour la Chine et l’Asie, soucieuses de garantir ses accès aux matières premières et de délocaliser des emplois à bas coût. Pour les pays du Golfe motivés par les questions de sécurité alimentaire. Pour l’Europe, à la recherche de nouveaux business pour ses entreprises et de consommateurs pour ses produits… Oui, sûrement, nous sommes la nouvelle usine du monde, un laboratoire des technologies du XXIe siècle, la prochaine frontière du capitalisme global. Nous sommes un continent en mutation. Un monde de tradition rurale en train de devenir un monde d’économie tertiaire, poussé par l’urbanisation. Une terre de croissance pour tous les services qui devront s’adresser à des centaines de millions de nouveaux clients : éducation, santé, alimentation, télécoms, digital, finance, déplacements, voyages… Et puis, évidemment, nous sommes au centre des immenses enjeux climatiques. Peut-être le continent leapfrog, le continent saute-mouton, celui qui entrera le premier dans un système à bas carbone en évitant l’étape industrielle. Peut-être que c’est ici à Lagos, à Tunis, à Abidjan, à Casablanca que s’invente l’économie propre du futur… La promesse est là, tout cela est possible, la perspective n’est pas si lointaine. À condition de ne pas se laisser bercer par les discours béats, de ne pas se laisser abuser par les images travaillées du centre des grandes villes avec leurs nouvelles tours, les grands hôtels, les belles voitures. À quelques kilomètres de là, la réalité est beaucoup plus dure. L’Afrique d’aujourd’hui est pauvre. En 2018, la majorité de ses enfants n’a pas accès à une véritable éducation, à la santé, ni même pour beaucoup à l’eau potable ou l’électricité. Nous sommes pauvres et aussi, globalement, pas assez bien gouvernés. Les statistiques sont rudes. L’Afrique subsaharienne a l’indice de développement humain (IDH) le plus faible de la planète (0,523), juste derrière les pays arabes (0,687), bien en dessous de la moyenne mondiale (0,717). Depuis les indépendances, évidemment, le chemin parcouru n’est pas négligeable, loin de là. Nous avons fait preuve de résilience, nous n’avons pas disparu de la scène. Nous avons commencé à construire, à semer, à avancer. Pour ceux qui arpentent le sol africain, c’est une réalité visible, indéniable. Mais si nous voulons aller plus loin, plus vite, nous devrons faire preuve de plus de lucidité et de courage. Nous devrons faire face à l’Afrique quotidienne, l’Afrique du terrain. Remettre la lutte contre toutes les corruptions au centre des préoccupations nationales. Agir pour la bonne gouvernance, pour l’émergence d’institutions publiques fortes, pour des processus démocratiques relativement transparents. Accepter l’alternance, le renouvellement des élites. Promouvoir les nouvelles générations, la montée en puissance d’une jeunesse créative, énergique, explosive. Investir dans la formation. Se battre pour la promotion et la protection des jeunes filles et des femmes. Et sortir des schémas traditionnels, du clan, du village, de la région, qui induisent la permanence du mal-développement et du clientélisme. L’Afrique sera certainement le continent de demain. À condition de faire elle-même sa propre révolution. ■
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SOMMAIRE Décembre-Janvier n°375-376 TEMPS FORTS
ÉDITO L’Afrique demain par Zyad Limam
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ON EN PARLE
par François Bambou, Akram Belkaïd, Dounia Ben Mohamed, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Hedi Dahmani, Olivier Dubois, Zyad Limam, George Ola-Davies et Emmanuelle Pontié
6 Livres : Véronique Olmi, envers et contre tout par Catherine Faye
8 Spécial : Grands formats pour les fêtes !
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par Hedi Dahmani et Éléonore Quesnel
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par Sophie Rosemont
LIBYE
MIGRANTS : TERMINUS EN ENFER
GOLFE
STUPEURS ET TREMBLEMENTS
Interview
JAMEL DEBBOUZE « LES PRÉJUGÉS UGÉS ONT LA VIE DURE » DOCUMENT KADHAFI L’AFRICAIN DJ ARAFAT « JE SUIS IVOIRIEN AI ET JE MOURRAI IVOIRIEN »
NUMÉRO DOUBLE EN VENTE DEUX MOIS
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2018 ATTACHEZ VOS
CEINTURES ! AVEC CE QUI NOUS ATTEND : Des Présidentielles à hauts risques UN Maghreb instable ? DES économies convalescentes le choc démographique Rd Congo : Droit dans le mur ? Coincés entre Trump et Xi Jinping… Coupe du monde : enfin un exploit ? Un dossier spécial de 16 pages
La star du coupé-décalé s’est livrée à AM. France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0
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par Jean-Marie Chazeau
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Agenda : Le meilleur de la culture PARCOURS Hervé Renard par Hugues Berton
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Elles et eux : Et Dieu créa Ouidad par Fouzia Marouf
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19 C’EST COMMENT ? Vœux pieux par Emmanuelle Pontié
Air France, compagnie africaine par Julien Wagner
72
Interview : DJ Arafat par Dounia Ben Mohamed
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CE QUE J’AI APPRIS Rachid Taha par Loraine Adam
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PORTFOLIO : Vincent Michéa
80
Pirelli, merveilleusement black par Hedi Dahmani
Sofia Djama : L‘Algérie aux deux visages par Fouzia Marouf
90 LE DOCUMENT : Kadhafi l’Africain
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Golfe : Stupeurs et tremblements par Sylvie A. Briand et Zyad Limam
par Hedi Dahmani
N°375-376 DÉC. 2017 – JANVIER 2018
PHOTOS DE COUVERTURE : FAYEZ NURELDINE/AFP - NABIL ZORKOT POUR AM
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Jamel Debbouze : « Les préjugés ont la vie dure » par Fouzia Marouf
12 Écrans : La piste noire ! AFRIQUE MAGAZINE
Reportage Libye : Terminus en enfer par Maryline Dumas
10 Musique : MC Solaar, messie des MC
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
COVER STORY : ATTACHEZ VOS CEINTURES !
par Hedi Damani
122 VINGT QUESTIONS À... Rungano Nyoni par Astrid Krivian AFRIQUE MAGAZINE
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TAHA JAWASHI/THE TIMES/SIPA - FIFOU
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AFRIQUE MAGAZINE
FONDÉ EN 1983 (34e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
zlimam@afriquemagazine.com
Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION
Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION
p. 54
epontie@afriquemagazine.com
Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com
Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
Éléonore Quesnel
DÉCOUVERTE 95
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
sr@afriquemagazine.com
Côte d’Ivoire : vive l’ambition !
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, François Bambou, Akram Belkaïd, Dounia Ben Mohamed, Hugues Berton, Sylvie A. Briand, Julie Chaudier, Sabine Cessou, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Olivier Dubois, Maryline Dumas, Catherine Faye, Alexis Gau, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, George Ola-Davies, Sophie Rosemont, Julien Wagner.
par Dounia Ben Mohamed
MADE IN AFRICA 112 Escapades : Dakhla, une porte entre l’océan et le désert par Fouzia Marouf
115 Carrefours : Siana, l’architonique par Catherine Faye
VIVRE MIEUX
Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
116 Fashion : Serge Mouangue
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
STEPHEN CROWLEY/THE N-Y TIMES/REDUX/RÉA - CALENDRIER PIRELLI 2018 PAR TIM WALKER - VINCENT MICHÉA
par Loraine Adam
VENTES
VIVRE MIEUX
EXPORT Arnaud Desperbasque TÉL.: (33) 5 59223575 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL.: (33)156821200
118 Fêtes : se faire plaisir en se faisant du bien 119 Avoir une belle peau le jour J 120 Les bienfaits des oligo-éléments
ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine
p. 76
18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32
afriquemagazine@cometcom.fr
121 La bonne et la mauvaise graisse
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)153844181 – Fax: (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT Elisabeth Remy AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.
Commission paritaire : 0219 D 85602. Dépôt légal : décembre 2017.
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La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2017.
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Véronique Olmi Envers et contre tout
par Catherine Faye « ILS NOUS enlèveront jusqu’à notre nom, et si nous voulons le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que, derrière ce nom, quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste. » Ce n’est pas un hasard si Véronique Olmi a choisi cette citation de Primo Levi en exergue de son dernier roman. Une phrase à l’aune du destin incroyable de son héroïne : Bakhita. Ce nom, ce sont ses négriers musulmans qui le lui ont donné après l’avoir enlevée dans un village du Darfour, vers 1876. Il signifie « la chanceuse ». Mais, peut-on parler ici d’ironie du sort ? Elle a à peine 7 ans lorsqu’elle devient esclave. Rachetée à l’adolescence par le consul italien de Khartoum, elle quitte le Soudan, devient la domestique d’un couple de Vénitiens. Placée chez des Sœurs, elle demande à être baptisée et à rentrer dans les ordres. Après un procès retentissant intenté par ses maîtres, elle est finalement affranchie. Son vrai nom, elle ne le connaît pas, ne s’en souvient pas. « Elle ne sait pas en quelle langue sont ses rêves. Elle se souvient de mots en 6
« BAKHITA », Véronique
Olmi, Albin Michel,
455 p., 22,90 €. arabe, en turc, en italien, et elle parle quelques dialectes », écrit la romancière. Seulement, comment fait-on pour se construire lorsque l’on n’a ni souvenirs, ni lieux, ni langue maternelle ? C’est là toute l’histoire de Bakhita, dont le parcours exceptionnel traverse les horreurs de l’esclavage, le colonialisme, les deux guerres mondiales, l’avènement de Mussolini en Italie. Véronique Olmi, dramaturge, scénariste et comédienne, a puisé la trame de son roman dans la Storia Meravigliosa, le livre officiel publié en Italie en 1931, où Bakhita raconte ses souvenirs sous la plume d’une institutrice. « Je ne connaissais pas l’existence de Bakhita. J’ai une maison en Touraine. En faisant mon marché, j’ai poussé la porte de l’église pour la visiter et découvert son portrait avec des dates biographiques. J’ai été happée par le parcours de cette femme. J’avais un roman en cours, j’ai tout mis à la poubelle et je me suis lancée pendant deux ans, corps et âme, sur le personnage », révèle-t-elle dans Nice-Matin. Commence alors un travail de documentation, puis un départ à Venise. Elle va de couvent en couvent, sur les lieux où elle a été domestique, écrit de jour comme de nuit. À 55 ans, la Niçoise a déjà remporté quelques prestigieuses récompenses. Bakhita était d’ailleurs retenu parmi les quatre finalistes du Goncourt. Impétueux, ce récit initiatique, interroge le mystère d’une personnalité exceptionnelle, canonisée le 1er octobre 2000 par le pape Jean-Paul II. La première sainte soudanaise. Et la première femme noire devenue sainte sans passer par le martyre. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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ASTRID DI CROLLALANZA
C’est une histoire vraie. Celle d’une femme née au Darfour, vers 1876, devenue tour à tour captive, domestique, religieuse. Et sainte. Prix du roman Fnac 2017, Bakhita raconte ce destin hors du commun.
ON EN PARLE livres document
thriller
PAGES D’HISTOIRE
VERSION SUD-AFRICAINE DE L’APOCALYPSE
DANS UNE BANLIEUE de Damas, encerclée et bombardée par les forces de Bachar al-Assad depuis 2012, une quarantaine de jeunes révolutionnaires a décidé d’exhumer des milliers de volumes ensevelis sous les décombres. Clandestinement, ces volontaires s’activent à classer, ranger, numéroter ces milliers d’ouvrages sauvés. C’est l’incroyable histoire de la bibliothèque secrète de Daraya, calfeutrée dans
DEON MEYER, auteur de polars qui se déroulent au Cap, traduit dans plus de 30 pays, s’éloigne de son genre favori avec ce dernier roman, L’Année du lion, histoire hallucinée de l’Afrique du Sud d’après l’apocalypse, un pays qui se reconstruit tant bien que mal sur une planète décimée par une fièvre qui a emporté 95 % de la population. Réflexion sur les conflits qui rongent toute société humaine, métaphore à peine voilée sur les démons de l’Afrique du Sud actuelle, l’intrigue raconte comment l’un des survivants, un Sud-Africain blanc, fonde une nouvelle communauté. Elle ne manque pas de faire penser à celle des Afrikaners, ces descendants de Huguenots hollandais et français, arrivés au XVIe siècle sans projet de retour. Sauf que cette nouvelle nation s’appelle Amanzi (« l’eau » en isiXhosa), abrite aussi bien des Noirs que des Blancs, des faibles et des puissants, des croyants et des athées, des pacifistes et des guerriers. Accompagné de son fils, ce père fondateur pétri de bonnes intentions sera assassiné… Ce page turner embarque le lecteur dans une tragédie à portée universelle. ■ Sabine Cessou
« LES PASSEURS DE LIVRES DE DARAYA. UNE BIBLIOTHÈQUE SECRÈTE EN SYRIE »,
Delphine Minoui,
Seuil, 160 p., 16 €. un sous-sol de la ville, que Delphine Minoui, grand reporter au Figaro, raconte. Un récit nourri de la correspondance qu’elle a menée via Skype avec ces activistes insoumis. ■ C.F.
« L’ANNÉE DU LION »,
Deon Meyer,
Seuil, 629 p., 23 €.
essai VIVRE ENSEMBLE NÉ de la volonté de rendre hommage à la littérature, Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France et Rachid Benzine, islamologue, proposent un dialogue qui convoque l’Histoire. Éclairé, critique, croisant la genèse et les questionnements entre les textes de la Bible et du Coran, l’ouvrage s’inscrit en creux dans le contexte actuel car «il importait que nous fassions dialoguer ensemble leurs textes, leurs traditions de AFRIQUE MAGAZINE
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roman MON MARIAGE, MA BATAILLE « DES MILLE ET UNE FAÇONS D’ÊTRE JUIF OU MUSULMAN »,
Delphine Horvilleur et Rachid Benzine,
Seuil, 256 p., 19 €. lecture et leurs lecteurs », précisent les auteurs. Une belle leçon d’humanité face à la montée des extrêmes. ■ Fouzia Marouf
« LE BAISER DU RAMADAN »,
Myriam Blal,
Bayard, 164 p., 16,90 €.
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MYRIAM, journaliste d’origine tunisienne, pose ses valises à Casablanca. À son retour en France, elle rencontre Maxime, qui lui demande de l’épouser. Un simple mariage, perçu comme une menace par ses parents, rassurés si le garçon se convertissait à l’islam. Refus net. Au fil de cette confession intime, l’auteure, tiraillée entre sa famille et son amour, déconstruit l’aveuglement religieux. Et « libère la parole d’autres femmes concernées par cette réalité ». Un combat faisant écho à la récente loi qui autorise les mariages des Tunisiennes avec des non-musulmans.■ F.M. 7
spécial
reportage UNE LUEUR DANS LA NUIT
Grands formats POUR LES FÊTES! « QUAND L’AFRIQUE S’ÉCLAIRERA », Pascal
musique
Maître et Jean-Marc Gonin, éditions
LES CINQ MOUSQUETAIRES HUIT ANS après la disparition de Michael, leur King of Pop de frère, Jackie, Tito, Marlon et Jermaine reviennent sur la formidable épopée soul des Jackson Five. Une première publication officielle nourrie d’archives – photos d’anciennes guitares, interviews… – qui permet d’entrer dans les coulisses d’un mythe. ■ Éléonore Quesnel
Lamerhubber, 49,90 €.
PLUS de 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité en Afrique. Comment apprendre, travailler, voire accoucher dans la nuit noire ? À travers de beaux et pudiques clichés, le photographe Pascal Maître, qui sillone le continent depuis quarante ans, témoigne de cette pénurie de lumière, l’un des défis à relever en ce siècle. ■ Hedi Dahmani
« LES JACKSON, NOTRE HISTOIRE »,
Chêne, E/P/A, 35 €
paysages MAROC CÔTÉ JARDIN
SAHRIJ SOUANI
UNE ODE à la mise en scène de la nature : c’est ce que propose cet ouvrage richement illustré de photos anciennes, dessins et plans historiques. À travers l’étude des projets paysagers à Rabat, Meknès, Fès…, il permet de comprendre le contexte de création des parcs au Maroc sous le protectorat. Et met l’accent sur le savoir-faire des grands créateurs de jardins méditerranéens. ■ E.Q. « VILLES-PAYSAGES DU MAROC », Mounia
Bennani, Éditions Carré, 39 €. 8
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ON EN PARLE livres
« DANSE, PETITE L LUNE ! », Kouam
Tawa et Fred T Sochard, S éd. Rue
du d Monde, 16 €.
enfants AU RYTHME DE LA VIE
rétrospective AVEC SIDIBÉ, LE MALI, DE JOUR ET DE NUIT MALICK SIDIBÉ, décédé en 2016, n’était pas seulement le portraitiste de génie dont le minuscule studio de Bagadadji ne désemplissait pas. Il a aussi capturé la jeunesse élégante et euphorique du Swinging Bamako post-indépendance des années 60-70, annonçant son arrivée dans les « surpats » (surprise-parties) d’un coup de flash. Et se faisant, un cliché après l’autre, l’œil d’une génération en quête de liberté. Galvanisant. ■ E.Q.
AUTREFOIS, Petite Lune était la meilleure danseuse du village. Bien des années plus tard, celle qui était « pirouette des hirondelles et des libellules dans le beau temps » est devenue une vieille dame qui va au moulin concasser des grains de maïs pour les oiseaux. Un bel hommage aux anciens et au temps qui passe, servi par la plume d’un auteur camerounais. ■ H.D.
« MALICK SIDIBÉ, MALI TWIST »,
Fondation Cartier pour l’art contemporain,
éditions Xavier Barral, 45 €.
sciences
MALICK SIDIBÉ - IN VISU - NICOLA LO CALZO
SOUS L’OCÉAN
« THE ART & SCIENCE OF ERNST HAECKEL »,
R. Willmann, J. Voss, Taschen, 150 €. AFRIQUE MAGAZINE
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NE CRAIGNANT jamais d’emmener ses lecteurs en terres inconnues, Taschen se penche sur l’œuvre du biologiste allemand du XIXe siècle Ernst Haeckel, qui sut saisir la beauté de la faune et de la flore. Ce recueil ressemble 450 planches du scientifique (dessins, aquarelles…), consacrées au monde sous-marin. Une plongée aussi belle que fascinante. ■ E.Q.
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photo ŒIL POUR ŒIL
PORTFOLIOS, interviews, analyses… Dix ans après sa création, l’excellente plateforme participative Afrique in visu regroupe ici l’essentiel de ses collaborations. Au menu, Roger Ballen, Baudouin Mouanda ou encore le Congolais Sammy Baloji… Indispensable pour qui s’intéresse à la « photographie africaine ». ■ H.D. « LE MÉTIER DE PHOTOGRAPHE EN AFRIQUE, 10 ANS, AFRIQUE IN VISU », collectif, éditions
Clémentine de la Féronnière, 39 €. 9
MC Solaar Messie des MC
Après une décennie de silence, Claude M’Barali s’offre un retour de toute beauté avec un huitième album bien nommé, Géopoétique. « TANDIS QU’ILS PRENNENT les sashimis comme d’hab’ moi je prends le maki » : ne fût-ce qu’une simple punchline, qui conjugue agilité de la plume, goût du jeu de mots et engagement (ici dans le titre « La Clé »), et tout le monde est d’accord : Solaar demeure le grand prêtre du rap français. Pourtant, sa carrière n’a pas été un long fleuve tranquille, bousculée par les tensions avec ses labels, notamment après le succès de Prose Combat, au milieu des années 90. De plus, l’artiste voulait aussi profiter de ses deux enfants afin de pouvoir les voir grandir sans contraintes de tournées. Il fallait donc se retirer dans l’ombre, mais sans tomber dans l’oubli. En effet, la ferveur demeure autour de cet artiste lettré, qui a fait du hip hop français un terrain de jeux sonores et stylistiques. En témoigne l’excellente réception de Géopoétique, publié dix ans après Chapitre 7, alors que l’on ne croyait plus au retour de MC Solaar. Malgré le temps passé, la voix n’a pas changé, même si la trame musicale, elle, brille par son éclectisme. Enregistré dans le studio du beatmaker Tefa (Kery James, Diam’s) et produit avec les fidèles Eric K-Roz et Alain J, le disque ose les contrastes entre rap, musique classique, jazz (« Géopoétique »), trap (« Eksassaute », « L’Attrape-Nigaud »). Il ne se prive pas non plus d’honorer la mémoire de Serge Gainsbourg. Après un « Nouveau Western » qui samplait « Bonnie & Clyde », « Super Gainsbarre », duo avec l’une des découvertes de « The Voice », revisite « Initials B.B. » et assume pleinement son héritage. Sans pour autant oublier ses racines « GÉOPOÉTIQUE », puisque que « AIWA » et « Pili-Pili » Mc Solaar, PlayTwo. chantent leur amour pour les paysages lointains ou l’Afrique des ancêtres : « Ici Sadio se transforme en B-Boy / On doit en baver pour la bavette d’aloyau / On chauffe au toto et puis on troque au yoyo / Afrique envers toi nous devons rester loyaux. » Ainsi, lorsque Solaar chante qu’il se rapproche de l’automne de sa vie dans « Sonotone », on salue l’autodérision et sa philosophie existentielle, à la fois fataliste, pacifiste et combative malgré tout. Mais on ne le croit pas une seconde : les messies possèdent la jeunesse éternelle, n’est-ce pas ? ■
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BENJAMIN DECOIN
par Sophie Rosemont
ON EN PARLE musique fusion
LES TROIS FILLES DU SAHARA
Blues, girl power, et une petite touche de désert.
TROIS FILLES, un garçon, une multitude de possibilités. Emmenées par l’une des rares guitaristes féminines touarègues, Fatou Seidi Ghali, Les Filles de l’Illighadad ont fait de leur village du Sahara nigérien un centre musical haut en couleur. En témoigne ce premier album qui convoque le takamba et le tendé, mais aussi le blues de Tinariwen. Repérées par Christopher Kirkley, qui les a signés sur son label Sahel Sounds, ces filles soudées et indépendantes (mais qui tolèrent cependant un homme dans leurs rangs) ont tout pour aller loin grâce à la puissance évocatrice de leur musique électrique et psychédélique qui n’en oublie ni ses racines, si sa poésie tribale. ■ S.R. « EGHASS MALAN », Les Filles de l’Illighadad, Sahel Sounds.
street LE STARMAN ORIENTAL AUX TRANSMUSICALES de Rennes de 2016, le festival français où le public comme les labels viennent écouter les artistes de demain, Rozzma a impressionné à peu près tout le monde. D’une part parce que ce jeune MC originaire du Caire s’est inventé un personnage fictif venu tout droit de l’espace. D’autre part car son mélange d’électro chaâbi, de hardcore gabber et de bass music d’obédience anglo-saxonne, souligné d’un rap ou d’un chant soumis aux manipulations du vocodeur, fait preuve d’une énergie contagieuse. Impossible de ne pas danser. Le groupe Acid Arab ne s’y est pas trompé et a créé son propre label afin de sortir Donya Fakka. ■ S.R. « DONYA FAKKA EP », Rozzma, Acid
Arab Records / Crammed Discs.
« CLAIRVOYANT »,
NAKHANE, BMG.
tout au sud SURDOUÉ NAKHANE TOURÉ
big sound
MALCA, ÉTOILE FILANTE
MARVIN LEUVREY - TARRYN HATCHETT
Et si c’était lui, le nouveau boss de la pop électro ? L’écouter, c’est l’adopter. IL EST PARTI il y a huit ans de Casablanca, dont il était l’une des figures de proue de la scène indie, pour s’essayer à la nuit et à l’effervescence artistique parisiennes. Derrière le micro et en studio, il ne garde que son nom de famille, qui signifie « la royauté ». Bingo : repéré il y a deux ans grâce à son premier EP She Gets Too High, Malca fait aujourd’hui très fort avec sa pop électronique, teintée de R’n’B, de funk sous influence Prince et de chaâbi. Irrésistibles, les cinq morceaux de son nouvel EP baptisé Casablanca Jungle font le pont avec une sensuelle dextérité entre Orient et Occident tout en revendiquant le droit à la liberté (sexuelle, sociale, politique). Mention spéciale au titre éponyme et à « Shalom ». ■ S.R. « CASABLANCA JUNGLE » Malca, Jakarta Records /Arista/Sony. AFRIQUE MAGAZINE
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BEAU, intelligent, chouchou de la presse musicale comme des magazines de mode… Connu pour avoir publié un roman et un premier album en Afrique du Sud, Nakhane Touré est également un comédien remarqué dans Les Initiés (2017). Avec cet EP, (avant l’album qui sortira en mars), il confirme que la pop peut être synthétique, organique, euphorique, mélancolique, soul… Et avec une reprise de « Sweet Things » de David Bowie, s’il vous plaît. On y croit beaucoup, et on présage du meilleur à venir. ■ S.R. 11
Pour l’instant, tout va bien. Pour l’instant…
La piste noire ! Huit ans après le succès de LA PREMIÈRE ÉTOILE, le réalisateur et comédien antillais Lucien Jean-Baptiste renvoie joyeusement ses personnages en vacances à la neige, quitte à abuser un peu trop de « l’esprit de Noël »…
survivant dans les forêts alpestres… Le film est ON AVAIT bien ri en 2009 aux maladresses d’ailleurs bourré de clins d’œil du Martiniquais de Créteil, Jean-Gabriel, cinématographique (Nikita, Les Chariots de emmenant ses enfants et sa mère (Firmine feu…), mais aussi de bons sentiments… Et là, Richard, déchaînée) à la montagne. On avait on avait connu Lucien Jean-Baptiste plus subtil. apprécié la peinture assez fine d’un certain Le voici auteur d’un « feel good movie » racisme basique, notamment chez un couple familial, véritable produit calibré pour les fêtes de retraités (dont Bernadette Lafont, décédée de fin d’année. Même les effets comiques sont depuis, à laquelle cette suite ne manque pas de surlignés et répétitifs (ralentis, bruitages). faire un clin d’œil). Depuis, les enfants sont « LA DEUXIÈME Reste un talent indéniable pour croquer devenus des ados accros à leur portable, les ÉTOILE » (France) de l’antillanité et les rapports Noirs/Blancs, et parents réconciliés embarquent cette fois, en Lucien Jean-Baptiste. même Antillais/Africains. Avec une mention plus, un grand-père ancien combattant de Avec lui-même, particulière pour un second rôle de « méchant » l’Algérie française, et une bande de pieds Firmine Richard, Anne Consigny. tenu par Medi Sadoun (Les Kaïra, Qu’est-ce nickelés va essayer de les retrouver dans leur qu’on a fait au bon Dieu ?) qui joue avec un chalet pour récupérer un van customisé accent antillais parfait, comme celui des békés (les Blancs de appartenant à un ami de la famille, joué par Édouard la Martinique), peut-être histoire de souligner le métissage Montoute : plus délirant que jamais, le comédien finit en français et de mieux brouiller les pistes (de ski) ! ■ clone clownesque de Leonardo DiCaprio dans The Revenant, 12
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JEAN-CLAUDE LOTHER
par Jean-Marie Chazeau
Quitte à mettre sa vie en péril, une avocate va défendre corps et âme un chef rebelle.
contre-enquête
ON EN PARLE écrans
CRIMES DE GUERRE UNE JEUNE avocate, déterminée et droite, se voit proposer de défendre un dangereux criminel de guerre dans un procès très médiatisé. Elle accepte, malgré les dangers pour sa vie et sa carrière, et se retrouve ainsi dans « l’œil du cyclone », où s’entremêlent l’enfance de son client traumatisé à vie par l’assassinat de ses parents, et les intérêts des hautes sphères du pouvoir où gravite… la riche famille de l’avocate. Le pays n’est jamais cité, mais le drame des enfants soldats est réel : ils seraient, aujourd’hui adultes, 150 000 sur le continent, véritable bombe à retardement de bien des conflits… Le Burkinabè Sekou Traoré, dont c’est le premier
drame Alger
film, a adapté une pièce à succès et fait appel aux deux comédiens qui avaient créé ces personnages sur scène : l’Ivoirien Fargass Assandé, habité, et Maïmouna N’Diaye, au jeu très épuré. Tous deux ont décroché le prix d’interprétation au 24e Fespaco. ■ J.-M.C.
« L’ŒIL DU CYCLONE »
(Burkina Faso) de Sékou Traoré. Avec Fargass
Assandé, Maïmouna N’Diaye.
Blues
ALGER, 2008. Il y a le fils étudiant qui fume des joints avec son pote fan de « taqwacore punk halal » et cherchant à se faire tatouer un verset du Coran dans le dos. Il y a leur copine farouchement indépendante, à la répartie assassine, mais marquée par la terreur islamiste durant son enfance (Lyna Khoudri, prix d’interprétation à Venise). Il y a les parents, couple amoureux mais déchiré après avoir traversé les années de plomb. Ils ne supportent plus « la bigoterie que l’État distille dans nos veines » : voulant fêter leurs vingt ans de mariage, ils sont chassés d’un comptoir (pas de femme au bar), d’une terrasse (pas d’alcool à cause des voisins). Et puis il y a Alger, superbement filmée sous toutes les coutures, belle et sordide, généreuse et inquiétante, où les personnages semblent enfermés. Deux générations, beaucoup de bienveillance, une angoisse larvée et des désirs contraires : le film parvient à l’équilibre sur le fil des émotions. ■ J.-M.C. « LES BIENHEUREUX » (France-Belgique-Qatar) de Sofia Djama (voir interview p. 80).
Avec Sami Bouajila, Nadia Kaci, Faouzi Bensaïdi.
new face
DR - ARMANDO GALLO/ZUMA STUDIO-REA
BOYEGA, LA BLACK STAR « LES LEADERS de la prochaine génération », titrait en octobre le magazine Time, avec John Boyega en couverture. L’acteur britannique d’origine nigériane a signé pour trois épisodes de la saga des étoiles : après Les Forces du destin et avant l’épisode IX en 2019, le voici dans Les Derniers Jedi. À 25 ans, il n’est pas le premier comédien black de la série (Billy Dee Williams et Samuel L. Jackson l’ont précédé, dans des rôles moins importants), mais c’est un grand militant de la diversité. En juillet, dans un autre magazine américain, GQ, il déplorait qu’on ne voie pas de Noirs dans Game of Thrones, ou dans Le Seigneur des anneaux : « Je ne paye pas pour voir toujours le même genre de personnes à l’écran. » Après avoir été l’agent de sécurité impuissant face à la répression des émeutes raciales de Detroit, il tentera dans quelques mois de sauver le monde dans Pacific Rim : Uprising. Figure de proue d’une nouvelle génération de superhéros afro qui a déjà pris son envol… ■ J.-M.C. AFRIQUE MAGAZINE
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John Boyega, le visage de la relève.
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À dr. : la synagogue de la Ghriba, sur l’île de Djerba.
À g. : le New-Yorkais Leonard Freed, spécialisé dans les sujets sociaux, a consacré de nombreux reportages au mouvement pour les droits civiques. Ici, un cliché de 1963.
anthropologie
LA PIÉTÉ EN PARTAGE
photographie
HARLEM, VU PAR MAGNUM Pleins feux sur l’emblématique « quartier afro-américain ». EVE ARNOLD, Raymond Depardon ou encore Wayne Miller signent l’exposition collective « Magnum in Harlem », telles 31 chroniques croisées, posées sur plusieurs décennies. Une sélection de clichés de 13 photographes Magnum y sont rassemblés et livrent à chaque fois une vision particulière de Harlem, que ce soit dans la rue lorsque qu’une nuée d’enfants improvise une marelle sur un marquage de la police ou au cultissime Savoy Ballroom où se trémoussent des danseurs survoltés. Au nord de Central Park, Harlem a toujours suscité autant d’intérêt que son histoire aura été féconde, incisive ou meurtrie. Au fil de son territoire, une géographie de vies se dévoile, indissociable de la culture afro-américaine et de la lutte pour l’égalité des droits civiques. À travers des portraits de personnages emblématiques comme Malcom X, Muhammed Ali, James Brown, « Black is beautiful » s’incarne ici par une affirmation identitaire puissante. ■ Catherine Faye « MAGNUM IN HARLEM », Maison des arts de Créteil, jusqu’au 27 janvier 2018. maccreteil.com 14
APRÈS LE MUSÉE du Bardo à Tunis et, jusqu’au 21 janvier 2018, le Musée d’histoire de l’immigration à Paris, c’est bientôt au Musée des Confluences de Marrakech, puis à New York, que l’exposition « Lieux saint partagés » posera ses valises. Conçue à partir d’enquêtes anthropologiques, elle recense les endroits rarement mis en valeur et qui concernent pourtant des millions de croyants, où les trois monothéismes cultivent de bonnes relations. Et une force spirituelle importante. Des sanctuaires qui génèrent des croisements entre juifs, chrétiens et musulmans. À l’image de la synagogue de la Ghriba, sur l’île de Djerba, où, chaque année, juifs et musulmans se retrouvent pour prier. Ou encore du projet architectural House of One (Maison de prière et d’enseignement des trois religions), qui sera bâti sur l’emplacement d’une ancienne église à Berlin. Ainsi, à la manière d’un pèlerinage, l’exposition emmène le visiteur, à travers photos, objets et films, de Jérusalem à Hébron, de Bethléem au mont Carmel, de Lampedusa à Djerba… Une ode à la coexistence des cultes. ■ C.F. « LIEUX SAINTS PARTAGÉS. COEXISTENCES EN EUROPE ET EN MÉDITERRANÉE », Musée national de l’histoire
de l’immigration, Palais de la Porte Dorée, jusqu’au 21 janvier 2018. histoire-immigration.fr AFRIQUE MAGAZINE
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LEONARD FREED/MAGNUM - PENICAUD
Voyage sur les lieux de coexistence RELIGIEUSE en Europe et en Méditerranée.
ON EN PARLE agenda L’artiste brouille les frontières entre la photographie de studio et l’installation. Ci-contre, « Younes in da Shop », 2012.
Parure du Niger, population Kel Aïr, XXe siècle.
funky
Le grand retour d’Hassan Hajjaj L’enfant terrible du pop art rend hommage à son Maroc originel. civilisation
HALTE TOUARÈGUE
MATHIAS BENGUIGUI - HASSAN HAJJAJ
Artisanat, musique, poésie : le savoir-faire de ce peuple du désert mis en lumière. TÉMOIGNER DU DYNAMISME et de la résistance de cette société nomade, disparate et en constante évolution, tel est le but de l’exposition qui se tient au musée des Confluences. En levant le voile sur ce peuple dont le territoire s’étend de l’Algérie au Niger, mais aussi du Mali à la Libye en passant par le Burkina Faso, on découvre autour d’un idiome commun une esthétique globale à travers l’artisanat, la poésie et la musique. Aussi y croise-t-on archives et tableaux incarnant clichés et fantasmes autour de l’homme bleu du Sahel suivis d’une belle sélection de bijoux et d’objets du quotidien codifiant cette société, puis de photos et reportages témoignant d’une amère réalité. ■ Loraine Adam « TOUAREGS », musée des Confluences, Lyon, jusqu’au 4 novembre 2018. museedesconfluences.fr AFRIQUE MAGAZINE
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CONNU POUR METTRE EN SCÈNE dans ses clichés ses amis du showbiz, le photographe britannique originaire de Larache au Maroc, signe ici un véritable retour aux sources. Après une première série intitulée My Rock Stars présentant des artistes du monde entier, ce maître du kitsch à la sauce pop art et fashion street propose cette fois My Maroc Stars. Un travail de longue haleine réalisé dans son riad, qui s’est étalé sur une vingtaine d’années, permettant ainsi à l’ami des artistes d’immortaliser le groupe de rap Shayfeen, la chanteuse Hindi Zahra, le photographe Yoriyas, le designer Yassine Morabite ou encore l’actrice Sarah Perles. Le premier volet de ces œuvres sera présenté en avantpremière à Casablanca avant de sillonner le monde de l’art. ■ C.F « MY MAROC STARS », Galerie L’Atelier 21, Casablanca, jusqu’au 13 janvier 2018. atelier21.ma/fr
vestiaire(s)
COMPLÈTEMENT FOOT QU’EST-CE qui unit les gamins d’Alger, Barcelone , Naples ou Tunis ? Pour décrypter l’amour du ballon rond, le Mucem de Marseille rend hommage au football, sport le plus populaire au monde mais aussi générateur de l’un des plus florissants business. À travers un parcours thématique et plus de 300 œuvres et objets, le visiteur plonge dans un univers qui aborde aussi bien les problématiques des supporters et hooligans que la marchandisation des transferts. De quoi faire sienne la devise des ultras du Club africain (Tunis) : « créé par les pauvres, volé par les riches. » ■ Hedi Dahmani « NOUS SOMMES FOOT », Mucem, Marseille,
jusqu’au 4 février 2018. mucem.org
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PARCOURS par Hugues Berton
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CHRISTIAN LIEWIG/CORBIS/GETTY IMAGES
Hervé Renard I
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LE BONHEUR DES UNS fait parfois le malheur sportif des autres. En qualifiant le Maroc pour la Coupe du monde 2018, l’entraîneur français a éliminé la Côte d’Ivoire, son ancienne sélection nationale. Déjà vainqueur de deux Coupes d’Afrique des nations, ce marabout du ballon rond poursuit son histoire d’amour avec le continent.
VI-IMAGES/GETTY IMAGES
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e 11 novembre 2017 au soir, Casa la Blanche devient rouge de plaisir. Dans les artères de la ville, les klaxons s’enchaînent. Aux portières des voitures, les jeunes brandissent des drapeaux. Les passants hurlent de bonheur. Jusqu’au bout de la nuit, c’est tout un pays qui exulte de joie. Ils l’ont fait ! IL l’a fait… Hervé Renard, devenu sélectionneur de l’équipe nationale moins de deux ans plus tôt, est en effet parvenu à qualifier le Maroc pour la prochaine Coupe du monde en Russie. « Les joueurs ont réussi un match exceptionnel, commentera-t-il modestement, à chaud. La solidarité a fait la différence. » Le roi Mohammed VI, qui tient Renard en haute estime, salue immédiatement l’exploit. Vingt ans que les Lions de l’Atlas attendaient ça. Mais, pour le stratège de 49 ans, cette qualification obtenue au terme de l’ultime rencontre a un goût particulier. Le succès s’est en effet dessiné à Abidjan, au détriment de la Côte d’Ivoire qui, elle, a pleuré de rage et de frustration. En janvier, au Gabon, elle avait déjà été éliminée de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2017 par le Maroc de Renard. Ironie du sort : c’est à la tête des Éléphants que le sélectionneur avait offert aux Ivoiriens leur deuxième CAN en 2015. En plus d’un joli bonus financier, le coach avait surtout reçu les louanges du président Alassane Ouattara : « Grâce à vous, la Côte d’Ivoire est rassemblée de nouveau », insistant sur le sentiment d’unité nationale. Renard avait déjà inscrit son nom au palmarès de la CAN 2012 : alors aux commandes de la Zambie, il avait battu en finale, signe du destin, la… Côte d’Ivoire, devenant alors le premier sélectionneur à remporter deux fois ce trophée à la tête de deux formations différentes. Engagé jusqu’en 2022 avec les Lions de l’Atlas, s’il ne prétend pas offrir la Coupe du monde aux Marocains, qui affronteront le Portugal et l’Espagne en groupe qualificatif, il se contenterait de rafler sa troisième CAN en 2019, au Cameroun… Un triplé inédit qui finirait de sculpter sa statue de commandeur sur le continent africain. Car, en France, l’histoire est toute différente. Né à Aix-les-Bains, sur les rives du Lac du Bourget, ce fils unique est élevé humblement par sa mère. Elle accepte de le laisser partir ado au centre de formation de Cannes. Mais la concurrence est rude et l’élite se refuse à lui. Défenseur anonyme, il rejoint les clubs modestes de Vallauris puis de Draguignan, dont il devient l’entraîneur à 30 ans. Son itinéraire bascule quand Claude Le Roy (vainqueur de la CAN 1998 avec le Cameroun) le prend sous son aile, d’abord à Shanghai, puis à Cambridge et enfin au Ghana en 2006. Renard adopte l’Afrique au premier contact. L’inverse ne tarde pas. Deux ans plus tard, le voilà propulsé sélectionneur de la Zambie. La suite est connue. Ses deux retours express en France (entraîneur éphémère à Sochaux en 2013 et à Lille en 2015), considérés comme des échecs, confirment que ses vraies racines sont sur le continent. C’est là qu’il mène sa vie professionnelle et refait sa vie sentimentale – sur laquelle il ne s’étend guère. Au mieux sait-on que sa fille, Candide, affole Instagram, elle qui a hérité du physique avantageux de papa. Œil azur, peau toujours hâlée, ligne svelte et muscle saillant dans son éternelle chemise blanche, le coach assure. Superstar loin de sa Savoie natale, il admet : « J’ai certainement une bonne étoile. » Vert espérance. Comme celle du drapeau du Maroc. ■
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Pour affronter l’Espagne ou le Portugal, le sélectionneur comptera notamment sur Younès Belhanda, le milieu offensif qui évolue au Galatasaray SK (Turquie).
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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié
VŒUX PIEUX
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’est la coutume sous presque tous les cieux. Passer d’une année à l’autre entraîne son lot de bonnes résolutions, et de vœux de ceci ou de cela. La superstition, bien sûr, s’en mêle, et fait joyeusement croire que tous les souhaits se réaliseront à coup sûr en ce moment particulier, où l’on tourne une page et le dos à une année qui s’achève avec son cortège de mauvais souvenirs que l’on a hâte d’oublier, pour entrer le cœur vaillant dans une nouvelle ère. Alors, on peut donc se mettre à rêver un peu, l’espace de quelques jours, et espérer. Espérer que 2018 sera – pourquoi pas ? – l’année de l’Afrique. Imaginer que le développement, le vrai, celui qui passe par la lutte contre la pauvreté, l’accès à l’emploi ou aux services de base comme l’éducation, la santé, l’électricité ou l’eau potable, fera un bond de géant. Imaginer encore que les flots de migrants, perdus dans leur route vers un monde meilleur, réduiront d’euxmêmes parce que leurs terres natales leur offriront une vie meilleure. Imaginer aussi que les terrorismes seront enfin éradiqués, n’ayant plus de prise sur un continent fort, où l’on n’enrôlera plus les âmes perdues dans des actions de violence aveugle. Imaginer enfin que le renouvellement des leaderships, l’installation de bonnes gouvernances et la ringardisation de la corruption gagneront le pari de l’économie, avec des retombées locales, sociales, sonnantes et trébuchantes tellement attendues. Allez, puisque c’est le seul moment de l’année où l’on peut formuler les rêves les plus fous, divaguons à loisir. Même si, merci, on le sait bien : ces vœux pieux ne se réaliseront pas en 2018, ni même en 2019, et ainsi de suite. Certains esprits chagrins s’empresseront d’ajouter qu’ils ne se réaliseront peut-être jamais. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, avec un œil résolument positif, plusieurs pays avancent peu à peu, inversent doucement la tendance, construisent, réforment, installent du neuf. Et montrent au minimum, à travers d’innombrables petits mieux, dans AFRIQUE MAGAZINE
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Si l’on y regarde de plus près, avec un œil résolument positif, plusieurs pays avancent peu à peu, inversent doucement la tendance, réforment, installent du neuf.
plein de domaines, qu’ils prennent le bon chemin pour que l’Afrique change. Et surtout, parce qu’il faut boucler l’année avec une méga note d’espoir. N’ayons pas peur dans cette fameuse nuit du 31 décembre de formuler les vœux les plus fous, les plus gratuits, les plus irréalisables, pour qu’un jour, justement, ils se transforment en réalité. Même si c’est dans dix, cinquante ou cent ans ! Bonne année donc à notre continent, avec son potentiel et ses avancées. Et accessoirement, une excellente année à vous tous, qui de près ou de loin, êtes les artisans de cette Afrique qui gagnera demain. ■
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2018 ATTACHEZ
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CEINTURES ! par François Bambou, Akram Belkaïd, Dounia Ben Mohamed, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Hedi Dahmani, Olivier Dubois, Zyad Limam et Emmanuelle Pontié
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2017 ne laissera pas un souvenir impérissable… Et ce qui vient s’annonce, disons, exigeant.
Élections présidentielles stratégiques, défis climatiques et démographiques, attente d’une vraie reprise économique, et aussi une Coupe du monde avec un tirage difficile… Voyage dans notre futur proche en passant, entre autres, par Bamako, Alger, Kinshasa, Dakar, Abidjan, Yaoundé, Tunis, Rabat et même Moscou ! AFRIQUE MAGAZINE
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VA-T-ON SORTIR ENFIN DE LA DÉPRIME ÉCONOMIQUE ?
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Libreville, Brazzaville, Luanda, comme dans toutes les capitales africaines de pays exportateurs de pétrole ou d’autres ressources minières, on scrute les cours internationaux avec anxiété. Ces pays vont-ils enfin sortir de la grande déprime commencée en 2014 avec la dégringolade des cours du pétrole et des métaux industriels ? Il y a bon espoir, pensent certains analystes, y compris à la Banque mondiale, où les conjoncturistes anticipent une progression favorable des prix. Dans sa publication sur les perspectives des marchés des matières premières, Commodity Markets Outlook, la Banque mondiale projette que les cours du pétrole pourraient atteindre 56 à 60 dollars en 2018, contre 40 dollars l’an dernier. Idem, « les prix des métaux devraient bondir de 16 % cette année, por22
tés par une demande soutenue, notamment en Chine, et des contraintes du côté de l’offre liées à des perturbations dans certains sites miniers du Chili, d’Indonésie et du Pérou », indique cette revue de référence. « Les prix de la plupart des matières premières semblent avoir atteint leur plus bas niveau l’année dernière et sont en bonne voie pour remonter en 2017 », explique John Baffes, économiste senior et auteur principal du Commodity Markets Outlook. Il ajoute que « les prix de l’énergie remontent du fait de la stabilité de la demande et de la contraction des stocks, mais l’essentiel dépendra de la décision des pays pétroliers de prolonger ou non les coupes de production. Pour les métaux, les évolutions en Chine vont jouer un rôle essentiel dans la trajectoire des prix. » AFRIQUE MAGAZINE
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par François Bambou, à Yaoundé
Depuis 2014, le continent, qui affichait une croissance moyenne du PIB de l’ordre de 5 %, a brutalement plongé dans le blues. Les État ont multiplié les plans d’austérité budgétaire et abandonné la plupart des projets d’infrastructures, certains frôlant même la cessation de paiement, les réserves de change s’étant taries. Les dégâts ont été particulièrement sévères en zone Cémac, avec des conséquences sur le plan sociopolitique dans des pays producteurs de pétrole comme le Gabon et le Congo. Reste que la remontée des cours, tout de même timide, ne pourra à elle seule garantir l’avenir. La diversification des économies africaines, encore bien trop dépendantes des matières premières (par définition en quantité limitée) reste un enjeu majeur. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Une plate-forme pétrolière, dans le golfe de Guinée. Les cours de l’or noir pourraient atteindre 60 dollars en 2018, contre 40 en 2017. 23
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LES QUATRE DÉFIS DU MAROC par Julie Chaudier, à Casablanca
Luttes sociales
L’an prochain, le premier défi du Maroc sera avant tout social et politique. À deux ans de l’échéance de la plupart des grands plans de développement sectoriels, les explosions de colère sporadiques révèlent les déséquilibres induits par la croissance économique du Royaume. Le verdict du procès des militants du Hirak, et en particulier de son leader Zefazafi, sera rendu cette année. Ce mouvement qui dure depuis octobre 2016 est né en réaction à la mort d’un commerçant d’Al Hoceima, dans le nord du Maroc, qui voulait empêcher la police de détruire sa marchandise illégale. La révolte s’ancre dans le sentiment exacerbé de la région d’être mise à l’écart par le pouvoir central. Une frustration largement partagée par le « Maroc inutile », cette partie du pays qui vit loin de l’axe urbain « utile » Tanger-Rabat-Casablanca-Marrakech. Il se retrouve dans chacun des mouvements sociaux survenus en 2017, comme les « manifestations de la soif » à Zagora fin octobre dernier. Quand on franchit le col Tizi n’Tichka, dans le Haut Atlas, on se demande si l’on est encore au Maroc. « D’un côté de l’Atlas, il y a le TGV et le lancement d’un satellite ; de l’autre, nous n’avons même pas d’eau potable », ironise un habitant de Zagora. Dans ce contexte, « il est impossible qu’une population ne qualifie pas en termes moraux, et donc politiques, les inégalités socio-économiques et territoriales qui constituent la substance de son quotidien – avec, bien sûr, d’autres choses bien moins dramatiques », analyse Jean-Noël Férrié, directeur de Sciences Po Rabat. C’est bien là ce que craint le Palais.
politique du Royaume dans ce domaine. Si un campement de migrants s’est installé en plein cœur de Casablanca, c’est qu’ils ont été amenés là par les forces de l’ordre elles-mêmes après avoir été arrêtés dans le nord du Maroc, près de ses frontières avec l’Union européenne (Ceuta et Melilla). En d’autres temps, ces « passagers clandestins » auraient été renvoyés sans ménagement vers le Sud ou à la frontière avec l’Algérie. Mais, depuis 2013, le Maroc a fortement infléchi sa politique migratoire. Une évolution en réaction à la fermeture massive de l’espace européen, mais aussi en lien avec les Printemps arabes, le développement rapide de la société civile, la percée diplomatique et économique du Royaume en Afrique. Depuis 2014, le roi Mohammed VI a ainsi lancé deux opérations de régularisation certainement généreuses, mais qui ne règlent pas le problème à moyen terme. Ces campements plus ou moins sauvages au cœur des grandes villes deviennent de véritables bombes à retardement. « À chaque fois que l’on sort [du campement de la gare] pour “faire Salam” [mendier, NDLR], ce n’est pas pour rester au Maroc, mais c’est pour passer en Europe. [Les Marocains] n’ont qu’à nous laisser faire notre choix », a lancé l’un des migrants subsahariens à la presse le soir de l’incident.
Un deal africain
Flux migratoires
Le Maroc demeure un chemin majeur de transit vers l’Europe. Et le débat fait rage. Le pays est-il destiné à être le « garde-frontière » des pays de l’Union ? Récemment, fin novembre, des échauffourées ont éclaté à la gare routière de Casablanca entre des migrants et des citoyens marocains. Elles sont la conséquence des contradictions internes à la
En dépit de ces contradictions, Mohammed VI a bien compris tout le bénéfice qu’il pouvait tirer de la situation géopolitique du Maroc au carrefour de l’Europe et de l’Afrique. « En tant que leader de l’Union africaine sur la question de la migration, j’ai à cœur de soumettre, lors du prochain sommet de l’UA, des propositions à mes frères et sœurs les chefs d’État, pour développer un véritable agenda africain sur la migration », a déclaré le roi lors du sommet UA-UE, fin novembre dernier. Ce mandat place le Maroc dans une position avantageuse au sein de l’Union africaine, qu’il a rejointe en janvier dernier. Et va pouvoir ainsi travailler à ce qui reste l’un des objectifs majeurs de sa diplomatie continentale : l’exclusion de la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
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Abidjan, le 29 novembre dernier. Lors du 5e Sommet Union africaine-Union européenne. Mohammed VI s’est posé en chef de file pour les questions migratoires. Un objectif contrecarré bien évidemment par les soutiens sahraouis traditionnels, Algérie, Afrique du Sud… 2018 verra peut-être également l’adhésion formelle du Maroc à la Cédéao. Après un accord de principe donné en juillet, celle-ci sera discutée au prochain sommet des chefs d’État de Lomé le 16 décembre 2017. Sur ce front, et malgré l’optimisme marocain, rien n’est encore gagné. Le Nigeria, pays le plus influent de la région, ne s’est pas encore prononcé. Et la plupart des fédérations patronales des pays de la Communauté sont vent debout contre le projet, estimant que le mariage profiterait essentiellement au Maroc, à ses produits, à ses entreprises, sans véritables contreparties pour les pays du Sud.
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Partenariat européen
Tandis que le Maroc renforce vigoureusement sa relation avec l’Afrique, que va-t-il advenir de ses liens avec l’Union européenne ? Les discussions pour l’Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) entre le Maroc et l’UE, susAFRIQUE MAGAZINE
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pendues en juin 2014 afin que le Maroc puisse réaliser sa propre étude d’impact, n’ont jamais repris, bien que l’étude soit achevée. Début novembre dernier, les négociations des « priorités de partenariat » qui définissent le cadre de la coopération financière des deux partenaires n’avaient toujours pas commencé, alors que le précédent « Plan d’action » s’achève fin 2017. L’arrêt de décembre 2016 de la Cour européenne de justice, qui casse l’annulation de l’accord agricole entre l’UE et le Maroc, explique probablement ce blocage. Il considère en effet que l’accord agricole ne s’applique tout simplement pas au Sahara occidental ! Un désaveu pour le Maroc, qui vient conforter le royaume dans sa nouvelle stratégie de politique étrangère exposée en avril 2016 à Riyad. Elle prévoit une diversification des alliances du Royaume afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de ses partenaires historiques. L’apparition, début décembre, du Maroc dans la liste « grise » des paradis fiscaux définie par l’Union européenne ne peut que renforcer une nouvelle fois la méfiance et les préventions du gouvernement marocain. ■ 25
ALGÉRIE INTENABLE IMMOBILISME par Akram Belkaïd
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Pékin, le 8 novembre 2017. Donald et Melania Trump, en visite officielle, posent aux côtés de Xi Jinping et son épouse Peng Liyuan.
VERSION TRUMP ? OU VERSION XI ? VOILÀ OÙ NOUS EN SOMMES. D’un côté la Chine immense, transformée par quatre décennies de réformes audacieuses, devenue la seconde ou la première puissance économique. Et tenue d’une main de fer par le Parti communiste et son chef toutpuissant Xi Jinping. Le contre-modèle démocratique, l’autoritarisme éclairé en quelque sorte, qui laisse peu de place au débat, au contrôle des pouvoirs. Et qui parle globalisation, surtout pour défendre ses intérêts économiques. De l’autre, l’un des berceaux de la démocratie malgré tout, cette Amérique que l’on qualifiait il n’y pas si longtemps d’hyperpuissance. Une Amérique aux prises avec une éruption populiste, nationaliste, machiste, identitaire, incarnée par un président échevelé qui paraît plus ou moins hors de contrôle. Et qui se fiche du multilatéralisme et des échanges, à moins qu’ils ne servent directement les intérêts étroits de la nation étoilée… Nous voilà donc obligés de naviguer entre deux géants (l’Europe étant encore politiquement infantile), à faire preuve de diplomatie, de prudence et d’habileté pour faire avancer nos intérêts sans trop de dégâts… ■ Z.L. AFRIQUE MAGAZINE
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bien y regarder, 2018 risque fort d’être une année charnière pour l’Algérie. Et pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les grandes manœuvres pour l’élection présidentielle vont commencer. Qui sera le candidat du système ? Abdelaziz Bouteflika se représentera-t-il pour un cinquième mandat comme l’affirment nombre d’observateurs attentifs de la scène politique locale ? Désignera-t-il un « héritier » ? Et que dire des ambitions de son frère Saïd, ou de son Premier ministre Ahmed Ouyahia ? Quel rôle jouera l’opposition, si tant est qu’elle puisse s’exprimer ? On le voit, l’année qui commence apportera nécessairement des clarifications. Le pays en a un besoin urgent. La visite en décembre dernier du président français Emmanuel Macron a mis en exergue une situation intenable côté algérien. Pas de leadership dynamique, pas de réformes réelles, pas d’initiatives de grande ampleur : l’Algérie attend le changement et que les choses se décantent. 2018, année charnière, donc. Sur le plan financier aussi. Le bas de laine des réserves de change continue de rétrécir. Les coffres ne seront pas totalement vides, mais le pays va devoir prendre des décisions de grande importance pour équilibrer son budget et se ménager quelques marges de manœuvre. La question qui va se poser est simple : austérité ou endettement ? La première option est défendue par les souverainistes, qui ne veulent pas entendre parler d’un retour sur le marché international de la dette, avec ce que cela signifie comme possible ingérence future du Fonds monétaire international (FMI). Des économistes et de hauts fonctionnaires affirment quant à eux que l’endettement est inévitable pour ne pas tarir l’épargne du pays. 2018, année charnière, car des décisions concernant l’environnement régional vont devoir être prises. Persistance de la paix froide avec le Maroc, ou initiative de rapprochement ? Intervention militaire directe dans les conflits environnants (Libye, Sahel), ou maintien du dogme de la non-ingérence, doublé, en réalité, d’un activisme des services secrets et de la diplomatie. Cela fait des années que l’Algérie se cherche. 2018 pourrait lui permettre de trouver enfin la voie. ■
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SÉNÉGAL LA ROUTE ARDUE VERS 2019 par Zyad Limam ’est le challenger putatif, redouté ou espéré, selon les uns ou les autres, du président Macky Sall à l’élection présidentielle de 2019. Dans moins de deux ans. Au moment où nous écrivons ces lignes, Khalifa Sall, maire de Dakar, est toujours incarcéré à la prison de Rebeuss, dans la capitale. Il est accusé d’avoir utilisé, sans les justifier, les fonds de la régie d’avance de la municipalité pour un montant de 2,7 millions d’euros entre 2011 et 2015. Depuis le 7 mars dernier, il est inculpé notamment d’« association de malfaiteurs » et « escroquerie aux deniers publics ». Résultat, à ce jour, neuf mois de prison tout de même, sans jugement… Maintien en détention « légitimée » par une levée de l’immunité parlementaire du prévenu le 25 novembre. Pour les partisans du maire, et ils sont Incarcéré depuis mars 2017, Khalifa Fall, maire de Dakar (sur l’affiche), compte sur le soutien de nombreux partisans. nombreux, l’affaire est claire. Il a utilisé la bouts. Les efforts du gouvernement sont indéniables, mais caisse comme tous ses prédécesseurs, ni plus la compétitivité globale reste faible, les investissements exténi moins, et il est victime d’une cabale politique. L’objectif rieurs limités, et de larges pans des milieux d’affaires sont étant d’éliminer un potentiel candidat contre le président, de vent debout contre l’alliance stratégique avec le Maroc (voir le faire condamner et le rendre ainsi inéligible… Des poids p. 24), accusée de détruire le peu d’emplois existants dans les lourds de la scène politique, comme Idrissa Seck, qui ronge secteurs primaire et secondaire. son frein depuis les années Wade, ne se sont pas privés de Pourtant, le président Macky Sall ne manque pas d’atouts. condamner « l’instrumentalisation de la justice ». Ces débats Son image à l’extérieur auprès des partenaires politiques et récurrents sur des juges aux ordres (inaugurés entre autres des bailleurs de fonds reste solide. Et il profite sur le plan par les condamnations de Karim Wade et de ses proches) interne d’une opposition atomisée, en mal d’unité. Celui dont viennent accentuer un climat général crispé. La popularité on disait qu’il devait son élection par défaut en 2012 en raison du président et du gouvernement n’est pas particulièrement du rejet d’Abdoulaye Wade, celui dont on disait également au beau fixe. La société civile, les médias, dénoncent l’emqu’il était sans « vraiment d’idées », s’est révélé un homme poliprise de la famille présidentielle sur les affaires privées ou tique redoutable, bien décidé à défendre son fauteuil. Dans le celles de l’État et le recul « démocratique ». En particulier sur contexte d’un scrutin à deux tours, l’objectif reste d’éviter cerla promesse non tenue de réduction du mandat présidentiel tainement l’émergence d’une candidature forte d’opposition, en cours. Les élections législatives de juillet 2017 ont été parse rassemblant sur un « TSM », « tout sauf Macky ». ticulièrement laborieuses sur le plan de l’organisation et ont Procès probable et public de Khalifa Sall, montée des vu à la fois l’écrasante victoire du camp présidentiel et l’élecambitions, malaise économique, la route vers 2019 sera partion de Khalifa Sall à Dakar. Malgré les bonnes performances ticulièrement pentue et les premiers virages se feront sentir « macro », et dans l’attente d’un possible miracle pétrolier, dans les tout prochains mois. ■ les Sénégalais ont toujours autant de mal à joindre les deux
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À l’invitation de son homologue français Emmanuel Macron, le président Paul Biya a pris part au sommet international sur le climat, le 12 décembre, à Paris.
CAMEROUN ÉLECTIONS GÉNÉRALES i l’on regarde froidement l’actualité : c’est sur fond de crise anglophone qui se radicalise dans les régions du Nord et du Sud-Ouest, de guérilla terroriste menée par la secte Boko Haram qui perdure dans l’Extrême-Nord, et d’afflux de réfugiés centrafricains à gérer sur son front oriental, que le Cameroun abordera 2018. Sans oublier la présidentielle prévue pour octobre. Une année par ailleurs jonchée de scrutins à programmer, puisque c’est celle des élections générales : sénatoriales, municipales, législatives. Auxquelles pourraient se rajouter les premières régionales, qui devraient consacrer la mise en place des Conseils régionaux conformément à la Constitution de 1996. Un grand chantier donc, qui fait déjà beaucoup jaser dans les quartiers, de Kousséri à Ebolowa, et dans les colonnes de la virulente presse privée de Yaoundé. Les spéculations vont bon train. Tous ces
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scrutins pourront-ils avoir lieu ? Tous les candidats déclarés (ils sont une dizaine) iront-ils jusqu’au bout de la présidentielle qui doit se tenir en octobre ? Du côté du palais d’Etoudi, les informations, comme à l’accoutumée, ne filtrent guère. Seul un voile se lève peu à peu, celui qui entourait le mystère de la candidature du président sortant et candidat naturel du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), Paul Biya. Plus personne ne doute vraiment qu’il briguera un septième mandat. En marge des Cassandre, certains avancent qu’il le fera même avec la bénédiction des chancelleries étrangères, qui considèrent le « Sphynx » comme le verrou précieux d’une sous-région en proie aux déstabilisations les plus variées. Et comme premier garant de la sécurité de son pays, ainsi que des équilibres politiques internes. ■
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CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
par Emmanuelle Pontié
Lomé, place de l’Indépendance. Malgré les bons indicateurs économiques du pays, la population est lassée de la mainmise de la famille Gnassingbé.
TOGO 2018 OU… 2020 ? par Dounia Ben Mohamed
BAUDOUIN MOUANDA
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eudi 7 décembre 2017. La nouvelle manifestation de la coalition qui regroupe 14 mouvements de l’opposition a été annulée, pour des raisons religieuses. Le précédent rassemblement, le 2 décembre, avait tourné à l’affrontement entre les forces de l’ordre et les partisans du départ de Faure Gnassingbé, président de la République depuis février 2005. Et ayant lui-même succédé à son père, chef tout-puissant du pays pendant trente-huit ans… Si le prochain rendez-vous électoral n’est prévu qu’en 2020, une partie de la population ne souhaite pas s’en tenir au calendrier officiel, contestant dans la rue et depuis des mois cette présidence familiale, qui dure depuis plus d’un demi-siècle. Dans les coulisses de la Cédéao, les homologues de la sous-région seraient divisés sur la question du maintien de Faure Gnassingbé, alors même qu’il assure la présidence de l’institution régionale. Un paradoxe ? Il y en a d’autres pour ce petit pays d’Afrique de l’Ouest d’un peu plus de 7 millions d’âmes, qui affiche une croissance supérieure à 5 % depuis plus de cinq ans. Une dynamique économique portée par des réformes saluées par les institutions internationales en termes de développement des infrastructures économiques, l’assainissement des finances publiques et du climat des affaires, etc.
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Le Togo occupe la deuxième place parmi les meilleurs pays réformateurs selon l’indice 2017 sur la bonne gouvernance en Afrique de la très respectable fondation Mo Ibrahim, qui souligne des « bonds remarquables ». Et pourtant… les bonnes notes à l’extérieur tranchent avec l’impopularité du dirigeant togolais et du système qu’il incarne. Malgré les promesses de réformes politiques et d’apaisement. Un membre du patronat local résume : « Au Togo, c’est devenu une question de personne. Quels que soient les progrès enregistrés, ce que tout le monde admet aujourd’hui. C’est dommage. Il faudrait se concentrer sur le développement économique. Et qui dit que ces hommes politiques qui font des promesses aux jeunes pour les faire descendre dans la rue les tiendront une fois au pouvoir ? » 2018 sera donc une année cruciale pour le Togo. Soit la revendication politique et sociale s’apaise par le dialogue qui a été amorcé entre le gouvernement et la coalition de l’opposition. Soit elle prend de l’ampleur avec toute sorte de scénarios possibles. Seul point évident pour les partenaires du pays : le risque macroéconomique induit par une période de tensions durable. ■ 29
D’ici l’an 2100, l’Afrique comptera près de 4 milliards d’habitants.
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DÉMOGRAPHIE, CLIMAT : LE DÉBAT ESSENTIEL a population du continent devrait atteindre 1,3 milliard d’habitants à la fin de l’année prochaine. Un chiffre loin d’être stabilisé. Mortalité en baisse, fécondité qui reste forte, en tous les cas qui diminue nettement moins vite que partout ailleurs dans le monde : d’ici à 2050, la population de l’Afrique devrait doubler, atteignant ainsi 2,6 milliards de personnes, avant de s’établir à… 4 milliards vers 2100 ! Ces chiffres assez stupéfiants auront un effet direct sur les perspectives de développement du continent et sur la théorie de l’émergence. Si la croissance globale restera dynamique, elle ne sera probablement pas assez élevée pour absorber l’augmentation massive du nombre d’Africains et dégager des soldes nets positifs rapides. Le revenu par habitant aura donc tendance à décroître ou à stagner. Sans parler des impératifs que cette natalité fera poser sur les budgets nationaux en termes d’éducation, de santé. Et qu’il faudra d’une manière ou d’une autre fournir des emplois à ces centaines de millions de nouveaux jeunes. Les dix pays africains qui pourraient voir leur population quintupler dans le siècle font partie aussi des pays les moins développés au monde. Ce boom de population sera donc l’immense défi des années à venir, tant sur le plan social, que sur le plan de la stabilité des systèmes politiques.
Le débat, loin de tout « complotisme malthusien », doit donc émerger. L’idée n’est pas de dépeupler le continent, mais d’adapter l’accroissement de la population à celui des richesses pour que les Africains vivent mieux. En matière démographique, l’inertie est forte. Changer les comportements prend du temps. Et les résultats n’interviennent qu’à long terme. Aujourd’hui, la modification substantielle à la baisse du rythme d’accroissement de la population ne donnerait de véritables effets que vers la fin du siècle… Mais il faut s’y mettre. Ouvrir le débat sur la contraception généralisée, le planning familial, la limitation des pratiques polygames, l’éducation des filles et l’insertion des femmes dans le travail formel… Le débat démographique est d’autant plus crucial qu’il rejoint l’exigence écologique. Comme l’a re-souligné le One Planet Summit, qui s’est tenu à Paris le 12 décembre dernier, l’Afrique sera durement touchée par le réchauffement climatique. Les conditions naturelles risquent d’être bouleversées au cours des décennies à venir, impactant la création de richesses, la productivité des sols, la durabilité de l’habitat urbain ou rural. Le futur n’est pas écrit d’avance, l’Afrique a des capacités d’adaptation, mais il faudra prendre à bras-le-corps des questions qui heurtent souvent les traditions et les cultures. ■
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par Zyad Limam
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Depuis Gao, les forces françaises de la mission Barkhane sécurisent la région face aux assauts djihadistes.
MALI HUIT MOIS POUR CONVAINCRE par Olivier Dubois, à Bamako
l y a quatre ans, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) remportait l’élection présidentielle avec 77 % des suffrages – un score inédit dans le pays, porté par des promesses précises : la reconstitution de l’intégrité nationale, la neutralisation des djihadistes, la paix et le retour de l’autorité de l’État. Pour l’heure, son bilan est en demi-teinte. Depuis la crise de 2012, née de l’attaque organisée par les rebelles touaregs du nord du Mali alliés aux djihadistes, le gouvernement et les institutions ne sont pas parvenus à imposer leur autorité. L’État est toujours absent des vastes régions du Nord ainsi que dans le centre du pays devenu la base arrière des djihadistes. L’instabilité sécuritaire s’est généralisée. Des accords ont bien été signés avec les groupes armés, mais ils ne sont pas appliqués et le retard accusé par la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger, imputable aux parties qui ne se font pas confiance, semble compromettre les espoirs d’une paix durable. La force conjointe chargée de combattre le terrorisme dans les cinq pays du Sahel (G5-Sahel), emmenée par le Mali et chapeautée par la France, manque toujours de moyens et peine à rassembler les fonds pour boucler son financement. Pourtant, depuis son élection, IBK aura permis à l’armée de monter en puissance avec l’adoption d’une loi d’orientation et de programmation militaire, une première dans le pays, la création de deux nouvelles régions, la mise en place de deux mesures phares de l’accord de paix, les autorités intérimaires et le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) dans les cinq régions du Nord. Sur le plan économique, la croissance
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a dépassé 5 % en 2015, contre 2,1 % en 2013. La décision du président d’accorder au secteur agricole 15 % du budget national y est pour beaucoup. Mais les attentes des Maliens sont loin d’être comblées. Alors que la présidentielle devrait se tenir en juillet 2018, l’opposition, qui n’a cessé de fustiger un « pilotage à vue du pays », a connu une belle victoire en faisant reculer IBK sur le projet de nouvelle Constitution. Mais elle n’a pas su embrayer sur une stratégie viable et faire émerger un leader. Soumaïla Cissé, chef du principal parti d’opposition, peine à fédérer sur sa personne. Une faiblesse qui permet au chef de l’État de se poser en candidat incontournable. IBK s’attelle déjà à regagner du terrain à travers son programme d’urgence sociale lancé début 2017 et qui court jusqu’en 2020 : 450 milliards de francs CFA (680 millions d’euros) dédiés aux secteurs de l’eau, de l’éducation, de l’énergie, de la santé et dont l’objectif est l’amélioration « rapide » des conditions de vie des Maliens. Des populations qui, si elles sont bien « encadrées » par les leaders d’opinion, pourraient s’exprimer en sa faveur. Au sein de sa famille politique, on considère qu’un nouveau mandat permettrait à IBK de finir ce qu’il a commencé. Mais en coulisses, chez les partisans ou non, bruit la rumeur qu’il sera impossible d’organiser des élections à la date prévue. En défendant son bilan, en partant à la reconquête des déçus, en posant des actes concrets afin d’enclencher une dynamique pour la présidentielle, le président peut-il quand même l’emporter ? De leur côté, les Maliens veulent l’assurance que le prochain chef de l’État, quel qu’il soit, sortira le pays de l’ornière. ■ 31
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TUNISIE DES VOIES AUX MULTIPLES IMPASSES eportées par quatre fois depuis 2015, les élections municipales devraient se tenir, peut-être, le 25 mars 2018. Ou un peu plus tard… Quant aux régionales, elles ont été reportées aux calendes grecques. Deux scrutins pourtant essentiels pour clore le processus de transition politique entamé depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en janvier 2014. D’autant que la décentralisation est l’un des axes clés pour le développement inscrit dans la Loi fondamentale. Avec un volet participatif et de larges manœuvres de décision, elle devrait accentuer le désenclavement et l’autonomie des régions. Sur le papier, le projet est formidable. Dans les faits, il semble que les pouvoirs centraux renâclent à céder des prérogatives et ne plus être maîtres des décisions. Premiers responsables, les partis politiques. Faute de majorité parlementaire, la bipolarisation ébauchée en 2014 entre les islamistes d’Ennahdha et les « séculiers » Nidaa Tounes (respectivement 69 et 67 sièges sur 217 à l’Assemblée), tourne au compromis permanent. L’union nationale revendiquée par le président Béji Caïd Essebsi et le leader islamiste Rached Ghannouchi freine les réformes, y compris celle concernant les modes de scrutin. En face, personne, ou presque. L’opposition et les partis histo-
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Entre Béji Caïd Essebsi (à dr.) et Rached Ghannouchi, une alliance de circonstances.
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riques (Ettakatol, Al Joumhouri, Al Massar) ont été laminés par le scrutin des législatives de 2014, et les nouveaux partis qui se sont créés (Machrou3 Tounes, Al Badil, Beni Watani) sont trop récents pour faire le poids. Si tous sont focalisés sur les élections législatives et présidentielle de 2019, aucun n’est prêt, hormis Ennahdha. À cette laborieuse recomposition politique s’ajoute à la défiance grandissante des électeurs ; pour les municipales, l’abstention attendue serait de 70 %. Sept ans après la révolution de 2011, la Tunisie se cherche toujours un projet, une vision. Dix gouvernements, quinze lois de finances… Les chiffres soulignent les difficultés politiques et économiques. Avec l’incapacité à équilibrer les finances publiques et la spirale de l’endettement, tout pousse la Tunisie vers la tempête financière. Pour 2018, il lui faut ainsi trouver 13 milliards de dinars (environ 4,5 milliards d’euros) pour boucler le budget de l’État et régler près de 8 milliards de dinars au titre du service de la dette ; d’autant qu’en 2017, le Trésor n’a soldé que 5 des 7 milliards dus sur l’année. Depuis 2011, le pays a largement emprunté sur le marché international au point que sa dette extérieure atteint en 2017 les 43 milliards de dollars pour un endettement global de 63 milliards de dollars. Un montant qui a triplé depuis 2010… Dans ce contexte, il sera difficile de rééchelonner la dette et d’avoir recours à des levées de fonds sur le marché extérieur sans véritables réformes profondes, demandées avec insistance par les bailleurs de fonds. La situation du pays est rendue délicate par les notes négatives des agences de notation et par son apparition sur la liste des paradis fiscaux publiée par l’Union européenne en décembre 2017. Une situation d’autant plus préoccupante que la plus grande partie des prêts a servi à financer la consommation et l’explosion du poids de la masse salariale du secteur public. Résultat, la loi de finances 2018 prévoit une importante pression fiscale, mais ces recettes serviront à faire face aux dépenses courantes et à éponger la dette et ne seront que faiblement dédiées à l’investissement. L’État étant le premier donneur d’ordres du pays, cette configuration ne permettra pas à la Tunisie de renouer avec la croissance et d’envisager sa relance. Seule certitude, la dette impactera durement les générations futures. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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par Frida Dahmani, à Tunis
Pour se maintenir au pouvoir, Joseph Kabila a, jusque-là, joué la montre.
RD CONGO UN RÉGIME À BOUT DE SOUFFLE par George Ola-Davies u cours des deux dernières décennies, la République démocratique du Congo (RDC) a réussi, en revenant sur la plupart des engagements pris, à se jouer de la communauté internationale, laquelle n’a jamais fait preuve de la fermeté nécessaire pour que le pays respecte ses promesses. Dernière illustration en date : l’accord global et inclusif du 31 décembre 2016, qui aurait dû déboucher sur l’organisation d’élections présidentielle et législatives en cette fin d’année 2017. Non seulement elles n’ont pas eu lieu, mais rien ne dit que ces scrutins pourront se dérouler en 2018. Le climat politique est tout sauf au beau fixe. Les successions de gouvernements d’unité nationale n’ont profité qu’à certaines familles politiques, en particulier celles de la majorité présidentielle, accentuant encore les divisions internes et paralysant les tissus économiques et sociaux. Et la RDC n’a pas tiré la leçon des autres pays africains où de tels dénis de droits ont radicalement changé le paysage politique, comme très récemment au Zimbabwe. Quelles que soient les perspectives politiques, économiques, sociales et régionales pour la RDC, elles resteront hypothétiques – aussi prometteuses soient-elles – en l’absence de stabilité dans les régions de l’est du pays, en particulier dans les deux pro-
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vinces du Kivu. Sans parler des relations avec les pays voisins. Si Joseph Kabila n’y est pas parvenu depuis plus de quinze ans, on ne voit pas comment ses amis, ses « troupes », y parviendraient demain. Un changement de la garde est donc nécessaire. S’agira-t-il de Moïse Katumbi qui, comme Kabila, est originaire de la province du Katanga ? Sera-t-il autorisé à revenir d’exil et participer à temps au renouvellement démocratique ? Sera-t-il incarné par le plus jeune et exubérant Vitale Kamerhe, le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC) ? Soutenu par les Kivus, dont il est originaire, acceptera-t-il de s’allier à ceux de la province de l’équateur – et principalement le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba (incarcéré à La Haye) ? Pourra-t-il collaborer avec les tshisekédistes de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ? Au-delà de ces hypothèses, une chose est certaine : l’intransigeance du régime Kabila pourrait difficilement perdurer au-delà de 2018. Les Congolais, qui ont eu leur lot, ont maintenant besoin d’un renouvellement profond. Pas d’un simple remplaçant. Ou d’un clone. Et une telle longévité, en violation de la Constitution, ne bénéficiera certainement pas du soutien de l’administration américaine. Pour ce régime, la fin semble proche. Avec des conséquences imprévisibles. ■ 33
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CÔTE D’IVOIRE DU PROGRÈS POUR TOUS par Zyad Limam
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LOUIS VINCENT
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’année 2017 avait commencé sous des auspices particulièrement rudes : mutineries et crise de l’institution militaire, contestation sociale, chute des cours du cacao. Pour le nouveau Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, ce fut un véritable baptême du feu… Une année difficile qui se sera pourtant conclue par un symbole fort : la tenue à Abidjan du grand sommet UA-UE avec plus de 80 délégations. Malgré la défaillance du secteur cacao, la Côte d’Ivoire a, par ailleurs, maintenu son rythme de croissance, soutenue par ses partenaires et bailleurs de fonds. Six ans après l’arrivée d’Alassane Dramane Ouattara au palais du Plateau, la Côte d’Ivoire reste « en marche ». Pour le président et son équipe, Alassane Ouattara, hôte du dernier Sommet UA-UE, avec son homologue nigérian, 2018 s’annonce donc comme une le président Muhammadu Buhari, lors du dîner des chefs d’État. année de consolidation et d’action les commentaires, les énergies, les appétits. La succession gouvernementale. Il y a un mandat à accomplir, un prosupposée d’ADO génère des ambitions, y compris au sein gramme à tenir, il faut accentuer les réformes, maintenir le de son propre camp. L’alliance RDR/PDCI s’annonce comcap, chercher les investissements, les investisseurs, les proplexe à maintenir. Tout le monde peut y aller, chacun peut jets… L’émergence, l’entreprise, l’initiative, la formation des prétendre à être élu ! Le président aussi, même si lui-même jeunes, la croissance restent au centre du projet. Mais, du côté semble en avoir exclu l’hypothèse. Soucieux de réussir, de du Palais présidentiel, comme à la Primature, on est tout à contrôler l’agenda, se laissant certainement encore plusieurs fait conscient que les chiffres macro doivent se traduire par mois avant de fixer son propre cap, ADO, en tous les cas, est une amélioration sensible des conditions de vie des Ivoiriens, bien décidé à présider, à gouverner. Et à imprimer sa marque s’accompagner d’une meilleure redistribution des richesses sur l’après, sur la suite. et des revenus. Conscients de l’enjeu : le progrès doit aussi Il faudra donc faire de la politique, maintenir les alliances, sortir d’Abidjan, toucher les périphéries, les autres villes et les équilibres entre les uns et les autres, préparer en amont la les campagnes, la Côte d’Ivoire de l’intérieur. Cette exigence montée vers les élections, en espérant que tous les ambitieux de développement économique mieux équilibré recoupe les joueront le jeu des (jeunes) institutions de la République. réalités politiques. L’élection présidentielle est prévue pour 2018, année décisive ! ■ 2020, dans trois ans. Évidemment, le scrutin mobilise déjà
Avant la finale, le 15 juillet prochain, le stade Loujniki (Moscou) accueillera notamment un excitant Maroc-Portugal.
COUPE DU MONDE JUSQU’AU BOUT DU RÊVE par Hedi Dahmani assionnant, passionnel, parfois irrationnel… Le football a ceci de réconfortant qu’il arrive encore à incarner la survivance d’un panafricanisme Nord-Sud réel : le temps d’une Coupe du monde, des Algériens peuvent supporter l’équipe du Nigeria, et des Congolais celle du Maroc. Au fur et à mesure qu’avance la compétition, c’est tout un continent qui chante, hurle, s’enflamme, se choisit un champion en espérant secrètement qu’au moins une sélection parviendra à transformer l’aventure en réalité. Nous avons tous vibré à la première victoire africaine (Tunisie, 1978), hurlé notre joie de voir Madjer et Belloumi se jouer de l’Allemagne (1982) et le Maroc de 1986 finir premier de son groupe devant l’Angleterre et le Portugal. Nous avons été camerounais en 1990 en battant l’Argentine de Maradona, puis en échouant d’un rien, à peine, aux portes des demi-finales. Nous avons tous été nigérians en 1990, sénégalais en 2002. Nous avons pleuré de rage de voir le Ghana de 2010 rater, face à l’Uruguay, à la dernière seconde de la prolongation, son penalty : le malheureux Asamoah Gyan avait envoyé le ballon sur la transversale.
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Chaque édition comporte ainsi son lot de souvenirs, à partager au bistro du coin ou sous l’arbre à palabres, à refaire les matchs à coups de « et si l’arbitre avait sifflé hors-jeu » et autres « si seulement Untel n’avait pas pris un carton rouge ». Alors, pour la Coupe du monde en Russie, en dépit des pronostics qui prophétisent un parcours difficile pour l’Égypte, le Sénégal et le Nigeria, et une mission impossible pour le Maroc et la Tunisie*, rêvons un peu. Rêvons d’exploits pendant les six mois qui viennent. Rêvons qu’au moins deux équipes sortent des groupes qualificatifs et qu’elles aillent le plus loin possible. Et qu’en cas d’échec, elles perdent au moins avec panache. Car c’est dans les défaites épiques que se construisent aussi les légendes. Une fois la compétition achevée, le 15 juillet 2018 au soir, au stade Loujniki de Moscou, il sera toujours temps de redevenir bien chauvins : deux mois plus tard, les qualifications pour la CAN 2019 reprennent. ■ * Dans leur groupe, les Marocains affronteront le Portugal, l’Espagne et l’Iran. Les Tunisiens, eux, rencontreront l’Angleterre, la Belgique et le Panama.
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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Loraine Adam
Rachid Taha À 60 ans, sous des airs de dandy décadent au cœur couturé, il garde l’amour du son et du rythme. Natif de l’Oranais, le berceau du raï, il entre dans la lumière avec la fondation, en 1981, du groupe Carte de Séjour, emblématique de l’émergence des Beurs. Ses reprises de « Douce France » (1986) et de la grande chanson de l’exil « Ya Rayah » (1997) font de lui le chanteur du déracinement. Maître du blues chaâbi, en le métissant souvent de pop rock, il a signé depuis une dizaine d’albums solo. Et tourne en concert, des plus petites aux plus grandes salles. 36
› Jusqu’à à 12 ans, j’ai vécu en Algérie. Grandir est une souffrance chez les Arabes. Enfants, on vivait dehors, j’étais un voleur de poules – d’œufs plutôt : c’était pour aller au cinéma. Toute ma culture musicale me vient du Bollywood et d’Elvis Presley. C’est mon oncle, le frère de ma mère, qui m’a fait découvrir tout ça, lui qui m’emmenait au cinéma et au foot. Mon père n’a jamais fait ça pour moi. En Afrique du Nord, le père n’est pas présent dans l’éducation des enfants. On vit à côté de nos parents. Le père est absent, il ne fait rien. Il est juste là pour vous mettre un coup de ceinturon sur les fesses si on ramène de mauvaises notes. Ensuite, on est venus en France pour notre éducation et pour manger de la viande trois fois par semaine… J’ai grandi et vite mûri. › Jamais je n’avais imaginé que je ferai de la musique. Tout a commencé par hasard, à cause d’une grève des bus à Lyon. Je suis tombé sur les deux frères Amini avec qui je travaillais à l’usine, ils cherchaient un batteur. C’est comme ça que je me suis lancé et que notre groupe Carte de Séjour est né. La douleur de l’exil était source de créativité, si j’étais resté là-bas, rien ne dit que j’aurais fait de la musique. En 1989, j’étais à Berlin le jour de la chute du Mur, qui a aussi marqué la fin de notre groupe, c’était notre dernier concert. Ce jour-là, un mur est tombé mais d’autres ont poussé. Aujourd’hui, je chante pour ne pas devenir fou. Ou pour aller jusqu’au bout. › J’aime les mots qui m’ont aidé à trouver mon chemin. Ils sont le regard des autres. J’aime aussi faire des collages où j’ajoute de la peinture. Je m’y suis mis suite à une grosse dépression amoureuse. À l’époque, j’hébergeais un ami peintre croate qui m’a encouragé et ça m’a sauvé. Une vraie thérapie. Je devrais bientôt faire un livre avec tous mes tableaux, sauf que ce livre, je l’ai perdu ! Il faut que je le retrouve sinon je vais devoir tout recommencer. › Je n’ai pas encore eu le temps de me consacrer à mes envies de cinéma. J’ai un projet de film qui va s’appeler Kebab Lula, une histoire sur Elvis. L’an dernier, j’ai perdu mon manager, Francis Kertekian, que j’aimais beaucoup, c’était aussi l’ancien manager de Fela. Francis m’avait encouragé à faire ce film et je lui ai promis… enfin, si j’arrive à vivre jusque-là car en ce moment, c’est une véritable hécatombe autour de moi. J’ai encore perdu un ami proche, mort à 53 ans. › Je rentre du Mali où j’ai attrapé une crève d’enfer car j’avais mal réglé la climatisation à l’hôtel. Je me suis réveillé en grelottant, croyant que j’avais attrapé le palu ! On était en résidence à Bamako pour enregistrer un concert avec Aly Keita & The Magic Balafon, ça va bientôt sortir en disque. J’espère que je retrouverai bientôt ma voix pour chanter le chaâbi de Dahmane El Harrachi à l’IMA, le 2 décembre… Un grand maître dont j’ai repris « Ya Rayah » en 1997. › La dernière chanson que j’ai écrite s’appelle « Je suis africain ». Elle sera sur mon prochain album. Comme je dis souvent : « Je ne changerai pas de route à cause de mon nom, je ne changerai pas de nom à cause de ma route. » Pas mal, non ? ■ AFRIQUE MAGAZINE
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« Aujourd’hui, je chante pour ne pas devenir fou. Ou pour aller jusqu’au bout. » AFRIQUE MAGAZINE
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CAPTURE D’ÉCRAN CNN
Les scènes de commerce d’êtres humains rapportées par CNN le 15 novembre dernier ont été filmées au mois d’août, non loin de Tripoli.
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REPORTAGE
LIBYE TERMINUS EN ENFER
Des hommes et des femmes mis aux enchères et le retour de pratiques esclavagistes ont stupéfié le monde. Des « transactions » ignobles qui dévoilent la réalité d’un pays livré au chaos et à la violence. par Maryline Dumas, à Tripoli
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es images sont sombres, mais la voix est distincte : « 500, 550, 600, 650… » Un homme, mis aux enchères, est finalement vendu 1 200 dinars libyens (environ 740 euros au taux officiel, ou 110 au marché noir, bien plus utilisé). Ce reportage vidéo de la chaîne américaine CNN a fait l’effet d’un coup de tonnerre en novembre dernier. Si ces ventes d’êtres humains étaient jusque-là restées discrètes, l’esclavagisme en Libye est loin d’être nouveau et prend différentes formes. Et la responsabilité, quant à elle, est internationale. Pour le site Infomigrants, le journaliste Léonard Vincent rappelle : « Ceux qui ont un peu de mémoire se souviennent par exemple des centaines de migrants africains enfermés dans les prisons de Kadhafi et qui rachetaient leur liberté en travaillant pour leurs gardiens. » De son vivant, l’ancien Guide utilisait les clandestins pour faire pression sur l’Europe quand bon lui semblait. Une méthode qui pourrait encore fonctionner tant les Occidentaux redoutent les afflux de populations. À l’heure où les électeurs européens élisent des gouvernements qui défendent une ligne dure face aux potentielles arrivées. Les dirigeants l’ont bien compris. Emmanuel Macron, le président français, a ainsi prévenu fin novembre : « On ne peut pas prendre toute la misère du monde. » Entre 800 000 et un million de personnes se trouveraient actuellement en situation irrégulière en Libye. Traditionnellement, ils sont employés pour les travaux difficiles : maçonnerie, ramassage des ordures, travaux routiers… Bref, tout ce que les Libyens ne veulent pas faire. Et affaiblies par leur statut de clandestin, ces personnes sont régulièrement victimes d’abus. En 2013, John, un Nigérien, déconseillait déjà à ses proches de le rejoindre à Tripoli : « Ici, on nous traite comme des esclaves. Parfois, sur les chantiers, ils nous battent. D’autres, en fin de journée, refusent de nous payer. » Peter, un Ghanéen, qui écoutait la conversation, avait tenu à ajouter : « Parfois, les policiers viennent nous arrêter ici et nous obligent à travailler pour eux, gratuitement, avant de nous relâcher. » John affirmait ne pas vouloir rejoindre l’Europe. Malgré les mauvais traitements, il gagnait assez sa vie pour renvoyer de l’argent au pays et repartir de temps à autre voir sa famille, comme de nombreux Nigériens en Libye. Mais la faillite de l’État libyen, qui s’est divisé en différentes autorités politiques et militaires à partir de l’été 2014 (marqué par de lourds combats), a aggravé la situation. L’insécurité a poussé les migrants à tenter la traversée vers l’Europe. Depuis 2015, près de 450 000 migrants sont ainsi entrés en Italie, la plupart partis de Libye. Parallè-
lement, en Libye, l’impunité et l’absence d’application des lois ont encouragé les personnes assoiffées par le profit. En 2015, le directeur d’un centre de rétention officiel près de Tripoli expliquait à Afrique Magazine une méthode pour « éviter la surpopulation » dans son établissement, un bâtiment aux hauts murs blancs surmontés de barbelés et perdu en pleine campagne aride : « Des patrons, des entreprises viennent chercher des employés qui ont été arrêtés. On les libère après la signature d’un papier. » Au passage, les gardes touchent parfois une commission. Les conditions de travail des clandestins ne sont pas vérifiées dans ce pays où les institutions étatiques sont à l’agonie. Le directeur du centre n’avait de toute façon pas le choix : il avait du mal à nourrir l’ensemble des détenus, la société chargée d’apporter les repas n’ayant pas été payée depuis deux ans par l’État. Pour améliorer les conditions d’accueil, il avait lancé des travaux d’agrandissement de sa prison. Travaux effectués par les migrants. Depuis plusieurs mois, le Gouvernement d’Union nationale, autorité née des accords de
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Les Subsahariens en situation irrégulière attendent d’être fixés sur leur sort dans des conditions sordides, comme ici dans le centre de rétention « flambant neuf » de Tajoura, à Tripoli.
Skhirat (Maroc) menés sous l’égide de l’ONU, fait quelques efforts. Certains centres de rétention, comme celui de Sorman (à 67 km à l’ouest de la capitale) qui prenait la forme de préfabriqués dans lesquels étaient confinés des dizaines de femmes et d’enfants, ont été fermés. Il était connu pour être un lieu où les viols étaient quotidiens. D’autres, comme le centre de transit de Tariq Al-Seka, en plein centre de Tripoli, ont pu installer des climatiseurs dans les grands hangars où traînent, au sol, des centaines de petits matelas. Censés être sous l’égide du département pour la lutte contre la migration illégale, dépendant du ministère de l’Intérieur de Tripoli, une trentaine de centres de rétention existe officiellement en Libye. Le chiffre est approximatif, car fermetures, réouvertures et déménagements sont réguliers. Certains étant tenus par des milices, il est parfois difficile de distinguer les camps officiels des illégaux. En septembre dernier, nous avons, par exemple, reçu l’autorisation du gouvernement de visiter un centre flambant neuf à Tajoura. Les gardiens, très fiers de montrer la salle de sport en AFRIQUE MAGAZINE
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L’argent coule à flots : racket des migrants, travail gratuit, vente à des passeurs pour charger les bateaux… construction et le terrain de football où les détenus peuvent se rendre par petit groupe, ont refusé de préciser leur affiliation. Selon eux, le lieu a été financé par des « businessmen » sans aucune participation du gouvernement. Les groupes armés ont bien compris l’intérêt de ce genre d’établissement. L’argent peut couler à flots et par différents moyens : faire payer leur libération aux migrants, vol de leurs affaires, travail gratuit, ou alors vente à des trafiquants pour remplir les bateaux, à des gangs qui extorqueront les familles ou à des « employeurs ». Selon un responsable du département 41
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Des migrants naufragés le 25 juillet dernier, à environ 20 km au large de Sabratha ; 120 seront secourus, mais 13 autres, dont des femmes et des enfants, sont portés disparus.
de lutte contre la migration illégale, certaines milices se positionneraient même dans le « business » en espérant recevoir un soutien sonnant et trébuchant de l’Union européenne. Cet été, l’Italie a été accusée d’avoir offert de l’argent à des groupes de trafiquants dans la région de Sabratha (à 80 km à l’ouest de Tripoli), devenu le plus gros point de départ de migrants. Objectif : que ces criminels stoppent leurs activités et empêchent leurs concurrents de continuer. Un des passeurs a d’ailleurs confirmé publiquement avoir reçu de l’argent. L’information, que l’Italie dément, a fait naître de nouvelles ambitions partout en Libye. À Sabratha, ces rumeurs ont créé de vives tensions qui se sont conclues par des combats qui ont repoussé les trafiquants hors de la ville début octobre. Mamadou Kourbaï, lui, a été exploité par son passeur. Nous l’avons rencontré à Medenine, dans le Sud tunisien, en mai dernier. Le Malien venait de quitter la Libye et attendait son rapatriement, après avoir perdu sa femme et ses trois enfants en mer : « Nous sommes partis de Sabratha [entre Tripoli et la frontière tunisienne, NDLR] juste avant Noël. Notre passeur libyen, Oussama, payait une taxe à d’autres Libyens. Une fois en mer, ceux-ci se sont rendu compte qu’Oussama n’avait pas payé pour 45 Bengalis. Alors, ils ont mis un coup de couteau dans le zodiac et nous avons coulé. » Pour payer ce voyage, Mamadou Kourbaï dit avoir travaillé gratuitement pendant deux mois en tant que maçon. Une période difficile où les exactions étaient quotidiennes : « Les Libyens, quand ils considèrent que tu n’as pas bien travaillé, ils te tirent dessus ! » Concernant les « ventes » d’êtres humains, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a publié, en avril dernier, un rapport intitulé « L’OIM
découvre des “marchés aux esclaves qui mettent en péril la vie des migrants en Afrique du Nord” ». L’organisme lié aux Nations unies évoque notamment le témoignage d’un Sénégalais, « SC », qui aurait été « acheté » et amené dans une maison où une centaine de personnes étaient retenues : « Il a raconté que les ravisseurs avaient forcé les migrants à appeler leurs familles au pays et qu’ils subissaient des coups pendant qu’ils parlaient pour que leurs proches entendent qu’ils se faisaient torturer. Pour être libérés de cette première maison, SC devait payer 300 000 francs CFA (457 euros) qu’il n’a pas pu récolter. Il a ensuite été “acheté” par un autre Libyen, qui l’a amené dans une maison plus grande, où un nouveau prix a été fixé pour sa libération : 600 000 francs CFA (914 euros), à payer par Western Union ou Money Gram à une personne du nom d’Alhadji Balde, apparemment au Ghana. »
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RÉACTIONS DANS LE MONDE ENTIER Utilisant des caméras cachées, CNN a pu assister à la « transaction » d’une douzaine de personnes en moins de dix minutes. « Est-ce que quelqu’un a besoin d’un pelleteur ? C’est un grand homme fort, il va bien creuser », entend-on le vendeur faire l’article. Ces enchères ont lieu, selon la chaîne américaine, dans une dizaine de villes, situées dans l’Ouest libyen pour la plupart, d’où a lieu la grande majorité des départs vers l’Europe pour des raisons géographiques et climatiques. Ces images ont provoqué des réactions dans le monde entier : rassemblements devant les ambassades libyennes en Europe et en Afrique, messages de stars tels que le footballeur Paul Pogba ou le chanteur Alpha Blondy. Le secrétaire général de l’ONU, I
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Antonio Guterres, s’est déclaré « horrifié ». Le Niger, dont un certain nombre de citoyens se trouvent justement en Libye, a convoqué l’ambassadeur libyen. Le Rwanda a proposé, par l’intermédiaire de sa ministre des Affaires étrangères, d’accueillir 30 000 migrants prisonniers en Libye. Le problème a été évoqué au sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne des 29 et 30 novembre. De son côté, le Gouvernement d’Union nationale, censé contrôler une grande partie de l’Ouest libyen, a annoncé l’ouverture d’une enquête. Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, a exigé que celle-ci soit rapide, sous peine d’« engager une procédure internationale de sanction ». Une déclaration qui a agacé de nombreux Libyens, qui ne se sont pas privés de rappeler à la France son passé de colonisateur. Ils n’ont pour autant pas mis de côté le problème, utilisant le hashtag #Libyansagainstslavery (Libyens contre l’esclavage) et publiant sur les réseaux sociaux des photos d’eux avec des Subsahariens. Jalel Harchaoui, chercheur spécialisé sur la Libye à l’université Paris 8, a très bien résumé, pour RFI, ce que ressent la population : « On s’en prend à Tripoli qui est, peut-être, le gouvernement le plus faible des trois qui existent aujourd’hui en Libye. Il y a un côté paradoxal : si ce gouvernement-là pouvait garantir de bonnes conditions pour les migrants, il pourrait faire la même chose pour les citoyens libyens, et on sait tous que ce n’est pas le cas. » Car le problème dépasse le territoire et les citoyens libyens : il est international. Parmi les trafiquants, on trouve, par exemple, des Subsahariens qui, en l’échange d’un pourcentage, vont servir de lien avec leurs compatriotes. AFRIQUE MAGAZINE
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Depuis 2014, plus de 15 000 personnes seraient mortes ou disparues en mer. En avril 2016, nous avions rencontré Othman, un Gambien de 24 ans qui venait tout juste d’être arrêté par les forces de Tripoli. Arrivé légalement en Libye en juillet 2015 pour enseigner le Coran dans une mosquée côtoyée par de nombreux clandestins, il a rapidement été contacté : « Un Gambien m’a approché. Il m’a raconté qu’il travaillait comme adjoint d’un passeur, mais que celui-ci venait d’être arrêté. Il avait pensé à moi pour reprendre le réseau car j’étais gambien, mais surtout parce que, parfois, je remplaçais l’imam, donc j’inspirais confiance. » Othman se voit remettre des puces de téléphones avec les numéros des différents passeurs de la filière, ceux basés en amont, dans les pays de départs, à la frontière sud, dans les villes étapes (Sebha, Koufrah, Ajdabiya, etc.) et les numéros des vendeurs de bateaux, moteurs, GPS. Sa mission ? Fournir le bateau, rassembler un maximum de migrants et déterminer le meilleur moment pour le départ. L’affaire tourne court. Le jeune homme est arrêté alors qu’il prépare le départ de son deuxième bateau. Dans les pires cas – lorsque les migrants sont pris en otage –, 43
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c’est souvent un compatriote qui s’occupe de joindre la famille pour exiger une rançon. C’est également une personne du même pays qui récupère l’argent. Dans la médina de Tripoli, on trouve des petites échoppes tenues par des Subsahariens. Ici, les transferts financiers se font « à l’ancienne » et sans contrôle : le commerçant donne le liquide après avoir reçu le coup de fil d’un collègue au pays qui lui confirme qu’il a touché l’argent. « C’est une question de solidarité, on ne peut pas laisser un frère dans une telle situation, se défend un homme qui tient une boutique d’épices. Parfois, on se cotise même tous pour aider quelqu’un. » Au sein des réseaux de trafiquants, l’« officier de liaison » subsaharien peut jouer parfois le rôle du bourreau. Ainsi, un membre d’une l’ONG portant secours aux migrants dit avoir entendu des témoignages de personnes qui avaient été torturées par un compatriote : « C’est peut-être même les pires. Car eux-mêmes ont vécu des traumatismes et ils n’ont plus peur de rien. Les gros trafiquants, eux, sont contents de “déléguer”. » Les faits sont donc connus, mais quelles mesures ont été prises ? La plupart des représentations diplomatiques ont quitté la Libye en 2014, alors que les combats faisaient rage à Tripoli entre les brigades islamo-conservatrices de Fajr Libya (« Aube libyenne ») et les milices de Zintan, qui soutiennent le maréchal Haftar, bras armé du gouvernement de l’Est libyen. Le département pour la lutte contre la migration illégale ne cesse de le répéter : les ambassades africaines traînent des pieds et ne coopèrent pas pour aider au rapatriement de leurs compatriotes. Seul le Niger effectue des visites régulières dans les centres de rétention, comme nous avons pu le constater à dif-
au pays avait dû patienter plus de quatre mois pour obtenir les autorisations de Rabat. Dans ce même lieu, Mamani, orpheline ivoirienne de 5 ans, attendait depuis plus de cinq mois que son ambassade la prenne en charge. D’autres n’ont pas la possibilité d’un retour. « J’ai quitté le pays à cause de problèmes avec ma famille liée à mon orientation sexuelle, explique avec pudeur Nir [le prénom a été modifié]. Il n’est pas question que je rentre dans mon pays qui est en guerre. » Le Sud-Soudanais baisse la voix en évoquant sa situation : affirmer son homosexualité, en Libye, c’est prendre un risque. Il attend dans le camp de Tariq Al-Seka, espérant obtenir un asile. En Libye, le statut de réfugié n’est pas reconnu. Aucune différence n’est faite entre un migrant économique et un demandeur d’asile.
férentes reprises. L’OIM a très largement accéléré les retours volontaires, passant de 2 775 en 2016 à plus de 11 000 entre janvier et novembre 2017. Mais, pour cela, les pays d’origine doivent fournir les papiers d’identité, souvent jetés, détruits ou volés. En septembre, des Marocains souhaitant être rapatriés au plus vite ont entamé une grève de la faim dans le centre de transit de Tariq Al-Seka, à Tripoli. Le dernier groupe renvoyé
CORRIDOR HUMANITAIRE C’est alors aux organisations internationales de prendre ces réfugiés en charge. Mais, à part les enregistrements dans les centres de rétention, peu a été fait jusque-là. Alors que la crise migratoire a causé la mort ou la disparition de plus de 15 000 personnes en Méditerranée depuis 2014, ce n’est que le 13 novembre 2017 que l’ONU a exfiltré, pour la première fois, des réfugiés originaires d’Éthiopie, d’Érythrée et du Soudan vers le Niger. Ils étaient au nombre de 25. Une goutte d’eau, alors que l’OIM estime le nombre de détenus officiels à 20 000. Ces 25 réfugiés pourraient être accueillis un jour en France. Paris a annoncé en octobre l’ouverture d’un corridor humanitaire avec l’Afrique qui devrait bénéficier à 3 000 migrants avant fin 2019. L’Union européenne a surtout choisi de mettre l’accent sur la sécurité en Méditerranée. L’Italie a accompagné la Libye dans la mise en place d’un code de conduite dans la région et une zone de recherche et de sauvetage qui a poussé, cet été, des ONG à cesser leurs patrouilles en mer. Celles-ci étaient accusées par les Italiens et les Libyens de servir de « taxi » ou de faire un effet d’appel d’air en récupérant les migrants dès leur sortie des eaux libyennes. L’Union européenne forme et finance les garde-côtes libyens qui ont ainsi intercepté près de 20 000 clandestins entre janvier et novembre 2017. Des personnes aussitôt envoyées dans des centres de rétention libyens. Mi-novembre, le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeïd Ra’ad Al-Hussein s’est élevé contre cette méthode d’interception qu’il juge « inhumaine », affirmant que des employés des Nations unies ont vu des « milliers d’hommes, de femmes et d’enfants traumatisés, au visage émacié, entassés les uns sur les autres, enfermés dans des hangars sans accès à des fournitures de base et privés de toute dignité humaine. » ■
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Au sein des réseaux de trafiquants, l’« officier de liaison » subsaharien joue parfois le rôle du bourreau.
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Esclavage : aux origines du mal La pratique de la traite humaine existe depuis la nuit des temps. Une activité longtemps « légale » dont l’abolition généralisée n’empêche pas la persistance aujourd’hui. ’esclavage est l’état ou Scène de 12 Years a Slave, condition d’un individu sur Oscar du meilleur film 2014. lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux » : cette définition juridique est celle qu’avait choisie la Société des nations en 1926. L’ONU renvoie à celle-ci pour sa convention relative à l’abolition de l’esclavage de 1956, avec l’ajout de pratiques « analogues » telles le mariage forcé, le servage ou la servitude pour dettes. L’Organisation internationale du travail (OIT) a estimé en 2016 à 40,3 millions le nombre des victimes d’esclavage moderne. C’est 89 millions de personnes qui auraient sont alors surtout issus des régions subi ce crime entre 2011 saoudite. Pourquoi est-ce non christianisées. Au XVIe siècle, et 2016 selon l’ONG si dur de l’éradiquer ? Le Code noir (1685) édicté australienne Free Walk, Probablement du fait de après que les Européens ont découvert par Louis XIV réglementait qui précise qu’il « a lieu son ancienneté. Certains l’Amérique, naît le « commerce la « discipline et le dans toutes les régions du commerce des esclaves ». scientifiques estiment que triangulaire », qui durera plus de trois monde. Il est plus répandu en l’esclavage existe depuis le siècles. Si ses routes peuvent varier, il Afrique (7,6 pour 1 000 personnes), Néolithique. L’anthropologue français s’oriente plus vers l’Atlantique. Venus suivi de l’Asie et du Pacifique (6,1 Alain Testart affirmait que des esclaves d’Europe, les bateaux échangent pour 1 000), puis de l’Europe et de étaient tués pour accompagner leur marchandises contre esclaves, qui sont l’Asie centrale (3,9 pour 1 000). Des « maître » dans la tombe, comme cela revendus en Amérique contre du café, résultats qui doivent être interprétés existera du temps des pharaons. Leur du cacao ou de l’or. L’île de Gorée, au avec prudence en raison du manque histoire est liée à celles du commerce large de Dakar, symbolise cette traite de données disponibles dans certaines et des guerres : durant l’Antiquité, négrière au point d’être classée par régions, notamment les États arabes différents types d’esclaves existaient l’Unesco comme « île mémoire ». et les Amériques ». Un crime mondial à Rome : les prisonniers de guerre, les Entre 15 et 20 millions d’Africains et particulièrement lucratif : selon condamnés, les enfants abandonnés ou en auraient été victimes, selon l’ONU. l’OIT, le travail forcé générerait chaque nés d’esclaves. La traite et ses réseaux La question des réparations revient année plus de 126 milliards d’euros. ont évolué en fonction de la demande régulièrement, en vain. Aimé Césaire, Malgré les textes internationaux et des centres névralgiques. D’abord lui, avait tranché : « Je pense que ce ou nationaux des XIXe et XXe siècles, concentrés vers la Grèce, Carthage puis serait leur faire la part belle [aux l’Empire romain, ils se sont, au Moyen Occidentaux, NDLR] : il y aurait une l’esclavage a la vie dure. Même dans Âge, tournés vers l’Afrique du Nord et note à payer et ensuite ce serait fini… les pays qui l’ont aboli, il peut persister, l’Europe méditerranéenne. Les esclaves Non, ça ne sera jamais réglé. » ■ M.D. comme en Mauritanie ou en Arabie
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INTERVIEW
Jamel Debbouze « Les préjugés ont la vie dure » L’heure de vérité… Vingt ans après ses débuts, l’humoriste aborde un tournant. Et se confronte à la politique, la paternité ou encore la vie de couple dans Maintenant ou Jamel, son nouveau one man show. Entretien. par Fouzia Marouf AFRIQUE MAGAZINE
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INTERVIEW JAMEL DEBBOUZE : « LES PRÉJUGÉS ONT LA VIE DURE »
l débarque sourire en bannière, chapeau vissé sur la tête. La poignée de main est franche, le regard pétille. Son blouson rouge rappelle les gants d’un boxeur. Très entouré, comme à son habitude, Jamel Debbouze est avec sa team, deux fidèles assistants qui l’accompagnent au quotidien. Sollicité dès son arrivée par une interview radio, il s’installe au micro du studio reconstitué dans ce palace proche des Champs-Élysées. En attendant, on tend l’oreille… L’entretien avec nos confrères ne passe pas en revue les thèmes – actualité socio-politique française, vie de couple, de père, politique internationale… – qui ont inspiré l’humoriste pour son nouveau one man show : Maintenant ou Jamel. La discussion porte sur le football. Jamel, grand fan de ballon rond, avoue « son espoir de revoir Karim Benzema (l’attaquant du Real Madrid est écarté de l’équipe de France depuis octobre 2015, NDLR)… Je sais que je n’ai aucune légitimité mais je suis allé voir le président de la Fédération à genoux, il y a trop de mômes qui aiment Karim », confie-t-il. Connu pour son engagement à gauche, on apprend aussi qu’il a été approché pour une fonction politique. Jamel s’en amuse, feint de ne pas vraiment connaître le nom du poste. « Secrétaire d’État ? ». « Je ne serais pas à ma place, c’est trop rigide. J’aime la scène… » assène-t-il. Il est vrai que l’humoriste et producteur multiple les casquettes en enchaînant les
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projets entre la France et le Maroc, ses deux pays, depuis plusieurs années. Né à Paris en 1975, ses parents retournent au royaume chérifien avant de revenir à Paris, dans le XVIIIe arrondissement, puis de s’installer à Trappes (Yvelines), dont sont aussi originaires ses amis Omar Sy et Nicolas Anelka, l’ancien footballeur international. Au fil de sa carrière, cet autodidacte, passé par la case Canal+, est devenu un touche-à-tout. Débuts à la radio, série comique (H), blockbuster à succès (Astérix et Obélix)… Un parcours qui, parallèlement, le porte aussi vers des registres plus engagés comme dans les films Indigènes ou La Marche. Et qui lui vaut de présider la cérémonie des César en 2013. Comique dans l’âme, il devient aussi entrepreneur en créant le théâtre du Comedy Club qui lui permet de faire découvrir de nouveaux talents. Et, depuis sept ans, il est parvenu à imposer le festival Marrakech du Rire comme un rendez-vous incontournable de l’humour. Son prochain défi ? Dénicher des artistes sur le continent africain et les faire connaître auprès du grand public. Pour l’heure, Jamel Debbouze fait halte à Paris (à La Cigale jusqu’au 31 décembre) avec Maintenant ou Jamel avant d’entamer une tournée dans toute la France jusqu’en avril 2018. Direct, exubérant, le trublion toujours inscrit dans l’action revient sur les questions qui l’interpellent en tant qu’artiste, citoyen, père. Et qu’il interprète dans son univers inimitable. ■
« Passer six ans sans être sur scène, c’est beaucoup trop long. J’ai encore le trac… » scène. Est-ce une étape supplémentaire qui marque votre besoin de renouer avec le public, qui rassemble aujourd’hui trois générations ? Jamel : C’est vital. Pour moi, la scène représente l’espace d’expression le plus important, une expérience forte et unique. J’y exprime librement ce que je ressens, ce que je vis au quotidien avec mes proches, ma famille et mes amis. J’ai toujours eu une grande passion pour la scène, liée à mon désir incessant de découvrir tous les publics, et c’est aussi une façon de me découvrir moi-même : d’interpréter et de transmettre mes émotions au plus grand nombre. Trois générations, je ne le réalise pas sur le fait mais ça me touche profondément qu’autant de personnes me gardent leur intérêt. Vous avez le trac ? Qu’avez-vous ressenti lors de votre première représentation ? C’était difficile ?
Laissez tomber ! Lorsque je me suis retrouvé face au public pour mon premier spectacle en province, j’ai eu l’impression de ne plus avoir fait ce métier depuis des siècles. Ce n’est pas difficile d’approcher à nouveau les gens, mais passer six ans sans être sur scène, c’est beaucoup trop long. Même si je présente chaque année de nouveaux humoristes pendant le Marrakech du Rire ou pour le Jamel Comedy Club à Paris, ce n’est pas le même investissement. Je ne me livre pas personnellement, je ne m’inscris pas dans un échange direct avec les gens de manière aussi intense. J’ai eu le trac et je l’ai encore. C’est formidable, ce trac (sourire). Vous venez de l’improvisation, fil conducteur qu’on retrouve au fil de votre one man show… Absolument. Je ne peux m’empêcher d’y recourir, c’est mon moteur. Depuis mes débuts, je n’ai jamais joué exactement deux fois le même spectacle. C’est l’instant présent qui m’intéresse, je ne sais pas de quoi sera fait le lendemain. Du coup, je kiffe
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La vie de famille (ici, avec son épouse, la journaliste Mélissa Theuriau) a transformé le comique. AFRIQUE MAGAZINE
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INTERVIEW JAMEL DEBBOUZE : « LES PRÉJUGÉS ONT LA VIE DURE »
« J’ai grandi entre Barbès et un bidonville de Casablanca. Mais il n’y avait jamais de place pour la tristesse ou pour broyer du noir. »
l’impro, en total accord avec mon état d’esprit et mon énergie d’humoriste. Écrivez-vous seul ou en binôme ? Je co-écris avec mon metteur en scène, Mohamed Hamidi. Nous avons une vraie complicité qui s’est renforcée au fil du temps. J’aime me nourrir d’échanges et une émulation artistique s’est tissée à travers nos nombreux projets communs. Vous avez justement soutenu le long-métrage La Vache de Mohamed Hamidi, en venant le présenter lors de la première édition du Festival du film français en mars 2016, à Casablanca, Marrakech… Assurer la promotion d’une comédie réalisée par un jeune cinéaste méconnu est important ? Bien sûr. C’est important de créer avec d’autres artistes comme Mohamed, qui est pétri de talent. Il faut pousser, encourager ceux qui ont des choses à dire et j’ai envie d’aider à faire émerger de tels talents parfois trop rares. La réussite d’un film tient aussi à une affaire de complémentarités. J’aime le regard de ce réalisateur, avec qui j’avais déjà tourné lors de son premier long-métrage avec Tewfik Jallab, Né quelque part, aussi sorti au Maroc. Vous êtes né à Paris, vous avez aussi passé une partie de votre enfance au Maroc. Parlez-nous de votre lien avec le Royaume : êtes-vous urbain casablancais, berbère de l’Atlas ou du Souss ? Rifain de Tanger par mon père et oujdi – de la ville de Oujda – dont est originaire ma mère. J’ai grandi entre Barbès et El Batane, un bidonville de Casablanca. J’ai adoré cette période de ma vie : les fous rires, l’ambiance, la vie, ma famille, mes amis. Il n’y avait jamais de place pour la tristesse et encore moins pour broyer du noir. J’allais chercher de l’eau jusqu’à la source, je me chargeais du pain que j’emmenais cuir au four, mes journées étaient rythmées par ces moments simples. J’ai débuté sur les scènes marocaines, très soutenu par les associations du Royaume puis Samira Sitaïl, la directrice de la chaîne 2M. Aujourd’hui, je rends au Maroc ce qu’il m’a donné en y multipliant les projets. Pour en revenir à mes souvenirs de vacances, je connais la route qui conduit de la France au Maroc, les yeux fermés ! Les Français partaient en vacances en Renault Espace, nous, on partait à douze dans une Renault 12 ! Et il faut vraiment m’expliquer quelque chose : comme se fait-il que tous les Marocains partaient tous le même jour à la même heure ? À deux heures du matin… Et je ne vous parle pas des franches rigolades durant le trajet ; les haltes passées sur les aires de repos étaient mieux que les vacances. On débarquait en masse comme des gnous, les Espagnols nous détestaient… On ne connaissait qu’un mot : « gratuistas ». Mon fils ne connaîtra pas ça mais je lui en parlerai. Mon père m’a transmis certaines choses et j’en transmets d’autres à mon petit. Comment vous définiriez-vous : plutôt « papa poule »,
« papa cool » ? Vous êtes père de deux enfants, Léon et Lila, 9 ans et 6 ans… En quoi cela a-t-il changé votre vie, votre regard sur le monde ? Je suis un papa mobile, à la fois papa poule, papa cool. Je m’adapte, j’avoue ne pas encore avoir pris la pleine mesure de ce que signifie être père. Et le fait d’avoir deux enfants a totalement révolutionné ma vie, la paternité m’a chamboulé. J’ai réalisé et produit le film d’animation Pourquoi j’ai pas mangé mon père pour faire plaisir à mon fils. C’est lui qui m’a conseillé de jouer dans Alad’2 avec Kev Adams, il m’a dit après la lecture du scénario : « Papa, tu dois faire ce film » (sourire). Je vis un incroyable bouleversement émotionnel, le monde a changé autour de moi. J’ai 42 ans, deux enfants, c’est la révolution dans ma tête et dans mon cœur. Cette société en pleine mutation qui concerne aussi vos enfants, vous en parlez dans Maintenant ou Jamel, notamment à travers le regard de votre fille dans la France post-attentats… Oui, elle est rentrée de l’école un jour en chantant une chanson qu’elle avait apprise pour sortir calmement de l’établissement scolaire et se diriger vers les issues de secours pour une évacuation en cas d’attaque terroriste. (Il chante la chanson). J’ai bien senti que ça l’avait traumatisée. J’en ai fait un skecth : « dès que ma fille voit un barbu de la famille, elle se cache sous la table pendant 10 jours. » On peut rire de tout actuellement ? Oui mais pas avec n’importe qui. Sincèrement, je n’ai pas envie de rire avec ceux qui participent à grossir les rangs des extrêmes au nord comme au sud, du Front national en France, de l’élection de Trump ou encore de la montée en puissance d’un jeune loup de 31 ans, qui représente l’extrême droite en Autriche. 33 % pour Marine Le Pen face à Emmanuel Macron, ma mère m’a dit comme en 2002 : « On va tous mourir. »
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Événement annuel incontournable : le festival Marrakech du Rire, que Jamel a créé en 2011.
Selon vous, l’humour peut être une arme contre la peur du terrorisme ou les tensions communautaires ? Le rire représente un outil, pas une arme. C’est un vecteur d’humanité. Il y a une chose dont je suis très fier. Pas plus tard qu’en juillet dernier, à 20 h 30 heure marocaine, je vois face à la scène du 7e Marrakech du Rire, au plus fort du festival, un couple marrakchi dont la femme porte le voile assis à côté d’un autre couple, français, originaire de la ville de Saint-Nazaire : ils partagent ensemble au même moment, le même spectacle. La puissance de l’humour tient aussi à ça. Le succès du Jamel Comedy Club a fait des émules avec une AFRIQUE MAGAZINE
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adaptation télévisuelle via le Casablanca Comedy Club. Vous avez aussi choisi le Marrakchi Eko, qui a assuré un one man show en darija (dialecte marocain) à l’Olympia en mars dernier face à un public conquis pour réunir un vivier de nouveaux talents marocains… Où en êtes-vous sur ce plan ? Eko est incroyable, il a actuellement un public au Maroc et en France. C’était une première, un humoriste qui se produit sur une scène importante dans l’Hexagone, exclusivement en darija. Pour ce qui est des spectacles diffusés dans le cadre du Casablanca Comedy Club sur 2M, ils ont eu un énorme succès, au point que la chaîne en recommande pour de futures émis51
INTERVIEW JAMEL DEBBOUZE : « LES PRÉJUGÉS ONT LA VIE DURE »
Bien entouré : avec son épouse Mélissa Theuriau (à l’extrême g.), la jeune actrice Gloria Colston (à l’extrême dr.), son ami d’enfance Omar Sy et sa femme Hélène Sy.
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« L’an prochain, le Marrakech du Rire fera halte dans plusieurs villes du continent pour un gala 100 % africain. » Parlez-nous de vos liens avec le roi… J’ai le privilège de partager beaucoup de choses avec Sa Majesté le roi Mohammed VI. Nous sommes pratiquement de la même génération et sur le plan culturel, nous avons des passions communes. Il m’a fait découvrir des artistes comme l’Ivoirien Molare ou les Nigerians de P Square. Son appétence culturelle me fascine, il est au fait de tout ce qui se passe sur les scènes françaises, dans le monde anglo-saxon, en Afrique. Il connaît très bien l’art contemporain, les artistes émergents, les nouveaux noms du street art. Figurez-vous qu’il connaît tous les humoristes du Comedy Club. Il s’est réjoui du succès de sa diffusion au Maroc, cet été. On sait que vous incarnez à ses yeux un ambassadeur du Maroc, mais que répondez-vous à une presse « parisienne bon teint » qui vous reproche ces liens avec le roi ? J’en suis très fier. Je suis vraiment heureux de le connaître et de pouvoir échanger avec lui. Nous avons la chance d’avoir un roi ouvert, progressiste et tolérant. Le Maroc, c’est une terre en voie de développement qui ne cesse de progresser et de multiplier les projets culturels. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il est très ouvert à la critique quand elle est constructive. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’humour. Humoriste, acteur, producteur… Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru, avez-vous AFRIQUE MAGAZINE
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sions. Et ça suscite des vocations comme en France. On a, de plus, atteint un objectif historique : ces programmes ont été diffusés cet été en langue arabe durant le ramadan sur C8, c’est formidable ! Maintenant, on aimerait ouvrir un « vrai » Comedy Club à Casablanca, encourager ce pays où il y a des sketchs à raconter à tous les coins de rue. Par exemple, la façon de conduire des Marocains est hyper drôle. Vous voulez dire dangereuse ? Tragi-comique, khti (« ma sœur ») (rires). Le Marrakech du Rire a constitué un tremplin pour de nombreux humoristes d’origine arabo-africaine comme Ahmed Sylla, Waly Dia, Younes et Bambi, Abdelkader Secteur… Pourrait-il s’étendre à d’autres métropoles d’Afrique ? Je vous confie un scoop (il sourit) : l’année prochaine, le Marrakech du Rire fera halte dans différentes villes du continent – Abidjan, Dakar, Conakry… – pour un gala 100 % africain. On y présentera des artistes locaux. Il y a là-bas une vraie ébullition créative, ça crée, ça vibre, ça rit ! J’y ressens la même humanité qu’au Maroc. Les gens m’aident, nous avons un désir commun : défricher de nouveaux talents africains. On va mettre la scène à leur disposition. Pour cet événement, qui est un vrai défi, je me lance complètement, porté par le soutien du Maroc, de la RAM (Royal Air Maroc), de l’OCP, de la Banque populaire, de M6. M6, la chaîne de télévision française, ou… Sa Majesté le roi Mohammed VI ? (rires) Les deux !
un sentiment de reconnaissance, d’autosatisfaction ? Je considère chaque jour comme un bonus. Je ne me retourne pas sur le passé. Je vis pleinement l’instant présent, ce qui m’attend c’est maintenant : aujourd’hui suffit à aujourd’hui. « Maintenant ou Jamel » (sourire). Ma vie actuelle est un cadeau inestimable. Mais vous avez conscience d’incarner un modèle de réussite sociale pour la jeunesse, de susciter des vocations ? Complètement. Lorsque je monte sur scène à La Cigale ou au Zénith, j’ai le sentiment d’être utile. Les jeunes se disent, « il vient d’en bas, il a une main dans la poche ». C’est porteur d’espoir pour eux. Comme peuvent aussi l’être Omar Sy, Kylian Mbappé ou Leïla Slimani. Maintenant ou Jamel est traversé par les tubes emblématiques de MHD, rappeur d’origine guinéenne et sénégalaise au succès retentissant en France aux États-Unis… C’est l’un des meilleurs artistes de sa génération. J’adore son état d’esprit, pour moi, sa musique est un baume. Elle met en joie, file la patate. J’avais envie de lui faire un clin d’œil. Alors que nous sommes à la 4e génération, vous dites que la jeunesse issue de l’immigration « doit encore en faire quinze fois plus que les autres en France »... Bien sûr. Je ne comprends pas pourquoi les préjugés ont encore la peau si dure, si tenace. J’ai conscience qu’il y a des avancées pour nous, mais la France m’apparaît comme une vieille dame avec des tropismes. Ceux qui sont parvenus à vivre mieux que leurs parents, ont ramé très dur. Mais je suis dans l’attente, j’ai confiance, la France m’a permis d’accéder à mes ambitions. Lorsque je vois le film Divines de Houda Benyamina obtenir trois César, je me dis qu’il y a de l’espoir, ça me fait chaud au cœur. À quoi rêvez-vous ? Que le Marrakech du Rire dure cent ans ! Et à un immense carnaval de rue comme à Rio qui déambulerait à Marrakech aux côtés des différentes troupes qui représentent chaque année le Festival des arts populaires. C’est le plus ancien festival du Maroc, AFRIQUE MAGAZINE
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SHOWMAN, ACTEUR, ET BEAUCOUP PLUS…
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onsacré « humoriste préféré des Français » et parfois acteur le mieux payé (2003), Jamel Debbouze est devenu un touche-à-tout qui jongle allègrement avec de nombreuses casquettes. Dès 1999, il apparaît dans Le ciel, les oiseaux… et ta mère, énorme succès commercial de Jamel Bensalah. Il est ensuite révélé dans le célèbre Fabuleux destin d’Amélie Poulain, où il donne la réplique à Mathieu Kassovitz, puis passe à Astérix et Obélix, Mission Cléopâtre. Plutôt que de surfer éternellement sur la vague comique, il devient ainsi en 2004, producteur délégué de She Hate Me, pépite signée Spike Lee. Suit Indigènes de Rachid Bouchareb : producteur et acteur, le rôle de Saïd lui vaut le prix d’interprétation masculine au 59e Festival de Cannes. D’une prolixité à toutes épreuves, il passe à la réalisation en 2015 avec Pourquoi j’ai pas mangé mon père (2015), film d’animation qui retrace son parcours, à travers un personnage qui ne suit pas sa « pente biologique ». ■ F.M.
chaque troupe incarne une ville avec ses costumes, sa musique traditionnelle, son dialecte… Il se tient aussi, comme le Marrakech du Rire, sur la scène en plein air du palais El Badi… Ce serait formidable, réunir le plus grand nombre d’artistes marrakchis, oujdis, casablancais, rabatis, touristes férus de ces deux événements et être tous ensemble. Que faites-vous quand vous ne travaillez pas, comment vous vous évadez ? Je réponds à vos questions (il sourit). Ce que j’aime faire par-dessus tout, c’est passer simplement du temps avec ma femme et nos enfants. Être allongé sur une pelouse dans les Yvelines en regardant défiler les nuages ou être au Maroc, assis face à la montagne en écoutant Barry White ou Oum Kalthoum, avec un thé à la menthe. ■ 53
FAYEZ NURELDINE/AFP
Mohammed ben Salman Al Saoud, 32 ans, prince héritier saoudien depuis juin dernier, a entrepris une offensive sans précédent.
GOLFE STUPEURS
DÉCRYPTAGE
Révolution de palais à Riyad, guerre froide entre l’Arabie saoudite et l’Iran, blocus du Qatar, psychodrame Hariri, urgences économiques… Les tensions régionales se succèdent. Analyse.
ET TREMBLEMENTS AFRIQUE MAGAZINE
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par Sylvie A. Briand
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DÉCRYPTAGE GOLFE : STUPEURS ET TREMBLEMENTS
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D’où viennent les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran?
GRANDES PUISSANCES régionales, l’Iran et l’Arabie saoudite sont en mauvais termes depuis la révolution chiite de 1979. Après la chute du shah, le régime des ayatollahs veut « exporter » sa révolution et se poser en chef de file d’un monde musulman dominé par les sunnites en dénonçant la « corruption » de régimes arabes pro-américains. L’Arabie saoudite, le Koweït et d’autres monarchies arabo-sunnites répondent en finançant la guerre que mène pendant huit ans l’Irak de Saddam Hussein contre « l’expansionnisme perse ». Les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite se détériorent encore après l’invasion américaine de l’Irak en 2003 qui conduit au renversement du dictateur irakien et à l’arrivée au pouvoir à Bagdad d’une coalition chiite pro-iranienne. Selon un mémo diplomatique américain divulgué par WikiLeaks, le roi saoudien Abdallah exhortait Washington en 2008 à « couper la tête du serpent » iranien afin de contrer son influence et son programme nucléaire qui, s’il se révélait balistique (malgré les dénégations de Téhéran), donnerait à ce pays la primauté militaire dans le Golfe. Riyad, qui s’oppose à l’accord sur le nucléaire conclu en 2015 avec les puissances occidentales, a amorcé un discret rapprochement avec Israël (seul détenteur supposé de l’arme atomique au Moyen-Orient) qui souhaiterait affaiblir l’Iran, l’un des principaux commanditaires du Hezbollah chiite libanais et du Hamas sunnite palestinien, affilié aux Frères musulmans.
les manifestants sur la petite île du Bahreïn, peuplée par une majorité de chiites mais dirigée par une monarchie sunnite. Des chiites, il y en a aussi dans la zone pétrolière de l’est de l’Arabie saoudite, qui se disent discriminés par un pouvoir sunnite intégriste. Leur révolte est réprimée sans ménagement, et un chef religieux chiite, Nimr al-Nimr, est arrêté et exécuté pour « terrorisme » avec 46 autres personnes en janvier 2016. En réaction, des manifestants incendient l’ambassade saoudienne à Téhéran. Riyad accuse l’Iran de soutenir ces opposants chiites et de faire passer en contrebande des armes à une milice yéménite (Ansarullah, de la famille Al Houthi, qui s’est emparée de la capitale Sanaa en 2014) et de « mercenaires » du Hezbollah, ce que ces derniers démentent.
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L’arrivée de Mohammed ben Salman a-t-elle contribué à exacerber la situation?
INDIRECTEMENT. Après les soulèvements de 2011 qui ont bouleversé l’échiquier des alliances régionales en provoquant la chute de dirigeants qu’on croyait inamovibles (Tunisie, Égypte, Libye, Yémen), les tensions ont tourné au conflit par procuration. En Syrie, le régime de Bachar al-Assad, allié à l’Iran et au Hezbollah libanais, réprime des manifestations pro-démocratiques qui tournent à la guerre civile. Préoccupé par ce « printemps » peu ordinaire, le roi Abdallah promet 37 milliards de dollars en subventions à son peuple, finance des insurgés sunnites en Syrie et envoie ses propres troupes aider à « calmer »
À LA MORT DE SON DEMI-FRÈRE ABDALLAH en janvier 2015, Salmane ben Abdelaziz, 79 ans, hérite du trône et place son fils Mohammed ben Salman, dit « MBS », alors âgé de seulement 29 ans, aux commandes du ministère de la Défense. Il bouscule ensuite le protocole deux ans plus tard en le désignant prince héritier. Tandis que les grandes puissances sont en train de négocier une levée partielle des sanctions contre l’Iran, l’impétueux et bouillant MBS met sur pied en mars 2015 une coalition de pays « frères » (Émirats arabes unis, Maroc, Koweït, Bahreïn, Jordanie, Égypte, Soudan et, pendant un temps, le Qatar) en vue de « stopper la progression de l’Iran » au Yémen en chassant à coups de bombes les miliciens pro-iraniens. Pendant ce temps, en Syrie, rien ne va plus pour Bachar al-Assad, qui réclame l’aide de la Russie. Se portant à l’été 2015 à la rescousse de son dernier pré carré et dernière base navale dans la région, l’armée russe fait perdre du terrain aux insurgés syriens, y compris aux combattants de l’État islamique qui, deux ans plus tard, sont en passe de perdre la bataille. Pendant ce temps-là, les Saoudiens piétinent au Yémen… C’est alors que MBS tente avec ses alliés régionaux de remettre au pas, via un blocus politico-économique, le petit mais richissime émirat du Qatar qui, trop proche à son goût de l’Iran et des Frères musulmans, se voit accusé de « promouvoir l’extrémisme », notamment sur sa chaîne de télévision Al-Jazeera. Dans sa ligne de mire se trouve aussi le Hezbollah, milice chiite entraînée par les Iraniens qui, apparue
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Le regain de frictions dans la région est-il une conséquence du «Printemps arabe»?
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GABRIEL DUVAL/AFP
1er février 1979. L’ayatollah Khomeini revient à Téhéran après quatorze ans d’exil. Bientôt, il appellera à la propagation de la révolution islamique à tous les pays musulmans.
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SI L’ARABIE SAOUDITE est devenue une puissance dans la région, c’est grâce aux milliards de dollars qu’elle tire chaque année de ses revenus pétroliers, une ressource qui n’est toutefois pas inépuisable. Et le grand projet que pilote Mohammed ben Salman, diplômé en droit et… féru de jeux vidéo, est de maintenir à long terme l’influence saoudienne en faisant
passer son économie, dépendant à près de 90 % du pétrole, à l’ère des nouvelles technologies et des énergies renouvelables dans le cadre d’un ambitieux projet de modernisation, « Vision 2030 ». Le pays doit notamment se doter de parcs solaires et construire une mégacité presque aussi vaste que la Belgique et entièrement dédiée aux intelligences artificielles. Les Saoudiens prévoient par ailleurs l’introduction en Bourse d’ici la fin 2018 d’environ 5 % de leur géant pétrolier Aramco, d’une valeur totale selon eux de 2 trillions de dollars, ce qui devrait leur rapporter au moins 65 milliards de dollars et en faire la plus importante entrée en Bourse de l’histoire. Londres, New York, mais aussi Tokyo et Hong Kong, font des pieds et des mains pour obtenir des parts de la compagnie qui doit être introduite à la cotation à Riyad et, peut-être, dans une ou deux autres Bourses étrangères. Le programme encore flou de privatisations, incluant des centres hospitaliers, des usines de désalinisation ou des fournisseurs d’électricité, devrait au total rapporter, selon les prévisions de Riyad, jusqu’à 200 milliards de dollars en attirant des investisseurs du monde entier. Ceux-ci pourraient cependant être rebutés par les incertitudes liées aux règlements de compte internes, mais aussi au conflit yéménite, qui coûterait cher aux finances de l’État saoudien sans grand résultat puisque les missiles de la milice houthiste peuvent désormais frapper le territoire saoudien jusqu’aux environs de Riyad, à un millier de kilomètres de Sanaa…
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au Liban peu après l’invasion israélienne de 1982, est devenue la première force de ce pays multiconfessionnel, grâce à l’appui de Damas et de Téhéran. À Riyad, on décide qu’on ne veut plus du gouvernement d’union nationale au Liban et on convoque en novembre le Premier ministre Saad Hariri, un sunnite, qui annonce sa démission pour, dit-il, « trancher le bras à l’Iran ». À Beyrouth, le président Michel Aoun, allié du Hezbollah, refuse cette démission qui semble contrainte. Après trois semaines de rumeurs et spéculations, Hariri se rend à Paris à l’invitation du président Macron puis revient à Beyrouth… et sur sa démission, arguant que le Hezbollah se serait engagé « en actes et non en paroles » à s’éloigner des « conflits arabes ».
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Que cherche le prince héritier Mohammed ben Salman?
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DALATI NOHRA/AP/SIPA
Revenu à Beyrouth le 22 novembre, le Premier ministre libanais, Saad Hariri (ici avec le président Michel Aoun, quelques heures après son retour), a finalement renoncé à sa démission.
La volonté du prince héritier saoudien d’ouvrir et de moderniser son pays passe par une redéfinition de la place des femmes dans la société.
SERGEY PONOMAREV/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA
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Le régime de Riyad est-il en train de se «libéraliser»?
IL Y A CERTAINEMENT UN ASSOUPLISSEMENT, voire une levée de certains interdits qui contribuent à donner une image très rétrograde du royaume : le rôle de la redoutée police des mœurs a été largement restreint, la musique traditionnelle arabe (et non plus seulement religieuse) peut être diffusée à la radio. à partir de l’été 2018, les femmes, elles, pourront conduire un véhicule, pour la première fois depuis la fondation du pays en 1932 par Ibn Saoud, et le gouvernement veut augmenter leur présence sur le marché du travail. Sans aller jusqu’à remettre en cause les exécutions publiques par décapitation, « MBS » a déclaré vouloir revenir à « l’islam modéré » qui avait cours, selon lui, avant 1979 et le traumatisme de la prise de la Grande Mosquée de La Mecque par des fanatiques sunnites en armes. Et pour montrer sa bonne foi, le patriarche maronite (catholique) libanais a été invité à Riyad, une première depuis 1975 dans ce pays qui interdit les cultes et symboles non-musulmans. Cette volonté d’ouverture s’est toutefois accompagnée d’un sérieux tour de vis. Avec la bénédiction de son père, « MBS » chapeaute désormais tous les rouages du pouvoir après une série de purges entamées l’été dernier avec le renvoi du très
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influent ministre de l’Intérieur, Mohammed ben Nayef, déchu du même coup de son titre de prince héritier au profit de MBS… Des centaines de personnes ont été interpellées depuis, parmi lesquelles des religieux (modérés ou non), des ministres, des princes… Parmi eux, le flamboyant milliardaire Alwaleed ben Talal, le chef de la puissante Garde nationale et fils du défunt roi Abdallah, Mitaab, ainsi que des personnalités liées aux médias comme le patron du groupe MBC Waleed Al Ibrahim. Le procureur a déclaré vouloir « récupérer » 100 milliards de dollars de leur part ; en attendant, ils sont « retenus » dans un hôtel cinq étoiles de Riyad. Ces purges ont été plutôt bien accueillies dans un pays où la majorité des 22 millions de Saoudiens ont moins de 30 ans et souffrent du chômage et de la pauvreté pour environ le quart d’entre eux. Il faut savoir que la famille royale, forte de plus de 15 000 membres, ne fait guère la distinction entre deniers publics et personnels et traîne dans certains cas une réputation sulfureuse de luxure et de prodigalité. Sur ce dernier point, Mohammed ben Salman semble être plutôt tolérant, du moins quand il s’agit de lui ou de ses proches : l’été dernier, il a déboursé 500 millions d’euros pour mettre la main sur le super yacht d’un milliardaire russe. Et c’est un de ses obscurs associés, le prince Bader bin Abdallah Al Saoud, sans fortune déclarée, qui se serait récemment porté acquéreur du Christ Salvator Mundi de Léonard de Vinci, adjugé 450 millions de dollars, un record pour une enchère de ce genre à New York. Tableau qui sera exposé au Louvre… d’Abou Dhabi. 59
DÉCRYPTAGE GOLFE : STUPEURS ET TREMBLEMENTS
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Quel rôle les Émirats arabes unis jouent-ils dans la crise?
MBS AURAIT pour mentor l’homme fort des Émirats, Mohammed ben Zayed Al Nahian, 56 ans. Chef des forces armées, dirigeant de facto la fédération en raison des problèmes de santé du président Khalifa, son demi-frère dont il est le dauphin désigné, « MBZ » presse depuis des années Washington d’agir contre la « menace » du nucléaire iranien et celle du Qatar, deux pays liés selon lui aux Frères musulmans qui « complotent » contre les Émirats. Avec Riyad, ces derniers ont versé des milliards de dollars à l’actuel régime égyptien qui a renversé le président Mohammed Morsi en 2013. En Libye, les avions émiratis ont fait la chasse aux islamistes de Benghazi alliés, selon les Émirats, au Qatar. Outre l’opération au Bahreïn aux côtés des Saoudiens, ils sont en première ligne dans le bourbier et désastre humanitaire au Yémen, où ils ont perdu depuis 2015 une centaine d’hommes, guerre qui suscite de la grogne parmi la population émiratie, soumise à la conscription et à la censure. D’autant que le conflit yéménite risque de s’enfoncer encore dans un inextricable chaos sanglant après la mort de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, tué début décembre à Sanaa avec nombre de ses partisans. Déchu en 2012 après trente-quatre ans au pouvoir, Saleh venait d’effectuer une ultime volte-face en se retournant contre ses alliés d’hier, les miliciens houthistes…
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L’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump a-t-elle ouvert la boîte de Pandore?
HOSTILE À L’ACCORD sur le nucléaire iranien, Donald Trump est considéré comme un véritable ami par les Saoudiens, qui l’ont reçu en grande pompe en mai dernier. Le milliardaire américain n’est pas un inconnu dans la région, faisant des affaires avec l’Arabie saoudite et les Émirats depuis des années. Coïncidence, c’est juste après sa visite à Riyad que les Saoudiens et leurs alliés ont décidé de boycotter le Qatar – qui continue toutefois de fournir en gaz les Émirats ; lesquels, de leur côté, n’ont jamais coupé les ponts économiques avec l’Iran, preuve que rien n’est jamais simple dans la région. Et si les Saoudiens ont qualifié d’« irresponsable » la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, ils se sont bien gardés d’aller au-delà des critiques de circonstance contre l’allié américain, désormais mal placé pour jouer les médiateurs au ProcheOrient. Ce n’est d’ailleurs plus Washington mais plutôt la Russie qui semble tenir le premier rôle politique dans la région grâce à ses relations avec tous les acteurs clefs. Cela n’a pas échappé au roi Salmane, qui a effectué en octobre dernier la toute première visite d’un monarque saoudien au pays de Vladimir Poutine. ■
STEPHEN CROWLEY/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA
Donald Trump a été reçu avec tous les honneurs en mai dernier, signe des excellentes relations qu’entretenaient alors Riyad et Washington.
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Dans la capitale qatarie, les portraits de Tamim Al Thani sont omniprésents.
Doha, comme sur un fil Adossé à l’Arabie saoudite, face à l’Iran, le Qatar, très riche et (trop ?) ambitieux, cherche à préserver ses marges de manœuvre.
par Zyad Limam, envoyé spécial on visage apparaît partout, sur les voitures, les bus, sur les façades d’immeubles. En format graffiti (dessiné par Ahmed Al Maadeed, artiste modeste, et posté sur son compte Twitter), ce qui en soi est une petite révolution, une tolérance nouvelle. Avec l’imposition du blocus voulu entre autres par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, la population qatarie a réellement resserré le cercle autour du jeune émir Tamim Al Thani, qui a succédé à son père Hamad en juin 2013. Pour le visiteur de passage à Doha, la situation peut vite sembler surréaliste. La ville – qui se construit et s’étend à vitesse grand V – paraît tranquille. Les avions décollent et atterrissent tous les jours. Un nouveau port gigantesque a ouvert, judicieusement, en décembre 2016. Et le gazoduc Dolphin qui relie Doha à Dubaï, n’est pas à l’arrêt, aux dernières nouvelles… Mi-novembre se tenait la grande conférence Wise sur l’éducation qui a rassemblé des centaines d’intervenants venus du monde entier. Le premier ministre éthiopien était, lui, en visite, suivi par le président turc Recep Tayyip Erdogan, accueilli en ami et en allié. Le roi Mohammed VI venu directement d’Abou Dhabi avec son avion était, lui, élevé au rang de héros
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national par la Toile qatarie ! Début décembre, c’était au tour du président français, Emmanuel Macron, très impliqué dans la gestion de la crise, de faire le voyage de Doha… Pour une grande partie de « l’opinion internationale éclairée » (sauf peut-être Donald Trump), la question du soutien présumé au terrorisme est un argument de « défausse » – surtout dans une région où les flux financiers restent multiples et opaques. Ce qui pose problème, c’est le soutien aux Frères musulmans. Et de contrer l’influence, très présente à Doha, du grand voisin iranien, ennemi juré de l’Arabie saoudite. Le fond de l’affaire, c’est le leadership sunnite, la volonté de mettre au pas un émirat trop riche, trop ambitieux, de corriger cette « grenouille qui se voulait plus grosse que le bœuf ». Les effets du blocus ne sont pas négligeables. La vie de famille de dizaines de milliers de citoyens du Golfe a été bouleversée. La crise touche aussi toutes les économies de la région, accentuant la méfiance globale des investisseurs internationaux. Les insultes ayant volé
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bas de part et d’autre, les ego ne seront pas faciles à réconcilier et chacun se doute qu’il faudra du temps et des étapes successives. Pour le Qatar, il faudra aussi redéfinir une politique tenant compte des contradictions internes qui peuvent affecter le régime. L’équilibre entre modernité et tradition, entre ouverture et wahhabisme paraît souvent fragile. La Coupe du monde de football qui doit se tenir au Qatar en 2022 en offre un exemple frappant. Un tel événement, c’est un peu accueillir la Terre entière, des dizaines de milliers de supporters, des gens d’autres cultures. Accepter la mixité, ouvrir des fan zones où l’alcool sera en vente libre, accepter les tee-shirts et les shorts… Un vrai choc. Fin du voyage. En décollant de Hamad International, l’aéroport quasi flambant neuf de la capitale, on voit, au bout de quelques minutes à peine, apparaître dans le hublot les lumières de l’Arabie saoudite, si proche, si contiguë. Et si l’on change de côté dans l’avion, on aperçoit au loin les torchères du champ gazier, le North Field, que l’émirat partage avec l’Iran. Tout est dit, tout est là, visible à l’œil nu… ■ 61
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Et Dieu
Née au Maroc, la jeune comédienne trace sa route sur les grand et petit écrans comme, récemment, dans la série britannique The Last Post. Séduisante, engagée, elle a, à 27 ans, tous les atouts pour devenir l’une des stars de demain. Rencontre.
créa
Ouidad L
par Fouzia Marouf
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a chevelure ardente, de grands yeux couleur miel, elle promène sa silhouette à la cambrure sculpturale. Ouidad Elma, 27 ans, a quelque chose de magnétique qui pourrait faire perdre la boussole à certains. Étoile montante parmi les jeunes comédiennes du moment, celle qui crève l’écran est née au cœur des montagnes du Rif, le Nord marocain, terre de brassage, d’excès et d’exil. De retour du désert tunisien, où elle s’est échappée pour quelques jours de vacances, elle nous donne rendez-vous dans un café parisien du quartier de la République. D’emblée, on est saisi par son allure nature et sa présence charismatique : ses longues boucles brunes, son sourire éclatant qui rappelle celui de Julia Roberts, ses lunettes qui lui donnent un air studieux… De ses mains fines, elle insiste pour nous servir le thé parfumé de menthe selon le rituel marocain. Arrivée en France à l’âge d’un mois avec sa mère, venue retrouver son père, originaire de Fès, qui a vécu très jeune dans l’Hexagone, Ouidad est l’aînée d’une fratrie de cinq enfants. « Nous avons vécu d’abord à sept dans un studio. Puis, mes parents ont réussi à trouver un grand appartement pour que chacun puisse avoir sa chambre, mais nous étions habitués à dormir ensemble dans la même pièce. C’était drôle » confie-telle avec spontanéité. Débordante d’énergie communicative,
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JULIAN TORRES
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ELLES ET EUX ET DIEU CRÉ A OU IDAD
la ravissante môme continue de se raconter : « J’ai grandi dans le plus joli quartier de France, Belleville, côté Ménilmontant, grouillant de vie. C’est la colline la plus haute de Paris. Je suis émerveillée par les rues où j’ai passé mon enfance. J’adore y flâner. Tout le monde se connaît. C’est un quartier d’artistes, les gens sont solidaires entre eux. » Son visage singulier de madone mélancolique ou d’ingénue frondeuse, inspirant pour de nombreux cinéastes, peut être le reflet de destins qui narrent les errances, les espoirs, les joies, de personnages issus d’Afrique, de Perse, d’Amérique du Sud. DE BELLEVILLE AU CAP La jeune actrice tient actuellement le rôle principal dans la série au succès retentissant, The Last Post, diffusée le 1er octobre dernier sur BBC One. Ce programme britannique de six épisodes a conquis les téléspectateurs à travers le monde anglophone. Une notoriété telle que Ouidad, peu connue jusque-là, a répondu en live sur Twitter aux nombreuses questions des internautes, il y a quelques semaines. Une expérience grisante car « les fans ont été fabuleux, j’ai adoré voir en temps réel, leurs retours sur mon personnage. C’était formidable de leur répondre et de ressentir tant d’amour. J’ai été extrêmement touchée », précise-t-elle. L’actrice qui n’en est pas à son coup d’essai outre-Manche, a aussi à son actif des films outre-Atlantique : Killing Jesus (2015), produit par Ridley Scott, qui a eu un record d’audience pour la chaîne National Geographic (plus de 3,7 millions de téléspectateurs). La série américaine Tyrant (2014) avec Fares Fares, célèbre acteur égyptien. Ou encore The Red Tent (La Fille du désert) avec Debra Winger et Hiam Abbas. Si Ouidad a conquis à l’unanimité les casting directors de The Last Post, son arabité a été déterminante : « J’ai envoyé ma bande démo au directeur de casting, qui cherchait une jeune actrice parlant arabe et anglais. J’ai énormément voyagé au Maroc, en Égypte, en Tunisie, où j’avais conscience de la musicalité et de la façon de se mouvoir, différente quand tu incarnes une Arabe qui parle anglais », souligne la comédienne, qui aime se frotter à tous les défis cinématographiques. Ergonomie de tournage colossale qui réunit plus de 400 personnes, Ouidad entre avec aisance dans la peau de Yousra, espionne yéménite, en octobre 2016, et la quitte en mars 2017 : « C’est une superbe expérience avec des acteurs très talentueux et humbles. J’ai adoré travailler avec cette équipe, j’ai énormément appris », souligne-t-elle. Au-delà de son engagement artistique et de son désir de s’aventurer dans des expériences inédites, sa fibre africaine déjà forgée s’est accrue au fil de ce tournage qui s’est déroulé au Cap. Enthousiaste, marquée par le combat de Nelson Mandela, le mythe brisé de la nation Arc-en-ciel la heurte violemment : « C’est une ville sublime ! Et l’un des plus beaux pays au monde. Mais, sur le plan économique, la situation est tragique. La dis64
« On n’exploite pas un pays en tuant les civils, en continuant à prétendre être un pays démocratique. » crimination raciale y est très forte pour un pays africain, l’un des plus riches. Je ne comprends pas et je déteste cette situation. Le taux de mortalité et le niveau de violence sont surélevés et personne ne s’en inquiète. Je me suis beaucoup baladée seule dans les quartiers locaux, modestes. J’ai vu la vraie vie. Les gens sont très généreux et gentils. » Sa conscience politique et son lien indéfectible en tant qu’Arabo-Africaine ont motivé son désir de rejoindre la partition de The Last Post, car « le thème me parle particulièrement, il raconte la vie de soldats britanniques avec leurs femmes au milieu d’un terrain qui leur est hostile. Et leur légitimité à coloniser le Yémen, remise en question. Le déséquilibre causé est toujours présent. On n’exploite pas un pays en tuant les civils, en continuant à prétendre être un pays démocratique sans réparation ni reconnaissance des faits », regrette Ouidad. BELLE VIGUEUR DES ANCÊTRES L’ado bellevilloise bercée entre le Maroc, lors de vacances, et Paris, n’a pas uniquement été nourrie aux exploits de Vercingétorix et à la Révolution française. Ouidad Elma est porteuse d’une douloureuse histoire en lien avec sa famille. Une tragédie, dont le mal la prend encore aujourd’hui aux tripes. « De par mes origines rifaines, ça me parle. Mon arrière-grandpère a été emprisonné par les colons français dans le Rif. Ses habitants sont quasiment les seuls à s’être battus contre les Espagnols, puis les Français. Ils ont été le premier peuple dans l’histoire à être gazé, par les Espagnols et avec la complicité française, pour étouffer la révolte. Ils avaient utilisé le gaz moutarde. Le nombre de cancers dans la région est le plus élevé du Royaume. Aucune réparation ni reconnaissance historique n’ont vu le jour, mais je sais qu’il y a une prise de conscience », assène-t-elle. Ses convictions aussi fortes que son désir de jouer ont germé dès ses jeunes années. « J’ai commencé à faire du théâtre dans AFRIQUE MAGAZINE
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COCO VAN OPPENS/BONAFIDE FILMS/THE FORGE 2017
une troupe d’enfants à Ménilmontant. Pour mieux parler français et vaincre ma timidité. Mon imagination était plus forte que ma peur d’être jugée. Ce fut salvateur. J’inventais des histoires avec mon père, qui nous filmait et nous faisait jouer à la maison avec mes frères et sœurs. Je créais des personnages différents, nous répétions des scènes de films qu’on avait vus la veille », raconte-t-elle. Après son bac, Ouidad rejoint les bancs Dans les années 60, le Yémen est l’un des derniers bastions coloniaux du Royaume-Uni. de la fac de droit. Trop académique, elle y Ouidad Elma incarne l’une des héroïnes de la série télé The Last Post (BBC One). étouffe, emmurée par les diktats, habitée par les gens peuvent survivre dans cette situation… La tension le besoin d’investir des territoires d’expression et de liberté liés liée au fait d’être une réfugiée dans cette posture est permaà l’art dramatique. « Pendant mes brèves études à Assas, je me nente. Comment survivre, parvenir à être maman avec sa fille ? suis vite sentie perdue. Je trouvais ça froid et surtout faux. La Face aux conditions de vie difficiles de ces gens en 2017, je machine législative française est lente et peu efficace. Et puis vois une certaine universalité. J’ai longuement discuté avec apprendre tous les jours comment dépasser la loi ou la contourdes réfugiés syriens au Royaume-Uni et en France, pareils à ner, avec des professeurs royalistes ou Front national, ne me des otages. Vous ne vivez pas, vous vous cachez, vous courez, parlait pas. J’ai arrêté et pris le risque de jouer. » Sa première vous attendez. C’est inacceptable. » Drum a profondément touexpérience devant la caméra en 2008 conforte son choix avec ché l’artiste, il fait écho à une autre histoire tragique : « Il y a Sa raison d’être, long-métrage qui retrace l’épidémie du sida quelques années, j’ai perdu un oncle, décédé en essayant de dans la France des années 1980. traverser la Méditerranée. Il vivait en Libye, puis il a décidé d’aller en Europe. Il avait essayé à plusieurs reprises les voies SUR LA ROUTE DES RÉFUGIÉS officielles. Depuis, nous ne l’avons jamais retrouvé. Cette Elle fait un second saut dans le vide, en succombant à histoire a vraiment marqué la vie de ma famille. » La jeune l’appel des sirènes de Casablanca, autre métropole du Sud femme est également sensible au soulèvement de la jeunesse façonnée aux limbes de l’underground et du 7e art qui bouilqui agite le Nord marocain depuis le printemps dernier, lui lonne sous l’effet d’une movida. Sur les conseils de son agent rappelant le désir d’une vie meilleure pour ceux qui luttent et parisienne, elle s’y installe deux ans, portée par l’élan créatif réclament leurs droits. « Les Rifains manifestent contre l’opde la jeune école du cinéma marocain, afin de se nourrir de pression qu’ils subissent depuis des décennies. Ils demandent nouveaux univers qui vont la grandir encore. Ouidad tient le juste des infrastructures dignes, des écoles, des routes, des haut de l’affiche du Choix d’aimer (2011) d’Abdelhaï Laraki, hôpitaux. Ça fait plus de soixante ans que cette région est livrée opus subversif sur un amour interdit. Suit L’Amante du Rif, de à elle-même. Beaucoup de familles vivent grâce aux immigrés Narjiss Néjjar, où elle plonge dans la volupté du plaisir féminin. d’Europe qui leur envoient des mandats et de l’argent. Mes « J’avais vu Les Yeux secs et je me suis dit, je veux travailler avec parents soutiennent une dizaine de personnes. » elle. Narjiss a une vraie identité. » Puis elle tourne dans Zéro, Côté Hexagone, Ouidad, qui a toujours quelque chose sur polar de Nour-Eddine Lakhmari, célèbre depuis Casanegra, le feu, vient d’y multiplier les projets. Cet été, elle a changé film urbain à l’effet coup de poing. Jonglant d’un rôle et d’un de registre avec une comédie, Enchantées, signée par Saphia pays à l’autre, Ouidad a vécu à Londres ces derniers mois. HeuAzzeddine et François-Régis Jeanne. Elle y incarne la petite reuse de rentrer à Paris, lorsqu’elle ne tourne pas, elle passe de sœur de Salma, jouée par Sabrina Ouazani. « Quelle actrice nombreuses auditions. Elle reste auprès de sa famille et de ses incroyable. Généreuse, à l’écoute et tellement drôle ! » confieamis, aime faire de grandes bouffes : « Ça me rend heureuse t-elle. À l’automne, retour au drame social, Amine, réalisé par de voir les gens que j’aime heureux. » Dès qu’elle le peut, elle Philippe Faucon, cinéaste multi-césarisé depuis Fatima. Le s’évade en prenant un vol pour n’importe quelle destination. récit évoque « des travailleurs au black dans le bâtiment en « Avec mer ou montagne ; si je ne peux pas, un bon livre. » France. Je joue une des filles d’un des ouvriers. Le scénario Elle vient d’achever un nouveau film anglais, Drum, réalisé est très beau. Et l’équipe a été merveilleuse avec moi. J’ai été par la cinéaste Hayley Williams et tourné à Londres, qui retrace chanceuse. Et je suis reconnaissante de tant d’expériences », le combat d’une réfugiée et de ses deux enfants, contraints conclut-elle. Pour l’heure, Ouidad Elma est une actrice caméde se cacher au sein d’une école. Franche et premier degré, léon et volontaire qui suit sa bonne étoile. ■ Ouidad a été conquise par la notion de liberté. « La façon dont AFRIQUE MAGAZINE
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AIR FRANCE, COMPAGNIE AFRICAINE Le transporteur a longtemps fait du continent une lucrative chasse gardée. Une position difficile à maintenir mais essentielle pour l’équilibre et le futur de l’entreprise. par Julien Wagner
Une liaison Paris-Abidjan en A380 a été ouverte en 2014 (ici, l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny). Une « première mondiale » et un « symbole fort » pour le groupe. 66
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rallier Bamako (Mali) à partir de 2018. Créée en 1933, Air France est l’une des premières compagnies commerciales au monde à avoir opéré des vols réguliers sur le continent. Elle vient de fêter ses quatre-vingts ans de desserte pour Dakar et vole vers Abidjan depuis soixante-dix-sept ans. Avec le temps, elle a su se rendre indispensable à des États peinant à créer les conditions de l’essor d’une compagnie nationale, jusqu’à bénéficier sur de nombreuses lignes d’une forme d’exclusivité. Aujourd’hui encore, Air France est la seule compagnie à proposer, par exemple, des directs Paris-Luanda, Paris-Libreville ou Paris-Pointe-Noire. Elle a pu y fidéliser une clientèle très prisée, en grande partie « business », travaillant notamment dans le secteur pétrolier. Des clients d’affaires sensibles aux prix du pétrole mais moins aux crises sécuritaires ou aux attentats, contrairement à la clientèle de loisirs. En mars dernier, JeanMarc Janaillac, le PDG d’Air France-KLM, nommé à l’été 2016, a reconnu cette singularité. « La position de leader que nous occupons (en Afrique) sur les liaisons avec le continent européen nous sert de pôle de stabilité et nous permet de dépasser les phénomènes conjoncturels. » En 2016, l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient ont représenté 13,7 % du chiffre d’affaires par destination d’Air France-KLM (contre 33 % pour l’Europe et
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vec pas moins de 430 vols par semaine vers 38 destinations en Afrique, Air France ne quadrille pas encore le continent mais on n’en est plus très loin. Pour elle comme pour de plus en plus de compagnies internationales, la zone est perçue comme recelant de forts potentiels de croissance. Selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), le trafic y a augmenté de 56 % en dix ans et pourrait y progresser de 173 %, d’ici 2035, passant de 111 millions de passagers en 2016 à 303 millions vingt ans plus tard. On comprend dès lors que le transporteur français cherche à y enrichir son offre. En février, il a lancé une liaison vers Accra (Ghana) avec trois fréquences par semaine. Une ouverture qui suivait la mise en place de nouveaux vols vers Marrakech et Agadir au départ de Paris, assurés par sa filiale low cost Transavia (27 vols par semaine vers le Maroc). Au printemps prochain, Air France desservira Nairobi (Kenya) trois fois par semaine au départ de Paris. Quant à sa toute nouvelle marque low cost, Joon (moyens et longs-courriers), lancée à l’été dernier, elle devrait
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BUSINESS AIR FRANCE, COMPAGNIE AFRICAINE
l’Afrique du Nord), soit un peu plus de 3 milliards d’euros. Un chiffre en baisse sur cinq ans (–5 %) mais qui cache des disparités régionales : si les ventes ont bien diminué pour les vols vers une partie du monde arabe, elles se maintiennent pour ceux vers la zone subsaharienne. « L’Afrique, c’est un peu les joyaux de la couronne pour Air France, contextualise Gilles Meynard, directeur général de Pro Sky France (affrètement aérien). En Europe, elle souffre de la concurrence des compagnies low cost. En Amérique du Nord et en Asie, le réseau est hyperconcurrentiel. Au Moyen-Orient, elle a été laminée par les compagnies locales… Reste l’Afrique, où elle est encore un peu protégée. » Une position avantageuse qui tranche avec l’état du secteur aérien continental, zone où les transporteurs naissent et meurent à une vitesse supersonique et qui a enregistré dans son ensemble deux milliards de dollars de pertes cumulées sur les treize dernières années. L’Afrique reste grevée par des taxes prohibitives (leur montant représente 15 % du total mondial pour seulement 3 % du trafic) et un prix du kérosène élevé (+21 % en moyenne que sur les autres continents). Un environnement difficile, où la mauvaise gouvernance se paye cash. En avril 2016, Sénégal Airlines était dissoute à peine cinq ans après avoir effectué son premier vol. Quelques mois plus tard, c’était au tour d’Ecair (Congo-Brazzaville) de voir ses avions cloués au sol après cinq années d’existence et malgré un investissement de départ de près de 500 millions d’euros.
Une domination qui tranche avec l’état du secteur aérien continental, où les compagnies naissent et meurent à une vitesse supersonique.
DES ALLIANCES LOCALES Quant à Kenya Airways et South African Airlines, deux des plus grosses compagnies du continent, elles ont accumulé des pertes abyssales ces dernières années et luttent aujourd’hui pour leur survie. À côté, les positions acquises par les compagnies étrangères, comme Air France, attisent les convoitises. Tant et si bien que certaines sociétés locales appellent à des « alliances africaines », comme l’ex-patron d’Asky Airlines, Henok Teferra, dans Afrique Méditerranée Business (n° 20, sept. 2017) : « L’ensemble des transporteurs africains ne représentent que 20 % du trafic sur le continent. Autrement dit, ce sont des compagnies étrangères […] qui réalisent 80 % de l’activité. […] C’est face à elles qu’il faut gagner des parts de marché pour rééquilibrer la situation et augmenter la part du gâteau qui revient aux acteurs africains. Et cela ne pourra se faire qu’en nouant des alliances entre nous. » Et si les compagnies locales se plaignent, il en va de même pour les passagers. Et depuis longtemps. En cause, une politique tarifaire jugée anormalement élevée. « Je fais des allers-retours depuis plus de trente ans entre Paris et PointeNoire ou Brazzaville. Pas une seule fois je n’ai pris Air France, raconte l’entrepreneur franco-congolais Christian Malumbi. Les prix y sont trop élevés. Ces dernières années, je prenais Ecair, quand ils fonctionnaient encore, ou Brussels Airlines par Kinshasa, Ethiopian par Addis ou la Royal Air Maroc (RAM)
par Casablanca, quitte à faire une ou deux escales en plus. » Un sentiment partagé par beaucoup de voyageurs et corroboré par des tests en ligne. En cherchant trois semaines avant le départ sur le site Opodo.com un aller-retour Paris-Brazzaville du 7 au 13 août, le meilleur prix annoncé revenait à la Royal Air Maroc (RAM) avec 973 euros (pour une durée de dix-sept heures et demie à l’aller avec deux escales, et de douze heures et demie au retour avec une escale) contre 1 228 euros (+30 %) pour Air France (sept heures cinquante à l’aller, huit au retour), seule compagnie à proposer un direct à l’aller comme au retour. Hormis Ethiopian Airlines (avec une escale à Addis-Abeba), aucune autre compagnie n’offrait de vol concurrent. Pour un Paris-Abidjan aux mêmes dates, là encore, c’est la RAM la moins chère à 837 euros avec une seule escale mais seize heures vingt-cinq à l’aller et dix-neuf heures au retour ! Les deux seules compagnies à proposer un aller-retour direct sont Air France à partir de 1 074 euros (+25 %) et Corsair à partir de 1 200 euros. Et si l’on compare les prix Air France entre eux, avec des destinations hors-Afrique, la thèse d’un prix excessif prend de l’épaisseur : un aller-retour Paris-New York en business vaut ainsi 2 982 euros (pour départ 1er novembre retour 8 novembre), soit 0,51 euro du kilomètre, contre 4 242 euros pour Paris-Abidjan aux mêmes conditions, soit 0,87 euro du kilomètre. Une situation qualifiée de rente par certains, qui accusent même le transporteur français de faire du continent et des Africains sa « vache à lait ». Frank Legré, directeur général Afrique d’Air France-KLM, réfute catégoriquement cette description : « L’idée que les lignes Afrique représentent une rente de situation pour la compagnie est erronée. D’ailleurs, elles ne sont pas les plus rentables pour le groupe. » Il a toutefois refusé d’en apporter la preuve : « Nous
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MARCO CASTRO POUR AM
ne communiquons pas sur nos marges ni sur la rentabilité de nos lignes. » La dernière référence en date sur le thème provient du Figaro qui, en 2010, alors que le transporteur vivait des heures difficiles, publiait des chiffres qui allaient dans le sens d’un continent particulièrement profitable pour le groupe. Selon le quotidien, la ligne la plus rentable en taux de marge était ainsi Paris-Luanda (61 %), et celle qui rapportait le plus en valeur absolue, Paris-Libreville (45 millions d’euros). Au point de faire dire à un cadre d’Air France que la compagnie était en situation de « dépendance structurelle » vis-à-vis du continent. Des résultats qu’il faut toutefois nuancer selon certains analystes, comme Ibra Wane, professionnel du transport aérien : « Il est de bon ton de critiquer les monopoles transcontinentaux d’Air France en Afrique et de lui imputer toutes les insuffisances ou tous les échecs du transport aérien local. Mais les situations de fait ne sont pas constitutives d’un monopole de droit. Air France exerce les droits de trafics de la partie française et ne trouve souvent pas en face d’elle un concurrent local pour l’exercice réciproque, c’est un fait. Est-elle pour autant responsable de cette situation ? Je ne le crois pas. » Une analyse partagée par Jean-Louis Baroux, PDG de l’APG World Connect : « Il n’y a simplement personne en face. Les acteurs locaux comme Gabon Airlines, Air Gabon, Sénégal Airlines ou encore Ecair disparaissent les uns après les autres ou survivent à peine. Alors évidemment, Air France vend plus cher là où elle est n’est pas en concurrence. Et c’est là où elle rapporte de l’argent. C’est logique. À la limite, c’est même la base pour une compagnie aérienne. » Une « logique » qui n’est pas toujours du goût de nombreux clients et qui nuit à sa réputation. « L’image de la compagnie est clairement mitigée sur le continent, reconnaît sans mal Ibra Wane. D’un côté, less usagers sont satisfaits car Air France leur offre le monde au u travers d’une exploitation variée, grâce à un réseau d’alliances ces étendu, et avec une très bonne qualité de service, en particulier ulier sur les classes premium. De l’autre, le monopole de fait créee parfois le sentiment chez certains que cette compagnie est trop rop chère. » DE NOUVEAUX ACTEURS TRÈS AGRESSIFS Autre argumentaire en faveur d’Air France : la fidélité. En ne fermant pas, contrairement à d’autres, ses lignes aux premiers risques conjoncturels, sécuritaires itaires ou sanitaires venus, la compagnie assume un risque économique onomique qu’elle doit répercuter à un moment ou un autre surr ses prix. De son côté, pour justifier les tarifs pratiqués, Frank Legré s’appuie avant tout sur la logique commerciale. « Nous faisons ons le maximum pour offrir des tarifs compétitifs pour satisfaire re nos clients. Ceux-ci sont établis par la direction du Revenuee Management & Pricing à Paris, qui prend en considération les spécificités de chaque marché ainsi que l’évolution de l’offre offre et de la demande pour chaque ligne. Notre positionnement nnement n’est AFRIQUE MAGAZINE
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clairement pas d’être systématiquement les moins chers, mais d’offrir un excellent rapport qualité-prix. » En d’autres termes, si de nouveaux concurrents apparaissaient sur ses lignes avec une capacité de service comparable, nul doute qu’Air France baisserait ses prix. Or, cette éventualité pourrait advenir plus vite que prévu. « Depuis cinq ans, cette chasse gardée commence à s’éroder, observe ainsi Gilles Meynard. Sa position de leader en Afrique de l’Ouest est menacée par de nouveaux concurrents. À la concurrence traditionnelle de Brussels Airlines (rachetée à 100 % en décembre 2016 par le groupe Lufthansa) se sont ajoutés des acteurs très agressifs comme Qatar Airways, Emirates et Turkish Airlines. Avec des taux de croissance à deux chiffres sur leur réseau africain, y compris vers l’île Maurice, Madagascar ou les Seychelles. » Et depuis le continent, certaines compagnies bien gérées, comme Ethiopian ou la RAM, commencent elles aussi à empiéter sur les plates-bandes d’Air France, notamment sur le créneau des passagers en correspondance à Paris. « Ethiopian, grâce à son hub d’Addis-Abeba, et la RAM, avec Casablanca, lui ont fait très mal ces dernières années. Alors qu’Air France aurait dû voir son activité croître sur ce marché, elle a eu tendance à stagner. » Enfin, il existe un quatrième de type de concurrent : les Français. « Aujourd’hui, Corsair va à Dakar ou à l’île Maurice, rappelle Gilles Meynard. Et Aigle Azur va à Bamako et Conakry. Le tout selon un mode opératoire opportuniste en misant justement sur des prix plus bas. » Corsair (du groupe TUI) a également rouvert ses vols vers Abidjan depuis juin 2016 et annoncé, mi-septembre dernier, le lancement d’une classe affaires pour achever une montée en gamme entreprise il y a quelques années. Autant de preuves de sa conviction qu’elle peut concurrencer sa « grande sœur » en Afrique et capter une partie d’un marché jugé lucratif. Selon Frank Legré, directeur général Afrique, ces lignes ne sont pas forcément «les plus rentables».
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BUSINESS AIR FRANCE, COMPAGNIE AFRICAINE
Malgré cela, Air France ne considère pas forcément toutes les compagnies opérant sur le continent comme des concurrentes. Elle souhaite même tirer profit de la segmentation du marché entre acteurs transcontinentaux d’un côté et régionaux de l’autre. L’essor des transporteurs qui se concentrent sur l’interafricain est plutôt vu d’un œil favorable à Paris. Des partenariats avec des compagnies comme Asky Airlines, et a fortiori Air Côte d’Ivoire (dont Air France-KLM possède 20 %), qui participent à l’augmentation du trafic au niveau régional, pourraient permettre au transporteur français d’attirer de nouveaux clients et d’alimenter ses hubs régionaux. En parallèle, conscient que le temps joue contre ses monopoles historiques, le groupe Air France-KLM a choisi de se positionner sur le terrain
de ses rivaux. À travers sa filiale Kenya Airways, dont il possède 26 %, le groupe franco-hollandais espère notamment gagner des parts de marché sur les liaisons Asie/Afrique accaparées jusqu’ici par les compagnies du Golfe, Ethiopian Airlines ou Turkish Airlines. Toutefois, cette dernière stratégie laisse beaucoup d’analystes sceptiques. « Nairobi ne peut être un hub concurrent sérieux sur ce marché, ne serait-ce que pour des questions géographiques », commente Jean-Louis Baroux. « De toute façon, renchérit Gilles Meynard, mise à part cette participation, Air France-KLM n’a pas engagé d’investissements notables pour réellement développer ces partenariats. C’est vrai pour Kenya Airways mais aussi pour Air Côte d’Ivoire. Ce n’est pas avec deux A319 et deux A320 qu’ils vont faire quoi que ce soit. » ■
Marc Rochet « Les compagnies africaines doivent se tourner vers un modèle hybride » INTERVIEW
Fondateur du cabinet de conseil Aérogestion en 1999, président du directoire d’Air Caraïbes et de la compagnie French Blue, ses conseils sont sollicités à travers le monde.
l’Afrique est-elle un marché porteur ? Marc Rochet : Oui, bien sûr. C’est là qu’auront lieu les grandes batailles concurrentielles de demain. C’est inévitable : les taux de croissance démographique et économique y sont les plus forts. Grâce aux progrès technologiques et à la digitalisation, le continent est en train de compenser un certain nombre de problèmes structurels et a un avenir florissant devant lui. Si vous en aviez la possibilité et l’envie, où iriez-vous ? Il existe aujourd’hui un « trou » en Afrique. En gros, tout ce qui va de Niamey-N’Djamena au sud de la République démocratique du Congo. Dans cet espace, il y a une belle compagnie à construire. Mais pour que cela fonctionne, il faudrait déjà qu’il y ait un « open sky » et que l’on soit certain de pouvoir acquérir des droits de vol. Si ces conditions sont remplies et que vous êtes capables de ramener des compétences, alors je vous assure que les investisseurs viendront d’eux-mêmes. Je crois que quelqu’un va le faire. Je ne sais pas encore qui… Mais s’il a besoin d’un coup de main, je veux bien lui donner quelques conseils. (Il rit) L’un des débats les plus intenses tourne autour du modèle : entreprises historiques contre low cost. Quel est le plus judicieux pour une compagnie aérienne africaine ? Il faut un entre-deux, une sorte de modèle hybride. On ne peut pas faire de low cost en Afrique aujourd’hui parce que
ce modèle implique beaucoup de trafic, un potentiel de croissance très rapide et une stimulation très forte par Internet. En revanche, il faut prendre tout ce qu’il y a de meilleur dans le low cost pour créer une entreprise capable de mettre au service des populations les prix les plus bas possibles. C’est-à-dire construire une compagnie à partir d’une feuille blanche, y intégrer des avions modernes, des coûts bas, du yield-management (optimisation des tarifs, NDLR) et de la digitalisation. Le transport aérien, ce n’est pas quelques hommes d’affaires richissimes qui veulent un lit dans un avion. C’est 85 % de gens qui payent leur place de leur propre poche. Des individus qui veulent avoir un bon produit pas trop cher. Les clients africains ont souvent le sentiment qu’Air France pratique une politique de prix excessive et qu’elle profite d’une forme de rente sur certaines lignes. Quel est votre avis ? Je ne suis pas capable d’en juger parce que je ne possède pas les informations nécessaires. En revanche, je peux dire que l’Afrique a un problème avec le transport aérien. Les infrastructures sont limitées et le trafic est peu développé, notamment parce que les économies ne sont pas encore suffisantes et que la concurrence y est faible. En revanche, si demain les pays africains décidaient de changer de stratégie, pratiquaient des politiques de ciel ouvert et permettaient à des concurrents de s’installer en pouvant acquérir rapidement des droits de vol,
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AM : Avec seulement 3 % du trafic aérien mondial en 2016,
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AIR CARAÏBES
alors les prix descendraient. La seule façon rationnelle de faire baisser les prix, c’est une croissance du trafic accompagnée d’une augmentation de la concurrence. D’ici là, il est probable que les clients africains continuent de se plaindre des tarifs quelle que soit la société. Peu de compagnies aériennes du continent réussissent à être profitables à l’exception notable d’Ethiopian Airlines… Celle-ci est très bien gérée depuis au moins vingt, vingt-cinq ans, notamment sous l’impulsion de méthodes de travail américaines, sur la rentabilité des lignes et la manière de gérer les flottes. Elle a su moderniser ses avions et possède aujourd’hui de très bons appareils comme des A350 ou des Boeing 787. Enfin, elle a su développer un petit hub à Addis-Abeba, qui fonctionne très bien. Ce sont de bons professionnels. La Royal Air Maroc (RAM) fait aussi parler d’elle en bien, notamment depuis qu’elle a changé son modèle dans les années 2000 en s’intéressant à l’Afrique de l’Ouest… Leur stratégie est proche de celle d’Ethiopian Airlines : trouver des marchés de connexions. Pour cela, la RAM a un avantage : elle peut, au départ de Casablanca, avoir un réseau consommateur d’avions moyen-courrier sans l’obligation de faire du long-courrier comme c’est le cas d’Ethiopian. Mais elle a aussi un handicap, lié à son avantage : sa zone de rayonnement est plus étroite. Il n’y a pas trop de trafic avec le Moyen-Orient, l’Asie et les États-Unis… Donc la RAM a choisi de se focaliser sur la zone où elle est efficace. Elle s’est remise sur ses marchés naturels et c’est certainement le bon choix. Ce qui en fait un concurrent d’Air France… Oui, mais également de Brussels Airlines. La RAM a une place à conquérir. La question qui subsiste est de savoir s’il n’existe pas des compagnies subsahariennes capables d’assumer ce rôle… Si Air Côte d’Ivoire décollait vraiment aux côtés d’une ou deux autres entreprises, l’environnement deviendrait beaucoup plus challenging. Que pensez-vous du choix de la RAM d’une prestation proche du service minimum sur des destinations subsahariennes ? Il y a en effet un effort à réaliser de ce côté-là mais beaucoup de compagnies africaines sont confrontées à ce problème. Il faut que les personnels se considèrent véritablement au service des clients et non au service de simples usagers. Il y a toute une culture à intégrer. Mais peut-être faut-il pour cela un changement de génération et instiller des méthodes modernes de management. Il n’y a pas de raisons que les Marocains, qui sont des gens avec le sourire facile, ne soient pas capables de délivrer un bon service. S’ils ne le font pas, c’est qu’il existe certainement au sein de l’entreprise des raisons structurelles profondes qu’il faut examiner. AFRIQUE MAGAZINE
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Que pensez-vous de la percée de Turkish Airlines en Afrique ? À terme, elle peut devenir le plus gros concurrent d’Ethiopian. Istanbul est un hub avec un potentiel supérieur à celui d’AdSelon Marc dis-Abeba qui a, par ailleurs, un problème lié Rochet, pour à l’altitude (l’aéroport international de Bole se faire baisser les situe à 2 334 m au-dessus du niveau de la mer, prix, il faudrait NDLR) qui rend les décollages plus complexes densifier et qui empêche de transporter des charges le trafic et la concurrence. trop importantes, en fret ou passagers. En comparaison, Istanbul est très bien placé géographiquement : au carrefour de l’Occident, du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient et… pas si loin de l’Afrique. De plus, Turkish a des moyens et des gens compétents. Pour l’instant, la situation politique les dessert et les freine dans la course aux parts de marché et aux gains de position. Pour les compagnies africaines, il s’agirait même de profiter de ce moment pour se développer rapidement car Turkish va devenir un concurrent de plus en plus sérieux à l’avenir. Les trois grandes compagnies du Golfe (Emirates, Etihad, Qatar Airways) semblent avoir atteint un plafond. Quel est votre regard ? Si on met de côté les problèmes géopolitiques, ce n’est pas vraiment qu’elles ont atteint un plafond, c’est qu’il y a eu surdimensionnement. On a voulu faire trop, trop vite et trop proches les uns des autres. Le modèle est bon mais rien ne justifie qu’à cet endroit, certes bien positionné, il y ait trois géantes côte à côte. À terme, l’une peut-elle être amenée à disparaître ? Oui : il n’y a d’espace que pour deux compagnies. Avec un hub à Addis-Abeba, un autre à Istanbul et deux autres dans le Golfe, cela semble tout à fait suffisant. Aujourd’hui, c’est Etihad qui paraît la plus mal par rapport aux chiffres, mais il n’y a pas que les chiffres dans le marché de l’aérien… Si on suit votre raisonnement, il n’y a donc pas de place non plus pour un hub important à Nairobi. L’avenir de Kenya Airways est-il compromis ? Oui, ça risque d’être compliqué pour eux. Pourtant, Air France-KLM a lancé des signaux d’intérêts et peut-être d’investissements futurs dans Kenya Airways dont elle possède près de 26 % des parts… Cela ne semble pas une très bonne idée à première vue. L’intérêt d’Air France – comme des autres compagnies européennes, d’ailleurs – n’est pas de développer du trafic entre l’Afrique et l’Asie, c’est de développer du trafic de l’Afrique vers son hub. Puis, ensuite, du hub vers le reste du monde. Or, il suffit de regarder un globe terrestre pour comprendre qu’il n’y a pas beaucoup d’intérêt pour un Africain de passer par l’Europe pour aller vers l’Asie… ■ propos recueillis par J.W. 71
NABIL ZORKOT POUR AM
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ELLES ET EUX
DJ ARAFAT
« Je suis ivoirien et je mourrai ivoirien » À bientôt 32 ans, l’enfant terrible de Yopougon et ultrapopulaire roi du coupé-décalé n’a pas dit son dernier mot : l’artiste ivoirien, qui vient d’être primé*, revient avec un nouvel album très attendu. Entretien sans langue de bois avec un entertainer aussi adulé que décrié. propos recueillis à Abidjan par Dounia Ben Mohamed * Awards du coupé-décalé et Prix RFI Coup de cœur des auditeurs. AFRIQUE MAGAZINE
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n l’aurait imaginé chichement installé dans les quartiers huppés de la ville, mais c’est à Angré, au nord-est d’Abidjan, que nous retrouvons l’icône locale. Après avoir tourné, pris une impasse, puis une autre, il faut demander aux habitants pour trouver sa maison. En dehors de deux voitures garées, un coupé sport et un 4x4, rien de « bling-bling ». Des mamas pilent dans la cour d’entrée. Dans le salon, habillé de rouge et de noir, son ami Marco accueille les visiteurs. DJ Arafat arrive dix minutes plus tard. « Désolé, il est au téléphone avec le ministre. » Le ministre ? Sans doute Hamed Bakayoko, celui de la Défense, qu’il appelle « papa ». La star arrive en toute simplicité. L’entretien commence par la traditionnelle prise de photos. L’homme se prête au jeu avec grande aise. « J’aurais dû être acteur », plaisante-t-il. Il enfile casquette et lunettes et entre dans son personnage. L’interview commence. « On peut filmer ? » demande son staff. Sa web TV affiche deux millions de vues. En cinq minutes, la vidéo enregistre 2 000 vues. Et, dans la soirée, plus de 70 000. Star aussi adulée qu’honnie, DJ Arafat inspire et agace à la fois. Présentant son nouvel album et son nouveau son, le « trap décalé », il nous parle de sa musique, Dieu, la paternité, l’Afrique… À sa façon. Décalée. ■
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ELLES ET EUX DJ ARAFAT : « JE SUIS IVOIRIEN ET JE MOURRAI IVOIRIEN »
« Je me base sur ma propre vie, celle d’un enfant qui n’avait rien, qui a souffert et qui s’est battu pour s’en sortir. »
AM : Vous venez de recevoir le prix du « meilleur artiste de coupé-décalé ». Après plus de dix ans de carrière, comment réussissez-vous à rester « le meilleur » ? DJ Arafat : On réussit à s’imposer grâce à Dieu. Depuis tant d’années, nous sommes là et ça ne bouge pas… Même si mon public a évolué. Ce sont des jeunes, des vieux, des tontons, des tatas issus de toutes les communautés. Pas seulement en Côte d’Ivoire. Sincèrement, je suis heureux, content que ma musique plaise. Faut-il s’adapter aux nouvelles tendances pour durer ? Oui, c’est justement parce qu’on s’adapte, on suit les rythmes de la musique, les tendances, que nous sommes toujours les meilleurs. Aujourd’hui, des styles nouveaux émergent chaque jour. Le coupé-décalé a évolué. L’afro trap fait sa place. Il faut savoir intégrer ces nouveaux genres musicaux. Ce que beaucoup d’artistes n’arrivent pas à faire… Moi, à la base, je sais tout faire. Vous représentez la Côte d’Ivoire en Afrique, en Europe… Vous en êtes fier ? J’en suis très fier ! Je suis Ivoirien et je mourrai Ivoirien. C’est un drapeau que je porte avec fierté et que je vais emmener haut et loin. Vous parliez de l’afro trap, un genre qui vient d’Afrique. Le continent s’exporte et innove même dans la musique… Oui, et c’est à encourager. Je félicite MHD qui a fait la promo de ce courant qui mêle de l’électronique avec des sonorités africaines, du hip-hop et c’est bon. Mais moi j’aime aller au-delà de mes limites. Et j’ai créé un nouveau son, le trap décalé. Et ça va cartonner ! Vous êtes donc également dans l’innovation, comme l’Afrique qui est en pleine ébullition. Quel rôle doivent jouer les artistes dans l’émergence du continent ? Je vais parler de moi. À part mon art, je ne sais rien faire d’autre. Je suis tout le temps chez moi. Je travaille sur ma musique. Et c’est à travers mon art que je m’exprime et que je représente l’Afrique. Les jeunes changent la société ivoirienne de l’intérieur, ils prennent le pouvoir, sur les réseaux sociaux, comme vous. Vous êtes ultra-connecté… J’ai deux millions d’abonnés sur ma chaîne. Aujourd’hui, les réseaux sociaux font beaucoup et les illettrés s’adaptent. C’est ingénieux. Ça révolutionne nos sociétés, nos habitudes. Il faut s’adapter. Profitez-vous des réseaux sociaux pour faire passer des messages ? Même si souvent les artistes rap disent qu’ils ne veulent pas jouer les prophètes. Et vous, Arafat ? Quand on choisit ce nom, c’est une forme d’engagement… J’ai choisi mon pseudo en hommage à Yasser Arafat et je l’assume. C’était un combattant. Comme moi. En ce qui concerne ma musique, j’ai des morceaux qui font danser et
d’autres, comme vous dites, où je fais passer des messages. Je véhicule des discours comme éviter de tomber dans un cercle vicieux où tu vas voler et finir par te faire braquer. Je me base sur ma propre vie, celle d’un enfant qui n’avait rien, qui a souffert et qui s’est battu pour s’en sortir. Si j’ai un message à passer à travers ma musique, c’est celui-là. C’est pour cela que je chante beaucoup plus en français, pour toucher un public plus large. Là, je prépare un album de fou, le public va se demander ce que j’ai mangé. Quelle sera la couleur de cet album ? J’y ai mis toutes mes influences musicales, du coupédécalé forcément, de l’afro trap, du hip-hop, du trap décalé, du reggae et un morceau de zouk que je vais faire avec Danny. Nous cherchons encore une voix féminine pour accompagner ce titre. Un premier single vient de sortir : « Un enfant béni ». Il a fait un million de vues en deux semaines. C’est encourageant. Nous allons lancer le deuxième sigle, « Hommage à Jonathan », un duo avec Maître Gims (producteur d’Arafat). Et inch’Allah en décembre, l’album sera prêt. (Il fixe la caméra) La destruction est en marche, ralliez-vous ! « Ralliez-vous », cela signifie « suivez mon chemin ». Comment encouragez-vous les jeunes dans ce sens ? Je les encourage en les mettant face à ma réussite. En leur montrant mes biens, mon argent, mes voitures. En leur foutant la pression. Je les encourage à suivre mon chemin et à se battre. Se dépasser, comme Arafat. Je ne me suis jamais dit, quand j’ai commencé, que des médias internationaux, comme le vôtre, s’intéresseraient à moi. Mais j’ai travaillé dur pour cela. Et je veux que les jeunes qui me suivent se battent comme moi. J’ai souffert, vous savez. Je n’oublie pas d’où je viens. Certains artistes, quand ils deviennent très populaires, pensent qu’ils ne marchent plus sur cette Terre. Parce qu’ils gagnent trop d’argent. C’est ce qu’il ne faut pas faire. Moi, je reste naturel. Je m’assois là, à manger mon aloko. Je sors en tongs dans le quartier. Je me montre tel que je suis, au natu-
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ISSOUF SANOGO/AFP
2 octobre 2017, Abidjan. Mulukuku DJ, prix du meilleur disc-jockey platine (à g.) et DJ Arafat, sacré meilleur artiste lors des Awards du coupé-décalé.
rel. C’est ça qui est important : le respect et l’humilité. Ne pas jouer la star. Ce n’est pas le comportement que je montre à mes fans. Et mes fans, ce sont des gens bien éduqués. Ils savent ce qu’ils veulent. (Regardant la caméra) « On vous salue, hé ! La gouadaou vous salue. » La gouadaou, c’est la Blanche. C’est important ça ? Le fait qu’une journaliste blanche vienne vous interviewer. On doit se définir par sa couleur ? Ce n’est pas un problème, je suis noir. C’est le meilleur accouplement. Tout le monde veut vos cheveux. Nos filles se font des tissages pour vous ressembler. Que dites-vous aux filles, à vos fans, qui se blanchissent la peau et se lissent les cheveux ? Personnellement, je préfère l’original. J’aime Dieu et Dieu t’a fait tel donc tu dois rester naturel. Tout mec veut sa métisse. Moi, perso, je suis «tout chargeur». Mais j’ai ma femme, je suis tranquille. Vous êtes marié donc et papa ? Je préfère taire ma vie privée mais je suis père de trois enfants que j’adore. Lachoina, Ezekiel, Maël. Et je serai bientôt père à nouveau. Mais je n’en dirai pas plus. Je préfère rester discret sur ma compagne pour la préserver. Deux de vos enfants portent des prénoms bibliques, vous parlez beaucoup de Dieu, êtes-vous croyant ? Je suis croyant même si je ne vais pas trop à l’église. J’ai mes raisons. Mes frères, ne vous fâchez pas. Mais je crois en Dieu parce qu’il a toujours été présent dans ma vie. Je me suis retrouvé parfois dans de très sales situations, et je m’en suis AFRIQUE MAGAZINE
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sorti, grâce à lui. Même quand c’est dur, quand je ressens trop la question, il est là. Et c’est à lui que je me confie. Mais il y a une vague, là, qui ne me plaît pas trop. Une fois, j’ai essayé d’aller à l’église, le pasteur faisait un show ! La star, ce n’est pas lui. On est là pour Dieu. La Côte d’Ivoire attire le monde entier aujourd’hui… C’est normal. Ce pays a des sommités avec lesquelles on ne plaisante pas, telles que Drogba. Qui ne connaît pas Didier Drogba ? Aujourd’hui, vous avez DJ Arafat qui s’appelle Didier. (Il s’adresse à nouveau à la caméra et à son public) « Hé, mes fans, si vous avez des enfants appelez-les Didier, je vous dis, Didier Drogba est parti de rien, il est multimilliardaire aujourd’hui. Moi aussi, j’ai souffert et aujourd’hui je suis Arafat. » Elle va bien la Côte d’Ivoire aujourd’hui. Elle va mieux ? Je n’entre pas dans certains détails. Ce que je constate : dehors, c’est chaud, mais le pays travaille. Ceux qui doivent s’occuper de ce qu’ils savent faire, le font. Des petits bobos existent encore mais on se soigne. Moi je ne suis pas politicien. Je n’ai aucun parti, aucun soutien, mais mon papa, je l’ai déjà dit et je le répète, c’est Hamed Bakayoko. C’est quelqu’un qui me soutient. Qui m’encourage. Et me gronde quand je fais des choses qui ne lui plaisent pas. Tout ce que je peux dire, c’est qu’on doit rester forts. Unis et ensemble, on deviendra plus forts. C’est le message que j’adresse à tous les Ivoiriens, à tous les Africains. ■ * L’album Ave César (Universal Music) sera disponible en décembre.
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Pirelli Merveilleusement
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Pour le personnage du Loir, le photographe Tim Walker a choisi l’actrice Lupita Nyong’o. 76
PLUS SEXY que le calendrier des Postes, plus rock’n’ roll que celui de l’Avent, « le » Pirelli est attendu chaque année par des millions de fans. Pour cette édition 2018, c’est un casting 100 % noir, africain et américain, qu’a choisi le photographe de mode Tim Walker. Cette fois, loin des modèles parfois dénudés et lascifs qui ont bâti sa réputation, c’est à un voyage étrange que nous convie « The Cal ». Thématique choisie : Alice au pays des merveilles, le roman de Lewis Carroll, réimaginé à la manière du réalisateur Tim Burton. Shootée à New York, cette édition se veut « une célébration de la beauté noire dans toute sa diversité », explique Tim Walker, qui déclare avoir été subjugué par l’Australo-Soudanaise Duckie Thot. « J’ai su qu’elle était mon Alice, dit le photographe, c’était une évidence. Je voulais un mannequin dont l’image ne soit pas ternie par la célébrité. » Et si des top models (Naomi Campbell) côtoient des célébrités (Whoopi Godlberg), le Pirelli 2018 fait aussi la part belle aux activistes, comme l’avocate sud-africaine Thando Hopa qui dénonce le sort fait aux albinos ou l’Américano-Gambienne Jaha Dukureh qui milite contre l’excision. Tous combats qui doivent se mener chaque jour de l’année. ■ Hedi Dahmani AFRIQUE MAGAZINE
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ALESSANDRO SCOTTI/BACKSTAGE PIRELLI
Pour son fameux calendrier cru 2018, le manufacturier italien a choisi de revisiter Alice, le conte de Lewis Carroll, d’une manière inédite. Avec mise en scène spectaculaire et 100 % afro !
CALENDRIER PIRELLI 2018 PAR TIM WALKER
Née en Australie de parents soudanais, le top Duckie Thot est une Alice renversante. AFRIQUE MAGAZINE
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Mannequins et stars composent cet univers onirique, beaucoup moins kitsch que celui du roman du XIXe siècle. Mais tout aussi étrange...
CALENDRIER PIRELLI 2018 PAR TIM WALKER (2)
La Princesse de cœur et la Duchesse, sous les traits de l’avocate et mannequin sud-africaine Thando Hopa (à g.) et de la comédienne Whoopi Goldberg.
Dans le rôle des bourreaux de la Reine, deux stars mondiales : Sean « Diddy » Combs et Naomi Campbell. 78
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CALENDRIER PIRELLI 2018 PAR TIM WALKER
Pour incarner la Reine et le Roi de cœur, la célébrissime drag-queen RuPaul (à g.) et l’acteur et mannequin américanobéninois, Djimon Hounsou.
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Sofia Djama L’Algérie aux deux visages Consacrée internationalement pour Les Bienheureux, son long-métrage primé à Venise, la réalisatrice dresse un portrait aimant et sans concession de son pays fracturé. propos recueillis par Fouzia Marouf peine arrivée, large sourire et yeux rieurs, Sofia Djama irradie le hall de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD, Paris) où rendez-vous a été fixé. Enfant de la République d’Algérie où elle est née et a grandi, la môme obstinée du quartier Sacré-Cœur d’Alger est une cinéaste heureuse. Celle qui rêvait de réaliser un film depuis ses 26 ans signe avec brio Les Bienheureux, un premier long-métrage poignant qui suit la course tourmentée d’Algériens inconsolés, en quête d’identité après la décennie noire qui les a frappés durant treize ans. Sous des airs ombrageux, des émotions à vif, le film est porté par des acteurs confirmés – Nadia Kaci (Algérie), Sami Bouajila (Tunisie), Faouzi Bensaïdi (Maroc) – formant un casting Grand Maghreb. Et révèle de nouveaux talents : Lyna Khoudri, jeune Algérienne récompensée par le prix de la Meilleure actrice à la Mostra de Venise où le film a été sélectionné, et Adam Bessa, d’origine tunisienne. Tous deux sont d’ailleurs nominés dans les catégories Meilleur espoir féminin et Meilleur espoir masculin aux César 2018. Sofia Djama, agnostique et adepte de la pensée de Mohammed Arkoun, se demande « pourquoi la société s’articule sur de la violence, pourquoi en est-on arrivé au terrorisme ? ». À l’image d’Alger, qui lui sert de décor rock, Les Bienheureux, film rageur qui ravive le devoir de mémoire pour les victimes de cette guerre sanglante, est une ode à la vie criante d’humanité.
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AM : Alors que les rares œuvres sur la guerre civile traitent de cette période au plus fort de la tragédie, comment est née l’idée de ce premier film qui évoque l’après-décennie noire… Sofia Djama : J’ai rapidement ressenti le besoin d’écrire le scénario des Bienheureux après avoir réalisé mon premier court-métrage, inspiré d’une nouvelle, Mollement un samedi matin. De plus, le personnage féminin de Fériel, étudiante bravache, est le prolongement adulte de Miassa, victime et révoltée dans le court-métrage. J’avais envie de montrer des personnages différents les uns des autres, car ils incarnent l’Algérie actuelle. Je sais ce qu’est l’intégrisme pour l’avoir vécu au quotidien. Mon urgence était de raconter comment il a fracturé l’intimité des Algériens aujourd’hui, ce qui résulte de la grande histoire lorsqu’elle rejoint la petite. Vous mettez en scène une galerie de personnages de différents âges et milieux sociaux, nourris d’espoirs divers qui reflètent une excellente radioscopie de l’Algérie, mais aussi le choc de deux générations… C’était essentiel. Le film traite d’un conflit générationnel. Amal (Nadia Kaci) et Samir (Sami Bouajila) sont un couple de quinquagénaires qui renvoie à l’Algérie d’hier, au passé, alors que Fahim, leur fils, et ses amis, Fériel et Réda, trio de jeunes étudiants, incarnent l’avenir. Je souhaitais montrer cette rupture avec plusieurs points de convergence. Pareille à la jeunesse du monde entier, mais avec pour toile de fond
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Depuis son premier court-métrage en 2011, Sofia Djama a pris le parti d’être une réalisatrice engagée.
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civile. Samir est, de plus, en totale rupture avec la réalité ; désuet, il va jusqu’à chanter une chanson de Léo Ferré sur la Résistance. Il représente la compromission, il recherche l’appui de relations haut placées pour soutenir son projet de clinique. À l’inverse, Amal , sa femme, enseignante à la faculté, n’est pas dupe. Elle refuse de « sacrifier son fils à l’Algérie » et se bat pour que Samir accepte de le laisser étudier en Europe. Malgré sa combativité, Amal appartenant aussi à la génération post-indépendance se heurte au poids du Code de la famille, qui écrase les droits des femmes. Vous montrez cela de façon explicite dans l’espace public… Amal, elle, est cynique, elle regrette l’absence de perspectives et la perte des espaces. Elle sait que sa génération a échoué, elle dit lors d’une soirée chez leur ami Amin, incarné par Faouzi Bensaïdi, directeur d’un journal à Alger : « On a trahi. » Plus tard, la scène qui se poursuit cette même nuit avec l’envie de dîner de ce couple qui veut fêter ses vingtcinq ans de mariage en allant au restaurant « Le Normand », situé sur la Corniche, en dit long sur l’absence d’espace public, réduit à peau de chagrin pour une femme, fut-elle accompagnée de son mari. Le gérant refuse de lui servir un verre d’alcool au bar et en terrasse car il craint la vindicte populaire. Et lorsqu’elle conduit et qu’elle se fait arrêter par un gendarme, la scène où il est question du livret de la famille qui incarne le Code de la famille, code anticonstitutionnel, réduit totalement la femme à l’état de mineure. C’est de la schizophrénie, tout se cristallise autour du corps féminin, pris en otage. Fériel, jeune fille obstinée, résiste au chaos ambiant alors qu’elle est meurtrie par sa cicatrice à la gorge, stigmate de l’Algérie à la mémoire à vif, toujours enchaînée au terrorisme… C’est la métaphore de la réconciliation nationale de 1999 (loi de Concorde civile), sous Abdelaziz Bouteflika, qui prend tout son sens ? Oui. Fériel représente l’histoire contemporaine. Enfant, elle a échappé à un égorgement, mais pas sa mère, agressée
« Le livret de famille et le Code du même nom réduisent la femme à l’état de mineure. C’est de la schizophrénie… » AFRIQUE MAGAZINE
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SARAH SANTONI
l’état du pays après la guerre civile, car elle alimente d’autant plus ce clivage : le rapport de cette jeunesse née durant le terrorisme et qui s’interroge sur l’héritage de ses aînés totalement désabusés, qui se sont battus et ont perdu leurs illusions. Samir, gynécologue adepte de petits arrangements, qui pratique de façon clandestine des avortements lucratifs et condamnables par la loi, a pourtant participé au mouvement contestataire d’octobre 1988… Oui. Samir, qui vit de façon très confortable et s’est battu à 20 ans pour ses idéaux, entretient le jeu de la corruption, présente à tous les niveaux. Un gouvernement corrompu ne peut que créer une société corrompue. Il achète le silence de sa secrétaire, opposée à la pratique d’avortements illégaux, mais pas opposée à l’idée qu’il la paie pour qu’elle se taise. Amal, sa femme, lui dit d’ailleurs : « Elle te tient par les couilles. » Il est le fruit post-1962 qui a dit non à la paupérisation, au régime totalitaire, à la politique de la corruption et qui a gagné la liberté d’expression : l’Algérie a eu une première presse indépendante au prix de morts, puis a été frappée par la guerre
Derrière les sourires de façade, de nombreuses désillusions.
PIERRE AÏM/LIAISON CINÉMATOGRAPHIQUE
Lyna Khoudri dans Les Bienheureux, sacrée meilleure actrice à la 74e Mostra de Venise.
sauvagement. La cicatrice qu’elle cache s’apparente à la loi de Concorde civile. Il faut nommer les victimes et les disparus de cette guerre civile, sinon on ne pourra jamais en faire le deuil. À Paris, ce qui m’a touchée, après les attentats de Charlie Hebdo, c’est la façon d’égrener les noms des victimes. Et Fériel, avec son foulard dissimulant sa cicatrice, incarne l’impossible deuil des Algériens, la plaie béante du pays. J’ai appris que dans certaines régions de l’Est et de l’Oranais, mises à feu et à sang par les terroristes, les femmes mettaient de l’huile d’olive sur le cou de leurs enfants avant de dormir, pour leur éviter de souffrir car condamnés à être égorgés dans la nuit. (Silence). Pourquoi ce titre, Les Bienheureux ? Il m’est venu en arabe, Essouhada, « Les Joyeux », teinté d’ironie, qui m’a mené à El Moubaraki, « Les Bénis », et enfin Les Bienheureux, ce couple de quinquagénaire portés par Nadia et Samir. Des enfants qui ont hérité de l’indépendance avec la promesse d’un pays libre qui les rendrait heureux. Et une nation qui aspirait à un projet de société. Votre film est urbain, on est heureux de redécouvrir un autre personnage central, Alger, son incroyable lumière, sa baie plantureuse, ses ruelles inclinées. Rares sont les films récents filmés dans la capitale, était-ce difficile d’y tourner ? J’ai écrit en pensant à elle, il était hors de question de ne pas y filmer Les Bienheureux, je la vois, je l’entends : je AFRIQUE MAGAZINE
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connais ses accélérations et ses silences. Sa rumeur diffuse n’est pas un requiem, mais une symphonie ambitieuse. J’ai une fascination pour Alger, qui signifie « la bien gardée ». Elle n’est pas facile, c’est une ville qui résiste. Lorsque j’ai décidé d’y tourner, ce qui n’a pas été difficile, je suis allée voir un jeune originaire de la cité Pouillon, qui est une performance architecturale. Il connaissait très bien l’histoire de ce lieu pensé par l’architecte Fernand Pouillon *. Le fait que je veuille y filmer l’a valorisé, il s’est senti respecté et m’a aidé. Certains membres de l’équipe me disaient que c’était un endroit dangereux, alors que tout s’est bien passé. C’est dû au fait que les Algériens ne se parlent plus, il y a une rupture du lien social et ils ne se connaissent plus. Qui vous a inspiré le personnage de Réda ? Fan de punk et musulman qui se fait tatouer une sourate du Coran sur le dos au prix de sa vie… Un ami avec qui j’étais à la fac, devenu très pieux au point de refuser que je lui claque la bise pour le saluer. Réda est le symbole de la jeunesse qui a besoin de se créer des territoires de liberté, de créativité. (Sourire). Même sous un régime répressif où les curseurs sont poussés au maximum dans la joie et la douleur. Le verset le plus court qu’il se fait tatouer est Al Ikhlas, il renvoie à la symbolique du monothéisme. Je voulais faire un film punk, la partition jeune exprime la part de folie, propre à la jeunesse des quatre coins du monde. Je n’oublierai jamais la médaille d’or d’Hassiba Boulmerka aux JO de Barcelone en 1992 : elle courait en short face aux terroristes, c’était une course, un combat contre la mort. On a tous couru avec elle devant nos télés. La jeunesse a besoin de héros, de modèles vivants. ■ * Architecte français (1912-1986) qui a réalisé près de 300 projets dans 48 villes d’Algérie.
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PORTFOLIO par Hedi Dahmani
Vincent Michéa Que reste-t-il de nos amours? À 23 ans, en 1986, il pose ses valises au Sénégal. Depuis, il partage son temps entre Paris et Dakar. Graphisme, peinture, photographie, collage, portraits, sur toile, sur trame, il explore cette Afrique multiple, ses visages, ses codes. Un travail original, loin de tout intellectualisme abstrait, une sorte de pop art séduisant, mutant et coloré. Co-fondateur du label 100 % Dakar (collectionneur de disques aussi), il expose régulièrement et aux plus belles adresses. Et il sera présent à la galerie Cécile Fakhoury (Abidjan)* pour entamer l’année en beauté ! Exposition « Que reste-t-il de nos amours ?», jusqu’au 10 février 2018. cecilefakhoury.com 84
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« Salut les copines N° 4 ». Collage, 2016. Tirages photo, papiers découpés, acrylique, 20 x 30 cm.
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« Rendez-vous N° 2». Peinture, 2016. Acrylique sur toile. 150 x 150 cm.
« Mon petit déjeuner sur l’herbe (l’automne) ». Collage, 2016. Dakar, 2013. Tirages photo, acrylique et papier découpés. 35 x 52 cm.
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« Fatou Pompidou N° 1 ». Collage, 2017. Tirage photo, acrylique et papier. 19 x 27 cm.
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« Série 100 % Dakar », Collage, 2016. Tirage photo, papier et acrylique. 30 x 40 cm.
« Hôtel Ivoire N° 14 ». Collage, 2016. Tirage photo, lettres transfert . 30 x 40 cm.
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LE DOCUMENT présenté par Hedi Dahmani
Kadhafi l’Africain
Fascinant, rebutant, déroutant… Dans une biographie richement documentée, le journaliste Vincent Hugeux revient sur le parcours et la personnalité de l’ancien leader libyen qui, durant quatre décennies, aura tour à tour amusé ou effrayé le monde. Jusqu’à creuser sa propre tombe. Extraits.
Q Kadhafi par Vincent Kadhafi, Vi tH Hugeux, 400 p., éd. Perrin (2017).
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uarante-deux ans d’un règne paradoxal. Débuté par un coup d’État sans effusion de sang à l’été 1969. Et achevé par un lynchage en règle, filmé un jour d’octobre 2011. Qui a été le « Guide de la révolution » ? L’amuseur qui certifiait que Shakespeare était arabe ? Le justicier qui a soutenu Idi Amin Dada contre vents et marées ? Apporter une réponse tient de la gageure tant l’ancien leader de la Jamahiriya était déroutant, mais Vincent Hugeux s’en tire avec brio. Dans une biographie minutieusement détaillée, que servent des témoignages inédits, l’auteur, grand reporter à l’Express, narre les fulgurances, volte-faces et contradictions permanentes de celui qui, à l’aube du XXI e siècle, se voyait « Roi des rois d’Afrique » (lire extraits). L’on y découvre un garçon issu d’une famille analphabète qui se révèle un élève surdoué. Un adorateur de Montesquieu, Rousseau, Lumumba et Nasser. Un séducteur qui se fera prédateur sexuel. Un ex-jeune colonel idéaliste qui n’aura de cesse de recourir à la chirurgie esthétique jusqu’à défigurer son visage. Et, surtout, un imprécateur creusant sa propre tombe. Et si, au long de cette passionnante saga, le lecteur est confronté au portrait d’un « formidable acteur d’un formidable échec », une partie de l’énigme Kadhafi n’en continue pas moins de demeurer entière. ■ AFRIQUE MAGAZINE I 3 7 5 - 3 7 6 – D É C E M B R E 2 0 1 7 - J A N V I E R
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1973. Quatre ans après sa prise de pouvoir, le jeune colonel ne rêve alors que d’unité arabe.
LE DOCUMENT
Extraits Une thèse convenue, colportée par d’innombrables écrits, veut que Muammar Kadhafi n’ait porté le regard vers le sud – l’Afrique subsaharienne – qu’après l’avoir détourné de son Orient, la sphère arabo-musulmane. Illusion d’optique. « Il n’y a pas eu volte-face, soutient l’ex-ambassadrice Josette Dallant. Kadhafi a toujours été arabe ET africain. Faisant prévaloir selon les circonstances l’une ou l’autre de ses stratégies. » Nul doute que les échecs essuyés sur le front de l’unité arabe lui inspirent un dépit tantôt navré, tantôt rageur. Et qu’ils incitent le futur « roi des rois traditionnels d’Afrique » à intensifier une offensive protéiforme, politique, diplomatique, militaire, religieuse et culturelle. Ne supprimet-il pas en 2000 le ministère de l’Unité arabe au profit d’un portefeuille de l’Unité africaine ? Cela posé, un dense faisceau d’indices atteste la précocité de son ambition continentale. D’autant qu’historiquement, la Libye a toujours été tiraillée entre Maghreb, Machrek et aire subsaharienne. Après tout, les routes caravanières d’antan couraient du golfe de Syrte à celui de Guinée. Quant à la Jamahiriya, voilà des lustres que, armée de ses « pétrodinars », elle laboure méthodiquement le continent noir sous la houlette de centaines d’imams, laissant dans le sillage argenté de la « Société de l’Appel islamique », instrument prosélyte créé dès 1972, des mosquées, écoles coraniques, centres culturels ou dispensaires. De fait, l’influence libyenne se lit dans la pierre. De Niamey à Kampala, les fidèles prient à la grande mosquée Kadhafi. Lequel inaugure en juillet 2009 celle de Ségou (Mali), d’une capacité de 4 000 places. Et où donc le Franco-Béninois Lionel Zinsou, Premier ministre et candidat à la présidence de l’exDahomey, reçoit-il ses visiteurs en février 2016 ? Dans sa résidence de la « maison Kadhafi », le luxueux complexe résidentiel aux 69 villas de la Communauté
des États sahélo-sahariens, ou Cen-Sad, organe fondé en 1998 à Tripoli. Il faut dire que le Libya Africa Portfolio (LAP), fonds d’investissement dédié à l’essor du continent noir, détient un trésor de guerre d’environ 50 milliards de dollars. De quoi étoffer au fil des ans le catalogue des offrandes dispensées du Nigeria à Madagascar et du Cap-Vert à l’Ouganda. Citons la tour Kadhafi à Dakar, une ferme de 100 000 hectares au Mali, des forêts, une usine de caoutchouc au Liberia, un oléoduc Rwanda-Burundi, un centre commercial à Ouagadougou, des hôtels à foison et des banques en pagaille. Ainsi, à la fin des années 1990, le cavalier émérite n’enfourche pas un nouveau dada, mais un cheval de retour. […] On se souvient du culte que le jeune lycéen de Sebha vouait au Congolais Patrice Lumumba, martyr tombé au champ d’honneur de la résistance à l’impérialisme colonial. Le primus inter pares du CCR ne tardera pas à passer de la théorie aux travaux pratiques. Le 7 octobre 1971 à Sabratha, théâtre des cérémonies du « Jour de l’Évacuation », il annonce avoir expédié par avion quelques caisses d’armement en GuinéeConakry, pays qu’il juge « exposé à une agression ». L’année suivante, la Libye vole au secours de l’Ougandais Idi Amin Dada, dictateur dément et adulateur de Hitler converti à l’islam, aux prises avec une rébellion basée en Tanzanie puis en conflit ouvert avec son voisin Julius Nyerere. Soutien amplifié six ans plus tard, avec l’envoi d’un contingent de plus de 2 000 soldats. Un désastre, déjà : plusieurs centaines d’entre eux succombent aux traquenards de la forêt tropicale. Plus au nord, le colonel revendique la paternité du Front Polisario, officiellement fondé en avril 1973 à Zouerate (Mauritanie) afin de combattre l’occupation espagnole du Sahara occidental. Dans le voisinage immédiat, cet activisme tracasse. Ainsi, le Nigérien Hamani Diori se plaint auprès de Jacques
L’influence se lit dans la pierre. De Niamey à Kampala, les fidèles prient à la grande mosquée Kadhafi. Lequel inaugure en 2009 celle de Ségou (Mali), de 4 000 places.
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BRUNO KLEIN
Reste que « Bok » paye son apostasie au prix fort. En Foccart, le marabout africain de la famille gaulliste, septembre 1979, le Guide le fait lanterner une trentaine du harcèlement d’un Kadhafi soupçonné de convoiter d’heures avant de consentir à le recevoir à Benghazi. l’uranium du massif de l’Aïr. « La Foque » – sobriquet du Ce sera l’ultime rencontre au sommet de Sa Majesté fondateur du Service d’action civique (SAC) – n’a nul impériale Bokassa I er. De retour à Tripoli, il est réveillé besoin d’une telle confidence pour s’alarmer des visées du colonel, patentes du Sahel au bassin du Congo. au cœur de la nuit par un appel d’Ali Triki. Et c’est de la […] bouche du ministre libyen des Affaires étrangères qu’il Déjà, le pouvoir de nuisance du boutefeu nassérien apprend sa destitution, orchestrée par la France du et ses recettes pétrolières lui valent les égards, fussent« cher cousin » Valéry Giscard d’Estaing. ils de façade, des potentats en place. Lesquels défilent Un chèque ou une mallette et un banquet – chorba en rangs serrés à Tripoli pour y signer des liasses et ragoût de mouton – à l’hôtel Waddan pour Son de traités d’amitié et de coopération. Certains, on le Excellence le président, une razzia au souk des sait, poussent le zèle jusqu’à embrasser l’islam sur bijoutiers pour Madame… La prodigalité de l’hôte les instances de leur hôte. C’est ainsi qu’en 1973, libyen n’est nullement désintéressée : le colonel attend le Gabonais Bongo troque son prénom chrétien de ses obligés qu’ils rompent tout lien diplomatique – Albert-Bernard – contre celui, avec Israël. À l’automne 1973, tandis que roulent les tambours de la guerre certifié halal, d’Omar. Imité en cela du Kippour, quatorze ont obtempéré. sept ans plus tard par le Béninois Rupture temporaire, pour la plupart. Mathieu Kérékou, brièvement En mai 2008, le soixantième rebaptisé Ahmed. Conversions monnayées si besoin : en guise de anniversaire de la création de l’État contrepartie, le Centrafricain Jeanhébreu donnera la mesure du déclin de l’emprise du Guide. Celui-ci Bedel Bokassa obtient en septembre a beau dépêcher un émissaire 1976 l’ouverture à Bangui d’une personnel auprès de ses partenaires antenne de la Banque de Libye, dotée d’un copieux pactole, ainsi qu’un subsahariens pour les dissuader virement d’un million de dollars sur de participer aux cérémonies à son compte personnel. Ruiné, avide Jérusalem, seul le Béninois Thomas de cash, l’ancien sergent-chef de Boni Yayi rentre dans le rang. À l’Armée française et futur empereur, l’inverse, Blaise Compaoré (Burkina venu assister aux cérémonies du Faso) et Paul Kagamé (Rwanda) septième anniversaire du putsch bravent l’oukase. Quant à l’absence victorieux, transforme in petto son du Togolais Faure Gnassingbé, elle cabinet en Conseil de la révolution, doit moins aux objurgations de Spécialiste de l’Afrique, Vincent Hugeux échange son patronyme contre celui Kadhafi qu’à la défaillance du DC-8 est grand reporter à l’Express. de Salah Eddine Ahmed et somme présidentiel, cloué au sol à Francfort tous ses ministres d’adopter la vraie foi. Foi que lui(Allemagne) par une avarie mécanique. même abjure trois mois plus tard, tant la rigueur de ses Autre obsession, la diffusion de son purisme préceptes heurte un viveur de son espèce. « Bokassa, insurrectionnel. En mars 1974, devant le conseil écrit dix ans plus tard le pilier de Jeune Afrique Sennen municipal de N’Djamena, le colonel décrète l’abolition Andriamirado, m’a raconté avec force détails et éclats des frontières héritées de l’ère coloniale et exalte une de rire comment, pour le convaincre de devenir révolution « qui rejette toutes les coutumes occidentales musulman et de transformer son empire en République pourries que le colonialisme a voulu implanter chez islamique de Centrafrique, Kadhafi leur avait lavé nous, telles les boissons alcooliques, les jeux de les pieds, à lui, à son fils et à tout le gouvernement. » carte, la danse, le commerce du sexe et les boîtes de nuit ». Quelques jours plus tard, à la tribune de la 4 e AFRIQUE MAGAZINE
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LE DOCUMENT
conférence panafricaine de la Jeunesse, convoquée à Benghazi, voici qu’il somme la nouvelle vague de se purifier des influences impérialistes et sionistes. Pour lui, point de salut en dehors du modèle tripolitain : « Nous souhaitons voir une Afrique libérée, maîtresse de ses richesses, affranchie de l’aliénation, proclame-t-il en août 1983. C’est un rêve lointain, car le continent restera longtemps encore arriéré et sous-développé. […] Tant que l’Afrique n’aura pas adopté la méthode libyenne, elle végétera dans le sous-développement. » *** Prosélyte, provocateur, le timonier du CCR * se plaît à heurter ses pairs et ses aînés. Le Sénégalais Abdou Diouf, alors Premier ministre de Léopold Sédar Senghor, garde un souvenir cuisant de sa première visite en Libye, au milieu de la décennie 1970. « Kadhafi avait invité Senghor, raconte-t-il quarante ans après. Craignant qu’il cherche à l’humilier, je suggère au chef de l’État de m’y envoyer à sa place. » Sage précaution. Le soir de son arrivée, Diouf a droit à l’audience sous la tente. Et le colonel l’accueille en ces termes : « Alors comme ça, vous venez du Sénégal, ce pays où une minorité chrétienne opprime la majorité musulmane ! » Réplique du visiteur : « Excellence, vous ne devez pas être parfaitement informé. Les deux ministres qui m’accompagnent, notre ambassadeur à Tripoli ici présent et moi-même sommes tous disciples de l’islam. Quant au président Senghor, il est davantage soutenu par les dignitaires religieux musulmans que par leurs homologues chrétiens. » Surpris, son hôte bat en retraite. « Désolé, esquivet-il. Je me suis trompé. On m’aura mal renseigné. » Contrition sincère ? Pas sûr. Dakar rompra d’ailleurs avec Tripoli en juillet 1980. « À cette époque, poursuit l’ancien secrétaire général de la Francophonie, la Jamahiriya a envoyé à Dakar une petite équipe chargée de déstabiliser le pays. Nous avons repéré, arrêté et renvoyé ses membres. Kadhafi m’a alors appelé pour me jurer qu’il n’y était pour rien et me promettre de châtier les intéressés… » Comme on l’a vu dans un chapitre
précédent, Abdou Diouf n’en a pas fini pour autant avec le Guide. Président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine de juillet 1985 à juillet 1986, il lui faut endiguer le forcing de celui qui, déjà, guigne en vain les commandes de l’instance panafricaine. Père de famille, il doit contenir ses pulsions matrimoniales. Devine qui vient camper… En Afrique plus qu’ailleurs, toute visite de la caravane Kadhafi place ses hôtes sur les charbons ardents. On sait à peine quand elle déboule, moins encore pour combien de temps. Et l’on ignore parfois qui fait quoi. Le 8 mai 1985, trois avions-cargos militaires non identifiés amorcent, tous feux éteints, leur descente sur l’aéroport de Bujumbura, capitale du Burundi. À leur bord, le contingent précurseur chargé de sécuriser la visite prévue programmée deux jours plus tard. Or, la tour de contrôle leur interdit l’atterrissage. Cap donc sur Kigali (Rwanda), le temps de dissiper le malentendu. Là, nouveau contretemps d’une semaine, du fait du décès du père du qaïd as-Thawra. Sans doute le Burundais JeanBaptiste Bagaza aurait-il préféré que ce périple dans les Grands Lacs n’eût jamais lieu. Au beau milieu du dîner de gala, Kadhafi appelle en effet de ses vœux le meurtre du maréchal Mobutu, maître de l’immense voisin zaïrois, reçu quelques jours plus tôt en Israël, donc coupable de « haute trahison ». […] Une rengaine connue : « L’islam est la religion de l’Afrique, tonne-t-il. Le christianisme celle des agents du colonialisme, des ennemis français, belges, allemands et américains, celle des Juifs aussi. » Dans le même esprit, il invite son auditoire à apprendre l’arabe et à convertir les enfants chrétiens. Offensive poursuivie au fil des ans, non sans succès d’ailleurs. Les prêcheurs de la Jamahiriya sillonnent le continent, du Bénin à Madagascar et de la Guinée au Mozambique, revendiquant ainsi en 2008 la conversion d’environ 3 000 villageois togolais. ■
« Kadhafi avait invité Senghor, raconte Abdou Diouf. Craignant qu’il cherche à l’humilier, je suggère de m’y rendre à sa place. » Sage précaution.
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* Conseil de commandement de la révolution.
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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N
L’hôtel Ivoire à Abidjan, où s’est tenu le 5e Sommet UA-UE.
CÔTE D’IVOIRE
VIVE L’AMBITION! THIERRY GOUEGNON/REUTERS
Modernisation, diplomatie, développement… Abidjan affirme ses désirs d’avenir.
D O S S I E R D I R I G É PA R Z YA D L I M A M - AV E C D O U N I A B E N M O H A M E D
DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire
Sur le chemin de
Abidjan a accueilli le 5e Sommet Union africaine-Union européenne, fin novembre. Un formidable coup de projecteur pour un pays en mutation : diversification, infrastructures, formation… L’économie affiche les signes d’une croissance durable. par Dounia Ben Mohamed 96
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l’émergence
MICHAEL KAPPELER/DPA/ABC/ANDIA
Le sommet a réuni 83 chefs d’État ou de gouvernement africains et européens.
«C
’était un défi pour Abidjan. En termes de logistique, une première pour nous. Et je pense que nous l’avons relevé. » Ce sentiment exprimé par un proche du gouvernement ivoirien semble partagé. Avec près de 5 000 participants, dont 83 chefs d’État ou de gouvernement – tous les pays d’Afrique ainsi que les 28 de l’Union européenne (UE) –, Abidjan était au cœur de l’actualité les 29 et 30 novembre à l’occasion du 5e Sommet Afrique-UE. Après l’Égypte en 2000, la Côte d’Ivoire est ainsi le deuxième pays du continent (premier d’Afrique AFRIQUE MAGAZINE
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subsaharienne) à accueillir la rencontre. Les autorités ont mis les petits plats dans les grands, ne laissant aucun détail au hasard. Des voies refaites en quelques jours, la sécurité renforcée autour du Sofitel hôtel Ivoire… L’enjeu était de taille : confirmer la place d’Abidjan comme plateforme diplomatique continentale. « Côte d’Ivoire is back », annonçaient les autorités ivoiriennes en 2014. Black-listé pendant la crise politico-militaire, force est de constater aujourd’hui que le pays, fort des succès de sa realpolitik, s’affirme comme un acteur majeur des relations avec l’Afrique. Avec l’Europe. Mais pas seulement. Élue membre 97
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La chancelière allemande, Angela Merkel, et le président Alassane Ouattara, le 29 novembre, dans le cadre du sommet à Abidjan.
de construire (+ 19,67 %), la création d’entreprise (+ 0,34 %), le raccordement à l’électricité (+ 0,95 %), le transfert de propriété (+ 0,35 %) ou encore le paiement des taxes et impôts (+ 0,47 %). L’attractivité du pays se renforce Des réformes qui participent à l’amélioration du climat des affaires et suscitent la confiance des bailleurs de fonds comme des investisseurs internationaux. L’attractivité du pays se renforce. Et se diversifie. Après les Français, les Marocains ou encore les Chinois, les Indiens figurent désormais, avec une hausse de leurs investissements de 300 % en un an, comme les nouveaux partenaires privilégiés de la Côte d’Ivoire. Sans oublier les Turcs. Et les voisins du continent. Le produit ivoirien se porte bien et se vend de mieux en mieux. De quoi permettre aux autorités d’accélérer la feuille de route : la deuxième phase du Plan national de développement 2016-2020, le PND II, doit matérialiser la transformation de l’économie ivoirienne… En commençant par l’agriculture. Même si la filière cacao – 15 % du PIB national – se relève difficilement de la chute des cours sur les marchés mondiaux (plus de 30 % entre mars et octobre 2016), les graines de la transformation de l’agriculture ivoirienne sont semées. « Alors que l’année 2018 ne devrait pas voir une amélioration des cours, l’alternative serait d’augmenter le taux de transformation locale du cacao, pour atteindre les 50 % de la production nationale », exhortait Coulibaly Siaka Minayaha, directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Mamadou Sangafowa Coulibaly, lors des dernières Journées nationales du cacao (JNCC). Déjà, les premières tablettes et autres produits dérivés du cacao 100 % made in Côte d’Ivoire ont fait leur apparition sur les étals des grandes surfaces locales, avec l’implantation de chocolatiers tels que Cemoi, Nestlé ou Mars pour le dernier venu. Mais avec un tiers des 2 millions de tonnes de cacao récoltées par an (la moitié de la production mondiale) qui est transformé sur place, la marge de progression est importante. 3 75 - 3 76 – D ÉCEM B R E 2 017 - JANVI ER 2 01 8
LUC GNAGO/REUTERS
Les réformes participent à l’amélioration du climat des affaires et suscitent la confiance des bailleurs de fonds comme des investisseurs internationaux.
non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Côte d’Ivoire fait son entrée sur la scène diplomatique internationale. Avec une ambition non dissimulée par le chef de l’État, Alassane Dramane Ouattara : s’imposer comme le leader politique régional sur toutes les questions liées à la sécurité, le développement, le climat, l’emploi des jeunes, l’immigration… Tous les sujets au cœur des préoccupations mondiales, en somme. « Cette élection témoigne de votre soutien à l’engagement constant de mon pays en faveur de la paix et du dialogue. Elle est aussi un appel à partager, avec le monde, notre expérience en matière de gestion de sortie de crise », déclarait-il en septembre dernier lors de la 72e assemblée générale de l’ONU. Avec un taux de croissance de 7 %, l’un des plus forts de la région, et ce six ans après ladite sortie de crise, l’ancien directeur adjoint du FMI veut faire de son pays un modèle de développement socio-économique en Afrique. Une ambition confortée par l’embellie macroéconomique. En dépit de la chute des cours du cacao, qui n’a pas été sans impact pour le premier producteur mondial, l’économie ivoirienne reste robuste. En témoigne le rapport « Doing Business » 2018 édité le mois dernier. À la 139e place, la Côte d’Ivoire, souligne le rapport, enregistre des progrès significatifs au niveau de certains indicateurs. Dont l’obtention des permis
D’une capacité de 275 MW, la centrale hydroélectrique de Soubré, dans le sud-ouest du pays, a été inaugurée le 2 novembre dernier.
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Construction de logements par le groupe marocain Addoha à Koumassi, commune d’Abidjan.
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Conséquence directe de l’amélioration du niveau de vie, le paysage commercial se métamorphose progressivement.
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certaine amélioration du niveau de vie au cours des cinq dernières années, est la cible des investisseurs. Dans la grande distribution : les centres commerciaux se multiplient dans la capitale. L’immobilier également, avec une construction de moyen et grand standing en plein boom. Ou encore la banque et l’assurance, avec désormais 28 institutions financières sur la place. Une concentration de l’activité qui favorise l’apparition de produits, y compris sur le digital. Mais aussi sur le plan politique, avec une « nouvelle élite » qui ne cache pas sa soif de plus de démocratie, de transparente, d’égalité… de changement. Déjà 2 millions d’emplois créés À l’image du paysage audiovisuel, en pleine mutation également avec l’arrivée de la TNT, la société ivoirienne change de visage. Et affiche ses nouvelles ambitions. Les jeunes notamment – plus de 70 % de la population nationale – poussent et participent à leur manière à la transformation. Grâce à l’essor du numérique, une niche pour les entrepreneurs, de plus en plus nombreux à se saisir des opportunités qu’offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), en développant des solutions de « mobile monnaie » en zone rurale, des applications pour améliorer la prise en charge des victimes d’accident ou encore des jeux vidéo 100 % développés au pays. À tout niveau, le made in Côte d’Ivoire se développe, répondant aux nouvelles attentes de la population, et participant à la diversification de l’économie. Et à la création de postes, le grand défi pour la Côte d’Ivoire, comme nombre de pays du continent. Déjà 2 millions d’emplois ont été créés depuis 2011. Pour que d’autres voient le jour, et surtout encourager les jeunes Ivoiriens à inventer les leurs, l’État a mis en place un nouvel écosystème composé d’un ministère dédié à la jeunesse ; une agence pour l’emploi des jeunes et un guichet unique centralisant l’accès à l’information, l’accompagnement, le financement et l’incubation ; et bientôt un fonds d’investissement dont la vocation sera d’accompagner les ambitions entrepreneuriales de la jeunesse nationale. ■
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Phénomène nouveau le plus visible, l’émergence d’une classe moyenne, et à travers elle de nouveaux services, habitudes de consommation, et plus largement de modes de vie inédits.
Objectif désormais : 50 % de transformation locale. Pour le cacao, mais également le café, l’anacarde, le coton… et tous les autres fruits du sous-sol ivoirien. Un cap inscrit dans le Plan national d’investissement agricole (PNIA), 20152020, un programme mené en synergie avec le PND, qui doit mobiliser 2 040 milliards de francs CFA d’investissement sur cinq ans dans le secteur, porté par le privé essentiellement. À terme, c’est un nouveau modèle agricole que la Côte d’Ivoire affichera, avec in fine l’amélioration du niveau de vie des populations rurales. Lequel a doublé entre 2011 et 2016, passant de 3 000 milliards de francs CFA (4,5 milliards d’euros) à près de 6 000 milliards de francs CFA. « C’est donc en moyenne 20 % du budget qui est distribué par an au monde paysan », s’est réjoui le chef de l’État, alors qu’il participait à l’ouverture officielle à Abidjan du 7e Forum sur la révolution verte en Afrique (AGRA). En attendant, des signes de changements significatifs de la société ivoirienne commencent à s’entrapercevoir. Avec, pour phénomène le plus visible, l’émergence d’une classe moyenne et à travers elle de nouveaux services, habitudes de consommation, et plus largement de modes de vie inédits. Représentant entre 25 % à 75 % de la population selon les études, cette nouvelle catégorie, portée par l’embellie économique, le regain d’attractivité du pays et la création de nouveaux emplois participant à une
Le 30 novembre, les présidents Macron et Ouattara ont posé ensemble la première pierre du futur métro d’Abidjan.
Abidjan Bouger! Bouger! Bus connectés sur les routes, navettes sur la lagune, réformes du permis de conduire, sécurité… Le quotidien des citadins se transforme. En attendant le grand chantier du métro.
SIMON ROBERTS
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n jeudi d’octobre, en fin d’après-midi, les quais de la lagune, à la sortie du quartier du Plateau, connaissent une affluence inhabituelle. « Ils vont prendre les bateaux-bus pour rentrer chez eux », explique un chauffeur de taxi. C’est la nouveauté dans le paysage des transports à Abidjan. Des navettes sillonnent désormais la lagune, offrant une alternative à la circulation étouffante dans une ville en plein boom économique, où 1,2 million de personnes se déplacent chaque jour. La libéralisation de l’activité à la fin
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de l’année 2016 s’est traduite par l’arrivée de nouveaux acteurs privés, la Compagnie ivoirienne de transport (Citrans) et la Société de transport lagunaire (STL). Leurs services relient les communes de Cocody, Treichville, Plateau et Yopougon pour un coût du trajet entre 150 et 500 francs CFA (entre 23 et 75 centimes d’euros), selon la compagnie. Sous la forme dite construction-exploitation-transfert (Bot), les deux entreprises ont pour mission d’offrir un « service public de qualité aux voyageurs ». Citrans a démarré son activité avec 18 navettes. La compagnie s’est
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engagée à « apporter des facilités d’attente et de grandes commodités dans les gares », selon son directeur général Zoumana Bakayoko, notamment avec des bateaux-bus équipés d’« un système de gestion intégré qui permet à l’usager d’avoir en temps réel sur son portable l’heure d’arrivée des navettes ». De son côté, la STL, filiale du groupe Snedai, espère, avec 16 bateaux, « transporter 50 000 personnes par jour à raison de rotations toutes les 30 minutes », en vue de « faciliter la mobilité des Ivoiriens », selon son promoteur, figure de la scène 101
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politique, Adama Bictogo, qui ajoute : « Les gares aussi sont prêtes. Nous respectons les engagements pris vis-àvis de l’État. Lorsque la STL atteindra son point de pleine croissance, nous disposerons de quarante bateaux-bus sur la lagune, dont cinq en réserve. » Des navettes équipées d’un accès wi-fi dans la classe VIP, qui devront, par la suite, desservir les stations balnéaires, Assinie ou Bassam. La Société des transports abidjanais (Sotra), détenue à part majoritaire par l’État ivoirien, reste dans le jeu. Avec 30 000 passagers par jour, elle doit, dopée par la nouvelle concurrence dans le secteur, monter en puissance. alternative aux « wôrô-wôrô » Contrairement à ses deux rivales, la Sotra gère également le réseau de bus urbain, dans lequel elle a introduit depuis avril 2016 l’accès wi-fi : une centaine de Wibus circulent dans la commune de Cocody, à titre expérimental. Des minibus qui disposent de 27 places assises, d’un cadre confortable et qui offrent la connexion Internet, pour 400 francs CFA (60 centimes d’euros) le trajet. Une initiative qui doit s’étendre à d’autres communes de la ville. Ces bus proposent une alternative aux taxis « wôrô-wôrô », mais aussi aux services VTC (voiture de tourisme avec chauffeur) de type Uber qui ont récemment émergé. La Sotra, déterminée à utiliser le numérique pour renouveler son image et améliorer son offre, envisage d’autres innovations, telles que des systèmes de paiement électronique et d’informations pour les voyageurs. Depuis 2014, un nouvel opérateur a fait son entrée dans le secteur des transports. Quipux Afrique, filiale d’un groupe brésilien, a fait ses preuves en Amérique latine en déployant des solutions numériques pour moderniser les transports et 102
leur système de gestion. Il a entamé Banque africaine de développement son expansion africaine par la Côte au sein même de l’institution, pour la d’Ivoire. La « méthode Quipux » a population huppée à Cocody… À leur démontré son efficacité à Treichville, arrivée, les personnes sont filtrées à dans l’un des 30 centres de gestion l’accueil, puis orientées vers les guichets intégrée (CGI) mis en place à travers correspondants, où elles attendent, le pays. Avec plus de 500 employés, la patiemment, que leur numéro s’inscrive filiale a opéré un changement radical sur les écrans dans la salle d’attente. Au pour les conducteurs ivoiriens. « On a comptoir, un homme vient effectuer un entièrement repris en main les permis renouvellement de permis. Les guichets de conduire », souligne Mabana Koné, sont équipés d’appareils photo et de chef d’opération CGI à Abidjan. Plus scanners pour prendre exactement, l’entreprise a mis en place les empreintes digitales. Les données et exploite un système regroupant les sont transmises en temps réel à la activités du secteur des database. transports terrestres. Pendant que les « Nous avons pris conducteurs effectuent la 30 centres à en charge la gestion visite médicale, qui vise travers le pays des permis, des cartes à vérifier leurs aptitudes recueillent grises pour tout type et qui comprend une de transport. Nous prise de sang – le groupe désormais les nous occupons des sanguin fait partie des données des nouveaux candidats, informations inscrites sur particuliers et ou du renouvellement. » le permis –, les agents du professionnels de ministère des Transports, Progressivement, la route. Des professionnels de la présents sur chacun informations route et particuliers sont des sites, se livrent aux enregistrés dans une vérifications d’usage, précieuses qui database biométrique, avant que les employés permettront d’une capacité de ne procèdent à la création d’anticiper les stockage et à l’impression du titre. futures politiques. « Tout est effectué en de 60 téraoctets, qui centralise les données de direct. L’usager récupère tous les CGI. Lesquelles son titre dans un délai sont ensuite remises au ministère des maximal de 24 h. » Sous réserve que Transports, qui disposera ainsi de tout soit en règle, et après avoir acquitté données fiables sur les usagers de la au guichet la somme de 13 500 francs route dans le pays. « Des éléments qui CFA (environ 20 euros) pour un permettent d’anticiper sur les politiques renouvellement, contre 50 000 francs adoptées », souligne Ibrahima Koné, CFA (75 euros) auparavant. Un gain de directeur général de Quipux Afrique. temps et d’argent pour l’usager comme Deux cents personnes en moyenne pour l’État. La solution assure une sont accueillies chaque jour au CGI de meilleure transparence des fonds et Treichville, le premier centre installé, évite les fraudes, grâce à l’indication du dès juillet 2014. « Au début, nous numéro du véhicule sur le document. avions beaucoup de demandes, mais, À quelques mètres du centre avec l’ouverture des autres antennes, de Treichville, se trouve celui du l’affluence s’est réduite. » D’autant que contrôle des opérations, installé certains CGI sont « spécialisés » : pour dans l’immeuble Félix Houphouëtles entreprises, pour les agents de la Boigny. Sur les écrans, les images des AFRIQUE MAGAZINE
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Depuis avril dernier, les bateaux-bus des sociétés privées STL et Citrans opèrent une part du transport lagunaire.
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différents CGI du pays, filmés par 143 caméras réparties sur dix sites, dont cinq à Abidjan. « Ce service a pour mission d’assurer la sécurité des sites, le matériel et les usagers, tout en veillant au respect du bon usage des opérations », explique Olivier Daple, coordinateur du centre. « Une façon également de montrer à notre client, l’État ivoirien, nos compétences en matière de gestion de la mobilité du trafic. » Par la suite, si le projet en cours de validation par les autorités est adopté, Quipux pourrait également participer à fluidifier la circulation sur les routes du pays à travers son centre de surveillance. Le Métro démarre enfin En attendant, le projet très attendu du métro d’Abidjan démarre enfin. Après plusieurs reports, le chantier a été inauguré le 2 décembre dernier, par les présidents Ouattara et Macron. « Un projet qui nous est mutuellement cher », avait déclaré le président français après son tête-à-tête avec son homologue ivoirien reçu à l’Élysée, en septembre dernier. Une rencontre à l’issue de laquelle la France a accordé une aide supplémentaire à la Côte d’Ivoire de 2,1 milliards d’euros, dont les deux tiers sont destinés au financement du métro. AFRIQUE MAGAZINE
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Une centaine de bus avec connexion wi-fi circulent à Cocody, à titre expérimental. Les travaux de la ligne 1 (sur 37,9 km de long) seront réalisés par un consortium franco-coréen. Le contrat de construction a été accordé à la Société de transports abidjanais sur rail (Star), aux capitaux détenus par un consortium composé des français Bouygues (33 %) et Keolis (filiale de la SNCF, 25 %) et des coréens Hyundai Rotem (33 %) et Dongsan Engineering (9 %), pour un coût estimé à 1,4 milliard d’euros. Le métro assurera le transport
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de 300 000 passagers par jour et traversera l’agglomération d’Abidjan d’Anyama (au nord) à l’aéroport international Félix-Houphouët-Boigny (au sud), en passant par le stratégique quartier d’affaires du Plateau. Outre la diversification de l’offre de transports, ce métro doit « résoudre le problème des embouteillages à Abidjan, qui engendrent des pertes importantes pour l’économie ivoirienne », souligne l’ancien ministre des Transports, Gaoussou Touré. ■ Dounia Ben Mohamed 103
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Portraits La génération next ! Trentenaires ou quadras, ces « makers » parient sur l’avenir. Et s’investissent dans le digital, les télécoms, les réseaux sociaux, les bio-technologies... par Dounia Ben Mohamed
« AFRICTIVISTE », 33 ANS PRODUIT 100 % made in Côte d’Ivoire, Edith Brou s’est imposée dans le paysage local. Sa force : les réseaux sociaux, qu’elle manie avec intelligence. « J’ai créé mon blog en 2009 après avoir découvert celui d’Eric Dupin et d’Israël Yoroba. Leur exemple m’a inspirée. » Passionnée d’écriture et de nouvelles technologies, elle utilise ces armes pour changer les mentalités ivoiriennes. Activiste sociale dans des ONG comme Akendewa (dont elle est membre fondatrice), elle profite de son statut pour lancer, en 2011, Ayana, le premier webzine féminin qu’elle fonde avec une camarade de lycée, Amie Kouamé. Succès immédiat ! Loin de s’en contenter, elle devient présidente de l’Association des blogueurs de Côte d’Ivoire (ABCI) et membre du réseau des Africtivistes, un collectif citoyen qui agit comme une vigie sociale sur le continent. Hyperactive, elle crée 104
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de demain ? L’investissement dans la jeunesse doit être gagnant-gagnant. Mais aujourd’hui, soit on la ghettoïse, soit on la manipule pour fabriquer des militants ou des consommateurs décérébrés. » Edith Brou ne compte pas servir de « produit », mais souhaite construire son avenir et impacter son environnement. « Je sais où je veux aller… Il faut juste que ce pays passe le défi de 2020 [année des élections en Côte d’Ivoire]. Si nous passons ce cap, tout ira bien. »
CYRIAC GOHI GBOGOU « CHEF DE VILLAGE », 37 ANS CONCEPT original et qui répond à plusieurs problématiques à la fois, O village se veut un espace de coworking à l’esprit communautaire et solidaire. Un village numérique destiné aux entrepreneurs en herbe. Le chef du village se nomme Cyriac Gohi Gbogou, il a tout juste 37 ans. « Je suis né à Soubré, dans le sud-ouest de la Côte 3 75 - 3 76 – D ÉCEM B R E 2 017 - JANVI ER 2 01 8
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EDITH BROU
Africa Contents Group, un groupe de médias digitaux dont BuzzyAfrica. com, un site de divertissement, constitue la tête de pont. Une sorte de « démotivateur.com » version africaine, avec 10 000 visiteurs par jour. « J’aime créer, explorer des pistes, prendre des risques. C’est passionnant. » Avec une telle aisance, difficile de croire que, petite, elle était « maladivement timide ». Fan de jeux vidéo, elle se réfugiait dans un monde virtuel. Avant de concilier, aujourd’hui, le virtuel et le réel. « Quand j’ai commencé à travailler en tant que stagiaire dans une maison de production audiovisuelle, ma première passion, j’ai compris très tôt que je voulais évoluer dans le monde de l’entreprise. De fil en aiguille, j’ai dirigé des équipes d’hommes. À ce moment, par nécessité, j’ai commencé à m’ouvrir. Et ma timidité a disparu. » À l’image de sa génération, connectée, ambitieuse, innovante, elle veut peser sur l’avenir de son pays, mais hors des schémas classiques et de l’espace politique traditionnel. « Mon souci principal est de changer les mentalités en agissant à la base, auprès des enfants notamment. En 2018, je vais me lancer dans l’éducation des plus jeunes. L’objectif est d’apprendre aux 5-15 ans à coder et à manipuler du matériel informatique. La jeune génération devra s’approprier ces outils au risque de décrocher. Et il faut croire qu’ils ont cette facilité dans l’ADN : mon fils de 2 ans sait déjà déverrouiller mon téléphone ! Comment ensuite les former pour en faire les ingénieurs
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d’Ivoire, dans une localité nommée Kpada. Mais, ayant vécu au Sénégal, au Togo, au Mali et en République du Congo, je me considère comme un citoyen africain tout simplement. » Après un BTS en maintenance informatique, il obtient un diplôme d’ingénieur informatique option réseau télécoms en Côte d’ivoire. Aujourd’hui, il officie comme « concierge » d’O village. « Ce concept est le fruit d’une réflexion entre trois personnes : Sarah Clavel, la griote ; Florent Youzan, le jardinier ; et moi, le maître du tiers-lieu. Nous sommes partis de quatre constats. Le premier : les Ivoiriens passent près de deux heures par jour dans les embouteillages, soit en cumulé un mois dans l’année. Le deuxième : l’inadéquation entre les formations livrées aux étudiants dans nos établissements et les besoins en entreprise. Le troisième : l’urgence de réduire le taux de chômage en permettant aux jeunes d’être plus autonomes. Enfin, la nécessité de permettre aux populations rurales de jouir des mêmes connaissances numériques que celles des villes pour ralentir l’exode rural. » Le résultat, « un espace de co-working avec une forte notion de partage et de communauté ». D’où son nom, O village. « Nous nous sommes inspirés de l’esprit Ubuntu, caractérisé par l’entraide et la solidarité. Nous mettons l’accent sur le renforcement des capacités. Pour nous, un étudiant bien formé sera demain un citoyen utile à la société. Nous allons dans les villes reculées pour faciliter la vie de ces populations en leur apprenant l’usage du numérique dans leurs tâches quotidiennes. » C’est l’esprit que tente de partager les e-villageois. « Nous avons la chance de vivre une révolution digitale et technologique, notre génération est plus connectée que celle de nos pères. Aujourd’hui, une simple information peut faire le tour du monde en un temps record, d’où la AFRIQUE MAGAZINE
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nécessité de continuer à sensibiliser la population à un usage utile des technologies. » Et de s’autoriser une citation : « La route est longue, mais la voie est libre », slogan de Framasoft, un réseau d’éducation populaire consacré principalement au logiciel libre.
LETICIA N’CHO-TRAORÉ BORN TO BE BOSS, 37 ANS NÉE à Sassandra, au bord du Golfe de Guinée, Leticia N’Cho-Traoré a très tôt été inspirée. Alors qu’elle étudie en France, elle crée sa première entreprise, à 24 ans seulement… « Disons que j’ai toujours eu la fibre entrepreneuriale. Dès l’adolescence, j’avais conceptualisé mon projet professionnel. J’ai toujours su ce que je voulais faire. C’est à Angers, où je vivais à l’époque, que j’ai véritablement débuté, par opportunité : il n’y avait pas d’agence événementielle sur place, ni en général dans l’ouest de la France. » Elle se lance et signe avec Ford, Peugeot, Carrefour… « et bien d’autres marques qui ont accepté de me faire confiance ».
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À son retour au pays, un choix de vie, elle commence par travailler dans différentes entreprises, en tant que responsable de la stratégie et du développement, directrice commerciale et marketing, directrice générale… Mais Leticia a la fibre entrepreneuriale dans le sang. En 2015, son naturel revient au galop, elle démissionne de son poste pour créer Addict, un an plus tard. « J’ai eu une phase de recul dans mon parcours entrepreneurial. Il y a eu l’envie de revenir en Côte d’Ivoire, de créer une filiale de mon entreprise française, puis je me suis retrouvée confrontée à la réalité locale. J’ai décidé de retravailler pour apprendre et maîtriser cet environnement. On ne me connaissait qu’en tant que Miss Côte d’Ivoire. Cela m’a pris huit ans, au cours desquels j’ai commencé à recréer diverses entreprises. La conciergerie en 2009, mon agence de communication en 2010, puis la restauration mobile en 2013. Quand j’ai démissionné de mes fonctions de directrice générale de la société pour laquelle je travaillais, en 2015, j’ai décidé de mieux structurer mes différentes activités. C’est comme cela qu’est né le groupe Addict, qui est devenu une holding avec cinq filiales spécialisées. » Serial entrepreneuse, elle milite en faveur de l’entrepreneuriat des jeunes, l’empowerment féminin en particulier, en partageant son expérience. « Nous sommes une génération qui regorge de talents. Et je suis fière de ces jeunes qui se battent et partagent la valeur travail. Ce n’est pas facile d’entreprendre. Les réseaux sociaux et les NTIC sont d’excellents moyens, mais ils ne font pas tout. Nous avons la capacité d’impacter nos communautés, il faut rester focus sur ces objectifs et persévérer sur ce chemin, car le voyage demeure passionnant. » Pour elle, il se poursuit. Depuis trois ans, elle figure dans le classement top 100 de Choiseul Africa. 105
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FONDATRICE DE QUICKCASH, 41 ANS CRÉÉ EN 2010, QuickCash répond à ce qui demeure un défi en Afrique : amener la banque au plus près des usagers, notamment en zone rurale. Un projet qui n’est sans doute pas le fruit du hasard : Patricia n’est pas une enfant de la ville. C’est à Soubré, une région aujourd’hui célèbre pour son barrage, qu’elle a grandi. « Toute jeune, j’aidais ma mère à vendre au marché quand je n’avais pas classe. J’ai fait mes premiers pas dans l’entrepreneuriat à ses côtés. J’ai vendu des sachets de jus de fruits, des seaux en plastique, des vêtements pour enfants, des fournitures scolaires, même des recharges téléphoniques et beaucoup d’autres choses. » Une expérience à laquelle elle ajoutera une solide formation. Diplômée de la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université de Ouagadougou, elle suivra par la suite plusieurs formations en management 106
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PAULE MARIE ASSANDRE ENTREPRENEUSE CRÉATIVE ET SOCIALE, 32 ANS LUI COLLER L’ÉTIQUETTE de styliste serait réducteur. À 32 ans, Paule Marie préfère se qualifier d’« entrepreneuse créative et sociale ». Elle a créé Nikaule ; bien plus qu’une marque, c’est tout un concept dont elle puise les sources dans son histoire aux cultures et expériences multiples. Une histoire qui commence à Abidjan, où elle vivra jusqu’à ses 17 ans. Elle part alors passer son bac littéraire en France, à Sophia-Antipolis, dans la région niçoise, avant de suivre des études en sociologie à l’université de Montréal (Canada). « J’ai ensuite vécu quatre ans à Paris où j’ai travaillé dans l’univers du luxe. » Elle effectue ainsi ses premiers pas dans un univers qui deviendra le sien. Rapidement, chez la jeune femme, le luxe se conjugue I
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PATRICIA ZOUNDI YAO
Cette plateforme de transfert d’argent se veut accessible aussi bien pour les populations rurales (avec accès via le mobile) que pour les populations urbaines (accès par Internet). Avec un impact social majeur.
(Dale Carnegie) avant de décrocher un diplôme universitaire en médiation à l’Ifomene (Institut de formation à la médiation et à la négociation) de l’Université catholique de Paris. Enfin, après une formation sur le dialogue social au centre international de Turin organisée par l’Organisation internationale du travail (OIT), elle obtient un diplôme du Stanford Seed Program, dédié aux entrepreneurs, de l’Université de Stanford en Californie. « En 1999, ma maîtrise de droit en poche, j’ai effectué deux demandes de stage qui n’ont pas marché et, face à la rareté de l’emploi, je ne suis pas allée plus loin. Ma mère m’a alors cédé son magasin, que j’ai exploité pendant trois ans avant que mon oncle fasse appel à moi pour l’aider à développer son activité de transfert d’argent. Cela consistait à exploiter et gérer quatre agences sous la franchise Western Union en partenariat avec Ecobank. » Elle met alors le pied dans le milieu du transfert d’argent. « À 24 ans, j’avais déjà créé ma propre entreprise, je gérais une dizaine de personnes. Nous étions en 2006. Mais cette dernière expérience n’a pas été un franc succès. » La réussite est un parcours parsemé d’échecs. Ainsi, c’est cette expérience qui la conduira vers l’aventure QuickCash. « Ma dernière expérience m’a permis de tirer des leçons, de comprendre l’environnement concurrentiel du marché afin de mieux rebondir sur mes échecs. J’avais donc constaté qu’il y avait un besoin à apporter aux clients du monde rural. Ils mettaient pratiquement trois jours pour effectuer une opération. Je me suis dit : pourquoi ne pas créer un produit qui va leur permettre de rester dans leur village pour réaliser la transaction ? Avec moins de 100 000 francs CFA (152 euros) et deux collaborateurs, nous avons décidé de faire quelque chose : ainsi est né QuickCash. »
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avec l’entrepreneuriat. « Pour moi, c’est de l’ordre de l’inné, je ne l’ai pas choisi. L’entrepreneuriat, s’est imposé à moi, car j’éprouve un besoin vital de créer un monde qui me ressemble. Cela a toujours été le sens profond de ma vie.. ». En effet, de l’écriture à la chanson, en passant par la danse, Paule Marie crée. « NiKaule est née en 2007. C’est le rêve d’une adolescente qui voulait raconter sa vision idéaliste d’une Afrique qui se mélange au monde. C’est une ode au partage et à l’égalité. Une Afrique qui raconte sa profondeur, sa magie, sa puissance et même ses faiblesses. Habiller les personnes est une forme visible de l’amour que l’on a pour les autres. C’est une belle introduction de tout ce qu’on peut tisser comme lien avec son semblable. Mais pouvoir rencontrer plus intimement l’humain au travers des échanges et des projets créatifs divers est une grâce encore plus grande, qui permet non seulement de créer davantage de collections, mais surtout de connaître les autres et de se connaître davantage soi-même. » Cet esprit chevillé au corps, elle conçoit « Body acceptance », un atelier de danse 100 % féminin pour le bienêtre et l’estime de soi crée en 2012. « Cet atelier matérialise cette possibilité infinie de se renouveler chaque jour en tant que femme. De s’accepter, mais surtout, au-delà, de réinventer au quotidien ses potentialités et d’aller au bout de sa mission en tant que personne unique. » Et si « la révolution est bel et bien en marche » en Côte d’Ivoire, « il va falloir, poursuit-elle, s’arrêter un moment, pour retrouver notre identité, apprendre à se connaître réellement afin de pouvoir écrire une révolution efficace, pertinente et réellement utile pour la Côte d’Ivoire et pourquoi pas pour l’Afrique, et même le monde ».
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PHILIPPE PANGO DIRECTEUR GÉNÉRAL DE VITIB, 40 ANS ARRIVÉ AU POUVOIR, le président Alassane Ouattara entreprend deux actions qui vont radicalement changer le destin de Philippe Pango. D’abord, en lançant un message à l’intention de la diaspora : « Rentrez, votre pays a besoin de vous ! » Ensuite, en sortant des cartons un projet des plus ambitieux, mais dont la réalisation est à reprendre entièrement, Vitib, le Village des technologies de l’information et de la biotechnologie, une zone franche dédiée aux technologies située à Grand-Bassam. Philippe vit alors au Canada où, diplômé en informatique, il vient de monter son entreprise, après plusieurs années d’expérience salariée. Après avoir entendu « l’appel
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d’ADO », il répond à une offre d’emploi et est retenu. C’est lui qui prendra la direction de Vitib. Un chantier immense l’attend. Déjà, vingt-neuf entreprises spécialisées dans les technologies de l’information et la communication ont pris leurs aises à ce jour. Parmi elles, le groupe Orange a implanté, en avril 2016, le plus grand data center dernière génération de la région Afrique de l’Ouest. Il a été suivi par Moov, à travers son partenaire, Prestige Telecom, et MTN. À côté des opérateurs de télécoms, des sociétés d’assemblage, de développement d’applications, certaines spécialisées dans l’archivage électronique, dans la formation… « Le site, situé sur un espace de 700 hectares, à une demi-heure d’Abidjan, offre des avantages fiscaux et douaniers pour les entreprises qui s’installent. Avec un guichet unique spécifique. Le data center installé par Orange fournit aux entreprises une redondance de signal, la bande passante, sans limitation. Incontestablement, Vitib va contribuer à dynamiser le secteur des NTIC grâce à ces entreprises qui offrent des services non seulement en Côte d’Ivoire, mais dans toute la sous-région. Cette concentration d’activités attire les savoirs et les compétences. Nous avons les meilleurs informaticiens régionaux. Le potentiel existe en Côte d’Ivoire, Vitib lui apporte un cadre où se réaliser. » En cours d’extension – 180 hectares supplémentaires –, la zone a également mis en place un programme de pépinières dédiées aux start-up et aux très petites entreprises (TPE) des NTIC afin de permettre à des « petits génies locaux de se frotter aux plus grands acteurs mondiaux et devenir des champions régionaux. » En attendant, Philippe, qui s’adonne à une autre passion, l’écriture, vient de publier Ô dieux (éd. Les classiques ivoiriens).
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GAMEUR, 33 ANS « LE PARADIS se trouve en Afrique », assure Sidick Bakayoko, 33 ans. Pour ce passionné de jeux vidéo, le continent repousse les limites du possible. « Quand j’étais petit, il y avait de nombreuses salles de jeux de quartier. Aujourd’hui, les gens jouent chez eux ou sur leur portable. Ce mode de consommation multiplie les possibilités. » L’idée : restaurer des espaces de jeux collectifs, mais avec une nouvelle dimension, plus interactive, en phase avec l’époque. Pour lui, le jeu vidéo, plus qu’un loisir, est un phénomène de société, et donc un marché. Né en Côte d’Ivoire, Sidick Bakayoko effectue sa formation et ses premières expériences à New York, dans le quartier de Manhattan. Ingénieur en électronique et en informatique, il a été très vite fasciné 108
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SANDRINE ASSOUAN CRÉATRICE DE NATURE & TRADITIONS, 31 ANS LE CREDO de Sandrine : s’accepter et se sublimer grâce à la cosmétologie et une gamme de produits 100 % naturels. Ingénieure en génie chimique, née en Côte d’Ivoire, formée au Canada, en France et en Suisse, où elle a intégré l’École polytechnique fédérale de Lausanne, Sandrine présente ainsi son projet : « Je veux participer au renouvellement des codes de l’industrie cosmétique en Afrique. À ce jour, le marché commence à proposer des produits pour les peaux noires et métissées, mais la plupart d’entre eux ne répondent pas spécifiquement aux problèmes. En outre, nous avons de nombreuses plantes, une flore très riche, que le monde entier, et notamment les laboratoires pharmaceutiques, utilise. C’est pour ces raisons que j’ai décidé de créer cette unité de fabrication sur le continent, où nous en avons le plus besoin. » La société SAK, initiales de sa fondatrice, a vu le jour en 2015 et a commencé par développer une marque de cosmétiques I
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SIDICK BAKAYOKO
par les technologies et Internet, à l’instar de sa génération. « C’était à l’époque du boom de Facebook et de Google. » Après deux ans chez l’oncle Sam, il rentre au pays et rejoint alors Digital Afrique Telecom. « Ce fut une expérience incroyable. Mon rôle était de définir la stratégie, d’imaginer des produits innovants et de les vendre. » Une expérience qui durera huit ans avant de succomber à l’appel du jeu et de l’entreprise individuelle. « J’ai toujours souhaité créer mon entreprise. À 14 ans, je vendais des vêtements dans le quartier ; étudiant, j’avais une radio en ligne… Alors, je me suis lancé. Au départ, je n’avais aucune idée précise. Je savais juste que je voulais être dans l’innovation. Venant des télécoms, je connaissais déjà le potentiel du numérique sur un continent où tout reste à construire. Mes rêves d’enfance et ma passion pour les jeux vidéo sont alors apparus comme une piste. Première industrie culturelle au monde ; des Ivoiriens adeptes… Je me suis dit : let’s go ! D’autres acteurs occupaient déjà le marché, alors, pour me démarquer, j’ai vu grand. Il fallait une marque forte. Paradise Game est née pour porter toutes nos initiatives de jeux sur le continent. Notre ambition à long terme vise à transformer l’industrie du divertissement en utilisant les NTIC à l’échelle panafricaine. » Rêve de gosse, conçu comme une immense salle de jeux, le Festival de l’électronique et du jeu vidéo d’Abidjan (Feja), organisé par Sidick Bakayoko, a tenu sa première édition les 11 et 12 novembre à Abidjan. L’objectif était de « fédérer l’ensemble des acteurs du jeu vidéo – joueurs, développeurs, éditeurs… – autour d’un rendez-vous annuel. Cette synergie doit répondre à l’engouement ».
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naturels, Nature & Traditions, dont la gamme s’est enrichie au fil des recherches et des demandes. Très vite, grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux, la demande s’est intensifiée et l’offre diversifiée. En partenariat avec des spécialistes du bien-être, Sandrine organise des ateliers autour de l’acceptation de soi. « L’objectif est d’apprendre aux femmes à se comprendre, à aimer leur peau, à prendre soin d’elle et à définir leurs priorités personnelles. » C’est l’idée de la campagne « Zéro complexe » lancée en septembre dernier. « Les jeunes filles construisent un idéal de beauté parfois très différent des réalités locales. Pour y répondre et se sentir bien, elles ont recours à de multiples artifices. Nous les aidons à se défaire du superflu pour se mettre en avant et se sublimer. » Un discours qu’elle propage, en partageant sa propre expérience. « Lors de mes nombreux voyages, la perception que les autres avaient de moi était différente selon la ville où j’étais, et selon leur propre système de valeur. J’ai donc appris à me regarder moimême, avant de prendre en compte ce que les gens pensaient. » En attendant, entre sa boutique au Vallon et son laboratoire à Angré, Sandrine Assouan assoit son empire. Des crèmes et des soins à base de plantes locales, comme un gel douche à partir de café et de cacao, du savon noir enrichi en beurre de cacao pour un usage quotidien, ou encore des antimoustiques à base de citronnelle. Avec une garantie 100 % naturel. Toujours. Sandrine Assouan distribue ses produits dans des grandes surfaces et pharmacies de la ville, et projette d’exporter sur le continent et au-delà. En attendant, Nature & Traditions propose sa gamme en ligne. Et ces messieurs n’ont pas été oubliés, puisqu’une gamme masculine existe déjà et sera étoffée très prochainement.
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TEHUI MUSICIEN « ARTIVISTE », 35 ANS « À L’ORIGINE, je suis assureur, pour gagner mon pain, comme on dit. » Plus pour longtemps. Jean Martial Tehui Yacé, alias Tehui, neveu de Marcellin Yacé, fondateur du groupe Woya, a baigné dans un univers musical. « Je fais de la musique depuis vingt ans. Quand j’étudiais à Montpellier, j’avais monté un groupe avec des amis. À mon retour à Abidjan, j’ai tout de suite travaillé, et la musique est passée au second plan. » Avant de s’y remettre, il y a quelques années. Sérieusement. Il vient de sortir son premier album, Itinéraire d’un gars anormal. Fruit de ses réflexions et de ses influences musicales multiples. « La musique africaine a bercé mon enfance, mais, adolescents, c’est les États-Unis qui nous fascinaient. Forcément, le rap s’est imposé comme une influence majeure. » L’époque des années 1990, l’avènement des radios libres et de la culture hip-hop aux États-Unis, et en France. « J’assume ce côté old school. Les nineties, c’est la base. On observe un certain revival aujourd’hui. » C’est en Côte d’Ivoire notamment qu’ont émergé les premiers artistes rap
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sur le continent. Avec des textes très engagés. « Le rap, à la base, c’est une musique à messages. Je trouvais que ça manquait un peu ici. On est passés pour des ovnis, mais pour moi c’était une évidence, je ne peux pas écrire sur des choses qui ne sont pas réelles. Je parle du quotidien, de la difficulté d’avoir un job, de notre génération sacrifiée. La Côte d’Ivoire est un pays avec une économie développée, mais avec tous les paradoxes d’une grande capitale. On est des artivistes. » Autrement dit, des artistes qui utilisent leur art comme liberté d’expression. « On travaille avec des slameurs, des écoles nous contactent. Par exemple, je suis intervenu une fois sur l’utilité des réseaux sociaux. J’ai expliqué comment je les utilisais pour ma stratégie marketing. Ma musique est née sur les réseaux. Ma première vidéo a été filmée avec trois potes et ensuite balancée sur le Net. Je leur montre la valeur d’Internet en prenant l’exemple des brouteurs. Des gars que je ne condamne pas, je dis même être épaté par leurs capacités. Mais j’essaie d’orienter les jeunes vers un meilleur usage des opportunités que nous offre Internet. C’est notre combat. Ramener l’éducation dans la musique. On peut faire danser tout en portant un message. Et parce que j’aime bien provoquer je dis toujours : “tu ne peux pas faire le hadj et te cacher pour écouter Nicki Minaj, ça ne fait pas bon ménage”. » Avec un sens de la rime et du flow, auteur et compositeur, Tehui est aussi un découvreur de talents. Tous les samedis soir, il tient une scène ouverte au Bao Café pour donner l’occasion à de jeunes artistes de se lancer. « Le concept, appelé If You Got Soul, reprend le principe des scènes ouvertes. Il aspire à devenir un festival. S’ils passent l’étape de l’interaction en direct avec le public, les candidats sont prêts à porter leur musique ailleurs. »
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THIERRY N’DOUFOU INVENTEUR, 40 ANS « UN VRAI produit local ! Comme le cacao ! » Petit génie 100 % ivoirien, Thierry N’Doufou a créé les tablettes numériques Qelasy, qui ont depuis traversé les frontières de la Côte d’Ivoire. Ces cartables électroniques ont d’abord été commercialisés au Maroc avant de susciter l’intérêt des autorités ivoiriennes. Un succès qu’il n’aurait peut-être pas connu s’il avait poursuivi ses études dans les sciences naturelles, son choix de départ. « Petit, j’adorais disséquer les animaux, chercher à comprendre comment les choses
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compte du niveau d’implication de ces organismes dans le mieux-être des populations africaines. » C’est ainsi que la fibre est née : utiliser les NTIC pour avoir un impact sur la vie des gens. Après un passage dans les télécommunications, le concept de Qelasy a commencé à mûrir… « L’idée n’était pas encore très claire, mais elle était déjà là. Côté télécoms, les projets se concentraient sur le divertissement. Pourtant, en regardant le taux de pénétration des nouvelles technologies et le taux d’analphabétisme, il y a davantage de personnes qui ont un téléphone que de personnes qui savent lire. La question était posée : comment utiliser le téléphone pour apprendre à lire ? Plusieurs services permettaient déjà de réviser ses cours. On a réfléchi à un contenu plus riche, différent du simple loisir. » Ce qui deviendra, trois ans plus tard, en 2013, une tablette électronique. Il quitte alors le confort des multinationales pour se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat. « Les premières commandes venaient d’établissements privés, du Maroc et de Côte d’Ivoire. Puis, le gouvernement a décidé d’en distribuer dans les écoles primaires et collèges, à titre expérimental. Notre domaine reste l’éducation, même si nous développons aussi des produits pour d’autres publics. » Et d’ajouter : « C’est une aventure avant tout passionnante. Impacter positivement la vie des populations, leur donner des outils pour devenir compétitif dans ce XXIe siècle, et surtout démystifier le numérique en Afrique. » ■
ont été créées, comment elles fonctionnent. Donc, très tôt, je me suis intéressé aux sciences naturelles et aux technologies. À partir de 12 ans, j’ai eu mon premier ordinateur qui, à l’époque, me servait principalement à jouer. C’est dans le cycle supérieur que j’ai découvert la programmation et les algorithmes. J’ai alors compris que je pouvais moi-même créer des choses. » Il va s’imprégner de l’univers du web en commençant par travailler chez Digital Afrique. Nous sommes en 1999, aux débuts de l’Internet. « Avec eux, j’ai découvert que les NTIC pouvaient aider à optimiser la lutte contre la pauvreté. J’ai conduit quelques projets dans la sous-région, ce qui m’a permis de me rendre AFRIQUE MAGAZINE
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destination
DAKHLA, UNE PORTE ENTRE OCÉAN ET DÉSERT
Prisée des amateurs de sports nautiques, étape du championnat du monde DE KITESURF, elle a tous les atouts pour devenir le prochain spot incontournable. POSÉE ENTRE L’IMMENSITÉ du désert et les vagues windsurf, wakeboard, parapente et cerf-volant, la ville est limpides de l’océan qui ondulent au gré des vents marins, le haut lieu des sports de glisse nautiques, l’un des leviers Dakhla offre un espace inattendu. Cette presqu’île du majeurs du tourisme. Initiée par la Professional Kiteboard Sud marocain, dotée d’une diversité naturelle réputée Riders Association (PKRA), de concert avec l’association pour la culture de l’huître, recèle de paysages désertiques Lagon Dakhla et la Fédération royale marocaine de voile, à couper le souffle mais aussi balnéaires. Son atout ce rendez-vous incontournable de kitesurf réunit les principal ? Les eaux de l’Atlantique, qui se professionnels marocains et internationaux. LES BONNES déversent au fil d’un flot calme dans un Pour les moins sportifs, pourquoi ne pas ADRESSES lagon large de 250 km, contrastant avec succomber aux nuits en bivouac ? Ici, le contact ✔La Maison de Thé, les innombrables dunes : ce qui lui vaut restaurant typique en bord avec la culture sahraouie passe par une d’incarner le paradis des surfeurs. Le kitesurf dégustation locale et le feu sous les étoiles, rituel de mer est, de plus, l’une des disciplines ayant ✔Océan Vagabond, beach bar de ce peuple nomade chaleureux. Riche en définitivement élu domicile à Dakhla, où se bienfaits, la source thermale naturelle « Asmaa » avec vue sur la lagune tient la première étape du Championnat du soigne les troubles respiratoires, la peau et les ✔Dakhla Spirit, monde de Kiteboarding. Des performances os. Avec sa lagune et sa vue imprenable, l’île bungalows confortables de voile spectaculaires s’y multiplient sur du dragon, regorge de bain d’argile blanche. À ✔L’hôtel Le Calipau Sahara, le spot de Dakhla Attitude, situé à près de noter, l’ouverture de la ligne aérienne Transavia, idéal pour un cocktail 20 kilomètres de la ville, l’un « des plus qui relie depuis fin octobre Paris à Dakhla. Autre beaux du monde » selon les professionnels. « Le joyau du merveille naturelle à ne pas manquer sur la presqu’île, « la Sahara » attire ainsi chaque année des riders éblouis par Dune blanche », haut monticule de sable blanc sculpté par le la beauté de la lagune et l’alliance de la chaleur désertique vent, où se rencontrent le désert et l’océan pour un moment avec la fraîcheur océanique. Pour une activité combinant époustouflant au cœur des imposantes falaises. ■ 112
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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA
par Fouzia Marouf
MADE IN AFRICA escapades vip
DELTA CHIC, PAYSAGES CHOCS
Dans le nord du Botswana, UN LODGE nature pour voyageurs exigeants.
Le transporteur va acquérir six nouveaux Airbus.
voyage
LES AMATEURS DE SAFARI ou de flânerie complète ont peut-être déniché leur nouvelle destination. Au cœur du delta de l’Okavango (15 000 km2, deuxième plus grande embouchure intérieure du monde), au nord du Botswana, se niche une île privatisée qui abrite le Belmond Eagle, récemment récompensé de l’AHEAD Award du « Meilleur lodge d’Afrique » en termes de décor et design. Repensé par la Sud-Africaine Inge Moore, l’établissement dispose de douze chambres où dominent les nuances de gris, en hommage à l’éléphant, l’animal roi des lieux. Ici, le goût se niche dans les détails : ventilateurs, malles de voyage ou téléphones vintage achèvent de transporter le visiteur hors du temps. Non loin du bar, une terrasse sur pilotis offre ce qui se fait de mieux en termes de farniente : paysages Un lieu où grandioses, observation d’animaux tels que chaque détail les aigles pêcheurs ou les cobes de Lechwe, est pensé avec antilopes semi-aquatiques. Et, plus loin, zèbres, un respect hippopotames ou léopards attendront les plus farouche de l’authentique, patients des chasseurs d’images. ■ H.D. un brin vintage. Belmond Eagle Island, belmond.com
Tunisair renforce l’offre vers le sud
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Cotonou, Douala, Libreville… La compagnie nationale s’ouvre à de nouvelles destinations. LA STRATÉGIE AFRICAINE de Royal Air Maroc aurait-elle fait des émules (lire p. 70) ? Depuis le 13 décembre, Tunisair propose en effet deux vols par semaine (mercredi et samedi) entre l’aéroport de Carthage et celui de Cotonou-Cadjehoun (Bénin). Khartoum (Soudan) devrait suivre dans la foulée. En 2018, ce sont les liaisons à destination de Douala (Cameroun) et N’Djamena (Tchad) qui verront le jour. La compagnie poursuivra cette ouverture africaine en reliant en 2019-2020 les aéroports d’Accra (Ghana), Lagos (Nigeria) et Libreville (Gabon). En situation fragile depuis des années, Tunisair compte élargir son réseau et en consolider d’autres : Montréal (Canada) devrait ainsi bénéficier d’une quatrième rotation hebdomadaire l’an prochain, et un vol vers… New York pourrait enfin voir le jour afin de satisfaire la demande. Le PDG de la compagnie, Elyes Mnakbi, a par ailleurs annoncé la prochaine acquisition de six Airbus A330neo, ainsi qu’une probable commande d’appareils Bombardier CSeries, qui concurrencent les petits modèles de Boeing et Airbus. Si l’ouverture vers le continent est louable, il reste à repenser, selon les spécialistes, le handicap des doubles escales à partir de l’Europe. Depuis Paris, par exemple, un passager souhaitant relier Abidjan est contraint de faire escale à Tunis puis Niamey ou Ouagadougou. Pour Dakar, les appareils font une halte à Conakry ou Bamako. Pénalisant si Tunis souhaite se positionner comme hub. ■ H.D. AFRIQUE MAGAZINE
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secrets de pro/Douala-Paris
CHRISTIAN ABÉGAN
La réinterprétation par Jamilla Okubo du mythique accessoire.
PROFESSION : Chef cuisinier & diététicien. SIGNE PARTICULIER : Arbore de magnifiques colliers qu’il considère comme l’emblème du patrimoine africain.
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L’affaire est dans le sac
AM : Comment avez-vous commencé dans le métier ? Ma motivation première remonte à l’enfance alors que je passais tout mon temps à regarder les mamans cuisiner. Après l’école hôtelière Le Cordon bleu, j’ai démarré dans différentes maisons, dont l’hôtel Meurice, où j’ai rencontré Marc Marchand, l’ancien chef exécutif, qui est devenu mon mentor. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette activité ? Ce que j’apprécie tout particulièrement, c’est la convivialité, car cuisiner est un acte d’amour sans frontières. J’aime partager cet art ancestral afin de le perpétuer. Une anecdote particulière ? Si je remonte dans mes souvenirs d’enfance, je me souviens de mon cadeau d’anniversaire pour mes 14 ans, qui m’a particulièrement marqué. Il s’agissait du livre culinaire La Cuisine gourmande, de Michel Guérard, que m’avaient offert mes parents.■ Loraine Adam
SON CONSEIL : « Être organisé » « Pour se lancer dans cette voie, les jeunes doivent être passionnés, bien sûr, mais aussi être très travailleurs et particulièrement organisés. C’est vraiment très important, car c’est un métier magnifique, mais difficile. » Dernier livre paru : Le Patrimoine culinaire africain, 24,95 €, éditions Michel Lafon.
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CRÉÉ EN 1995 au plus grand plaisir de la princesse Diana à qui il doit son nom, ce sac mythique avait déjà fait l’objet en 2016 – l’année des 70 ans de la prestigieuse maison parisienne – du projet Dior Lady Art. Ainsi, sept créateurs anglo-saxons se sont vu proposer une carte blanche pour réinterpréter ce modèle phare. Devant le succès annoncé, une dizaine d’artistes du monde entier ont repris le flambeau en 2017. Parmi eux, la photographe helvético-guinéenne Namsa Leuba, qui a réalisé deux modèles inspirés des techniques de tissage des Ndébélés d’Afrique du Sud et du Zimbabwe, qu’elle pare de vison, fines étoffes et perles, le tout représentant 300 heures de travail. Et Jamilla Okubo, une jeune illustratrice de 24 ans, d’origine kényane, trinidadienne et américaine, tout juste diplômée, reprend une technique de perlage du Kenya pour deux de ses trois créations. Sur sa troisième réalisation, on retrouve les techniques de broderie typiques de la haute couture Dior. Toutes les éditions limitées, de 50 à 150 exemplaires (de 5 000 euros à 8 000 euros), seront présentées lors d’événements exclusifs organisés par la maison Dior. Elles sont également disponibles à Paris Montaigne, Londres, Miami, Tokyo, Séoul et Pékin. ■ L.A.
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DEE - FRÉDÉRIC LECLERE
Deux artistes de la diaspora ont été conviées par la maison Dior à revisiter son it-bag iconique LADY DIOR.
MADE IN AFRICA carrefours insolites
L’École supérieure de technologie de Guelmim, au Maroc, une des réalisations de Mohamed Siana, avec Saad El Kabbaj et Driss Kettani.
création
Siana, l’architonique
Il n’a pas 40 ans et a déjà une renommée internationale. Le Marocain signe des œuvres dépouillées, savantes alliances entre tradition et lignes ultra-contemporaines. SES MODÈLES sont Jean-François Zevaco, symbole de la modernité casablancaise, et Oscar Niemeyer, génie brésilien des courbes. Deux références chez qui le Marocain Mohamed Amine Siana, diplômé de l’École nationale d’architecture de Rabat en 2004, puise inspiration et lignes de fuite. Sélectionné par le prestigieux magazine américain Architectural Record parmi les dix architectes avant-gardistes les plus importants en 2016, il revendique une cohésion assumée entre modernisme esthétisant et patrimoine marocain. Car, si son art s’inspire de la culture traditionnelle, Siana y enracine des références ultra-contemporaines : pleins, vides, lumière, jeux de volumes, sobriété, ocres, blancs. « L’architecture est le brassage parfait entre la technicité et l’art », répète-t-il à l’envi. En créant des espaces fonctionnels alliant intimité et ouvertures plus tendance, il s’inscrit dans la lignée d’une figure marquante
de l’architecture au Maroc, Rachid Andaloussi, à qui l’on doit la Bibliothèque nationale de Rabat. À 38 ans, dans son agence créée en 2005 à Casablanca, sa ville natale, Siana œuvre sur des projets résidentiels, de santé, de design ou d’aménagement intérieur. Il collabore aussi avec deux confrères marocains, Saad El Kabbaj et Driss Kettani. Un trio gagnant : la réalisation de la Faculté polydisciplinaire de Taroudant, en 2005, a été nominée au prix Young Arab Architects ; et celle, en 2011, de l’École supérieure de technologie de Guelmim, dans le sudouest du pays, a reçu un prix aux Archmarathon Awards dans la catégorie Éducation. Un renom international assis aussi sur sa Villa Z, aux parois ondulantes et immaculées, modèle d’architecture tempérée et résolument écologique, où lumière et ventilation restent totalement naturelles, et qui a fait sensation dans la presse anglo-saxonne. ■ Catherine Faye
LE LIEU : LE BADALA (BAMAKO) Voici la table idéale pour un dîner calme, en bord de fleuve, avec une vue magnifique sur le Djoliba et ses rives illuminées. Les mets y sont raffinés, avec une mention spéciale pour les délicieuses cuisses de grenouilles, hachis d’ail et persil. Le service est soigné. En saison chaude, le jardin est rafraîchi par des pulvérisateurs, utilement anti-moustiques. Pour une soirée loin du tumulte du centre-ville. L’établissement, bien tenu, fait aussi hôtel. ■ Emmanuelle Pontié À Bamako, quartier Badalabougou. Tél : 00 223 20 23 23 15
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QU’EST-CE ?
Un restaurant international ET SINON ?
Vue imprenable sur le fleuve POUR QUI ?
Expats, business et familles
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Un tissu de 13 m de long et 38 cm de large : le styliste respecte à la lettre le façonnage du kimono.
La fusion des continents
Né au Cameroun, le créateur aux mille facettes (stylisme, design industriel...) marie avec grâce le Japon à l’Afrique subsaharienne. par Loraine Adam AU PAYS DU SOLEIL LEVANT, moins d’une femme sur dix revêt encore l’habit traditionnel, le célèbre kimono. Cependant, grâce au designer camerounais Serge Mouangue qui cultive l’ambiguïté des codes, il se pourrait bien que le renouveau du symbole iconique du Japon passe par l’Afrique. Installé à Tokyo depuis une dizaine d’années et féru de culture nippone, le styliste allie avec sensibilité son héritage culturel africain à l’esthétique raffinée du Japon 116
ancestral en associant son imaginaire au savoir-faire de la fameuse maison de couture Odasho, réputée pour ses somptueux kimonos depuis plus de cent cinquante ans. Sous leur impulsion commune, les motifs traditionnels géométriques ou naturalistes ont laissé place aux imprimés venus d’Afrique de l’Ouest. La trajectoire de ce fils prodige né à Yaoundé et arrivé en France à l’âge de 6 ans est pour le moins originale. Après les Arts appliqués et l’École nationale supérieure de création industrielle en 1996, il s’envole pour l’Australie puis à Guangzhou en Chine comme designer industriel indépendant. De retour en France en 2000, il intègre la cellule exploratoire du Design Renault avant de rejoindre en 2006 le studio Creative Box International de Nissan à Tokyo où il sera à l’origine du concept car électrique Nuvu et de l’intérieur du Land Glider, véhicule entre moto, voiture et planeur. Mais c’est avec Wafrica, créée en 2008, qu’il s’associe à des créateurs japonais pour imaginer objets, vêtements et performances présentés à New York, Dakar, Bâle, Stockholm, Kyoto, Paris ou Nairobi. « Wafrica poursuit une mission esthétique osée. Nos collaborateurs sont conscients qu’il s’agit d’un nouveau territoire de création, précieux, alternatif et dévolu à une amplification durable », explique le designer. Celui qui travaille actuellement sur un projet de sculptures intitulé Seven Sisters, évoquant une mythologie croisée entre l’Afrique de l’Ouest et le Japon, s’intéresse parallèlement « au cheveu, à la transparence, au sakura (cerisiers) et au Shinkansen (TGV) ». En mars prochain ses œuvres seront présentées à la foire Art Basel AFRIQUE MAGAZINE
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BRET HARTMAN/TED - WAFRICA
Serge Mouangue
MADE IN AFRICA fashion Sens du détail japonais et vibrations ouestafricaines font partie de l’ADN de Wafrica.
Hong Kong. Jadis, avant l’arrivée des vêtements occidentaux, le kimono désignait tous types d’habits. Aujourd’hui, essentiellement portée dans les grandes occasions, c’est la robe longue en forme de T aux manches amples composées de rectangles de tissus pliés, cousus et jamais recoupés, et maintenue par une large ceinture appelée obi. Depuis toujours, les plus beaux sont considérés comme des œuvres d’art et de luxe. Les kimonos de Wafrica, destinés à être portés, exposés ou devenir pièces de collection, vont de 800 à 9 000 euros. L’un d’eux a même été vendu à 11 500 euros. Pour acquérir l’une de ces merveilles hybrides, il faut se rendre à Kyoto, siège de la maison Odasho, ou sur le site Wafrica (www.wafrica.jp) où l’on pourra shopper bientôt des kimonos masculins « dès que l’égérie sera trouvée ». Le styliste avoue que la culture japonaise l’a séduit par « la sophistication, le temps long et éphémère, l’absence de soi, la présence du naturel. Le vide. Et par la discipline dans le travail, la loyauté et la force de l’engagement ». Toujours en quête de nouveaux territoires esthétiques afin de célébrer la diversité, Serge Mouangue a choisi de faire siens les mots de Jean-Paul Sartre : « Nous sommes condamnés à être libres » ■
Ces pièces d’exception et sur mesure sont fabriquées avec la maison Odasho, forte d’un savoir-faire vieux de 150 ans.
UNE ŒUVRE UNIQUE AU MONDE STÉPHANE TOURNE (2) - DR (2)
Grâce à Serge Mouangue, deux artistes qui ne se seraient jamais rencontrés ont pu unir leurs savoir-faire ancestraux. D’un côté, un sculpteur pygmée, de l’autre, un des plus grands maîtres laqueurs japonais. Ainsi est né « Frères de sang », pièce qui symbolise une esthétique chère à Wafrica, liant l’histoire et la beauté de deux cultures, tribales et animistes, pour créer des œuvres contemporaines et uniques. Deux ans de transformation ont été nécessaires pour couvrir de laque d’un rouge sang typiquement nippon ces quatre statues de 43 cm conçues à l’origine pour être des chaises, et leur donner ainsi huit siècles de vie à venir. ■ L.A. AFRIQUE MAGAZINE
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Fêtes : on se fait du bien en se faisant plaisir ON PARLE BEAUCOUP aujourd’hui des super-aliments qui contiennent des vitamines, oligo-éléments ou minéraux… Riches, aussi, en antioxydants, ils boostent forme et santé. Bonne nouvelle : il s’en trouve traditionnellement aux menus des fêtes. L’occasion de les apprécier en fonction de ses goûts ! Commençons par les huîtres : elles sont une mine de fer, de sélénium, d’iode, de zinc, et elles apportent également de la vitamine D. Un concentré de précieux nutriments aux propriétés anti-oxydantes pour lutter contre les radicaux libres, facteurs de vieillissement, et pour doper nos défenses immunitaires. Et contrairement à une idée reçue, les huîtres sont très pauvres en graisses et en cholestérol. Idem pour les crustacés divers et les coquilles Saint-Jacques, qui fournissent du fer, de l’iode,
du phosphore, du magnésium, et des vitamines B. De quoi faire le plein d’énergie en cette période où l’on peut se sentir fatigué ! On ne dédaigne pas non plus le saumon, qu’il soit fumé ou cuisiné : il constitue l’un des aliments les plus riches en oméga 3 – des acides gras protecteurs qui font baisser le cholestérol et la tension artérielle. Ils contribuent également à la prévention des troubles de l’humeur, au bon fonctionnement du cerveau et renforcent les défenses immunitaires. Un petit mot du foie gras pour les amateurs : ses graisses sont… bénéfiques pour les artères ! Et il regorge de fer et sel minéral anti-fatigue. Les volailles et gibiers servis lors des fêtes sont des viandes maigres, avec de grandes qualités nutritionnelles : nombreuses vitamines B, oligo-éléments comme le zinc, le sélénium… Un ensemble de
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Et si on profitait des agapes du Nouvel An pour tirer parti des SUPER-ALIMENTS, utiles à notre corps, sans culpabiliser ? Petit mode d’emploi du festin positif.
VIVRE MIEUX forme & santé
pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
nutriments aux vertus anti-oxydantes, et donnant de l’énergie. Venons-en au sucré… Pour rester sur les super-aliments, un dessert au chocolat noir – du bon, sans ajouts de sucres et de corps gras –, sera parfait : le cacao est riche en bonnes graisses bénéfiques pour le cholestérol, en antioxydants protecteurs, et en magnésium avec une action anti-fatigue et anti-stress. Si on préfère miser sur une gourmandise plus légère, une salade de fruits à base d’agrumes, mangues, kiwis, papayes, apporte d’innombrables bienfaits.
Pour éviter les excès D’abord, on ne commet pas l’erreur de jeûner avant les festins : affamé, on aura toutes les chances d’« abuser ». Le mieux est d’éviter le gras les jours précédents. À table, on déguste doucement et on mâche bien : cela laisse le temps à la satiété d’arriver, laquelle évite de trop manger. Et puis, cela épargne des lourdeurs, sensations de « trop-plein » et ballonnements, car après une bonne mastication, l’estomac se vide plus facilement et plus vite. Alterner verre d’eau et verre de vin est un bon truc pour limiter sa consommation d’alcool. Et l’alcool déshydratant – ce qui favorise les maux de tête –, cela permet de compenser. Enfin, s’il y a un excès dont il faut se prémunir, c’est celui de graisses : très longues à digérer, elles séjournent longtemps dans l’estomac, d’où des pesanteurs. De plus, elles favorisent des reflux avec des aigreurs, des brûlures. On veille donc à ne pas accumuler trop de mets gras superflus : par exemple, des chips à l’apéritif, de la mayonnaise avec des crustacés, du fromage après des plats riches.
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Et pour faciliter la digestion Pendant les festins, boire une eau gazeuse, riche en bicarbonates (comme St Yorre) aide à mieux digérer. Une réserve toutefois : mieux vaut rester à l’eau plate en cas de tendance aux ballonnements. D’autre part, on pense à la cannelle à saupoudrer sur les desserts et salades de fruits : elle est à la fois digestive et énergisante. Après le repas, plusieurs options… Miser sur une tisane à la camomille, aux graines de fenouil, à la badiane ou à l’anis étoilé (en cas de ballonnements notamment). Ou encore sur une tisane aux baies de goji ou une tasse de thé matcha pour un effet détox et anti-fatigue. On peut aussi se préparer un jus avec du gingembre, du citron vert et de la menthe mixés, et en boire régulièrement. Et puis, on n’oublie pas qu’aller faire tout simplement une balade à pied, ça marche pour booster le travail du système digestif ! ■ AFRIQUE MAGAZINE
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AVOIR UNE BELLE PEAU LE JOUR J
Ultimes courses, préparatifs… Il vous reste peu de temps pour parfaire votre TEINT ? Astuces à suivre. POUR GARDER une belle peau et un teint radieux tout au long d’une soirée de fête, mieux vaut commencer par nettoyer son visage. Ensuite, prenez le temps si possible d’appliquer durant quelques minutes un boosteur d’éclat sous forme de masque. Puis, mettez votre crème hydratante qui servira de base de maquillage. Autre option plus express : mélangez un soin coup d’éclat à votre crème hydratante. S’il est besoin de défatiguer votre regard, utilisez un soin contour des yeux (en texture gel, cela permet de se maquiller aussitôt) : votre regard sera plus lumineux, vos cernes seront estompés. Au besoin, pour ceux-ci ou d’autres imperfections, recourez à un correcteur. Après l’étape fond de teint, si vous en avez l’habitude, unifiez avec une poudre matifiante. Enfin, côté maquillage, on évite les faux pas… Si on choisit d’avoir un regard intense, on utilise un rouge à lèvres assez neutre. Et inversement : si on choisit de mettre en valeur sa bouche avec du rouge, le maquillage des yeux doit être plus doux. ■ 119
Les bienfaits des oligo-éléments Fer, céréales ou magnésium : ils sont essentiels pour lutter contre les infections ORL et la FATIGUE !
À LIRE Pour soigner toute la famille aux huiles essentielles L’aromathérapie a le vent en poupe. Mais si on est débutant, mieux vaut de bons conseils de pros pour traiter efficacement des maux quotidiens. Vous les aurez dans Le guide Terre Vivante des huiles essentielles : avec près de 400 pages, il propose plus de 500 formules santé, mais aussi beauté et bien-être, pour élaborer des soins maison simplement et en toute sécurité. Le guide Terre Vivante des huiles essentielles, par le Dr Couic-Marinier, 29 euros.
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À la fois contre les infections et la fatigue, le fer est vital. En effet, un manque (non rare chez les femmes à cause des règles qui en font perdre) entraîne un épuisement et une moindre résistance aux microbes. On le trouve surtout dans la viande rouge, le foie, le boudin noir, les poissons et fruits de mer. Il faudrait manger l’un ou l’autre une fois par jour pour de bons apports. Les légumes secs sont également une source intéressante : y associer un aliment d’origine animale augmente l’absorption du fer végétal. Bon à savoir : la vitamine C accroît l’absorption de cet oligo-élément, les fruits qui en contiennent sont donc les bienvenus au dessert. En revanche, on n’abuse pas du thé ou du café qui ont l’effet inverse. En cas de fatigue importante et d’infections à répétition, il est utile de faire un dosage sanguin de la ferritine pour vérifier si on a besoin d’une supplémentation. Enfin, on n’oublie pas le magnésium dont on manque souvent, d’autant plus avec un mode de vie stressant, manque qui cause aussi une fatigue. Pour faire le plein, on mise sur les céréales complètes (pain complet, de seigle, riz complet…), les légumes secs, les fruits oléagineux. Et en cette saison, une petite cure avec un complément fera toujours du bien. ■
EN BREF LE 1er PATCH D’ÉLECTROTHÉRAPIE POUR SOULAGER LA DOULEUR
L’électrothérapie est utilisée par les kinésithérapeutes : via des courants électriques faibles, elle agit sur les fibres nerveuses et bloque la transmission de la douleur vers le cerveau. Elle stimule aussi la libération d’endorphines. Ce patch est une innovation pour soulager douleurs articulaires, mal de dos, sciatique : on l’applique avec le gel adhésif fourni pour une séance de 20 min (arrêt automatique), on peut poursuivre ses activités, et l’effet est immédiat. Patch Urgo en pharmacies, env. 45 euros pour 60 traitements de 20 min. AFRIQUE MAGAZINE
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LES OLIGO-ÉLÉMENTS sont des minéraux présents en petite quantité dans l’organisme. Ils nous sont apportés par l’alimentation, mais il est possible aussi de les prendre sous forme de compléments lorsque le besoin s’en faire sentir (suivre les doses recommandées en fonction des produits). Certains oligo-éléments sont particulièrement essentiels en cette période de l’année. En prévention des infections ORL, le zinc est primordial. Il joue un rôle capital dans les réactions immunitaires, notamment en stimulant les globules blancs défenseurs chargés d’éliminer les germes. De plus, il pourrait avoir un effet antiviral direct. On fait le plein avec les protéines animales : poissons et viandes ; mais aussi avec les céréales complètes, le germe de blé qui en est très riche (à saupoudrer sur les soupes, salades, yaourts), et le cacao. Si on mange peu de protéines animales, un complément est conseillé. De même dans des situations qui font surconsommer le zinc : toute maladie chronique ainsi que le tabagisme (même avec une alimentation « parfaite »). Et lorsqu’une infection débute ? On prend dès les tout premiers symptômes du cuivre. Pour un rhume, on y associe de l’argent. Pour un mal de gorge (angine, pharyngite, laryngite), on opte pour le bismuth : cet oligoélément a un rôle anti-inflammatoire, agit sur la douleur, et permet à la voix de revenir plus vite à la normale.
À prendre sous forme de compléments nutritifs, en respectant les doses.
VIVRE MIEUX forme & santé Le sauna fait perdre de l’eau, mais aussi du sel, ce qui explique sans doute ses bienfaits sur la tension.
BON POUR VOTRE CŒUR ET VOS ARTÈRES
Voici ce qui est recommandé pour prendre soin de notre système CARDIOVASCULAIRE.
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Je ne saute plus le petit-déjeuner.
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Je savoure ces aliments amis.
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Je garde plutôt le pain pour le manger vers la fin du repas si j’ai du diabète.
C’est une étude espagnole qui le montre : les personnes qui ne mangent pas ou peu le matin, ont un risque accru d’accumulation de graisses dans leurs artères, de durcissement de ces dernières, et donc de problèmes cardiaques. Par conséquent, on prend le temps de bien manger pour le premier repas de la journée !
Comme la banane et l’avocat : outre des bonnes graisses pour l’avocat, ces deux végétaux apportent du potassium qui, s’il fait défaut, entraîne une moindre souplesse des artères, et plus de risque d’ennuis cardiovasculaires. On peut aussi se régaler avec des pâtes complètes à base de blé ou d’orge : elles favorisent le bon fonctionnement du cœur. Et on croque quelques amandes tous les jours (au lieu de craquer pour un gâteau !) : ces fruits oléagineux viennent une fois de plus de prouver qu’ils ont un effet bénéfique sur le bon cholestérol, celui qui protège nos artères de l’encrassement.
Cela limite le risque d’hyperglycémie après les repas, et ainsi celui de maladie cardiovasculaire associé.
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Je n’hésite pas à aller au sauna.
C’est en Finlande que le bénéfice de cette pratique traditionnelle consistant à prendre un bain de chaleur sèche dans une cabane de bois (de 70 à 100 °C !) a été observé. Très populaire et vieille de 2 000 ans, elle est connue pour réduire le risque d’hypertension et renforcer l’activité du cœur. Deux mécanismes sont avancés : le sauna accélère le rythme cardiaque, ce qui peut être favorable ; et il fait perdre de l’eau, mais aussi du sel, ce qui explique sans doute les bienfaits sur la tension. Il convient toutefois de rappeler que ces bains de chaleur sèche peuvent être déconseillés à certaines personnes atteintes d’une maladie cardiovasculaire. ■
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Les produits saturés (huile de palme, charcuterie…), devraient représenter moins de 10 % de l’apport total.
LA BONNE ET LA MAUVAISE GRAISSE
Elle est nécessaire à notre organisme. À condition de faire les bons CHOIX.
INDISPENSABLES à l’organisme, les graisses sont source d’énergie, entrent dans la composition de la membrane des cellules, permettent l’absorption de vitamines, et participent au bon fonctionnement du cerveau. Selon les recommandations nutritionnelles, la consommation de matières grasses doit représenter 35 à 40 % de l’apport calorique total. Mais toutes les graisses ne se valent pas sur le plan de la santé… Celles à privilégier : les monoinsaturées (huile d’olive, noix, avocat, cacahuètes) et les polyinsaturées (huiles de colza, soja, maïs, tournesol, et poissons deux fois par semaine dont un gras…). Quant aux graisses saturées (viandes hors volailles – pas plus de 500 g par semaine), huile de palme, charcuterie, beurre, crème, fromages), il en faut car elles sont utiles, mais elles devraient représenter moins de 10 % de l’apport. À modérer donc. Pour les graisses ajoutées, le bon dosage à retenir est de 20 g de beurre et 20 g l’huile (2 cuil. à soupe) par jour. Enfin, il faut éviter le plus possible les acides gras « trans » (mentionnés aussi comme « graisses ou huiles partiellement hydrogénées » sur les emballages) : ce sont des graisses créées par les industriels pour favoriser la stabilité des produits, mais très néfastes pour les artères. ■ 121
LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian
Rungano Nyoni 2. Votre destination favorite ? Livingstone en Zambie, près des superbes chutes Victoria ! Idéal pour les vacances, très relaxant. 3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Stockholm, pour présenter mon film. Atmosphère très agréable, habitants sympathiques. 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Rien de sentimental, c’est plutôt électronique ! Smartphone et iPad pour travailler, lire des scénarios… 5. Un morceau de musique ? « Kick in the Door » de Notorious B.I.G. 6. Un livre sur une île déserte ? Les Intermittences de la mort de José Saramago, écrivain et journaliste portugais. L’histoire d’un pays où les gens ne meurent plus, et les conséquences que cela engendre sur la société.
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I Am Not a Witch, présenté à Cannes en 2017, premier long-métrage de la jeune
réalisatrice zambienne, a été multi-primé dans le monde. Inspirée par les contes de son pays natal, son histoire sur les camps de sorcières, métaphore féministe, évoque la misogynie, l’asservissement… Et le prix à payer pour la liberté. 7. Un film inoubliable ? La Pianiste de Michael Haneke. C’est LE chefd’œuvre. J’essaie parfois de l’analyser mais je capitule, happée par la force de l’histoire ! Je me sens très proche de cette héroïne, incarnée par Isabelle Huppert. 8. Votre mot favori ? Je dirai yikes, un vieux mot américain, équivalent de « oups ! ». Je l’utilise dans mes e-mails pour exprimer de façon amusante que si j’ai fait une erreur, ce n’est pas grave !
9. Prodigue ou économe ? Je n’ai pas assez d’argent pour être l’une ou l’autre ! (rires) Disons plutôt économe, je fais attention. 10. De jour ou de nuit ? De nuit. Il me faut toute la journée pour me réveiller, et à 18 h, hop, c’est parti ! 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Téléphone ! Je ne suis pas branchée réseaux sociaux. En théorie, les lettres, j’adorerais, mais il semble que ce n’est plus possible… 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Dormir ! (rires) Ou regarder des séries sur Netflix. 13. Votre extravagance favorite ? Sortir au restaurant. Je me régale de poissons bien frais et de produits de la mer. 14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Professeur. Ou businesswoman, dirigeant un empire où plein de gens travailleraient pour moi ! (rires) AFRIQUE MAGAZINE
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15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Maggie Mulubwa, la jeune actrice de mon film. Nous avons parcouru plus de 5 000 km pour la trouver. Elle va fêter Noël avec nous. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Pas une semaine sans un bon verre de vin, surtout le délicieux vinho verde du Portugal ! 17. Votre plus beau souvenir ? À 5 ans, j’étais demoiselle d’honneur à un mariage. Je portais une très belle robe, et ma mère m’avait coiffée comme une princesse, avec les cheveux bouclés… 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Paris, ville que j’aime et déteste selon les jours ! 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Celle de ma mère. Elle est une supporter incroyable. Quand mon film est sorti dans sa ville, à Cardiff, elle réunissait chaque soir du public pour aller le voir. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Voyons avec le temps si je mérite qu’on se souvienne de moi, si je gagne cette notoriété ! ■
I Am Not a Witch, de Rungano Nyoni. Sortie le 27 décembre (France).
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PHILIPPE QUAISSE/PASCO AND CO
1. Votre objet fétiche ? Pas d’objet, mais je dirais mon mari ! (rires) Il est partout avec moi et m’a porté bonheur jusqu’à maintenant !
Les tendances du marchÊ de la finance Toutes les offres d’emploi en cours
Les innovations qui font la fiertĂŠ du continent
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