LES
AFRIQUE MAGAZINE
HORS SÉRIES OCTOBRE 2016
Côte d’Ivoire POUR UNE NOUVELLE REPUBLIQUE LES INTERVIEWS EXCLUSIVES DE ◗ ◗ ◗ ◗ ◗ ◗
AMADOU SOUMAHORO ADAMA BICTOGO A’SALFO KANDIA CAMARA MICHEL K. BRIZOUA-BI NOËL AKOSSI BENDJO
Le chef de l’État, Alassane Dramane Ouattara.
ABIDJAN CITÉ GLOBALE DES IDÉES POUR DEMAIN ! ET NOS PORTRAITS IVOIRIENS
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 2900 FCFA ISSN 0998-9307X0
M 05529 - 7H - F: 5,90 E - RD
3’:HIKPPC=^UZ^UZ:?a@k@a@h@p";
CHAMPIONS & SME
AFRICA FORUM LIBÉRER LE POTENTIEL DES ENTREPRISES AFRICAINES 3E ÉDITION
ABIDJAN
LES 17 ET 18 NOVEMBRE 2016 FACILITER L’ACCÈS AU FINANCEMENT ET AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES EN AFRIQUE
HÔTEL RADISSON
www.africa-smechampions.com
ÉDITO
PAR zyad limam
VERS DEMAIN
C
’était mon tout premier voyage en Afrique subsaharienne. Je devais avoir 16 ans, peut-être 17. J’ai pris l’avion seul pour Abidjan (à l’époque des grands DC-10 d’UTA ou d’Air Afrique…). Mes parents étaient très amis avec Serge Guetta, alors représentant de la Banque mondiale en Côte d’Ivoire. J’ai passé quinze jours dans la grande maison de Cocody, avec les enfants de Serge. Les souvenirs sont lumineux. La plage immense d’Assinie. L’hôtel Ivoire, sa patinoire, sa pâtisserie, sa fameuse galerie, son cinéma où j’avais emmené en amoureux transi l’une des belles jeunes filles du voisinage. Et puis aussi les lumières du Plateau, les immeubles orgueilleux qui se reflétaient dans la lagune la nuit, les restaurants et les boîtes de nuit luxueuses. Cette sensation d’être dans une Afrique idéale, au cœur du monde. Dans une Côte d’Ivoire à l’avant-garde, à quelques encablures de l’émergence et du développement. Depuis, la nation des Éléphants a connu des temps tumultueux, difficiles, souvent tragiques, prise dans le piège de la mort du « père fondateur », d’une succession impossible, prisonnière d’un débat stérile sur l’identité, et d’un modèle de développement basé sur la rente et sur la dette. J’y suis revenu, souvent à des moments déterminants. Lors des manifestations contre Alassane Dramane Ouattara, Premier ministre d’Houphouët chargé de remettre de l’ordre dans une maison qui prenait eau de toutes parts. Puis, après le coup d’État de 1999. Aux premières heures du RDR. À l’élection de Laurent Gbagbo. Après la rébellion de 2002 et la coupure du pays en deux. Et pour l’installation d’ADO à la présidence en 2011… Je me suis opposé, sur le fond, à Laurent Gbagbo. Je suis proche d’Alassane Ouattara, que je connais depuis l’époque où il était directeur Afrique au Fonds monétaire international (FMI) à Washington et moi étudiant à la Georgetown University. C’est un président de grande qualité, qui a transformé son pays après plus de deux décennies de crises. Et qui l’a remis en mode marche avant.
AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
La Côte d’Ivoire est une nation très importante, de plus de 22 millions d’habitants, au cœur de la région et du continent. Elle est importante aussi parce qu’ici se concentrent les promesses et les défis du rêve africain. Voilà un pays qui peut devenir réellement émergent dans un temps raisonnable, avec une économie diversifiée, une agro-industrie prometteuse, des talents, le tout porté par Abidjan, ville phare de plus en plus ouverte sur le monde. Mais un pays aussi où la pauvreté ne diminue pas assez vite, où les défis sociaux sont immenses (éducation, santé…). Où, avec l’accroissement des richesses (le PIB du pays a augmenté d’un tiers depuis 2011), les inégalités se creusent. Et la question de la gouvernance, de la qualité de la prestation publique, devient essentielle. La jeunesse de la population (les trois quarts des Ivoiriens ont moins de 35 ans), le numérique, l’urbanisation bousculent les modèles traditionnels et la société patriarcale. Des centaines de milliers de jeunes arrivent sur le marché du travail. Ils veulent prendre part aux processus de décisions politiques. L’environnement est apaisé, mais le pays a eu sa part de tragédies et de victimes. Il se reconstruit, se réconcilie. Il panse ses blessures. La mise en place d’un système institutionnel capable à la fois de solder les comptes du passé, de proposer un modèle dynamique pour demain et d’absorber ces évolutions est donc une urgence. La Constitution proposée par Alassane Ouattara à ses concitoyens dépasse les petits calculs politiques des uns et des autres. L’objectif, ici, est de trouver un mécanisme qui assure la stabilité, la durabilité, deux vertus qui échappent si souvent à nos jeunes États. Et aussi la nécessaire ouverture démocratique. Les Ivoiriens se rendent aux urnes le 30 octobre pour approuver leur future loi fondamentale. Ce hors-série spécial d’AM vous propose d’aller à la rencontre de cette nouvelle Côte d’Ivoire, de cette République en train de renaître. ■
Un système capable de solder les comptes du passé et de proposer un modèle pour demain.
3
ujourd’hui érigé en holding avec un capital de 100 millions de FCFA, Snedai Groupe compte six filiales, avec des partenaires techniques leaders mondiaux dans leurs domaines d’intervention, notamment Zetes, mais aussi un réseau bancaire fiable (Baci, BGFI Bank) avec lequel Snedai Groupe capitalise six conventions de concession dans la sous-région. Des conventions ont été signées avec l’État de Côte d’Ivoire pour la production du passeport ordinaire, du passeport diplomatique, du passeport de service et aussi pour les visas biométriques. Pour le Burkina Faso, Snedai intervient dans la fabrication et la délivrance des cartes consulaires biométriques des Burkinabè résidant en Côte d’Ivoire.
A
LA BIOMÉTRIE À Le document ivoirien, parmi les cinq passeports les plus sécurisés selon l’OACI Le groupe Snedai a su répondre aux besoins de l’État ivoirien par un contrat de concession de service public pour la délivrance du passeport biométrique national. Aujourd’hui, ce passeport se classe parmi les cinq premi premiers les plus sécurisés au monde selon l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).
À L’introduction du visa biométrique (e-visa), une innovation de taille pour les demandes à distance
À Couverture maladie universelle, Snedai-CMU offre une solution d’identification
Satisfait de la compétence et du professionnalisme de Snedai, l’État ivoirien lui a confié la concession de son visa biométrique. Dans le cadre du projet e-visa, Snedai a élaboré toutes les procédures et les différentes étapes pour l’obtention de ce visa biométrique. L’innovation majeure avec l’e-visa est la possibilité de faire une demande de visa depuis son domicile, son lieu de travail ou tout autre endroit et d’obtenir une réponse avec un code-barres sur son ordinateur. Ce code-barres permet d’identifier le demandeur de visa si ce dernier, après son pré-enrôlement, désire retirer son document dans l’un des postes de délivrance de visas biométriques. Snedai Côte d’Ivoire a équipé l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan pour distribuer ces visas.
Suite au vote de la loi 2014-131 du 24 mars 2014 instituant la couverture maladie universelle (CMU), et compte tenu de son savoir-faire technique en termes de biométrie, Snedai a obtenu la signature d’un partenariat public-privé relatif à l’enrôlement biométrique des futurs assurés de la couverture maladie universelle (immatriculation des adhérents, fourniture d’une carte d’identification unique et déploiement d’une application métier pour la gestion du régime). La CMU, système obligatoire de protection sociale nationale contre le risque maladie, a pour principal objectif de garantir l’accès à des soins de santé de qualité à l’ensemble des populations résidant en Côte d’Ivoire. À ce titre, la filiale Snedai-CMU du groupe a déployé des bureaux d’enrôlement dans tous les départements ainsi que des équipes mobiles chargées des enrôlements dans les sous-préfectures et les villages. Le but est d’offrir une solution d’authentification aux assurés de bout en bout.
À Carte consulaire burkinabè, Snedai, concessionnaire de l’État burkinabè Dans la perspective de la production de la carte consulaire biométrique, l’État burkinabè a concédé à Snedai, pour une durée de dix ans, la mise en œuvre du projet d’identification et de fabrication des cartes car consulaires biométriques de ses ressortissants vivant en Côte d’Ivoire. La délivrance de cette carte d’Iv consulaire vise principalement à con faciliter l’obtention d’un document fac sécurisé séc nécessaire aux démarches administratives. adm
AVANTAGES DE LA CARTE CONSULAIRE BIOMÉTRIQUE • Mise en place d’une base de données crédible • Suivi du flux migratoire • Maîtrise des actions individuelles • Édition de documents d’identité
PUBLI INFORMATION
LES GRANDS PROJETS SNEDAI À Snedai développe les transports En vue de contribuer à l’amélioration de la mobilité des populations par le développement du transport par voie d’eau, plusieurs projets sont en cours d’étude dans les capitales ouest-africaines. À travers l’une de ses filiales en Côte d’Ivoire, Snedai mettra en œuvre très prochainement un réseau de transport de personnes par bateau sur le plan lagunaire d’Abidjan. Des projets similaires sont en cours d’étude au Sénégal, en République de Guinée et au Bénin. Il est important de souligner que l’ensemble des bateaux et des équipements que nous exploiterons répondront aux normes de sécurité internationales.
2 x 350 mégawatts, soit 700 mégawatts au total. Ses caractéristiques se résument, entre autres, en la capacité à générer des émissions qui respectent les normes fixées par la Banque mondiale. Ce projet contribuera non seulement à une préservation du climat, mais il favorisera également une croissance économique soutenue, partagée et durable, un plein emploi productif et un travail décent pour tous. Le projet est géré par S.energies.
À Snedai mise sur les énergies Les besoins en énergie du continent africain sont immenses. En Côte d’Ivoire en particulier, où les autorités développent un ambitieux projet visant à augmenter la capacité électrique afin de répondre à la demande croissante sur les plans national et sous-régional. Le gouvernement de la République de Côte d’ivoire nous a manifesté sa confiance en signant, dans le courant de l’année 2015, un protocole d’accord avec le groupement constitué du Snedai Groupe et d’un partenaire de tout premier rang reconnu dans le domaine. Ce vaste projet consiste à construire et à exploiter, dans la ville de San Pedro, une centrale thermique à charbon de type « clean coal » (charbon propre) d’une capacité de
À travers sa filiale SCI Myralis en Côte d’Ivoire, Snedai réalise actuellement la construction d’une centaine de logements de haut standing dans un quartier résidentiel dans la commune de Cocody, à Abidjan. Ce programme, qui sera livré en cette année 2016, vise essentiellement à répondre à une forte demande de la part de l’exigeante clientèle locale et expatriée. Pour ce faire, Snedai a constitué une équipe d’experts dans le domaine afin d’offrir un ensemble immobilier esthétique, moderne et fonctionnel. Snedai Groupe travaille également en ce moment sur l’important projet de construction du village des 8es Jeux de la francophonie – qui auront lieu à l’été 2017 – sur le site de l’INJS, à Abidjan. Un programme réalisé avec le groupe sénégalais Getran. Enfin, au Sénégal, Snedai réalise la deuxième université de Dakar, Unidak 2 ou université Amadou Mahtar Mbow du Sénégal. Pour la construction de cet édifice important pour ce pays phare de l’Afrique de l’Ouest, Snedai a réuni des entreprises européennes et africaines hautement qualifiées.
Cocody 2 plateaux BP 222 cidex 05 Abidjan, Côte d’Ivoire Tél.: +225 22 51 08 08 +225 22 51 08 00 www.snedai.ci
AMB/DF - PHOTOS : DR.
À Snedai investit dans les bâtiments et travaux publics (BTP)
HORS-SÉRIE OCTOBRE 2016 LES
AFRIQUE MAGAZINE
HORS SÉRIES OCTOBRE 2016
Côte d’Ivoire POUR UNE NOUVELLE REPUBLIQUE LES INTERVIEWS EXCLUSIVES DE Z Z Z Z Z Z
AMADOU SOUMAHORO ADAMA BICTOGO A’SALFO KANDIA CAMARA MICHEL K. BRIZOUA-BI NOËL AKOSSI BENDJO
Le chef de l’État, Alassane Dramane Ouattara.
ABIDJAN CITÉ GLOBALE DES IDÉES POUR DEMAIN ! ET NOS PORTRAITS IVOIRIENS
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 2900 FCFA ISSN 0998-9307X0
AMHS_CI_Couv.indd 1
M 05529 - 7H - F: 5,90 E - RD
3’:HIKPPC=^UZ^UZ:?a@k@a@h@p"; 14/10/16 21:16
PHOTO DE COUVERTURE : SEIBOU TRAORÉ
28 Adama Bictogo, fondateur et patron du groupe Snedai, est aussi l’un des dirigeants les plus actifs du RDR.
3
par Zyad Limam
18
INTERVIEWS
AMADOU SOUMAHORO « Nous croyons en la parole donnée ! » Le secrétaire général du RDR réaffirme son soutien à la réforme portée par ADO.
74 Avant de fêter les vingt ans de carrière de Magic System, A’Salfo, leur leader, se préoccupe de l’avenir immédiat du pays.
ÉDITO Vers demain
28
ADAMA BICTOGO « Il nous faut penser loin » Ce proche du président est un ardent promoteur de la nouvelle Constitution.
34
MICHEL K. BRIZOUA-BI « Il faut créer les conditions de “l’inclusivité” » Le président de Côte d’Ivoire Global veut réaffirmer le rôle de la société civile.
52
KANDIA CAMARA « Donner à tous la même chance de réussite » La ministre de l’Éducation revient sur les réformes de l’école, priorité gouvernementale.
NOËL AKOSSI BENDJO « Apporter une nouvelle dimension au Plateau » Rencontre avec le maire de cette commune, centre névralgique des affaires à Abidjan.
ANNONCEURS Africa SME Champions FORUM Abidjan 2016 p. 2. – Snedai p. 4-5. – CIE p. 7. – Children of Africa p. 9. – Nostalgie p. 17. – Port autonome d’Abidjan p. 99. – CGECI p. 100.
6
74
A’SALFO « Nous allons parvenir à la réconciliation » Le prince du zouglou, leader vocal de Magic System, veut agir sur le terrain social.
AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT - DR
72
à ® er WYVK\J[L\Y K»tULYNPL YLUV\]LSHISL KL S»<,46( .>O 5,;: à ® ;YPWSL JLY[PÃ&#x201E;JH[PVU 8:, 7 SL 7YVK\J[PVU ;YHUZWVY[ L[ 4V\]LTLU[ K»,ULYNPL 7;4, à ® RT KL YtZLH\ KL [YHUZWVY[ L_WSVP[tZ
à ® MV`LYZ K»tJSHPYHNL W\ISPJ THPU[LU\Z
www.cie.ci
+VUUtLZ H\ KtJLTIYL
à ® SVJHSP[tZ KLZZLY]PLZ
AFRIQUE MAGAZINE
FONDÉ EN 1983 (33e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR GÉNÉRAL ET RÉDACTEUR EN CHEF
zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Nadia Malouli
10
POLITIQUE La nouvelle République
42
BALISES En chiffres et en contrastes Démographie, éducation, commerce, pauvreté, dette… La Côte d’Ivoire expliquée à travers ses statistiques.
44
GRANDS TRAVAUX Une nation à construire Routes, ports, aéroports… Tour d’horizon des projets à venir.
50
58
82
82 Une nouvelle génération émerge, à l’image de la comédienne Tatiana Rojo.
Lilia Ayari, Dounia Ben Mohamed, Sabine Cessou, Cédric Gouverneur, Alexis Gau, Sophie Lebeuf, Sabine Meynard-Gueye, Baudelaire Mieu.
VENTES EXPORT Arnaud Desperbasque Tél. : (33) 5 59 22 35 75 FRANCE DESTINATION MEDIA 66 rue des Cévennes - 75015 Paris Tél. : (33)1 56 821200 ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr
OPPORTUNITÉS Des idées pour demain
Afrique Magazine Hors-série est une publication éditée par
STRATÉGIE Abidjan, cité globale
31, rue Poussin - 75016 Paris. Président-directeur général et directeur de la publication : Zyad Limam.
(Re)devenue hub régional, la ville fait face à de nombreux défis.
Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.
À L’AFFICHE Portraits ivoiriens
Commission paritaire : 0219 / I 856 02. Dépôt légal : octobre 2016.
INSTANTANÉ… par Zyad Limam
8
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Autorités et clients en redemandent, les produits ivoiriens ont la cote.
MARKETING Consommer local, c’est possible !
Treize personnalités d’horizons divers, qui ont en commun la volonté de porter haut les ambitions nationales.
98
Éléonore Quesnel SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Aldo de Silva CONSEILLER ARTISTIQUE
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 GÉRANT ZYAD LIMAM DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE EMMANUELLE PONTIÉ regie@afriquemagazine.com
Certains secteurs en pleine ébullition dopent la croissance du pays.
66
epontie@afriquemagazine.com
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com
ANALYSE La locomotive maintient le cap Le chemin de l’émergence reste complexe, mais ambition et volonté demeurent.
DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION
Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
DÉCRYPTAGE Constitution : les clés en 10 points L’essentiel de ce nouveau pacte social, ses principes et les mesures phares.
38
RÉDACTION Emmanuelle Pontié
Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com
Un besoin urgent de modernité pour une société ivoirienne en mutation.
24
nmalouli@afriquemagazine.com
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2015.
AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT - DR
TEMPS FORTS
38 Ponts, routes, ports… Cap sur les infrastuctures ambitieuses.
La La Fondation Fondation intervient intervient dans dans 11 11 pays pays dâ&#x20AC;&#x2122;Afrique dâ&#x20AC;&#x2122;Afrique
*UkFH j YRWUH JpQpURVLWp QRXV DOORQV SRXYRLU RÉ£ ULU XQH YLH meilleure à des milliers dâ&#x20AC;&#x2122;enfants dâ&#x20AC;&#x2122;Afrique. Faisons en sorte que ce Noël soit pour eux, un beau Noël ! Choisissez lâ&#x20AC;&#x2122;action que vous souhaitez aider : 6FRODULVDWLRQ GHV ¿ OOHV ) &)$ &HQWUHV GH VDQWp ) &)$ .LWV VFRODLUHV ) &)$ )R\HUV G¶DFFXHLO ) &)$ &DPSDJQH GH YDFFLQDWLRQ ) &)$ 'RQ GH YRWUH FKRL[ ) &)$ Cette année, nous comptons aussi sur votre soutien pour terminer lâ&#x20AC;&#x2122;équipement de lâ&#x20AC;&#x2122;Hôpital Mère-Enfant de Bingerville en Côte dâ&#x20AC;&#x2122;Ivoire : 'RQ GH ) &)$ 'RQ GH ) &)$ 'RQ GH ) &)$
Soutenez nous, câ&#x20AC;&#x2122;est avec vous que nous pourrons réussir ce grand projet ! -¶HÉ£ HFWXH XQ GRQ VXU ,QWHUQHW www.childrenofafrica.org/faites-un-don Jâ&#x20AC;&#x2122;adresse un chèque de...................................... )RQGDWLRQ &KLOGUHQ RI $IULFD %3 $ELGMDQ ± &{WH G¶,YRLUH Mr
Mme
164.000 Enfants ayant eu accès à la lecture gratuitement 164.000 Enfants ayant eu accès à la lecture gratuitement 107.000 Enfants déparasités 107.000 Enfants déparasités 74.318 (QIDQWV YDFFLQpV 0pQLQJLWH HW ¿ qYUH W\SKRwGH 74.318 (QIDQWV YDFFLQpV 0pQLQJLWH HW ¿ 74.000 qYUH W\SKRwGH Kits scolaires distribués
74.000 Kits scolaires distribués 59.000
Mlle
Enfants suivis par la caravane ophtalmologique Nom Société
59.000
Enfants suivis par la caravane ophtalmologique 13 Centres dâ&#x20AC;&#x2122;accueil subventionnés
13
Centres dâ&#x20AC;&#x2122;accueil 10subventionnés Salles Multimédias
Adresse
10
Ville
8 Salles Multimédias Bibliobus
Signature
8
Bibliobus
Fondation Children of Africa IRQGDWLRQ FKLOGUHQRIDIULFD#\DKRR IU ZZZ FKLOGUHQRIDIULFD RUJ 7pOpSKRQH
POLITIQUE
LUC GNAGO/REUTERS
VERS LA NOUVELLE REPUBLIQUE
10
HORS -SÃ&#x2030;RIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Le président Ouattara veut doter l’État d’institutions modernes. Objectifs : assurer la stabilité à long terme. Et favoriser l’émergence économique. Un pari ambitieux et indispensable pour éloigner définitivement le pays des tragédies du passé. par Zyad Limam
Le président Ouattara à l’Assemblée nationale le 5 octobre, présentant le projet de Constitution.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
11
POLITIQUE
M
ercredi 5 octobre, au Palais du Plateau, Abidjan. Fin d’après-midi. Le président Alassane Ouattara reçoit certains de ses proches collaborateurs après une journée hautement symbolique et par ailleurs bien remplie. Il se sent soulagé, heureux d’avoir passé ce qui représente à ses yeux une étape fondamentale. Dans la matinée, il était à l’Assemblée nationale pour présenter son projet de nouvelle Constitution aux députés. Son allié le président Henri Konan Bédié était là. Son épouse Dominique aussi. Le gouvernement, les proches, également. Il a été accueilli par Guillaume Soro, l’enfant terrible de la République et président de l’Assemblée. Il a défendu son texte. Mobilisé les troupes. Un membre du cabinet confie : « Il a su trouver les bons mots, le bon ton. Entre émotion, explication et stratégie à long terme. » Cette « révolution constitutionnelle », ADO la porte depuis des mois. Elle accapare une grande partie de son temps et de son énergie depuis la campagne électorale présidentielle de 2015. C’est une promesse de candidat et de président élu.
12
Il veut marquer son second mandat, son passage. Marquer l’histoire politique du pays. Léguer un cadre stable pour le futur. Mais c’est aussi une promesse qu’il s’est faite à luimême. Il y a quelque chose de personnel, évidemment, dans cette volonté de changer la donne institutionnelle. Une promesse qu’il partage avec tant d’autres qui ont eu à souffrir des questions identitaires et de l’exclusion depuis la mort du père fondateur, Félix Houphouët-Boigny, en décembre 1993. ADO veut un texte qui réunifie la Côte d’Ivoire. Qui débarrasse le pays, au moins sur le plan du droit, des dispositions « confligènes » (néologisme assez surprenant inventé par la classe politique ivoirienne). Il faut se défaire de la Constitution de l’an 2000, adoptée à la suite d’un coup d’État et qui a été la source de tant de violences et de divisions. Il faut enterrer l’ivoirité, « l’article 35 » (sur les conditions d’accession à la candidature présidentielle) et tout ce qui va avec. Le président le répète depuis des mois, et en réalité depuis des années : en Côte d’Ivoire, comme ailleurs, nul ne peut être exclu en raison de son origine, de sa couleur, de sa religion, de son ethnie… Le président a un autre objectif en tête, celui de la stabilité successoHORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
JOE PENNEY/REUTERS
Ce 13 janvier 2016, toute l’équipe qui entoure le président Ouattara est là. Avec ci-dessus le gouvernement et, entre autres personnalités, le Premier ministre Daniel Kablan Duncan (à gauche du président), et à ses côtés le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko…
JOE PENNEY/REUTERS
…Et « l’équipe du palais ». Au premier rang (de gauche à droite) : Fidèle Sarassoro, Amadou Gon Coulibaly, le président Ouattara, Jeannot Ahoussou-Kouadio et Masséré Touré. Au deuxième rang (de g. à d.) : Alain-Richard Donwahi, Thierry Tanoh, Marcel Amon Tanoh, Téné Birahima Ouattara, Philippe Serey-Eiffel. rale. Il veut épargner au pays des transitions difficiles ou tragiques. Depuis l’indépendance, chaque passation aura été complexe, dangereuse, marquée par l’incertitude, les violences, les contestations, les fraudes. ADO sait de quoi il parle, lui qui a été si souvent accusé de vouloir s’imposer coûte que coûte à la mort de Félix Houphouët-Boigny. Il y eut d’abord la chute du président Henri Konan Bédié, le coup d’État de Noël 1999. Puis Robert Gueï à la tête d’un Conseil national de salut public. Gueï battu ensuite par Laurent Gbagbo en 2000 et les violences qui vont suivre. Avant d’enchaîner sur 2002 et la spirale infernale. Et 2010, avec la victoire de Ouattara, le crash post-élection, la guerre civile qui se rallume… ADO cherche un système stable, qui épargne au pays ces passations tragiques. Quelque chose qui permettrait de savoir où l’on va. Et dans ce contexte, ce n’est pas un mystère, il cherche aussi à peser sur le choix de son propre successeur. Le président l’a dit à de multiples reprises : il ne sera pas candidat en 2020. Mais toute sortie se prépare. Il a son idée sur les gens. Et il veut être reconnu comme celui qui aura réussi à organiser la suite, réussi là où Houphouët, finalement, a échoué. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Cette nouvelle Constitution, c’est la sienne. Il a consulté en toute discrétion de nombreux experts, des juristes spécialisés, des hommes politiques, des diplomates, des praticiens, ivoiriens, français, américains, d’ailleurs aussi. Il a écouté. Il a confronté ses idées et intuitions avec ses proches et ses lieutenants. Rassurant les uns et les autres, ne se privant pas de la nécessité de brouiller les pistes quand il le fallait. Il a voulu l’efficacité, en évitant les palabres publiques multiples (consommateurs de per diems et d’énergie). Il a dessiné aussi un schéma institutionnel exigeant : comité d’experts, approbation par le Parlement, vote du peuple par référendum. un schéma institutionnel exigeant Comme tous les textes constitutionnels, celui-ci ne prouvera sa valeur que lorsqu’il sera appliqué, qu’il montrera sur le long terme sa capacité à s’adapter à la vie politique, aux crises et aux accidents toujours possibles. Mais, dans le principe, la nouvelle loi fondamentale ne manque pas d’éléments positifs (voir également page 24), qui répondent aux exigences de fond du président et des rédacteurs de la Constitution. 13
POLITIQUE
Tout d’abord, c’est certainement le point le plus important et le plus symbolique, le règlement de la question de l’identité et de l’ivoirité par une écriture nettement plus inclusive des conditions d’éligibilité à la présidence. Ce sera la clé de voûte emblématique du texte. Seconde innovation tout aussi essentielle, celle qui tient à la dévolution du pouvoir, avec la création d’un poste de vice-président, élu sur un ticket avec le président – « à l’américaine ». Ce vice-président serait le véritable numéro 2 politique du pays en étant le successeur constitutionnel en cas d’empêchement présidentiel. Ici, on s’inspire de l’exemple américain, mais aussi d’une pratique de plus en plus courante en Afrique : au Ghana, en Afrique du Sud, au Nigeria… Et tout ce qui peut se révéler imprévisible dans une élection présidentielle est balisé par le texte constitutionnel : le premier tour du scrutin doit avoir lieu le dernier samedi d’octobre de la cinquième année du mandat, le second tour le dernier samedi de novembre.
LES INTERPRÉTATIONS VONT BON TRAIN Troisième point majeur, la confirmation de la limitation des mandats présidentiels. Ce n’était pas évident. Mais le président ivoirien reste rééligible une seule fois. Certes, dans une Constitution, on peut changer une mesure par une nouvelle mesure, mais un principe est posé. Quatrième point, la création d’un Sénat (et donc la mise en place d’un système parlementaire bicaméral). Objectif : un meilleur équilibre législatif, avec une représentation plus forte de la diversité ivoirienne, des régions, des collectivités locales. Les deux tiers des membres seront élus au suffrage universel indirect, et un tiers nommé par le président, ce qui permettra d’affecter à la Chambre haute des personnalités de talent de la République sans les aléas du vote… Enfin, dernier point, avec cette Constitution se dégagerait donc cinq centres symboliques du pouvoir, « cinq grands postes » : présidence, vice-présidence, présidence de l’Assemblée nationale, présidence du Sénat et Premier ministère. Chacun devrait trouver une place au sommet, une sorte de grand équilibre. En ville, les interprétations sont nombreuses. Alors qu’approche le référendum, les commentaires vont bon train. Y compris dans les rangs des proches du président. ADO, disent certains, voudrait imposer un schéma trop rapidement. Il aurait fallu davantage discuter, associer plus largement, palabrer justement… Il aurait fallu… ne rien faire, ou juste changer un ou deux éléments de l’ancien édifice, ajoutent d’autres. Il aurait fallu ne pas faire les élections législatives avant… Ou alors il aurait fallu entamer la réforme beaucoup plus tard dans le mandat, conclut un dernier groupe. Côté oppositions diverses, tout ceci ne serait finalement qu’un piège, une manipulation complexe, machiavélique du président, qui certainement veut s’imposer éternellement au pouvoir… On décortique le texte, à la recherche de « preuves ». Un proche d’ADO ironise : « Franchement… Penser que le président 14
L’architecture qui s’installe devra permettre à chaque sensibilité politique ou réalité régionale de trouver sa place. aurait besoin d’un tel stratagème, de quelque chose d’aussi lourd ; pour faire quoi, d’ailleurs ? C’est ridicule… Ceux qui le connaissent comprennent très bien sa démarche. Il veut un texte moderne pour le pays, un processus stabilisateur. Il a les idées claires. Il avait dit que cette réforme interviendrait au début du second mandat. Que le processus devait être à la fois rapide et légitime. C’est le cas. Il veut se consacrer pleinement à son action par la suite. Aux quatre ans de présidence qu’il a devant lui. Et maîtriser autant que faire se peut les paramètres de la succession. Aucun mystère, aucun crabe sous les rochers dans le processus… »
ENTRE AMBITIONS ET NÉCESSAIRE ÉQUILIBRE Certes, mais le mot succession entraîne un réveil des passions. Le poste de vice-président aussi. Certains pensent à 2020, d’autres déjà à 2025. ADO, évidemment, c’est le patron. Il connaît les ambitions des uns et des autres, des personnalités souvent proches de lui, et depuis des années. Il est entouré de barons, de fidèles, qui le suivent depuis les périodes les plus sombres, qui ont pris du poids politique, qui se projettent dans le futur. Il jauge. Mais il cherche aussi en permanence des hommes et des femmes nouveaux dont il veut s’entourer. On lui propose des CV. Au cours des années, il a placé, ici et là, dans son entourage, dans l’administration, dans le monde de l’entreprise, des « petits » dont il surveille l’évolution. Les vocations au pouvoir sont nombreuses. Le président laisse les uns et les autres s’exprimer. On se doute que lui-même a certainement fait son choix, mûri de longue date. Il sait certainement à qui il souhaiterait confier la charge du pays un jour. Qui il voudrait nommer maintenant à la vice-présidence, ou au poste de Premier ministre. Mais le président fait aussi de la politique. De longues années de combat et d’opposition et six ans de pouvoir lui ont beaucoup appris. Il a confiance en lui, en son jugement, il sait ce qu’il veut, il tient à ne pas trop s’embarrasser de critiques, du jugement plus ou moins orienté des uns et des autres, mais HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
THIERRY GOUEGNON/REUTERS
ADO accompagné de son allié du PDCI, Henri Konan Bédié, lors d’un meeting du RHDP, le 13 septembre 2015 à Abidjan.
il sait aussi que la réalité d’aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain. Les circonstances, les événements, les personnalités pourront l’amener à changer le dispositif. Comme le souligne un proche, les noms qui circulent dans les salons abidjanais, dans les journaux, ne sont pas forcément ceux qui s’imposeront en définitive. L’architecture qui s’installe, avec les cinq postes clés (président, vice-président, Premier ministre, président de l’Assemblée, président du Sénat), doit permettre à toutes les sensibilités politiques de trouver une place, à toutes les réalités sociologiques et régionales du pays de se retrouver au sommet. En particulier, pour schématiser, entre nord et sud du pays. Et aussi vis-à-vis d’un Ouest rétif qu’il faudra bien réintégrer un jour dans la République. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
C’est un exercice complexe à plusieurs variables. Certains ont même dessiné un tableau avec quatre colonnes en abscisse et plusieurs noms en ordonnée… Par ailleurs, souligne un habitué des arcanes ivoiriens, « il ne s’agit pas du choix d’une seule personne ; nous sommes dans une alliance, dans la construction d’un parti unifié, en dialogue permanent avec nos partenaires du PDCI ». Le président le dit lui-même. Ses consultations avec Henry Konan Bédié sont régulières et intenses. Le duo fonctionne à plein. Aujourd’hui plus que jamais dans cette phase très politique. Les deux hommes multiplient les gestes symboliques l’un à l’égard de l’autre. Le président Ouattara se rend en visite quasi officielle… au domicile du président Bédié. Le président 15
POLITIQUE
Bédié, lui, vient à l’Assemblée nationale lors du discours du 5 octobre. Et il a quitté son fief de Daoukro pour sa résidence d’Abidjan, le temps que durera le processus constitutionnel. Les deux hommes ne sont pas forcément toujours sur la même longueur d’onde, leurs proches ne sont pas forcément tous proches entre eux (parfois, c’est le moins que l’on puisse dire), mais le système dual tient la route. Même si ADO aspire certainement à « choisir son héritier », le fameux ticket de 2020, un président et un vice-président, sera aussi forcément le produit d’un accord entre « les deux fils d’Houphouët ». Et il n’y aura pas de choix majeur, une nouvelle architecture des compétences et des postes clés, sans une consultation assez franche entre les deux pôles de l’alliance, RDR et PDCI. Qui doivent prendre le chemin d’une structure unifiée (lire dans les articles suivants). Quand on connaît l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis le début des années 1990, quand on se rappelle les affrontements frontaux entre les uns et les autres, cette alliance renouée apparaît comme miraculeuse et nécessaire. On pourrait penser que l’affaire s’arrête là, que le futur sera tracé par une sorte de déterminisme éclairé d’Alassane Ouattara, soutenu par ses proches et par son alliance avec Henri Konan Bédié. Oui et non. On l’a dit, les cartes de 2020 ne sont pas toutes distribuées. Celle de 2025 encore moins. Les plans et les schémas ne sont pas forcément applicables à la lettre. Les uns et les autres se préparent, cherchent à échapper justement à un scénario, à une écriture de l’avenir trop largement inspirée par le président. Le système est aussi tributaire d’élections, de la compétition électorale, et c’est tant mieux. Les urnes auront un mot à dire. Déjà à la fin de l’année avec le scrutin législatif, qui amènera à l’Assemblée de nouveaux députés, et un nouveau rapport des forces. Et des opposants certainement sur les bancs. Ces députés devront élire un président aussi. Rien ne prouve que ce choix-là sera simple. S’ouvrira alors la période du remaniement gouvernemental (nécessaire) et du renouvellement toujours complexe de certains « cadres ». Et la mise en place des institutions (dont le Sénat) et des postes. Enfin, ce sera le chemin vers la présidentielle de 2020… L’opinion publique et la classe politique pourront largement s’exprimer. La société ivoirienne elle-même change. Les trois quarts des habitants ont moins de 35 ans. La troisième génération post-indépendance s’installe. Pour eux, les références au mythe fondateur houphouëtien relèvent déjà d’un lointain passé. Croissance économique, démographie, urbanisation, modes de vie, technologies… bouleversent les codes sociaux et le mode patriarcal traditionnel. Des centaines de milliers
de jeunes arrivent sur le marché du travail. Une société civile et médiatique se crée en s’appuyant sur les réseaux sociaux. Une classe moyenne, urbaine, émerge progressivement avec la volonté de peser sur les décisions politiques, d’être représenté au plus haut niveau. Ils sont connectés au monde, à la société politique, mais ne se précipitent guère pour s’inscrire sur les listes électorales. Que veulent-ils, que pensent-ils ? La mutation est en marche avec ses grandes opportunités et ses dangers.
RIEN NE SERA SIMPLE C’est tout l’enjeu aussi et surtout de cette réforme de la Constitution. Proposer un cadre institutionnel adaptable, moderne, capable d’absorber les successions, contradictions et compétitions en préservant l’essentiel : la paix et la stabilité. C’est toute l’ambition et le pari présidentiel. On pourrait, pour schématiser, reprendre la formule d’un visiteur assidu du pays : « Solder les comptes du passé et
La mutation est en marche avec ses opportunités et ses dangers. Mais les Ivoiriens savent que l’unité retrouvée leur offre une perspective.
16
maîtriser autant que possible les paramètres du futur. » Sur ce chemin d’avenir, rien ne sera simple. Mais les Ivoiriens, maintenant, dans leur grande majorité, veulent vivre ensemble. Par réalisme, par pragmatisme, ils savent que l’unité offre une perspective. On trouve enfin cette volonté de ne plus céder à la violence, aux discours de la division. Et de se projeter sur la bataille du développement. Cette bataille-là, pour conclure, est essentielle. Démocratie et développement se nourrissent l’un l’autre. Depuis 2011, la Côte d’Ivoire a emprunté le chemin d’une croissance élevée. Mais la pauvreté reste importante, l’indice de développement humain faible. La période qui s’ouvre s’annonce à la fois ambitieuse et difficile. L’étape du « rattrapage » rapide est passée. Il faut maintenir des taux élevés sur une longue durée. Et s’axer sur le structurel : la gouvernance, la lutte contre la corruption, l’éducation, la modernisation des mentalités, l’entrepreneuriat et le social. Il faut réconcilier le pays neuf et ambitieux avec le pays précaire et fragile. ■ HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
INTERVIEW
AMADOU SOUMAHORO «NOUS CROYONS EN LA PAROLE DONNÉE ! » Pur produit de la vie politique nationale, il est issu d’une grande famille fondatrice du PDCI-RDA. Et il a rejoint Alassane Ouattara en 1994. Le secrétaire général par intérim du RDR, par ailleurs président du directoire du RHDP, a gardé le ton vif du militant ! propos recueillis par Zyad Limam (avec la collaboration de Cédric Gouverneur)
18
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
19
LUC GNAGO/REUTERS
INTERVIEW/AMADOU SOUMAHORO
une priorité pour la Côte d’Ivoire ? Amadou Soumahoro : La succession des différentes crises a conduit à un constat simple : il faut doter notre pays d’une nouvelle Constitution, qui modernise nos institutions et qui assure au pays la stabilité et la transmission pacifique des pouvoirs. Rappelez-vous : quand le président Alassane Ouattara a été élu, avec la crise post-électorale qui s’est ensuivie jusqu’au 11 avril 2011, la Côte d’Ivoire n’était plus un État. Il n’y avait plus ni police, ni armée, ni administration, ni économie. Comme chacun aujourd’hui le sait, la Côte d’Ivoire avait été pratiquement réduite à un État fantôme, elle était en conflit avec la plupart des pays limitrophes et devenue infréquentable. Rappelez-vous que chaque fois que l’ancien président Gbagbo était acculé, il s’érigeait en « défenseur de la Constitution », celle de 2000, truffée de dispositions confligènes qui ont exacerbé les crises dans le pays. Alassane Ouattara, alors candidat, avait pris l’engagement que, s’il accédait au pouvoir, il doterait le pays d’une nouvelle Constitution. De nouveau. C’est la conséquence d’un engagement électoral. Et quand le président Ouattara prend un engagement, il met un point d’honneur à le respecter. Issue d’un coup d’État militaire, la Constitution de 2000 avait plus que montré ses limites. Saluons donc l’initiative du président de fermer cette longue et difficile parenthèse de l’histoire de notre pays. Les Ivoiriens ont peut-être d’autres préoccupations : emploi, éducation, santé, électricité… Pensez-vous que le débat constitutionnel peut résonner dans l’opinion publique ? Mais bien sûr, il résonne déjà dans l’opinion publique. Lorsque le chef de l’État a lancé cette initiative, il a consulté toutes les forces vives de la nation : chefs traditionnels, partis politiques tant de l’opposition que du pouvoir, société civile, etc. J’ai suivi ces entretiens, et je peux témoigner de l’intérêt porté à ce projet constitutionnel. Et surtout, il faut le relever, les Ivoiriens aujourd’hui aspirent à la paix. Ils savent que l’une des causes de la discorde tire sa source dans la Constitution de 2000, et tout particulièrement de certains articles confligènes. La nouvelle Constitution dote notre pays d’institutions modernes. Elle règle les conflits identitaires qui ont causé tant de dommages à la cohésion sociale. Elle propose une réponse transparente à la question de la succession en cas de vacance du pouvoir. 20
Ce texte pose les nouvelles règles de candidature à la présidence de la République. Peut-on dire que le débat sur l’ivoirité est clos ? Le nouveau texte représente une énorme avancée. L’histoire du peuplement de la Côte d’Ivoire est le fruit de très longs métissages. Au regard de cette histoire, on ne peut donc pas réserver les conditions d’accession à certaines fonctions supérieures à une catégorie sociale exclusive, si nous voulons construire la paix. Cette réalité historique doit être prise en compte à l’occasion de l’élaboration de la loi fondamentale. L’article 55 du projet de nouvelle Constitution, qui remplace le fameux article 35, apporte une solution à cette incongruité. Il dit que le président de la République n’est rééligible qu’une seule fois. L’article 55 du nouveau projet de Constitution clarifie les conditions d’éligibilité. C’est clair. Il est ouvert. En tout état de cause, nous sortons là de « l’exclusionnisme ». La loi fondamentale ne vise plus désormais à exclure
« La nouvelle Constitution clarifie les conditions d’éligibilité et nous assure la stabilité. » personne. Il est impersonnel, contrairement à l’article 35 de la Constitution de 2000. Il y a lieu de rappeler que le président Gbagbo l’avait lui-même admis dans un débat dont tous les Ivoiriens se souviennent, et je le cite : « Alassane, l’article 35 a été écrit contre toi ! » Certaines dispositions, comme la suppression de l’âge limite à la candidature à la présidence de la République, font dire à certains opposants que ce texte serait taillé sur mesure pour un nouveau mandat du président Ouattara en 2020. Vous savez, le président reste clair sur ce point : il a dit et répété qu’il ne sera pas candidat à sa propre succession. Ceux qui continuent de penser l’inverse sont les ténors du régime précédent, qui eux-mêmes n’ont rien respecté et qui HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
MESSMER AGBOLA
AM : Ce nouveau texte constitutionnel est-il
THIERRY GOUEGNON/REUTERS
Le président Alassane Ouattara en campagne pour sa réélection, lors d’un meeting électoral du RHDP, le 13 septembre 2015 à Abidjan.
ne croient en rien. À la différence, Alassane Ouattara est un homme de parole qui reste convaincu que, dans les cultures africaines, le respect de la parole est sacré. La disposition concernant la création d’une vice-présidence crée beaucoup « d’animation » dans les cercles politiques. Sur quel principe repose cette nouveauté importante ? Si vous faites une rétrospective de la jeune histoire de notre pays, vous constaterez que le président Ouattara n’est pas le premier chef d’État à avoir proposé cette disposition de la vice-présidence. Le 25 novembre 1980, le président Félix Houphouët-Boigny, père fondateur de la nation ivoirienne, homme d’État visionnaire, avait déjà inscrit à cette époque la création d’un poste de vice-présidence dans la Constitution. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Cette disposition a été votée, mais n’a jamais été appliquée : pour des raisons de mésentente et d’ambitions de la classe politique d’alors. Le président « FHB », en homme d’État sage voulant la paix, a dû renoncer à la mise en œuvre de cette disposition de la Constitution. Mais la Côte d’Ivoire de 2016 n’est plus celle de 1990, encore moins celle de 1980 : au regard de ses réalités internes, de son niveau de développement et de ses ambitions, le pays doit se doter d’un poste de vice-président qui aide le président dans la gestion de l’État. Autour de nous, tous les États en marche vers l’émergence se sont dotés d’un poste de vice-président. Au Nigeria, après le décès du président en exercice, Umaru Yar’Adua, cette disposition a permis une transition 21
INTERVIEW/AMADOU SOUMAHORO
pacifique, Goodluck Jonathan lui succèdant en mai 2010. Nigeria, Ghana, Kenya, Afrique du Sud ont chacun une viceprésidence. Le principe s’est toujours avéré efficace. Tous ces pays sont anglophones… Il faut prendre ce qui est positif chez son voisin. Les incompréhensions que nous avons connues en 1993 après le décès de Félix Houphouët-Boigny étaient justement dues à cette absence de succession bien gérée. Maintenant, président et vice-président sont élus en même temps. En cas de vacance du pouvoir, constaté par le Conseil constitutionnel, saisi par le gouvernement aux deux tiers, le vice-président devient président de plein droit et termine le mandat en cours. La classe politique est surtout agitée par la disposition transitoire : qui donc le président nommera-t-il vice-président dans le mandat en cours ? Et qui deviendrait du coup, aux yeux des états-majors et de l’opinion, son successeur adoubé… Il faut bien que le président choisisse un collaborateur en qui il a pleinement confiance. Et rien ne dit que l’homme ou la femme qui sera choisi par le président de la République sera de facto le candidat de 2020. Pour moi, les choses peuvent évoluer… En 2020, le ticket président/vice-président peut être différent. Tout dépendra de l’évolution politique. Il faut résoudre les problèmes du moment [il appuie son propos en frappant la table du plat de la main]. Et il nous faut une disposition efficace pour assumer une vacance possible et garantir une succession pacifique au pouvoir. Il ne faut pas avoir d’appréhension. L’ambition du président Ouattara – ce qu’il veut laisser à la postérité – ce sont des institutions modernes, des institutions stables, des institutions qui protègent la nation et les Ivoiriens, et qui permettent à notre pays de poursuivre son développement dans la paix et dans la concorde nationale. Cette préoccupation essentielle, le président me la fait partager souvent. Une partie de la classe politique s’inquiète des conséquences de l’appel de Daoukro de septembre 2014, le fameux « deal » qui impliquerait une candidature PDCI à la présidentielle de 2020. De mon point de vue, et d’après ce que je sais, le président Alassane Ouattara n’a fait de « deal » avec personne. Jamais je n’ai été témoin d’un tel engagement de sa part. Chaque fois que cette question lui a été posée, il n’a pas varié dans sa réponse. Premièrement, il a toujours dit qu’en politique il faut régler « chaque chose en son temps ». Deuxièmement, il a également dit : « Je souhaite que me succède le meilleur d’entre les houphouëtistes, et je pense que tout ceci peut être réglé à l’intérieur du parti unifié. » Pour ma part, je veux mettre fin à ce débat : ni le président de la République, ni le RDR ne se sont engagés dans un quelconque « arrangement d’alternance ». Cependant, nous restons ouverts, nous 22
sommes partisans d’une compétition positive entre les enfants du président Houphouët-Boigny. Et nous souhaitons que ce problème d’alternance soit réglé au sein de la grande famille RHDP. Au sein du RHDP, nous avons appris à travailler ensemble, à mieux nous connaître, à accepter de vivre ensemble. Aujourd’hui, le RHDP est devenu une réalité. À tel point que le président Henri Konan Bédié, à l’occasion de la célébration du deuxième anniversaire de l’appel de Daoukro, a insisté sur la nécessité de parvenir à la création d’un grand parti unifié. Nous sommes sur un chemin de non-retour. Est-ce bien le cas ? Sommes-nous véritablement sur un chemin de non-retour ? Oui, nous, enfants d’Houphouët, sommes heureusement condamnés à vivre ensemble et à travailler ensemble. Nous avons tiré les leçons de notre division qui a fragilisé à un moment donné notre force politique. Et nous avons aussi compris la valeur de notre union retrouvée – « Restez unis pour rester forts », nous conseillait le père de la nation. Ainsi, parce que nous étions unis, le RHDP nous a ramenés au pouvoir. L’appareil du RDR, ses cadres et ses militants, sont-ils vraiment prêts à se fondre dans un autre parti, et donc à perdre certains privilèges ? Vous vous êtes tout de même construits, à une certaine époque, l’un contre l’autre, RDR contre PDCI… Nous ne sommes pas prêts à nous fondre dans un autre parti. Mais nous sommes disposés à participer pleinement à la construction d’un parti unifié. Le RDR et ses militants que j’ai l’honneur de diriger croient en certaines valeurs. Celles du compromis pour aller au consensus. De nos jours, toute société qui refuse la recherche du compromis, qui rejette le consensus, est condamnée à disparaître. La recherche du consensus par le compromis, tel a été le parcours politique du RDR. En témoigne la participation du président Alassane Ouattara à la recherche de solutions aux différentes crises qui ont secoué notre pays. Oui, les cadres du RDR sont prêts à participer à la construction d’un grand parti unifié, prêts à consentir ce sacrifice dans l’intérêt supérieur du pays. Lors des élections législatives de novembre, 255 sièges de députés sont à pourvoir. Comment, concrètement, va se régler la répartition entre les « familles » PDCI et RDR ? En ce moment précis, nous avons une question à résoudre. Au sein du RDR, nous avons enregistré 1 129 postulants à la candidature pour les 255 sièges. Nous allons arbitrer en interne. Ce que feront, j’en suis sûr, les autres partis membres du RHDP. Puis nous choisirons les meilleurs des candidats RHDP à même de pouvoir l’emporter dans telle ou telle circonscription. Nous avons conscience que le président de la République a besoin d’une majorité solide pour poursuivre la mise en œuvre de son programme de HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
développement économique et social, en vue de l’émergence de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020. Aujourd’hui, le RDR dispose de 136 députés. Cela pourrait constituer une base de négociation entre vous et les cadres du PDCI ? Vous n’en savez rien [rires]. Nous discutons déjà avec nos frères des autres partis membres du RHDP. Je ne vous en dirai pas plus, mais nous sommes sur la bonne voie. N’y a-t-il pas des risques de francs-tireurs, de candidatures indépendantes ? Dans notre législation, rien n’interdit ces candidatures indépendantes, malheureusement… Pour limiter ce risque, nous cultivons beaucoup le dialogue interne au RDR et nous travaillons sur la base de la recherche du consensus pour la désignation de nos candidats. Nous avons des procédures d’arbitrage à chaque étape et en fonction des difficultés.
difficile, surtout pour les jeunes. Que de sacrifices et que de pertes ! Les jeunes de notre parti s’attendaient certainement à un changement de leur situation du jour au lendemain. Nous n’avions pas prévu que nous allions sortir de cette crise électorale par une quasi-guerre civile. Nous avions cru que chacun allait respecter la parole donnée. La Côte d’Ivoire a connu, entre 2010 et 2011, une période effroyable, qui a plongé le pays dans la banqueroute et la désorganisation. Le chef de l’État a eu besoin de pratiquement deux ans pour remettre les choses en place. Et les militants du RDR, certes conscients que l’intérêt supérieur de la nation doit prévaloir, restent tout de même préoccupés par l’amélioration de leurs conditions de vie. Et cela est légitime ! Seront-ils autant mobilisés pour une version RHDP ? Ils le sont déjà ! Ils sont mobilisés. Aux réunions du RHDP, ils sont là, ils assument, ils tiennent leur place. Vous qui vous rendez sur le terrain, vous sentez que, dans le fond, ce pays s’est mis à l’abri des démons du passé ? Les communautés se sontelles vraiment réconciliées ? Est-on d’accord sur un minimum commun ? Ou reste-t-on encore très fragile ? Ce que je constate quand je vais à l’intérieur du pays, ou quand je rends visite à la diaspora, c’est que le processus de réconciliation est irréversible. Les Ivoiriens ont compris qu’ils ont intérêt à vivre ensemble. Et nous constatons que les différentes communautés vivent aujourd’hui en bonne intelligence, dans la paix, qu’elles se marient entre elles – ce n’était plus possible dans une période récente. Elles fréquentent ensemble l’église, la mosquée, participent ensemble aux mariages, aux baptêmes, aux funérailles. Les Ivoiriens et tous les autres habitants de notre pays s’assistent mutuellement, comme au temps du président Félix Houphouët-Boigny. Le concept d’ivoirité peut être encore présent dans certains esprits, mais rallumer la flamme de l’exclusion et de l’arbitraire, au regard de notre passé récent, serait aujourd’hui difficile. D’ailleurs, le président travaille, de façon acharnée, afin que notre pays ne retombe plus jamais dans ces dérives qui ont failli le faire disparaître. ■
MESSMER AGBOLA
« Le RDR et ses cadres sont prêts à participer à la construction d’un grand parti unifié. » Nous sommes également en train, en relation avec les autres partis membres du RHDP, de prendre nos dispositions pour limiter les candidatures indépendantes ou réduire leurs chances de réussite. Les partis composant le RHDP – RDR, PDCI, MFA, UDPCI, UPC, et PIT* qui vient de nous rallier – travaillent actuellement sur cette question. Certains estiment que le RDR s’est quelque peu assoupi entre 2012 et 2015. Qu’il s’est embourgeoisé. Que la vie du parti a été délaissée au profit de la vie politique institutionnelle. Une relâche militante, en quelque sorte. Mobiliser ne s’avère-t-il pas davantage compliqué pour un parti au pouvoir que pour un parti qui porte l’alternance et incarne le changement ? Regardez mon bureau : est-ce que je me suis embourgeoisé ? [rires] Le combat du RDR a été très long et très HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
*PDCI-RDA : Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain. RHDP : Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix. UDPCI : Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire. UPC : Union pour le progrès et le changement. MFA : Mouvement des forces d’avenir. PIT : Parti ivoirien des Travailleurs.
23
DÉCRYPTAGE
CONSTITUTION
LES CLÉS EN 10 POINTS Au-delà de l’application d’un engagement pris par l’ensemble des acteurs politiques à Marcoussis en 2003, que retenir d’essentiel de ce nouveau pacte social, des mesures nouvelles, des principes qui le sous-tendent?
par Zyad Limam et Dounia Ben Mohamed
1
À L’ORIGINE, LINAS-MARCOUSSIS
Du 15 au 26 janvier 2003, les représentants des partis politiques et de la rébellion des Forces nouvelles sont réunis à Linas-Marcoussis, en France, sur invitation du président de la République Jacques Chirac. Objectifs de ce huis clos : trouver une sortie de crise à la quasi-guerre civile vécue par le pays depuis 2002. « Les accords de Marcoussis » aboutissent à la mise en place d’un gouvernement de réconciliation. Et surtout à la définition de nouveaux critères concernant les conditions d’éligibilités du président de la République. Ces décisions prennent valeur constitutionnelle et doivent s’appliquer à l’occasion des prochains scrutins.
2
UN ENGAGEMENT DU CANDIDAT OUATTARA Alors en campagne pour un second mandat, le président Alassane Ouattara s’engage en cas de réélection à ouvrir le débat sur un projet de nouvelle Constitution. Il en fait dès lors sa priorité. L’objectif ? Sortir de la Constitution « confligène » (un nouveau mot entré dans le dictionnaire politique ivoirien) et post-coup d’État de 1999. Prendre en compte les données de Linas-Marcoussis. Solder la question tragique de
24
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
ISSOUF SANOGO/AFP PHOTO
Le 24 septembre, le comité d’experts dirigé par Ouraga Obou (à g.), réuni au Palais présidentiel, remettait à Alassane Ouattara (à d.) l’avantprojet de Constitution.
25
DÉCRYPTAGE
l’« ivoirité ». Et proposer un cadre institutionnel stable pour le pays. Le président annonce la couleur. À peine réélu, il s’exécute, consulte et confirme. Le texte sera donc adopté par référendum le 30 octobre. Ayant d’ores et déjà annoncé son retrait de la scène politique en 2020, date de la prochaine élection présidentielle, le chef de l’État souhaite faire de cette Constitution, son héritage.
UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL
3
Pour le président, il s’agit d’inciter ses compatriotes à signer un contrat social « qui s’adapte aux réalités du pays et aux nouveaux défis auxquels il doit faire face ». Pour y parvenir, il faut avancer sur de « nouvelles bases. En effaçant les legs d’un passé douloureux et en posant les bases d’un avenir plus serein dans une Côte d’Ivoire unie, où personne ne sera plus exclu pour son origine, son ethnie ou sa religion ». L’idée principale du texte présenté reste de prendre en compte les réalités socioculturelles, et de tenir compte des équilibres, y compris régionaux, pour promouvoir une stabilité à long terme.
4
UN COMITÉ D’EXPERTS
Afin de s’assurer du plus large consensus possible autour de cette Constitution, le chef de l’État a nommé début juin un comité d’experts chargé de réfléchir à la présentation d’un projet de texte. À sa tête, le professeur agrégé en droit constitutionnel, Ouraga Obou, préside le comité composé de neuf autres spécialistes : Joseph Aka (docteur en droit public), Ibrahim Bacongo Cissé (docteur en droit privé, conseiller spécial à la présidence de la République chargé des Affaires juridiques et institutionnelles, commissaire du président de la République), Aboubacar Sidiki Diomande (docteur en droit public), Sansan Kambile (magistrat, garde des Sceaux, ministre de la Justice, commissaire du président de la République), Pierre-Claver Kobo (professeur agrégé de droit public et de science politique), Annick Koffi (docteur en droit public), Assata Kone-Silue (docteur en droit privé), Djedjro Meledje (professeur agrégé des facultés de droit, professeur titulaire de droit public et de science politique) et Yolande Tanoh (professeur agrégée de droit privé). « La Constitution est une œuvre délicate qui doit prendre en compte le passé, le présent et l’avenir pour une Côte d’Ivoire moderne qui se réconcilie avec une Constitution plus consensuelle. Une Constitution que les Ivoiriens peuvent magnifier parce qu’ils s’y reconnaissent », explique Ouraga Obou.
26
5
UNE DÉMARCHE PARTICIPATIVE
« L’opposition, les chefs traditionnels, les guides religieux, la société civile, les associations de jeunes et de femmes ont été consultés dans le processus d’élaboration du texte. Comme le souligne un éditorialiste de la presse nationale : « Les débats sont houleux avec l’opposition, mais ils ont le mérite de se tenir publiquement, ce qui est tout à fait nouveau et positif pour notre pays. » Les membres du gouvernement, à commencer par le porte-parole Bruno Koné, et les acteurs du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), la coalition au pouvoir, multiplient les déclarations et les rencontres avec la population afin de la sensibiliser aux enjeux du texte.
6
CRÉATION D’UN POSTE DE VICE-PRÉSIDENT
Principale innovation du projet, la création d’un poste de vice-président élu au suffrage universel direct, en même temps que le président de la République. « En cas de vacance du pouvoir, le vice-président garantit d’une part la continuité de l’État, et d’autre part le respect du calendrier électoral », a précisé Alassane Ouattara dans son discours du 7 août 2015. Si certains membres de l’opposition y voient une manœuvre du chef de l’État pour choisir son successeur, ce dernier réplique : « L’intérêt de cette réforme est de garantir la paix et la stabilité auxquelles mon aîné, le président Henri Konan Bédié, et moi-même, sommes particulièrement attachés. De plus, elle mettra notre pays à l’abri de tensions et d’incertitudes pouvant déboucher sur un ralentissement économique. Pour cela, nous nous sommes inspirés d’exemples de stabilité en Afrique comme au Ghana, au Nigeria et en Afrique du Sud, mais aussi ailleurs dans le monde. »
7
LA NAISSANCE D’UN SÉNAT
Autre mesure phare de la nouvelle Constitution, la création d’un Sénat. S’inspirant d’une part des traditions ivoiriennes et africaines, mais aussi des expériences de chambres hautes dans de nombreuses démocraties du monde, le Sénat va donner au Parlement un caractère bicaméral, c’est-à-dire à deux chambres, garantissant toutefois la primauté à l’Assemblée nationale. Les deux tiers des membres seront élus au suffrage universel indirect et un tiers nommé par le président de la République, ce qui devrait permettre l’entrée de nombreuses personnalités d’expérience dans ce cénacle. À noter aussi que la reforme crée un nouveau poste de prestige et d’influence au sommet de la République : président du Sénat. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Le 25 octobre 2015, 6,3 millions de citoyens étaient appelés à se rendre aux urnes. Ici, la veille de l’élection, derniers préparatifs dans un bureau de vote de la commune de Port-Bouët à Abidjan.
8
REJET DE L’OPPOSITION
Fin juin, 23 partis opposants, dont le Front populaire ivoirien (FPI) fondé par l’ancien président Laurent Gbagbo, ont adopté une déclaration commune rejetant le référendum sur une nouvelle Constitution. Ils réclament la « convocation d’une assemblée constituante » et s’opposent à « la nomination d’un vice-président [qui] vise en réalité à lui [Ouattara] permettre de choisir son successeur, ce qui traduirait une dévolution monarchique du pouvoir ».
9
SIA KAMBOU/AFP PHOTO
FIN DE L’ARTICLE 35 Au cœur de toutes les polémiques et crises passées, l’article 35 de la Constitution de l’an 2000, qui pose la question sensible de « l’ivoirité ». En limitant les conditions d’éligibilité à la présidence de la République, il exclut tout candidat n’étant pas ivoirien d’origine, de père ET de mère. Ce qui a nourri tous les débats autour de la candidature d’Alassane Ouattara. « Dans un pays qui se veut un creuset ethnique, religieux et social depuis des décennies, cette définition n’avait plus lieu d’être », estime un juriste. Le nouveau texte élimine l’article 35 et reprend largement les paramètres de l’accord de Linas-Marcoussis dans son nouvel article 55. Le candidat à l’élection présidentielle doit jouir de ses droits civils et politiques et doit être âgé de 35 ans au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de mère OU de père ivoirien d’origine. Symboliquement, le changement
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
est immense. Par ailleurs, la limite d’âge permettant d’accéder à l’investiture suprême est également gommée du texte. Comme dans les accords de Linas-Marcoussis.
10
LA CONSULTATION DU PEUPLE
Quoi qu’il en soit, le peuple a donc le dernier mot avec le référendum du 30 octobre. Exercice salutaire de démocratie ! Après le passage du texte à l’Assemblée nationale où le président est venu en personne, le 5 octobre, défendre la réforme devant les députés, la campagne officielle qui s’ouvre le 20 octobre s’annonce particulièrement vivante, avec des interventions venues de tous les bords du spectre politique ivoirien. L’opposition mène campagne sur le principe du « détournement » d’un texte dont les motivations seraient purement politiciennes. Et certains n’ont toujours pas réglé leur problème d’ivoirité. Mais la grande majorité semble comprendre les ambitions présidentielles de proposer un pacte de stabilité et de modernité au pays. Tout en invitant les autorités à organiser davantage de débats avec l’opposition et les organisations de la société civile en vue de dégager un consensus fort. Ce qui est manifestement le vœu du chef de l’État : « Le référendum sur la nouvelle Constitution est pour chaque Ivoirien l’occasion de transmettre aux générations futures un message de paix, d’unité, de prospérité et d’espérance en l’avenir. » Le texte devrait être approuvé assez largement dans un pays qui aspire à la paix et au développement. Reste le dernier point et non des moindres : le taux de participation. Réponse le 30 octobre. ■ 27
INTERVIEW
ADAMA BICTOGO « IL NOUS FAUT PENSER LOIN » Au centre de la scène, il est en équilibre entre business et politique. Le fondateur et patron du groupe Snedai, est aussi un proche du président et l’un des dirigeants les plus actifs du RDR. Une dualité d’action qui lui donne un regard particulier sur les affaires du pays.
28
NABIL ZORKOT
propos recueillis par Zyad Limam (avec la collaboration de Sabine Cessou)
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Au siège de son entreprise, à Abidjan.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
29
INTERVIEW/ADAMA BICTOGO
AM : Entrepreneur, adhérent de la première heure au Rassemblement des républicains (RDR), vous êtes l’un des principaux défenseurs de cette nouvelle Constitution. Pourquoi ? Adama Bictogo : Parce que j’y crois et que c’est une évolution impérative, nécessaire pour notre pays. Durant la campagne électorale de 2015 puis lors de sa prestation de serment, le président Alassane Ouattara s’est engagé à renouveler le pacte social afin de fermer la parenthèse douloureuse que nous avons connue. La Constitution de 2000 a été celle de la haine et de la division. Elle a entraîné la guerre en 2002 et la partition de notre pays, puis la crise post-électorale qui a fait près de 3 000 morts fin 2010 et en 2011. Un pays réconcilié avec lui-même, où chaque Ivoirien se sent appartenir à la nation, implique une nouvelle loi fondamentale. Le premier mandat d’Alassane Ouattara a consisté à donner à notre pays un rayonnement nouveau et à remettre en place les agrégats fondamentaux – finances publiques, infrastructures, relance de l’activité économique. Le second mandat vise à donner un socle institutionnel solide à ces progrès, afin de leur assurer une pérennité. Au cours des années à venir, et pour un très long temps, la Côte d’Ivoire doit faire valoir la légalité, la libre expression et une justice pour tous. J’en suis convaincu. Cette nouvelle Constitution sera l’un des héritages les plus importants de l’ère ADO. Quels sont les éléments de ce texte qui vous semblent les plus importants ? Il y a de très nombreux aspects de rénovation, de modernisation, de transformation, d’apaisement. La question de l’« ivoirité » et de l’article 35 est soldée. C’est peut-être l’élément fondamental de cette nouvelle Constitution. Maintenant, on est simplement ivoirien. On fait valoir le principe de la nationalité et du droit du sol, pour épouser le contexte sociopolitique de notre pays. Ensuite, le poste de vice-président. Parce que les présidentielles cristallisent les passions, la Côte d’Ivoire a connu des contentieux électoraux, des crises identitaires et sécuritaires. Et on ne peut s’approprier un pays que lorsqu’on est sûr d’en faire partie. La vice-présidence représente donc la possibilité d’un attelage politique qui va non seulement instaurer l’équilibre sociopolitique, mais aussi régler le problème de la vacance du pouvoir, que nous avons connu en 1993. Je pense aussi que le maintien du poste de Premier ministre, chargé de mettre en œuvre le programme du président élu, est essentiel dans la bataille du développement. La création du Sénat est loin d’être anecdotique. Elle permettra à diverses personnalités, anciens dirigeants et grands commis de l’État, de mettre leurs compétences au service du pays. On peut penser à des anciens Premiers 30
ministres, Charles Konan Banny ou Seydou Diarra, ou encore à l’ex-président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly. Tous les partis ont des cadres de grande qualité qu’il faut réunir autour de la nation. Enfin, un autre élément est essentiel : celui de la limitation des mandats. La Côte d’Ivoire va définitivement bénéficier d’une alternance régulière, comme les pays développés. Elle pourra porter des ambitions et permettre à de nouvelles générations de se révéler. Pensez-vous que la Côte d’Ivoire a définitivement passé le cap de la division ethnique ? La réconciliation définitive est un processus de longue haleine, dont la nouvelle Constitution va renforcer les bases sur le long terme. Le texte permettra de dire clairement que la Côte d’Ivoire est une et indivisible et que ses citoyens sont ivoiriens, un point c’est tout. Évidemment, il faut reconnaître que les esprits ne sont pas encore entièrement libérés des conflits passés. Des blessures subsistent. Les traumatismes de la crise post-électorale sont encore récents, ainsi que les plaies de ce que nous avons vécu pendant toutes ces années de rejet. Notre devoir consiste à dépasser ces facteurs de division. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
« Dans la perception du président Bédié, l’ivoirité était d’abord et avant tout culturelle. Le concept a été dévoyé par ceux qui l’ont mis en œuvre. »
SIA KAMBOU/AFP PHOTO
Le 23 octobre 2015, le candidat Ouattara clôt sa campagne électorale à Abidjan. La Côte d’Ivoire connaît un important brassage, mais le débat continue de se cristalliser autour des ethnies… Est-ce un mal ivoirien ? La division a été exacerbée par le pouvoir du Front populaire ivoirien (FPI), qui a exploité une crise ayant commencé en 1994… Une crise dont les germes ont été plantés par votre allié principal d’aujourd’hui, Henri Konan Bédié, avec l’ivoirité… Dans la perception du président Bédié, l’ivoirité était d’abord et avant tout culturelle. Le concept a été dévoyé par ceux qui l’ont mis en œuvre. Et surtout par Laurent Gbagbo, qui a exploité l’ivoirité pour satisfaire ses ambitions personnelles. Et nous en sommes arrivés à la crise de 2002. Aujourd’hui, il faut toujours être attentifs. Certains estiment par exemple qu’il y a trop de « nordistes », de gens originaires du Nord, à des postes à responsabilité. Il faut entendre cette critique et y répondre, en rappelant que ce n’est pas une perception juste. Ce qui compte, c’est la qualité, l’expérience, le poids politique. Des postes, nombreux, très importants, du gouvernement et de la haute administration, comme la direction générale du Trésor public, ne sont pas entre « les mains des nordistes ». HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Quid du monde des affaires ? Il faut décrypter la réalité. Les gens originaires du Nord sont entrepreneurs par culture, commerçants par tradition. Lorsque nous étions dans l’opposition, nous avons « survécu », c’est le mot, grâce à nos activités dans le secteur privé. Tout était fermé dans la sphère publique de l’État. Certains ont dû s’expatrier pour se développer. Ils sont revenus. Nous avons acquis de l’expérience et de l’endurance. Mais cela s’arrête là. J’ai pour ma part une entreprise de 800 employés, mais sur les 20 directeurs, nous ne sommes que trois membres du RDR. Je ne regarde ni l’ethnie, ni la religion de mes collaborateurs. Le cabinet du président Alassane Ouattara est aussi lui composé de personnes venant de tous les horizons, car le président ne croit qu’aux compétences. Si certains se sentent exclus, en particulier au FPI, ils doivent savoir qu’ils ne le sont pas pour cause de « régionalisme », mais d’incompétence. Que répondez-vous à l’opposition, qui estime que la Constitution n’a pas été assez discutée avec les populations ? Je ne comprends ce soi-disant « argument ». Le président a formé un comité d’experts composé de toutes les sensibilités politiques, qui a consulté chaque entité de la nation. L’Assemblée nationale a été saisie. Le président s’est 31
INTERVIEW/ADAMA BICTOGO
exprimé devant les députés de la nation. Et la volonté du peuple s’exprime à travers le référendum. La nouvelle Constitution n’est-elle pas loin des préoccupations quotidiennes des Ivoiriens ? Autre argument étonnant… Une nation ne se construit pas seulement sur les besoins immédiats, mais sur l’avenir. Nous voulons être un pays émergent en 2020. Pour accomplir cette vision, nous avons besoin d’institutions fortes qui correspondent aux principes des droits fondamentaux sur le plan international. Il n’est pas antinomique d’offrir à son pays un socle institutionnel fort en abandonnant une Constitution dangereuse, tout en s’attaquant aux problèmes concrets qui se posent – l’énergie, la vie chère, l’éducation, l’emploi, etc. Le président l’a dit d’ailleurs. L’impératif institutionnel ne se fera pas aux dépens des exigences social. C’est l’une des priorités du second mandat. La nouvelle Constitution ne va-t-elle pas plus encore renforcer l’exécutif, aux dépens du Parlement ? Je ne crois pas au parlementarisme, qui peut aboutir à la neutralisation du fonctionnement de l’État sur tout un mandat. C’est l’inertie et la foire d’empoigne. Nos sociétés ont besoin d’une direction forte. Je suis également plus enclin à croire, en tant que chef d’entreprise, au commandement éclairé d’un leader auquel il faut faire confiance. Leadership qui peut être sanctionné par une élection. À mon sens, le vrai progrès pour les démocraties africaines, ce serait le renforcement marqué du pouvoir judiciaire, une clé essentielle pour limiter l’arbitraire et les abus. C’est le contrepouvoir le plus efficace et le plus demandé. Une justice forte et indépendante est garante de pluralisme et d’équilibre. Venons-en aux réalités du terrain politique. Des membres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) estiment que leur tour est venu d’exercer le pouvoir. Au RDR, on pense qu’il faut rester le parti dominant… Est-ce possible d’avoir un RHDP unifié, réellement ? Les gens veulent conserver leur parcelle de pouvoir, c’est humain. Devant la volonté politique du président Alassane Ouattara et du président Henri Konan Bédié, on doit mettre de côté ses ambitions personnelles. Pour ceux qui considèrent que l’alternance est « mécanique » et qui pensent que le PDCI va prendre la relève en 2020, appartenir au parti unifié revient à leurs yeux à une forme de recul ou de méthode dilatoire pour éviter que le PDCI ne prenne le pouvoir avec le soutien du RDR. Du côté du RDR, on pense parfois qu’on a tout le pouvoir et qu’il faut le garder. Comme tous les partis au pouvoir depuis plus de cinq ans, le RDR est traversé par des ambitions personnelles. Certains ont le regard tourné vers 2020. Mais le parti doit être bien conscient de la réalité. Sa force est avant tout, essentiellement, Alassane Ouattara. Sans lui… Nous devrions avoir un seul agenda : accompagner le président pour réussir son deuxième mandat. 32
« Nous avons besoin d’institutions fortes qui correspondent aux principes des droits fondamentaux sur le plan international. » La rumeur publique vous voit comme l’un des responsables de ce futur parti unifié. Est-ce l’une de vos ambitions ? J’ai un engagement citoyen, mais aussi personnel à l’égard du président Alassane Ouattara. C’est ce qui compte à mes yeux. Je crois au parti unifié. J’en suis à la fois l’un des partisans et l’un des artisans. Et je souhaiterais faire partie des généraux chargés de la mise en œuvre de cette vision. Disponible pour toute mission qui nous fera avancer. Est-ce possible d’être à la fois chef d’entreprise et homme politique sans conflit d’intérêts ? L’exercice est difficile, car il s’agit de deux mondes de passion. Faire de la politique, c’est un sacerdoce. Faire des affaires aussi, dans la mesure où l’on est confronté à des épreuves en permanence. Je me bats et je me considère comme l’un des fils du président, qui m’a amené à la politique en février 1994. Il a su, d’autres et moi, nous entretenir dans cet engagement, sans jamais nous demander de renoncer à nos activités. On peut vouloir faire l’amalgame entre les deux sphères, mais je me considère comme un bon professionnel. Sous Laurent Gbagbo, j’ai signé des contrats avec l’État, en particulier dans le domaine des visas biométriques, tout en assumant mon rôle d’opposant. C’est une bataille que je ne pourrai peut-être pas gagner indéfiniment, mais je la gagne pour le moment parce que mon entreprise fonctionne de manière compétitive. Pourquoi Bolloré, Bouygues ou Dassault sont-ils les meilleurs ? Derrière ces grands noms qui sont parfois appuyés par le pouvoir en France, des machines tournent. J’ai des directeurs, des collaborateurs qui savent inspirer la confiance sur plusieurs marchés africains, en Guinée ou au Togo. J’ai commencé dans la biométrie et je suis actif aujourd’hui dans le BTP, les transports et l’énergie. Les banques me soutiennent. Je ne mérite pas qu’on ramène tous mes efforts dans les affaires à la politique. J’aime la Côte d’Ivoire. Au nom de cet amour, je me surpasse. ■ HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
U A E V U O N
AFRIQUE MAGAZINE
Sur votre tablette et votre mobile
› Une version
numérique enrichie › Plus
d’interactivité, de partage, de plaisir, de lecture › Des offres
avantageuses incluant les hors-séries
TÉLÉCHARGEZ VOTRE MAGAZINE ET VOS ARTICLES PRÉFÉRÉS, OÙ QUE VOUS SOYEZ ! Disponible sur
App Store
INTERVIEW
MICHEL K. BRIZOUA-BI «IL FAUT CRÉER LES CONDITIONS DE “L’INCLUSIVITÉ”» Président du groupe de réflexion Côte d’Ivoire Global et de l’Association des cabinets d’avocats d’affaires africains (ABLFA), cet avocat veut réaffirmer le rôle de la société civile. propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
D
iplômé d’Harvard, entre autres, l’avocat d’affaires Michel Kizito Brizoua-Bi a été associé dans plusieurs cabinets d’affaires aux États-Unis et en Côte d’Ivoire avant d’opérer quelque temps comme consultant juridique pour la Banque africaine de développement, puis de s’installer à son compte, à Abidjan. Président de l’Association des cabinets d’avocats d’affaires africains (ABLFA), en 2015, il a fondé Côte d’Ivoire Global, un groupe de réflexion réunissant des cadres bien décidés à peser sur la construction et l’avenir du pays. Interview.
34
AM : Côte d’Ivoire Global est né en 2015. Qui sont ces cadres du secteur privé que vous avez réunis pour participer au débat ? Michel K. Brizoua-Bi : Nous avons lancé Côte d’Ivoire Global pour mener des réflexions dans cet environnement général de globalisation, et les faire partager avec les décideurs publics du pays. Il s’agit essentiellement de cadres ivoiriens, des « quadras » dotés d’une très forte expérience ou expertise internationale, qui souhaitent enrichir et compléter la réflexion nationale en dehors des cercles institutionnels de décision. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT
HORS -SÃ&#x2030;RIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
35
INTERVIEW/MICHEL K. BRIZOUA-BI
Justement, ces cercles de décision sont-ils à l’écoute ? Oui et nous ferons en sorte qu’ils le restent. Ils sont preneurs de solutions susceptibles de projeter la Côte d’Ivoire dans ses ambitions d’émergence. Nous avons organisé deux rencontres. La première, sur le thème de la création d’une « marque » Côte d’Ivoire. La seconde avait réuni les dirigeants de multinationales présentes dans le pays et le Premier ministre. Les dirigeants ont tendance à faire la cour aux multinationales du monde entier, sans privilégier l’opinion de celles déjà présentes sur le territoire. Or, il faut commencer par répondre à leurs attentes afin de crédibiliser la politique de promotion économique extérieure. À cette occasion, le chef du gouvernement a répondu à leurs questions, sans langue de bois. D’une part, parce que l’échange s’est tenu hors caméra, d’autre part, parce qu'il était face à des chefs d’entreprise. L’exercice, que nous allons reconduire mais pas seulement avec le Premier ministre, consiste à recenser les préoccupations des opérateurs économiques et les faire remonter aux autorités. Quelles étaient ces doléances ? Le souhait majeur des participants est d’avoir un accès direct et régulier aux décideurs publics. Ensuite, ce sont des questions relatives à l’environnement des affaires, la justice, la gouvernance, la fiscalité, le foncier, etc. L’éducation également. Le défi est de mettre en place un système éducatif qui portera l’émergence, et tout un écosystème qui nous tirera vers le haut pour que demain, par exemple, nos établissements nationaux figurent dans le classement de Shanghai [classement académique des universités mondiales, NDLR]. Certains perçoivent une forme d’essoufflement dans la feuille de route de l’émergence. Comment l’expliquer ? Même les acteurs les plus sceptiques ont salué ce que nous avons pu observer entre 2012 et 2015. À savoir : un leadership disposant d’une forte visibilité internationale ayant redonné confiance, et la capacité à avoir des interlocuteurs crédibles. Je garde à l’esprit l’image de la dream team ministérielle ivoirienne qui participait au CEO FORUM 2014 à Genève. Je me souviens de propos d’observateurs qui me confiaient leur fierté d’être africains face à la qualité de la prestation de la délégation ivoirienne ! Mais depuis la réélection du président, l’an dernier, il y a effectivement un ralentissement perceptible. Tout en saluant ce qui a été réalisé, un récent rapport de la Banque mondiale pointe du doigt de gros défis, notamment en matière de gouvernance. C’est
moins l’absence de volonté politique et l’existence d’un cadre institutionnel que des signaux forts de changement. C’est très simple : on peut créer le meilleur cadre institutionnel de bonne gouvernance, cela restera lettre morte tant qu’il n’y aura pas de sanctions. Les exemples ne sont pas assez nombreux pour inspirer un véritable sentiment de transparence, comme au Rwanda, par exemple. Par contre, il faut saluer la présence d’institutions, comme la Commission de régulation des marchés publics qui épingle régulièrement des établissements publics pour le taux de marchés de gré à gré. Certaines institutions assument pleinement leur rôle avec indépendance. Maintenant, ceux qui ont été responsabilisés doivent jouer leur partition. Ce qui sous-entend un renouvellement de la classe politique, lequel n’a pas eu lieu à l’issue du dernier scrutin… Une certaine frange de quadras est déçue du profil actuel du président qui, lorsqu’il était Premier ministre dans les années 1990-1993, avait marqué les esprits par son approche très technocratique et de méritocratie. La période de sortie de crise a certainement changé la donne. Pour beaucoup, le temps des « récompenses » a trop duré. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’initiatives, comme l’appel à candidatures pour des postes dans certains secteurs. Les nominations à de hautes fonctions publiques de personnalités, dont les compétences et l’expérience sont indiscutables, ont également été saluées. La volonté politique semble donc bien présente. Le problème réside dans la proportion. Surtout, au lendemain de la présidentielle et après l’annonce du « nouveau » gouvernement, certains sont restés sur leur faim, s’attendant à un vrai renouvellement. Peut-être est-ce aux jeunes cadres de s’investir davantage. Les torts sont sans doute partagés. En effet, beaucoup critiquent, mais restent à l’écart des affaires publiques. On ne peut pas reprocher aux politiques un manque de renouvellement s’ils n’ont pas d’acteurs légitimes sur le terrain face à eux… La solution serait-elle d’insuffler davantage d’« inclusivité », au niveau national comme régional ? Le premier acquis de la Côte d’Ivoire est d’être devenue une superpuissance francophone en Afrique subsaharienne et d’avoir fait d’Abidjan un hub économique régional. Mais le leadership du pays doit aussi se manifester à travers l’éducation. Beaucoup de cadres de la sous-région ont été formés ici, dans des établissements n’ayant plus le même attrait aujourd’hui face au Maroc, par exemple. On doit retrouver
« Même les plus sceptiques ont salué le travail réalisé entre 2012 et 2015. »
36
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT
Pour Michel K. Brizoua-Bi, il est essentiel de mettre en place un système éducatif qui portera l'émergence. Ici, des étudiants de l'université d'Abidjan. ce positionnement dans le secteur de l’éducation. Il faudrait également encourager l’émergence de champions nationaux. Il n’y aura pas de leadership économique durable sans cela. Certes, il y a une volonté politique, impulsée d’abord par le patronat puis l’exécutif, mais elle doit se concrétiser par la mise en place d’outils qui accompagneront l’émergence de champions nationaux au cœur de leurs espaces naturels, comme l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Certains ont déjà réussi à essaimer dans la région, il en faut d’autres… Je reste convaincu que le devenir de la Côte d’Ivoire s’inscrit aussi dans une plus grande ouverture régionale et multiculturelle. Et ce, malgré les défis sécuritaires que cela peut poser. Le pays doit réapprendre le « vivre ensemble », intégrer toutes les cultures et populations qui ont fait son histoire. En effet. Mais cette cohésion ne se fera qu’à condition de mieux partager les bénéfices de l’ouverture. Les nationaux ne doivent pas avoir le sentiment d’être « oubliés ». L’ouverture doit être conçue et vécue comme porteuse de richesses. Pensez-vous que le projet de la nouvelle Constitution puisse y participer ? Dès lors qu’il est question d’un pacte social permettant d’éviter tout risque de divisions internes et d’instabilité, pourquoi pas. Mais il y a parfois un écart entre la volonté politique et le contenu d’un texte. Il faut être lucide. Les plaies de la crise post-électorale ne sont pas encore totalement guéries. Les a priori sont très forts. Par conséquent, le camp gagnant est toujours suspecté, quelles que soient les mesures d’intérêt général qu’il adopte. C’est pour cela qu’il faut créer les conditions de l’« inclusivité » si le nouveau texte doit servir pour les générations à venir. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Où se situe la société civile dans le débat ? Elle n’existe pas ! En Côte d’Ivoire, elle ne contribue pas à la construction de la cité. Bon nombre de ses dirigeants sont malheureusement perçus comme des acteurs politiques officieux, ou ne sont tout simplement pas représentatifs. Même si de plus en plus d’initiatives sont portées par des organismes apolitiques, cela va demander du temps. Et la politique cherche toujours à les récupérer ou les contrôler. C’est à la société civile de s’émanciper. Celle qui émane des réseaux sociaux est peut-être la plus influente. Elle saura peut-être se prémunir des intrusions politiques. Si demain, vous décidez que toutes les jeunes filles de 15 ans doivent porter des jupes longues, la société civile réagira, parce que, par essence, elle est apolitique. Son avenir dépendra de la capacité de l’État à encourager des espaces citoyens d’échanges hors du champ politique et des affinités partisanes. Par exemple, sonder les habitants de chaque quartier sur des questions comme la salubrité. Leur réponse s’appuiera davantage sur leur vécu que sur une couleur politique. Alors seulement, la société civile existera et se fera entendre. L’émergence est-elle encore possible pour 2020 ? Elle ne sera possible que dans l’« inclusivité ». Chez l’agriculteur ou l’ouvrier, le dirigeant doit inculquer des réflexes lui permettant de comprendre qu’il évolue dans une compétition mondiale. Dès que toutes les couches auront adhéré à cette ambition collective, cela sera possible, car chacun aura la capacité de contribuer à un objectif commun. En tant qu’avocats, nous souhaitons être acteurs dans la compétition internationale que mène notre pays. L’émergence peut devenir réalité si elle fédère toutes les forces vives de la nation. Si le Brésil a pu devenir champion du monde de football, c’est parce que tous les Brésiliens se sont eux-mêmes vus comme des champions du ballon rond… ■ 37
ANALYSE
LA LOCOMOTIVE MAINTIENT LE CAP Incertitudes liées aux échéances politiques, exigence de réformes, contraintes du marché de l’emploi… Le chemin de l’émergence reste complexe. Mais l’ambition et la volonté demeurent. par Dounia Ben Mohamed
38
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
complet, tout autant que les vols d’Air France, Corsair ou Royal Air Maroc qui desservent la capitale. Autant de signes traduisant le retour des investisseurs internationaux et continentaux… En ce début de second mandat du président Ouattara, la locomotive ivoirienne devrait donc rouler à plein régime. Et pourtant… « La machine s’essouffle, juge Stanislas Zézé. Le taux de croissance très fort est atti-
Le pays affiche un excellent taux de croissance avec plus de 8 % annuels.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
RONALD DE HOMMEL/BABEL
C
onfortablement installé au quinzième étage de l’immeuble du géant national NSIA Banque, Stanislas Zézé, PDG de l’agence de notation africaine, Bloomfield Investment, garde un œil sur les affaires ivoiriennes. Le Plateau, QG du milieu économique local, a retrouvé toute son effervescence d’avantguerre. Les infrastructures ont été remises en état, modernisées pour certaines, quand les hôtels affichent
39
ANALYSE
rant, mais les fondamentaux ne sont pas encore tous là. Cela nécessite un changement de culture, une planification, des réformes courageuses. » 2012-2014 : plein régime De nombreuses mesures ont pourtant été adoptées, saluées par le rapport « Doing Business » de la Banque mondiale, qui a classé le pays parmi les plus grands réformateurs en matière de climat des affaires en 2014 (25 places gagnées depuis le classement de 2012). C’était la grande année des Éléphants. « Côte d’Ivoire is back », martelaient alors les autorités sur la scène internationale, jouant à fond la carte de la diplomatie économique. En effet, entre 2012 et 2014, malgré un contexte sociopolitique difficile d’aprèscrise, le gouvernement ADO avait fait le maximum à coups d’investissements publics et privés pour rattraper le retard accumulé, rassurant à l’extérieur tout en construisant de l’intérieur. Les résultats ont rapidement suivi : les indicateurs macroéconomiques sont ainsi passés au vert, et le poumon économique de la sous-région a repris sa place de leader régional, attirant dans son sillage de plus en plus de multinationales venant s’implanter dans ce qui est perçu comme le hub de l’Afrique francophone. De fait, au lendemain d’une élection présidentielle, à l’issue de laquelle Alassane Dramane Ouattara a été réélu dès le 1er tour avec 83,66 % des voix, tous s’attendent à ce que la cadence s’accélère. « C’est tout le paradoxe d’un pays disposant d’un potentiel extraordinaire et d’une capacité de résilience très forte vis-à-vis des chocs externes et internes, et présentant une deuxième phase de mandat qui apparaît aux yeux de certains comme ralentie, malgré le maintien du cap de l’émergence en 2020 », remarque un observateur. 2015-2016 : les années « politiques » « Fausse impression », rétorque-t-on dans les coulisses du Palais. Après l’inauguration du troisième pont Henri Konan Bédié, le président a mis sur les rails le chantier du métro d’Abidjan et, entre-temps, celui de l’aménagement de la baie de Cocody. La diversification de l’économie a été amorcée selon des axes prioritaires ciblés par le Plan national de développement (PND) 2012-2015 visant à poser les bases de l’émergence. À savoir : relancer le secteur agricole, révéler le potentiel ivoirien en hydrocarbures, ou encore, moderniser le parc des infrastructures en matière d’énergies. Officieusement, on admet que la rentrée 2016 est « très politique », notamment avec le référendum sur la Constitution prévu fin octobre, suivi des législatives. « ADO n’a pas réellement les mains libres, il doit encore faire face à un environnement sociopolitique complexe, et il ne peut qu’être conciliant alors qu’on aimerait le voir plus ferme et arbitrer réellement le jeu politique déjà entré dans la course à l’élection présidentielle 40
de 2020 », confie un acteur public. Et c’est justement là que le problème se situe, car si le ralentissement est bien effectif dans l’attente de 2020, c’est en grande partie à cause de l’élection présidentielle prévue la même année. Une élection n’ayant d’autres enjeux que l’alternance, compte tenu du départ programmé d’Alassane Ouattara. « Et dans le milieu des affaires, cela est toujours signe d’inquiétude, donc de ralentissement… » Une attractivité non démentie Cela étant dit, le « produit » Côte d’Ivoire reste attractif. Après 8,6 % en 2015, la croissance réelle du PIB est estimée à 8,5 % en 2016, tandis que l’inflation est restée contenue à +1,2 % en moyenne. Les perspectives macroéconomiques à moyen terme sont donc positives. La Côte d’Ivoire conserve ainsi le B+ attribué par l’agence de notation financière Fitch, en décembre 2015. D’ici 2018, l’agence prévoit d’ailleurs un déficit du budget public entre 3 et 3,5 % du PIB, alors que la dette devrait progressivement descendre sous la barre des 40 % du PIB. D’autant que les investissements publics et privés sont prévus à la hausse compte tenu des engagements apportés en mai dernier à Paris par les bailleurs de fonds et les secteurs privés internationaux lors de la conférence du groupe consultatif pour le financement du PND 2016-2020. Au total, plus de 15 milliards de dollars (13,4 milliards d’euros) ont été récoltés – deux fois plus que les attentes du gouvernement – pour la seconde phase du PND, dont l’ambition n’est autre que de transformer la Côte d’Ivoire en pays émergent. « Il s’agit maintenant d’engager une seconde étape dans la transformation structurelle de l’économie », a indiqué le Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, maître d’œuvre de cette feuille de route. Près de 60 milliards de dollars (53,7 milliards d’euros) d’investissement vont donc être injectés en cinq ans, dont 38 % financés par l’État, portant prioritairement sur l’éducation, la modernisation de l’agriculture, le développement d’industries agroalimentaires, l’accès à l’énergie, la lutte contre la corruption, ou encore l’amélioration des conditions de vie des plus démunis. En effet, malgré de visibles progrès, à commencer par l’essor d’une classe moyenne locale entraînant l’apparition de nouveaux commerces (grandes surfaces en particulier), le développement de nouveaux services comme TaxiJet, un Uber à l’ivoirienne, ou encore la multiplication des agences bancaires, le taux de pauvreté reste important. Avec près de 23 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire demeure en effet un pays fragile où plus de 46 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit 8 points de plus qu’en 2002. La promesse d’une réduction de moitié de la pauvreté en 2015 n’a pas encore été tenue, même si des initiatives ont été prises comme la mise en place de la couverture médicale universelle, l’augmentation des revenus versés aux cacaoculteurs, HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
SIA KAMBOU/AFP PHOTO
on le fait, on nous critique. Encore une fois, l’enjeu est l’émergence. Nous avons des défis de taille à relever, alors nous faisons appel aux meilleurs ! » Et de souligner : « Des réformes ont toutefois été apportées pour assainir le climat des affaires, soutenir le secteur privé, encourager l’entreprenariat local. Nous sommes à l’écoute des propositions du CGECI [patronat ivoirien, NDLR] et nous avançons ensemble. » « Un Ivoirien nouveau pour une Côte d’Ivoire nouvelle » L’urgence reste l’emploi des jeunes. Le gouvernement a déclaré vouloir créer jusqu’à 2 millions d’emplois d’ici 2020. À ce jour, près de 70 % de la population a moins de 35 ans. Si des mesures ont été prises pour accompagner les nouvelles générations vers le chemin de l’emploi, Le président Alassane Ouattara (à d.) et le Premier ministre, Daniel Kablan Duncan. en renforçant leur capacité et en soutenant leurs projets de création d’activité, par exemple, les la hausse du salaire minimum et le déblocage de celui des attentes demeurent nombreuses. Et c’est là que réside sans fonctionnaires, ou encore la baisse des prix des transports. doute le véritable enjeu : recréer un nouveau pacte social en Entre-temps, cependant, la hausse des factures d’électricité mesure de fédérer l’ensemble des forces vives de la nation a suscité de fortes tensions… autour de ce projet d’émergence. En ce sens, le référendum prévu à la fin du mois d’octobre sur la nouvelle Constitution tirer profit de la connaissance vaudra pour test. « Tous ensemble, soyons prêts à prendre « Le miracle ivoirien est encore en construction, résume nos responsabilités face à l’Histoire. C’est cela le destin de un acteur économique régional implanté à Abidjan. Même toute grande nation », a exhorté le chef de l’État lors de si le pays en a les moyens, il n’est pas encore le hub tant son discours télévisé, le 7 août dernier. « Aujourd’hui, notre attendu. » En cause : un système scolaire encore marqué par devoir est de construire la Côte d’Ivoire de demain. Une Côte la décennie de crises, formant des jeunes avec un niveau d’Ivoire nouvelle, stable, rassemblée autour de ses valeurs. inférieur aux ambitions affichées, une administration Une Côte d’Ivoire nouvelle avec un Ivoirien nouveau dont encore trop lacunaire, et une pression fiscale trop forte sur le les droits sont garantis, préservés et renforcés. Une Côte secteur privé local alors que l’informel explose. La question d’Ivoire moderne qui favorise les initiatives de chaque Ivoide la bonne gouvernance reste centrale. Même si, là encore, rien. Une Côte d’Ivoire qui attire les investisseurs, où la créades efforts ont été fournis avec la mise en place de la Haute tion de richesses profite à tous, notamment aux jeunes, aux Autorité pour la bonne gouvernance, qui n’a pas hésité à femmes et aux plus vulnérables. » Partager les fruits de la épingler « les mauvais joueurs ». « La volonté politique est croissance reste donc le défi des prochaines années. « S’il y là, c’est incontestable. Maintenant, c’est sur le nombre que a redistribution, les Ivoiriens, quelles que soient leur affinité cela pèche, poursuit-il. Il faut davantage d’exemples pour politique, leur ethnie et leur religion, vont se retrouver, et mettre en place un écosystème transparent et serein d’où nous pourrons alors parler d’émergence, confirme un acteur émergeront de véritables champions nationaux. » En effet, économique local. Elle est encore possible même si nous en dépit des intentions, force est de constater que peu ont su avons pris du retard, mais il ne faut pas oublier d’où l’on tirer profit de la forte croissance et des chantiers engagés. vient. Il nous a fallu plus de cinquante ans pour avoir le pre« On reproche au gouvernement de favoriser les multinamier chocolat made in Côte d’Ivoire, de qualité j’entends. On tionales au détriment des sociétés nationales, mais c’est à peut encore attendre cinq ou six ans pour atteindre notre elles de se mettre au niveau », plaide un membre du gouverobjectif. De toute façon, nous ne pouvons plus faire marche nement. « Il faut être cohérent : on nous reproche de ne pas arrière ! » La locomotive est donc bien en marche ! ■ aller assez vite, de ne pas faire assez pour le pays, et quand HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
41
BALISES
En chiffres et en contrastes Ces données reflètent les différentes réalités d’un pays : démographie, éducation, pauvreté, commerce, dette… Voici la Côte d’Ivoire expliquée, en partie, par ses statistiques.
41,8 % 35,5 %
0 à 14 ans 15 à 34 ans
UNE POPULATION JEUNE Selon les résultats du dernier recensement général de la population et de l’habitation (RGPH), réalisé du 15 avril au 14 mai 2014, le pays compte 22 671 331 habitants, dont 41,8 % de moins de 14 ans, et 35,5 % entre 15 et 34 ans. La Côte d’Ivoire conserve un taux de croissance démographie élevé : 2,6 % contre 3,3 % lors du précédent recensement, même s’il reste légèrement inférieur à ses voisins de la sous-région. La population reste majoritairement rurale, même si le taux d’urbanisation explose. Il est passé de 32 % en 1975 à près de 49,7 % en 2014, participant à la saturation des principales villes du pays, notamment Abidjan, capitale économique, qui compte à elle seule plus de 4 millions d’âmes. La Côte d’Ivoire reste aussi une terre d’accueil avec plus de 5 millions d’étrangers sur son sol. Sources : Banque mondiale/RGPH. 42
Effet, entre autres, de la croissance démographique, la pauvreté ne recule pas assez vite. Depuis 2008, près de 935 500 Ivoiriens ont basculé dans la pauvreté, dépensant LA PAUVRETÉ moins de 737 francs CFA PERSISTE par jour (1,10 euro). Ce qui se confirme dans le dernier classement de l’Indice de développement humain (IDH) pour l’année 2015 : la Côte d’Ivoire passe de la 171e à la 172e place sur 188 pays. Source: Banque mondiale. L’ÉCOLE POUR TOUS Alors que l’école est devenue obligatoire depuis la rentrée 2015-2016 pour les élèves de 6 à 16 ans, le taux de scolarisation net atteint les 87,3 % dans le primaire, soit une hausse de 7%. Source : ministère de l’Éducation.
Scolarisation dans le primaire
S.M.-G. POUR AM
22 671 331 habitants
+7 % HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
22 MILLIONS D’ACTIFS EN 2025 Le taux de chômage tourne autour des 25 %, touchant essentiellement les moins de 30 ans. Selon les projections de la Banque Mondiale, la Côte d’Ivoire comptera 22 millions d’actifs d’ici 2025. Une chance, en matière de main-d’œuvre, un défi en termes d’emplois à créer. Le gouvernement a déclaré vouloir en créer jusqu’à 2 millions d’ici 2020.
Nouveaux travailleurs arrivant sur le marché
350 000/an
UN CHAMPION CONTINENTAL PREMIER PRODUCTEUR MONDIAL DE CACAO avec 40 % de la production. PREMIER PRODUCTEUR AFRICAIN D’HÉVÉA CINQUIÈME PRODUCTEUR DE PALMIERS À HUILE et, depuis peu, DEUXIÈME PRODUCTEUR et PREMIER EXPORTATEUR MONDIAL D’ANACARDES (noix de cajou) PREMIER PRODUCTEUR AFRICAIN DE BANANES Le secteur agricole représente 22 % du PIB de la Côte d’Ivoire, plus de 50 % des recettes d’exportation et les deux tiers des sources d’emplois et de revenu de la population. Source : Banque mondiale.
ACTIVITÉ PÉTROLIÈRE: HAUSSE DE 55, 5 % Avec 29 411 barils par jour au 31 décembre 2015, la production de pétrole brut nationale enregistre une hausse de 55,55 % par rapport aux résultats obtenus à fin décembre 2014, selon un communiqué publié par les autorités ivoiriennes en mai 2016. De quoi conforter les ambitions gouvernementales, à savoir, porter la production à 200 000 barils par jour d’ici 2020.
UNE BALANCE COMMERCIALE EXCÉDENTAIRE La Côte d’Ivoire est l’un des rares pays africains non pétrolier, si ce n’est le seul, à afficher une balance commerciale excédentaire en 2014 avec des exportations de biens de plus de 6 780 milliards de francs CFA.
En 2015, la balance reste excédentaire, avec 1 265 milliards de francs CFA, contre 891 milliards en 2014. « Soit une hausse de 41% », s’est félicité Bruno Koné, porte-parole du gouvernement, à l’issue du conseil des ministres du 3 août 2016, via une note ministérielle rendue publique. Le principal client du pays est l’Union européenne, qui importe 35 % des exportations ivoiriennes et dont les Pays-Bas sont eux-mêmes le premier client, la France étant le quatrième pays destinataire. Les autres principales nations recevant des biens de la Côte d’Ivoire sont les États-Unis, l’Afrique du Sud et le Nigeria.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NTIC: UN LEVIER DE DÉVELOPPEMENT Le pays compte 19,7 millions d’abonnés à la téléphonie mobile, soit un taux de pénétration d’environ 84 % pour une couverture de plus de 94 %. Les télécoms ont généré plus de 1 000 milliards de francs CFA de chiffre d’affaires en 2013 pour des investissements estimés à plus de 130 millions FCFA et plus de 5 400 emplois directs et 100 000 indirects. Sources : Moci/FMI/ministère de la Poste et des TIC.
INDICATEURS MACROÉCONOMIQUES REVENU NATIONAL PAR HABITANT (en $)
1 360
1 450
1 410
CROISSANCE DU PIB (en %)
8,7
7,9
8,6
8,5
2,6
0,4
1,2
2,1
43,4
46,6
49,1
45,9
SOLDE BUDGÉTAIRE/ PIB (en %)
- 2,2
- 2,2
-3
-4
SOLDE COURANT/PIB (en %)
-2
- 1,7
- 1,8
Sources : Coface/Banque mondiale. *Prévisions.
2013
2015*
2016*
INFLATION (moyenne annuelle) DETTE PUBLIQUE/PIB (en %)
- 0,8 2014
43
INVESTISSEMENTS
Le pont Henri Konan Bédié, mis en service en décembre 2014 (ici, l’échangeur de Marcory), a été l’un des plus importants chantiers d’Afrique de l’Ouest.
GRANDS TRAVAUX
UNE NATION À CONSTRUIRE
NABIL ZORKOT
Le troisième pont au-dessus de la lagune d’Abidjan symbolise l’ambition du gouvernement de doter le pays d’infrastructures à la hauteur de l’émergence. Routes, ports, aéroports… Tour d’horizon des projets à venir. par Dounia Ben Mohamed
INVESTISSEMENTS
A
u sortir de la crise, la Côte d’Ivoire affiche le visage d’un pays meurtri. Les infrastructures vieillissantes, n’ayant bénéficié d’aucun investissement depuis des décennies, freinent la reprise économique. L’urgence est de réparer, reconstruire, remettre le pays en état. La première vague de chantiers de rafraîchissement a été entreprise entre 2012 et 2015, notamment dans le cadre du Plan national de développement (PND). L’échangeur de la Riviera 2, le troisième pont d’Abidjan, le pont de Jacqueville, l’autoroute Abidjan-Grand-Bassam, le château d’eau de Bonoua, le pont de la Marahoué, le barrage de Soubré… Désormais, à travers le PND 2016-2020, l’heure est à la modernisation. Le pays se projette dans l’avenir et se dote d’infrastructures adaptées. Routes, ports, aéroports, interconnexions régionales et Internet à haut débit… En tout, « 182 projets structurants » destinés à relever le niveau des fondations économiques et à renforcer la compétitivité. Si les premiers travaux ont essentiellement concerné la 46
capitale économique, les prochains porteront sur l’ensemble du territoire, soit 14 chefs-lieux de districts, comme l’a souligné le ministre en charge des Infrastructures économiques, Patrick Achi. « Ce sont des pôles secondaires de croissance que nous voulons créer. » Yamoussoukro, Bouaké, Abengourou, San Pedro et Soubré, notamment, ciblés pour leur fort potentiel de développement et leur dimension régionale. Ainsi, pour stimuler l’activité économique dans l’ouest du pays, l’autoroute San Pedro-Abidjan est prévue, tandis qu’une nouvelle ligne ferroviaire doit relier la cité portuaire de San Pedro à Man. Déjà annoncé, le prolongement de l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro, d’abord jusqu’à Bouaké, puis jusqu’au Burkina, est confirmé, ainsi que les voies Bouaké-Tiébissou et Yamoussoukro-Tiébissou. Sur le plan régional, les autoroutes Abidjan-Lagos et Abidjan-Ouagadougou répondent aux mêmes enjeux économiques, tout comme le corridor ferroviaire de 1 000 km, déjà en construction, reliant San Pedro à Bamako, utile notamment à l’exploitation des minerais de fer, et celui entre Man et NzéréHORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT
Chantier du barrage hydroélectrique de Soubré en septembre 2015. Un projet mené via le Plan national de développement.
NABIL ZORKOT
Aéroport d’Abidjan. L’obtention de la certification TSA (Transport Security Adminstration) permet les liaisons vers les États-Unis.
koré (Guinée-Conakry) pour l’exploitation en commun des minerais de fer guinéens. Le développement du secteur ferroviaire doit participer à la croissance de l’exploitation minière, tout en renforçant l’interconnexion régionale. L’axe Ouangolo-Niellé-Sikasso-Bougouni et le projet RAIL CITY (revalorisation du patrimoine foncier de la Société ivoirienne de gestion du patrimoine ferroviaire (SIPF) au Plateau) participent donc à ce défi. « Le réseau routier actuel (220 km d’autoroutes et près de 6 500 km de routes) doit être doublé d’ici 2020. Pour atteindre l’émergence, il faut compter 13 000 kilomètres, a annoncé Patrick Achi. Il nous reste donc 6 500 kilomètres de routes nouvelles à bitumer. » Une enveloppe de 3 500 milliards de francs CFA (3,5 milliards d’euros), inscrite dans le cadre du PND 2016-2020, est prévue à cet effet. C’est le double du budget alloué aux routes dans le PND I, lequel a servi à financer des chantiers livrés ou en cours, comme le pont de Jacqueville, l’autoroute Abidjan-Bassam, l’extension de l’Autoroute du nord jusqu’à Yamoussoukro et le pont de Bouaflé. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
La multiplication des autoroutes devrait accélérer la croissance des villes secondaires. Autre axe stratégique, les transports. Le document « Bilan et perspectives » du ministère concerné prévoit un programme chargé. Annoncé en grande pompe, le train urbain ou « métro d’Abidjan », initialement prévu pour 2017, est finalement reporté à 2020. Il reliera Anyama à l’aéroport d’Abidjan pour un coût estimé à 850 milliards de francs CFA, et devra transporter 300 000 citadins chaque jour. Avec le 47
INVESTISSEMENTS
L’accès à l’électricité pour le plus grand nombre d’habitants reste un enjeu essentiel. tramway devant circuler entre Anyama et Port-Bouët, le mode de déplacement est en cours de mutation dans une capitale actuellement étranglée par une circulation dense et un manque de transports urbains efficaces et « sûrs ». De plus, le parc automobile doit être renouvelé avec 50 000 véhicules toutes catégories confondues, pour un coût global de 750 milliards de FCFA (1,1 milliard d’euros). Un « système intelligent » de contrôle du trafic routier doit être adopté, de même que le contrôle des vitesses par radars, et une gestion du fret. Pour ce dernier, une gare doit être implantée à Yopougon sur 105 hectares, tandis que se poursuivent les travaux de la gare routière interurbaine et internationale d’Adjamé, prévue fin 2018. D’autres sont inscrites au programme sur tous les chefs-lieux de districts pour fin 2020. Ports et aéroports : Assurer la compétitivité Moderniser les voies d’entrées et de sorties du pays est également une priorité du gouvernement. Les ports, d’abord, sont au cœur du projet pour désengorger Abidjan. À San Pedro, second port national, sont prévues les constructions d’un terminal à conteneurs d’une capacité de manutention annuelle de 15 millions d’EVP contre 200 000 aujourd’hui, d’un terminal polyvalent industriel et d’un terminal minéralier intégré. À l’extrême nord du pays, un port sec est prévu à Ferkessédougou, point de connexion entre Abidjan et l’arrière-pays. Les travaux du deuxième terminal à conteneurs du Port autonome d’Abidjan (PAA) entrepris en 2015 devraient s’achever en 2018. Leur but ? Renforcer la compétitivité du port sur le plan régional, en passant d’une capacité de manutention de 800 000 containers par an à plus de 2 millions. Le PAA devrait également observer la création d’un terminal et d’une unité de traitement des déchets industriels. Enfin, la passe d’entrée du canal de Vridi doit être élargie et approfondie. Entre-temps, la flotte maritime doit être renouvelée, et un nouveau code maritime adopté. De quoi porter l’ambition nationale de hub portuaire de la sous-région… malgré l’avance prise par les ports régionaux. Autres voies d’accès au pays : les aéroports. Là aussi, beaucoup reste à faire, à Abidjan comme sur les lignes domestiques. Une étape clé a cependant été franchie avec l’obtention de la certification TSA (Transport Security Administration) de l’aviation civile américaine, qui a ouvert les liaisons directes vers les États-Unis. Mais le projet phare de 48
l’émergence reste l’« Aérocité ». Sur 37 000 hectares à proximité de l’aéroport d’Abidjan, ce pôle urbain accueillera une aire économique dédiée aux services, des complexes touristiques et résidentiels, ainsi que des parcs de loisir et d’expositions. Le tout pour un coût estimé à 1 000 milliards de francs CFA, soit 1,52 milliard d’euros, financés par le secteur privé. De même, à travers un financement BOT (Build, Operate and Transfer), San Pedro doit accueillir un aéroport international avec son « Aérocité ». Pour améliorer la couverture nationale, les aéroports de l’intérieur du pays ont également besoin d’être modernisés. Enfin, la professionnalisation du secteur est amorcée via la création d’une école privée de formation aux métiers du transport aérien, d’un centre de maintenance des aéronefs, ainsi que d’un centre de santé aéroportuaire. Financement : appels au secteur privé Un programme de construction de 150 000 logements sociaux – 60 000 en cours de construction, dont 10 000 à l’intérieur du pays et 50 000 sur l’agglomération d’Abidjan – se poursuit. À hauteur de 50 000 logements par an, destinés aux ménages les plus faibles. Ce qui ne comblera pas encore le déficit estimé à 400 000 logements, dont la moitié dans la capitale économique. Autre point sensible, l’accès à l’eau, doit, lui, être comblé à hauteur de 80 % par la station de traitement d’eau de Yopougon-Niangon 2 déjà inaugurée, assurant une production supplémentaire de 44 000 m³. Suivront 11 projets majeurs d’approvisionnement en eau potable d’Abidjan. Un investissement d’environ 165 milliards de FCFA (251 millions d’euros) pour un volume supplémentaire de 250 000 m3 par jour, les besoins actuels étant estimés à 200 000 m3. Enfin, le programme Électricité pour tous (PEPT), qui vise à électrifier toutes les localités, notamment celles de plus de 500 habitants, se poursuit jusqu’en 2020. La capacité de production d’électricité devrait ainsi passer de près de 2 000 MW à 4 000 MW en 2020. Ces investissements visent à « résorber les contraintes et goulots d’étranglement, permettant ainsi à l’économie ivoirienne de devenir plus compétitive, plus intégrée, et plus résiliente », a rappelé la ministre du Plan et du Développement, Kaba Nialé. Et pour atteindre ses objectifs, le gouvernement a largement fait appel aux bailleurs de fonds ainsi qu’aux privés, via les partenariats public-privé. ■ HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
AFRIQUE MAGAZINE
DÉCOUVREZ VITE NOTRE NOUVELLE FORMULE
Contemporain, en prise avec cette Afrique qui change, ouvert sur le monde d’aujourd’hui, est votre rendez-vous bimestriel indispensable.
1 AN
AFRIQUE MAGAZINE
€
39
SEULEMENT
ABONNEZ-VOUS ! AFRIQUE MAGAZINE
OUI, je souhaite m’abonner à
et profiter de vos offres
(6 numéros et les hors-séries) BULLETIN À RETOURNER SOUS ENVELOPPE AFFRANCHIE, ET ACCOMPAGNÉ DE VOTRE RÈGLEMENT À :
COM&COM/AFRIQUE MAGAZINE 18/20 AV. ÉDOUARD-HERRIOT – 92350 LE PLESSIS-ROBINSON – FRANCE TÉL. : (33) 1 40 94 22 22 – FAX : (33) 1 40 94 22 32 – E-MAIL : afriquemagazine@cometcom.fr Je choisis mon tarif : 39 € 49 € Je choisis mon règlement (en euros uniquement) à l’ordre de AMI par : ❏ FRANCE,
1 AN :
❏ ÉTRANGER :
Nom : Société : Fonction : Adresse : Code postal :
❏ Chèque bancaire ou postal
Ville :
❏ Carte bancaire n°
Pays :
Expirant le
Date et signature obligatoire
Tél. :
Fax :
MARKETING
de i n ma
Consommer local, c’est possible ! côte d’ivoire
Sur les étals des marchés et dans les centres commerciaux, les produits estampillés made in Côte d’Ivoire font l’objet d’une politique de promotion des autorités. Et les clients adorent. Reportage. par Lilia Ayari
M
arcory. Cette commune de la capitale économique, célèbre pour ses maquis, en cours de mutation avec l’implantation d’une classe moyenne montante, abrite un nouveau centre commercial. Son nom : PlaYce. Inauguré en décembre 2015, ce complexe de 20 000 m2 compte une cinquantaine d’enseignes, dont un hypermarché Carrefour, le propriétaire des lieux avec son partenaire CFAO. Et pour sa première implantation en Afrique subsaharienne, le leader des centres commerciaux a joué la carte « locale ». « Je m’attendais à retrouver les produits que l’on rencontre habituellement en France, mais non, il y a beaucoup plus de produits locaux », note une expatriée, légèrement déçue. À l’inverse, la nouvelle classe moyenne locale apprécie. « Ce sont des articles que nous avons l’habitude de trouver sur les marchés, confirme une jeune cadre abidjanaise, mais ici, ils sont mieux présentés, il y a davantage de garanties sur la qualité et le respect des conditions d’hygiène sanitaire… et le décor est quand même plus agréable. » En effet, du manioc au riz noir, en passant par le gingembre moulu ou le poisson séché, on trouve toute la production de la terre ivoirienne à acheter, joliment emballée ou en vrac. Sans oublier le fameux chocolat fabriqué en Côte d’Ivoire. En poudre, en tablettes, sous forme de pâte à tartiner… Sous différentes marques, dont Cémoi, qui a récemment implanté une usine de transformation des fèves de cacao à Yopougon. Et cela plaît, manifestement. Dans les allées
50
du supermarché, la ménagère est au rendez-vous et remplit son Caddie. Viandes, produits laitiers, fruits et légumes… Du local, autant que de l’importé. Un coup de maître de la part de l’exploitant qui se démarque ainsi des concurrents se multipliant dans la capitale économique. « PlaYce Marcory est la vitrine d’une nouvelle génération de centres commerciaux en Afrique qui offrent plus de choix, plus de modernité et plus d’attractivité en une destination », expliquait Xavier Desjobert, directeur général de CFAO Retail, à l’occasion de l’inauguration. « Grâce à notre partenariat avec Carrefour et 15 marques internationales, nous sommes fiers d’apporter aux consommateurs ivoiriens une plus grande diversité de produits de qualité. Nous souhaitons créer de la valeur dans chacun de nos huit pays en transformant localement, en structurant les filières et en soutenant les références locales. » Ainsi, plus de 170 contrats ont d’ores et déjà été signés avec des fournisseurs locaux dans l’alimentaire ou le textile. Valoriser la filière cacao Autant d’engagements répondant à la stratégie gouvernementale de promotion des marchandises ivoiriennes, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières. C’est justement dans ce cadre qu’était lancé dans la capitale française en mars 2016 le label Cacao Ivoire, en marge de la 53e édition du Salon international de l’agriculture de Paris (SIA 2016). Le même jour était signée une convention entre le gouvernement ivoirien, le syndicat des chocolatiers et la Fédération HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
De plus en plus de produits nationaux se mêlent aux articles importés, comme dans ce supermarché.
NABIL ZORKOT
des chocolatiers et confiseurs de France (qui assurent 25 % du marché mondial du chocolat), prévoyant la promotion par ces derniers du cacao ivoirien et de ses produits dérivés. « On ne peut pas faire de chocolat sans ajouter le cacao ivoirien, alors il est temps que les producteurs ivoiriens puissent bénéficier de la valeur ajoutée qui a été créée », déclarait le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Mamadou Sangafowa Coulibaly, ajoutant qu’avec ce label, « les consommateurs feront la différence et cela permettra d’améliorer le revenu des producteurs ». Pour rappel, avec 1,75 million de tonnes par an et environ 40 % des parts de marché, la Côte d’Ivoire est le leader mondial du cacao. Une filière qui représente 15 % du PIB et nourrit, directement ou indirectement, plus de sept millions de personnes. D’où l’importance de valoriser leur travail. La course aux labels En pleine opération marketing, les autorités multiplient ainsi les salons à l’étranger pour vendre le « produit Côte d’Ivoire ». Son chocolat, mais aussi son attiéké (semoule de manioc), véritable emblème de la cuisine ivoirienne aujourd’hui importé du Sénégal, du Mali ou encore de la Chine, devenue le premier producteur mondial ! De quoi faire grincer des dents. La décision de protéger les droits de cette appellation par un brevet a d’ailleurs été adoptée en Conseil des ministres, le 3 août dernier à Abidjan. La bataille est lancée ! Comme d’autres… À commencer par celle HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
de la promotion des produits de qualité. Aussi, le Label des consommateurs africains a été lancé par un organisme privé, Coussen & Associés Consulting, en décembre dernier, en vue de distinguer les « produits et services que les consommateurs auront désignés comme innovants et satisfaisants », selon son initiatrice, Manuella Coussen. Ce qui témoigne d’une prise de conscience chez les consommateurs nationaux, notamment issus de la classe moyenne. « Avec toutes les affaires sur le lait contaminé chinois, le poisson pollué, les médicaments périmés, l’Ivoirien, qui a changé ses habitudes de consommation, plus urbaines, est plus exigeant sur la qualité des produits qu’il achète, mais également sur leur provenance », confirme une commerçante installée à Abidjan Mall, un centre commercial ayant ouvert ses portes à Riviera, dans la commune de Cocody. Là, en revanche, on retrouve beaucoup plus de produits importés dans les rayons du magasin. « C’est parce que toutes les enseignes n’ont pas encore ouvert, poursuit la commerçante. En août, à l’inauguration, elles n’étaient pas prêtes. Elles vont arriver courant septembre. » Avec du made in Côte d’Ivoire, promet-on. Ce qui devrait stimuler le secteur industriel, ainsi que la politique de transformation encouragée par les pouvoirs publics. D’ici 2020, avait promis Alassane Ouattara en 2014, la Côte d’Ivoire ne devrait plus exporter de matières premières à l’état brut ou, du moins, dans une moindre proportion. Encore fallait-il faire la promotion de la production locale. Le processus est en marche… ■ 51
INTERVIEW
KANDIA CAMARA « DONNER À TOUS LA MÊME CHANCE DE RÉUSSITE » Augmentation du rythme scolaire, création de classes, nouvelles matières… La ministre de l’Éducation et de l’Enseignement technique revient sur les réformes de l’éducation, l’un des axes prioritaires du gouvernement. propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
52
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
I
OCTOBRE 2016
53
SEIBOU TRAORÉ
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
INTERVIEW/KANDIA CAMARA
A
ncienne championne de handball de Côte d’Ivoire et d’Afrique, titulaire d’une licence d’anglais, Kandia Camara est avant tout une enseignante de formation. Diplômée de l’université de Lancaster en Angleterre, elle a enseigné la langue de Shakespeare pendant près de vingt ans dans des collèges et lycées ivoiriens. Nommée ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement technique en mai 2011, elle a été reconduite dans ses fonctions après la réélection d’Alassane Ouattara, en 2015. Malgré les critiques, elle poursuit sa réforme de l’école, qu’elle veut émergente. AM : L’éducation est d’une importance capitale, car elle doit former les jeunes qui porteront et consolideront le pays. Quelle est votre feuille de route pour créer « cette école émergente de demain » ? Kandia Camara : L’éducation est le socle de tout développement durable. Pour atteindre l’émergence, il faut des ressources humaines de qualité, bien formées. C’est la raison pour laquelle le président de la République a rendu l’école obligatoire afin d’assurer l’accès au savoir à tous les enfants du pays et réduire le taux d’analphabétisme. Deuxièmement, il faut une éducation de qualité. Pour que ces jeunes puissent avoir un socle commun de connaissances afin de mieux s’intégrer au tissu socio-économique. Enfin, si nous voulons une société unie, il faut inculquer les valeurs de paix et de citoyenneté. Pour qu’un pays connaisse la croissance, il faut des hommes et des femmes, car, comme le répète souvent notre Premier ministre, il n’y a de richesse que d’hommes. C’est la raison pour laquelle le chef de l’État a mis l’éducation et la formation au cœur de sa politique. Après avoir introduit la gratuité au primaire, l’an dernier, vous avez de nouveau apporté des innovations pour la rentrée 2016-2017, dont l’introduction d’une formation professionnelle accessible dès les classes de CM2. De quoi s’agit-il concrètement ? L’objectif est simple. Je disais plus tôt que nous devions procurer un socle commun de connaissances culturelles aux enfants afin de leur donner toutes les chances de réussite. Y compris à ceux qui ne pourront pas suivre le cursus jusqu’en troisième. Pour cela, désormais, dès le CM2, les élèves auront la possibilité de s’orienter vers une formation professionnelle de deux ans avant de poursuivre dans un centre spécialisé et d’acquérir les compétences nécessaires pour trouver un emploi. Ce qui va nous permettre de réduire le taux d’échec scolaire, et surtout de récupérer ceux qui sortent de l’école sans bagage. 54
« En 2015, nous avons procédé à des évaluations sur l’état de notre système éducatif, afin de nous mesurer aux autres. » Autre innovation majeure de cette rentrée, la semaine de cinq jours. Cette dernière semble néanmoins ne pas bien se passer… Nous avons pour mission que tous les enfants aillent à l’école. Donc nous avons travaillé sur l’accès et la qualité de notre enseignement. Nous évoluons dans un univers compétitif, il faut donner la chance aux Ivoiriens d’atteindre les mêmes niveaux de compétence qu’ailleurs dans le monde, et éventuellement de pouvoir travailler où ils le souhaitent. Pour cela, en 2015, nous avons procédé à des évaluations sur l’état de notre système éducatif, afin de nous mesurer aux autres. Ce rapport a révélé de nombreuses insuffisances en termes d’infrastructures, du nombre d’enseignants, mais aussi dans le niveau de nos enfants, notamment au primaire. En français et mathématiques, le niveau est particulièrement bas. D’où notre volonté de revoir le rythme scolaire. Il faut savoir qu’avant, de l’indépendance jusqu’à ces quinze ou vingt dernières années, le calendrier pédagogique s’étalait sur cinq jours. Puis les gouvernements ont décidé de rendre le samedi non travaillé, et donc de ramener le régime scolaire à quatre jours. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays au monde, mais également du continent, à avoir une semaine scolaire de quatre jours avec un temps réservé aux matières fondamentales – l’écriture, la lecture, le calcul – très insuffisant : 20 minutes chacune. Aussi, nous avons revu le calendrier scolaire à la demande des enseignants. Désormais, les matières fondamentales disposent d’un temps d’apprentissage de 40 minutes. Toujours à leur demande, 90 % du temps d’apprentissage en primaire est désormais réservé au français, aux mathématiques et aux sciences. Nous avons voulu nous rapprocher des normes internationales. Cela étant dit, nous avons pensé au temps de repos, pour les élèves comme pour les professeurs, ainsi qu’aux plages de soutien pour les élèves en difficulté. Sachant que jusqu’à présent, seuls les parents ayant les moyens pouvaient permettre à leurs enfants de bénéficier d’heures de soutien… Le mercredi matin justement. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
I
OCTOBRE 2016
55
NABIL ZORKOT
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
Depuis la rentrée scolaire 20152016, l’école est obligatoire et gratuite pour tous les enfants de 6 à 16 ans.
INTERVIEW/KANDIA CAMARA
Où en sont les chantiers de construction ou de rénovation des structures scolaires ? Pour faciliter l’apprentissage, nous devrions avoir des classes de 35 élèves. Malheureusement, nous sommes en sureffectif, car la Côte d’Ivoire a connu un grand retard. Pendant près de dix ans, aucune école n’a été construite. Depuis 2011, près de 20 000 salles ont été ajoutées au parc scolaire. Aujourd’hui, nous avons un nouveau programme de construction de 3 000 salles, dont 1 600 achevées. Nous avons également construit 170 collèges et lycées entre 2011 et 2015. Grâce à l’Agence française de développement (AFD), dans le cadre du C2D, en 2017, 150 collèges de proximité, six écoles de jeunes filles avec internat et de nouveaux établissements d’excellence sont prévus. Ce qui va nous permettre d’accroître l’offre éducative, notre capacité d’accueil et de réduire l’effectif. Parallèlement à ces nouvelles infrastructures, nous poursuivons la réhabilitation des établissements existants ainsi que leurs équipements selon une feuille de route qui doit se poursuivre jusqu’en 2025. Le président a donné la priorité à l’éducation et à la formation, et il l’accompagne des moyens nécessaires. Les écoles de l’« excellence » sont-elles également accessibles aux enfants issus de milieux défavorisés afin d’assurer le renouvellement des élites ? Sur instruction du chef de l’État, une loi sur l’égalité des chances a été votée par l’Assemblée nationale. Elle donne la priorité aux enfants en milieu rural et quartiers dits défavorisés. En regardant la carte scolaire, vous observerez que la plupart des nouvelles constructions de salles se situent en zones rurales. De même, les collèges de proximité sont essentiellement localisés dans des villages pour permettre aux enfants des familles moins favorisées d’accéder au secondaire. Car jusqu’à présent, quand les parents n’avaient pas de tuteur en ville, ils sortaient leurs enfants du système pour raison financière. Une cinquantaine de ces collèges de proximité ont été construits, et 150 sont prévus en 2017. Toujours pour rapprocher l’école des populations, cette dernière est gratuite, tout comme le collège. C’est une mesure de justice sociale. Quant aux écoles d’excellence, elles sont ouvertes à tous les enfants. Paradoxalement, sur les quarante meilleurs bacheliers à qui le président a offert des bourses pour aller en classes préparatoires ou intégrer une université à l’étranger, la majorité est issue de familles défavorisées. L’un des premiers critères de sélection, après l’obtention du Baccalauréat avec mention, est précisément la condition sociale des parents. On peut même parler de discrimination positive. Nous avions aussi un très grand retard dans l’enseignement préscolaire. Toutes les nouvelles écoles comptent désormais une salle de classe préscolaire au minimum. Pour donner la chance à tous les enfants, ruraux comme urbains, aisés ou pauvres, d’avoir accès au 56
« Les établissements pour filles avec internat ont également limité les risques de grossesses précoces. » préapprentissage. Autre innovation, la prise en compte des élèves des écoles islamiques qui ont été intégrés dans le système éducatif formel. Et nous travaillons désormais à l’intégration des élèves malentendants. Déjà, nous avons ouvert nos salles aux élèves non-voyants. Aujourd’hui, nous formons des enseignants, du primaire comme du secondaire, pour être en mesure d’accueillir ces élèves. Tout cela pour une école inclusive et de qualité. En matière de formation professionnelle, avez-vous invité le privé sur les bancs afin de réduire l’inadéquation entre le niveau des jeunes diplômés et les besoins du marché du travail ? Même si je ne suis pas directement chargée de l’enseignement professionnel, nos ministères travaillent en synergie et je peux vous dire qu’en matière d’enseignement professionnel, nous avons totalement changé de paradigme. En tenant compte de ce constat : de nombreux diplômés sont au chômage alors qu’avec l’embellie économique, nous comptons de nouvelles usines et des sociétés qui ne trouvent pas d’employés. Justement en raison de cette inadéquation entre le niveau de formation et les besoins du marché. Pour corriger cela, le ministre, tout en cherchant à accroître les capacités d’accueil, a entièrement réformé la formation professionnelle après avoir consulté le marché du travail. Il a alors mis en place un cadre impliquant l’entreprise dans la formation. Aujourd’hui, des responsables de société dispensent des cours aux élèves, et ces derniers sont invités à s’immerger en entreprise. Ce sont de grandes innovations. De même, un pôle de formation professionnelle avec plusieurs établissements doit être aménagé dans la zone industrielle de Yopougon. À notre niveau, nous avons également introduit l’initiation à l’entrepreneuriat dès l’école primaire afin que ceux qui le souhaitent puissent intégrer l’enseignement professionnel, et entrer dans le monde du travail avec les compétences nécessaires. Tout cela pour doter la Côte d’Ivoire de ressources humaines de qualité qui développeront le pays, réduiront le taux de pauvreté et, surtout, préserveront la paix. Car dans nos pays, le chômage est la première cause de crises. Vous avez pris des mesures saluées par les mamans : HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT
L’université d’Abidjan est accessible dès l’obtention du baccalauréat pour une entrée en licence 1. interdiction des syndicats et des maquis à proximité des établissements… Ne risquez-vous pas d’être impopulaire auprès des adolescents ? Nous sommes des adultes, nous avons en charge des jeunes et leur réussite. Nous regardons leurs intérêts, et en fonction, nous prenons les mesures qui s’imposent. À savoir : mettre en place un cadre approprié à l’apprentissage, sans nuisances aux abords des écoles. À proximité des collèges, les débits de boissons et les maquis avec de la musique distraient les élèves. Nous avons décidé de débarrasser les abords des établissements de toutes ces formes de nuisance. Et ce n’est pas la seule mesure saluée par les familles. Nous avons également mis en place une politique de lutte contre les grossesses en milieu scolaire. D’où l’idée de rapprocher l’école des villages, car éloignées de leur famille et livrées à elles-mêmes, les adolescentes ont davantage de risques de tomber enceintes. Quand l’école est au village, elles restent sous l’encadrement parental et ont davantage de chance de poursuivre leur scolarité. Les établissements pour filles avec internat ont également limité les risques de grossesses précoces. Le numérique s’inscrit désormais au programme… En effet, depuis 2012-2013, nous avons introduit l’enseignement des technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’école. Nous avons commencé à titre expérimental par quelques établissements, et nous poursuivons le programme jusqu’en 2025. D’ici là, toutes les classes seront numériques. Dans la plupart des écoles, on compte déjà une salle multimédia pour permettre aux enfants de se familiariser avec l’outil informatique. D’où, encore une fois, l’importance d’avoir ramené le calendrier HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
scolaire à cinq jours, afin d’introduire ces nouvelles matières, comme les TIC, l’entrepreneuriat, l’anglais… Il a fallu mettre à niveau les professeurs. Concrètement, qu’avez-vous mis en place pour renforcer leurs capacités ? Nous avons en effet revisité le programme de formation des formateurs. Notamment pour les adapter aux nouvelles disciplines enseignées, comme les TIC. Nous avons également un grand programme de formation continue pour les professeurs et chefs d’établissements, aussi bien du public que du privé. Mais comme nous ne pouvons recevoir tous les enseignants de Côte d’Ivoire, c’est-à-dire plus de 100 000, dans nos centres d’instruction, grâce à l’Unesco et à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), nous avons un programme de formation à distance. Et aujourd’hui, il faut présenter une attestation de formation continue pour pouvoir enseigner. Pour finir, comment voyez-vous l’école du futur ? Comment la rêvez-vous ? Comme une école qui offrira la même chance de réussite à tous les enfants. Une école qui accueillera aussi bien les filles que les garçons, les bien portants que ceux présentant un handicap, quels que soient leurs conditions sociales, leur lieu de résidence, leurs origines… Cette école formera l’Ivoirien nouveau grâce à des enseignants nouveaux, qui feront office de modèles pour leurs classes. Des professeurs qui verront l’éducation comme un sacerdoce et mettront tout en œuvre pour la réussite de leurs élèves. Une école où les parents joueront également pleinement leur rôle d’éducateurs. Les hommes et les femmes qui sortiront de cette école bâtiront la Côte d’Ivoire nouvelle, un pays émergent. ■ 57
OPPORTUNITÉS
DES IDÉES POUR DEMAIN
Agro-industrie, hydrocarbures, mines, services, énergie : autant de secteurs aujourd’hui en ébullition qui porteront la croissance future… et devront créer les emplois tant attendus. par Lilia Ayari
58
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
L’agrobusiness, pilier de l’économie
E
lle a porté le premier miracle économique ivoirien. C’est également sur elle que le gouvernement ADO s’est appuyé pour relancer la machine à la sortie de la crise, et c’est sur elle que tous misent pour l’émergence, demain. L’agriculture est la première richesse du pays. Selon la Banque mondiale, le secteur agricole représente 22 % du PIB du pays, plus de 50 % des recettes d’exportation, et les deux tiers des sources d’emplois et de revenu de la population.
Premier producteur et exportateur de cacao, troisième producteur mondial de café, premier exportateur mondial de noix de cajou, dont la culture n’a été développée que depuis dix ans, premier producteur d’hévéa sur le continent… Des filières en plein essor, ayant fait l’objet d’une profonde restructuration sur le modèle de ce qui a été entrepris avec le Conseil Café-Cacao, ex-Caistab, qui a fait les grandes heures, mais également les pires, de la Côte d’Ivoire.
NABIL ZORKOT
Plantation de palmiers à huile de la Sifca à Irobo (sud-est du pays).
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
59
OPPORTUNITÉS
Entreprise en 2012, la réforme, destinée à assainir puis valoriser le secteur, a permis, entre autres, de fixer le prix bord-champ du kilogramme de cacao à 1 000 francs CFA (1,50 euro). Une première dans l’histoire du pays. De quoi assurer un revenu décent aux petits planteurs, la priorité du gouvernement. Désormais, le challenge est d’accélérer la transformation du secteur à travers la structuration des filières, la modernisation des techniques et outils, l’augmentation de la productivité et, avant tout, le passage à la transformation in situ des produits de la terre. Ce qui démarre à peine, avec, entre autres, l’arrivée sur les étals des premiers chocolats made in Côte d’Ivoire. Car si 40 % de la production mondiale de cacao vient d’ici, 30 % seulement des fèves sont transformées sur place. En mai 2015, le Français Cémoi inaugurait ainsi sa première usine de transformation du beurre de cacao en pâte à tartiner ou en poudre au cœur de la zone industrielle de Yopougon, à Abidjan… vingt ans après son implantation 60
dans le pays. Une étape décisive, fortement encouragée par les autorités locales. L’objectif : transformer au moins 50 % de la production de cacao d’ici 2020. Si les autorités misent plus que jamais sur l’agrobusiness, c’est parce qu’il est pourvoyeur d’emplois. « La récente embellie de ce secteur devrait entraîner une diminution importante de la pauvreté en milieu rural grâce, notamment, à la hausse de 17 % du prix bord-champ du cacao en octobre 2015. Les prix restent cependant tributaires des marchés internationaux dont les fluctuations continueront de peser sur les conditions de vie des producteurs », peut-on lire dans une étude réalisée par la Banque mondiale en 2015 et intitulée « La force de l’Éléphant, pour que sa croissance génère plus d’emplois de qualité ». Ainsi, les économistes de l’institution préconisent d’« encourager la commercialisation des produits de l’agriculture en permettant l’émergence d’économies d’échelle pour les petits agriculteurs ; faciliter la mise en réseau communautaire et les partenariats le long de la chaîne de valeur ; promouvoir l’accès et l’utilisation de nouvelles technologies par les exploitants de manière à réduire leurs coûts de production et de transaction ». Ce qui est au programme. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT
L’unité de transformation des fèves de cacao de la SAF à San Pedro vise les 100 000 tonnes par an.
NABIL ZORKOT
En 2015, le groupe singapourien Olam a inauguré une nouvelle usine de broyage de cacao à San Pedro, qui pourra traiter annuellement 75 000 tonnes de fèves.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
61
OPPORTUNITÉS
À Bonikro, dans le centre du pays, l’une des sept mines d’or officielles et légales.
De l’or jaune…
62
T
rès attendu, le nouveau Code minier, adopté par le Parlement le 4 mars 2014 et qui s’inscrit dans le cadre de la réforme du secteur, a lancé – plus précisément relancé – l’exploitation minière en Côte d’Ivoire. Courant août, le ministre auprès du Premier ministre en charge de l’Économie et des Finances, Adama Koné, en présentait le bilan : « S’agissant du diamant, l’activité a repris depuis avril 2014, après que la Côte d’Ivoire a été déclarée conforme au système de certification du processus de Kimberley, a-t-il expliqué. En 2015, il a été enregistré 13 exportations de lots de diamants portant sur 13 936 carats pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 1 milliard de francs CFA. En outre, le niveau de production de manganèse est passé de 120 496 tonnes en 2012 à 362 000 tonnes en 2014 avant de chuter en 2015 à 263 178 tonnes en raison de la baisse importante des cours du manganèse. » Décidées à faire du secteur minier « la seconde mamelle de l’économie ivoirienne », selon les termes du ministre, en le faisant passer d’à peine 1 % du PIB à 5 % d’ici 2020, les autorités nationales ont mis en place un nouveau cadre, porté par le Code minier de 2014, inspiré des expériences étrangères, et tout particulièrement du code ghanéen (le Ghana HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT
La stratégie adoptée vise donc à s’appuyer sur le privé à travers des partenariats avec le public pour améliorer les rendements et la qualité des productions. Et à assurer, en concertation avec les coopératives et représentants villageois, le développement des zones dans lesquelles les sociétés sont implantées, tandis que l’État se concentrera sur ses missions régaliennes (infrastructures de base, éducation, santé…) pour créer ainsi un environnement propice à l’émergence de futurs champions nationaux. Car, pour l’heure, l’agroindustrie est avant tout l’affaire des multinationales. Dernier arrivé, le groupe singapourien Olam, qui compte parmi les principaux exportateurs de café, coton, noix de cajou et bois, a, en outre, construit la plus grosse unité de transformation d’anacardes au monde à Bouaké. Si, aujourd’hui, l’activité se limite pour l’essentiel à l’industrie meunière, le sucre et la conserverie, l’arrivée de nouveaux investissements et la création d’usines devraient accélérer la cadence. D’autant que les débouchés sont là : depuis la Côte d’Ivoire, les industriels ont accès à deux grands marchés, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEOMA).
NABIL ZORKOT
Les installations pétrochimiques de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), à Abidjan. était le 8e producteur mondial d’or en 2012), volontairement très attractif afin d’attirer les investisseurs. Ce qui lui a valu le Prix du meilleur pays en matière de réforme dans le secteur minier, attribué le 4 décembre 2014 à Londres lors du gala du forum Mines and Money. Une première pour un État africain. Résultats, les investissements réalisés dans l’exploration et l’exploitation en 2014 ont atteint 77 milliards de francs CFA et ont créé environ 6 600 emplois directs et 18 000 indirects. L’activité aurifère a notamment été dopée. La Côte d’Ivoire compte officiellement sept mines d’or légales, dont cinq en exploitation. La dernière en date est celle de Sissingué, dont la construction a débuté le 26 avril 2015. Exploitée par la compagnie Perseus Mining, elle doit produire son premier lingot d’or pour décembre 2017. Avec un potentiel évalué à une trentaine de tonnes d’or, elle affiche une capacité de deux tonnes par an. Objectif de l’État : atteindre les 30 tonnes d’ici 2020, contre une production actuelle de 18 tonnes (2014), encore loin derrière des leaders africains comme le Ghana, qui a produit plus de 90 tonnes en 2014. En attendant, la valorisation d’autres minerais comme le nickel, la bauxite et surtout le fer, dont l’objectif est de produire 20 à 25 millions de tonnes par an, se poursuit. Malgré des débuts encourageants, le développement minier reste toutefois tributaire de l’évolution des prix des matières premières, actuellement en baisse. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
... À l’or noir
L
a chute des cours a également ralenti l’essor de l’exploitation pétrolière. Le pays, qui compte doubler sa production de pétrole et de gaz d’ici 2020, soit 200 000 BEP (barils d’équivalent pétrole), a vu sa production de pétrole passer à 53 000 barils par jour (BPJ) cette année contre environ 30 000 BPJ l’an dernier (250 millions de pieds cubes/jour de gaz naturel). Reste à attirer les investissements vers l’exploration offshore dans le golfe de Guinée réputé pour sa richesse en hydrocarbures. Sur 60 blocs, 20 ont déjà été attribués. Les découvertes des gisements « prometteurs » de Total et Tullow Oil ont suscité l’intérêt d’une activité jusque-là sous-estimée. Mais décidé à accroître ses recettes grâce au pétrole, le gouvernement a annoncé 3,3 milliards de dollars d’investissements dans ce secteur entre 2015 et 2020. Déjà, l’or noir a rapporté à la Côte d’Ivoire près de quatre milliards de dollars. Selon le Premier ministre, la révision du Code pétrolier et la mise en place des Contrats de partage de production (CPP) ont permis d’attirer de nouveaux investisseurs, qui ont profité d’un contexte favorable pour conclure 19 nou63
OPPORTUNITÉS
veaux contrats entre décembre 2011 et septembre 2014, avec sept découvertes à mettre en valeur. Mais la chute des cours de l’or noir, ainsi que les grèves qui ont touché la Société nationale d’opérations pétrolières de Côte d’Ivoire, Petroci, laquelle affichait sur l’exercice 2015 un déficit de presque 25 milliards de francs CFA, soit 38 millions d’euros, annonçant une vague de licenciements, démontre que le secteur doit encore être consolidé afin de faire de la Côte d’Ivoire un réel pays pétrolier.
Énergie : le hub de la sous-région se confirme
de 1 100 gigawattheures (GWh). Il doit asseoir l’ambition de positionner le pays comme hub énergétique de l’Afrique de l’Ouest. Déjà, de l’électricité est exportée au Ghana, au Togo, au Bénin, au Burkina Faso et au Mali. À terme, s’ajouteront la Sierra Leone, le Liberia et la Guinée. Objectif des autorités : augmenter la production d’électricité et en baisser le coût alors que d’importantes hausses de factures depuis 2015 ont mis le pays sous tension. « Il faut mettre fin au monopole de la CIE (Compagnie ivoirienne d’électricité) et de la Sodeci (Société de distribution d’eau) », a déclaré le président Ouattara, en marge des célébrations de la Fête du travail le 1er mai, marquées par des grèves et manifestations. « Je lance un appel à tous ceux qui souhaitent venir investir dans ces secteurs de le faire pour que nous ayons une saine compétition qui permettra de maîtriser les prix et de baisser le coût de l’électricité. » Les autorités comptent sur des capitaux privés pour investir 16 milliards d’euros dans le secteur d’ici 2030.
A
vec la construction d’une nouvelle centrale thermique à gaz d’une puissance installée de 350 à 400 MW, fruit d’un accord entre l’État et Eranove, la Côte d’Ivoire doit doubler sa capacité énergétique, actuellement évaluée à 2 000 MW, pour atteindre 4 000 MW d’ici 2020. Ceci, alors que le président de la République inaugurait, le 17 février dernier, la dernière extension de la centrale thermique de la Compagnie ivoirienne de production d’électricité (Ciprel, filiale d’Eranove) installée en 1994 dans la zone industrielle de Vridi à Abidjan, qui augmente la production du site de 70 % avec 556 MW. De quoi alimenter 120 000 foyers ou 1,2 million de personnes… et renforcer l’offre énergétique selon une stratégie initiée en 2012. « Notre gouvernement prévoit de doubler la capacité énergétique de la Côte d’Ivoire, actuellement évaluée à 2 000 MW, a indiqué le ministre en charge du secteur, Adama Toungara. Pour y parvenir, nous tablons sur 9 milliards de dollars d’investissements sur les cinq prochaines années dans le cadre du Plan national de développement. » Des financements qui doivent se traduire par la mise en service de quatre barrages hydroélectriques d’une capacité totale de 587 MW, d’une centrale solaire de 167 MW, de trois centrales à gaz d’une capacité totale de 835 MW, et de deux centrales à charbon de 1 400 MW d’ici à 2020. Résultat, la Côte d’Ivoire afficherait une capacité de 3 000 MW contre 1 975 MW en 2015, fournie à 72,5 % par quatre centrales thermiques, et à 27,5 % par six centrales hydrauliques. Sachant que le taux d’électrification de la population est de 43 %, et la demande en hausse de 25 %. Projet phare de la politique énergétique, le barrage hydroélectrique de Soubré, en cours de construction par la Chine, sera le plus éminent et le plus grand centre de production énergétique sous-régional d’une puissance installée de 275 MW et d’un productible annuel
64
Les TIC en plein boom
S
i l’activité des TIC (technologies de l’information et de la communication) s’est construite de façon endogène, sans le concours de l’État, et a généré pendant la crise près de 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires au cours de l’année 2008-2009 (soit 6 à 8 % du PIB), le gouvernement s’est engagé depuis à mettre en place l’écosystème nécessaire à son essor… malgré un retard certain. « Si la Côte d’Ivoire a raté la révolution industrielle, elle ne doit pas rater la révolution informatique », avertissait feu Houphouët-Boigny. Or, même si le pays affiche 8 millions d’abonnés à Internet, plus de 7 millions de comptes Mobiles Money et près de 10 milliards de francs CFA de transactions par jour via les plateformes mobiles, son taux de pénétration Internet reste faible, de l’ordre des 30 %, stimulé par le mobile. La raison ? Un taux de couverture encore insuffisant et un manque d’accès au haut débit. Initié en 2012, le projet Backbone, d’un montant estimé à 175 millions d’euros, vise à doter le pays d’un réseau de fibre optique long de 7 000 kilomètres, d’ici 2 018. Cette « autoroute de l’information », dont les travaux ont démarré en avril dernier, doit améliorer le système de communication et surtout garantir une connexion Internet à haut débit pour tous. Ce qui s’inscrit dans une stratégie globale de développement des TIC à travers sept axes principaux. Le premier, qui prévoit la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire adapté, s’est traduit par l’adoption de quatre nouvelles lois : le Code des télécommunications/ HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
CAMILLE MILLERAND
TIC, les transactions électroniques, la protection des données à caractère personnel, et la lutte contre la cybercriminalité. Le deuxième concerne donc la mise en place des nouvelles infrastructures transatlantiques en fibre optique qui a été confiée à des opérateurs privés (connectivité à WACS, SAT3, ACE). Le troisième vise à augmenter l’accès aux TIC à travers, entre autres, le projet « Un Ivoirien, un ordinateur », la construction de 5 000 cybercentres communautaires dans les zones rurales et périurbaines, et la réduction des coûts liés à la téléphonie et à Internet (fixe et mobile), portée par la politique de libéralisation du secteur des télécommunications et qui s’est traduite par l’octroi de licence à six compagnies de téléphonie mobile, suscitant un nouvel environnement concurrentiel. Enfin, en vue de renforcer la culture numérique au sein de la population, « E-gouv » doit ancrer l’administration à l’ère du numérique via la création de l’École supérieure africaine des technologies de l’information et de la communication (Esatic) pour former les futurs techniciens. De même, la plateforme de lutte contre la cybercriminalité doit sécuriser l’activité. Enfin, l’État a relancé le projet Vitib, pour Village des technologies de l’information HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Le taux de pénétration d’Internet reste faible, mais connaît une croissance rapide. Ici, un cyberespace au sein du campus de Cocody.
et de la biotechnologie, une zone franche dédiée aux TIC située à Grand-Bassam, qui n’a d’autre ambition que de hisser la Côte d’Ivoire au rang de hub numérique régional. En ce domaine, du chemin reste à faire, le pays occupant le 108e rang au classement mondial de l’innovation et le 13e à l’échelle continentale, loin derrière Maurice, l’Afrique du Sud ou encore le Sénégal. Mais pour le gouvernement, l’enjeu est de taille. Outre l’idée de rattraper son retard en la matière, il s’agit également d’appuyer un secteur à la fois vecteur de croissance et d’emplois. L’objectif est donc de porter le domaine à 15 % du PIB à l’horizon 2020. D’une manière générale, l’activité tertiaire est en pleine effervescence, soutenue par l’essor d’une classe moyenne, notamment dans le secteur des banques et des assurances, de l’immobilier, des transports et de la grande distribution. ■ 65
STRATÉGIE
ABIDJAN CITÉ GLOBALE
Depuis 2012, la capitale économique se relève. Elle s’impose aujourd’hui comme le hub de l’Afrique de l’Ouest et cherche à se placer sur les routes de la mondialisation. Une ambition légitime qui passe par la prise en charge d’immenses défis urbains. par Lilia Ayari
66
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
rienne, en pleine mutation socio-économique, urbaine et culturelle. Mutations urbaines, tout d’abord. En juillet dernier, le gouvernement a présenté une centaine de projets prévus d’ici 2030 afin de moderniser la ville, pour un coût estimé à 11 milliards de francs CFA, soit plus de 16 millions d’euros. Parmi les chantiers évoqués : sept nouveaux ponts, des voies de contournement du centre, ainsi que des lignes de métro qui traverseront la ville d’ouest en est et du nord au sud, et devraient transporter 1,3 million de passagers par jour. Mutations socio-économiques également. Si les woro-
NABIL ZORKOT
D
’ici 2020, Abidjan aura son métro. Une révolution dans le quotidien des Abidjanais qui souffrent du manque de transports urbains. Une révolution également en termes d’image pour le pays, qui ambitionne de se hisser parmi les nations émergentes en 2020, et souhaite afficher un visage moderne, prospère et doté d’infrastructures répondant aux standards internationaux. La vitrine de ce renouveau n’est autre qu’Abidjan, la capitale économique ivoirienne, l’un des plus importants centres urbains de l’Afrique subsaha-
67
STRATÉGIE
woro, taxis collectifs bon marché, mais bruyants, polluants et délabrés, circulent toujours, en attendant le métro, les véhicules TaxiJet, Uber à l’ivoirienne, offrent déjà une qualité de service davantage adaptée à une catégorie de population plus soucieuse de son confort. Signe d’une évolution des mœurs traduite par de nouveaux modes de vie, de nouvelles habitudes plus urbaines et modernes… et une soif de consommation ! En moins de deux ans, deux centres commerciaux se sont installés dans la ville, PlaYce, à Marcory, et Abidjan Mall, à Riviera, venus s’ajouter à Cap Sud, Cap Nord, Sococe et autres grandes surfaces qui se multiplient sur le territoire. De même, on assiste à l’émergence de nouveaux bars-restaurants-cafés, version européenne, et autres maquis « occidentalisés » dans les quartiers résidentiels. Pour autant, finie la folie des grandeurs. Les dernières constructions, horizontales, se veulent plus sobres, « plus pratiques qu’ostentatoires », comme le confirme un architecte. Avec plus de 68
4 millions d’habitants, soit 20 % de la population ivoirienne concentrée sur 422 km2, Abidjan est une ville qui grouille de chantiers, de nouvelles richesses, de nouveaux investisseurs, et montre une vitalité économique insolente. « L’attractivité de la ville n’a jamais été aussi forte, confirme un hôtelier. Nous sommes passés du bord de la ruine, après la guerre, à la saturation. Désormais, nous ne désemplissons plus. Avec l’installation de la Banque africaine de développement (BAD) et tous les évènements organisés, les hôtels sont saturés. » Tout autant que les vols. Ceux d’Air France, Royal Air Maroc ou Corsair, qui a repris sa ligne Paris-Abidjan en juin dernier, mais également des compagnies régionales comme Asky, Air Côte d’Ivoire, Air Algérie ou encore Tunisair. Résultat, l’aéroport Félix Houphouët-Boigny a passé le cap du million de passagers en janvier 2016. Un chiffre record depuis 1999. Avec le savoir-faire du système D à l’ivoirienne, de nouvelles structures d’accueil, plus ou moins confortables pour touristes et HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
THIERRY GOUEGNON/REUTERS
Inauguré en décembre 2015, PlaYce se veut la vitrine d’une nouvelle génération de centres commerciaux en Afrique.
(
« L’attractivité de la ville n’a jamais été aussi forte. C’est la saturation. »
NABIL ZORKOT
Alors que la démographie est en constante expansion, les prix de l’immobilier flambent. Ici, construction de logements sociaux et de standing près de Grand-Bassam, à l’est d’Abidjan.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
69
STRATÉGIE
hommes d’affaires, se multiplient un peu partout dans la ville, des hôtels-appartements aux résidences. Aujourd’hui, Abidjan représente 40 % du PIB national. La ville retrouve donc son positionnement de capitale économique sous-régionale. « Abidjan, c’est le hub, la capitale des affaires en Afrique francophone », juge un opérateur économique Sénégalais. une divergence des priorités La ville change d’aspect et modernise ses infrastructures. Avec le projet « Aérocité » (ville aéroportuaire), la modernisation des ports et des gares, les nouveaux ponts prévus pour désengorger la ville, ou encore l’aménagement de la baie de Cocody, Abidjan renoue avec son image « d’États-Unis d’Afrique », et améliore sa compétitivité. À grande vitesse, d’ailleurs, quitte à heurter les Abidjanais. La politique de « déguerpissement » - ou démolition des quartiers insalubres ainsi que des commerces « sauvages » - suscite des tensions. « On casse avant de reconstruire. Où va-t-on loger tous ces gens, quel travail vont-ils trouver ? », s’inquiète une vendeuse de Yopougon. Même si des logements, voire de nouveaux quartiers, sont en cours de construction, les travaux prennent du retard. « Abidjan est saturée, Abidjan étouffe, Abidjan va exploser ! », s’inquiète un architecte. « On se demande s’il y a réellement un plan d’urbanisme. On lance les bulldozers, mais derrière, on ne reconstruit pas. Regardez sur les bords de la nouvelle autoroute Abidjan-Bassam. C’est un champ de ruines ! » Abidjan paie ainsi le prix de son succès et des ambitions gouvernementales. « Il y a un problème d’organisation et de priorité, admet un membre du gouvernement. D’un côté, on vise l’émergence et l’on construit les chantiers de demain, mais de l’autre, on ne s’attaque pas aux fondamentaux comme l’accès aux logements, à l’école, aux soins, à l’emploi, et la lutte contre la vie chère ! » Car les prix flambent dans la ville, notamment dans l’immobilier, tandis que la démographie explose. « La modernité a un prix » Et pourtant, l’argent semble couler à flots à Abidjan avec pas moins de 26 banques représentées, la plupart concentrées sur le Plateau, le quartier des finances. Ce dernier doit d’ailleurs prochainement abriter un nouveau centre d’affaires. Un building de 29 étages est prévu sur la place de l’ancien marché, avec, selon les plans de l’architecte portugais Rodrigo Machado Soares, un centre commercial, un centre de conférence (environ 1 500 places), un hôtel cinq étoiles et quatre niveaux de parking en sous-sol. Des parcs de stationnements payants qui commencent à fleurir dans le paysage local, peu appréciés des usagers. « Ils ont râlé pour le péage sur le troisième pont et, finalement, tout le monde est très content de l’utiliser, car il permet d’éviter les bouchons », temporise-t-on du côté de la municipalité du Plateau, ajou70
(
Ici, les besoins en logements, emplois, eau ou électricité explosent.
tant : « La modernité à un prix. » Reste à savoir lequel, et qui paiera la note ? Car si une classe moyenne se développe, une grande proportion de la population abidjanaise reste précaire et risque de se voir évincée… « Il y a trois villes dans la ville, distingue un journaliste local. L’Abidjan du Plateau et du business, l’Abidjan résidentiel de Cocody ou Riviera, par exemple, et l’Abidjan de seconde zone des petits quartiers. Trois villes, trois mondes qui ne se croisent pas, et ne vivent pas l’émergence au même rythme. » Un défi social Première richesse d’Abidjan, sa diversité, caractérisée par une vingtaine de nationalités différentes issues de diverses classes sociales, est aussi son principal défi. Avec une croissance démographique proche de 3 %, la ville a dépassé les 4 millions d’âmes et les besoins en logements, emplois, eau, ou électricité explosent. « Décongestionner » Abidjan devient une urgence, tout comme une décentralisation de l’activité économique au profit d’autres communes de la ville. À commencer par les plus populaires. Ainsi Yopougon, ou Yop City, zone la plus peuplée (plus d’un million d’habitants !), la plus étendue et la plus excentrée, connaît actuellement une série de travaux de modernisation. Entre autres, la construction d’un nouveau quartier, la Cité ADO, prototype du programme présidentiel de construction de logements. « Nous mettons l’accent sur la cohésion sociale par la réalisation des routes et des bâtiments en encourageant tous les acteurs de la commune à travailler ensemble pour l’intérêt commun », confirme le maire, Gilbert Kafana Koné. L’enjeu est de taille. À Yopougon, comme dans les autres communes défavorisées, la surpopulation, la détérioration des infrastructures et le manque d’emplois sont sources de tensions. Tangibles parfois. Les autorités cherchent justement à tout prix à éviter les dérapages, grâce, notamment, à la mise en place de leur politique urbaine et sociale. En attendant, la ville, qui accueillera les prochains Jeux de la Francophonie à l’été 2017, poursuit son processus d’assainissement et d’embellissement, déterminée à offrir son plus beau visage à cette occasion. ■ HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Vue de la basilique de Yamoussoukro. La ville devrait accueillir des sites administratifs ainsi que des camps militaires pour désengorger la capitale économique.
CRÉER DE NOUVEAUX PÔLES DE DÉVELOPPEMENT
NABIL ZORKOT (2)
Y
amoussoukro, Bouaké, Bassam… À l’intérieur du pays, les grands chantiers de demain sont également lancés, même si les choses avancent moins vite qu’à Abidjan. L’enjeu est avant tout économique : il faut déconcentrer l’activité saturée sur Abidjan et créer de nouveaux pôles de croissance sur le territoire national. Ils permettront de « bâtir une économie régionale basée sur l’industrialisation, porteuse de croissance au niveau des territoires locaux, mais également au niveau national », indiquait Albert Toikeusse Mabri, alors ministre du Plan, aujourd’hui aux Affaires étrangères. In fine, il s’agit de réduire les disparités régionales, booster le développement socio-économique par la lutte contre la pauvreté et l’exode rural massif. Afin d’identifier ces pôles, une étude du programme d’aménagement des Pôles économiques compétitifs (PEC) de Côte d’Ivoire a été commandée au cabinet marocain Valyans. Déjà, un premier effort avait été porté sur l’interconnexion régionale à travers des programmes tels que le Projet d’urgence de renaissance des infrastructures de Côte d’Ivoire ou le Plan national de développement (2012-2015). C’est ainsi que les autoroutes Abidjan-Bouaké, véritable carrefour commercial régional, ou Abidjan-Bassam, pôle touristique, ont été construites. Si le programme est porté par l’autorité centrale, les responsables locaux s’y attellent également, réclamant au passage plus de décentralisation, notamment en termes de budget. C’est dans ce cadre qu’en novembre 2011, le nouveau découpage administratif de la Côte d’Ivoire, qui compte désormais 30 régions, avait notamment été adopté. ■ L.A.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Deuxième métropole la plus peuplée du pays, Bouaké constitue un carrefour commercial important.
71
INTERVIEW
NOËL AKOSSI BENDJO « APPORTER UNE NOUVELLE DIMENSION AU PLATEAU » Centre névralgique des affaires, cette commune au cœur d’Abidjan doit beaucoup au dynamisme de son maire. Rencontre.
I
ndétrônable. En avril 2013 à Abidjan, Noël Akossi Bendjo a été réélu maire de la commune du Plateau, siège qu’il occupe depuis 2001. Traversant les crises et les régimes, cet homme politique du Parti démocrate de Côte d’Ivoire (PDCI), Abidjanais de naissance, est issu du secteur privé, comme il le rappelle souvent. Ingénieur en génie chimique, il a dirigé plusieurs entreprises majeures, dont la Société ivoirienne de raffinage (SIR). Aujourd’hui, il met son expertise « privée » au service de sa municipalité, invitant les opérateurs économiques à contribuer à son développement. AM : Marqué par la crise, le Plateau a retrouvé son effervescence en cinq ans. Comment expliquez-vous cette renaissance ? Noël Akossi Bendjo :Au lendemain de la crise, nous avons décidé de reprendre en main notre commune telle que nous l’avions laissée avant les troubles. Grâce à nos partenaires, 72
nous avons mis en place un plan stratégique. La première phase a consisté à réparer le Plateau. Ce qui s’est traduit par toutes les installations que vous pouvez voir aujourd’hui. Il a également fallu régler les problèmes d’insalubrité, rééclairer la commune avec de nouveaux luminaires, réaménager des espaces verts, des lieux de vie… Faire en sorte que le Plateau retrouve son visage d’antan et redevienne la vitrine de notre pays et de notre continent. Aujourd’hui, nous passons à la phase de restructuration pour tenir compte des enjeux futurs. Comment intégrez-vous les nouveaux enjeux urbains, démographiques et socio-économiques à votre projet ? Nous avons échangé avec les responsables du gouvernement, le Premier ministre ainsi que le conseiller du chef de l’État pour réfléchir ensemble à la manière de faire évoluer la commune pour qu’elle joue davantage son rôle de centre d’affaires, mais aussi de porte d’entrée du continent. Cela HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
DR
propos recueillis par Lilia Ayari
NABIL ZORKOT
Vous visez le haut standing. Ce qui est réservé à une certaine nécessite de délocaliser des établissements administratifs catégorie socioprofessionnelle… pour aménager plus de services, de commerces, etc. Avec En ce qui concerne les aspects de mixité, nécessaire à la notre partenaire Bouygues, nous avons identifié trois axes cohésion entre les différentes couches sociales, nous avons stratégiques. Premièrement, la décongestion du Plateau. porté nos efforts sur les jeunes. Nous sommes en train de voir La commune est aujourd’hui saturée. La valeur foncière est comment leur proposer des projets qui leur permettront de telle que nous devons optimiser les espaces en aménageant s’intégrer. Les parkings, comme les nouveaux centres comdes bâtiments en hauteur. Nous travaillons également en merciaux, vont créer des emplois. Depuis le lendemain de sous-sol avec l’aménagement de parcs de stationnements. Cinq vont être prochainement lancés. Ce sont des investissements lourds. Dans le cadre d’un À gauche, l’immeuble Caistab partenariat public-privé, des opérateurs se sont (Caisse de stabilisation) achevé en intéressés à l’investissement dans des parkings. 1984, emblématique du Plateau. Des Sud-Africains ont été associés pour réglementer le stationnement avec les parcmètres. Deuxièmement, la question des transports. En plus du prochain train urbain, nous allons ajouter des navettes qui circuleront à l’intérieur du Plateau. Électriques, elles répondent aux enjeux de développement durable de la COP22. Nous pensons qu’avec ces aménagements et une réglementation plus forte, nous résoudrons le problème de congestion. En concertation avec le gouvernement, nous avons également travaillé sur la restructuration des voies, de façon à fluidifier la circulation. Troisième axe, la végétalisation. Nous avons prévu des espaces verts pour apporter plus de gaîté à notre commune. Cinq mille arbres doivent être plantés. Nous réintroduisons des aires de convivialité dans le paysage. Ce qui a déjà commencé avec la place Nelson Mandela, un nouveau lieu de vie. Des sites administratifs la crise, qui a laissé beaucoup de jeunes sur le côté, notre vont également être requalifiés afin de libérer des espaces. priorité a été leur réinsertion à des postes de responsabiPar exemple, les administrations vont rejoindre la capitale lité sur la commune. Nous avons mis à leur disposition des administrative Yamoussoukro, tout comme les camps miliateliers de formation et de leadership pour leur permettre taires. Cela nous permettra de reconstruire des habitations de conduire ces programmes. Environ 250 jeunes ont ainsi de très grandes qualités pour ramener les cadres, aujourd’hui été intégrés. Nous avons également réalisé des micro-projets installés à Marcory ou dans d’autres quartiers résidentiels. avec nos partenaires privés mis à contribution. Par exemple, Nous avons également prévu de mettre en avant les loisirs les jeunes qui tiennent des points de vente sont désormais avec des salles de cinéma et de spectacles. Enfin, le stade mieux organisés, mieux agencés. Enfin, plus d’une centaine va être remis aux standards internationaux afin d’accueillir ont été recrutés pour former la Brigade d’insalubrité qui les plus grandes compétitions sportives. veille à maintenir la propreté sur la commune. Vous avez mis un « grand coup de balai » en vous attaquant Pour conclure, quel sera le visage du Plateau, demain ? aux bâtiments insalubres, aux commerces « sauvages ». À terme, nous allons apporter une nouvelle dimension à Et vous introduisez de nouveaux concepts : après les ponts notre commune qui rayonnera non seulement comme centre à péages, les parkings et parcmètres payants. Comment d’affaires, mais également comme porte d’entrée de l’Afrique. gérez-vous ces mesures parfois impopulaires ? Demain, le Plateau sera moderne, connecté, et répondra aux La population, qui est de plus en plus jeune, ouverte sur enjeux de développement durable et aux standards internale monde et connectée, aspire au même cadre de vie que tionaux. À l’image des plus grandes villes du monde. Nous d’autres à travers le monde. Aussi, elle comprend que cela a en avons le projet… et les capacités. ■ un coût. Les mentalités s’adaptent. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
73
AMANDA ROUGIER POUR AM
74
Salif Traoré, plus connu sous le nom d’A’Salfo, chez lui à Paris.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
INTERVIEW
A’SALFO MAGIC SYSTEM
«NOUS ALLONS PARVENIR À LA RÉCONCILIATION» Le prince du zouglou entre dans l’ère de la maturité. Marqué aussi par le décès de Papa Wemba lors du Femua 2016, et celui du batteur du groupe, Pépito. Il veut agir sur le terrain social. Et partager. Le groupe fêtera ses vingt ans l’année prochaine. propos recueillis par Baudelaire Mieu
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
75
INTERVIEW/A’SALFO
« Lorsqu’on a un peu, on doit en faire profiter ceux qui n’ont rien. »
76
MANUEL LAGOS CID
S
alif Traoré, désormais célèbre sous son nom d’artiste d’A’Salfo, est le leader vocal de Magic System. Un quatuor né en 1996 et qui a popularisé le zouglou, genre musical typiquement de Côte d’Ivoire. Le parcours international de ce groupe de musique urbaine, originaire du quartier populaire de Marcory Anoumabo (au sud d’Abidjan), fait la fierté des Ivoiriens, car leur succès rappelle qu’on peut réussir en partant de presque nulle part. A’Salfo, qui n’imagine pas de carrière en dehors du groupe composé de Manadja, Goudé et Tino, souhaite lui aussi jouer un rôle dans la nouvelle Côte d’Ivoire. Pour cela, la fondation Magic System, qui bénéficie d’un statut d’utilité publique, s’investit dans des projets sur le terrain. Rencontre. AM : Quelle est l’actualité de Magic System ces temps-ci ? A’Salfo : Les deux principaux maux de l’Afrique sont l’éducation et la santé. Avec la fondation Magic System, nous nous sommes investis dans des actions envers les populations. Une caravane du Magic Festival Tour nous a permis de sillonner la Côte d’Ivoire afin de faire bénéficier les populations de matériels éducatifs et sanitaires. Avec certains partenaires, nous contribuons ainsi à la construction d’écoles et à la fourniture d’équipements, de dons matériels pour les hôpitaux, de réfections et réhabilitations… C’est autour de ces activités que nous consacrons actuellement notre temps. Partager est donc un choix ? Non, c’est un devoir. On ne choisit pas de partager, ça doit être une valeur morale, quelque chose de naturel. L’adage dit : « Donner, c’est recevoir. » Il y a tellement d’inégalités dans ce monde que lorsqu’on a un peu, on doit en faire profiter ceux qui n’ont rien. D’ailleurs, comment faire de musique si on n’a pas le partage pour valeur ? Au printemps dernier, vous avez été confronté à deux décès en dix jours : celui de Papa Wemba alors qu’il se produisait au festival Femua*, le 24 avril à Abidjan, puis celui de votre batteur, « Pépito », décédé le 3 mai en tentant de sauver
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
Magic System (Tino, Manadja, A’Salfo et Goudé) dans leur quartier d’origine d’Anoumabo, auquel le groupe a consacré un titre en 2011.
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
77
INTERVIEW/A’SALFO
« Arrêter le Femua aurait été une insulte à la mémoire de Papa Wemba. Donc, rien que pour honorer sa mémoire, il nous fallait continuer. » de la noyade une personne dans la station balnéaire de Jacqueville. Comment appréhendez-vous ces épreuves ? Notre moral est meilleur qu’il y a quelques mois. Il fallait avoir beaucoup de soutiens pour sortir d’une épreuve que l’on ne souhaiterait pas à son pire ennemi. Je n’ai jamais pensé que le Femua devait alors s’arrêter : c’est comme si l’on annulait une Coupe du monde de football parce qu’un joueur aurait été victime d’un arrêt cardiaque lors d’une rencontre. Arrêter le Femua aurait été une insulte à la mémoire de Papa Wemba, quelqu’un qui, deux jours plus tôt, souhaitait longue vie à ce festival, lui prédisant un beau futur. Donc, rien que pour honorer sa mémoire, il nous fallait continuer. Alors, oui, j’ai été touché émotionnellement, car c’était un monument, mais aussi parce que j’ai pensé aux personnes qui lui étaient chères, comme sa femme et ses enfants. Cela m’a plus tourmenté que la continuité immédiate du festival. Quant à Pépito… Vous savez, c’était vraiment le cinquième membre de Magic System. C’était notre batteur, notre chef d’orchestre qui coordonnait tout le groupe. Après le décès de Papa Wemba, je suis parti à Kinshasa et il n’arrêtait pas de m’envoyer des SMS de réconfort. Et c’est depuis la RDC que j’ai appris son accident début mai, alors qu’il tentait de sauver une personne de la noyade. J’étais tellement habitué à sa présence que, cet été, quand on est remontés sur scène, je me suis surpris à me retourner et demander à Pépito de nous faire un roulement sur sa batterie. Alors qu’il n’était plus là… Vous semblez toujours affecté par ces tristes épisodes… Je m’interroge encore : pourquoi cela nous est-il arrivé ? Pourquoi est-ce durant ce festival-là que Papa Wemba a choisi de partir ? On se pose des milliers de questions. Lorsque j’ai appris sa mort, j’ai gardé pour moi cette terrible nouvelle pendant près de deux heures. C’était lourd. Il a fallu que je m’adresse à des personnes d’expérience qui pouvaient m’apporter leur soutien, leur réconfort, parce que j’étais un peu perdu. Quand l’un de vos proches est malade, on peut se préparer au pire. Mais là, ça a été tellement soudain… Je veux donc profiter de cette occasion pour remercier le ministre de la Culture, le ministre des Affaires étrangères, le Ministre d’État, ministre de l’Intérieur, et surtout le président 78
de la République qui, dès les premières heures, m’ont permis de porter cette lourde charge. Sans eux, je me serais perdu… Aujourd’hui, Magic System fait un. Chaque fois que vous vous exprimez, vous mettez en avant le groupe. Vous n’avez jamais été tenté par une carrière en solo ? Barack Obama a dit un jour que ce sont les institutions fortes qui font la force d’un pays. Si je suis A’Salfo aujourd’hui et que tout le monde parle de moi, c’est parce que j’ai essayé de rendre plus fort Magic System en mettant en avant ma propre personne. Je ne serais peut-être pas celui que je suis aujourd’hui si j’avais quitté le groupe. Un leader, c’est celui qui fédère. Celui qui, à travers ses idées et convictions, arrive à mener un groupe pour pouvoir atteindre des objectifs communs. Je suis bien dans cette entité, c’est plus beau et plus familial que de tenter d’aller faire carrière de mon côté. J’ai des valeurs morales : l’amitié, c’est sacré. Nous étions déjà amis quand nous avons démarré à Anoumabo et là, on se séparerait pour des histoires d’argent ? Non… Mieux vaut partager 1 000 francs CFA à quatre que de vouloir un pactole pour soi et… ne pas aller bien loin. Quand on est seul, on va vite. Mais quand on est ensemble, on va loin. À quand le prochain album de Magic System ? Nous sommes en studio pour préparer l’album des vingt ans de carrière qui sera suivi d’une tournée, à partir d’octobre 2017, dans 14 pays en Afrique, dans les grandes capitales qui nous ont accueillis à nos débuts. Et pour marquer le coup des vingt ans, on devrait commencer le 20 octobre à 20 h 20 à Abidjan, bien sûr ! Puis on enchaînera avec Ouagadougou, Niamey… Exactement comme lorsqu’on a commencé. Cela augure un calendrier 2017 chargé… Oh, oui… Il y a les vingt ans de Magic System, la sortie de l’album mais aussi la 10e édition du Femua qui inclura un grand hommage à Papa Wemba, un an après le drame. Ainsi que des dates européennes… Est-ce que Magic System aura du temps spécifique à consacrer à la Côte d’Ivoire avec quelques dates ? Oui, parce que le pays ne se résume pas qu’à Abidjan. Donc, après cette tournée africaine, nous en ferons une HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
DR
A’Salfo aux côtés de la première dame Dominique Ouattara lors d’un gala pour la fondation Children of Africa, en 2012 : « Elle nous a toujours soutenus. »
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
79
INTERVIEW/A’SALFO
J’avoue que durant les événements de septembre 2015, nationale qui nous emmènera aux quatre coins du pays, j’étais très mal à l’aise. Chaque fois que je pouvais voir les comme à nos débuts. Daloa, Man, Korhogo, Abengourou… autorités burkinabè, en raison de ma position d’ambassadeur Nous retournerons dans toutes ces villes, on en a envie, c’est à l’Unesco, on essayait de parler des choses… Ma chance une tout autre ambiance, qui nous manque, et que l’on n’a a été d’avoir des amis comme Alpha Barry, désormais pas connue depuis quinze ans… ministre des Affaires étrangères, avec qui l’on peut aborder Votre groupe représente beaucoup pour la jeunesse. des discussions délicates. La Côte d’Ivoire aussi compte des Vous avez connu le succès en France et en Europe… dirigeants avec lesquels on peut parler. Mais je reste lucide Que vous inspirent le phénomène de l’immigration quant à l’influence, tout de même limitée, que Magic System clandestine et, notamment, son lot de jeunes Africains pourrait avoir en politique… qui meurent lors de traversées en Méditerranée ? On vous dit proche de plusieurs Il faut s’estimer fiers de pouvoir personnalités politiques de être le miroir d’une génération. Des premier plan. Comme Hamed milliers de jeunes s’identifient à notre Bakayoko, l’actuel ministre de parcours, même ceux qui ne comptent l’Intérieur et de la Sécurité… pas embrasser une carrière musicale. Notre expérience a donné de l’espoir à Autant nous pouvons parfois être certains qui étaient prêts à baisser les des exemples pour les jeunes bras, et en a rendu d’autres persévérants. générations, autant Hamed Bakayoko a En 2001, on parlait déjà d’immigration été un exemple pour la nôtre. C’est un avec Un Gaou à Paris… Mais la réalité, grand frère et un ami. Hamed Bakayoko aujourd’hui, est plus poignante parce a toujours été mes côtés chaque fois que que rien n’est fait dans nos pays pour j’ai eu besoin de lui. Il a toujours répondu retenir la nouvelle génération. La vie est à nos sollicitations… C’est quelqu’un qui dure, on croit encore que l’Europe est fait partie de ma famille. Sorti en 2015 chez Parlophone, synonyme d’eldorado. Or, les difficultés Charles Blé Goudé, l’ancien ministre Radio Afrika, le dernier album sont les mêmes. C’est pourquoi les de la Jeunesse sous Laurent Gbagbo, du groupe, rend hommage gouvernements doivent mettre en actuellement en procès devant la aux classiques africains. place les réformes qui garantiront Cour pénale internationale (CPI)… l’avenir de la jeunesse dans leur pays afin d’éviter l’exode C’était un ami et… il le reste. La politique a fait que vers d’autres cieux. Il ne faut pas que cela reste au stade des nos positions respectives ont pu sembler opposées. Moi, je promesses électorales. C’est pourquoi nous encourageons ne souhaitais pas m’impliquer davantage quand il était au toutes les ONG et les structures qui soutiennent les jeunes pouvoir ni après. J’avais un devoir de neutralité, mais parce dans l’entreprenariat, y compris à travers la microfinance que je ne m’engageais pas ouvertement pour lui, on a cru afin qu’ils réalisent leurs projets ici même, en Afrique. qu’il s’agissait de défiance de ma part. Cette incompréhension Aujourd’hui, avec le recul, à l’époque où la situation était entre nous a fini par être levée. Il a toujours été loyal. Je n’ai difficile entre vos deux pays de cœur, la Côte d’Ivoire et le pas eu l’occasion d’aller le voir depuis son incarcération à la Burkina Faso, aviez-vous envisagé un rôle de médiation ? CPI, mais je ne raterais pas l’occasion s’il m’était permis de lui Je ressens avec fierté le fait d’appartenir à ces deux rendre visite. Il faut mettre la politique de côté. Les amitiés, pays. Leurs liens sont forts et historiques. Mais quand la on ne les trahit pas… situation s’envenime entre les deux États, comme lors des Le président de la République, Alassane Ouattara ? crises de 2002 ou de 2015, on se trouve fort embarrassé. Le président est comme un père, je suis fier de le connaître, 80
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
DR
« Charles Blé Goudé reste un ami… Je n’ai pas eu l’occasion d’aller le voir à la CPI, mais je le ferais s’il m’est permis de lui rendre visite. »
AMANDA ROUGIER POUR AM (3)
c’est quelqu’un qui a toujours eu l’amabilité de me recevoir. Même avant d’être élu, il a toujours été disponible. J’ai d’excellentes relations avec son épouse, si bien que je me sens proche de lui. Il n’a jamais hésité à aider Magic System dans les actions que nous souhaitions entreprendre. Je suis fier de voir le combat qu’il mène pour redonner à la Côte d’Ivoire A’Salfo a son lustre d’antan, je l’estime et le été nommé respecte beaucoup parce que c’est ambassadeur un travailleur. des droits de l’Homme Blaise Compaoré, l’ancien en 2014 par chef de l’État burkinabè… Gnénéma Quand il était au pouvoir, Mamadou, Blaise Campaoré m’invitait souvent ministre de la à Ouagadougou. Il est aussi comme Justice. un père pour moi. J’ai gardé d’excellentes relations et ne manque pas l’occasion de lui rendre visite quand je suis de passage à Abidjan. Laurent Gbagbo ? C’est aussi un très bon ami. Je crois qu’à un moment, il a incarné une lueur d’espoir pour les Ivoiriens. Il nous a montré – et je l’ai dit dans une chanson – qu’on peut naître enfant de pauvre et devenir président de la République. Donc, c’est quelqu’un que nous avons aimé. Quand il était au pouvoir, il a soutenu et décoré Magic System… Et aujourd’hui, nous sommes en contact aussi bien avec le président Ouattara qu’avec Laurent Gbagbo. Des gens pensent que si l’on est avec Ouattara, c’est parce qu’on déteste Gbagbo. Et vice versa. Or c’est faux. Certaines personnes ne comprennent pas que lorsqu’on atteint un certain niveau dans une carrière, on n’a pas d’autre choix que celui d’être proche des autorités de son pays. Vous semblez être ami et bienveillant avec tous… Chacun peut avoir ses idéologies. Mais jusqu’à preuve du contraire, je ne me suis jamais engagé politiquement pour une personne, un président ou un parti. Ça, c’est mon droit de réserve. On a des millions de fans qui nous suivent : si l’on s’engageait en politique, on diviserait une frange de notre public. Nous préférons nous appuyer sur notre statut pour rassembler plutôt que de nous adonner à des querelles politiques qui diviseraient nos fans. Vous étiez sur tous les fronts de 2002 jusqu’en HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
2010 et aussi récemment par rapport à la réconciliation. Que faut-il faire pour parvenir à une paix véritable en Côte d’Ivoire ? En 2012, l’Unesco m’a nommé ambassadeur chargé de l’alphabétisation et de la promotion de la culture et de la paix, et cela m’a donné une force pour mener des actions en faveur de certaines causes. Certains ont pensé que c’est à partir de l’arrivée du président Ouattara qu’on a commencé à se manifester. Mais non, c’est parce qu’à partir de 2012, nous avons eu une caution officielle pour nous exprimer. La paix, la Côte d’Ivoire l’a obtenue. J’y ai pris ma part en organisant le Femua dès 2008, alors que la tension était encore présente à Abidjan. Nous avons contribué à décrisper la situation. Mais pour la réconciliation durable, je pense qu’il faut encore un peu de temps. D’autres pays dans le monde qui ont connu des guerres de divisions ne sont pas encore réconciliés à ce jour… Nous allons donc progressivement vers la réconciliation. Ceux qui sont encore dans des idéologies politiques mènent leurs batailles à leur manière. Mais je crois qu’au niveau du peuple, le vivre ensemble est important, et c’est ce à quoi nous, les musiciens, artistes ou footballeurs, nous attelons afin de resserrer les liens entre les populations. Ce serait un bel épilogue… Un dernier mot, alors ? L’Afrique est en train de trouver sa place dans le concert des nations et c’est à la jeunesse de concrétiser cet espoir. Je voudrais adresser un mot aux jeunes, ceux qui s’identifient à nous mais aussi aux sportifs, médecins, entrepreneurs ou politiciens… Cette jeunesse doit prendre conscience que tous, Ivoiriens, Burkinabè, Béninois, Togolais, sont d’abord africains et qu’ils doivent se battre pour le continent. Nous devons entrer dans une période de stabilité. Grâce aux technologies de l’information, on peut être au courant de tout, on ne peut plus feindre l’ignorance lorsque l’on arrive à faire ou déjouer un coup d’État grâce aux réseaux sociaux. Alors, donnons à l’Afrique la stabilité qu’elle mérite et qu’elle pas encore eue. Et, enfin, à tous les fans de Magic System qui nous soutiennent depuis tant d’années, je les remercie pour ces vingt années de carrière et leur donne rendez-vous en 2017. ■
1. Festival des musiques urbaines d’Anoumabo, créé en 2008 à l’initiative de A’Salfo et qui a vu, lors de l’édition 2016, Papa Wemba victime d’un arrêt cardiaque sur scène.
81
À L’AFFICHE
PORTRAITS IVOIRIENS Elles ou ils sont entrepreneurs, hauts cadres de l’État, personnalités politiques, comédiens, chefs cuisiniers ou encore sportif… Et elles et ils sont bien décidés à porter haut les ambitions nationales. par Lilia Ayari et Baudelaire Mieu
TATIANA ROJO Comédienne
Toujours plus haut
82
◗ D’ORIGINE IVOIRO-GABONAISE, Tatiana Rojo, 36 ans, connue sous le pseudonyme d’Amou Tati, est une étoile montante du cinéma et théâtre africains… Née au Havre (Seine-Maritime), elle part en Côte d’Ivoire et passe sa jeunesse à San Pedro. À l’adolescence, elle se découvre une passion pour le théâtre. Très vite repérée, elle se distingue dès l’âge de 14 ans, en étant nommée meilleure comédienne nationale pour son rôle dans La Ville Maglodidi de Paul Akoto Yao. Majeure, elle s’envole pour Paris où elle rêve de cinéma. C’est pourtant le petit écran qui la révèle. On la voit ainsi dans Fatou, l’espoir de Daniel Vigne (2002), La Rivale d’Édouard Carrion (2008). En 2009, elle remonte sur les planches avec un one-woman-show, Amou Tati
à l’état brut, qu’elle joue quelques années en France et dans plusieurs capitales africaines. 2014 est l’année de sa consécration. Elle participe ainsi à plusieurs succès du boxoffice comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? de Philippe de Chauveron, Le Crocodile du Botswanga de Fabrice Éboué, ou Les Rayures du zèbre de Benoît Mariage, dans lequel elle tient le premier rôle féminin aux côtés de Benoît Poelvoorde. Retour au petit écran avec Danbé, la tête haute, un téléfilm diffusé récemment par la chaîne Arte, adapté du roman autobiographique (coécrit avec Marie Desplechin) de la championne de boxe franco-malienne Aya Cissoko. Un rôle qui lui vaudra le prix de la meilleure actrice au Festival de cinéma de Montréal en 2015. La même année, elle a créé La Dame de fer où, seule sur scène, elle narre, en hommage à sa mère, les péripéties d’une Africaine fraîchement débarquée en France. Le temps de la reconnaissance est donc venu : la Côte d’Ivoire vient ainsi de lui décerner le Prix de l’excellence des arts vivants. Un bien bel hommage. L.A. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I O C T O B R E 2 0 1 6
DR
HORS -SÃ&#x2030;RIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
83
À L’AFFICHE
ABDOURAHMANE CISSÉ Le premier de la classe ◗ À 35 ANS, le plus jeune ministre du gouvernement, Abdourahmane Cissé, incarne le renouvellement de la classe politique. Pur produit made in Côte d’Ivoire ou presque, il est le résultat de la politique de méritocratie que le président Alassane Ouattara tente de mettre en place. Né en 1981 à Abidjan dans une famille sénégalaise, dans la commune de Treichville, Abdourahmane Cissé est un bosseur. Aussi studieux que son image est irréprochable, il affiche un parcours sans faute. Ingénieur de formation, diplômé de l’École polytechnique de Paris, en 2004, puis de l’Institut français du pétrole dont il sort titulaire d’un master en sciences économiques et gestion des ressources pétrolières, il fait alors ses classes loin de la scène politique. Recruté en 2005 par la prestigieuse banque d’affaires Goldman Sachs International à Londres, il s’initie à l’univers de la finance, occupant différentes fonctions, dont le poste de vice-président-directeur exécutif chargé du trading de volatilité et des dividendes sur les indices de la zone euro. En 2011, répondant à l’appel d’ADO invitant les 84
Ivoiriens de la diaspora à rentrer au pays, il démissionne et retourne en Côte d’Ivoire. Repéré, il officiera, à partir de juillet 2012, aux côtés du nouveau chef de l’État en tant que conseiller en charge des finances publiques, puis directeur de cabinet auprès du Premier ministre, chargé de l’Économie et des Finances, en janvier 2013. Finalement, le 19 novembre 2013, il est nommé au poste de ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé du Budget de la République de Côte d’Ivoire. Principal cheval de bataille : améliorer la gestion des finances publiques. C’est à cet effet qu’il met en place le Livre foncier électronique (LiFE), le décret sur les délais de passation de marchés, deux centres pilotes destinés à la gestion des moyennes entreprises, les centres de moyennes entreprises (CME), des contrôles mixtes entre la Direction générale des impôts (DGI) et la Direction générale des douanes (DGD), ou encore l’interconnexion entre la DGI et la DGD. Novice à son arrivée, il semble depuis s’être initié au jeu de la politique, n’hésitant pas à faire campagne pour la réélection d’ADO. Une chose est sûre, il faudra compter avec lui parmi les leaders ivoiriens de demain… L.A. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
ISSOUF SANOGO/AFP PHOTO
Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé du Budget
NASSÉNÉBA TOURÉ-DIANÉ Maire d’Odienné
Une carrière au mérite
NABIL ZORKOT POUR AM
◗ NASSÉNÉBA TOURÉ-DIANÉ n’est pas une femme politique comme les autres. Épouse de Mamadi Diané, ex-conseiller du président, elle cultive l’élégance tout en ayant une tête bien faite. En 2014, elle reçoit le prix d’excellence de meilleur maire du pays, pour ses actions en faveur du développement à Odienné (NordOuest), la commune dont elle maire depuis 2012, et ville natale de Nabintou Cissé, la mère du président Alassane Ouattara. Proche du couple présidentiel, elle est aussi la tante de Masséré Touré, la directrice de la communication de la Présidence. Mais cette proximité ne fait pas d’elle une privilégiée. Et son ascension tient plus du mérite que d’un parachutage. Cette mère de famille de trois enfants a une passion ancienne pour la politique : en 1996, Nassénéba participait ainsi à la campagne du… Parti démocrate pour la réélection de Bill Clinton ! Aux États-Unis ? Oui : nantie de diplômes en technologies de l’information et de la communication et d’un bachelor en business international, elle rejoint Comsat, un grand groupe de télécommunications basé sur la côte Est américaine avant d’intégrer la Banque mondiale à Washington. Après dix-huit ans outre-Atlantique, elle revient en Côte d’Ivoire en 2006 où elle travaille pour le groupe de téléphonie mobile Comium avant que le ministre des Nouvelles Technologies de l’information et de la communication de l’époque, Hamed Bakayoko, la nomme conseillère dans son département. Pugnace, elle s’est battue avec hargne pour être élue maire comme pour devenir vice-présidente de l’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire (Uvicoci). Et n’a pas hésité à recadrer Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), début octobre, en plein débat sur la nouvelle Constitution. Elle avait été active lors de la campagne présidentielle de 2015 afin qu’Alassane Ouattara soit le candidat unique du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la coalition au pouvoir. Quand Guillaume Soro est nommé Premier ministre de Laurent Gbagbo en 2007 après les accords de Ouagadougou, Nassénéba Touré devient conseillère à la Primature. Aujourd’hui encore, elle conseille Guillaume Soro au Parlement. B.M. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
85
À L’AFFICHE
SÉBASTIEN KADIO-MOROKRO Directeur général de Pétro Ivoire
« Si l’on passe bien le cap de 2020, l’émergence sera au rendez-vous ! » ◗ SIX ANS APRÈS AVOIR REPRIS la société familiale, Sébastien a pris ses marques. Mieux, il a consolidé l’affaire et l’a développée avec un réseau passé de 32 à 66 stations-service, et un objectif fixé à 80 dans les cinq prochaines années. Il a également modernisé son mode de fonctionnement et ses produits en s’orientant vers la diversification, ouvrant son capital à des fonds d’investissement… Résultat, Pétro Ivoire, qui a célébré ses vingt ans l’année dernière, est classée numéro 3 de la distribution d’essence sur le marché terre ivoirien (derrière Total et Shell), numéro 2 pour le gaz, et vient de lever 7,6 millions d’euros. Au même moment ou presque, Sébastien Kadio-Morokro était élu meilleur jeune chef d’entreprise de l’année à l’Africa CEO Awards, à 40 ans. Manière de reconnaître qu’entre ses mains, la société Pétro Ivoire est passée du statut d’entreprise familiale à celui de compagnie moderne et compétitive. Tout en gardant ses fondamentaux. « Notre cible est le marché terre, le carburant et le gaz à destination de la consommation locale, car c’est le marché où nous avons une expertise, une légitimité. » En effet, Sébastien, titulaire d’un master en économie de l’université de Paris-XII-Créteil, connaît parfaitement la maison : entré en 2005, il a successivement occupé les postes d’auditeur interne, chef des services techniques, directeur des opérations, et, finalement, directeur général en 2010. Au sujet de la Côte d’Ivoire, il faut « rester positif, affirme-t-il. Si la croissance est moins forte, c’est parce qu’elle a été exponentielle les premières années, à cause de l’effort de rattrapage nécessaire. Là, on revient à un rythme “normal”, mais qui reste envié par beaucoup de pays dans le monde ». Pour lui, le positionnement de la Côte d’Ivoire comme hub référentiel de l’Afrique de l’Ouest se confirme. « Tout chauvinisme mis à part, elle reste le hub naturel. Il ne peut y en avoir d’autres. Parce qu’au minimum, elle a les moyens de conserver cette avance, sinon d’aller plus loin. L’économie a déjà bien profité de ces dernières années de stabilité. On espère que le cap de 2020 sera passé dans les meilleures conditions, alors l’émergence sera au rendez-vous. » L.A. 86
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
KAMBOU SIA POUR AM
HORS -SÃ&#x2030;RIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
87
À L’AFFICHE
CHEICK CISSÉ
Champion olympique de taekwondo
« J’ai cru en mes rêves »
GREGORY BULL/AP/SIPA
◗ 19 AOÛT. La nation retient son souffle. L’un de ses fils, Cheick Cissé Sallah Junior, 22 ans, qualifié dans la catégorie des moins de 80 kg en taekwondo, participe aux Jeux olympiques de Rio (Brésil). Ce jour-là, il offre à la Côte d’Ivoire sa première médaille d’or olympique, après avoir battu le Britannique Lutalo Muhammad. Jusqu’alors, seul l’athlète Gabriel Tiacoh avait décroché une médaille, en argent, au 400 m des JO de Los Angeles (1984). L’enfant du quartier Dar Es-Salam de Bouaké avait déjà conquis l’or à Moscou à l’occasion du premier Grand Prix 2015 du World Taekwondo Federation (WTF), organisé dans la capitale russe. Le triple champion d’Afrique, vice-champion du monde universitaire, vice-champion du monde par équipes, héros national, mais également continental (seuls trois autres pays africains, le Kenya, l’Afrique du Sud et l’Éthiopie, ont rapporté l’or des Jeux de Rio) a été reçu par le président de la République, Alassane Ouattara, à son retour. Il a alors confié aux médias locaux ne devoir sa médaille qu’à luimême, « parti de rien pour devenir quelqu’un, parce que j’ai cru en mes rêves ». L.A.
88
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
LAUREEN KOUASSI-OLSSON Directrice d’investissements
NABIL ZORKOT POUR AM
« Afropolitaine et ivoirienne avant tout » ◗ NE VOUS FIEZ PAS À L’ALLURE fluette de cette jeune femme de 33 ans. Laureen Kouassi-Olsson est bien déterminée ! Une assurance acquise grâce à un parcours solide et sans fausse note, doublé d’une volonté farouche d’agir concrètement sur le destin de l’Afrique, et plus particulièrement de son pays natal. Après une scolarité à Abidjan, quand la ville était encore la vitrine du miracle ivoirien, la jeune femme part étudier en France. D’abord une école préparatoire à HEC, suivie de l’EM Lyon Business School. C’est à cette époque qu’elle trouve de l’intérêt aux finances. Un univers qu’elle a tout le loisir de découvrir et d’approfondir à Londres, où elle est recrutée avant même l’obtention de son diplôme. En 2006, elle rejoint la banque d’affaires Lehman Brothers, qui marque un tournant dans sa vie : « Ce que je suis aujourd’hui, je le dois à cette expérience. » Mais la chute est brutale. Avec la crise des subprimes, la maison ferme boutique en septembre 2008, et Laureen repart avec ses cartons sous le bras. Dès lors, la jeune femme prend conscience de ce qu’elle veut réellement : « Être un trait d’union entre l’Afrique et l’Europe » en mettant son expertise au service du continent. Encore faut-il le connaître… Elle part donc à sa découverte. « En 2008, l’Afrique était encore un point noir sur la mappemonde qui n’intéressait personne. » Un an plus tard, une rencontre lui permet d’intégrer Proparco, en tant que chargée d’affaires. « Je me suis retrouvée à défendre les intérêts de sociétés africaines auprès d’institutions européennes. Ma vocation ! » Elle rejoint alors le jeune fonds d’investissement Amethis Finance, comme directrice des investissements. À titre d’exemple, c’est elle qui installe à Abidjan Amethis West Africa, la première filiale de l’entreprise sur le continent. « Je me perçois comme un conseil financier, au-delà des sociétés, au profit des entrepreneurs », avance-t-elle. Afropolitaine dans l’âme, mais ivoirienne avant tout, elle croit plus que jamais au pari de l’émergence. « Même si cela reste un défi. Il ne faut pas oublier que le pays sort de dix années de guerre. Pendant ce temps, les écoles, comme les universités, n’ont pas fonctionné. Toute la jeunesse n’étant donc pas formée, on construit l’émergence sur des compétences importées. Ce qui est un problème. » Malgré tout, la jeune femme est catégorique : l’émergence reste possible. « Peut-être pas dès 2020, mais très probablement en 2025. » L.A. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
89
JACQUES KONAN ASSAHORÉ Directeur général du Trésor et de la comptabilité publique
Le sacerdoce de l’État ◗ JACQUES KONAN ASSAHORÉ, le nouveau directeur général du Trésor public depuis juin dernier, peut très certainement être considéré comme « the right man, at the right place ». Sa nomination intervenue suite à un appel à candidature fait de lui un homme de consensus. À 55 ans, Jacques Assahoré a fait toute sa carrière au Trésor public, où il compte plus de vingt-six ans de service. Il a gravi les échelons dans cette régie financière publique, au cœur de l’activité de l’État. Jacques Assahoré a concocté un plan 90
stratégique sur quatre axes dont le plus important est le renforcement de la déontologie, de l’éthique et surtout de la gouvernance. Objectif : imposer la transparence à une administration minée par des rumeurs de corruption des agents, qui réclameraient des « commissions » pour le règlement financier des factures des prestataires de l’État. Jacques Assahoré a engagé le combat en créant un numéro spécial destiné à enregistrer toutes les plaintes des usagers. Le nouveau directeur général planifie un programme de modernisation des outils du Trésor pour plus de performance dans la mobilisation des ressources de l’État. En janvier dernier, aux côtés d’Adama Koné, l’ex-directeur général devenu depuis ministre auprès du Premier ministre, chargé de l’Économie et des Finances, Jacques Assahoré avait participé avec succès à la levée de fonds des deux premiers Eurobonds de l’histoire de la Côte d’Ivoire. B.M. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
LAKOUN BEN
À L’AFFICHE
LOÏC DABLÉ Chef de cuisine et entrepreneur
La main à la pâte
ANNE EMMANUELLE THION
◗ RÉVÉLÉ AU GRAND PUBLIC par l’émission de télévision Star Chef, où il officie en tant que jury, Loïc Dablé était déjà considéré comme une étoile par ses pairs. Chef de cuisine et consultant en France et en Afrique, formé à l’École de Paris des métiers de la table, il met la main à la pâte dans plusieurs grands établissements : l’Apicius, le George V, le Meurice, entre autres… Il porte sa première toque de chef à La Timbale puis à Africasa en 2011. En 2015, le chef ouvre son propre restaurant, le Café Dapper Loïc Dablé au sein du musée Dapper (consacré aux arts d’Afrique et de ses diasporas) à Paris, rendant ses lettres de noblesse à une cuisine africaine reconsidérée ainsi comme un art. Inspiré par les terroirs d’Afrique, il innove, fait appel à des « techniques d’ailleurs ». « C’est une lecture plus ou moins contemporaine de la gastronomie africaine. Mettre en valeur des produits africains et occidentaux et créer une alchimie entre les deux, c’est vraiment l’idée de notre cuisine. » Ce qu’il fait à travers le groupe Loïc Dablé créé en 2013, proposant des expériences culinaires inédites (restauration, confitures afrofusion, consulting, événementiel, projets TV) et participant à l’émergence de concepts culinaires modernes en Afrique et ailleurs. Le 6 août dernier, il a reçu des mains du président Alassane Ouattara le prix d’excellence du meilleur Ivoirien de la diaspora. L.A. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
91
À L’AFFICHE
AKISSI DELTA Actrice, productrice, réalisatrice
Au cœur de la grande famille ◗ DANS LA SPHÈRE du cinéma francophone africain, si vous voulez parler de Delphine Akissi Loukou, mieux vaut utiliser son nom d’artiste, Akissi Delta, qui a largement pris le pas sur son état civil. Celle qui cumule les rôles d’actrice, productrice et réalisatrice, est sans conteste l’une des actrices préférées des Ivoiriennes. Son plus grand succès, le téléfilm satirique Ma famille, tourné entre 2002 et 2007, qui présente des scènes de la vie de famille au quotidien, a tant conquis le continent et la diaspora qu’on la retrouvera très bientôt sur le petit écran. Les journées d’Akissi Delta ne sont plus de tout repos avec le tournage des 161 nouveaux épisodes (de 26 minutes) de la suite de la série, renommée Ma grande famille. Un tournage qui durera un an. Cette fois-ci, pas de gymnastique avec les banques pour boucler le financement d’environ 1,5 million d’euros. La série se délocalise dans la sous-région ouest-africaine. Et Akissi Delta a confié des rôles à des acteurs locaux connus dans leur pays. Conscients du succès à venir, le gouvernement ivoirien et A+, la chaîne africaine du groupe français Canal+, ont participé généreusement au tour de table. Le téléfilm sera diffusé sur la chaîne publique RTI, sur A+ et sur plusieurs télévisions africaines. Sa carrière d’actrice, elle la doit à l’acteur et humoriste Léonard Groguhet, qui lui a offert un rôle dans Comment ça va ?, une émission satirique qui passait le samedi à la télévision nationale ivoirienne. Akissi Delta a également tourné pour les grands noms du cinéma ivoirien et africain, comme Henri Duparc ou Roger Gnoan M’Bala. Une autodidacte talentueuse habituée également des palais présidentiels africains où elle est régulièrement invitée. B.M.
92
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT POUR AM
HORS -SÃ&#x2030;RIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
93
CHRISTELLE VOUGO
Restauratrice et business woman
Le succès se construit chaque jour ◗ « L’ÉCOLE, CE N’ÉTAIT pas mon fort. Mais, petite, je disais à mes parents que, plus tard, je ferais du business. » Et elle a tenu parole. À 39 ans, Christelle Vougo, Abidjanaise de naissance, est à la tête de plusieurs affaires dans le domaine de la restauration. Peu douée pour les études ? Voire… Elle a ainsi été jusqu’à l’université avec des études de comptabilité aux États-Unis, et un diplôme en business administration décroché à la Georgia State University. « Je ne planifie pas les choses, je vis plutôt au jour le jour, souligne-t-elle. Après mes études, j’ai travaillé un peu aux États-Unis ». Un peu ? Elle va, entre autres, ouvrir un restaurant haut de gamme, The Avenue, apprécié de la clientèle « white ». Après avoir passé quatorze ans en Amérique du Nord, au hasard d’une rencontre avec un compatriote décidé à rentrer au pays, elle le suit pour monter une affaire avec lui. Nous sommes en 2010. La situation sociopolitique entrave ses projets. Finalement, elle ouvrira après la guerre son premier restaurant, le 94
Norima, dans lequel elle introduit les spécialités culinaires américaines. Pari réussi. Suivra le Saakan, où elle offre une carte de plats africains revisités, dans un cadre raffiné. Après cela, le Thaimaya, une expérimentation qui, elle, ne fonctionnera pas : la cuisine thaï-mexicaine proposée n’est pas au goût du jour à Abidjan et l’établissement ferme un an après son ouverture. Mais pour le dernier-né, le Mondial, ouvert il y a à peine trois mois, c’est un succès. « Ça marche bien, on est contents. » Entre-temps, elle diversifie son activité avec une autre enseigne, le Traiteur. « La cuisine c’est ma passion, c’est naturel chez moi. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi développer le business. » Ce qu’elle maîtrise également, manifestement. « Et ce n’est pas fini, on a encore beaucoup de projets ». « On », c’est elle et son mari et associé Frank Anet. Le duo travaille ensemble, elle à la cuisine, lui en salle. « Mais pour la conception et les finances, on gère ensemble. » Une affaire menée d’une main de chef. « Abidjan bouge. Dans la culture notamment. Il y a de plus en plus de jeunes qui se lancent dans la photographie, les métiers de la restauration, du pagne… Tout ce qui était dévalorisé autrefois se développe aujourd’hui. Beaucoup de choses qui n’existaient pas avant apparaissent. Alors, oui, on a perdu beaucoup de temps avec la guerre, mais aujourd’hui ça bouge. Moi, j’y crois ! » L.A. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT POUR AM
À L’AFFICHE
STANISLAS ZÉZÉ
PDG de Bloomfield Investment Corp.
NABIL ZORKOT POUR AM
« Il faut une société qui repose sur la méritocratie »
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
◗ EN QUELQUES ANNÉES, Stanislas Zézé a su s’imposer comme un expert reconnu dans la gestion des risques financiers et économiques, grâce à la création de Bloomfield Investment Corporation en 2007, la première agence de notation financière d’Afrique francophone. Titulaire d’un master en administration publique de l’université du Michigan, il s’est forgé au monde de la finance au poste de directeur du risque crédit à la National Bank of Detroit, avant de rejoindre la Banque mondiale à Washington puis la Banque africaine de développement (BAD) à Tunis en tant qu’analyste senior de risque crédit pays. De retour dans le privé, il entre chez Shell comme directeur régional du risque crédit pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, avant de créer Bloomfield. Après l’ouverture du siège à Abidjan, il ouvre une antenne à Douala, pose ainsi le pied en Afrique centrale, et depuis peu à Kigali, au Rwanda, en terre anglophone. La dimension panafricaine de l’agence est amorcée. « En Côte d’Ivoire, nous avons procédé à la notation financière de plusieurs structures, étatiques ou non : la Société ivoirienne de raffinage, le district d’Abidjan, la Compagnie ivoirienne d’électricité, la Simat, la Sodeci, les Ports autonomes de San Pedro et d’Abidjan, Pétro Ivoire, entre autres… Et sur le continent, Shelter Afrique au Kenya, Omnium au Mali, et d’autres structures en cours de notation au Sénégal, Burkina Faso, Bénin, Togo, Mauritanie, Niger et Ghana. » Et prochainement, la notation des pays de l’UEMOA. Stanislas Zézé n’hésite pas à « bousculer » les autorités ivoiriennes quant à la nécessité de réformer en profondeur le pays. « C’est une chose d’avoir le potentiel, mais il faut le transformer en opportunité réelle. Notamment par une réforme profonde de l’administration, qui est le socle du développement ! Pour atteindre l’émergence, il faut mettre en place une société qui repose sur les principes de la méritocratie. » L.A. 95
ISMAËL KONÉ Directeur général d’Africa Sourcing
« Le retour à des valeurs incarnant le mérite, le travail et l’intégrité » ◗ À TOUT JUSTE 40 ANS, Ismaël Koné est à la tête d’Africa Sourcing, qui emploie plus de 100 salariés et dont le chiffre d’affaires 2015 s’élève à 114 milliards de francs CFA. Passé par une école de commerce à Paris, où il s’est formé aux métiers du management, il débute sa carrière chez E&Y dans le conseil. Puis, après « un bref passage en banque », il rejoint la filière cacao. « Africa Sourcing est l’un des principaux négociants de fèves de cacao en Côte d’Ivoire. Nous préfinançons chaque année un réseau important de coopératives afin d’assurer l’acheminement du produit vers nos centres d’achat. Ces fèves sont vendues aux transformateurs, négociants et chocolatiers. » Le réseau de coopératives certifiées représente une capacité de plus de 100 000 tonnes. « Nous sommes également à la base de la création du Groupement des négociants ivoiriens (GNI), qui a permis de fédérer des exportateurs ivoiriens ayant une certaine expertise. Aujourd’hui, grâce à la vision stratégique de Loïc Folloroux [fondateur d’Africa Sourcing, NDLR], le GNI joue un rôle prépondérant dans 96
l’amélioration des conditions des exportateurs ivoiriens et participe aux débats sur le bon fonctionnement de la filière. » La société, qui étend son activité au négoce de café et d’anacardes, opère depuis cinq ans au Cameroun. L’agriculture, pour Ismaël, c’est l’eldorado. « Nous avons une terre riche encore sous-exploitée, et nous disposons d’une main-d’œuvre abondante. Il faut que les jeunes osent se lancer ! » Même si le secteur reste à structurer : « La réforme de la filière café-cacao en 2011, consistant à stabiliser les prix et garantir au moins 60 % du prix international aux producteurs, a permis d’améliorer leurs revenus et la qualité. Cependant, des dysfonctionnements existent. Des spéculateurs sont notamment venus intoxiquer la filière. » L’accès au financement, la question foncière, le manque d’infrastructures adaptées freinent le développement de l’agrobusiness, pourtant pilier de l’émergence visée par les autorités. « La Côte d’Ivoire est en pointe en Afrique de l’Ouest, mais la marge de progression pour atteindre l’objectif ambitieux de 75 % de transformation est importante. Certes, les choses vont dans le bon sens. Le gouvernement travaille à créer des conditions permettant à la Côte d’Ivoire d’être compétitive. L’émergence, j’y crois… Le défi passe par le renforcement de notre système éducatif, la formation des jeunes et le retour à des valeurs incarnant la réussite, le mérite, le travail et l’intégrité. » L.A. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
NABIL ZORKOT POUR AM
À L’AFFICHE
MORY DIANÉ PDG de la société Scanning Systems SA
NABIL ZORKOT POUR AM
Cap sur l’intégration ! ◗ « On a simplement identifié un problème et on l’a transformé en opportunité. » Mory Diané, PDG de Scanning Systems SA, a mis en place une solution qui fluidifie les échanges régionaux par l’installation de Postes de contrôles juxtaposés (PCJ) aux postes frontières de la zone UEMOA. « On a commencé la réflexion sur l’installation de scanners pour faciliter le travail de la douane et sécuriser les importations en Côte d’Ivoire dès 1998-1999. À cause des événements de cette période, nous nous sommes orientés vers la sous-région et avons fait le tour des frontières. » Lourdeurs administratives, manque de communication entre États, fraudes… Autant de facteurs qui gênent la circulation des biens et des personnes. « L’idée est simple : installer un espace qu’un pays hôte met à la disposition de l’UEMOA et où sont regroupées les administrations des deux pays frontaliers pour unifier les contrôles. » Simple, mais encore fallait-il la mettre en œuvre. Durant une décennie, Mory a échangé avec les autorités de la Cedeao puis de l’UEMOA avant de voir enfin son projet aboutir. Le premier PCJ a été installé en 2011, entre le Togo et le Burkina Faso, à Cinkansé, côté burkinabè. « Aujourd’hui, il sert de projet pilote pour la région. À lui seul, il a démultiplié l’activité de la zone avec une vraie économie locale, des banques, hôtels, stations-service… tout le monde y gagne. » Cinq sites similaires vont être implantés dans la région dans les prochains mois. Son entreprise a reçu des mains du président de la République le premier prix d’excellence pour la promotion de l’intégration régionale en août 2016. « Cela récompense le travail de toute une équipe malgré les difficultés, surmontées grâce à la volonté des autorités et des acteurs sous-régionaux, qui, même en restant en retrait, apprécient et encouragent les initiatives du secteur privé ivoirien. C’est aussi la preuve que le pays dispose d’atouts et qu’il ne faut pas toujours attendre l’intervention de l’État. Dans tous les domaines, les jeunes bougent, ils veulent s’approprier l’économie et c’est une bonne chose ! » ■ L.A. HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016
97
L’INSTANTANÉ…
Assinie, mars 2016 L’enfant est sorti du restaurant au bord de la plage en riant. La journée est magnifique, solaire. L’endroit est d’une beauté sauvage. Bouleversante. Face à l’océan. On pourrait marcher des kilomètres, de part et d’autre, presque seul, face au vent. Et pourtant, juste derrière se cachent les belles villas tournées vers la douceur de la lagune. Et nous ne sommes pas si loin d’Abidjan. À peine plus d’une heure… Zyad Limam 98
HORS -SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE
I
OCTOBRE 2016