AMB 20 - Août-Septembre 2017

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Afrique Méditerranée A M B LE MAGAZINE DES ÉCONOMIES ET DES ENTREPRISES ÉMERGENTES

MAROC-AFRIQUE

TOUJOURS PLUS LOIN ? KAMAL MOKDAD DG DU GROUPE BCP

«NOUS AVONS LES MOYENS DE NOTRE AMBITION»

+ENCORE

UN EFFORT!

DG d’Asky Airlines

Afrique Méditerranée

AOÛT-SEPTEMBRE

TOGO

No 2 0

2017

ÉMERGENT RWANDA, LE MIRACLE ET SES LIMITES

SÉLECTION LES PROS DE L’ÉDUCATION INTERVIEWS ✔ BASSEM LOUKIL Président du Groupe Loukil

✔ HENOK TEFERRA

IRAN UN RÉVEIL CONTRARIÉ APE LES ACCORDS DE LA DISCORDE

KABIROU MBODJE

PDG DE WARI (SÉNÉGAL)

«CONSTRUIRE UN GROUPE PANAFRICAIN»

POURQUOI L’AFRIQUE EST « BANKABLE » Malgré une conjoncture difficile, financiers et investisseurs internationaux considèrent que le continent N° 20 AOÛT-SEPTEMBRE 2017 reste une bonne affaire. Enquête. M 04557 - 20 - F: 5,90 E - RD

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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POUR COMMENCER par Zyad Limam

10 ANS DÉJÀ…

Pour la plupart des analystes, la tempête se lève à l’été 2007, avec une alerte émise par BNP Paribas sur trois de ses fonds monétaires. En mars 2008, c’est la liquidation de Bear Stearns, rachetée par J.P. Morgan. Et le 15 septembre 2008, à New York, temple du capitalisme, l’impensable arrive avec la faillite retentissante de Lehman Brothers, l’une des plus grandes banques d’affaires de Wall Street. Un krach à 600 milliards de dollars ! Commençait alors la stupéfiante débâcle des subprimes, ces prêts toxiques adossés à l’immobilier américain, prêts infiltrés comme des cellules cancéreuses dans l’ensemble de l’appareil financier, avec une contagion rapide vers l’Europe. Le système global semble perdre pied et certains n’hésitent pas à comparer ce « tsunami » à celui de 1929, en pire… Les effets iront bien au-delà des images symboliques, celles de propriétaires expulsés de leurs maisons, ou de cadres bancaires portant leur carton sous le bras sur le trottoir. Le krach va provoquer un formidable ralentissement économique aux États-Unis et plus encore en Europe, frappée par une décennie « glaciaire ». Le système financier exsangue arrête de prêter de l’argent à lui-même mais aussi aux entreprises. Les États se surendettent pour sauver ce qui peut l’être. La crise des subprimes se transforme en crise de la dette publique. Et avec comme corollaire un ralentissement des investissements, une hausse des impôts, un chômage structurel… 2007-2008 c’est la crise du grand capitalisme, mais finalement les banquiers n’iront pas en prison (sauf en Islande). Et, finalement, les riches ne se seront jamais aussi bien portés. Le poids de la souffrance va s’abattre sur les classes moyennes occidentales, déjà fragilisées par les révolutions digitales. Des classes moyennes qui vouent alors aux gémonies une globalisation accusée de tous les maux, et qui sont à l’origine des contrechocs politiques qu’il fallait probablement prévoir : le référendum suicidaire sur le Brexit et surtout l’irrésistible ascension de Donald Trump.

BREXIT OR NOT ?

Comment le Royaume-Uni, ce grand pays, va-t-il sortir du piège terrible qu’il s’est auto-infligé ? En votant leur sortie de l’Union européenne, les Britanniques se sont imposé un défi quasi existentiel. Les sujets de Sa Gracieuse Majesté pensaient se libérer du joug de Bruxelles (lequel ?), on leur a vendu bien facilement un royaume sans étrangers (impossible), un retour (surréaliste) de l’Empire, une version moderne de la domination avec ce concept (fantasmatique) d’une global Britain supposée s’imposer au monde. Résultat des courses, un peu plus d’un an après le

référendum, la vraie question, aujourd’hui, c’est quasiment la survie de l’économie du pays. Une nation qui, coupée d’un immense marché commun, se retrouvera avec une facture de plusieurs dizaines de milliards d’euros, une City affaiblie et l’obligation de « reconstruire » des millions de pages de législation. Comme me l’a résumé un entrepreneur installé à Londres : « Historiquement, c’est unique. Des hommes blancs, vieux, ont profité de l’apathie relative des plus jeunes pour imposer une décision à contre-courant. Et irréalisable. Hard Brexit, ce n’est pas possible. Soft Brexit, ce n’est pas possible. No deal, c’est encore moins possible. Et No Brexit demanderait un courage politique et collectif majeur qui semble hors de portée… »

VRAI PLAN ?

J’ai lu dans la remarquable Harvard Business Review (édition française, août-septembre 2017) un article particulièrement challenging, comme disent nos amis anglo-saxons, sur les vraies opportunités africaines. Pour simplifier, on démarre sur la fameuse promesse de « Lions on the move », l’étude afro-optimiste qui prévoyait pour l’Afrique une augmentation massive de la consommation et le développement rapide des classes moyennes. Ces promesses, pourtant, n’ont pas enclenché une ruée des grandes entreprises mondiales vers l’eldorado continental. Au contraire. On remarque même un certain nombre de désengagement de grandes enseignes. En 2015 et 2016, l’investissement direct étranger vers l’Afrique a diminué. Les obstacles majeurs sont connus : corruption endémique, environnement bureaucratique, infrastructures insuffisantes, faiblesses des ressources humaines. Et surtout, expliquent les auteurs de l’article, une approche erronée. Celle de croire qu’il faut viser en priorité le marché des classes moyennes. Or, la clé du succès en Afrique et dans d’autres pays émergents, c’est de répondre, d’abord, aux intérêts et aux besoins de la majorité de la population : les pauvres. Même à faible marge, mais en privilégiant le contrôle des coûts, et en s’intégrant localement, massivement : le produit, la recherche, le marketing, la distribution… L’idée n’étant pas de pousser (« push ») des produits vers une classe moyenne plus ou moins existante. Mais de répondre à des besoins réels au sein de la majorité de la population (« pull »). Conclusion, pour les innovateurs, la « non-consommation » devrait être perçue non pas comme une impasse mais comme une opportunité. Les 600 millions d’Africains sans électricité ne sont pas un obstacle mais une incitation à l’innovation. ❐

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Afrique Méditerranée N° 20 / AOÛT-SEPTEMBR E 2017

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Afrique Méditerranée A M B LE MAGAZINE DES ÉCONOMIES ET DES ENTREPRISES ÉMERGENTES

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TOUJOURS PLUS LOIN ? KAMAL MOKDAD DG DU GROUPE BCP

«NOUS AVONS LES MOYENS DE NOTRE AMBITION» ÉMERGENT RWANDA, LE MIRACLE ET SES LIMITES TOGO

UN EFFORT! SÉLECTION LES PROS DE L’ÉDUCATION INTERVIEWS BASSEM LOUKIL Président du Groupe Loukil

HENOK TEFERRA

Bassem Loukil « Nous devons nous dépasser nous-mêmes avant de penser à la concurrence »

Capitaux Pourquoi l’Afrique est-elle « bankable » ?

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Le rendez-vous

Tribune

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par Zyad Limam

MAROC-AFRIQUE

+ENCORE

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Pour commencer

IRAN UN RÉVEIL CONTRARIÉ APE LES ACCORDS DE LA DISCORDE

KABIROU MBODJE

PDG DE WARI (SÉNÉGAL)

«CONSTRUIRE UN GROUPE PANAFRICAIN»

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DG d’Asky Airlines

POURQUOI L’AFRIQUE EST « BANKABLE »

RENCONTRES & REPORTAGES

par Hakim Ben Hammouda

Malgré une conjoncture difficile, financiers et investisseurs internationaux considèrent que le continent N° 20 AOÛT-SEPTEMBRE 2017 reste une bonne affaire. Enquête.

Emmanuelle Pontié rencontre Patrick Ulanowska Moynier Moyen-Orient Iran : le réveil contrarié

M 04557 - 20 - F: 5,90 E - RD

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PHOTO DE COUVERTURE : SHUTTERSTOCK

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Kamal Mokdad « Nous avons les moyens de nos ambitions » 24 Kabirou Mbodje « Développer un groupe panafricain à vocation internationale » 30 Émergence Rwanda, le miracle et ses limites 36 Henok Teferra « Des acteurs locaux forts sur notre propre marché » 18

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Une date, une histoire

Décembre 1963-février 1964 : Zhou Enlai en Afrique 44 Commerce APE, les accords de la discorde 48 Yash Tandon « Les APE vont tuer l’industrie naissante »

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BUSINESS REPORT

Maroc-Afrique Toujours plus loin ? Interview : Larabi Jaidi, senior fellow à l’OCP Policy Center Un essor à géométrie variable Interview : Jamal Belahrach, président de Jobs for Africa Portrait

Pierre Thiam 82 85 86

DESTINATION BUSINESS

Togo Encore un effort ! Stratégie : Lomé joue la carte du hub Interview : Dédé Ahoéfa Ekoué, présidente du Comité d’organisation du forum sur l’African Growth and Opportunity Act

88

Transports : Le PAL, priorité nationale

90

Interview : Nana Nanfamé, directeur général de la NSCT Portraits : Un trio de jeunes talents

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p. 60

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Afrique Méditerranée Business

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NICOLA LO CALZO POUR AMB - REVERT BERNAL/ISOPIX/SIPA - ALI KAVEH/REA

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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Afrique Méditerranée TRIMESTRIEL FONDÉ EN 2013 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 fax : (33) 1 53 84 41 93 info@ambusinessmagazine.com RÉDACTION DIRECTEUR GÉNÉRAL, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

Zyad Limam zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

Emmanuelle Pontié epontie@afriquemagazine.com RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE

Estelle Maussion emaussion@afriquemagazine.com DIRECTRICE ARTISTIQUE Isabella Meomartini

imeomartini@afriquemagazine.com SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

Éléonore Quesnel sr@afriquemagazine.com PHOTO Amanda Rougier arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Akram Belkaïd, Delphine Bousquet, Sylvie A. Briand, Sabine Cessou, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Alexis Gau, Virginie Gazon, Alexis Hache, Hakim Ben Hammouda, Saith Kroub, Kenza Lahlou, Mario Lopes, Thalie Mpouho, Lilia Hachem Naas, Luisa Nannipieri, Nataka Noun, Agnès Redon, Peter Sassou Dogbe, Héba Younes et Julien Wagner.

p.66 94

Parole d’expert

par Lilia Hachem Naas 101

p. 113

Parole d’expert

Après l’heure

par Kenza Lahlou 102

Découvrir, partir, voyager, prendre le temps de vivre

LA SÉLECTION

Les pros de l’éducation Leur tâche est aussi difficile qu’essentielle : former les têtes pensantes, les élites de demain. 110

FRANCE Destination Media 66 rue des Cévennes 75015 Paris Tél. : (33) 1 56 82 12 00 DÉPART

ABONNEMENTS

TOKYO, LE SECOND SOUFFLE ?

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Lectures Donald Trump, BENOÎT DECOUT/RÉA

dans la tradition américaine

vec plus de 42 millions d’habitants (dont 13 intra-muros), elle est la plus grande aire urbaine du monde, où l’activité humaine ressemble à la déambulation de fourmis. Littéralement la « capitale de l’est », anciennement « Edo », Tokyo n’en finit pas de s’étendre, sur quelque 7 000 km² déjà. Dotée d’infrastructures ultra-modernes, à l’image de l’île artificielle d’Odaiba sur la baie, et siège de plus de 2 700 sociétés nationales et étrangères, elle affichait en 2015 un produit intérieur brut (PIB) de 1 520 milliards de dollars, contre 1 210 milliards pour New York. Capitale de la troisième puissance économique mondiale et centre de son pouvoir politique, la mégalopole cherche, comme l’ensemble du pays, ■ ■ ■

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18-20, avenue Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson tél. : (33) 1 40 94 22 22 – fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

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VIVRE Se ressourcer au chant des baleines VOYAGER Le grand pari d’Air Sénégal DÉPENSER Un joyeux melting-pot

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AFRIQUE MÉDITERRANÉE CONSEIL

Départ Tokyo : le second souffle ? Vivre Afrique du Sud : se ressourcer au chant des baleines Voyager Redécollage : le grand pari d’Air Sénégal égal Dépenser Shopping : un joyeux melting-pot

31, rue Poussin – 75016 Paris tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 GÉRANT ZYAD LIMAM DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE EMMANUELLE PONTIÉ CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT

ELISABETH REMY

AMB, Afrique Méditerranée Business, est un magazine bimestriel édité par 31, rue Poussin, 75016 Paris Président-directeur général et directeur de la publication

Mots et Tendances

ZYAD LIMAM

Inflation, cavalerie, philanthropie par Akram Belkaïd

Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0718 K 91909 Dépôt légal : août 2017.

p. 120 p. 120

Un encart INVESTIR de 4 pages sur la Côte d’Ivoire est inséré entre les pages 13 et 16. Un encart BUSINESS PROMO de 8 pages sur le Cameroun est inséré entre les pages 95 et 100.

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La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Méditerranée Business est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Méditerranée Business 2017.

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RENCONTRES & REPORTAGES

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A Afrique fri ffr riq ri que qu ue ue Méditerranée Mé M éd dit di it ite err rr rrané anée ée Business Bu us usi si si n ne nes ess es

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Hier, rares étaient les financiers privés à parier sur le continent. Aujourd’hui, les souscriptions des pays « frontières » sont devenues courantes. Une vraie révolution qui n’est pas sans risques.

Pourquoi l’Afrique est-elle

« bankable » ?

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par Estelle Maussion

’est l’Égypte qui a lancé le mouvement en janvier avec une levée de 4 milliards de dollars. Le mois suivant, la Tunisie a pris le relais avec une émission de 850 millions d’euros, suivie du Nigeria en février-mars pour 1,5 milliard de dollars et du Sénégal en mai pour 1,1 milliard de dollars d’eurobonds. En juin, c’était au tour de la Côte d’Ivoire avec le lancement d’obligations pour près d’1,75 milliard d’euros. Depuis le début de l’année, nombre d’États africains recourent aux marchés internationaux pour se financer. À chaque fois, ils rencontrent un franc succès. Les investisseurs sont au rendezvous, même largement au-delà des espérances : l’émission sénégalaise a suscité une demande sept fois supérieure à son montant initial, l’ivoirienne près de dix fois. Autrement dit, les fonds d’investissement, banques, groupes industriels et États des quatre coins de la planète – États-Unis, Europe et Asie en tête – se ruent sur ces titres africains lors d’opérations « arrangées » (selon le terme consacré) par les spécialistes du secteur, dont J.P. Morgan, Citigroup, Standard Chartered, Natixis et Société Générale. Preuve que le continent a bel et bien fait son entrée sur les places boursières mondiales. Preuve, également, que son attractivité se maintient en dépit d’une conjoncture difficile depuis la chute du cours des matières premières mi-2014. Cette percée sur les places financières internationales est récente. « En octobre 2007, le Ghana a ouvert le bal avec une émission de 750 millions de dollars à un taux d’intérêt nominal de 8,5 % sur une période de trente ans. Cette première initiative subsaharienne, plus de quatre fois souscrite, a déclenché une frénésie d’emprunts souverains dans la région, rappelait le célèbre économiste Joseph Stiglitz dans un article paru en 20131. Neuf autres États (Gabon, République

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RENCONTRES & REPORTAGES

Capitaux

démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Sénégal, Angola, Nigeria, Namibie, Zambie et Tanzanie) ont emboîté le pas au Ghana. Dès février 2013, ces dix économies africaines avaient collectivement levé 8,1 milliards de dollars à partir de leurs toutes jeunes émissions d’obligations souveraines, leur échéance moyenne s’élevait à 11,2 ans et leur taux d’intérêt nominal à 6,2 %. » Depuis, la tendance se poursuit. Jusqu’à présent, une vingtaine de pays sont parvenus à émettre des obligations. Et, selon le Fonds monétaire international (FMI)2, leur montant total représentait plus de 18 milliards de dollars en 2014. À partir de cette date, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont réussi des levées de fonds chaque année. En 2015, l’Égypte et le Ghana ont aussi eu recours aux marchés internationaux, alors que le Cameroun y faisait son apparition pour la première fois. L’an passé, malgré sa croissance atone et ses difficultés politiques, l’Afrique du Sud a émis 1,25 milliard de dollars d’obligations à un taux de 3,35 % sur une durée de dix ans. Au Maroc, les trois principaux groupes bancaires du pays, Attijariwafa, BMCE-BOA et BCP, ont confirmé, en juin, leur ambition de lever quelque 4,5 milliards de dirhams (environ 476 millions de dollars) sur le marché obligataire dans les prochains mois. « Cette forte demande pour les obligations souveraines ne concerne pas seulement l’Afrique mais l’ensemble des régions émergentes », souligne Samir Gadio, analyste chez Standard Chartered. En 2016, on a en effet assisté à des emprunts souverains record : 9 milliards de dollars pour le Qatar, 16,5 milliards pour l’Argentine et 17,5 milliards pour l’Arabie saoudite, avec une demande presque quatre fois supérieure. Depuis, la Russie et Chypre ont aussi réussi des levées de fonds, quand l’Irak prévoit d’en effectuer une d’ici la fin de l’année, pour la première fois sans garantie des États-Unis. Cet appétit des investisseurs pour les obligations émergentes et pour la dette des pays dits « frontières », c’est-à-dire pré-émergents, s’explique par l’abondance de capitaux au niveau mondial. « Depuis la crise de 2008-2009, les banques centrales des pays développés maintiennent des politiques monétaires très accommodantes, avec des injections de liquidités. Les investisseurs institutionnels reçoivent donc des afflux de cash et ils se tournent vers les placements les plus rentables », explique l’analyste Samir Gadio. Face aux faibles taux d’intérêt (parfois même négatifs) des emprunts souverains des économies avancées, la rémunération des prêts émergents et « frontières » est plus que séduisante : 3,25 % sur dix ans et 4,5 % sur trente ans pour l’Arabie saoudite, 7,5 % sur dix ans et autour de 8 % sur trente ans pour l’Argentine, 6,25 % sur quinze ans dans le cas du Sénégal, 6,125 % sur seize ans pour la Côte d’Ivoire, entre autres. GAGE DE LIBERTÉ Pour les pays émetteurs africains, le recours aux marchés financiers mondiaux présente plusieurs avantages. Il constitue une nouvelle source de financement dans un contexte de crise des matières premières et alors que les bourses locales et régionales ne sont pas encore très développées. Il offre une alternative aux prêts classiques octroyés par les institutions internationales, FMI et Banque mondiale en particulier. Surtout, à la différence des emprunts concédés par ces dernières, les obligations souveraines

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Auront-ils, au moment de se REFINANCER, accès aux marchés, et surtout la possibilité d’émettre à des CONDITIONS acceptables ? ne sont pas ou peu conditionnées au respect d’exigences budgétaires et de mesures d’accompagnement. Un gage de liberté qui attire les gouvernements. « Être capable d’aller sur les marchés internationaux signifie que l’on remplit un certain nombre de critères financiers, ce qui n’est pas le cas de la majorité des États africains, met en avant Paul Derreumaux, président d’honneur de Bank of Africa et observateur averti du continent. Pour ceux qui y parviennent, c’est donc un marqueur de notoriété et de crédibilité. » Ces dernières années, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, par exemple, ont réussi à augmenter les montants empruntés comme la maturité des prêts, signe de la confiance croissante des investisseurs. Un optimisme renforcé par l’attribution, en parallèle, de fonds par le FMI et la Banque mondiale. Tout n’est pas rose pour autant. Les conditions d’emprunt, très favorables ces derniers temps, ont tendance à se durcir sous l’effet conjugué des difficultés internes de certains pays et de l’évolution de la conjoncture internationale. La Zambie, qui avait emprunté sur dix ans en 2012 à 5,63 %, a dû se contenter d’un taux de 8,6 % en 2014 et, pire, de 9,4 % en 2015, en raison de la chute du cours du cuivre, sa première source de recettes. Même chose pour l’Égypte, qui a vu son taux d’intérêt (pour une maturité de dix ans) passer de 5,8 % à 7,5 % en seulement deux ans, entre 2015 et 2017, alors que le pays peine à sortir d’une crise économico-politico-sécuritaire. La Tunisie, qui ambitionnait de lever un milliard d’euros au début de cette année, n’a finalement mobilisé que 850 millions d’euros, après la dégradation de sa note souveraine par Fitch et les déclarations du FMI pointant la lenteur des réformes. Quant au Kenya, dont un eurobond de 750 millions de dollars arrive à maturité en octobre, il a préféré reporter une nouvelle émission après la tenue des élections présidentielles d’août afin d’éviter d’être pénalisé par les incertitudes autour du scrutin. « À la veille de l’arrivée à maturité des obligations, les États retournent sur les marchés pour se refinancer, détaille Samir Gadio. La question qui se pose

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MICHAEL APPLETON/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

est de savoir s’ils auront, lorsque leurs emprunts arriveront à échéance, accès aux marchés internationaux et, surtout, la possibilité d’émettre à des conditions acceptables pour eux. » Un autre facteur, extérieur au continent, joue un rôle clé : la volonté de la Réserve fédérale américaine (Fed) de mettre fin à sa politique monétaire accommodante, en procédant à une remontée progressive des taux d’intérêt américains. Ce changement, qui devrait intervenir à partir de septembre, devrait provoquer une hausse de la valeur du dollar, renchérissant mécaniquement les coûts d’émission d’obligations dans cette monnaie. La Côte d’Ivoire, qui émettait jusqu’à présent en dollar, a Le succès des obligations africaines s’explique par l’attractivité de leur rémunération mais choisi l’euro pour sa dernière émission aussi par l’abondance des capitaux au niveau mondial. Ici, la bourse de New York. afin de limiter ses coûts de change cinq sukuk (obligations islamiques). Mais est-ce suffisant ? « Afin (entre-temps, la monnaie européenne a pris le dessus face au billet de s’assurer que leurs émissions ne se changent pas en désastre vert). Mais, pour certains pays, ces coûts pourraient devenir vite financier, [l]es États doivent mettre en place une structure saine et insurmontables. Sans compter que la modification de la politique globale de gestion de la dette, tournée vers l’avenir, affirmait dès de la Fed, même annoncée de longue date, pourrait avoir des 2013 Joseph Stiglitz. Il leur appartient non seulement d’investir répercussions plus larges. À l’été 2013, la seule évocation d’un leurs recettes dans de bons projets à haut rendement, mais aussi resserrement monétaire américain avait provoqué une fuite de de faire en sorte de ne pas avoir à emprunter davantage pour capitaux des marchés émergents, notamment asiatiques. rembourser leur dette. » Les plus optimistes soulignent que, si l’endettement augÉVITER LE CERCLE VICIEUX mente, il reste toutefois modeste, inférieur à 50 % du PIB pour Dans un tel contexte, plusieurs observateurs, dont le FMI, s’inla majorité des pays. Certes, mais la situation peut vite déraper. quiètent de la capacité du continent à honorer ses engagements. « La dette publique des pays en développement est ainsi en train D’autant que des signaux négatifs émergent. Depuis janvier, le de se creuser, alors qu’elle était à un niveau plus bas que celui des Mozambique, longtemps présenté comme un futur eldorado, est pays avancés, note l’économiste Carmen Reinhart, professeur de en défaut de paiement, incapable de rembourser ses dettes, dont finance internationale à l’université de Harvard3. Or, la moitié des une partie a été souscrite en eurobonds. Depuis début août, la République du Congo est sous pression, au bord du défaut de pays émergents qui ont fait défaut depuis 1945 avaient un taux paiement : le pays a bien honoré le versement d’un coupon de d’endettement public inférieur à 60 % du PIB… Les distorsions 21 millions de dollars sur son unique emprunt obligataire interde marché créées par la politique monétaire des pays développés national mais les fonds ont été gelés en raison d’injonctions judifrappent maintenant les émergents. » Gare donc à la bulle et, surciaires émises par un autre créancier, la société de travaux publics tout, à son éclatement. Pour l’ancien banquier Paul Derreumaux, Commisimpex (Commissions Import Export). Au-delà de ces cas l’endettement international illustre un autre fait majeur concerparticuliers, la chute des prix des matières premières fait peser un nant le continent. « Il est de moins en moins possible de parler de risque sur bon nombre de pays : ces derniers sont tentés d’emprunl’Afrique au singulier et encore moins de l’Afrique subsaharienne ter sur les marchés internationaux, non pour financer leur plan comme d’un tout, tant la différenciation entre les pays est croisde développement, mais pour combler un déficit. Or, les taux de sante, affirme-t-il. En lien avec ce constat, on voit que le nombre de ces prêts contractés en monnaies étrangères flambent au fur et pays capables de maîtriser leur destin – c’est-à-dire de réellement à mesure que la situation économique empire et que leur note mettre en œuvre les réformes nécessaires au développement – est souveraine est dégradée par les agences de notation. Ce qui prode plus en plus réduit. » ❐ voque une dévaluation de la devise nationale, rendant encore plus 1. « La fièvre de la dette souveraine gagne à son tour l’Afrique », coûteux le remboursement de la dette… Pour éviter un tel cercle Joseph Stilglitz, 27 juin 2013, Les Échos. vicieux, certains États ont recours à des émissions dans leur mon2. Rapport 2016 sur le développement économique en Afrique, Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement naie sur les bourses régionales. En octobre 2016, la Côte d’Ivoire, (CNUCED), juillet 2016. le Sénégal et le Togo ont ainsi levé 766 milliards de francs CFA 3. « L’endettement préoccupant des pays en développement », sur la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) à travers Carmen Reinhart, 6 juillet 2017, Le Monde.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Capitaux

Un ciel tout en contrastes Depuis 2015, les évaluations des dettes souveraines africaines et des « risques pays » se dégradent. Sauf quelques exceptions. par Julien Wagner

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Synthèse en anglais de l’agence américaine de notation Moody’s à fin juillet. Une dette souveraine a une évaluation positive (le Maroc), 13 sont jugées stables et 8 négatives.

Maroc POINTS FORTS ✔ ✔

✔ ✔

Position géographique favorable, à proximité du marché européen Stratégie de montée en gamme et de diversification de la production, dans l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, l’offshoring, la chimie, la pharmacie, le textile/cuir, l’agroalimentaire Politique de stabilité macro-économique Engagement de réformes

POINTS FAIBLES ✔

Économie très dépendante des performances du secteur agricole ✔ Importantes disparités sociales et régionales Bien qu’en diminution, le taux de pauvreté reste important ✔ Faiblesse de la productivité et de la compétitivité ✔ Taux de chômage important En février, Moody’s a relevé ses perspectives pour le pays de « stable » à « positif ». Une promotion justifiée par « l’accumulation de réserves de change due à une industrie d’exportation dynamique » et à une situation de « consolidation fiscale » laissant espérer une « réduction graduelle de la dette publique ».

MOODY’S

ue ce soit les agences de notation américaines Moody’s, Fitch Ratings et Standard & Poor’s (S&P) ou l’assureur-crédit français Coface (auteur des fiches pays ci-contre, en date d’avril 2017), tous dressent un même constat : la période est difficile pour le continent. Depuis deux ans, l’Afrique est même la région du monde pour laquelle les évaluations des agences se sont le plus détériorées. En cause, les tensions politiques et la chute des prix du pétrole et du gaz. Depuis 2014, la note du Nigeria, grand producteur d’or noir miné par l’insécurité dans le Nord, a été dégradée à deux reprises par S&P (de BB– à B+ puis B). Même chose pour l’Angola, autre géant pétrolier, doublement rétrogradé par S&P et Fitch (de BB– à B). La République du Congo fait aussi face à une crise liée à la gestion de sa dette, réévaluée de 77 % à 117 % du PIB par le Fonds monétaire international (FMI). Début août, Moody’s a abaissé la note du pays, de B3 à Caa2 avec une perspective négative, emboîtant le pas de S&P, qui avait dégradé la note de sa dette extérieure en juillet. L’évaluation de l’emprunt souverain de la République démocratique du Congo, en prise à une interminable crise constitutionnelle et à des problèmes d’insécurité, est passée de « hautement spéculatif » (B) à « risques substantiels » (CCC) et même brièvement à « défaut avec légères perspectives de rétablissement » (RD) fin 2016, avant de repasser à B aujourd’hui. Même certains des bons élèves subissent des coups durs. Maurice, pays le mieux noté par les agences, a été rétrogradée à A4 (convenable) par la Coface en raison de la renégociation de l’accord de non double imposition conclu avec l’Inde en mai 2016 qui « alourdit la fiscalité pour les investisseurs ». L’île pâtit aussi des incertitudes liées au Brexit, le Royaume-Uni étant l’une de ses principales sources de touristes. La Namibie, 3e pays le mieux noté par Moody’s, a vu ses perspectives passer de « stables » à « négatives » du fait de la contraction de l’activité économique (5,3 % en 2015, 1,6 % en 2016, 3,4 % en 2017) et de son recul dans le classement « Doing Business » (du 74e rang en 2011 au 108e cette année). Dans ce tableau général assez sombre, certains sont toutefois sur la pente ascendante. Comme le Sénégal, dont la note souveraine a été augmentée en avril par Moody’s (de Ba1 à Ba3), en raison du maintien d’une croissance soutenue (6,6 % en 2016 et 6,8 % en 2017), mais aussi « des efforts du gouvernement pour consolider sa fiscalité ». ❐

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Pourquoi l’Afrique est-elle « bankable » ?

Côte d’Ivoire

Sénégal

POINTS FORTS

POINTS FORTS ✔ ✔ ✔ ✔ ✔

Dynamisme économique lié à la mise en œuvre de grands projets d’investissement Soutien des bailleurs de fonds dans le cadre du Plan Sénégal Émergent Progrès en termes de climat des affaires et de gouvernance Solides antécédents en matière de stabilité politique Importantes réserves de pétrole au large des côtes nationales

POINTS FAIBLES ✔

Croissance et exportations soumises aux aléas climatiques et à l’évolution du cours des produits de base ✔ Insuffisance des infrastructures (énergie, transports) ✔ Importants déficits jumeaux ✔ Faible niveau de richesse par habitant, chômage et disparités régionales ✔ Perte de popularité du chef de l’État En avril, le pays est passé du niveau « spéculatif » à « moyen bas » (lower medium grade) pour Moody’s. L’agence loue notamment les chiffres de la croissance (6 % en moyenne sur les cinq dernières années), un résultat soutenu par « la politique volontariste du gouvernement dans les secteurs des infrastructures, du transport et de l’agriculture ».

Tunisie

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POINTS FAIBLES ✔

Économie dépendante des aléas climatiques et de l’évolution des cours du cacao ✔ Lacunes encore en matière de gestion des finances publiques, d’infrastructures et d’environnement des affaires ✔ Lents progrès en matière de réconciliation nationale Attribuée en novembre 2016 par Moody’s, la note de la dette souveraine ivoirienne était de Ba3 (« spéculatif ») avec une perspective « stable ». L’agence avait alors salué « la diversification progressive entreprise par le pays » et prévoyait « une accélération prochaine du développement du secteur des mines et des hydrocarbures ».

Cameroun POINTS FORTS ✔ ✔ ✔ ✔

POINTS FORTS ✔ ✔ ✔ ✔

Ressources naturelles (gaz, phosphates), agricoles, touristiques Transition politique progressive Économie en cours de diversification et main-d’œuvre assez qualifiée Proximité du marché européen et accord d’association avec l’UE

POINTS FAIBLES ✔ ✔

Fortes inégalités sociales et géographiques Taux de chômage élevé, principalement chez les jeunes ✔ Poids économique important de l’agriculture ✔ Secteur touristique confronté aux problèmes politico-sécuritaires et à une concurrence accrue Depuis la révolution de 2011, le pays a été rétrogradé à plusieurs reprises. Malgré une situation politique qui reste incertaine et des indicateurs économiques fragiles, Moody’s a confirmé en début d’année la note de la dette souveraine à Ba3, l’assortissant d’une perspective « stable », contre « négative » en novembre 2016.

Diversification : hydrocarbures, minerais et richesses agricoles (premier producteur mondial de cacao) Infrastructures en cours de modernisation Amélioration du climat des affaires et de la gouvernance Renforcement de la stabilité politique

Ressources agricoles, pétrolières et minières Économie diversifiée, comparée à celle d’autres pays exportateurs de pétrole Modernisation des infrastructures en cours Réduction de dette obtenue en 2006 dans le cadre de l’initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés et de l’initiative d’allégement de la dette multilatérale

POINTS FAIBLES ✔

Comptes extérieurs et publics dépendants du pétrole ✔ Ré-endettement rapide sous l’effet d’un ambitieux programme d’investissements publics ✔ Croissance peu « inclusive » et environnement des affaires encore difficile ✔ Risque politique : insécurité dans l’Extrême-Nord du pays, incertitudes électorales, tensions avec la minorité anglophone Moody’s n’a pas changé sa notation du pays depuis sa toute première évaluation en août 2016 (B2 soit « très spéculatif »). Une décision justifiée par une croissance soutenue malgré la baisse des revenus du pétrole (+4,8 % en 2016, +4,2% prévu en 2017). L’agence souligne d’énormes potentialités sous-exploitées « dans l’agriculture, le gaz naturel, l’hydroélectricité et le secteur des minéraux ».

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RENCONTRES & REPORTAGES

Capitaux

« Un champ d’opportunités pour les investisseurs innovants ! » Un banquier londonien soucieux de discrétion et spécialisé dans les pays émergents expose les 5 éléments « macro » qui incitent les financeurs à considérer positivement le risque Afrique. Propos recueillis par Zyad Limam 1) La démographie. Aujourd’hui, on compte 1,3 milliard d’Africains sur une population mondiale d’environ 7,6 milliards. Mais, les Nations unies estiment que le poids démographique du continent surpassera celui de l’Asie dès le siècle prochain, prévoyant 4,5 milliards d’Africains sur une population mondiale de 11,2 milliards en 2100. Sur le continent, on est donc bien loin des problématiques de croissance morose, de déflation, de population vieillissante, de faible taux d’épargne qui grippe l’activité… L’Afrique, c’est d’abord une promesse immense de consommation de biens et de services, déjà bien comprise par les opérateurs téléphoniques mondiaux. 2) La représentation politique et Les institutions. Elles ont évolué positivement ces dernières années. On ne nie pas que la concentration des pouvoirs, la mauvaise gestion et l’âge des « monarques » restent dans de nombreux pays la source principale du statu quo, y compris dans des économies majeures comme l’Afrique du Sud (avec les liens entre le président Zuma et la famille Gupta). Mais, avec une éducation qui se généralise et s’allonge, les citoyens et la société civile pèsent de plus en plus sur la vie politique. Ils forcent le renouveau, militent pour des autorités méritocratiques et technocratiques. Finalement, ils imposent une certaine transparence politique et fiscale. Cette évolution se traduit aussi par une prise d’indépendance sur le plan international, avec la multiplication des partenaires. Par exemple, la Côte d’Ivoire et le Sénégal se sont largement émancipés de la France, financièrement et culturellement. Ils prennent le chemin des « dragons asiatiques », avec des taux de croissance parmi les plus élevés au monde.

3) L’accès aux marchés de capitaux et la diversification des ressources. La plupart des pays ont accès à de nombreuses sources de financement, bien au-delà des anciens prêts bilatéraux « souverains » conclus sous la tutelle coloniale. Donations, prêts concessionnaires des institutions financières internationales (FMI, BM, BAD, AFD, etc.), apports d’États intéressés par des projets de développement (pas seulement les pays du Club de Paris ou la Chine), diaspora… Surtout, de nombreux gouvernements ont réussi à intégrer les marchés internationaux de financement (en euros ou en dollars), en laissant ces mêmes marchés déterminer leurs taux d’emprunts

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souverains. On voit également se développer une activité sur le marché national, en monnaie locale, souscrit en général par les banques et les assurances. Par ailleurs, une gestion active de l’épargne et des retraites se met en place progressivement. S’appuyant sur ce cercle vertueux, les institutions économiques phares des pays (banques, assurances, grandes entreprises…) s’ouvrent à la possibilité d’emprunter à un « spread » au-dessus des obligations d’État auprès d’investisseurs locaux ou internationaux.

4) Une bonne gestion macro-économique et une capacité de paiement. La crise des matières premières qui touche les pays exportateurs s’est accompagnée de politiques monétaires responsables : montée des taux directeurs pour contenir l’inflation, prudence fiscale, dévaluation des monnaies locales par rapport au dollar, des mécanismes préconisés par le FMI pour maintenir les recettes et attirer les capitaux privés. La majorité des banques centrales ont eu une gestion orthodoxe de la crise, à l’exception notable du Nigeria, qui tente de maintenir le naira à un niveau élevé. Par conséquent, les investisseurs sont toujours présents et les réserves de change se stabilisent, couvrant souvent plus de trois mois d’importations. L’endettement, déjà bien apuré avant la crise financière mondiale de 2008, reste maîtrisé dans la majorité des cas. Ce qui implique une capacité de paiement consolidée. La croissance se maintient et devrait rebondir en 2018. À cela s’ajoute une volonté de rembourser les créanciers et de tenir les échéances.

5) L’Afrique propose un modèle novateur. Son développement économique ne passe pas forcément par une étape industrielle à l’instar de ce qu’a connu l’Europe. Comme l’Asie, le continent brûle les étapes et multiplie les innovations, tant sur le plan technologique que financier. Exemple : pas de bancarisation via une institution traditionnelle mais via le mobile, pour accéder à une ligne de crédit, gérer sa propre mini-épargne ou encore souscrire à une obligation souveraine, comme au Kenya à travers M-Akiba, une première mondiale. Question de survie physique ou identitaire, le continent, c’est l’entrepreneuriat au quotidien. Les investisseurs innovants, curieux et attirés par des rendements forts, prendront ce train en marche. Les autres, avec de vieilles recettes financières inadaptées, passeront complètement à côté.» ❐

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investir inv in nv en COTE

D IVOIRE

San-Pédro et ses plages à perte de vue.

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Les nouveaux chantiers de l’émergence Le pays accélère la mise à niveau et la modernisation de ses infrastructures. Avec une ambition sur le développement régional, les transports et l’attractivité de nouvelles activités comme le tourisme et les industries culturelles.

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investir en COTE D IVOIRE Grands travaux

Objectif Bouaké et San-Pédro DANS LE CADRE DU PROGRAMME DE RENFORCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE BASE SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE NATIONAL, L’EFFORT SERA PORTÉ SUR LES MÉTROPOLES RÉGIONALES.

A

près Abidjan, la capitale, c’est au tour de Bouaké et San-Pédro, les deux principales villes secondaires du pays, dotées d’un potentiel important, de faire peau neuve. Et de nouveaux financements vont permettre d’accélérer les chantiers. Plus précisément, un accord de financement a été conclu le 27 juin dernier à Abidjan entre le ministre de l’Économie et des Finances, représenté par le ministre Adama Koné, et le directeur des opérations de la Banque mondiale, Pierre Laporte, pour le Projet de renforcement des infrastructures pour le développement urbain et la compétitivité des agglomérations secondaires (Piducas). Prévu dans le Programme national de développement (PND), d’un montant total de 73 milliards de F CFA (plus de 111 millions d’euros), dont 5 milliards de F CFA financés par le gouvernement ivoirien, le Piducas est axé sur trois pôles : l’amélioration de la performance des Infrastructures économiques ; l’appui au développement du secteur privé ; l’amélioration des institutions de la réglementation et de l’aménagement urbain. Avec pour priorité, pour le gouvernement ivoirien comme pour la Banque, la remise à niveau et le renforcement des infrastructures de base, et ce sur l’ensemble du territoire national.

Bouaké, capitale du Nord.

En ce qui concerne les villes stratégiques, Bouaké et San-Pédro notamment, le ministre de l’Économie et des Finances, Adama Koné, se réjouit : « Ce projet novateur arrive à point nommé parce qu’il permettra d’améliorer l’infrastructure économique clé dans les villes de Bouaké et San-Pédro, afin d’accroître leur compétitivité; de faciliter le développement des micro-, petites et moyennes entreprises dans ces villes, en mettant un accent particulier sur les chaînes de valeur de l’industrie agroalimentaire et de la logistique. » Dans le même temps, il a annoncé l’extension prochaine du programme à d’autres cités de l’intérieur du pays.

Travaux sur l’axe Abidjan-San-Pédro.

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NABIL ZORKOT

NABIL ZORKOT

ACCROÎTRE LA COMPÉTITIVITÉ

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Résolument tournée vers l’avenir

ABIDJAN : UN PONT, UN MÉTRO, DES AUTOROUTES…

28 mars 2017. Discours du président Ouattara à l’ouverture de la Conférence internationale sur l’émergence en Afrique.

CYRILLE BAH/AFP

L’autoroute du Nord.

505€ MILLIARDS NABIL ZORKOT

Une e nou uvellle flottte pou ur Air Côtte d’Iv voiire e Après avoir présenté son nouvel Airbus A320, fleuron de sa flotte qui est passée de 3 à 10 appareils en quatre ans, la compagnie PASSAGERS EN 2017 nationale ivoirienne a annoncé l’acquisition de 5 nouveaux avions d’ici trois ans pour poursuivre son expansion en Afrique, où elle dessert 20 capitales. De quoi accompagner ses ambitions, à savoir transporter 850 000 passagers en 2017, contre 720 000 en 2016, soit près de la moitié du trafic de l’aéroport international d’Abidjan.

DR

850 000

La Côte d’Ivoire va bénéficier d’un soutien financier de la France d’un montant de 2,125 milliards d’euros dont une partie (1,4 milliard d’euros exactement) doit permettre de boucler le financement du métro d’Abidjan. 120 millions d’euros de l’enveloppe française iront aux chantiers routiers inscrits dans le PND II. Tandis qu’un vaste programme d’amélioration du transport à Abidjan, de près de 505 milliards de F CFA, approuvé par la Banque africaine de développement (BAD), est en cours avec, entre autres, la construction d’un pont reliant la cathédrale Saint-Paul à l’église Saint-Jean, à Cocody, une autoroute à la sortie de Yopougon et une autre à N’Dotré, le prolongement de l’autoroute du Nord jusqu’à Tiébissou et de celle de Grand-Bassam jusqu’à Samo.

DR

Sur le tarmac de l’aéroport international d’Abidjan.

de la BAD pour développer les transports dans la capitale.

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investir en COTE D IVOIRE Tourisme

Pour être une destination majeure

Piscine et jardins de l’hôtel Sofitel Ivoire.

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milliards d’euros de recettes procurés par le secteur en 2016, c’est peu compte tenu des chiffres internationaux – plus de 1 100 milliards d’euros selon l’OMT –, mais compte tenu des chiffres qui prévalaient après la crise de 2011 (0,6 % du PIB), c’est plus que prometteur. En effet, selon les données de Côte d’Ivoire Tourisme, l’activité touristique dans le pays est en hausse, dépassant les 4,5 % du PIB. Une nouvelle attractivité portée par les voyages d’affaires mais également par la demande locale. En effet, depuis la sortie de crise, les Ivoiriens ont envie de redécouvrir leur pays.

UN MILLION DE VISITEURS EN 2020 Avec un objectif fixé à 7 % du PIB cette année, les autorités souhaitent faire du pays une destination touristique phare du continent, grâce à une feuille de route plus qu’ambitieuse. Une mission confiée au nouveau ministre chargé du secteur, Siandou Fofana, docteur en finance internationale et ancien directeur général du Fonds d’entretien r (Fer). Selon une approche en deux axes : valoriser les richesses naturelles et culturelles du pays pour une offre diversifiée et compétitive (l’agrotourisme autour du cacao et des autres produits d’exportation, le tourisme culturel, le tourisme balnéaire et l’écotourisme à travers la valorisation des parcs nationaux) ; rechercher des partenaires pour le financement et la formation dans le domaine du tourisme. En outre, le gouvernement travaille à renforcer la desserte aérienne du territoire en vue d’accueillir 1 million de visiteurs en 2020. Folklore gouro, dans la région du Centre-Ouest.

Détente sur la plage d’Assinie.

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ZYAD LIMAM (2) - NABIL ZORKOT

LES AUTORITÉS VEULENT PROMOUVOIR LES PATRIMOINES NATUREL ET CULTUREL. AVEC UNE MISE AUX NORMES INTERNATIONALES DES LIEUX D’HÉBERGEMENT ET DES SITES, AINSI QU’UN RENFORCEMENT DE LA DESSERTE AÉRIENNE.

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TRIBUNE par HAKIM BEN HAMMOUDA

L’ EUTHANASIE DES RENTIERS , C’EST POUR QUAND ?

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

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’est l’une des formules définitives dont seul le maître de Cambridge, John Maynard Keynes, avait le secret. Elle revient dans le débat public à chaque fois que l’on parle du poids de l’endettement public ou privé, qui devient une charge tellement lourde qu’il empêche une reprise de l’investissement et de la croissance, réduisant les acteurs économiques à la détresse. Issue de la grande œuvre de l’économiste, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), cette expression annonçait « l’euthanasie du pouvoir oppressif cumulatif du capitaliste d’exploiter la valeur-rareté du capital ». Autrement dit, la fin d’« une répartition de la fortune et du revenu arbitraire et qui manque d’équité ». Pour ce faire, la rémunération du capital (dont les taux d’intérêt) devrait se limiter au coût de dépréciation de ce capital auquel on ajouterait une prime liée à la prise de risque. Keynes voulait ainsi que le capital soit disponible à des coûts acceptables et en quantités nécessaires afin de permettre l’essor économique et la création de richesses et d’emplois. Cette question a été évoquée au sein des États en développement à partir du début des années 1980 et l’annulation des créances des pays les moins avancés n’a été qu’une forme d’« euthanasie des rentiers ». Elle est également présente dans les débats européens et les restructurations de dettes imposées à certains gouvernements constituent, elles aussi, une tentative d’en finir avec la rente. On peut enfin mentionner la forte mobilisation de la société civile, des

monde arabe et de certains pays en zone subsaharienne. Alors, comment faire pour que l’apurement des comptes ne se fasse pas aux dépens de l’essor et de l’attractivité ? Une piste de travail avait Économiste, ancien été proposée en 2015 par Yanis ministre tunisien des Varoufakis, l’éphémère et bouillant Finances (2014-2015) ministre des Finances grec après la et auteur de l’ouvrage victoire de Syriza aux élections. Il avait Chroniques d’un ministre suggéré l’idée d’une indexation des de transition (Cérès Éditions, décembre 2016). remboursements de la dette sur la hakimbenhammouda. croissance. Or, cette proposition a reçu typepad.com une fin de non-recevoir immédiate de la part de partenaires européens, totalement soumis à la doctrine de l’orthodoxie financière. Le ministre Varoufakis a perdu son poste et sa syndicats et de certains partis proposition a disparu avec lui. Puis, la politiques au lendemain de la chute des Grèce et l’Europe ont repris leur jeu de régimes autoritaires arabes pour exiger dupes entre récession et un abandon de leur dette « odieuse ». La restructurations. Or, cette idée que l’on voici de nouveau sur le devant de la croyait jetée aux oubliettes pourrait scène alors que nombre de voix être remise à l’ordre du jour s’élèvent pour dénoncer le par Bruno Le Maire, le niveau croissant de nouveau ministre des l’endettement au niveau du PIB : le taux Finances français, qui n’y est mondial. D’après la Banque d’endettement pas insensible. Certes, cette des règlements dans les piste rencontrera des internationaux (BRI), 44 principales oppositions de la part des celui-ci (public et privé) se économies tenants de l’orthodoxie monte dans les 44 plus mondiales. financière. Il n’empêche qu’il grands pays, à est urgent de trouver des solutions à 160 000 milliards de dollars, soit 235 % cette crise qui pèse sur la croissance et du produit intérieur brut (PIB). Il était plus particulièrement sur celle des pays inférieur à 200 % du PIB au moment européens, « post-printemps arabe » et du déclenchement de la crise financière africains. Le fait que les réponses de 2008. Les experts s’inquiètent aussi traditionnelles n’aient pas réussi à des créances des entreprises aux Étatsrégler le problème devrait nous amener Unis et dans les économies émergentes, à faire preuve d’inventivité. Pour sortir de celles des banques secondaires en des sentiers battus et s’offrir de Chine mais aussi de la situation de la nouveaux horizons. ❐ Grèce en Europe, de la Tunisie dans le

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RENCONTRES & REPORTAGES

Kamal Mokdad

DIRECTEUR GÉNÉRAL DU GROUPE BANQUE CENTRALE POPULAIRE (BCP), EN CHARGE DE L’INTERNATIONAL

«Nous avons les moyens de nos ambitions » Le géant bancaire marocain assume ses aspirations continentales avec une ouverture vers le monde anglophone, le développement de nouveaux services (en particulier le mobile banking), la microfinance… Une expansion ambitieuse les yeux rivés sur l’état du marché. propos recueillis par Estelle Maussion, à Casablanca

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on bureau, spacieux et sobre, se situe au 7e étage du siège de la Banque centrale populaire (BCP), dans le Maarif à Casablanca. C’est là que Kamal Mokdad a pris ses quartiers depuis mars dernier. À 43 ans, il a rejoint le groupe marocain pour prendre la tête d’une nouvelle direction qui rassemble toutes ses activités hors du royaume. Mastodonte national avec 25 % de part de marché pour les dépôts et 24 % pour les crédits, la BCP est devenue ces dernières années un acteur de premier plan au niveau continental, à l’instar de ces deux compatriotes et concurrents, Attijariwafa Bank et Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE)-Bank of Africa. Son essor s’est accéléré à partir de 2012 avec sa prise de contrôle du réseau Banque Atlantique (géré par sa holding Atlantic Business International, ABI), qui lui a ouvert les portes de sept marchés ouestafricains. Depuis, le groupe poursuit son développement à travers ABI, mais aussi en investissant dans l’assurance et la microfinance, via sa filiale Atlantic Microfinance for Africa (Amifa). Implanté dans 12 pays africains et 13 autres dans le monde (Europe, États-Unis et Moyen-Orient principalement), il a présenté un bilan total de 352 milliards de dirhams (31,7 milliards d’euros) en 2016, en hausse de 7 % sur un an, et son produit net bancaire (PNB) s’est monté à 15,7 milliards de dirhams (1,4 milliard d’euros), réalisé à 15 % en Afrique. Une part que la BCP veut doubler d’ici 2020, en s’étendant en zone anglophone, et notamment en Afrique de l’Est, tout en consolidant ses positions actuelles. Telle est la mission de Kamal Mokdad, diplômé de Sciences Po Paris et ancien du cabinet d’audit et de conseil Mazars. Entré dans son département Banque à Paris, il rejoint son bureau marocain en 2007 et devient associé en charge des services financiers. À partir de 2011, il prend la gestion du bureau Maroc, qui travaille avec les plus grands groupes du pays (dont la BCP). C’est fort de cette expérience qu’il se lance dans un nouveau défi, en ralliant l’équipe dirigée par Mohamed Benchaâboun.

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BCP

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RENCONTRES & REPORTAGES

Kamal Mokdad

AMB : Vous présentez des résultats positifs pour le premier semestre 2017, après une bonne année 2016. Malgré la conjoncture difficile, le secteur bancaire ne connaît pas la crise ?

PARCOURS

1974 Naissance à Meknès.

1998 Diplômé de Sciences Po Paris, il débute sa carrière au sein du département banque de Mazars à Paris.

2007 Devenu associé, il intègre le bureau marocain du cabinet de conseil, en charge des services financiers.

2011 Il prend la gestion du bureau Maroc de Mazars.

2017 Il rejoint la BCP pour prendre les rênes d’une nouvelle direction rassemblant toutes les activités du groupe hors Maroc.

Nos performances de 2016 se sont en effet confirmées sur la première moitié 2017 et nous devrions finir l’année sur la même tendance. Pour entrer dans le détail, nous avons terminé le premier semestre 2017 avec un produit net bancaire (PNB) consolidé de 8,2 milliards de dirhams (750 millions d’euros) et un résultat net part groupe de 1,5 milliard de dirhams (environ 140 millions d’euros), en hausse de 9 % par rapport à 2016. Au Maroc, nous avons recruté plus de 200 000 nouveaux clients et confirmé notre statut de premier collecteur de l’épargne nationale, aussi bien auprès des particuliers locaux que des Marocains de la diaspora. Nos filiales au Maroc ont réalisé une croissance très soutenue, avec une hausse de 17 % de leur PNB. En Afrique subsaharienne, nos filiales Banque Atlantique ont connu la même dynamique, avec une croissance de 13 % des dépôts et de 22 % des crédits sur une année, ainsi qu’un PNB en hausse de 10 %. Il est vrai que certains pays connaissent des difficultés, mais, sur notre zone d’activité, c’est-àdire les marchés francophones, on ne peut que constater une forte dynamique de fond, portée par d’importants engagements publics en particulier dans les infrastructures, par des investissements étrangers, et par le développement de la consommation avec l’émergence de classes moyennes. Tout l’enjeu consiste donc pour nous à bâtir un modèle bancaire qui accompagne durablement ce mouvement.

Quel est ce modèle ? Nous avons récemment défini une nouvelle vision stratégique pour notre présence à l’international. Pour ce faire, nous sommes partis des marqueurs qui constituent l’ADN du groupe BCP et qui ont fait son succès, et nous les avons projetés sur le continent : la solidarité, la proximité, la performance et l’innovation. Cela nous a permis de créer une vocation porteuse de sens à la fois pour nos clients, celle de contribuer au développement du continent par l’inclusion financière, et pour nos salariés, construire le premier groupe bancaire panafricain solidaire et ancré localement.

Quelle sera votre stratégie d’expansion pour les prochaines années ?

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Nous souhaitons tout d’abord nous renforcer là où nous sommes déjà actifs, en proposant de nouvelles offres à nos clients dans le cadre d’une bancarisation de masse, aussi bien à travers Banque Atlantique que notre filiale de microfinance Amifa, tout en continuant à accompagner les États dans leurs projets stratégiques. Ensuite, et en écho à la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), nous nous intéressons aux marchés anglophones ouest-africains et en particulier au Ghana et au Nigeria. Nous souhaitons également être présents en Afrique de l’Est, la deuxième région la plus intégrée du continent. Nous restons, enfin, très attentifs aux possibles opportunités dans d’autres régions de l’Afrique.

La presse marocaine a évoqué l’acquisition de Bank of Kigali. Vous confirmez ? Le Rwanda nous intéresse tout particulièrement parce que nous aimerions en faire un hub pour notre présence en Afrique de l’Est. En ce qui concerne les discussions en cours, nous ne manquerons pas d’informer le marché sur leur avancement en temps opportun.

Quelle est votre approche du marché nigérian ? Nous sommes en train de la définir, mais je peux partager deux constats. D’une part, même si notre modèle de développement a fait ses preuves en Afrique de l’Ouest, il ne pourra pas être répliqué à l’identique dans le monde anglophone en raison de la particularité de ce dernier. D’autre part, nous n’allons pas traiter ce marché de façon isolée, mais bien comme partie prenante d’un ensemble plus large, piloté d’une manière cohérente. Nous sommes absolument convaincus de l’immense potentiel du Nigeria, et le niveau de capitalisation des banques y est actuellement faible. Nous sommes en même temps conscients qu’il s’agit d’un marché spécifique, avec une tendance inflationniste, un régime de change flottant et une forte dépendance aux matières premières.

L’implantation n’est donc pas pour tout de suite ? Il faut prendre le temps d’étudier toutes les données pour élaborer un plan d’action pertinent. Notre implantation dépendra aussi des opportunités qui pourraient se présenter. Nous

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envisageons de nous appuyer en particulier sur la connaissance du terrain et le réseau des experts de notre nouveau partenaire, le fonds d’investissement Development Partners International (DPI).

En mars dernier, DPI vous a en effet rejoint au capital d’ABI en injectant 100 millions de dollars. Il s’agit d’avoir les moyens de votre développement ? Ces fonds vont certes financer un certain nombre d’opérations pour consolider notre croissance organique et externe en Afrique de l’Ouest et centrale. Mais ce n’est pas tout. Cette arrivée de DPI va aussi permettre une injection significative de devises dans plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire. Cela constitue pour nous une autre manière d’accompagner efficacement les besoins des États qui sont également nos clients. Par ailleurs, dans la perspective de l’entrée en vigueur des réglementations Bâle II et III, à partir de début 2018, nous avons jugé bon de mobiliser des ressources externes afin de faire face aux nouvelles exigences de fonds propres. Nous pourrons, enfin, collaborer pour de futures acquisitions en Afrique anglophone.

BCP

Vous avez finalisé, en juillet dernier, la prise de contrôle de la Banque internationale pour l’Afrique au Niger (BIA-Niger), deuxième institution bancaire du pays. Quelle est la prochaine étape ? Nous étions déjà présents au Niger via notre

filiale Banque Atlantique. Avec cette opération, nous détenons désormais près de 70 % du capital de la BIA. C’est une grande satisfaction pour nous et nous saluons l’implication des autorités pour l’aboutissement de ce processus. Cette acquisition nous permet de devenir leader sur le marché bancaire nigérien. Pour la suite, nous regardons de près la zone Cemac, et en particulier le Gabon et le Cameroun. Nous comptons aussi déployer l’activité de microfinance dans ces pays.

Votre groupe est-il capable de digérer une telle croissance ? Nous disposons des moyens de nos ambitions, aussi bien financiers qu’humains. Notre engagement sur le continent est ancien et il constitue un élément central de notre plan de développement stratégique « Élan 2020 ». La création récente d’une direction générale dédiée à l’international et d’une filiale de conseil, BP Shore Consulting, vient appuyer cette stratégie. Quant à nos résultats financiers, ils montrent que nos fondamentaux sont solides, avec une hausse continue

Nous regardons de près la ZONE CEMAC, en particulier le Gabon et le Cameroun. Nous comptons déployer l’activité de MICROFINANCE dans ces pays via notre filiale Amifa. AO Û T- S E P T E M B R E 2 0 1 7

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Le siège de la Banque centrale populaire (BCP), à Casablanca.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Kamal Mokdad Après le FMI, l’agence de notation Fitch s’est elle aussi inquiétée, en mai dernier, de l’exposition des banques marocaines aux crédits africains, pointant un risque de défaut sur les obligations des gouvernements locaux. Est-ce justifié ?

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de notre profitabilité et des fonds propres de 41,8 milliards de dirhams (3,7 milliards d’euros) à fin juin 2017. Nous disposons également de larges marges de manœuvre pour l’émission, si nécessaire, de dettes subordonnées.

En fin d’année dernière, le Fonds monétaire international (FMI) a mis en garde contre « les risques associés à l’expansion des banques marocaines en Afrique » en appelant à « réduire la concentration des crédits ». Qu’en pensez-vous ? Le FMI est dans son rôle lorsqu’il attire l’attention sur le poids croissant des actifs africains dans le bilan des banques du royaume. Nous prenons acte du message, mais nous pensons qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Les acteurs marocains ont choisi de se développer sur le continent et ils connaissent parfaitement les risques associés. Ce niveau de danger est surveillé de près par les établissements eux-mêmes, la Banque centrale marocaine ainsi que les autorités de régulation dans les pays d’implantation. Concernant notre groupe, ses ratios prudentiels restent nettement supérieurs aux exigences réglementaires. Au-delà de nos fonds propres, nous avons mis en place une politique de provisionnement conservatrice, incluant la constitution de provisions pour risques généraux de 3,2 milliards de dirhams (environ 295 millions d’euros) et un fonds de soutien de 3,7 milliards (340 millions d’euros) au 30 juin 2017. Nous avons également constitué des provisions pour risque pays et nous sommes le seul groupe bancaire marocain à l’avoir fait.

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Comment expliquez-vous cette différence de perceptions ? Je pense qu’il faut faire une lecture plus approfondie des risques, en analysant tous les indicateurs des banques. Au-delà, notre modèle de développement en Afrique ne correspond pas à ce qui existe ailleurs. Il est inédit et il mérite certainement d’être davantage compris par les autres acteurs, en particulier occidentaux.

Dans sa note, Fitch souligne qu’avec le rachat de Barclays Egypt le réseau africain devrait compter pour près d’un tiers des bénéfices du groupe Attijariwafa au second semestre 2017. Quelle limite la BCP s’est-elle fixée ? Nous visons 30 % du PNB consolidé à horizon 2020 ; nous sommes à 15 % aujourd’hui. C’est ambitieux, mais nous sommes confiants.

La concurrence est rude entre acteurs, qu’ils soient marocains ou africains. Y a-t-il de la place pour tout le monde ? Je ne vois pas la situation comme une compétition entre nous, Marocains, ni globalement comme une course à la taille vis-à-vis de groupes panafricains ou d’établissements nationaux. Chacun a ses objectifs dans un marché attractif, ouvert et concurrentiel. La différence se fait en termes de positionnement sur la chaîne de valeur et de capacité à innover, à intégrer les spécificités culturelles, et à proposer des services bancaires compétitifs qui répondent aux besoins des clients.

BCP

Le patron de la BCP, Mohamed Benchaâboun (à g.), et Hassoumi Massaoudou (à d.), ministre nigérien des Finances, en juillet, après le rachat de la Banque internationale pour l’Afrique au Niger (BIA-Niger) par le groupe marocain.

Sur ce sujet, je rejoins la position de la Banque centrale marocaine, qui a demandé à l’agence d’expliciter les hypothèses sur lesquelles elle s’est appuyée pour aboutir à ses conclusions. Les taux de provisionnement de nos créances sont confortables et en lien avec notre exposition. Il y a aussi tout un dispositif rigoureux d’analyse des créances saines et sensibles (watch-list) avant même d’arriver au stade des créances en souffrance. En ce qui concerne le risque de défaut sur les obligations des gouvernements locaux, nous pensons que les éventuelles crises institutionnelles ne peuvent être que temporaires. L’Afrique s’urbanise, elle est riche en ressources naturelles et agricoles, elle regorge de ressources humaines de qualité. Nous faisons confiance au continent et nous pensons que, sur le long terme, il présente un potentiel extrêmement élevé.

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« Nous avons les moyens de nos ambitions » Comment voyez-vous le secteur dans dix ans ? C’est la question que l’on se pose tous. Il y a un consensus pour dire que nous assisterons à l’émergence d’un marché plus concentré car l’actuelle compétition pour la collecte des dépôts va inévitablement se solder par un certain nombre de regroupements, avec en corollaire le renforcement des exigences en fonds propres. Un autre mouvement structurel est la digitalisation. Je donne quelques chiffres pour comprendre l’enjeu : aujourd’hui, sur le continent, on compte déjà plus d’utilisateurs de mobile money, 250 millions, que de clients bancarisés, 180 millions. En outre, le taux de croissance des premiers est cinq fois plus important que celui des seconds… En Côte d’Ivoire, par exemple, il y a 8,5 millions de clients mobile money contre 2,7 millions de clients pour les banques. Pour finir, il y aura une plus forte convergence entre les acteurs bancaires et télécoms. Ces trois piliers – concentration, digitalisation et rapprochement avec les télécoms – vont redessiner le paysage bancaire de demain sur fond de durcissement de la régulation.

Nous sommes en discussion avec des opérateurs disposant d’une présence continentale, mais aussi avec d’autres, plus locaux. Nous verrons quelles convergences d’intérêt sont possibles dans le cadre d’un partenariat stratégique dans la durée. En attendant, notre filiale ABI propose déjà des solutions liant un portefeuille électronique à un compte bancaire (account to wallet et wallet to account) ou permettant aux clients wallet d’effectuer des retraits au guichet automatique sans disposer de compte bancaire (cardless).

Le FMI est dans son rôle lorsqu’il souligne le poids des ACTIFS africains dans le bilan des banques du Royaume. Mais nous pensons il n’y a pas d’INQUIÉTUDE à avoir.

Sur le volet télécoms, avez-vous déjà identifié de possibles partenaires ?

Un retour des banques européennes est-il envisageable ? Ces dernières années ont confirmé, dans l’ensemble, la faiblesse de leur intérêt pour le continent. Il y a eu également des désengagements et des déconvenues pour certaines d’entre elles. Le modèle bancaire européen n’est pas transposable en l’état en Afrique. Bien entendu, un retour des banques européennes reste toujours possible. ❐

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RENCONTRES & REPORTAGES

Kabirou Mbodje PDG DE WARI

« Développer un groupe panafricain à vocation internationale » Engagé dans une rude bataille pour racheter Tigo, deuxième opérateur télécoms du Sénégal, il veut s’imposer comme l’un des leaders du marché des transferts « cash to cash ». En concurrence avec les grands groupes mondiaux. Entretien avec un entrepreneur au regard rivé sur l’avenir.

NICOLA LO CALZO POUR AMB

propos recueillis par Sabine Cessou

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RENCONTRES & REPORTAGES

Kabirou Mbodje

O PARCOURS

1964 Né à Lyon, il se forme en France et aux États-Unis avant de rentrer au Sénégal dans les années 1990.

2003 Il conçoit NetPay (futur CallMoney), une solution de paiement via un abonnement téléphonique.

2008 Lancement de Wari (« argent », en bambara), plateforme qui permet de réaliser des transactions financières et commerciales.

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n a beaucoup entendu parler de lui en février, lorsque Kabirou Mbodje a annoncé le rachat de Tigo, numéro 2 de la téléphonie mobile au Sénégal après Orange, avec près de 4 millions d’abonnés et 24 % de parts de marché. Pour 129 millions de dollars, son groupe Wari, opérateur privé africain spécialiste du transfert d’argent, concurrent de MoneyGram et de Western Union, entend s’offrir, fait inhabituel, la filiale d’un groupe luxembourgeois, Millicom. Sauf qu’en août, coup de théâtre, le vendeur Millicom a affirmé vouloir céder Tigo à un autre consortium, dans lequel figure l’homme d’affaires sénégalais Yérim Sow – qu’on dit en mauvais termes avec le PDG de Wari –, le patron français de Free, Xavier Niel, et Hassanein Hiridjee, à la tête du groupe malgache Axian (télécoms, immobilier, énergie et banque). Explication : « L’accord de vente signé le 2 février 2017 entre Wari et Millicom fixait au 2 juin 2017 la date butoir pour que Wari apporte les financements requis dans le cadre de la transaction, note Tigo sur son site Internet. À la date du 28 juillet 2017, soit pratiquement deux mois après la date butoir et six mois après la signature de l’accord de vente, Wari n’avait toujours pas apporté le financement requis. Le groupe Millicom a donc décidé d’exercer son droit de mettre fin à la transaction et a adressé à Wari une notification dans ce sens conformément aux termes de l’accord de vente. » Une décision que le PDG de Wari, fils de Marie Sarr Mbodje, ministre de la Santé de 1986 à 1988 au Sénégal, dénonce comme le non-respect d’un contrat qui lui laissait jusqu’à début novembre pour rassembler les fonds nécessaires au rachat. Dans un premier temps, nous avions rencontré longuement Kabirou Mbodje pour évoquer sa stratégie, en juillet dans un palace parisien. Sollicité à nouveau début août, il a ensuite répondu, de manière laconique, à nos questions. C’est que l’affaire, déjà sensible, a pris une tournure politique. Usant de ses prérogatives, l’État du Sénégal a « approuvé » le 1er août la cession de la licence (et non du groupe) de Tigo à Wari, par décret présidentiel. Un geste qui rappelle que l’opérateur local bénéficie de fortes sympathies liées à un patriotisme économique de plus en plus fort dans le pays. Les consommateurs sénégalais préfèrent, en effet, aux enseignes étrangères, notamment françaises, une marque nationale. Un

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argument patriotique également utilisé par l’autre camp : « La décision de résilier l’accord de vente a été prise dans le seul intérêt de Tigo Sénégal et des Sénégalais », souligne encore l’opérateur sur son site, contestant par ailleurs l’existence d’un processus de due diligence en cours, évoqué par Kabirou Mbodje et qui lui offrirait un délai plus long pour effectuer le paiement requis. Ce dernier, né à Lyon, formé en France et aux États-Unis et installé à Dakar depuis les années 1990, ne s’avoue pas vaincu. Prêt à porter l’affaire devant les tribunaux, il entend bien boucler son tour de table et finaliser le rachat de Tigo, qui suscite des convoitises à la hauteur des enjeux, énormes dans le domaine des nouvelles technologies. Le PDG, dont le succès dérange certains au Sénégal, tentés de le dénigrer par voie de presse, voit grand. Fondateur en 2003 de NetPay (qui deviendra plus tard CallMoney), une solution de paiement via un abonnement téléphonique, puis en 2008 de Wari, il enregistre aujourd’hui plus de 6 milliards de dollars de transactions par an et ne veut pas s’arrêter là. Affaire à suivre, donc.

AMB : Quelle est votre réaction à l’annonce faite le 1er août par Millicom de la cession de Tigo à un autre acquéreur que vous ? Kabirou Mbodje : Je m’en étonne et je la rejette. Le contrat de vente conclu en février 2017 stipulait le paiement d’un montant initial, qui a été versé, suivi d’une période de neuf mois de « due diligence », qui signifie l’étude de tous les aspects commerciaux, légaux, financiers et techniques de Tigo, devant déboucher sur le paiement du reliquat en cas de diagnostic concluant. Nous maintenons notre volonté de respecter ce calendrier et d’aller jusqu’au bout du processus d’acquisition avec un paiement au plus tard le 30 septembre, conformément aux engagements de notre banque partenaire.

Quel est votre jugement sur l’attitude du consortium concurrent ? Sur cette question, Wari s’est exprimé par voie de communiqué de presse, dont je reprends les termes. Après la signature de l’accord en février entre Wari et Millicom, le consortium concurrent nous a proposé d’être le partenaire technique, mais avec une offre de rachat revue à la baisse et pas plus de 5 % à 10 % des parts sociales pour Wari. Par patriotisme, j’ai catégoriquement refusé

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« Développer un groupe panafricain à vocation internationale »

cette offre. Il est regrettable que des acteurs économiques sénégalais puissent être associés à ce que Wari considère comme une manœuvre qui va à l’encontre des intérêts sénégalais et africains. À présent, seule l’issue de la transaction m’intéresse.

CLÉMENT TARDIF

À quelle stratégie correspond votre volonté d’acquérir Tigo ? Avec cette acquisition, Wari entend développer un groupe panafricain à vocation internationale, leader dans le déploiement de solutions digitales. Nous voulons nous appuyer sur le réseau mobile de Tigo, le deuxième du Sénégal, à la fois en termes technologiques (cartes SIM, codes USSD) et au niveau des utilisateurs potentiels, soit 3,9 millions de personnes. Grâce aux transferts de compétences et aux effets de réseau, nous souhaitons amener sur le marché sénégalais une variété de nouveaux services et solutions digitales. Plus globalement, je pense que chaque acteur doit occuper le rôle qui lui revient. Les banques prêtent de l’argent, les opérateurs télécoms s’assurent de la connectivité, et aux fintech d’innover !

Bénéficiez-vous d’un certain nationalisme qui fait que les Sénégalais vont préférer Tigo

à Orange parce que c’est un opérateur local ? Nous nous sommes rendu compte de l’importance de cette préférence nationale dans les commentaires autour du rachat rapportés par la presse. Les gens aspirent à construire par euxmêmes et ils magnifient les exemples donnés par le secteur privé africain. Les citoyens comprennent qu’il est possible de voir plus grand, de faire des choses au-delà de son microcosme, de son quartier. Nous montrons de notre côté qu’il est possible de créer de la richesse de manière globale. Mais l’adhésion à un opérateur national dépend aussi du service assuré. Il faut devenir légitime.

Il est REGRETTABLE que des acteurs économiques sénégalais puissent être associés à ce que Wari considère comme une manœuvre qui va à l’encontre des INTÉRÊTS nationaux et africains. AO Û T- S E P T E M B R E 2 0 1 7

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Wari (ici son siège à Dakar) ambitionne de devenir l’équivalent africain de Visa.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Kabirou Mbodje

Qui sont vos concurrents ? Sur chacun de nos segments d’activité, nous avons des concurrents, mais le groupe en luimême n’en a pas. Nous avons construit un modèle assez unique.

Les réseaux financiers de la confrérie mouride sont-ils vos concurrents ? Non, pas du tout, ils utilisent Wari à fond.

Vous ont-ils inspiré ? Ils représentent un modèle transactionnel direct, dématérialisé et fondé sur la confiance. Depuis New York, on passe un coup de fil à Touba, et l’argent est transféré. Ce système n’est toutefois pas exponentiel car il ne dépasse pas le cercle communautaire.

En quoi Wari est-il différent des banques classiques ? Ces dernières s’adressent au secteur formel, autrement dit aux structures conventionnelles, sociétés anonymes ou à responsabilité limitée, PME-PMI comme on les appelle, c’est tout. Et même cette clientèle n’est pas servie correctement… Au Sénégal, 90 % de l’économie est composée d’entrepreneurs individuels. La microfinance se développe sans être adaptée au terrain. À mes yeux, c’est un terme péjoratif pour décrire un service qui consiste à copier la banque classique avec des montants plus faibles mais en recourant toujours à des taux d’intérêt. Or, cette notion n’est pas comprise par les sociétés, en particulier musulmanes. En revanche, le partage du revenu est accepté. Si on prend le cas d’un taxi, son chauffeur donne par exemple 10 000 francs CFA par jour, une partie fixe de son revenu total, au propriétaire de la voiture. On verse 1 sur 10 tout en gardant les 9 restants. Wari s’inspire de ce modèle : il prend une commission sur les transactions et services, sans les limiter à une clientèle qui aurait un compte et une carte Wari.

On parle de l’INFORMEL comme s’il fallait l’éradiquer, alors qu’il s’agit de la façon africaine de faire des transactions. Les SERVICES financiers doivent s’y ADAPTER – et non l’inverse.

Participez-vous à la bancarisation ?

Avoir un compte en banque ou un porte-monnaie électronique ne sert à rien, si l’on n’a pas d’argent dessus. L’inclusion financière se pose surtout en termes spatiaux en Afrique – avec des gens dans des zones rurales qui n’ont pas accès aux services ni aux biens de consommation.

En quoi êtes-vous différent de M-Pesa ? Wari est unique et différent de M-Pesa au

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Kenya. Ce moyen de paiement n’existe que parce que ses clients sont connectés. Les opérateurs télécoms copient tous M-Pesa, mais le modèle reste très fermé : les porte-monnaie s’adressent à leurs propres clients. Si je veux utiliser un autre système, c’est impossible. Si je veux payer en cash, la transaction ne sera pas non plus visible dans M-Pesa. Wari, au contraire, est complètement ouvert et inclusif. Chacun peut utiliser son portemonnaie électronique ou sa carte de paiement ou de l’argent liquide. Nous sommes une plate-forme qui agrège les solutions de paiement. Il y a des cartes, comptes et services Wari, mais aucune obligation d’être client pour effectuer des transactions. Aucune banque n’offre sa propre carte à ses clients, mais une Visa ou MasterCard – un standard international. D’où la dynamique transactionnelle qui s’ensuit, générant énormément de valeur ajoutée. À un moment donné, en Afrique, il faudra construire un produit de la même envergure, permettant d’échanger de façon rapide et sécurisée, quelle que soit la position géographique et quel que soit le type de paiement, pas seulement via le téléphone.

En englobant les transferts qui proviennent de l’étranger et qui représentent 13 % du PIB du Sénégal par exemple ? On parle toujours de cette question de façon assez triviale, comme si les gens envoyaient de l’argent, point. En réalité, ces transactions sont des paiements déplacés. Nous avons remarqué à Dakar qu’une antenne Wari dans une stationservice située près de l’Assemblée nationale faisait 500 à 600 transactions par jour, contre 100 à 150 en moyenne sur le reste du réseau. Puis, nous avons réalisé qu’à 30 mètres de la stationservice se trouvait l’hôpital principal et, un peu plus loin, un autre, Le Dantec. La station-service était devenue la caisse déportée des hôpitaux. Le niveau des transactions y est d’ailleurs retombé dès que nous avons placé un point de vente Wari au sein de l’hôpital. Nous rapprochons les moyens de paiement des lieux où l’argent est dépensé, dans les pharmacies, les hôpitaux, les boutiques… Et les transferts de l’étranger diminuent avec la progression des paiements directs.

Que pensez-vous des discours qui estiment que les transferts de la diaspora, parce qu’ils représentent plus que les investissements directs étrangers ou l’aide publique au développement, devraient servir à financer l’essor des pays ? Quantifier – la Banque mondiale évoque le chiffre de 60 milliards de dollars par an – puis

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« Développer un groupe panafricain à vocation internationale » dire qu’on devrait s’en servir pour financer le développement ou investir me paraît une façon ridicule de voir les choses. Aucune somme n’est mise sur un compte en banque ! Elle est dépensée aussitôt… Ces transferts rendent possible la consommation de produits de base, l’achat de sacs de riz, le règlement de notes d’électricité, de frais de scolarité, d’ordonnances du médecin. Cela participe au développement. L’offre d’investissement doit être construite à côté de ces canaux de transactions quotidiens.

L’objectif est-il de permettre à ceux qui envoient de l’argent de mieux contrôler son utilisation ? Oui. Certaines personnes paient souvent deux fois pour le même besoin. On les appelle une première fois pour leur dire que le courant a été coupé. Elles envoient de l’argent, qui part dans une autre consommation. La semaine suivante, la mère de famille rappelle parce qu’il n’y a toujours pas d’électricité. Il lui faut encore régler cette facture…

Comment analysez-vous la révolution numérique en Afrique ? Elle n’a rien de spécifique au continent puisqu’elle est globale, avec cependant un taux de pénétration d’Internet variable dans les pays africains, qui n’ont pas d’histoire longue en matière de moyens technologiques de paiement et d’échanges. De ce fait, ils ont du mal à progresser sur le digital. Cela tient à la nature même des sociétés, parfois très cloisonnées, fonctionnant en cercles fermés autour du clan, de la caste, de l’ethnie ou des catégories sociales. Là réside, à mon sens, le frein à l’émergence de marchés communs sur le continent, marqué par des échanges interafricains très faibles. Malgré tous ces « moins », il y a de l’espoir car le numérique permet de pallier toutes ces lacunes. En dépit de son handicap, ou à cause de lui, l’Afrique est le laboratoire des économies de demain.

JANLUI GOMIS

On évoque souvent le grand bond en avant technologique en cours sur le continent, qui utilise le téléphone mobile et le portemonnaie électronique sans être passé par la case téléphone fixe ou carnet de chèques… Il n’y a pas d’historique, donc pas d’inertie. C’est un atout. En fait, l’Afrique saute les étapes intermédiaires : nous l’avons vu avec la téléphonie, nous sommes en train de le vivre avec le digital. Le fait d’avoir d’abord eu en Europe le téléphone fixe, qui impliquait de tirer des fils de cuivre partout, a été un facteur de résistance au changement à l’ère du mobile : le téléphone fixe a représenté

un travail et un investissement énormes, qu’il fallait amortir. Les usagers n’avaient pas tous envie de changer d’habitudes. Sur le continent, nous n’avons pas eu accès au téléphone, ni aux services bancaires. Non pas en raison de la pauvreté, car de l’argent circule, mais parce que les systèmes économiques réels ne correspondent pas à l’offre bancaire classique.

Est-ce en raison du poids du secteur informel ? Le terme en lui-même a une connotation péjorative. On parle de l’informel comme s’il fallait l’éradiquer alors qu’il s’agit d’une culture et de la façon africaine de faire des transactions, à laquelle les services et moyens de financements doivent s’adapter – et non l’inverse. Nous sommes partis de ce constat avec Wari. Nous avons essayé de « customiser » l’existant, c’est-à-dire les services bancaires classiques. Puis, nous sommes allés plus loin avec des produits plus sophistiqués : paiement de factures, recharge de crédit pour les téléphones mobiles, jeux et loterie. Le secteur est très dynamique, avec des cycles de fonctionnement très rapides et propices au digital, qui permet d’accélérer la transaction.

Quels sont ces cycles ? La culture économique en Europe correspond à un calendrier mensuel, qui imprime sa vitesse de croisière à l’économie – paiement des salaires, des factures, remboursement des crédits et cycles de consommation. Dans le monde anglo-saxon, cette temporalité est plus rapide, à la semaine, et implique une création de valeur ajoutée accélérée. « Friday, pay day », comme on dit. En Afrique, ce cycle est quotidien ! D’où le terme de « dépense quotidienne » (DQ) au Sénégal, qui n’est pas anodin. Personne n’a pris la peine d’analyser ce que la « DQ » signifie… Or, chaque jour commence un nouveau cycle, sur lequel il faut caler le système de financement, avec les outils qui permettent de le suivre, via des transactions journalières aussi nombreuses que promptes. Les Africains eux-mêmes n’ont pas conscience de la force de ce système.

LE GROUPE DÉC RE 212 MILLIONS D’UTILISATEURS ET 1 MILLION DE TRANSACTIONS PAR JOUR, SOIT PLUS DE 6 MILLIARDS DE DOLLARS DE FLUX ANNUELS.

Quel serait votre objectif d’ici dix ans ? Je voudrais que chaque personne sur la planète ait Wari dans sa poche, comme compagnon. C’est la raison ultime du partage : chaque segment de la société, où que vous soyez, vous profitera. Si l’on considère l’autre comme une opportunité de générer du revenu pour soi-même, on ne va pas le tuer ! On ne va pas lui faire la guerre… ❐

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WARI COMPTE 348 SALARIÉS ET 18 000 AGENTS INDÉPENDANTS, 500 000 POINTS DE VENTE (DONT 2 0 000 AU SÉNÉGAL) ET 15 2 BANQUES PARTENAIRES DANS PLUS DE 60 PAYS.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Émergence Le gouvernement met en avant la bonne gouvernance, le climat des affaires et la vitalité d’une économie dopée par l’aide internationale. Mais la réalité, évidemment, est plus complexe. Enquête.

Rwanda, le miracle et ses limites

par Saith Kroub, à Kigali

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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/REA

Place de la Constitution, dans le centre-ville de Kigali.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Émergence

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ur le papier, c’est le paradis des businessmen : a environ cinq ans. Avec ces réformes, le Rwanda a réussi à se « 7 % de croissance en moyenne durant les placer sur la carte mondiale des pays attractifs. En 2016, il a vingt dernières années, c’est quand même attiré un peu plus de 400 millions d’euros d’investissements impressionnant ! », s’enthousiasme Alun Thodirects étrangers, principalement dans le secteur manufactumas, le représentant spécial du Fonds monérier. L’entreprise chinoise C&H Garment, spécialisée dans la taire international (FMI) dans le pays. Sans fabrication de vêtements, s’est installée dans la zone éconoconteste, vingt-trois ans après la fin du génomique spéciale, située à une dizaine de kilomètres du centrecide de 1994, la transformation du Rwanda ville. Le géant argento-brésilien Positivo BGH a construit la est radicale. L’ombre des immeubles de verre s’étend sur des première usine d’assemblage d’ordinateurs en Afrique au rues étincelantes de propreté. La sécurité est érigée en priorité même endroit. Mais c’est certainement la promesse d’invesnuméro un. Disciplinés, les habitants s’affairent, nettoient et tissement du géant mondial Volkswagen, fin 2016, qui a eu le travaillent. Le produit intérieur brut (PIB) a été multiplié par plus de retentissement. Si le groupe en est toujours à l’étude cinq en vingt ans, atteignant désormais à près de neuf milde marché, il devrait implanter une usine d’assemblage d’une liards d’euros. Et son taux de croissance continue d’atteindre capacité annuelle de 5 000 véhicules utilisant des technologies des niveaux records, 6,2 % cette année et 6,8 % l’an prochain vertes. Un projet chiffré à environ 30 millions d’euros, selon selon les prévisions du FMI. nos informations. « La vitalité de l’économie dépend encore largement de Pour autant, si Kigali espère évidemment attirer des invesl’aide internationale [environ 35 % du budget, NDLR] mais, tissements dans le secteur industriel, le Rwanda ne deviendra au moins, le pays a une vraie vision, il sait faire bon usage pas le prochain Vietnam, affirment plusieurs observateurs. de ces fonds », ajoute Alun Thomas. D’ailleurs, les rapports Car, malgré ses atouts et ses efforts, le pays doit aussi comdes institutions financières internationales et la presse écoposer avec de lourds déficits. « Le faible niveau des ressources nomique sont unanimes, souvent dithyrambiques, parlant humaines, la mauvaise qualité des infrastructures, l’absence même de « miracle ». L’État confetti, dirigé par Paul Kagame de côte maritime, les coûts élevés d’exploitation, l’insuffidepuis 2000, est ainsi classé par la Banque Mondiale comme sance des ressources naturelles et l’instabilité politique de la le deuxième pays africain où il est le plus facile de faire des région sont les facteurs qui limitent l’attrait potentiel du pays », affaires après l’île Maurice. Dans l’optique de devenir « busiindique la banque BNP Paribas dans une note destinée aux ness friendly », le Rwanda Development Board (RDB), l’agence étatique en charge du développement économique, a décortiqué les critères de l’institution de Bretton Woods et s’emploie à progresser point par point. « Il ne m’a fallu que trois heures LES CHIFFRES CLÉS pour enregistrer mon entreprise, c’était très rapide et efficace, témoigne un entrepreneur préférant conserver l’anonymat. Toutefois, c’est après que les difficultés commencent. » « Le RDB déroule le tapis rouge aux investisseurs mais le Rwanda Revenue Authority [le fisc, NDLR] ne tiendra pas forcément le même discours », confirme SUPERFICIE : 26 338 KM2 Alun Thomas. « Le régime de taxation est parfois POPULATION : 11,8 MILLIONS imprévisible », reconnaît également un diploDENSITÉ : 448 HABITANTS/KM2 mate européen en poste dans la capitale rwandaise. TAUX DE CROISSANCE EN 20 17 : 6,2 % (PRÉVISIONS FMI)

MONTANT DE LA DETTE EN 20 16 : 44,2 % DU PIB HARO SUR LA CORRUPTION Reste qu’en termes de gouvernance, PIB EN 20 16 : 8,49 MILLIARDS D’EUROS de l’avis de tous, le pays est le « bon élève » PIB / HABITANT : 732 DOLLARS du continent. Car, pour cocher une case RANG IDH (indice de développement humain) : 15 9 e SUR 18 8 supplémentaire, la lutte contre la TAUX D’ALPHABÉTISATION EN 20 15 : 85 % corruption a été érigée en priorité nationale. « Au début, les INVESTISSEMENTS DIRECTS autorités locales m’ont rendu ÉTRANGERS (IDE) : visite, mais je n’ai jamais eu 410 MILLIONS EN 20 16 à payer de dessous de table », reprend le chef d’entreprise qui a démarré son activité il y

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Rwanda, un miracle en trompe-l’œil

Conscientes de ces CARENCES, les autorités ont développé une stratégie « VISION 2020 », dont l’objectif principal – « inatteignable », disent certains – est de devenir un pays à revenu INTERMÉDIAIRE dans les trois ans.

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Vue aérienne de la périphérie de Kigali.

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RENCONTRES & REPORTAGES

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investisseurs publiée en 2016. D’autant que les opportunités sont assez limitées au Pays des mille collines. « Nous sommes face à un marché minuscule, avec une classe moyenne qui représente au maximum 200 000 personnes, sans doute beaucoup moins. C’est pour cela que la plupart des entreprises préfèrent s’installer à Nairobi ou Dar es-Salaam », note le diplomate européen. « Il y a une très grande différence entre les discours et la réalité, résume un chef d’entreprise installé depuis plusieurs années dans le pays. La croissance vient principalement du secteur de la construction, financée par l’aide internationale et la dette. Il n’y a pas de consommation, une toute petite classe moyenne. » Malgré la propreté des rues et son apparent dynamisme, le Rwanda reste en effet l’un des vingt États les plus pauvres du monde avec un PIB par habitant et par an inférieur à 750 dollars. La moitié de sa population vit avec moins de deux dollars par jour. Et, selon la Banque mondiale, il est le plus inégalitaire de la région. Conscientes de ces carences, les autorités ont développé une stratégie de développement, baptisée « vision 2020 », dont l’objectif principal – « inatteignable », disent certains – est de devenir un pays à revenu intermédiaire dans les trois ans. Cette « vision » s’appuie sur trois piliers : une agriculture moderne, le tourisme d’affaires et de luxe, et les nouvelles technologies. Autrefois essentiellement exportateur de thé et de café, Kigali se positionne désormais comme une économie de services (déjà environ 50 % du PIB) et se rêve en roi de la « tech africaine ». Le pays met d’ailleurs la main au portemonnaie, à hauteur d’environ 500 millions de dollars selon le RDB, pour y parvenir : plus de 3 500 kilomètres de fibre optique ont été déployés ces dernières années, la 4G couvrait déjà 60 % du territoire l’an passé et environ 250 millions d’euros seront injectés dans la future « Innovation City » qui doit voir le jour en périphérie de Kigali, dans la zone économique spéciale. « Nous allons réunir sur un même site les différentes composantes de l’économie de la connaissance et ainsi accélérer la croissance des nouvelles technologies », se réjouit Serge Mutabazi, directeur en charge du projet au sein du RDB. Concrètement, le campus doit rassembler les futures têtes pensantes du continent grâce à la présence d’antennes de l’université américaine Carnegie Mellon, de l’Institut africain des sciences mathématiques et du Centre international des physiques théoriques avec l’espoir d’attirer des multinationales pour nourrir cet écosystème. FOLIE DES GRANDEURS Outre les nouvelles technologies, les autorités ont fait un autre pari ambitieux : devenir le hub continental du tourisme d’affaires. Le Kigali Convention Center, une enceinte impressionnante de 2 500 places (voir AMB n° 18), est le nouveau symbole de la capitale rwandaise. Même si les critiques vont bon train sur son coût – 300 millions de dollars de fonds publics officiellement, mais plus de 800 millions selon certains observateurs –, l’enceinte ne désemplit pas depuis son inaugu-

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LE FPR, PARTI CAPITALISTE ?

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mniprésent sur la scène politique, le Front patriotique Rwandais (FPR) l’est aussi dans le domaine économique. Son fonds d’investissement Crystal Ventures, dont le président n’est autre que celui du FPR, c’est-à-dire le chef de l’État, Paul Kagame, disposerait d’environ 500 millions de dollars d’actifs. Les entreprises lui appartenant en totalité ou en partie ont pignon sur rue et sont présentes dans la plupart des secteurs d’activité, de l’agroalimentaire à la sécurité en passant par les télécoms et le BTP. Crystal Ventures est d’ailleurs le second employeur national après l’État. L’une de ses sociétés, Inyange Industries, est le leader national des jus, du lait et des yaourts. Une autre, ISCO, est la seule entreprise de sécurité du pays dont les employés peuvent porter des armes. La plupart des marchés de BTP sont remportés par NDP Cotraco, autre possession du fonds, ou Horizon construction, qui appartient, lui, au ministère de la Défense. « C’est faux, se défend un ancien dirigeant de l’une de ces sociétés. Dans les faits, les entreprises chinoises remportent les plus gros marchés. » Reste que cette imbrication des intérêts privés et publics sème le doute et que, en réalité, les élites politiques et économiques sont les mêmes. « Nous ne sommes pas sûrs que le secteur privé soit aussi libre et transparent qu’il devrait l’être », estime un diplomate européen. Crystal Ventures n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Mais Paul Kagame répète à l’envi que le parti a investi « dans des domaines qui n’intéressaient pas, au départ, le secteur privé ». Plus de vingt-trois ans après la fin du génocide, le FPR est toujours là. ❐ S.K.

ration l’année dernière : sommet de l’Union africaine, World Economic Forum in Africa, réunion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), assemblées générales d’Afreximbank, entre autres. « Dans beaucoup de cas, c’est le gouvernement qui invite, nous ne voyons pas comment ils vont réussir à le rentabiliser », commente un bon connaisseur du pays. Suivant la même stratégie, le gouvernement investit massivement dans sa compagnie nationale, Rwandair. En sept ans, il a acheté pas moins de treize appareils, dont deux Airbus A330 et six Boeing 737, soit plus de 1 milliard d’euros de dépenses au prix catalogue. Le transporteur national dessert désormais plus de 20 destinations, principalement en Afrique, mais aussi en Asie avec Bombay et Dubaï, et en Europe avec Londres et Bruxelles. Là encore, en privé, des voix s’interrogent sur l’opportunité d’une telle dépense et la stratégie qui la sous-tend. D’autant

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Rwanda, un miracle en trompe-l’œil

PRÉSIDENCE DU RWANDA/XINHUA/REA - MAX SMOLYAR

Surnommé « l’homme fort du Rwanda », Paul Kagame dirige le pays depuis 2000. Ici, en juin dernier, lors de la conférence de presse qui a suivi le dépôt de sa candidature à la présidentielle du 4 août dernier.

que l’exécutif a annoncé la construction d’un nouvel aéroport international, via un partenariat public-privé avec le groupe portugais Mota-Engil, pour un montant de plus de 700 millions d’euros. Cette folie des grandeurs inquiète nombre d’observateurs. Mais, au FMI, on se veut rassurant : « Ils sont en train de mettre leurs infrastructures en place, explique Alun Thomas. Miser sur les services est la bonne stratégie, et la dette demeure inférieure à 50 % du PIB. En revanche, le secteur privé va devoir prendre le relais rapidement, car le pays ne pourra pas continuer à emprunter au même rythme. » Plusieurs acteurs affirment pourtant que le Rwanda n’a pas le choix. Les historiens de la région rappellent que le pays est confronté depuis longtemps à une réalité inexorable, qui a été l’une des causes du génocide : trop de monde sur trop peu de terres arables avec trop peu de ressources naturelles. Déjà le plus densément peuplé d’Afrique, il devrait voir sa population passer d’environ 12 millions de personnes en 2016 à plus de 16 millions en 2030, soit une hausse d’un tiers en moins de quinze ans. Alors la stratégie actuelle n’est pas seulement un choix, mais aussi une question de survie. Et seul l’avenir dira si ce pari risqué a été payant. ❐

Symbole de la renaissance de Kigali, son centre de convention dernier cri. Un investissement de 300 millions de dollars inauguré l’an passé.

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Henok Teferra DIRECTEUR GÉNÉRAL D’ASKY

« Des acteurs locaux forts sur notre propre marché » Pur produit de l’école Ethiopian Airlines, il dirige depuis deux ans Asky, la compagnie panafricaine qui monte. Avec l’an dernier des bénéfices à la clé, une première depuis sa création en 2008. La conjoncture reste complexe, mais les ambitions sont là, comme les promesses potentielles du secteur. propos recueillis par Estelle Maussion

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e passage à Paris, Henok Teferra donne rendez-vous près de la place SaintMichel, quartier où il a vécu lorsqu’il étudiait le droit à la Sorbonne. Expert et traducteur au ministère des Affaires étrangères éthiopien, il se destinait à une carrière de diplomate lorsqu’en 2010 le patron d’Ethiopian Airlines de l’époque, Girma Wake, lui propose de le rejoindre. Audacieux, le jeune Henok accepte et, deux ans plus tard, devient vice-président de la compagnie en charge de la stratégie et des alliances. À ce poste, il participe à l’essor du transporteur, devenu leader sur le continent. En 2015, nouveau défi : il se voit confier, à 40 ans, les commandes d’Asky Airlines, compagnie d’Afrique de l’Ouest dont Ethiopian est actionnaire depuis sa création aux côtés de la Banque d’investissement et de développement de la Cédéao, la Banque ouest-africaine de développement et Ecobank. Sa mission : asseoir le développement de la compagnie dont le siège et hub logistique se situe à Lomé, la capitale du Togo. Un an après sa prise de fonction, en juin 2016, elle annonce avoir réalisé des bénéfices sur l’exercice 2015 : 2,2 milliards de francs CFA (3,35 millions d’euros) pour un chiffre d’affaires de 104 millions d’euros et 515 000 passagers transportés. Une première. Depuis, Asky tient bon, desservant 23 villes dans 19 pays avec une flotte de huit avions. La compagnie a aussi été plusieurs fois récompensée pour la qualité de son service. Serein face à l’adversité, son patron veut poursuivre son expansion, appelant à la libéralisation du marché aérien africain.

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PATRICK GÉLY POUR AMB

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Henok Teferra

AMB : L’an passé, vous annonciez vos premiers bénéfices depuis la création de la compagnie en 2008. Qu’en est-il cette année ?

PARCOURS

Elle a été difficile en Afrique de l’Ouest et centrale, où le ralentissement de l’activité économique a entraîné un tassement du trafic aérien. Nous avons aussi été touchés par la dépréciation du naira au Nigeria, qui constitue notre premier marché. Ce pays et les autres de la zone ont dû faire face à une chute de leurs recettes, à des difficultés financières et budgétaires. Cela explique que nous attendons un résultat à l’équilibre ou en léger déficit.

1975

Maintenez-vous vos projets d’expansion malgré la conjoncture ?

Naissance à Addis-Abeba.

Absolument. Nous allons mettre en service un nouvel appareil, un 737-800, configuré avec 154 places, pour réaliser de nouvelles liaisons. Maintenant que nous avons un solide réseau sous-régional, nous voulons sortir de notre zone pour aller sur d’autres continents et desservir des destinations importantes comme Paris, Londres, Beyrouth, entre autres. Pour Paris, cela devrait intervenir dès 2018. Nous sommes en train d’étudier les modalités concrètes, le choix de l’appareil à affréter, la fréquence de vol, l’obtention des autorisations. Ce sera une étape importante dans la vie de notre compagnie.

1998 Diplômé de droit international économique à la Sorbonne à Paris.

2003 Il intègre le ministère éthiopien des Affaires étrangères.

2010 Il rejoint Ethiopian Airlines et devient vice-président deux ans plus tard.

2015 Il est nommé à la tête d’Asky Airlines, dont Ethiopian est actionnaire à hauteur de 26 %.

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N’est-ce pas risqué ? Le marché lucratif ne se situe pas en Afrique, mais sur ces destinations, où il y a d’importants volumes et une bonne rentabilité. Logiquement, il y a également une forte concurrence. Il faut donc élaborer la bonne offre dès le départ et se battre pour percer.

Pour revenir sur le continent, le lancement du vol Lomé-Johannesburg, opéré en partage de code avec Ethiopian et prévu pour juillet, a été reporté. Pourquoi ? Nous avons décidé de décaler son ouverture au 10 décembre. Il fallait faire un travail de promotion de cette liaison beaucoup plus important. Pour nous, il s’agit d’offrir une nouvelle destination à nos clients en provenance de la sousrégion, que ce soit Accra, Lagos ou Abidjan, entre autres. Comme pour chacune de nos liaisons, notre objectif est de la rentabiliser au plus vite. Il faut donc la faire connaître, mais aussi proposer les meilleurs horaires et un tarif compétitif. Après Johannesburg, nous pensons à Casablanca, peut-

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être pour l’an prochain. Et, à terme, à Nairobi. Sur notre zone, il y a aura aussi des vols vers le nord du Nigeria et vers Port-Harcourt. Bref, nous continuons à investir pour assurer notre développement. Nos résultats positifs de l’an passé, historiques pour nous et à l’échelle du secteur aérien ouest-africain, témoignent du bien-fondé de notre modèle, de notre partenariat avec Ethiopian Airlines et de notre travail au quotidien.

Vous parlez de la pertinence de votre modèle. Quel est-il ? Nous sommes une compagnie privée, qui fonctionne sans aucune subvention. Notre business model est entièrement fondé sur le jeu de l’offre et de la demande, à partir de notre hub de Lomé, connecté à l’ensemble de la sous-région. Nous obéissons aux règles du marché, en opérant selon des considérations commerciales. Hélas, sur le continent, ce n’est pas la pratique la plus répandue.

Les États sont en effet très présents dans le secteur. Le gouvernement kenyan vient de renflouer Kenya Airways ; Air Sénégal va être relancée à grand renfort de capitaux

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« Des acteurs locaux forts sur notre propre marché »

publics ; même Ethiopian, votre partenaire, est une société entièrement publique…

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Un transporteur porte-drapeau, détenu par des capitaux publics, n’est pas un problème en soi. Ce n’est pas la structure de l’actionnariat, l’identité du ou des propriétaires de la compagnie qui importe, mais son mode de fonctionnement. Estce qu’elle agit pour répondre à une demande avec un produit le plus compétitif possible en fonction de ses coûts, ou bénéficie-t-elle de subventions ou d’un environnement protégé qui lui permettent de proposer des tarifs déconnectés du marché et de ses frais ? Le souci, c’est lorsque nous sommes dans le deuxième cas de figure, lorsque des compagnies, qu’elles soient privées ou publiques, ne sont pas gérées pour être viables économiquement. C’est ce qui explique les pertes importantes enregistrées par le secteur en Afrique, autour de 500 millions de dollars l’an dernier. C’est ce qui explique aussi que beaucoup de transporteurs apparaissent puis disparaissent.

Les coûts d’exploitation sur le continent sont parmi les plus élevés au niveau international. Comment tenez-vous l’équation financière ?

En Afrique de l’Ouest, ils sont deux fois plus chers que dans d’autres parties du monde, ce qui entrave le développement des compagnies aériennes basées dans la sous-région et les rend beaucoup moins compétitives que celles implantées ailleurs. Nous avons donc mis en place des partenariats, notamment avec Ethiopian, actionnaire à hauteur de 26 %, pour mutualiser nos moyens et assurer notre essor. Tout d’abord, cela passe par une alliance commerciale avec l’instauration de partage de code. Ethiopian vend des places sur les vols d’Asky et inversement : cela nous permet de remplir nos vols et de maximiser nos revenus tout en générant du trafic vers Addis-Abeba, ce qui est gagnant-gagnant. Nous

Aujourd’hui, les compagnies ÉTRANGÈRES réalisent 80 % de l’activité sur le continent. C’est donc face à elles qu’il faut GAGNER des parts de MARCHÉ. AO Û T- S E P T E M B R E 2 0 1 7

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La compagnie a fait de l’aéroport international GnassingbéEyadéma de Lomé son hub logistique et stratégique. Elle dispose d’une flotte de huit appareils desservant 23 destinations.

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Henok Teferra

avons aussi des partages de code avec Air Burkina par exemple. Ensuite, notre partenariat nous permet de louer des avions aux mêmes conditions qu’Ethiopian, donc à des prix deux à trois fois inférieur à ce que nous obtiendrions seul. Même chose, enfin, avec les services de maintenance et de formation. En utilisant ceux d’Ethiopian, nous avons accès à des tarifs 30 à 40 % moins chers que ceux pratiqués par les autres fournisseurs. C’est uniquement de cette façon, en créant des alliances africaines, que les transporteurs locaux pourront survivre et même gagner des parts de marché sur les compagnies étrangères, qui sont nos véritables concurrents.

Pourtant, aujourd’hui, on a plutôt l’impression que c’est chacun pour soi… Oui, parce qu’il faut changer les mentalités. Il faut penser au moins régional et, de préférence, continental. Je ne dis pas cela seulement parce qu’Asky a, depuis le départ, une vision et une ambition panafricaine. Nos marchés nationaux étant étroits, il faut viser a minima un marché sous-régional pour obtenir un volume de trafic permettant de dégager des marges. Par ailleurs, dans un monde globalisé, nous ne nous en sortirons qu’en travaillant ensemble. Aujourd’hui, l’ensemble des transporteurs africains ne représentent que 20 % du trafic sur le continent. Autrement dit, ce sont des compagnies étrangères – européennes, moyen-orientales et autres – qui réalisent 80 % de l’activité. Si nous en sommes là, c’est parce que ces dernières ont fait ce qu’il fallait et nous non. C’est donc face à elles qu’il faut gagner des parts de marché pour rééquilibrer la situation et augmenter la part du gâteau qui revient aux acteurs africains. Or, cela ne pourra se faire qu’en nouant des alliances entre nous.

Nous ne considérons pas les compagnies africaines comme des CONCURRENTS. Au contraire, nous pensons qu’en augmentant le poids des acteurs continentaux, il y aura de la PLACE pour tout le monde.

Avec Air Côte d’Ivoire, par exemple, souvent présenté comme votre concurrent direct car actif sur la même zone ? Au regard de ce que je viens de vous dire, nous ne considérons pas les compagnies africaines comme des concurrents. Au contraire, nous pensons qu’en augmentant le poids des acteurs continentaux, il y aura de la place pour

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tout le monde. Asky et Air Côte d’Ivoire sont sur le même marché, de la même façon qu’en Europe, toutes proportions gardées, Air France et Lufthansa sont actifs sur la même zone. On a tendance à monter les acteurs africains les uns contre les autres alors qu’il y a de la place pour chacun et qu’il y en aura également à l’avenir. Il faut des acteurs locaux forts pour reprendre des positions sur notre propre marché, de plus en plus attractif avec l’essor démographique, le développement des classes moyennes et des échanges. Il faut coopérer et, surtout, laisser jouer la concurrence pour qu’émergent les meilleures offres.

C’est-à-dire libéraliser le ciel africain, un projet lancé il y a des années, mais qui tarde à se concrétiser… Il faut en effet que les décisions politiques suivent afin de créer un environnement favorable au développement de l’aérien. Ce dernier doit être considéré comme un secteur à part entière, et non pas comme un luxe. Actuellement, les charges (taxes aéroportuaires) représentent 40 à 50 % du prix du billet… Avec la création d’un marché unifié, la situation est en train de changer. Il faut donner les autorisations de voler et de s’établir, desserrer l’étau en termes de réglementations et de taxes.

Est-on sur la bonne voie ? Oui, en Afrique de l’Ouest et centrale, la liberté de circulation est déjà une réalité. Il y a une prise de conscience de la nécessité de renforcer l’intégration régionale et continentale. Il convient d’aller plus loin plus vite. Les États ont déjà compris l’intérêt d’investir dans les infrastructures aéroportuaires, décision stratégique pour augmenter les flux de marchandises et de personnes ainsi que pour aider d’autres secteurs, dont le tourisme par exemple. Regardez ce qui a été fait à Lomé, où la nouvelle aérogare a renforcé l’attractivité de l’aéroport et du pays.

Comment voyez-vous le secteur aérien africain dans dix ans ? Il n’y a pas de raison pour que sa maturation soit différente de ce que l’on a observé ailleurs dans le monde. À terme, il devrait donc y avoir trois ou quatre grands acteurs, des transporteurs low cost et de plus petites compagnies, ce qu’on appelle les « feeders », fournissant le flux de passagers aux premiers. Certes, nous en sommes encore loin, mais, les choses changent vite. Et, sur la prochaine décennie, avec la hausse du trafic à venir, les infrastructures qui voient le jour et le dynamisme global du marché, nous devrions aboutir à cette évolution. ❐

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UNE DATE, UNE HISTOIRE par Akram Belkaïd

Décembre 1963-février 1964

Zhou Enlai en Afrique

En pleine guerre froide, le Premier ministre chinois entame un périple continental de 3 mois ! Une première qui en appellera d’autres…

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L’empereur éthiopien Haïlé Sélassié, le président guinéen Sékou Touré ou encore le père du panafricanisme, le Ghanéen Kwame Nkrumah, promettent leur soutien à la Chine pour favoriser son entrée à l’ONU. 42

’est une période révolue, celle de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS, celle d’une décolonisation en passe d’être achevée, celle aussi où la Chine communiste, en rupture avec le grand frère soviétique et très isolée sur le plan international, commence à pointer son nez. À la fin de l’année 1963, alors que le monde est encore sous le choc de l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy, Pékin lance une offensive diplomatique de grande ampleur à destination de l’Afrique. En onze semaines, en décembre 1963 puis en février 1964, l’inamovible Premier ministre Zhou Enlai – à ce poste depuis octobre 1949 – visite dix pays du continent. Au départ, treize destinations sont prévues : Égypte, Tunisie, Algérie et Maroc puis Guinée, Mali, Soudan, Ghana, Somalie, Éthiopie, Kenya, Ouganda et Tanganyika (devenu Tanzanie en 1964). Mais de graves troubles politiques dans la zone orientale obligeront le dirigeant à annuler les trois dernières étapes. Ce périple est la première visite d’un très haut responsable chinois sur le sol africain.

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Zhou Enlai concrétise un projet qu’il a dessiné en 1955 lorsqu’il fut l’un des trois architectes de la conférence des non-alignés à Bandoeng, en Indonésie. Celui que l’on présente comme l’alter ego de Mao Zedong est persuadé que l’Afrique, terre alors essentiellement rurale, est un terrain idéal pour la révolution communiste. Ainsi, en Égypte, il évoque l’aide financière et militaire que son pays peut offrir au régime de Nasser, mais il se pose surtout en relais des revendications anticoloniales et pro-palestiniennes du monde arabe. À Alger, avec son « ami et frère » Ahmed Ben Bella, des livraisons de pétrole algérien sont évoquées, mais Zhou Enlai en profite surtout pour mettre en garde le jeune État indépendant contre « le néocolonialisme déguisé en ami ». Comprendre l’URSS, avec laquelle le régime algérien tisse des liens importants. Car la Chine entend alors s’affirmer et contester à Moscou son statut de parrain du communisme mondial. En Tunisie, comme au Maroc, la réception est toutefois plus contrasté. Dans un discours d’accueil visiblement improvisé, qui mit mal à l’aise son invité, le président Bourguiba évoque une « Chine qui est en Asie et dans le monde l’objet d’une grande estime mêlée parfois d’inquiétude ».

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Le dirigeant chinois lors du Comité central au Xe congrès du Parti communiste en août 1973.

ROGER VIOLLET - CAPTURE D’ÉCRAN

Le président malien, Modibo Keïta, accueille Zhou Enlai à Bamako en janvier 1964.

Mais, au Mali et en Guinée, le Premier ministre est « chez lui ». En froid avec l’ancienne puissance coloniale, ces deux pays sont les premiers à avoir établi des relations économiques et politiques avec l’ex-empire du Milieu. « Vous avez compris que nous sommes pressés [de nous développer] et vous avez évité l’erreur de ceux qui tentent de conquérir l’espace avant d’achever la libération de l’homme sur terre », dit le président malien Modibo Keïta à son hôte. L’empereur éthiopien Haïlé Sélassié, le président guinéen Sékou Touré, le maréchal soudanais Abboud ou le père du panafricanisme, le Ghanéen Kwame Nkrumah, promettent leur soutien à la Chine pour favoriser son entrée à l’ONU le moment venu. Dix ans plus tard, en 1973, c’est fait, grâce à 76 voix dont 26 du continent. Autre signe qui ne trompe pas, les pays africains à entretenir des relations diplomatiques avec Taïwan – frère ennemi de Pékin – se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main, tout l’inverse de la situation dans les années 1960.

À chaque halte, Zhou Enlai prend soin de ne pas effrayer ses interlocuteurs. Devant un stade comble à Mogadiscio, il affirme que « la révolution n’est pas une marchandise qu’on doit exporter ». À Washington et Londres, on s’inquiète de ce voyage triomphal alors que l’agitation gronde à Zanzibar, en Ouganda et au Kenya. On prête au dirigeant chinois de chercher à mettre le feu à l’Afrique de l’Est encore sous forte influence britannique, ce qu’il nie. C’est de cette époque que date la doctrine chinoise des « cinq et huit points » à l’égard de l’Afrique et du monde arabe. Parmi eux, le respect de la souveraineté, l’octroi d’aide sans conditionnalité, le transfert d’expertise, la défense du multilatéralisme et le règlement pacifique des conflits. À son retour à Pékin, Zhou Enlai est accueilli par une foule enthousiaste. Mettant de côté sa rivalité croissante avec son Premier ministre, Mao Zedong est aussi présent. Il sait que la Chine vient de faire un pas en avant dans son retour au sein de la communauté internationale. ❐

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Commerce Redéfinissant les règles des échanges entre l’Union européenne et le continent africain, les Accords de partenariat économique auraient dû être signés par tous les pays en 2007. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas le cas.

APE

LES ACCORDS DE LA DISCORDE

A

PE, trois petites lettres pour de grandes controverses. Ce sigle empoisonne les relations entre l’Afrique et l’Union européenne (UE) ces dernières années. Si la certaine technicité du débat fait qu’il échappe à une partie de l’opinion, dans les couloirs de Bruxelles comme au sein des présidences africaines, les négociations, prises de bec et bras de fer vont bon train. D’un côté, il y a les détracteurs de ces Accords de partenariat économique, qui dénoncent une menace, un piège, voire un nouveau « baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique ». De l’autre, on retrouve les défenseurs et promoteurs de ces APE présentés comme une modernisation nécessaire et même la seule façon de mettre les relations commerciales Afrique-Europe en conformité avec les règles internationales de l’Organi44

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REVERT BERNAL/ISOPIX/SIPA

par Sabine Cessou

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Le siège de la Commission européenne, à Bruxelles, en Belgique.

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EXIGENCES DE L’OMC À partir de 2002, les deux camps ont relancé les négociations en vue d’adopter de nouveaux accords, les APE. Dans un premier temps, ces textes octroyaient aux produits des 76 pays de la zone Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) un accès préférentiel au marché européen. Dans un second temps, ils prévoyaient la négociation d’accords par blocs sous-régionaux afin d’établir, à partir de 2008, un libre-échange réciproque. Il s’agissait ainsi de répondre aux exigences de l’OMC. En clair, comme les produits du continent entrent en zone UE sans être soumis à des droits de douane, les exportations européennes de biens arriveraient en Afrique exemptées de taxation. Conçus comme des outils de développement, les APE correspondent à un slogan en vogue dans les années 2000 – « Trade, not aid » – et visent à créer des blocs régionaux africains forts tout en renforçant les relations entre l’UE et les pays ACP face à la concurrence croissance de l’Asie. L’UE, elle, les voit comme un moyen de rétablir une concurrence loyale entre les bananes africaine et latino-américaine, qui ne sont pas favorisées de la même manière sur ses propres marchés, par exemple. Dès le départ, les pays ACP savent qu’ils ne peuvent exporter sans barrière tarifaire sur les marchés européens qu’à condition que l’inverse puisse se faire, pour les trois quarts des produits vendus par l’Europe à l’Afrique. Or, c’est précisément ce point qui ne passe pas, massivement rejeté par les pays africains, Nigeria en tête. La preuve, en 2007, date butoir initiale pour la conclusion des accords, seuls 36 des 76 pays du groupe ACP avaient conclu des APE avec l’UE. Et, au sein de ce groupe, ne figuraient que 6

Les BARRIÈRES à l’entrée du marché européen demeurent : les réglementations sur les APPELLATIONS contrôlées empêchent les vins sudafricains de percer, celles sur le CALIBRAGE des fruits et légumes écartent les mangues ivoiriennes.

États du continent : les Comores, Madagascar, Maurice, les Seychelles, la Zambie et le Zimbabwe. Sept ans plus tard, fin 2014, le nombre des signataires s’élevait à 49, mais 27 pays s’étaient entre-temps retirés des négociations, dont 15 d’Afrique. Ce que Bruxelles a pris pour de la mauvaise foi, accentuant la pression sur les pays ACP… En face, de plus en plus d’économistes, de dirigeants africains et de représentants des sociétés civiles du Nord et du Sud s’élèvent contre des accords qualifiés d’asymétriques et postcoloniaux. Car, malgré l’adoption des APE, des barrières à l’entrée du marché européen, autres que tarifaires, demeurent : les réglementations européennes sur les appellations contrôlées empêchent les vins sud-africains de percer, celles sur le calibrage des fruits et légumes écartent les mangues ivoiriennes pour « défauts d’aspect ». Ces dernières années, cette épreuve de force tourne en défaveur de l’Afrique, un continent soumis à la pression d’une Commission européenne qui estime être en droit de refuser d’énièmes palabres et autres manœuvres Manifestation contre les accords commerciaux au Sénégal en 2016. dilatoires – sous peine, parfois, de réduire son aide budgétaire aux pays en développement. Ce qui a conduit Bruxelles à poser un ultimatum : faute d’une ratification au 1er octobre 2014, les exportations africaines en provenance des pays à revenus intermédiaires (Côte d’Ivoire, Ghana, Cap-Vert et Nigeria pour l’Afrique de l’Ouest) auraient de nouveau été taxées à leur entrée sur le marché européen, contrairement à celles des pays les moins avancés (PMA). Résultat : des APE « intermédiaires » ont été ratifiés de façon assez confuse sur le plan du droit – de manière bilatérale, et non par blocs régionaux comme prévu initialement. Le Cameroun est le seul pays d’Afrique centrale à avoir signé

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sation mondiale du commerce (OMC). Mais de quoi parle-t-on ? Les APE sont la dernière version des accords de libre-échange régissant les relations commerciales entre l’Afrique et l’UE. Ils sont issus d’une longue lignée d’accords, débutée avec l’adoption de la convention de Lomé de 1975, suivie notamment de l’accord de Cotonou, entré en vigueur en juin 2000.

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RENCONTRES & REPORTAGES


APE, les accords de la discorde et ratifié un APE en 2014. Une partie seulement des 6 pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est l’a fait la même année, la Tanzanie les refusant fermement. Sur le papier, les 15 pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont signé les accords, mais, dans les faits, les parlements du Nigeria et de la Gambie ont refusé de les ratifier… De même, seulement 6 des 15 pays membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont signé les APE en juin 2016 – Botswana, Lesotho, Mozambique, Namibie, Swaziland et Afrique du Sud. Devant cette bataille en ordre dispersé, Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies à l’époque, a estimé que, « en incitant les pays à les signer sur le plan bilatéral sans prêter attention aux communautés régionales en place, les APE ralentiront, voire feront dérailler les efforts africains d’intégration économique régionale ».

3 questions à CHRISTOPHE BELLMANN Chercheur associé au Centre international pour le commerce et le développement durable (ICTSD)

« Une épine dans le pied de Bruxelles »

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AMB : Quel bilan faites-vous des APE ? CONCURRENCE DÉLOYALE Après dix ans de polémiques, le Sénégal a finalement cédé, lui aussi, en mai 2016, pour se conformer à la décision avalisée au sein de la Cédéao. Tomates, carottes, lait en poudre, chocolat et autres biscuits fabriqués en Europe – parfois à partir de matières premières africaines – vont pouvoir entrer librement sur le marché national. Et ce même si le pays n’a pas les moyens de subventionner son agriculture comme le fait l’Europe, première puissance agricole mondiale, ni de protéger ses filières locales contre ce que beaucoup dénoncent déjà comme une « concurrence déloyale ». Selon l’économiste Demba Moussa Dembélé, l’agriculture du Sénégal ne « pourra jamais soutenir la concurrence avec la politique agricole commune de l’UE, qui sera subventionnée d’une manière ou d’une autre. Le peu d’industries que nous avons va disparaître en un instant, et les pertes au niveau des recettes fiscales vont pénaliser nos budgets et accentuer notre dépendance à l’égard des bailleurs de fonds ». Ces pertes sont estimées à 3,2 milliards d’euros de recettes douanières par an à partir de 2020, selon Le Monde diplomatique, pour la seule Afrique de l’Ouest. « Quand l’accord ACP de Cotonou, ancêtre des APE, a été instauré, confie Jürgen Zattler, directeur général adjoint de la politique multilatérale et européenne du ministère allemand de la Coopération (BMZ), il a pris comme un ensemble les 76 pays qui correspondaient aux anciennes colonies des Caraïbes, d’Afrique et du Pacifique, liées aux économies française, britannique et portugaise. Or, qu’ont en commun les pays du Pacifique avec l’Afrique du Sud, par exemple ? Cette approche paraît quelque peu artificielle aujourd’hui. » L’UE serait d’ailleurs en passe de revoir les APE, en même temps que ses autres outils d’aide au développement, signale-t-il. Sans doute trop tard pour les pays qui les auront déjà signés, car ils comportent une clause d’irréversibilité. « Les APE prévoient non seulement la suppression des droits de douane pour une longue liste de produits européens, mais aussi l’impossibilité de les rétablir par la suite si la politique des pays signataires devait changer », souligne Pascal Erard, responsable du plaidoyer au Comité français pour la solidarité internationale (CFSI). Polémiques, décidément. ❐

Ils devaient être un moyen pour l’Union européenne (UE) de maintenir sa relation privilégiée avec l’Afrique. Or, depuis dix ans, ils sont surtout une épine dans le pied pour elle. La Commission de Bruxelles a peut-être sous-estimé les résistances politiques et idéologiques africaines. On les explique par la crainte d’assister à un effondrement des productions nationales sous l’effet de la concurrence européenne. Pourtant, ce n’est pas nécessairement le risque majeur puisque les produits sensibles – notamment agricoles – restaient souvent protégés. Le principal problème pour le continent aurait été la perte de recettes douanières engendrée par l’octroi d’exemptions tarifaires, des rentrées d’argent dont dépendent encore beaucoup de pays.

Pourquoi ces accords divisent-ils autant ? En Afrique, il y a différentes priorités entre les pays dits les moins avancés (PMA) et les autres. Les premiers, dont fait partie le Sénégal par exemple, peuvent continuer à bénéficier de facilités pour leurs exportations en vertu d’autres accords, notamment celui appelé « tout sauf les armes ». Ils n’ont donc aucun intérêt à adopter les APE. En revanche, les seconds, comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun, doivent trouver un accord pour conserver l’accès au marché européen. D’où des tensions au sein de la Cédéao. Même chose dans l’UE, où certaines voix aux Pays-Bas ou en Allemagne s’élèvent face à ce qui est perçu comme une attitude inflexible de la Commission.

Comment sortir de cette impasse ? C’est très délicat, d’autant que de nouveaux points de blocage sont apparus. Avec le Brexit, des pays africains anglophones affirment que l’accord conclu est désormais déséquilibré, puisqu’il ne donne plus accès au marché britannique, qui doit sortir de l’UE. Sur le continent, les avancées en matière d’intégration régionale, avec le Traité de libre-échange tripartite, entre autres, rebattent aussi les cartes. ❐ Propos recueillis par Estelle Maussion

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Yash Tandon « Les APE vont tuer l’industrie naissante » PROFESSEUR À L’INSTITUT THABO MBEKI POUR LE LEADERSHIP EN AFRIQUE

Pour le célèbre économiste ougandais, les États africains, divisés, n’ont pas les moyens de défendre leurs intérêts face à une Union européenne qui fait bloc. Fustigeant les accords de libre-échange, il appelle le continent à résister pour défendre son économie et sa place sur la scène internationale. propos recueillis par Sabine Cessou

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proposés par l’Union européenne (UE) à l’Afrique depuis 2007 et qui n’ont commencé à être ratifiés qu’en 2014 – non sans susciter de vives polémiques.

AMB : Pourquoi défendez-vous l’idée selon laquelle les accords de commerce correspondent à des déclarations de guerre ? Yash Tandon : Le commerce n’a certes pas toujours été une guerre. L’Afrique, l’Inde et la Chine ont par exemple échangé pendant des siècles sans s’affronter ni se coloniser les unes les autres. Mais, il y a quatre siècles, l’esclavage a introduit un élément de violence en faisant de l’être humain une matière première. Or, cet aspect du capitalisme moderne n’est pas assez exploré. Karl Marx en a parlé, sans aller assez loin, ni étudier l’impact de la traite transatlantique sur l’essor du libéralisme contemporain. Le monde connaissait déjà l’esclavage comme système de production, mais la traite négrière, qui a fait des hommes des marchandises, a été la première manifestation de l’accumulation de capital de l’ère moderne. Une accumulation qui se fait en assujettissant un grand nombre de personnes pour le bénéfice d’un petit groupe.

Les APE représentent-ils à vos yeux un nouvel acte violent ? Le capitalisme dans son ensemble est un système de rapports de force dans lequel s’inscrivent ces accords, qui impliquent des

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ssu d’une famille indienne installée en Ouganda, cet économiste de renom est connu pour ses prises de position hétérodoxes. Comme en témoigne le titre de son dernier essai : Trade Is War, The West’s War Against the World (OR Books, 2015), qui s’intitulerait Le commerce, c’est la guerre, La guerre de l’Occident contre le monde, s’il existait en version française. Professeur au sein de l’Institut Thabo Mbeki pour le leadership en Afrique (TMALI), un programme spécial qui forme des cadres africains à l’Université d’Afrique du Sud (Unisa) de Pretoria, ce grand ami du défunt historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo a côtoyé toute une génération de nationalistes continentaux qui se sont battus pour l’indépendance – dont Thomas Sankara, qu’il cite souvent. Cet esprit libre aime aussi échanger avec des sommités telles que Noam Chomsky, Samir Amin et Vandana Shiva… Ancien élève de la London School of Economics (LES), il porte depuis longtemps un regard critique sur l’économie, qui n’est pas une « science, mais une idéologie ». Fondateur en 1997 de l’Institut pour l’information et les négociations sur le commerce du Sud et de l’Est (Seatini), une ONG installée à Kampala qui forme au droit de la propriété intellectuelle comme aux arcanes du commerce international, il a été directeur du think tank genevois South Centre de 2005 à 2009. Son dernier cheval de bataille : les Accords de partenariat économique (APE)


« Les APE, une menace pour l’industrialisation naissante »

négociations entre deux puissances : d’un côté, l’Europe, qui parle d’une seule voix, de l’autre l’Afrique avec ses États fragmentés. L’Europe impose donc sa volonté et le résultat des négociations pourrait causer des dommages irréparables aux économies africaines. Car ces accords, je n’ai pas peur de le dire, menacent de tuer l’industrialisation naissante du continent. Les conséquences seront désastreuses, y compris pour l’Europe, car les cohortes de jeunes Africains sans emploi s’y rendront en plus grand nombre encore pour tenter d’y gagner leur vie.

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Concrètement, quelles seront les conséquences pour le continent ? Il n’y a qu’à regarder le bilan d’accords déjà signés, dits « Afrique, Caraïbes et Pacifique » (ACP), qualifiés de désastre par certains experts. Un exemple : en Ouganda, après l’indépendance, on comptait nombre de manufactures pour les pièces détachées automobiles et la fabrication d’huiles alimentaires ainsi que des moulins pour la farine. Toutes ces industries sont mortes avec l’ordre imposé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le pays importe désormais des cuisses de poulet venant de Belgique et des haricots en conserve des Pays-Bas, alors qu’il ne manque ni de volailles, ni de haricots ! L’Ouganda n’a pas signé les APE, mais il est déjà victime du système de réduction tarifaire international. Avec les APE, ce sera pire : les biscuits fabriqués en

Europe, parfois à partir de matières premières africaines telles que le cacao, vont pouvoir entrer librement sur des marchés qui n’ont pas les moyens de subventionner leurs agricultures ni de protéger leurs filières locales. Le peu d’industries que nous avons va disparaître, et les pertes fiscales vont renforcer la dépendance à l’égard des bailleurs de fonds.

Ces accords ont cependant commencé à être ratifiés… Certains pays les ont signés, en effet, soumis à une pression qui n’a pas été sans faire polémique, notamment au Sénégal, où Abdoulaye Wade s’y était fermement opposé, contrairement à son successeur Macky Sall. Même chose au Kenya et en Afrique du Sud. Les États qui acceptent les APE le font pour bénéficier à court terme de l’assistance financière de l’Europe visant à « accompagner » ces accords. Ces derniers ont été ratifiés en juillet 2014 par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et par l’Afrique australe en raison de l’ultimatum posé par Bruxelles : faute d’une ratification au 1er octobre 2014, les exportations africaines en provenance des pays à revenus intermédiaires (Côte d’Ivoire, Ghana, Cap-Vert et Nigeria pour l’Afrique de l’Ouest) auraient de nouveau été taxées à leur entrée sur le marché européen, contrairement à celles des pays les moins avancés (PMA). En Afrique de l’Est, certains États résistent. La Tanzanie se montre ferme, de même que l’Ouganda.

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Le Rwanda, lui, les a signés en même temps que le Kenya, en septembre dernier. Ce qui m’a surpris, car le président Paul Kagame avait signalé en 2015 une intention contraire.

De quels moyens disposez-vous pour empêcher leur mise en œuvre ? L’accord de Cotonou stipule que les APE doivent être adoptés de façon régionale. Si l’un des pays de l’Afrique de l’Est ne signe pas, les accords ne sont pas valides dans la région. Nous nous battons dans ce sens et fournissons des arguments techniques

sommes restés complètement colonisés. Si l’on nous dit de privatiser, nous privatisons, même si cela va à l’encontre de nos intérêts les plus élémentaires… Quel besoin y avait-il de privatiser la Sonatel, en 1997, au Sénégal ? Les dirigeants politiques africains ont la main sur le cadre macroéconomique (règlements et lois), mais pas sur l’économie de base, qui à long terme va les rattraper – par le biais de révolutions telles qu’elles se sont produites partout dans le monde. Les conditions sont réunies pour qu’une révolution africaine se produise, si les gouvernants se montrent à la hauteur.

Au sein de l’OMC, nos pays apprennent à dire non. Nous avons BLOQUÉ des accords sur les investissements et la PROPRIÉTÉ intellectuelle, par exemple. à nos négociateurs ougandais, mais le pouvoir est toujours politique. Il est contraint au compromis, sous la pression exercée par l’UE, qui dispense aussi des aides budgétaires.

C’est donc un problème de gouvernance ? Oui. Notre leadership est en crise. Le compromis sur la souveraineté est trop grand. Les dirigeants n’ont pas le droit de vendre leur pays aux intérêts étrangers – à des degrés divers et variés. Tout le reste en découle et je ne pense pas que l’on puisse honnêtement blâmer les bailleurs de fonds… Observons, par exemple, ce qui se passe en République démocratique du Congo (RDC), une nation immensément riche, et pauvre à la fois. Malgré l’abondance de ses ressources naturelles, elle affiche un taux de pauvreté de 82 %. Faute d’investissements et de redistribution des richesses, ce pays dont le secteur privé, encore embryonnaire, se résume à quelques opérateurs étrangers n’a réalisé que 2,5 % de son potentiel hydroélectrique. Et ce alors que tout le monde sait que le seul barrage d’Inga pourrait tout changer à l’électrification de l’Afrique centrale et australe ! Le seul vrai déficit de la RDC, c’est celui qui a trait à la volonté politique.

Comment le continent peut-il prendre le pouvoir, ou du moins prendre sa place dans la mondialisation ? À court et moyen terme, nous pouvons toujours dire non au libre-échange. Nous avons les moyens de nous y opposer, si nous prenons conscience du fait que ce système est un mythe, une vue de l’esprit, un rapport de force et non une réalité. Au sein de l’OMC, nos pays apprennent à dire non. Nous avons bloqué beaucoup d’accords imposés par les États-Unis, l’Europe et le Japon, sur les investissements et la propriété intellectuelle, par exemple. L’Afrique commence à mettre en avant ses demandes en matière de développement pour protéger ses industries et sa souveraineté – autrement dit, son droit à élaborer ses propres politiques. Plus globalement, je constate que l’Amérique latine oppose une certaine résistance aux potions néolibérales qui lui sont proposées, en Équateur, au Venezuela notamment… En Afrique, nous

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Quelle est la clé du développement ?

La même que partout ailleurs ! Les Africains ont d’abord besoin de se prendre en main… La Chine, l’Inde et la Russie ne leur disent jamais quoi faire. Elles ne viennent jamais comme en terre conquise, mais proposent de l’aide et le disent ouvertement : elles veulent le pétrole, le fer ou le gaz, sans interférer avec les questions de politique intérieure. L’Occident, en revanche, reste paternaliste et veut toujours nous donner la solution, dans une posture parfois très contradictoire et génératrice de ressentiment, côté africain. Il est grand temps de sortir des schémas du passé et je suis d’accord avec l’économiste zambienne Dambisa Moyo pour parler « d’aide fatale ». Même le Burkina Faso, aujourd’hui, malgré son exemplaire révolution d’octobre, en 2014, continue d’organiser dans son ambassade à Paris des conférences de donateurs pour obtenir des fonds… Ce n’est pas très bon signe pour l’avenir.

La présence chinoise n’est-elle pas de plus en plus critiquée, parfois même qualifiée de « néocoloniale » ? L’Afrique du Sud a perdu son industrie textile parce qu’elle a adhéré à l’OMC et non pour une autre raison. Son ministre de l’Industrie, après 1994, voulait promouvoir l’industrie de pointe qu’est l’automobile, sous l’influence de grands groupes allemands notamment, et non le textile, alors que ce dernier est plus pourvoyeur d’emplois. J’avais mis Alec Erwin en garde au moment de prendre cette décision de faire de l’Afrique du Sud un maillon dans l’assemblage automobile et la fabrication de pièces détachées dans la vaste chaîne mondiale de cette industrie désormais délocalisée. Lorsque l’Afrique du Sud s’est rangée à l’idéologie du libre-échange, en 1996, abandonnant son vaste programme étatique de reconstruction et de développement, la Chine était encore en négociation pour son entrée dans l’OMC, effective en 2001 seulement. Ce n’est qu’après que Pékin a profité du système mis en place par l’Europe et les États-Unis.

Pourquoi le Rwanda passe-t-il au contraire pour un modèle ? Parce qu’il ne demande pas d’aide. Il a pourtant traversé une période extrêmement difficile, en 1994, avec le génocide des Tutsis. Et Paul Kagame est peut-être un chef d’État autoritaire, mais il a fait du bon travail, en instaurant une forme de discipline. Bien des défis demeurent, mais les progrès qui ont été faits paraissent remarquables. La Tanzanie représente aussi un modèle, même si elle est moins connue dans le monde fran-

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NABIL ZORKOT

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APE, les accords de la discorde

Conserverie de thon Scodi (anciennement Pêche et Froid) dans le port d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. cophone. Ce pays dépend à la fois du tourisme, des mines et de l’agriculture. Il affiche un taux de pauvreté de 28 % et a atteint, en assurant la gratuité de l’école, la cible des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) concernant l’éducation, avec 100 % d’enfants scolarisés dans le primaire.

NABIL ZORKOT

Êtes-vous optimiste ou pessimiste quant à l’avenir du continent ?

Notre LEADERSHIP est en crise. Les dirigeants n’ont pas le droit de vendre leur pays aux INTÉRÊTS étrangers – à des degrés divers et variés.

Je reste optimiste en raison de ce qui se produit aux ÉtatsUnis et en Europe : la situation est critique, comme le Brexit et l’élection de Donald Trump l’ont montré ces derniers temps. Ces pays ne semblent pas comprendre ce qui leur arrive. Un jour, la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale en Ouganda, n’aura plus rien de grand ! À mon sens, plus les anciens empires occidentaux s’effondrent, mieux c’est pour l’Afrique, car les cartes vont être rebattues comme jamais depuis le temps colonial.

Pour que l’Afrique gagne, l’Europe doit-elle s’effondrer ? Je maintiens ce point de vue qui peut paraître radical. Parce qu’elle est puissante, riche et rassemblée, l’Europe mène des négociations inégales avec l’Afrique. Si elle implose et si l’Afrique s’unit, alors nos pays auront de meilleures chances de négocier séparément avec Londres, Paris ou Madrid des accords plus avantageux. Les dynamiques à l’œuvre vont sans doute créer une nouvelle situation géopolitique dont l’Afrique va sortir plus forte. ❐

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Bassem Loukil PDG DU GROUPE LOUKIL

« Nous devons nous dépasser nous-mêmes avant de penser à la concurrence » Il incarne l’avant-garde tunisienne sur le continent. Une stratégie motivée par un solide bon sens économique. Mais aussi par la nécessité de protéger ses entreprises. Droit dans ses bottes, il ne mâche pas ses mots sur la situation de son pays.

propos recueillis par Frida Dahmani, à Tunis

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n Tunisie, sa voix est entendue et son autorité reconnue. Et pour cause. Bassem Loukil, 51 ans, est aux commandes, avec son frère, d’un groupe qui a réalisé 440 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an passé. Fondé par leur père dans les années 70, celui-ci opère dans l’équipement agricole, l’agriculture, l’automobile, l’immobilier et la communication, représentant également sur place les marques Citroën, Mazda et Samsung. Présent dans sept pays d’Afrique et du Moyen-Orient, il réunit 37 filiales et emploie plus de 4 000 personnes. Titulaire d’un doctorat en management industriel, d’un bachelor en informatique et d’un MBA en finance de la Georgia State University, Bassem Loukil rejoint le groupe familial en 1992 après une expérience au sein du géant américain Coca-Cola. Depuis, il aurait pu se limiter à la gestion de ses affaires. Mais il a choisi de s’imposer comme

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Bassem Loukil

un promoteur de l’ouverture vers l’Afrique. Avec des opérateurs économiques et d’anciens diplomates, il a ainsi lancé en 2015 le Tunisia-Africa Business Council (TABC), une association qui entend jouer un rôle de passerelle entre les entreprises tunisiennes et le reste du continent. Une mission aussi ambitieuse que difficile.

PARCOURS

1990 Diplômé de la George State University, il débute sa carrière au sein de CocaCola, au poste de chargé d’affaires dans le département Amérique latine.

1992 Il rejoint le groupe familial comme directeur du développement.

1998 Devenu directeur général, il mène plusieurs acquisitions et obtient la distribution des véhicules Mazda, Renault Trucks et Citroën.

2015 Il crée le TunisiaAfrica Business Council (TABC) pour renforcer les relations entre entreprises tunisiennes et africaines.

AMB : Vous avez conclu un accord avec le groupe chinois Foton Motor pour produire et commercialiser des véhicules utilitaires légers en Tunisie. Comment s’est noué ce partenariat ? Les négociations ont duré plus de six mois pour une finalisation en avril dernier. Nous avons mis en avant notre expérience. Nous avions préparé, sous l’ancien régime, un projet de montage de pick-up Mazda que nous avions été contraints d’abandonner. Foton était lui à la tête d’une unité de montage en Égypte, qu’il était sur le point de fermer à cause de la dévaluation de la monnaie nationale. Or, pour approvisionner les pays de l’Afrique de l’Ouest, qui ont un réel besoin en véhicules utilitaires, il avait identifié deux implantations possibles : au Maroc et en Tunisie. Ils nous ont finalement choisis. Dans un premier temps, nous lançons donc une unité de montage pour les pick-up et véhicules légers. Puis nous passerons aux voitures pour particuliers et, in fine, aux minibus de neuf à douze places.

Comment avez-vous fait la différence ? Foton cherchait un partenaire pour accompagner son projet, nous avons réussi à répondre au mieux à ses critères. Les coûts de transport depuis la Chine jusqu’en Afrique de l’Ouest ont une incidence importante. Un Shanghai-Abidjan revient à 3 400 dollars le conteneur, contre seulement 1 500 dollars en moyenne pour un TunisAbidjan. Ça compte. L’unité de montage, dont le financement est assuré par l’Afreximbank, sera construite par notre filiale Economic Auto. Le montant de l’investissement est estimé pour le moment entre 15 et 20 millions de dinars. Le site de production doit être opérationnel à la fin de 2018.

L’entrée programée de la Tunisie dans le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) permet aussi de se tourner vers l’est… C’est le sens de notre relation avec Djibouti, qui nous offre aussi, en tant qu’opérateur et fournisseur de produits tunisiens, l’accès au Comesa, et notamment à l’Éthiopie, pays en plein essor, avec un marché de 100 millions

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d’habitants. Il y a aussi un important besoin en véhicules utilitaires pour assurer les potentialités de Djibouti en matière de transport. Tout s’est mis en place à partir de rencontres lors de la conférence Tunisia 2020, en novembre dernier. Nous allons fournir des remorques fabriquées dans nos usines à Sfax – nous faisons des plateaux depuis vingt-cinq ans – et des camions Renault Trucks montés en France mais avec une intégration de composants effectuée dans notre site de Ben Arous, près de Tunis. Ensuite, nous enverrons des véhicules Foton. C’est un marché extrêmement important. De plus de 300 millions d’euros, pour lequel nous entrerons en production au mois d’octobre.

Quels sont les autres projets du groupe ? Nous allons développer notre activité dans l’électroménager. Actuellement, nous sommes revendeurs de la marque égyptienne Unionaire en Afrique de l’Ouest, plus précisément au Cameroun, en Sierra Leone, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Autrement dit, nous importons des appareils d’Égypte, que nous commercialisons à partir d’une plateforme logistique en Tunisie. Nous voulons maintenant monter l’ensemble de la gamme de produits sur le territoire national avant de l’exporter sur les marchés du continent. C’est le sens de la création d’une filiale, Unionaire Tunisie, que nous mettons sur pied en partenariat avec le groupe de Mohamed Fathy. Par ailleurs, nous lançons en périphérie de Tunis, à Raoued, le plus grand centre commercial d’Afrique, d’une superficie de 200 000 mètres carrés, un investissement de 65 millions de dinars réalisé en association avec l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC). Il mettra en avant les produits locaux de l’ensemble des pays du continent.

Ces dernières années, vous êtes devenu le monsieur Afrique en Tunisie. Pourquoi ? Les Tunisiens ont toujours eu tendance à regarder vers le nord sans qu’ils en soient vraiment conscients. La preuve, nous nous présentons comme des Nord-Africains, des Méditerranéens, des Arabo-Musulmans, mais rarement comme des Africains. Or, le Nord veut nous vendre ses produits mais il ne veut pas de nous. Alors, pourquoi insister ? Surtout quand nous avons au sud un continent en plein essor, qui suscite beaucoup d’intérêts. Cela fait quinze ans que nous le sillonnons. Nous avons commencé par la Mauritanie, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal,

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« Nous devons nous dépasser nous-mêmes avant de penser à la concurrence »

Bassem Loukil, dans l’usine du groupe à Sfax. Ci-dessous, le pick-up Foton, qui va être coproduit avec le constructeur chinois. des économies qui ont accéléré leur rythme de croissance. À chaque fois, nous avons constaté que le potentiel était là. À chaque fois, en faisant preuve de persévérance, nous parvenions à conclure un contrat.

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Est-ce que les entreprises tunisiennes sont outillées pour percer sur le continent ? Par rapport aux acteurs marocains et turcs, elles partent avec de nombreux handicaps, dont la longueur des démarches administratives et le manque de logistique. Pour compenser, elles doivent utiliser leurs points forts. C’est ce que nous faisons. Nous ciblons les pays desservis par Tunisair et ceux avec lesquels la Tunisie a une tradition d’échanges en matière d’enseignement, de médecine et de formation. Parmi ceux-là, nous privilégions les États qui ont des plans d’investissements et qui ont besoin de produits que nous sommes à même de fournir dans les infrastructures, le BTP et l’agroalimen-

Le NORD veut nous vendre ses produits, mais il ne veut pas de nous. Alors, pourquoi insister ? Surtout quand nous avons un SUD en plein essor. AO Û T- S E P T E M B R E 2 0 1 7

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RENCONTRES & REPORTAGES

Bassem Loukil

taire. Cette formule fonctionne si bien que nous avons convaincu Tunisair d’ouvrir des liaisons vers Conakry depuis Dakar. Deux mois après l’ouverture du vol, il était complet en permanence et les échanges avec la Guinée étaient en progression constante.

N’est-il pas un peu tard ? Il n’est jamais trop tard, même si c’est vrai que le Maroc a pris beaucoup d’avance. Les Tunisiens doivent d’abord se dépasser eux-mêmes avant de songer à la concurrence. Une fois cela fait, ils pourront entrer dans la course, puis faire la différence avec leurs propres atouts.

Quel est l’apport du Tunisia-Africa Business Council ? Les entreprises tunisiennes qui veulent aller en Afrique ont besoin d’être guidées. En tant qu’association, le TABC mobilise des opérateurs, des hommes d’affaires et d’anciens diplomates pour identifier les pays et les secteurs cibles. Il nous sert également à faire du lobbying auprès du gouvernement tunisien pour demander des ouvertures d’ambassades, relancer d’anciens accords bilatéraux et inviter des personnalités africaines en Tunisie. Le TABC travaille enfin à l’élaboration d’accords tripartites entre notre pays, l’Allemagne ou la Turquie et certains États africains.

Six ans après la RÉVOLUTION, les problèmes à l’origine de la crise sont toujours là. Si on continue sur cette lancée, d’ici peu, il n’y aura plus rien à SAUVER.

Quels sont les secteurs porteurs pour les Tunisiens ?

En matière de services, ce sont les formations et, en règle générale, toutes les prestations médicales. En lien avec cela, l’industrie pharmaceutique est également bien placée. Dans le domaine agroalimentaire, la demande est aussi très forte. Nous travaillons donc à améliorer le transport cargo pour être compétitifs. Au-delà des produits industriels traditionnels, il nous faut mettre l’accent sur un marché d’avenir, l’énergie solaire. À titre d’exemple, nous sommes en train de démarrer, via notre filiale Sodex, une unité de production au Mali.

Comment décidez-vous de parier sur un projet ? C’est simple, pour un bon investissement destiné à l’export, je n’hésite pas une seconde. En revanche, je me refuse à tout investissement visant le marché tunisien. Mais, le jour où je serai rassuré sur la contrebande, la contrefaçon et la corruption, j’y reviendrai. Évidemment.

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Est-ce que les dernières mesures du gouvernement dans ce domaine visant à démanteler les réseaux sont suffisantes ? Non, et elles pourraient même se retourner contre le chef du gouvernement, Youssef Chahed. L’économie parallèle, qui réalise près de 60 % du produit intérieur brut (PIB) national, est animée par des centaines de personnes. Il faut donc agir à plusieurs niveaux. D’une part, il faut arrêter tous les barons connus dans chaque région et dans chaque secteur. D’autre part, il faut détruire les réseaux pyramidaux que ces personnes ont constitués. Si on veut mettre à terre ces filières, il faut également s’attaquer à la police, aux douaniers, à l’administration, à la justice. En Italie, dans le cadre de l’opération « mani pulite », les juges ont été mutés pour déstabiliser la mafia par exemple. C’est ce que nous devons faire. Or, aujourd’hui, le coup de filet a été partiel et ceux qui n’ont pas été arrêtés sont en train de prendre leurs précautions.

Quel est l’impact de l’informel sur un groupe comme le vôtre ? Je vous donne un exemple. Notre filiale Ateliers mécaniques du Sahel (AMS) doit faire face à des contrefaçons de ses produits, qui sont mises sur le marché par un contrebandier via le port de Sousse. Ce dernier dispose en effet d’un dépôt voisin de nos usines… Nous avons beau alerter les autorités, leur apporter des preuves, rien n’y fait. Cela représente des pertes d’environ 10 millions de dinars par an. L’autre problème, c’est l’existence d’un marché noir sur lequel des industriels écoulent leurs produits sans facture ni TVA. Ces phénomènes sont en grande partie responsables de la destruction de l’industrie nationale. Ce sont eux qui provoquent la fermeture de petites entreprises qui participaient à former des jeunes qualifiés, notamment en mécanique ou électromécanique. Pourtant, on sous-estime leurs méfaits à moyen et long terme.

Vous êtes très sévère sur la situation tunisienne… Six ans après la révolution, les problèmes à l’origine de la crise sont toujours là. Nous commençons à peine à nous y attaquer pour mettre fin à la corruption et encourager l’investissement privé. À chaque fois qu’il y a un début de stabilité et de reprise, des incidents, des grèves et des revendications sociales, comme le sit-in d’El Kammour, brisent cet élan. Le souci, c’est aussi une classe politique qui tient à rester à tout prix aux affaires, et n’accepte pas d’être dans

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« Nous devons nous dépasser nous-mêmes avant de penser à la concurrence »

l’opposition pendant un mandat après avoir pris des réformes impopulaires mais nécessaires. On demande les avantages de la démocratie mais on n’est pas prêt aux sacrifices qu’elle impose, ni à adhérer à ses obligations et à ses règles. Si on continue sur cette lancée, d’ici un an ou deux, il n’y aura plus rien à sauver.

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Comment sortir de cet immobilisme ? Ce qui manque, aujourd’hui, c’est une équipe compétente, cohérente, courageuse et sans arrière-pensées politiques pour mettre en application les réformes. Pour les deux années à venir, il faut un gouvernement de choc qui applique une politique et une stratégie. Et non qui pense aux prochaines échéances électorales : les municipales, en décembre, puis les législatives et la présidentielle, en 2019. Et il faut prendre le problème du chômage à brasle-corps. Chaque année, ce sont 80 000 jeunes diplômés qui entrent sur le marché du travail et peinent à trouver un emploi. À Tataouine, par exemple, l’Institut supérieur des études technologiques (Iset) est fermé, alors qu’il

pourrait servir à mettre à niveau des diplômés chômeurs.

Depuis 2011, les acteurs du secteur privé s’expriment plus facilement. Est-ce que la chute de l’ancien régime a libéré la parole ? Absolument. Avant, il y avait des lignes rouges à ne pas franchir. Des pans entiers de l’économie étaient réservés à des proches du sérail. Il ne fallait pas, non plus, dépasser un certain volume d’activités au risque de devenir une proie. C’est bien fini. Mais les handicaps sont autres. L’administration est un frein, comme si elle voulait justifier sa présence. Elle en fait voir de toutes les couleurs aux promoteurs de projets, sauf s’ils ont des appuis politiques ou s’ils acceptent le jeu de la corruption. Les lois dont nous avons hérité présentent beaucoup de zones d’ombre, elles se prêtent à de mauvaises interprétations. Les démarches sont complexes, peu claires et découragent les initiatives. La situation est telle qu’il vaut mieux exporter les énergies, les exploiter ailleurs en attendant des jours meilleurs en Tunisie. ❐

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Le gouvernement a lancé une vaste opération contre la contrebande et la corruption, qui vise notamment les ports. Ici, celui de Radès, à Tunis.

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LE RENDEZ-VOUS par Emmanuelle Pontié

Patrick Ulanowska Moynier

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Président de Truxtun Capital (solutions de paiement innovantes), Genève

■ 1965 Naissance à Paris.

2003 Il devient chef du protocole du secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf.

2007 Avec trois associés, il fonde la start-up Unipays.

2010 Il crée la société Truxtun (devenue Truxtun Capital en 2014) qui développe la carte de paiement Wega.

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oleil sur la tour Eiffel. Patrick Ulanowska Moynier, costume bleu lumineux, a choisi la terrasse du Café de l’homme, en ce mois de juillet. Toujours tiré à quatre épingles, le président de Truxtun Capital, société porteuse du projet de carte de paiement révolutionnaire Wega, raconte son histoire… pas banale. Il naît à Paris, le 31 mars 1965, à l’institut Saint-Vincent de Paul, où sa mère l’abandonne. Placé en famille adoptive à 3 ans, il est élevé par des parents aimants, issus du milieu ouvrier et installés à Dijon. C’est dans cette ville qu’il passe son bac et obtient une licence en droit des affaires. Puis, direction Paris, pour une maîtrise en sciences politiques à la Sorbonne. Dans le même temps, Patrick est stagiaire au service politique du Matin de Paris, où il croise des grands noms comme Ruth Elkrief, Max Gallo et même François Hollande. Il commence sa carrière par l’émission « Y’a pas match » sur TV5. « Je mesurais son immense succès quand j’allais en Afrique », se souvient-il. Invité de « 7 sur 7 » pour la dernière émission de l’actrice Simone Signoret, il déclenche, un peu par hasard, un raz de marée médiatique autour de SOS Racisme, tout jeune mouvement né dans la salle de rédaction du Matin de Paris et dont il est le premier président régional pour la Bourgogne. Son second engagement se fera aux côtés de Danielle Mitterrand et sa fondation France Libertés, dont il est président pour la

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région de Dijon, jusqu’à la fin du mandat de François Mitterrand. Entre-temps, il remplit son carnet d’adresses. Il fait d’abord du conseil en Afrique, au Cameroun et au Sénégal. Jusqu’à ce que le président sénégalais Abdou Diouf, avec qui il a construit une relation très proche, devienne secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et lui propose d’être son chef du protocole. Patrick se sent très à l’aise dans le job. C’est d’ailleurs là qu’il rencontre de jeunes développeurs, venus demander un financement pour leur projet. L’OIF décline, mais Patrick s’intéresse au dossier. « Au départ, il s’agissait de la mise en place sur le continent d’un réseau haut débit de télécommunications. J’avais des économies et je suis parti à l’aventure, racontet-il. À quatre copains, on a lancé la start-up Unipays, en apportant chacun 25 % du capital de 100 000 euros. Mais on n’imaginait pas le parcours du combattant qui allait suivre ! » C’était en 2007. Il y a tout juste dix ans. Entre-temps, le projet évolue. Après le service de transfert d’argent et de rechargement de crédit téléphonique vient l’idée d’une carte de paiement audio, en lien avec un serveur vocal interactif, système alors validé par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Enfin, de la même manière que l’on peut identifier une carte sur un serveur vocal, pourquoi ne pas le faire quand cette carte se présente dans le cloud ? C’est ainsi que naît

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PATRICK GÉLY POUR AMB

Wega, qui fonctionne à la fois avec un son, un code et une reconnaissance vocale ou faciale, en se connectant à une aplication sur son mobile. Processus inviolable ! Pour financer l’idée, Patrick change d’associés et crée la société Truxtun en 2010, devenue Truxtun Capital en 2014, après l’arrivée d’un groupe d’avocats suisses gérants de fortune comme actionnaires. 10 millions d’euros sont levés afin de lancer la carte sur le marché. Elle est aujourd’hui certifiée MasterCard. Truxtun Capital est membre de l’alliance FIDO (pour « Fast IDentity Online », association en faveur de la sécurisation des données sur Internet) et siège à la table du consortium EMVCo, qui rassemble les acteurs utilisant les systèmes Europay, MasterCard et Visa. Première étape en septembre, avec la sortie à Londres de 15 000 cartes-cadeau Wega Manchester City. L’année prochaine, ce seront 60 000 unités en

pré-paiement en vente sur l’application du club de football pour le marché B to B. Entre-temps, Truxtun parle aux banques, qui pourraient, compte tenu des exigences de sécurisation, choisir de migrer vers le système Wega. Pour Patrick, l’Afrique sera au cœur de l’aventure. « C’est le continent qui a le plus fort taux de pénétration du mobile, le plus faible taux de bancarisation et la plus grosse explosion démographique. Il est concerné au premier chef, et les poids lourds du numérique, Américains, Européens et Asiatiques, en ont pleinement conscience. » Ses origines maliennes par son père biologique et son relationnel sur le continent le poussent à se sentir d’abord africain. Pour lui, la finalité de son aventure se trouve là-bas. Parcours à suivre donc, volontaire et opiniâtre. Gourmand aussi, à voir comment il déguste son poulet mariné au citron vert… ❐

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DÉJEUNER AU CAFÉ DE L’HOMME

Cuisine internationale 17, place du Trocadéro et du 11 novembre, 75016 Paris.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Vue de la capitale iranienne, Téhéran.

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Moyen-Orient

ALI KAVEH/RÉA

Avec la levée partielle des sanctions internationales, la croissance est timidement de retour. On est pourtant loin d’assister à la ruée escomptée des investisseurs. Entre lourdes pesanteurs internes, hostilité saoudienne et manœuvres de la maison Trump, de nombreux obstacles freinent l’essor du géant chiite.

Iran : le réveil contrarié par Sylvie A. Briand

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RENCONTRES & REPORTAGES

Moyen-Orient

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n l’attend, on l’espère, on le redoute, on n’en finit plus d’annoncer le « retour de l’Iran » dans la foulée de la levée quasi triomphale d’une grande partie des sanctions en janvier 2016. Ne voulant pas rater le coche, dirigeants, diplomates et chefs d’entreprise originaires d’Europe, d’Asie ou d’Afrique se sont succédé à Téhéran, qui n’avait pas connu telle affluence depuis des lustres. Or, un an et demi plus tard, force est de constater que le grand boom économique tant attendu peine à se concrétiser, du fait notamment de la frilosité des investisseurs étrangers, peu rassurés par ce qui se passe… à Washington. L’Iran a pourtant de quoi faire saliver les investisseurs. C’est un marché de près de 80 millions d’habitants, un pays regorgeant d’hydrocarbures, de minerais et de diplômés qualifiés, riche d’un patrimoine culturel pouvant attirer des touristes du monde entier. Après avoir traversé la révolution islamique de 1979, qui l’a isolé sur la scène internationale, une guerre aussi meurtrière que destructrice contre le voisin irakien (1980-1988), un embargo partiel sur le pétrole et de multiples sanctions, le géant chiite a besoin, sur le long terme, de centaines de milliards d’euros pour moderniser ses infrastructures. Dans l’immédiat, rien que pour développer une cinquantaine de puits de pétrole et de gaz, ce sont quelque 89,2 milliards d’euros qu’il faut mobiliser. Certes, le pétrole coule de nouveau à flot et ce n’est pas rien dans un pays où les hydrocarbures représentent plus de 70 % du total des exportations. La production a retrouvé son niveau antérieur à l’embargo imposé en 2012 par l’Union européenne, le plus important importateur d’or noir iranien après la Chine, et ce afin de punir Téhéran pour les ambiguïtés de son programme nucléaire. Portée par cette reprise, la croissance s’est élevée à 6,6 % en 2016 après avoir été négative en 2015, mais devrait redescendre à 3,3 % cette année, selon le Fonds monétaire international (FMI). L’Iran exporte aujourd’hui environ 2,4 millions de barils de pétrole par jour, plus du double que pendant les sanctions. Et tandis que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), emmenée par le grand rival saoudien, a décidé de freiner légèrement sa production pour éviter que ne s’effondre davantage le prix du baril (jusqu’à – 70 % depuis 2014), Téhéran a négocié une exemption des quotas imposés. De toute façon, disent à l’unisson les experts, l’Iran, qui abrite 9 % des réserves mondiales de pétrole et 18 % de celles de gaz (soit les quatrièmes réserves mondiales d’or noir et les premières de gaz), puise déjà dans ses stocks et n’a techniquement pas la capacité de produire plus, faute de disposer des infrastructures nécessaires. Il y a bien eu des « protocoles d’accord » annoncés par de grands groupes pétroliers comme l’anglo-néerlandais Royal Dutch Shell, le russe Lukoil ou l’italien ENI pour développer le secteur, mais encore rien de concret. Seul le français Total, qui s’était retiré d’Iran en 2009, a sauté le pas en annonçant en juin dernier la signature d’un contrat d’une

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Les Américains INTERDISENT toute transaction en dollar, ou impliquant un de leurs ressortissants ou un détenteur d’une simple carte VERTE. durée de vingt ans pour le développement de la phase 11 de Pars Sud (South-Pars), le plus grand gisement gazier au monde. Ce qui représente un investissement global de 4,8 milliards de dollars en deux phases, dont la première représente 2 milliards, dans le cadre d’un projet détenu à 50,1 % par Total, à 30 % par le chinois CNPC et à 19,9 % par l’iranien Petropars. Dans le domaine minier, qui a besoin de dizaines de milliards d’euros d’investissements d’ici 2022, « presque tous les projets de plus de 100 millions de dollars (87,8 millions d’euros) ont été suspendus » sine die par des compagnies étrangères qui craignent le retour des sanctions, selon le vice-ministre iranien des Mines, Mehdi Karbasian. Son pays compte plus de 5 500 mines de cuivre, de charbon, de fer, de zinc ou de gypse, dont plus de 3 000 en activité et appartenant majoritairement à des sociétés privées. « Des progrès ont été réalisés en 2016, sauf que les investisseurs étrangers restent méfiants en raison de sanctions américaines toujours en vigueur et des restrictions bancaires. Personne ne veut de problèmes avec la trésorerie américaine », estime l’économiste Hassan Hakimian, directeur du London Middle East Institute et professeur à l’université londonienne de la School of Oriental and African Studies (SOAS). CRAINTE D’UN « EFFET TRUMP » Si les investisseurs ont pu être rassurés par la réélection en mai dernier du président Hassan Rohani, un modéré qui a joué un rôle crucial pour briser l’isolement tant économique que diplomatique de l’Iran, ils redoutent « l’effet Trump ». Élu en novembre 2016, le président américain Donald Trump a critiqué l’accord sur le nucléaire conclu par son prédécesseur Barack Obama et s’est montré favorable à de nouvelles sanctions contre l’Iran, qualifié de « nouvel axe du Mal ». Sa récente visite à Riyad semble par ailleurs avoir contribué à un regain de tensions dans la région. L’Arabie saoudite et ses alliés arabes ont décidé un boycott du Qatar, qu’ils accusent de financer des « groupes terroristes ». Et ils somment le petit émirat de rompre toutes relations avec Téhéran… Un bras de fer à l’issue incer-

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Iran : le réveil contrarié

AP/SIPA

Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, reçu par le président, Hassan Rohani, en juillet dernier à Téhéran, à l’annonce de la signature d’un accord d’exploitation du champ pétrolier de South-Pars. taine qui risque de peser sur l’attractivité de l’Iran, mais aussi de celle des autres pays du Golfe. Avant l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, le flux des investissements directs étrangers (IDE) en Iran a augmenté en un an de 1,3 milliard de dollars pour atteindre 3,3 milliards de dollars en 2016, un montant qui reste toutefois inférieur à celui réalisé en 2012 (4,7 milliards). Et des pays du Golfe comme les Émirats arabes unis (8,9 milliards) ou l’Arabie saoudite (7,3 milliards) ont fait deux fois mieux que l’Iran pour les IDE. Selon une étude sur la compétitivité internationale réalisée en 2016 par le Forum économique mondial, « l’accès à des sources de financement » est le premier facteur entravant les affaires en Iran, devant l’inflation à deux chiffres (environ 11,5 % cette année après un pic de 45 % en 2013 selon le FMI) et les aléas de la bureaucratie. Les Américains continuent d’interdire toutes transactions libellées en dollar ou impliquant un ressortissant américain, voire un simple détenteur d’une carte verte, ce qui constitue un casse-tête périlleux et très coûteux pour les multinationales et les grandes banques européennes. Pour rappel, BNP Paris avait été condamné en 2014 à verser près de 9 milliards de dollars à Washington pour violation de l’embargo… En conséquence, « les grandes banques étrangères sont réticentes à traiter avec des institutions financières iraniennes » ou refusent

de prêter des fonds à des entreprises qui veulent investir sur place, indiquait en février dernier le FMI dans un rapport. Autre écueil : l’Iran reste avec la Corée du Nord sur la liste noire du Groupe d’action financière (Gafi), l’organisme mondial anti-blanchiment d’argent, même si le pays ne fait plus l’objet de « contre-mesures » depuis un an. C’est qu’il y demeure des zones d’ombre : les Gardiens de la révolution (« Pasdaran », en persan) ont la main sur nombre d’entreprises publiques dans tous les secteurs d’activité afin de financer les opérations de leur milice dépendant directement du Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, et de celles du Hamas palestinien et du Hezbollah au Liban, tous deux ennemis déclarés d’Israël, allié des États-Unis. « Rohani essaie de limiter le rôle des Pasdaran, qui contrôlent peut-être 20 % de l’économie nationale, personne ne le sait exactement, et qui n’ont pas intérêt à voir, dans certains cas, le pays s’ouvrir économiquement ni à ce qu’il y ait des privatisations », estime Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), pour qui le retour d’une politique américaine conflictuelle est « contre-productif car il renforce le camp des radicaux iraniens qui estiment que les modérés comme Rohani ont été trop gentils ». Mais, au-delà de la « confrontation entre radicaux et modérés », poursuit Thierry Coville, ce qui préoccupe les Ira- ■ ■ ■

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Moyen-Orient

Catalogue du potentiel et des difficultés

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niens, « ce sont les problèmes sociaux, et notamment le chômage », qui touche environ 12,5 % de la population active. Car, si la levée des sanctions n’a pas apporté la « ruée vers l’or » espérée, elle n’a pas non plus entraîné « une hausse des revenus des ménages ni créé de nouveaux emplois », selon l’économiste Djavad Salehi-Isfahani, professeur à l’école polytechnique de Virginie aux États-Unis. Auteur d’un blog sur l’économie iranienne, il estime que la pauvreté a au contraire gagné du terrain sous la présidence Rohani en raison de l’augmentation sans compensation des prix de l’essence et de l’électricité. Un sondage réalisé en avril dernier par IranPoll, un centre de recherches basé à Toronto avec des partenaires sur place, semble lui donner raison : 72 % des habitants interrogés estimaient que la levée des sanctions n’avait pas amélioré leurs conditions de vie. Les premiers concernés par le chômage sont les jeunes et les femmes, dont le taux d’inactivité atteint 30 %, selon le FMI. Une situation intenable quand on sait que l’Iran est l’un des États les plus touchés par la « fuite des cerveaux ». En 2014, un ministre avait affirmé que « 150 000 personnes hautement qualifiées » quittaient chaque année le territoire national. Et ce phénomène ne semble pas avoir diminué, de l’aveu même de l’actuel ministre des Sciences et de la Technologie, Mohammed Farhadi. En visite au Japon en octobre dernier, il a reconnu que « la fuite des cerveaux » avait un impact sur le « développement durable » iranien. D’autant plus que les États-Unis sont les premiers à bénéficier de cette manne académique… Il n’y a pas que le chômage ou le peu de ressources allouées au domaine de la recherche qui poussent de jeunes professionnels qualifiés à partir à l’étranger. Il y a aussi les graves atteintes aux libertés en Iran, sans doute « la seule théocratie au monde » qui, selon l’économiste Hassan Hakimian, « doit parvenir à concilier les exigences de l’économie du XXIe siècle avec les valeurs traditionnelles de religieux vieillissants ». À condition, bien sûr, que les Américains leur laissent cette chance… ❐

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’il est compliqué pour les étrangers d’investir en Iran, les sociétés nationales ont également du mal à acheter en Europe, et encore plus aux États-Unis. L’industrie aéronautique illustre bien ces difficultés. Afin de renouveler leur flotte, les compagnies iraniennes ont passé commande de plus de 200 avions à Airbus et de près de 80 à Boeing. Si cet achat est légal selon l’accord de 2015 sur le nucléaire, il doit néanmoins obtenir le feu vert du Trésor américain, puisque l’avionneur européen utilise des pièces américaines et que Boeing est installé aux États-Unis. Une autorisation qui n’a toujours pas été accordée. Face à ce statu quo dans l’aérien, le secteur automobile est lui en plein essor. Leader sur ce marché, le groupe français PSA (Peugeot-Citroën) a été le premier à faire son retour en Iran en 2016 en signant un partenariat avec le constructeur Iran Khodro. Renault n’a lui jamais quitté le pays, même au plus fort des sanctions, et doit ouvrir en 2018 une nouvelle usine d’assemblage. Les taxes élevées sur les importations de voitures (plus de 45 %) rendent plus attrayants pour les acheteurs les modèles assemblés sur place. Les Français ont également été les premiers à s’implanter dans l’hôtellerie depuis la révolution islamique de 1979, qui avait chassé les grandes chaînes du pays. Dès l’annonce d’une levée des sanctions en 2015, le groupe Accor a ouvert un Novotel et un Ibis près de l’aéroport de Téhéran. Pour autant, l’Iran n’est pas une destination touristique évidente en raison de certaines restrictions (les femmes doivent être Peugeot s’est associé avec le constructeur local Khodro pour produire des 508. voilées, les Britanniques et Américains doivent être accompagnés par un « guide », l’alcool est interdit, entre autres). Dans le cadre d’un vaste projet immobilier financé par l’homme d’affaires local Ahad Azimzadeh, qui a fait fortune dans la production et l’exportation de tapis persans, le groupe espagnol Melia doit ouvrir à une date non précisée la première station balnéaire cinq étoiles sur les rives de la mer Caspienne. Le groupe émirati Rotana compte de son côté inaugurer début 2018 un premier hôtel dans la ville de Mashhad, haut lieu du pèlerinage chiite. Et peu importe si les relations diplomatiques entre les deux pays sont tendues. ❐ S.A.B.

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EBRAHIM NOROOZI/AP/SIPA

RENCONTRES & REPORTAGES

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Iran : leManifestation réveil contrarié de protestation le 4 janvier 2016 à Téhéran, après l’exécution par le régime saoudien de Baqer al-Nimr, un éminent érudit chiite.

Téhéran-Riyad : une rivalité sans fin

XINHUA NEWS AGENCY/SIPA

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armi les pays redoutant le plus le retour de l’Iran dans le commerce mondial, il y a bien sûr l’Arabie saoudite. Car, dans la lutte à laquelle se livrent les deux nations pour la domination régionale, l’économie est le nerf de la guerre. Le royaume saoudien reste pour l’heure, selon la Banque mondiale, la première économie du Moyen-Orient grâce à sa colossale richesse en or noir. Dans le trio de tête des producteurs mondiaux avec les Russes et les Américains, les Saoudiens ont extrait une moyenne de 10,4 millions de barils par jour en 2016, trois fois plus que les Iraniens, selon des chiffres de l’Opep. Toutefois, Téhéran a une longueur d’avance en termes de diversification de son économie. « Il y existe une base industrielle qu’il n’y a pas en Arabie Saoudite », souligne l’économiste français Thierry Coville. L’Iran dispose en outre d’un marché intérieur de 80 millions d’habitants, contre seulement 32 millions, dont 10,4 millions de travailleurs étrangers, pour Riyad. L’hostilité entre les deux puissances date de 1979 après l’arrivée au pouvoir à Téhéran d’un régime religieux chiite au terme d’une révolution qui a renversé une monarchie pro-américaine jugée corrompue et despotique. Le premier Guide suprême de la « république islamique », l’ayatollah Ruhollah Khomeini, tente de se poser en leader spirituel de tous les musulmans, y compris les sunnites, majoritaires au Moyen-Orient. La monarchie saoudienne, qui règne sur les lieux les plus saints de l’islam, La Mecque et Médine,

n’apprécie guère. D’autant que le royaume doit composer avec une importante minorité chiite, souvent pauvre et discriminée, dans sa région productrice de pétrole. Les pétromonarchies du Golfe financent à partir de 1980 une guerre de huit ans menée par l’Irak de Saddam Hussein, un pays arabe majoritairement chiite, contre son voisin iranien présenté comme « l’ennemi traditionnel » non pas chiite mais perse. L’Iran se rapproche alors de la Syrie, en très mauvais termes avec Saddam Hussein, et s’immisce dans la guerre civile libanaise (1975-1990) en finançant et en entraînant une milice chiite qui prendra le nom Hezbollah, le « parti de Dieu ». Proclamant haut et fort son soutien à la cause palestinienne, Téhéran appuie également le Hamas, lié aux Frères musulmans (sunnites), et épaule, avec le Hezbollah, le régime de Bachar al-Assad dans sa lutte sanglante contre des groupes rebelles de diverses tendances, dont le groupe État islamique qui s’étend jusqu’en Irak. L’Arabie Saoudite finance de son côté des États alliés et des groupes sunnites du Maroc au Yémen en passant par l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban. La monarchie wahhabite voudrait que les pays sunnites du Golfe fassent front commun contre l’Iran, d’où l’ultimatum lancé au Qatar, la marginalisation du sultanat d’Oman et la guerre meurtrière menée au Yémen contre des combattants affiliés à un mouvement religieux zaydite (une variation du chiisme) pro-iranien et proche du Hezbollah libanais. ❐ S.A.B.

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L’offensive du Royaume sur le continent connaît une forte accélération depuis la fin de l’année dernière. Portée personnellement par Mohammed VI, elle repose sur une série de grands projets que la réalité macro-économique pourrait contrecarrer.

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par Julie Chaudier, à Casablanca

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JULIAN DUFORT POUR LA FONDATION L’ORÉAL

JULIAN DUFORT POUR LA FONDATION L’ORÉAL

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n « oui de principe ». La réponse des États membres de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), à Monrovia, début juin, à la demande du Maroc d’intégrer l’organisation, est à la fois ambiguë et étonnamment positive. Avec son entrée dans l’Union africaine – « sa famille institutionnelle » selon l’expression désormais consacrée au Maroc – Rabat entame une nouvelle étape de sa percée africaine à travers son intégration régionale. Rien ne semble pouvoir résister au volontarisme de Mohammed VI. À chaque fois, les investissements du Maroc, son aide et son amitié sont bien accueillis par les pays d’Afrique subsaharienne. Mais une telle poussée n’est pas sans poser des questions. Le Royaume a-t-il les moyens de ses ambitions ? N’y a-t-il pas des risques pour les économies de ces pays, à commencer par une concurrence accrue pour leurs productions nationales ? Dès le début des années 2000, Mohammed VI

renouvelle la politique africaine de son père et prédécesseur, Hassan II, à travers des voyages réguliers. Entre 2001 et 2014, le roi effectue cinq tournées africaines, sans compter les nombreuses rencontres bilatérales. Depuis, l’activité diplomatique royale s’est encore intensifiée et il ne se passe pas une année sans une nouvelle tournée. Àchaque visite, de nombreux accords, notamment commerciaux, sont signés. Conséquence, à partir de 2004, les échanges commerciaux avec le continent – qui stagnaient jusque-là – ont commencé à décoller. Même si les pays du Maghreb restent les premiers partenaires du Royaume sur le continent, le commerce avec la Mauritanie, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, qui part de très bas, grimpe en flèche. Entre 2004 et 2014, le montant global des échanges a ainsi quadruplé, passant de 1 milliard à 4,4 milliards de dollars, selon des chiffres de l’OCP Policy Center. En 2014, le Maroc a couvert 87 % de ses importations en provenance du continent grâce à ses exportations, contre seulement 45 % en 2000. La percée est encore plus nette au niveau sous-régional. En dix ans, les exportations AO Û T- S E P T E M B R E 2 0 1 7

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Mohammed VI aux côtés du président tanzanien John Pombe Magufuli, à Dar Es Salam, en octobre 2016, lors de la dernière tournée marocaine sur le continent.

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marocaines vers l’Afrique de l’Ouest ont été multipliées par plus de 6 pour dépasser le milliard de dollars en 2014, tandis que sur la même période les exportations de tous les pays de la sous-région vers le Maroc baissaient de 0,8 %. Conscient du potentiel du marché ouest-africain, Rabat avait tenté dès 2000 d’élaborer un accord de libre-échange avec l’UEMOA et paraphé une première version en 2002, puis une seconde six ans plus tard, sans jamais obtenir sa signature par les États africains. Ils craignaient – déjà – la trop forte concurrence des produits marocains. Aujourd’hui, Rabat veut rejoindre la Cédéao alors que la relation commerciale avec cette zone est plus que jamais déséquilibrée.

immense projet de gazoduc Nigeria-Maroc. Il s’agit de prolonger le gazoduc ouest-africain entre le Nigeria, le Bénin, le Togo et le Ghana, pour le faire remonter jusqu’au Royaume marocain. Il faudra également sécuriser tout le parcours du gazoduc dans un Golfe de Guinée sujette à la piraterie. Enfin, le Nigeria devra aussi faire la preuve de la pérennité de ses réserves, à ce jour les plus importantes du continent (5 100 milliards de m3). En 2014, l’actuel gazoduc ouest-africain était loin de fournir aux trois pays les volumes de gaz prévus. Et, quand bien même le Nigeria parviendrait à sécuriser ses conduites et à assurer les volumes promis, le gazoduc Atlantique ne pourra voir le jour que s’il trouve des financements. La traversée du Sahara occidental, territoire disputé au statut indéterminé, risque de refroidir les grandes organisations financières internationales. Rabat pourrait cependant essayer de s’en passer. Le tout premier accord signé dans le cadre de ce méga-projet associe en effet le fonds souverain Nigeria Sovereign Investment Authority (NSIA) et Ithmar Capital. Ce dernier n’est autre que l’ex-Fonds marocain de développement touristique (FMDT) qui avait réussi en novembre 2011 le tour de force d’associer les fonds souverains des Émirats, du Qatar et du Koweït – rejoint en 2014 par l’Arabie Saoudite – au sein d’un autre fonds d’investisse-

NIGERIA, INTERLOCUTEUR PRÉCIEUX « La Cédéao est une zone d’intégration économique avec un tarif extérieur commun, c’est-à-dire que les États membres imposent les mêmes droits de douane à tous les produits des pays non membres, rappelle Gilles Yabi, analyste et fondateur du Wathi, « think tank citoyen »pour l’Afrique de l’Ouest. Appartenir à la Communauté signifierait pour le Maroc un accès libre et privilégié à ce marché. » Le Maroc court-il alors à l’échec avec la Cédéao comme avec l’UEMOA ? « Tout dépend de la volonté du Nigeria [absent au sommet de Monrovia, NDLR] qui est le pays le plus puissant de la zone », estime Pierre Jacquemot, maître de conférences à Sciences Po Paris, spécialiste de l’Afrique subsaharienne. « Nous aurions préféré avoir l’occasion de discuter en interne, mais elle n’a pas été donnée par le secrétariat de la Cédéao », a regretté Geoffrey Onyeama, ministre des Affaires étrangères du Nigeria, dans un entretien à Bloomberg en juillet dernier, avant d’ajouter : « le principe, bien sûr, est celui de la nonhostilité envers le Maroc. Ce qui doit être examiné davantage, ce sont toutes les ramifications tech- L’Office chérifien des phosphates (OCP), fer de lance de la diplomatie économique niques. » Cependant, « on imagine du Royaume. Ici, complexe de Jorf Lasfar au Maroc. mal le Maroc essuyer un refus final, après une réponse positive ment : Wessal Capital. De fait, le roi cherche aujourd’hui du côté aussi rapide», ajoute Gilles Yabi. Reste donc la possibilité que, des États du Golfe, soutiens indéfectibles du Sahara marocain, parmi les « aspects techniques » qui doivent encore être étudiés le financement nécessaire. En avril 2017, devant les instances pour procéder à l’intégration du Maroc, la Communauté trouve financières arabes réunies à Rabat, il citait le projet de gazoles moyens de ralentir le processus, de le rendre progressif, duc Nigeria-Maroc comme un « modèle de coopération Sud-Sud de peur de voir les fragiles économies de la région mises en devant bénéficier du soutien des instances financières arabes. » difficulté. Autre cheville ouvrière de la coopération Sud-Sud, l’OCP, Dans ce contexte, le Nigeria est un interlocuteur précieux, première entreprise publique marocaine et unique société à puissant, mais affaibli par la chute des prix du pétrole. Mohamexploiter les phosphates du pays. Cet hiver, lors du voyage royal med VI en a bien conscience et a entrepris une vaste opération sur le continent, le groupe a annoncé deux nouvelles usines en de séduction, en décembre 2016, lors de sa dernière tournée Afrique : un premier investissement de 2,4 milliards de dollars africaine. Elle est passée par l’annonce à cette occasion d’un en Éthiopie et un second de 2,5 milliards de dollars au Nigeria

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en coentreprise avec le milliardaire nigérian Aliko Dangote. Argument politique dans le cadre du voyage du roi, ces derniers étaient toutefois en préparation depuis le lancement de la filiale continentale de l’OCP, en février 2016. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la société procède à ce type d’investissements industriels en dehors du Maroc. En octobre dernier, elle avait déjà lancé un investissement de 230 millions de dollars en Inde dans une usine de production d’engrais NPK. C’est en fait la taille des projets comparée à celle, très réduite, des marchés locaux qui rend exceptionnels les deux dernières annonces de l’OCP. Si l’Inde est bien l’un des tout premiers consommateurs mondiaux d’engrais (avec 165 kg par hectare de terres arables selon la Banque mondiale), l’Afrique subsaharienne est, elle, la région la moins consommatrice du monde avec seulement 16 kg par hectare. Un énorme potentiel de croissance, diront les optimistes, mais à la mesure du risque financier pris par l’OCP, rappelleront les pessimistes. En décembre 2016, le groupe a ainsi lancé un emprunt obligataire de 5 milliards de dirhams (soit 450 millions d’euros) qui suit deux autres prêts, 1,85 milliard de dollars en avril 2014 et 1 milliard de dollars en avril 2015. Au final, l’OCP est l’établissement public le plus endetté du pays après l’Office national de l’électricité (ONE), avec 54 milliards de dirhams de dette (4,8 milliards d’euros), soit un taux d’endettement de près de 94 %. LEVIER DE CROISSANCE Jusqu’ici, le géant marocain semble réussir son pari. Mais son succès reste à la merci des cours des engrais et du phosphate. En 2016, le chiffre d’affaires de l’OCP a enregistré un recul de 12,5 %, comme en 2013 et 2014. Le prix la roche de phosphate – qui représentait 58 % du volume des exportations de l’OCP en 2015 – a connu des épisodes de forte baisse en 2013 puis en 2016, liés à une offre excédentaire qui a fait chuter les cours. En dépit de cette conjoncture difficile, ses exportations d’engrais vers le reste du continent ne cessent de progresser : + 137 % en 2014, + 53 % en 2015 et encore + 70 % l’an dernier pour atteindre 1,7 million de tonnes, soit près d’un quart des exportations d’engrais du Maroc. Dans un tel contexte, les investissements annoncés par l’OCP au Ghana en 2014, au Nigeria et en Éthiopie plus récemment accompagnent la politique africaine du roi, cherchent un levier de croissance, mais relèvent également d’une prise de risque réelle. L’OCP aurait-elle lancé de tels investissements aussi vite si elle n’avait eu pour mission claire d’accompagner la stratégie royale ? Ces deux dernières années, l’offensive marocaine en Afrique a en effet été le fruit, plus que jamais, de la forte volonté politique de Mohammed VI. Elle fait sa force mais aussi sa faiblesse. Sa force car, portés par le plus haut sommet de l’État marocain avec autant de dynamisme et de constance, les projets de Rabat ont de fortes chances d’aboutir. Sa faiblesse aussi, car cette volonté politique prend le pas sur les considérations économiques et diplomatiques, voire les oublie. Un pari qui peut devenir dangereux. ❐

LES CHIFFRES CLÉS RELATIONS MAROC-AFRIQUE ÉCHANGES COMMERCIAUX MAROCAINS EN 2014 Afrique 6,4%

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1- Algérie (12,9 milliards de dirhams en 2014) 2- Égypte (5,7 milliards) 3- Tunisie (2,6 milliards)

Océanie 0,4% Océanie

Amérique 10,9%

Afrique Amérique

Asie 18%

Asie

Europe 63,5%

Europe

PRINCIPAUX PARTENAIRES SUBSAHARIENS ENTRE 2008 ET 2014

Entre 2000 et 2015, les échanges entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne ont augmenté de 12,8 % en moyenne par an. Le Royaume exporte aujourd’hui 187 produits vers cette zone, contre seulement 83 en 1995.

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1- Nigeria 2- Sénégal 3- Mauritanie 4- Côte d’Ivoire 5- Ghana

LE ROYAUME EN AFRIQUE

PIB EN 2016

DERRIÈRE le Nigeria, l’Égypte, l’Afrique du Sud et l’Algérie. À la 12e position en termes de PIB par habitant avec 7 841 $ en 2015.

3,7% TAUX DE CROISSANCE EN 2017

C’est plus que l’Afrique du Sud (1,1 %), la Tunisie (1,9 %) et le Nigeria (2,2 %) mais moins que l’Égypte (3,9 %), le Kenya (6,1 %) et la Côte d’Ivoire (7,3 %).

0,628

INDICE DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN EN 2014 Avec ce résultat, le Maroc se place à la 11e position, largement au-dessus de la moyenne continentale (0,459), mais pas dans le groupe de pays au développement élevé où figurent l’île Maurice, l’Algérie, les Seychelles et la Tunisie.

« DOING BUSINESS » Dans le classement 2017, derrière l’île Maurice et le Rwanda. En 2016, il était à la 6e place.

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Sources : Office des changes du Maroc, OCP Policy Center, FMI, Banque Mondiale, CIA Factbook.

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LE MAGHREB, PRINCIPAL PARTENAIRE AFRICAIN DE RABAT

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Larabi Jaidi

Senior fellow au think tank OCP Policy Center

« Se poser en partenaire et non en conquérant »

AMB : Comment décririez-vous la stratégie du Maroc en Afrique ? En dehors des liens avec ses amis traditionnels (Mali, Sénégal, Burkina Faso), le Royaume est longtemps resté dans une posture de retrait, en raison de tensions politiques. Pour rappel, la question du Sahara occidental [source de conflit avec l’Algérie, NDLR] l’avait conduit en 1984 à quitter l’OUA [après l’admission de la République arabe sahraouie démocratique – RASD, NDLR]. Puis, le Maroc a pris conscience que la politique de la chaise vide ne donnait pas de résultats. Alors, pour contourner les obstacles politiques, il s’est positionné en partenaire économique. Je ne dirais pas pour autant qu’il est parti à la « reconquête » de l’Afrique. Il avait en effet gardé une certaine influence dans le Sahel, du fait de sa proximité géographique et culturelle avec les pays de cette région.

L’Afrique du Sud, un membre influent de l’UA, continue de défendre le droit des Sahraouis à l’autodétermination, ce dont Rabat ne veut pas entendre parler… Les mammouths changent difficilement de position dans les conflits de ce genre, qui datent de la guerre froide et d’une certaine vision idéologique du monde. L’Afrique du Sud est enfermée dans une logique un peu paradoxale – le président étant devenu un personnage peu fréquentable. Dans les années 1960, le Maroc a pourtant été l’un des premiers pays à accueillir les mouvements de libération nationale africains – d’Afrique du Sud, d’Angola et du Mozambique – et a même accueilli Nelson Mandela pour une formation militaire. La guerre froide a créé des camps dont on trouve encore des séquelles. Heureusement, les choses changent dans les pays qui ont suivi d’autres voies, comme le Rwanda, la Zambie et la Tanzanie. En Afrique du Sud, cela viendra…

Le Maroc occupe-t-il en partie la place laissée

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après la disparition de Kadhafi ? Non, le changement qui s’est produit en 2011 en Libye n’est pas un facteur déclencheur pour Rabat. Il s’agit d’une coïncidence des agendas politiques. À aucun moment, la présence de Kadhafi sur le registre idéologique et dans une logique d’hégémonie n’a été remplacée par celle du Maroc, qui se positionne au contraire en partenaire. Pour mémoire, le Royaume avait signé sous Hassan II un traité bilatéral de coopération avec la Libye, dans l’optique d’avoir un impact multilatéral en Afrique.

Certains s’inquiètent de voir les banques marocaines contrôler une bonne partie des actifs bancaires dans plusieurs pays africains, notamment au Mali… Je vous retourne la question : qui s’en inquiète au Mali ? L’influence de nos amis algériens peut créer des relais politiques locaux. Les banques marocaines s’implantent dans le cadre des réglementations de ce pays souverain. S’il considérait que cette pénétration remettait en cause l’indépendance du financement du pays, alors sa Banque centrale prendrait les dispositions nécessaires. Les acteurs du Royaume participent à l’assainissement du système financier, mobilisent de l’épargne et leurs actifs sont bien portants. Les systèmes bancaires en Afrique ont toujours été fragilisés par les accointances avec le politique et par des opérations risquées, faute de garanties. Les banques françaises ont quitté certains pays après avoir analysé leur taux de rentabilité ainsi que le montant des créances qui leur sont dues.

Dans quels autres secteurs les Marocains peuvent-ils se démarquer ? Dans l’agriculture, l’irrigation, l’hydraulique et l’électrification. Avec l’expérience acquise via son Plan Vert, qui vise à diversifier les cultures et à désenclaver l’arrière-pays, le Maroc a clairement des choses à apporter. D’autant que les problématiques africaines sont les mêmes. On peut aussi travailler à la complémentarité de nos chaînes de valeur avec d’autres pays, dans le textile, le cuir, la pêche, avec la transformation sur place des matières premières.

Dans la stratégie d’expansion du Maroc, des pays non musulmans, tels que le Rwanda, sont désormais visés, sans la même affinité historique, culturelle et religieuse qu’en Afrique de l’Ouest… Tous ceux qui ont été à Kigali en reviennent ébahis par le

SABINE CESSOU

ÉCONOMISTE MAROCAIN formé à Grenoble, consultant et membre de l’OCP Policy Center, centre de recherches à Rabat, il a longtemps travaillé sur le partenariat Euromed (entre l’Union européenne et dix pays de la mer Méditerranée), les politiques budgétaire et monétaire du Maroc ainsi que le développement des territoires. Ces dernières années, Larabi Jaidi se concentre sur les relations du Maroc avec l’Afrique et l’intégration économique du continent. Cet expert assume un franc-parler parfois difficile à trouver parmi les décideurs économiques du Royaume chérifien.

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changement opéré en matière de gouvernance, de rigueur et de réconciliation nationale. Le rôle du Rwanda au sein de l’UA va s’accentuer avec la réflexion menée par son président Paul Kagame sur la modernisation des institutions de l’organisation. Le Rwanda cherche d’autres partenaires, tandis que le Maroc vise une porte d’entrée en Afrique de l’Est. D’où la conjonction d’intérêts en vue d’un partenariat bilatéral, qui peut également avoir une portée multilatérale au sein de l’UA. Cependant, depuis le dernier sommet de l’institution, les choses sont allées très vite. En une année, le Royaume a noué de nouvelles relations avec huit pays (Éthiopie, Madagascar, Soudan du Sud, Ghana, Kenya, Zambie, Tanzanie et Rwanda). J’espère que l’administration aura la capacité de gérer et digérer tous ces engagements.

L’Algérie est-elle en concurrence avec le Maroc sur ce plan ? Elle perd de l’influence. Pour le Royaume, aller vers la Zambie, la Tanzanie, le Rwanda ou demain vers l’Afrique du Sud – même si pour l’instant les portes restent fermées –, c’est un bon choix.

SABINE CESSOU

Comment les Marocains perçoivent-ils le développement de leur pays ?

Si la demande d’adhésion à la Cédéao du Maroc se concrétise, redoutez-vous des flux de migrants encore plus importants sur votre territoire, qui est déjà une voie de passage vers l’Europe ? C’est un défi. On ne peut ni être une porte ouverte à tous, ni instaurer des restrictions à la liberté de mouvement au sein d’une organisation qui pose comme principe la libre circulation entre ses frontières. Être membre de la Cédéao, cela veut aussi dire que l’on se donne les moyens de peser sur les politiques migratoires dans la sous-région. Le Royaume va aider à mieux réguler ces flux, qui existent déjà de toute façon, membre de la Cédéao ou pas. Le Maroc semble prêt à actionner plusieurs leviers, pas seulement la répression de l’immigration illégale, puisqu’il mène une politique de régularisation, d’aide au retour des migrants et d’appui à des communautés pour l’entrepreneuriat.

Les ACTEURS du Royaume participent à l’assainissement du système financier, mobilisent de l’ÉPARGNE et leurs actifs sont bien portants.

Le Maroc commence à connaître un essoufflement sur le plan économique. Le modèle adopté butte sur certaines rigidités et la création d’emplois. En clair, ce n’est pas parce qu’on a mis une borne-fontaine dans un village que l’eau arrive effectivement aux populations. La borne est-elle bien entretenue ? Est-elle accessible ? Il en va de même sur l’électrification et l’école. Si vous faites une enquête auprès des populations pauvres, vous verrez que ceux qui ne le sont pas se perçoivent tout de même comme tels, en raison d’un sentiment de vulnérabilité. On peut retomber dans la précarité à tout moment. Le regard de l’opinion publique n’est donc pas unanime sur les progrès effectués. Prenons l’exemple de Rabat, qui a gagné un tramway. En facilitant la mobilité, on permet aux jeunes marginalisés qui vivaient dans leur quartier de se rendre au centre-ville où d’autres conditions de vie prévalent. La perception du bienêtre change et les frustrations aussi. Les améliorations créent des attentes, voire des formes de conflictualité. On l’a vu avec les manifestations dans le Rif, une région en litige historique avec le reste du Maroc depuis la révolte menée par Abdelkrim contre la colonisation espagnole. Le Rif a été marginalisé sous Hassan II, oublié des plans d’infrastructures pendant longtemps. La contestation persiste pour une amélioration des conditions de vie, avec des revendications à l’égard des autorités locales en plus de l’existence d’une fraction indépendantiste.

Les décideurs anticipent-ils les conséquences de la transition démographique en cours ?

Jusqu’en 2040, le Maroc va continuer de voir sa pyramide des âges se modifier, avec un nombre d’actifs sur le marché du travail qui va augmenter, des femmes qui vont revendiquer le droit au travail, une population mieux scolarisée. Le Maroc est en train d’assurer sa transition démographique, avec un dividende qui ne se fait cependant pas sentir sur le court terme. C’est la même chose ailleurs en Afrique : des taux de croissance élevés sans création d’emplois. Et, à l’heure actuelle, on n’a pas vraiment de solution, en dehors des mesures habituellement évoquées : plus d’investissements, de meilleures infrastructures, favoriser l’entrepreneuriat et des formations adéquates.

Les opérateurs marocains ont-ils la particularité de ne pas passer pour une nouvelle puissance néocoloniale comme les investisseurs chinois ?

C’est vrai, en raison de l’existence de liens historiques. Un ancien roi du Maroc avait recruté toute son armée au Mali et au Sénégal par exemple. Les Gnawas, « afro-marocains » connus pour leur musique soufie, ont des relations fortes avec la musique subsaharienne. Et les commerçants marocains établis au sud du Sahara sont perçus différemment des Libanais : il n’y a pas d’effet d’hégémonie, mais, au contraire, une plus forte intégration dans les sociétés africaines. L’approche n’est pas celle d’un marché à conquérir, mais d’un partenariat à établir. Les Marocains ne se comportent pas comme les Européens ou les investisseurs des pays émergents. Il ne s’agit pas de placer de la marchandise ni d’exploiter des opportunités rapidement. Rabat cherche plutôt à construire des joint-ventures sur le long terme dans le cadre de relations de confiance. Ce qui implique de prendre son temps, de trouver les bons associés et d’opérer dans la durée. ❐ propos recueillis par Sabine Cessou à Rabat

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Un essor à géométrie variable par Julie Chaudier, à Casablanca

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Vue sur le pont Hassan II et la ville de Rabat.

JULIAN DUFORT POUR LA FONDATION L’ORÉAL

MONICA GUMN/LAIF/REA

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Depuis plus d’une décennie, la croissance marocaine s’appuie sur le développement du libre-échange et les investissements publics. Une stratégie haut de gamme qui n’est pas à l’abri des contradictions sociales.

l Hoceima, secouée par huit mois de manifestations, est-elle en train de devenir la pierre de touche du modèle de développement marocain ? « Le Maroc jouit d’une grande crédibilité à l’échelle continentale et internationale, et bénéficie de l’estime de nos partenaires, de la confiance de grands investisseurs comme Boeing, Renault et Peugeot. […] Néanmoins, les projets de développement humain et territorial, qui ont un impact direct sur l’amélioration des conditions de vie des citoyens, ne nous font pas honneur et restent en deçà de notre ambition », regrette Mohammed VI, lui-même, dans son dernier discours du trône, le 29 juillet dernier, en écho au mouvement contestataire qui secoue la région du Rif. La preuve que, si le Maroc est souvent cité en exemple, il n’est toutefois pas parvenu à assurer un essor homogène. Lorsque le roi arrive au pouvoir en 1999, il met au point, avec ses proches conseillers et une nouvelle génération de technocrates, une stratégie de développement. Elle actionne deux principaux leviers : l’ouverture du Maroc au libre-échange et la réalisation d’importants investissements publics. Avec le premier, Mohammed VI ne fait que poursuivre la politique entreprise par son père, Hassan II, qui avait consenti en 1983 à la libéralisation de l’économie nationale, sous la pression du Fonds monétaire international (FMI) afin de sauver le pays, lourdement endetté, de la faillite. En plus de l’accord d’association avec l’Union européenne, le Maroc signe donc, entre 2000 et 2007, des accords de libre-échange (ALE) avec l’Égypte, la Jordanie, la Tunisie, la Turquie et les États Unis. Cette logique d’ouverture imprègne chacun des plans sectoriels conçus par les plus grands cabinets de conseils internationaux comme McKinsey, sollicités pour leur capacité à « benchmarker » le Maroc. Dès le départ, l’objectif est donc de le placer sur la carte de la production et des échanges mondiaux. Sur le plan agricole, il s’agit d’exporter plus ; dans le domaine industriel, il faut l’intégrer dans le marché de la sous-traitance ; sur le plan du tourisme, il doit attirer davantage de visiteurs étrangers grâce à ses stations balnéaires. Avec le second levier, l’État va se donner les moyens de réaliser chacun des grands plans par des investissements massifs. Cette année, il prévoit encore de dépenser quelque 190 milliards de dirhams dans ce cadre (soit 17 milliards d’eu-

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ros). L’an dernier, ces investissements représentaient 18,6 % du produit intérieur brut (PIB), contre 13 % en 2007, selon le ministère des Finances. Les gouvernements successifs misent principalement sur les infrastructures : ils procèdent à l’électrification du pays, étendent les routes et les autoroutes, développent les ports et aéroports. Les investissements étrangers complètent l’action publique. De 20,9 milliards de dirhams en moyenne (soit 2 milliards d’euros) par an entre 2000 et 2007, ils atteignent 32,6 milliards annuels (soit 3 milliards d’euros) sur les huit années suivantes. Le Maroc est en marche. Certes, l’agriculture continue de peser pour 11 % du PIB en 2016, mais ce dernier est de moins en moins sensible aux fortes variations des récoltes agricoles. Désormais, le pays n’entre plus en récession à cause d’un manque de pluies. Dans les campagnes les plus isolées ou les bidonvilles, plus personne ne vit avec moins de 1,25 dollar par jour. La faim a été éradiquée. Le niveau de vie moyen a ainsi presque doublé entre 2001 et 2014 même s’il demeure modeste, à 1 325 DH par mois et par indi-

une usine à Tanger, Bombardier à Casablanca, PSA s’annonce à Kenitra – mais l’emploi ne décolle pas. En dix ans, l’industrie en a au contraire perdu plus de 25 000. Plus globalement, c’est toute l’économie qui reste impuissante à créer suffisamment d’emplois pour absorber la croissance de la population active. Le taux d’inactivité est ainsi passé de 47 % en 2000 à 53,6 % en 2016. Le marché du travail accueille en moyenne chaque année 370 000 jeunes supplémentaires quand il ne parvient plus à créer les 100 000 emplois annuels qu’il générait encore jusqu’en 2012.

GRANDS PROJETS CONTESTÉS Comment expliquer que tous les investissements publics et l’augmentation de la consommation ne parviennent pas à générer plus d’activités ? Les efforts consentis par les pouvoirs publics, en prenant la forme de grands projets comme la ligne à grande vitesse Tanger-Kenitra ou la centrale solaire Noor à Ouarzazate, profitent avant tout aux entreprises étrangères et aux multinationales. « Plus une initiative est modeste, plus elle avantage les sociétés nationales. Plus elle est importante, moins elle a de chance de les intégrer, ne serait-ce que d’un point de vue financier », note Ahmed Squalli, le président de l’Association marocaine des industries solaires et éoliennes. De la même façon, l’augmentation de la consommation tire en premier lieu les importations avant de bénéficier à la production nationale. « 32 % du déficit commercial enregistré par le Maroc en 2012 est directement attribuable aux ALE et la contribution des exportations à la croissance économique du pays est, de ce Illustration de l’essor industriel, l’usine Safran dans pôle de Nouaceur, au sud de Casablanca. fait, négative, avec en moyenne – 1,1 point de PIB entre 2005 et 2011 », pointait ainsi le Conseil économique social et envividu (soit 120 euros) en 2014. Les Marocains s’équipent en ronnemental (CESE) dans un rapport remis en 2014. électroménager et en automobile. Ils dépensent de plus en plus De même, la faiblesse structurelle du tissu productif maropour leur santé et l’éducation de leurs enfants. C’est d’ailleurs cain ne lui permet pas de profiter des opportunités d’exportacette augmentation de la demande intérieure - consommation tion offertes par les ALE. Composé essentiellement de petites et investissement, plutôt que les échanges commerciaux - qui et moyennes entreprises (PME), il est rongé par les délais de tire la croissance : 4 % en moyenne entre 2005 et 2016. paiements à rallonge, le mimétisme, le management familial… Elle aurait pourtant dû être encore plus forte. « Bien que le À l’échelle de la société, le manque de reddition des comptes, pays affiche des taux d’investissement parmi les plus élevés au le clientélisme et un système éducatif défaillant sont régulièremonde, le taux de croissance reste inférieur à celui attendu et ment pointés du doigt. Selon le député d’extrême gauche Omar soutenu par les consommations privée et publique », souligne Belafrej, le développement du Maroc ne nécessite pas de finanen 2015 la Banque africaine de développement (BAD) qui quacements supplémentaires, mais davantage de compétences, lifie le modèle économique marocain de « paradoxal ». De fait, de capital immatériel. En 2014, 70 % de la population n’était les projets industriels fleurissent – en 2012, Renault installe

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jamais allée au collège et 32 % était toujours analphabète. Pire, en dépit d’un taux de scolarisation de presque 100 %, le taux de déperdition scolaire est considérable : seul 16 % des élèves atteignent la terminale, selon l’Unicef. Conscientes de ces contradictions, les autorités ont réagi. Le principe de la préférence nationale, qui accorde 20 % de chaque appel d’offres public aux PME marocaines, a été introduit dans le code des marchés publics en 2013. L’intégration locale des industriels étrangers, comme Renault ou PSA, est devenue le leitmotiv de l’actuel ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy (voir AMB 19). En 2014, Rabat a également suspendu la négociation de l’Accord de libre-échange complet et approfondi avec l’Union européenne, qui doit assurer leur convergence réglementaire, et lancé sa propre étude d’impact. « L’acquis communautaire est lourd, complexe, voire inadapté au Maroc. Il a été conçu pendant plus d’un demi-siècle par des pays industrialisés », rappelle Nizar Baraka, président du CESE. NÉCESSAIRE RÉFORME DE L’ÉDUCATION Dans le même temps, le Royaume essaie de diversifier la destination de ses exportations et cible les pays où ses produits sont concurrentiels, en particulier en Afrique. Entre 2004 et 2014, les exportations marocaines à destination du continent ont ainsi quadruplé. L’entrée du Maroc dans la Cédéao serait aussi une aubaine pour ses quelque 500 PME exportatrices. Celles-ci pourraient également profiter d’une éventuelle dépréciation du dirham à la suite de sa libéralisation, annoncée mais suspendue sine die fin juillet (voir ci-contre). La mesure fait encore l’objet de vifs débats au sein de la classe dirigeante. Une dépréciation offrirait aux exportateurs un avantage notable, mais pénaliserait aussi fortement toutes les entreprises dont la production est fondée sur des importations préalables. Reste à savoir si toutes les tentatives du Maroc pour sortir de ces impasses pourront réussir sans réaliser, au préalable, la réforme des institutions, des marchés publics et surtout de l’éducation. La lutte contre la corruption, la révision du mode de recrutement au sein de l’administration, la transparence des marchés publiques mais surtout la réactivité et l’efficacité de l’action publique sont nécessaires. Les dix premières années du millénaire ont beau avoir été désignées « décennie de l’éducation » et le secteur a beau avoir bénéficié d’un programme d’urgence entre 2009 et 2012, le constat de son incurie ne cesse d’être renouvelé. Comme pour l’investissement public, les dépenses de l’État dans l’éducation sont considérables, mais manquent d’efficacité. En attendant les réformes, le pouvoir central – le makhzen – vit dans la crainte qu’une étincelle n’enflamme tout le pays et ne remette en cause sa stabilité. Les mesures adoptées par le ministère de l’Intérieur au lendemain de la révolution tunisienne pour alléger la pression sur le secteur informel, qui emploie les classes les plus pauvres, en sont la preuve. Aujourd’hui encore, toute manifestation est suivie de près, quand elle n’est pas réprimée par crainte d’un effet d’entraînement. ❐

3 questions à SANDY CAMPART Directeur de l’IUP Banque Finance Assurance à l’IAE de Caen et co-auteur de Risques de taux d’intérêt et de change

« Libéraliser le dirham pour attirer les capitaux » AMB : Le Maroc avait annoncé la libéralisation du dirham à partir de juillet, avant de la reporter. Pourquoi ? Tout était prêt sur le plan technique mais il n’y a pas eu suffisamment de travail de pédagogie sur le terrain pour accompagner la mise en œuvre de la mesure. Résultat, elle a suscité des inquiétudes sociales, alimentées par la crainte d’une dépréciation du dirham. On a vu les banques acheter des devises pour se couvrir et la population s’inquiéter d’une inflation. Aujourd’hui, le taux de change du dirham est fixé par les autorités monétaires du pays sur la base d’un panier représentatif de l’euro et du dollar, à raison respectivement de 60 % et 40 %. L’idée est d’adopter progressivement – sur une durée de dix ou quinze ans – un régime de change flottant, où la valeur de la monnaie est déterminée par l’équilibre entre l’offre et la demande. C’est ce processus qu’il faut réussir à mener en douceur.

Le Royaume doit-il renoncer ? Non mais il va prendre son temps. C’est une réforme annoncée de longue date et qui intervient alors que les fondamentaux de l’économie sont bons. Elle a donc toutes les chances de réussir. À la différence de pays où la libéralisation a été imposée en raison de difficultés conjoncturelles, comme en Égypte et au Nigeria, le Maroc a choisi d’aller vers un régime de change flottant. Cela fait partie de sa stratégie pour soutenir sa croissance en attirant davantage d’investissements étrangers.

En particulier les capitaux chinois ? En effet. Aujourd’hui, les salaires marocains sont inférieurs à ceux en Chine. Le Royaume peut donc profiter de cette situation pour devenir la base arrière de la production de biens manufacturés chinois à destination du marché européen. Ce qui ne peut se faire qu’en accroissant les investissements industriels sur son territoire. Cette ambition comporte toutefois un risque. Un régime de change flottant implique une plus grande mobilité et volatilité des capitaux. Le jour où les salaires marocains seront trop élevés au regard des gains de productivité réalisés, ces capitaux pourraient quitter le pays pour aller chercher de meilleurs coûts de production ailleurs. ❐ Propos recueillis par E.M.

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Jamal Belahrach Président de la fondation Jobs for Africa

« S’établir en véritable Silicon Valley africaine » CELA FAIT VINGT ANS, depuis son retour au Maroc après des études en France, qu’il est engagé sur les questions de ressources humaines. Créateur de la filiale marocaine de Manpower à la fin des années 1990, Jamal Belahrach implante le groupe américain en Tunisie, avant de superviser l’ensemble de ses activités au Maghreb. En parallèle, il contribue à la réforme du code du travail au sein de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). En mars 2016, il est nommé directeur général adjoint de l’OCP, en charge du pôle capital humain, un poste prestigieux mais qu’il n’occupe que jusqu’à la fin de l’année. Entre-temps, il a lancé, en partenariat avec le Bureau international du travail (BIT) et l’Organisation internationale des employeurs (OIE), la fondation Jobs for Africa, qu’il préside et dont le siège est à Genève. Sa mission : travailler avec les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs afin de promouvoir la création d’emplois via le développement du secteur privé.

AMB : Quelle évaluation faites-vous de la politique économique marocaine ?

C’est un état d’URGENCE permanent qu’il FAUT décréter pendant quelques années pour RÉUSSIR à générer le nombre d’EMPLOIS nécessaires.

Depuis 2000, le produit intérieur brut (PIB) du pays a doublé bien que nous n’ayons pas de richesses particulières comme le pétrole et le gaz. Cet essor a été porté par une stratégie sectorielle et industrielle, mise en place au bon moment et qui a permis d’intégrer le Royaume dans la mondialisation. Le Maroc s’est positionné avec succès sur les métiers mondiaux, notamment dans l’automobile, l’aéronautique et l’offshoring. L’opérationnalisation du port de Tanger Med est la grande réussite associée à cette évolution : elle a fait du pays une plateforme pour les échanges économiques mondiaux et a incité les investisseurs étrangers à s’installer sur place. Résultat, Tanger et sa région sont devenus le deuxième pôle économique national. À cette réalisation, j’ajoute le projet de centrale solaire Noor, qui constitue une avancée considérable sur le plan des énergies renouvelables.

Cette stratégie sera-t-elle suffisante à l’avenir ? Si on regarde l’impact en matière d’emplois, ce n’est pas

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suffisant. C’est pourquoi une stratégie d’accélération industrielle a été mise en place. Maintenant, nous avons besoin d’appliquer cette recette à d’autres secteurs, comme le textile par exemple. Il faut aussi pousser à l’industrialisation de l’agriculture, qui représente encore 70 % de l’emploi au niveau national. Surtout, ces politiques volontaristes doivent désormais concerner les domaines d’avenir, et en particulier les nouvelles technologies. À l’échelle mondiale, nous sommes en train de vivre une 4e révolution industrielle avec le développement du numérique. Nos modèles économiques sont en plein bouleversement, nous sommes entrés dans une ère « disruptive », d’ubérisation, où les cartes sont rebattues. C’est très visible aux États-Unis, en Europe et en Asie. Mais l’Afrique n’échappe pas non plus à cette évolution, qui doit être intégrée dans notre stratégie.

C’est-à-dire ?

Il faut développer les métiers qui seront au cœur de l’économie du futur, tout ce qui touche aux nouvelles technologies et au codage. Cela signifie créer des espaces de formation, mais aussi des incubateurs pour faire émerger des start-up, constituer un écosystème numérique. Les innovations fleurissent aux quatre coins du continent, on voit comment le Kenya, par exemple, a été pionnier avec M-Pesa. Il ne faut pas perdre de temps. Le Maroc devrait se positionner sur ce créneau dès maintenant pour être à la pointe de la technologie sur le continent, s’établir en véritable Silicon Valley africaine.

Est-ce en cours ? Les élites du pays ont pris conscience de cette nécessité, toutefois elles ont du mal à faire évoluer leur stratégie en conséquence. De même, il y a beaucoup d’initiatives individuelles allant dans le bon sens, mais il manque l’environnement pour les faire grandir.

Qu’est-ce qui bloque ? Cette transformation numérique pose des problèmes partout dans le monde. Ce n’est pas lié à la disponibilité des capitaux, mais plutôt à la difficulté de faire changer les mentalités.

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Aujourd’hui, l’organisation de notre société demeure verticale, hiérarchique. Or, dans le monde de demain, elle sera horizontale, collaborative. À l’échelle des entreprises, cela veut dire que le pouvoir ne sera plus aux mains des dirigeants et des cadres seuls, mais partagé avec l’ensemble des collaborateurs. Ce sera l’intelligence collective qui fera la richesse. Les pays anglosaxons s’accommodent mieux de ce changement que le monde francophone, où il remet en cause le pouvoir des élites, politiques et économiques.

Ces dernières sont-elles dépassées ? Sur notre continent, 70 % de la population a moins de 30 ans. Comparons ce chiffre à l’âge moyen et à l’état d’esprit de nos élites politiques et économiques. La vitesse de transformation de nos économies, des sociétés elles-mêmes et la révolution numérique ne sont pas assez prises en compte dans les politiques publiques. Un changement de logiciel devient nécessaire.

Au Maroc, à quel niveau se situe le problème ? Une entreprise a besoin d’un leader pour construire une vision et la porter afin de réussir. Au Maroc, le roi est ce leader qui a construit cette vision et insufflé une dynamique de réformes. Du côté des citoyens, on sent de grandes attentes, l’impatience de bénéficier de résultats le plus vite possible en termes d’emplois, de services sociaux et d’amélioration des conditions de vie. Entre les deux, il y a les corps intermédiaires, que l’on peut assimiler au top management. C’est à ce niveau qu’il y a un souci.

MOHAMED JANNAT

Est-ce un manque de compétencess ou de volonté ? Ni l’un, ni l’autre. Il n’y a pas de souci de compétences, les talents sont là. Et les réformes peuvent nt être initiées. Seulement, pas à un rythme assez rapide. Le principal ncipal écueil est l’incapacité des différents corps intermédiaires, ermédiaires, publics et privés, à travailler ensemble. e. Pourtant, il faut accélérer le mouvement, concernant ncernant la réforme du marché du travail, de la fiscalité, de tous les chantiers qui permettront nt de créer des emplois. C’est 1 million de 15 -24 ans qui arrivent sur le marché du travail tous ous les mois sur le continent, soit 12 millions parr an. Toujours au niveau global, 25 % des jeunes sans ans emploi dans le monde se trouvent en Afrique ue et 41 % des chômeurs africains sont des jeunes. Bref, en Afrique comme au u Maroc, il faut changer le rythme des réformes. C ’est un état d’urgence permanent qu’il faut décréter pendant quelques années pour réussir à générer le nombre d’emplois nécessaires et faire en sorte te que ces jobs soient décents et durables. s.

A-t-on trop investi dans les infrastructures, au détriment des hommes ? Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas suffisamment investi dans le capital humain, dans l’éducation, la formation, l’employabilité. Résultat, des milliers de jeunes ne trouvent pas de travail, ne peuvent pas s’acheter un logement, ni évoluer dans leur vie, quand, dans le même temps, les entreprises se plaignent de ne pas trouver de compétences locales à la hauteur. Cette situation est dangereuse car source de frustrations. On ne pourra pas s’en sortir sans assurer un développement cohérent et inclusif. La clé, c’est d’adopter un modèle économique fondé sur la centralité du capital humain.

C’est ce qui explique les révoltes dans le Rif marocain ? C’est un des indicateurs des carences de la mise en œuvre de la vision stratégique royale. Des moyens ont été mobilisés, des projets ont été lancés, mais ces derniers n’ont pas été exécutés. Un problème de gouvernance qui se retrouve aussi dans l’instauration de la politique de décentralisation décidée par le roi. Les autorités locales ont des budgets, tous les outils techniques sont là, mais les déséquilibres régionaux persistent.

Concrètement, quelles sont les mesures à prendre pour lutter contre le chômage ? Elles sont connues. D’abord, il faut accepter l’idée que les entreprises sont la solution et non le problème. Il devient urgent d’améliorer leur compétitivité en baissant le coût du travail avec l’aide pour continuer à servir des l aide d’une d une TVA sociale so prestations sociales aux salariés. De même, la flexibilité et la salar révision du code du travail so sont devenues inévitables. Ce sont les entreprises qui créent de l’emploi, il faut donc les libérer et l libérer les énergies pour qu qu’entreprendre devienne naturel courage. Tout cela permettra aussi de et non pas un acte de cour l’informel au formel. Ensuite, il faut pousser les acteurs de l’in Marshall pour former les demandeurs adopter un plan Marsh d’emploi aux métiers een tension et inciter à la mobilité afin de développer les le régions. Dernier défi, et non des moindres, il faut résoudre le problème de l’éducation. Là encore, il faut agir à l’éduc plusieurs niveaux : mettre l’accent sur plus les soft skills – le savoir-être, l’esprit critique et la curiosité –, les langues cr eet l’informatique, les compétences techniques et la mobilité. Les te eentreprises doivent être parties prenantes du processus au cours p de la formation initiale et continue. Or, elles ne jouent pas assez le jeu O actuellement. ❐ ac

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propos recueillis par Estelle Maussion pro

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PORTRAIT par Sabine Cessou

Pierre Thiam Ce chef sénégalais vit le rêve américain à New York. Il popularise la cuisine africaine à travers des voyages, des conférences et des livres de recettes.

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1989 Après une enfance à Dakar, il quitte le Sénégal pour terminer ses études aux États-Unis et s’installe à New York.

1996 Il lance un service de traiteur à domicile.

2001 Il ouvre son premier restaurant à Brooklyn, le Yolele.

2015 Il sort son deuxième livre de recettes, Senegal, Modern Senegalese Recipes From the Source to the Bowl.

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e self-made-man à l’américaine n’est que peu décrit comme tel, plutôt comme le pape de la nouvelle cuisine africaine. Aide-serveur au départ, Pierre Thiam a gravi tous les échelons jusqu’à cette stature de chef d’envergure, promoteur de la gastronomie du continent. Personnage médiatique outreAtlantique, auteur de livres de recettes, conférencier, mais aussi gestionnaire d’une société de catering (traiteur), ce globe-trotter qui conçoit l’art culinaire comme un engagement militant préfère parler cuisine plutôt qu’argent. Rien, pourtant, ne le destinait à une telle carrière. D’autant que, chez lui, comme dans toutes les maisons du Sénégal, la gastronomie est avant tout une affaire de femmes. Les hommes sont servis, mais pas admis dans les cuisines… « Boy Dakar » (enfant de Dakar) comme les autres, Pierre Thiam a d’abord étudié la physique-chimie à l’Université Cheikh-AntaDiop. Une année blanche l’incite, en 1989, à faire ses valises pour terminer son cursus dans une école de l’Ohio. Il fait partie de la première vague d’émigration sénégalaise aux États-Unis, qui s’imposent alors comme une alternative à la France. À cette époque n’existe pas encore la communauté surnommée Little Senegal sur la 116e rue, à Harlem. Il se fait dévaliser lors de son escale à New York et, pour se refaire, travaille dans un restaurant du West Village. D’abord busboy (aide-serveur), il fait la plonge au Garvins, où il se fait remarquer pour son enthousiasme, avant de rejoindre le restaurant français Jean-

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Claude Bistro. En 1995, le voici chef de cuisine au Boom, un établissement sélect de Spring Street, à Soho, où se croisent Mick Jagger, Francis Ford Coppola, Brad Pitt, Madonna, Lenny Kravitz et David Bowie. Le chef du Boom, Geoffrey Murray, lui demande de proposer des plats issus de son pays. Sa touche africaine, sur la carte, le met sur les bons rails. Il est repéré. Bientôt, on se l’arrache. CLIENTÈLE HAUT DE GAMME En 1996, Pierre Thiam officie au Bang, un restaurant couru du front de mer à Miami, avant de retourner un an plus tard à New York, en tant que chef de cuisine au Two Rooms. La même année, il démarre son business de catering, un service de traiteur à domicile qui intègre aussi fleurs, lumières et orchestre (du quintet à cordes à l’ensemble de musique africaine). Présentation soignée, mets délicats inspirés du Sénégal, cocktails relevés au tamarin ou au gingembre, il se fait une réputation. Parmi sa clientèle haut de gamme, il compte le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, le jazzman Randy Weston, le basketteur Joakim Noah, ou encore Jeffrey Sachs, directeur du Earth Institute à l’Université de Columbia. En 2001, après douze ans de labeur, Pierre Thiam a mis assez d’argent de côté pour ouvrir son propre restaurant à Brooklyn, le Yolele, un bistrot expérimental de cuisine africaine contemporaine, qui en inspirera bien d’autres. Trois ans plus tard, il ouvre le Grand Dakar, qui tourne avec une équipe d’une dizaine de personnes, toujours à Brooklyn. Ce vaste arrondissement de New York est alors en pleine gentrification, les

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Son souci de l’excellence, son attitude ouverte et positive ainsi que son carnet d’adresses représentent l’essentiel de son capital.

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« Notre produit phare, le fonio, est désormais vendu par Whole Foods, la plus grande chaîne de supermarchés de produits naturels aux États-Unis. »

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classes moyennes fuyant la flambée des loyers et le manque d’espace. Au Grand Dakar, on retrouve l’atmosphère décontractée, l’incitation au brassage social et racial ainsi que le service professionnel qui font la marque des meilleurs restaurants sénégalais de New York. En 2009 sort Yolele, Recipes From the Heart of Senegal (Lake Isle Press), son premier livre de cuisine, qui lui vaut des prix aux États-Unis, mais aussi d’être invité fréquemment à la radio et la télévision pour parler de son art. « La cuisine africaine nous ressemble, dit-il, elle a des goûts audacieux et un côté chaleureux. » Son souci de l’excellence, son attitude ouverte et positive ainsi que son carnet d’adresses, de plus en plus fourni au fil des rencontres, représentent l’essentiel de son capital. En 2012, Pierre Thiam officie à la Biennale de La Havane, où il collabore avec des chefs cubains pour organiser dix dîners d’anthologie. Ce passionné, surnommé par la presse « roi de la nouvelle cuisine africaine », mène en parallèle une autre carrière, plus mondaine et médiatique. En mai 2013, il a l’idée du festival AfroEats, organisé au Grand Théâtre de Dakar avec concours d’élèves, parcours culinaire à travers les régions du pays et promotion des produits locaux, en partenariat avec le ministère du Commerce et de l’Industrie et l’agence de design Dakar Next. L’idée est de réaliser chaque année le festival dans un pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), mais le projet restera sans suite. Peu importe, l’aura du chef continue de grandir, tout comme son engagement militant. On le retrouve en 2015 aux fourneaux des Nations unies, sous les auspices de Ban Ki-moon, pour le dîner de commémoration de l’esclavage. Il organise aussi des voyages culinaires au Sénégal, où il emmène des chefs de tous les pays (France, Chine, États-Unis, Cameroun, Togo…) découvrir son patrimoine gustatif et échanger sur leur savoir-faire. Il devient porte-parole du Fonds international pour le développement de l’agriculture (Ifad), une agence onusienne,

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et participe à sa campagne vidéo « recettes pour le changement », lancée en octobre 2015, avant la COP 21 à Paris. En quatre minutes, Pierre Thiam, au milieu d’un champ, entouré de femmes organisées en coopérative, explique comment le changement climatique perturbe les cultures au Sénégal. Son cheval de bataille : réhabiliter le fonio, une céréale sans gluten qui pousse partout en Afrique de l’Ouest et qui pourrait résoudre bien des problèmes, à la fois alimentaires et économiques, s’il se substituait, avec d’autres céréales locales, comme le mil, au riz brisé massivement importé de Thaïlande. À Rio, il est invité en 2016 par une équipe de chefs renommés, dont l’Italien Massimo Bottura et le Brésilien David Hertz, également entrepreneur social actif dans les favelas, pour transformer les restes alimentaires du village des jeux Olympiques en plats gourmands pour les Cariocas les plus pauvres. L’initiative, intitulée « Refettorio Gastromotiva », vise à sensibiliser sur les déchets alimentaires et la malnutrition. RAYONNEMENT INTERNATIONAL Des favelas de Rio, il passe la même année aux quartiers chics de Lagos, au Nigeria, où il se voit confier la conception de la carte du Nok by Alara sur l’île Victoria. Il réinvente alors les plats traditionnels nigérians et sénégalais pour en faire des mets gastronomiques et proposer de la « fusion » africaine. Au menu de ce lieu au décor épuré et exotique, dont les murs bleus, le mobilier noir et les luminaires blancs évoquent davantage New York ou Amsterdam que l’Afrique de l’Ouest : igname pilée, mafé, calamars grillés aux épices de suya, pepe soup (gombo et homard) et tarte à l’hibiscus. La clientèle est ravie, hormis ceux qui fustigent le rapport quantité/prix des plats, aux portions microscopiques façon « nouvelle cuisine ». Alors que certains pensent à tort que le Nok by Alara lui appartient, Pierre Thiam reste installé à New York, où vivent ses trois enfants. Entre-temps, il a fermé ses restaurants de Brooklyn en 2008 et 2011 : « Être chef demande

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beaucoup de sacrifices. Ma vie de famille était quasi inexistante. Cuisiner demeurait ma passion mais j’avais d’autres ambitions : contribuer à la reconnaissance de nos cuisines africaines et que mon impact aille au-delà du dernier repas que j’ai concocté, explique-t-il. Je voulais toucher davantage de gens à travers mes livres, mes voyages et autres projets. » Dont acte : il sort un deuxième livre de recettes en 2015, Senegal, Modern Senegalese Recipes From the Source to the Bowl (ci-contre), illustré par un photographe culinaire de renom, et continue à gérer son activité de traiteur, tout en rayonnant à l’international. Son business tourne « avec des contractuels plutôt que des employés et leur nombre peut varier, jusqu’à plusieurs dizaines en fonction de la dimension de l’événement », détaille-t-il. En mai, il servait les invités VIP de l’édition newyorkaise de la foire d’art 1:54. En juin, il a lancé sa ligne de produits alimentaires africains Yolele destinée au marché américain. « Notre produit phare, le fonio, est désormais vendu par Whole Foods, la plus grande chaîne de supermarchés de produits naturels aux États-Unis. Notre but est d’ouvrir de nouveaux marchés pour les produits de coopératives gérées par des femmes, en collaboration avec l’ONG SOS Sahel. »

Infatigable ? Dans les cartons de Pierre Thiam, deux projets de nouveaux restaurants : l’un à New York, autour du thème « African Steakhouse », l’autre dans un hôtel de Dakar. Depuis le début de l’année, il s’est rendu en Caroline du Nord pour une conférence ; à La Nouvelle-Orléans pour des ateliers à l’Université Dillard, où il a comparé certains plats typiques de la Louisiane avec le supukandja sénégalais (sauce gombo, huile de palme, viande et poisson mélangés) ; et au Sénégal en février avec une journaliste et un photographe du Wall Street Journal. Après un saut à Accra puis à New York, retour au pays en avril, pour le Forum de SaintLouis, organisé par son ami Amadou Diaw, patron de l’Institut supérieur de management (ISM), qui planche sur la création d’un Davos africain. Fin août, il sera l’invité d’honneur du panel « Pathmakers » (pionniers) de la conférence annuelle de l’ONG TED Global à Arusha, en Tanzanie, aux côtés de cinq femmes et du président rwandais Paul Kagame. Médaillé par l’Association des chefs cuisiniers du Zimbabwe en 2012, il n’a curieusement jamais été décoré chez lui. Pourtant, cet ambassadeur culturel, qui se dit « inquiet et déçu par le niveau du débat politique » au Sénégal, mériterait largement un statut de diplomate itinérant. ❐

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La cuisine de Pierre Thiam dégustée par les invités de la BSR Conférence 2016, consacrée à l’économie durable, à New York.

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Togo Encore un effort !

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par Nataka Noun, à Lomé

Vue sur le monument de l’Indépendance et l’hôtel Radisson Blu dans le centre-ville de Lomé.

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En 2012, le pays a entamé un ambitieux plan de développement. Objectif : assurer la relance de l’économie. Et s’imposer comme l’une des plateformes d’entrée en Afrique de l’Ouest. Un pari audacieux confronté à une conjoncture difficile.

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’un côté, les signaux positifs. Ouverture d’un premier centre commercial à Lomé, installation de nombreux groupes étrangers et panafricains, organisation de plusieurs sommets et rencontres internationales. De l’autre, les ombres au tableau : grèves répétées des enseignants, greffiers et étudiants ; chantiers sur le réseau routier en retard ; efforts à faire pour attirer de nouveaux investisseurs. Le Togo est dans cet entre-deux. Fort d’un taux de croissance de 5,3 % de son produit intérieur brut (PIB) prévu cette année, il jouit de sa position stratégique de porte d’entrée maritime en Afrique de l’Ouest. Dirigé par Faure Gnassingbé depuis 2005, réélu pour un troisième mandat en 2015 sur fond de contestation, le pays a entamé un programme de développement qui mise avant tout sur les infrastructures et l’amélioration du climat des affaires.

Pourtant, le Togo, pays d’environ 7 millions d’habitants, revient de loin. Dirigé pendant près de trente-huit ans par le général Étienne Gnassingbé « Eyadéma », le père de l’actuel président, le pays est isolé sur la scène internationale. En proie à une longue crise politique, source de graves violences, il est privé de l’aide des bailleurs de fonds dans les années 1990 et 2000, notamment de l’Union européenne (UE) entre 1993 et 2007. Conséquence, la production des principales richesses nationales, phosphates mais aussi coton, cacao et café, s’effondre, plongeant le pays dans le marasme. Sur la période 2000-2005, la croissance annuelle moyenne de son PIB n’atteint même pas 1 %. Et il est également confronté, en 2006 et 2007, à une crise énergétique touchant toute la région, le Togo comme le Bénin et le Ghana peinant à développer leur production d’électricité. Le rebond intervient dans les années 2010, après la normali-

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sation de la situation politique et la reprise de la coopération financière avec les argentiers internationaux, dont l’UE et le Fonds monétaire international (FMI). En 2012, le pays adopte un plan de développement, baptisé Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (Scape). Couvrant la période 2013-2017, il s’articule autour de cinq axes : l’essor des secteurs à fort potentiel de croissance ; le développement des infrastructures économiques ; le renforcement du capital humain, de la protection sociale et de l’emploi ; la bonne gouvernance ; la promotion d’un développement participatif, équilibré et durable. Une politique de grands travaux est menée, largement financée par la Chine via l’Exim Bank : rénovation de routes, modernisation du port de Lomé et création d’un port de pêche à Gbétsogbé, à 30 km à l’est de la capitale, ajout d’une nouvelle aérogare à l’aéroport international Gnassingbé-Eyadema et réhabilitation du second aéroport du pays (voir page 89). L’accent est aussi mis sur l’agriculture, secteur clé de l’économie togolaise. La production de cultures vivrières représente en effet 47 % du PIB et fait travailler 65 % de la population. Dès 2009, les autorités mettent en place, avec l’appui de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la Banque d’investissement et de développement de la Cédéao (BIDC), le Programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire (PNIASA), doté de 600 milliards de francs CFA (près de 915 millions d’euros). Objectif : améliorer les rendements en fournissant du matériel et des équipements aux paysans. En parallèle, plusieurs autres réformes sont initiées. Une régie financière est créée, l’Office togolais des recettes, qui regroupe les services des impôts et des douanes pour améliorer la collecte des taxes. Un guichet unique des affaires voit aussi le jour pour faciliter la création d’entreprise, de même au port autonome de Lomé pour faciliter les entrées et sorties de marchandises ainsi que le règlement des droits de douane. Ces efforts sont payants. « Les résultats de l’économie togolaise ont été solides ces dernières années, avec une croissance soutenue et une inflation basse », a souligné en mai dernier le directeur général adjoint du FMI, Tao Zhang. Le taux de croissance du PIB est ainsi passé de 4 % en 2011 à 7 % en 2017. Le taux de pauvreté a également reculé, de 58,7 % en 2011 à 43,7 % cette année. Même chose sur le plan

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L’une des richesses togolaises, les phosphates, ici exploités dans le centre minier d’Hahotoé, à 40 kilomètres au nord-est de la capitale. agricole. D’après les chiffres publiés en janvier 2017 par le PNIASA, la production de maïs a augmenté de 80 % et celle de riz de 19 % entre 2012 et 2016, des résultats associés à la création de 15 000 emplois. Résultat, le Togo a enregistré des excédents céréaliers ces trois dernières années. Le pays veut maintenant se doter d’une sucrerie et entend généraliser les prêts pour les projets agricoles. Les autorités créent la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT), une société d’économie mixte détenue à 60 % par l’État et à 40 % par les organisations de producteurs de coton, pour relancer la filière. Son Au-delà de objectif est d’atteindre une production de 200 000 l’équation tonnes de coton-graine à l’horizon 2022, avec un budgétaire, rendement d’au moins 1,6 tonne à l’hectare (voir le pays doit page 90). Concernant les phosphates, qui ont rerelever un présenté jusqu’à 40 % des recettes d’exportation, principal défi, les progrès sont plus timides, malgré un investisla création sement de plus de 200 milliards de francs CFA sur d’emplois. la période 2011-2015, porté par la Société nouvelle des phosphates du Togo (SNPT). Autre réalisation, l’essor du port de Lomé. Relancée par la société espagnole Progosa, l’infrastructure est maintenant gérée par deux principaux opérateurs privés, Togo Terminal, filiale de Bolloré Africa Logistics (BAL), et Lome Container Terminal (LCT), de Mediterranean Shipping Company (MSC). Depuis 2014 et la chute du prix des matières premières, la situation s’est toutefois compliquée. La hausse des importations, notamment de biens d’équipements, combinée à la baisse des revenus d’exportation a creusé le déficit commercial, déjà conséquent, qui a dépassé les 80 milliards de francs CFA en 2015, selon des chiffres de la BCEAO. En parallèle, les importants investissements publics réalisés ont aggravé la dette, aujourd’hui estimée à 75,4 % du PIB selon le FMI. Pour faire face à ces difficultés, le Togo a obtenu de l’institution de Bretton Woods, en mai dernier,

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Encore un effort !

un prêt de 241 millions de dollars, dont 34,5 millions de dollars débloqués aussitôt. Versés au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC) et remboursable sur dix ans, les fonds doivent notamment permettre de financer le programme d’urgence de développement communautaire (PUDC), lancé en juin 2016 pour construire des infrastructures dans les zones les plus défavorisées. Le versement des autres tranches d’aide, étalé sur trois ans, sera conditionné à l’application d’une série de réformes économiques. Preuve de la volonté de soutenir le pays, l’UE lui a accordé cette année une aide de 10 millions d’euros et la BOAD lui a octroyé un prêt de 27,6 milliards de francs CFA pour la réalisation des infrastructures socio-économiques. « On constate que la croissance décélère depuis 2014, note Kwami Ossadzifo Wonyra, enseignant chercheur en économie à l’université de Lomé. Ceci est dû aux secteurs dans lesquels le pays a choisi d’investir, notamment les infrastructures, qui ne sont pas directement porteuses de croissance, même si à long terme ces investissements seront bénéfiques pour le Togo. » Autre écueil pointé par les observateurs : une gouvernance qui reste fragile en raison de « la non-prévision de scénarios pessimistes » et du « non-alignement des budgets de l’État sur la stratégie » définie. Au-delà de l’équation budgétaire, le pays a encore d’importants défis à relever, dont le principal est la création d’emplois pour une jeunesse toujours plus nombreuse. Malgré la promesse d’une meilleure redistribution des richesses et les forts taux de croissance enregistrés ces dernières années, les Togolais peinent à voir leurs conditions de vie s’améliorer, avec un PIB par habitant de 578 dollars en 2015 selon le FMI. Manifestations des enseignants, grèves contre la hausse des prix du carburant, retour des marches de l’opposition, la grogne sociale enfle. En réponse, nombre d’observateurs appellent à maintenir le niveau d’investissement et encourager l’essor du secteur privé, dans un pays qui arrive à la 154e position sur 190 dans le classement « Doing business » de la Banque mondiale. « L’économie togolaise n’est pas assez stable pour permettre l’épanouissement du privé, affirme Laurent Tamégnon, le président du Conseil national du patronat. L’assainissement du milieu des affaires est réel. Toutefois, il y a un manque de fluidité dans la circulation des biens et des personnes. » ❐

Stratégie Lomé joue la carte du hub Installations d’entreprises, organisation de sommets, projet urbain, la capitale est en pleine mutation.

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l y a d’abord eu l’implantation des sièges régionaux de la Banque d’investissement et de développement de la Cédéao (BIDC) et de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Puis, plusieurs sociétés panafricaines ont vu le jour, dont la compagnie aérienne Asky et les banques Ecobank et Orabank. Enfin, nombre de groupes étrangers ont eux aussi élu domicile à Lomé, comme Bolloré, MSC et Etisalat mais aussi Attijariwafa Bank, BMCE Bank of Africa et la Société générale. Ces dernières années la géographie de la capitale s’est transformée : de nombreux immeubles de bureaux sont apparus sur le boulevard circulaire, près de la place de l’Indépendance et sur le front de mer, un mouvement accompagné de la dynamisation de la zone franche et du lancement du nouveau quartier administratif de Lomé II. Centre d’affaires ouest-africain, la capitale togolaise s’est aussi imposée comme un hub réAprès le gional du transport. Son port en eau profonde, sommet qui voit passer 80 % des échanges commerAfrique-Israël, ciaux du pays, assure également l’approvisionil y aura la nement des pays de l’hinterland, notamment le conférence de Niger, le Burkina Faso et le Mali. Asky, qui asla Francophonie sure près de 300 vols hebdomadaires à destinaet le sommet tion de 23 capitales d’Afrique de l’Ouest et cende la Cédéao. trale, a fait transiter plus de 500 000 voyageurs en 2016 par l’aéroport international Gnassingbé-Eyadéma, également desservi par Ethiopian, Emirates, Air France ou encore Kenya Airways. Son nouveau terminal, inauguré l’an passé, doit permettre à la compagnie nationale d’augmenter son trafic et pourrait inciter d’autres transporteurs à faire de Lomé leur base opérationnelle. Dernier volet pour renforcer le rayonnement de la ville, l’activité diplomatique et l’organisation de conférences. Après le sommet sur la piraterie maritime dans le golfe de Guinée en octobre dernier, Lomé vient tout juste d’accueillir le forum de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) (voir page 86). Elle va organiser trois autres événements d’ici la fin de l’année : le sommet Afrique-Israël fin octobre (voir page 87), la 33e Conférence ministérielle de la Francophonie fin novembre et le Sommet de la Cédéao en décembre. ❐ N.N.

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Dédé Ahoéfa Ekoué « Utiliser l’AGOA pour stimuler les échanges » Pour la présidente du Comité d’organisation du forum sur l’African Growth and Opportunity Act, les pays africains doivent davantage profiter de la loi américaine. PROPOS RECUEILLIS PAR ESTELLE MAUSSION

Cette disposition offre des tarifs préférentiels en matière de douanes à près de 6 000 produits africains sur le marché américain, qui compte près de 350 millions de consommateurs. Si des progrès ont été enregistrés, il est globalement reconnu que les avantages offerts par ce dispositif sont largement sousexploités par les pays africains. Il y a donc urgence à entreprendre des actions pour accroître et diversifier les exportations vers les États-Unis. D’autant que le contexte est propice avec une croissance de l’Afrique subsaharienne qui repart à la hausse, à 2,6 % cette année et une prévision de 3,2 % pour 2018, contre 2,2 % en 2016.

Qu’en est-il au Togo plus particulièrement ? Éligible depuis 2008, notre pays exporte essentiellement des produits agricoles et quelques produits transformés issus de sa zone franche. Entre 2014 et 2016, il a exporté un peu plus de 34 millions de dollars de marchandises vers les États Unis et seulement 1 % de ces exportations ont été réalisées sous AGOA.

Comment passer à la vitesse supérieure ? Pour ce faire, nous avons adopté un plan d’action à court et à moyen terme. Il s’agit tout d’abord de sensibiliser et mettre en relation toutes les parties prenantes : grandes, moyennes et micro-entreprises, petits producteurs, investisseurs nationaux, y compris ceux de la diaspora, investisseurs africains, américains et d’autres continents mais aussi organisations de la société civile et centres de recherche qui

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C’est une opportunité de cibler des filières d’exportation pour leur donner une impulsion.

accompagnent les différents acteurs. Ensuite, il faut prendre un certain nombre de mesures : soutenir les entreprises qui exportent déjà ou qui sont prêtes à exporter ; améliorer la qualité des produits exportés en investissant dans les filières porteuses et compétitives ; former davantage les petits producteurs ruraux, les jeunes et les femmes ; renforcer la certification et le respect des normes régionales et internationales. Enfin, il faut utiliser l’AGOA pour stimuler les échanges entre le Togo et la sous-région.

Quels sont les secteurs porteurs au Togo ? Depuis 2010, le taux de croissance annuel moyen du PIB agricole est de l’ordre de 6,6 %. Au sein des filières traditionnelles, la production de coton a connu une croissance de 305 % en six ans, passée de 27 906 tonnes en 2010 à 113 000 tonnes en 2016. Même chose pour le café et le cacao, avec une augmentation respective de 18 % et 14 % sur la même période. En outre, de nouvelles filières d’exportation s’ouvrent, telles que la noix de cajou et le karité. Il y a un même dynamisme dans le domaine minier, en particulier pour le clinker, les phosphates et le ciment. L’AGOA offre l’opportunité de cibler ces filières d’exportation pour leur donner une nouvelle impulsion, mais aussi de développer l’utilisation de la plateforme logistique et du transport mise en place par le pays.

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AMB : La loi AGOA est entrée en vigueur en 2001 et elle a été renouvelée en 2015 pour dix ans. Quel bilan en faites-vous ?

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Faure Gnassingbé et Benyamin Netanyahou Encore un effort ! en juin 2016 à Tel-Aviv.

Quel est l’enjeu à l’échelle continentale ? L’ambition que nous partageons avec tous les autres pays impliqués est d’ouvrir une nouvelle ère du commerce entre l’Afrique et les États-Unis afin de contribuer à la réalisation de l’Agenda 2030 de l’ONU et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Les perspectives économiques montrent que le continent a beaucoup de potentiel. À travers le commerce avec les ÉtatsUnis et en utilisant pleinement l’AGOA, ce potentiel peut être converti en richesse pour nos pays. Autrement dit, en création d’emplois pour la jeunesse, en accroissement du chiffre d’affaires pour les entreprises, en augmentation des ressources financières internes pour les États, ce qui permettra in fine d’améliorer les conditions socio-économiques des populations, y compris celles des zones rurales. L’enjeu est d’intégrer les petits producteurs, les jeunes et les femmes dans les chaînes de valeurs par des approches volontaristes et économiquement viables. Par ailleurs, c’est une opportunité pour l’Afrique de l’Ouest, et notamment pour les pays de la Cédéao, de renforcer l’intégration sousrégionale.

On parle souvent des retombées en termes d’industrialisation. Qu’en est-il ? L’AGOA est déjà utilisé dans certains pays éligibles comme levier pour l’industrialisation légère, notamment dans le domaine du textile et de l’agroalimentaire. Il appartient à chaque État de tirer profit des pratiques existant dans d’autres pays pour créer les conditions d’émergence de cette industrialisation. Celle-ci passe aussi, au niveau africain, par une meilleure intégration économique, d’où les efforts en cours pour la libéralisation des échanges. La conformité aux normes AGOA et aux autres standards internationaux est également fondamentale.

RONEN ZVULUN/AP/SIPA

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Pensez-vous que les États-Unis doivent être plus présents en Afrique ? Le continent regorge d’opportunités et tout investisseur avisé gagnerait à y être présent. Dans le même temps, l’Afrique est prête à saisir toutes les opportunités de partenariat pour son émergence et elle apprécie tous les pays qui s’intéressent à son potentiel dans une perspective gagnant-gagnant. ❐

LOMÉ ACCUEILLE LE PREMIER SOMMET AFRIQUE-ISRAËL

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’est une grande première et un pas de plus dans le renforcement des relations entre le continent et l’État hébreu. Prévu du 23 au 27 octobre prochain, ce sommet doit réunir des chefs d’État et de gouvernement, des délégations ministérielles et des représentants du secteur privé pour des échanges autour de deux thèmes, le développement et la sécurité. Depuis la tournée africaine (Éthiopie, Kenya, Ouganda, Nigeria et Ghana) du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman en 2009, Israël ne cesse de pousser ses pions en Afrique, avec une nouvelle série de visites officielles en Ce renforcement 2014 (Rwanda, Côte d’Ivoire, des relations Ghana, Éthiopie et Kenya) et, plus est source de récemment, la participation du tensions sur Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, au 51e sommet de la le continent, Communauté économique des États en particulier de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Maghreb. en juin dernier au Liberia. Un mouvement encouragé par le Togo, second partenaire commercial de Tel-Aviv sur le continent après l’Afrique du Sud en 2013, en raison de l’achat de matériel de sécurité à hauteur de 191 millions de dollars, selon l’Israel Export Institute (IEI). Militaire et scientifique, la coopération entre les deux pays est aussi agricole et industrielle. En 2015, le groupe minier israélien Elenilto, allié au géant chinois Wengfu, a ainsi remporté l’appel d’offres international pour la production annuelle de 5 millions de tonnes d’engrais et autres produits phosphatés. Reste que ce rapprochement est source de tensions sur le continent, en particulier au Maghreb. Douze États africains, solidaires de l’offensive égyptienne et des pays arabes en 1973 lors de la guerre du Kippour, ne reconnaissent toujours pas Israël. Preuve que l’on est encore loin d’une normalisation, le roi du Maroc, Mohammed VI, a décliné à la dernière minute l’invitation au sommet de la Cédéao de juin dernier en raison de la présence du Premier ministre israélien. ❐ N.N.

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Transport Le PAL priorité nationale

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uelque 5 millions de tonnes de marchandises traitées sur les quatre premiers mois de 2017 et un objectif de 16 millions sur l’ensemble de l’année. C’est l’ambition du port autonome de Lomé (PAL). Voyant passer plus de 80 % des échanges commerciaux togolais, le PAL contribue à hauteur de 45 à 55 % au produit intérieur brut (PIB) national. Seul port naturel en eau profonde d’Afrique de l’Ouest, bénéficiant d’un tirant d’eau de 14 mètres, il assure également l’approvisionnement de l’ensemble des pays de l’hinterland. Ainsi, trois États – le Mali, le Burkina Faso et le Niger – comptent pour environ 30 % du trafic annuel. Fort de ce positionnement stratégique, les autorités, en association avec les deux principaux opérateurs privés du complexe, Bolloré et Mediterranean Shipping Company (MSC), ont fait de l’amélioration des capacités du port (construit en 1967) l’une des priorités nationales. Un plan de développement, lancé en 2011, a permis de réaliser deux grands chantiers. D’une part, la construction d’un troisième quai de

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450 mètres de long, mis en service en 2014 et pouvant accueillir des navires de dernière génération. Réalisé par le groupe français Bolloré via sa filiale Togo Terminal, le projet a nécessité un investissement de 300 milliards de francs CFA (environ 457 millions d’euros). D’autre part, la création d’un nouveau terminal de transbordement, pour un investissement de 230 milliards de francs CFA (soit 350 millions d’euros), géré par Lomé Container Terminal et utilisé par MSC. Objectif : accroître le trafic du PAL de 25 %, porter sa capacité à 2,2 millions de conteneurs et en faire une plateforme de transbordement pour l’Afrique de l’Ouest. Symbole de ce renouveau, en 2015, deux énormes navires ont été mis en service, l’un par MSC d’une capacité record dans la zone de 8 450 conteneurs, l’autre, baptisé Maersk Lomé, d’une capacité de 5 446 conteneurs. En parallèle, les autorités ont instauré un guichet unique pour le commerce extérieur, qui permet aux opérateurs d’effectuer rapidement leurs formalités administratives. Sans oublier plusieurs autres chantiers annexes : aménaMalgré gement des voies de desserte, réhabilitation, les réformes extension et modernisation du quai minéraengagées, lier, délocalisation du port de pêche hors de la les démarches zone du PAL et aménagement d’un port sec à administratives l’intérieur du pays. Pour autant, les résultats ne sont pas endemeurent core à la hauteur des espérances. Plusieurs un point noir.

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Poumon économique, le port autonome de Lomé est aussi une plateforme stratégique pour l’approvisionnement de l’Afrique de l’Ouest. Malgré une importante modernisation, le potentiel est encore sous-exploité.

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Infrastructures Des chantiers multiples

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Porte-conteneurs à quai dans le terminal de transbordement en 2016.

facteurs expliquent que le PAL reste sous-exploité. Tout d’abord, la crise des matières premières a engendré un ralentissement global de l’activité maritime et des difficultés dans tous les pays de la région. Ensuite, la concurrence est de plus en plus rude entre les ports du golfe de Guinée, Lomé pâtissant de l’essor de ceux de Lagos (Nigeria), San-Pédro (Côte d’Ivoire), Cotonou (Bénin) ou encore Tema (Ghana). Enfin, malgré les réformes engagées, les démarches administratives demeurent un point noir. « On promet une ouverture du guichet 24 h/24, mais ce n’est pas toujours le cas, témoigne un opérateur. Les relations avec l’Office togolais des recettes et les agents de la douane sont toujours délicates. Sans parler du fait que les indices douaniers ont été relevés, ce qui a augmenté les coûts. » En 2016, les autorités du PAL avaient expliqué leur résultat en recul par rapport à l’année précédente par l’entrée en vigueur d’une directive de l’UEMOA interdisant la surcharge des camions. Autant de défis, logistiques, légaux et de gouvernance, qu’il convient encore de relever. ❐ N.N.

Depuis 2010, l’effort se porte sur les équipements pour soutenir la croissance et poser les bases du développement. Outre le port (ci-contre), tour d’horizon des principales réalisations. Nouvelle aérogare de l’aéroport international GnassingbéEyadema de Lomé. Inaugurée en avril 2016 après quatre ans de travaux, elle a nécessité un investissement de 150 millions de dollars, réalisé par le chinois Exim Bank. S’étendant sur 21 000 m², elle peut accueillir jusqu’à 15 gros-porteurs. Avec cet équipement moderne, les autorités veulent multiplier par cinq le trafic, visant les 2 millions de passagers par an. Réhabilitation de l’aéroport de Niamtougou. Situé dans le nord du pays, il doit être modernisé, à travers notamment l’allongement de la piste d’atterrissage et la rénovation du parking avion comme de l’aérogare. Enveloppe prévue : plus de 32 milliards de francs CFA (soit environ 49 millions d’euros), pour faire du site une seconde plateforme de fret à vocation sous-régionale et, à terme, une base pour le tourisme. Réception des travaux imminente. Construction et rénovation de près de 1 200 km de routes. C’est le bilan des travaux effectués depuis 2010 pour une valeur de 750 milliards de francs CFA (1,14 milliard d’euros). Le réseau routier compte précisément 1 168 km rénovés et modernisés, ce qui ne prend pas en compte les pistes rurales, estimées à 6 800 km. Toutefois, certains de ces chantiers sont à l’abandon. Le trajet Lomé-Vogan-Anfoin, par exemple, confié à l’entreprise togolaise CECO BTP (32 milliards de francs CFA, soit 49 millions d’euros), a été abandonné en raison de problèmes financiers. Plan de développement du Grand Lomé. Il prévoit le renforcement des infrastructures de base (eau, déchets) dans le cœur historique de la capitale, mais aussi la création de centres urbains en périphérie. Au nord, la nouvelle présidence est ainsi installée dans le quartier de Lomé II, où est progressivement édifié un ensemble administratif composé de ministères, ambassades et sièges d’institutions. Au nord-ouest, à Adidogomé, la construction de la cité Mokpokpo (« espoir » en éwé), composée de 1 000 logements destinés aux fonctionnaires, a été lancée. 250 km de fibre optique déployés. Ce réseau, qui doit porter le développement du e-gouvernement, dessert 560 bâtiments publics dans les deux principales villes du pays, Lomé et Kara. ❐ N.N.

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Nana Nanfamé « Atteindre 200 000 tonnes par an d’ici 2022 » Le directeur général de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT) détaille les défis d’un secteur clé pour l’économie.

AMB : La NSCT a été créée en 2009 pour relancer la filière coton. A-t-elle rempli sa mission ? Nous avons connu des fortunes diverses ces dernières années. Après une forte augmentation de la production entre 2009 et 2011, qui est passée de 28 000 à 46 000 tonnes annuelles, on a assisté à une plus faible progression, autour de 80 000 tonnes en 2013-2014, puis 114 000 en 2014-2015. Pour la campagne 20162017, nous sommes à 108 000 tonnes.

tante, puisque la variété de coton cultivée, la Stam 129A, peut atteindre un rendement de 3 tonnes par hectare, alors que, sur la campagne 2016-2017, il n’est que de 830 kg – un résultat tout de même en hausse de 17 % par rapport à la campagne précédente. Pour continuer à progresser, il faut assurer un accompagnement de proximité des producteurs afin de les guider vers les meilleures pratiques.

Quelle est votre ambition à moyen terme ?

Pourquoi est-il si compliqué de faire décoller

la filière ? En 2013, avec l’appui des partenaires techniques et financiers du Togo, le gouvernement a adopté une orientation stratégique qui fixe l’objectif Les difficultés sont de deux ordres. D’une part, de 200 000 tonnes de coton-graine par an, avec un rendement d’au moins le coton est une culture essentiellement pluviale, 1,6 tonne/hectare à l’horizon 2022. Telle est notre qui subit donc les caprices de la ambition. Pour rappel, la plus importante production météorologie et les anomalies climaLe statut de « preneur tiques en général. D’autre part, nous remonte à 1998-1999, sous la Sotoco (Société togolaise de prix » du continent, sommes dépendants de prix imposés du Coton), avec 188 000 tonnes. qui de façon générale par le marché international de la fibre Comment y parvenir ? produit un coton qui, par définition, est fluctuant. Le La hausse de la production passera à la fois par de très bonne qualité, statut de « preneur de prix » du contil’augmentation des superficies cultivées et par l’améne lui permet pas nent, qui de façon générale produit lioration de la productivité des exploitations. Sur ce dernier point, la marge de progression est impord’influer sur le marché. un coton de très bonne qualité, ne lui permet pas d’influer sur le marché face aux géants comme les ÉtatsChargement du coton à Dapaong, dans le nord du pays. Unis, la Chine, l’Inde, le Pakistan, le Vietnam ou encore l’Ouzbékistan.

Cette question, fondamentale, n’entre pas dans nos attributions. Elle est portée à d’autres niveaux, notamment sous-régional à travers l’initiative « Agenda coton UEMOA 2020 », qui prévoit qu’à cette date au moins 25 % du coton produit au sein de la zone UEMOA y sera transformé. ❐ propos recueillis par N.N.

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À quand la transformation sur place ?

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Portraits Un trio de jeunes talents Ils font partie de la nouvelle génération d’entrepreneurs du pays, volontaires et inventifs. Le basketteur social, Jean-Luc Agboyibo. Fils de l’ancien Premier ministre Yawovi Agboyibo et passionné de basket, il se forme à Paris, à la Sorbonne et à l’Académie de management des organisations sportives (AMOS). Soutenu par la NBA Afrique, il lance en 2013 Leading Youth Sport and Development (LYSD), association qui utilise le sport comme outil d’éducation et de développement. Active en Côte d’Ivoire et au Togo, elle agit sur plusieurs fronts : séances de basket-ball dans les villes et villages via le programme Milédou, réfection de terrains, octroi de bourses d’études pour l’étranger, le tout financé par des sponsors (banques, fondations, PME). En 2016, Jean-Luc, passé par Canal+ Afrique, diversifie ses activités en créant LYSD MiLéYi, une société de conseil dans le sport. Objectif : générer des revenus pour pouvoir financer de nouveaux projets sociaux. ❐ Thalie Mpouho

Créateur du Woelab, Sénamé Koffi Agbodjinou. Après deux années de Maths Sup à l’université de Lomé, il poursuit sa formation – multidisciplinaire – à Paris, étudiant le design à Créapôle-ESDI, l’architecture à Paris-La Villette, l’histoire de l’art à l’École du Louvre et l’anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales. De retour au Togo, il crée en 2010 L’Africaine d’architecture, plateforme de réflexion sur les villes intelligentes puis, en 2012, le Woelab, laboratoire de fabrication numérique (fablab), dont sort la première imprimante 3D africaine, primée par la Nasa. Depuis, le Woelab a fait des émules au point de voir émerger une « Silicon Villa » dans le quartier de Djidjolé. À l’avenir, Sénamé espère voir émerger des fablabs dans chaque quartier pour proposer des solutions aux problèmes du quotidien. ❐ T.M.

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KEVIN COULIAU - BASSIROU - APRESENT

Monsieur Maersk, Edem Kokou Tengue. Diplômé des universités de Leicester et de Birmingham en finance et administration publique, il rejoint le géant de la logistique Maersk en 2003, pour lequel il travaille au Danemark puis en Suède. En 2008, il est de retour au pays comme directeur financier de Maersk Togo, acteur de premier plan du port de Lomé. Devenu directeur commercial en 2011, il est promu, l’an passé, directeur général et administrateur de la filiale, qu’il gère depuis son bureau au deuxième étage de l’immeuble du 24-Janvier, en bord de mer. Une belle ascension qui lui vaut de figurer, à 36 ans, dans la première promotion des « 20 Young Leaders » initiative de la fondation AfricaFrance pour mettre en avant les jeunes dirigeants prometteurs du continent. ❐ Peter Sassou Dogbe

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PAROLE D’EXPERT PAR LILIA HACHEM NAAS

IL EST GRAND TEMPS D’OFFRIR UN CADRE LÉGAL À L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL

LILA HACHEM NAAS

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lusieurs pays de la zone AfriqueMéditerranée connaissent depuis quelques années, en plus des difficultés économiques et sociales, des changements politiques et des phénomènes migratoires affectant leur stabilité. Face à ces bouleversements, il convient de trouver un modèle alternatif de développement, autre que celui fondé seulement sur la croissance et qui soit susceptible de garantir un essor durable et inclusif, cela surtout dans les pays les moins avancés. C’est dans ce sens et en guise d’alternative qu’a surgi l’économie sociale et solidaire, dont un des maillons essentiels est l’entreprise sociale. Des petites coopératives aux sociétés d’insertion en passant par les mutuelles, elles sont en général définies par plusieurs critères dont la libre adhésion, la gestion participative, le profit limité, l’utilité collective et l’utilisation de financement publicprivé. Ce type d’acteurs génère, selon les statistiques 2014 de l’Institut de recherche des Nations unies pour le développement social (UNRISD), quelque 6,9 millions d’emplois dans le monde, 1,1 million rien qu’au sein de l’Union européenne. Plus récemment, ce modèle a aussi fait ses preuves sur le continent mais également en Asie centrale et en Amérique latine. Dans un contexte de précarisation, d’accroissement des inégalités et d’urbanisation rapide, les entreprises sociales sont même allées jusqu’à

dehors de ces actions, les initiatives visant à institutionnaliser les Chef du bureau pour entreprises sociales sont rares voire les États arabes inexistantes. au Centre du commerce Or, il est évident que leur potentiel international (CCI). de développement dépend de cette www.intracen.org structuration. En effet, sans cadre législatif bien défini, elles n’ont qu’un accès limité aux mécanismes habituels de financement. Sur ce point, on peut remplir des services normalement saluer l’effort de Reach for Change assurés par l’État. Afrique, par exemple, qui a déjà permis Aujourd’hui toutefois, sans cadre d’identifier et de soutenir (via des législatif ni institutionnel approprié, conseils et des moyens financiers) une leurs activités restent cantonnées dans centaine d’entrepreneurs innovants un statut informel. C’est notamment le dans sept pays. Outre le cadre cas en zone subsaharienne, où de plus législatif, il est primordial de créer des en plus d’entrepreneurs sociaux sont instruments financiers appropriés impliqués dans l’amélioration de répondant aux besoins spécifiques des l’éducation, de la santé, de l’accès aux entreprises sociales et allant au-delà du financements ou dans la sauvegarde de financement en micro-crédits. l’environnement, en dehors Ces instruments doivent s’aligner de toute protection légale. sur les objectifs de profitabilité Cette situation ne peut plus mais également de durer. C’est ainsi qu’un millions développement social poursuivis dispositif juridique commun d’emplois par l’entreprise. Enfin, ces relatif aux coopératives a été ont été créés par l’économie acteurs doivent aussi être adopté en 2011 pour gérer sociale accompagnés pour pallier leur ces entreprises au sein des et solidaire manque récurrent d’expérience pays de l’Organisation pour dans le monde en matière de gestion comme de l’harmonisation en Afrique en 2014. vision stratégique. La route vers du droit des affaires un nouveau genre de (l’OHADA), qui couvre les pays développement semble tracée mais elle d’Afrique de l’Ouest et centrale. En doit davantage être consolidée. C’est la Tunisie et au Maroc, le gouvernement, condition pour que l’entreprise sociale le secteur privé, les entrepreneurs constitue une alternative et un axe sociaux et les structures de soutien, ont novateur de progrès économique, engagé un dialogue en 2015 afin de social et environnemental. ❐ créer un tel environnement. Mais, en

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CAMEROUN

JEAN-PIERRE KEPSEU

Le défi de l’habitat

Logements sociaux à Olembe.

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CAMEROUN Le défi de l’habitat

Une ambition en béton ‘‘

Depuis 2010, le chef de l’État Paul Biya a relancé la production de logements sociaux en s’appuyant d’abord sur les entités publiques existantes

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Mars 2017. Le couple présidentiel en visite officielle en Italie, avec le chef d'Etat Sergio Mattarella. Une firme italienne finance la phase pilote de 1000 logements à Mbankomo, dans la banlieue de Yaoundé.

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C’

est une véritable course de vitesse que le Cameroun a engagé pour couvrir les besoins nationaux en logements. Pendant les années de récession économique, l’État ne disposait plus des moyens nécessaires pour investir dans l’habitat social, et les besoins sont désormais colossaux. Aujourd’hui, la demande en logements, tous standings confondus, est estimée à environ un million d’unités. Rapporté à la croissance annuelle des besoins évaluée à 100 000 logements, ce chiffre permet encore davantage de mesurer l’ampleur de l’attente, d’autant que 20 à 30 % du déficit (soit de 300 000 à

UNE FORTE DEMANDE 10% Logements de

moyens et hauts standings

30% Logements sociaux

60%

Auto-construction par les ménages

450 000 d’habitations) constituent la demande en logements sociaux, tandis que 5 à 10% concernent les moyens et hauts standings. Le reste, soit 60 à 75 %, représentent les besoins d’autoconstruction par les ménages. Pour résorber la situation, depuis 2010, le chef de l’État Paul Biya a relancé la production de logements sociaux en s’appuyant d’abord sur les entités publiques existantes : la Mission d’aménagement et d’équipement des terrains urbains et ruraux (Maetur), dont le rôle est de mettre à disposition des terres constructibles et viabilisées, la Société immobilière du Cameroun, qui exploite déjà un important parc de logements à travers le pays et qui a relancé la construction dans certaines villes, et le Crédit foncier du Cameroun, bras financier de l’État dans le secteur, mettant des financements à disposition des particuliers et des entreprises

PRÉSIDENCE DU CAMEROUN

Passées les années de crise économique, le gouvernement est engagé sur plusieurs fronts pour résorber le déficit en habitations, estimé à un million d’unités.

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La route Nanga Eboko – Messaména en chantier, dans le Haute Sanaga.

éligibles pour bâtir des hébergements individuels ou collectifs. Au-delà de ces instruments classiques, le président de la République a mis en route un programme gouvernemental de création de 10 000 logements sociaux et d’aménagement de 50 000 parcelles constructibles. Aujourd’hui, près de 4 500 de ces logements sont déjà disponibles, ou sur le point de l’être, ce qui reste insuffisant, reconnaît Jean-Claude Mbwentchou, ministre de l’Habitat et du Développement urbain : « Nous concédons que l’offre reste faible par rapport à la demande, mais nous pensons qu’avec le démarrage imminent de plusieurs projets portés notamment par des firmes privées internationales et nationales avec lesquelles des conventions ou des protocoles sont d’ores et déjà signés ou en voie de conclusion, l’offre de logements par la filière formelle va

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L'Etat a pris en charge l'acquisition des sites, les études, les aménagements des voiries et le raccordement des réseaux des concessionnaires

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connaître un accroissement fulgurant dans les dix prochaines années. » Le ministre fait ici allusion à l’extension des programmes de construction de logements sociaux dans dix régions, notamment grâce au Plan d’urgence habitat, dans des villes industrielles (Édéa, Kribi, Limbé), universitaires (Soa, Dschang, Bangangté, Ngaoundéré et Maroua) et chefs-lieux de département (Bafia, Batouri, Nkongsamba, Kousséri, Sangmélima et Kumba). En mars 2017, par exemple, un accord a été signé avec la firme italienne Pizzarotti pour la mise en œuvre

d’une phase pilote de construction de 1 000 habitats sociaux à Mbankomo, dans la banlieue de Yaoundé, sur un total de 10 000 unités, assortie d’une base industrielle. L’entreprise chinoise Sheyang s’est également engagée sur un projet d’édification de 3200 logements sociaux à Yaoundé et Douala. Plusieurs autres compagnies étrangères (marocaine, sud-africaine, canadienne, américaine, française, espagnole, chinoise, turque, qatari) et nationales sont en négociation avec les autorités pour en construire au moins 50 000 supplémentaires. Pour rendre ces propriétés accessibles au plus grand nombre, le gouvernement module leurs prix de vente sur la base de plusieurs facteurs comme la disponibilité et les matériaux utilisés, entre autres. Pour baisser les factures, l’État a pris en charge l’acquisition des sites, les études, les aménagements

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JEAN-PIERRE KEPSEU

PRÉSIDENCE DU CAMEROUN

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CAMEROUN Le défi de l’habitat

des voiries et le raccordement des réseaux des concessionnaires. De plus, une subvention spéciale de l’ordre de 40% sur les coûts de construction, décidée par le chef de l’État, a été appliquée, permettant d’abaisser les montants des habitations à un total de 17 à 23 millions de francs CFA (entre 26 et 35 mille euros). « Nous pouvons déjà annoncer que les coûts des logements produits avec la coopération chinoise et dans le cadre du volet habitat du Planut seront très abordables et nettement plus bas que ceux pratiqués pour les 1675 logements d’Olembé et de Mbanga Bakoko », révèle le ministre, qui fait état de facilités fiscales à accorder aux futurs investisseurs du secteur pour réduire leurs coûts de production. Une mesure visant à restituer la vocation sociale de ces logements destinés à soulager les populations peu nanties.

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Un plan d'urgence pour l'urbanisme 150 milliards de francs CFA (plus de 228 millions d’euros) investis en trois ans pour un programme présidentiel de développement et d'aménagement des villes. Deux juin 2017. Jean-Claude Mbwentchou, le ministre de l’Habitat et du Développement urbain, clôture une tournée dans le nord du pays, où il est venu évaluer l’avancement du volet habitat du Plan d’urgence pour l’accélération de la croissance. Il a pu constater que les travaux ont bel et bien démarré à Garoua et Maroua, deux capitales régionales, comme dans les six autres chefs-lieux de régions concernés. Ce plan prévoit la construction de 100 logements sociaux dans chacun d’eux, exceptés

Les coûts des logements produits avec la coopération chinoise dans le cadre du volet habitat du Planut seront très abordables

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à Yaoundé et Douala où d’importants programmes immobiliers sont déjà engagés par l’État. À ces habitats seront annexés des équipements collectifs tels que des écoles, centres de santé, commissariats de polices, voies de dessertes et supermarchés. Au total, ce sont quelque 50 milliards de francs CFA (plus de 76 millions d’euros) qui seront investis sur les sites, dont les premiers ouvrages seront livrés à la fin l’année. Le programme est également doté d’un volet urbanisme financé à hauteur de 100 milliards de francs CFA. Ce « plan d’urgence urbain » comprend la réhabilitation des routes secondaires des villes de Yaoundé et Douala ainsi que leur éclairage public. Dans ces deux principales agglomérations du pays, les populations peuvent déjà apprécier la rénovation des artères jadis défoncées et poussiéreuses. Ces voies sont désormais fonctionnelles, bitumées, éclairées de nuit, et dotées de signalisation. Au total, ce sont environ 45 km linéaires de tracé urbain à Douala et 30 km à Yaoundé qui seront mis à niveau dans le cadre du plan d’urgence consacré aux voiries des grandes villes.

Le ministre Jean-Claude Mbwentchou visite un chantier du Planut à Buéa.

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Rendre les cités plus agréables Des initiatives pour viabiliser les quartiers modestes.

Aménagement de la voirie urbaine à Yaoundé.

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La solution est de partir de l’existant pour le restructurer, améliorer l’accessibilité

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l’amélioration de l’accessibilité à la zone, aux services urbains de base (eau et électricité) ainsi qu’à la propriété foncière par les populations. Plusieurs localités du pays ont ainsi été dotées d’un plan de développement spatial harmonisé, et le Crédit foncier du Cameroun a mis en place une ligne de crédit de 10 milliards de francs CFA (près de 15 millions d’euros) pour la construction de logements sociaux dans les communes de l’arrière-pays.

Pour stimuler les échanges de biens et services, et faciliter les transports, des travaux de réhabilitation des centres urbains et d’aménagement des grands carrefours ont été engagés. Principalement à Yaoundé et Douala, le désenclavement et l’assainissement du cadre environnemental de certains quartiers d’habitats précaires ont été mis en place, tout comme des plans d’actions de lutte contre le désordre urbain et de la prévention de la délinquance. Selon Jean-Claude Mbwentchou, l’objectif est donc de tout mettre en œuvre pour améliorer l’attractivité et la compétitivité des principales villes camerounaises. Elles assureront ainsi leur rôle de moteur économique.

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aîtriser le développement urbain et améliorer le cadre et les conditions de vie des populations urbaines à l’effet d’accroître la compétitivité et l’efficacité économique, sociale et environnementale des villes. » Tel est le cap que s’est fixé Jean-Claude Mbwentchou, ministre de l’Habitat et du Développement urbain, se fondant sur le fait que la croissance urbaine de ces dernières années a échappé à tout contrôle, du fait d’une forte poussée démographique. Aujourd’hui, près de 50 % de la population vit en zone urbaine, et l’extension anarchique des métropoles conduit à la prolifération des bidonvilles. Pour le ministre, « il n’est pas question de raser les noyaux centraux urbains au regard des dommages financiers et sociaux très élevés qui en découleraient. La solution est de partir de l’existant pour le restructurer, améliorer l’accessibilité tous azimuts pour fluidifier la circulation, limiter les embouteillages, favoriser un gain en temps de travail, offrir des services urbains de qualité, réduire la fracture sociale urbaine... C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la lutte contre les exclusions spatiales, sociales et économiques ; en d’autres termes : la promotion des villes inclusives ». La stratégie des autorités consiste donc à accélérer la construction d’infrastructures, et à se préoccuper particulièrement de la question des bidonvilles au moyen du Programme participatif d’amélioration des bidonvilles (PPAB). Ce dernier prévoit

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CAMEROUN Le défi de l’habitat

Une synergie entre l’État et les collectivités territoriales décentralisées a vu le jour afin de développer les infrastructures urbaines.

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avantages, parmi lesquels la définition concertée des priorités intégrant les bénéficiaires, une clarification des responsabilités et une mobilisation efficiente des ressources. Il permet également la régulation et la réduction des conflits.

OBJECTIFS 1.

Contractualiser la gestion urbaine avec les collectivités territoriales décentralisées-CTD (quels que soient leurs niveaux de ressources) et à accroître leur implication dans l’exécution et le suivi des engagements pris respectivement ; Programmer conjointement la réalisation des travaux neufs et la mise à niveau des principales infrastructures structurant la ville ; ainsi que les actions prioritaires permettant d’améliorer les conditions de vie des populations ;

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L'axe Manfé-Ekok en construction, dans le Sud Ouest.

Renforcer le mécanisme de programmation et de financement de l’entretien des infrastructures à travers la création et le provisionnement des Comptes d’entretien voirie (CEV) ; Promouvoir la création des emplois locaux par l’utilisation des approches à Haute Intensité de main d’œuvre (Himo), en vue d’assurer la distribution des revenus et de soutenir la croissance ; Optimiser les résultats attendus tant dans les phases d’exécution des programmes et projets

3.

4.

5.

retenus de façon consensuelle que de pérennisation des ouvrages dans un environnement institutionnel décentralisé ; Accompagner et conforter les CTD dans l’exercice des compétences qui leur sont transférées ; Renforcer les capacités du personnel technique dans l’exercice de la maîtrise d’ouvrage locale ; Favoriser l’implication des acteurs locaux dans l’amélioration du niveau de service et dans la pérennisation des investissements mis en place.

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8.

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our optimiser la gestion des agglomérations, le gouvernement s’est associé aux collectivités territoriales décentralisées au moyen de Contrats de ville. Ces derniers permettent d’accroître l’efficacité des interventions publiques en vue d’améliorer les conditions de vie des populations en milieu urbain, grâce à une réflexion globale et concertée. Celle-ci est formalisée dans un cadre juridique engageant à la fois l’État, les collectivités territoriales décentralisées et la société civile. Le Contrat de ville comporte les engagements réciproques du gouvernement et de la collectivité concernée, le programme d’investissements prioritaires et les mesures d’accompagnement se rapportant respectivement à l’amélioration de la gestion des ressources humaines et organisationnelles des communes. Il inclut également l’assainissement des finances municipales et le renforcement des capacités techniques des services déconcentrés de l’État, des communes et des acteurs de la société civile. Cette approche comporte de nombreux

JEAN-PIERRE KEPSEU

Le Contrat de ville : un outil de performance

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PAROLE D’EXPERT PAR KENZA LAHLOU

CAPITALRISQUE : LE CONTINENT EST LE PROCHAIN TERRITOIRE À CONQUÉRIR

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ous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution. La forte croissance africaine, couplée à l’explosion des nouvelles technologies, ouvre les frontières pour les investisseurs. La preuve, quelque 366,8 millions de dollars ont été injectés dans des start-up technologiques sur le continent en 2016, d’après une étude publiée par le fonds Partech Ventures (qui n’a retenu que les transactions supérieures à 200 000 dollars). Ce montant a été multiplié par 8,7 en l’espace de quatre ans. Sur l’ensemble des fonds levés, trois écosystèmes se distinguent : le Nigeria avec plus de 100 millions, l’Afrique du Sud avec 96 millions et le Kenya avec 92 millions, illustration de la longueur d’avance de la zone anglophone. Si les deux géants continentaux, nigérian et sud-africain, sont aujourd’hui en difficulté sur le plan macroéconomique, cela n’empêche pas un dynamisme entrepreneurial de se développer, porté par un attrait croissant pour le secteur des fintech. Au Kenya, le pionnier du paiement mobile M-Pesa, ne cesse de faire des émules : de plus en plus de start-up tentent d’apporter des solutions innovantes à l’accès au microcrédit et aux services financiers. Les banques sont aussi engagées dans le processus et elles collaborent avec les start-up pour co-innover, soit directement, soit à travers des programmes d’accélération comme l’a fait Barclays en Afrique du Sud et en Égypte. La digitalisation dépasse

soutenant un des premiers fonds d’amorçage destiné aux start-up africaines, celui que je porte, Outlierz. Fondatrice et directrice L’explosion des nouvelles d’Outlierz, fonds de capital technologies transforme les défis en amorçage marocain dédié opportunités. Avec plus de 70 % de la aux start-up africaines population africaine âgée de moins de et lancé en février dernier. 35 ans et une pénétration du www.outlierz.co smartphone estimée à 725 millions d’ici 2020 – soit trois fois plus qu’en 2015 –, beaucoup parlent d’une désormais le monde bancaire et « seconde révolution mobile ». Le terrain transforme des secteurs traditionnels parfait pour des start-up qui répondent comme l’agriculture, la santé et à des besoins de base touchant une l’éducation. population jeune, en forte croissance et Les plus grands investisseurs au de plus en plus connectée. Certains niveau mondial s’intéressent à pays prennent une longueur d’avance. l’Afrique. Ainsi, Marc Zukerberg, le L’impressionnant Rwanda met ainsi la fondateur de Facebook, a apporté technologie au cœur de sa vision 2020 24 millions de dollars à la start-up pour se positionner comme hub nigériane Andela avant d’organiser sa africain de l’innovation. Ce petit pays première tournée africaine – qui prend Singapour pour à la rencontre des modèle – investit massivement entrepreneurs au Nigeria dans ses infrastructures et et au Kenya. Dave milliards cherche à se doter de technologies McClure, fondateur de de dollars : de rupture : des drones pour livrer 500 Startups, un des la somme des médicaments, 4 500 venture capital les plus injectée dans kilomètres de fibre optique pour actifs de la Silicon Valley, des start-up a lui aussi choisi l’Afrique technologiques un accès Internet gratuit ou encore le wi-fi à bord de comme destination de sa africaines RwandAir, qui devient la tournée annuelle, « Geeks en 2016. première compagnie aérienne à lancer on a Plane », qui conduit une délégation ce service en Afrique. Pour toutes ces d’acteurs internationaux à la raisons, le continent s’impose comme le découverte des écosystèmes émergents marché de l’avenir pour le capitalles plus dynamiques. Enfin, Michael risque. Les acteurs les plus avisés l’ont Seibel, patron de YCombinator, déjà compris. Il suffit d’une seule l’accélérateur le plus prisé de la Silicon success-story pour que d’autres suivent. Valley, marque également son intérêt Le train est en marche… ❐ pour le continent cette année en

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LA SÉLECTION

Les pros de l’éducation

Leur tâche est aussi difficile qu’essentielle : former les têtes pensantes, les élites de demain.

Dossier réalisé avec Delphine Bousquet, Sabine Cessou, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Thalie Mpouho, Luisa Nannipieri et Héba Younes

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ls sont présidents d’université, directeurs d’école, chefs d’entreprise ou encore chercheurs. Tous proposent des solutions pour améliorer l’enseignement supérieur africain, qui reste à la traîne dans les classements internationaux. Qualité des cursus proposés, partenariats avec le secteur privé et des établissements étrangers, utilisation des nouvelles technologies, les pistes sont diverses et fructueuses. À la clé, l’insertion sur le marché du travail de jeunes toujours plus nombreux.

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Amadou Diaw Le visionnaire

JEAN-MARIE HEIDINGER

◗ FONDATEUR en 1992 de l’Institut supérieur de management (ISM), une école de commerce privée ancrée dans son quartier du Point E à Dakar, il donne l’exemple. Entrepreneur pionnier, Amadou Diaw a anticipé sur le boom de l’offre d’éducation privée. Porté par un désir d’excellence et un amour inconditionnel du continent, il a fait de son école, conçue pour être africaine, une référence. L’ISM compte aujourd’hui 5 000 étudiants de 30 nationalités, 100 professeurs, 250 salariés et de multiples partenaires (dont Sciences Po Paris) dans le monde académique et le secteur privé. L’ISM a formé 18 000 professionnels qui animent un dynamique réseau « d’anciens ». Elle a aussi investi pour construire des lycées – dont cinq figurent parmi les dix meilleurs du Sénégal. Amadou Diaw, qui vise désormais une expansion continentale, a attiré en 2016 des investisseurs internationaux, comme le fonds américain Galileo-Providence, spécialisé dans l’éducation. Il a pris ses quartiers dans sa ville natale de Saint-Louis, où il projette de lancer un « Davos » africain. Ni plus, ni moins. ❐ S.C.

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LA SÉLECTION

Les pros de l’éducation

Mohammed Habib et Mostafa Farahat Chantres du e-learning ◗ COMME de nombreux jeunes Égyptiens, leur désir d’engagement s’est révélé après la révolution de janvier 2011. En 2012, Mostafa Farahat (à g.) et Mohammed Habib (à dr.) fondent Nafham (« nous comprenons », en arabe), une plateforme éducative en ligne qui propose quelque 23 000 vidéos de cours, d’une durée de cinq à vingt minutes, couvrant tous les niveaux et toutes les matières de l’enseignement primaire et secondaire. Elle compte aujourd’hui 500 000 utilisateurs, égyptiens mais aussi saoudiens, koweïtiens, algériens et syriens. Mostafa, spécialiste en marketing numérique, et Mohammed, formé en management et féru d’informatique, tiennent à maintenir la gratuité du service. Publicité, sponsors et institutions publiques participent à son financement. ❐ H.Y.

Brice Augustin Sinsin Réformateur en douceur

◗ LE PRÉSIDENT de l’Université internationale de Rabat (UIR) avait la bosse des maths et beaucoup d’ambition. Né en 1961 dans la petite ville d’Oulad Zidouh, entre Marrakech et Fès, il part en France pour poursuivre ses études. Spécialiste de l’intégration des ensembles flous dans les bases de données, il enseigne à l’École polytechnique de l’université de Nantes, puis devient conseiller auprès de l’Organisation mondiale de la santé, sans oublier le Maroc. Dans les années 2000, il imagine un grand projet, construire la première université du royaume et d’Afrique. En 2010, le roi Mohammed VI vient poser la première pierre de l’UIR. Sept ans plus tard, elle offre des formations en double diplôme avec des écoles étrangères réputées, compte 3 000 étudiants et mise sur l’innovation (192 brevets au niveau national, 40 à l’international). Noureddine voudrait maintenant dupliquer ce modèle sur le continent. ❐ J.C.

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Noureddine Mouaddib Stratège marocain

◗ INGÉNIEUR agronome formé à l’Université libre de Bruxelles, il est depuis six ans le recteur de l’université d’Abomey-Calavi (UAC), la principale faculté publique béninoise. Né en 1959 à Djidja (Sud), Brice Augustin Sinsin a réussi à moderniser l’institution : redressement des comptes, mise à niveau de son équipement numérique et interdiction du plastique sur le campus pour améliorer l’environnement de travail. Il a aussi créé un programme de recherche, ce qui a permis de rehausser la réputation de l’UAC. Pragmatique, Brice reconnaît qu’il reste beaucoup à faire, notamment pour accompagner les jeunes diplômés. ❐ L.N.

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Nicole Bella L’experte ◗ SON DOCTORAT de démographie en poche (obtenu à la Sorbonne), cette Camerounaise originaire de Yaoundé débute sa carrière à l’Institut national des études démographiques (INED) à Paris. Puis, Nicole Bella change d’échelle en enchaînant plusieurs expériences au sein d’organisations internationales, dont l’International Institute for Educational Planning (IIEP), The Future Group International et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). En 1998, elle intègre cette dernière institution, où elle travaille pendant deux ans à l’élaboration du programme Éducation pour tous (EPT), officiellement adopté en 2000 à Dakar par 164 pays et qui fixait six grands objectifs à atteindre dans les quinze ans. Devenue une spécialiste de l’évaluation des politiques publiques, Nicole Bella, âgée de 54 ans, est aujourd’hui en charge de la gestion et de la qualité des données, ce qui lui permet d’avoir une vision à la fois globale et précise du secteur : « Les pays africains ont fait des progrès considérables, il n’y a pas de raison pour que cela s’arrête. » ❐ T.M.

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Idriss Laouali Abdou Monsieur l’informaticien ◗ À SEULEMENT 26 ans, le créateur de l’application Karatou-Post Bac est déjà une célébrité dans son pays, le Niger. Originaire de Niamey, il raconte qu’après son bac, faute de savoir quelle filière choisir, il suit l’heureux conseil de son père : l’informatique. Il part ainsi étudier quatre ans au Maroc en classes préparatoires puis se spécialise en systèmes d’exploitation des réseaux et télécoms. Un stage au sein de l’école Télécom Bretagne l’amène en France, où il finit par intégrer l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Toulouse. Développeur chez Capgemini, Idriss est aujourd’hui président de l’association des Nigériens de Toulouse. Témoin des difficultés d’orientation des bacheliers, il développe alors son application qui détaille les filières de formation, les façons de postuler, les bourses existantes, en France et dans plusieurs pays africains. Résultat, Karatou (« études », en haoussa) Post Bac a déjà été téléchargé plus de 1 000 fois. Avec le concours d’une doctorante en sociologie, Idriss Louali Abdou prévoit maintenant de développer une application à destination des plus jeunes pour lutter contre le décrochage scolaire. ❐ J.C.

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LA SÉLECTION

Les pros de l’éducation

Thami Ghorfi Le business avant tout ◗ PERSONNALITÉ médiatique, homme d’affaires et patron d’école. Ce Marocain de 54 ans originaire de Fès est tout cela à la fois. Formé à Sup de Co Dijon et à l’ESG de Paris, il lance des entreprises dans le marketing, le management et la communication avant de rentrer au Maroc en 1992. Installé à Casablanca, il crée l’ESCA, école de management qui entend former les cadres capables de piloter l’essor du pays. Précurseur, il insiste dès cette époque sur la responsabilité sociale des entrepreneurs, marque de fabrique de l’ESCA. Au fil du temps, celle-ci développe son réseau. Avec l’ESC Grenoble, elle crée l’Institut euro-africain de management (INSEAM), qui rassemble 13 business schools d’une dizaine de pays africains. En partenariat avec cinq écoles anglophones, elle anime l’African Academic Association on Entrepreneurship, qui encourage les collaborations entre établissements. Autre piste d’innovation, encourager la recherche sur les pays émergents pour faire apparaître de nouveaux modèles de développement. Malgré ce programme chargé, Thami Ghorfi trouve le temps d’animer l’émission « Libre échange », les mardis soir, sur Aswat, la radio qu’il a fondée en 2007. ❐ L.N.

Francis Akindès L’agitateur ◗ PROFESSEUR ivoirien de sociologie à l’Université Alassane-Ouattara de Bouaké, né en 1961 au Bénin, ce spécialiste de la violence politique a écrit plusieurs essais, dont Côte d’Ivoire : la réinvention de soi dans la violence (Codesria, Dakar, 2011) et Les Racines de la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire (Codesria, Dakar, 2006). Son dernier sujet d’étude porte, entre autres, sur les « microbes », ces délinquants juvéniles de 8 à 25 ans qui sévissent dans les quartiers populaires d’Abidjan depuis la fin des événements de 2011. Ses recherches sur les jeunes l’ont poussé à réaliser un documentaire qui met en garde contre le potentiel explosif d’une jeunesse sans perspectives, intitulé L’Espoir d’un emploi. Respecté pour son franc-parler et son indépendance d’esprit, il pilote un numéro à paraître de la revue Politique africaine (Khartala) sur la « sortie de crise » en Côte d’Ivoire. ❐ S.C.

◗ C’EST UNE FIGURE incontournable du monde éducatif privé en Afrique de l’Ouest. Originaire d’Abomey, Valère Kakaï Glèlè, 57 ans, a fondé dans les années 1990 l’Université polytechnique internationale du Bénin (Upib), le Complexe d’enseignement polytechnique international du Bénin (Cepib) et le Centre d’étude et de prestations en informatique et bureautique d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, pays où il a obtenu son diplôme d’ingénieur informaticien. Marié et père de trois enfants, il a participé en 2008 au lancement de l’Ordre africain des grandes écoles et universités (Orageu), qu’il dirige. Impliqué dans la vie sportive, un temps candidat à la présidentielle de 2016 avant de se retirer, il est aussi président du Conseil économique et social. En novembre prochain, il lancera à Cotonou la nouvelle bourse de l’Orageu, qui doit encourager les étudiants du continent à venir se former au Bénin. ❐ T.M.

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Valère Kakaï Glèlè Pionnier ouest-africain

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◗ DOCTEUR en physique de l’université Paris-V, ce septuagénaire est un acteur incontournable de l’enseignement supérieur tunisien. Enseignant militant, Tahar Ben Lakhdar participe aux réformes du secteur dans les années 1990 et fonde plusieurs institutions universitaires publiques, comme l’Institut supérieur de technologies de Nabeul. En 2003, avec d’autres universitaires, il fonde l’École supérieure d’ingénierie et de technologie (Esprit) de Tunis, qui s’impose vite par la qualité de sa formation, dont le coût s’élève à 6 100 dinars hors taxes (2 200 euros) pour la rentrée 2017-2018. Au point que les entreprises s’arrachent ses futurs diplômés avant même leurs soutenances. Son succès tient à son modèle inspiré des pratiques dans les pays d’Europe du Nord, où les jeunes sont formés pour répondre aux besoins du marché du travail. Un modèle que doit suivre la Tunisie, mais aussi l’ensemble du continent pour réussir à donner un avenir à sa jeunesse. ❐ F.D.

ANTOINE DOYEN POUR AMB

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Tahar Ben Lakhdar Producteur de perles rares

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LA SÉLECTION

Les pros de l’éducation

Léonard Wantchékon Le style américain ◗ PROFESSEUR à Princeton, aux États-Unis, il a ouvert il y a trois ans l’African School of Economics (ASE), au nord de Cotonou. Proposant des masters et bientôt un premier cycle, l’école délivre ses cours en anglais et bénéficie de partenariats avec de prestigieuses universités. Elle encourage aussi les travaux de recherche comme moyen pour financer son fonctionnement. Son fondateur, spécialiste de l’économie du développement, a été dans sa jeunesse un militant politique très engagé : envoyé en prison par Mathieu Kérékou, qui a dirigé le Bénin pendant près de trente ans, Léonard Wantchékon a réussi à fuir le pays en 1986. Aujourd’hui, le sexagénaire y revient tous les deux mois pour superviser le développement de l’ASE, installée sur un campus de 18 hectares. « Sur notre première promotion de 60 diplômés, nous en avons placé quatre dans des programmes PhD [doctorat] aux ÉtatsUnis, note-t-il. Du jamais vu pour une université africaine. » ❐ D.B.

◗ L’INSTITUT supérieur de commerce et d’administration des entreprises (ISCAE), c’est toute sa vie ou presque. Née à Rabat en 1969 et fille de hauts fonctionnaires, Nada Biaz sort major de promotion du prestigieux établissement public marocain de management en 1991 et se marie avec un autre brillant élève de l’école. Après avoir suivi ce dernier pendant trois ans à Harvard, elle rentre au pays : elle dirige une école privée de Casablanca spécialisée dans l’enseignement de l’anglais, puis enseigne le marketing, sa discipline de prédilection, à l’Institut des hautes études de management (HEM). En 2014, Nada prend la tête du pôle casablancais de l’ISCAE, où elle met l’accent sur l’internationalisation des profils étudiants. Nommée directrice générale du groupe fin 2015 (elle est la première femme à occuper ce poste), elle généralise les enseignements en anglais, met l’accent sur les nouvelles technologies et renforce le système de sélection à l’entrée (le taux d’admission est de 9 %). Dernier défi en date ? La création d’un centre ISCAE-Corporate dédiée à la formation continue sur mesure des professionnels. ❐ L.N.

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Nada Biaz Reine de l’excellence

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Amine Bensaid Homme de réseaux ◗ FORMÉ à l’Université de Floride du Sud, dont il sort major de promotion avec un doctorat en sciences informatiques et ingénierie, ce Marocain rejoint l’Université Al-Akhawayn, à Ifrane, lors de son lancement en 1994. Doyen de la faculté des sciences et de l’ingénierie puis vice-président de l’université, il suit le modèle d’enseignement américain et dispense ses cours en anglais, il met l’accent sur la qualité des formations comme du management, plaidant pour une R&D connectée au secteur privé. Fort de cette expérience, il prend la direction, en 2011, de l’université Mundiapolis, premier campus privé pluridisciplinaire du

pays à Nouaceur, en périphérie de Casablanca. Offrant 21 parcours en double diplôme et 28 autres en formation continue, son groupe multiplie les alliances. Il vient d’intégrer le réseau panafricain Honoris United Universities, du fonds d’investissement Actis, et il a signé un partenariat avec Bombardier et le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales pour renforcer la formation aux métiers de l’aéronautique. Depuis le début de l’année, Amine Bensaid dirige également la commission marocoaméricaine pour l’échange éducatif et culturel (MACECE) qui accorde des bourses de mobilité aux étudiants. ❐ T.M.

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LECTURES rassemblées par la rédaction

Donald Trump, dans la tradition américaine

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vec Donald Trump pour président, les États-Unis vont imprimer une nouvelle direction à la mondialisation en relançant les idées de protectionnisme et de nationalisme économique. C’est le point de départ de l’ouvrage dirigé par Christian Harbulot, le directeur de l’École de guerre économique, à Paris. Élaboré avec les étudiants de cet établissement, le livre rappelle que cette nation, souvent présentée comme le fer de lance du libéralisme, a toujours privilégié le protectionnisme quand ses intérêts l’exigeaient. Mieux, rappelle Christian Harbulot, il fut la base de son développement après l’indépendance, au XVIIIe siècle. Plus tard, Ronald Reagan, figure symbolique du capitalisme, n’a pas hésité à protéger le « made in USA » contre les produits extérieurs, notamment les véhicules japonais ou les équipements lourds allemands. Le libéralisme est d’abord un discours, avec lequel les grandes puissances, et donc les États-Unis, se sont toujours accommodées. L’administration américaine, par exemple, est très attentive au respect du Small Business Act (SBA), qui oblige l’État fédéral à réserver une partie de ses commandes à des PME américaines. Un soutien direct que l’Union européenne (UE) interdit à ses membres au nom du dogme

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LE NATIONALISME ÉCONOMIQUE AMÉRICAIN, sous

la dir. de CHRISTIAN HARBULOT, coll. Guerre de l’information, VA Press. de la concurrence. Après ce rappel, les auteurs prennent position : l’idée, d’ailleurs âprement combattue par les institutions internationales, que le protectionnisme puisse être au cœur du développement économique est jugée hérétique, voire archaïque. L’ouvrage ne le fait pas, mais la question mériterait d’être posée concernant les zones en développement, le continent africain, notamment : ne doit-il pas protéger ses industries s’il veut se développer ? Pour revenir à l’ouvrage, ce dernier note que le nouveau locataire de la Maison-Blanche va au-delà du simple

pragmatisme reaganien. Convaincu des « effets dévastateurs de l’agressivité commerciale d’économies étrangères sur l’emploi aux États-Unis », Trump veut renégocier les accords commerciaux multilatéraux, et notamment l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena). Si le Canada, l’un des trois signataires, attend de voir venir, le Mexique s’inquiète ouvertement d’une remise en cause des clauses lui permettant d’exporter d à bas coûts ses productions vers son grand voisin du Nord. Rien ne dit que la démarche va rréussir : le monde a changé depuis lles deux présidences de Reagan, il est plus interconnecté. De plus, Trump p eet sa doctrine entrent en confrontation avec l’un des moteurs majeurs de la croissance américaine, à savoir la Silicon Valley et ses grandes multinationales high-tech. Ces dernières ne veulent pas de protectionnisme et s’insurgent contre les restrictions liées à la libre circulation de leur main-d’œuvre qualifiée. Un compromis sera-t-il trouvé ? En attendant, Pékin, dirigiste et protectionniste, observe. C’est ce qu’explique le dernier chapitre du livre : le face-à-face États-Unis - Asie (Chine surtout) prendra une nouvelle dimension si Trump met en application ses projets de nationalisme économique. ❑ Akram Belkaïd

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Face aux déclarations tonitruantes du président, cet ouvrage rappelle que les États-Unis ont toujours su manier un libéralisme à géométrie variable.

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BLOG

ET AUSSI CANCRE

CAPTURE D’ÉCRAN

Sus à la Harvard Business School (HBS) ! Créé en 1908 au sein de la prestigieuse université de droit américaine, cet établissement est devenu l’emblème des écoles de commerce de renom (10 000 demandes annuelles pour faire partie de la centaine d’étudiants retenus en MBA). Pourtant, ce livre va à l’encontre du mythe et prend la forme d’un réquisitoire. La HBS est ainsi présentée comme étant la source originelle de ce qui est arrivé de pire aux États-Unis sur le plan économique (crises financières, spéculation, hausse des inégalités salariales…). L’auteur, journaliste et auteur de The Firm, qui dévoilait les dessous du cabinet de conseil McKinsey & Company, critique une formation biaisée par les relations incestueuses avec les entreprises donatrices. Une charge qui aurait mérité plus de nuances. ❑ A.B. THE GOLDEN PASSPORT,

Duff McDonald, HarperCollins.

MANIFESTE

RESPIRATION C’est le livre qui inspirera certainement vos résolutions de rentrée. Écrit par le célèbre blogueur Mark Manson, il incite à ne plus céder aux injonctions de la pensée positive. Autrement dit, il faut, selon l’auteur, accepter que les choses aillent mal et faire avec. Alléger son fardeau, lâcher prise et, en somme, « cesser de se pourrir la vie » en se fixant des objectifs de dépassement de soi que l’on est incapable d’atteindre. Attention, il ne s’agit pas d’un manifeste pour paresseux mais plutôt d’un contre-manuel de développement personnel. Un livre bienvenu, ironique, et bien plus subtil qu’il n’y paraît. ❑ A.B. L’ART SUBTIL DE S’EN FOUTRE. UN GUIDE À CONTRE-COURANT POUR ÊTRE SOI-MÊME,

Mark Manson, Eyrolles.

Conçu comme un guide de bonne gouvernance à destination des dirigeants africains, cet ouvrage a deux mérites. Tout d’abord, il présente de façon claire et percutante les trois principaux défis du continent : gérer son essor démographique, son urbanisation et son développement technologique. Ensuite, il fournit, pour chacun, les cinq étapes à suivre pour les relever, montrant notamment que les pratiques de clientélisme ne pourront pas répondre aux besoins du futur. Écrit par trois membres de la Brenthurst Foundation, think tank créé par la famille Oppenheimer, l’ensemble est dense mais didactique, illustré par des graphiques et ponctué de contributions de l’ex-président nigérian Olusegun Obasanjo. Reste à savoir si les intéressés le liront. ❑ Estelle Maussion

Elle s’appelle Edwige Gbogou. Étudiante à Abidjan, passionnée de nouvelles technologies et, selon ses propres mots, « grande rêveuse », elle tient un blog qui va à l’encontre de plusieurs idées reçues. Non, la hightech n’est pas une affaire simplement masculine. Non, l’Afrique n’est pas à l’écart du formidable bouillonnement autour du développement du numérique. Dans ses posts, on retrouve le lexique habituel des geeks avec une attention marquée pour l’économie collaborative, la fabrication numérique d’objets connectés ou l’enseignement à distance (Mooc) pour futurs entrepreneurs dans le digital. ❑ A.B. gbogouedwige.com

MAKING AFRICA WORK,

G. Mills, O. Obasanjo, J. Herbst et D. Davis, Tafelberg.

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Après l’heure

Découvrir, partir, voyager, prendre le temps de vivre Shinjuku est l’un des quartiers les plus animés de la capitale japonaise, mais aussi un haut lieu des affaires.

DÉPART

TOKYO, LE SECOND SOUFFLE ?

BENOÎT DECOUT/RÉA

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vec plus de 42 millions d’habitants (dont 13 intra-muros), elle est la plus grande aire urbaine du monde, où l’activité humaine ressemble à la déambulation de fourmis. Littéralement la « capitale de l’est », anciennement « Edo », Tokyo n’en finit pas de s’étendre, sur quelque 7 000 km² déjà. Dotée d’infrastructures ultra-modernes, à l’image de l’île artificielle d’Odaiba sur la baie, et siège de plus de 2 700 sociétés nationales et étrangères, elle affichait en 2015 un produit intérieur brut (PIB) de 1 520 milliards de dollars, contre 1 210 milliards pour New York. Capitale de la troisième puissance économique mondiale et centre de son pouvoir politique, la mégalopole cherche, comme l’ensemble du pays, ■ ■ ■

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VIVRE Se ressourcer au chant des baleines VOYAGER Le grand pari d’Air Sénégal DÉPENSER Un joyeux melting-pot

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Après l’heure

DÉPART

PAR AGNÈS REDON

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Ci-dessus, vue de la ville avec le mont Fuji à l’arrière-plan. Ci-dessous, les fameux cerisiers en fleur dans le parc d’Ueno au nord-est de la capitale.

(stands ambulants de restauration) et ses odeurs de grillades ont vu pousser une forêt de gratte-ciel où circulent chaque jour plus de 300 000 salarymen, les employés des grandes entreprises (dont Honda, Mitsubishi et Sumitomo) qui constituent la classe moyenne. Même métamorphose plus à l’est, vers la mer, à Ginza, le « lieu où l’on frappe l’argent », baptisé ainsi depuis sa construction au XVIIe siècle. Après avoir été l’un des premiers quartiers à s’occidentaliser, c’est aujourd’hui la zone la plus chic de Tokyo, où galeries d’art et boutiques de grands couturiers occupent des bâtiments ultra-contemporains. Pour s’en rendre compte, il suffit de suivre la Chuo-dori où se rassemble une foule compacte de

touristes, majoritairement venus d’Asie, friands de produits de luxe. Le tourisme, c’est l’une des clés de l’avenir pour la capitale, comme pour le reste du pays. Au niveau national, si la communauté d’expatriés reste relativement peu nombreuse, le nombre de visiteurs étrangers a lui explosé, passant de 8,3 millions en 2006 à plus de 24 millions l’an dernier. Au-delà du shopping, les voyageurs viennent surtout faire l’expérience de la spiritualité japonaise. Chaque année, quelque 20 millions de personnes passent l’imposante Kaminarimon, la « Porte du tonnerre », qui marque l’entrée du Senso-ji, le temple le plus ancien de la ville, fondé au VIIe siècle et situé dans le quartier tra-

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■ ■ ■ un second souffle. Elle lutte pour sortir de la léthargie dans laquelle sa population vieillissante et la faiblesse de sa consommation intérieure, véritable moteur de l’économie, l’ont plongé ces dernières années. Tokyo prend rendez-vous avec l’histoire à partir de la fin du XVe siècle (1457) lorsque le samouraï Ota Dokan érige le premier château d’Edo, devenu le siège du gouvernement militaire des shoguns. Avec l’ouverture des relations commerciales et diplomatiques avec les États-Unis, Edo devient sous l’ère Meiji, le 13 septembre 1868, la capitale du pays et est rebaptisée Tokyo. Après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale, elle profite à fond de la spectaculaire période d’expansion du pays de 1955 à 1990, lorsqu’il devient la deuxième puissance économique du monde. Les grands industriels tels que Mitsui et Toyota portent cet essor. Mais, minée par la déflation, Tokyo est, en 2010, détrônée par Pékin, à la place de deuxième économie mondiale en termes de PIB. À son arrivée au pouvoir fin 2012, le Premier ministre Shinzo Abe met en œuvre un programme de réformes, combinant relance budgétaire et modernisation du marché du travail. Les « Abenomics » doivent faire repartir la croissance sans pour autant creuser l’endettement ni recourir à l’immigration pour contrer la baisse continue de la population active… Souvent critiqués pour leur manque d’efficacité, ils semblent cependant commencer à porter leurs fruits : le Japon vient d’enchaîner cinq trimestres consécutifs de croissance, une première depuis 2006, son PIB devant augmenter de 0,5 % cette année. La capitale a subi dans sa chair ces évolutions. Illustration avec le quartier de Shinjuku, centré autour de la gare la plus fréquentée du monde, qui voit passer chaque jour au moins 2,5 millions de passagers. Depuis 1970, il ne cesse de se transformer : la gare et son parvis avec ses petits marchands de rue, ses yatai

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ditionnel d’Asakusa. À deux pas de là, le parc d’Ueno regroupe plusieurs musées, dont l’immanquable Musée national de Tokyo, et constitue un lieu de choix, au printemps, pour profiter du hanami (contemplation des cerisiers en fleurs). Insatiable, le gouvernement local cherche encore à accroître l’offre hôtelière et à améliorer les conditions d’entrée en facilitant les procédures de visa, en généralisant la détaxe et en modernisant les ports et aéroports. Sans oublier les Jeux olympiques de 2020, qui doivent générer 32 300 milliards de yens (soit 265 milliards d’euros) de recettes, mais dont la préparation demeure pour l’heure aussi chaotique que coûteuse. Cette ouverture sur le monde se fait aussi à destination de l’Afrique. Si les relations avec le continent sont anciennes, elles demeurent modestes, surtout comparées à celles de la Chine. En 2015, les échanges commerciaux entre le Japon et le continent s’élevaient à 24 milliards de dollars, bien loin des 179 milliards de dollars d’échanges avec la Chine. Cela n’a pas empêché Tokyo de promettre 30 milliards de dollars d’investissements sur les trois prochaines années, dont 10 dans les infrastructures, lors de la 6e Conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique (Ticad), à Nairobi au Kenya, en août 2016. En juin, c’était au tour de l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica) d’octroyer à la Banque africaine de développement un prêt de 300 millions de dollars destiné au secteur privé. Alors que le nombre de ressortissants africains (environ 12 000 sur 2,2 millions d’étrangers) a été multiplié par cinq depuis 1990, les grandes entreprises nationales entendent bien rivaliser avec la Chine dans des domaines comme la production agricole et l’énergie géothermique. ❐

LES VRAIES ADRESSES Trois rendez-vous pour découvrir l’histoire, la philosophie et la gastronomie tokyoïtes. Haut lieu shinto, sanctuaire Meiji-jingu Après avoir traversé le parc de Yoyogi, au bout d’une large saignée de terre et de graviers, surgit un portique de 12 mètres de haut sculpté dans un cyprès âgé de 1 500 ans. Telle est l’entrée de ce vaste sanctuaire, qui offre une plongée dans le Japon impérial. Principalement construit en bois de cèdre, il rend hommage à l’empereur Meiji (Mutsuhito) et à son épouse. Érigé entre 1912 et 1920, il a été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale puis rebâti en 1958. meijijingu.or.jp/english

Incontournable table, Sushi Bun Que serait la gastronomie japonaise sans le sushi ? Situé à l’intérieur du plus grand marché aux poissons du monde à Tsukiji (arrondissement de Chuo), ce petit établissement offre un spectacle pour les yeux comme pour l’estomac. Les poissons, extra-frais (maquereau, bonite, sardine, thon, saumon, poulpe…), sont préparés devant vous avant d’être dégustés au comptoir. La carte varie en fonction de la saison, l’idéal étant de choisir le menu

omakase, c’est-à-dire le choix du chef qui sélectionne les meilleurs produits du marché le matin même. ❐ tsukijinet. com/tsukiji/kanren/susibun/eng. html

Panorama, Tokyo Metropolitan Government. Conçu par l’architecte japonais Kenzo Tange en 1991, ce bâtiment est facilement identifiable grâce à ses deux tours de 243 mètres de hauteur, qui lui donnent une allure de cathédrale. On atteint le sommet par ascenseur en 45 secondes. En haut, il n’y a plus qu’à profiter de la vue sur le quartier de Shinjuku et, si le temps est clair, sur le mont Fuji. L’édifice, qui regroupe plus de 13 000 fonctionnaires, est aussi un symbole de la monumentalité fonctionnelle japonaise.

À SAVOIR Tokyo compte le plus grand nombre de tables étoilées au monde. Sur ses 130 000 restaurants, 227 se distinguent avec une étoile au moins et figurent dans l’édition 2017 du guide Michelin consacrée à la ville.

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VIVRE

PAR ALEXIS HACHE

Modeste établissement à sa création en 1902, The Marine est depuis 1998 un prestigieux 5 étoiles.

AFRIQUE DU SUD

se ressourcer au chant des baleines Hermanus, on n’a d’yeux que pour lui. Perché sur une somptueuse falaise verdoyante au pied de laquelle viennent s’écraser les vagues tumultueuses de l’océan Atlantique, l’hôtel The Marine impressionne. Surplombant Walker Bay, où l’on admire de juin à novembre l’incroyable ballet des baleines, l’établissement propose 40 suites et chambres, dont certaines jouissent d’une vue imprenable sur la mer. De l’autre côté, ce sont les montagnes de la chaîne Kleinrivier qui dressent fièrement leurs cimes vers le ciel et qui font de The Marine un lieu unique, érigé entre la roche et les flots, pris entre les vergers de pommiers de la vallée d’Elgin et les champs

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de colza de Caledon. À 115 kilomètres du Cap et 40 kilomètres de Gansbaai, lieu bien connu des observateurs de grands requins blancs, cet hôtel 5 étoiles fera également le bonheur des gastronomes : la cuisine du restaurant y a en effet été confiée au chef Relais & Châteaux Peter Tempelhoff et la carte des vins est 100 % locale. À partir de 290 euros la nuit. ❐ collectionmcgrath.com/ hotels/the-marine

L’hôtel compte dix « Premier Suites » de 46 à 87 m 2 avec vue sur l’océan.

Standing

POUR SON ARRIVÉE dans le pays, le groupe hôtelier allemand frappe fort en lançant trois établissements. Il vient tout d’abord de prendre la gestion de deux hôtels de luxe à Sousse (propriétés de la femme d’affaires Zohra Driss) : le Steigenberger Hotel Kantaoui Bay (5 étoiles, ci-contre) et le Jaz Tour Khalef (4 étoiles). Le premier compte six restaurants, un centre de thalassothérapie, un spa, trois piscines et un espace conférences. Le second affiche huit restaurants et bars, un centre de fitness en plus de son spa et de son espace thalasso. Pour compléter cette offre, Deutsche Hospitality reprendra également à partir de novembre l’hôtel Riu Palace Hammamet Marhaba (du groupe tunisien éponyme), rebaptisé Steigenberger Hotel Palace Marhaba. Là aussi, luxe et confort garantis. ❐ deutschehospitality.com

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Le style Deutsche Hospitality en Tunisie

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Institution dakaroise, l’hôtel offre des services pour les voyages d’affaires comme de loisirs.

Constance Hotels & Resorts Innovation à Maurice L’hôtelier haut de gamme de l’océan Indien lance une nouvelle marque, positionnée en entrée de gamme du luxe : C Hotels by Constance. Le premier établissement de ce type, le C Palmar by Constance, ouvrira en novembre à l’île Maurice. Proposant pour le moment 52 chambres, il devrait doubler sa capacité d’accueil d’ici à la fin 2018.

SÉN ÉGAL

Teranga au Terrou-Bi

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Onomo Hotels Cap au Sud

uvert en 1986, c’était alors un restaurant gastronomique. Aujourd’hui, c’est devenu un complexe touristique incontournable de Dakar. Commençons par ses quatre restaurants : cuisine française au Terrou-Bi, fusion à La Terrasse, tapas au Côte Ouest et spécialités locales au Grain de sel. Passons ensuite au casino, où se tient tous les ans le Dakar Poker Tour. Pour ce qui est du confort, l’établissement réunit 158 chambres et une série de dix suites de 53 à 160 m2, dont les terrasses privatives donnent sur l’océan et les îles de la Madeleine. On les rejoint d’ailleurs en quinze minutes de bateau pour s’adonner à la pêche sportive des espadons, coryphènes, thons et autres marlins bleus. Enfin, via son service Executive, l’hôtel offre un accompagnement personnalisé au jour le jour pour une expérience unique dans la capitale sénégalaise. À partir de 145 euros la nuit jusqu’au 10 septembre. ❐

La chaîne de 3 étoiles née en Afrique de l’Ouest pousse ses pions en Afrique du Sud. Elle vient de reprendre le Inn On The Square, situé au nord de la péninsule du Cap, première incursion sudafricaine et première reprise d’un établissement déjà en activité. Celui-ci dispose de 165 chambres, d’une piscine panoramique, d’un spa et d’une salle de sport.

Marrakech Une appli pour Palmeraie Resorts Le palace marocain a désormais son application mobile de conciergerie. Elle permet d’utiliser le room service, de faire des réservations au restaurant ou au spa, de planifier des excursions. En prime, des informations utiles comme la météo, les points d’intérêts autour de l’hôtel et des cartes.

terroubi.com

RENDEZ-VOUS Du 28 au 30 septembre, Tanger accueille la 2 édition du World Music & African Art Festival (Womaaf), e

avec le Sénégal en invité d’honneur. Au programme, le Malien Cheick Tidiane Seck, le Sénégalais Sarro, la Marocaine Saida Fikri…

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Après l’heure

VOYAGER

PAR ALEXIS HACHE

Depuis juin, la compagnie éthiopienne dessert trois nouvelles destinations : Singapour, qu’elle avait déjà reliée entre 2013 et 2014, Jakarta en Indonésie et Chengdu en Chine, trois routes où elle est sans concurrence depuis son hub d’Addis-Abeba. Avec ces nouveautés, elle propose désormais plus de 100 vols hebdomadaires vers 14 destinations asiatiques.

Aéroport Nouveau terminal à Rabat ? Après la rénovation du terminal 2 en 2012, l’aéroport de Rabat-Salé, géré par l’Office national des aéroports (ONDA), pourrait en accueillir un nouveau. L’ONDA serait en train d’étudier un projet prévoyant un bâtiment de quatre niveaux s’étendant sur 60 000 m2, dont 30 000 m2 seraient dédiés au hall public. Coût estimé : environ 4 millions d’euros. Aucune date de début de chantier n’a été précisée.

RwandAir Arrivée en Europe La compagnie nationale rwandaise assure désormais des vols vers l’aéroport de Londres-Gatwick, sa première destination en Europe. Avec trois liaisons par semaine au départ de Kigali, elle entend attirer plus de visiteurs, touristes comme hommes d’affaires. Il s’agit de sa troisième destination internationale après Mumbai et Dubaï.

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La ministre des Transports aériens, Maïmouna Ndoye Seck.

REDÉCOLL AGE

Le grand pari d’Air Sénégal

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’est prévu pour décembre. D’une part, l’inauguration de l’aéroport international Blaise-Diagne de Diass, dix ans après le début des travaux. D’autre part, la reprise de service de la compagnie aérienne nationale, Air Sénégal. Née des cendres de Sénégal Airlines et dotée d’un capital de 40 milliards de francs CFA (61 millions d’euros), elle doit se concentrer sur les liaisons domestiques et avec les pays voisins en utilisant des appareils de petite taille. Attendant la livraison de deux ATR 72-600, elle assure avoir tiré les leçons des erreurs du passé. ❐

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Kenya Airways Accord avec Egyptair Membre de l’alliance SkyTeam, la compagnie kényane, dirigée par le Polonais Sebastian Mikosz depuis début juin, a signé un accord de partage de codes avec Egyptair, qui fait partie de Star Alliance. Pour l’instant, seules les liaisons NairobiMombasa et Nairobi-Le Caire sont concernées, mais ce partenariat devrait, à terme, s’étendre à sept autres routes internationales.

RAM – Etihad Alliance sur le cargo La compagnie marocaine et l’avionneur émirati Etihad Airways ont signé un mémorandum d’entente pour le développement de leur filière cargo. Bénéficiant de réseau complémentaire, les deux transporteurs veulent développer des synergies. La RAM transporte déjà des marchandises vers une centaine de destinations et propose des vols tout cargo vers l’Europe et certaines villes africaines.

Air France Vers l’Algérie La compagnie française ouvre une nouvelle ligne entre Montpellier et Alger à partir d’octobre. Assurée en Airbus A319 et A320, la liaison interviendra deux fois par semaine, les lundis et samedis. Des vols qui s’ajoutent aux Paris-Charles-de-Gaulle – Alger et aux Paris-Charles-deGaulle – Oran déjà existants.

MINISTÈRE DU TOURISME ET DES TRANSPORTS AÉRIENS DU SÉNÉGAL

Ethiopian Airlines Toujours plus d’Asie

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Rude concurrence entre Airbus et Boeing à travers leur modèle phare, respectivement l’A320 et le 737, mais aussi leurs déclinaisons, les gammes neo et MAX.

S T R AT É G I E

voici venu le temps des moyen-courriers es avionneurs en sont persuadés : la flotte au niveau mondial devrait doubler d’ici 2036. Durant le salon du Bourget en juin, Boeing et Airbus ont ainsi tous deux revu leurs prévisions à la hausse pour les vingt prochaines années : 41 030 appareils pour le constructeur américain, 34 900 pour son rival européen. Mais, si la tendance se confirme, elle devrait surtout s’appliquer aux moyens porteurs. Car les compagnies suivent aujourd’hui le modèle économique popularisé par les low cost : leurs flottes, uniformisées pour limiter les dépenses, font la part belle à une

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nouvelle génération d’avions de taille moyenne, moins gourmands en carburant, capables même d’assurer certaines longues distances. C’est le cas de l’A320 neo d’Airbus et du 737 MAX de Boeing, versions améliorées des modèles phares que sont l’A320 et le 737. Concernant l’Afrique, si elle ne représentait en 2016 que 2,2 % du trafic mondial, elle constitue l’un des marchés les plus attractifs. Selon l’International Air Transport Association (IATA), le nombre de passagers sur le continent devrait tripler d’ici 2035 pour dépasser les 300 millions. Cet essor s’accompa-

gnera logiquement d’une hausse de la demande d’appareils. Sur ce point, les prévisions d’Airbus et de Boeing sont proches : le premier prévoit de livrer un millier d’appareils neufs sur le continent d’ici 2035 quand le second table sur 1 220 avions. Et, comme la plus forte croissance du trafic concernera les vols intra-africains, avec des pays porteurs comme le Mali, l’Ouganda, le Sénégal ou le Rwanda, ce sont là aussi les appareils moyen-courriers qui seront en première ligne. Dans ce tableau, une exception de taille, Ethiopian Airlines, qui vient de commander 10 appareils A350… ❐

DR (2) - CAPTURE D’ÉCRAN

Innovation Imaginez l’aéroport du futur LE GROUPE ADP (Aéroports de Paris), en partenariat avec la start-up Agorize, lance un concours international intitulé « Play Your Airport » et ouvert aux voyageurs, étudiants, entrepreneurs et personnels du groupe. Le but ? Concevoir l’aéroport de demain, qui révolutionnera l’expérience des passagers tout en étant respectueux de l’environnement. De nombreux lots sont à gagner parmi lesquels des voyages et des tours du monde pour les étudiants et particuliers, des financements à hauteur de 40 000 euros pour les entreprises ou encore un voyage d’étude à la Silicon Valley pour les collaborateurs. Résultats en janvier 2018. ❐ play-your-airport.com

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Après l’heure

DÉPENSER

PAR LUISA NANNIPIERI

JEU DE CRISTAUX Pour sa première collaboration avec l’architecte américain Daniel Libeskind, Swarovski présente un jeu d’échecs hors du commun, ode au paysage urbain. Sur le damier noir et blanc se dressent des miniatures des bâtiments emblématiques de l’architecte (Tor di Valle de Rome, Freedom Tower de New York), réalisées en béton, aluminium, marbre, mais aussi argent de Vienne et cristal. 15 900 euros. swarovski.com

NOSTALGIE GLOBE-TROTTEUR Customiser sa valise, son sac ou son portefeuille Louis Vuitton dans l’esprit du voyageur d’autrefois, qui collait sur ses bagages les étiquettes d’hôtels dans lesquels il était descendu. Telle est l’idée derrière la nouvelle ligne MyLV World Tour de la célèbre marque de luxe française. Son directeur artistique, Nicolas Ghesquière, a ainsi imaginé cinq familles de douze écussons inspirés des plus grandes villes du monde, des peintures de l’hyperréalisme et d’estampes japonisantes, à assortir selon l’humour ou la saison. À partir de 565 euros. louisvuitton.com

MIROIRS DE L’ÂME Avec ses franges légères et ses couleurs vives, le Inaya Mini résume l’esprit de la griffe Ayin’ Keshèt Paris. Lancée en 2012 par Marie-Claire Yakou, mannequin franco-ivoirienne, attachée au Sénégal par sa mère et à l’Algérie par ses grands-parents, elle fait appel aux meilleurs fournisseurs tricolores. Le nom choisi, « l’œil arc-en-ciel » en hébreu et arabe, évoque l’identité multiculturelle de la créatrice. De 179 à 990 euros. tictail.com/fr

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SHOPPING

UNE ROSE IVOIRIENNE Rebecca Zoro a débuté à Abidjan avec sa marque Yhebe Design il y a seulement deux ans mais ses collections sont déjà incontournables. Après un stage de perfectionnement chez l’Ivoirienne Coura Diop en 2009, elle peaufine son style au Maroc. De retour au pays, elle a déjà défini l’identité de sa maison de prêt-à-porter comme son emblème, une rose à cinq pétales au parfum envoûtant. Ses créations mettent en valeur la sensibilité et l’énergie des femmes grâce à des coupes géométriques adoucies par des tissus fluides et délicats. Puisant son inspiration dans les silhouettes des années 1920, elle propose des habits adaptés à toutes les morphologies. Comme ce pantalon oversize à taille haute disponible en plusieurs motifs avec top assorti. À partir de 60 euros sur yhebedesign.com

DU GHANA PLEIN LES YEUX Bôhten est une marque de lunettes éco-luxe créée en 2013 par le Ghanéen Nana Osei Boateng. Dessinés au Canada, où vit le designer, les modèles sont réalisés à la main dans une usine zéro déchets installée au Ghana, à partir de bambou, bois de séquoia ou plastique de récupération ! Le résultat : des montures très légères, au design épuré et personnalisables avec des gravures. Prochaine étape : réaliser la première collection 100 % locale l’an prochain. À partir de 200 $ sur bohten.com

JUSTINE MARCHAND - STUDIO MIERSWA & KLUSKA - DR (3)

un joyeux melting-pot

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DESIGN

La grâce d’Aissa

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voitures étages. sur 15 ét Le showroom show Autobahn Autobah Motors Singapour à Singap n’est pas un jouet mais un distributeur automatique de Lamborghini, Porsche ou Ferrari. À partir de 43 000 euros.

pécialiste des tissus et meubles contemporains ontemporains réalisés selon on des techniquess ancestrales, la Franco-Sénégalaise se Aissa Dione ns chez Hermès, a placé ses créations Christian Louboutin, dans le restaurant Thoumieux à Paris ou les suites de l’hôtel King Fahd de Dakar. Tout est fabriqué dans des ateliers sénégalais par des ouvriers de talent, capables de réaliser des gammes de tissus variées, à base de coton enrichi de viscose, raphia ou soie. Un savoir-faire décliné en canapés, coussins, rideaux, babouches et sacs. Quant au mobilier en bois, il est toujours délicatement sculpté et parfois agrémenté de perles. Showroom à Paris, 12 rue Notre-Dame-des-Victoires, sur rendez-vous. ❐

Innovation

DR (3)

Le nec plus ultra pour vos oreilles The Dash Pro, de la start-up allemande Bragi, n’est pas une simple paire d’oreillettes sans fil. C’est un véritable mini-ordinateur qui s’active d’un simple mouvement de tête et peut être commandé à la voix. Chaque oreillette est étanche et dotée d’une batterie longue durée (30 heures), ainsi que d’une connexion Bluetooth pour des sons clairs et sans interférences. Compatible avec Android, Apple ou Windows, le dispositif est équipé d’une intelligence artificielle qui lui permet d’acquérir de nouvelles compétences au fur et à mesure des mises à jour. Parmi les options possibles : la traduction en 40 langues et en temps réel, grâce à la technologie iTranslate. À partir de 349 $ sur bragi.com

À NOTER

Sous le slogan « bâtisseurs, francs parleurs, catalyseurs », le cycle de conférences TEDGlobal est de retour en Tanzanie du 27 au 30 août. Il y a dix ans, le pays avait accueilli le premier rendez-vous africain de ce genre.

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MOTS ET TENDANCES par Akram Belkaïd

Une activité économique atone, un déficit budgétaire qui se creuse et une dette publique élevée. Ce triptyque qui caractérise nombre d’économies développées – notamment européennes – est connu. Son impact sur l’activité globale ainsi que, par contrecoup, sur les exportations africaines, l’est aussi. Comment en venir à bout ? Il existe une réponse iconoclaste : « faire » de l’inflation. Autrement dit, obliger les banquiers centraux à laisser filer les prix et les salaires, à ne pas agiter la menace d’une hausse des taux d’intérêt à la moindre poussée inflationniste. Les bénéfices d’une telle approche sont simples : dette et déficit fondent de manière mécanique et, dans un premier temps, ménages et entreprises tirent profit de la hausse de leurs revenus respectifs. En 2010, l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), Olivier Blanchard, proposait que l’on fixe à 4 % l’objectif d’inflation dans les pays industrialisés. Une volée de bois vert avait accompagné cette (vaine) tentative de remettre en cause le seuil consacré des 2 %. « Quand on flirte avec l’inflation, on se marie pour toujours avec elle », avait pesté le gouvernement allemand. Aujourd’hui encore, Berlin ne veut absolument pas entendre parler d’une inflation forte, souvenir douloureux pour elle des années 1930 et des terribles conséquences que l’on sait. Pas question donc d’entamer l’épargne des ménages ni de saper leur pouvoir d’achat sur le long terme. Pour autant, en privé, de nombreux économistes reconnaissent que c’est la seule voie pour répondre aux enjeux de dette et de finances publiques.

CAVALERIE

En attendant de trouver une solution, les États en sont réduits à se comporter comme un vulgaire ménage vivant au-dessus de ses moyens. Des États-Unis à la Grande-Bretagne en passant par la France ou l’Italie, la procédure est la même : on emprunte pour rembourser et ainsi de suite. Pour reprendre une expression très en vogue chez les économistes depuis plus de vingt ans, le fonctionnement des États correspond à un « mouvement perpétuel » basé sur le cycle endettement-remboursement, car les richesses créées et les ressources fiscales ne suffisent plus à combler les trous. S’il fallait appeler les choses par leur nom, on ne parlerait plus de refinancement mais bien de cavalerie. Or, ce système ne fonctionne que tant qu’il se trouve quelqu’un pour avancer l’argent. Au XIXe siècle, plusieurs crises financières en Europe et en

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Amérique du Nord sont nées de l’interruption brutale du crédit. Aujourd’hui, tout le monde répète en chœur que l’argent ne manque pas et que les États peuvent continuer à s’endetter indéfiniment. Même les Banques centrales se sont mises au diapason en achetant sur le marché de la dette souveraine. Ces facilités accompagnées de politiques monétaires laxistes préparent la grande crise à venir. Celle de 2007-2008 avait obligé les banquiers centraux à devenir des prêteurs en dernier recours quand le reste des détenteurs de liquidités refusait le moindre risque. Depuis cette date, personne n’est capable de répondre à l’interrogation suivante : qui prêtera à ces institutions en cas de nouveau choc ?

PHILANTHROPIE

Attention, il est interdit de rire. Jeff Bezos, le richissime PDG d’Amazon (il en possède 17 % du capital) est confronté à un problème de taille. Il ne sait pas quoi faire de son argent. En juin dernier, il a lancé un appel via Twitter pour demander aux internautes de le conseiller en matière de stratégie philanthropique. L’homme qui a révolutionné le commerce en ligne pèse 80 milliards de dollars, soit la deuxième fortune au monde derrière Bill Gates (87 milliards de dollars). Certes, il a déjà une fondation – dirigée par son entourage – qui s’occupe d’œuvres de charité et de financements artistiques. Certes aussi, il a racheté le Washington Post, le sauvant ainsi de la faillite. Mais, dans le premier cas, son activité est très modeste par rapport à l’activisme généreux d’un Bill Gates ou d’un Warren Buffett. Dans le second, Bezos a toujours dit que le Washington Post devait à terme gagner de l’argent. Du coup, dans la presse américaine, le patron est souvent moqué pour l’oursin qu’il aurait dans sa poche. Bill Gates avait fait l’objet du même genre de critiques au début des années 1990 avant que le cofondateur de Microsoft ne se découvre une vocation de grand donateur. Qui sait, peut-être que Bezos va finir par s’intéresser de près aux défis de la planète (faim, eau, pauvreté, écologie…) ? À peine tweetée, sa requête a reçu plusieurs milliers de réponses. L’une d’elles, venue d’Europe, lui conseillait d’agir pour qu’Amazon paie ses impôts dans les pays où la multinationale est installée. Pas sûr que le futur grand mécène apprécie le conseil d’autant que la philanthropie, aux États-Unis surtout, sert aussi à obtenir des déductions fiscales. ❐

DR

INFLATION

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boad en chiffre 205X275.qxp_Mise en page 1 28/07/2017 17:38 Page1

CHIFFRES CLÉS AU 31.12.2016 Capital autorisé

1 155,000 milliards de FCFA

Capital souscrit

1 098,000 milliards de FCFA

Fonds propres :

634,693 milliards de FCFA

PNB

34,131 milliards de FCFA

Résultal Net Bénéficiaire

10,548 milliards de FCFA

Total bilan

2 263,357 milliards de FCFA

Approbations 2016 Total des engagements pour 1044 opérations

500,600 milliards de FCFA 4 410,000 milliards de FCFA

A PROPOS DE LA BOAD Fondée en 1973, la Banque Ouest Africaine de Développement est une institution commune aux 8 Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Elle a pour missions de promouvoir le développement équilibré des Etats membres et de contribuer à la réalisation de l’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest. Très engagée sur les questions environnementales et climatiques, elle est accréditée comme agence d’exécution auprès du Fonds d’Adaptation (2011), du Fonds pour l’Environnement mondial (FEM, 2015) et du Fonds Vert pour le Climat (2016). En 2015, les agences internationales Moodys et Fitch ont attribué à la BOAD des notes d’investissement (respectivement « Baa1 »et «BBB»), avec des perspectives stables. Les deux agences ont confirmé ces notes en 2016, permettant à l’institution de mener avec succès sa première émission sur le marché financier international (750 millions de dollars levés).

Notre ambition : Devenir une banque de développement forte, pour l'intégration et la transformation économique en Afrique de l'Ouest B.P. : 1172 Lomé TOGO - Tél.: +228 22 21 59 06 / 42 44 - Fax : +228 22 21 52 67 / 72 69 - site web : www.boad.org - E-mail : boadsiege@boad.org

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