AMB 19 Juin-Juillet 2017

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Afrique Méditerranée A M B LE MAGAZINE DES ÉCONOMIES ET DES ENTREPRISES ÉMERGENTES

MAROC

MOU OULAY LAY HAFID ELA ELALAMY AMY

L’AMBITIEUX Entrepreneur, fondateur du groupe Saham, super-ministre en charge de la stratégie industrielle, « MHE » est sur tous les fronts. Portrait. dubai À la recherche de sa réinvention

No 1 9

JUIN -JUILLET

2017

Tourisme Rêves, potentiels et réalités Sélection Capital-risqueurs,

un métier nécessaire demain Uber à Dakar et Abidjan? Une interview d’Alon Lits, directeur Afrique subsaharienne.

AGRICULTURE LE DÉFI DE LA TRANSFORMATION

ENTRETIEN

ABBAS JABER

(Advens-Geocoton) « L’avenir du monde se joue chez nous » France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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N° 19 JUIN-JUILLET 2017 M 04557 - 19 - F: 5,90 E - RD

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POUR COMMENCER par Zyad Limam

Au moment où ces lignes sont ESPOIRS ET écrites doit se tenir mi-juin en RÉALITÉS Allemagne une grande conférence « G20-Afrique ». Je ne sais pas, évidemment, ce qui ressortira de ces discussions entre les représentants des nations les plus riches du monde (description certes schématique compte tenu des inégalités frappantes dans la plupart de ces pays) et notre continent qui incarne à la fois une incroyable promesse, une pauvreté inquiétante et de stupéfiants défis. Et comme chacun le sait, entre les discours et l’action, il y a un gouffre. Il suffit de répertorier les multiples promesses faites lors des G7 et G20 précédents, les multiples COP, les accords multilatéraux, les fonds X et Y, qui n’ont pas abouti à grand-chose en termes de cash réel… Disons pour simplifier que l’Afrique, son développement, sa stabilité, sa croissance deviennent réellement un enjeu planétaire. Pas forcément à cause de son potentiel, mais surtout à cause du risque global qu’elle représente : démographie, dommages écologiques, faiblesses des structures d’État, manque d’opportunités, émigrations, développement des trafics et de la violence, recrutement de terroristes… On remercie nos puissants de s’inquiéter pour nous (et pour eux). Mais cette réunion est aussi l’occasion de rappeler l’essentiel : l’Afrique a et aura besoin de ses amis et partenaires sincères, et moins sincères, pour accélérer son développement. Et elle aura surtout besoin d’elle-même. De sa capacité à accentuer les principes de bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre la corruption. De sa capacité à mobiliser sa jeunesse pour l’éduquer, la former, en faire une formidable force de travail et de changement. De sa capacité à fédérer ses propres ressources, ses fonds, son capital. De sa capacité aussi à monter de bons projets, « bankable » comme disent nos amis anglo-saxons. Nous avons besoin du monde, de nous y insérer. Mais nous avons surtout besoin de nous-mêmes.

RETOUR D’ABIDJAN

Quelques jours passés à Abidjan début mai. Sous des pluies impressionnantes. Et dans un contexte difficile marqué par les mutineries d’une partie de l’armée et une détérioration macroéconomique liée à la chute des cours du cacao (voir notre article page 86). Pourtant, comme à son habitude, la « capitale économique » (bien que tout le pouvoir politique s’y trouve toujours) bouillonne d’activités. L’optimisme,

la foi en l’avenir demeurent, partagés aussi par les investisseurs internationaux qui ne lâchent pas le pays. Politiquement, la situation est tendue, la perspective des élections de 2020 aiguise les ambitions des uns et des autres. Et la trésorerie de l’État est affaiblie. Mais beaucoup d’observateurs critiques ont la mémoire courte. En 2011, le pays sortait d’une quasi-guerre civile, d’une crise postélectorale. Et de presque deux décennies de management économique à l’aveuglette. Ce qui a été fait en six ans par Alassane Ouattara et ses équipes, en termes de remise en ordre, de stabilisation, de relance, d’infrastructures, d’investissement, est tout de même essentiel. Des bases ont été construites. Et une politique volontariste mise en place. La crise du cacao est venue à point nommé, d’une certaine manière, pour rappeler l’impérieuse nécessité de se libérer de la dictature de la rente. Que l’objectif pour la Côte d’Ivoire, c’est aussi de diversifier rapidement son économie. Les opportunités sont là, nombreuses : agro-industrie, alimentaire, services, énergie, transports, tourisme, commerce… L’émergence se joue au quotidien sur ce terrain-là, celui de l’entreprise et des initiatives.

RETOUR DE DUBAÏ Court séjour à Dubaï également, à quelques jours du début du ramadan et entre les tours qui continuent de grimper (voir nos articles pages 44-49). Ceux qui me lisent régulièrement connaissent mon intérêt pour cet émirat non pétrolier qui a su se créer un destin, un « brand » à l’ampleur planétaire, et valoriser des arpents de déserts pour en faire un immense marché immobilier. Tout en s’évertuant à maintenir un équilibre presque impossible entre tradition et modernité. S’imposer, se maintenir comme une ville globale suppose d’adopter les « critères » que les autres cités mondiales cherchent à respecter. La démocratie n’en fait pas forcément partie. En revanche, un droit des affaires transparent et efficace, certainement. Une justice commerciale indépendante aux normes internationales également. Un écosystème pour attirer les meilleurs cerveaux, les talents, avec une perspective d’installation à moyen terme aussi. La liberté des idées s’impose, surtout si l’on veut développer une économie du savoir. Bref, la modernisation permanente, l’adaptation au changement font partie des « critères ». Ce sont même les plus importants… ❐

JUIN-JUILLET 2017

Afrique Méditerranée Business

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Afrique Méditerranée N° 19 / JUIN-JUILLET 2017

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Afrique Méditerranée

par Zyad Limam

A M B LE MAGAZINE DES ÉCONOMIES ET DES ENTREPRISES ÉMERGENTES

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MAROC

MOULAY OU ELAL LAMY HAFID ELA Entrepreneur, fondateur du groupe Saham, super-ministre en charge de la stratégie industrielle, « MHE » est sur tous les fronts. Portrait.

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dubai À la recherche de sa réinvention

Tri bune

par Hakim Ben Hammouda

Tourisme Rêves, potentiels et réalités Sélection Capital-risqueurs,

un métier nécessaire

demain Uber à Dakar et Abidjan? Une interview d’Alon Lits, directeur Afrique subsaharienne.

AGRICULTURE LE DÉFI DE LA TRANSFORMATION

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ENTRETIEN

ABBAS JABER

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

PERSPECTIVES

De quoi garder le moral !

L’AMBITIEUX

(Advens-Geocoton) « L’avenir du monde se joue chez nous »

Pou r com menc er

N° 19 JUIN-JUILLET 2017 M 04557 - 19 - F: 5,90 E - RD

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50 Alon Lits

« Un jour, Uber sera présent à Dakar et Abidjan ! » 56 Émergence

Moulay Hafid Elalamy

62 Port r ait

abbas jaber

« L’avenir du monde se joue en Afrique » 32

Dubaï à la recherche de sa réinvention

RENCONTRES & REPORTAGES L’ambitieux Portrait du fondateur de Saham et ministre de l’Industrie du Maroc.

PHOTO DE COUVERTURE : ARLETA CHOJNACKA/CIT’IMAGES ANTOINE DOYEN POUR AMB

44 Stratégie

Une dat e, une hist oi r e

7 février 2002 : fin de vol pour Air Afrique 34

Tourisme Les rêves et la réalité

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Le r endez-vous

Emmanuelle Pontié rencontre Alain Taïeb

Colombie, fragile renaissance Vera Songwe

66 Parol e d’e xpert

par Laurent Morel

73 Parol e d’e xpert

par Ibrahim Assane Mayaki

74 BUSINESS REPORT

agriculture Transformer, enfin ? 80 Interview Pierre-André Térisse Directeur général Afrique de Danone 84 La main bien visible du marché

p. 44

ANTOINE DOYEN POUR AMB - KAMRAN JEBREILI/AP/SIPA

p. 26

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Afrique Méditerranée Business

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Afrique Méditerranée TRIMESTRIEL FONDÉ EN 2013 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 fax : (33) 1 53 84 41 93 info@ambusinessmagazine.com RÉDACTION DIRECTEUR GÉNÉRAL, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

Zyad Limam zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

Emmanuelle Pontié epontie@afriquemagazine.com RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE

Estelle Maussion emaussion@afriquemagazine.com DIRECTRICE ARTISTIQUE Isabella Meomartini

imeomartini@afriquemagazine.com

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SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

Éléonore Quesnel sr@afriquemagazine.com

Cacao : la Côte d’Ivoire sous pression Tunisie : objectif bio Interview Jean-Claude Ratsimivony Fondateur d’Homéopharmaa Maroc : place à l’agroalimentaire tair ta iree

PHOTO Amanda Rougier arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Akram Akra Belkaïd, Hakim Ben Hammouda, Sylvie A. Briand, Sabine Cessou, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Marie-Ève Detœuf, Alexia Eychenne, Liza Fabbian, M Sébastien Farcis, Alexis Gau, Alexis Hache, Kouza Kienou, Séba Cécilia Lédy, Ibrahim Assane Mayaki, Laurent Morel, Cé Luisa Nannipieri, Emeka Onyabo, Sarah Tétaud, Julien Wagner et Marion Zipfel.

LA SÉLECTION

Créateurs de capital Leur métier : investir dans les entreprises, accélérer leur développement. nt.. nt 102

APRÈS L’HEURE

108

FRANCE Destination Media 66 rue des Cévennes 75015 Paris Tél. : (33) 1 56 82 12 00

Lectur es

Ne laissons pas coloniser l’avenir ! 105

VENTES EXPORT Arnaud Desperbasque tél. : (33) 5 59 22 35 75

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18-20, avenue Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson tél. : (33) 1 40 94 22 22 – fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

05 p. 105 Après p l’heure

Découvrir, partir, voyager, prendre le temps de vivre

départ New Delhi, en quête de modernité vivre Zimbabwe : un parc où tutoyer les éléphants S voyager Air Arabia Maroc en force Dépenser Du style et de la technologie l e

Œuvre architecturale architecturale et lieu de pèlerinage, pèlerinage, Lotus, lee Temple T Temp du Lot us, auu ssud de la cap ccapitale itale t le indi indienne indienne. ndienne.

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31, rue Poussin – 75016 Paris té tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 GÉRANT ZYAD LIMAM

DÉPART RT

NEW DELHI,, EN QUÊTE UÊTE DE MODERNITÉ

SHUTTERSTOCK

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i elle était un animal, la mégapole indienne de 18,5 millions d’habitants itants serait un chat, qui a déjà ressuscité à sept reprises. Ou un n phénix qui renaît chaque fois des cendres laissées par envahisseurs. seurs. Car, depuis les premières traces de construction

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SVEN TORFINN/PANOS/REA - DR - SHUTTERSTOCK

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les urbaine au Xe siècle, les différents conquérants turcs ou moghols ont successivement ment cherché à imposer leur contrôle sur une cité, carrefour du sous-continent en bordure du fleuve Yamuna. Jusqu’aux Britanniques, es, qui, délaissant Calcutta, ont fait de Delhi, rebaptisée « New Delhii », la capitale de leur empire entre 1911 et l’indépendance de l’Inde, en 1947. Aujourd’hui, cet héritage métissé est omniprésent, ce quii confère à New Delhi une atmosphère de Belle Époque. Pourtant, depuis epuis une dizaine d’années, la capitale indienne se Q Q Q

DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE EMMANUELLE PONTIÉ DIREC

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CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT

VIVRE VI VIV IV IIVR VR RE EU Un n parc pa pa par arc rc où ù tu tut ttutoyer utoyer utoy u utoye ut uto toye toyer ttoy to oyer o yer ye err le les éléphants éléphan éléphant éléph él élép élé élépha é lé épha é phan pha ph p hant ants les VOYAGER VOY V OY OYA OY YA AG AGER GER R Les es sa salons salon alons business bus b u us usiness siiness siness ssin ness se rrefont effo ef efont ont un une ne n e be beauté beau auté DÉPENSER DÉPENSE D ÉPENSER ÉPENSER ER R Du style sty et de la tec ttechnologie echnologie hnolo hnologie hnolog ologie ol g

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Affrrique Afri Afrique Afriqu A i ue Méditerranée Méditerran Méditerra Médi Médit Méd M diterranée errr é Business iness n ss nes s

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ELISABETH REMY

AMB, Afrique Méditerranée Business, est un magazine bimestriel édité par

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AMB19Après l'heure.indd 105

31, rue Poussin, 75016 Paris Président-directeur général et directeur de la publication

Mo t s et Tendanc es

Transition, dévaluation et vues par Akram Belkaïd

ZYAD LIMAM

Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0718 K 91909 Dépôt légal : juin 2017.

p. p 112 2 p. 112

ANNONCEURS Un encart INVESTIR de 4 pages sur la Côte d’Ivoire est inséré entre les pages 13 et 16. Un encart amb promotion de 6 pages sur le Cameroun est inséré entre les pages 67 et 72.

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La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Méditerranée Business est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Méditerranée Business 2017.

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PERSPECTIVES

CROISSANCE

De quoi garder le moral !

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classique. Les pays avancés (Amérique du Nord, Europe occidentale et Japon) resteront confinés autour des 2 % de croissance tandis que les pays émergents, Asie en tête, formeront le peloton de tête avec un taux moyen de 4,1 %. La Chine (6,2 %) et l’Inde (7,3 %) seront, une nouvelle fois, les locomotives de l’activité mondiale. Mais il faut savoir raison garder. Pour Catherine Mann, économiste en chef à l’OCDE, cette « reprise est modeste et demeure encore fragile ». D’autres économistes vont plus loin et affirment qu’il ne faut pas se leurrer sur le potentiel de croissance mondiale, ce dernier étant pour eux désormais limité. De fait, si l’on compare dans le temps l’évolution du PIB par habitant dans n’importe quelle aire géographique, on se rend compte que le

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4,6 %

La hausse du commerce mondial prévue cette année, presque le double de l’an passé.

SHUTTERSTOCK

C’EST TOUJOURS BON À PRENDRE. Toutes les grandes institutions internationales sont d’accord pour estimer que la croissance mondiale sera à la hausse en 2017 et que les perspectives sont tout aussi bonnes pour 2018. Selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le produit intérieur brut (PIB) global progressera de 3,5 % cette année (3 % en 2018). Un peu plus prudente, la Banque mondiale table quant à elle sur un gain de 2,7 % en 2017 et de 2,4 % l’année prochaine. Enfin, le Fonds monétaire international (FMI) est lui aussi confiant pour l’exercice en cours (+3,5 % de croissance prévue en 2017), une confiance que le grand argentier n’avait pas exprimée de manière aussi appuyée depuis 2013. Dans le détail, la structure de la création de richesses demeure


dynamisme observé sur la période 1987-2007 (autrement dit entre l’éveil de la Chine et la crise des subprimes) s’est beaucoup tassé sur la dernière décennie (2008-2017). En clair, la croissance est toujours là mais elle semble avoir atteint un étiage. Pour autant, les fondamentaux demeurent solides et c’est ce qui conforte l’optimisme ambiant. Malgré les risques protectionnistes, le taux du commerce mondial repart à la hausse (+4,6 % prévus en 2017 contre 2,4 % en 2016). Les taux d’intérêt demeurent bas même si la Réserve fédérale américaine (Fed) se prépare à les relever tandis que les prix du pétrole sont dans la « bonne fourchette », autrement dit entre 55 et 60 dollars, soit des niveaux suffisamment élevés pour bénéficier aux pays producteurs mais à des niveaux qui ne pénalisent pas (trop) les consommateurs. Enfin, les politiques monétaires accommodantes menées par les grandes banques centrales au cours des dernières années ont créé d’importantes masses de liquidités qui ne demandent qu’à être investies. Comme le rappelait le FMI dans un rapport fin 2016, les pays en développement ont une carte à jouer pour attirer ces fonds. Tous ces éléments constituent une bonne nouvelle. D’abord, le dynamisme de la Chine et de l’Inde va soutenir les marchés de matières premières, notamment ceux des métaux (dont les cours devraient augmenter de 10 % d’ici à la fin de l’année). Ensuite, la persistance de taux d’intérêt bas est une condition importante pour la reprise des investissements directs étrangers (IDE), dont le ralentissement ces trois dernières années (+7 % en 2010 contre seulement +1 % en 2016) a pénalisé la croissance en Afrique subsaharienne. Néanmoins, concernant le continent, le message des grandes institutions internationales demeure inchangé : oui, le potentiel d’essor est immense comparé aux niveaux de saturation ou de stagnation dans d’autres zones. Oui, l’Afrique est certainement l’eldorado économique de demain. Mais, répètent en chœur FMI, Banque mondiale et consorts, attention au risque politique et aux États qui ne jouent pas leur rôle en matière de politique de développement des infrastructures. ❐ Akram Belkaïd

LES MOTS

« Les Nigérians, les Camerounais ou les Somaliens ne passent pas beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont ils se ressaisissent après chaque nouvelle crise, ils passent simplement à l’action. La résilience est l’une des grandes forces de l’Afrique et un atout qu’elle pourrait transmettre au monde. »

« En Afrique, le problème ne vient pas du rendement des projets, qui est aussi élevé que dans le reste du monde, mais des risques qui leur sont liés. » ALBERT G. ZEUFACK, ÉCONOMISTE EN CHEF DE LA BANQUE MONDIALE POUR LE CONTINENT

MARIE LORA-MUNGAI, PDG DE LA SOCIÉTÉ DE PRODUCTION RESTLESS GLOBAL

« L’Inde sera toujours avec l’Afrique, côte à côte, dans la longue et difficile course vers un avenir meilleur. »

« Si l’ANC veut conserver sa domination dans la société, il est absolument impératif d’agir vite et fort pour faire en sorte que nous ne devenions jamais un État-mafia. »

NARENDRA MODI, PREMIER MINISTRE INDIEN

CYRIL RAMAPHOSA, VICE-PRÉSIDENT SUD-AFRICAIN

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PERSPECTIVES

Karim El Aynaoui

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OCP POLICY CENTER

« Donner un coup de collier dans les infrastructures » Ancien économiste à la Banque mondiale et ex-directeur des études et des relations internationales de la Banque centrale du Maroc, il préconise un « big push » en matière d’investissements pour faire véritablement décoller le continent.

AMB : Ne connaît-on pas depuis longtemps les leviers du développement sur lesquels vous planchez ? Karim El Aynaoui : Le diable se trouve souvent

en favorisant l’intégration en aval et en amont de nombreuses industries.

Les grands groupes européens ont-ils intérêt à voir ces chaînes de valeur locales les concurrencer ? Oui, les projets sont « win-win », avec des rendements importants pour tout le monde ! Il faut dépenser un peu de capital politique et de capital temps au départ… Malheureusement les Européens ont été jusqu’alors préoccupés par des difficultés d’ordre interne. Cela est largement lié à des réformes profondes des institutions financières internationales, dont il faut faire évoluer les mandats. La capacité des pays doit aussi être renforcée. Il s’agit de former les décideurs à dialoguer avec les marchés financiers. Si un mécanisme garantit le retour sur investissement, il n’y a aucune raison pour que celui-ci ne se fasse pas.

«la rentabilité dans les détails ! L’important, à mon sens, tient est positive à l’investissement dans les infrastructures, un pour le capital domaine très capitalistique dans lequel il est international possible de faire des partenariats public-privé et des moyens (PPP). Des bailleurs de fonds peuvent apporter financiers le bien public de départ avec les études de projet, existent avec puis le secteur privé peut prendre le relais et l’excès d’épargne investir dans le cadre de PPP, en mobilisant dans certains les sources de financement disponibles dans le pays du Nord.» monde – notamment auprès des fonds de retraite des pays du Nord – car les rendements sont tout simplement intéressants. Le second point d’entrée porte sur l’agriculture, qui occupe l’essentiel de la force de travail en Afrique. Les infrastructures et l’agriculture sont connexes et permettent de créer des marchés efficients. Faut-il un plan Marshall pour l’Afrique ? Ce nom a une dimension symbolique, mais le « big push » que je préconise relève du même type d’effort. Il pourrait créer les dynamiques vertueuses pour tout le monde et enclencher, un processus de développement accéléré

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L’échec des politiques de développement ne tient-il pas à la faiblesse des États ? La faiblesse des moyens joue aussi. Pour les pays les moins avancés, la marge budgétaire est minime. Il faut un redéploiement massif des ressources financières vers l’Afrique, qui représente, avec les efforts requis pour la transition climatique, un investissement rentable pour tout le monde ! Le fait est connu : la rentabilité sur le continent est posititive pour le capital international. Par ailleurs, la question se pose de la réforme du rôle des institutions financières internationales et des bailleurs de fonds… Elles doivent sans doute s’impliquer plus en jouant un rôle de catalyseur pour diminuer les risques. Les financements sont disponibles, avec l’excès d’épargne dans certains pays du Nord. Des fonds souverains

DR

F

ondé en 2014 avec le soutien de la fondation OCP, l’OCP Policy Center, think tank marocain basé à Rabat, a déjà produit plus de 200 publications. Géré de manière autonome, il a constitué une équipe de 25 employés, dont 50 % de femmes, et de 39 chercheurs associés, qui comptent de grands noms de l’économie africaine, tels que Vera Songwe (voir portrait p. 62), la nouvelle secrétaire exécutive de la Commission des Nations unies pour l’économie de l’Afrique (CEA). Ces « senior fellows » sont surtout marocains et issus du continent africain, mais aussi brésiliens, français et américains. Cette plateforme d’expertise se veut ouverte sur le monde et tournée vers des idées concrètes.


pourraient très bien investir davantage en Afrique. Prenez par exemple une route à péage ! C’est un projet tout à fait rentable. L’Afrique est une source de croissance pour l’Europe, certes. Encore faut-il s’organiser pour en tirer profit…

LES CHIFFRES

Faut-il venir à bout du modèle extraverti des économies africaines ? C’est en train de changer, avec l’essor de la demande intérieure sur ces marchés. Un bon point de départ consiste à disposer d’un approvisionnement fiable en électricité. J’ai travaillé en 2003 et 2004 sur la stratégie de croissance de l’Éthiopie, où les conditions agricoles et climatiques sont idéales pour l’horticulture, avec d’importants écarts de température favorables aux fleurs. Mais rien ne peut se passer sans routes pour acheminer les fleurs coupées vers l’aéroport, qui doit à son tour être équipé de chambres froides ! Aucun acteur privé ne peut fournir ces biens publics. Ils feraient exploser ses coûts de production ! Les stratégies pour passer du statut de PMA à celui de PRI ne sont pas très compliquées : il faut investir dans les infrastructures susceptibles de débloquer de la valeur ajoutée. La Chine l’a fait, avec un exode rural immense. En Europe, le processus est plus lointain, puisqu’il remonte aux années 1950 et 1960. Les gens l’ont oublié. Lorsque je me rends dans un pays à bas revenu, je comprends tout à fait les angoisses du « policy maker », car j’ai bientôt 50 ans et je me souviens du Maroc sans autoroute.

Quid des questions de gouvernance, qui font entrave au développement ? Celles-ci relèvent d’un processus endogène. Quand vous avez un petit gâteau à vous partager, tout le monde se bat pour avoir sa part. La question consiste à savoir comment se développer, avec une gouvernance donnée – qui a toujours un caractère endogène et évolutif. Le tout est de trouver les bons points d’entrée. En Côte d’Ivoire, tout n’est pas parfait, mais quel chemin parcouru depuis la fin des hostilités ! Au Ghana, des progrès incroyables ont été faits ces vingt dernières années. Les choses ne sont pas séparées : on ne peut pas se dire qu’on va faire de la bonne gouvernance, et que tout le reste va suivre.

DT WORLD

L’afro-optimisme de ces dernières années est-il mis à mal par la mauvaise conjoncture ? Cette question n’est pas centrale. L’important, à mon sens, c’est que le narratif sur l’Afrique échoie aux Africains. Nous avons sans doute besoin de plus de voix africaines et les think tanks ont leur rôle à jouer. Un investisseur examine des données concrètes, même si le récit ou l’impression générale dégagée par un pays ou une région comptent dans la perception que l’on se fait de la prise de risque. Les pionniers, de ce point de vue, ont un rôle très important à jouer. Lorsque le groupe Renault décide de s’installer à Tanger, par exemple, il ouvre une brèche. D’autres constructeurs automobiles suivent le mouvement désormais… ❐ Propos recueillis par Sabine Cessou

Transporter 15 000 conteneurs par an. Tel est l’objectif du nouveau port djiboutien de Doraleh, inauguré fin mai. L’infrastructure, qui a coûté 590 millions de dollars, a été en grande partie financée par la Chine. C’est le premier pas pour faire de la cité-État la porte d’entrée de l’Afrique de l’Est.

milliard de dollars 1,3 C’est ce que coûte chaque année la pêche illégale à l’Afrique de l’Ouest, selon l’Africa Progress Panel.

50

11 %

millions d’euros

Le montant d’Orange Digital Ventures, fonds de capital-risque consacré aux start-up lancé par l’opérateur de télécom français. Il sera géré en partenariat avec Partech Ventures et le tunisien AfricInvest.

1,2

Le résultat net part groupe du marocain MILLIARD Attijariwafa DE DIRHAMS Bank au 1er trimestre, en hausse de 6,7 % sur un an. Le produit net a lui aussi progressé (+4,6 %), à 5 milliards de dirhams. Des indicateurs au vert malgré la crise des matières premières.

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EN 2015 La part du secteur manufacturier dans le produit intérieur brut (PIB) africain. Un résultat en diminution ces dernières années, malgré la forte croissance généralisée. Le pourcentage se montait à 17 % en 1990.

1 million de barils par jour Les exportations d’or noir des États-Unis, qui ont doublé en un an. Ce qui va de pair avec la hausse de la production, qui devrait bientôt dépasser les 10 milliards de barils par jour, à l’inverse de la réduction pratiquée par l’Opep.

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PERSPECTIVES

MOZAMBIQUE

ENI FAIT LE GRAND SAUT

Plate-forme du groupe en Angola.

TNT

ABIDJAN CHANGE DE STRATÉGIE

Le gouvernement ivoirien reprend la main sur le passage à la télévision numérique terrestre (TNT), une mission jusqu’ici confiée à un Comité national de migration. Ce dernier avait lancé un appel d’offres afin de sélectionner l’opérateur devant déployer le réseau via un partenariat public-privé (voir AMB n° 18). Mais il n’y a eu qu’un seul préqualifié, Startimes, ce qui rend impossible une réelle compétition. L’exécutif a donc décidé de créer la Société nationale de diffusion, entreprise publique qui sera chargée de mettre en place le réseau. Coût estimé : 25 milliards de francs CFA (35 millions d’euros). 10

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BUZZ

LA FIÈVRE BITCOIN LANCÉE IL Y A HUIT ANS, la monnaie virtuelle qui s’appuie sur la technologie dite du « blockchain » a le vent en poupe. Son cours a dépassé la barre des 2 200 euros début juin (+300 % sur un an), soit près de deux fois le prix de l’once d’or. Le continent n’échappe pas au phénomène Bitcoin. En janvier, la plateforme de paiement en monnaie digitale BitPesa a levé 2,5 millions de dollars auprès d’investisseurs comme Digital Currency Group ou Blockchain Capital pour renforcer ses activités. L’année dernière, les SudAfricains d’Absa Bank annonçaient leur alliance avec le consortium R3CEV afin de développer l’usage des crypto-monnaies. La Blockchain Africa Conference 2017 s’est aussi tenue à Johannesburg en mars dernier. En Ouganda, une réglementation sur les monnaies virtuelles serait à l’étude, tandis que le Sénégal a annoncé son intention d’émettre sa propre monnaie numérique nationale. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) réfléchirait même à créer une monnaie cryptographique. Alors, bientôt un « eCFA » ? En attendant, gare au risque d’emballement et aux tentations spéculatives. ❐ Julien Wagner

FLICKR ENI - DR

La major italienne y travaillait depuis 2010, après la découverte d’immenses réserves gazières au nord du pays. Début juin, elle a lancé son méga projet de production de gaz naturel liquéfié, un investissement colossal de 8 milliards de dollars. Objectif : exploiter les 460 milliards de mètres cubes de gaz du champ offshore Coral Sud dans le bassin du Rovuma. Prévendue au britannique BP, la production, qui doit démarrer en 2022, est destinée aux marchés asiatiques. Et Maputo de se rêver en Qatar africain.


INDE

FUTUR ELDORADO DE L’ECOMMERCE LES CHIFFRES PARLENT D’EUXMÊMES. Sur 1,3 milliard d’Indiens, on compte environ 462 millions d’internautes dont moins de 10 % (environ 40 millions de personnes) font leurs courses en ligne. Une proportion qui devrait exploser ces prochaines années sous l’effet d’une croissance soutenue (plus de 7 % pour cette année), de l’essor des classes moyennes et de l’augmentation du taux d’équipement en téléphone portable. Dans les trois ans, le pays devrait gagner pas moins de 300 millions Centre de distribution du leader indien du secteur à Bangalore dans le sud du pays. d’internautes supplémentaires, estime le cabinet McKinsey. Et le marché de d’eBay India en même temps d’une un volume de ventes de 3,2 milliards l’e-commerce, évalué à 18 milliards de augmentation de capital record, la plus de dollars et quelque 5 milliards de dollars par la Bank of importante jamais réalisée dollars investis l’an dernier. De l’autre, America Merrill Lynch, par une start-up indienne, le chinois Alibaba, e-commerçant fondé pourrait peser dix fois d’un montant d’1,4 milliard par Jack Ma en 1999, actionnaire à plus d’ici à 2025. Ces de dollars, mobilisés auprès hauteur de 36 % de Paytm, plateforme milliards prévisions alléchantes d’investisseurs prestigieux, de paiement électronique qui cartonne de dollars provoquent une bataille le chinois Tencent et les et qu’il voudrait transformer en site le montant des féroce entre les géants du ventes réalisées américains Microsoft et eBay. de vente en ligne… C’est donc à qui secteur. L’actuel leader Depuis, il lorgne aussi son aura les reins les plus solides car, pour par Flipkart Flipkart, fondé en 2007 à compatriote Snapdeal, en l’heure, ni Flipkart, ni Amazon, ni en 2016 Bangalore et qui a affiché perte de vitesse. Face à lui, Snapdeal n’ont atteint la rentabilité. 4 milliards de dollars de ventes l’an la concurrence est rude. D’un côté, À eux trois, ils ont enregistré près de passé, enchaîne les rachats et les levées l’américain Amazon, qui a rattrapé son 92 milliards de roupies de pertes nettes de fonds pour conserver ses positions. retard dans le sous-continent, talonne l’an passé, soit environ 1,3 milliard En avril, il a annoncé sa reprise désormais le champion national avec d’euros. ❐ J. W.

KAINAZ AMARIA/THE NEW YORK TIMES/REDUX/REA SHUTTERSTOCK

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AGENDA 28 JUIN-1ER JUILLET 2017, KIGALI, RWANDA :

24e Assemblée générale annuelle d’Afreximbank. 14-16 SEPTEMBRE, KINSHASA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO :

3e édition du forum d’affaires Sultani Makutano. 24-27 OCTOBRE 2017, CASABLANCA, MAROC : 9e édition de Pollutec Maroc, salon des équipements, technologies et des services pour tous les secteurs de l’environnement. 23-27 OCTOBRE, LE CAP, AFRIQUE DU SUD : Africa Oil Week 2017, conférence internationale sur le pétrole et le gaz. 29-30 NOVEMBRE, ABIDJAN, CÔTE D’IVOIRE : 5e sommet UE-Afrique. FIN NOVEMBRE, NAIROBI, KENYA : Sommet sur les start-up organisé par le Medef. JUIN-JUILLET 2017

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PERSPECTIVES

LA COURSE AU 1er SMARTPHONE AFRICAIN ONYX CONNECT, une start-up sud-africaine installée à Johannesburg a commencé, en juin, à produire en série des smartphones commercialisés dans le pays 30 dollars pièce (environ 27 euros). Et l’entreprise d’annoncer fièrement qu’il s’agit du « premier smartphone africain ». Une déclaration au goût de déjà-vu. En 2011, le Congolais Vérone Mankou créait sa société VMK et lançait Elikia, un appareil conçu à Brazzaville, assemblé en Chine puis rapatrié au Congo pour être vendu sur place au prix de 130 euros. La même année, le chinois Huawei et le kényan Safaricom s’alliaient pour produire un smartphone Android pour le continent affiché à 90 euros. Ensuite, en 2015, un autre sud-africain, Mint Electronics, lançait à son tour une gamme de smartphones. Depuis, l’algérien Condor (gamme Allure et Plume) ou le marocain Accent (gamme Xeon, Speed et Pearl) se sont aussi targués de proposer le seul smartphone fabriqué en

Afrique. Évidemment, tout dépend de ce que l’on met derrière le mot « fabriquer ». Condor, par exemple, importe des composants de Chine et les assemble en Algérie. Accent, lui, choisit le design avec ses partenaires chinois, importe le téléphone tout fait et y ajoute des applications conçues pour le marché local. L’an dernier, quelque 215 millions de téléphones portables ont été importés, majoritairement d’Asie, pour approvisionner le marché africain. Une rude concurrence pour les acteurs locaux qui promettent pourtant tous de développer la production sur place. L’enjeu est double : répondre à la demande croissante de smartphones – leur nombre devrait atteindre 350 millions cette année selon le cabinet Deloitte – et se positionner entre les produits haut de gamme importés d’Occident et ceux à bas coûts venus d’Asie. Pas évident sur un marché en pleine mutation. En à peine un an, le prix moyen d’un smartphone en Afrique est passé de 60 à 40 euros. ❐ J. W.

Le continent comptera 350 millions de mobiles en service en 2017.

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L’avionneur a transporté 26 millions de personnes l’an passé.

AÉRIEN

LES COMPAGNIES DU GOLFE DANS LA TOURMENTE ATTENTION, zone de fortes turbulences. En mai, le leader mondial du long-courrier Emirates, qui a transporté 56,1 millions de passagers l’an passé, a dévoilé des bénéfices nets en baisse de 82 %. Sa plus mauvaise performance depuis ans dix ans, conséquence d’un contexte défavorable : chute des cours du pétrole qui ralentit l’activité économique ; dégradation de la situation sécuritaire dans la région ; interdiction d’entrée aux États-Unis de ressortissants de certains pays arabes. Rien ne va plus non plus pour Etihad Airways (19 millions de passagers transportés en 2016), dont le PDG James Hogan a été La baisse des bénéfices nets remercié après une suite de mauvais résultats : faillite d’émirates d’Alitalia, dont l’avionneur en 2016, son pire résultat d’Abu Dhabi est l’actionnaire majoritaire et pertes records en dix ans pour Air Berlin, détenue à hauteur de 30 %. Des revers qui font craindre pour la survie même du transporteur émirati fondé en 2003. Quant à Qatar Airways (26 millions de passagers en 2016), elle subit de plein fouet les conséquences de la rupture diplomatique entre Doha et ses voisins, l’Arabie saoudite, les Émirats, Bahreïn et l’Égypte. Résultat : interdiction de survol de l’espace aérien saoudien, limitation pour celui du Bahreïn, ce qui a provoqué l’annulation et le déroutage de nombreux vols. À ces difficultés conjoncturelles, s’ajoute une autre évolution, de fond : l’essoufflement du modèle qui a fait le succès des avionneurs de la région, érigés en « super-connecteurs » de gros-porteurs, dont le plus célèbre, l’A380. Avec l’apparition d’appareils plus modestes mais restant rentables sur de longues distances (Boeing 787 et Airbus A350), d’autres hubs secondaires pourraient bien émerger… ❐ J. W.

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SHUTTERSTOCK - JULIEN HERZOG

I N N OVAT I O N


investir in nv D IVOIRE

© NABIL ZORKOT

en COTE

Résolument tournée vers l’avenir Malgré une conjoncture adverse, le pays maintient le cap des réformes et les projets d’investissements structurants. L’objectif de l’émergence économique mobilise la volonté de tous les acteurs publics et privés.


investir en COTE D IVOIRE Matières premières & infrastructures

Soutenir la croissance

Le nouveau siège de l’Icco à Abidjan.

M

aintenir la trajectoire de croissance et être réactif face aux aléas économiques mondiaux : en ce premier semestre 2017, le président de la République, Alassane Ouattara, a réagi et surtout agi, notamment lors de la baisse importante du prix du cours du cacao. Il s’est accordé avec son homologue ghanéen, Nana Akufo-Addo, pour avoir plus de poids dans ce domaine. La Côte d’Ivoire et le Ghana ont signé, le 13 avril 2017, les Accords d’Abidjan, qui visent à mieux contrôler le prix producteur. Un partenariat stratégique longtemps attendu entre ces États voisins qui assurent les deux tiers de la production mondiale. Comme pour confirmer une nouvelle ère dans l’économie cacaoyère, l’Organisation internationale du cacao (Icco) a quitté Londres, où elle était basée depuis 1973, pour s’installer à Abidjan. Une bonne chose pour le vice-président ivoirien, Daniel Kablan Duncan, qui a déclaré lors de l’inauguration du siège : « La Côte d’Ivoire est convaincue que la présence de l’Icco à Abidjan permettra de mieux appréhender les questions liées au secteur et de favoriser une meilleure intervention auprès des producteurs. »

FAVORISER LA CIRCULATION DES MARCHANDISES L’extension du port de San Pedro, le deuxième du pays, lui aussi très lié au cacao, va accompagner cette politique. Afin de favoriser la circulation des marchandises et leur écoulement dans la sous-région, un partenariat public-privé a été conclu avec la société Mediterranean Shipping Company (MSC). L’objectif est de construire un nouveau terminal à conteneurs pour en faire un hub de transbordement. Cette plate-forme pourra traiter plus d’un million de conteneurs en provenance d’Asie et d’Europe. Le tout pour un investissement conséquent de 328 milliards de FCFA, qui inclut l’aménagement routier de l’axe San Pedro-Bamako. MSC a ainsi misé sur la capacité du port à devenir la « voie naturelle pour le Burkina Faso et le Mali ». San Pedro devrait également bénéficier d’une route nationale pour la relier à Abidjan. 5 mai 2017 : Alassane Ouattara accueille son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo à Abidjan.

© THIERRY GOUEGNON/REUTERS

© LUC GNAGO/REUTERS

LE PORT DE SAN PEDRO S’INSCRIT AUSSI DANS UNE STRATÉGIE GLOBALE DE PROMOTION DE LA FILIÈRE CACAO.


Résolument tournée vers l’avenir

La lagune Ébrié.

80€ 567€ MILLIONS MILLIONS pour la construction d’un 4e pont

pour des travaux d’assainissement

De l’én nergiie à re eve endre e

© NABIL ZORKOT

Performances économiques, croissance forte, amélioration du climat des affaires… le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, avait de bons arguments à faire valoir à ses interlocuteurs lors de son roadshow, début juin, pour l’émission d’un nouvel eurobond d’environ 1 milliard de dollars. En quête d’appuis financiers, il s’est rendu à Londres et à New York pour convaincre les investisseurs. Dans ce contexte, la Côte d’Ivoire peut afficher la confiance renouvelée d’organismes internationaux majeurs. La Banque mondiale a ainsi apporté son soutien au développement stratégique de villes secondaires. La BAD s’est aussi engagée sur la somme de 567 millions d’euros pour la construction d’un quatrième pont à Abidjan, qui enjambera la lagune Ébrié. La Banque islamique de développement (BID) a, elle, investi 80 millions d’euros pour des travaux d’assainissement et de drainage des eaux pluviales dans la capitale.

C’est un chantier indispensable, l’un des grands défis du continent que relève la Côte d’Ivoire : l’électricité pour tous. Le programme est lancé : Le barrage faciliter le transport et l’accès à de Soubré. l’électricité, nécessaire autant pour la croissance économique que pour la réduction de la pauvreté. Pour le réaliser, la Banque mondiale a prêté près de 325 millions de dollars. Il s’agit en effet de raccorder 1 million de foyers d’ici cinq ans ! Le compteur de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) en affiche déjà 209 510. Mais les défis ne s’arrêtent pas là. L’ambition est que le pays soit, à terme, une plate-forme de « dispatching » de l’électricité dans la sous-région. Le barrage de Soubré, le plus grand du pays, fer de lance de cette stratégie, apportera une capacité supplémentaire de 275 mégawatts de puissance cumulée. Débutée en 2013, la construction de cet équipement est le coût du barrage tant attendu aura coûté 504 millions d’euros. Il devrait être inauguré dans les semaines à venir. de Soubré

504€ MILLIONS © NABIL ZORKOT

© SEIBOU TRAORÉ POUR AM

© NABIL ZORKOT

LA CONFIANCE DES INVESTISSEURS

Raccorder 1 million de foyers d’ici 5 ans.


investir en COTE D IVOIRE Formation

Jeunes qualifiés, emplois à la clé

CAP SUR LESMÉTIERS DE L’ÉNERGIE Dans cette volonté de travailler main dans la main avec le secteur privé, le ministère de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Formation professionnelle a inauguré, fin mars 2017, avec Schneider Electric, le premier centre de formation aux métiers de l’énergie. Une autre manière de concilier formation et insertion professionnelle.

À l’université d’Abidjan.

© NABIL ZORKOT

À l’École polytechnique de Yamoussoukro.

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ui dit croissance économique soutenue, dit main-d’œuvre adaptée et qualifiée. C’est avec cet impératif que le gouvernement a adopté, fin 2016, le plan stratégique de réforme de la formation professionnelle, qui a cherché à impliquer fortement les différentes branches professionnelles. Le secrétaire d’État chargé de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, Mamadou Touré, a ainsi rencontré les principaux acteurs du système : la chambre de commerce et d’industrie, le Mouvement des petites et moyennes entreprises (MPME), la Chambre nationale des métiers de Côte d’Ivoire (CNMCI), la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), l’Agence française de développement (AFD) et bien d’autres. Cette réforme est très attendue par les chefs d’entreprise, comme l’a souligné Jean-Marie Ackah, nouveau président de la CGECI : « La question de la formation professionnelle est un enjeu important pour le secteur privé car la qualité des ressources humaines est un facteur clé de succès dans la performance de nos entreprises. » Le but est l’emploi des jeunes, notamment ceux qui décrochent du système scolaire – ils seraient près de 400 000 chaque année.

© NABIL ZORKOT

LE MARCHÉ DU TRAVAIL DEMANDE DES PROFILS DIVERSIFIÉS ET SURTOUT PRÉPARÉS.


TRIBUNE par HAKIM BEN HAMMOUDA

UNE HIRONDELLE ANNONCETELLE LE PRINTEMPS ?

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

C

hristine Lagarde ne pouvait pas cacher sa joie lors des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale en avril dernier. Pour la première fois depuis 2014, l’institution qu’elle dirige révisait à la hausse ses prévisions de croissance pour l’économie mondiale, passées à 3,5 % pour 2017 et à 3,6 % pour 2018 alors qu’elles n’étaient que de 3,1 % pour l’année 2016. Une déclaration optimiste qui laissait entrevoir une possible sortie de l’actuelle ère de croissance molle. Cette éclaircie dans le ciel assombri depuis la grande crise des années 2008 s’explique par un facteur principal : le maintien de l’activité dans trois grands pôles internationaux, à savoir les ÉtatsUnis, l’Europe et les pays émergents. Ainsi, l’essor américain reprend de la vigueur et devrait se situer autour de 2,3 % cette année, dopé par le plan de relance, notamment dans le domaine des infrastructures, promis par le président Donald Trump. Sur le plan européen, le Brexit, qui était au centre d’une grande inquiétude après le vote britannique, a finalement eu des effets limités. La Grande-Bretagne et la zone euro vont même améliorer leurs performances cette année avec des prévisions de 2 % et de 1,7 % respectivement. Les pays émergents ne sont pas non plus en reste avec une estimation autour de 4,5 %. L’Inde devrait détenir le record avec 7,2 % et la Chine, même si le temps de la croissance à deux chiffres est révolu,

promesse d’importantes baisses d’impôts annoncées par le candidat Trump lors de sa campagne électorale. S’il était tenu, son engagement pourrait Économiste, ancien entraîner un déficit budgétaire ministre tunisien des conséquent et se traduire par une Finances (2014-2015) hausse des taux d’intérêt chez l’Oncle et auteur de l’ouvrage Sam. La troisième difficulté est liée à la Chroniques d’un ministre montée du protectionnisme prôné par de transition (Cérès Éditions, décembre 2016). nombre de forces politiques populistes, hakimbenhammouda. particulièrement par la nouvelle typepad.com administration américaine, et qui pourrait se transformer en une guerre commerciale. Quatrième écueil, la devrait se maintenir à un niveau élevé, question des inégalités continue à estimé à 6,6 %. Des bons scores qui peser sur l’essor des activités au niveau gomment les difficultés des autres international, en freinant la BRICS, dont le Brésil qui peine à sortir consommation et donc la demande. du marasme politico-économique Enfin, un dernier constat doit inciter à (1,1 %) et la Russie qui subit encore les la prudence : l’Afrique et le monde conséquences des niveaux bas des arabe ne tirent que partiellement profit cours du pétrole (1,4 %). Le tout dans du regain de santé global. Si un contexte de timide la première se remet relèvement des prix des doucement d’une mauvaise produits des matières la croissance année 2016 avec une premières dont on attend prévision passant de 1,4 % à qu’il relance la demande des moyenne estimée des pays 2,6 %, la région arabe pays importateurs. émergents pour enregistre, elle, le plus Mais, l’hirondelle du cette année. retour de la croissance L’Inde, avec 7,2 %, mauvais résultat au niveau mondial avec une chute des suffit-elle à annoncer le devrait détenir prévisions de 3,9 % à 2,6 % printemps de l’économie ? Il le record, entre 2016 et 2017. convient d’apporter une et la Chine, se réponse très mesurée, tant maintenir à 6,6 %. Conclusion : la rupture avec la croissance molle exige, les risques et les défis qui plus que jamais, la définition d’un existent sont considérables. La contrat de développement global, première et plus évidente ombre au inclusif et durable répondant à la rage tableau concerne la modestie de la et au désespoir qui sont en train de reprise, encore loin des rythmes nourrir l’extrémisme et la violence à d’avant crise. La deuxième provient des travers la planète. ❐ États-Unis avec un risque fiscal lié à la

4,5 %

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En avril 2015 à Marrakech, lors de la cérémonie du 20e anniversaire de la création de l’Organisation mondiale du commerce.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Maroc Reconduit ministre

FADEL SENNA/AFP

de l’Industrie en avril dernier, il reste à la tête de Saham, leader de l’assurance qui a conquis le continent. Patron, homme d’affaires, membre du gouvernement, « MHE » est sur tous les fronts, mêlant politique et business sans état d’âme.

L’ambitieux Moulay Hafid Elalamy par Julie Chaudier, à Casablanca

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RENCONTRES & REPORTAGES

E

n cette fin d’après-midi du 4 juillet 2016, il a réuni les journalistes pour leur présenter son bilan. Quand il arrive enfin dans la salle de réception du Four Seasons de Casablanca, le ministre de l’Industrie rayonne. Les Assises du secteur, promises depuis des mois, viennent d’avoir lieu à guichets fermés, en plein ramadan, devant le roi lui-même. Moulay Hafid Elalamy (MHE) lui a présenté ses réalisations et ses projets. Mohammed VI lui a renouvelé sa confiance. L’heure du ftour (repas du soir rompant le jeûne) approche, mais le ministre, soulagé et heureux, va prendre tout son temps pour profiter de cet instant. Il savoure son triomphe. Aussi, quand neuf mois plus tard, il apprend qu’il est maintenu au poste de ministre de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Économie numérique dans le nouveau gouvernement El Othmani, il n’est pas vraiment surpris. Nommé pour la première fois en 2013, il conserve donc son portefeuille, la confiance du roi et la main sur l’un des plus importants groupes du pays. Saham pesait en 2016 plus de 11 milliards de dirhams de chiffre d’affaires (près d’un milliard d’euros) à travers 103 filiales dans 27 pays, pour la plupart africains. L’assistance téléphonique, l’assurance, la distribution, mais aussi plus récemment l’immobilier, la santé et l’éducation, Moulay Hafid (dont le service de communication n’a pas souhaité s’exprimer pour cet article), ne se fixe aucune limite. Avec un patrimoine de 620 millions de dollars, il est la 8e fortune du pays, selon Forbes. Trop de pouvoir entre les mains d’une seule personne ? Toujours est-il que, depuis plus de vingt ans, il promène son élégant complet bleu roi et son regard d’acier sur l’économie marocaine. Alors, comment celui qui quittait en 1999 la holding royale Omnium nord-africain (ONA) avec le surnom peu amène de « Bernard Tapie marocain » est-il devenu l’homme providentiel de l’émergence industrielle du Royaume ? Né au cœur de la médina de Marrakech dans une famille de la petite bourgeoisie, Moulay Hafid n’avait rien d’un nanti. Pour le fils du responsable de l’agence bancaire locale scolarisé à l’école française, tout est possible, certes, mais rien n’est certain. Quand tous les enfants de bonne famille vont étudier en France, il part s’inscrire en sciences informatiques

620 millions

de dollars, le montant de son patrimoine en 2015

Maroc

à l’université de Sherbrooke, au Québec. Là, il fait ses classes, lance une start-up qui fait long feu, conseille le ministère des Finances québécois pour informatiser sa chaîne papier. Il rencontre aussi celle qui deviendra son épouse, Amina Diouiri, avec laquelle il aura deux enfants dans les années 1990, M’hamed et Anissa. En 1981, le jeune homme intègre une première petite société d’assurance – Saint Maurice – puis devient vice-président d’une seconde, Solidarité-Unique. Pendant huit ans, le jeune Marocain va ainsi apprendre le métier, qui fera plus tard sa fortune, avant d’attirer l’attention de Robert Assaraf, directeur général de l’ONA, la holding du roi. Il lui offre de diriger l’une de ses filiales : la Compagnie africaine des assurances (CAA). Moulay Hafid Elalamy revient au Maroc en 1989. Il a à peine 30 ans. Cette première ascension est cruciale. À l’ONA, il côtoie la jeune Ghita Lahlou, qui lui restera fidèle durant toute sa carrière. Pour le moment, Moulay Hafid Elalamy travaille à se rendre indispensable. Il y parvient si bien qu’il est nommé secrétaire général de l’ONA (soit numéro 2 du groupe) en 1994. Pourtant, au même moment, celui qui lui a fait confiance, Robert Assaraf, est remplacé par le Français Gilles Denisty à la tête de la holding. Contrarié, dit-on, Moulay Hafid Elalamy quitte rapidement l’ONA. Cadeau d’adieu ou prise de guerre, il rachète, en 1996, 35 % du capital du cabinet de courtage Agma, filiale de la holding royale valorisée à 56,8 millions de dirhams (environ 5,3 millions d’euros). Pour boucler l’opération, Moulay Hafid Elalamy mise ses 700 000 dirhams de stock-options (64 000 euros) et emprunte plus de 19 millions de dirhams (1,7 million d’euros). Il convainc même Othman Benjelloun, qui vient de racheter la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE), d’acquérir 30 % du capital d’Agma à ses côtés. Cette acquisition entre dans le giron de Saham, qui a été créé un an plus tôt et s’apparente encore à une coquille vide. Nul ne se doute alors qu’il deviendra la maison mère de toutes les affaires de Moulay Hafid Elalamy, la clé de son empire. Le financier marocain entre donc à la direction d’Agma, dont il devient administrateur délégué, aux côtés de son frère Mohamed Elalamy, de onze ans son aîné, nommé directeur général, et sous la houlette de Fouad Filali, PDG de l’ONA et gendre d’Hassan II, qui en garde la présidence. L’entrée en Bourse d’Agma en octobre 1998 est un succès exceptionnel : le cours de l’action explose. La joie du nouveau golden boy Elalamy sera cepen-

11 milliards

de dirhams, le chiffre d’affaires de Saham en 2016

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L’ambitieux Moulay Hafid Elalamy

Moulay Hafid Elalamy (à droite) lors du lancement de la « Cité Mohammed VI Tanger Tech », en mars, par le roi et Li Biao, président du groupe chinois Haite, promoteur du projet.

FADEL SENNA/AFP

dant de courte durée car, dans son désir de récupérer rapidement sa mise, il va provoquer un scandale. En mars 1999, il revend en effet les 30 % du capital d’Agma pour 138 millions de dirhams (12,6 millions d’euros) à la CDG, filiale de l’ONA, celle-là même qui lui avait vendu les parts, à peine trois ans plus tôt, pour moins de 20 millions de dirhams (1,8 million d’euros). Les critiques se déchaînent contre Fouad Filali, dont le mariage avec Lalla Meryem, la fille d’Hassan II, bat de l’aile, et Elalamy hérite alors du surnom de « Bernard Tapie marocain ». Deux mois plus tard, Filali est même débarqué de l’ONA, qu’il venait de rejoindre à nouveau pour contrer l’ascension fulgurante et menaçante d’Othman Benjelloun. ACQUISITIONS ET INVESTISSEMENTS TOUS AZIMUTS Au même moment, Mohammed VI monte sur le trône. Un grand renouvellement des élites s’opère et Moulay Hafid Elalamy, assis sur sa toute nouvelle fortune mais en disgrâce, va se faire discret. Quelques années plus tard, il commentera cet épisode dans une interview au Temps : « À l’époque, il régnait un complexe, une sorte de tabou autour de l’argent, plus spécifiquement autour du fait d’en gagner autant. » Il dira même, dans une interview à La Vie éco, définitivement provocateur : « Je peux comprendre que cela puisse faire grincer les dents des gens qui n’ont pas pu bénéficier de la création de valeur qu’Agma a générée. Moi-même, j’ai peut-être vendu trop tôt, puisque le cours actuel [en janvier 2006, NDLR] est de plus de 3 050 dirhams alors que j’ai vendu à 1 050 dirhams. » Ce joli pactole va en tout cas lui permettre, entouré de Ghita Lahlou et de son frère Mohamed, de mener des acquisitions et des investissements tous azimuts. Il rachète Cap’Info et Orsys, sociétés

de services informatiques, prend le contrôle de ISAAF, lance deux projets immobiliers à Agadir et El Jadida, crée Bigdil, une chaîne de magasins d’accessoires de mode, ouvre les franchises Best Mountain et Sergent Major… Tous ne seront pas des succès : Cap’Info, par exemple, ne décollera jamais. Parmi toutes ces entreprises, l’une d’elles va cependant faire la différence : Phone Assistance, lancée en 2000. À l’époque, la délocalisation massive des services d’assistance téléphonique français ouvre de grandes opportunités au Maroc. Elalamy saisit l’occasion – c’est sa spécialité – et, quatre ans plus tard, revend 60 % de son capital à Arvato, filiale de Bertelsmann, tout en conservant la direction de la société. « Ce n’est ni haram ni honteux d’acheter pour revendre dans l’optique d’une plusvalue. Un investisseur qui se respecte n’intervient que s’il a des perspectives de gain. Il y a un proverbe, bien marocain, qui dit : “Ce qui ne se vend ni ne s’achète est illicite” », soulignet-il en 2002 dans une interview à La Vie éco. Avec un chiffre d’affaires de 549,18 millions de dirhams (50,2 millions d’euros) et 1 282 salariés en 2004, le groupe Saham n’a pourtant pas encore atteint sa taille critique. Il faudra attendre un an plus tard et la prise de contrôle de CNIA Assurance (ex-Compagnie nord-africaine et intercontinentale d’assurance) pour voir Moulay Hafid Elalamy entrer dans la cour des grands. Son groupe s’adjoint un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dirhams et devient alors le quatrième opérateur d’assurance du royaume. « La CNIA entre les mains du loup », titre alors Le Quotidien du Maroc. MHE devient quelqu’un qui compte. Son nom commence à courir sur toutes les lèvres au sein du patronat. La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) est

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RENCONTRES & REPORTAGES en pleine crise. Son président Hassan Chami s’attaque à tout le monde. Il dénonce pêle-mêle un gouvernement impuissant à cause de décisions prises « ailleurs », des patrons rentiers et l’interventionnisme de l’État dans l’économie. La Fédération des PME/PMI quitte même l’organisation parce que ses nouveaux statuts accordent plus de voix aux grandes entreprises. Dans ce contexte, MHE pourrait-il devenir le prochain président de la CGEM ? « Il y a beaucoup d’excitation à ce sujet. Je crois avoir été clair. Je n’ai pas d’ambition personnelle à me présenter à la présidence de la CGEM », déclare-t-il dans une interview à La Vie éco en janvier 2006. Quelques mois plus tard, en véritable homme providentiel, il prend pourtant la tête de la Confédération. « Il a beaucoup été sollicité par ses confrères, la CGEM était en difficulté et perdait en crédibilité. Moulay Hafid Elalamy est venu en réformateur », se souvient Hammad Kessal, l’un de ses vice-présidents. Le

DES AMBITIONS ET DES REVERS

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ous les investissements de MHE n’ont pas été couronnés de succès. En novembre 2015, Saham a ainsi revendu ses parts dans le groupe ivoirien de sente HMAO, qui compte huit cliniques et polyclinique à Abidjan. « Nous avons été un peu trop ambitieux. Nous avons surestimé nos capacités et ressources, face à l’ampleur du projet d’investissement et d’intégration des établissements acquis », reconnaîtra Saâd Bendidi, directeur général délégué du groupe, un mois plus tard. En décembre de la même année, Saham Finances continue la restructuration de ses activités continentales et cède 80 % de ses filiales immobilières en Côte d’Ivoire, BATIM-CI et SATC. Même dans son cœur de métier, le leader marocain de l’assurance connaît des difficultés : sa filiale Saham Angola Seguros doit faire face à une crise, conséquence de l’effondrement des prix du pétrole. En janvier 2016, Raymond Farhat, DG de Saham Finances, a d’ailleurs annoncé : « Le gros des acquisitions est derrière nous. » Saham veut réinvestir le Maroc et l’Afrique du Nord dans deux secteurs sociaux : l’éducation et la sente. Dès 2011, la holding s’était lancée dans le domaine médical avec le rachat de l’usine pharmaceutique de GlaxoSmithKline Maroc. Aujourd’hui, elle possède quatre cliniques privées Evya au Maroc et une cinquième en Égypte. En 2015, le groupe a aussi créé Sana Éducation et s’est lancé dans la construction de deux écoles en association avec le fonds d’investissement Tana Africa. Implantée au Maroc et en Égypte, la filiale entend atteindre une capacité de 100 000 élèves d’ici dix ans. Là encore, il faudra passer des promesses aux actes. ❐ J.C.

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Maroc nouveau patron des patrons va donner une assise financière nouvelle à la Confédération, lancer grâce à ses fonds plusieurs études et publier un livre blanc des revendications patronales. Avec Moulay Hafid, « il fallait avoir la capacité de suivre le rythme, il allait très vite », se souvient son vice-président. « Il savait aussi déléguer et disait : “Si quelqu’un peut faire quelque chose mieux que moi, laisse-le faire”, mais seulement “jusqu’à preuve du contraire”. Si quelqu’un n’était pas à la hauteur, il savait le lui dire aussi. » Le nouveau président mène alors de front le redressement de la CGEM et le développement de Saham. En 2007, il rachète même, à la surprise générale, la société publique d’assurance Es Saada, au bord de la faillite. Les équipes de Saham vont la remettre en selle pour la fusionner en 2009 avec la CNIA. Au même moment, Moulay Hafid Elalamy termine son mandat à la CGEM. À son crédit, la baisse de l’impôt sur les sociétés de 35 à 30 %, et de l’impôt sur le revenu de 44 à 40 %, décrochée auprès de Salaheddine Mezouar, alors ministre de l’Économie et des Finances. Durant ces trois ans, des liens se sont créés entre les deux hommes, qui se révéleront quelques années plus tard. Pour l’heure, Moulay Hafid a les mains libres pour lancer sa première opération extérieure : le rachat de la société ivoirienne d’assurance Colina (dirigée alors par l’homme d’affaires libanais Michel Pharaon) en novembre 2010, au nez et à la barbe d’Othman Benjelloun, désormais première fortune privée du Maroc. En un seul investissement, Saham s’implante dans 17 pays d’Afrique de l’Ouest et gagne un chiffre d’affaires de 10,5 milliards de dirhams (960 millions d’euros). L’ancien directeur général de Colina, Raymond Farhat, devenu DG de Saham Finances, va mener l’expansion du groupe en Afrique. Congo, Angola, Kenya, Liban, Maurice… Durant les années qui suivent, Saham s’implante sur tout le continent. Sa stratégie : créer une chaîne de valeur dans chaque pays et un réseau africain au niveau global. Rien ne semble pouvoir arrêter la frénésie d’acquisitions de MHE, pas même sa nomination comme ministre de l’Industrie, le 10 octobre 2013. OCCUPER L’ESPACE MÉDIATIQUE Comme pour la présidence de la CGEM, il va commencer par nier son intérêt pour le poste… avant de l’accepter. À l’époque, les islamistes, parvenus au pouvoir en 2011, sont en difficulté et doivent recomposer leur majorité. L’opération tourne à l’avantage du Rassemblement national des indépendants (RNI) dirigé par Salaheddine Mezouar, qui propose le nom de Moulay Hafid Elalamy au portefeuille de l’Industrie. En dépit de plans nationaux successifs, ce secteur ne représente alors que 13,7 % du PIB, laminé par les concurrences chinoise et européenne. Charismatique, homme d’affaires à succès, MHE apparaît encore une fois comme le sauveur, l’homme qui saura redresser la barre. Parfaitement à l’aise avec l’exercice public depuis son passage à la CGEM, il va hisser le poste à sa hauteur. Si certains ministres comptent leurs conférences de presse sur les doigts d’une main, lui multiplie les apparitions. Avec son charme et son regard azur, il occupe la scène


L’ambitieux Moulay Hafid Elalamy médiatique. Il est partout, tout le temps. Fier, hyperactif, voire égocentrique, bien des reproches peuvent lui être adressés, mais pas celui d’être resté les bras croisés. Il passe la première année de son mandat à revoir le plan national pour l’émergence industrielle avec l’aide de ses équipes et, fait exceptionnel, sans recourir aux cabinets de conseil étrangers. Puis, il lance le sien autour d’un concept, les écosystèmes, et avec une obsession : compléter la chaîne de valeur pour renforcer l’intégration de l’industrie marocaine. En d’autres termes, le Royaume ne doit plus seulement faire de l’assemblage mais être capable de fabriquer chaque pièce d’une voiture Renault ou d’un avion Bombardier. Les quelques entreprises nationales du secteur ont du mal à suivre ? Qu’à cela ne tienne, le ministre enchaîne les voyages à l’étranger pour séduire les investisseurs japonais, coréens, chinois, américains… « Il a su adapter le ministère, ses équipes connaissent vraiment le secteur de l’industrie. Il est frappant de constater que l’on n’est plus dans une relation où les industriels sollicitent le ministère. Au contraire, parfois, c’est lui qui nous challenge. Il nous demande : “Pourquoi vous ne fabriquez pas cela au Maroc” ? », raconte Christophe Delqué, directeur de Ratier Figeac Maroc, filiale locale de l’industriel français. Pendant ce temps, le groupe Saham poursuit son développement sur le continent par une série d’acquisitions. Depuis novembre 2013, c’est Saâd Bendidi, ex-protégé d’Othman Benjelloun et ex-PDG de l’ONA, qui assure la direction générale, MHE restant président. Malgré le retrait de ce dernier de la gestion courante de Saham, le secteur de l’assurance et une partie de la société civile grincent des dents, pointant le risque permanent de conflits d’intérêts. En janvier 2016, la signature d’une convention entre Saham et le ministère de l’Agriculture, dirigé par un autre ministre tout-puissant, Aziz Akhannouch, provoque une polémique : elle prévoit la commercialisation par le groupe privé d’une assurance multirisque agricole, dont les primes seraient massivement subventionnées par l’État. Tous les assureurs peuvent nouer le même partenariat avec l’État, insiste le ministère de l’Agriculture. Il n’en reste pas moins que Saham est le premier

opérateur privé à en bénéficier. Devant le tollé provoqué et pour faire taire les critiques, Mehdi Tazi, alors directeur général de Saham Assurance Maroc, annonce qu’il gèle l’application de la convention. L’affaire n’entache pourtant pas la carrière politique du ministre Elalamy. Passé les élections d’octobre 2016 et la douloureuse formation du gouvernement, il repart sur les chapeaux de roue. Il milite pour un rapprochement actif avec l’Asie et surtout avec Pékin. Pour lui, il faut absolument récupérer une partie des emplois industriels qui sont en train d’être détruits en Chine du fait de l’évolution de son économie. Et s’assurer que le Maroc soit aux premières loges des relocalisations à venir. Moins d’un mois après la formation du nouveau conseil gouvernemental, MHE participe à la signature, devant le roi, d’une convention pour la réalisation d’une cité industrielle chinoise à Tanger : 200 entreprises mobilisées, 10 milliards de dollars d’investissement (914 millions d’euros), 100 000 emplois directs promis en dix ans ! Aucun chiffre n’est jamais trop grand, et tant pis si la « Cité Mohammed-VI Tanger Tech » ne recouvre pour l’instant qu’une très vague réalité. Derrière les déclarations tonitruantes, dont le ministre s’est fait une spécialité, l’état de l’industrie est beaucoup plus mitigé. Sa part dans le PIB est bien passée de 13,7 % à 15,9 % entre 2013 et 2015. Et les exportations du secteur automobile ont bondi si fortement qu’elles Moulay M’hamed ont dépassé en 2014, pour la preElalamy, le fils mière fois de l’histoire du Maroc de MHE, directeur moderne, les exportations de phosgénéral de Saham Assurance Maroc. phates. Pourtant, le nombre d’emplois industriels, loin d’augmenter, s’est réduit de 17 000 entre 2013 et 2015. Ce bilan, en demi-teinte, est très largement masqué par les effets d’annonce du ministre, ses promesses et son dynamisme. Aussi, MHE, dont l’action a été consacrée par le roi, poursuit-il son mandat en toute confiance.

100 000 emplois en 10 ans, promis avec la cité industrielle de Tanger

13, 7 % la part de

DR

l’industrie dans le produit intérieur brut marocain

TOUJOURS À LA MANŒUVRE Reste que quelque chose a changé. Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture depuis 2007 et nouveau président du RNI, a gagné son bras de fer contre Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, arrivé en tête aux dernières législatives. Il apparaît comme le vrai patron de la coalition gouvernementale et le nouvel homme fort de la scène politique marocaine. Or, lui et Moulay Hafid Elalamy se ressemblent beaucoup. Appartenant à la même génération et nés en dehors

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RENCONTRES & REPORTAGES de la noblesse fassie qui compose généralement les rangs de l’élite depuis l’indépendance, ce sont deux hommes d’affaires à la tête de groupes majeurs, membres du RNI et soutenus personnellement par le roi. Une différence de taille cependant : Aziz Akhannouch a l’amitié de Mohammed VI et dix ans de vie politique derrière lui, contre seulement trois pour Moulay Hafid Elalamy. L’impétueux ministre de l’Industrie acceptera-til pour autant de rester dans l’ombre d’un homme aussi discret que lui est lumineux ? Reviendra-t-il sagement au succès de ses affaires après la fin de sa mission ministérielle ? Au sein de Saham, Moulay Hafid Elalamy, 57 ans, est toujours à la manœuvre. Dès 2013, il avait réussi à attirer au capital de son groupe, à hauteur de 13 %, la société d’investissement française Wendel. En décembre dernier, il a cédé 16,6 % des parts de sa principale filiale Saham Assistance (Saham Assurance et Phone Group) au groupe d’assurance sud-africain Sanlam pour la somme exorbitante de 329 millions de dirhams (30 millions

Maroc d’euros). Sanlam, entré au capital fin 2015 à hauteur de 30 %, détient donc aujourd’hui 46,6 % du groupe marocain. L’objectif est simple : alimenter son groupe en cash, créer un actionnariat global et faire de Saham un acteur incontournable de l’assurance en Afrique et peut-être à terme sur d’autres marchés émergents. Moulay Hafid Elalamy l’a dit à plusieurs reprises par le passé dans des interviews : acheter, redresser, développer et revendre, c’est ce qu’il aime faire. Un mode de fonctionnement qui en fait une sorte de fonds de private equity à lui tout seul. Durant l’attente de la nomination du nouveau gouvernement, MHE a également remplacé Mehdi Tazi, démissionnaire, par son propre fils, Moulay M’hamed Elalamy, au poste de directeur général de Saham Assurance, juste derrière Saâd Bendidi, numéro 2 du groupe Saham. Le père laisse donc aujourd’hui toutes les options ouvertes : reprendre son poste à tout moment, passer le témoin à son fils, tout en se laissant la possibilité de vendre son empire si l’envie lui prend. ❐

Saham : une réussite panafricaine Avec un chiffre d’affaires qui a atteint 1,16 milliard de dollars en 2016 et un effectif de 14 400 collaborateurs, la holding de Moulay Hafid Elalamy est un poids lourd de l’assurance, qui s’est imposé en utilisant la stratégie de l’expansion par absorption. par Julien Wagner

L

orsque le haut responsable d’un groupe qui pèse quelque 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires (CA) démissionne sans raison apparente pour être remplacé par le « fils du patron », cela n’est jamais très bien vu. Pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé en janvier dernier à la tête de Saham Assurance Maroc, fleuron de la holding créée par Moulay Hafid Elalamy, qui représentait, en 2015, 44 % de son CA. Le fils aîné du fondateur, Moulay M’hamed Elalamy, âgé de 27 ans, a été nommé directeur général en lieu et place du démissionnaire Mehdi Tazi, parti rejoindre le cabinet d’assurances Belassur. Sa trajectoire fulgurante (il n’a rejoint le groupe qu’en 2013) n’a pas ému les marchés : l’action de Saham Assurance Maroc a pris 11 % depuis le début de l’année (+33,5 % depuis début 2016), malgré un redressement de 130 millions de dirhams du fisc marocain et l’impact négatif de la baisse des cours des matières premières sur des marchés importants, comme l’Angola (17 % de son CA) et le Nigeria (4 % de son CA). C’est que seuls les résultats globaux comptent. Et ils sont bons. Fin mars, le nouveau directeur général a ainsi dévoilé une augmentation de 16,2 % du chiffre d’affaires à 4,39 milliards de dirhams (401 millions d’euros), marquée par une forte poussée de l’activité assurance vie (+113 %), grâce notamment à son alliance avec le Crédit du Maroc. Hors du Royaume, l’expansion géographique reste au cœur de la stratégie, même si l’on parle plutôt de phase de

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« consolidation » depuis la chute des cours du pétrole. Sur les six derniers mois, Saham s’est ainsi allié avec la Banque de développement du Mali (BDM) dans la bancassurance, a acheté 100 % de Sun Insurance (Togo, non-vie) et vient de lancer Saham Assurance Vie Togo. Il est déjà présent dans 26 pays en Afrique et y réalise un chiffre d’affaires proche de 600 millions d’euros. En dehors de l’Afrique du Sud, il est le leader du secteur sur le continent, ce qui lui vaut d’être valorisé à 1,9 milliard de dollars. ÉLARGIR ET CONSOLIDER « Saham a depuis quelques années une stratégie panafricaine visionnaire et réussie, souligne Mohamed Ali Jebira, consultant assurances chez Deloitte Afrique à Tunis. Le groupe est très bien structuré. Ses déclinaisons locales ont été opérées de manière plutôt efficace. Son modèle est assez mature. Il n’est pas soumis à la nomination de tel ou tel. » Ce modèle, c’est celui de l’expansion par absorption. D’abord au Maroc (CNIA en 2005, Es Saada en 2007), puis hors de ses frontières, avec l’acquisition de Colina en 2010 et, pour la seule année 2014, de GA Angola Seguros, LIA Insurance (Liban), Mercantile Insurance (Kenya), Corar-AG (Rwanda) et Unitrust Insurance (Nigeria). « L’idée est de fonctionner par étapes. Se développer dans le plus de pays possible pour élargir le marché tout en consolidant les structures existantes », poursuit Jebira. « C’est


L’ambitieux Moulay Hafid Elalamy

16,2% la hausse du

chiffre d’affaires de Saham Assurance Maroc en 2016

1,9

Implanté dans 26 pays du continent, Saham englobe 61 filiales et dispose d’un réseau de 700 agences.

NAOUFAL SBAOUI

la stratégie classique, abonde Paul Derreumaux, économiste et président d’honneur du groupe Bank of Africa. C’est le chemin qu’ont suivi les banques quelques années auparavant et celui que suivent, depuis 2005, les groupes régionaux d’assurances. » Saham n’est en effet pas le seul. ALLIANCE AVEC LE SUD-AFRICAIN SANLAM D’autres acteurs africains lui ont emboîté le pas, comme Sunu (Sénégal), NSIA (Côte d’Ivoire) ou Wafa (Maroc), et concurrencent désormais les grands groupes internationaux tels que l’allemand Allianz (implanté dans 12 pays) ou le français Axa (présent dans 9 pays). Pourquoi cette course à l’extension ? Parce que les marchés africains (hors Afrique du Sud) sont encore trop petits et que le taux global de pénétration de l’assurance n’y atteint qu’environ 2 %. Agrandir son marché est donc la seule façon de progresser rapidement. « L’implantation régionale permet de multiplier les synergies, de mettre en commun les investissements en informatique ou administratifs et d’augmenter le chiffre d’affaires. Tous les groupes cherchent à avoir cet effet de masse qui permet des économies d’échelle, décisives dans le secteur », ajoute Paul Derreumaux. D’où l’alliance avec le sud-africain Sanlam, autre géant du secteur, qui a affiché 6,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2016. À eux deux, ils couvrent une quarantaine de pays, avec tout de même cinq doublons : Rwanda, Kenya, Ghana, Nigeria et Botswana. Depuis 2013, le groupe marocain compte aussi à son capital le fonds d’investissement Wendel à hauteur de 13,3 %. Les analystes observent cette situation d’un œil très favorable, soulignant que la période est propice à ce genre de partenariat. Les réglementations en matière d’assurances sur le continent sont en effet en train de se durcir, imposant des conditions

milliard de dollars, la valorisation de l’ensemble du groupe

d’exercice beaucoup plus contraignantes. La Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA), qui supervise les marchés de 13 pays d’Afrique francophone (dont 11 dans lesquels est implanté Saham), vient par exemple de multiplier par cinq le montant minimal de capital pour une entreprise du secteur. Une mesure qui favorise les grandes entreprises. « 2017 et 2018 vont être des années charnières dans le monde de l’assurance sur la zone, explique Mohamed Ali Jebira. Il est possible que beaucoup de petites compagnies aient du mal à s’adapter et à s’organiser. On pourrait donc observer de nouvelles fusions-acquisitions et une plus grande concentration. C’est un risque, mais, en même temps, le marché doit être mieux régulé pour donner confiance. » La Côte d’Ivoire, par exemple, compte aujourd’hui 17 acteurs. Combien demain ? Difficile à dire mais, une chose est sûre, seuls les plus solides survivront. Si le marché africain continue de progresser, sous l’effet notamment de l’augmentation de la classe moyenne, c’est un boulevard qui s’ouvre pour les groupes régionaux. Et dans cette course, Saham est particulièrement bien parti. Pour Paul Derreumaux, « il a l’avantage d’avoir démarré son expansion géographique depuis assez longtemps. Il a une extraversion naturelle vers les autres pays, une expérience bien ancrée. En outre, le groupe est soutenu par le dynamisme de l’actionnaire historique. Et le fait d’avoir un actionnaire anglophone est aussi un avantage qui favorise l’apprentissage et la formation des équipes. Car même si les produits d’assurance sont conçus sur la même base dans tous les pays, les méthodes de travail et l’esprit de la régulation y sont, eux, très différents. » ❐

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Abbas Jaber

PRÉSIDENT DU GROUPE ADVENS-GEOCOTON

« L’avenir du monde se joue en Afrique »

ANTOINE DOYEN POUR AMB

Personnage truculent, largement self-made-man, ancien trader de matières premières, ce Franco-Sénégalais d’origine libanaise est devenu un acteur incontournable de la filière cotonnière, après avoir connu un destin contrasté avec l’arachide et Suneor. Il croit plus que jamais au potentiel agricole du continent. Un paramètre de sécurité et de survie pour des millions de personnes. Mais aussi le chemin vers une nouvelle place, centrale, sur l’échiquier mondial.

C

propos recueillis par Estelle Maussion

’est une personnalité à part dans le paysage agro-industriel africain. Le patron d’un grand groupe qui aime recevoir en simple chemise, veste et baskets. Un investisseur avec de l’intuition mais qui n’échappe pas aux critiques ni aux difficultés. Un homme à trois cultures, fils de parents libanais né en 1958 à Dakar (et qui a grandi à Thiès), alors que le Sénégal était une colonie française. Ce sont les multiples facettes d’Abbas Jaber, fondateur d’Advens-

Geocoton, poids lourd de la filière coton en Afrique subsaharienne, également actif dans la logistique et le négoce. Son groupe, dont le siège est installé non loin de l’Arc de Triomphe à Paris, est présent dans une quinzaine de pays. Grâce à la vente d’huile et de fibre (sur le continent et en Asie principalement), il a réalisé l’an passé un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros pour un EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) de 8 millions et un résultat net de 2 millions. Pourtant, quand il se lance dans JUIN-JUILLET 2017

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PARCOURS

1958 Naît à Dakar puis grandit à Thiès au Sénégal, alors une colonie française.

1988 Création de Jaber’s Négoce, société d’exportation de denrées alimentaires en Afrique de l’Ouest et centrale.

2005 Rachat de la Société nationale de commercialisation des oléagineux (Sonacos) au Sénégal, rebaptisée Suneor.

2008 Acquisition de Dagris, entreprise publique privatisée par l’État français, qui deviendra Geocoton.

2015 Désengagement de Suneor et du secteur des arachides au Sénégal mais développement des activités cotonnières sur le continent.

Abbas Jaber

l’exportation de denrées alimentaires en créant Jaber’s Négoce en 1988, le Franco-Sénégalais part de rien ou presque. Alors que les géants du secteur affrètent seulement des portions de cargo, lui mobilise des navires entiers afin de réaliser des économies d’échelle. Une stratégie osée mais payante. Dix ans plus tard, il exporte jusqu’à 350 000 tonnes de produits par an vers l’Afrique de l’Ouest et centrale. Dans les années 2000, il passe à l’industrie en remportant, après de longues négociations, la privatisation de deux entreprises publiques : l’une sénégalaise, la Société nationale de commercialisation des oléagineux (Sonacos) en 2005 ; l’autre française, Dagris, fleuron du coton en Afrique de l’Ouest, en 2008. Ce sont ces rachats qui vont le faire passer de négociant à agro-industriel. Au Sénégal, alors dirigé par le président Abdoulaye Wade, il cherche à redresser l’huilier Sonacos, rebaptisé Suneor, acteur historique de l’arachide. Mais, la libéralisation du marché décidée par les autorités et la concurrence des huiles asiatiques à bas prix viennent briser cet élan. Fin 2015, Advens et l’État sénégalais concluent un divorce à l’amiable, dont les modalités sont en cours de règlement. Fin 2015, le groupe d’Abbas Jaber s’est aussi vu retirer par le Sénégal et le Mali la concession du chemin de fer Bamako-Dakar, exploitée par la société Transrail, qu’il avait rachetée. Si l’arachide et le transport sont sources de déception, le coton est synonyme de réussite. Abbas Jaber impose à Dagris une cure d’austérité en même temps qu’il la recentre sur le marché africain, via le développement de filiales. Devenue Geocoton, l’entreprise retrouve l’équilibre puis devient rentable. Elle est aujourd’hui le joyau du groupe. Quant à Abbas Jaber, s’il s’est désengagé de sa gestion courante, c’est pour mieux se consacrer à la réflexion stratégique sur les nouveaux marchés.

AMB : Commençons par un sujet d’actualité. Vous êtes présent dans l’arachide, mais en train de vous désengager au Sénégal. Où en est votre sortie de Suneor, fleuron national du secteur ? Abbas Jaber : Je ne souhaite pas m’exprimer sur ce sujet. Le Sénégal m’a demandé de lui céder Suneor et nous sommes en train de négocier cette sortie. Nous sommes en cours de règlement et je suis lié par une clause de confidentialité avec l’État sénégalais.

Qu’est-ce qui a fonctionné pour le coton mais pas pour l’arachide ? C’est un problème structurel. L’organisation du secteur cotonnier est beaucoup plus efficace

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que celle de l’arachide. De même que les politiques mises en œuvre.

Est-ce que le fait d’être actionnaire aux côtés d’États complique la gestion courante ? Non, les autorités sont nos partenaires. Ce n’est pas plus compliqué que pour une société tricolore engagée avec l’administration française. Et, au vu de l’importance stratégique du secteur agricole, il est normal et même nécessaire que les États soient impliqués.

Le continent est loin d’être autosuffisant dans le domaine alimentaire. Pourtant, vous dites qu’il peut sauver le monde sur le plan agricole. Pourquoi ? Il suffit de regarder les chiffres. En 1940, nous étions 2,5 milliards d’habitants sur la planète. Actuellement, nous sommes près de 7 milliards. Et en 2040, nous serons quelque 9 milliards. Cette forte croissance démographique s’accompagne d’un essor économique, notamment dans les pays émergents. Les classes moyennes y sont de plus en plus nombreuses. Elles consomment de plus en plus de matières grasses végétales, de céréales, de protéines animales. En Chine, par exemple, on est passé de 5 kg d’huile végétale par personne et par an en 1980 à 20 kg aujourd’hui. Or, dans le même temps, les grands producteurs céréaliers et oléagineux que sont l’Union européenne, les États-Unis, et depuis quelques années le Brésil, l’Indonésie et l’Argentine, sont saturés ou confrontés à des problèmes écologiques. Résultat : les dernières réserves foncières se trouvent en Afrique, qui dispose de 60 % des terres arables non cultivées au niveau mondial. C’est donc en grande partie à elle que reviendra la responsabilité de nourrir les nouveaux consommateurs à venir d’ici 2040. L’avenir du monde se joue donc en Afrique !

Sur ces deux milliards de futurs habitants, un viendra principalement d’Asie et des pays du Golfe, l’autre du continent… Exactement. Ce qui signifie que l’Afrique va devoir assurer l’alimentation de sa population mais aussi de celle d’autres continents. Autrement dit, elle va jouer un rôle fondamental dans l’équilibre alimentaire du XXIe siècle, ce qui devrait lui permettre de peser davantage sur l’échiquier géopolitique mondial. Vous voyez l’immense devoir vis-à-vis des générations futures qui incombe aux chefs d’État, aux entrepreneurs et, d’une manière générale, aux élites des pays africains : en l’espace d’une vingtaine d’années, il va falloir bâtir une agriculture efficace, capable de répondre à cette demande planétaire.

ANTOINE DOYEN POUR AMB

RENCONTRES & REPORTAGES


« L’avenir du monde se joue en Afrique » L’Afrique peut-elle réussir ?

n’arrive pas à décoller. Pourquoi ?

Elle n’a pas le choix et je suis convaincu qu’elle y arrivera. Je suis un afro-optimiste mais pas « béat ». L’Afrique a tout ce qu’il faut pour relever ce défi : les terres, l’eau, le climat et la maind’œuvre. Regardez ce qui s’est passé au Brésil. Il y a une quarantaine d’années, le pays importait une bonne partie de ses produits alimentaires. Aujourd’hui, après avoir mis en place des politiques agricoles et industrielles volontaristes, il est devenu l’une des grandes puissances mondiales dans le secteur. C’est un des exemples à suivre.

Jusqu’à il y a dix ans, la production agricole mondiale était supérieure à la demande et l’Afrique recevait les excédents du monde entier, de pays subventionnant et protégeant leur agriculture. Jusqu’en 2005, les prix des matières premières étaient si bas que le continent avait intérêt à importer plutôt qu’à produire. Dans ces conditions, il n’a pas ou peu investi dans son agriculture. Et il a, en revanche, pu consacrer une partie de ses revenus à l’éducation, à la santé. Maintenant, la donne a changé. Les besoins agricoles mondiaux sont supérieurs à l’offre. C’est pourquoi il faut parier sur l’agriculture africaine. Finalement, elle vient juste de naître, elle sort des limbes. Son avènement va prendre du temps mais il est inéluctable.

Est-ce à dire que le continent doit se lancer dans le modèle d’agriculture intensive, qui caractérise le Brésil ? Non, mais il faut s’inspirer de sa trajectoire. Tout d’abord, elle s’est appuyée sur la richesse du sol, qui est très proche de ce que l’on trouve sur le continent africain. Ce dernier a même un avantage par rapport au Brésil : non seulement il a des terres et de l’eau mais, en plus, ses richesses sont accessibles sans avoir besoin de déforester massivement. Ensuite, le parcours brésilien rappelle, s’il était nécessaire, que l’émergence débute avec l’essor agricole, avant d’évoluer vers la constitution d’une industrie et, in fine, de services.

ANTOINE DOYEN POUR AMB

Cela fonctionne même avec une agriculture fondée sur de petites exploitations, la norme en Afrique ?

En faisant ce que toutes les grandes puissances agricoles ont fait : organiser et accompagner le secteur.

Les Africains doivent impérativement CONTRÔLER et valoriser leurs terres. Ce sont eux qui DOIVENT produire et non des acteurs ÉTRANGERS.

Bien sûr ! L’Europe a vécu pendant plus d’un siècle sur un secteur primaire composé essentiellement de propriétés familiales. Autre exemple, la Côte d’Ivoire des années 1960-1970 a accompagné les petites exploitations afin de constituer des filières solides et organisées, qui fonctionnent encore très bien aujourd’hui, comme le palmier à huile, le cacao, le café et l’hévéa. Le mécanisme est le suivant : il faut soutenir les paysans pour qu’ils augmentent leurs rendements, ce qui leur permet de dégager davantage de revenus. Avec ces moyens financiers, ils investiront dans leurs exploitations mais aussi, scolariseront leurs enfants. Une partie de cette jeune génération reviendra moderniser le domaine familial et transformer localement les produits. L’autre partie travaillera dans d’autres secteurs qui émergeront avec l’essor du pays.

On entend dire que l’agriculture est la planche de salut du continent depuis des années et plusieurs pays se sont engagés sur la voie que vous décrivez. Pourtant, au niveau global, le secteur

Comment y parvenir ?

Plus facile à dire qu’à faire… Tous les pays, au début de leur essor, ont protégé et soutenu leur agriculture, comme leur industrie d’ailleurs. Pourquoi l’Afrique ne le feraitelle pas ? Elle doit défendre ses intérêts à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), face aux grandes puissances. Elle doit sortir de sa dépendance des accords pénalisants qui ont été conclus. Il lui faut mettre en place des mesures comme l’Europe, les États-Unis et l’Asie l’ont fait en leur temps. Peut-être même aura-t-elle à le faire plus vigoureusement puisqu’elle est la dernière à arriver sur le marché. C’est dans l’intérêt du monde à court, moyen et long terme.

Il faut se protéger y compris face aux produits bon marché importés d’Asie, comme l’huile de palme par exemple ? Évidemment. Le prix de revient d’une tonne d’huile de palme est de 250 dollars, celui d’une tonne d’huile de coton ou d’arachide est au moins 4 à 5 fois supérieur.

Structurer des filières, c’est aussi ce que l’on dit depuis des années…

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Abbas Jaber

Oui et cela doit être une priorité absolue des États et des bailleurs de fonds. Pour chaque culture, il faut une entité qui sélectionne les semences et les distribue, un coordinateur en charge des intrants, un réseau de producteurs formés, une logistique pour le ramassage, puis pour le stockage, des unités pour la transformation et, enfin, un système de commercialisation. Or, les structures étatiques ne parviennent pas toujours à le faire. C’est sur ce point que l’Europe, et particulièrement la France, doit apporter son savoir-faire et son soutien.

Vous dites même qu’ils ont intérêt à aider l’Afrique à devenir le fournisseur agricole mondial. Pourquoi ?

LE PRIX DE REVIENT D’UNE TONNE D’HUILE DE PALME EST DE 250 DOLLARS, CELUI D’UNE TONNE D’HUILE DE COTON OU D’ARACHIDE EST AU MOINS 4 À 5 FOIS SUPÉRIEUR.

Parce que développer l’agriculture est un moyen de fournir du travail aux populations locales, de les fixer sur leurs territoires et donc d’éviter à la fois l’exode rural, les vagues d’émigration et l’alimentation de réseaux criminels et terroristes. L’arachide et le coton sont des cultures locomotives qui ont quelque chose de magique : elles créent de la valeur et des emplois, fertilisent les sols pour les autres cultures vivrières et permettent, in fine, de lutter contre la pauvreté et les inégalités. Elles sont un instrument de prévention des conflits et de pacification. C’est pour cela que les Africains doivent impérativement contrôler et valoriser leurs terres. Ce sont eux qui doivent produire et non des acteurs étrangers.

Vous faites allusion à la Chine ? La Chine mais également d’autres pays qui cherchent à assurer leur sécurité alimentaire. Si l’Afrique leur garantit un approvisionnement fiable et constant, il n’y a pas de raison pour qu’ils viennent produire sur place et à sa place. Ils devront en faire leur partenaire et fournisseur.

AU CAMEROUN, LE RENDEMENT POUR LE COTON GRAINE EST DE 1 400 KG PAR HECTARE. AU BRÉSIL, AUX ÉTATS-UNIS ET EN AUSTRALIE, EN CULTURE IRRIGUÉE, ON ATTEINT 3 À 4 TONNES.

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En lien avec l’organisation des filières, il y a la question, récurrente, de la hausse de la productivité… Pour vous donner une idée de la marge de progression possible, voici quelques exemples. Aujourd’hui, en Afrique, le rendement pour le coton graine se situe en moyenne entre 500 et 1 000 kg à l’hectare, à l’exception du Cameroun où il est de 1 400 kg par hectare. Au Brésil, aux États-Unis et en Australie, en culture irriguée, on atteint 3 à 4 tonnes. Pour l’arachide, même ordre de grandeur : entre 500 et 800 kg à l’hectare au Sénégal contre 3 à 4 tonnes aux États-Unis ou en Chine. Face à ce constat, une seule stratégie est efficace, celle que nous suivons : des semences sélectionnées et adaptées à l’environnement, la solide formation des paysans, l’augmentation

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des surfaces mises en culture pour y installer des jeunes.

Se pose aussi la question des OGM (organismes génétiquement modifiés). Sur le continent, les premiers essais n’ont pas été concluants, à commencer par le Burkina Faso qui y a renoncé après avoir été pionnier dans leur utilisation en 2009. Qu’en pensez-vous ? Le pays a eu la sagesse d’arrêter très vite le coton OGM, les rendements et la qualité n’étant pas au rendez-vous. Cela pénalisait les producteurs et affectait la réputation du coton burkinabè. Cela dit, à l’avenir, l’Afrique devra étudier la possibilité d’en utiliser, en tenant compte de la préservation des sols, de l’environnement, de la santé des populations et en établissant un cadre technique acceptable pour sa souveraineté.

Il faudra aussi des routes, chemins de fer et ports. Sur ces points aussi, il reste fort à faire… Les infrastructures constituent l’autre grand défi du continent, c’est vrai. Là aussi, une réponse régionale est la seule possible. Là aussi, le mouvement est amorcé.

Votre groupe s’est imposé comme un acteur de premier plan sur le coton via votre filiale Geocoton. Qu’est-ce qui explique votre réussite ? À la base, il y a un acte de foi : nous avons toujours su que l’agriculture retrouverait un jour une place centrale dans le développement de l’Afrique. Ensuite, nous avons institué un modèle de filière intégrée couvrant toutes les phases de la production : contacts permanents avec les producteurs, mise en place des intrants, transformation et commercialisation. Jusqu’en 2005, nous étions à contre-courant des modèles économiques existants. Nous avons résisté et, aujourd’hui, nous avons démontré que cette intégration est le seul modèle qui vaille. Il nous a permis de construire la quasi-totalité des usines d’égrenage de l’Afrique de l’Ouest et centrale, plus de 130. Et nous continuons. Au Mali, nous sommes en train de bâtir deux nouvelles unités d’égrenage ultramodernes et d’en réhabiliter trois autres.

Où produisez-vous et quelles sont vos ambitions à l’avenir ? Nos pays phares sont le Burkina Faso, le Cameroun, la Guinée, le Mali, le Sénégal, le Tchad, le Togo et la République démocratique du Congo. En Guinée, par exemple, nous avons contribué, à partir de 2011, à relancer la filière qui avait été abandonnée depuis des décennies. Tout récemment, en mai dernier, nous avons signé un

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RENCONTRES & REPORTAGES


« L’avenir du monde se joue en Afrique » accord-cadre avec les autorités de Centrafrique pour reprendre la culture cotonnière dans le centre du pays, un accord signé avec le soutien de la Banque mondiale et grâce à l’implication de la représentation diplomatique française. Et nous sommes en train de finaliser le même type de partenariat avec le Niger. Un jour, nous espérons pouvoir entrer sur le marché nigérian, où il existe déjà une concurrence mais où les besoins sont énormes avec une population qui atteindra les 400 millions d’habitants en 2040. Dans ce cas, le Cameroun voisin, où nous sommes déjà implantés, a toutes les chances de devenir le grenier de ce pays.

Allez-vous plus loin dans la transformation en produisant du tissu par exemple ?

Le jour où le continent sera CAPABLE de fournir de l’énergie bon marché, la FILATURE décollera. C’est pourquoi nous avons décidé d’INVESTIR dans le solaire.

Non, pas encore, mais c’est notre objectif. Le tissu n’est pas la seule déclinaison possible. Le coton peut aussi produire des aliments pour le bétail, de l’huile alimentaire, de la fibre, de la farine panifiable, de l’énergie et même des billets de banque ! C’est pour cela qu’on l’appelle l’or blanc.

Il y a très peu d’usines de filature dans la zone et celles qui existent, au Sénégal et au Mali notamment, ont bien du mal à être rentables. Pourquoi est-ce si difficile ?

ANTOINE DOYEN POUR AMB

toire de la filature, vous verrez que les usines ont toujours suivi les croissances démographiques. Au XIXe siècle, l’activité était en Europe du Nord, principalement en France et en Angleterre. Au siècle suivant, ce sont les pays méditerranéens qui ont pris le relais, le Portugal, l’Algérie, le Maroc et la Turquie. Puis, à partir des années 1980, les Dragons asiatiques (Japon, Thaïlande), suivis de la Chine, dont le cycle se termine aujourd’hui au profit de l’Inde, du Bangladesh et du Vietnam. L’heure de l’Afrique a déjà sonné puisque l’acti-

Le problème fondamental, c’est le coût de l’énergie, voire parfois son absence. En Afrique, dans la transformation du coton, elle représente 40 % du coût total. Au Bangladesh, à titre de comparaison, ce n’est que 10 à 12 %. Le jour où le continent sera capable de fournir de l’énergie bon marché, la filature décollera. C’est pourquoi nous avons décidé d’investir dans le solaire en créant une coentreprise, Geosolar, avec Urbasolar, le leader français privé de la construction de centrales photovoltaïques. L’objectif est d’équiper une trentaine de sites industriels du Sénégal au Cameroun, en commençant par nos filiales SN-Citec et Socoma au Burkina Faso, Nioto au Togo, qui produisent déjà plus de 80 % de leur énergie grâce à des chaudières biomasses alimentées avec les tiges du coton. Elles bénéficieront d’une toiture solaire dès les prochains mois. À terme, nous inclurons dans nos projets l’alimentation de foyers de paysans, de pompes à eau et, ultime étape, de transformation de la fibre.

Sauf qu’à l’échelle du continent, cela va prendre des années, peut-être même des décennies ? Cela ne se fera pas en un jour, certes, mais le processus est enclenché. Si vous regardez l’his-

vité commence à se développer en Éthiopie. Dans les cinq ans à venir, elle va gagner l’Afrique de l’Ouest et centrale. Il faut se préparer maintenant pour être prêts à cette échéance ! Et il faut que l’Afrique organise ses complémentarités.

C’est-à-dire ? Je vous donne un exemple. L’Angola s’est doté d’une industrie de tissage haut de gamme et dispose d’une énergie bon marché mais ne produit pas de coton. Dans le même temps, les grands producteurs que sont le Mali, le Burkina Faso et le Cameroun exportent leur fibre vers l’Asie, faute de pouvoir la transformer sur place. On pourrait imaginer qu’ils utilisent l’infrastructure angolaise : cela leur permettrait de créer de la valeur ajoutée sur le continent à moindre coût et cela offrirait à l’Angola une voie de diversification de son économie. Avec un système de péréquation pour partager les recettes générées. Et, ce qui est valable pour l’Angola l’est aussi pour d’autres pays pétroliers, la Guinée équatoriale, le Gabon, la République du Congo et le Tchad, qui ont pris conscience, avec la chute du cours du pétrole, que l’agriculture est une voie de développement pérenne. Ce schéma de complémentarité pourrait aussi être étendu au Maghreb : l’Algérie et la Libye ont une énergie peu onéreuse, le Maroc et la Tunisie une agriculture développée. Autrement dit, il faudrait imaginer des alliances régionales entre pays producteurs de matières premières, ceux qui disposent d’une énergie à bas coût et ceux qui constituent de futurs grands marchés de consommateurs. ❐

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UNE DATE, UNE HISTOIRE par Akram Belkaïd

Abidjan, 7 février 2002

Fin de vol pour Air Afrique La compagnie aérienne lancée par onze États en 1961 baisse le pavillon, signant la fin d’un rêve panafricain.

D Les effectifs gonflent, le service se dégrade, les retards deviennent la norme au point que le transporteur est surnommé « Air peut-être ».

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ans la capitale ivoirienne, à Dakar ou Lomé, l’heure est à l’amertume. Les actionnaires ont décidé « à l’unanimité de faire procéder au dépôt de bilan de la société ». Une page se tourne mais ce krach financier n’étonne personne car cela fait plusieurs semaines que la compagnie ne fonctionne plus, ses avions en location ayant été repris par leurs propriétaires. Plus de 4 200 employés sont sur le carreau et les syndicats décident d’en appeler à la justice pour punir les coupables de cet immense gâchis. Pourtant, en 1961, quand naît Air Afrique, dont le siège est installé à Abidjan, la compagnie à l’antilope ailée est le fier symbole d’un continent qui s’affranchit de l’ancienne puissance coloniale et veut faire du transport aérien un outil décisif en matière d’intégration économique. Les onze États fondateurs, tous francophones, sont à l’époque actionnaires à hauteur de 6,54 % du capital*, le reste étant détenu par Air France et d’autres investisseurs. La flotte est modeste mais moderne et les dirigeants évoquent même la possibilité d’acquérir un… Concorde pour offrir des vols à la vitesse supersonique. Le premier choc

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pétrolier de 1973 sonnera le glas de ce projet mais n’empêchera pas l’entreprise de se développer. Dans les années 1980, un grand plan de modernisation est lancé avec l’acquisition d’Airbus A300, Air Afrique, dirigée depuis 1989 par le Français Yves RolandBillecart, souhaitant accompagner l’explosion du trafic aérien entre le continent et l’Europe. Mais les nuages s’amoncellent. Conséquence d’un certain clientélisme, les effectifs gonflent, le service se dégrade, les retards deviennent la norme au point qu’Air Afrique est vite surnommée « Air peut-être ». La situation financière inquiète les auditeurs qui évoquent « une gabegie » et un endettement croissant. La dévaluation du franc CFA en 1994 est un coup terrible : les coûts de maintenance, le prix du carburant, le service de la dette flambent. En 1998, c’est le choc : quatre de ses Airbus sont saisis. Le spectre de la cessation d’activité est évoqué. « Air Afrique n’est pas menacée de faillite mais doit être rapidement privatisée », reconnaît en mars 1999 Sir Harry Tirvengadum, le nouveau directeur général, ancien patron d’Air Mauritius. Une option qui se confirme avec la publication, en janvier 2001, de recommandations de la Banque mondiale, mandatée par les actionnaires : privatisation, licenciements et nomination de Jeffrey


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Erickson, ex-dirigeant de Trans World Airlines (TWA), pour restructurer la compagnie. Les syndicats montent au créneau, les grèves se multiplient et Erickson est même molesté à l’aéroport d’Abidjan. Le projet de privatisation est suspendu par les actionnaires. En réalité, ces derniers jouent une partie de poker menteur. Officiellement, ils souhaitent qu’Air Afrique continue à fonctionner mais, en coulisses, certains pensent déjà à privilégier ou à lancer leurs compagnies nationales. En août 2001, un accord « de la dernière chance » est tout de même trouvé à Brazzaville. Le transporteur panafricain va disparaître mais pour mieux renaître de ses cendres dans une nouvelle structure débarrassée de sa dette de 305 millions d’euros. Les pays actionnaires, réticents à l’idée de mettre la main à la poche, demandent à Air France, qui détient alors 11,84 % du capital, de « monter » à hauteur de 35 % et de financer la modernisation de la flotte. « Air Afrique est morte, vive Air France Afrique », titre le quotidien Libération du 16 août 2001. Cette solution n’en est en effet pas une. D’abord, la montée en puissance d’Air France sonne le glas des ambitions panafricanistes.

Ensuite, elle n’évite pas la privatisation, le transporteur français n’ayant pas l’intention d’abonder un puits sans fonds et demandant, en prime, que les États assurent la « protection des droits de trafic », autrement dit l’absence de concurrence sur la zone. In fine, jugeant qu’elle ne dispose pas des garanties nécessaires, elle se retire du projet de sauvetage. Début février 2002, lors d’un sommet à Paris du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), le président sénégalais Abdoulaye Wade affirme qu’Air Afrique « ne l’intéresse pas » et qu’il est plus attentif au développement d’Air Sénégal International (alors propriété à 51 % de la Royal Air Maroc). Dans la sous-région, c’est l’indignation, même s’il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. La messe est dite. D’Air Afrique, il ne restera plus rien si ce n’est une nostalgie entretenue par ses anciens employés sur les réseaux sociaux et la dénonciation récurrente – et sans preuves – d’un complot ourdi par Air France pour se débarrasser de son concurrent panafricain. ❐

Le fameux DC-10 du transporteur dans les années 1970.

*Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Dahomey (devenu depuis Bénin), Gabon, Haute-Volta (devenue Burkina Faso), Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad (le Togo et le Mali remplaceront le Cameroun et le Gabon).

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RENCONTRES & REPORTAGES

Le Radisson Blu de Dakar (Sénégal). 34

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E.C. AHOUNOU

Paysages magnifiques, culture, dépaysement, le potentiel est immense. Mais aujourd’hui, l’Afrique ne représente que 5 % des visites mondiales. Et la plupart des voyageurs sont là pour affaires. Tour d’horizon en cinq points d’un secteur qui reste pourtant prometteur.

Tourisme : les rêves et la réalité Par Alexis Hache

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Une progression constante

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un trio se taille la part du lion

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Avec 53 millions de visiteurs internationaux, l’Afrique ne représentait, en 2015, que 5 % de la fréquentation touristique mondiale. C’est bien peu au regard du nombre de sites naturels, historiques ou culturels qu’elle compte (131 classés au patrimoine mondial de l’Unesco). En 2016, ce nombre est toutefois passé à 58 millions, soit une hausse de 8 %, et il devrait encore augmenter cette année pour atteindre 64 millions. À l’horizon 2027, ce sont 110 millions de êê ê êê touristes qui sont attendus sur le continent. Ces P O T chiffres ont été rassemblés par le groupe AccorHotels et le site de réservation d’hôtels Jumia Travel, qui ont publié ensemble le premier « Hospitality Report Africa », paru fin avril. Ils sont le DESTINATIONS signe du changement qui s’opère petit à petit. LOISIRS Développement des nouvelles technologies, 2016 essor d’une classe moyenne, qui devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre 800 millions d’indi1. MAROC 10,3 MILLIONS vidus, multiplication des investissements des acteurs hôteliers, de nombreux voyants sont au 2. ÉGYPTE vert. Reste que les revenus générés par le secteur 9,1 MILLIONS n’ont contribué que pour 7,8 % au PIB africain 3. AFRIQUE DU SUD en 2016, à 165,6 milliards de dollars (146 mil8,9 MILLIONS lions d’euros), et devraient atteindre 7,9 % cette 4. TUNISIE année, à 170,5 milliards de dollars (150 millions 5,3 MILLIONS d’euros). Ils sont majoritairement le fait de visi5. ZIMBABWE teurs africains : 63,7 %, contre 36,3 % pour les 2 MILLIONS voyageurs étrangers en 2016. À titre de comSource : « Hospitality Report Africa », paraison, la France, premier pays touristique AccorHotels et Jumia Travel. au monde, tire, à elle seule, près de 160 milliards marché français », explique Christophe Barrère, d’euros de revenus du secteur, dont 106,8 milliards directeur chez TUI France, filiale du groupe dépensés par les touristes nationaux (environ 67 % du total). mondial TUI (Club Marmara, Circuits Nouvelles Frontières, Enfin, avec 29,8 milliards d’euros, l’Afrique ne pesait en 2015 Passion des îles, entre autres). « Pour l’Afrique du Sud, l’essor que 2,6 % des recettes touristiques internationales, qui s’éleest plus récent et date de la fin de l’apartheid, poursuit-il. vaient à 1 260 milliards d’euros. Avec 41,4 milliards d’euros de Outre les sites naturels, il se fonde également sur la culture, à recettes, la France se classait elle au 4e rang mondial. mi-chemin entre l’africaine et l’européenne, qui attire. » Derrière le Maroc, l’Égypte et l’Afrique du Sud, on trouve la Tunisie en 4e position avec 5,3 millions d’arrivées internationales. D’autres pays se sont distingués en enregistrant les plus fortes hausses de fréquentation l’an passé : le Zimbabwe et ses parcs naturels (+177 000 arrivées internationales), l’île Maurice, traditionnelle destination haut de gamme (+112 000), le Ghana (+109 000), le Soudan (+57 000) ou encore les Seychelles Maroc, Égypte, Afrique du Sud : ce trio est loin devant (+43 000). Deux autres destinations ont aussi enregistré de le reste du continent en matière d’arrivées internationales, belles performances, le Sénégal, avec un total de 1,6 million avec respectivement 10,3 millions de visiteurs, 9,1 millions de visiteurs, et la Tanzanie, avec 1,1 million de visiteurs. « Le et 8,9 millions. « Ces trois pays ont développé de nombreuses tourisme est un phénomène très hétérogène en Afrique, soustructures pouvant accueillir les touristes, essentiellement ligne Philippe Violier, directeur de l’unité de formation et de dans les stations balnéaires comme Agadir, Hurgada, Charm recherche Tourisme et Culture de l’université d’Angers. Après el-Cheikh, et su tirer profit des nombreux vols charters du


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Donnée d’importance, il représente 80 % de l’activité sur le continent, contre seulement 20 % pour le tourisme de loisirs. Explication : les risques liés au terrorisme et à des situations politiques instables nuisent fortement aux visites de villégiature (d’où la déprogrammation du Mali et du

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Le tourisme d’affaires se porte à merveille

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les indépendances, le secteur a été retenu comme voie de développement par le Maroc, la Tunisie et l’Égypte, alors que l’Algérie et la Libye l’ont rejeté pour des motifs idéologiques et en raison de la présence d’une manne pétrolière et gazière. En zone subsaharienne, l’Afrique orientale, qui correspond à l’axe colonial britannique du Kenya à l’Afrique du Sud, est dynamique. Et l’Éthiopie commence à s’y rattacher. À l’opposé, les pays de l’Afrique centrale et occidentale sont à la traîne. »

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L’hôtel Seen d’Abidjan (Côte d’Ivoire).

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DESTINATIONS D’AFFAIRES 2016

Burkina Faso, ainsi que d’une partie de l’Égypte par les tours1. JOHANNESBURG opérateurs), mais peu ou pas aux 2. LAGOS séjours d’affaires. Ces risques, et 3. NAIROBI les coûts associés, sont intégrés dans les voyages organisés par 4. ABIDJAN les entreprises. « Elles prennent 5. CASABLANCA en charge les individus, y compris les problèmes auxquels ils sont confrontés, comme trouver Source : « Hospitality Report Africa », AccorHotels et Jumia Travel. un hôtel, se restaurer, circuler », rappelle Philippe Violier. Et le dynamisme économique de ces dernières années n’a fait que renforcer l’essor de ce type de tourisme. Même si la croissance a atteint en 2016 son niveau le plus bas depuis vingt ans (moins de 2 %) et qu’elle ne devrait monter qu’à 2,6 % cette année, les acteurs privés continuent à investir en Afrique, en particulier les grandes chaînes hôtelières. Quelque 365 projets ont été recensés en 2016, un chiffre en augmentation de 29 % par rapport à 2015. Avec 111 établissements et 65 à venir (pour un total de

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3 questions à OLIVIER GRANET Directeur des opérations Moyen-Orient et Afrique d’AccorHotels

« Créer une offre loisirs dans les villes » AMB : Le tourisme d’affaires domine le secteur en Afrique. Misez-vous tout de même sur le segment loisirs ? Le continent n’est pas encore une destination associée à la villégiature : 80 % des Africains qui voyagent dans le cadre de leurs loisirs partent hors d’Afrique. Mais le potentiel est énorme si l’on élimine un certain nombre de freins. Et si l’on change les perceptions du voyage. Il faut vendre mieux les destinations et coller davantage aux évolutions des tendances. Ainsi, nous cherchons à créer une offre loisirs dans les villes afin de capter des flux provenant de pays relativement proches. Le tourisme local évolue aussi, comme en Algérie, où nous venons d’inaugurer le site Novotel et Ibis Sétif, à deux pas du plus grand centre commercial algérien, qui attire des visiteurs de tout le pays.

Malgré des obstacles importants, les grands groupes hôteliers ne cessent d’investir. Pourquoi ? Il y a 89 hôtels pour 1 million d’habitants en Afrique, la proportion est double aux États-Unis. Il y a donc de la place pour de nouvelles chaînes hôtelières sur le continent, étrangères ou locales. D’après notre expérience, un développement réussi repose sur trois piliers : l’accès au terrain, au financement et la capacité des partenaires locaux sur des projets à moyen ou long terme. Ce sont les grands défis que doit relever le secteur.

Vous êtes le n° 1 des opérateurs hôteliers africains. Quelle stratégie pour conserver cette position ? Nous sommes présents dans 21 pays et sur tous les segments du marché, de l’offre économique au luxe, auquel nous tenons beaucoup, le rachat du groupe FRHI (Fairmont, Raffles et Swissôtel) l’atteste. Nous voulons conserver et renforcer cet ancrage historique, mais aussi nous développer en zone anglophone. Nous avons récemment ouvert un bureau de développement en Afrique du Sud et des projets sont prévus en l’Éthiopie et au Kenya. Notre objectif est de doubler notre réseau pour atteindre 200 établissements sur le continent. ❐ Propos recueillis par A.H.

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Tourisme 28 394 chambres), AccorHotels a détrôné Hilton Worldwide de la place de n° 1. Une situation qui doit beaucoup à la signature, en juillet 2015, d’un accord avec l’Angola pour la gestion de 50 hôtels sur son sol. « Nous sommes certains que le pays jouera très vite un rôle clé sur le marché africain de l’hospitalité et du tourisme », affirme Olivier Granet, directeur général et directeur des opérations Moyen-Orient et Afrique d’AccorHotels. Devant l’Angola, le Nigeria, première destination d’affaires du continent, est le pays qui a le plus de projets de constructions d’hôtels de chaînes internationales avec 61 établissements, dont 4 000 chambres rien qu’à Lagos. Derrière le géant nigérian, d’autres villes africaines attirent de plus en plus de voyageurs d’affaires : Nairobi, Alger, Abidjan ou Accra.

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L’aérien, un serpent de mer

Le constat est posé depuis des années : il faut développer le secteur aérien pour encourager le tourisme. Or, il est loin d’être suivi d’effet. Pour preuve, le continent ne représentait que 2,2 % du trafic mondial en 2016, selon les chiffres de l’Agence internationale du transport aérien (IATA) publiés en février dernier. Les freins sont nombreux, comme le résume Véronique Mondou, maîtresse de conférences à l’université d’Angers : « Une classe moyenne encore peu nombreuse, des revenus moyens et un pouvoir d’achat trop faibles, mais aussi un manque d’investissement à cause de coûts d’exploitation élevés. » Autre écueil, le trop grand nombre d’opérateurs publics et privés de taille modeste, incapables « d’intégrer des alliances internationales de type Sky Team, One World ou Star Alliance ». Seuls Ethiopian Airlines, Egyptair et South African Airlines, membres de Star Alliance, dérogent à la règle. De cette situation découlent de nombreuses faillites et donc une grande instabilité dans un domaine pourtant stratégique. Dernier point noir, la rigidité des réglementations, tournées vers la protection des compagnies nationales, ce qui rend impossible la mise en œuvre d’accords open sky et difficile l’implantation de compagnies low cost. Les ouvertures de ciel entre pays africains font figurent d’exception (à l’image de l’accord conclu entre le Togo et le Burkina Faso en juin 2016) et seul le Maroc a, depuis 2007, conclu un « deal » avec un partenaire étranger, à savoir l’Union européenne, limité aux vols internationaux. La Tunisie devrait également franchir le cap cette année en préservant toutefois l’aéroport de Tunis-Carthage le temps de laisser la compagnie Tunisair se mettre à niveau. En attendant, ce sont donc les transporteurs internationaux qui pourraient faire évoluer les choses. « Les compagnies européennes qui desservent l’Afrique depuis l’Europe comme Air France et British Airways sont désormais largement concurrencées par les compagnies du Golfe (Emirates, Qatar Airways et Etihad), qui développent leurs réseaux vers l’Afrique », analyse Véronique Mondou, qui table aussi sur un essor du low cost malgré

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RENCONTRES & REPORTAGES


Les rêves et la réalité Sur la place Jemaa el-Fna, à Marrakech (Maroc).

€ PRIX MOYEN D’UNE NUITÉE

l’environnement réglementaire peu favorable. « En Asie du SudEst, des compagnies à bas coûts très puissantes ont émergé en réussissant à contourner ce cadre législatif, reprend-elle. Cela montre que, lorsque la demande existe, notamment de la part des classes moyennes, ces acteurs parviennent à se développer. »

MICHAEL AMME/LAIF-REA

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Des obstacles à lever

Outre les questions de sécurité déjà évoquées, plusieurs autres difficultés entravent le développement du tourisme : prix des billets d’avion prohibitifs, restrictions liées aux visas, faiblesses des infrastructures pour se déplacer ou réserver un hôtel. Aujourd’hui, les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédeao) permettent à leurs ressortissants de circuler librement au sein de l’espace communautaire, une situation exceptionnelle sur le continent. Paradis touristique, l’archipel des Seychelles est

le seul État à avoir supprimé (réservations Jumia Travel) les visas. D’autres pays ont largement simplifié les procé53 € dures, comme le Cameroun À ABIDJAN et son « passeport biométrique 65 € Cemac », le Bénin et le Rwanda. À DAKAR Et, si l’on en croit l’Union afri50 € caine (UA), un passeport élecÀ YAOUNDÉ tronique continental pourrait 71 € voir le jour d’ici à 2020. Ce À LAGOS sésame effacerait d’un seul 68 € coup un obstacle important À NAIROBI pour les échanges et favoriserait le tourisme intracontinenSource : « Hospitality Report Africa », AccorHotels et Jumia Travel. tal, encore limité actuellement. « Les Africains circulent peu en touristes dans leur propre continent, note Philippe Violier. Cela suppose du temps libre, notamment des congés payés, et des moyens économiques. Or, le continent entre seulement maintenant dans le processus d’émergence, qui a par exemple conduit la Chine, absente de la scène touristique pour des raisons idéologiques jusqu’aux années 1990, à se positionner en tête des pays émetteurs en 2013, en seulement un quart de siècle. » ❐

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RENCONTRES & REPORTAGES

Tourisme

Mehdi Allani PDG DE L’HÔTEL LE SULTAN, HAMMAMET

« La Tunisie doit atteindre les standards internationaux » En grande difficulté depuis la révolution de 2011 et les attentats de 2015 et 2016, le secteur attend une embellie pour la saison 2017. Mais les difficultés demeurent nombreuses : sécurité, renouvellement de l’offre, investissement dans le numérique. Propos recueillis par Frida Dahmani

AMB : Comment se présente la saison 2017 pour l’hôtellerie en Tunisie ? Mehdi Allani : Elle s’annonce plutôt bonne, mais tout est relatif, puisque la baisse de la fréquentation a été significative sur les deux saisons précédentes. On peut donc par-

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ler de reprise, portée par une nette progression des principaux marchés européens, notamment français, anglais et allemand.

À quoi est dû ce regain ? Il s’explique par le retour à une stabilité sécuritaire, obtenu grâce à un travail de fond mené par les autorités. Cela dit, on constate une progression de 30 % du volume, mais de seulement 5 % des recettes, ce qui signifie que l’on attire toujours le client par le prix. Tant que nous resterons sur cette ligne, nous assurerons des flux de trésorerie, mais pas de résultats qui permettent l’investissement. Pourtant, il faudrait que nous montions en qualité, que nous financions de la maintenance et de la formation. Sinon, cela revient à scier la branche sur laquelle nous sommes assis.

Les tour-opérateurs, qui ont amené les flux de touristes par le passé, doivent-ils continuer à jouer un rôle ? Ils ne sont pas philanthropes, ils ne cherchent que leur intérêt et c’est légitime. Lorsqu’il y a péril en la demeure, ils sont les premiers à partir. Il ne faut donc pas compter sur eux pour sauver le tourisme tunisien. Il n’y a qu’à regarder ce qui s’est passé ces derniers temps. Certes, ils ont réussi à amener un flot de touristes russes, ces derniers ne pouvant pas aller en Turquie et en Égypte en raison du contexte sécuritaire. Certes, cela a maintenu un certain niveau d’activité en Tunisie et évité un désastre. Mais ces séjours ont été vendus à des prix très bas, avec un effet domino sur la qualité de l’établissement.

Vous êtes très critique sur les tour-opérateurs (TO). Pour quelle raison ? Nous continuons avec un circuit de distribution TO qui décide où va le client et ce qu’il va faire. C’est dépassé ! Au niveau mondial, sur les dix dernières années, le comportement du touriste a changé d’une manière inimaginable. Grâce à Internet, il est plus indépendant et autonome. Il favorise des destinations présentes sur la Toile, ce qui manque à la Tunisie. Les institutions n’ont ni les compétences, ni les moyens de réaliser la digitalisation, malgré un effort sur le portail du

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econnu sur la place tunisienne, le patron de l’hôtel Sultan, situé à quelques encablures de la médina de la station balnéaire d’Hammamet, affiche vingt ans d’expérience, après avoir fait ses classes à l’École hôtelière de Paris et des stages aux États-Unis et en Europe. De retour au pays en 1997, après le décès de son père, Mehdi Allani rejoint l’établissement familial, contribue à son expansion et en prend totalement les commandes en 2011, alors que sa sœur Mouna Allani Ben alima, lance avec succès, en 2015, la Badira, un boutique-hôtel cinq étoiles. Depuis janvier 2017, il est également vice-président du bureau exécutif de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH), centrale patronale du secteur, en charge du marketing et de la promotion. Un volet essentiel au tourisme tunisien, secteur clé de l’économie qui emploie 100 000 personnes dans 862 établissements (et plus de 250 000 emplois indirects) et a assuré, l’an passé, quelque 1,8 milliard de dinars de recettes (730 millions d’euros, chiffres du 1er janvier au 30 septembre). Représentant près de 10 % du PIB avant la révolution de 2011, il compte désormais pour moins de 7 %, génère et est à la recherche d’un nouveau souffle. Un processus dans lequel est très impliqué Mehdi Allani.


Les rêves et la réalité ministère du Tourisme avec Discover Tunisia. Actuellement, à part réserver un hôtel et un billet d’avion en ligne, on ne peut rien faire. Il n’est pas possible d’acheter un billet de train, ni une entrée de musée, ni même de connaître les horaires. Résultat, nous disparaissons des radars des clients qui font le marché aujourd’hui.

Vous restez donc inquiets quant à l’avenir du secteur ? Oui, car l’activité redémarre sans que les problèmes que connaît le secteur depuis des décennies n’aient été résolus. Le produit tunisien n’est toujours pas valorisé. L’artisanat et le terroir ne sont ni mis en avant ni protégés. Nous n’offrons pas d’autonomie au visiteur en lui proposant un produit en digitalisé. Nous ne poussons pas le secteur à se mettre au niveau pour qu’il offre des prestations aux normes des standards internationaux. Sans compter que l’open sky, auquel s’était engagé le chef du gouvernement pour mars 2017, se fait attendre.

Quel est l’enjeu autour de l’ouverture du ciel tunisien ? Actuellement, nous sommes tributaires d’une compagnie nationale qui assure plus de la moitié du transport de voyageurs dans le pays. Or, Tunisair rencontre des problèmes d’horaires, de maintenance et de communication : on voit des passagers livrés à euxmêmes, sans information, dont les vols ont d’importants retards. Il est impossible de relancer une destination dans ces conditions, d’autant que cette problématique s’ajoute aux difficultés internes du secteur déjà mentionnées. Les hôteliers peuvent faire tous les efforts qu’ils veulent, cela ne sert à rien si le service aérien ne suit pas. La fédération discute avec les autorités dans un état d’esprit constructif pour élaborer une offre aérienne différente, indispensable lorsque l’on compte une importante clientèle familiale.

Que veut faire le nouveau bureau de la FTH ? Sur le plan interne, nous travaillons à donner plus d’autonomie aux bureaux régionaux, à la révision de nos statuts et la refonte de notre fonctionnement. Au niveau du secteur, nous avons une double priorité : valoriser la destination Tunisie et protéger l’artisanat. Sur le premier point, nous avons examiné la campagne de communication 2017 avec le ministère du Tourisme et l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) et nous suivons de près la circulaire permettant de création de projets immobiliers. Sur le deuxième point, la FTH s’engage auprès des artisans, mais elle n’est pas un gendarme. Elle conseille et indique les bonnes pratiques.

Autre problème de taille, l’endettement des hôteliers… C’est un problème récurrent du secteur. Pour y remédier, la FTH et l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF) sont en train de négocier une solution. Elle pourrait ressembler à ceci : si l’hôtelier rembourse le capital emprunté selon un échéancier fixé, alors l’emprunteur renonce à percevoir les intérêts.

On peut parler de REPRISE, portée par une nette PROGRESSION des principaux MARCHÉS européens.

Qu’est-ce que l’accord open sky peut changer ? Il permettrait au visiteur de choisir son transporteur et d’organiser son voyage à sa guise, tout en établissant une concurrence tarifaire entre compagnies qui ne peut qu’être profitable au tourisme.

L’immobilisme que vous déplorez n’est-il pas dû à un manque de moyens ? Les fonds se trouvent, c’est une question de courage. Celui d’entamer une réforme de l’administration du tourisme, de s’attaquer aux établissements hôteliers qui sont défaillants et qui continuent à tirer le produit vers le bas. Le courage aussi de mettre en place des programmes de partenariat public-privé pour externaliser des activités mal faites par l’administration, telles que la communication et le contrôle qualité. Depuis 2011, au sein de l’administration, personne ne veut prendre d’initiative ni de décisions par crainte des répercussions. On se contente de gérer les affaires courantes et les problèmes restent en l’état.

En tant qu’hôtelier, vous avez bien résisté au temps. Comment y êtes-vous arrivé ?

Quand j’ai repris l’hôtel, il y a vingt ans, j’ai diversifié notre clientèle en misant sur le marché français. Cela nous a permis de compenser la désertion des Allemands après l’attentat de la Ghriba en avril 2002. Deux ans plus tard, une réclamation d’un client tunisien par rapport au service a provoqué une prise de conscience. J’ai aussitôt mis en place un travail de formation et de sensibilisation du personnel pour que le client tunisien devienne un hôte comme les autres. Je n’imaginais pas à l’époque que le marché local pourrait un jour devenir important.

Même chose vis-à-vis des difficultés nées après la révolution de 2011 et les attentats de 2015 et 2016… Crise ou pas, il faut croire au produit. Et lui donner les moyens de réussir. C’est ce que j’ai fait en continuant à investir même en période difficile, au point d’entamer, au creux de la vague en 2013-2014, une totale rénovation des chambres. Aller à contre-courant permet de se démarquer. En 2016, le taux d’occupation a été médiocre, 38 %, mais notre résultat a quand même doublé. Pourquoi ? Parce qu’avec un produit adapté, le revenu moyen par client a augmenté de 40 %. Notre politique ne consiste pas à agir sur les prix mais à miser sur l’innovation et à enrichir les prestations de l’établissement. J’embauche 10 % d’effectif en plus pour répondre à des clients exigeants qui demandent des prestations de qualité et sont prêts à payer pour cela. Pour résumer, il faut constamment réinjecter les bénéfices pour maintenir son standing et diversifier ses prestations. ❐

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LE RENDEZ-VOUS par Emmanuelle Pontié

Alain Taïeb

Président du groupe Mobilitas (spécialiste du déménagement, du relocating et de l’archivage)

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endez-vous pris en après-midi dans le havre de verdure qu’offre la Closerie des Lilas, institution qui accueille le Paris littéraire et « arty » depuis 1847. Comme tous les vrais patrons, Alain Taïeb, 62 ans, est très ponctuel. Nous n’avons qu’une heure. Après la séance photo, la conversation s’engage, autour d’un café et un jus de fruit, avec le président de Mobilitas, géant tricolore du déménagement, du relocating, et depuis peu, de l’archivage. Le groupe, qui réalise autour de 40 % de son chiffre d’affaires sur le continent, compte 4 500 salariés dans le monde. Alain Taïeb parle d’abord d’une histoire de famille. Naissance en Tunisie avec ses trois frères et sœurs, dans ■ 1955 Naissance à Tunis. une famille de Français pieds-noirs, dont le père est numéro 2 de la Centrale électrique de ■ 1982 Il rejoint la société familiale Tunis. Puis, départ pour la France au moment AGS, créée par son père de l’Indépendance en 1967. « Cela s’est très en 1974, puis en devient bien passé, raconte-t-il. En douceur. Un de mes le directeur général. oncles, professeur à Strasbourg, s’est occupé ■ 1993 de notre “relocating”, même si le concept Il poursuit l’expansion n’existait pas encore à l’époque ! » Son père internationale en ouvrant une filiale en Côte d’Ivoire, retrouve du travail, emmène sa famille à Paris, ce qui signe le début dirige la société de son frère dans le transport de la présence africaine. et décide, enfin, de créer sa propre entreprise en 1974, AGS. Alain, lui, a 21 ans. Passionné ■ 2000 Création de la holding de mathématiques et de physique, il fait des Mobilitas pour réunir études d’ingénieur, se marie et part en 1977 en toutes les activités du coopération à Douala comme professeur durant groupe, déménagement, relocating puis archivage. deux ans. C’est le coup de foudre pour le pays,

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sa géographie, sa population… De retour en France, il exerce le métier d’ingénieur pendant deux ans, avant d’intégrer l’entreprise familiale et de travailler main dans la main avec son père. Petit à petit, il gagne en autonomie et devient directeur général. Son père restera président jusqu’à sa mort en 2001. AGS grandit, absorbe d’autres marques, comme Les Déménageurs bretons, leader du déménagement en France, Démépool et Archives Systèmes. La holding Mobilitas est créée en 2000 pour rassembler toutes ces activités : elle détient aujourd’hui une trentaine de sociétés en France, dont AGS bien sûr, très connue des expatriés, et des filiales dans 98 pays, dont la moitié en Afrique. C’est le père d’Alain qui entame cette ouverture à l’international dans les années 1980. Lancée dans les DOM-TOM, elle se poursuit en Europe, de la GrandeBretagne jusqu’en Ukraine. « On a développé l’ADN international de l’entreprise dans des environnements difficiles, ce qui a contribué à construire notre savoir-faire. On était capable d’aller partout, dans des régions organisées comme dans des zones plus olé olé ! », se souvient le patron de Mobilitas. Pour l’Afrique, c’est d’abord en Côte d’Ivoire en 1993, en raison de son environnement culturel et juridique francophone et de la forte demande d’expats, que la société a installé une filiale. Puis, très vite, le Sénégal, le Mali et les pays anglophones comme le Nigeria et le Ghana ont suivi. Progressivement, l’offre de déménagement s’assortit d’un nouveau métier qui a le vent en


PATRICK GÉLY POUR AMB

poupe aux États-Unis : le relocating. Il s’agit, en marge du déménagement d’un cadre à l’étranger, de lui proposer tout ce qui doit accompagner son départ et son installation : gérer l’appartement qu’il laisse, lui en trouver un à destination, ainsi qu’une école pour ses enfants, jusqu’à la hotline dédiée en cas de panique sur place… Actuellement, c’est une offre souscrite par les grandes entreprises à un tarif compris entre 1 000 et 20 000 euros, selon les prestations. Dernière corde à l’arc de la société familiale : l’archivage. Des données historiques d’une société, d’une administration, mais aussi de documents rares, tous formats, comme une partie des manuscrits de Tombouctou, récemment numérisés pour le Mali. « C’est une fierté d’avoir fait cela, affirme Alain Taïeb. Nous avons aussi par exemple scanné le tissu d’un sarcophage qui enveloppait un pharaon noir afin de le protéger et de le faire connaître à tous. En parallèle, nous formons localement des jeunes aux métiers de l’archivage et de la numérisation. » Une dernière question sur

l’Afrique et son avenir ? « Il faut y investir à long terme, reprend-il. Attendre que ça aille mieux, ne jamais partir quand ça va mal. C’est la seule région du monde qui a une croissance potentielle aussi importante. Et dans tous les domaines : population, économie, communication, etc. Bien sûr, actuellement, avec la chute des prix des matières premières et la montée des terrorismes, c’est la première fois, en vingt-cinq ans, que l’on assiste à un tel concert général de fausses notes… Alors en attendant, on travaille un peu plus en Afrique de l’Est, qui résiste mieux… » Investir sur le long terme, donc, et pour les générations futures aussi, puisque Alain prépare la 3e génération Taïeb, en la personne du fils de sa sœur, Cédric Castro, 42 ans – ses quatre enfants étant encore jeunes. « C’est lui qui prend le manche et il le prend bien ! », lance-t-il avant de nous quitter, tout sourire. Un dernier regard sur le lieu : « Ici, c’était mon adresse favorite de jeune célibataire, vous savez ! Je crois me souvenir de bons tournedos, avec un peu de foie gras dessus… » Une autre fois, avec plaisir ! ❐

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À LA CLOSERIE DES LILAS

171, boulevard du Montparnasse, 75006 Paris.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Stratégie C’est la ville de tous les superlatifs. Ici, peu de pétrole mais des projets gigantesques et une ambition sans limite. Sauf que la chute du prix du baril, les tensions géostratégiques et un certain essoufflement du modèle poussent l’émirat à trouver de nouvelles sources de croissance. Notamment dans les technologies et « l’économie mondiale du savoir ».

Dubaï à la recherche de sa réinvention par Sylvie A. Briand, à Dubaï

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KAMRAN JEBREILI/AP/SIPA

Après une courte pause liée à la crise en 2009, l’immobilier est reparti de plus belle, et les chantiers aussi démesurés qu’innovants continuent de fleurir dans la ville.

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RENCONTRES & REPORTAGES

La CROISSANCE reste portée par les secteurs du TOURISME et du bâtiment. 46

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ville de tous les superlatifs. L’émirat a su se transformer en une destination touristique prisée autant par les Russes que par les Européens et les Asiatiques, se classant juste derrière Paris avec près de 15 millions de visiteurs en 2016, mais aussi en une plate-forme globalisée de la finance et du transport aérien et maritime : le port de Jebel Ali fait partie des dix plus grands au monde pour le trafic de conteneurs, et l’aéroport de Dubaï est le premier en nombre de passagers sur les vols internationaux avec 83,6 millions de voyageurs en 2016, une hausse impressionnante de 423 % en seulement seize ans. Dubaï compte aussi une vingtaine de zones franches – le plus grand nombre per capita au monde – dans les domaines de la santé, de l’éducation, des médias, des technologies. Et, pour héberger tous les travailleurs étrangers qui affluent, un parc immobilier tentaculaire de tours et de villas a été édifié à une vitesse phénoménale et continue de s’étendre grâce à une main-d’œuvre peu onéreuse venue principalement d’Inde et du Pakistan.

REEM, premier robot policier au monde, est entré en fonction le mois dernier à Dubaï.

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DAVANTAGE DE PROFILS HAUTEMENT QUALIFIÉS Cet essor faramineux a connu un couac majeur en 2009, lorsque la crise financière mondiale a provoqué l’effondrement des prix sur le marché de l’immobilier. Sans un prêt de 20 milliards de dollars (17,7 milliards d’euros) d’Abu Dhabi, Dubaï aurait sans doute été acculé au défaut de paiement auprès de ses créanciers. Ceux qui prédisaient sa fin se sont pourtant trompés. Les affaires ont repris et les projets grandioses aussi. La croissance reste portée par les secteurs du tourisme et du bâtiment en préparation de l’Expo 2020, dans une ville où les travailleurs peu ou pas qualifiés représentent la grande majorité des actifs. Or, l’objectif de « progresser dans des secteurs d’activité plus innovants, comme les industries de pointe ou la recherche et le développement, est lié à la nécessité de réduire l’importance de la main-d’œuvre bon marché dans son modèle économique », notait, en 2016, l’Oxford Business Group dans un rapport. Bref, « l’avenir de Dubaï », pointait le cabinet d’intelligence économique et de conseil, se joue dans sa capacité à attirer davantage ■ ■ ■

FERRARI/VISUAL PRESS AGENCY

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’est l’histoire d’une ascension fulgurante, celle d’un petit port de pêche adossé au désert, qui ne comptait pas 60 000 âmes en 1969, devenu une métropole financière, touristique et commerciale de 2,7 millions d’habitants au sein de la fédération des Émirats arabes unis (EAU). Dubaï veut faire rêver. Rien ne semble vouloir arrêter ses projets gigantesques d’îles artificielles, de gratte-ciel futuristes et de centres commerciaux au luxe clinquant. Pas même une économie mondiale au ralenti qui a assombri le ciel émirati en provoquant depuis un peu plus d’un an plusieurs milliers de licenciements dans les seuls secteurs bancaire et aéronautique. Si la croissance ne semble pourtant pas menacée à court terme, avec une « prévision de 3 % par an en moyenne jusqu’en 2020 », souligne Khatija Haque, chef économiste pour la région Moyen-Orient/Afrique du Nord à la banque Emirates NBD, Dubaï doit se réformer pour assurer son avenir. Et c’est en « Silicon Valley » du Moyen-Orient qu’elle veut se réinventer. L’entrée en fonction récente du premier robot policier au monde, affecté à des missions d’accueil et de surveillance dans un centre commercial de l’émirat, illustre cette volonté d’innovation tous azimuts. Rien de moins que 81 milliards de dollars (72 milliards d’euros) doivent être investis d’ici 2030 pour faire passer Dubaï, mais aussi Abu Dhabi, la capitale fédérale et de très loin l’émirat le plus riche en pétrole, dans l’ère « post-hydrocarbures » d’une « économie mondiale du savoir » centrée sur le développement des sciences et des technologies de pointe. Dans cette course à l’innovation entre les pays du Golfe, les Dubaïotes ont déjà une longueur d’avance. Ne disposant que de très peu de ressources pétrolières, Dubaï a depuis longtemps misé sur la diversification de son économie pour devenir la


Le projet futuriste du pavillon consacré à la mobilité, imaginé par le cabinet londonien Foster + Partners, qui a déjà conçu de nombreuses réalisations aux EAU.

EXPO 2020 : ODE À L’INNOVATION

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architecte espagnol Santiago Calatrava, doit être le point d’orgue de l’expo. Pendant les six mois que durera l’exhibition, le site doit être alimenté à 50 % par des énergies renouvelables, et 90 % des matériaux de construction devront ensuite être recyclés ou revalorisés. Après l’Expo 2020, l’endroit est appelé à devenir un complexe industriel consacré aux technologies innovantes. Pour l’heure, Dubaï doit investir entre 2 et 4 milliards de dollars (de 1,7 à 3,5 milliards d’euros) pour la construction, et jusqu’à 8 milliards de dollars (7,1 milliards d’euros) pour les infrastructures secondaires (hôtels, commerces, métro, etc.) ; à la clé, plus de 10 milliards de dollars (8,9 milliards d’euros) de retombées par an, selon les estimations du cabinet de conseil Deloitte. ❐ S. B.

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inq ans après Milan, l’exposition universelle regroupant 180 pays de six continents s’ouvrira en octobre 2020 à Dubaï sur le thème « connecter les esprits, construire le futur ». Quelque 25 millions de visiteurs sont attendus sur le site qui s’étalera sur 440 hectares, près du nouvel aéroport Al-Maktoum, et sera relié au reste de la ville par une extension du métro, entièrement automatique et en viaduc sur la majeure partie de son parcours. « L’ambition de Dubaï est de créer une plate-forme de discussion mondiale et un véritable tremplin de créativité à travers des activités et des pavillons innovants », indique le site officiel de l’événement. Le pavillon des Émirats arabes unis, dont la conception a été confiée au très réputé

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RENCONTRES & REPORTAGES de profils hautement qualifiés si elle veut rattraper son retard en matière d’innovation. Si les Émirats arabes unis sont passés en un an de la 47e à la 41e position dans le « Global Innovation Index », ils se classent derrière la Grèce et bien loin de Singapour (6e) et Hongkong (14e), les deux villes modèles pour Dubaï. Pour grimper dans les échelons, les Émirats entendent tripler le nombre de salariés qualifiés ou diplômés, qui devraient former 40 % de la main-d’œuvre expatriée d’ici 2021. Et, pour les attirer, Dubaï continue de faire valoir un environnement sans taxe, sécurisé et confortable. « Ce qui marche plutôt bien », estime Khatija Haque. L’émirat de Dubaï n’est pourtant pas exempt de taxes, directes ou indirectes, qui alourdissent les factures d’électricité, les notes de certains restaurants et les loyers, qui n’ont rien à envier à ceux de Paris ou Londres. Et la chute des cours du pétrole a contraint tous les pays du Golfe, à commencer par le géant saoudien (voir AMB n° 14), à revoir leur copie en matière d’imposition et de subsides. À partir du 1er janvier 2018, les Émirats deviendront le premier pays de la région à instaurer progressivement une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 5 %, qui doit, à terme, rapporter plus de 5 milliards de dollars par an à l’État. Si la création d’un impôt sur le revenu n’est pas à l’ordre du jour, le sujet n’est plus tabou, même si sa mise en œuvre reste très improbable. Le coût de la vie à Dubaï est déjà élevé pour les expatriés, notamment pour les familles qui ont des enfants à l’école. C’est dire qu’à moins d’avoir un salaire et des avantages conséquents, un professionnel de haut niveau ne risque guère d’être tenté par l’aventure. Ce sont ceux originaires de Russie, d’Asie ou d’Afrique, qui recherchent souvent moins une rému-

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Dans cette monarchie quasi ABSOLUE, on est prêt à accueillir des TALENTS de tous les horizons, à condition qu’ils ne se MÊLENT pas de politique. nération qu’une stabilité, que Dubaï pourrait avoir le plus de mal à recruter. De fait, aux Émirats, sauf cas exceptionnel, les expatriés – majoritairement indiens et pakistanais avec une minorité d’Arabes et d’Occidentaux – demeurent toujours soumis aux aléas de l’obtention du visa, peu importe le nombre d’années passées sur le territoire. Le permis de résidence est lié au travail, ce qui veut dire que perdre son emploi entraîne automatiquement l’annulation de sa carte de séjour. Donc, entre la possibilité de travailler à Dubaï et celle d’occuper un poste ou de poursuivre des études supérieures dans un pays occidental, qui offre un passeport et des avantages sociaux au bout d’un certain nombre d’années, le choix ne laisse souvent guère de place à l’hésitation.

Business as usual ?

par Zyad Limam, envoyé spécial

ourant mai 2017, à quelques jours du début du ramadan, la chaleur écrase rapidement la ville. Un petit 40 °C s’affiche dès les premières heures de la matinée. Dubaï n’en perd pas pour autant son activité fébrile. Les embouteillages sont en passe de devenir légendaires, les hôtels de luxe et restaurants classy font presque le plein et les superjumbo A380 d’Emirates s’apprêtent à décoller ou atterrir en provenance ou à destination des quatre coins du monde. On regarde avec stupéfaction tout de même cette ville grandir en largeur, en hauteur, et on ne peut s’empêcher de repenser à ces photos en noir et blanc du début des années 1980, où quelques petits immeubles s’élevaient dans le désert, non loin du vieux port et de la vieille ville où s’élève Burj Dubaï. Ici, maintenant, l’ambition, l’optimisme, le volontarisme, le gigantisme restent de rigueur. Dubaï multiplie les projets et les objectifs pour maintenir la machine sous pression. Il y a évidemment l’exposition universelle 2020 qui mobilise, malgré quelques rares critiques intérieures, toutes les

énergies. Trop coûteux disent certains, avec une clientèle potentielle peu adaptée aux prix et au luxe de la ville disent les autres. Il y a la volonté aussi d’accentuer la stratégie de hub mondial, en présentant de nouveaux axes comme le concept de « getaway to Africa ». De se poser en interface entre l’Asie et le continent. Il y a la volonté d’investir dans le savoir et la technologie. La multiplication des zones offshore, des réceptifs hôteliers, des congrès… Comme le souligne ce spécialiste, résident de la ville, « le modèle doit se réinventer en permanence pour fonctionner, pour attirer visiteurs et investisseurs. Il faut une idée nouvelle tous les jours ou presque… » La baisse des prix du pétrole, la surcapacité immobilière, les tensions régionales jouent évidemment, avec un ralentissement perceptible, que les chauffeurs de taxi et autres résidents plus humbles de l’Émirat ressentent davantage. Dans le contexte, certains analystes évoquent des vrais défis à affronter pour maintenir l’attractivité de la cité. Le coût de la vie, celui du business, le « global cost » dans son ensemble est devenu très élevé, même pour

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Stratégie

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Dubaï à la recherche de sa réinvention Sur ce point, un jeune et influent commentateur issu de la famille régnante de l’émirat de Sharjah, Sultan Sooud Al Qassemi, avait proposé de naturaliser « des entrepreneurs, scientifiques, universitaires et autres travailleurs » contribuant de façon exceptionnelle au rayonnement des EAU. Sa tribune, publiée fin 2013 dans un journal anglophone de Dubaï, avait suscité un tollé au sein de la société. C’est que les Émiratis se sentent parfois menacés dans leur identité, dans un pays où ils ne représentent plus qu’environ 12 % de la population. Une situation délicate que le gouvernement tente d’apaiser par l’octroi de nombreux avantages financiers en matière de logements, santé et éducation. Reste que le poids des nationaux dans le marché du travail est minime, surtout dans le secteur privé, où ils ne représentaient en 2016 autour de 0,5 % de la main-d’œuvre totale, selon des chiffres officiels et en dépit d’un programme visant à favoriser leur embauche. « La grande difficulté est de trouver un équilibre entre la population locale et expatriée », résume l’économiste Nasser Saïdi, ancien ministre libanais de l’Économie installé depuis plusieurs années à Dubaï. « Les Émirats ont tout à fait conscience de la nécessité d’attirer des professionnels pour donner du souffle à l’écono-

OLIVER TJADEN/LAIF-REA

L’aéroport de Dubaï, le troisième plus fréquenté au monde. les résidents expatriés, qui s’en plaignent abondamment. Et la perspective de l’introduction progressive de la TVA et d’autres taxes risquent de refroidir ceux qui cherchent avant tout à optimiser leurs charges. La stratégie de hub nécessite aussi une certaine rationalisation. Et aussi une réflexion au niveau fédéral, au niveau des Émirats arabes unis (et donc d’Abu Dhabi) : est-il vraiment utile et raisonnable de maintenir deux compagnies aériennes à l’ambition mondiale (dont une, Etihad, est mal en point) ? De construire des méga-aéroports à cinquante kilomètres de distance ? Il faut également régler les problèmes de management et de gouvernance dans la sphère du pouvoir et de l’administration, où s’entrechoquent sophistication des projets, méthodes ancestrales, liens de familles : complexité d’un émirat traditionnel confronté aux enjeux du monde moderne et se voulant global. Enfin, la situation géostratégique et les tensions régionales pèsent lourdement sur la stratégie de la ville et sa volonté de servir

mie, mais aussi de les garder sur place », ajoute-t-il. Et ce, sans mécontenter les nationaux, ni perturber l’ordre établi. Car, dans cette monarchie quasi absolue, qui interdit les partis politiques et les manifestations, on est prêt à accueillir en masse des talents de tous les horizons, à condition qu’ils ne se mêlent pas de politique et qu’ils se gardent bien de critiquer les Émirats sur les réseaux sociaux. C’est le prix, croit-on, de la stabilité et du développement. C’est aussi pour cela que la naturalisation d’étrangers ne semble pas, pour le moment, une option pour les Émirats, qui préfèrent réformer leur régime de visas. Une nouvelle mouture facilitant le séjour des entrepreneurs, scientifiques et chercheurs a récemment été approuvée et devrait entrer en vigueur à une date encore non précisée. ESPOIR AU MOYEN-ORIENT La cité émiratie pourrait enfin profiter des mesures protectionnistes et anti-immigration prônées par le président américain Donald Trump, ainsi que des tensions en Europe dues au Brexit et à l’afflux de réfugiés, pour attirer des entrepreneurs arabes, africains, asiatiques, voire européens et américains. « Je pense que le marché émirati offre davantage d’opportunités pour de jeunes talents que l’Europe ou les États-Unis, qui sont déjà passablement saturés, estime Nasser Saïdi. Et il ne faut pas oublier que Dubaï reste le seul endroit au MoyenOrient qui donne de l’espoir. Dans une région en plein tumulte, les nouvelles générations peuvent ici se construire, se réaliser. » À Dubaï, on peut en effet créer des start-up, inventer des applications pour téléphone et faire de la recherche sur les énergies vertes en toute liberté… ou presque. ❐

de pont. Le « Ruler » Mohamed El Maktoum, « Sheikh Mo », a toujours cherché une position d’équilibre et de neutralité dans la région, position mise à mal par les décisions nettement plus tranchées d’Abu Dhabi, véritable maître de la fédération. La guerre au Yémen (et son cortège de tragédies civiles et de pertes pour l’armée émiratie), et surtout la rupture profonde entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ont déstabilisé un émirat largement ouvert aux capitaux iraniens et où un certain nombre de grandes familles sont issues du chiisme. Comme le souligne un important chef d’entreprise, « l’intérêt de l’émirat se trouve au moins autant vers son très grand et inévitable voisin de l’est et ses 90 millions d’habitants que vers une Arabie saoudite en crise, crispée, tentée par une volonté hégémonique sur toute la péninsule arabique et le Golfe ». En attendant, dans les palais princiers de Dubaï, la prudence est de mise, plus encore avec la mise au ban du Qatar. L’heure est à la solidarité nationale, à la discrétion politique, à la retenue. Avec un concept finalement essentiel : the show must go on and it is business as usual… ❐

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RENCONTRES & REPORTAGES

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Alon Lits

DIRECTEUR GÉNÉRAL D’UBER POUR L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE

« Un jour Uber sera présent à Dakar et Abidjan ! » Implanté dans 15 villes du continent, le géant américain du service de voitures de transport avec chauffeur (VTC) vise maintenant l’Afrique de l’Ouest francophone. Ses grandes ambitions ne cachent pas ses difficultés : concurrence locale, conflits avec les taxis, revendications de ses propres conducteurs. Sans oublier la bataille à la rentabilité, loin d’être gagnée…

GAMMA NINE PHOTOGRAPHY

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propos recueillis par Liza Fabbian, à Johannesburg

l reçoit dans ses bureaux du quartier de Parktown North, l’une des banlieues résidentielles de Johannesburg. Décoration minimaliste, confort spartiate, ambiance de start-up. Diplômé de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead) et passé par la banque d’investissement Investec, Alon Lits, Sud-Africain de 31 ans, a rejoint la société américaine Uber en août 2013 pour son lancement à Johannesburg. La capitale économique de la nation Arc-en-Ciel était alors la première ville africaine, et la 34e dans le monde, à utiliser l’application proposant un service de chauffeur privé à la demande. Créée en 2009 dans la Silicon Valley, elle s’est développée à la vitesse de l’éclair en Europe et en Asie, avant de s’attaquer à l’Afrique, révolutionnant le monde du transport et bouleversant les modèles économiques traditionnels. Sur le continent, elle couvre désormais quinze villes : Casablanca, Alexandrie, Le Caire, Port Elizabeth, Dar Es Salaam, Kampala, Mombasa, Nairobi, Accra, Lagos, Abuja, Durban, Johannesbourg, Pretoria

et Le Cap. Revendiquant plus de 500 000 utilisateurs et près de 4 000 conducteurs en Afrique du Sud, respectivement 140 000 et 12 000 au Maroc, elle entend poursuivre son expansion, à tout prix. Au Kenya, elle vient de lancer un nouveau service, UberGo, version low cost d’Uber X, pour concurrencer le compétiteur soutenu par Safaricom, Little Cab, et tirer ses coûts à la baisse. L’innovation a provoqué une levée de boucliers au sein des chauffeurs, qui dénonçaient déjà la faiblesse de leur rémunération. Mais le leader des VTC doit aussi composer avec les problèmes logistiques, l’opposition des taxis et les exigences réglementaires des autorités. Sans oublier des difficultés au niveau même du groupe, valorisé à hauteur de 70 milliards de dollars (62 millions d’euros) : après des départs en série de hauts dirigeants, il a présenté des pertes de plus de 700 millions de dollars pour le premier trimestre 2017. En réponse, Uber souligne qu’il dispose de plus de 7 milliards de trésorerie, a vu son chiffre d’affaires augmenter de 18 % par rapport au dernier trimestre de ■ ■ ■

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RENCONTRES & REPORTAGES

Alon Lits

■ ■ ■ 2016 et continuera à investir pour innover et développer des équipes sur le terrain.

AMB : Uber a débarqué sur le continent en 2013 en Afrique du Sud. Aujourd’hui, il est présent dans huit pays. Comment s’est réalisé ce développement ? Alon Lits : Le marché sud-africain présentait toutes

PLUS DE 500 000 UTILISATEURS ET PRÈS DE 4 000 CONDUCTEURS EN AFRIQUE DU SUD

les caractéristiques requises pour permettre notre entrée sur le continent. Les gens y ont l’habitude de faire des transactions bancaires en ligne et le smartphone fait partie de la vie quotidienne. Après Johannesburg, nous avons rapidement pu nous étendre à Durban et au Cap. Puis, en juin 2014, nous avons décidé de nous implanter au Nigeria, toujours pour les mêmes raisons : importante pénétration des réseaux sociaux, des habitants friands de nouvelles technologies et une population immense ! L’Égypte a suivi. Ensuite, en 2015, nous nous sommes implantés à Nairobi (Kenya) et à Casablanca (Maroc). En juin 2016, nous avons ouvert notre service dans trois nouvelles villes en trois semaines : Dar es-Salaam (Tanzanie), Kampala (Ouganda) et Accra (Ghana). Nous considérons que tous ces pays ont des similarités que nous devons exploiter en nous appuyant sur l’expérience accumulée jusqu’ici. Bien évidemment, il y a aussi des différences notables, que nous devons prendre en compte afin d’avancer prudemment.

Quelles sont les prochaines villes africaines dans lesquelles Uber prévoit de s’implanter ? UBER A PRÉSENTÉ DES PERTES DE 708 MILLIONS DE DOLLARS AU 1er TRIMESTRE 20 17

À ce stade, nous cherchons réellement à nous concentrer sur les pays dans lesquels nous sommes déjà actifs. Mais nous regardons déjà vers l’Afrique de l’Ouest. Notre prochaine destination devrait être Abidjan ou Dakar, mais c’est encore en discussion et il n’y a pas de date de lancement arrêtée. Évidemment, cela pose de nouveaux défis, puisque jusque-là notre application est centralisée autour de l’anglais, même si nous avons aussi développé une version en swahili en Afrique de l’Est. Du coup, la dynamique va être un peu différente, mais comme nous avons la chance d’être une compagnie globale, nous allons certainement collaborer avec notre équipe à Paris pour dépasser la barrière de la langue.

Votre service est proposé uniquement dans les grands centres urbains et cible en priorité la classe moyenne… Est-ce une stratégie délibérée de votre part ? Il faut bien comprendre que nous ne serions rien sans les smartphones. Leur pénétration dans la population et une couverture 3G décente sont des prérequis à l’implantation d’Uber dans un

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pays. Donc, oui, il est vrai que notre offre s’adresse plutôt à la classe moyenne, mais les smartphones sont aussi de moins en moins chers et de plus en plus accessibles, donc les choses sont en train d’évoluer. L’accès à la banque en ligne a pu être une autre barrière, mais cela s’est réglé grâce à la mise en place d’un système de paiement en liquide.

N’est-ce pas un marché trop limité pour assurer une rentabilité ? Nous ne communiquons pas sur nos résultats financiers ni sur nos financements. Cela dit, nous ne continuerions pas à nous développer sur le continent si ce n’était pas une stratégie payante.

Les taux de bancarisation encore bas, en lien avec la faible pratique du paiement mobile, indispensable à l’utilisation de votre application, représentent-ils des obstacles majeurs ? Nous avons compris qu’il y avait un problème quand nous avons étendu notre activité au Kenya. Beaucoup de gens téléchargeaient l’application, mais la plupart ne l’utilisaient jamais. Trois mois après notre lancement à Nairobi, les résultats n’étaient clairement pas bons. Nos équipes sur le terrain ont étudié la situation et constaté que les utilisateurs avaient du mal avec l’idée de payer en ligne : ce n’était pas dans leurs habitudes. Sans compter que beaucoup de Kényans n’ont même pas de compte bancaire. Nous avons travaillé sur la possibilité d’utiliser de l’argent liquide pour régler une course, une option qui existait déjà en Inde. Nairobi a été la deuxième ville au monde à en bénéficier, puis nous l’avons étendue aux autres pays africains.

Cette pratique est cependant à l’opposé de la philosophie d’Uber, fondée sur un service exécuté sans aucune transaction physique, sans présence de cash… Oui, d’ailleurs, cela n’a pas été facile en interne. Nous avons dû présenter une étude de cas et défendre notre projet en prouvant qu’il était rentable. Puis, nous avons lancé une étude pilote au Kenya, avec deux groupes d’utilisateurs, dont l’un pouvait utiliser de l’argent liquide pour payer et l’autre pas. Nous avons vite constaté que ceux qui avaient cette possibilité utilisaient beaucoup plus l’application. Une fois qu’ils avaient payé une première course en liquide, ils continuaient à utiliser Uber. Aujourd’hui, presque tous nos utilisateurs kényans paient en cash, ce qui a vraiment transformé le marché. Cette décision a été cruciale pour notre développement sur le continent. Sans cela, nous n’aurions pas pu continuer notre expansion.


« Un jour, Uber sera présent à Dakar et Abidjan ! »

Pourtant, beaucoup de Kényans pratiquent le transfert d’argent par mobile, via le système M-Pesa, et pourraient l’utiliser pour régler des courses. Plusieurs concurrents locaux doivent leur succès à cette option d’ailleurs. Nous le proposons aussi à nos clients. Au moment de s’acquitter de la facture, ils ont le choix entre trois possibilités [Uber prélève 25 % de commission sur chaque course, quelle que soit la méthode de paiement utilisée, NDLR] : le paiement mobile classique, comme aux États-Unis ou en Europe, le règlement en cash via un transfert sur le compte mobile de leur chauffeur réalisé avec M-Pesa, ou le règlement en liquide, en pièces ou billets. Sauf que l’on constate en pratique que la majorité des clients préfère la troisième option, la monnaie sonnante et trébuchante.

SIPHINE SIBEKO/REUTERS

Comment gérez-vous les risques liés aux paiements en liquide, moins sûrs qu’une transaction bancaire automatisée ? Nos études montrent qu’il n’y a pas plus de conflits entre les chauffeurs et les clients, ou encore avec une troisième partie, lors de ces échanges. C’est parce que les choses se passaient bien au Kenya que nous avons pu étendre le système aux autres pays.

Quels sont les autres défis spécifiques aux villes africaines ? Si je prends l’exemple de Lagos, au Nigeria, la couverture du réseau n’y est pas toujours très bonne, ce qui complique considérablement le

travail de nos chauffeurs. Pour surmonter cette difficulté, nous leur suggérons de se munir de deux cartes SIM de deux opérateurs différents. Les pénuries d’essence posant également des problèmes, nous tâchons d’informer en temps réel nos chauffeurs sur les endroits où ils peuvent aller s’approvisionner en carburant. Le système est encore loin d’être parfait, mais, grâce à nos équipes sur place, nous traitons les problèmes un par un et élaborons des réponses concrètes. Autre exemple, en Afrique du Sud cette fois, où nous avons conclu un partenariat avec WesBank afin de faciliter l’accès des chauffeurs au crédit pour l’acquisition d’une voiture. S’ils obtiennent une bonne évaluation sur un nombre de courses donné, réalisées avec un véhicule prêté, et dans un temps imparti, ils obtiennent un prêt pour acheter leur véhicule. Nous avons dupliqué le système au Kenya avec Sidian Bank, et nous avons lancé un projet pilote au Nigeria avec ■■■ First Bank.

Siège du groupe américain dans le quartier de Parktown North à Johannesburg en Afrique du Sud.

L’accès à la banque en ligne a pu être une BARRIÈRE, mais cela s’est réglé grâce à la mise en place d’un système de PAIEMENT en liquide. JUIN-JUILLET 2017

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RENCONTRES & REPORTAGES

Alon Lits Comment contourner l’absence d’adressage précis dans de nombreuses métropoles ?

Maghreb : entre innovations et tensions

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ans le nord du continent, Uber est présent dans deux pays, l’Égypte et le Maroc, dont les directions nationales sont rattachées au bureau régional Moyen-Orient. Son arrivée à Casablanca en juillet 2015 a provoqué des remous. De nombreux incidents violents ont eu lieu entre taxis et véhicules de transport avec chauffeur (VTC). Depuis, la compagnie américaine a développé ses activités. Elle propose désormais trois types de services, UberX (mise en relation classique entre voyageurs et chauffeurs), UberSelect (service haut de gamme) et UberTaxi (mise en relation avec des taxis rouges ordinaires). Elle a aussi installé sur place un centre d’appel pour ses activités UberTransportation et UberEATS, où 450 opérateurs répondent aux demandes de clients situés au Canada, en Russie, en Europe, au Moyen-Orient et sur le continent. Durant la COP22, fin 2016, Uber avait aussi fait parler de lui en offrant un système de transport en véhicule électrique. Malgré tout, les relations restent tendues avec les taxis, qui accusent Uber de concurrence déloyale, comme avec les autorités, la wilaya de Casablanca ayant saisi la justice et déclaré ses activités illégales en octobre 2016. La compagnie réplique qu’elle vise à compléter l’offre de transports, pas concurrencer les acteurs existants, appelant en outre à une modernisation de la réglementation pour clarifier l’actuel flou juridique. Au total, quelque 12 000 chauffeurs de VTC sont en activité dans la capitale économique marocaine, travaillant via Uber, mais aussi via son concurrent venu de Dubai, Careem. Même émulation en Égypte, où le nombre de chauffeurs a été multiplié par 7 entre mai et novembre 2015 pour atteindre aujourd’hui 40 000. Et même grogne des taxis, qui organisent régulièrement des manifestations contre les chauffeurs Uber. Active au Caire et à Alexandrie, la société américaine projette d’élargir ses activités à d’autres villes du pays, dont Gizeh et El Gouna, de lancer le service UberPool et de renforcer ses investissements dans les deux prochaines années. Elle vient enfin de s’associer avec Nile Taxi, une compagnie privée qui propose un transport par bateau sur le Nil, pour lancer un service inédit : UberBoat, en phase d’expérimentation depuis mi-mai dans la capitale égyptienne. ❐ L.F.

Nous avons créé un service de voitures qui se rendent sur le terrain pour collecter des données et créer nos propres cartes. Autre solution, nous testons au Kenya un partenariat avec la start-up locale Okhi, qui utilise des photographies pour compenser le manque de précisions ou l’absence d’adresses postales. Au lieu de se diriger vers un numéro et un nom de rue, le chauffeur sait qu’il doit se rendre, par exemple, devant la maison bleue avec un portail rouge dans une rue identifiée grâce à la présence de magasins ou de sièges de sociétés connues.

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L’arrivée de la compagnie à Casablanca en juillet 2015 a provoqué des remous. De nombreux incidents violents entre taxis et VTC ont eu lieu.

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Autrement dit, le fonctionnement d’Uber comporte une marge d’adaptation afin de développer des solutions locales si c’est nécessaire ? Évidemment. Nous attendons un retour sur investissement là où nous implantons notre activité et nous devons nous donner toutes les chances de réussir. C’est aussi pour cette raison que nous avons des équipes sur place. Dans le cas de Lagos, nous n’excluons pas de développer de nouvelles solutions de transport, plus adaptées à la réalité du trafic dans une ville aussi congestionnée. Pourquoi pas s’associer avec les chauffeurs de « keke », ces taxis tricycles ? Nous croyons dans la multimodalité des transports. Uber a des motos à Djakarta, en Indonésie, par exemple…

La question de la sécurité pour les utilisateurs est également récurrente. Nombre d’entre eux vont préférer utiliser un chauffeur de taxi qu’ils connaissent déjà ou qui leur a été recommandé, plutôt qu’un inconnu. De quelle manière sélectionnez-vous les conducteurs ? Cela dépend du pays. En Afrique du Sud, il y a une base de d’empreintes digitales assez sûre, que nous pouvons consulter. Ce n’est pas le cas au Nigeria, où les informations restent limitées. Nous utilisons donc un ensemble de tests élaborés par la Banque mondiale, qui va bientôt être complété par notre propre outil de sélection, développé en interne. Ensuite, chacun de nos chauffeurs suit une formation, à distance ou en personne. Nous leur donnons des conseils pour utiliser au mieux l’application, se déplacer le plus efficacement, assurer le meilleur service aux clients. Dans chaque ville, ils bénéficient d’un service téléphonique d’assistance disponible 24 heures sur 24.

Sauf qu’en Afrique du Sud, lorsque certains


« Un jour, Uber sera présent à Dakar et Abidjan ! »

Uber réfléchit à mettre en place de nouvelles solutions de transport, comme des motos ou des « keke », ces taxis tricycles utilisés à Lagos.

ont essayé de protester devant vos locaux et de vous rencontrer, au début du mois de mars dernier, ils ont trouvé porte close… Je tiens à préciser que cette grève a mobilisé moins de quinze chauffeurs sur un réseau qui en compte plusieurs milliers. Ensuite, nous avons des forums pour que les chauffeurs – qui sont pour nous des clients et non des employés – s’expriment. L’idée qu’ils n’ont pas de moyens de communiquer avec nous est totalement fausse. Je reçois chaque jour des mails et des messages WhatsApp de leur part, auxquels je m’efforce de répondre.

Certains conducteurs, en Afrique du Sud encore, estiment qu’Uber ne les protège pas suffisamment des violences éventuelles liées aux tensions avec les taxis…

ANDREW SOGLO/IDREWIT

Nous avons essayé d’établir un dialogue avec les autorités à ce sujet. Nous avons parlé avec la police et identifié certains points chauds, notamment autour du train rapide qui relie Johannesburg à Pretoria. Puis, nous avons mis en place des renforts de sécurité dans ces secteurs. Un numéro d’urgence pour contacter directement la police et les services médicaux a aussi été mis en place.

Que répondez-vous aux accusations de concurrence déloyale émanant des taxis ? En Afrique du Sud, nous sommes tous soumis au même système de licence. Pour exercer, nos chauffeurs doivent payer le même prix et suivre la même procédure que les taxis. La critique ne

Nous TESTONS au Kenya un partenariat avec la startup locale Okhi, qui utilise des PHOTOGRAPHIES pour compenser le manque de précisions ou l’absence d’adresses POSTALES. tient pas. Au-delà de ce débat, nous aimerions pouvoir entamer un dialogue afin de comprendre pourquoi les chauffeurs de taxi ne souhaitent pas nous rejoindre. Il y a des opportunités dont tout le monde peut bénéficier.

Vous subissez également la concurrence de start-up locales qui ont lancé leur propre système de taxis en ligne, comme Easy Taxi, présent au Kenya et en Égypte notamment. Est-ce une menace pour vous ? Je pense vraiment que, plus l’offre est fournie et diversifiée, mieux c’est. Les consommateurs, comme les chauffeurs, vont pouvoir comparer et choisir ce qui leur convient le mieux. Pour nous, la compétition est une bonne chose. D’une part, elle incite encore davantage à proposer un service de qualité, à créer de la valeur ajoutée, ce qui est notre créneau. D’autre part, elle rend de plus en plus naturelle l’idée de prendre son téléphone pour commander une course, ce qui est positif. ❐

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THOMAS LINKEL/LAIF-REA

Cinq millions de touristes étrangers accueillis en 2016, un record historique. Ici, vue de la capitale Bogotá et de ses gratte-ciel.

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Émergence

Longtemps plaque tournante du trafic de cocaïne et déchiré par une interminable guerre civile, le pays renoue avec la stabilité. Et s’impose progressivement comme un marché prometteur. Un réveil entamé bien avant l’accord de paix signé fin 2016 avec les Farc.

Colombie, fragile renaissance par Marie-Ève Detœuf, à Bogotá

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RENCONTRES & REPORTAGES

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a paix est un devoir moral. Et c’est une bonne affaire. Le président colombien Juan Manuel Santos ne cesse de le répéter. En décembre dernier, son gouvernement a signé avec les guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) un accord de paix mettant fin à un demi-siècle de conflit violent et d’horreurs. Une nouvelle qui a fait la une de l’actualité internationale. Depuis, les 7 000 combattants et combattantes de l’organisation armée se sont regroupés dans une trentaine de zones dites transitoires en vue de leur désarmement définitif. Et le président Santos, Prix Nobel de la paix 2016, fait miroiter des lendemains qui chantent à ses 49 millions de compatriotes ainsi qu’aux investisseurs étrangers. « L’horrible nuit a pris fin », affirme-t-il, citant l’hymne national. Après avoir été désignée « pays de l’année 2016 » par le prestigieux hebdomadaire britannique The Economist, la Colombie est en passe d’être admise à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), club des pays riches du Nord qui, depuis plusieurs années, joue l’ouverture au Sud. Des signaux qui ne trompent pas. Malgré sa dépendance aux recettes des ventes de pétrole et de charbon, qui représentent 60 % de ses exportations, la troisième nation d’Amérique latine en termes de population, après le Brésil et le Mexique, a enregistré une moyenne de 5 % de croissance sur la dernière décennie. Si le chiffre de 2,3 % prévu pour cette année est modeste, il devrait remonter à 3 % dès l’an prochain, selon le Fonds monétaire international (FMI). Le pays, qui fait déjà partie des « CIVETS » aux côtés de l’Indonésie, du Vietnam, de l’Égypte, de la Turquie et de l’Afrique du Sud, entend bien asseoir son statut d’économie émergente. « La Colombie est une success-story unique au monde. Nous sommes passés de l’adversité à la paix. Nous sommes devenus un pays d’opportunités », affirme avec enthousiasme Felipe Jaramillo, directeur de ProColombia, l’organisme chargé de promouvoir le tourisme, les investissements, les exportations et l’image du pays. Stratégiquement logée entre deux océans, tout au nord du continent sud-américain, la Colombie jouit d’une situation géographique privilégiée et d’immenses ressources naturelles : pétrole, charbon mais aussi café et or. Elle peut en outre se targuer de sa longue histoire démocratique et de sa stabilité macroéconomique. Affectée par la crise de 2008 puis par l’effondrement des prix du pétrole en 2014, elle a toutefois mieux su encaisser ces chocs que ses voisins. Elle a aligné dixsept années consécutives de croissance, son produit intérieur brut (PIB) ayant bondi de 93 % sur la même période et la pauvreté reculé de moitié pour se situer à 28 % de la population. Au-delà des bonnes prévisions pour cette année et la suivante,

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Émergence

le département du Plan colombien estime que la pacification du pays devrait représenter de 1,1 à 2 points supplémentaires de croissance annuelle du PIB dans les prochaines années. Et ce ne sont pas les seuls indicateurs positifs. « Depuis que nous avons ouvert, en février dernier, les ventes sont quasiment trois fois plus importantes que nos prévisions les plus optimistes », témoigne l’Espagnol Miguel Pámpanas, le directeur du tout nouveau magasin d’articles de sport Décathlon, installé dans les quartiers nord de la capitale. Un record pour le groupe français, qui en est à sa 32e implantation à l’étranger. Les Colombiens sont sportifs, le marché est prometteur. Décathlon envisage déjà de s’étendre à Bogotá et d’ouvrir des magasins dans les dix villes les plus importantes du pays. Comme nombre de chefs d’entreprise sur place, Miguel Pámpanas vante la qualité de la main-d’œuvre locale. « La plupart de cadres que nous avons engagés ont fait des études aux États-Unis ou en Europe, tous parlent anglais », commente-t-il. Mille kilomètres plus au nord, sur la côte caraïbe, les touristes américains arrivés en paquebots affluent dans la ville coloniale de Carthagène des Indes. « Resté inexploré du fait de l’insécurité, le pays est une perle que les touristes du monde commencent à découvrir », commente Richard Launay, le directeur de l’hôtel Santa Clara. Selon les chiffres officiels, 5 millions de visiteurs étrangers se sont rendus en terres colombiennes l’an passé, un record historique. Les agences de voyages multiplient d’ailleurs les offres vers le pays andin. Grande comme deux fois et demi la France, la Colombie offre de belles plages – de sable blanc côté caraïbe, noir côté pacifique –, est traversée par trois cordillères aux pics enneigés et en partie couverte de jungle amazonienne : un paradis écotouristique. « Le tourisme et l’agriculture sont probablement les secteurs les plus sensibles à l’amélioration des conditions de sécurité. La paix va les dynamiser », souligne Daniel Linsker, analyste de l’agence Control Risks. « Les statistiques indiquent que le pays reste plus violent que le Mexique, reprend-il. Mais la situation en Colombie s’améliore alors qu’elle empire au Mexique. Et en matière de sécurité, la perception est souvent plus importante que la réalité. » ANCIEN « ÉTAT FAILLI » On est donc bien loin de l’image de pays paria qui a prévalu pendant des années. Premier producteur mondial de cocaïne, champion toute catégorie en matière d’enlèvements, premier exportateur latino-américain de faux billets et de prostituées, l’État alignait les tristes records au tournant du millénaire. Dans les années 2000, l’enlèvement de la FrancoColombienne Ingrid Betancourt, otage des Farc de 2002 à


Colombie, fragile renaissance

JORGE SAENZ/AP/SIPA

Signature d’un accord de paix, stabilisation budgétaire, attrait économique… Si les signes sont encourageants, pour le président Juan Manuel Santos, les chantiers restent nombreux.

2008, le projette négativement sur la scène médiatique internationale. Aujourd’hui encore, son nom est souvent associé à celui de Pablo Escobar, narcotrafiquant mondialement connu, capo di tutti capi abattu par la police en 1993. La série Narcos, récemment produite et diffusée par la plate-forme Netflix, est d’ailleurs là pour le rappeler. Alors, comment la Colombie, hier « État failli » selon la revue Foreign Affairs, a-t-elle rebondi ? Pour le comprendre, un bref retour en arrière s’impose. Dans les années 1990, après la disparition d’Escobar, la mafia se fractionne en une myriade de gangs qui s’allient aux milices paramilitaires et à la guérilla marxiste. Avant de passer sous la coupe des barons mexicains qui aujourd’hui dominent le négoce. Activité informelle, le trafic de drogue n’a jamais représenté plus de 3 % du PIB. Mais le combat contre les cartels, mené sous la houlette de Washington, coûte, lui, cher à l’État et à la société. En 2002, Álvaro Uribe arrive au pouvoir sur la promesse d’en finir coûte que coûte avec les rebelles, responsables à ses yeux de tous les maux du pays. Les Américains suivent. En dix ans, le « Plan Colombie » (mis en place par le président Bill Clinton et poursuivi par George W. Bush) draine vers le pays quelque 9 milliards de dollars d’aide militaire. L’armée se modernise, reprend l’offensive, sécurise les villes et les grands axes routiers, alors que le boom des matières premières attire les compagnies minières et pétrolières. La

Le pays a aligné 17 années consécutives de croissance, son PIB a bondi de 93 % et la pauvreté a reculé de moitié, à 28 % de la population. croissance est au beau fixe, la Colombie reprend confiance en elle et Álvaro Uribe est réélu haut la main en 2006, au grand dam des défenseurs des droits de l’homme qui dénoncent les dérives de sa politique sécuritaire. Juan Manuel Santos devient ministre de la Défense, puis président à son tour en 2010. Dès le jour de son investiture, ce fils de grande famille crée la surprise en tendant la main aux ennemis d’hier. Álvaro Uribe crie à la trahison. Mais, les négociations de paix engagées avec les Farc achèvent de convaincre la communauté internatio-

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RENCONTRES & REPORTAGES nale, dont les États-Unis, que la Colombie est sur la bonne voie. L’alignement politique de Bogotá sur Washington – jamais démenti – lui assure le soutien sans faille de l’Oncle Sam. En ces temps de réduction budgétaire, le Congrès américain a pourtant voté, le 4 mai dernier, une augmentation de 20 % de l’aide à la Colombie, pour un montant total de 450 millions de dollars en 2017. Et il est permis de penser que le président Donald Trump, très occupé avec le grand pourvoyeur de migrants qu’est le Mexique et avec un Venezuela en crise, n’ira pas remettre en cause le traité de libre-échange signé en 2011 avec la Colombie. Une coopération qui fait des États-Unis le premier client et fournisseur du pays, loin devant la Chine. En parallèle, Bogotá ouvre grand ses portes, ne signant pas moins de 19 traités bilatéraux d’investissements. Elle lance aussi un programme de développement des infrastructures pour un montant prévu de quelque 5,5 milliards de dollars, le plus ambitieux d’Amérique latine. Résultat, elle occupe aujourd’hui la 53e place sur 190 dans le classement « Doing Business » de la Banque mondiale. Sur le plan interne, le nouveau président Santos poursuit la politique de stabilisation budgétaire lancée par son prédécesseur. L’inflation est encadrée (4,5 % cette

Émergence année), le déficit public est maîtrisé, autour de 3 % depuis 2012, tout comme la dette publique, passée de 43 % en 2004 à 36 % en 2015 (mais remontée à 44 % en 2016). « Nous maintenons une rigueur de gestion qui peut être considérée comme une politique de centre droit, mais, en même temps, nous sommes très attachés à notre modèle d’impôt très progressif et nous l’utilisons pour réduire les inégalités, expliquait ainsi en 2015 Mauricio Cárdenas, le ministre du Budget. Nous tentons de développer une troisième voie en économie. » Avant d’ajouter : « Notre ambition est aussi d’être le plus prévisible possible pour les investisseurs afin de leur éviter toute surprise. » Une action qui porte ses fruits. Plus de 700 multinationales ont d’ores et déjà lancé des programmes d’investissement. En quinze ans, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) sont passés de 2 à 13,5 milliards de dollars en 2016, avec un pic à plus de 16 milliards en 2014. Plus de la moitié de ces investissements est allée au secteur minier et énergétique. Début mai, Bogotá a

Medellin revient de loin

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Le métro aérien Metrocable, symbole de la métamorphose de la ville.

le plus important montant jamais accordé à une collectivité locale sans garantie de l’État. Pomagalski, compagnie française spécialisée dans les équipements de stations de ski, a fourni les téléphériques. Un système qui a depuis été copié de Caracas à Brest. Outre Metrocable, les habitants ont vu se développer des services sociaux et sanitaires mais aussi des installations culturelles, comme la toute nouvelle cité des sciences. Pour Maurice Bernard, directeur local de l’AFD, « la continuité des politiques publiques mises en place par les différentes administrations municipales, indépendamment de leur couleur politique, a été un élément essentiel d’efficacité ». ❐ M.-E. D.

SHUTTERSTOCK

n 1992, la deuxième ville de Colombie battait tous les records d’insécurité urbaine, avec un taux d’homicides de 380 pour 100 000 habitants. Il est de 19 pour 100 000 aujourd’hui. La métropole, qui compte 2,5 millions d’habitants, joue désormais les modèles en matière de politiques urbaines. « Ce qu’il y a d’exceptionnel, ce n’est pas tant son état actuel que le chemin parcouru », résume l’architecte Jorge Perez, qui a longtemps dirigé le département de planification urbaine de la municipalité. Berceau de l’industrialisation du pays, Medellín a aussi été celui du trafic de cocaïne à grande échelle. Après la mort du baron de la drogue Pablo Escobar en 1993, ses héritiers se disputent, mitraillette au poing, les miettes de son empire. Installée à 1 000 mètres d’altitude et près de l’équateur, la cité au climat de rêve reçoit alors le surnom de « Metrallo » (« je mitraille »). Le changement intervient au tournant du millénaire, avec la mise en œuvre de politiques publiques, nées du dialogue entre tous les acteurs, entrepreneurs, leaders sociaux, fonctionnaires et universitaires. Un métro terrestre voit le jour (alors que Bogotá attend toujours le sien), bien vite complété par un système aérien innovant, Metrocable, qui relie les bidonvilles construits sur les collines au centre-ville. La première ligne est mise en service en 2004, la quatrième en décembre 2016. Cette dernière étape a été financée par l’Agence française de développement (AFD) via l’octroi d’un prêt de 250 millions de dollars en 2011,


Colombie, fragile renaissance

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confirmé la découverte dans les eaux claires de la mer caraïbe du plus grand gisement de gaz trouvé en vingt-huit ans, par l’entreprise publique Ecopetrol et son associée américaine Anadarko. « Les investisseurs n’ont pas attendu le feu vert des Farc pour s’intéresser au pays », résume l’économiste Armando Blanco. Pour autant, nombre de difficultés demeurent. D’une part, la Colombie reste encore largement dépendante de ses recettes d’exportations, essentiellement issues des matières premières, du pétrole brut, de la houille, du café, de l’or et des bananes, par ordre décroissant d’importance. Inévitable corollaire, les produits de haute technologie ne représentent, eux, que 2,2 % du total des ventes à l’étranger. D’autre part, malgré les actions gouvernementales et policières, les cultures illicites de coca (l’arbuste dont on tire la cocaïne) se portent bien. « La paix avec les Farc ne signifie pas que toute violence va disparaître, souligne Daniel Linsker, l’analyste de l’agence de Control Risks. Si l’État n’est pas capable d’occuper les territoires ruraux abandonnés par les guérilleros, d’autres groupes armés prendront leur place. » Déjà, la petite Armée de libération nationale (ELN, la deuxième guérilla du pays toujours en activité) et les milices aux ordres des narcotrafiquants se disputent les champs de coca, les routes et les ports, hier sous contrôle des Farc. L’exploitation illégale de l’or et des bois précieux alimente également de nouvelles mafias. Et les assassinats sélectifs de leaders locaux continuent. Plus de quarante d’entre eux ont été tués depuis le début de l’année. CORRUPTION ET INÉGALITÉS Pour les investisseurs nationaux comme étrangers, le manque de transparence dans les appels d’offres publics et la permanence de la corruption restent problématiques. Le récent scandale Odebrecht – du nom de l’entreprise brésilienne de construction qui a largement arrosé tous les gouvernements de la région – n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Les potsde-vin sont la règle en matière de contrats publics, à tous les niveaux de l’État. Pour la sénatrice du parti vert Claudia Lopez, elle constitue même « un impôt pervers qui a pesé plus lourd que la guerre sur le développement du pays ». Autre constat implacable, les inégalités sociales perdurent, pesant sur l’essor économique. Selon le dernier classement établi par la Banque mondiale, la Colombie était le 6e pays le plus inégalitaire au monde en 2016. Toujours selon l’institution internationale, elle est le seul État du continent sud-américain où, pendant le boom des commodities, le revenu des 40 % les plus pauvres a moins progressé que le revenu moyen national. Le chômage, qui touche près de 10 % de la population, ne recule pas. Une récente étude de l’université du Rosario à Bogotá a montré que les deux tiers des employés colombiens occupent des emplois informels, sans la moindre protection sociale. C’est dire que tout n’est pas gagné. Un sentiment que résume, à sa façon, l’éditeur de The Economist pour l’Amérique latine, Michael Reid : « L’accord de paix suscite plus d’enthousiasme sur la scène internationale que dans le pays lui-même. » ❐

De l’or en grain sous-exploité

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rande terre d’arabica, la Colombie s’est taillé une renommée mondiale sur le marché du café. Située dans les Andes, elle réunit les conditions idéales à sa culture : une chaleur modérée et une pluviométrie suffisante qui permet de récolter des grains presque toute l’année. De la fin du XIXe siècle aux années 1980, le café a été le premier produit d’exportation du pays. Cette activité a façonné les paysages et rythmé la vie du monde rural. Mais les temps changent. Dans les statistiques du commerce extérieur, les précieux grains ont cédé leur place au pétrole et au charbon. Avec une production de quelque 800 000 tonnes, la Colombie n’est aujourd’hui plus que le troisième producteur mondial derrière le géant brésilien (qui en produit trois fois plus) et le nouveau venu vietnamien. Le pays s’est urbanisé et les caféiculteurs peinent à trouver de la main-d’œuvre pour la récolte, qui, à flanc de montagne, se fait à la main. La profession vieillit, l’âge moyen des paysans étant de 58 ans. Nichées dans les coteaux verts, les grandes haciendas accueillent désormais des touristes pour s’assurer un complément de revenus. La puissante Fédération nationale du café (FNC), créée en 1927, regroupe encore 560 000 producteurs. Elle a toutefois perdu de son influence. Sur les 6,3 millions de terres cultivées au niveau national, le café n’occupe que 900 000 hectares. La petite exploitation est la règle puisque 95 % des producteurs disposent de moins de 5 hectares, assurant tout de même un peu plus de la moitié de la production, selon les données du recensement agricole de 2014. « Le café est plus démocratique que le pétrole », commente l’économiste Armando Blanco. Malgré la politique de soutien des prix de la FNC, les caféiculteurs restent sujets aux variations des cours sur le marché international. Ils se sentent victimes des concurrents asiatiques, des spéculateurs de New York, des banquiers, de l’oubli du gouvernement et même des bureaucrates de la FNC. Pourtant, les solutions sont connues et les projets ne manquent pas. Plus du tiers des cultures s’étend sur des terres dont l’inclinaison est inférieure à 30 %, où la récolte pourrait donc être mécanisée. Les pratiques biologiques et raisonnées se développent pour répondre à une demande de produits de qualité. ❐ M.-E. D.

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PORTRAIT par Sabine Cessou

Vera Songwe À 48 ans, cette économiste camerounaise, qui a fait ses classes à la Banque mondiale, est la première femme à prendre les commandes de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). Plus conventionnelle que son prédécesseur Carlos Lopes, elle ne mâche cependant pas ses mots, animée par une volonté farouche de faire progresser la bonne gouvernance.

1968 Naissance au Kenya, de parents camerounais.

1998 Elle entre à la Banque mondiale.

2011 Le magazine Forbes la classe parmi les « 20 jeunes femmes de pouvoir en Afrique ».

■ 2015 Elle devient directrice régionale Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à la SFI, filiale de la Banque mondiale.

2016 Elle est nommée par le secrétaire général des Nations unies à la tête de la CEA.

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lle l’a emporté face à 76 autres candidats, parmi lesquels le Soudanais Abdalla Hamdok, remplaçant par intérim de Carlos Lopes, qui a démissionné en octobre 2016 après quatre ans de bons et loyaux services. Économiste en chef de la CEA, Abdalla Hamdok n’avait pourtant pas ménagé ses efforts, mettant beaucoup d’énergie dans l’organisation, fin mars à Dakar, de la Semaine du développement, nom donné cette année à la traditionnelle réunion conjointe entre le Comité technique spécialisé de l’Union africaine et la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique de la CEA. Mais le grand raout n’a pas eu le succès médiatique escompté. Finalement, le choix du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, s’est porté le 13 avril sur un profil conventionnel, certes, mais qui incarne une forme de renouveau et d’excellence en la personne de Vera Songwe. Jeunesse, parcours sans faute, rigueur et solide carnet d’adresses : ces atouts valent son nouveau poste, de secrétaire exécutif de la CEA, à cette technocrate discrète, classée parmi les « 20 jeunes femmes de pouvoir en Afrique » en 2013

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par Forbes. À l’inverse de son charismatique et volubile prédécesseur Carlos Lopes, elle n’a fait aucune déclaration sur son ambition à la tête de la CEA, créée en 1958 par les Nations unies pour appuyer le développement de ses États membres. Elle va prendre ses nouveaux quartiers à Addis-Abeba, puis passer en revue les outils statistiques et services consultatifs proposés par la CEA, qui concernent aussi bien les indicateurs macroéconomiques que la négociation de contrats miniers, en passant par le genre, l’innovation et la gouvernance. Rien ne filtre sur sa vie privée ni sa personnalité : il faut remonter à un entretien donné en 2011 à Africa 24 pour écouter Vera Songwe parler d’elle et de sa carrière. Commentant à l’époque sa nomination au poste de directrice pays de la Banque mondiale pour le bloc ouest-africain formé par le Sénégal, la Mauritanie, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau et la Gambie, elle décrit, en pantalon tailleur classique et coiffure tressée qu’elle affectionne, son double attachement : « J’ai une connaissance intime de l’institution et une connaissance fraternelle du continent. » FRANC-PARLER ET ESPRIT DE SYNTHÈSE Pudique, Vera Songwe est pourtant loin d’être effacée. Si Le Monde craint avec son arrivée un « retour de la pensée unique »,


SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA

Partisane d’une croissance plus inclusive, elle met les pieds dans le plat sur la question du manque de vision politique au sujet du développement.

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PORTRAIT

Elle hérite aujourd’hui d’une institution tiraillée entre son appartenance au système des Nations unies et son ancrage continental.

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c’est-à-dire libérale, à la CEA, sa réflexion, si l’on prend la peine de l’écouter, n’est pas si orthodoxe. Membre de l’équipe de dix experts choisis en 2016 par le président rwandais Paul Kagame pour plancher sur la réforme de l’Union africaine (UA), la Camerounaise est estimée en haut lieu pour son esprit de synthèse et son franc-parler. Ce qui l’a notamment conduite, lors du passage en revue de la coopération pour l’année 2014-2015, à tancer le ministère des Finances du Sénégal pour la lenteur de ses décaissements. Alors directrice pays de la Banque mondiale (BM), elle avait déclaré : « C’est une occasion pour poser clairement les contraintes et trouver des solutions idoines, d’autant plus que le Plan Sénégal émergent a été déclenché. Et si, pour cela, il faut réformer nos modalités de mise en œuvre des projets, je pense qu’il faudra le faire. » Ses relations n’étant plus cordiales avec les autorités de Dakar, ces dernières n’ont pas demandé sa reconduction à son poste… Dans les conférences auxquelles elle est conviée, Vera Songwe est tout aussi directe, répétant inlassablement, dans un anglais au débit très rapide : « En Afrique, 70 % des actifs dépendent de l’agriculture, dont 75 % de femmes qui ne savent pas ce qui se passe dans le monde. Pour elles, la croissance est une illusion. » N’hésitant pas à aller à contre-courant des perceptions dominantes sur l’émergence, elle se plaît à asséner quelques vérités simples. « Le taux d’électrification moyen de l’Afrique subsaharienne ne dépasse pas 32 %, soulignaitelle ainsi en 2013 à la conférence TEDxLagos. Comment voulez-vous courir un marathon quand vous n’avez pas d’énergie ? Seulement sept pays disposent d’un accès à l’électricité supérieur à 50 % : le Nigeria, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Ghana, l’Afrique du Sud et Maurice. » Apôtre d’une croissance plus inclusive, elle met aussi les pieds dans le plat sur la question, si sensible, du manque de vision politique concernant le développement. « Il n’y a pas de malédiction des ressources en Afrique, mais une

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malédiction de la gouvernance, affirme-t-elle. Des pays sur d’autres continents ont prouvé que la transformation de l’économie ne relève pas du miracle. La Chine s’est diversifiée, de même que le Chili, un pays qui dépendait de son cuivre. Le Gabon, non. Tout est une question de capacité de gestion. Il faut examiner nos dirigeants : leur âge moyen est de 66 ans alors que celui de nos populations est de 25 ans… Il faut corriger certaines choses pour avancer ! » PROTÉGÉE DE NGOZI OKONJO-IWEALA Première femme à prendre la tête de la CEA, elle succède à une longue série de dirigeants dont aucun, avant Carlos Lopes, n’a laissé de souvenir impérissable. Née en 1968 au Kenya de parents camerounais, elle ne rejoint pas seulement le gratin de la diplomatie internationale et le cercle restreint des Africaines d’influence. Elle hérite d’une institution tiraillée – comme elle – entre son appartenance au système des Nations unies et son ancrage continental. Si Carlos Lopes avait fait sien l’agenda 2063 de l’Union africaine, Vera Songwe devrait recentrer son institution sur les Objectifs de développement durable (ODD) onusiens, à commencer par l’éradication de l’extrême pauvreté, l’un de ses chevaux de bataille. Anglophone, elle a étudié au Collège Notre-Dame de Lourdes de Bamenda, en pays bamiléké au Cameroun, avant de s’envoler pour les États-Unis. Elle y décroche deux Bachelors of Arts (BA) à l’université du Michigan, l’un en économie et l’autre en science politique, puis un doctorat en mathématiques économiques à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, en Belgique. Un pays où elle ne reste pas. De retour aux États-Unis, elle travaille pendant trois ans à l’université du Michigan, puis pour la Federal Reserve Bank de Minneapolis, tout en étant professeur invitée à l’université de Californie du Sud. À 30 ans, elle intègre les bureaux de la Banque mondiale à Washington. Après avoir travaillé sur le Maroc et la Tunisie, elle est


FRANÇOIS PERRI/REA

nommée à la section Asie du Sud et Pacifique, puis promue économiste senior et coordinatrice sectorielle sur les Philippines en 2005. Elle est alors repérée par la Nigériane Ngozi OkonjoIweala, à l’époque directrice générale pour l’Afrique, l’Europe, l’Asie centrale et l’Asie du Sud à la Banque mondiale. Elle devient sa conseillère en 2008 et en tire un réseau fort au Nigeria, où elle siège au conseil d’administration de la fondation Tony Elumelu ainsi qu’à l’African Leadership Network. En 2011, nouvelle reconnaissance, elle intègre le prestigieux think tank américain Brookings Institution, en tant que membre senior. Sa chef est propulsée ministre des Finances du Nigeria la même année. De son côté, elle gravit un nouvel échelon, en tant que directrice pays à la Banque mondiale pour le Sénégal, le Cap-Vert, la Gambie, la GuinéeBissau et la Mauritanie. En 2015, elle devient directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à la Société financière internationale (SFI), la filiale de la Banque mondiale dédiée au secteur privé. Se décrivant comme une passionnée de « politique fiscale, de mécanismes financiers innovants, d’agriculture, d’énergie et de gouvernance économique », elle a aussi un faible pour les questions de politique – plus que de genre.

Toujours en 2015, dans un article pour la Brookings Institution, elle explique que les successions dynastiques n’ont rien d’une exception africaine, puisqu’elles ont prévalu avec Indira Gandhi en Inde, Corazon Aquino aux Philippines et Park Geun-hye en Corée du Sud, sans parler des Bush aux États-Unis. Avec un esprit tout mathématique, elle prend les mesures de cette tendance en Afrique et note que, sur 38 chefs d’État morts au pouvoir depuis les indépendances, seulement trois ont vu leur place occupée par leur progéniture (RDC, Togo et Gabon), alors qu’au Kenya, au Botswana et à Maurice, un laps de temps important s’est écoulé avant d’assister au retour d’enfants de présidents sur le devant de la scène. Et de conclure, en empruntant le langage prescripteur et alambiqué si typique des institutions financières internationales : « L’Afrique n’a pas le monopole des dynasties politiques. Quoi qu’il en soit, pour prévenir la création de dynasties fondées sur la naissance, et non sur des familles politiques reposant sur le mérite, les événements récents suggèrent que les pays devraient et doivent (« should and must », en anglais) avoir des processus constitutionnels clairs de succession, aussi bien que des élections libres et transparentes. » Pas de révolution en vue ? Vera Songwe n’a pas dit son dernier mot… ❐

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Le siège de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), à Addis-Abeba.

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PAROLE D’EXPERT PAR LAURENT MOREL

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e nombreux gouvernements africains ont mis en œuvre des politiques de privatisation de leur secteur électrique. Les objectifs poursuivis sont avant tout d’ordre économique : il s’agit d’attirer des investissements pour développer la production afin de répondre à la hausse de la consommation des populations. Il s’agit aussi de faciliter l’approvisionnement des industries, ce qui doit renforcer l’attractivité des économies. Les pouvoirs publics attendent également de cette opération l’arrivée de nouvelles compétences pour augmenter les performances et diminuer in fine le coût pour les finances publiques et l’usager. Pour faire venir les investisseurs, les États envoient des signaux positifs en déployant des mesures. Ils autorisent et facilitent l’entrée de capitaux, ils accordent des avantages fiscaux et ils mettent en œuvre une dérégulation des prix de l’électricité. Cette dernière action est cependant particulièrement difficile à mettre en place dans des pays en pleine mutation. En effet, les pouvoirs publics sont tentés de conserver des tarifs régulés afin de rendre l’électricité, une ressource de première nécessité, abordable pour le plus grand nombre et les industries émergentes. Nos études démontrent d’ailleurs qu’il n’existe pas de corrélation directe entre privatisation et évolution des prix de l’énergie (ni à la hausse, ni à la

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de mécanismes de transparence sur les coûts. Ce dernier point Directeur au sein commence par le dégroupage des activités conseil comptable des opérateurs historiques de PricewaterhouseCoopers intégrés (c’est-à-dire établir des (PwC), France et Afrique états financiers séparés selon le type francophone, spécialisé dans d’activité, production, transport, le secteur Energy & Utilities distribution, commercialisation) avec la collaboration de afin de montrer aux investisseurs Simon Lamy (Manager PwC, la régularité des résultats et hub de Casablanca). l’absence de subventions croisées. www.pwc.fr Des pays comme la Turquie ou la Colombie ont réussi à transformer le domaine électrique de cette façon. Ils affichent aujourd’hui une bonne baisse). L’enjeu est plutôt de garantir la performance économique et technique. transparence et la continuité des tarifs. Plusieurs États en Afrique sont sur cette Les incitations fiscales ne sont pas, non voie, dont le Cameroun, le Ghana, le plus, une solution à long terme pour Nigeria et le Sénégal. C’est également assurer la pérennité de la filière. Même le cas du Maroc, qui présente un taux si ces avantages peuvent permettre d’électrification de presque à court terme d’amorcer Il n’existe pas 100 % mais cherche à attirer son développement, ils davantage d’investisseurs peuvent se révéler onéreux de corrélation directe entre pour mettre en œuvre au fil du temps et doivent, à privatisation terme, laisser la place à un et évolution des sa stratégie en matière système plus concurrentiel. prix de l’énergie, d’énergies renouvelables. Le dégroupage comptable apparaît Finalement, on observe ni à la hausse, comme un prérequis à un que les dispositions les ni à la baisse. plus importantes aux L’enjeu est plutôt dégroupage juridique et à une privatisation plus poussée. yeux des investisseurs de garantir la Commencer par réformer privés concernent avant transparence des tarifs. le secteur avant de l’ouvrir tout l’organisation du davantage aux financements secteur, sa transparence privés est essentiel. Si le cadre et sa stabilité réglementaire. Parmi est stable et transparent, compte elles, on peut citer : l’existence d’une tenu de la demande en croissance agence de régulation indépendante, constante, l’arrivée de capitaux la clarté des procédures d’agrément étrangers se fera naturellement. ❐ et d’autorisation, la mise en œuvre

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VINCENT BLOCQUAUX

ÉLECTRICITÉ : PRIVATISER OUI, MAIS RÉFORMER AVANT


CAMEROUN

La révolution numérique Infrastructures, équipements, déploiement de technologies, paiements en ligne. Le pays fait un incroyable bond en avant.


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LA GRANDE MIGRATION

R Paul Biya, lors de la fête de la jeunesse 2017, s'adresse aussi à la "génération androïde", selon son expression.

Pour s’arrimer à son temps, le Cameroun nourrit l’ambition de s’imposer comme le leader africain de l’économie digitale.

éussir la migration de l ’é co n o m i e c a m e ro u naise. Tel était le but du Forum international sur l’économique numérique initié par le président Paul Biya, qui s’est tenu du 15 au 17 mai à Yaoundé. Présentant les enjeux de ces travaux, Minette Libom Li Likeng, ministre des Postes et Télécommunications, a indiqué qu’« il s’agit d’abord de présenter les atouts de l’économie numérique au Cameroun. De voir quel est notre potentiel dans ce domaine, quelles mesures stratégiques sont adoptées par l’État et quelle est la contribution des opérateurs pour l’accélération de la transformation numérique du pays. Il s’agit ensuite de créer des conditions idoines pour un passage réussi du Cameroun à l’économie numérique, en s’inspirant des expériences réussies ici et ailleurs. Il s’agit enfin de mobiliser des financements internationaux en faveur des projets innovants dans le secteur. Pendant ce forum, nous allons permettre aux porteurs de projets, tant publics que privés, de rencontrer des investisseurs étrangers, pour le financement de leurs projets ou des partenariats d’affaires ».

Le Forum international de l'économie numérique s'est tenu du 15 au 17 mai à Yaoundé.

ADVERTORIAL

À l’avant-garde Cette conférence internationale, qui rassemblé plus de deux cents personnalités venues d’Amérique, d’Europe et d’Afrique, parmi les plus expérimentées en matière de transition numérique, vient ainsi accélérer la démarche initiée par les autorités camerounaises pour rattraper leur retard. Le gouvernement a été à l’avant-garde de cet élan en lançant de grands investissements dans les infrastructures numériques de base, l’acquisition d’équipements et le déploiement des technologies dans l’administration. Aujourd’hui, au Cameroun, les formalités douanières sont dématérialisées et les cargaisons en transit pour les pays voisins sont systématiquement tracées par géolocalisation. De même, plusieurs démarches fiscales sont désormais liquidées en ligne, payées par virement bancaire ou par Mobile Money (finance mobile), à l’instar de la taxe foncière ou des droits de patente. Dans l’enseignement supérieur public et privé, le président de la République a décidé d’offrir 500 000 ordinateurs


portables aux étudiants inscrits cette année sur tout le territoire. En parallèle, la réalisation d’une dorsale numérique (National Broadband Network, NBN) a été lancée. Elle consiste à déployer la fibre optique à travers le pays pour optimiser l’offre de connexion. Le gouvernement évalue à environ 10 000 kilomètres la longueur de fibre déjà installée à ce jour. Chacun des dix chefs-lieux de région dispose d’une boucle optique qui va bientôt s’étendre aux départements. « Il est prévu une quatrième phase de construction de lignes, pour atteindre 20 000 km à l’horizon 2020 », confie un cadre de l’opérateur national Camtel.

Stand de Camtel, l'opérateur national.

Selon l’État, en plus d’offrir des services de qualité aux utilisateurs, y compris dans l’arrière-pays, cette infrastructure « sert au développement de l’intranet gouvernemental pour la mise en œuvre du programme de gouvernance numérique, mais aussi la constitution du réseau d’interconnexion des universités. Le déploiement des télécentres communautaires polyvalents de nouvelle génération dans de nombreuses zones périurbaines et rurales est tributaire de l’installation de la fibre optique ».

Services dématérialisés Le Cameroun dispose déjà d’un accès à trois câbles sous-marins à fibre optique de référence : le SAT3 à Douala, le WACS (West Africa Cable System) à Limbé et le Maine One à Kribi, dans le cadre du Nigerian-Cameroun Submarine Cable System (NCSCS), qui lui garantissent une parfaite connexion en haut débit sur l’international. Le pays a en outre signé des conventions pour l’arrimage ces prochains mois à deux autres câbles sous-marins dans

Ateliers pratiques pour jeunes au Forum de Yaoundé.

20 000 KM DE LIGNES DE FIBRES OPTIQUES À L'HORIZON 2020.

le cadre des projets ACE et CBCS (câble reliant Kribi à la ville brésilienne de Fortaleza). Le Cameroun deviendra alors l’un des rares pays au monde à être connecté à cinq câbles sous-marins. De quoi prendre une sérieuse avance sur les États de même importance et « devenir un véritable hub technologique régional », se réjouit Jean Melvin Akam, secrétaire exécutif de la Fondation MTN au Cameroun. Dans les faits, le gouvernement prévoit de dématérialiser ses services. Une digitalisation de l’administration qui a pour principal enjeu l’amélioration de l’efficience et la réduction des coûts pour les usagers. « La mise en œuvre de la gouvernance électronique (e-government), par le biais d’un traitement simplifié et automatisé de l’information, permettra au secteur public de réaliser des gains d’efficacité et d’efficience importants ». Le ministère

des Postes et Télécommunications a ainsi recensé des actions à mener pour que la révolution numérique transforme les secteurs d’activité classiques et permette aux entreprises et structures de ces domaines d’offrir également leurs services de façon virtuelle (grâce à l’infrastructure de télécommunications large bande et à l’Internet), afin d’accroître leur nombre d’usagers et la valeur ajoutée liée à leurs activités. Dans cette perspective, un accord a été signé avec la coopération coréenne afin d’instaurer un système de communication et d’échange de données entre les services gouvernementaux jusqu’aux niveaux déconcentrés dans les régions, les interfaces de gestion de divers services entre le gouvernement et les usagers, le G2B (gouvernement-to-business) et le G2G (government-to-government).


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DIGITAL

UN PLAN DE DÉVELOPPEMENT SUR MESURE

Étudiants dans l'amphithéâtre de l'IRIC (Institut des Relations Internationales) de Yaoundé.

Le gouvernement a élaboré un programme en huit points, dont l’aboutissement, à l’horizon 2020, consacrera l’ancrage de la nation dans l'économie de demain.

ADVERTORIAL

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ous l’impulsion du président, Paul Biya, le gouvernement a adopté l’an dernier un « plan stratégique Cameroun numérique 2020 », qui est déjà en phase de mise en œuvre, du moins pour certains de ses axes prioritaires. Ce plan est basé sur le développement de l’offre, de la demande et de la gouvernance (régulation) du secteur. L’idée est de développer des infrastructures large bande, avec pour objectif d’en généraliser l’accès pour les citoyens, les entreprises et les ménages. Pour ce qui est de l’accroissement de la production et de l’offre des contenus numériques, plusieurs initiatives gouvernementales permettent aujourd’hui de primer les meilleurs élèves en Technologies de l’information et de la communication (TIC) et de stimuler leur créativité, tandis que les développeurs qui sont sur le terrain, en phase de maturation, bénéficient d’un accompagnement du gouvernement. La transformation numérique de l’administration et des entreprises devrait garantir efficacité, transparence, compétitivité et productivité, d’autant

qu’un autre volet de ce plan consiste à promouvoir la culture du numérique par la généralisation de l’usage des TIC dans la société.

Susciter la confiance Il est également prévu de mettre en place des conditions favorables pour susciter la confiance dans l’économie numérique, en développer une industrie locale et encourager la recherche et l’innovation. Un autre volet concerne l’optimisation de la formation pour assurer le développement du capital humain et le leadership dans le numérique, en garantissant la disponibilité en qualité et en quantité des compétences humaines en mesure de répondre aux besoins de l’économie numérique. Enfin, l’État s’est engagé, via ce plan, à assurer l’amélioration de la gouvernance et l’appui institutionnel, par la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel adéquat, d’un environnement propice à l’essor du numérique et des conditions d’élévation de la performance des programmes et projets publics ou privés.


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Churchill Nanje Mambé, inventeur du label Njorku, moteur de recherche dédié aux employeurs et aux demandeurs d'emploi.

SILICON MOUNTAIN

BUEA, VIVIER DES START-UP Ici, les jeunes montrent une telle ingéniosité dans le développement d’applications innovantes qu’ils sont devenus une curiosité mondiale.

aptisée #SMConf, pour Silicon Mountain Conference, la grande réunion de développeurs qui se tient chaque année dans la ville de Buea, principal vivier des créatifs du numérique au Cameroun, est toujours très attendue. Cet événement, explique l’un de ses organisateurs, « attire les créatifs, hackers et organisateurs d’Afrique pour une journée de laboratoires de code, d’ateliers et de séances d’inspiration et de divertissement. C’est une opportunité de rencontrer, d’expérimenter et de ‘‘réseauter’’ avec la communauté africaine prospère des créateurs, techniciens et organisateurs. » C’est ici, au pied du mont Fako, le plus haut sommet du pays, que s’est développée à Buea une culture très ancrée de l’entrepreneuriat dans l’économie digitale. Plus d’une soixantaine de startup prospères ont été lancées dans cette ville également baptisée Buea Tech. La Silicon Mountain regroupe une forte communauté de développeurs, hackers et designers, qui s’appuient sur la présence et la caution scientifique d’institutions de renom comme l’université de Buea, l’Institut universitaire catholique de Buea ou l’université Saint Monica. Cette culture du challenge technologique s’est développée à travers des événements communautaires tels que BarCamp Cameroon, groupe de développeurs de Google Buea (GDG Buea) et Kamer Design Meetups.

Accompagner les initiatives

Des startupers et informaticiens en séance de travail à Silicon Mountain de Buéa.

De quoi réjouir Paul Biya, qui désigne ces jeunes sous le label de la génération Android. Fier de leur déploiement actuel, il entend les encourager davantage. « Pour notre jeunesse, l’un des défis majeurs est de réussir l’arrimage à ce phénomène marquant qu’est l’économie numérique. J’invite la nation à se mobiliser résolument pour accompagner les nombreuses initiatives de nos jeunes dans ce domaine », indiquait alors le chef de l’État. Et de souligner : « Il nous faut rattraper au plus vite notre retard dans le développement de l’économie numérique, [parce que] celle-ci est un véritable accélérateur de croissance, en plus d’être une véritable niche d’emplois nouveaux ». D’ores et déjà, la Silicon Mountain a ses labels de référence, tels que Njorku, moteur de recherche 100 % africain dédié aux employeurs et aux demandeurs d’emploi, lancé par Churchill Nanje Mambé en 2011.


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E-BUSINESS

LE VENT EN POUPE

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Olivier Madiba, P-DG de K i ro’o G a m e s, à A n a ï s e Tchienda, fondatrice de Wandashops, en passant par Alain Nteff, de Giften Mom, ou Arthur Zang, l’inventeur du Cardiopad, les jeunes promoteurs de start-up, à l’avant-garde de la digitalisation de l’économie, sont de plus en plus nombreux. Le premier a déjà une réputation internationale bien assise et son jeu vidéo sera bientôt adapté pour le cinéma à Hollywood. La seconde est une pionnière au Cameroun. En 2013, alors que les paiements électroniques étaient encore balbutiants dans le pays, elle fut la première à lancer un site d’e-commerce. Grâce à elle, beaucoup d’autres investisseurs se sont engouffrés dans la brèche et le commerce en ligne est aujourd’hui en plein boom au Cameroun.

La formation en première ligne

Ingénieurs, Arthur Zang et Alain Nteff ont, eux, développé leurs talents dans le secteur de la santé. L’outil inventé par Arthur Zang pour diagnostiquer à distance les problèmes cardiaques est un vrai succès commercial en Afrique et dans le monde, tandis qu’Alain Nteff, avec son application Giften Mom qui suit à distance les consultations prénatales, a également sauvé de nombreuses vies sur le continent. Si ces figures de l’économie digitale nationale sont les plus connues, des dizaines d’autres ont explosé ces dernières années, inventant des procédés, développant des applications, montant des petites entreprises.

Cette jeunesse débordant d’inventivité délimite ainsi son territoire dans un domaine jusque-là dominé par les opérateurs de téléphonie, tels que Orange, Camtel, MTN et Nexttel, et une nuée de prestataires de services Internet. Ces sociétés de téléphonie mobile organisent régulièrement des concours et prix pour stimuler la créativité des développeurs. Mais surtout, la dynamique de ce secteur a dopé l’activité de formation dans divers métiers de l’économie numérique. Les instituts de formation multiplient les filières qualifiantes pointues pour répondre aux besoins de connaissances d’une jeunesse arrimée à l’ère numérique, et donc plus

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VICTOR ZEBAZE

Alain Nteff et son application Gifted Mom.

Home page du site Wanda Shops d"Anaïse Tchienda.

Olivier Madiba, fondateur de Kiro'o games.

exigeante. Ce qui permet aussi aux entreprises du secteur de disposer, mieux que par le passé, d’un vivier de cadres aux compétences assurées. De son côté, l’État a réformé, en 2016, l’École nationale supérieure des postes et télécommunications (ENSPT), qui est devenue l’École nationale supérieure des postes, des télécommunications et des technologies de l’information et de la communication (SUP’PTIC). En plus de son cursus classique de formation, SUP’PTIC va densifier son offre dans les TIC, grâce à un décret qui précise que « des centres de formation et de recherche appliquée et des incubateurs dans les métiers des postes, des télécommunications et des technologies de l’information et de la communication, peuvent, autant que de besoin, être créés ».

AMB/DF - PHOTOS : © JEAN-PIERRE KEPSEU SAUF MENTION.

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DIDIER DE MASSO

Nombre de jeunes, souvent cités en exemple, n’ont pas attendu l’impulsion étatique pour se lancer, et surtout réussir.


PAROLE D’EXPERT PAR IBRAHIM ASSANE MAYAKI

ALLIER LE PUBLIC ET LE PRIVÉ POUR ASSURER L’ESSOR RURAL

DR

L

’Afrique a récemment connu un épisode exceptionnellement long de croissance forte. Malheureusement, elle n’est pas parvenue à assurer un partage équitable des bénéfices générés. Maintenant, elle se trouve dans un contexte de baisse des prix des matières premières et de ralentissement économique. Cet état de fait peut être vécu comme une contrainte, mais j’aimerais plutôt que nous le considérions comme une opportunité. En effet, il va pousser les acteurs publics et privés à être plus innovants afin de débloquer de nouvelles sources de croissance et d’emplois, permettant une meilleure diffusion des richesses. Relever ce défi dans le monde rural est crucial. De fait, la situation est très paradoxale : l’Afrique importe l’équivalent de 50 milliards de dollars de nourriture chaque année, alors même que plus de la moitié des terres arables non cultivées sont sur le continent et que 60 % de la population vit encore en zone rurale ! L’exploitation du potentiel agricole est donc essentielle si nous voulons être capables d’alimenter quelque 2,5 milliards d’habitants d’ici à 2050. Pour y parvenir, il faut adopter des outils et des politiques territoriales assurant aux zones rurales les mêmes possibilités que les centres urbains. Cela signifie encourager les investissements responsables, faciliter l’accès des femmes et des jeunes aux facteurs de production (formation, terre, eau, finances, énergies renouvelables), mais aussi aux marchés et à des revenus reflétant leur travail.

Les souscripteurs sont des investisseurs institutionnels américains de premier plan, tels que CalSTRS et TIAA-CREF, ou encore l’assureur australien QBE. Ces derniers peuvent choisir d’être remboursés sous forme de coupons en cash ou sous forme de crédits carbone générés par le projet de protection Premier ministre du Niger de 1997 à 2000, il est du Corridor de Kasigau, au Kenya. depuis 2009 secrétaire Pour accélérer le mouvement, exécutif du Nouveau le secteur public doit lui aussi investir partenariat pour le davantage, notamment dans les développement de l’Afrique pépinières et les accélérateurs de (Nepad), agence de l’Union start-up afin de leur apporter le soutien africaine créée en 2001. financier et technique nécessaire, www.nepad.org en particulier dans la phase de démarrage. L’idée est de créer un réseau d’acteurs agro-forestiers disposant des infrastructures, Des signes, prometteurs, montrent connaissances et moyens pour finaliser que les capitaux privés trouvent déjà leur concept, produit leur chemin vers des modèles ou société. Il devrait alors se mettre de développement plus inclusifs. La en place une transition progressive « conservation finance », autrement dit des systèmes de solidarité existants le « financement de conservation de la vers une économie de marché mixte, nature», est en plein essor en Amérique ce qui stimulera en retour latine et en Afrique, avec les investissements. des projets intéressants La gouvernance de nos au Sénégal, au Kenya, ressources naturelles et des à Madagascar… millions de dollars : recettes financières qu’elles Ces mécanismes génèrent constitue la pierre d’investissement permettent le montant de la première angulaire de tout changement de capter les flux générés émission structurel. Cette bonne gestion par la gestion durable d’un d’obligations nécessitera des solutions écosystème. Une partie des forestières appropriées sur quatre niveaux : fonds reste sur place pour de la Banque continental, régional, national son entretien, l’autre est mondiale. et local, les plus critiques étant rendue aux investisseurs. le régional et le local, où il faut Autre initiative, la Société financière convaincre les acteurs d’adhérer internationale (SFI), filiale de la à la démarche puis les former. Banque mondiale, a procédé l’année Mais c’est le prix à payer pour dernière à sa première émission faire advenir la transition d’obligations forestières, à hauteur agro-écologique tant attendue. ❐ de 152 millions de dollars.

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Agriculture

Transformer, enfin ? Secteur longtemps négligé, il est désormais considéré comme prioritaire. Il faut nourrir les populations et faire face à une démographie qui donne le vertige. Créer aussi des emplois et de la valeur ajoutée. Passer du rôle de simples fournisseurs de matières premières à celui d’industriels. Et, in fine, préserver un environnement menacé... par Marion Zipfel

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SVEN TORFINN/PANOS/RÉA

Usine de thé Unilever, numéro 1 mondial, à Kericho, à l’ouest du Kenya.


BUSINESS REPORT

Agriculture

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ous devons changer l’histoire de l’agriculture africaine. » La formule est de Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD). Prononcée à Dakar en octobre 2015, elle montrait bien l’ampleur de la tâche à accomplir. Connus et têtus, les chiffres soulignent son urgence. Sur un continent qui compte aujourd’hui 1,2 milliard d’habitants, quelque 227 millions souffrent de la faim. Cette année, pour la première fois depuis 2011, l’état de famine a été déclaré au Soudan du Sud, alors que la situation est préoccupante dans toute la zone australe en raison de l’invasion de chenilles légionnaires qui détruisent les cultures de céréales. Pourtant, 60 % des Africains habitent en zone rurale et 1 sur 2 dépend des revenus de l’agriculture pour assurer sa subsistance. Le continent abrite plus de la moitié des terres arables non cultivées de la planète et des champions mondiaux de la production, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana pour le cacao, le Burkina Faso et le Mali pour le coton, le Kenya pour le thé et l’Éthiopie pour le café. Alors même que la production agricole a augmenté en valeur, les rendements africains ont peu progressé, restant parmi les plus faibles au monde. La croissance de la production n’ayant pas suivi celle de la population, l’Afrique, pourtant autosuffisante dans les années 1960, est devenue importatrice net de céréales. Et aussi d’huiles, de viande et de produits laitiers. Au total, 50 milliards de dollars sont dépensés par an pour les importations alimentaires. Une facture qui gonfle d’année en année, bien plus vite que les recettes tirées des exportations agricoles : 82,8 milliards de dollars contre 43,3 milliards pour les secondes en 2013, selon les données de la BAD. Avec la forte croissance démographique, la situation va vite devenir intenable : en 2050, ce sont 2,5 milliards de personnes qu’il faudra nourrir. D’ici 2025, on estime que la demande alimentaire devrait croître de plus de 3 % par an. Or, en l’état, les systèmes de production agricole africains ne seront pas capables d’assurer plus de 13 % des besoins alimentaires du continent, selon un constat alarmant du Panel de Montpellier, un groupe d’experts européens et africains en agriculture et développement. D’où l’appel à entamer une révolution verte, maintes fois lancé dans les forums, conférences et documents stratégiques réalisés depuis les émeutes de la faim de 2008, et encore récemment lors des dernières assemblées générales de la BAD fin mai en Inde. Le premier impératif est d’augmenter la productivité. Si le secteur primaire est le principal employeur dans la plupart des pays, jusqu’à 70 % des actifs au Rwanda, au Burkina Faso et en Éthiopie, les rendements africains sont à la traîne au niveau mondial. Dans les cultures céréalières des pays à faibles revenus, ils atteignent 1,3 tonne par hectare, soit la moitié du résultat de l’Inde et le quart de celui de la Chine, selon des données de la BAD. Les raisons sont multiples : exploitations fragmentées, manque d’irrigation (seules 6 % des terres cultivées sont irriguées, contre 37 % en Asie et 14 % en Amérique latine),

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Dans les cultures CÉRÉALIÈRES des pays à faibles revenus, les rendements atteignent 1,3 TONNE par hectare, soit la moitié du résultat de l’Inde et le quart de celui de la CHINE. sous-développement des infrastructures de transport, carences dans la formation et difficultés d’accès au financement. L’agriculture familiale reste la norme, 80 % des exploitations ont une taille inférieure à 2 hectares. À titre de comparaison, en France, la taille moyenne d’une exploitation est de 56 hectares. INTRANTS OU ARBRES FERTILISANTS Au cœur de cette bataille des rendements, se pose la question du modèle agricole à adopter. Certains prônent la méthode conventionnelle : utilisation intensive d’intrants fournis par les géants de l’agrobusiness et de la chimie pour doper les résultats. C’est le chemin sur lequel se sont engagés, dès 2009, la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Bénin, le Togo, le Mali, qui ont largement subventionné les engrais et développé la production et distribution de semences améliorées. Un système qui donne lieu à un accaparement de terres par des groupes ou États étrangers, phénomène que dénoncent régulièrement des associations africaines et internationales. D’autres, tenants de l’agroécologie, plaident pour des techniques respectant l’environnement inspirées du travail de Pierre Rahbi au Burkina Faso au début des années 1980. Au Bénin et au Mali, par exemple, des pièges biologiques sont utilisés contre les insectes : en plaçant des filets sur les légumes, comme les choux et les tomates, les pulvérisations d’insecticides ont été réduites de 70 % à 100 %. En Afrique australe, des milliers de paysans utilisent des « arbres fertilisants », comme en Zambie, obtenant ainsi un revenu d’environ 200 à 270 euros par hectare contre 116 euros pour ceux qui n’y ont pas recours, selon une étude du Centre international pour la recherche en agroforesterie (Ciraf). Quel que soit le modèle, il nécessite des investissements, notamment dans les infrastructures (transports, énergie, accès à l’eau), pour réussir. Là encore, les chiffres sont sans appel : dans les pays africains les plus pauvres, seulement 56 % des habitants ont accès à l’eau potable, et moins de 1 sur 5 à l’électricité ; à peine un tiers de la population rurale vit à proximité d’une route. Le mauvais état des axes routiers, et des transports en général, rend à la fois les exportations moins compétitives sur les marchés mondiaux et les importations plus coûteuses pour le consommateur. Le manque de structures de stockage


Transformer, enfin ?

AJIT SOLANKI/AP/SIPA

« Transformer l’agriculture », tel était le thème des dernières Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), organisées en mai en Inde, un pays dont le continent pourrait s’inspirer pour entamer sa « révolution verte ». pèse également sur la sécurité alimentaire : les pertes par avarie sont estimées entre 30 et 40 % des récoltes dans certains pays. Ce problème d’infrastructures exige une réponse à plusieurs niveaux, national, régional et continental. Aux investissements étatiques et aux projets portés par les diverses organisations africaines s’ajoute l’initiative MoveAfrica, lancée par le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) en 2016 afin de transformer les secteurs de la logistique et du transport transfrontaliers. Dans ce cadre, l’agence onusienne a soutenu le corridor Abidjan-Lagos ou encore un projet de transmission d’énergie entre la Zambie, le Kenya et la Tanzanie. C’est aussi la logique du programme « Nourrir l’Afrique » de la BAD, qui prévoit d’injecter près de 22 milliards d’euros dans l’agriculture et le secteur agroalimentaire sur les dix prochaines années, quatre fois plus que le niveau de financement actuel, qui s’élève à 600 millions de dollars par an. Elle entend générer un double effet d’entraînement : auprès des entreprises en les incitant à investir pour moderniser les exploitations existantes ou en créer de nouvelles ; et auprès des États, poussés à développer les infrastructures et à placer le secteur agricole au rang de leurs priorités. Aujourd’hui, seuls le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Mali, le Niger et le Sénégal y consacrent au moins 10 % de

leurs dépenses. Certains pays commencent à récolter les fruits de leurs efforts. Comme le Kenya et l’Éthiopie, qui sont devenus des exportateurs de produits horticoles, mais aussi le Mali et le Sénégal, qui ont amélioré le rendement des cultures de riz et sont autosuffisants sur certaines denrées, ou le Rwanda, qui a pu réduire de façon rapide et significative la malnutrition. Pour réaliser sa mue, le secteur agricole doit toutefois relever un autre défi de taille : créer des chaînes de valeur, c’est-àdire transformer ses richesses naturelles sur place pour créer de la valeur ajoutée et des emplois. L’Afrique est la seule région du monde où la contribution de l’agriculture au PIB est encore supérieure à celle de l’agro-industrie. Au Ghana ou en Côte d’Ivoire pour le cacao, au Burundi, en Ouganda et en Éthiopie pour le café, au Kenya pour le thé ou encore en Guinée-Bissau pour la noix de cajou, des investisseurs locaux ou étrangers, publics ou privés, agissant souvent en partenariat, font ce pari de la transformation. Le Mali, deuxième producteur continental de coton, ne transforme aujourd’hui que 2 % de sa production, mais s’est fixé l’objectif d’atteindre 20 %. En Côte d’Ivoire, 30 % de la production de cacao est transformée et 7 % de celle d’anacarde, le pays visant 50 % pour les deux. Les initiatives sont aussi régionales, comme le développement d’une filière ■ ■ ■

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BUSINESS REPORT

Agriculture coton-textile-confection à l’échelle de l’Afrique centrale, ou l’Alliance régionale de la mangue d’Afrique de l’Ouest. Seulement 1 % de la production de cette dernière est valorisée, mais les États comptent sur leurs efforts conjoints pour bâtir une filière régionale. L’enjeu est considérable : selon la Banque mondiale, la valeur de l’industrie agroalimentaire sur le continent devrait tripler d’ici 2030, et atteindre 775 milliards d’euros.

3 questions à… PATRICIO MENDEZ DEL VILLAR CHERCHEUR AU CIRAD1

« Conclure des contrats gagnant-gagnant » AMB : Où en est-on sur le plan de la transformation ? Cela dépend de quoi on parle. Des unités artisanales existent partout sur le continent, pour traiter les céréales sèches notamment, à la main ou sur de petites machines venues d’Asie, telles les décortiqueuses de riz ou les broyeuses pour le maïs et le manioc. Outre le fait que le résultat contient beaucoup d’impuretés, on ne peut atteindre qu’un rendement entre 1 et 2 tonnes par jour pour le riz, par exemple. Avec la transformation industrielle, c’est entre 50 et 100 tonnes par jour, de produits standardisés, correspondant davantage aux attentes des consommateurs. Sur ce plan, on part donc de loin, même si beaucoup de pays se sont fixé des objectifs ambitieux.

Comment passer de l’artisanal à l’industriel ? Soit on s’appuie sur les acteurs traditionnels et on les aide à atteindre l’échelle industrielle, soit on attire de nouveaux opérateurs. Chacune des deux pistes a ses limites. On essaie de mettre en œuvre la première depuis des années et on bute sur plusieurs difficultés : discontinuité des politiques publiques, carences dans l’accompagnement et, surtout, problèmes d’approvisionnement des unités de transformation. Celui-ci se faisant principalement auprès de petits paysans, il est compliqué à organiser, sécuriser et rendre durable. Quant à la seconde solution, elle pose la question du devenir des petits transformateurs locaux.

Certains acteurs ont-ils surmonté ces écueils ? Il y a des réalisations positives, comme le manioc en Côte d’Ivoire, les tomates au Sénégal ou le riz au Mali via l’Office du Niger. On le doit à l’expérience d’unités de transformation anciennes, à l’habitude du groupement agricole dans certaines régions et la présence d’un leader à la tête de ces fédérations ou coopératives. Globalement, il faut renforcer le dialogue entre autorités et secteur privé, mais aussi s’assurer que les contrats conclus entre agriculteurs et industriels sont vraiment gagnant-gagnant et que chaque partie remplisse ses obligations. ❐ Propos recueillis par Alexia Eychenne 1. Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

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DES EXPLOITANTS CONNECTÉS Les nouvelles technologies doivent permettre d’accélérer cette mutation. Déjà, les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à utiliser leurs portables pour partager des informations sur la météo, le prix des produits agricoles sur les marchés voisins, ou contrôler la bonne santé de leurs animaux d’élevage. Les exemples de réussite sont nombreux, comme la plate-forme Icow développée au Kenya pour les petits producteurs laitiers permettant de suivre les cycles de fécondité vache par vache. Selon une étude du cabinet de conseil McKinsey, cette application aurait permis d’augmenter de 30 % la production de lait. En Ouganda, un centre d’appels fournit aux agriculteurs des conseils en quatre langues sur les récoltes, le bétail, les fournisseurs d’intrants, entre autres. L’échange de SMS et l’accès à Internet jouent également un rôle clé dans l’accès aux marchés. Exemple : le logiciel Esoko, mis au point par une PME au Kenya, qui envoie aux agriculteurs des informations sur les cours du marché, à la fois de gros et de détail, ce qui leur permet de négocier de meilleurs prix, de recevoir plusieurs offres pour leurs produits et de choisir la meilleure. Toujours selon McKinsey, les adhérents à Esoko ont vu leurs revenus croître de plus de 20 %. In fine, c’est une nouvelle génération d’agro-entrepreneurs qui doit émerger. « Nous devons faire de l’agriculture quelque chose d’excitant pour les jeunes », affirme le président de la BAD et ancien ministre de l’Agriculture du Nigeria, appelant à considérer le secteur « comme un business et non comme un mode de vie ». L’enjeu est de taille : le marché du travail doit absorber chaque année 15 millions de jeunes Africains, qui, pour l’heure, recherchent plutôt un avenir meilleur en ville ou à l’étranger. Pour les inciter à s’investir dans l’agriculture, des actions se développent à tous les niveaux : États, entreprises, institutions internationales ou société civile. Au Cameroun, Louis Marie Essomba, 28 ans, utilise le rap. « Une combinaison et des bottes/ À la main une machette/ Sur la tête une casquette/ Sur le dos j’ai ma hotte/ Bienvenue agriculture/ Agriculture de seconde génération/ Le présent et le futur de toute une nation », scandet-il dans une chanson diffusée sur les radios de Yaoundé. Autre initiative au Togo, à Cinkassé dans le nord du pays, où Jacques Nametougli forme les nouvelles générations aux techniques rurales depuis 1999, date de création de l’association Action réelle sur l’environnement, l’enfance et la jeunesse (AREJ). « Il ne fait aucun doute que des jeunes entrepreneurs de l’agrobusiness nourriront l’Afrique, et les futurs millionnaires africains viendront de l’agriculture, et non de l’industrie du pétrole et du gaz », martèle Akinwumi Adesina. ❐

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Transformer, enfin ?

EN CHIFFRES BEAUCOUP DE RICHESSES, TROP PEU DE RECETTES CÔTE D’IVOIRE

1er PRODUCTEUR MONDIAL DE CACAO

40 % du marché, 60 % en ajoutant son voisin le Ghana. â Seulement 1/3 des fèves sont transformées sur place

BURKINA FASO & MALI

1er & 2e PRODUCTEURS DE COTON DU CONTINENT 9e & 11e AU NIVEAU MONDIAL â Au Mali, seulement 2 % de l’or blanc est transformé sur place

NIGERIA & CÔTE D’IVOIRE

ÉGYPTE & ALGÉRIE

2e & 5e IMPORTATEURS MONDIAUX DE RIZ

1er & 3e IMPORTATEURS MONDIAUX DE BLÉ 11,5 & 8,2 millions de tonnes â Mais aucun pays africain dans le top 10 des producteurs

50$

de nourriture importée chaque année MILLIARDS par l’Afrique. Pourtant plus de la moitié des terres arables non cultivées de la planète sont sur son territoire

277 20

2 & 1,3 million de tonnes â Aucun producteur continental dans le top 15

ÉTHIOPIE

1er PRODUCTEUR DE CAFÉ DU CONTINENT & 5e MONDIAL

6,5 millions de tonnes récoltés en 2015-2016 â Loin des 56,1 millions du Brésil, leader mondial

LES SURFACES AGRICOLES EN 2025

KENYA

1er PRODUCTEUR AFRICAIN DE THÉ & 3e MONDIAL

Europe de

16 % 1,5

du produit intérieur brut (PIB) du continent est assuré par l’agriculture

4%

Océanie

2%

c’est le rendement moyen TONNE du secteur, PAR HA soit le plus faible au niveau mondial

3 pays 5 % du seulement ont PIB, ou moins,

600 $Ú2,4 $

INVESTISSEMENT : la Banque africaine de développement (BAD) va investir 24 milliards de dollars dans l’agriculture MILLIONS/AN MILLIARDS/AN et le secteur agroalimentaire dans les dix prochaines années, soit une moyenne de 2,4 milliards par an. C’est 300 % de plus que le niveau de financement actuel, qui s’élève à 600 millions de dollars par an.

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de personnes menacées de famine en Afrique de l’Est

de la population des travailleurs habite en zone vivent de l’agriculture rurale

Moyen-Orient et Afrique du Nord Europe de

MILLIONS

d’Africains sont en insécurité alimentaire

60% 50%

416 000 tonnes en 2017 â Contre plus de 2 millions pour la Chine, n° 1 mondial

l’Ouest Dans moins de dix ans, l’Est et Asie 7% centrale l’Asie du Sud et de l’Est, 11 % l’Afrique et le Moyen-Orient Afrique subsaharienne représenteront plus de la moitié 11 % des terres cultivées sur la planète. Sur le continent africain, Amérique la production augmentera du Nord grâce à la hausse des surfaces 12 % Asie du Sud exploitées et à l’amélioration et de l’Est 38 % des rendements. Au Maghreb, Amérique latine et au Moyen-Orient et en Asie, Caraïbes l’augmentation des récoltes 15 % ne sera due qu’au travail sur les rendements.

MILLIONS

consacré plus de 10 % de leurs dépenses publiques à l’agriculture en 2014.

est alloué aux dépenses de recherche et développement*

* pour 43 pays africains dont les données sont disponibles

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Agriculture

Pierre-André Térisse

DIRECTEUR GÉNÉRAL AFRIQUE DE DANONE

« La filière lait ne peut qu’émerger » Le groupe français, premier producteur mondial de yaourts, vend ses produits dans 40 pays africains. Bien implanté au Maghreb et en Afrique de l’Est, il veut se renforcer dans l’ouest du continent via sa filiale Fan Milk. En dépit des difficultés logistiques et de ressources humaines, il croit au développement de l’industrie laitière. propos recueillis par Estelle Maussion STEPHAN GLADIEU

BUSINESS REPORT


Transformer, enfin ?

E

ntre un séminaire à Évian et un déplacement à Johannesburg, il fait une escale à Paris. À 51 ans, PierreAndré Térisse vit à un rythme digne d’une hôtesse de l’air. Il dirige la division Afrique de Danone depuis sa création au début de l’année 2015 : 19 usines et quelque 13 000 employés pour assurer une présence des produits du groupe français dans plus de 40 pays. Diplômé de l’EM Lyon et entré chez Danone en 1990, il enchaîne les postes de trésorier, passe quatre ans à Singapour, fait un passage au sein du groupe Altadis (racheté depuis par Imperial Tobacco), avant de revenir chez le géant de l’alimentaire comme directeur général des finances en 2008, fonction qu’il occupera jusqu’en 2015. Danone, présent sur le continent depuis 1953 avec la création de la Compagnie laitière du Maroc (devenue Centrale Danone), n’a cessé de se développer : en Afrique du Sud, mais aussi dans le Nord (Tunisie, Algérie et Égypte), dans l’Ouest via sa filiale Fan Milk, et dans l’Est en partenariat avec Brookside Dairy (dont l’actionnaire majoritaire est la famille Kenyatta). En 2016, la division Afrique a généré 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires, soit 6,3 % du résultat global (près de 22 milliards). Elle n’est donc pas la principale source de croissance, située en Europe et surtout aux États-Unis, comme le montre le rachat pour 12,5 milliards de dollars en 2016 du leader mondial des produits laitiers bio et d’origine végétale WhiteWave. En comparaison, les investissements sur le continent semblent modestes : Danone a annoncé en mai, en partenariat avec son associé le fonds d’investissement Abraaj, l’injection de 25 millions de dollars dans sa filiale Fan Milk au Ghana pour ajouter trois lignes de production à son usine d’Akosombo à Accra. Objectif : répondre à la demande croissante de produits laitiers en Afrique de l’Ouest. Un marché difficile mais très prometteur.

AMB : Vous visez une croissance annuelle de vos activités africaines de 5 à 10 % dans les prochaines années. Où en êtes-vous ? Pierre-André Térisse : Notre cible se situe en effet à 10 %. Nos performances varient d’un pays à l’autre. Au Maroc, qui est un marché mature, le taux est un peu inférieur. En Afrique du Sud, le marché est plus concurrentiel et nos résultats en deçà de cet objectif. En Égypte et en Algérie, en revanche, nous serons dans la fourchette mentionnée. Et en Afrique de l’Ouest, nous attendons une croissance à deux chiffres pour notre filiale Fan Milk.

Quelle est la situation en Afrique du Sud ? La concurrence est importante. Nous sommes trois acteurs en lice sur le marché du yaourt, dont l’usage n’est pas aussi courant qu’ailleurs. Aujourd’hui, il est consommé comme un snack. Notre objectif est de le vendre comme une source de protéines bonne pour la santé et participant d’une alimentation équilibrée. Nous travaillons donc sur le marketing et en lien étroit avec les distributeurs – notamment les supermarchés – pour nous différencier de nos concurrents. Nous avons par ailleurs identifié des pistes de croissance : d’une part, les townships, dans lesquels, en l’absence de réseaux de distribution constitués, nous pouvons percer ; d’autre part, les pays voisins, en utilisant l’Afrique du Sud comme base pour l’expansion. Nous avons une large gamme de produits à faire valoir, des yaourts longue conservation (Mayo, Nutriday, Ultramel), mais aussi un dessert proche de la Danette, et récemment Dan’Up, un mélange de maïs fermenté et de yaourt.

PARCOURS

1990 Diplômé de l’EM Lyon, il rejoint le groupe français et réalise des missions au sein de Panzani, Danone Finance Benelux puis Galbani.

1994 Il part à Singapour, comme responsable financementtrésorerie de Danone Asia, avant de rentrer au siège en 1999 comme directeur corporate finance.

2003 Entrée au sein du groupe Altadis, où il reste jusqu’à sa fusion avec Imperial Tobacco.

2008 Retour chez Danone comme directeur général des finances et membre du comité exécutif.

2015 Il prend la tête de la division Afrique.

Le yaourt est votre business n° 1 en Afrique ? Au niveau mondial, notre groupe a quatre activités : les produits laitiers frais, les eaux, l’alimentation infantile et médicale. En Afrique, nous

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BUSINESS REPORT

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n’en faisons que deux, la première et la troisième, avec 80 % des ventes qui concernent les produits laitiers et 20 % dans la catégorie alimentation infantile. Sur le continent, notre gamme laitière est beaucoup plus diversifiée qu’en Europe. Nous faisons des yaourts de différents types, du lait chocolaté, des glaces, du fromage. Nous travaillons avec 120 000 fermiers au Maroc, nous avons une ferme de plus de 1 000 vaches en Égypte, où nous avons racheté Halayeb, société qui produit des fromages frais. Dans ces deux pays, nous travaillons à améliorer les rendements tout en diminuant les émissions de méthane des animaux afin de produire le meilleur lait possible. Au Kenya, nous sommes partenaires, aux côtés de la famille Kenyatta, de Brookside, qui s’appuie sur un réseau de 150 000 fermiers. En Afrique de l’Ouest, nous sommes présents dans six pays, via notre filiale Fan Milk, connue d’abord pour ses glaces et qui propose aussi maintenant du lait chocolaté, des yaourts longue conservation et à boire, dont le dernier est FanMaxx.

Nous sommes bien plus UTILES dans la modernisation de la GAMME de produits que dans la GESTION du lait.

Quels sont les prochains pays où vous voulez vous implanter ?

L’Afrique est un continent en mouvement. Entre les variations des cours des matières premières et les remous politiques, il y a une forte volatilité. Si vos bases sont solides, ce n’est pas un problème. Sinon, vous risquez de finir par terre. Notre objectif est double : consolider nos positions là où nous sommes implantés et nous étendre dans l’Est et dans l’Ouest, où le marché a le plus fort potentiel de croissance.

Pour la partie orientale, cela signifie-t-il se renforcer au capital de Brookside, dont vous êtes actionnaire à 40 % actuellement ? Ce n’est pas à l’ordre du jour et je ne suis pas dans une logique de vouloir prendre le contrôle de la société à tout prix. C’est une décision qui doit se prendre au bon moment, si l’on a les moyens financiers et humains d’opérer sur place. Aujourd’hui, notre partenaire local, le groupe Kenyatta, maîtrise parfaitement la collecte du lait et la gestion du terrain. Il est le mieux placé pour le faire. En tant que transformateur, le métier de Danone consiste à créer des produits, à améliorer leur recette, texture et emballage, à lancer de nouvelles marques. Nous sommes bien plus utiles dans la modernisation de la gamme de produits, l’augmentation de la valeur ajoutée, que

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dans la gestion du lait. Par ailleurs, nous avons aussi lancé le fonds carbone Livelihoods, doté de 30 millions d’euros : il sert à financer des projets d’agriculture durable combinant formation technique, protection de l’environnement et accompagnement des communautés locales. Ce sont 30 000 paysans concernés au Kenya.

Vous êtes directement opérateur dans l’Ouest via votre filiale Fan Milk. Avec quels objectifs ? Nous voulons augmenter à la fois le nombre de produits en vente et le nombre de marchés de présence. Nous sommes très actifs au Ghana, le pays d’origine de Fan Milk, mais aussi au Burkina Faso, au Togo et au Bénin. À l’opposé, nous sommes très modestes en Côte d’Ivoire, alors que nous devrions être forts, et peu présents au Nigeria, où le potentiel est gigantesque. La principale limite à l’expansion n’est pas, comme on le pense souvent, le manque de capitaux. C’est la difficulté de trouver les bonnes personnes pour conduire le développement. On le voit à tous les niveaux, la confection des yaourts, leur distribution, le recyclage des contenants. Nous sommes en train de développer cette dernière activité au Ghana en organisant la collecte, le tri puis le recyclage des déchets. Le principal goulot d’étranglement, encore une fois, ce sont les compétences sur place et le temps, avant même l’argent.

À première vue, le recyclage semble loin de votre cœur d’activité… Pas du tout. Nous vendons dans ces pays des millions de pots de yaourts en plastique par an. Pour ne pas les laisser polluer les villes et les villages un circuit de traitement doit être mis en place. Une fois que ce sera opérationnel au Ghana, nous le ferons ailleurs. Pour y parvenir, notre idée est de conclure des alliances avec des industriels du secteur, Veolia par exemple, pour qu’ils investissent dans des équipements. Nous apporterions notre connaissance du terrain et nous nous engagerions sur un volume de déchets.

Comment financer tous ces investissements ? Pour le moment, nos moyens financiers, le partenariat avec le fonds Abraaj notamment et l’état des infrastructures sur place nous permettent de répondre à la demande. Sauf qu’à terme celle-ci va augmenter de façon exponentielle, non pas à un rythme de 2 % par an mais de 10 ou 20 %. Vous imaginez les investissements nécessaires pour que la fabrication de yaourts, leur distribution et leur commercialisation suivent. En l’absence d’un réseau de grande distribution, cela peut vouloir dire mettre en place un dispositif de livraison d’un


Transformer, enfin ?

million de points de vente au Nigeria, par exemple ! Les besoins en capitaux seront considérables, audelà de nos capacités. C’est pourquoi nous devons à l’avenir former des partenariats pour attirer puis convaincre les investisseurs de financer des fermes et le secteur dans son ensemble.

insurmontable il y a quelque temps. Mais, quand je vois le nombre de personnes décidées à investir les besoins en lait à venir et le succès des expérimentations de collecte auprès des fermiers peuls, par exemple, je me dis que c’est possible. La filière lait ne peut qu’émerger dans la région.

Il n’y a pas de tradition laitière en Afrique de l’Ouest, contrairement au reste du continent. Comment y fabriquez-vous vos yaourts ?

Cet essor ne risque-t-il pas d’exclure les petits paysans, en favorisant les grands exploitants nationaux ou étrangers et en recourant aux importations ?

Il y a peu de lait dans cette région pour diverses raisons. Historiquement, elle était peuplée de nomades, ce qui a rendu difficile l’instauration d’une collecte. Ensuite, le climat tropical entraîne le développement de maladies qui touchent les bêtes. Enfin, nombre d’États ont préféré investir dans certaines ressources naturelles plutôt que dans l’agrobusiness. Nos yaourts sont donc fabriqués à partir de poudre de lait importée. Cela dit, la production est compliquée, mais pas impossible. Nous soutenons des projets pour l’encourager, dont la Laiterie du Berger au Sénégal, financée par les fonds danone.communities et Danone pour l’écosystème [voir AMB n° 12]. Au Nigeria, on voit de plus en plus d’initiatives dans ce sens. Il y a deux mois, nous avons visité une ferme de 200 têtes à Kano, lancée par des investisseurs locaux et qui produit des yaourts frais et du fromage.

MCE

Pour l’heure, il s’agit de réalisations isolées. Comment passer à la création d’une filière ? Prenons le cas du Nigeria. Il va falloir partir d’une production de lait quasi nulle et arriver à répondre aux besoins d’une population de plus de 160 millions d’habitants ! Cela ne peut pas se faire en un jour, il faudra des dizaines d’années. Car, outre l’augmentation de la production, il faudra prévoir les tours de séchage du lait, les usines pour fabriquer yaourts et fromages, le circuit de stockage et de distribution… Cela me paraissait

Conditionnement de lait entier dans l’usine Danone de Boksburg, en Afrique du Sud.

La filière ne se développera pas qu’avec des grandes fermes. Nous avons et aurons besoin des petites aussi. L’essor doit être inclusif et créer de la valeur localement, permettre aux jeunes de s’installer, de travailler et de réussir sur place.

Il était aussi question d’implanter une usine de céréales en Afrique de l’Ouest… Absolument, j’ai signé récemment la demande d’investissement, mais je ne peux pas encore vous dire où le site sera installé. Ce n’est pas une usine de fabrication, mais de mélange et d’emballage de céréales. Jusqu’à présent, dans la région, nous ne fabriquions que les produits laitiers sur place, pas l’alimentation pour enfants. C’est donc une avancée, un premier pas dans le développement des compétences locales. Un jour, je ne sais pas quand précisément, nous aurons des unités de recherche et développement sur place.

Votre direction comprend l’Inde, en plus de l’Afrique. Simple choix interne, ou est-ce lié à des similitudes entre ces marchés ? Les deux. Partout ailleurs, en France par exemple, les quatre métiers sont pilotés par des entités séparées. Et en effet, des expériences menées par nos équipes indiennes peuvent être utiles en Afrique et vice versa, je pense notamment aux produits contre les carences protéiniques ou encore à l’offre végétarienne. ❐

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Agriculture

La main bien visible du marché On l’oublie trop souvent, le secteur agricole dépend fortement des variations des cours des matières premières, fixés sur des places financières mondiales, lointaines et volatiles. par Akram Belkaïd et Estelle Maussion

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n appelle cela l’effet papillon. Quand un battement d’ailes d’un côté de la planète, une baisse de 40 % du cours du cacao à la Bourse de New York, entraîne un tsunami dans une autre partie du monde, une crise budgétaire et une cure d’austérité en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial d’or brun. Cacao, mais aussi café, sucre, jus d’orange, tous ces produits agricoles voient leur cours s’effondrer ces derniers mois sur les marchés. Pour le cacao, la baisse résulte de la surabondance de fèves par rapport à la demande, avec une récolte historique à venir cette année et d’importants stocks issus de l’an passé. Dans le cas du jus d’orange, c’est la réduction drastique de la consommation en Occident, supérieure à la diminution de la production engagée, qui est responsable de la plongée des prix. Pour le sucre et le café, les explications sont moins évidentes. Le cours du premier recule par l’anticipation de la fin des quotas sucriers en Europe, qui causera une hausse de la production l’an prochain. Le décrochage du second résulte de la spéculation des investisseurs, qui parient sur un cours à la baisse alors même que l’on prévoit un déficit de production pour 2017 et 2018. C’est ce complexe jeu des marchés qui décide des prix des matières premières, bien loin des lieux de production et, surtout, en dehors du contrôle des pays producteurs. Concrètement, comment cela fonctionne ? Aujourd’hui, Londres, New York et Chicago sont les principales places d’échanges de « com-

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places boursières ne traitent pas uniquement du « physique », c’est-à-dire de la matière première proprement dite. Prenons l’exemple bien connu du pétrole. Un vendeur s’engage à céder un baril à 50 dollars à une date donnée. Il trouve un acheteur qui accepte ces conditions, la transaction étant matérialisée par un contrat standard. Mais pas de livraison « physique » de pétrole en réalité, il s’agit d’un simple pari. Le vendeur espère que, le jour du dénouement du contrat, le cours du pétrole sera inférieur à 50 dollars ; à 48 dollars par exemple, sa plusvalue sera de 2 dollars. L’acheteur, lui, fait le pari inverse, que le baril sera supérieur à 50 dollars, afin de réaliser un gain. Dans les faits, l’un ou l’autre paiera simplement la différence entre le UN JEU D’ANTICIPATION cours prévu et celui du marché au jour Mais la formation du prix est égadit, sans avoir à livrer de pétrole. lement influencée par plusieurs types Ce type de fonctiond’anticipation, où l’informanement – appelé marché à tion joue un rôle fondamenLes stratégies terme – est très ancien. Dès tal. Concernant le cacao, les des spéculateurs l’Antiquité, les agriculteurs perspectives de production pénalisent ont eu besoin de se prémumondiale ont un impact sur les « vrais » nir contre les aléas climales cours. Que les experts opérateurs. tiques et les variations de annoncent une baisse en prix. Leur solution : fixer un raison du climat, de troubles prix à l’avance pour une date donnée. politiques ou sociaux et le prix augAinsi, à Alexandrie, deux siècles avant mente. Qu’ils anticipent une surproducnotre ère, sont apparus les premiers tion et le cours recule. De même, toute « contrats » fixant le tarif du boisseau évolution majeure dans les législations de blé. Depuis cette date, le principe est est prise en compte. Quand les multinaresté identique. Même si, bien entendu, tionales de l’agroalimentaire obtiennent les marchés, beaucoup plus sophistile droit d’ajouter des graisses végétales qués, sont devenus des outils de spéculadans le chocolat pour diminuer la part tion. Aujourd’hui, 90 % des transactions du cacao, le prix des fèves est immésur les marchés de matières premières, diatement tiré à la baisse. Cela dit, les modités ». Informatisées et traitant des millions d’opérations par jour, elles constituent l’endroit où se rencontrent l’offre et la demande, c’est-à-dire les vendeurs de matières premières (cacao, pétrole, cuivre, etc.) et les acheteurs. Les transactions concernent des contrats de livraison, une tonne de charbon ou un quintal de cacao, par exemple, à date donnée (dans une semaine, un mois, trois mois, un an…). C’est la comparaison entre le nombre d’ordres de vente et d’ordres d’achat qui détermine le prix, celui-ci variant en permanence. Quand l’offre est plus importante que la demande, il chute. Dans la situation inverse, le cours est orienté à la hausse.

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Transformer, enfin ?

JIM WEST/REPORT DIGITAL/RÉA

quelles qu’elles soient, sont des opérations financières de ce type. Elles n’ont rien à voir avec une transaction physique. Néanmoins, le cours sert de référence pour les « vrais » échanges. Le débat sur l’efficience de ces marchés et leur déconnexion avec la réalité est relancé de manière régulière, les producteurs considérant que les stratégies financières des spéculateurs affectent de manière négative les cours et pénalisent les « vrais » opérateurs de tel ou tel secteur. AMORTIR LES CHOCS BAISSIERS C’est d’autant plus vrai qu’un acteur peut à la fois parier sur la baisse des prix du cacao et se « couvrir », par le biais de produits financiers sophistiqués, vis-à-vis d’une éventuelle hausse. Si les grandes compagnies agroalimentaires ont les moyens de se prémunir contre les variations de prix et de limiter les pertes, ce n’est pas le cas des petits producteurs, d’autant plus que les marchés financiers et les assurances dans leurs pays sont peu développés. Reste la solution des caisses de

compensation pour amortir les chocs baissiers. Abondées par les États et les cultivateurs durant les périodes fastes, elles ont longtemps existé sur le continent. Mais les crises budgétaires des années 1980-1990 et l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale en ont eu raison. Faussant le marché et captant les ressources publiques, elles transforment les opérateurs en rentiers, détournés de la nécessité d’améliorer la productivité et la compétitivité, arguent les institutions financières. Enfin, d’autres critiques, plus anciennes, s’en prennent à la localisation des marchés. Est-il normal que le cours du cacao soit fixé à Londres ou à New York alors que le principal producteur mondial est la Côte d’Ivoire ? N’est-ce pas ce pays qui devrait donner le « la » en ce qui concerne cette « commodité » ? Cette question est posée depuis plus de cinquante ans, mais les pays développés continuent de garder la main sur les mécanismes de fixation des cours de la totalité des matières premières. ❐

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L’un des principaux marchés à terme, le Chicago Mercantile Exchange, aux États-Unis.

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Agriculture

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Transformer, enfin ?

Cacao : la Côte d’Ivoire sous pression Trésorerie de l’État asséchée, petits producteurs pénalisés… Avec la chute brutale des cours de l’or brun, c’est toute l’économie nationale qui tangue. Alors que les transformateurs, eux, profitent de la baisse des coûts. par Julien Wagner

SIA KAMBOU

I Près d’un quart de la population vit directement ou indirectement de cette culture. Ici, une plantation à Soubré, au sud-ouest du pays.

l y a eu tout d’abord la chute du prix du cacao sur le marché international, en repli de 40 % depuis juillet 2016. Puis, en début d’année, plusieurs opérateurs se sont déclarés incapables d’exécuter leurs contrats, plongeant dans la tourmente le Conseil Café-Cacao (CCC), organe public ivoirien chargé de la régulation et de la gestion de la filière. Ensuite, le gouvernement a procédé en mars à une baisse de 36 % du prix bord-champ (fixé par l’État), de 1 100 à 700 francs CFA le kilo. Et c’est ainsi que le monde cacaotier ivoirien se retrouve aux abois. Secteur vital pour l’économie du pays, premier producteur mondial de fèves, il assure 50 % des recettes d’exportation et fait vivre pas moins de 5,5 millions de petits producteurs. La crise actuelle est donc synonyme de chute des revenus pour les acteurs privés comme pour l’État. Ce dernier a annoncé une réduction de près de 10 % de ses dépenses, alors que le déficit public, initialement estimé à 3,4 %, devrait atteindre 4,5 % du produit intérieur brut (PIB).

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Agriculture

Véritable serpent de mer, l’idée est revenue sur le devant de À l’origine de ces difficultés, la dégringolade des cours de la scène en mai avec l’annonce par les présidents Alassane l’or brun s’explique principalement par la forte hausse de la proOuattara et Nana Akufo-Addo d’un accord de partenariat straduction mondiale de fèves, + 18 % l’an passé à 4,6 millions de tégique, après la conclusion en avril des « accords d’Abidjan » tonnes. Or, dans le même temps, la consommation n’a augmenté entre le CCC ivoirien et le Cocoa Board ghanéen. « C’est une que de 3 %. Résultat, alors qu’il était déficitaire de 197 000 bonne idée, même s’il faut voir ce que cela donne dans la pratonnes en 2015, le marché est devenu excédentaire de 382 000 tique », commente le contrôleur qualité ivoirien Mathieu Aguitonnes en 2016. Et la situation n’est pas près de s’arranger, avec Miezan un nouveau record de production annoncé pour cette année L’autre piste pour sortir de la crise, c’est la transformation. en Côte d’Ivoire (1,9 million de tonnes) comme au Ghana, 2e Car, si les producteurs ont souffert de la baisse des prix, les producteur mondial (950 000 tonnes). Mais le jeu de l’offre et grands transformateurs ainsi que les grandes marques monde la demande n’est pas le seul en cause. Soulignant que la diales de la confiserie en ont au contraire tiré profit, grâce des « correction » du prix a été excessive, de nombreux analystes coûts de production à la baisse. Cette « remontée » de la filière pointent le rôle négatif des pratiques spéculatives des fonds (broyage, malaxage, poudre…) est l’un des objectifs de l’exéd’investissement sur les marchés financiers mondiaux (voir cutif ivoirien, le Programme national d’investissement p. 84). Tôt ou tard, ils voient donc les prix remonagricole 2016-2020 ayant fixé l’objectif de 50 % de la ter, mais pas forcément au-dessus des 3 000 dollars, L’idée de production locale transformée sur place d’ici 2020. niveau atteint il y a un peu plus d’un an. créer un Dans ce cadre, des incitations fiscales ont permis d’atPour contrecarrer les effets de la crise, les autocartel de l’or tirer les grands noms de l’industrie, comme le suisse rités ivoiriennes ont réagi dès la fin de l’année 2016. brun revient Barry Callebaut, l’américain Cargill, le singapourien En novembre, le CCC a suspendu les ventes de cacao sur le devant Olam et le français Cémoi. En 2015, la Côte d’Ivoire par anticipation de la récolte intermédiaire 2016de la scène. s’était hissée au rang de premier broyeur mondial de 2017, ainsi que celles de la campagne 2017-2018, cacao, devant les Pays-Bas, l’Allemagne et les Étatsdans l’espoir de raréfier l’offre (ventes qui ont repris Unis, avec plus de 560 000 tonnes, soit 30 % de sa en juin selon Reuters). En février dernier, l’État a production. Après la construction d’une usine de transformaannoncé un audit de la filière après la révélation de défaillances tion par Cémoi, Choco Ivoire a annoncé un investissement de dans le système de commercialisation, alors que plusieurs opé15 millions d’euros d’ici 2018 pour doubler sa production et rateurs s’étaient déclarés insolvables et donc dans l’impossibiatteindre 64 000 tonnes broyées. Cette année, Mars et Eurofind lité d’exécuter leurs contrats. L’idée du gouvernement est de ont, à leur tour, affirmé leur volonté de venir s’installer dans le « nettoyer » la profession, une volonté pourtant déjà affirmée en pays, sans cependant donner plus de détails. 2012 au moment de la réforme de la filière café-cacao. Au-delà des mesures conjoncturelles, « l’important, pour les planteurs ABSENCE D’UN MARCHÉ DE CONSOMMATEURS comme pour les intermédiaires, est de construire des stratégies Durant la dernière récolte, qui va d’octobre à avril, les qui permettent d’absorber les périodes de choc », note l’écobroyages ont ainsi augmenté de plus de 10 % par rapport à la nomiste ivoirien Yousouf Carius. On envisage la constitution même période un an plus tôt (de 272 000 à 301 000 tonnes). d’un cartel de l’or brun, sur le modèle de l’Opep pour l’or noir : Sur le seul mois d’avril, ils sont passés de 32 000 tonnes en l’alliance des principaux producteurs, à savoir la Côte d’Ivoire 2016 à 42 000 en 2017. Reste que le rythme d’augmentation et son voisin le Ghana, qui représentent à eux deux 60 % de la du broyage demeure inférieur à celui de la production. Conséproduction mondiale, pour peser davantage sur les marchés. quence, le taux de transformation actuel (30 % des fèves récoltées sur place) est inférieur à En 2015, la Côte celui atteint en 2010 (34 %). Surtout, la Côte d’Ivoire s’était hissée d’Ivoire se retrouve dans une impasse. Puisque au rang de premier la demande de produits chocolatés se concentre broyeur mondial encore très largement en Europe et aux Étatsde cacao, devant les Unis, l’intérêt pour les transformateurs de se Pays-Bas, l’Allemagne délocaliser vers des zones à faible consommaet les États-Unis tion est réduit, notamment pour des raisons liées au coût du transport. D’autant que, si de nouveaux marchés s’éveillent bien au chocolat, ils ne se trouvent pas en Afrique, mais plutôt en Asie du Sud-Est ou en Russie. Une réalité contre laquelle l’État ivoirien ne peut évidemment pas grand-chose.❐

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NABIL ZORKOT

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Transformer, enfin ?

Tunisie : objectif bio Réputé à l’international pour son huile d’olive et ses dattes 100 % naturelles, le pays veut multiplier par quatre ses surfaces agricoles biologiques d’ici 2020. Pour développer de nouveaux produits, mais aussi conquérir le marché national. par Frida Dahmani, à Tunis

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lus de 3 300 acteurs, près de 50 000 tonnes de produits exportés vers 60 destinations, quelque 350 millions de dinars de recettes générées par an. C’est ce que représente l’agriculture biologique en Tunisie. Troisième producteur mondial d’huile d’olive et 24e exportateur tous produits confondus, le pays dispose de 500 000 hectares bio, ce qui le place en deuxième position en termes de surfaces cultivées en Afrique, derrière l’Ouganda. L’essor du secteur repose sur plusieurs facteurs : une tradition agricole ancestrale qui limite l’usage d’intrants, le changement des modes de vie avec l’aspiration croissante à se nourrir sainement, la volonté politique d’encourager les cultures naturelles. Le créneau est porteur, soulignent les autorités comme les opérateurs. Non seulement il offre des voies rapides pour passer de la production à la transformation, mais il permet également de dégager un certain niveau de marges grâce à une meilleure valorisation des produits. Outre la fameuse huile d’olive, les dattes, et plus précisément la variété Deglet Nour, constituent l’étendard du bio tunisien. Les 2/3 des 80 000 tonnes récoltées lors de la saison 2016-2017 ont ainsi été exportés en Allemagne, aux États-Unis et dans le Golfe, pour une valeur de 420 millions de dinars (154 millions d’euros). « Tout au long de l’année, nous travaillons avec treize associations de producteurs, soit 700 agriculteurs », explique Mohsen Boujbel, le fondateur de Boujbel Vapca, premier exportateur national. Et le pays, dont 80 % de la production bio est aujourd’hui exportée, mais ne compte que pour 1 % du marché

poser. Sur ce plan, la Tunisie a fait un pas en avant en obtenant l’équivalence de certification biologique AB pour son système de production et de contrôle. Décrochée en 2009 auprès de l’Union européenne (UE) et de la Suisse, elle a été reconduite en 2015. Si le succès est au rendez-vous à l’international, c’est loin d’être le cas sur place, faute de sensibilisation des clients, mais aussi de réseaux de distribution. Paradoxe, les produits bio écoulés sur le marché tunisien sont souvent importés (comme les bananes de Côte d’Ivoire ou les avocats et ananas d’Amérique du Sud Huilerie via l’Europe), vendus à des prix traditionnelle exorbitants et donc réservés aux sur l’île de Djerba. expatriés. La grande majorité de la population confond produit du terroir, associé à une zone géographique mondial, entend maintenant aller plus et non à une technique de culture sans loin. Ce sont 20 secteurs, dont l’héliciproduit chimique, et récolte biologique, culture et l’aquaculture, ainsi que 250 qui bannit tout intrant non naturel et produits, dont les figues de barbarie, les est soumise à certification. Pour chanhuiles essentielles et les eaux florales, qui ger la donne, les producteurs ont été identifiés pour élargir se mobilisent et organisent des l’offre bio. « Notre stratégie La filière opérations promotionnelles pour 2020 prévoit la création doit encore destinées à la classe moyenne, de cinq régions pilotes d’agribeaucoup comme le Souk de la COOP, un culture biologique », indique gagner en marché hebdomadaire de vente Samia Maamar, en charge du secteur au sein du ministère visibilité pour en circuit court promu par l’agronome Naoufel Haddad. de l’Agriculture, qui précise réellement Objectif : susciter un engageégalement : « Il faut articuler s’imposer. ment citoyen sur les questions son développement autour environnementales et pousser à mieux d’autres secteurs comme l’agrotourisme, consommer. En parallèle, de nombreux la culture, l’artisanat, l’agroalimentaire petits marchés, dont le très couru Élixir pour installer des chaînes de valeur. à Tunis, se multiplient dans les quartiers In fine, il s’agit d’un modèle de vie. » chics des grandes zones urbaines et le Reste que la filière doit encore beaucoup font savoir sur les réseaux sociaux. ❐ gagner en visibilité pour réellement s’im-

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Agriculture

Jean-Claude Ratsimivony

FONDATEUR ET PDG D’HOMÉOPHARMA

« Il faut opter pour des cultures intelligentes » Visionnaire, il a parié il y a vingt-cinq ans sur les plantes médicinales qui poussent de manière endémique sur la Grande Île. Devenu le leader malgache des huiles essentielles, il vise à présent l’ouest du continent en même temps que l’Asie. Sa recette : valoriser ces végétaux à vertus thérapeutiques et leurs cultivateurs en investissant dans la recherche et le développement.

propos recueillis par Sarah Tétaud, à Antananarivo

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hemise en jean, médaillon du troisième œil autour du cou, crâne rasé : à 60 ans, ce psychologue de formation est une figure marquante de l’entrepreneuriat malgache. Avec son épouse, pharmacienne, ils ont créé il y a vingt-cinq ans la marque Homéopharma. Depuis, l’entreprise s’est développée : elle emploie 500 personnes, dont une vingtaine de chercheurs dans le département recherche et développement, 45 médecins et 200 ouvriers dans l’usine de production installée dans la capitale malgache. Mais la société a conservé une gestion familiale. Elle n’a pas de filiale à l’étranger, ni d’actionnaire en dehors du couple fondateur. Ce qui ne l’empêche pas de réaliser un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros et d’afficher une croissance annuelle de ses activités de 15 %. Leader sur la Grande Île en naturopathie, aromathérapie et phytothérapie, elle commercialise plus de 400 articles (huiles essentielles, crèmes, gélules, tisanes, produits cosmétiques et hygiéniques), dont les matières premières, garanties 100 % biologiques, proviennent exclusivement de Madagascar.

AMB : Comment faire en sorte que les richesses naturelles malgaches créent de la valeur ajoutée ? Jean-Claude Ratsimivony : Il ne faut plus se contenter des cultures traditionnelles de l’île, comme le riz, le café, le girofle, mais revaloriser toutes les ressources existantes. La nouvelle agriculture, c’est aller vers les plantes médicinales et nutritionnelles, et pérenniser ces essences. Il y a 12 000 espèces de plantes médicinales à Madagascar, les scientifiques n’ont fait des études que sur 2 000 et nous, dans notre laboratoire, nous n’en utilisons qu’environ 1 500. Mettre en avant ces richesses

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oubliées permet de créer de l’emploi et de donner du sens au travail des paysans. Depuis les années 1990, par exemple, nous travaillons sur le niaouli [essence aux propriétés antiseptiques, NDLR]. Sur la côte est, tout autour de Brickaville, ces arbres poussaient à profusion. Or, dans les villages, l’essence était utilisée uniquement pour faire du charbon ! Nous avons expliqué ses vertus aux paysans et nous leur avons proposé de travailler ensemble. Aujourd’hui, ils cueillent les feuilles et les distillent. Nous leur achetons l’huile essentielle. Depuis, les taxis-brousses sont revenus dans la zone, des épiceries ont rouvert, des écoles et des dispensaires ont été créés. C’est un véritable retour à la vie à partir d’une économie circulaire.

Qui dit « nouvelle agriculture », dit gros investissements ? Pas du tout. C’est avant tout un travail de sensibilisation. Il faut convaincre les jeunes agriculteurs et les entreprises qu’il est judicieux de changer de type de semences pour aller vers les plantes endémiques, médicinales et nutritionnelles. D’autant que la demande existe. Il faut opter pour des cultures « intelligentes ». Si on me dit : « Monsieur, pouvez-vous cultiver un hectare de citronnelle que vous nous livrerez toute l’année ? », j’accepte et j’arrête le manioc au profit de la citronnelle. Ensuite, il faut stopper les engrais chimiques. Pour l’instant, Madagascar est l’endroit idéal pour le bio car nos terres sont encore propres. Il y a plein d’autres pays qui sont davantage portés sur ce créneau et qui cultivent la même chose que nous. Mais nombre d’entre eux souffrent de la présence de résidus chimiques, que ce soit en raison d’utilisation d’engrais par le passé ou à cause de guerres qui ont laissé des traces dans le sol.

À quelle culture « intelligente » pensez-vous ? Au gingembre, par exemple. Cette racine est recherchée


Le défi de la transformation

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par plusieurs pays, en particulier la Chine, et elle pousse à profusion chez nous. Pourquoi ne pas intensifier ce type de plantation quand les besoins sont mondiaux ? Surtout que l’Europe n’arrive plus à répondre à la demande, notamment biologique…

En vingt-cinq ans d’expérience, quelles ont été vos plus grandes difficultés ?

Le premier problème auquel nous avons été confrontés est l’accès au financement. Ensuite, les trois crises politico-économico-sociales nous ont bien sûr porté préjudice. Il y a eu des Quelle est votre stratégie de développement ? L’Afrique est un marché au potentiel énorme. Mais nous grèves générales, des procédures interminables pour obtenir avons aussi de belles opportunités en Asie, notamment en la reconnaissance de nos produits par les autorités malgaches. Enfin, le dernier écueil, qui perdure, c’est le foncier. Chine et au Japon. Notre principal problème, Trop de terres sont laissées à l’abandon sans être cultic’est la capacité de production trop faible de notre « On dépose vées. Pourtant, si vous essayez de les mettre en activité, usine. Nous allons donc déménager d’ici la fin des brevets de prétendus propriétaires vous en empêcheront. Notre de l’année pour doubler sa superficie (2 600 m² ici mais nous île a besoin d’une profonde réforme du foncier, d’un aujourd’hui) et nous allons transférer la quasine pouvons cadastre officiel, de titres de propriété, pour que l’on totalité de nos activités sur des machines semisache quelle terre acheter ou louer et à qui. automatiques. Une fois ces étapes passées, nous pas le faire nous attaquerons aux marchés internationaux. partout, faute Quid de la concurrence des groupes Actuellement, nous réalisons 80 % de notre actiinternationaux ? de moyens. » vité sur l’île, et donc seulement 20 % à l’étranger. C’est un sujet de préoccupation permanent. Nous Mon objectif : être présent dans les grandes capiavons décidé de concentrer une grande partie de nos tales du continent dans les cinq à six prochaines années. Nous investissements dans la recherche sur un certain nombre de visons l’Afrique de l’Ouest en priorité, puis ce sera le Gabon et plantes. Mais, quand nous engageons 300 000 euros par an, des l’Afrique de l’Est, le Kenya, le Mozambique et, éventuellement, firmes étrangères mettent des millions sur la table. Elles grila Tanzanie. gnotent nos parts de marché et attirent nos fournisseurs. C’est ainsi que nous avons perdu le marché du girofle il y a quelques Entre l’Asie et l’Afrique, quel marché privilégieriez-vous ? On verra en fonction des demandes que l’on pourra honorer. années. En outre, ici comme ailleurs, nous ne sommes pas à La première a-t-elle des demandes que la seconde n’a pas ? l’abri des regards indiscrets de certains acteurs américains, Oui et non. L’Afrique a des besoins, mais elle est moins suisses, japonais ou encore chinois. Il nous arrive de retrouver enthousiaste que l’Asie. Les Africains, c’est « oui, ça nous plaît ». nos produits sur les marchés concurrents. Nous déposons des L’Asie, c’est « oui, on veut vos produits et tout de suite, 200 brevets à Madagascar, mais nous ne pouvons pas le faire parvoire 1 000 conteneurs. » Leurs acheteurs viennent sur place et tout, faute de budget. Heureusement, la chance a toujours été du côté de nos chercheurs. On compte beaucoup dessus… ❐ signent les commandes dans la foulée.

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Maroc : place à l’agroalimentaire Modèle de culture intensive, le Royaume a longtemps négligé le volet industriel. La situation est toutefois en train de changer. Outre le soutien financier de l’État, les acteurs privés pourraient bénéficier de l’intégration du pays à la Cédéao, ce qui leur ouvrirait les portes du marché subsaharien. par Julie Chaudier, à Casablanca

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L’agro-industrie ne représente que 3 % du PIB marocain.

Aujourd’hui, sur les six agropoles prévus, seuls deux sont opérationnels, à Meknès et à Berkane. Ils ne comptent qu’une dizaine d’usines et pas davantage de projets d’investissement. Malgré cela, le secteur s’est développé progressivement « soutenu par les changements de mode de consommation qui accompagnent l’urbanisation et le développement du pays », souligne Khalid Idrissi Kaitouni, chargé de l’appui aux entreprises françaises au sein de la Chambre de commerce et d’industrie française au Maroc. DE GRANDS GROUPES ONT ÉMERGÉ La production agroalimentaire est ainsi passée de 67 milliards de dirhams par an en moyenne entre 2002 et 2008, à 106 milliards en 2016. Quelques grands groupes ont émergé : la coopérative Copag, qui commercialise notamment la marque de yaourt Jaouda ; les Conserveries de Meknès et leurs confitures Aïcha ;

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la Cosumar, qui produit l’ensemble du sucre consommé au Maroc ; Ynna Holding, propriétaire des supermarchés Aswak Assalam ; ou encore Koutoubia, qui transforme la viande… Le potentiel marocain a même attiré des investisseurs étrangers : Avril a pris le contrôle de Lesieur Cristal Maroc en 2012, puis Danone celui de la Centrale laitière, leader de la transformation du lait, en 2015. Composée en majorité de petites et moyennes entreprises, l’industrie agroalimentaire souffre toutefois de la concurrence des produits étrangers. Dans les rayons des magasins Marjane, les marques européennes disputent la vedette aux produits nationaux. La même concurrence s’opère en amont du secteur. « Je n’achète qu’un tiers des oranges que je presse sur le marché national. Le reste, je l’importe. Sinon, mes jus seraient trop chers », explique Ibrahim Belkora, directeur général d’Agro Juice

TOM / ANDIA.FR

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l fallait d’abord travailler sur l’augmentation des volumes agricoles produits avant d’envisager de les transformer », déclare le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, en poste depuis onze ans, pour justifier le retard de son pays dans le développement de la filière agroalimentaire. Nous sommes en juin 2016 lors d’une conférence sur l’émergence organisée par le ministère de l’Économie et des Finances. Et, de fait, un constat s’impose : l’agroalimentaire a été totalement oublié du fameux Plan Maroc vert, lancé en 2008 et axé sur la mise en place d’une agriculture intensive dans le Royaume. Résultat, l’agro-industrie n’a signé son « contrat-programme » avec le gouvernement que le 17 avril dernier à l’occasion du Salon international de l’agriculture de Meknès. L’État s’est enfin engagé à apporter 4 milliards de dirhams (363 millions d’euros) d’investissement dans un secteur qui représente aujourd’hui 27 % des entreprises industrielles et 30 % du produit intérieur brut (PIB) industriel, mais seulement 3 % du PIB global du pays. Pendant plus d’une dizaine d’années, l’action gouvernementale s’est limitée à la création d’agropoles, des parcs dédiés aux usines agroalimentaires. « Ils avaient pour ambition de répondre à la difficulté d’accéder à un foncier compétitif. Mais leur aménagement a été contre-productif en faisant grimper le prix du mètre carré », explique Mohammed Fikrat, président de la Fédération nationale de l’agroalimentaire (Fenagri) et PDG de Cosumar, unique sucrier national.


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Le défi de la transformation Processing, qui produit des jus de fruits vendus au Maroc, en Afrique de l’Ouest, mais aussi aux Émirats arabes unis. Les approvisionnements locaux sont d’autant plus difficiles à sécuriser que la production agricole reste erratique, largement dépendante de la pluviométrie. Pour y remédier, « le contrat-programme récemment signé prévoit une “prime à l’écrasement” : l’État apportera la différence entre le prix d’un fruit frais directement destiné au consommateur sur le marché national et celui, généralement plus bas, auquel l’industriel l’achète [sur les marchés internationaux, NDLR] pour rester compétitif », se réjouit l’entrepreneur. Surtout, l’État s’est engagé à contribuer (entre 15 et 25 %) aux investissements industriels. « Il va réserver 4 milliards de dirhams à ces investissements et 8 milliards seront apportés par le secteur privé », résume Mohammed Fikrat. D’ici 2021, le ministère de l’Agriculture prévoit ainsi la création de 371 nouvelles unités industrielles, de 40 000 emplois et de 42 milliards de dirhams de chiffre d’affaires additionnel. Dans la droite ligne de la diplomatie royale, les opérateurs regardent à présent avec optimisme vers l’Afrique, qui ne représente que 19,7 % des exportations agroalimentaires marocaines. « Elles sont parfois pénalisées par des droits de douane de 60 % », regrette le PDG d’Agro Juice Processing, qui exporte déjà au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Burkina Faso. C’est pourquoi la demande d’intégrer la Cédéao a été suivie de près par les industriels. Si l’entrée du Maroc dans l’Union africaine en début d’année était acquise, son adhésion à la communauté économique régionale a été moins évidente. « En 2002, le pays avait déjà signé avec l’UEMOA un accord de libreéchange qui n’a jamais abouti parce que ses membres craignaient la concurrence des produits marocains. On constate les mêmes réticences au sein de la Cédéao », explique Saïd Tounsi, professeur à l’université Mohammed-V de Rabat. Ce que confirme avec ironie un conseiller de la Cédéao : «Le plus dur est fait. Il reste maintenant le plus compliqué. » ❐

ABDOULAYE NABOLÉ DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA FILATURE DU SAHEL (BURKINA FASO)

« Nous devons produire pour le marché local » AMB : Votre société (détenue par le Fonds burkinabè de développement économique et social, la Société burkinabè des fibres textiles et des acteurs privés) a investi 1,5 milliard de francs CFA (environ 2,2 millions d’euros) pour acquérir de nouveaux équipements afin de fabriquer du fil. Cela a-t-il payé ? Abdoulaye Nabolé : Cet investisse-

tion s’est déplacée vers l’Asie, mais les grands groupes européens sont restés actifs dans le courtage, contrôlant la mise sur le marché de notre fibre. Après les indépendances, les États africains ont décidé d’installer des unités de transformation pour remplacer les importations. Mais, la libéralisation qui a suivi a entraîné le retrait des États, remplacés par des acteurs privés, sans que les goulots d’étranglement ment nous a permis, après une année existants ne soient combattus. Consé2015 très difficile, d’augmenter nos quence, la quasi-totalité des unités de capacités de retordage de 56 % et transformation ont fermé, et celles qui notre production de fil de 16 %. Notre résistent encore ne tournent qu’à 30 % objectif : faire passer notre production de leur capacité. Au Burkina Faso, de fil « open end » de 5 000 tonnes moins de 5 % de la récolte est transforpar an aujourd’hui à 10 000 tonnes. mée. Premier producteur du continent avec 750 000 tonnes de Cela doit réduire la vulnérabilité de notre activité, qui «Il faut aussi coton graine, il est aussi le premier importateur de enregistre une rentabilité jouer sur pagnes wax hollandais… moyenne de 7 %.

Est-ce suffisant ?

le coût de la matière première avec des politiques volontaristes.»

Non, nous devons poursuivre la modernisation de notre outil de production, nouer des alliances pour constituer une véritable filière intégrée et trouver de nouveaux débouchés. Nous voulons ainsi créer une unité de fabrication de tissu écru, en partenariat avec la Société des textiles du Faso (Fasotex), spécialisée dans le tissage et l’impression. Nous envisageons également de lancer une unité de tricotage.

En Afrique de l’Ouest, la production de coton explose mais la transformation reste à la peine. Pourquoi ? Pour comprendre, il faut revenir en arrière. La production a été lancée au départ pour alimenter les usines en France. Par la suite, la transforma-

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Que faire ?

Nous ne pouvons pas opter pour la commercialisation à l’international parce que nous ne sommes pas compétitifs par rapport aux pays européens ou asiatiques. Nous devons donc produire pour le marché local. Cela signifie surmonter un certain nombre d’obstacles, à commencer par l’accès à l’énergie. Au Burkina Faso, il faudrait réduire quasiment de moitié son coût moyen pour s’aligner sur les standards internationaux. Il faut aussi jouer sur le coût de la matière première : acheter localement au prix du marché international n’est pas de nature à rendre compétitive la transformation. Autrement dit, nous avons besoin de politiques volontaristes. ❐ Propos recueillis

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par Kouza Kienou à Ouagadougou

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LA SÉLECTION

Créateurs de capital

Leur métier : investir dans les entreprises, accélérer leur développement. Et gagner de l’argent !

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Dossier réalisé par Sabine Cessou, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Estelle Maussion, Luisa Nannipieri et Emeka Onyabo

es premiers misent sur des réussites locales pour les transformer en champions continentaux. Les seconds aident des start-up prometteuses à se lancer. D’autres investissent dans les petites et moyennes entreprises, pariant sur leur potentiel de croissance. Tous sont des acteurs incontournables du private equity, que l’on traduit par capital-investissement, une activité encore méconnue, mais en plein essor sur le continent. L’an dernier, elle a représenté 3,8 milliards de dollars injectés dans le secteur privé. Quelle que soit leur approche, ces financiers font rimer plus-value avec bonne gestion et ambition.

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Vincent Le Guennou Le vétéran

(Emerging Capital Partners)

LÉO-PAUL RIDET

◗ IL FAIT PARTIE DE CEUX qu’on ne présente plus. Et pour cause, cela fait plus de quinze ans que le Franco-Camerounais Vincent Le Guennou est actif sur le continent. Après une solide formation (HEC Paris, université ParisDauphine, MBA à Harvard), il fait ses premières armes dans le bureau parisien du cabinet Arthur Andersen puis au sein du groupe Saur, comme directeur financier de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE). L’année 2000 marque un tournant : il rejoint la société de gestion américaine Emerging Markets Partnership (EMP) pour diriger ses activités en Afrique de l’Ouest et au Maghreb. Cinq ans plus tard, avec son associé Hurley Doddy, ils se séparent de la maison mère pour créer leur propre structure, ECP (Emerging Capital Partners), qui déploie avec succès plusieurs fonds successifs. Bilan : quelque 2,7 milliards de dollars levés, plus de 60 investissements réalisés, une présence dans plus de 40 pays via six bureaux régionaux. Ce qui vaut au quinquagénaire d’être associé à l’essor de plusieurs champions africains, dont IHS, NSIA, Orabank, Eranove… ❐ E.M.

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Créateurs de capital

LA SÉLECTION

Cyril Odu

Ngalaah Chuphi

Big boss

Séparations profitables

(African Capital Alliance)

(Ethos Private Equity)

◗ ENTRÉ CHEZ MOBIL (aujourd’hui Exxon Mobil) comme géologue en 1972, il y fait toute sa carrière, occupant notamment le poste de directeur financier des fournisseurs et la vice-présidence de la branche Nigeria de Mobil Producing. Cette expérience lui ouvre les portes du groupe African Capital Alliance (ACA), société d’investissement créée à Lagos en 1997. Associé dès 2012, Cyril Odu dirige l’équipe chargée du secteur énergétique avant d’être nommé PDG en 2015. Sous sa présidence et malgré la conjoncture difficile, ACA a annoncé le closing de son quatrième fonds en septembre dernier, de 570 millions de dollars. Ce qui en a fait le plus important gestionnaire d’Afrique de l’Ouest, avec plus de 1 milliard de dollars levés depuis ses débuts et quelque 40 sociétés financées. ❐ L.N..

◗ « MARIEZ-VOUS pour divorcer ! » Tel est le credo en affaires de ce Kényan de 53 ans, associé depuis 1999 chez Ethos Private Equity, une société de capital-risque sud-africaine qui a mené plus de 100 transactions et quelque 90 sorties depuis sa création en 1984, soit un investissement total de 10,5 milliards de rands (726 milliards d’euros). Formé en ingénierie électrique et titulaire d’un MBA, il débute sa carrière au sein de la Société financière internationale (SFI) à Washington, en tant que chargé de portefeuille. Il rejoint ensuite Gemini Consulting puis Deloitte & Touche, actif dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est – une région qu’il connaît bien. Membre fondateur du conseil africain de l’Emerging Markets Private Equity Association (EMPEA), organisation de promotion du secteur créée en 2004 et comptant 300 membres du monde entier, il est aujourd’hui chargé de l’ensemble des activités d’Ethos en Afrique subsaharienne et il siège aux conseils d’administration de nombreux groupes, dont la nigériane Oceanic Bank International et le fabricant sud-africain de câbles Natstan Wire. ❐ S.C.

Jean-Marc Savi de Tové et Visseho Thierry Gnassounou ◗ TOUS DEUX TOGOLAIS, ils se connaissent depuis trente-cinq ans. D’abord amis, ils sont aujourd’hui partenaires en affaires. Visseho Thierry Gnassounou (à d.) est entré en 2001 chez Cauris Management et a gravi les échelons un à un jusqu’à devenir directeur associé. Jean-Marc Savi de Tové (à g.) a rejoint Cauris en 2011, fort de quinze années d’expérience, dont plusieurs à gérer le portefeuille Afrique de la puissante institution britannique CDC Group. En 2015, ils décident de prendre leur indépendance pour créer leur propre société, Adiwale Partners voit le jour début 2016. Leur leitmotiv : apporter des capitaux aux PME, certes, mais aussi de meilleures pratiques de gestion et des outils de détection d’opportunités. Qu’ils résument ainsi : « Bâtir des racines solides pour avoir le plus bel arbre de la forêt. ». ❐ L.N.

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GETTY IMAGES - DR

Un duo de choc (Adiwale Partners)


Alain et Cyrille Nkontchou Frères de talent

(Enko Capital)

◗ NÉS À YAOUNDÉ d’un père diplomate et d’une mère institutrice, ils suivent des trajectoires séparées. Pour Alain (à gauche) : formation scientifique, ingénieur chez Matra, puis brillante carrière dans la finance à Londres. Pour Cyrille (en haut) : Sciences Po, Harvard, Andersen Consulting et Merrill Lynch.

Avant de s’installer en Afrique du Sud, où il fonde LiquidAfrica, une plateforme d’informations financières, bientôt réorientée en banque d’affaires. Devant l’essor des levées de fonds, il décide de tenter sa chance et associe son frère au projet. Naît Enko Capital, basé à Johannesburg et Londres. Après avoir développé un fonds sur les actions et un autre de private equity, ils s’attaquent au marché de la dette. Sans oublier de développer la branche Enko Education, qui vise à créer un réseau d’écoles privées sur le continent. ❐ E.M.

Marlon Chigwende L’outsider JEAN FOURIE - VINCENT FOURNIER/JA - MIKE HUTCHINGS/REUTERS

(Arkana Partners)

◗ FIN 2016, le Zimbabwéen Marlon Chigwende décide de voler de ses propres awiles après avoir fait ses classes au sein de Carlyle, un des géants mondiaux du secteur. Début 2017, il est rejoint par un autre financier prometteur, au parcours similaire et partageant la même envie d’indépendance, le Nigérian Kayode Akinola, ancien de KKR. Ils créent leur véhicule d’investissement, baptisé Arkana Partners, qui mise sur les entreprises de taille moyenne, en se concentrant sur des investissements entre 20 et 60 millions de dollars. Une philosophie bien différente de leurs pratiques passées. Après des études de mathématiques à l’université de Southampton et un passage à la Deutsche Bank, Marlon Chigwende rejoint Standard Chartered, où il est chargé du private equity sur le continent. Puis il dirige le fonds de Carlyle pour l’Afrique subsaharienne, qui a investi 300 millions de dollars depuis 2012 dans les télécoms, les matières premières, l’agriculture. Kayode Akinola, ex-associé d’Helios recruté par KKR en 2013 pour diriger ses activités africaines, est quant à lui à l’origine des 200 millions de dollars investis dans le producteur de fleurs éthiopien Afriflora. Leur union pourrait les mener très loin. ❐ E.O.

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Créateurs de capital

LA SÉLECTION

Noël Yawo Eklo

Omar Cissé

À la conquête de l’Ouest

Priorité aux TPE

(Cauris Management)

(Teranga Capital)

◗ Ancien contrôleur de gestion formé à Paris, ce Togolais de 45 ans rejoint Cauris Management en 1995. À l’époque, la société, basée à Lomé et Abidjan, est le premier acteur de private equity avec une ambition régionale en Afrique de l’Ouest. Piloté par Noël Yawo Eklo depuis 2002, Cauris a fait ses preuves : 47 investissements, 38 sorties réussies, un montant engagé passé de 8 à 83 millions d’euros. Parmi la cinquantaine d’entreprises soutenues par les trois fonds de Cauris figurent notamment Petro Ivoire et la Banque Atlantique. Après le départ de deux cadres fin 2015, qui ont fondé la société concurrente Adiwale Partners (lire p. 100), Noël Yawo Eklo a renforcé son équipe avec la nomination, à la fin de l’année 2016, de trois nouveaux administrateurs : Paul Derreumaux, fondateur de Bank of Africa (BOA), Géraldine Mermoux, cofondatrice de Finactu, société de conseils en assurances, et le FrancoBéninois Amadou Raimi, ancien président de Deloitte France. Ensemble, ils ont remporté l’appel d’offres international visant à créer et gérer un fonds de 150 millions d’euros pour le compte de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et baptisé Yeelen. ❐ S.C.

◗ INGÉNIEUR passé par l’École supérieure polytechnique de Dakar et titulaire d’un MBA, ce Sénégalais hyperactif a fondé InTouch, société spécialiste des moyens de paiement et services digitaux, présente au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Cameroun, et contribué à la promotion de l’éditeur de logiciels 2SI et de l’incubateur CTIC Dakar. Avec le Français Olivier Furdelle, il crée en mars 2016 Teranga Capital, pour accompagner les TPE. Développé avec 5 millions d’euros, dont 30 % proviennent du groupe d’impact investing parisien Investisseurs et Partenaires (I&P), il s’engage sur des tickets entre 50 et 200 millions de francs CFA (76 000 à 305 000 euros), via une prise de participation minoritaire sur cinq ans et un prêt à long terme sans garantie. Objectif : accélérer la marche vers le succès. ❐ S.C.

Kenza Lahlou

◗ À 30 ANS À PEINE, la créatrice du tout nouveau fonds Outlierz semble avoir déjà eu plusieurs vies. Kenza Lahlou quitte Casablanca en 2005 pour un master en architecture des systèmes d’information en France, puis étudie le commerce international à Singapour. Après un fugace retour au pays en 2011, au sein du Moroccan Infrastructure Fund d’Attijariwafa Bank, elle rejoint Advise, à San Francisco, société de conseil qui accompagne des start-up européennes. De nouveau au Maroc, elle conçoit, avec un groupe d’entrepreneurs, Startup Your Life, l’une des premières pépinières du pays. Elle est confrontée au manque de fonds d’amorçage, mais fait aussi des rencontres déterminantes : Michael Seibel, de l’entreprise de financement Y Combinator, et Hasan Haider de 500 Startups. Avec leur soutien, elle crée Outlierz en février 2016, société de capital-amorçage d’une taille cible de 45 millions de dirhams (4,5 millions de dollars) alimentée par des business angels africains et américains. Essor imminent. ❐ J.C.

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DR - ÉRIC EMMANUEL GALLAND

Objectif start-up (Outlierz )


Tope Lawani

RICHARD CANNON

Le leader (Helios) ◗ NATIFS DU PAYS YORUBA (sud-ouest du Nigeria), le fondateur d’Helios et son associé Babatunde Soyoye ont fait de la structuration de gros « deals » leur marque de fabrique. Exemple en 2011, avec le rachat de 1 600 stations-service Shell sur le continent pour 1 milliard de dollars (avec Vitol). Au total, leur société, présente à Londres, Lagos et Nairobi, a levé 2,3 milliards de dollars depuis sa création, auprès notamment de grands noms comme George Soros, Madeleine Albright et Jacob Rothschild. « L’Afrique n’est pas un continent différent. Il n’y a pas de raison pour que l’on ne puisse pas y utiliser les outils qui fonctionnent ailleurs », affirme Tope Lawani, diplômé en chimie et droit du MIT et d’Harvard, qui a débuté sa carrière chez Disney. Autre conviction : les investissements les plus lucratifs à long terme se trouvent en Afrique, et ils peuvent avoir une portée sociale, comme avec le développement au Kenya d’Equity Bank, qui a permis la bancarisation de millions de personnes. ❐ E.O.

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LA SÉLECTION

Créateurs de capital

Papa Madiaw Ndiaye Le pari du local

Ahmed Heikal

Entre Afrique et Orient (Qalaa Holdings) ◗ SON PARCOURS est une success-story. Diplômé en génie industriel et management de l’université américaine Stanford, l’Égyptien Ahmed Heikal transforme, entre 1994 et 2001, le cabinet de conseil financier EFG Hermes en l’une des principales banques d’investissement dans le monde arabe. Puis, en 2004, avec une mise initiale de 2 millions de livres égyptiennes (100 000 euros), il se lance dans le private equity en créant la société Citadel Capital. Treize ans plus tard, son groupe, devenu Qalaa Holdings et dont il préside le directoire, est un acteur majeur au Moyen-Orient et en Afrique de l’Est. Il investit via 19 fonds dans 15 pays et divers domaines, énergie, transport, logistique, ciment, mines, et la grande consommation. Intervenant régulièrement lors de rencontres internationales, comme au sommet de Davos, Ahmed Heikal, âgé de 55 ans, appelle à faire des entreprises privées les alliées d’une meilleure compétitivité des économies arabes. ❐. F.D.

(Afig Funds)

◗ FORMÉ AUX ÉTATS-UNIS, à la Wharton School et à Harvard, ce Sénégalais de 51 ans commence sa carrière chez Salomon Brothers puis JP Morgan, avant de rejoindre la Société financière internationale (SFI), pour laquelle il développe les investissements en Afrique de 1996 à 2000. Puis il intègre la société de gestion américaine Emerging Markets Partnership et participe à la naissance d’AIG African Infrastructure, doté de 407 millions de dollars, à l’époque le plus important fonds consacré au continent. Élu « Young Global Leader » au Forum de Davos de 2004, il fonde, en 2005, associé à son ancien camarade de promotion Patrice Backer, Advanced Finance & Investment Group (Afig Funds), domicilié sur l’île Maurice avec des bureaux à Dakar, Johannesburg et Washington. Via des tickets entre 3 et 14 millions de dollars, il cible les petites et moyennes entreprises, parents pauvres des économies africaines. Avec 45 millions déjà investis dans sept sociétés, il s’est fixé comme objectif d’être présent dans une trentaine de pays. ❐ L.N.

Minoush Abdel-Meguid

◗ ELLE FIGURE parmi les 100 personnalités africaines de moins de 40 ans les plus influentes au monde, selon un classement récent établi par les Nations unies. Cette Égyptienne est la cofondatrice et directrice générale d’Union Capital, une société d’investissement consacrée aux PME. En vingt ans de carrière, elle a multiplié les expériences : analyste financière chez Goldman Sachs à ses débuts, directrice de HSBC Égypte ensuite, puis assistante du président de l’Autorité égyptienne des marchés de capitaux, et fondatrice de l’Association égyptienne des jeunes banquiers, qui coache les profils prometteurs du secteur, avant la naissance de sa société en 2008. Installée à Gizeh, elle cible des investissements entre 200 000 et 1,3 million de dollars. ❐ L.N.

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DR - MOHAMED ALI

La mentor égyptienne (Union Capital)


Karim Trad, Aziz Mebarek, et Ziad Oueslati Les mousquetaires tunisiens

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM (2) - ONS ABID POUR AFRICINVEST

(AfricInvest) ◗ CE TRIO a fondé en 1994 Tuninvest, devenu AfricInvest et rattaché au groupe Integra Partners depuis sa création en 2007. Issus des grandes écoles, l’Institut supérieur de gestion de Tunis (ISG) pour Karim Trad (à g.), Ponts et Chaussées Paris pour Aziz Mebarek barek (en haut) et les Mines de Paris pour Ziad ad Oueslati (à d.), les trois hommes, qui ont nt grandi à Tunis, sont connus pour leur di disd scrétion. Ces quinquas n’en sont pas moins ins présents dans 23 pays du continent, avec ec plus de 150 entreprises et 14 fonds, soitt 1 milliard de dollars d’actifs sous gestion, on, dans la pharmacie, la santé, l’industrie, l’agroalimentaire, entre autres. Sacrés investisseurs de l’année par l’Africa CEO O Forum en mars dernier, ils ont créé, en début d’année avec Bpifrance, une société d’investissement franco-africain (FFA) de 77 millions d’euros pour doper la croissance de PME des deux côtés de la Méditerranée. ❐ F.D.

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LECTURES par Akram Belkaïd

Ne laissons pas coloniser l’avenir !

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a crise de 2008 n’en finit pas d’obliger les économistes à revoir leurs certitudes passées. Ancien vice-président de la Banque mondiale et ex-conseiller du gouvernement fédéral indien, Kaushik Basu, qui enseigne aujourd’hui l’économie à l’université de Cornell aux États-Unis, fait partie de ceux qui mènent cet aggiornamento. En préfaçant son livre (publié aux ÉtatsUnis en 2010, mais tout récemment traduit en français), Gaël Giraud, chef économiste de l’Agence française de développement (AFD), estime qu’il s’agit d’une véritable « grammaire de la dissidence » : une réflexion à l’encontre de la pensée orthodoxe, hégémonique depuis la fin des années 1970 et le triomphe des idées néolibérales de Milton Friedman. Kaushik Basu s’attaque d’abord à ce qu’il appelle le « mythe de Smith », estimant que croire béatement au pouvoir régulateur de la fameuse « main invisible » sur le marché, telle que décrite par Adam Smith (17231790), est absolument inconséquent. Selon lui, se focaliser sur le marché et son fonctionnement, ou supposé tel, ne peut expliquer la manière dont évolue l’économie. Ce dogme de l’auto-ajustement, illustré par la formule « The market’ll fix it » – le marché réglera (les problèmes) –, empêche de concevoir d’autres outils analytiques et donc de mener d’autres politiques économiques.

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AU-DELÀ DU MARCHÉ : VERS UNE NOUVELLE PENSÉE ÉCONOMIQUE,

KAUSHIK BASU, éditions de l’Atelier – Agence française de développement (AFD). S’inspirant des idées de l’économiste humaniste Amartya Sen – adversaire déclaré du « tout marché » depuis la fin des années 1980 – l’auteur incite à une prise en compte des réalités qui influent sur l’activité : la complexité humaine, la solidarité, la nature du tissu social, la générosité, le besoin de partage et la satisfaction offerte par le bénévolat. Les termes du raisonnement sont clairs. Non, un agent économique n’est pas toujours rationnel ; et non, le marché n’a pas ces capacités autorégulatrices qu’on lui prête. Kaushik Basu assure d’ailleurs

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que l’on doit considérer la crise financière de 2008 comme une catastrophe, et non comme un ajustement nécessaire pour calmer les dérives du marché. Cet appel à changer de paradigme n’est certes pas nouveau. On retrouve aussi dans cet ouvrage les plaidoyers altermondialistes ainsi que les idées des économistes hétérodoxes. Ce qui est novateur, c’est la mise en garde de l’auteur contre ce qu’il appelle la « colonisation de l’avenir » : selon lui, les multinationales mettent en place des outils normatifs et juridiques pour disposer demain de monopoles que les lois interdisent aujourd’hui. En contrôlant les droits intellectuels, en concentrant leurs efforts sur les brevets, cette petite élite économique se livre à une entreprise d’accaparement sans que les opinions publiques ne s’en émeuvent. Les clauses de certains contrats privés, par exemple – délégations de service public, voire aux partenariats public-privé dans des domaines comme la santé – verrouillent en douce les ressources de l’humanité de demain. Il faudra payer plus pour y accéder et les plus pauvres en seront exclus, comme jadis les peuples colonisés étaient interdits d’exploiter leurs propres richesses. Le titre de son livre aurait dû interpeller sur cette colonisation d’un nouveau type, plutôt que sur le thème quelque peu usité du refus de la mainmise du marché. ❑

DR

Hostile au « tout marché », l’économiste Kaushik Basu dénonce l’accaparement croissant des richesses naturelles et intellectuelles par les multinationales.


BLOG

ET AUSSI

PRO-MIGRATIONS ÉCARLATE STORY Une enquête au long cours qui dévoile les dessous de la tomate. Pas celle que l’on cultive dans son jardin, mais le concentré issu d’usines lointaines, en Chine par exemple, pouvant contenir jusqu’à 69 % d’additifs (amidon, soja, colorants…). Le journaliste Jean-Baptiste Malet montre la réalité de la mondialisation dans l’agroalimentaire. Des fruits cultivés en Italie du Sud, expédiés en Asie pour être transformés en concentré et qui finissent sur des étals en Afrique, supplantant une production locale pas assez compétitive. Dans un contexte où les États, ceux du continent en particulier, n’ont pas les moyens de s’équiper de structures pour vérifier la composition et la dangerosité de ces produits du troisième type. ❑ L’EMPIRE DE L’OR ROUGE,

Jean-Baptiste Malet, Fayard.

L’immigration est un sujet épineux qui fait polémique et attise les tensions. Dans un ouvrage précis, argumenté et rigoureux, l’auteur, spécialiste de la mondialisation, démonte quinze idées reçues tenaces sur la question. Non, les migrants ne sont pas parmi les plus pauvres et les moins éduqués des populations du Sud. Non, ils ne profitent guère des budgets sociaux de la France, pas plus qu’ils ne contribuent à augmenter le chômage ou baisser les salaires. Et d’enfoncer le clou : fermer les frontières n’améliorera pas la situation du marché du travail, parce que c’est la structure de l’économie qui est en cause et non le flux de migrants. Un plaidoyer qui tombe à point nommé. Mais sera-t-il entendu ? ❑

BOND DIGITAL

L’IMMIGRATION EN FRANCE.

« Leapfrogs », autrement dit, sauter des étapes. C’est ce que vit l’Afrique depuis vingt ans dans le numérique. Spécialiste des télécoms et des nouvelles technologies, Jean-Michel Huet détaille les cinq principaux bonds en avant du continent. Dans les télécoms grâce aux réseaux mobiles ; dans les services financiers avec l’usage du mobile ; les avancées du commerce électronique ; les plates-formes collaboratives (tels les centres d’appels) ; enfin, le « e-gouvernement » avec les outils biométriques et la numérisation des documents officiels. À chaque fois, un retard important est comblé grâce à la technologie. En ce sens, le parcours digital africain est déjà une réussite. ❑

MYTHES ET RÉALITÉS, El

LE DIGITAL EN AFRIQUE.

Mouhoub Mouhoud, Fayard.

LES CINQ SAUTS

HUMEUR DU BOSS Figure de la grande distribution, MichelÉdouard Leclerc est l’un des rares chefs d’entreprise français à tenir un blog. Son titre est déjà un premier clin d’œil : « De quoi je me mel ». Il y publie à intervalles réguliers des posts aux thématiques diverses, qui vont de l’état de l’économie hexagonale à l’activité de son groupe, en passant par des considérations sur la mondialisation, la santé et la sécurité alimentaire. Mais on y découvre également les « univers » de celui qui préfère être qualifié d’entrepreneur plutôt que de patron : la Bretagne, la bande dessinée, Star Wars et la voile. Seul bémol, on aimerait en savoir plus sur sa conduite des affaires au quotidien. À quand, le Leclerc 2.0 ? ❑ michel-edouard-leclerc.com

NUMÉRIQUES, Jean-Michel Huet, Les Carnets du CIAN.

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Après l’heure

Découvrir, partir, voyager, prendre le temps de vivre

Œuvre architecturale et lieu de pèlerinage, le Temple du Lotus, au sud de la capitale indienne.

DÉPART

NEW DELHI, EN QUÊTE DE MODERNITÉ

SHUTTERSTOCK

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i elle était un animal, la mégapole indienne de 18,5 millions d’habitants serait un chat, qui a déjà ressuscité à sept reprises. Ou un phénix qui renaît chaque fois des cendres laissées par les envahisseurs. Car, depuis les premières traces de construction urbaine au Xe siècle, les différents conquérants turcs ou moghols ont successivement cherché à imposer leur contrôle sur une cité, carrefour du sous-continent en bordure du fleuve Yamuna. Jusqu’aux Britanniques, qui, délaissant Calcutta, ont fait de Delhi, rebaptisée « New Delhi », la capitale de leur empire entre 1911 et l’indépendance de l’Inde, en 1947. Aujourd’hui, cet héritage métissé est omniprésent, ce qui confère à New Delhi une atmosphère de Belle Époque. Pourtant, depuis une dizaine d’années, la capitale indienne se ■ ■ ■

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VIVRE Un parc où tutoyer les éléphants VOYAGER Les salons business se refont une beauté DÉPENSER Du style et de la technologie

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DÉPART

PAR SÉBASTIEN FARCIS

Le quartier d’affaires de Gurgaon est sorti de terre en quinze ans, porté notamment par l’essor des services financiers.

■■■ tourne vers le monde moderne, grâce à la libéralisation de l’économie et au retour des émigrés. Symbole de ce changement, l’émergence de Gurgaon. Cette ville de la banlieue sudouest accueille, dans de grandes tours de verre, les bureaux de 300 des 500 plus grandes entreprises du monde, de BMW à Google en passant par le géant pharmaceutique indien Sun PharmaRanbaxy, qui produit des rétro-viraux et des antipaludéens pour l’Afrique. Cette ville nouvelle, troisième métropole du pays en termes de revenu par habitant, est sortie de terre en une quinzaine d’années – trop vite pour développer correctement ses infrastructures routières et sanitaires. Mais son essor a élevé la Région de la capitale nationale (l’État de Delhi et ses banlieues) au rang de premier centre d’affaires de la 6e économie mondiale. Une place dérobée, depuis 2015, selon le cabinet Oxford Economics, à Mumbai (ex-Bombay), embourbée dans la corruption, le manque d’infrastructures et d’espace. Située au centre d’une plaine, New Delhi a pu s’étendre dans tous les sens : en quinze ans, sa population a crû de 33 % et son Produit intérieur brut (PIB) a quadruplé. Les « Delhiites » gagnent trois

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fois plus que la moyenne des Indiens, même si 10 % d’entre eux vivent en dessous du niveau de pauvreté. Plus de 80 % de l’activité est réalisée dans le secteur tertiaire, particulièrement dans les services financiers qui opèrent de nuit pour les États-Unis et le RoyaumeUni. Résultat, la capitale est la ville indienne où il est le plus facile de créer une société, selon la Banque mondiale. Outre les investisseurs, elle attire plusieurs milliers d’étudiants africains, en majorité Nigérians, Congolais et Ivoiriens, venus se former, principalement dans le secteur des nouvelles technologies. Une destination bien plus acces-

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sible que l’Europe : la métropole arrive au 15e rang des villes universitaires les moins chères, selon la dernière édition du classement international Quacquarelli Symonds. Ce développement effréné a toutefois un coût : la pollution. Pas moins de 9,7 millions de véhicules sont en circulation dans les rues. Et, en hiver, quand les feux agricoles des régions voisines viennent se mêler aux rejets carboniques des centrales électriques et aux émissions des véhicules, le taux de particules fines est plus de 25 fois supérieur au niveau recommandé par l’Organisation mondiale de la santé

SHUTTERSTOCK - IMAGO/STUDIO X

New Delhi, comme l’ensemble du pays, souffre de la pollution. Elle provoque chaque année plus d’1,1 million de décès prématurés, un niveau égal à celui de la Chine.


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(OMS) – dépassant les records chinois. En 2015, New Delhi a même été placée en tête des villes les plus polluées sur la planète par l’OMS, un fléau qui lui aurait coûté 5,7 milliards d’euros, selon une étude de l’Institut de technologie de Mumbai. Cette donnée gonfle les primes de risque quand elle ne fait pas fuir les expatriés. Pour y remédier, des mesures radicales ont été prises : création d’une taxe pour les camions afin d’éviter qu’ils ne traversent la ville, conversion de tous les taxis au gaz naturel, fermeture des dernières centrales à charbon. L’instauration de la circulation alternée pendant plusieurs semaines en 2016 a également poussé nombre d’urbains à prendre le métro, l’un des projets d’infrastructures les plus réussis. Ouvert en 2002, il est aujourd’hui le 14e plus étendu au monde, aussi long que le réseau parisien (métro et RER). Polluée, la cité indienne est également violente. Les agressions sexuelles continuent à être répandues, reflet d’une patriarchie traditionnelle qui considère les femmes comme des êtres soumis et d’un manque d’éducation sexuelle des classes populaires générateur de frustrations et de violences. Après le viol collectif de 2012 dans un bus qui a choqué l’opinion, la police est désormais plus stricte envers ces crimes. Et, de manière générale, peu d’étrangers en sont victimes. Pour oublier ces tensions et la dureté de la vie, la jeunesse des classes moyennes envahit, à la nuit tombée, les rues illuminées du village d’Hauz Khas, ancien quartier moghol où des rangées de bars crachent les derniers tubes de Bollywood ou diffusent des matchs de cricket. Au vu du poids des traditions, la modernité va requérir plus de temps et d’efforts que la seule construction de tours de verre. ❐

LES VRAIES ADRESSES Plongée dans le cœur de la capitale à travers trois lieux incontournables. Ode musulmane, mausolée de Nizamuddin. Construit en 1526, en l’honneur de Nizamuddin Auliya, saint soufi du XIIIe siècle appelant à un islam tolérant, le monument se situe au centre d’un quartier moyenâgeux. Le jeudi soir, des chanteurs s’adonnent au qawwalî, la déclamation de poèmes en ourdou accompagnée de tablas indiennes et d’harmonium. Unique. nizamuddinaulia.org

Le luxe Art déco, l’Impérial. C’est un hôtel de fin d’époque, construit en 1934 par les Britanniques, qui a gardé du cachet. Aujourd’hui, il est l’un des établissements de luxe les plus charmants de la ville, où les représentants de la Couronne ont négocié avec Gandhi et Nehru l’indépendance. Son bar, en bois et velours, est décoré de médailles anglaises et de tableaux des princes indiens. theimperialindia.com

L’ambiance village, Hauz Khas. Les vieilles ruelles mogholes du quartier de Hauz Khas (le « réservoir royal » en ourdou) ont été conquises par la jeunesse. La rue principale de cet ancien « village », situé dans le sud bourgeois de New Delhi, offre des dizaines de bars et restaurants. Il y en a pour tous les goûts. Pour la gastronomie du sud de l’Inde, allez au Naivadyan. Pour boire un verre et danser, au Bandstand.

À SAVOIR

L’aéroport international de New Delhi, 55,5 millions de passagers l’an passé, est l’un des premiers au monde à avoir atteint la « neutralité carbone » grâce à l’installation de panneaux solaires et à la réduction de sa consommation d’énergie.

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VIVRE

PAR ALEXIS HACHE

ZIMBABWE

Un parc où tutoyer les éléphants ux portes du Hwange, le plus grand parc national du pays, quelques petits chalets en bois sur pilotis se fondent dans le décor fabuleux de la savane. À quelques centaines de mètres de là, des éléphants se massent autour d’un point d’eau pour se rafraîchir… Bienvenue à l’Elephant’s Eye, lodge dédié à l’écotourisme, où l’on célèbre la faune et flore environnantes. Chaque endroit du complexe offre au visiteur un point de vue unique sur la brousse, depuis sa douche en plein air (mais à l’abri des

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regards) ou de la terrasse lors d’un dîner mettant en avant les saveurs locales. Le lodge propose des safaris à pied pour observer au plus près la centaine de pachydermes, les 400 espèces d’oiseaux mais aussi les fauves, impalas et rhinocéros qui peuplent les lieux. Expérience ultime, la nuit à la belle étoile sur la terrasse de « l’Œil », site d’observation installé tout près du point d’eau, qui permet une immersion rare au cœur de la vie sauvage. À partir de 319 euros par personne et par nuit. ❐ hideawaysafrica.com

L’écolodge donne sur le parc national Hwange, un espace naturel de plus de 14 000 km 2.

INAUGURÉ en octobre dernier, l’hôtel Six Senses Zil Pasyon sur l’Île de Félicité aux Seychelles propose désormais à ses clients l’accès à un spa construit au beau milieu de la nature luxuriante. Sur près de 1 800 mètres carrés, le centre de soins se fond dans les rochers et la forêt, surplombant par endroits les eaux limpides de l’océan Indien. Les produits utilisés sont signés Terres d’Afrique, entreprise éthique franco-sud-africaine engagée dans la protection de l’environnement. Pour les couples, offrez-vous l’Ubuntu, un programme en duo de 2 h 30 : gommages, massages, bains et même méditation. L’endroit idéal pour souffler et se ressourcer. Gamme de soins de 31 à 821 euros. sixsenses.com/resorts/zilpasyon/spa

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Bien-être Un nouveau cocon seychellois


Mövenpick Arrivée en Éthiopie LE GROUPE hôtelier suisse a choisi l’aéroport international de Bole, non loin d’AddisAbeba, pour construire son premier établissement sur le sol éthiopien. Vingt-sixième hôtel de l’opérateur sur le continent, le Mövenpick Addis-Abeba proposera 252 chambres, une piscine, un spa et un centre de fitness, des restaurants, salles de réunion et un espace événementiel de 2 300 m2. Ouverture prévue fin 2019.

Comptant 134 suites, le palace dispose, entre autres, d’une piscine de 2 000 m 2 et d’un spa de 3 500 m 2.

LUXE

Place au Fairmont Royal Palm Marrakech

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L

e célèbre palace marocain, niché au cœur d’une oliveraie à quelques kilomètres de la ville rouge, a changé de mains. Depuis mai, il est géré par le géant français AccorHotels. Ce dernier a pris la suite du groupe mauricien New Mauritius Hotels Limited et fait passer l’hôtel cinq étoiles sous l’enseigne Fairmont. Pour marquer ce nouveau départ, l’offre va être étoffée : deux complexes, Fairmont Royal Residences et Fairmont Royal Palms Estates, verront le jour, proposant des appartements et des villas de 200 à 500 m2. Le tout accompagné d’un country club, de restaurants, d’une piscine et d’un centre de remise en forme. Accor, qui compte déjà huit établissements de la marque haut de gamme sur le continent, fait ainsi son entrée au Maroc. Dans la foulée, il compte ouvrir deux autres Fairmont : le premier, dès cette année, à Charm el-Cheikh en Égypte et le second l’an prochain, à Lagos au Nigeria. ❐

Four Seasons Renforcement au Maghreb EN COOPÉRATION avec le groupe tunisien Mabrouk, le géant canadien ouvrira fin 2017 un établissement à Gammarth, au nord-est de Tunis. L’hôtel, le premier opéré par Four Seasons en Tunisie, comptera 203 chambres, trois restaurants, un spa et une piscine. Four Seasons possède déjà six établissements haut de gamme au Maghreb.

Marriott International Ouvertures en série L’HÔTELIER AMÉRICAIN a fait ses débuts au Kenya avec l’inauguration à Nairobi d’un Four Points by Sheraton. Situé près du centre d’affaires, l’hôtel dispose de 96 chambres, d’une salle de fitness et d’une piscine sur le toit. Marriott doit ouvrir trois autres Four Points by Sheraton : à l’aéroport de Nairobi, à Dar es-Salaam et Arusha, en Tanzanie.

MAURICE L’île, qui compte 18 parcours de golf, a relancé son « Golf Pass ». Après inscription sur le site de la Mauritius Golf Tourism Association (MGTA), vous recevrez votre carte de membre et pourrez bénéficier de réductions sur les différents sites.

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VOYAGER

PAR ALEXIS HACHE

Transavia Destination Dakhla

LA COMPAGNIE tunisienne a lancé un nouveau vol depuis Tunis à destination de Conakry, la capitale de la Guinée. C’est la sixième destination subsaharienne pour le transporteur qui desservait déjà Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey et Ouagadougou. Autre nouveauté, au Maghreb cette fois-ci, Tunisair relie dorénavant Constantine, sa troisième liaison vers l’Algérie après Alger et Oran.

Air France Best vers Bamako LA NOUVELLE cabine de voyage long-courrier d’Air France, appelée Best, est désormais disponible sur les vols (quotidiens, en Boeing 777) à destination de Bamako depuis RoissyCharles de Gaulle. À partir du 9 octobre, le Boeing 787-9 Dreamliner prendra le relais.

LOW- COST

C

Corsair La RéunionMadagascar APRÈS AVOIR ouvert une ligne entre La Réunion et Mayotte en janvier, la compagnie du groupe allemand TUI (Touristik Union International) a lancé début avril un vol hebdomadaire entre Saint-Denis et Madagascar. Les vols quittent La Réunion à 12 h 30 pour atterrir à Antananarivo à 13 h 10. Le vol retour part le même jour à 18 h. Les passagers en correspondance pour Paris peuvent ainsi bénéficier d’un vol de nuit dans la foulée.

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Air Arabia Maroc en force

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’est sa sixième implantation dans le Royaume. À partir d’octobre, la filiale marocaine du transporteur émirati assurera des vols depuis Agadir, en plus de Casablanca, Tanger, Nador, Fès et Marrakech. Ce développement intervient après l’ajout d’une destination italienne vers Catane et le lancement d’un vol interne entre Fès et Marrakech, une première. Un essor porté par des résultats financiers encourageants malgré une conjoncture difficile. En 2016, la compagnie a présenté un bénéfice net en baisse de 4 % par rapport à 2015, mais une fréquentation en hausse de 12 %, avec 8,4 millions de passagers transportés. ❐ ●

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La compagnie low cost française a annoncé l’ouverture en octobre d’une liaison Paris-Dakhla au départ d’Orly. La ville côtière du sud du Maroc, qui sera desservie à raison d’une fois par semaine, est la huitième destination de Transavia dans le Royaume. Depuis le printemps, la filiale d’Air France a également ajouté Tanger à son portefeuille marocain.

Air Mauritius Liaison directe vers Genève Entre le 18 novembre 2017 et le 23 février 2018, Air Mauritius relancera un vol direct entre Port-Louis et Genève pour répondre à la demande. La compagnie aérienne avait déjà proposé cette liaison directe en octobre 2011. Elle pourra transporter 34 passagers en classe affaires et 264 en économique sur ce vol hebdomadaire assuré le samedi jusqu’au 17 décembre, puis le vendredi jusqu’au 23 février 2018.

Qatar Airways Trois ouvertures en 2018 La compagnie nationale qatarie a annoncé 12 nouvelles destinations qui seront desservies dès 2018 depuis l’aéroport de Doha-Hamad International. Parmi elles, trois villes du continent : Abidjan (Côte d’Ivoire), Accra (Ghana) et Mombasa (Kenya). Elles s’ajouteront aux 24 destinations africaines déjà proposées par Qatar Airways.

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Tunisair Atterrissage à Conakry


CONFORT

Les salons business se refont une beauté Le + chic : emirates À Dubaï, la compagnie émiratie a investi plus de 10 millions d’euros pour moderniser, en deux ans, son espace, situé dans le hall B du terminal 3, l’un des plus fréquentés au monde. Au rayon des nouveautés, un bar décoré de 2 400 feuilles d’or posées à la main et un espace champagne Moët & Chandon. Pour les plus raisonnables, rendez-vous à l’ère dédiée à la santé avec snacks « healthy » et jus de fruits. Bon à savoir : le spa Timeless a été entièrement rénové et l’aire de jeux a doublé de taille. Le + artistique : british airways La compagnie nationale britannique a récemment investi près de 479 millions d’euros pour améliorer l’ensemble de ses services à destination des clients business. Au cœur de cette stratégie, un nouveau salon à l’aéroport de Gatwick, qui a déménagé du terminal nord au sud. Avec 40 % de surface en plus, le

À gauche, aperçu du lounge British Airways. Ci-dessus, l’espace Emirates.

Club World met l’accent sur la connectivité (multiples prises, wi-fi ultra-performant). Mais, la cerise sur le gâteau, c’est le décor. Les meubles viennent du fabricant britannique Boss, l’éclairage est l’œuvre du designer Tom Dixon, avec certaines lampes estampillées Philippe Starck, et des peintures de Chris Ofili, lauréat du prestigieux Turner Prize en 1998, Sir Terry Frost ou encore John Hoyland ornent les murs. Le + pratique : air france À l’arrivée au nouveau lounge d’Air France, au terminal 2G de Roissy-CDG, tout va vite, que vous passiez par les bornes interactives ou que vous vous adressiez au personnel muni de tablettes. Une fois entré, vous profitez d’un endroit spacieux de 730 m2, cinq fois plus grand que le précédent salon, dans un esprit chic et haussmannien, avec des douches installées dans un espace inspiré d’un spa. Côté restauration, on a mis les petits

plats dans les grands : un buffet dans l’esprit « nouvelle brasserie parisienne » et, depuis mai, un boulanger qui prépare des viennoiseries devant les clients. Quant aux vins et champagnes, ils sont sélectionnés par Paolo Basso, meilleur sommelier du monde 2013, et le guide Bettane & Desseauve. Le + chauvin : brussels airlines Bières, spécialités gastronomiques, médias, tout est belge. Sans oublier la décoration en hommage à l’art surréaliste du peintre René Magritte. The Suite de Brussels Airlines, au terminal B de l’aéroport de Bruxelles, met en avant la culture du pays d’Hergé et accueille les passagers en partance pour les ÉtatsUnis, le Canada, la Russie, Israël, le Royaume-Uni et le Maroc. Pour rappel, il a son pendant à l’aéroport de KinshasaN’Djili en République démocratique du Congo, le premier salon de la compagnie sur le continent. ❐

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Innovation À Dakar, Paps simplifie la livraison SE FAIRE livrer en urgence à l’aéroport son billet d’avion oublié, envoyer rapidement un contrat à un client, faire parvenir en moins d’une heure des clés à un collaborateur. Voici des exemples de courses réalisées par les livreurs de l’application Paps dans la capitale sénégalaise. Lancé par Bamba Lô en septembre 2016, ce service s’engage à assurer en 45 minutes maximum n’importe quelle livraison grâce à la géolocalisation et un réseau de coursiers en scooter ou à vélo. L’algorithme « Best Match » se charge de trouver le meilleur livreur en fonction des différents critères du client. Si pour l’instant le champ d’action de Paps se limite à Dakar, son créateur entend l’étendre très vite au reste de la zone francophone subsaharienne, notamment en Côte d’Ivoire. ❐ paps.sn

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DÉPENSER

PAR LUISA NANNIPIERI

Du style et de la technologie

ÉLÉGANCE INDUSTRIELLE Utiliser des ceintures de sécurité de voiture ou d’avion pour faire des sacs à main, pochettes, porte-clés ou colliers de soirée. C’est le pari d’Alinfini, marque lancée au Maroc en 2012 par la designer française Sandrine Dole. La dernière collection, Aéronef, a été conçue autour du porte-monnaie réalisé en série limitée pour Air France à partir de ceintures usagées. En vente au Maroc, en Europe et en Asie. alinfini.info

STYLO MAGIQUE Cette innovation du groupe Canon est un précieux outil de travail et un petit bijou high-tech. L’IRISNotes Air 3 permet de convertir simplement et rapidement ses notes manuscrites en texte numérique. La transmission sur ordinateur ou smartphone s’opère ensuite par Bluetooth. Capable de reconnaître 30 langues, il dispose d’une autonomie de 10 heures et d’une mémoire de 100 pages au format A4. À partir de 149 euros. irislink.com

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SMARTWATCH DE LUXE Outre son design soigné, la Connected Modular 45, dernière montre connectée de la maison TAG Heuer, se distingue par sa très large panoplie d’accessoires. Choix de la matière du bracelet (caoutchouc, cuir de veau, titane, céramique), des pattes (dont une finition en diamants), des boucles, de la couleur de la couronne et du type de cadran, tout est possible. Les clients devront aussi trancher entre un module électronique (Android Wear) ou mécanique (Tag Heuer Calibre 5). 11 modèles standards sont disponibles en magasin et 45 autres en ligne. À partir de 1 600 euros. tagheuer.com

SANDRINE DOLE - DR (4)

INSPIRÉE ET ENGAGÉE Fraîche et élégante, la collection été de Lemlem (« fleurir » en amharique) propose des hauts laissant les épaules découvertes, des robes longues qui dansent autour des chevilles et des ensembles décontractés mais bien coupés. Idéal pour la plage comme en ville. La griffe a été créée en 2007 par le célèbre mannequin originaire d’Éthiopie, Liya Kebede. Première égérie noire de la ligne de cosmétiques Estée Lauder et en couverture du magazine Vogue en France en 2015, le topmodel est désormais l’ambassadrice de la marque Amazon Mode. Défendant l’artisanat local – toutes ses pièces sont réalisées en coton et lin fabriqués en Éthiopie ou au Kenya –, elle milite aussi pour l’émancipation des femmes africaines à travers sa fondation. Ensemble à rayures casual-chic, inspiré de l’univers marin (haut 195 $, pantalon 275 $). lemlem.com

SHOPPING


25 000 €

DESIGN

Raffinement métallique

C’est le prix à payer pour marcher sur l’or. Et l’argent, le platine et les pierres précieuses qui composent ces chaussures. Confectionnées par les artisans italiens de la marque A&V Fashion, elles allient somptuosité et confort. Chaque modèle est réalisé sur mesure.

A

cier, inox, cuivre, maillechort ou laiton, le métal est maître chez ARzen, à Marrakech. Une cinquantaine d’artisans y créent des luminaires, des meubles et des accessoires de décoration, tous entièrement façonnés à la main et personnalisables. Un véritable travail d’orfèvre. Les pièces, raffinées, réussissent la synthèse entre des lignes contemporaines et le plus pur style traditionnel marocain. Elles trouvent leur place dans un simple salon comme au plafond du luxueux hôtel Savoy de la ville rouge. Des lustres à la taille impressionnante aux bougeoirs plus modestes, toutes les créations sont à découvrir dans le showroomlaboratoire de Sidi Ghanem, quartier de l’artisanat haut de gamme, et en ligne. arzen.ma

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Innovation Voici la valise du futur ELLE S’APPELLE Cowarobot R1 et elle suit son propriétaire à la trace. Financée par la plateforme de crowdfunding Indiegogo, cette valise intelligente emboîte le pas de son détenteur, muni d’un simple bracelet électronique, tout en évitant les obstacles grâce à des capteurs intégrés dans sa poignée. Équipée d’un moteur, elle peut rouler à une vitesse de 7 km/h sur environ 20 km. Elle se ferme automatiquement dès que le voyageur s’éloigne et le prévient en faisant vibrer son bracelet. En cas de besoin, un GPS intégré permet de la géolocaliser depuis son smartphone. Disponible en noir, argent, bleu et rose, elle sera mise en vente avant la fin de l’année à environ 700 dollars. cowarobot.com

RENDEZ-VOUS Le prochain Salon du luxe Paris est prévu le 11 juillet à la Maison de la chimie. Pour sa troisième édition, l’événement doit réunir un millier de professionnels du secteur, maisons historiques, grands groupes, start-up et artisans.

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MOTS ET TENDANCES par Akram Belkaïd

Pourquoi ne parle-t-on plus, ou si peu, d’économies en transition ? Au début des années 1990, après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, cette expression, positive, désignait notamment les pays d’Europe centrale et orientale (Peco). Elle signifiait l’abandon progressif du dogme de la centralisation et de la planification pour adopter celui du capitalisme, du marché et des règles libérales. On connaît la liste des termes clés de cette transformation plus ou moins rapide : réformes, privatisations, retrait de l’État et intervention active des grandes institutions financières internationales. Aujourd’hui, ces nations font partie pour la plupart de l’Union européenne (UE) et sont appelées à terme à intégrer la zone euro. Pour autant, on a du mal à qualifier leurs économies. Certes, elles répondent pour la plupart à tous les standards édictés par la Commission de Bruxelles mais les incertitudes politiques et les tentations populistes – à l’image de ce qui se passe en Hongrie – brouillent les cartes. L’une des explications réside dans le fait que le processus de transition a été incomplet. Ce dernier, défini par les politistes comme un état de négociations continues entre membres de l’ancien système et nouveaux acteurs politiques, se devait d’englober aussi les questions sociales (retraites, assurance-chômage, maintien de certains avantages). Ce ne fut pas le cas et c’est ce qui engendre cet arrière-goût d’inachevé. Car, finalement, la transition concernait aussi la transformation politique de ces États en vraies démocraties capables de gérer les aléas économiques sans être tentées par un retour en arrière.

DÉVALUATION

En Europe, mais aussi en Afrique, les contempteurs de la monnaie unique lui reprochent sa surévaluation et, plus encore, l’impossibilité de sa dévaluation autrement que par les mécanismes de marché. Il est vrai que les membres de la zone euro ne peuvent recourir à ce qui fut, dans les années 1980 et 1990, l’une des armes économiques préférées de pays comme l’Italie et l’Espagne. Rien de mieux que la dépréciation compétitive pour doper les exportations car il s’agit bien d’un outil efficace pour réduire les déficits commerciaux et ménager les réserves de change. Pour autant, ce mécanisme n’est pas une arme parfaite et il ne faut pas oublier ses autres effets. L’un d’eux, et non des moindres,

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est le retour de l’inflation et l’augmentation mécanique de la dette extérieure à rembourser en devises étrangères. C’est ce qui fait que de nombreux membres de l’Euroland préfèrent garder leur monnaie actuelle quitte à en supporter les contraintes budgétaires (limitation du déficit public et donc des dépenses de l’État). Vu du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, les débats européens sur la monnaie ne laissent pas indifférents. Dans le premier cas, on assiste à un découplage croissant entre d’un côté l’euro et, de l’autre, le dirham marocain et les dinars algérien et tunisien. Bien pilotée, cette divergence offre un avantage certain aux exportateurs d’Afrique du Nord. Dans le second cas, leurs homologues de la zone CFA doivent anticiper d’urgence deux choses : une baisse marquée de la monnaie unique en raison des incertitudes politiques sur le Vieux Continent ou bien alors, à plus ou moins long terme, une implosion de l’Euroland.

VUES

Qui n’est jamais allé sur le site YouTube pour visionner un clip ou une vidéo politique, humoristique, sportive ? On le sait, ce geste anodin peut rapporter gros à l’auteur des images mises en ligne, comme ce fut le cas pour le chanteur sud-coréen auteur du « Gangnam Style », fort de son milliard de vues. Mais, l’affaire est encore plus rentable pour le propriétaire du site, Google, et plus précisément sa maison mère depuis sa restructuration en 2015, à savoir la firme Alphabet. Au premier trimestre de cette année, elle a engrangé 24,75 milliards de dollars de chiffre d’affaires (+22 % par rapport à la même période en 2016), des résultats en grande partie tirés de la publicité. Dans le cas de YouTube, les revenus dépendent du nombre de visionnages, ce qui oblige la société californienne à surveiller de près l’évolution des goûts des internautes. On connaissait leur engouement pour les vidéos de chatons ou pour les gags décalés. Voici maintenant venu le temps de l’unboxing, c’est-à-dire des séquences où l’on assiste à des… déballages de paquets. En 2015, les Américains ont ainsi passé 60 millions d’heures devant ce genre de spectacle, soit l’équivalent de 1,1 milliard de vues selon les chiffres fournis par Google. Anecdotique ? Certainement pas, puisque la mode touche aussi l’Europe et l’Asie et que les recettes de ce créneau sont évaluées à plusieurs dizaines de millions de dollars. Et d’autres déclinaisons font déjà leur apparition : l’ouverture de tubes de dentifrice, le bris de verre ou le cirage de chaussures… ❐

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TRANSITION


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