Afrique Magazine 361

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE 2 MOIS

TUNISIE

LE BAL DES PRÉTENDANTS

LIBYE

TRIPOLI ENTRE GUERRES ET PAIX

BÉNIN

NOUVEAU DÉPART ? UN DOSSIER SPÉCIAL DE 18 PAGES

RCA UN ÉTAT EN URGENCE

DÉCOUVERTE

CÔTE D’IVOIRE

L’ATOUT JEUNE

L’AFRIQUE DANS LE VISEUR

COMMENT FAIRE FACE AUX MENACES TERRORISTES ? Cinq spécialistes répondent. Avec une interview exclusive de Hamed Bakayoko, ministre ivoirien de l’Intérieur.

N° 361 – JUIN – JUILLET 2016 France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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Collection Reine de Naples

in every woman is a queen

B E N J A N N E T J A L E L , T U N I S • R U E D U L A C L É M A N , 10 5 2 L E S B E R G E S D U L A C – L E S J A R D I N S D E L A S O U K R A , R O U T E D E L A M A R S A , 2 0 4 6 S I D I D A O U D PA S S I O N , C A S A B L A N C A • 8 3 , R U E M O U S S A B E N N O U S S A I R


ÉDITO

PAR zyad limam

SINGAPOUR-TUNIS

V

oyage à Singapour, cité-État de 6 millions d’habitants et de 700 km2 (sept fois Paris). Au carrefour des grandes routes commerciales de l’Asie du Sud-Est, à l’entrée du détroit de Malacca. Hier, c’était un coin de jungle, un comptoir commercial et militaire britannique, un port à charbon, qui commerçait aussi un peu de caoutchouc. La République indépendante est née en 1965 (en rompant avec la Malaisie voisine). Voilà tout juste cinquante et un ans. Un demi-siècle. Aujourd’hui, c’est l’un des pays les plus riches du monde avec un revenu de près de… 80 000 dollars par an et par habitant (en parité de pouvoir d’achat). Nettement supérieur au revenu médian d’un Européen ou d’un Américain. À égalité, voire un peu plus, avec celui d’un Émirati. Sans parler d’une inutile comparaison avec les plus efficaces de nos pays africains. Le tout sans une goutte de pétrole, sans ressources minérales ou agricoles. Une des success stories les plus stupéfiantes de l’histoire du développement. Au cœur de ce miracle, l’action d’un homme, devenu quasiment une légende, Lee Kwan Yew, fondateur de la nation, Premier ministre sans discontinuer de 1959 à 1999. Et une politique de croissance et de progrès sur le long terme : investissement dans l’éducation, les infrastructures, politique dédiée à l’exportation, développement d’un port d’ampleur mondiale ; création d’une place financière et de services rayonnant sur la Chine et la sous-région (Malaisie, Indonésie, Philippines…) ; position géostratégique, appui des États-Unis et du capitalisme mondial… Évidemment, le miracle singapourien a ses AFRIQUE MAGAZINE

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limites. Ici, les travailleurs et les salary men n’ont pas la sécurité sociale, et le droit du travail est particulièrement, disons, libéral. Politiquement, on le sait, le modèle est celui d’une forme d’autoritarisme éclairé. La cité-État fonctionne sur la base d’un contrat rigide entre gouvernants et gouvernés. Chacun sait se tenir à sa place. Les règles sont nombreuses (les fameux chewing-gums interdits). Le gouvernement vogue de victoire électorale en victoire électorale sans trop forcer les urnes. Singapour est l’une des villes les plus sûres au monde et pourtant on y voit rarement un policier ou un militaire. L’ensemble peut paraître aseptisé, mais les nuances ici sont importantes. Singapour est aussi un État de droit. Sa justice, en particulier en matière commerciale et civile, est reconnue. Les performances de gouvernance du service public sont inégalées. Sans parler de la coexistence relativement pacifique des cultures et des religions. Paradoxe : Chinois, Malais, Indiens, chrétiens, ce régime bouddhistes, musulmans… se sont autoritaire largement fondus dans une nouvelle est aussi identité : Singapour. La ville emblématique de la un État mondialisation n’est pas non plus à de droit. l’abri des crises et des retournements de conjoncture. L’économie dépend très largement du commerce international et surtout de la demande chinoise. Le commerce mondial est atone. Et la Chine immense ralentit, se restructure, dépense moins. Elle a décidé de changer de modèle, de sortir de son statut de sous-traitant industriel du monde, pour devenir une économie de premier rang. La baisse des matières premières, et celle du pétrole en particulier, impacte aussi le pouvoir d’achat des high spenders 3


ÉDITO qui parcouraient le monde d’hôtel en hôtel, de boutique de luxe en boutique de luxe. Structurellement, la population vieillit. Elle se crispe aussi devant l’afflux de travailleurs étrangers. Nécessaire pourtant : Singapour manque de main-d’œuvre qualifiée, pour faire tourner son impressionnante machine. Le pleinemploi provoque une faible compétitivité du travail. La concurrence avec les autres cités globales de la région, Hongkong, Shanghai, Taipei s’aiguise… Et la question démocratique réapparaît de plus en plus. Le modèle Singapour, phénoménalement performant pendant un demi-siècle, doit s’adapter, évoluer. Comme tous les modèles.

Le nouveau quartier de Marina Bay, avec le port de Singapour au second plan.

Voyage à Tunis, à l’autre bout du monde. Ambiance morose. L’opinion publique générale a le moral dans les chaussettes. Rien ne marche, tout se déglingue, le civisme, la loi, les règles… La saison touristique s’annonce mauvaise. Le budget de l’État est un gouffre et personne n’investit dans le pays, ni les Tunisiens ni les étrangers… Discussion justement avec des étrangers éclairés et des ressortissants de pays voisins. Leur approche est surprenamment positive. Tentative de résumé : « Nous croyons en la Tunisie. Une révolution est une rupture importante, déstabilisante. Mais vous avez entamé la transition avant tout le monde. Et ce qui se passe ici est unique dans le monde arabe. Une tentative de démocratisation. Une autre manière de gouverner. Ce qui explique d’ailleurs la forte défiance vis-à-vis de vous. Vous avez une société civile unique. Des ressources humaines, des talents, des capacités. De la résilience. Ce qui manque n’est pas négligeable. Ce n’est pas plus d’autorité. C’est plus d’État et de sécurité. Des réformes de modernisation. Un appui beaucoup plus franc des partenaires occidentaux. Et surtout un projet, une vision pour une seconde étape du développement. » On pense à Singapour et on se dit que la Tunisie pourrait viser haut, se montrer ambitieuse. Une population stable. Quelques ressources agricoles et naturelles. Une culture d’entreprise. Une relative ouverture culturelle. Et stratégiquement, le pays est aux portes de l’Europe (le plus grand marché du monde). Et aussi aux portes de l’Afrique (le grand marché de demain). Sans économie structurée et dynamique, il n’y pas de réelle démocratie. Les opportunités sont là. Il suffit d’y croire et de s’y mettre. ■ 4

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ZYAD LIMAM

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JUIN-JUILLET 2016 N°361 AFRIQUE MAGAZINE

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

EN VENTE 2 MOIS

TRIPOLI Une capitale entre guerres et paix

DOCUMENT

Les derniers jours du Prophète

SÉCURITÉ

L’Afrique dans le viseur Comment lutter contre les menaces terroristes ? Mohsen Marzouk

Hafedh Caïd Essebsi

Nabil Karoui

Tunisie LE BAL DES PRETENDANTS Mehdi Jomaa

Ils pensent pouvoir sauver le pays, le diriger un jour. Portraits de certains de ces ambitieux plus ou moins déclarés.

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

Béji Caïd Essebsi, actuel locataire du palais de Carthage

N° 361 – JUIN – JUILLET 2016

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

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PHOTOS DE COUVERTURE : MAGHREB : AMINE LANDOULSI/ ANADOLU AGENCY AFRIQUE SUBSAHARIENNE : SHUTTERSTOCK

56 Relancer une économie défaillante et réconcilier les communautés en République centrafricaine… Pour le président Faustin-Archange Touadéra, les travaux herculéens ne manquent pas. 3

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Édito

Singapour-Tunis par Zyad Limam

12

Pascal Nzonzi

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Hend Ahmed

Consommons local? par Emmanuelle Pontié

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Chigozie Obioma

Ce que j’ai appris

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Salima Abdel-Wahab

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Calypso Rose

L’agenda

Boubacar Boris Diop

C’est comment ?

Aïssa Maïga

Une image, une histoire

Mundial 1978 Tunisie-Mexique : 3-1

La mémoire dans la peau Cairote & roll

« Enfant, j’enviais les gens capables d’écrire » Tricoteuse de cultures

Mamie fait de la résistance

104 Le document

LES TEMPS FORTS

136 Mon carnet de route

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Sécurité L’Afrique dans le viseur

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Tunisie Le bal des prétendants

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Humanitaire

56

RCA Une nation en état d’urgence

62

Interview Antoine Glaser

68

Tripoli Entre guerres et paix

L’héritage du Prophète

THIERRY BRÉSILLON - AMANDA ROUGIER

LES GENS

Saint-Pétersbourg par Tala Hadid

138 Duty free

Ici l’ombre…

146 Les 20 questions Nawell Madani

12 De l’amour des planches

Haro sur le « charity business »

au succès sur grand écran : entretien avec Pascal Nzonzi. AFRIQUE MAGAZINE

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AFRIQUE MAGAZINE

FONDÉ EN 1983 (33e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR GÉNÉRAL ET RÉDACTEUR EN CHEF

zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié

récemment élu, se donne cinq ans pour redresser la situation du Bénin.

Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com

DOSSIER BÉNIN

80

Exécutif La dream team du président

82

Économie Créer un climat propice aux affaires

83

Interview Myriam Adotevi

109 Éducation

84

Interview Alain Houngue

86

Échanges Remettre le PAC à flot

et formation : le nouveau contrat de confiance.

88

Énergie L’urgence de l’autosuffisance

90

Interview Jean-Claude Houssou

92

Sorties Le dimanche à Cotonou

96

Portfolio Malick Sidibé,

PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

sr@afriquemagazine.com

CÔTE D’IVOIRE

Cap sur la jeunesse!

Intégrer la nouvelle génération : un défi pour la croissance, le développement et la stabilité.

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

LUDIOVIC/RÉA

RÉALISATION BAUDELAIRE MIEU I

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AM361_Découv CI.indd 109

MADE IN AFRICA Lagos, « New York de l’Afrique » Événement : rétrospective Giacometti à Rabat Rencontres d’Arles : l’Afrique sans clichés Mode : l’été blanc-bleu d’Anissa Meddeb Hôtel : The Norfolk, au cœur de Nairobi

132 L’été sera blanc-bleu. Chic !

à prendre au sérieux

144 Casques audio : gare à l’écoute intensive ! 145 Allergie aux pollens : lutter contre le « rhume des foins »

109

VENTES EXPORT Arnaud Desperbasque Tél. : (33) 5 59 22 35 75 FRANCE DESTINATION MEDIA 66, rue des Cévennes - 75015 Paris Tél. : (33)1 56 821200

30/05/16 19:30

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr COMMUNICATION ET PUBLICITÉ AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 GÉRANT ZYAD LIMAM DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE EMMANUELLE PONTIÉ regie@afriquemagazine.com Afrique Magazine est un bimestriel édité par 31, rue Poussin - 75016 Paris. Président-directeur général et directeur de la publication : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0219 / I 856 02. Dépôt légal : juin 2016. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2016.

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GWENN DUBOURTHOUMIEU/JEUNE AFRIQUE - LUDOVIC/RÉA - DR

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Intégrer la nouvelle génération : un défi pour le développement et la stabilité.

140 Addiction : n’hésitez plus : dites non au tabac ! 143 Fibromes : des tumeurs fréquentes

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

VOTRE SANTÉ Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

l’homme qui aimait les âmes

VIVRE MIEUX

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com Aldo de Silva CONSEILLER ARTISTIQUE Loraine Adam, Michael Ayorinde, François Bambou, Yasmine Brahim, Delphine Bousquet, Thierry Brésillon, Sabine Cessou, Frida Dahmani, Maryline Dumas, Aurélie Dupin, Loïc Franck, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Abdeslam Kadiri, Astrid Krivian, Audrey Lebel, Céline Lô, Baudelaire Mieu, Myriam Renard, Madeleine Robert.

C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O RG A N I S A T I O N

109 Côte d’Ivoire. L’atout jeune

126 130 131 132 135

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Catherine Maupu

DÉCOUVERTE

DÉCOUVERTE

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epontie@afriquemagazine.com

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NOUVEAU DÉPART ?

DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

76 Patrice Talon,


ICI TOUT TOURNE AUTOUR DE VOUS Soyez au centre de toutes nos attentions : bienvenue dans notre classe Business. AIRFRANCE.COM


LE REGARD DE… GLEZ

Ira, ira pas ? Alors que la Constitution ne lui permet pas de se représenter, Joseph Kabila pourrait se maintenir en RDC à la faveur d’un report du scrutin. Et ce ne sont pas quelques-uns de ses homologues présidents qui le dissuaderont de jouer les prolongations. Damien Glez est un dessinateur de presse franco-burkinabè. Il est aussi directeur de publication délégué de l’hebdomadaire satirique Le Journal du Jeudi. Il est membre actif de l’association Cartooning for Peace fondée par Plantu. Ses dessins et caricatures ont été publiés dans plus de quarante journaux internationaux.

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DIOR.COM


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Pascal Nzonzi La mémoire dans la peau Révélé au grand public dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, le comédien revient sur ses quarante ans de carrière, la célébrité soudaine et son rapport à la RDC, sa terre d’origine. propos recueillis par Astrid Krivian photos Amanda Rougier es mots, Pascal Nzonzi connaît. Il les aime, s’en nourrit, s’en délecte et les choisit avec soin. Comme s’il savait que si le comédien s’astreint à ne pas trahir un texte, l’homme, lui, ne doit pas se mentir à lui-même. Alors, les formules toutes prêtes, trop peu pour lui. Chaque parole est articulée, parfois chantée, avec ce timbre grave qui sied si bien à ceux qui ont grandi au théâtre. Ce jour-là, près de chez lui, au bord d’une rivière dans un hameau au cœur de la Beauce (« le grenier de la France »), ce fils d’agriculteur, né et élevé en RDC, semble en verve. Pour notre plus grand plaisir…

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« AU THÉÂTRE, CE QU’ON M’A DONNÉ À FAIRE ÉTAIT GÉANT. LE CINÉMA, C’EST UN AUTRE MONDE, IL FAUT FAIRE SA PLACE PETIT À PETIT. MAIS QUAND ON M’EN DONNE LA POSSIBILITÉ, JE M’Y INVESTIS TOTALEMENT. »

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AM : La petite controverse liée aux Visiteurs 3 [son nom

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avait disparu de l’affiche, NDLR] est-elle symbolique du fait que certains acteurs seraient moins égaux que d’autres ? Pascal Nzonzi : Non, c’était juste un malheureux concours de circonstances. À l’occasion, j’ai d’ailleurs dit préférer être connu pour ma carrière que pour cet incident anecdotique. Il n’y avait pas lieu de polémiquer. Pourquoi, selon vous, y a-t-il encore si peu de comédiens noirs sur les écrans français ? C’est inhérent au regard étriqué de la société. Une vision stéréotypée, ethnocentriste. Je ne crois pas au fait de « rendre visible » une minorité invisible : c’est un slogan, ça ne veut rien dire ! Je pense plutôt que les auteurs manquent d’inspiration, d’ouverture pour proposer autre chose aux acteurs noirs que des rôles de balayeurs, dictateurs ou dealers. Ce qu’on voit à la télévision, par exemple, n’est pas représentatif de la mixité culturelle de la France. Vous n’avez donc pas rencontré de difficultés particulières durant votre carrière ? Si, celles de… tout comédien : l’attente entre les rôles, pointer au chômage… J’ai pu être frustré, pas découragé. Mais je ne me suis jamais dit que j’allais galérer en tant qu’acteur africain en France. Ah non ! Si on se met un caillou dans la chaussure, on n’avance pas. Il faut gagner sa place, travailler constamment même pour un petit rôle. On a l’impression que, de Shakespeare à Brecht, c’est le théâtre qui vous a procuré plus d’opportunités… Au théâtre, ce qu’on m’a donné à faire était géant. Tous les grands rôles que j’ai eus ! Le cinéma, c’est un autre monde, il faut faire sa place petit à petit. Mais quand on m’en donne la possibilité, je m’y investis totalement.

Mais vous devez au théâtre votre arrivée en France… Oui. J’ai grandi en RDC, à Lutendele, un village au bord du fleuve Congo. À 18 ans, je découvre le théâtre à Brazzaville : j’assiste à une pièce, je comprends que ma place est là. Mais je ne sais pas alors qu’on peut en faire un métier ! Tout ce que je cherche, c’est perpétuer mon amour des textes. Après avoir intégré le Théâtre national congolais, j’ai eu l’opportunité de faire une formation à la Maison de la culture du Havre. J’ai découvert d’autres auteurs, modernes, contemporains… Puis, au Festival d’Avignon, on a joué Chant général, de Pablo Neruda. La salle était comble… C’est là que j’ai su que je ne m’étais pas trompé. Je suis retourné au Havre et là, le poète chilien en personne est venu assister à notre représentation ! Mais Paris s’impose pour tout comédien qui souhaite percer… Oui, je m’y suis rendu ensuite : il me fallait franchir un palier. C’est ce que Pierre Debauche, qui fut mon professeur et à qui je dois tant, nous a appris : peu importe la longueur de nos répliques, lorsque vous entrez en scène, vous êtes au centre de l’univers. Antoine Vitez aussi – homme de théâtre mais aussi militant politique membre du Parti communiste – m’a beaucoup apporté. Pour expliquer une chose très simple, il nous citait dix auteurs… Faut-il s’exiler, partir d’Afrique, pour réussir, notamment dans le cinéma ? C’est un triste constat : il n’y a pas d’industrie cinématographique. Où sont les salles de projection ? Notre continent est riche, il y a des investisseurs, des hommes d’affaires… Pourquoi ne misent-ils pas sur ce domaine ? Il y a des écoles de footballeurs, on les entraîne et ils rejoignent ensuite des grands clubs en Europe. Pourquoi ne serait-ce pas pareil pour les acteurs ? Il faut créer des structures, former tous les corps de métier, produire des films. S’ils n’ont pas la possibilité de pratiquer leur métier, leur talent ne peut pas s’épanouir. AFRIQUE MAGAZINE

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DR

Numéro 1 du box-office en 2014, cette comédie sur les mariages mixtes a propulsé Nzonzi sur le devant de la scène.


C’est arrivé près de chez lui : pour Afrique Magazine, l’acteur pose dans la campagne aux alentours de Châteaudun (Eure-et-Loir). C’est ce que vous constatez en allant sur le terrain ? Votre carrière au théâtre a pris de l’ampleur avec Je ne vais pas forcément en RDC, mais beaucoup en Le Bal de Ndinga, de l’auteur congolais Tchicaya U Tam’si, Afrique de l’Ouest. C’est ma façon d’être Africain. J’observe sous la direction de Gabriel Garran. Qu’est-ce qui vous les mentalités, si différentes d’un pays à l’autre. Je m’intéresse a touché dans ce texte ? à l’histoire. Des grands guerriers de ces pays ont combattu les Il parle de cette période pendant laquelle j’ai grandi, injustices, les invasions étrangères, l’esclavage. Nous n’avons quand on allait donner l’indépendance au Congo. pas courbé la tête comme certains le pensent ! Je suis fier Or – je cite Césaire –, « l’indépendance ne se donne pas. d’avoir de tels ancêtres. Mais le constat sur mon Elle se prend, […] se paye en sang ». continent est parfois douloureux. Quand je vois Avec ce texte superbe, j’ai compris l’histoire les masques africains dans les musées français, derrière ces événements. C’est un devoir j’ai mal. Pourquoi ne sont-ils pas en Afrique ? citoyen de le jouer, il faut témoigner, Et on entend ces discours paternalistes qui simplement. Car notre histoire – c’est prétendent que nous n’avons rien créé ? Mettre inacceptable ! –, on ne nous l’enseigne pas. ces masques derrière des vitrines, c’est enfermer À l’école, on nous disait « nos ancêtres les esprits dont ils sont les intercesseurs. Leur les Gaulois » ! Aujourd’hui j’en rigole, mais fonction sacrée est transgressée. à l’époque… On connaissait mieux Vous avez été seul en scène avec Cahier d’un la géographie européenne qu’africaine. retour au pays natal, d’Aimé Césaire. Comment Vient donc l’incroyable aventure de Qu’est-ce avez-vous travaillé cette œuvre fondatrice du qu’on a fait au Bon Dieu ?… Comment vit-on mouvement de la négritude ? un succès comme celui-là (plus de 12 millions Les Visiteurs 3. C’était un travail colossal qui m’a fait d’entrées en France) ? Le nom du comédien avait grandir. Je me suis isolé pendant un mois. C’est l’exemple d’un auteur qui a l’esprit été omis sur l’affiche. Pour entendre l’auteur me parler, saisir sa ouvert et qui s’est inspiré de son vécu pour pensée, épouser son combat. C’était un peu dangereux car écrire une belle histoire. Philippe de Chauveron était un peu plonger dans ce texte puissant vous amène très loin. Toutes le mouton noir de sa famille d’aristos, il était marié ces souffrances du peuple noir dont il parle vous traversent. à une Sénégalaise, a vécu en Afrique. Ce qui fait plaisir, Quand vous l’incarnez, vous n’êtes plus spectateur de ce ce sont les spectateurs d’origine africaine qui me disent : drame : il est désormais en vous. J’ai eu la chance de le jouer « On est fiers car on a enfin un personnage qui nous devant Aimé Césaire à Fort-de-France. Un auteur comme ressemble au cinéma ! » Mais le succès ne change rien sur celui-là nous apporte des réponses sur le monde et ses ma façon de vivre ni de travailler. Derrière ce rôle, il y a blessures. Ça nous évite de nous torturer, de douter. quarante ans de carrière. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Hend Ahmed Cairote & roll Chanteuse traditionnelle égyptienne, elle devient la voix d’Orange Blossom, groupe électro qui aime jouer du mélange des cultures. par Madeleine Robert lle a commencé à chanter à 6 ans, en écoutant « les grands artistes, Oum Kalthoum, évidemment ». Puis, formée à l’Académie de musique arabe du Caire, cette jeune Égyptienne devient chanteuse au sein d’un orchestre folklorique national. En 2013, elle rencontre les musiciens français d’Orange Blossom : ils ont le coup de foudre artistique pour elle. Hend se lance dans l’aventure de ce groupe qui mélange l’électro, le rock planant et les musiques traditionnelles de différents pays, véritable melting-pot musical. Elle travaille pour intégrer son style sans le dénaturer à cette musique électro-acoustique moderne, s’accorde à ces nouvelles sonorités, développe une présence scénique moins statique… Au final, sa voix puissante, poignante mais sans emphase, a parfaitement épousé la sublime mélancolie de leur album Under the Shade of Violets. Elle y chante des textes du répertoire égyptien. Et écrit aussi des paroles, inspirées « par les difficultés de la condition humaine, par le soufisme et son amour du monde et de la nature. Preuve que le groupe a le vent en poupe : la chanson « Ya Sidi » a été choisie comme générique de la série Marseille (TF1-Netflix), avec Gérard Depardieu. Il faut la voir en concert, quand elle se met à tourner sur elle-même au rythme des violons, les bras et le visage tournés vers le ciel. « Sur scène, j’ai l’impression que je peux m’envoler. Il n’y a pas de mots pour dire combien je m’y sens bien. » Tournée mondiale, presse séduite, public conquis : Orange Blossom rentre bientôt en studio pour enregistrer un prochain album très attendu. ■

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ERNEST SARINO MANDAP

« SUR SCÈNE, J’AI L’IMPRESSION QUE JE PEUX M’ENVOLER. IL N’Y A PAS DE MOTS POUR DIRE COMBIEN JE M’Y SENS BIEN. »

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ROBERTO RICCIUTI/GETTY IMAGES

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« AVANT L’ARRIVÉE DES BRITANNIQUES, NOTRE SYSTÈME DE DÉMOCRATIE ÉTAIT AUSSI SOPHISTIQUÉ QUE CELUI DES OCCIDENTAUX. »

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Chigozie Obioma « Enfant, j’enviais les gens capables d’écrire » Finaliste du Booker Prize 2015, le premier roman de ce jeune auteur nigérian, désormais traduit en vingt-quatre langues, est devenu un véritable phénomène international.

par Loraine Adam nfant, Chigozie Obioma s’était donné le ciel pour seule limite. Aujourd’hui, à tout juste 30 ans, ce professeur de littérature à l’université de Nebraska-Lincoln (États-Unis) touche du doigt les étoiles avec Les Pêcheurs (Éditions de l’Olivier), une satire sociale et politique sur fond de guerre civile au Nigeria. En raison du refus des éditeurs américains qui trouvaient le roman « intéressant » mais trop « typé » et promis à un marché limité, ce fut un éditeur allemand qui, le premier, le publia en avril 2015. Ironie : le livre a figuré dans la dernière short-list du prestigieux Booker Prize. « La plupart des écrivains africains qui ont percé avaient un lien avec l’Ouest, c’est pour ça que j’aime autant L’Autre Moitié du soleil, de Chimamanda Ngozi Adichie, précise l’écrivain. Je suis vraiment chanceux, je ne m’attendais pas du tout à connaître tous ces succès… Il faudrait être fou pour imaginer tout ça dès le premier livre ! »

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AM : Les Pêcheurs est-il un roman métaphorique ? Chigozie Obioma : C’est à la fois un drame intime – avec le sort qui s’acharne sur une jolie famille anéantie par les prophéties d’un fou errant – et une tragédie nationale, avec les problèmes liés à la fondation du Nigeria. Comment se fait-il que ce pays, l’un des plus riches d’Afrique, connaisse une telle misère ? En voulant comprendre la source de nos problèmes, j’en suis arrivé à la conclusion que c’est la conception même du Nigeria qui pose AFRIQUE MAGAZINE

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question. Cette idée, imaginée par les Anglais, ne correspond à rien de concret. Avant l’arrivée des Britanniques, le système de démocratie que nous avions était aussi sophistiqué que ceux en vigueur dans les pays occidentaux. Nous avions nos propres religions, et ça fonctionnait. Puis ils ont débarqué, prétendant que c’était absurde et que la seule façon de vivre était la leur. Cette intrusion nous a complètement déstabilisés. Mon roman fait un parallèle avec cette famille « normale » qui voit brusquement ses rêves s’évanouir jusqu’à la mort. Le personnage du fou est un catalyseur. Mais je voulais aussi attirer l’attention du gouvernement sur tous ces êtres brisés par les guerres qui errent, misérables, dans nos rues. Ce qui arrive à la famille arrive au monde et le destin de l’opprimé n’est finalement pas différent de celui de l’oppresseur. Le goût des mots a-t-il chez vous une origine particulière ? Quand j’avais 7 ou 8 ans, j’étais particulièrement vulnérable à la malaria et à toutes ces maladies stupides que l’on attrape en jouant au foot ou au bord des rivières. Je passais donc mon temps à l’hôpital et mon père me tenait compagnie en me racontant des histoires. Un jour, il m’a dit que j’étais assez grand pour lire tout seul et m’a donné un livre. J’y ai découvert l’une des histoires qu’il m’avait racontées et que j’adorais. Pourtant, quelle déception pour moi : je le prenais pour l’homme le plus intelligent au monde d’avoir imaginé une telle aventure, et je découvrais que quelqu’un d’autre l’avait écrite ! 19


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peuvent changer et c’est un début. C’est notre premier Alors, je lui ai demandé de m’acheter des livres. Et, plus président non corrompu. Il a l’air bien mais, comme le je lisais, plus j’enviais ces gens capables d’écrire dit le proverbe igbo qui ouvre mon roman : « Les pas d’un de telles choses. C’est ainsi qu’à 9 ans, j’ai commencé seul homme ne créent pas une ruée. » à écrire mes propres histoires. Vous vivez au centre même des États-Unis, Un premier roman est souvent autobiographique… dans le Nebraska… Drôle d’idée, non ? C’est votre cas avec Les Pêcheurs ? En 2007, j’ai quitté le Nigeria pour aller poursuivre Je dirais qu’il y a environ quatre cinquièmes de mes études à Chypre mais comme je n’avais pas fiction. On prend tous des fragments de réalité dont on le temps d’écrire ce livre, je suis parti en résidence fait une sorte de porridge. La ville où j’ai grandi – Akure, d’écrivain à l’université du Nebraska. Et j’y suis devenu à 300 kilomètres de Lagos – est ainsi celle du roman. professeur en septembre dernier. J’ai décroché Mon père, lui aussi, était fonctionnaire à la banque ce job deux mois avant la publication de mon roman centrale. C’était son rêve d’avoir une famille nombreuse, car je craignais de ne pas vivre de ma plume. je suis le cinquième d’une fratrie de onze enfants et, Très peu d’écrivains le peuvent. Franchement, je ne comme dans le livre, il voyageait beaucoup, alors c’est pensais pas vendre plus que les droits aux États-Unis ma mère qui s’occupait de nous. J’allais aussi pêcher et en Grande-Bretagne. Si j’avais su, je n’aurais jamais dans une rivière avec mes frères mais la ressemblance pris ce travail ! s’arrête là. Et je n’ai jamais connu de vieux fou qui Envisagez-vous de retourner vivre au Nigeria ? lançait des prophéties ! (Rires.) Je ne sais pas encore : quand je suis arrivé aux Quel accueil a reçu votre livre au Nigeria ? États-Unis, je pensais repartir après mes cours mais C’est la première fois qu’un livre nigérian se retrouve je suis resté et j’ai rencontré une finaliste du Booker Prize. Certains en Sorti l’an dernier Américaine – ce qui ne faisait pas Afrique ont en conclu que j’écris pour en anglais, il vient partie du plan. Mais je sais que je l’Ouest. C’est hypocrite, c’est même un de paraître en français. partagerai mon temps entre les non-sens car mon livre est lu au Japon, États-Unis et le Nigeria car je suis au Brésil, en Turquie… Enfant, j’étais en train de lancer un projet soutenu passionné de mythologie grecque, puis j’ai par l’université du Nebraska. Une lu Moravia et Kafka et je crois que c’est ce sorte de programme éthique dans qui rend mes livres si accessibles à tous. les écoles primaires pour apprendre Au Nigeria, il n’existe quasiment aucune à avoir un bon comportement et de structure éditoriale, nous sommes obligés bonnes manières. On a besoin de de nous faire éditer ailleurs. Mon pays a changer radicalement notre idéologie été le cinquième après l’Allemagne à avoir dans tout le pays. Il faut distribuer publié mon livre. Il est question que j’y aille des brochures dans la rue, faire pour un festival en novembre prochain des campagnes à la télévision pour mais… je suis épuisé et le voyage risque éduquer tous ces enfants dès le plus d’être très fatigant. (Rires.) jeune âge pour leur apprendre à ne Attendez-vous quelque chose pas voler. On a le potentiel et les de Muhammadu Buhari, le président « AU NIGERIA, ressources pour s’en sortir. On peut élu il y a un an ? IL N’EXISTE être forts. J’avais perdu tout espoir concernant QUASIMENT Un avant-goût de votre le Nigeria. J’étais si frustré. Notre plus AUCUNE STRUCTURE prochain livre ? gros problème, c’est la corruption et le ÉDITORIALE, Il s’appellera The Falconer, manque d’éthique. Au début, je ne croyais NOUS SOMMES il se passe à Chypre et parle d’amour. pas du tout qu’il puisse faire quelque chose, OBLIGÉS DE Tout le monde me dit que j’écris mais c’est vrai qu’il a arrêté de nombreuses NOUS FAIRE toujours sur la violence alors j’ai personnes récemment. Le Nigeria est ÉDITER AILLEURS. » décidé d’écrire une histoire d’amour. un pays extrêmement riche, plus riche Rien à voir avec la mienne qui encore que l’Italie et peut-être autant que est ennuyeuse. (Rires.) C’est l’histoire bizarre d’un le Royaume-Uni, pourtant la corruption et la pauvreté homme violent qui va sacrifier sa vie pour une femme. sont partout. Le général responsable de la lutte contre C’est tragique, c’est fou et c’est avant tout une histoire Boko Haram disposait de plus de 3 milliards de dollars d’amour. J’aime les grandes histoires comme Le Mépris, pour acheter des armes et il n’en a utilisé que 30 % ! de Jean-Luc Godard, ou Lolita, de Vladimir Nabokov. Ce Comment peut-on imaginer ne pas sauver son peuple ? prochain roman est presque fini, j’espère le présenter à la C’est la première fois qu’une lutte contre la corruption prochaine foire de Francfort en octobre. ■ est efficacement menée, alors l’espoir renaît. Les gens AFRIQUE MAGAZINE

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Salima Abdel-Wahab Tricoteuse de cultures Jouant avec les formes et les matières, elle crée des vêtements ludiques et métissés. par Abdeslam Kadiri obe bouffante, pantalon Safari, sarouel Arabi, tunique Île… Depuis plus de vingt ans, Salima AbdelWahab crée sur mesure des collections libres et audacieuses. En avance sur leur temps. Elle ne suit pas les tendances de la mode, mais « tricote les cultures » et conçoit « le vêtement comme une seconde peau », avoue-t-elle. Presque une démarche d’anthropologue : ce qui l’intéresse, « c’est l’humain qui porte le vêtement ». Faisant appel à l’héritage berbère, à la poésie, à la bohème, la styliste avant-gardiste tangéroise ose les mélanges insolites. Et surprend avec des vêtements et accessoires évoquant les tribus d’aujourd’hui. Elle joue avec des matières telles que le cuir, la laine, le coton, les recycle. Voici des filets de pêche devenus robes, des tapis kilim convertis en jeans, pulls ou vestes… Salima Abdel-Wahab refuse d’être enfermée dans un carcan : son style est en perpétuel mouvement, comme ses vêtements amples. L’important pour elle est que l’on s’y sente bien, à l’aise. Salima Artiste atypique mais responsable, elle est soucieuse, par exemple, du développement durable. Elle vit et travaille à la campagne, autour de Tanger, où elle se ressource. Son univers est à la fois ethnique, gnawa et rock’n’roll, né de la diversité de ses origines – hispanique, germanique et bien sûr marocaine. « C’est un voyage autour du monde que je propose dans mon travail », résume-t-elle. ■

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La styliste conçoit ses vêtements comme « une seconde peau ».

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Calypso Rose Mamie fait de la résistance Elle est l’une des dernières légendes vivantes du genre musical dont elle porte le nom. Et son dernier titre pourrait devenir le tube du moment. par Sabine Cessou lassique à redécouvrir et valeur sûre de l’été : le dernier album de cette grande dame antillaise, Far From Home, sort le 3 juin chez le label Because… Y figure le titre « Abatina », qui promet d’être un tube de longue durée. Un swing d’enfer enrobé de cuivres et venu presque tout droit d’Afrique, via le grand détour par Tobago, île natale de cette artiste de bientôt 76 ans. Bien avant le reggae, le calypso a fait danser les Caraïbes dès le début du XXe siècle. À sa grande époque, dans les années 1950, il a séduit des Américains tels que Harry Belafonte (avec l’album Calypso en 1955, écoulé à des millions d’exemplaires) et l’acteur Robert Mitchum, qui a enregistré en 1957 le disque Calypso – Is Like So…, avec deux des maîtres du genre à l’époque, Mighty Sparrow et Lord Invader. C’est avec eux que la jeune Calypso Rose a jadis investi les scènes new-yorkaises, après avoir passé dix-sept ans à faire danser des touristes sur des navires de croisière. Ce rythme à deux temps typique du carnaval de Trinidad ne célèbre pas que la fête et la joie de vivre. Avec « Abatina », Calypso Rose traite en effet des violences domestiques… Cousin germain du mento, oncle du ska, du rocksteady et du blue beat dans les années 1960, ce style revendicatif n’hésite pas à parler de la misère du monde. Il laisse une large place à l’improvisation, se posant aussi comme l’un des parrains du hip-hop new-yorkais, inventé par la diaspora caribéenne anglophone dans le Bronx des années 1970. Tout l’album est porté par l’énergie fabuleuse d’une dame extrêmement vivante et décontractée, qui fut la première « reine » du calypso à détrôner des hommes, en 1972, lors du festival de Trinidad. La diva ne se prend pas trop au sérieux, sauf quand il s’agit de l’Afrique. « I am African », dit-elle dans l’une de ses chansons, mais aussi d’une voix émue, partout où elle croise ses « frères et sœurs » issus du continent. La connexion, ne serait-ce que musicale, paraît évidente. ■

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RICHARD HOLDER

ENTRE NAVIRES DE CROISIÈRE ET SCÈNES DE NEW YORK, CALYPSO A ENREGISTRÉ UNE VINGTAINE D’ALBUMS ET COMPOSÉ PRÈS D’UN MILLIER DE CHANSONS.

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Traduire en wolof les chefs-d’œuvre de la littérature mondiale : c’est le pari de l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop. L’auteur de Murambi, le livre des ossements, sur le génocide rwandais, Grand Prix littéraire d’Afrique noire pour l’ensemble de son œuvre en 2000, se partage entre l’écriture, la traduction et l’enseignement.

l’agenda

Boubacar Boris Diop PRÉSENTÉ PAR ASTRID KRIVIAN

SES LIVRES

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SA MUSIQUE ◗ Actuellement installé au Nigeria pour enseigner, je redécouvre Fela Kuti (photo). Quel mystère, cette musique tellement jubilatoire, et pourtant née d’une violence, d’une révolte contre la corruption, la dictature ! Je l’avais vu en concert, à Lagos, il était quasi nu sur scène, tirant sur son joint, avec ses danseuses et chanteuses qui étaient ses épouses… C’était fou, mémorable ! Je suis aussi un grand amateur d’Ablaye Cissoko, le célèbre korafola et chanteur sénégalais. Son disque Le Griot rouge tourne en boucle dans ma voiture.

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LEA CRESPI/PASCO & CO - HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE

◗ La Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie est mon auteur du moment. Elle a un talent exceptionnel. Son dernier roman, Americanah, raconte avec beaucoup de finesse l’histoire d’amour entre deux étudiants nigérians, partagés entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Ses personnages ont une vraie épaisseur psychologique. Son premier livre, L’Hibiscus pourpre, publié alors qu’elle avait 26 ans, faisait déjà preuve d’une rare maturité. J’ai aussi beaucoup aimé Les Maquisards, de Hemley Boum, une saga familiale au cœur de la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Et, entre roman et témoignage historique, Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, de Tania de Montaigne : l’histoire de cette adolescente qui lutta contre la ségrégation dans les années 1950 en Alabama.


SON PROJET ◗ C’est la nouvelle collection de livres Céytu : traduire en wolof les classiques de la littérature universelle. Cette démarche fait appel au meilleur de nous, au désir de dialoguer avec l’autre. Pour faire de nos différences le moteur de la parole. L’accueil médiatique est très positif ; l’autre défi, c’est voir les gens acheter les romans en librairie. C’est le début d’une aventure. On continue l’œuvre de Cheikh Anta Diop, qui avait traduit dès les années 1950 de grands textes occidentaux. Et prouvé que les langues se parlaient entre elles.

SON VOYAGE ◗ Suisse, Canada, Nigeria… Ma vie d’écrivain me mène toujours vers l’ailleurs. Je retourne bientôt aux îles Canaries. Je pensais que c’était très espagnol, mais j’ai découvert un morceau d’Afrique. C’est un lieu métis, où se rencontrent le Maghreb, l’Afrique subsaharienne, l’Europe… En dehors de la luxuriance de la végétation tropicale, certains paysages rocailleux ressemblent à ceux d’Iola (Nigeria), où je me trouve actuellement. Il y a aussi une petite ville, Agüimes, qui fonctionne en autogestion depuis une quarantaine d’années.

SA TABLE

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◗ J’aime écrire dans des cafés. J’ai besoin d’avoir du bruit, du monde autour de moi. Peut-être pour compenser un sentiment de solitude rendu plus vif par cette langue wolof que personne ne comprend autour de moi, à l’étranger… À Montréal, je m’installais chaque matin au café Première Moisson. J’y retrouvais l’esprit montréalais. Celui d’une société hyper développée, mais sans le stress ni l’indifférence des grandes villes. Tout n’est pas rose bien sûr, mais il y a une mentalité de quartier, les voisins se fréquentent… Un pays qui a conçu la théorie de l’accommodement raisonnable, pour accepter nos différences, et composer avec ce qui nous unit.

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SON SPECTACLE ◗ Je vais monter la pièce Une saison au Congo, d’Aimé Césaire, que je viens de traduire. Une façon d’universaliser le wolof, de l’amener à tutoyer le reste du monde. Et de contrer cette capitulation, fréquente chez les intellectuels africains, qui consisterait à aller à l’universel en s’oubliant soi-même. Or, pour citer le poète, « l’arbre ne s’élève vers le ciel qu’en plongeant ses racines dans la terre nourricière ». Chacun apporte sa contribution au grand chaudron de la mondialisation. La modernité, c’est l’approfondissement de soi dans le monde contemporain.

SON FILM ◗ J’ai revu Hyènes, du cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty. C’est un film bouleversant sur la lâcheté humaine, une satire sur les hypocrisies de la société. Adapté de la pièce La Visite de la vieille dame, du dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt, il conserve cet esprit en théâtralisant à outrance. Les comédiens sont grimés, leur jeu déclamatoire, les décors démontables comme sur une scène, un parti pris esthétique purement carnavalesque pour ajouter du dérisoire, rendre la moquerie plus évidente. 25



C’EST COMMENT ?

CONSOMMONS LOCAL ? n parle de crise, d’économies par terre en Afrique centrale pour cause de prix du baril en berne, d’absence de marché pour les produits manufacturés… Mais on parle ausi de notre continent comme la dernière frontière de la croissance, comme un vivier inépuisable de riches potentiels en tous genres. Alors, moi, je ne comprends pas. L’Afrique et les Africains. Ok, le « grand capital » du Nord continue à puiser dans les matières brutes et rechigne à ce que la plus-value d’un diamant ou d’une balle de coton soit réalisée sur place. Pas de marché pour une usine de taille dans le Kasaï-Oriental, car on monte les solitaires de fiançailles à Anvers. Pas de débouchés pour le pagne à Dakar car on le fabrique en Hollande, au pays des tulipes. Pas de clients pour le jus de mangue made in Cameroun car en Europe, on boit de l’Oasis ou du Joker. On est d’accord. Il faut que ça change. Mais en attendant, les Africains euxmêmes pourraient être un mégamarché pour leurs propres produits, non ? Ils devraient en être les premiers ambassadeurs, en les consommant non stop, en les mettant à la mode. Et d’abord à leur table. Or, que nenni ! Le chic du chic, c’est encore de servir un jus Pampryl, de manger du chocolat Milka ou des Tuc en apéro. Mieux, dans la corbeille de fruits, disposer quelques pommes aura meilleur effet qu’arborer des goyaves. Et tout est à l’avenant : le mobilier acheté en France hier et à Dubai aujourd’hui, plutôt qu’un salon en osier tressé par des artisans du cru. Avez-vous aussi remarqué le nombre de tableaux « surréalistes » représentant une moisson de blé ou un petit village de Bretagne fièrement arborés sur les murs des villas cossues à N’Djamena ou à Malabo ? Alors que les artistes locaux cherchent désespérément des clients pour leurs toiles contemporaines. Pire, offrir un des rares pagnes fabriqués en Afrique

PAR emmanuelle pontié

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à sa dulcinée est du plus ringard. Elle préférera un tailleur en viscose acheté à vil prix boulevard Barbès par son chéri parti en mission. Bref, contrairement à ce que l’on croit, il existe beaucoup de produits transformés en Afrique moins chers et de bonne qualité qui devraient au minimum séduire la consommation locale. Ça donnerait un coup de fouet à l’économie, aux petites PMI. Et accessoirement, le panier de la ménagère aurait un coût allégé. Imaginons : vêtue d’un pagne Cicam composé au motif de son choix, Madame irait choisir une toile de Chéri Samba ou un souwer sénégalais pour la déco de son salon, acheter des frites d’igname ou de plantain séchées pour l’apéritif de ses invités, composé de bière de mil ou de vin de palme, de jus de goyages en bouteille ou d’eau gazeuse, et des yaourts, bonbons, tablettes de chocolat et gâteaux pour sa progéniture… Allez, et même si j’en rajoute un peu exprès, c’est juste pour dire que lorsque l’on est fier de son sceau national « made in », c’est la bonne attitude pour convaincre les autres. Pensez-y, pensez-y… ■

LES AFRICAINS DEVRAIENT ÊTRE LES PREMIERS AMBASSADEURS DE LEURS PRODUITS, EN LES CONSOMMANT NON STOP, EN LES METTANT À LA MODE.

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TERRORISME L’AFRIQUE DANS LE VISEUR

Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Cameroun, Nigeria… Le continent a-t-il les ressources et les moyens de vaincre un ennemi insaisissable et aux multiples visages ? AFRIQUE MAGAZINE

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oixante-sept vies fauchées. En une année, quatre attentas revendiqués par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont endeuillé l’Afrique de l’Ouest*, rappellant que, trois ans après le déclenchement de l’opération militaire Serval, les terroristes y sévissent toujours. L’intervention française a certes libéré Gao, Tombouctou et Kidal de l’occupation des islamistes, mais sans parvenir à éradiquer définitivement la menace. Les inquiétudes se portent désormais sur le Sénégal, expressément désigné après Grand-Bassam comme la prochaine cible d’Aqmi. Alors, la peur se répand, lentement. En mai, Dakar a ainsi accueilli la Biennale d’art contemporain et, pour la première fois, beaucoup des visiteurs ont évité les grands hôtels. Des brigades

de policiers armés jusqu’aux dents, déployées jour et nuit à certains carrefours stratégiques de la capitale, ont à la fois rassuré et rappelé l’imminence du danger. Des Shebab somaliens aux islamistes soudanais, en passant par Boko Haram au Nigeria, les émirs algériens d’Aqmi au nord du Mali et les groupes armés qui pullulent en Libye, c’est toute la bande sahélienne qui se trouve dans le collimateur d’un jihad de plus en plus global. L’Afrique de l’Ouest répond comme elle peut, avec un Forum de Dakar sur la sécurité au fort retentissement ces dernières années, mais aussi une réunion des huit pays de l’UEMOA, le 27 mai à Abidjan. En dehors des causes profondes du mal – pauvreté, chômage, gouvernance, manque de perspectives pour les jeunes –, la région a-t-elle les infrastructures et les moyens de faire face ? Afrique Magazine a posé la question aux experts et responsables en exercice qui jettent un regard lucide sur les lacunes et les défis à relever en matière de sécurité. ■ Sabine Cessou * Mali (Bamako, 7 mars 2015 et 20 novembre 2015), Burkina Faso (Ouagadougou,

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15 novembre 2015), Côte d’Ivoire (Grand-Bassam, 13 mars 2016).

Dakar, le 15 mars. Sous l’égide du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), une unité de la marine sénégalaise procède à un exercice tactique de sécurisation. AFRIQUE MAGAZINE

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HAMED BAKAYOKO MINISTRE IVOIRIEN DE L’INTÉRIEUR ET DE LA SÉCURITÉ

« AUCUN PAYS N’EST EN SÉCURITÉ S’IL NE SE PRÉOCCUPE QUE DE SES FRONTIÈRES » Le numéro deux du gouvernement revient sur les conséquences des attentats de Grand-Bassam, sur l’évolution des réponses étatiques et la nécessaire coordination transnationale. Et il évoque sans trop de figures de style son propre avenir politique.

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’est un « ancien de l’Hôtel du golf », l’un de ceux qui vécurent retranchés aux côtés d’Alassane Ouattara, lors de la crise post électorale de 2011. Un personnage clé de la scène politique nationale ivoirienne et du gouvernement. Un fidèle du président. Natif d’Abidjan, journaliste de formation (à l’origine du Patriote et de Radio Nostalgie) membre du RDR, il a fait partie de toutes les équipes gouvernementales du pays depuis 2003. Ministre de l’Intérieur depuis 2010, reconduit en 2012 puis à nouveau aux termes de la dernière élection présidentielle de 2015, il est au centre du dispositif sécuritaire. AM : Quelles leçons peut-on tirer des attentats de Grand-Bassam ? Hamed Bakayoko : La leçon principale, c’est qu’aucun pays n’est à l’abri. Toutes les nations doivent prendre les dispositions sécuritaires pour traquer les terroristes au niveau national mais également par la coopération régionale et internationale. Le mode de vie de nos populations doit s’adapter à cette nouvelle menace. Il faut, aujourd’hui, accepter que des contrôles se fassent à tous les endroits et que la vigilance soit accrue. Nous devons dominer le sentiment de peur parce que c’est le but des terroristes, et renforcer le dialogue entre communautés afin de préserver l’unité de la nation.

Certains ont jugé le dispositif en place avant les attentats de Grand-Bassam comme particulièrement « vulnérable », évoquant une forme de « surconfiance » de l’État. Avec le recul, auriez-vous pu faire les choses autrement ? Il est facile a posteriori de déclarer qu’il aurait fallu faire autrement. Quinze ans après le 11-Septembre, les spécialistes américains débattent encore de ce qui aurait pu être fait pour éviter ces attentats. Notre pays a été attaqué comme l’ont été les plus grands pays occidentaux et africains. Nous faisons face à un nouveau type de menace où l’ennemi n’est pas aisément identifiable. L’attentat de Grand-Bassam nous a permis de tirer de nouveaux enseignements et d’améliorer encore notre capacité d’anticipation et de réaction. Depuis deux ans, notre pays a pris des dispositions en adoptant une loi contre le terrorisme et en dotant nos forces d’une capacité de réaction adéquate. Ces forces ont effectué de nombreux exercices grandeur nature et la dernière simulation de réponse à un attentat terroriste a eu lieu trois jours avant l’attaque de Bassam. Ce sont ces mesures qui ont permis une riposte rapide, appropriée, et une neutralisation des terroristes, sur une plage où il y avait des milliers de visiteurs. La Côte d’Ivoire est-elle une cible particulière du jihadisme ? Les terroristes sont prêts à frapper partout. Mais la Côte d’Ivoire n’est pas en soi un foyer de terroristes. Pour preuve, tous les auteurs de l’attaque sont venus de l’extérieur. Le président Ouattara a annoncé la mise en œuvre de ressources très importantes… Avez-vous réellement AFRIQUE MAGAZINE

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NABIL ZORKOT POUR AM

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les moyens humains, financiers et technologiques d’une lutte efficace ? Le chef de l’État avait déjà instruit le gouvernement pour la mise en œuvre de mesures préventives. C’est ce qui a permis, encore une fois, une réaction rapide et efficace de nos forces à Bassam. Les complices impliqués dans l’attentat terroriste ont été arrêtés cinq jours après et les premières investigations ont permis d’identifier les auteurs et commanditaires. Nos moyens ont été accrus non seulement pour protéger nos populations mais aussi contre toute menace de nature à affecter la stabilité. La loi de programmation militaire et la loi de programmation des forces de sécurité intérieure ont été adoptées par le Parlement respectivement en décembre 2015 et janvier 2016 et ont permis de planifier toutes les dépenses de défense et de sécurité sur les quatre années à venir (2016-2020). Ces deux lois, d’un montant cumulé de 2 590 milliards de francs CFA (3,9 milliards d’euros), permettront de poursuivre la modernisation de nos services et d’aboutir à un ratio de 1 policier pour 400 habitants dans les zones urbaines, ce qui est le standard international. Enfin, en urgence, le président de la République a fait débloquer la somme de 80 milliards de francs CFA (121,9 millions d’euros) pour améliorer les formations et les équipements. La Côte d’Ivoire a-t-elle fait évoluer ses méthodes de renseignement ? De police ? Avec des « services dédiés » ? Le renseignement s’adapte toujours aux enjeux du moment et aux évolutions technologiques. Nous progressons et nous travaillons en toute discrétion, évidemment. Certains lieux de cultes ont été mis sous surveillance particulière. Comment lutter efficacement sans stigmatiser la communauté musulmane ? En Côte d’Ivoire, celle-ci n’a jamais été mêlée à des actes de terrorisme. Malgré les attaques de Grand-Bassam, il n’y a eu aucune stigmatisation des uns ou des autres. Les terroristes se sont marginalisés eux-mêmes en créant leur propre idéologie de mort. Toutes les communautés religieuses ont cherché à se démarquer. Je le répète, les auteurs sont venus de l’extérieur.

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de développement 2016-2020, notre gouvernement a mobilisé 15,4 milliards de dollars d’intentions de financement pour le secteur public et 19 milliards de dollars pour le privé. Les investisseurs ne font pas de projection sur des événements isolés et sporadiques. Ils apprécient la solidité d’un système sur le long terme. La confiance est forte parce que le système sécuritaire n’est pas en faillite et l’organisation des services est fiable. Une nouvelle directive impose des conditions d’entrée assez strictes aux ressortissants de l’UEMOA et de la Cedeao. La Côte d’Ivoire a-t-elle mis fin de facto à la libre circulation des personnes dans la zone ? Est-ce le début du retour des frontières en Afrique de l’Ouest ? Il ne s’agit pas d’une nouvelle directive. Elle existe depuis plusieurs années. Ce que nous demandons, c’est la mise en œuvre des mesures spécifiques liées aux documents d’identité biométriques et sécurisés. Les terroristes ont circulé avec de fausses pièces d’identité et de fausses cartes grises. Si nous avions disposé de données biométriques communes à la sous-région, nous aurions pu, peut-être, sauver la vie aux victimes de Bamako, d’Ouagadougou et de Grand-Bassam. C’est pour cette raison que nous avons multiplié les concertations au sein de l’Union du fleuve Mano (UFM, 13-14 mai 2016) et de l’UEMOA (27 mai 2016). Avant ces rencontres, les pays de la zone déjà victimes d’attaques terroristes s’étaient retrouvés à Abidjan (23-24 mars 2016). La Côte d’Ivoire ne peut donc lutter seule ? Quels mécanismes de sécurité communautaires peut-on mettre en place ? Aucun pays n’est en sécurité s’il ne se préoccupe que des problèmes à l’intérieur de ses frontières. La meilleure sécurité possible implique une gestion regionale et collective. Le terrorisme et la criminalité transfrontalière sont devenus des défis vitaux pour nos États. C’est pourquoi nous demandons une uniformisation des mesures relatives aux documents d’identité, de voyage et de circulation. Pourquoi l’Afrique de l’Ouest est-elle devenue une cible du jihadisme ? L’instabilité, le chaos en Libye et la présence de groupes armés au nord du Mali ont été des facteurs déterminants de la prolifération de cellules terroristes dans la région. Mais l’Afrique de l’Ouest n’est pas plus une cible que l’Afrique centrale, de l’Est ou le Maghreb, par exemple. Il faut reconnaître que la géographie spécifique de la zone, avec de vastes étendues désertiques, ne permet pas un contrôle facile. Y a-t-il une spécificité du jihadisme en Afrique de l’Ouest ? Quelles sont les causes ? La menace terroriste en Afrique de l’Ouest allie deux groupes que tout devrait opposer : les fondamentalistes religieux et les narcotrafiquants, qui ont fait converger leurs intérêts pour créer des nébuleuses qui menacent la stabilité de nos États.

ICI, AUCUNE COMMUNAUTÉ ❝ N’A ÉTÉ STIGMATISÉE : LES TERRORISTES VENAIENT TOUS DE L’EXTÉRIEUR. Et sans effrayer investisseurs internationaux ? Les 21 et 22 mars, soit quatre jours après les événements de Grand-Bassam, l’Africa CEO Forum a réuni à Abidjan des centaines de patrons des plus grandes entreprises d’Afrique et du monde. Des réunions importantes d’institutions internationales ont depuis été organisées. Mi-mai à Paris, dans le cadre du groupe consultatif de financement du Plan national

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Qui sont les assaillants de Bassam ? D’où viennent-ils ? Que « racontent » leurs parcours ? Je tiens à féliciter nos services qui ont travaillé de façon efficace pour l’arrestation des auteurs et complices des attentats de Grand-Bassam. Nous avons une idée des commanditaires. Vingt personnes ont été arrêtées et traduites devant les tribunaux en Côte d’Ivoire et trois autres personnes ont été arrêtées au Mali. Ces individus sont tous venus de l’extérieur et se sont rencontrés au centre de réfugiés maliens de Mentao, au Burkina Faso, où ils ont été recrutés et radicalisés. Mais je ne veux pas en dire plus à ce stade de l’enquête. Que peuvent apporter les puissances occidentales, la France, les États-Unis, dans cette lutte ? Certains pays africains et occidentaux qui ont connu des attaques terroristes de grande ampleur ont développé une expertise cruciale dont nous avons besoin aujourd’hui. D’ailleurs, leur apport dans l’enquête sur l’attentat de Bassam a été déterminant. En Europe et aux États-Unis, le débat sur sécurité et libertés publiques est particulièrement vif. Est-ce le cas en Côte d’Ivoire ? Je vous rappelle la situation sécuritaire particulièrement dégradée dans laquelle se trouvait la Côte d’Ivoire au sortir de la crise post-électorale. Et pourtant, nous avons dès le debut posé comme principe fondamental la nécessité d’assurer la sécurité des populations tout en garantissant les droits et libertés, seuls capables de porter notre développement. Le terrorisme, bien que susceptible de modifier notre mode de vie, n’érodera pas nos principes démocratiques. Ils sont désormais ancrés dans notre pratique politique. Vous êtes ministre de l’Intérieur. Avez-vous été politiquement fragilisé par les attentats ? Les conséquences d’un acte terroriste sont gravissimes. Ce sont des citoyens qui sont meurtris, des innocents qui sont massacrés, un peuple qui est visé dans son ensemble. Ces drames qui touchent l’ensemble de notre communauté nationale ne doivent pas être le prétexte à des manipulations en vue de positionnements politiques. La Côte d’Ivoire a connu d’autres incident sérieux depuis le début de l’année : émeutes à Bouna, accrochages dans l’Est, résurgence des tensions dans les campus à Abidjan, etc. Peut-on parler d’un retour des tensions politiques dans le pays ? Ce sont des événements tous distincts les uns des autres. Dans le cas de Bouna, le plus sérieux, la crise a été traitée. Il s’est agi d’un vieux conflit entre cultivateurs et éleveurs récurrent sur le continent. Le gouvernement a décidé de la création d’une agence de gestion foncière et d’une autre pour l’encadrement des éleveurs. Un dialogue intercommunautaire a été institué pour que ce type de différend soit plus efficacement géré et anticipé par le dialogue. Les comités de veille ont été réactivés afin de sensibiliser les populations et pour qu’elles ne fassent pas justice elles-mêmes.

La Côte d’Ivoire connaît une période de forte croissance économique, de reconstruction. Cela provoque-t-il des tensions sociales, de nouvelles inégalités ? Au contraire. Une forte croissance permet la réduction de la pauvreté et une meilleure redistribution des richesses, un point central de la politique d’Alassane Ouattara. L’école gratuite pour tous, la couverture maladie universelle, les logements sociaux, la création d’emplois sont autant d’acquis réalisés en seulement cinq années de gestion du pouvoir d’État. Il y a des difficultés évidemment, mais le président de la République et son gouvernement travaillent d’arrache-pied à l’amélioration des conditions de vie de nos populations. Les Nations unies ont voté fin avril la résolution 2282, qui annonce la fin des sanctions et reconnaît les importants progrès en termes de stabilisation. Pensez-vous que la Côte d’Ivoire s’est durablement éloignée des risques de fractures internes ?

AUJOURD’HUI, LES IVOIRIENS VEULENT ❝ AVANCER. LE DIALOGUE POLITIQUE RENFORCERA LA COHÉSION NATIONALE.

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Les Ivoiriens, comme ils aiment à le dire, « sont devant », c’est-à-dire qu’ils veulent avancer, se réaliser et vivre heureux. Les tensions et les conflits sont derrière. Le pays a institué un dialogue politique permanent entre tous ses acteurs politiques et entre tous ses fils. Nous continuerons sur cette voie afin de renforcer la cohésion nationale. La résolution 2282 en elle-même est la confirmation de tout ce que je viens de dire sur l’amélioration de la sécurité et de la stabilité. Vous êtes un homme politique essentiel dans le dispositif gouvernemental. Certains disent que vous avez des ambitions élevées. D’autres soulignent que vous êtes déjà un « apparatchik », ministre presque sans discontinuer depuis… 2003. Et que vous devriez, vous aussi, laisser la place aux « jeunes ». Ah, la question de la « retraite» ! Comme tout le monde, je n’y échapperai pas. La retraite est un moment positif où l’on peut se consacrer à ses proches. La force d’une nation tient dans la fait que toutes les générations ont des contributions à apporter. Cette chaîne intergénérationnelle est un gage de stabilité. Que dites-vous à ceux qui spéculent (déjà) sur l’élection présidentielle de 2020 ? Les spéculateurs, comme vous dites, vivent dans une bulle. La question ne se pose pas. Le président Ouattara a été très largement réélu pour un second mandat qui commence. Des grands projets politiques et économiques sont en cours. Il m’a fait confiance en me déléguant des charges importantes. Je travaille chaque jour pour mériter sa confiance et l’accompagner dans sa noble mission, celle du développement du pays et de la paix. ■ Propos recueillis par Zyad Limam 33


CHEIKH TIDIANE GADIO EX-MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU SÉNÉGAL

« CRÉONS D’URGENCE DES FORCE SPÉCIALES PANAFRICAINES ! » ncien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, il a réussi l’exploit de se maintenir à ce poste de 2000 à 2009, alors que les gouvernements étaient sans cesse remaniés sous la présidence d’Abdoulaye Wade. Après la défaite de ce dernier, battu en 2012 par Macky Sall, il a fondé l’Institut panafricain de stratégie (IPS) et organisé en décembre 2014 et 2015 un retentissant Forum de Dakar sur la paix et la sécurité. La responsabilité vient de lui en être retirée. Cheikh Tidiane Gadio s’est en effet prononcé pour le « non » au référendum constitutionnel du 20 avril 2016 voulu par Macky Sall. Connu pour sa verve et son franc-parler, spécialiste des questions stratégiques et de sécurité, il caresse désormais, à 59 ans, des projets de candidature à la présidentielle de 2019. AM : La menace a-t-elle changé en Afrique de l’Ouest après les attentats du Radisson à Bamako, puis Ouagadougou et Grand-Bassam ? Cheikh Tidiane Gadio : Le sens de l’urgence et le niveau d’alerte se sont élevés, mais l’inventaire des enjeux sécuritaires n’a pas changé. Narcotrafiquants, trafic humain, migration clandestine, prises d’otages, piraterie maritime et, bien sûr, le défi posé par l’islamisme. À partir du foyer malien et avec ce qu’on pourrait qualifier de « belle » jonction avec Boko Haram au Nigeria, ces groupes armés essaient de rayonner dans toute la région. Si ceux présents au Mali et au Nigeria, les deux pôles du terrorisme dans le Sahel, font la jonction avec la Libye, un trio infernal va resserrer son étau sur toute la région. Autre grand défi ? La situation économique globale, la pauvreté et le désespoir de la jeunesse, la crise de l’éducation au Sénégal et dans beaucoup de pays, le manque d’emplois et de

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perspectives. Nos gouvernements ont adhéré à la théorie de l’émergence, planifiée pour… 2035. D’où un décalage entre les urgences des populations et les promesses d’un essor ultérieur. Ce que je trouve particulièrement révoltant, c’est le fait que les terroristes puissent frapper l’hôtel Radisson à Bamako et s’en aller, frapper Ouaga et repartir, toucher Grand-Bassam et annoncer qu’ils visent désormais Dakar. Dans des pays relativement bien organisés comme en Europe, les terroristes savent qu’il y a une forme de risposte. Mais chez nous, rien ! Les forces de l’ordre sont pourtant présentes et visibles dans Dakar… La police et l’armée ne fonctionnent-elles pas au Sénégal ? L’État tente d’anticiper sur les endroits où les islamistes pourraient frapper afin de protéger la population, mais tout le monde s’attend à ce qu’un attentat se produise. La question de la prévention reste entière, d’autant que nos États se sont inscrits dans une forme de passivité, se comportant comme des victimes qui acceptent de l’être. Aucun de nos pays, seul, ne peut régler le problème du terrorisme ! Nous n’avons peut-être pas les ressources nécessaires pour le renseignement, mais depuis longtemps, nous plaidons pour que les Africains mutualisent leurs forces avec le soutien de nos partenaires – la France avec l’opération Barkhane et les ÉtatsUnis qui appuient le renseignement dans la zone du Sahel. L’urgence nous dicte de mettre sur pied des forces spéciales panafricaines. Les relations diplomatiques parfois difficiles entre pays d’Afrique empêchent-elles cette mutualisation des moyens ? Le potentiel existant se trouve lui-même affaibli par les relations complexes que peuvent avoir des pays voisins. La bataille ne pourra pas être remportée sans le Maroc, l’Algérie AFRIQUE MAGAZINE

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Habitué des arcanes diplomatiques, il regrette le manque de riposte après chaque acte de terrorisme. Et appelle à une mutualisation internationale des ressources.


et la Mauritanie. Nous devons travailler ensemble sans isoler le Sahel. Créer un G5 du Sahel en n’invitant pas le Sénégal, sous prétexte qu’il n’est pas visé par le terrorisme, représente une erreur qu’il faut rectifier au plus vite. Mon pays n’est ni étanche ni protégé, puisqu’il partage des frontières avec la Mauritanie et le Mali. En outre, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a émis des menaces claires à son encontre après l’attentat de Grand-Bassam. Y a-t-il des Sénégalais au sein d’Aqmi ? Non seulement dans Aqmi, mais aussi en Libye, en Irak et en Syrie ! Nous ne savons pas encore combien de nos jeunes exactement se trouvent dans ces pays. En revanche, nous savons que des Sénégalais qui tentent de rejoindre l’Europe par la Libye y sont recrutés et entraînés par des groupes armés. Pensez-vous que la France soit visée à Ouagadougou ou à Grand-Bassam ? Tristes arguties qui en disent long sur ceux qui les profèrent, sans aucune compassion ni considération pour nos populations ! Quand Al-Qaïda a attaqué la Tanzanie et le Kenya, des ressortissants de ces deux pays ont été massacrés. La vie des Africains signifie-t-elle quelque chose ? Les attaques au Mali et au Burkina ne visent évidemment pas les Français, que les terroristes peuvent toucher sur leur sol ! À Tombouctou, notre patrimoine culturel et religieux a été atteint. Mausolées et manuscrits ont été détruits avec un grand mépris à l’égard de nos grands saints. Quelle est la perception la plus erronée ou la plus irritante de la menace islamiste en Afrique de l’Ouest ? Je me suis toujours érigé en faux contre l’idée qui prévaut parfois au sein de l’Union africaine (UA) ou de certains milieux, selon laquelle les Africains n’ont rien à voir avec le terrorisme. La théorie selon laquelle le terrorisme est lié à la pauvreté n’est pas non plus pertinente. Si c’était le cas, tous les Africains seraient des terroristes ! Ensuite, je pense qu’il n’y a pas de cause assez juste pour expliquer qu’on fasse exploser une femme enceinte ou un enfant. Il est impossible de justifier de tels actes, qui sont aussi inacceptables qu’une bombe israélienne qui tombe sur Gaza. Enfin, je répète à nos amis chinois, américains ou brésiliens qu’ils doivent s’impliquer dans la sécurité sur le continent, et ne pas la sous-traiter avec la France, qui ne peut s’en occuper seule ! Les Africains doivent être la locomotive du combat pour leur sécurité et leur développement, avec des partenaires qui doivent se comporter comme tels. Que pensez-vous lorsque vous voyez les forces spéciales françaises débarquer à chaque attentat en Afrique de l’Ouest francophone ? Chacun de nos pays pourrait contribuer à hauteur de 300 soldats pour former des forces spéciales de

5 000 hommes. La France ne pourra pas intervenir éternellement. Deux risques découlent de la situation actuelle : d’une part que les populations africaines pensent que leurs États ne se préoccupent pas d’elles, et d’autre part, qu’il y ait une lassitude du côté français, aussi bien au niveau du Parlement, du budget que de l’opinion. « La sécurité précède le développement », nous disait Cheikh Anta Diop. Quand les islamistes ont quitté Gao pour marcher sur Bamako, le 11 janvier 2013, fallait-il que la France reste chez elle et que les Africains fassent encore des réunions pendant six mois ? Que devait-on faire ce jour-là ? Si l’on me donne une réponse satisfaisante, alors je pourrai me permettre de condamner la France. Le débat sur la justesse de l’opération Serval me paraît vain ! Si c’est une honte pour les Africains d’avoir à recourir à un pays européen et ami pour régler ce type de problème, le Tchad nous a cependant rendu fiers, en allant se battre à Tessalit, Kidal et dans les montagnes des Ifoghas. Que l’on arrête les critiques contre les uns ou les autres et que l’on accepte que nos pays sont configurés de telle manière que si rien n’est fait, la situation actuelle va durer encore une centaine d’années ! C’est maintenant qu’il faut redéfinir le partenariat. La France apporte un accompagnement sur une période donnée, à des forces africaines qui doivent prendre le relais. Quid de la force d’urgence de l’UA dont il est question depuis 2013 ? J’ai beaucoup de respect pour l’UA, mais sa doctrine en matière de paix et de sécurité n’est pas bonne. Construire cinquante quatre États, c’est se lancer dans cinquante quatre chevauchées solitaires vers un échec collecitf ! Ne pas reconnaître que nous sommes une association d’États souverains mais interdépendants, c’est s’interdire de résoudre quoi que ce soit. Les Africains doivent payer de leur poche leur défense, avec un accompagnement extérieur qui ne doit pas durer.

LE TERRORISME N’EST PAS LIÉ ❝ À LA PAUVRETÉ. SINON, TOUS LES AFRICAINS SERAIENT TERRORISTES.

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Pourquoi les Casques blancs de l’Ecomog déployés par la Cedeao au Liberia dans les années 1990 n’ont-ils pas servi de base pour construire cette force ? L’Ecomog a représenté une solution ponctuelle liée à des crises particulières. Il faut le féliciter, mais nous sommes en 2016. Les défis ont complètement changé, les guerres civiles du Liberia et de Sierra Leone sont dépassées. Le Nigeria et la réputation de brutalité de son armée ne font-ils pas peur en Afrique de l’Ouest ? Je n’ai pas peur du Nigeria. Je le regrette, mais l’histoire a placé nos amis nigérians dans une position de locomotive en Afrique du l’Ouest, qu’ils le veuillent ou non. Ce pays est plus 35


préoccupé par son autarcie et ses problèmes internes que par la sous-région. Cela nous arrangerait beaucoup que le Nigeria, première puissance d’Afrique, avec sa démographie, son pétrole, ses intellectuels, ses milliers de professeurs et de médecins, assume enfin sa puissance ! N’est-ce pas un gros problème pour les responsables africains de mutualiser des moyens, quand certains pays ont une armée qui viole les droits de l’homme et d’autres une armée parfaitement républicaine ? C’est mélanger beaucoup d’enjeux ! Si l’on met des forces spéciales africaines en place, on ne se demandera pas si elles viennent de tel pays démocratique ou pas, mais si elles sont

capables de faire le travail. En revanche, le jour où nous irons vers une union politique, nous devrons discuter de nos modes de gouvernance et intervenir en cas de coup d’État. Si votre Constitution fixe la limite à deux mandats présidentiels successifs, il faut respecter les règles du jeu. Ce que Pierre Nkurunziza a fait au Burundi, de ce point de vue, paraît inacceptable. Tout s’est passé comme si nous vivions dans le renoncement à la prévention des conflits. Nous acceptons de voir une crise se développer, pour ensuite venir négocier une transition après 100 ou 1 000 morts. Les crimes de guerre et les crimes de génocide sont révoltants. Si j’étais soldat, j’irais volontiers arrêter un crime contre l’humanité. Avec grand plaisir ! ■ Propos recueillis par S.C.

RAOUL SUMO TAYO CHERCHEUR EN DÉFENSE ET SÉCURITÉ, CAMEROUN

« LE MYTHE DE L’INVINCIBILITÉ DE BOKO HARAM A ÉTÉ BRISÉ »

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embre du Centre de recherche stratégique et des innocations, Raoul Sumo Tayo pointe les dysfonctionnements en matière de collecte des informations. Et précise que la sécurité au Cameroun passe par une coopération étroite et concertée avec le Nigeria voisin. AM : Comment analysez-vous les sérieuses avancées de l’armée camerounaise face aux attaques terroristes de la secte Boko Haram ? Raoul Sumo Tayo : Avant la déclaration de guerre du Cameroun à Boko Haram en mai 2014, la secte terroriste utilisait les abords du lac Tchad comme base arrière, pour le recrutement et le transit de l’armement en provenance de Libye et du Soudan. Aujourd’hui, les actions des forces de défense et de sécurité ont permis de couper les voies de ravitaillement en munitions et carburant. De plus, grâce au concours des populations, des réseaux de renseignement de la police et,

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surtout, à l’exploitation des informations tirées des terroristes arrêtés, les services de sécurité et les forces de défense ont mis la main sur de nombreuses caches d’armes. Enfin, les offensives camerouno-nigéro-nigérianes et tchadiennes ont permis de détruire l’essentiel des capacités militaires de la secte, d’où son affaiblissement. Les différentes victoires majeures du Cameroun ont brisé le mythe de l’invincibilité de Boko Haram et causé de lourdes pertes dans ses rangs. L’on doit également ces succès au renforcement consistant du dispositif camerounais en termes de personnels et de matériels, et aux moyens importants investis dans le renseignement. À ce jour, de nombreux dirigeants de la secte islamiste ont été interpellés, ou bien ils ont perdu la vie à la suite de combats parfois très meurtriers. Le déséquilibre capacitaire qui en a découlé contraint la secte à revenir à l’asymétrie classique, avec notamment l’utilisation d’engins explosifs improvisés et le recours aux attentats suicides. AFRIQUE MAGAZINE

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JEAN-PIERRE KEPSEU POUR AM

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Ce spécialiste analyse l’évolution de la lutte contre les attaques de la secte nigériane dans la zone du lac Tchad.


Quel est l’apport de la coopération militaire régionale et internationale dans le renversement du rapport de forces ? Les pays touchés par le fléau n’avaient pas d’autre choix que de mutualiser leurs efforts. La mise en place de la Force multinationale mixte (FMM) chargée de lutter contre Boko Haram a, a minima, permis de contourner le refus du droit de poursuite au Cameroun par le Nigeria, et vice versa. Les deux pays ont trouvé la parade pour régler la question sans que le prestige national du Nigeria en prenne un coup. Par le truchement de la FMM, le Cameroun a ainsi, en quelque sorte, obtenu le droit de poursuite en territoire nigérian. Pour ce qui est de la coopération militaire internationale, seuls les États-Unis et la France sont présents aux abords du lac Tchad. Si leur forces ne participent pas aux combats, elles apportent un appui en termes de formation, d’équipement et de renseignement. Cette guerre aura tout de même été l’occasion de constater que les mécanismes de sécurité collective en Afrique centrale sont obsolètes, anachroniques, voire inadaptés, face aux nouvelles menaces. Le Conseil de paix et de sécurité (Copax) et ses instances, dont le Système d’alerte avancé pour l’Afrique centrale (Marac) et la Commission pour la défense et la sécurité (CDS), n’ont pas fonctionné face à Boko Haram. On a redouté un temps que les terroristes en arrivent à perpétrer des attaques dans les grandes villes telles que Douala et Yaoundé ? Cette hypothèse est-elle désormais exclue ? L’absence, jusqu’ici, d’attentats dans les grandes villes camerounaises est le résultat d’un travail de terrain au quotidien des forces nationales de défense et de sécurité, pour traquer et identifier les potentiels opérateurs de Boko Haram. La gendarmerie nationale, par exemple, joue un rôle de proue, elle qui, en temps de paix, élabore les plans de défense et de protection des points sensibles. Dans le même temps, les interpellations à la suite de projets d’attentats déjoués ont permis d’en savoir un peu plus sur les modalités de préparation d’un acte de type kamikaze. La collaboration entre les services secrets nigérians et camerounais a également permis de recueillir des informations aptes à démanteler des cellules dormantes du mouvement terroriste au Cameroun. Depuis un an, Boko Haram a fait allégeance à l’État islamique (EI). Peut-on craindre que cette alliance redonne du tonus aux terroristes qui agissent au Cameroun ? Je ne pense pas. Boko Haram espérait, par cette allégeance à l’EI, attirer de nombreux jihadistes du monde entier. Cela n’a pas été le cas. Tout au plus, on a relevé la présence dans les rangs de la secte de quelques Touaregs. Toutefois, la communication de Boko Haram s’est améliorée du fait de cette allégeance. L’organisation jihadiste s’est ainsi dotée d’un compte Twitter et d’une branche médiatique, Al-Urwa al-Wuthqa (« L’anse la plus solide »).

Comment expliquer l’enchaînement entre la piraterie maritime au large des côtes camerounaises il y a quelques années et l’apparition de Boko Haram ? La proximité avec le Nigeria en est le premier facteur explicatif. En effet, le déclin du contrôle territorial par l’État fédéral, la privatisation des fonctions policières avec l’apparition de groupes d’autodéfense et l’essor des milices, dans le delta du Niger notamment, font du Nigeria un enjeu structurel de danger pour le Cameroun, qui partage avec lui une longue frontière. Du fait de la porosité des frontières, les opérateurs nigérians du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (Mend) et de Boko Haram ont su tirer profit de la configuration de l’espace géopolitique et socio-économique du voisinage immédiat, notamment le nôtre. Ils s’infiltrent ainsi et se dissimulent parmi les habitants C’est d’autant plus grave que, parce qu’elles gravitent dans l’orbite du territoire voisin, ces populations perdent le réflexe de sentiment national, la solidarité locale prévalant alors sur la solidarité nationale, comme l’a relevé fort à propos l’historien et criminologue camerounais Saïbou Issa. L’absence de l’État dans ces zones, notamment la péninsule de Bakassi et les abords du lac Tchad, favorise l’implantation de groupes criminels et d’organisations terroristes qui tirent parti de la situation pour s’installer et mener leurs activités. Sur les plans de l’équipement et des ressources humaines, cette guerre a-t-elle permis au Cameroun d’augmenter ses forces ? Bien sûr. Cette crise inédite a poussé le pays à repenser son appareil militaire et stratégique, devenu obsolète du fait de la fin de la guerre froide et de la révision des accords de

NOS MÉCANISMES DE SÉCURITÉ ❝ COLLECTIVE SONT INADAPTÉS FACE AUX NOUVELLES MENACES.

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défense qui faisaient de la France son garde-frontière. Les effectifs de nos unités ont été augmentés grâce à une série de recrutements organisés annuellement depuis 2013. Nous avons aussi renforcé les capacités de nos ressources humaines. À titre d’exemple, les experts du détachement américain Socafrica ont formé des éléments de l’armée camerounaise aux « long-range patrols », à la détection et à la neutralisation des engins explosifs improvisés (EEI) et à la fouille des véhicules suspects. De même, nous avons acquis de l’armement lourd, des armes et munitions antichars. Ou encore des gilets de plaques céramiques, de camouflage ou des moyens d’observation nocturne, par exemple. L’armée s’est également dotée de drones afin d’améliorer sa capacité de localisation et de neutralisation de l’ennemi, et grâce à la coopération américaine, de véhicules blindés de type PKSV et d’engins de terrassement. ■ Propos recueillis par François Bambou 37


SOUMEYLOU BOUBÈYE MAÏGA EX-MINISTRE DE LA DÉFENSE DU MALI

« REDÉFINIR LE RÔLE DES UNS ET DES AUTRES » omme nombre d’experts, l’ancien ministre met l’accent sur un certain de nombre de faiblesses dans les dispositifs de sécurité actuels, mais sans désigner de responsables. Il en appelle aussi au concours de la population et à la nécessité d’adapter les renseignements aux menaces nouvelles. AM : Avec deux attentats en 2015, le terrorisme est devenu une réalité également à Bamako. Quelles mesures ont été prises contre cette menace et sont-elles efficaces ? Soumeylou Boubeye Maïga : Les attentats qui ont eu lieu à Bamako, comme ceux qui ont eu lieu à Ouagadougou et à Grand-Bassam, ont révélé des faiblesses, notamment en matière d’identification, de contrôles d’accès et d’anticipation. On a essayé de corriger un certain nombre de défaillances, en essayant par exemple de multiplier les contrôles, mais nous avons des effectifs assez faibles. Des mesures ont été prises, comme l’application de l’état d’urgence. Pour que les actions soient efficaces, il faut qu’elles puissent bénéficier du concours de la population mais aussi des entités privées en charge de la surveillance des bâtiments publics ou privés. Il faut aller aussi vers une réforme dans l’organisation du renseignement. Diriez-vous que ce dernier fonctionne au Mali ? Tous les appareils de renseignement sont confrontés au fait que nous ne subissons pas une menace conventionnelle. C’est une menace polymorphe et nous sommes obligés de revoir la collecte du renseignement et son traitement. Il faut coordonner les différents appareils en synergie. Les lieux stratégiques comme l’aéroport sont-ils sécurisés ? On peut difficilement avoir une sécurité à 100 % dans les espaces publics. Des zones peuvent échapper à la surveillance. Les grands hôtels se sont barricadés. Néanmoins, après l’attaque en mars de l’hôtel Azalaï Nord Sud, qui est un

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véritable bunker occupé par des militaires européens, on peut se demander si ces mesures sont suffisantes… On a à faire à des gens qui n’ont pas peur de mourir. Dans leur conception, ils sont d’autant plus assurés d’aller au paradis qu’ils s’attaquent à des cibles importantes. C’était suicidaire de s’attaquer à cet hôtel ! Cela donne la mesure de la folie à laquelle on est confrontés. Ces mesures ne peuvent pas être une garantie à 100 %, mais l’important pour nous, c’est d’avoir la capacité de faire face. Cela suppose que chaque État se dote d’un plan de lutte antiterroriste institutionnel, où les rôles des uns et des autres sont clairement définis. Les forces de sécurité maliennes sont-elles en mesure de lutter contre le terrorisme ? Elles se préparent ! Elles sont obligées de s’adapter. Cette lutte impose des capacités logistiques, opérationnelles, en matière de renseignement aussi. C’est nouveau pour les forces conventionnelles. Donc elles essaient de se reformater. La menace terroriste s’est étendue à la sous-région. Pensezvous que d’autres actions soient à craindre ? Malheureusement, oui ! Ces groupes essaient d’atteindre leurs adversaires là où ils sont le moins bien protégés. Ces actions pourraient être conçues avec le Mali comme base arrière ? Le président nigérien qualifiait récemment le Mali comme le nœud du problème… Les groupes terroristes internationaux s’appuient beaucoup sur des acteurs endogènes. Des éléments nationaux sont toujours partie prenante dans ces mouvements-là. Mais le Mali demeure-t-il une sorte de maillon faible ? Non. Mais historiquement, nous avons été la porte d’entrée des groupes venus d’Afrique du Nord, puis le chaos libyen a eu un effet amplificateur. Et de chez nous, les groupes terroristes on essaimé ailleurs. ■ Propos recueillis par Aurélie Dupin AFRIQUE MAGAZINE

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EMMANUEL DAOU BAKARY POUR AM

Ce journaliste de formation, qui a milité des années au sein du Parti malien du travail, a occupé différentes fonctions au sein du gouvernement depuis plus vingt ans.


MAMADOU DIOUF HISTORIEN SÉNÉGALAIS

« LES QUESTIONS FACTUELLES NE SONT PAS DISCUTÉES » Le chercheur attire l’attention sur la face crapuleuse du terrorisme. Et sur les réponses diaboliquement séduisantes que les intégristes apportent à une jeunesse désœuvrée… l est directeur depuis 2007 du Département d’études africaines de l’université de Columbia à New York, ancien administrateur du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria) à Dakar. AM : Les réponses politiques apportées à la menace terroriste en Afrique de l’Ouest vous semblent-elles à la hauteur ? Mamadou Diouf : C’est à se demander si elles existent ! Le terrorisme musulman, c’est bien connu, recrute au sein d’une jeunesse désœuvrée. Sa propagande repose sur la critique violente de la corruption. Or, observons-nous dans les pays concernés à travers la sous-région ouest-africaine une politique de l’emploi volontariste ? Une gestion plus transparente des affaires ? Sur ces deux points cruciaux, force est de constater que rien n’a beaucoup changé ! Plus important encore : la lutte contre le terrorisme passe par un travail policier. Les pays qui y sont confrontés disposent-ils des moyens nécessaires ? Peuvent-ils mobiliser le renseignement et l’intelligence indispensables pour comprendre comment fonctionnent ces réseaux terroristes ? Peuvent-ils travailler ensemble pour identifier les menaces ? Ces questions d’ordre très factuel ne sont pas discutées. Elles ne sont pas sur la table. Pas plus que la question du trafic de drogue, par ailleurs… Le trafic de drogue en provenance d’Amérique latine qui sévit partout en Afrique de l’Ouest contamine-t-il les sociétés, par exemple le Sénégal ? Un livre cosigné par un universitaire français malheureusement disparu, Patrick Chabal, spécialiste des colonies portugaises, est sorti en mai sur la Guinée-Bissau en tant que premier « narco-État » en Afrique de l’Ouest (Guinée-Bissau: Micro-State to Narco-State, C. Hurst & Co Publishers). Cette étude montre comment les élites baignent dans le trafic de

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drogue, sans conséquences fortes pour la société, qui continue de fonctionner en dehors de ces réseaux. Êtes-vous inquiet pour l’avenir, eu égard à la montée de l’intégrisme, qui remet en question l’islam soufi du Sénégal ? Il faut savoir que les salafistes représentent peu de choses au Sénégal. Le premier salafiste du pays, Cheikh Touré, a publié un journal de 1957 à sa mort, intitulé L’Islamiste, et fondé le mouvement dit des « Ibadorahmanes », avec un impact qui reste limité dans la société. À mon sens, les groupes les plus dangereux viennent du sein même des confréries, dans l’optique de changer la nature laïque de l’État au Sénégal. Les intégristes ne sont pas capables de faire l’offre que les confréries peuvent faire aux jeunes, comme le marabout Cheikh Béthio Thioune par exemple, qui s’est fait une spécialité de trouver des maris ou des femmes pour les jeunes. De même, les confréries sont en train de trouver des solutions dans les coulisses, sans qu’on en parle au Sénégal.

LES CONFRÉRIES REPRÉSENTENT ❝ UN DANGER BEAUCOUP PLUS GRAND

SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA

QUE L’IDÉOLOGIE SALAFISTE.

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Mame Mor Mbacké, un petit-fils du fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba, est en train de créer une université à Touba. Son père a été l’un des premiers à créer des structures pour que les enfants aillent à l’école coranique, passent leur bac en arabe et aillent étudier au Caire. Puisque 80 % de ces jeunes sont revenus salafistes, les chefs de la confrérie ont décidé de créer leur propre université, inscrite dans l’islam soufi. L’alternative n’est pas d’être confrérique ou barbu. Le débat n’est pas du tout là au Sénégal : le croire, c’est se faire peur pour rien ! ■ Propos recueillis par S.C. 39


TUNISIE

LE

BAL DES

TEMPS FORTS

PRÉTENDANTS Calculs politiques, délitement de l’État, économie, sécurité… Les citoyens sont à la recherche d’un nouveau leadership. L’ampleur de la tâche ne décourage pas de nombreux ambitieux. Qui se voient déjà aux sommets. par Frida Dahmani

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es habitudes ont la vie dure. La nouvelle Constitution a beau avoir rogné les prérogatives du président de la République, le Tunisien persiste à croire que les pleins pouvoirs sont toujours entre ses mains. Or il doit désormais composer avec la représentativité de forces politiques parfois contraires. C’est aussi le cas du chef du gouvernement : pendant complémentaire du chef de l’État, il partage avec lui une partie du pouvoir exécutif. Et si l’on rajoute à ce binôme l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), aux réelles capacités législatives, l’observateur peut mesurer que l’épicentre du pouvoir n’est plus au seul palais de Carthage. Ce dispositif complexe et inédit a beau rompre avec les pratiques des régimes précédents, il ne décourage pas les vocations de ceux qui s’imaginent un avenir hors normes. Opportunités, opportunisme ? Tous, politiques connus ou plus anonymes, font la cour aux caciques des partis, qui pour un strapontin, qui pour un maroquin. Et qu’importe que tout siège soit devenu éjectable selon la Constitution : imaginer sur son CV un passage à Carthage ou à la Kasbah – siège du gouvernement – est une tentation à laquelle peu semblent résister. Et tant pis si le costume s’avère trop ample… La campagne électorale de 2014 avait donné le ton avec pas

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Le président Béji Caïd Essebsi. Le prestige de la fonction et les ors de Carthage éveillent toujours les appétits. AFRIQUE MAGAZINE

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moins de soixante-dix candidats déclarés pour le fauteuil de la présidence. Mais tous avaient dû réfréner leurs ambitions face à la popularité de Béji Caïd Essebsi, promoteur d’un modèle tunisien moderniste qui ne composerait pas avec les islamistes. Les promesses, surtout électorales, n’engagent que ceux qui y croient : des marges de manœuvre étroites et la réalité du paysage politique ont fait des ennemis d’hier – Nidaa Tounes, parti vainqueur, et la formation islamiste d’Ennahdha – les alliés d’aujourd’hui. Conséquence de ce rapprochement, le président, qui ne briguera pas un autre mandat au vu de ses 89 ans, a perdu l’appui de son électorat essentiellement féminin, et Nidaa Tounes, dont il est fondateur, n’est plus la première formation politique du pays depuis sa scission en décembre 2015. Résultat, les appétits se réveillent et en vue de l’élection présidentielle de 2019, certains sont déjà dans les starting-blocks. Les responsables s’interdisent de l’évoquer publiquement mais tous composent avec l’hypothèse d’une vacation du pouvoir avant terme. Et si la question de la succession au pied levé de Béji Caïd Essebsi est taboue, c’est d’abord parce que sa personnalité, son bagout et son sens politique ont relégué l’argument de l’âge au second plan. Dans les faits, les candidats potentiels croisent les doigts pour que rien de fâcheux n’arrive au président avant la fin de son mandat ; non par altruisme mais parce qu’aux termes de la loi, l’éventuelle campagne présidentielle serait alors limitée à soixante jours. Sans préparation, elle se jouerait alors essentiellement via les médias, notamment audiovisuels. Et personne n’est prêt à une équipée aussi hasardeuse.

politiques ne sont pas capables de fédérer au-delà de leurs partisans. Mais aussi atout car, pour les prétendants, obtenir l’adoubement de l’un ou l’autre des deux « cheikhs » – Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi – ferait office de sésame. Caïd Essebsi en a lui-même fait l’expérience : en 2014, face au président sortant, Moncef Marzouki, l’appui tacite du fondateur d’Ennahdha lui a été précieux. Habib Essid doit lui aussi à Ghannouchi son maintien à la tête du gouvernement alors que beaucoup tentent de le pousser vers la sortie. Mais au fond, chacun des deux « patriarches » – comme on les appelle à Tunis – sait qu’il doit à l’autre une fière chandelle. Et chacun est l’obligé de l’autre pour des raisons différentes. Pour les deux, il y aura toujours un avant et un après au 15 août 2013. Ce jour-là, à Paris, les frères ennemis ont fait preuve de sagesse et ont enterré la hache de guerre au profit d’une pax romana pour juguler l’escalade de violence politique qui a enflammé le pays après l’assassinat du député Mohamed Brahmi en juillet 2013. Mais pour ménager leurs militants, ils s’étaient bien gardés de dévoiler leur entente avant le passage aux urnes d’octobre 2014.

Les ennemis d’hier ont fini par pactiser. Un scénario qui pourrait se répéter en 2019.

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UNE BIPOLARISATION ARRANGEANTE

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Quelques exemples ? Mohsen Marzouk, cofondateur de Nidaa Tounes, vient de créer un nouveau mouvement, Harakat Machrou Tounes ; Mehdi Jomaa, ex-chef du gouvernement, travaille ses lobbies mais sans rendre publiques ses intentions ; Moncef Marzouki, prédécesseur de Béji Caïd Essebsi à Carthage, a fondé une nouvelle formation. Et d’autres commencent à sortir de l’ombre. Seul point commun : tous sont conscients que l’affaire ne sera pas simple en raison de l’actuelle bipolarisation politique, qui reste articulée entre les islamistes, en apparent renouveau, et la famille destourienne, quelque peu affaiblie par une volatilité de militants ou de dirigeants. Une bipolarisation qui est à la fois un handicap et un atout. Handicap car les représentants des autres forces

VERS UN CONSENSUS ?

Aujourd’hui, ils ont toujours besoin l’un de l’autre même si leurs enjeux et leurs positions sont différents. Président de la République, Essebsi a été contraint de prendre de la distance avec Nidaa Tounes, parti dont il est fondateur mais dont la déconfiture rebat les cartes de la composition du paysage politique. Ghannouchi, lui, doit aussi composer et ménager son monde même si Ennahdha peut se prévaloir d’être désormais le premier groupe parlementaire. Le modèle islamiste à l’ancienne ne passant plus sur la scène internationale aussi bien que locale, il lui a aussi fallu accepter que les destouriens comptaient encore en Tunisie. Dès lors, la récente métamorphose d’Ennahdha en parti civil conservateur participe à une démarche de recentrage pour être en conformité avec les vœux des Tunisiens. Mais Ennahdha a aussi tiré les leçons de sa pratique du pouvoir de 2011 à 2013 et préfère désormais la politique des étapes, abondamment pratiquée par Bourguiba. Son prochain objectif : les municipales de 2017 pour roder son nouveau discours afin de l’ajuster pour 2019. Il est à parier que les islamistes pousseront alors leur propre candidat, qui ne sera pas nécessairement le chef du parti. À moins que, au nom de l’intérêt supérieur, les deux partis dominants préfèrent se mettre d’accord pour désigner une personnalité consensuelle qui aurait les faveurs de tous. Et dans cette hypothèse, ce ne sont pas les candidatures qui manqueront… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Rêveurs ou réalistes, ils y pensent un peu, beaucoup, passionnément… La Kasbah, Carthage, Le Bardo… Pour tout leader qui se respecte, un bail de cinq ans dans l’un de ces lieux de pouvoir constituerait un point d’orgue dans une carrière. Mais parmi ceux qui pourraient postuler, lequel, aujourd’hui, aurait de réelles chances de l’emporter ?

Mehdi Jomaa,

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ingénieur, ancien Premier ministre LE FAVORI AUX PIEDS D’ARGILE DEPUIS QU’IL A QUITTÉ ses fonctions de chef du gouvernement en 2015, le nom de cet ingénieur de 54 ans, qui se considère en réserve de la République, revient régulièrement dans les sondages, qui le créditent de 29 % d’opinions favorables. Alors qu’il était cité régulièrement en 2014 parmi les favoris pour Carthage, la rumeur de sa candidature avait été si forte qu’il lui avait fallu démentir publiquement cette intention. Puis il avait dû composer avec les piques de Béji Caïd Essebsi, qui aurait dit à son propos : « N’est pas président qui veut ». Aujourd’hui, Jomaa lance un think tank qui se voudrait fédérateur afin de préparer AFRIQUE MAGAZINE

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un parti pour les échéances futures. C’est du moins le calcul qu’on prête à celui qui a le profil du gendre idéal sans qu’il ait encore confirmé ; il s’informe et analyse la situation en Tunisie, travaille à ses réseaux et à ses programmes sans faire de vagues ni d’effets d’annonce. Affable et jovial, il a ses entrées auprès des instances internationales et jouit d’une excellente réputation dans les milieux diplomatiques. Cela suffira-t-il pour devenir le prochain hôte de Carthage ? Pragmatique, Mehdi Jomaa sait qu’il lui faudra compter avec des inimitiés (notamment à gauche et à l’UGTT) et des rivalités qui tenteront de lui barrer la route. Les plus perfides prédisent que son ambition ne dépassera pas « le péage de l’autoroute de Hammamet ». Jomaa sera-t-il capable de se donner de la visibilité et de produire un discours neuf ? Son avenir politique se joue à ces conditions. 43


Hafedh Caïd Essebsi,

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INCONNU il y a encore deux ans, le fils de l’actuel président de la République a opéré une percée dans le monde politique en lui succédant à la tête de Nidaa Tounes. Sans formation précise, Hafedh Caïd Essebsi n’avait jamais fait montre d’aucune ambition en matière politique, mais avec l’approbation tacite de son père et sous la férule de Raouf Khamassi, familier du sérail de Ben Ali, ce passionné de football s’est découvert de nouvelles aspirations. Au lendemain des législatives de 2014, Hafedh lance un lobbying intense afin d’écarter les ténors et cofondateurs les plus opérationnels de Nidaa Tounes, dont Mohsen Marzouk et Ridha Belhaj, jugés trop à gauche. Une manœuvre grâce à laquelle il s’attire le soutien d’anciens du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti dissous de Ben Ali. Essebsi fils, 54 ans, met ensuite les pas dans ceux de son père en se rapprochant des islamistes et en prônant l’alliance avec Ennahdha, dans l’intérêt du pays. L’offensive entre clans a divisé le parti mais la mainmise de « HCE » sur ce qui reste de Nidaa Tounes l’a propulsé en pleine lumière. Il évite pourtant les médias et ne prend jamais la parole en public, ce qui entretient un flou que beaucoup s’empressent d’interpréter : pour les uns, il est fragile et maladroit ; pour les autres, c’est un très bon manœuvrier opportuniste. N’empêche, celui que certains appellent « W » (en référence à George W. Bush) occupe une place de choix dans le jeu politique. Ce taiseux, qui s’attache à ne pas prendre de visibilité, s’est fait un prénom mais sa cote de popularité demeure faible. À la croisée des chemins, il pourrait, par sa fréquentation du pouvoir, développer assez d’appétit pour briguer le fauteuil de son père. Il serait ainsi dans le droit fil d’une transmission héréditaire bien répandue dans la tradition orientale.

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directeur exécutif de Nidaa Tounes LE FILS DE…

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Mohsen Marzouk,

ancien militant, homme politique RECHERCHE SOUTIENS DÉSESPÉRÉMENT

Moncef Marzouki, médecin,

ONS ABID - NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

ancien président de la République « L’ULTRA » VEUT SA REVANCHE

OPPOSANT à Ben Ali, le médecin défenseur des droits de l’homme a perdu son âme en voulant à tout prix être président. Avec l’appui d’Ennahdha, il y est parvenu en 2012 mais a fini par indisposer son monde, y compris parmi ses soutiens. En distinguant les femmes tunisiennes voilées et non voilées (safirat), en soutenant le droit aux examens des « niqabées » alors que la justice avait tranché sur la question, en prenant la pose avec des salafistes ou en critiquant les médias tunisiens lors de ses déplacements à l’étranger, celui qui se présentait comme le président de tous les Tunisiens s’est progressivement positionné en leader « ultra ». Candidat à la présidentielle de 2014, il obtient des scores appréciables au sud du pays auprès desquelles il développe un discours panarabe, conservateur et anti-élites. À la faveur de son échec au second tour, il réalise qu’il a été lâché par ses amis islamistes. À la fin de son mandat présidentiel, il se met en retrait provisoire de la vie politique et espère rebondir en abandonnant le Congrès pour la République (CPR), qu’il a fondé pour lancer, en décembre 2015, une nouvelle formation, Al-Irada (Mouvement Tunisie Volonté), afin de « contrer un retour de la dictature ». « 3M », comme le surnomment les Tunisiens en reprenant ses initiales (son premier prénom est Mohamed), pourrait être tenté de faire un nouveau passage par Carthage mais la tâche sera difficile. Sans appuis financiers ni politiques, Moncef Marzouki, 70 ans, personnage clivant, compte aujourd’hui plus de détracteurs que de sympathisants. AFRIQUE MAGAZINE

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ORIGINAIRE du village côtier de Mahrès, près de Sfax, cet ancien militant des droits de l’homme et spécialiste des transitions démocratiques a collaboré avec différentes organisations internationales dont Freedom House, la Fondation arabe pour la démocratie, la Fondation al-Kawakibi, avant de plonger dans le bouillon politique tunisien. Souvent dénigré et accusé de servir des intérêts et des agendas politiques étrangers, sa prestance et son sens de la répartie le rangent parmi la nouvelle génération de politiciens aux dents longues qui en veulent et ne le cachent pas. Il avait choisi pour mentor Béji Caïd Essebsi et l’a accompagné en tant que membre du bureau politique de Nidaa Tounes, puis dans la conquête de Carthage jusqu’à être son conseiller politique. Cette ascension fulgurante a été accompagnée d’une chute tout aussi rapide. Lâché par son père spirituel, évincé de la présidence puis du parti par Hafedh Caïd Essebsi, Marzouk, 51 ans, qui représentait l’aile gauche de la formation, lance avec d’autres transfuges un nouveau parti, Harakat Machrou Tounes (Mouvement du projet de la Tunisie). Sans avoir jamais montré d’intentions présidentielles, Marzouk l’ambitieux ne peut qu’être candidat à quelque chose. Ses amis clament que son heure est venue, mais l’homme a disparu de la scène médiatique et on lui impute d’être l’artisan du rapprochement de Nidaa Tounes avec les islamistes d’Ennahdha. Un point extrêmement pénalisant pour ceux, plutôt de gauche, qui le soutenaient jusque-là.

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Le chef idéal, introuvable mouton à cinq pattes a nature, paraît-il, a horreur du vide. Encore faudrait-il que l’espace soit rempli à bon escient. Cinq ans et trois scrutins après la chute de l’ancien régime, la relève politique a du mal à émerger. Depuis l’éviction par les urnes de la plupart des figures historiques de la résistance à Ben Ali, comme Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaafar, et de la gauche traditionnelle, les Tunisiens affichent leur insatisfaction en boudant les élections. Pourtant, à les écouter, ces déçus persistent à rêver d’un candidat idéal qui répondrait à leurs vœux. Sauf qu’une fois son portrait esquissé, on approche du mouton à cinq pattes, introuvable sur le marché, même en période d’Aïd el-Kébir.

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D’un côté, il faudrait que ce soit un quadra ou un jeune quinqua en phase avec son temps pour représenter un pays renouvelé en quête de souffle. Mais de l’autre, il faudrait qu’il ait également l’expérience nécessaire pour incarner le pays et le prestige de la fonction. Une solide formation technocratique serait un atout mais il lui faudra aussi travailler sur des sujets de société, comprendre les aspirations des Tunisiens de l’intérieur et accélérer l’adoption des lois à ce propos. Et si le pays n’est toujours pas prêt à rendre obligatoire l’égalité homme-femme en matière d’héritage, il serait ravi que la loi dépénalisant le cannabis soit votée et promulguée. Cet homme nouveau aurait l’autorité que lui confèrent ses compétences mais saurait aussi faire preuve de fermeté, en finir avec les abus, la corruption et imposerait une éthique de la transparence. Il aurait le sens des institutions mais aussi l’audace de les bousculer tout en jugulant la dette du pays pour préserver les générations futures. Droit dans ses bottes, il pourrait se prévaloir de convenir aux partenaires stratégiques de la Tunisie et ferait preuve d’aisance tout en demeurant simple et à l’écoute. Aussi, si vous êtes Tunisien(ne) de naissance, âgé(e) de 35 ans et plus et que vous vous reconnaissez dans ce portrait, n’hésitez pas à venir agrandir la liste du bal des prétendants… ■

Kamel Morjane,

haut fonctionnaire, ancien ministre HIER ET DEMAIN

CET ORIGINAIRE de Hammam Sousse, qui a effectué l’essentiel de sa carrière comme haut fonctionnaire international, est un homme aussi discret qu’endurant. Formé aux rouages de la diplomatie et apprécié des instances internationales, il a été longtemps ministre de la Défense puis des Affaires étrangères sous Ben Ali, auquel il est également apparenté. Deux postes qui lui confèrent l’expérience nécessaire pour exercer les prérogatives diplomatiques et sécuritaires inhérentes aux fonctions du président de la Tunisie. Fondateur du parti Al-Moubadara (L’Initiative) au lendemain de la révolution, il se revendique d’une tendance bourguibienne et obtient cinq sièges à la Constituante, mais essuiera un revers aux législatives et à la présidentielle de 2014. Sollicité pour nouer des alliances, il demeure prudent et ne se prononce pas sur les nouveaux équilibres politiques. À 68 ans, il a toujours des ambitions et souhaite être perçu comme l’homme qui pourrait faire consensus. Dans cet objectif, il a développé des relations étroites avec Rached Ghannouchi et le parti d’Ennahdha, mais demeure un rival pour les autres représentants de la famille destourienne et est moins enclin à sympathiser avec Nidaa Tounes, qui le perçoit d’abord comme un « Sahélien » – de ceux qui ont détenu le pouvoir de Bourguiba à Ben Ali. Pour être dans la course il lui faudra fédérer, réanimer un parti et trouver de solides financements : utopique ? AFRIQUE MAGAZINE

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NI JEUNE, NI VIEUX, NI DU SÉRAIL, NI…


Rached Ghannouchi,

HAMMI MOHAMMED/SIPA

ancien enseignant, président d’Ennahdha CHEF SPIRITUEL… OU PLUS ? FONDATEUR d’Ennahdha, il en est le chef incontesté, celui qui a cumulé trente et un ans à la tête du mouvement et qui rempile, après le récent 10e Congrès de la formation islamiste, pour un nouveau mandat. Le dernier ? Devenu incontournable sur la scène politique, rien, paraît-il, ne se fait en Tunisie sans l’aval du « cheikh », comme l’appellent ses ouailles. De fait, représentant à lui seul un pouvoir, Ghannouchi a imposé un aggiornamento à son parti en le délestant de la prédication et en renforçant une orientation civile : une première pour une formation qui a longtemps revendiqué sa proximité avec les Frères musulmans. Les temps changent, le vent tourne, l’islam politique n’a plus bonne presse et Ennahdha, dont l’objectif est de s’installer dans la durée, opère un changement de costume sans avoir à trop modifié son ADN. Malgré les courants contraires qui s’expriment, Rached Ghannouchi tient toujours la barre et les statuts d’Ennahdha, récemment amendés, permettent désormais à son président de… postuler à Carthage. La tentation pourrait être forte mais à 75 ans, celui qui en a vécu vingt-trois en exil, sait que la charge est sans grandes prérogatives et n’apporterait rien de plus à l’influence et l’ascendant politique qu’il détient. Son parcours et ses relations internationales avec la mouvance islamiste le rendraient plus enclin à s’inscrire, dans la pérennité et l’histoire, comme le chef spirituel des islamistes tunisiens voire plus, ce qu’il est déjà. Un parcours à la Erdogan, en quelque sorte, sans les soucis du pouvoir. Et, on l’espère, sans les excès du « nouveau sultan turc ».

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Quand les palais du pouvoir se tiennent par la barbichette Le régime semi-parlementaire adopté en 2014 est le produit d’un consensus qui évite une hégémonie de l’exécutif. Mais n’empêche pas d’hypothétiques blocages…

AU BARDO L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) est souveraine avec 217 députés. Elle adopte les lois, approuve la formation du gouvernement et contrôle l’action de ce dernier. Elle peut aussi utiliser les motions de censure pour retirer sa confiance au gouvernement, représenté par le chef de l’exécutif.

Habib Essid, ingénieur,

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AU PALAIS DE CARTHAGE

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Le président désigne le chef du gouvernement issu de la majorité ayant remporté les législatives. Il peut dissoudre l’ARP mais les conditions pour le faire sont si complexes que l’Assemblée bénéficie de fait d’une quasi-immunité. Il ratifie les lois et dispose d’un droit de veto. Il préside les conseils ministériels en matière de sécurité, d’affaires étrangères et… tous les conseils des ministres où il décide de prendre place.

À LA KASBAH

Le chef du gouvernement détient le pouvoir exécutif. Il réfère de ses activités à l’ARP et fixe la politique de l’État. Il préside le conseil des ministres (sauf pour les questions de défense et diplomatie). Il peut proposer des lois mais partage cette initiative avec les groupes parlementaires et la présidence.

UN AVENIR NATIONAL, Habib Essid y pense non pas pour lui-même mais pour la Tunisie. S’il réfute l’idée d’être candidat à quoi que ce soit, l’actuel chef du gouvernement, 66 ans, pourrait accepter d’être le nouveau locataire de Carthage s’il en allait de l’intérêt du pays. Sans ambition autre que celle de servir, Habib Essid, avec un parcours de haut commis de l’État, jadis en poste à l’Agriculture et à l’Intérieur, n’est pas un néophyte de la politique mais a choisi de préserver son indépendance à l’égard des partis. Un choix qui le dessert aujourd’hui puisqu’il est aux commandes du gouvernement sans pouvoir se prévaloir de l’appui d’un parti. Désigné à la Kasbah en 2015 par Béji Caïd Essebsi, il a dû essuyer les plâtres de son mandat avec l’attaque terroriste du musée du Bardo et les attentats qui ont suivi. Il a misé sur un retour de la sécurité en rappelant des anciens du régime de Ben Ali au ministère de l’Intérieur, qu’il a lui-même dirigé en 2011. Discret, travailleur, homme de dossiers, ce fils de famille modeste n’est pas un pro de la communication ni particulièrement chaleureux. Ses détracteurs lui reprochent certaines maladresses sans pouvoir lui imputer de réelles erreurs dans la gestion d’un pays en crise. Fin connaisseur des rouages de l’État, des syndicats et des relations avec les députés, Habib Essid pourrait monter en grade. Ou chuter lourdement, avec un gouvernement hétéroclite sans véritable vision ni projets. AFRIQUE MAGAZINE

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chef du gouvernement UN OUTSIDER SANS COTE ÉTABLIE


Hamma Hammami,

porte-parole du Front populaire LE MILITANT DU SYSTÈME

DR - NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM (2)

L’ANCIEN ACTIVISTE chevelu de la gauche tunisienne est l’une des figures majeures de l’après 2011: en le torturant et en l’emprisonnant plus d’une fois, Ben Ali en a fait un symbole fort de la lutte contre la dictature. À 64 ans, le porte-parole du Front populaire est devenu un homme politique central et un personnage controversé. On lui reproche d’avoir retiré en 2014 sa formation d’une coalition de mouvements créée initialement pour rassembler les voix de gauche. De fait, seul le Front populaire a alors tiré son épingle du jeu avec quinze sièges à l’Assemblée. Pas assez pour gouverner mais suffisamment pour asticoter un Parlement qui, à force de chercher l’unité, tombe dans l’uniformité des points de vue. Ce fils d’agriculteur du Nord-Ouest a troqué son costume de militant exalté contre celui d’homme politique souvent élégant et qui peut compter sur des relations étroites avec la puissante centrale syndicale de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Il devrait postule au fauteuil de Carthage. Pour cela, il pourra notamment compter sur l’appui de son épouse et militante des droits de l’homme Radhia Nasraoui, et pourra séduire un électorat féminin sensible au cas qu’il fait des problématiques des Tunisiennes. L’homme a du charisme, mais on voit mal comment il pourrait dépasser son score de 7,82 % à la présidentielle de 2014…

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Nabil Karoui,

entrepreneur, homme politique NEXT GENERATION VOILÀ UN PERSONNAGE (relativement) jeune qui ne cache pas ses ambitions, ni son programme ni son appétit de changement. Atypique et décomplexé, le fondateur de Nessma TV veut transformer le pays. Carthage ? Il n’y songe pas ou du moins pas dans l’immédiat : à 53 ans, il considère la présidence comme une fin de parcours. Il ambitionne d’abord d’être le maître d’œuvre de la refonte du système tunisien et se verrait bien tenir les rênes d’un gouvernement à l’ossature nouvelle. Sa vision est simple : des équipes ministérielles opérationnelles resserrées autour de pôles d’intérêts communs comme l’économie, les finances, l’équipement et les collectivités locales ou les technologies, travailleraient en synergie à partir de la tour de l’ancien siège du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de Ben Ali aujourd’hui dissous. Le trublion du paysage audiovisuel tunisien, qui avait été dans le collimateur des islamistes et avait essuyé des attaques en règle après la diffusion en 2011 sur sa chaîne du film Persépolis, de Marjane Satrapi, s’est assagi et se donne les moyens de ses ambitions politiques. Compagnon de Béji Caïd Essebsi dans la construction du parti Nidaa Tounes, il est à l’initiative du rapprochement de l’actuel président de la République avec Rached Ghannouchi, chef d’Ennahdha, en 2013, et œuvre en coulisses pour s’imposer comme compétence politique. Il rêve d’un néo-Destour à spectre large et il a l’oreille des deux « cheikhs ». Reste à obtenir leur approbation. ■ 49


HARO SUR LE «CHARITY BUSINESS» La charité étrangle-t-elle les pays qu’elle est supposée aider ? Oui, affirme Poverty, Inc., un documentaire américain choc qui montre combien cette « générosité » contribue aussi à entretenir les stéréotypes éculés sur les pays en difficulté.

par Cédric Gouverneur

TEMPS TEMPS FORTS FORTS

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ouvenez-vous. Dans les années 1990, les États-Unis submergeaient Haïti de riz. Officiellement, pour lutter contre la faim. Officieusement, pour se débarrasser de leur surplus et… de la concurrence. Acculés à la faillite par ce riz gratuit, les petits producteurs haïtiens ont grossi les bidonvilles. Et l’« aide » a accru la pauvreté. « On ne veut pas mendier, on veut travailler, témoignent ces paysans face à la caméra de Michael Matherson Miller. Au lieu de nous donner votre riz, aidez-nous à exporter notre riz chez vous ! » En une heure trente minutes, le réalisateur américain dynamite la vision occidentale de l’aide. Non pas celle d’urgence – légitime après une catastrophe naturelle, une famine, un conflit – mais l’aide muée en charity business et en coopération paternaliste. Celle qui plombe l’économie locale. Une aide qui profite surtout aux ONG, aux agences de développement, aux gouvernements ainsi qu’aux entreprises transnationales. Et qui maintient les pauvres dans un rapport de soumission. Encensé par Michael Moore, primé au Festival international du film d’environnement (FIFE) de la Région Île-de-France en avril, Poverty, Inc. est un documentaire implacable.

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MARK WATERS/COLDWATER MEDIA

L’arrivée massive de dons gratuits met à mal l’économie des pays pauvres en court-circuitant les entreprises locales. Ici, distribution de riz américain à Haïti.

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Ses auteurs ont interviewé deux cents interlocuteurs dans une vingtaine de pays, du président rwandais Paul Kagamé au Bangladais Muhammad Yunus, inventeur du microcrédit, en passant par des coopérants « repentis » et des entrepreneurs africains désabusés (lire ci-dessous l’interview de la chef d’entreprise sénégalaise Magatte Wade). LE DON : UNE ARME ANTICONCURRENTIELLE Exemple ? Nous voici à Nairobi, où des montagnes de vêtements d’occasion, dons de la charité chrétienne occidentale, ont été offerts. Eva Muraya, chef d’entreprise kényane, commente : « Lorsque j’étais enfant, on s’habillait made in Kenya, avec du coton local. » Mais ça, c’était avant. Désormais, il est impossible aux producteurs locaux de lutter face à cette concurrence gratuite : « Quasiment tous ont fait faillite. » Les exemples de ce type, Poverty, Inc. les multiplie à l’envi. Au Rwanda, les cargaisons d’œufs offertes après le génocide par les ONG américaines ont coulé l’aviculture locale… à qui il aurait été plus logique d’offrir des poules pondeuses ! En Haïti encore, après le séisme de 2010, le don par les ONG de panneaux solaires afin de rétablir l’électricité a mis au chômage technique Enersa, producteur national d’énergie photovoltaïque. Ses fondateurs, Jean-Ronel Noël et Alex Georges, ne cachent pas leur désarroi : « L’industrie de la charité fait plus de mal

que de bien dans ce pays. Les ONG créent une mentalité de dépendance », observent-ils. « L’enfer est pavé de bonnes intentions », dit l’adage. Certes, mais cette charité est-elle bien motivée par « de bonnes intentions » ? « Les subventions agricoles provoquent des distorsions sur le marché mondial, aux dépens des pays qui n’ont pas le même pouvoir de négociation », résume Marcela Escobari, directrice du Harvard’s Center for International Development à La Paz (Bolivie). La charité peut aussi constituer un argument marketing : ainsi, l’américain Toms promet, pour l’achat d’une paire de chaussures, le don d’une autre au tiers-monde. L’Haïtien Daniel Jean-Louis, qui se démène pour aider les entrepreneurs de son pays, fulmine : « Je n’ai pas de mots pour décrire ça ! Personne ne veut passer sa vie à mendier ! Et que deviennent les chausseurs locaux face à cette concurrence ? » Le fondateur de Toms, Blake Mycoskie, a refusé de parler à l’équipe de Poverty, Inc… « Les gens des pays pauvres ne sont pas plus stupides, ils sont juste déconnectés du marché global », observe Herman Chinery-Hesse. Fondateur de SoftTribe, cet entrepreneur ghanéen est surnommé « le Bill Gates de l’Afrique ». Il raconte avoir été confronté à la concurrence faussée des entreprises occidentales, qui court-circuitent les appels d’offres, aux dépens des PME locales. Une politique que confirme Theodore Dalrymple. Ancien coopérant, ce retraité anglais porte

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ELLE a étudié en France. Mais ce pays était « trop petit pour mes ambitions », dit-elle. Magatte Wade, 39 ans, est une femme d’affaires qui n’a pas sa langue dans sa poche. Installée aux États-Unis, sa société importe sur le sol américain Bissap Bio, une boisson sénégalaise à l’hibiscus. Et elle a fondé Tiossan (« Origines », en wolof), une marque de cosmétiques de luxe. Son dernier credo ? Parcourir le globe afin de promouvoir l’entrepreneuriat en Afrique et encourager ainsi la consommation de produits locaux. L’occasion pour Mme Wade de faire connaître son dynamisme et… son franc-parler.

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MAGATTE WADE Chef d’entreprise «L’Afrique pathétique, c’est le complexe du sauveur blanc» AM : Avez-vous rencontré les mêmes difficultés que racontent les autres patrons de PME qui, comme vous, témoignent dans Poverty, Inc. ? Magatte Wade : Absolument. Les multinationales et les microentreprises obtiennent plus facilement un prêt qu’une PME. C’est le fameux « vide du milieu » ou chaînon manquant décrit dans le film. Heureusement que je suis en partie implantée aux États-Unis : en Afrique, cela aurait été très difficile. Le charity business est-il lié à la méconnaissance du continent ? C’est, tristement, le complexe du sauveur blanc : beaucoup de gens

trouvent réconfortant de croire en une Afrique « pathétique » qu’ils peuvent aider. Il y a toute une sousculture en Occident qui, de façon monomaniaque, ne voit que les aspects les plus indigents de notre continent. Ce n’est pas leur intérêt de célébrer les success-stories. Et, la plupart du temps, ils ne voient ni ne prêtent attention aux aspects positifs. Vous précisez dans le film que vous n’êtes pas opposée au soutien d’urgence (famine, séisme, guerre…) mais que l’aide, transformée en charité permanente, fait plus de mal que de bien. Après une catastrophe,

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un regard critique sur une générosité qui « sert surtout à favoriser l’implantation des entreprises occidentales » et… à garantir le train de vie des coopérants : « J’ai acheté ma première maison avec les bénéfices de l’aide au développement », admet-il avec flegme. Face à ce système, les entrepreneurs locaux sont désarmés. Muhammad Yunus utilise une image parlante : celle du bonsaï. « Prenez la graine d’un arbre, plantez-la dans un pot de fleurs. Vous obtenez un bonsaï. Le problème, ce n’est pas la graine, c’est le pot. Les pauvres sont des bonsaïs : les bases qui leur permettraient de grandir ne sont pas là : lois, institutions, politiques… » En clair, l’absence d’État de droit. « Imaginez un match de foot sans règles », explique l’économiste péruvien Hernando de Soto, auteur du livre Le Mystère du capital : « C’est alors la loi de la jungle. Le plus riche prend tout. » ENTRE « CHARITY BUSINESS » ET « BIG BUSINESS » Les pauvres sont « piégés dans le secteur informel », constate Herman Chinery-Hesse. Et c’est partout le cas : « I am a businessman », se présente le Kényan Joshua Omoga depuis son échoppe du bidonville de Kibera, à Nairobi : « J’ai d’abord emprunté de l’argent à un ami pour vendre des légumes devant ma porte. Avec le profit, je l’ai remboursé et ouvert cette boutique. Je veux épargner et ouvrir une boutique ailleurs, car Kibera est illégal. » Du jour au lendemain, les

quand les ONG doivent-elles comprendre qu’il est temps de partir ? Et surtout, comment doivent-elles partir ? Il n’y a pas de vérité absolue, mais la plupart des ONG et des missions caritatives, si elles veulent s’implanter durablement pour améliorer le quotidien des gens, doivent davantage s’impliquer dans le soutien au développement des affaires par les locaux. Pour cela, la plupart doivent s’associer avec les entreprises du cru et leurs équipes doivent se familiariser avec les réalités économiques. Trop souvent, certaines personnes rejoignent une ONG à cause d’une antipathie envers le monde de l’entreprise. Dès lors, elles ne seront jamais enthousiastes à l’idée d’aider les locaux à passer de la microfinance

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autorités peuvent raser le bidonville… Le Ghanéen Charles Mends emploie, lui, quinze personnes dans son entreprise de jus de fruits, mais rencontre bien des difficultés : « Je n’ai pas de titre de propriété pour garantir un prêt. Il y a le microcrédit pour les microentreprises, les banques pour les grandes sociétés, rien pour les PME » Idem en Amérique latine : il faut trois cents jours à cette PME de la banlieue de Lima pour remplir les formalités qu’une grosse structure obtient en un mois. Le résultat ? Les travaux de Harvard* démontrent que micro et grandes entreprises sont surreprésentées dans les pays en développement, tandis que les PME y sont quasi inexistantes. En étouffant les producteurs locaux, l’aide serait largement responsable de ces déséquilibres structurels. Mais le charity business agit aussi sur la perception de l’Autre. En 1984, lors de la famine en Éthiopie, Band Aid, collectif de stars britanniques, pond le tube Do They Know It’s Christmas ? (Savent-ils que c’est Noël ?) dans cette Afrique faite de tant « d’angoisse et de peur » qu’on n’y trouve « pas de rivières » (!). Vision obsolète ? Hélas, non ! Poverty, Inc. nous apprend qu’en 2014, Glee, une série américaine, a repris ce tube. Sans en changer une virgule. Mais avec, bien sûr, les meilleures intentions du monde… ■ * « The Missing Middle », Asim Khwaja, Center for International Development, université de Harvard.

à une vraie entreprise qui, elle, lèvera du capital, embauchera et… licenciera des salariés. Beaucoup de migrants proviennent des classes moyennes – un départ coûte plusieurs milliers d’euros – et s’exilent faute de perspectives. Comment l’Occident pourrait aider ces jeunes à réussir sur place ? Je suis très préoccupée par la fuite des cerveaux et tous ces jeunes talents qui quittent leur pays. Mais il n’y a pas de fatalité. Si nous pouvons aider les pays africains à améliorer et l’environnement du business économique et l’État de droit, la plupart des gens compétents resteront. Un bémol concernant ce film : sa thèse est que le don (nourriture, vêtements) concurrence les entreprises locales en proposant

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gratuitement les produits qu’ils vendent. Mais les plus pauvres n’ont de toute façon pas les moyens de les acheter… Dès lors, quelles solutions ? Les initiatives comme GiveDirectly, qui donne directement des fonds aux gens pauvres, portent leurs fruits. Les politiques de revenus minimums sont également une possibilité, surtout dans les pays riches en ressources naturelles, dont les bénéfices ont tendance à ne profiter qu’aux élites, étrangères et locales. Savez-vous qu’en Alaska, chaque citoyen reçoit un dividende annuel des revenus du pétrole ? Ça tourne approximativement autour de 1 000 dollars par an… Dans la plupart des pays africains, une telle somme serait significative ! ■ Propos recueillis par C.G.

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ce que j’ai appris PROPOS RECUEILLIS PAR YASMINE BRAHIM

AÏSSA MAÏGA FORTE ET ENVOÛTANTE, LA COMÉDIENNE TRANSCENDE LES GENRES.

Elle saute volontiers d’un drame de Michael Haneke (Caché, 2005) à l’univers fantastique de Michel Gondry (L’Écume des jours, 2013), en passant par une comédie signée Alain Chabat. Voilà la belle Aïssa à l’affiche de Bienvenue à Marly-Gomont, une comédie touchante qui retrace l’arrivée en 1975 d’un jeune médecin zaïrois dans un petit village picard.

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› Bienvenue à Marly-Gomont n’est pas un film engagé. C’est l’hommage d’un fils [le chanteur Kamini, coauteur du film, raconte l’arrivée de sa famille en France, NDLR] à son père qui m’a touchée. Il fait écho à ma propre histoire. Mon père était aussi un intellectuel noir arrivé en France dans les années 1970. J’ai été témoin de ce décalage entre l’homme cultivé qu’il était et la façon dont il était perçu. Derrière une simple comédie populaire, c’est une histoire de société. › Je ne suis pas non plus une actrice engagée… Il y a aujourd’hui une tendance à la réaction qui me dérange. Je n’ai pas envie d’entrer dans cette danse et, surtout, je ne suis pas sûre d’avoir à chaque moment, à chaud, un point de vue pertinent à délivrer. Mon métier, c’est d’être comédienne. › La comédie était une évidence. Je me souviens de cette première représentation au lycée, de ce trac qui me nouait l’estomac. Je voulais fuir. Pourtant, une fois sur scène, je me suis sentie à ma place. Il m’a ensuite fallu du temps avant d’admettre que je voulais être comédienne. J’avais tellement peur d’échouer. Mais j’avais aussi cette foi que je n’explique pas. Mes débuts ont été compliqués car je n’avais pas d’agent, je n’avais pas fait d’école et personne ne me connaissait. Ma chance est d’être arrivée pendant une pénurie d’actrices noires. › « La Sénégalaise arrivée en France à l’âge de 4 ans. » Je vis à Paris depuis plus de trente ans, c’est absurde d’être toujours définie par mes origines ou mon pays de naissance. Si je suis consciente que ce qui est dit est une vérité, je refuse d’être réduite à ça. Aujourd’hui, par chance, je commence à y échapper. › J’étais sidérée d’entendre que je ne jouerais pas certains rôles du répertoire classique car je suis noire. J’ai été touchée, énervée et obsédée par cette barrière avant de prendre du recul pour essayer de comprendre. J’avais besoin de savoir d’où venait cette injustice. Je me suis plongée un long moment dans la lecture de recherches sociologiques (dans les écrits de l’anthropologue Sylvie Chalaye, entre autres), avant de pouvoir enfin me décoller de cette situation et évoluer en tant que comédienne, pas en tant que comédienne noire. › Mon casting le plus marquant est celui passé pour Maintenant ou jamais !, de Raphaël Fejtö (2007). Nous n’étions plus que deux comédiennes, une blonde et moi. Pour la première fois, j’étais en lice avec une femme qui n’était pas noire. J’ai été choisie. Ce jour-là, j’ai réalisé que le cinéma était en train de changer, de telle façon qu’aujourd’hui une Noire peut décrocher « un rôle de blonde ». › Je n’ai pas un genre de prédilection. Je m’assois dans une salle aussi bien pour voir un blockbuster américain qu’un film d’auteur roumain. J’aime passer d’un univers à l’autre. Je suis fascinée par les réalisateurs, leur énergie créatrice et la magie que certains installent autour d’eux. Gondry est le plus marquant de tous. Sur le tournage de L’Écume des jours, j’avais l’impression d’être dans le laboratoire d’un savant fou. Les décors, les costumes, les accessoires… Tout était si particulier. C’est une machine à créer passionnante à admirer. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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NATHANIEL BARUCH

« Je vis à Paris depuis plus de trente ans, c’est absurde d’être toujours définie par mes origines ou mon pays de naissance. »

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République centrafricaine

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UNE NATION EN ÉTAT D’URGENCE

Réconcilier durablement chrétiens et musulmans, réintégrer les groupes armés et relancer une économie mise à bas… Pour le président Touadéra, les chantiers, tous prioritaires, ne manquent pas. par Thierry Brésillon, correspondance de Bangui

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e 30 mars dernier, Faustin-Archange Touadéra, élu le 14 février, a été investi en tant que président d’une République convalescente. Les journées de terreur, les voies barrées par les pneus enflammés, les cadavres démembrés dans les rues semblent appartenir au passé. Le quartier Kilomètre 5 (KM5), poumon commercial de Bangui, devenu depuis début 2014 une enclave musulmane assiégée, a retrouvé son effervescence. Les Banguissois peuvent à nouveau circuler quasiment sans crainte. La « cohésion sociale » est le nouveau mot d’ordre auquel tout le monde veut croire, même les gendarmes qui ont repris le contrôle des axes routiers de l’ouest du pays et qui ne parlent plus de chasserAFRIQUE les musulmans. MAGAZINE I 3 6 1 – J U I N – J U I L L E T

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THIERRY BRÉSILLON

Après trois ans de tensions et exactions, le quartier commercial Kilomètre 5, dernière enclave musulmane de Bangui, reprend vie peu à peu.

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Dans les rues, des jeunes de différentes communautés, vêtus de gilets fluorescents, refont les rues, curent les fossés, dans le cadre de travaux à haute intensification de maind’œuvre (Thimo) financés par des agences ou des ONG internationales. Mais Bangui porte encore les stigmates de la tourmente de l’hiver 2013-2014 : des maisons éventrées, des mosquées (reconnaissables à leur base verte) rasées, des églises incendiées (lire encadré)… Les plus menacés par la réussite du processus, les deux anciens présidents et ennemis d’hier, François Bozizé et Michel Djotodia, ont tenté de le saboter en ouvrant, début 2015, un canal de négociation parallèle dont l’objectif était

de faire capoter les élections. Sur le terrain, leurs relais ont tout fait pour relancer le cycle de la violence. Notamment Noureddine Adam, ancien et redouté ministre de l’Intérieur du gouvernement de la Séléka. Lors du vote du référendum constitutionnel du 2 décembre, ses hommes ont tenté d’empêcher les musulmans de voter. Mais les habitants de KM5 ont défié les intimidations et obtenu le prolongement d’une journée des opérations de vote. Il a ensuite tenté de proclamer une République autonome, depuis Ndélé, au nord-est du pays. Recadré à N’Djamena, par le Sénégalais Cheikh Tidiane Gadio, représentant de l’OCI (Organisation de la coopération islamique), et le président tchadien Idriss Déby Itno, il s’est

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e 5 décembre 2013, les groupes d’autodéfense anti-balaka avaient assailli Bangui pour tenter de déloger le président Michel Djotodia, alors soutenu par une coalition de groupes rebelles à majorité musulmane, la Séléka. Celle-ci avait chassé François Bozizé en mars 2013. L’assaut des milices avait enclenché un cycle de représailles dans lequel les civils s’étaient rapidement retrouvés impliqués. Tandis que l’ex-Séléka (théoriquement dissoute en septembre 2013) semait la terreur dans les quartiers chrétiens soupçonnés de complicité avec les assaillants, les anti-balaka s’en prenaient systématiquement aux musulmans. Le départ de Michel Djotodia, obtenu sous la pression des pays voisins le 10 janvier 2014, ainsi que celui de la plupart des combattants de la Séléka, repliés vers l’est du pays, n’avaient pas suffi à calmer la situation. Pendant de longs mois, en l’absence totale de l’État, les anti-balaka ont mis à exécution une véritable purification ethnique à l’encontre des musulmans dans l’ouest de la Centrafrique. De leur côté, les différents groupes de l’ex-Séléka, après une retraite jalonnée d’exactions, ont pris le contrôle de l’Est et des régions frontalières du Tchad. Au plus fort

François Bozizé, chassé du pouvoir en mars 2013 par la coalition de la Séléka.

de la crise, presque 1 million de Centrafricains, sur une population de 5 millions, étaient réfugiés en grande partie au Cameroun. La Centrafrique, faible depuis longtemps, est devenue l’archétype d’un État failli. Au chevet de ce « grand malade » de l’Afrique centrale, les Nations unies ont déployé 10 000 Casques bleus, dont 1 500 policiers, à partir de septembre 2014 dans le cadre de la Minusca, dont la composante civile épaule les institutions de transition. La France a prolongé l’opération militaire Sangaris, mise en place en décembre 2013 initialement pour enrayer la descente aux enfers du pays sous la

coupe de la Séléka et prévue pour un an. L’Union européenne a envoyé un petit contingent de 700 hommes entre mai 2014 et mars 2015 pour sécuriser quelques quartiers sensibles de Bangui, avant de relancer sa mission de conseil et de formation militaires. Celle-ci s’est adossée sur un travail politique pour intégrer au processus institutionnel une myriade de groupes armés, des plus anarchiques, notamment chez les anti-balaka, aux plus militarisés, au sein de la Séléka. Les forces françaises avaient appuyé en sous-main, avec un succès mitigé, la structuration politique des anti-balaka et de l’ex-Séléka, afin de consolider la position d’interlocuteurs pour des négociations en récompensant par des promotions politiques ceux qui jouaient le jeu. La médiation du chef de l’État congolais Denis SassouNguesso a permis de réunir à plusieurs reprises les leaders des différents mouvements, notamment à Brazzaville en juillet 2014 pour obtenir un accord sur l’arrêt des violences. Les autorités de transition centrafricaines les ont réunis à nouveau en mai 2015 dans le cadre du Forum de Bangui pour obtenir leur cantonnement en échange d’un programme de désarmement, démobilisation, réintégration (DDR), mais aussi le rapatriement des combattants étrangers. ■ T.B.

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PATRICK ROBERT

UN ÉTAT FAILLI


Bangui, le 13 mai. Le président Touadéra reçoit François Hollande, venu apporter son soutien au nouveau régime mais aussi confirmer l’arrêt de l’opération Sangaris d’ici à la fin 2016. engagé à ne pas perturber le processus électoral et a renoncé à la chimère de la partition que l’ex-Séléka avait agitée un temps pour attirer les musulmans dans sa zone d’influence. De son côté, François Bozizé, plutôt que de jouer les troublefête, a finalement tenté de se présenter à l’élection présidentielle, mais sa candidature a été invalidée, puisqu’il ne réside plus dans le pays. Si ceux qu’on qualifie à Bangui d’« ennemis de la paix » ont pu ainsi être politiquement isolés, c’est aussi parce que la population a manifesté sa lassitude de la violence. Le patient travail de terrain mené par des militants associatifs et des religieux de tous bords, pour apaiser les esprits et recréer des liens entre communautés, a préparé le terrain à la venue du pape à Bangui le 29 novembre. En se rendant à la mosquée centrale et en parcourant l’avenue de KM5 en compagnie de son imam, puis en arrivant accompagné de milliers de musulmans au stade où il devait célébrer une messe, il a créé un choc psychologique. Sa visite, retransmise dans tout le pays, a libéré les Centrafricains de leurs peurs réciproques. L’appel lancé en novembre 2015 par le nouveau ministre de la Défense, Joseph Bindoumi, aux militaires des Forces armées centrafricaines (Faca), pour prendre en charge la sécurité en quadrillant les rues de Bangui de postes de contrôle, a beaucoup contribué à faire baisser les violences et à rétablir un minimum de confiance en l’État. Ce climat a créé un contexte propice au processus électoral (présidentielle et législatives) qui s’est déroulé du 30 décembre au 31 mars. Défiant tous les pronostics, Faustin-Archange Touadéra s’est donc imposé avec 62 % des voix. L’ancien Premier ministre de François Bozizé de 2008 à 2013 a bénéficié d’appuis tant chez les chrétiens que chez les musulmans. Réputé pour son intégrité – il a toujours rendu les reliquats de ses avances sur frais lors de ses missions, se plaisent à rappeler ses partisans –, on lui reconnaît le mérite d’avoir fait en sorte que les salaires des fonctionnaires soient versés, et de n’avoir jamais incité à la haine intercommunautaire.

STÉPHANE DE SAKUTIN/AP/SIPA

LENTEURS ET OBSTACLES POLITIQUES Le nouveau chef de l’État, qui assure vouloir continuer à enseigner les mathématiques à l’université une heure par semaine, aura besoin de ce capital de crédibilité pour s’attaquer à la reconstruction d’un État failli. La neutralisation de la capacité de nuisance des groupes armés a été la clé de la poursuite du processus électoral. Mais les combattants attendent désormais les dividendes de leur engagement et la récompense de leur « soutien » au processus électoral dans le AFRIQUE MAGAZINE

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cadre du plan de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). La rapidité et la réussite de la réintégration conditionnent donc la pérennisation de la relative accalmie de ces derniers mois. Or elle s’annonce difficile. La Minusca, qui pilote le processus, prévoit d’intégrer 7 000 à 8 000 combattants dans les différents « corps habillés ». Encore faudra-t-il au préalable réorganiser des Faca, constituées au fil des gouvernements comme une sédimentation de gardes prétoriennes, recrutées sur une base de loyauté ethnique, sous-financées, mal administrées et mal entraînées. Et dont une partie des effectifs est notoirement fictive. Également 3 000 autres combattants doivent bénéficier d’un programme socioprofessionnel à travers des « chantiers-écoles », mais à ce stade, seulement soixante-six futurs bénéficiaires ont été identifiés. À ces lenteurs s’ajoutent des obstacles politiques. Les premiers pourparlers avec les groupes armés issus de l’ex-Séléka ont montré la réticence de ces derniers à accepter le désarmement sans garantie politique, en particulier en termes de participation au gouvernement. Mais implicitement, les intérêts économiques pèsent lourd. Dans la région de Bambari notamment, sous le contrôle de l’UPC (Union pour la paix en Centrafrique) et plus précisément du général Ali Darass. Ce Peul nigérien, ancien proche du rebelle tchadien Baba Laddé, a rétabli un semblant de coexistence pacifique début 2014 dans cette ville clé du centre du pays. Mais c’était pour mieux mettre la main sur l’une des principales mines d’or de Centrafrique, le site 59


de Ndassima. Aujourd’hui, il prélève aussi une taxe sur tout le commerce de bétail au départ de la ville et sur tous les échanges économiques entre Bambari et la frontière avec la République démocratique du Congo. Il s’est érigé en protecteur des Peuls, nombreux dans la zone, et il a renforcé sa position en concluant fin janvier 2016 un pacte de non-agression avec l’un des principaux leaders anti-balaka, Patrick Ngaissona. On voit mal à court terme comment l’autorité de l’État pourra se substituer à une emprise aussi forte.

FRACTURES INTERNES En arrière-plan, ce sont les fractures au sein de la société centrafricaine qu’il faut traiter. Les rebelles, un temps rassemblés sous la bannière de la Séléka, ont capitalisé politiquement sur le sentiment d’exclusion des régions de l’est du pays et la marginalisation des musulmans. Les cadres des organisations musulmanes ne parient plus à présent sur la voie armée. « Depuis des décennies, les chrétiens ont de la haine contre musulmans. Pour beaucoup, un musulman n’est pas un Centrafricain, rappelle Abdelaziz Sali, président de la coordination des organisations musulmanes. La lutte pour nos droits vient de commencer. Mais si rien ne change, il y aura de nouveau des crises. » Les nouvelles autorités devront aussi répondre à une exigence, celle de voir juger les instigateurs des violences. La population a renoncé à se faire justice ellemême. « Entre l’individu qui remet la vengeance à Dieu et la

sanction divine, il y a l’État. C’est à lui d’exercer la sanction ici-bas », résume Belford Gbangope, coordinateur d’une plateforme interconfessionnelle. Mais l’appareil judiciaire est quasi inexistant. Une loi votée en avril 2015 a instauré une Cour pénale spéciale (composée de dix magistrats étrangers sur vingt et un) pour juger les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis depuis 2003, en lien avec la Cour pénale internationale, mais elle n’est toujours pas créée. Quant au processus de justice transitionnelle évoqué lors du Forum de Bangui en mai 2015, il reste une hypothèse. Pour entreprendre ces travaux herculéens, le président Touadéra bénéficie certes d’un niveau d’assistance internationale inédit en Centrafrique. Mais à son grand regret, la France a annoncé la réduction de l’effectif de l’opération Sangaris courant 2016, qui passera de 900 à 300 hommes. Une quinzaine d’agences internationales interviennent pour prendre en charge les besoins humanitaires, alors qu’il y a encore 420 000 déplacés internes et 460 000 réfugiés dans les pays voisins, et que plus de 2 millions de personnes dépendent d’une assistance alimentaire. Mais le plan de réponse est notoirement sous-financé (à peine 60 % des besoins sont couverts). La crise a le mérite d’avoir accéléré les prises de conscience et révélé les fractures que l’État ne parvient plus à réduire. L’horreur des violences de 2013-2014 a révélé à la communauté internationale le prix à payer pour l’abandon de la Centrafrique. Mais au-delà de ce choc salutaire, tout reste à faire. ■

Les Peuls entre deux feux TEMPS FORTS

Nomade, musulman et parfois sédentarisé, ce peuple principalement constitué d’éleveurs peine encore à s’intégrer à la société centrafricaine. Au point que lors des conflits récents, beaucoup, désignés comme boucs émissaires, ont dû fuir le pays pour rester en vie.

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ne dizaine de matelas sont alignés sur la terrasse de la maison qu’un commerçant malien a abandonnée en fuyant Bangui. Quelques sacs contiennent les affaires d’une vie ramassée dans l’urgence de la fuite. C’est là que Garba Sabbi, malgré ses 71 ans, vit et dort depuis un an. Avec d’autres Peuls, des éleveurs qui, comme la plupart, ont tout perdu durant la crise, il a trouvé refuge dans le quartier musulman de la capitale. « J’étais le premier Peul de Centrafrique à créer un GIE, destiné à la commercialisation du bétail, explique en montrant fièrement le dossier de création d’une entreprise dont il ne reste plus rien que ces quelques feuilles. À cause de ma réussite, la Séléka me soupçonnait de collaborer avec le régime de Bozizé, ils ont voulu me tuer plusieurs fois. Mais quand ils sont partis, les anti-balaka s’en sont pris à tous les musulmans et

aux Peuls en particulier. Tout a été détruit et j’ai dû fuir vers le Tchad avec mes deux épouses et mes seize enfants dans un convoi escorté par l’armée tchadienne. Tout le long du trajet nous étions attaqués par les anti-balaka. Mais les conditions sont beaucoup trop pénibles au Tchad. La zone est vraiment pauvre et les habitants des localités proches des camps captent l’aide humanitaire. Je suis rentré depuis un an pour voir s’il est possible de reprendre une vie normale. » Dans la tourmente centrafricaine, les éleveurs peuls ont été particulièrement visés par les violences. Pour leur malheur, ils cumulent les griefs dans un contexte où l’État n’est plus en mesure de réguler les tensions internes. Arrivés par l’ouest du pays dans les années 1920, poussés vers l’est par la recherche de pâturages, ils sont d’émigration assez récente. Les frontières centrafricaines ayant toujours été poreuses, la AFRIQUE MAGAZINE

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THIERRY BRÉSILLON

Depuis que les troubles ont cessé, les Peuls, dont beaucoup avaient trouvé refuge au Tchad ou au Cameroun, reviennent progressivement à Bangui. nationalité est depuis longtemps un sujet sensible, à la croisée du chauvinisme et du rejet d’opérateurs économiques peu scrupuleux obtenant frauduleusement la citoyenneté centrafricaine pour mener leurs affaires. Les tensions se sont aussi accumulées le long des parcours de transhumance et à proximité des zones de pâturage, quand les bêtes endommagent les plantations des cultivateurs. Dès les années 1960, le nouvel État indépendant a entrepris de sédentariser certains éleveurs et d’organiser les communautés pour gérer les conflits, en combinant les organisations nationales et les autorités traditionnelles. Mais après les années 1970, une nouvelle migration provoquée par les sécheresses sahéliennes a commencé à perturber ce fragile équilibre. Plus encore, les éleveurs des troupeaux conduits depuis le Tchad pour le compte de hauts responsables, lourdement armés, ignoraient tout des règles centrafricaines et réglaient les conflits par la violence. La multiplication des vols de bétail ont également contribué à instiller une violence croissante dans les relations sociales. Musulmans, les Peuls ont été la cible des attaques des anti-balaka dans l’hiver 2013-2014. À cette période, des communautés entières installées dans l’Ouest sont parties en brousse pour essayer de gagner le Cameroun ou le Tchad, pourchassées, harcelées par les anti-balaka, parfois pour le compte de bouchers de Bangui qui cherchaient à s’accaparer leurs bêtes. Après des semaines d’errance, certains ont pu transiter par la capitale, d’autres ont trouvé refuge dans les paroisses avant d’être évacués sous escorte, d’autres encore se sont fixés AFRIQUE MAGAZINE

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dans l’enclave de Boda à 200 kilomètres de Bangui, où environ 11 000 musulmans ont survécu sous la protection des forces internationales. Quelque 600 Peuls ont aussi trouvé refuge à Yaloké, un peu plus au nord. À la faveur de l’apaisement de l’automne 2015, beaucoup ont gagné le Cameroun.

UN RETOUR ENCORE DIFFICILE Environ 60 000 Peuls sont réfugiés au Cameroun, mais la réglementation leur interdit le commerce de leur bétail et les conditions humanitaires restent précaires. Tout comme au Tchad, où les relations sont tendues avec les populations locales. Mais les conditions d’un retour ne sont pas réunies. D’abord parce que l’apaisement ne vaut pas encore réconciliation. « Il est difficile de juger ce qu’il y a dans le cœur des chrétiens. Il vaut mieux rester prudent », tempère Garba Sabbi. « Cette crise a apporté beaucoup de souffrances, poursuit-il, mais elle a amené le reste de la société à prendre conscience de la place des Peuls. C’est devenu une question nationale et une composante incontournable de la situation. » Houseini Bi Bouba Waziri, président de l’AIDSPC, une association d’aide au profit des Peuls, a placé sa confiance dans le président Touadéra : « Nous comptons beaucoup sur les nouvelles autorités. II faudra nous donner les moyens de reconstituer les troupeaux. Pour l’avenir, il est essentiel de pouvoir scolariser nos enfants, que l’État mette en place une organisation adaptée à notre mode de vie. » Plus globalement, c’est tout un contrat à renégocier localité par localité pour mettre en place des outils de gestion des conflits et une coopération régionale, notamment avec le Tchad, pour encadrer les transhumances transnationales. Une priorité supplémentaire pour un État encore faible. ■ T.B. 61


Antoine Glaser « La France est comme ce vieil oncle que l’on reçoit TEMPS FORTS

encore

par politesse » Journaliste et écrivain, ce spécialiste de l’Afrique pourfend dans son dernier ouvrage l’incapacité gauloise à s’adapter aux réalités nouvelles. propos recueillis par Cédric Gouverneur

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Vous citez les cas de ces jeunes diplômés africains qui, refoulés par la France, partent réussir outre-Manche ou outre-Atlantique. Diplômé de Polytechnique et major des Mines, Tidjane Thiam est finalement parti ncien rédacen Grande-Bretagne, où il dirige désormais Crédit suisse. teur en chef de La Lettre du continent, Antoine Glaser signe La question de la couleur de peau reste donc prégnante ? Arrogant comme un Français en Afrique. Dans cet essai, le La France est incapable de voir un Noir à la tête d’une journaliste et écrivain explique que les entreprises franentreprise publique. Que Tidjane Thiam, un symbole de la çaises, qui ont traversé paresseusement la guerre froide sur méritocratie républicaine et un des petits-neveux d’Houdes marchés africains sans appels d’offres – car pilotés par la phouët-Boigny, se voit malgré son CV refuser tout poste à Françafrique –, se montrent désormais incapables de s’adapla tête d’une administration ou d’une grande entreprise, ter aux réalités de l’Afrique mondialisée. Elles voient leurs est scandaleux. C’est là aussi un héritage de la colonisation parts de marché s’effriter au profit de la Chine, de la Turquie française. Avec l’indirect rule britannique, un Africain n’avait et même du Canada. La France, engoncée dans ses schémas pas la nécessité de ressembler à un Anglais pour réussir. La issus de la colonisation, sûre de mieux connaître l’Afrique que France, assimilationniste, n’aime que les Africains qui lui les Africains eux-mêmes, convaincue d’être indispensable, ressemblent : il ne suffit pas d’être francophone, il faut aussi payerait son arrogance. Une suffisance qui l’aurait empêchée être francophile. Par ailleurs, sur le continent, les mouvede voir l’émergence des pentecôtistes, la désintégration de la ments de libération l’ont été chez les Anglophones et les LusoLibye de l’après-Kadhafi ou la contagion jihadiste au Sahel. phones, ils ont conquis leur liberté et se sont affirmés. En Selon l’auteur, la persistance de cette arrogance conduira zone francophone, les indépendances ont Paris à voir son influence diminuer encore été « données ». Quelque part, la France tant que les consulats de France verront considère qu’elle est encore le « papa » des dans un diplômé africain en quête de visa Africains. Les cadres africains de demain, un passager clandestin plutôt qu’un futur qui se cognent la tête devant les consulats décideur. Résultat : les élites africaines vont de France, finissent donc par aller étudier parachever leur formation – et leur carrière – aux États-Unis, au Maroc, au Canada… outre-Atlantique. Saviez-vous qu’il y a désormais davanAM : Vous écrivez que le tristement tage d’intellectuels africains francophones célèbre discours de Dakar de Nicolas dans les universités nord-américaines que Sarkozy (« l’homme africain n’est pas françaises ? assez entré dans l’Histoire ») en 2007 Vous évoquez le Canada : un poids lourd a coupé l’Hexagone de la jeunesse de l’industrie minière, sous-estimé, du continent. C’était pourtant il y et qui, lui aussi, taille des croupières aux a près de dix ans ! Depuis, la France parts de marché de la France… n’aurait pas réussi à rétablir le lien ? Arrogant comme Le Canada s’affirme en effet comme Antoine Glaser : Je ne crois pas. En 2008, il un Français en Afrique un concurrent de plus en plus sérieux. y a eu le discours du Cap consistant en la est sorti en mars L’Organisation internationale de la francorenégociation des accords de défense qui, chez Fayard. phonie (OIF) n’a jamais été une question depuis les années 1960, liaient la France à de langue mais de zones d’influence. Son ancien secrétaire ses anciennes colonies : en substance, l’Afrique livrait ses général Abdou Diouf [ancien président du Sénégal, NDLR] matières premières et, en échange, la France garantissait était la courroie de transmission de la France. Il a été remsa « protection ». En clair, le maintien des régimes en placé en 2015 par la Canadienne [d’origine haïtienne, NDLR] place ! Cette renégociation constituait une avancée, mais Michaëlle Jean, et le Canada utilise désormais la francophocette nouvelle politique est pourtant passée totalement nie pour sa propre stratégie d’influence et la promotion de ses inaperçue aux yeux des Africains, à cause du calamiteux entreprises. Comme l’avait fait la France avant lui. discours de Dakar. Sur le continent, l’oralité prime… AFRIQUE MAGAZINE

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Discours de Nicolas Sarkozy en visite officielle au Sénégal en juillet 2007. Livrant sa « vision » de « l’homme africain », le chef de l’État martèle notamment qu’« il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ».

Vous rapportez aussi les propos symptomatiques d’un coopérant français à Abidjan qui, désabusé face à la concurrence chinoise, vous dit : « On ne reconnaît plus notre Côte d’Ivoire ! » Pendant la guerre froide, les entreprises françaises jouissaient de marchés quasiment non concurrentiels : l’ambassadeur de France avait l’oreille du chef d’État africain et un coup de fil suffisait pour décrocher un contrat. À cette époque, les autres pays occidentaux avaient accepté ce contrôle des marchés par les Français : c’était considéré comme la rétribution de la présence militaire hexagonale, Paris étant un peu le AFRIQUE MAGAZINE

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« Ce temps où l’ambassadeur appelait un président pour décrocher un contrat est révolu. » 65


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mercenaire officiel de l’Ouest face à l’influence soviétique. Aujourd’hui, Chinois, Brésiliens, Indiens, Sud-Coréens et Turcs sont extrêmement actifs en Afrique francophone et remportent les appels d’offres. La France est devenue un vieil oncle que, par politesse, on reçoit encore à déjeuner le dimanche : il radote un peu, il n’a pas grand-chose de nouveau à proposer et, au final, on ne fait plus affaire avec lui. Les Chinois voient leurs parts de marché exploser. Mais sont-ils moins arrogants que les Français ? En Afrique, le ressentiment contre les commerçants chinois est parfois vif… Les Africains ne sont pas naïfs, ils savent que les Chinois sont là pour prendre leurs matières premières stratégiques. Et les entreprises chinoises viennent souvent avec leurs propres ouvriers ! Il n’empêche : la Chine, par sa seule présence, a permis au continent d’être à nouveau stratégique pour les pays européens et pour l’ensemble des pays émergents. Elle a réactivé le secteur minier, et même les entreprises françaises sont contentes de sous-traiter pour son compte ! On entend parfois parler de problèmes de racisme, mais le moindre commerçant chinois fait l’effort d’apprendre la langue locale, ce que ne fait jamais le Français. Ils s’adaptent totalement aux réalités locales – pour le meilleur et pour le pire – et savent corrompre les cercles de pouvoir encore mieux que ne le faisaient les Français ! En retour, la République populaire de Chine s’attend évidemment à ce que les pays africains votent en sa faveur aux Nations unies. Habitué aux marchés captifs de la Françafrique, Paris n’a donc rien vu venir… Vous rappelez par exemple l’arrogance d’Areva, qui a refusé au Niger de s’associer avec les Chinois, persuadé que l’uranium africain lui revenait. Désormais, l’Hexagone peut-il rattraper son retard ? Cela fait plus de dix ans que des rapports parlementaires mettent en garde sur la perte d’influence de la France, sans que les comportements n’aient vraiment changé. Il va falloir une ou deux générations avant qu’elle s’intéresse véritablement à l’Afrique, et réussisse à se repositionner comme un partenaire fiable. Dans ce tableau global d’une perte d’influence des entreprises françaises, vous soulignez l’exception d’un trio de chefs d’entreprise que vous surnommez avec humour « BBC » : Vincent Bolloré, Martin Bouygues et Pierre Castel [discrète huitième fortune de France,

« La vraie différence, c’est que le commerçant chinois fait au moins l’effort d’apprendre la langue locale. » ce brasseur est très présent en Angola et au Gabon, NDLR]. Comment expliquez-vous leur succès ? Je l’explique par leurs comportements assez « africains » sur le plan de la gestion familiale des affaires : si, ponctuellement, ils bénéficient de l’appui politique de Paris, l’essentiel de leurs affaires sur le continent passent par la fréquentation des cercles de pouvoir locaux. Eux embauchent peu d’expatriés français, et préfèrent travailler avec des cadres du cru. Dans un chapitre consacré aux opérations militaires françaises – des manœuvres de De Gaulle dans la sécession du Biafra à l’actuelle opération Barkhane au Sahel –, vous critiquez l’interventionnisme de Paris. On peut vous opposer que l’opération Serval de janvier 2013 au Mali fut un succès… L’opération Serval est un succès militaire car elle fut brève, tout au plus quelques semaines de combats. Il faudra juger sur le long terme. L’opération Barkhane est une autre paire de manches : le contrôle de 5 millions de km2 par 3 500 soldats ! L’arrogance française estime qu’elle peut, à elle toute seule, vaincre les jihadistes au Sahel ! Mais la France « se bat pour le roi de Prusse », comme le dit une vieille expression : ses soldats sont sur le terrain, tandis que ses partenaires européens font des affaires partout dans la région. Justement, pourquoi la France ne parvient-elle pas à convaincre les Européens de l’épauler contre les jihadistes ? Les militaires français opèrent dans des conditions que leurs partenaires européens, habitués aux normes strictes d’engagement de l’Otan, n’acceptent pas. Surtout, l’opération de l’Eufor (Force de l’Union européenne) au Tchad en février 2008 a laissé un mauvais souvenir à nos partenaires européens : ils ont eu le sentiment désagréable d’avoir été manipulés par Paris, surtout soucieux de soutenir son allié Idriss Déby. Désormais, les Européens craignent de s’engager dans des opérations qui les entraîneraient dans les affaires politiques de la Françafrique. Notez qu’à force d’insister, Paris a fini par obtenir de Berlin l’envoi de quelques instructeurs allemands au Mali… AFRIQUE MAGAZINE

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En favorisant l’industrialisation et la diversification économique, l’arrivée d’entreprises chinoises a permis à de nombreux pays de se repositionner sur l’échiquier économique mondial. Ici, une biscuiterie à Lagos (Nigeria).

Concernant la Françafrique et ses schémas éculés, vous citez une anecdote assez effarante : le 14 juillet 2014 à Bangui, Catherine Samba-Panza, présidente centrafricaine par intérim, voit son escorte de soldats rwandais se faire refouler de la réception à l’Ambassade de France ! Car, depuis les années 1990, Paul Kagamé est perçu comme l’« ennemi ». Comment expliquer la persistance de tels réflexes ? La diplomatie française souffre encore et toujours du complexe de Fachoda [rencontre tendue entre les corps expéditionnaires français et britannique, en 1898 au Soudan, NDLR]. AFRIQUE MAGAZINE

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Elle est incapable de vision à long terme : Jacques Chirac n’avait jamais dépassé les années Houphouët-Boigny. Et les militaires voient les « Anglo-Saxons » Yoweri Museveni et Paul Kagamé comme des ennemis. En substance, dans sa relation à l’Afrique, la France vit dans un anachronisme historique : elle a toujours utilisé, instrumentalisé l’Afrique, sans véritablement s’intéresser à son passé, comme s’il n’existait pas une histoire précoloniale, comme si l’histoire du continent commençait avec l’arrivée de la France, de ses missionnaires qui ont brûlé les fétiches, enseigné l’histoire de France, et implanté nos tares bureaucratiques. ■ 67


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Soirée de Ligue des champions dans un café de la capitale. Avec le narguilé, le football est l’autre opium du peuple libyen…

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TRIPOLI ENTRE GUERRES ET PAIX Insécurité, kidnappings, crise économique... En dépit des violences et des obstacles, les Tripolitains s’efforcent de mener une vie presque « normale ». Des moments de brefs répits dans un quotidien souvent chaotique.

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par Maryline Dumas, correspondance de Tripoli 361 – JUIN – JUILLET 2016

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ien n’y a fait. Cela fait des années que, chaque matin dès 9 heures, Mohamed et ses cinq amis se retrouvent au même endroit. Les troubles que subit la Libye depuis 2011 ont parfois interrompu pendant quelques jours leurs rencontres, mais guère plus. Ces septuagénaires, anciens fonctionnaires ou businessmen, finissent toujours par se réunir au Caffè Casa de la médina de Tripoli. Seule entorse aux habitudes : ils ont dû changer de table après l’installation d’un générateur à leur place fétiche. La faute aux coupures d’électricité qui peuvent durer des heures. La révolution de 2011, les changements de gouvernement, la recrudescence des kidnappings, l’inflation, les combats durant l’été 2014, la division de leur pays en deux autorités, l’arrivée du gouvernement d’union nationale soutenu par l’Onu : rien n’a perturbé le rituel de ces six amis. Alors, chaque matin, au gré des événements, chacun défend son point de vue sur Fajr Libya (coalition de brigades au pouvoir à Tripoli de 2014 à 2016), Khalifa Haftar (le leader de la force rivale, basé dans l’est du pays) ou encore le gouvernement d’union nationale. Et, irrémédiablement, la discussion dévie sur le foot : « Vous pensez que Zinedine Zidane est meilleur manager que Faez Serraj [Premier ministre du gouvernement d’union nationale, NDLR] ?» demande Ahmed. Plus tard dans la journée, c’est une autre population qui prend place dans ce café. En l’absence de cinémas, discothèques, concerts ou autres animations, les shebabs (« jeunes ») investissent les cafés branchés. Le Caffè Casa donc, mais aussi Il Caffè di Roma, Cinnabon ou encore (un faux) Nespresso : autant de lieux où la jeunesse favorisée peut se retrouver pour discuter entre garçons ou filles – les groupes mixtes sont encore rares –, draguer ou regarder un match de foot. Les Libyens aiment tellement le ballon rond que même au plus fort des combats à l’été 2014, ils se précipitaient dans les cafés pour suivre les matchs de la Coupe du monde. L’autre activité des jeunes, le soir, c’est l’automobile ou la moto. « Les jeudis soir [le vendredi est chômé, NDLR], je prends ma voiture et je vais à Gargaresh avec mes amis, explique Ali. Il n’y a rien de mieux à faire ici. » Gargaresh est une avenue commerçante et huppée d’une dizaine de kilomètres de long. Pendant que les jeunes femmes et les familles visitent les magasins, les hommes, eux, font des allers-retours en voiture sur cette voie largement embouteillée. Les objectifs sont multiples. C’est d’abord l’occasion de se montrer de préférence au volant de beaux bolides – Ferrari, Land Rover ou BMW –, et de se faire entendre, fenêtres ouvertes et musique à fond. C’est, là aussi, un autre moment propice à la drague : tandis que les véhicules roulent au pas à cause du trafic, il est plus facile de repérer les jolies filles qui passent. On écrit

En apparence, la vie a repris ses droits dans la plupart des quartiers de Tripoli. Mais à tout instant, cette tranquillité peut voler en éclats.

Comme si de rien n’était… En fin de journée, lorsque la température devient plus clémente, les jeunes s’affrontent sur un playground.

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De temps à autre, des rafales de tirs ramènent les habitants à la réalité…

Des attentats aveugles peuvent frapper à tout moment, comme ici dans le centre-ville, fin août 2015, devant le siège du pétrolier italien ENI. 71


son numéro de téléphone sur un papier qu’on exhibe ou on cherche le réseau Bluetooth de la belle. Enfin, l’habitacle de la voiture est parfait pour boire discrètement de l’alcool – interdit en Libye et donc acheté au marché noir – camouflé dans une bouteille d’eau ou une tasse de café. Le week-end (vendredi et samedi), en journée, c’est au tour des familles de donner vie à la capitale. Celles-ci se répartissent dans différents lieux. Place des Martyrs, dans le centre, on vient nourrir les pigeons et acheter ballons et jouets en plastique pour les enfants. En bord de mer ou rue Omar-Mokthar, ce sont des petites attractions, structures gonflables et autres manèges, qui sont proposées aux petits. À l’est de Tripoli, en allant vers Tajoura, les familles peuvent s’offrir une baignade ou un pique-nique à la plage. Les femmes font soit le choix d’accompagner, habillées, les enfants dans l’eau, soit celui de rester au sec. Autant de scènes qui pourraient sembler idylliques dans ce pays au ciel bleu et au grand soleil… si la Libye était parfaitement stable. Mais

Il faut dire qu’à cette occasion, une télévision favorable à Fajr Libya (opposée à l’État islamique) ainsi que les maisons d’un membre du gouvernement d’union nationale et d’un député de Tobrouk (le Parlement rival) ont été attaquées. Figure médiatique des radicaux de Fajr Libya, Abdelkader préfère, aujourd’hui, s’habiller en tenue traditionnelle pour, dit-il, « que les gens ne [le] reconnaissent pas ». Et il n’accepte des rendez-vous que dans les lieux de son choix. Karim, lui, cherche depuis des mois des nouvelles d’un de ses amis, enlevé en décembre à Tripoli. L’opérateur téléphonique de ce dernier a révélé que son portable avait été allumé à différentes reprises près de Misrata. « Nous pensons qu’il est en vie, mais nous n’avons aucune nouvelle. » Parfois, les habitants de Tripoli sont témoins de combats, devant chez eux ou à la porte de leur café habituel. En avril, des chars sont ainsi réapparus dans le centre de la capitale lors de combats qui opposaient des groupes armés de la ville. Des scènes de guerre à la fois rares et normales à Tripoli. Rares, car ce genre d’événement n’arrive pas chaque jour, chaque semaine ou même chaque mois. Simplement de temps en temps. Normales, car les habitants sont habitués à entendre régulièrement des coups de feu et à en gérer les conséquences.

« Nous avons supprimé un dictateur pour le remplacer par des milliers… »

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depuis la révolution de 2011, conflits politiques et armés s’enchaînent. Ces moments-là ne sont donc que des bouffées d’oxygène dans un quotidien stressant voire oppressant.

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INQUIÉTUDES SÉCURITAIRES La première inquiétude concerne la sécurité. Celle-ci s’est peu à peu dégradée depuis la chute de Mouammar Kadhafi. À tel point que les Tripolitains, favorables ou non à la révolution, font tous le même constat : « Nous avons gagné la liberté mais nous avons sacrifié notre sécurité. » Dans la capitale, les magasins ferment désormais plus tôt, vers 21 heures ou 22 heures. Les femmes hésitent à sortir seules. Et les rapts sont devenus monnaie courante : toute personne ayant une belle voiture, une fonction importante, issue d’une famille aisée ou connue pour ses opinions politiques, court le risque d’être kidnappée. On est libéré en l’échange d’une rançon. Mais cette dernière ne garantit pas toujours de garder vie sauve. Abdelkader Ouali, membre du Congrès général national, le Parlement élu en 2012, et opposant à l’accord politique libyen signé sous l’égide de l’Onu, reconnaît ne pas se sentir en sécurité depuis l’arrivée du gouvernement d’union nationale.

JUSTICE POPULAIRE Un nouveau danger est apparu fin 2014 en Libye : l’État islamique, qui possède des cellules dormantes dans de nombreuses villes du pays. Et dans son fief de Syrte, les exactions – crucifixions et exécutions sommaires – sont telles que la population vit dans un état de terreur permanent. Depuis Tripoli, le chef de la brigade du quartier d’Abu Salim, Abdelkhani Kikli, alias Ghaniwa, s’en inquiète : « Ici, la situation sécuritaire est plus que moyenne. Ma plus grosse crainte, c’est les infiltrations et les attentats », reconnaît-il. « Nous avons supprimé un dictateur pour le remplacer par des milliers » est devenu le deuxième dicton préféré des Libyens. Il vise les membres des brigades qui font la loi dans leur ville. Des hommes qui, s’autoproclamant garants de la révolution de 2011, estiment pouvoir agir comme bon leur semble. C’est le cas de Mustapha, qui n’hésite pas, lorsqu’il croise par hasard dans une rue bondée « un criminel », à sortir son arme et à tirer. Père de quatre enfants, il aime fanfaronner en exhibant ses armes : un revolver dans son jean, un couteau en porte-clés, deux grenades dans sa voiture… Rien de choquant dans ce pays où circulent plus de 20 millions d’armes pour 6 millions de personnes. Toujours sur le Ce commerçant en portes et fenêtres qui-vive, les unités est membre d’une brigade importante du gouvernement de la capitale. Depuis cinq ans qu’il a d’union nationale pris ce statut de « révolutionnaire », son contrôlent les accès niveau de vie s’est nettement amélioré. à la capitale. AFRIQUE MAGAZINE

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Mustapha s’est acheté une seconde voiture, une jeep, et s’est fait construire une maison, en employant, comme tous les Libyens, des clandestins d’origine subsaharienne. Il espère bientôt prendre une seconde épouse. Lorsqu’il s’agit d’expliquer d’où vient son argent, Mustapha évoque la signature d’un contrat : il a vendu les portes et fenêtres de la clinique privée près de chez lui. Un établissement surveillé par sa brigade. Dans cette nouvelle Libye, beaucoup ne sont pas aussi à l’aise que lui. Hafaf, institutrice, note que « le prix du pain a été multiplié par quatre. La farine et l’huile ont augmenté… Mais mon salaire, lui, n’a pas évolué ». Comme elle, près de 75 % des Libyens sont fonctionnaires ; et certains doivent se débrouiller avec des salaires versés de façon irrégulière. C’est alors la solidarité et la confiance qui jouent : on achète à crédit chez son épicier. Ces retards de paiements sont avant tout liés à un problème d’organisation administrative. Mais la Libye est aussi en proie à de graves problèmes économiques. Les conflits ont fait baisser sa principale ressource, la pro-

vagues, les principales étant celle de 2011, où de nombreux partisans de Mouammar Kadhafi ont quitté la Libye, et celle de 2014, lorsque des milliers de personnes ont fui leur ville par peur des combats ou d’être visées à cause de leurs opinions politiques. D’autres partent tout simplement à l’étranger pour offrir une meilleure éducation à leurs enfants ou se faire soigner de façon décente alors que médicaments, matériel et personnel médical – majoritairement étranger – manquent dans le pays. Mais aujourd’hui, ces départs sont compliqués. DIFFICILES EXILS Il est difficile de se procurer des devises étrangères : les banques rechignent à en délivrer. Et le taux au marché noir a explosé. Alors qu’en 2012, il fallait environ 1,7 dinar pour 1 euro, les taux ont grimpé jusqu’à plus de 4 dinars en 2016. Ensuite, les moyens de transport sont limités. La route côtière entre Tripoli et Zaouïa (47 kilomètres à l’ouest de la capitale), pour rejoindre la Tunisie, est tenue depuis des mois par des gangs de criminels qui n’hésitent pas à dépouiller les familles. Pour se rendre dans les villes à l’ouest de Tripoli, les Libyens préfèrent donc le bateau, ou l’hélicoptère militaire pour ceux qui ont des relations. Le trafic aérien, lui, est affecté par les combats qui ont lieu depuis 2014. Plusieurs aéroports ont été fermés, voire détruits. C’est le cas de l’aéroport international de Tripoli, de celui de Benghazi mais aussi des aéroports d’Oubari et de Sebha. Pour faire face à la demande, l’aéroport militaire de Mitiga, à Tripoli, a été transformé en aéroport international. Tenu par différentes brigades, dont Rada (« Dissuasion »), menée par le salafiste Abderraouf Kara, et la mystérieuse milice Tawhid, peu connue mais réputée extrémiste, Mitiga est très surveillé. Les étrangers sont fichés dès leur arrivée et la présence d’un Libyen, qui doit se porter garant nommément, est exigée. Selon les tours de garde, les règles peuvent varier : un étranger peut être retenu une à deux heures et être questionné sur son hôtel, l’objet de son séjour, etc. ; ou bien partir tranquillement après une simple vérification des papiers. Pour les Libyens, le passage peut être compliqué par leur appartenance à telle ou telle tribu ou par leur origine géographique (région de l’Est ou Zintan, considérés comme rivaux des forces en place à Tripoli). L’aéroport de Mitiga propose moins de destinations qu’auparavant. Une offre limitée aussi par l’inquiétude des pays face à l’insécurité. Les vols vers l’Italie, Paris ou Tunis ont été suspendus. Les Tripolitains doivent donc se contenter de Malte, de la Turquie, et de Monastir ou Sfax pour la Tunisie. C’est d’ailleurs dans ce pays que les fans libyens de football doivent se rendre pour assister aux matchs de leurs équipes « à domicile ». Pour des raisons de sécurité, le ballon rond libyen a été délocalisé en Tunisie. ■

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Les commerçants, méfiants, ne déposent plus d’argent en banque. Et le système s’enraye…

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duction de pétrole, de 1,6 million de barils par jour en 2012 à une moyenne de 400 000 début 2016. Or l’or noir comble, en temps normal, 90 % des dépenses de l’État. La banque centrale a donc prévenu : les réserves financières ne tiendront pas plus de deux ans. « Nous sommes passés d’un pays donateur à un pays nécessiteux depuis 2014 », constate le député de Tripoli Abdelrahman Shatter. Les conséquences se font déjà sentir, avec notamment une pénurie d’argent liquide. Depuis des mois, les files d’attente dans les banques s’allongent jusque dans la rue. « Il m’arrive de venir plusieurs fois d’affilée pour réussir à obtenir 500 dinars [325 euros, NDLR] qui me permettent de tenir une dizaine de jours, explique Issa qui travaille dans l’aéronautique. Parfois, j’attends jusqu’à cinq heures. » Le chef d’une agence bancaire explique, sous couvert d’anonymat : « Le siège ne nous envoie pas de cash. Comme les commerçants n’ont plus confiance, ils gardent le liquide chez eux. Résultat : l’argent sort de nos banques, mais n’y rentre plus. » Beaucoup de Libyens ont tenté de fuir ce désordre. Ils sont plusieurs centaines de milliers en Tunisie et autant en Égypte (les chiffrent varient, selon les sources, de 400 0000 à plus de 1 million). Ces départs se sont faits en plusieurs

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DOSSIER

BÉNIN NOUVEAU DÉPART? Depuis trois mois, Patrice Talon impose un autre style de gouvernance. Et promet de redresser le pays en un seul mandat. Face à lui, la vigilance et l’impatience de la population.

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rrivée en avion sur Cotonou en début de soirée. La ville, vue d’en haut, semble sommeiller, lumières presque éteintes. Seules une ou deux avenues, quelques balises le long du port ou un grand navire au large sont bien éclairés. Accoudée à son géant voisin, la capitale économique béninoise n’est certes pas réputée pour ses ambitions démesurées en matière de rayonnement régional. « Nous sommes un petit pays. Il ne faut pas se leurrer. Dès que le Nigeria tousse, on s’enrhume ! Ici, c’est une terre de transit et de commerce avec le grand marché d’à côté. Et un peu avec l’hinterland sahélien. Point », résume à la va-vite un homme d’affaires qui opère dans le port. Transit pour le riz et les voitures d’occasion, commerce pour les produits agricoles. Peu ou pas de manufacturing. C’est assez vrai. Pour autant, le pays peut s’enorgueillir d’atouts d’un autre genre. Comme son solide attachement à la démocratie. Le Bénin se réveille en ce début mai d’un fier scrutin présidentiel, qui

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par Emmanuelle Pontié, envoyée spéciale

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Le chef de l’État a démarré sur les chapeaux de roue, gérant les dossiers urgents tout en multipliant les déplacements, comme ici à Abidjan, le 18 avril dernier. AFRIQUE MAGAZINE

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a porté le candidat Patrice Talon, magnat du coton et redoutable homme d’affaires, à la magistrature suprême le 20 mars dernier, avec 65 % des suffrages. Ici, la société civile veille, s’exprime, agit. Une pléthore de titres de presse étrillent en toute liberté les dérives du système ou des hommes politiques. Et la réputation de « Quartier latin du continent » dont se targue depuis longtemps cette terre balnéaire d’Afrique de l’Ouest ne semble pas usurpée. Le peuple, reconnu travailleur, raisonnable, anti-bling-bling, commerçant dans le sang chez les Yorubas, ne s’en laisse pas compter. Fatigué des années Boni Yayi et de l’immobilisme qui s’était installé depuis ses deux mandats, il a choisi un candidat du terroir, réputé bosseur et ambitieux, connaissant les rouages économiques et administratifs de son pays sur le bout des doigts, plutôt que Lionel Zinsou, perçu comme « dauphin » du président sortant, parachuté de Paris, qui ne parle pas les langues locales… Et peu importe si le président Talon a eu une réputation sulfureuse dans ses business d’hier. « Il connaît. Et s’il veut, il peut amener le pays très haut. On y croit. Et d’ailleurs, on va vite voir » commente Anaïs, commerçante à Cotonou. Et de fait, dans les quartiers de la capitale, on scrute avec attention les premiers pas du chef, la critique jamais très loin.

CHANTIERS PRIORITAIRES Ici, on a conscience des chantiers les plus urgents. En tête du hit-parade : l’énergie. Dépendant de la production de mégawatts des voisins et des caprices climatiques d’une saison des pluies où pas une goutte ne tombe, le pays est chroniquement plongé dans le noir. Le nouveau ministre en charge du secteur, Jean-Claude Houssou, un « diaspo » formé chez EDF, occupe l’antenne à l’ORTB, visite avec indignation

La plupart des membres de l’élite locale s’accordent à dire que « la musique va changer ». les quelques centrales locales presque à l’arrêt, casque vissé sur la tête, en promettant « de la lumière pour les Béninois d’ici au 31 décembre ». En ville, on veut y croire, tout en attendant de voir… Second gros chantier : l’agriculture. Pour le secteur du coton, domaine de prédilection de Talon, la première réforme n’a pas traîné. La gestion de la filière, nationalisée par Yayi en 2012, a été rendue à l’Association interprofessionnelle du coton (AIC). Pour une gestion plus efficace, et une production qui doit se relever, après avoir chuté à 260 000 tonnes par an. Selon le nouveau ministre de l’Agriculture, Delphin Koudandé, le secteur participe à hauteur de 65 % au PIB national et occupe près de 80 % de la population active. Il a été défini comme pôle de développement prioritaire par le chef de l’État. « Nous prévoyons un investissement massif dans le domaine agricole, notamment en matière d’intrants et de mécanisation. Nous souhaitons aussi contrôler les flux vers le Nigeria, totalement désorganisés, notamment pour l’exportation de l’ananas. Et nous développerons les cultures en fonction des zones agro-écologiques. Afin d’obtenir un rendement optimal », explique le AFRIQUE MAGAZINE

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GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR JA

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Février 2016, des ouvriers travaillent au bitumage de la route des Pêcheurs, la voie côtière d’une quarantaine de kilomètres qui relie Cotonou à Ouidah.


GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR JA

Dantokpa, ou Tokpa, l’un des plus grands marchés à ciel ouvert d’Afrique de l’Ouest, haut lieu du commerce informel et symbole de l’économie nationale. ministre Koudandé, regardant sa montre, dans son bureau où il reçoit entre deux rendez-vous à l’extérieur, avec une salle d’attente où le mobilier vient d’arriver. Plus loin, au Port autonome de Cotonou (PAC), on attend aussi beaucoup du nouveau gouvernement, tout en reconnaissant que l’ancien président s’était fortement impliqué pour y mettre de l’ordre. Le guichet unique, par exemple, fonctionne très bien. Le groupe Bolloré a investi dans sa modernisation, en gagnant en 2009 la concession d’un nouveau terminal à conteneurs, qui est opérationnel depuis le 1er juillet 2013, ainsi que quatre portiques. Dix grues de terre pour manipuler les conteneurs sont commandées et doivent arriver courant 2016. De quoi réaliser quarante mouvements à l’heure par navire. Mais selon Venance Lubin Gnigla, président exécutif de Bolloré Africa Logistics (BAL) au Bénin, d’autres améliorations sont nécessaires : « Il faut s’occuper urgemment de la formation des agents du port. Nombre d’entre eux sont partis à la retraite à 55 ans, et la relève n’est pas au niveau. À mon avis, sur le plan de l’organisation, il manque une certaine flexibilité. Notre économie est adossée aux ressources fiscales, et nous sommes trop rigides en la matière. Davantage qu’au port de Lomé, par exemple. Enfin, c’est une bonne chose que le président Talon aille discuter avec son homologue nigérian. Car lorsque Buhari interdit AFRIQUE MAGAZINE

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l’exportation du riz par Cotonou, par exemple, c’est tout un pan du business béninois qui s’écroule… » Justement, après Lomé, Abidjan et Paris, Patrice Talon est allé voir le président Buhari, pour parler de coprospérité économique. En deux mois, le chef de l’État n’a pas chômé. Au palais de la Marina, il a commencé son mandat à cent à l’heure. Son gouvernement ne dort pas, sans cesse sollicité pour faire avancer les feuilles de route, révolutionner tel ou tel secteur. Sur un tempo très businessman qui vient du privé. Le chef veut des résultats. À 57 ans, chemises chics et montres de prix, l’homme d’affaires, qui n’a plus rien à prouver dans son domaine, selon ses dires, s’est donné cinq ans, pas un mandat de plus, pour redresser son pays. Un proche analyse : « C’est un bosseur. Il n’a plus besoin d’argent et se met pleinement au service de sa charge nouvelle. C’est un ambitieux, redoutable négociateur, qui a des réseaux, connaît du monde. Il n’aime pas l’échec et fera tout pour réussir, pour laisser une trace. Ne serait-ce que par orgueil. » À vrai dire, les Béninois ne lui laisseront pas trop le choix. Car en ville, les impatiences s’aiguisent déjà. Ici, on juge vite. Très vite. Les textos kilométriques de commentaires acerbes sur telle petite phrase présidentielle maladroite, telle nomination d’un mal aimé ou telle décision suspecte, fusent à la vitesse éclair. Mais la plupart des membres de l’élite locale, qu’ils aient voté ou non pour le régime du Nouveau Départ, s’accordent à dire que la musique va changer, et qu’en laissant un peu de temps à l’ancien magnat du coton tout récemment reconverti en homme d’État, tous les espoirs sont permis. ■ 79


exécutif La

dream team du président

Ce sont deux amis qui se connaissent depuis un demi-siècle, deux hommes rompus aux affaires publiques. Et deux membres solides du nouveau gouvernement. par Delphine Bousquet

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sionne, fait rare au Bénin. Candidat pour la première fois à la présidentielle en mars, le chantre de la Nouvelle Conscience, mouvement qui aspire à changer la société par la vertu et le travail, a fini cinquième. Juste derrière Abdoulaye BioTchané, quatrième, dont c’était la deuxième tentative (il était déjà candidat lors de l’élection de 2011). À 63 ans, il a lui aussi un brillant CV : cadre de la BCEAO, ministre de l’Économie sous Kérékou de 1998 à 2002, il a été directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI) et président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Si Patrice Talon les a pris dans son gouvernement, c’est d’abord pour les remercier. Membres de la coalition de rupture mise sur pied avant le premier tour, ils ont confirmé leur engagement en le soutenant ouvertement pour le second round. Ensuite, le président, qui est un homme pratique, s’est adjoint deux technocrates qui pourront mettre en musique son programme. Car si l’ex-homme d’affaires a fait de la politique dans l’ombre, il n’a jamais géré les affaires publiques lui-même. Ils sont aussi là pour encadrer une équipe assez novice et plutôt jeune. Les rôles sont bien ré répartis : Koupaki est chargé d’organiser l’action gouver gouvernementale et de mener à bien les nombreuses réformes. réformes À Bio-Tchané la relance économique et les relations avec les institutions internationales. Il s’est déjà rendu rend au siège du FMI à Washington et a des contacts réguliers avec la Banque mondiale. régu

DE FUTURS C CANDIDATS ? Ces deux de personnalités sont en tout cas attendues au tournant par des Béninois attendue qui espèrent des résultats rapides alors espè que le président a promis un mandat unique. unique Et qui s’interrogent : la collaboration boratio actuelle durera-t-elle ? « En occupant occupan des positions fortes au gouvernement, nement ils espèrent sans doute tous les deux apparaître comme les candidats ap naturels naturel pour prendre le relais en 2021, analyse Gilles Yabi, fondateur du think Sauf qu’ils sont deux… » ■ tank Wathi. Wa AFRIQUE MAGA MAGAZINE

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es deux piliers du gouvernement ont un point commun. Leur nom a été réduit à un acronyme : PIK pour Pascal Irénée Koupaki et ABT pour Abdoulaye Bio-Tchané. Le ministre d’État, secrétaire général à la présidence, et le ministre d’État chargé du Plan et du Développement se connaissent très bien et depuis longtemps. « Nous sommes des amis de cinquante ans, on se comprend au quart de tour », confie ABT. Ils étaient ensemble au lycée Béhanzin à Porto-Novo, et ils sont entrés le même jour en formation à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Dakar. À leur nomination, certains Béninois se sont insurgés contre la présence de cette vieille garde dans un gouvernement de « rupture ». Mais beaucoup leur reconnaissent leur solide expérience gouvernementale, leur rigueur et leurs compétences. Pascal Irénée Koupaki, 65 ans, a fait carrière à la BCEAO avant d’être appelé à son cabinet par le Premier ministre ivoirien Alassane Ouattara au début des années 1990. Il s’est fait it connaître en 2006 en devenant Abdoulaye ministre inistre des Finances de Bio-Tchané Boni oni Yayi, puis ministre (à gauche) du u Développement et et Pascal enfin nfin Premier ministre. Irénée Koupaki. Après près sept ans au gouvernement, rnement, il démis-


BGFIBank Bénin, mliale du groupe BGFIBank, premier groupe bancaire de la zone CEMAC, est présente au Bénin depuis Août 2010 avec un réseau de huit (08) agences. Actuellement orientée vers une clientèle composée d’entreprises et de particuliers moyen et haut de gamme, BGFIBank élargit désormais ses activités à une clientèle de particuliers à revenu modéré dans l’optique de rester conforme à son environnement. Nous soutenons l’économie béninoise par l’accompagnement des entreprises dans divers secteurs d’activité, surtout ceux à fort potentiel et restons proches de la clientèle des particuliers, grâce à une gamme variée de produits adaptés à leurs besoins : les crédits à la consommation, les produits d’épargne fortement rémunérés, les cartes bancaires, la bancassurance et les produits de transfert rapide d’argent. Fidèles à notre engagement de faciliter le quotidien de nos clients, nous avons conçu BGFIExpress, le transfert d’argent qui renverse les habitudes. Il permet d’envoyer et de recevoir de l’argent entre les mliales du groupe BGFIBank. Résolument tournés vers l’adéquation de notre oÿre aux besoins de notre clientèle, notre réseau de guichets automatiques de banque est ouvert à tous les clients MASTERCARD, VISA et GIMUEMOA. De plus notre gamme de produits s’étend dès maintenant aux cartes VISA conçues sur mesure pour répondre aux attentes de la clientèle béninoise.

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Prééminence du marché informel, secteur privé embryonnaire, le pays peine à réduire significativement la pauvreté.

économie Créer

un climat propice aux affaires

Le gouvernement va devoir mettre en place des mesures d’austérité et réformer en profondeur s’il veut donner des gages de confiance aux bailleurs.

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aossara lève les yeux vers le ciel gris pour montrer le parasol multicolore fixé par des cordes au-dessus d’elle : « C’est ça qui me protège, et ma marchandise aussi, de la pluie. » Derrière elle, une étagère en tôle avec de la quincaillerie. Cette vendeuse de Dantokpa, l’un des plus grands marchés à ciel ouvert d’Afrique de l’Ouest, a tout perdu le 30 octobre 2015 lorsqu’un feu a détruit une centaine de boutiques. Un drame national car dans ce labyrinthe, des milliers de vendeurs et d’acheteurs brassent des milliards de francs CFA. Haut lieu du commerce informel (secteur qui représenterait 80 % du PIB), c’est un symbole de l’économie béninoise, avec le port, gros pourvoyeur de recettes au budget fiscal du Bénin. Un bâtiment tout neuf a été construit, quelques ouvriers y travaillent encore. À côté de Kaossara, Karim vend des pièces détachées : « Les affaires ne marchent pas, il n’y a pas d’argent dans le pays. » Et pour cause : les plus gros clients, les Nigérians, ne viennent plus, leur monnaie, le naira, ayant perdu de sa valeur. Il n’y a pas qu’à Dantokpa que ça va mal. « Notre économie est sinistrée. On est en quasi-faillite financière,

affirme Abdoulaye Bio-Tchané, ministre d’État chargé du Plan et du Développement. Début avril, on avait 160 milliards de francs CFA d’engagements et 47 milliards disponibles. » Premières mesures : faire des économies, avec un gouvernement restreint (vingt et un ministres tout de même) et moins de collaborateurs dans les ministères. De quoi donner des gages aux bailleurs. Le Bénin demande un appui budgétaire et des financements de projets. Le président Patrice Talon a passé le message à François Hollande lors de sa visite en France fin avril. L’État doit aussi beaucoup d’argent : la dette intérieure est de 8 %. Elle doit être apurée pour redonner de la trésorerie aux entreprises et relancer la machine. « S’il n’y a pas 6,5 à 7 % de croissance par an, le gouvernement va perpétuer une tradition qui dure depuis quinze ans : l’accentuation de la pauvreté », estime Bio Goura Soulé, économiste. La croissance, de 4 % en moyenne ces cinq dernières années, n’a pas suffi à endiguer la misère dans laquelle vit plus de 36 % de la population. Le microcrédit pour les femmes, une des mesures phares des deux mandats de Boni Yayi, n’a pas permis aux plus pauvres de s’en sortir. Pour Abdoulaye Bio-Tchané : « Il AFRIQUE MAGAZINE

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ERICK AHOUNOU

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par Delphine Bousquet


MYRIAM ADOTEVI Directeur général de BGFI Bank Bénin

«Un réel potentiel dans la banque de détail» APRÈS QUATORZE ANS d’expérience à des postes d’exploitation, elle est à la tête de la filiale béninoise. Son objectif : un repositionnement stratégique.

AM : Le Bénin compte quatorze banques. Ce qui est

faut redonner confiance au secteur privé ! » Celui-ci accorde pour l’instant un capital confiance au nouveau président. « On a un patron à la tête du pays, on a peut-être une chance de rétablir les fondamentaux de l’économie », confie Rizwan Haider, directeur général d’Orabank et président de l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers.

Même s’il n’a pas de ressources naturelles et ni d’industrie, le Bénin a des atouts et du potentiel : c’est une démocratie stable, avec une position géographique idéale, un bon niveau d’éducation et le soutien des bailleurs – même s’ils ont été refroidis par le détournement de 3 milliards de francs CFA d’aide néerlandaise au secteur de l’eau l’an dernier. Mais l’environnement n’est pas favorable à l’entrepreneuriat. En cause : une administration lourde et qui « se comporte comme si le pays était à elle pour concurrencer les investisseurs », selon un chef d’entreprise, la corruption, la fiscalité forte sur le petit nombre qui payent des impôts. Il faudra donc réformer en profondeur. Il y a aussi d’énormes chantiers dans les infrastructures : énergie défaillante, télécommunications perfectibles et réseau routier insuffisant, même s’il a été amélioré sous Boni Yayi. La réhabilitation du chemin de fer entre Cotonou et le Nord, en direction du Niger, est arrêtée à la suite d’une décision de la justice contre Bolloré. Autre chantier : l’informel, incarné par Dantokpa et les vendeurs d’essence « kpayo », essence frelatée introduite en contrebande du Nigeria. Elle est vendue dans des bouteilles en verre partout au bord des voies, de jour comme de nuit. C’est là que les Béninois se fournissent. « On ne le combat pas, assure Jean-Baptiste Satchivi, patron d’une société dans l’agroalimentaire et président

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RÉFORMER EN PROFONDEUR

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beaucoup. Comment se positionne BGFI parmi elles ? Myriam Adotevi : BGFI Bank Bénin est installée depuis 2010 et actuellement, nous sommes huitième sur la place, ce qui est un rang raisonnable. Autant de banques, cela peut paraître beaucoup pour un pays comme celui-ci. Mais il ne faut pas oublier que nous jouxtons le grand Nigeria et représentons géographiquement une ouverture pour la zone hinterland, ce qui nous donne assez d’atouts pour développer une économie (projets agricoles et industriels, activités d’import-export et de services…) et un secteur bancaire actif. Votre banque a une vocation corporate, mais vous semblez vous tourner vers le service de détail à l’intention des particuliers. Pourquoi ? Effectivement, dans les dix pays où nous disposons de filiales, notre groupe se positionne sur le service corporate et particuliers haut de gamme. Mais nous devons prendre en compte le contexte de chaque pays. Le Bénin offre un réel potentiel dans la banque de détail. Même si le secteur informel est encore immense. Depuis quelques mois, nous pénétrons un peu plus le monde des professions libérales, des particuliers salariés, des PME-PMI. Nous avons encore à ce jour 70 % de clients corporate en matière d’activité et de crédits, mais on tend à faire monter le pourcentage des particuliers. Que manque-t-il à l’environnement bancaire au Bénin ? Quelles réformes souhaiteriez-vous ? Il faudrait lancer des mesures incitatives pour que le secteur informel se formalise. Mais surtout, le service bancaire souffre de terribles lenteurs administratives et de soucis juridiques. Certes la garantie ne fait pas le crédit, mais dans nos environnements, elle le sécurise. Aussi devenonsnous frileux dans un contexte où les garanties existantes ne sont pas aisément formalisables et donc exécutables en faveur des banques. Enfin, davantage de coercition, parfois, dans les sanctions juridiques, rassurerait les banquiers. Nous avons souvent des clients indélicats, contre lesquels les actions menées n’aboutissent pas… ■ Propos recueillis par E.P. 83


les nouvelles technologies. L’agriculture, c’est 30 % du PIB et 70 % de la main d’œuvre. Après des décennies de « tout coton », place à la diversification : ananas, cajou, cultures vivrières. Il faut moderniser la production et transformer plus sur place. Quant au tourisme, il est totalement inexploité. Les 15-34 ans constituent 60 % de la population active, et même si le taux de chômage est de 4 %, le sous-emploi est préoccupant. L’informel sert de soupape de sécurité à cette jeunesse qui ne se voit pas d’avenir. Un comité chargé de reconstruire l’éducation béninoise a été mis en place mi-mai. Le gouvernement a donc du pain sur la planche. Le président a promis un miracle, il a cinq ans pour le réaliser. ■

ALAIN HOUNGUE

dans ces domaines. Au vu des conséquences sociales des incendies et des dommages dans les chantiers, nous pensons qu’il faudrait rendre ces couvertures obligatoires. Mais auparavant, l’État doit faire l’effort de baisser l’imposition sur les primes dans ces deux secteurs, qui est de 30 %. C’est trop. Justement, qu’attendez-vous du nouveau gouvernement en matière de mesures ? Nous avions déjà obtenu, sous le dernier gouvernement, un décret qui rend obligatoire l’assurance construction. Aujourd’hui, nous attendons les textes d’application et comptons sur la nouvelle équipe pour les mettre en œuvre. Il faut par ailleurs réduire la pléthore de courtiers et de sociétés d’assurance qui opèrent dans le pays. Selon la réglementation et le système mis en place, ce sont des fonctionnaires seuls qui introduisent les dossiers auprès de la Conférence interafricaine des marchés de l’assurance (Cima), l’organisme en charge de délivrer les agréments aux compagnies. Nous préconisons de créer un comité consultatif national, composé de fonctionnaires mais aussi d’assureurs, avec un avis plus professionnel. Autre souhait : rendre l’assurance scolaire obligatoire. Ça ne coûte pas cher, et il est nécessaire de couvrir nos enfants à l’intérieur et hors de l’école. Enfin, plus de 75 % des Béninois n’ont pas de couverture santé. Attaquons ce grand chantier. Le régime d’assurance maladie unique (Ramu) a été créé. La loi a été votée et il n’est pas question d’y toucher. Mais je pense que nous pourrions encore travailler avec l’État pour l’élaboration des textes d’application. Dans le même temps, nous pouvons proposer d’étendre la garantie à un régime d’assurance de complément retraite. Nous pensons que si nous arrivions à obtenir tout ce que je viens de citer, le taux de pénétration du marché local, qui est aujourd’hui à moins de 2 %, pourrait monter facilement à 4 ou 5 %. Et nous pourrions alors jouer notre rôle d’investisseur institutionnel, comme aider à des levées de fonds pour l’État par exemple. ■ Propos recueillis par E.P.

Président de l’Association des sociétés d’assurance du Bénin (ASA Bénin)

«Créer un comité consultatif national» ACTUELLEMENT, il dirige la filiale de la Nouvelle Société interafricaine d’assurances (NSIA) à Cotonou.

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AM : Comment se porte le secteur des assurances ?

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Alain Houngue : Le paysage se compose de treize sociétés d’assurance et d’une trentaine de courtiers. Ce qui est trop, bien sûr. En matière de chiffre d’affaires (CA), l’ensemble des enseignes spécialisées dans les secteurs « vie » et « dommages » génère environ 45 milliards de francs CFA [68,6 millions d’euros]. C’est peu. Certaines sociétés tournent autour de moins de 2 milliards [3 millions d’euros] de CA… Notre marché souffre principalement du dumping, qui tire le business vers le bas. À l’ASA, nous avons mis des « brigades » sur pied, composées notamment d’assureurs à la retraite, qui vérifient et surveillent les dérives, surtout dans le marché de l’assurance automobile. Quels sont les produits qui marchent le mieux ? Ceux qui manquent ? Les contrats d’assurance-vie, et donc la capitalisation, représentent environ 12 milliards [18,2 millions d’euros] sur les 45 cités plus haut. Une classe moyenne émerge, qui pense à préparer la retraite. Les produits d’épargne commencent à bien marcher. Parmi le reste de l’activité, l’assurance auto est majoritaire (40 % du CA total), puis vient la santé (entre 27 et 30 %), et enfin, les incendies et la construction. Ces deux derniers secteurs, selon moi, ne marchent pas. Pour deux raisons : nous avons un tissu industriel faible, et il n’y a pas d’obligation de s’assurer

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de la Chambre de commerce et d’industrie. Il faut le structurer, il crée de la richesse et doit contribuer à notre budget fiscal. Des commerçants de Dantokpa font 1 milliard de francs CFA de chiffres d’affaires et paient une patente de 10 000 francs ! » Dernier élément : les banques (quatorze, au total, pour un taux de bancarisation de 12 %) financent peu les TPE-PME. Elles-mêmes fragiles, elles ne prennent pas trop de risques à cause de l’insécurité du système foncier. Beaucoup de Béninois n’ont pas de titres de propriété, les conflits autour des parcelles sont nombreux. Le gouvernement a une priorité : l’emploi. Trois secteurs clés : l’agriculture, le tourisme et les services, en particulier


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échanges Remettre

le PAC à flot

Rationalisation des procédures, lutte contre la corruption et renforcement de la sécurité : le Port autonome de Cotonou doit se donner les moyens de rester dans la compétition régionale.

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e jour comme de nuit, des camions bringuebalants attendent en file indienne sur le boulevard de la Marina, à quelques centaines de mètre de la présidence. On estime que 1 000 gros-porteurs, chargés de vrac ou de conteneurs, entrent et sortent chaque jour du Port autonome de Cotonou (PAC), un site d’environ 200 hectares situé en pleine ville. Poumon économique du pays, il représente quasiment la moitié des recettes fiscales, plus de 80 % des recettes douanières et 90 % du commerce extérieur. Sa spécificité : être un port de transit, pour le Nigeria, le Niger et le Burkina Faso. Le PAC, qui appartient à l’État et qui s’est ouvert au privé il y a moins de vingt ans, s’est métamorphosé ces dernières années. « Les camions stationnaient n’importe où, tout le monde pouvait rentrer, les transitaires venaient en moto au pied des conteneurs », se souvient Philippe Alexandre, directeur général de Bénin Terminal, entité du groupe Bolloré. Aujourd’hui c’est fini, l’accès est sécurisé. Sans badge, on ne rentre pas ! Les infrastructures ont été modernisées. Le Millenium Challenge Account, le programme d’aide au développement américain, a financé la construction d’un second quai dont le groupe Bolloré a la concession. Cela a permis à des bateaux plus grands d’accoster dans le bassin et donc d’augmenter la capacité du port. Coman (filiale de Maersk) et Grimaldi règnent aussi en maîtres sur leurs concessions. Ces opérateurs privés ont installé des grues mobiles et des portiques. Si le vrac, sur lequel la Société béninoise des manutentions portuaires a gardé le monopole, est en diminution, le trafic conteneurs, qui représente 70 % de l’activité, est en constante augmentation. Le port a aussi amélioré son fonctionnement : un service informatisé de gestion des entrées et sorties des camions a été mis en place. L’ouverture d’un guichet unique pour toutes les transactions (auprès des services administratifs, des douaniers, des manutentionnaires) a permis d’assainir les procédures alors que la corruption était endémique. « Avoir l’argent et les papiers à jour

a rendu le travail plus facile, admet Awa Alabi, importatrice de poissons et de volailles. Je reçois quatre à cinq conteneurs par semaine et ils sortent en une demi-journée au lieu de trois auparavant. » Malgré cette modernisation, le PAC enregistre une baisse d’activité depuis l’an dernier. Première raison : sa dépendance au Nigeria. Officiellement, 50 % des marchandises quittent le pays. En fait, c’est bien plus, car la moitié du trafic déclaré en consommation locale part frauduleusement chez le géant voisin, ce qui constitue un manque à gagner. Les véhicules d’occasion, le riz, l’huile, la volaille congelée, autant de produits qu’Abuja interdit d’importer. Ainsi, 90 % des 140 000 tonnes de poulets et de dindes débarquées chaque année traversent la frontière, les cartons entassés dans des camions (même pas frigorifiques) ou des voitures. Or la conjoncture n’étant pas bonne au Nigeria, à cause de la chute des cours du pétrole et du naira, la monnaie locale, les répercussions se font sentir. « J’ai perdu 80 % de mes clients nigérians en six mois », déplore Awa Alabi. Elle a réduit ses importations pour ce marché, en bonne commerçante habituée aux aléas du business avec le voisin. Car les acteurs du site savent que c’est conjoncturel et qu’on trouve toujours des solutions avec le Nigeria. Mais la construction d’un mégaport à Badagry, juste de l’autre côté de la frontière, pourrait constituer une menace pour Cotonou.

UNE GESTION PERFECTIBLE La concurrence existe déjà, notamment avec le port en eau profonde de Lomé, au Togo. « Il peut accueillir plus de bateaux en même temps. Chez nous, ils attendent dans la rade, parfois une semaine, avant de décharger », constate Léandre Kodjo Sonou, transitaire. Pour les armateurs, c’est une perte d’argent. En outre, alors que les tarifs sont à peu près les mêmes, ce sont les faux-frais qui plombent le port de Cotonou. Quand il faut graisser la patte aux douaniers, lors des points de passage, et auprès des policiers qui rançonnent sur les routes du Bénin. La décision du gouverneAFRIQUE MAGAZINE

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Plus de 50 % des marchandises qui passent par Cotonou sont destinées au transit, en direction du Nigeria en particulier. ment d’interdire les postes de contrôle non autorisés sur les axes interétats a été saluée par les transporteurs. Vache à lait des précédents gouvernements, le PAC souffre d’une mauvaise gestion. « Il y a des taxes fantaisistes qui vont dans la poche de quelques-uns, témoignent ses utilisateurs. Il faut de la transparence dans le système douanier et la passation des marchés. » Ils attendent une réforme en profondeur. « Le port n’est pas au niveau où il devrait être », reconnaît Abdoulaye Bio-Tchané, ministre d’État chargé du Plan et du Développement. Pour cela, il est nécessaire d’améliorer la productivité et de réduire encore le délai de livraison. « Cela passe notamment par la modernisation du contrôle des marchandises avec des scanners », estime Philippe Alexandre, de Bénin Terminal. Cela a été fait avec le programme de vérification des importations (PVI), qui a depuis été supprimé. En 2010, ce marché avait AFRIQUE MAGAZINE

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été obtenu par Patrice Talon et avait été à l’origine de ses ennuis avec le gouvernement de Boni Yayi, qui l’accusait de piller les recettes de l’État. Pour certains, le système avait réellement permis d’accélérer le processus. Pour d’autres, il a fait perdre de la compétitivité et a créé des taxes au profit de la société de l’ex-homme d’affaires. Les douaniers, qui l’avaient combattu, ont donc retrouvé leurs prérogatives. Le PVI sera-t-il remis en place ? Sous quelle forme ? Avec quels opérateurs ? Pour le moment, rien n’est décidé, dit-on au gouvernement. On parle plutôt de « rationalisation » du fonctionnement du port. Pour Awa Alabi, c’est une nécessité. « Il faut une bonne gouvernance, avec un directeur général qui a une vision et le temps de l’appliquer.» En dix ans, il y a eu dix directeurs généraux différents… Léandre Kodjo Sonou confie, avec amertume : « Nous vivons du port mais il ne nous fait plus vivre. » ■ D.B. 87


Éclairage urbain à Cotonou. Les délestages récurrents sont devenus insupportables aux Béninois.

énergie L’urgence

de l’autosuffisance L’État s’est fixé comme objectif l’autonomie pour fin 2018. Un pari audacieux qui nécessite la mise en place d’une vraie politique énergétique pour mener à bien ce vaste chantier.

« UNE CAUSE NATIONALE » Telle est la réalité à laquelle a été confronté le nouveau gouvernement, moins de deux semaines après sa prise de fonction. Le nouveau ministre de l’Énergie, de l’Eau et des Mines, Jean-Claude Houssou (lire interview page suivante), qui était haut cadre à EDF avant d’être nommé et de rentrer au pays, est tombé des nues lorsqu’il a visité un des sites : « Cette centrale est un musée, les moyens de production sont à l’arrêt depuis des années, c’est la première fois de ma vie que je vois ça ! » Une déclaration qui avait fait polémique… Venu faire le point à la télévision nationale fin avril, le ministre a dit qu’il défendait simplement un langage de vérité : « Cela doit être une cause nationale, c’est une question de souveraineté nationale. » Il a promis la fin des délestages d’ici à décembre. La solution : à court terme, garantir l’approvisionnement

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récents délestages trouvent leur explication dans la situation particulière du pays : il dépend à 90 % de l’extérieur pour son approvisionnement. Principaux fournisseurs : le Nigeria voisin, qui a du mal à satisfaire sa propre demande exponentielle, et le Ghana, qui possède des barrages mais qui est soumis aux aléas climatiques. Les 10 % de production locale proviennent de centrales thermiques et de groupes diesel, qui appartiennent à la Société béninoise d’énergie électrique (SBEE), initialement chargée de la distribution et qui a été amenée à produire. Ainsi, lorsque le Nigeria et le Ghana ne fournissent rien, le pays est privé de courant.

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in avril, la glace était une denrée rare à Cotonou. La faute à deux semaines de coupure d’électricité. Un calvaire pour les vendeuses du marché aux poissons, qui conservent la marchandise fraîche dans de grandes caisses en bois ou des congélateurs hors d’âge. Pierrette, assise sur l’un d’entre eux, raconte : « C’était difficile d’en trouver et c’était trop cher. D’habitude, on achète la barre de glace à 600 ou 800 francs CFA [0,90 ou 1,20 euro]. Là, c’était 2 000 ou 2 500 [3 ou 3,80 euros] ! » Une crise énergétique évoquée par le président Patrice Talon lorsqu’il a été reçu par François Hollande à l’Élysée, à Paris, le 26 avril : « Notre pays est dans l’obscurité presque tous les jours. » Ces dernières années, les délestages ont été récurrents, sur des périodes plus ou moins longues, avec plus ou moins d’intensité. Les Béninois se sont résignés à vivre sans courant, malgré l’impact sur l’économie, le fonctionnement des centres de santé et sur les études de milliers d’élèves contraints de travailler le soir à la lumière des téléphones portables ou sous les éclairages de voisins équipés de groupes électrogènes. Et encore ! Cela concerne ceux qui ont le courant. Le taux d’électrification est d’environ 30 %, c’est plus que la moyenne de l’Afrique subsaharienne, mais avec de grandes disparités entre les zones urbaines et les zones rurales, où l’accès à l’électricité ne dépasse pas 7 %. Un Béninois sur deux utilise encore le bois ou le charbon comme source d’énergie ! La demande ne cesse d’augmenter, entre 9 et 10 % par an, elle est aujourd’hui en heure de pointe à 241 MW. Les


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«Nous pourrions atteindre 10 % de croissance » FORT DE VINGT-CINQ ANS d’expérience à Électricité de France (EDF), ce nouveau venu de la diaspora compte moderniser les infrastructures pour produire plus.

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AM : Vous attendiez-vous à trouver le Bénin

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dans cette situation énergétique ? Jean-Claude Houssou : Je savais que la situation n’était pas florissante car je me rendais régulièrement dans le pays. Mais en étant au cœur du système, je prends conscience que c’est plus difficile que ce que j’avais imaginé. On a une dépendance au-delà de la normale. La situation est insupportable, elle influe sur le bien-être de la population et compromet le développement. Avec de l’énergie en quantité et en qualité, le Bénin pourrait avoir 10 % de croissance au lieu de 5. Et c’est même une double peine pour les Béninois : ils n’ont pas d’énergie et pas d’eau car il faut de l’électricité pour la produire et la distribuer. Est-ce réaliste de promettre la fin des délestages pour décembre et l’autonomie énergétique fin 2018 ? Ce ne sont pas des paroles en l’air. Le président Patrice Talon a une volonté farouche pour traiter ce fléau, car il s’agit bien un fléau. Dans un premier temps, nous envisageons de louer des groupes pour pallier une défaillance temporaire. Nos partenaires sont prêts à nous aider financièrement. Nous comptons aussi réhabiliter nos centrales thermiques. Elles produisent 10 MW alors qu’elles ont un potentiel de 69 MW ! Ensuite, nous mettrons en place un programme déjà défini pour augmenter notre production : une centrale thermique sur financement de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et de la Banque islamique de développement (BID), du photovoltaïque avec le MCA, d’un côté, et l’Agence française de développement (AFD), de l’autre. Nous misons sur un mix en faisant la part belle aux énergies qui permettent d’utiliser nos ressources. L’objectif, c’est d’avoir 352 MW disponible pour répondre à des besoins non satisfaits et favoriser l’installation d’industries. Nous savons où nous allons, et nous comptons y aller. Arrivera-t-on à une libéralisation du secteur ? libéralis Il faut d’abord établir un bon diagnostic. La Société béninoise d’énergie d électrique (SBEE) doi doit devenir une vraie entreprise, afin d’intéresser les investisseurs. Toutes les l options sont ouvertes. ■ Propos rec recueillis par E.P.

INVESTIR INTELLIGEMMENT Pour atteindre l’objectif d’autosuffisance énergétique, il faudra donc investir intelligemment. Le gouvernement peut déjà compter sur le soutien des Américains. En septembre 2015, ils ont accordé 375 millions de dollars au titre du Millenium Challenge Account, pour développer le secteur, en favorisant l’investissement privé dans les énergies renouvelables. Le programme démarre cette année. Mais pour amener les privés à prendre en charge la production, le gouvernement devra réformer, à commencer par la SBEE. À cause d’une mauvaise gestion et d’un faible taux de recouvrement (60 %), ses comptes sont dans le rouge. Il faut ajouter à cela la vétusté du réseau, ce qui entraîne des pertes. « Lorsque j’ai voulu ouvrir mon usine, j’ai dû acheter le poteau, le transformateur, les câbles, payer les techniciens et l’installation. Sinon, j’aurais attendu deux ou trois ans avant d’avoir l’électricité », raconte, dépité, un patron qui a pourtant installé sa PME spécialisée dans l’agroalimentaire à seulement une trentaine de kilomètres de Cotonou. Cette crise énergétique entrave le développement économique. « On a besoin d’une énergie disponible partout et qu’elle soit stable, continue ce patron. Car faire fonctionner des groupes électrogènes et s’équiper d’appareils pour parer les variations de tension a un coût. C’est clairement un frein à l’investissement ! » Cette situation ralentit aussi le développement social du pays. Le droit garanti à l’électricité ? Les Béninois en rêvent. Pour le moment, ils sont partagés sur le résultat, à l’image de Paul. Ce menuisier est resté les bras croisés avec ses cinq employés pendant presque deux semaines. « On veut espérer mais on attend de voir. Il y a eu beaucoup de promesses. C’est vrai que cette fois, un calendrier précis a été mis en place ! » Et l’administration publique devra montrer l’exemple, en éteignant les lumières et les machines si elles ne sont pas utilisées. Selon le gouvernement, cette économie devrait permettre d’alimenter plus de 10 000 ménages par jour. ■ D.B. AFRIQUE MAGAZINE

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Ministre de l’Énergie, de l’Eau et des Mines

des sites en gasoil, ce qui n’était pas toujours le cas même si les fonds étaient décaissés… Coût estimé : plus de 5 milliards de francs CFA (7,6 millions d’euros) pour trois mois de combustible. À moyen terme, louer plus de groupes de grande capacité et réhabiliter les centrales. Enfin, le gouvernement s’est engagé à atteindre l’autonomie énergétique d’ici à décembre 2018. Un sacré défi alors qu’il est nécessaire de mettre sur pied une vraie politique énergétique. « Mauvaise planification depuis des années, mauvaise gouvernance, investissements hâtifs nous ont menés là, analyse un expert. Il faudra une politique réaliste et transparente. » Exemple de ces errements : la centrale de Maria-Gléta (gaz et carburant, le Jet A1), livrée en 2013 après quatre ans de travaux au lieu des six mois annoncés, qui a coûté 40 milliards de francs CFA (60,9 millions d’euros) à l’État, et qui ne sert à rien. Le gouvernement veut la mettre en concession.

JEAN-CLAUDE HOUSSOU


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sorties Le

dimanche à Cotonou

Restaurants ou bars, dans le centre ou en bordure d’océan, la ville offre des lieux attrayants aux visiteurs, qui disposent d’un choix d’hôtels de plus en plus large.

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Le Benin Marina, l’un des établissements du bord de mer. dans un container et son toit-terrasse. Tout près, le Dream Beach entoure une piscine et s’ouvre sur une plage privée. À l’espace Mikeland, il y a des bungalows au pied d’une épave d’avion qui sera transformée en bar-boîte-cinéma. Les lounge bars, comme L’Impala et le Jetset, sont à la mode. Dans les quartiers en expansion d’Agla et de Fidjrossé, ambiance locale au Dauphin, bondé le samedi soir, et au Tropical, ou plutôt reggae au Jammin’. Pour la culture, Cotonou, qui n’a ni cinéma ni musée, est un paradoxe : il y a beaucoup d’artistes mais aucun lieu pour les exposer, à part l’Institut français ! « Il n’y a pas assez d’endroits pour la musique live et les rares initiatives ne sont pas soutenues », estime Jah Baba, musicien et patron d’Africa Sound City, un espace culturel et artistique situé dans la quartier de Kindonou. Sessimè, jeune star de la chanson béninoise, y a donné un concert fin mai. Autres adresses pour des concerts et jam sessions : Le Yes Papa et le Sanctuary. La fondation Zinsou, qui fait vivre l’art contemporain depuis dix ans, devrait rouvrir bientôt (le café et la boutique fonctionnent). Deux nouveaux espaces culturels à signaler : Artistik Africa, à Agla, et Le Centre, à Godomey, en périphérie. Et pour vous déplacer, le meilleur moyen reste les zémidjan (« emmène-moi vite ! », en fon), ou zems, ces motos-taxis typiques, pour vous sentir dans l’ambiance béninoise. ■ D.B. AFRIQUE MAGAZINE

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MAYEUL AKPOVI

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ne quinzaine de pêcheurs, jeunes, vieux, des Béninois, des Ghanéens, transpirent le long d’une épaisse corde, pieds nus enfoncés dans le sable. Un joueur de gong les accompagne dans l’effort. Ils tirent depuis plus d’une heure pour sortir un immense filet qu’une pirogue est allée jeter au large. Assises à proximité, des femmes attendent, avec leurs bassines en métal, la pêche du jour. Nous sommes à Cotonou, sur la route des Pêches, cette piste de quarante kilomètres qui relie l’ouest de la capitale économique à Ouidah, dans un décor de carte postale entre plages, villages de pêcheurs et cocoteraies. C’est là que les Cotonois viennent changer d’air le week-end et profiter de la mer. Car on la voit assez peu dans cette cité qui s’est développée, et se développe encore, le long de l’océan et autour d’une lagune. L’offre d’hébergement augmente, surtout pour la clientèle d’affaires. Azalaï, Novotel, Ibis, Benin Marina, les chaînes hôtelières se succèdent le long du boulevard de la Marina, sur l’axe port-aéroport, en bord de mer. Quatre nouvelles filiales de groupes vont sortir de terre : Golden Tulip Le Diplomate, Ramada, Marriott et Noom, tous sur ce même boulevard. Il y a aussi des établissements indépendants : Maison rouge, un boutique-hôtel, Bénin Royal Hôtel, avec piscine et vue panoramique au cinquième étage, ou Ilewa, quelques chambres près de Jonquet, le quartier chaud de la ville. La carte des restaurants est variée. Le quartier de HaieVive concentre toutes les cuisines sur sa voie principale, sauf africaine. Pour ça, il faut aller au Pili-Pili, au Maquis du Port, au Maquis de la Résidence, connu pour avoir reçu Jacques Chirac. Devant le stade de l’Amitié, offert par les Chinois au temps du marxisme-léninisme, les maquis proposent du lapin, au rythme des derniers hits nigérians. Pour la cuisine française : Les Trois Mousquetaires, Le Privé, Le Sorrento. Sur la route des Pêches, La Cabane du pêcheur ou Le Wado, très prisé pour ses plateaux de fruits de mer. La vie nocturne, c’est en fin de semaine et tard. « Cotonou, ça bouge trop. On dîne vers 22 heures ou 23 heures puis on sort vers 1 heure du matin », détaille Guy, un barman. En face de l’aéroport, le Code Bar fait sensation avec son comptoir


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une image, une histoire PAR HEDI DAHMANI

MUNDIAL 1978

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TUNISIE-MEXIQUE: LA PHOTOGRAPHIE OFFICIELLE D’UNE ÉQUIPE DE FOOT POSANT DURANT UNE POIGNÉE DE SECONDES

a rarement d’importance historique… avant le début d’une rencontre. Ce n’est qu’au terme du match que, parfois, les joueurs entrent dans la légende et donnent au cliché une valeur nouvelle, surtout quand l’issue est inespérée. En ce 2 juin 1978, à Rosario (Argentine), voici le onze tunisien qui deviendra la première équipe africaine à signer une victoire en Coupe du monde de football.

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VENDREDI 2 JUIN 1978. Il est 16h35 lorsque M. Gordon foule la pelouse du stade de Rosario, à 280 kilomètres de Buenos Aires. Dans une dizaine de minutes, devant près de 18 000 spectateurs éparpillés, l’arbitre écossais donnera le coup d’envoi de Mexique-Tunisie. Et à lire et entendre les commentaires depuis le tirage au sort effectué six mois plus tôt, personne ne donne cher de l’équipe africaine, tombée dans le groupe de la Pologne, 3e de la Coupe du monde 1974, et de… la RFA, championne du monde en titre ! Les spécialistes prédisent une débâcle semblable à celle de 1970 : au Mexique, le Zaïre avait encaissé 14 buts – dont un piteux 9-0 face à la Yougoslavie – sans en marquer un seul. En France, la communauté des quelque 500 000 Tunisiens découvre que leur équipe est la seule des seize pays qualifiés qui, humiliant symbole, n’aura aucun match diffusé sur le petit écran.

Et dans les jours qui précèdent la rencontre, les commentateurs ne se privent pas de relayer les critiques du légendaire Kevin Keegan : capitaine de l’équipe d’Angleterre non qualifiée pour le Mundial 78, il critique la présence de la Tunisie, « bien inférieure » à la sélection anglaise. Au même moment, à 10 000 kilomètres de Rosario, il est maintenant 21h40 et c’est un pays aux rues désertes qui retient son souffle : tous les Tunisiens de 8 à 88 ans ont trouvé place devant un poste de télévision. Mais à la composition des équipes, stupéfaction : le capitaine Attouga, l’un des meilleurs gardiens de but du continent, est relégué sur le banc, l’entraîneur Abdelmajid Chetali lui préférant le jeune Naïli, sa doublure… en club ! De mauvais augure ? Trop tard pour spéculer. M. Gordon siffle le début de la rencontre. Mexicains et Tunisiens s’observent et s’annihilent pendant

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BÉCHIR MANNOUBI/AFP

À jamais les premiers… De gauche à droite. Debout : Amor Jebali, Mokhtar Naïli, Hammadi Agrebi, Moncef Dhouib, Ali Kaâbi, Mohsen Jendoubi. Accroupis : Lahzami Temime (cap.), Raouf Ben Aziza, Mohamed Ali Akid, Tarak Dhiab, Nejib Ghommidh. presque une mi-temps. Mais une minute avant la pause, une main involontaire du défenseur Amor Jebali offre un penalty aux Mexicains. Ayala le transforme : 1-0. Et c’est le moral dans les chaussettes que les supporters des « Rouge et blanc » voient leur équipe regagner les vestiaires. La Tunisie peut-elle faire mieux qu’égaliser ? Lors des quarante-cinq minutes suivantes, c’est une équipe transfigurée qui revient sur le terrain. Les actions, patiemment AFRIQUE MAGAZINE

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construites, fusent de partout et le Mexique se trouve vite débordé par la furia africaine. Ce ne sont ni un ni deux mais trois buts que les Américains encaisseront, récompenses d’un travail collectif qui verra les deux défenseurs latéraux (Kaâbi, Dhouib) et un milieu défensif (Ghommidh) devenir buteurs d’un jour et parachever la première victoire africaine en Coupe du monde. Dans les jours qui suivront, Kevin Keegan s’excusera publiquement

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d’avoir critiqué les Tunisiens et saluera leur jeu. Les télévisions françaises annonceront diffuser les deux matchs suivants. Mais, surtout, en résistant face à la Pologne (0-1) et la RFA (0-0) lors de cette campagne d’Argentine, l’équipe tunisienne aura surmonté tout complexe. Et montrera le chemin à suivre à l’Algérie (1982), au Maroc (1986), au Cameroun (1990) et au Nigeria (1994) qui, à leur tour, écriront de belles pages du football africain. ■ 95


PORTFOLIO

Malick Sidibé L’homme qui aimait les âmes

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présenté par Hedi Dahmani

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« En cherchant la gloire, on perd souvent l’honneur. » Malick Sidibé n’était en quête de rien de tel. Après un demi-siècle de clichés, il fut pourtant le premier photographe africain à être récompensé, notamment, du prix de la fondation Hasselblad. Ses images, depuis la création de son studio de Bamako en 1962, attestent d’une profonde estime pour chacun de ses sujets – comme dans ce portfolio qui témoigne de l’âge d’or de son art. Clic, clac. À 80 ans, Malick Sidibé s’en est retourné dans une belle chambre noire. Mais il reste toujours dans la lumière. AFRIQUE MAGAZINE

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Portrait du photographe dans son studio de Bamako par Antoine Tempé (2002).

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ANTOINE TEMPÉ

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combat des amis avec pierres/1976. Cliché tiré d’une série pour le magazine américain Paper montrant des nageurs le long du fleuve Niger. Ces œuvres contribueront à changer le regard que porte la société occidentale sur la beauté noire.

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MALICK SIDIBÉ/COURTESY GALERIE MAGNIN-A, PARIS (2)

amis des espagnols/1968. Pantalons pattes d’eph et chemises bariolées sont volontiers portés par cette génération libérée de la colonisation depuis la proclamation d’indépendance, en 1960.

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Yokoro/1970. Simples et authentiques, ses clichés, toujours empreints d’humanisme, respirent la gaieté et la joie de vivre.

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Toute la famille à moto/1962. En studio, les gens pouvaient être photographiés seuls ou à plusieurs, avec toutes sortes d’accessoires.

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MALICK SIDIBÉ/COURTESY GALERIE MAGNIN-A, PARIS (3)

Jeune homme avec pattes d’éléphant, sacoche et montre/1977. L’artiste a contribué à immortaliser la jeunesse insouciante des années 1960-1970, avide de mode européenne et américaine. AFRIQUE MAGAZINE

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PHILIPPE GUIONIE/MYOP

MALICK VU PAR LES AUTRES

Portraitiste reconnu dans le monde entier, Malick Sidibé fait l’admiration de ses pairs, dont certains lui ont rendu visite dans son studio de la capitale malienne.

nuit de noël (happy club)/1963. Un frère apprend le twist à sa sœur. Le week-end, les jeunes Bamakois se distraient en dansant sur des 45-tours de musiques occidentales et afro-cubaines.

Nicolas Réméné

Partageant sa vie entre Marseille et Bamako, il réalise ses premiers reportages en 2009 au Burkina et au Mali. Ci-dessus, le « Studio Malick », ouvert en 1962 dans le quartier populaire de Bagadadji.

Antoine Tempé

MALICK SIDIBÉ/COURTESY GALERIE MAGNIN-A, PARIS

Franco-Américain établi à Dakar, il documente les scènes culturelles africaines actuelles à travers le photojournalisme et le portrait. Ci-dessous, l’intérieur du studio, avec sa collection d’appareils.

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Philippe Guionie/Myop

Historien de formation, il revendique une photographie documentaire autour des thèmes de la mémoire et des constructions identitaires. Ci-dessus, la cabine aménagée pour les prises de vue.

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LE DOCUMENT

L’héritage du Prophète Dans une minutieuse enquête élaborée à partir du Coran et des textes les plus anciens de la Tradition musulmane, Hela Ouardi, professeure à l’université Tunis el-Manar et membre associée du CNRS, fournit un éclairage nouveau sur les derniers jours du Prophète, dont elle fait ressortir la dimension tragique, et met en perspective les événements qui ont présidé à la fondation de l’islam. présenté par Frida Dahmani

édine, juin 632. Le Prophète Mohammed vient de s’éteindre. Ses compagnons et fidèles de la nouvelle religion tremblent à l’idée que la Fin du monde soit proche. Dans une enquête extrêmement étayée et appuyée par des sources de la tradition sunnite et chiite, l’universitaire tunisienne Hela Ouardi fait le récit des derniers jours du Prophète et de ceux qui suivent sa disparition. Affecté par la mort de son fils Ibrahim, affaibli par des défaites, un début de sédition dans les tribus et les coups bas de ses proches, Mohammed, atteint de maladie ou victime d’un empoisonnement, meurt sans avoir pu donner de directives quant à sa succession. Ce moment empreint de mystère scelle le devenir d’un islam qui, pour survivre, doit se réinventer sans son fondateur. Les compagnons de celui qui avait pacifié l’Arabie se lancent à l’assaut du pouvoir et engagent une lutte meurtrière dont l’islam porte encore les stigmates. « Les discordes se profilent à l’horizon comme des lambeaux de nuit noire », avait prédit Mohammed en se recueillant dans un cimetière de Médine. Le Prophète sans descendance avait vu juste et pour des siècles. Durant trois jours, sa dépouille restera sans sépulture et ses proches écartés par Abou Bakr et Omar, qui, pour prendre sa succession et établir le califat, opèrent un véritable putsch avec l’appui de milices déployées dans Médine. La minutieuse reconstitution élaborée par Hela Ouardi confère une dimension shakespearienne au Messager de Dieu dont la vie a été transmise bien après sa mort par la sîra et les hadiths, mais apporte surtout un éclairage sur la tourmente fondatrice qui impacte l’islam encore quatorze siècles plus tard. ■

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Les derniers jours de Muhammad, par Hela Ouardi, Albin Michel.

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Extraits

n associe souvent la mort du Prophète au problème de la rivalité entre ses successeurs potentiels. Or quand on se penche sur les derniers jours de la vie de l’homme, on s’aperçoit que cette crise se situe à l’échelle de toute l’Arabie où, fait passé curieusement sous silence, Muhammad est confronté à un large mouvement insurrectionnel, voire révolutionnaire, mené par ceux qu’on appelle les « faux prophètes ». Au contraire des Compagnons, uniquement préoccupés par la question de la succession, ces derniers contestent radicalement l’autorité de Muhammad et réfutent le principe même de sa prophétie. La menace politico-religieuse que les faux prophètes font planer sur l’islam sera suffisamment sérieuse pour que la première action du calife Abû Bakr soit de mener des guerres sanglantes contre eux, guerres dites d’« apostasie ». Nous pensons que les sources traditionnelles comme les historiens contemporains ont sous-estimé le rôle déterminant que les faux prophètes ont joué durant la fin de la carrière de Muhammad. Sensiblement diminué par la maladie, Abûl Qâcim, le maître tout-puissant auquel près d’une centaine de tribus arabes sont venues prêter allégeance en l’an 9/630-631 (surnommée « année des délégations »), est devenu l’otage de son lit. Après avoir été considéré comme un paria, Muhammad, doué d’une intelligence politique qui domine de très haut son époque, finit par soumettre une grande partie de l’Arabie. Comme pour mieux asseoir sa domination sur les Arabes, il porte un soin particulier à son image et sait mettre en scène son pouvoir avec magnificence. Le Prophète est un homme séduisant qui charme ceux qui le côtoient. Les ouvrages de la Tradition consacrent souvent un chapitre à la description de sa beauté : il a de grands yeux noirs aux longs cils ; sa peau blanche au teint rosé pousse Ibn Sa‘d à comparer son cou lumineux à un sabre en argent ; quand il affiche son large sourire, son entourage croit voir une pleine lune, dit Wâqidî ; il a une longue et épaisse chevelure noire toujours bien soignée – c’est ‘Aïsha elle-même qui lui lave les cheveux et les coiffe ; habillé de sa tunique rouge qu’il porte les jours de fête et les vendredis, Muhammad subjugue tous les regards ; grand amateur de parfums, il dégage toujours des senteurs raffinées (le musc et l’ambre sont ses préférés) ; l’homme, d’une grande coquetterie, est si soucieux de son hygiène et de sa beauté qu’il voyage toujours avec un peigne, un miroir, du siwâk et du khôl. Les rustres bédouins ne sont pas habitués à tant de sophistication. Muhammad instaure un nouvel ordre politique qu’il parvient à imposer à une grande partie de la Péninsule. Le chef arabe Wazara Ibn Sadûs dit à son propos : « Cet homme veut dominer les Arabes. » Durant la période antéislamique, des chefs de tribus arabes (dont Hâshim, l’arrière-grand-père du Prophète) ont tenté de se regrouper en une sorte de confédération. Mais ces initiatives qui n’étaient motivées que par d’étroites ambitions claniques n’ont jamais abouti à une organisation politique unifiée de type impérial, mais seulement à un agrégat de tribus au pouvoir plus ou moins étendu. Afin de dépasser le caractère instable et éparpillé de la bédouinité, la force seule ne suffisait pas, il fallait un « levier moral », un message mobilisateur. Muhammad, l’inspiré, l’a trouvé : c’est l’islam.

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ans la chambre du Prophète moribond flotte un air d’intrigue. Muhammad, dans l’isolement auquel la maladie le condamne, est au centre d’une manipulation politico-familiale dont sa favorite ‘Aïsha tire les ficelles. Pour la fringante jeune épouse âgée de dix-huit ans, il n’est pas question de laisser la succession de son mari échapper à son père. Au chevet de l’homme malade, la famille du Prophète emploie la tactique de la conquête pacifique. Abû Bakr et ‘Umar, futurs califes, assistés de leurs filles respectives ‘Aïsha et Hafsa, tissent une toile discrète autour de Muhammad. L’institution du califat est très associée aux liens familiaux du Prophète avec ses Compagnons : les quatre premiers califes orthodoxes sont les beaux-pères et les gendres de Muhammad. L’autorité politique en islam est avant tout (toujours ?) une affaire de famille. Une scène rapportée par Ibn Kathîr traduit bien le poids des relations familiales et notamment l’influence des femmes dans ce moment crucial : « Quand l’état de santé du Prophète devient critique, écrit-il, ‘Aïsha fait venir Abû Bakr, Hafsa fait venir ‘Umar et Fâtima fait venir ‘Alî. » Les trois futurs califes (‘Uthmân est curieusement totalement absent durant l’agonie du Prophète) sont mandatés qui par sa fille, qui par sa femme. L’importance du rapport matrimonial avec les gens de la maison perdure même après la mort de Muhammad. C’est ce qui explique que le deuxième calife ‘Umar, « EN CE DÉBUT à un âge très avancé, épouse la petite-fille du Prophète Omm Kulthûm (la fille de DE L’ÉTÉ 632 ‘Alî et Fâtima) qui n’est encore qu’une enfant. Quand il demande sa main à ‘Alî son POURTANT, LE PROPHÈTE-ROI père, ce dernier est surpris et lui fait remarquer qu’elle est trop jeune pour lui ; le deuxième calife lui répond : « J’ai entendu le Prophète dire que toute parenté disEST ÉPUISÉ PAR LA MALADIE paraîtrait le jour du Jugement dernier sauf la sienne, je voulais alors être lié par ET OBSERVE alliance au lignage du Prophète. » Voyant que l’argument n’est pas assez persuasif, LES PREMIERS pour convaincre le père de la mariée, ‘Umar propose la somme faramineuse de SIGNES DE quarante mille dirhams en guise de don nuptial (mahr), lui qui enjoint d’ordinaire L’AFFAIBLISSEMENT à ses coreligionnaires de n’être pas excessifs en la matière ! L’argument financier DE SON IMMENSE est si massif que ‘Alî finit par accepter de donner sa fille au vieil homme. Certains

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TEMPS FORTS

Hela Ouardi, professeure de littérature et de civilisation françaises, a fondé l’Association tunisienne de littérature comparée et de poétique théorique et pratique.

En ce début de l’été 632 pourtant, le Prophète-Roi est épuisé par la maladie et observe les premiers signes de l’affaiblissement de son immense pouvoir. Il constate qu’il n’est plus obéi par ses Compagnons qui auparavant s’agenouillaient devant lui pour implorer sa grâce. Certes, le Prophète a été quelquefois confronté à des actes de désobéissance commis par des bédouins intenables qui sont allés un jour jusqu’à lui voler son manteau, mais à chaque fois qu’il avait affaire à des musulmans turbulents, Muhammad n’avait aucun mal à les remettre à leur place ; quand sur le chemin de Tabûk, des soldats n’ont pas suivi ses ordres et ont bu de l’eau d’un puits avant son arrivée, il les a insultés et traités de tous les noms. Mais cette fois, le Prophète est physiquement diminué et ceux qui lui désobéissent sont ses plus proches Compagnons…


« HAMZA ET MUHAMMAD SONT DONC CONÇUS VERS LA MÊME PÉRIODE ET DEVRAIENT AVOIR QUASIMENT LE MÊME ÂGE, MAIS IL N’EN EST RIEN : MUHAMMAD VIENT AU MONDE DEUX À QUATRE ANS APRÈS SON ONCLE HAMZA, DONC DEUX À QUATRE ANS APRÈS LA MORT DE SON PÈRE. »

récits de la Tradition (aussi bien shiite que sunnite) suggèrent que le mariage entre ‘Umar et Omm Kulthûm a lieu sur fond d’une sordide affaire de viol. Rappelons que celui qui sera le deuxième calife est connu pour sa misogynie ; il a l’habitude de « forcer » les femmes (le viol par ‘Umar de ‘Âtika Bint Zayd est évoqué dans des ouvrages sunnites qui font autorité). Ainsi, tout au long de sa vie (notamment dans la phase médinoise), Abûl Qâcim est au centre d’un véritable tourbillon de passions, de jalousies, d’ambitions et d’épiques scènes de ménage. Afin de mieux comprendre comment les rivalités politiques sont sous-tendues par des passions privées et des rancunes de famille, il est sans doute utile de s’attarder un peu sur l’histoire familiale de Muhammad dont le « roman des origines » est entouré d’un épais mystère. Des informations importantes sur la généalogie de Muhammad figurent dans les plus anciens ouvrages de la Tradition, qui bouleversent la version officielle qui s’est imposée au fil des siècles. Celle-ci affirme que Muhammad n’a pas connu son père, ‘Abd-Allâh, fils de ‘Abd al-Muttalib, mort hors de La Mecque avant la naissance de son unique fils, puis qu’à l’âge de six ans, Muhammad perd sa mère, Âmina Bint Wahb. Orphelin, le petit garçon est élevé par son grand-père paternel, ‘Abd al-Muttalib, membre influent du clan hachémite de la tribu de Quraysh. Mais cette version lisse et aseptisée se trouve ébranlée par de nombreux indices figurant dans les livres de la Tradition qui laissent entendre que Muhammad est né deux à quatre ans après la mort de son père. En effet, les traditionnistes nous disent que Hamza, l’oncle paternel de Muhammad, est plus âgé que son neveu (deux à quatre ans de différence d’âge). Or, le père du Prophète, ‘Abd-Allâh, se marie avec la Zuhrite Âmina le même jour que son propre père, ‘Abd al-Muttalib, épouse une autre Zuhrite prénommée Hela qui lui donne Hamza. ‘Abd-Allâh, le père de Muhammad, meurt à l’âge de vingtcinq ans, quelques mois après son mariage avec Âmina qu’il laisse enceinte du Prophète. Hamza et Muhammad sont donc conçus vers la même période et devraient avoir quasiment le même âge, mais il n’en est rien : Muhammad vient au monde deux à quatre ans après son oncle Hamza, donc deux à quatre ans après la mort de son père.

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uand on s’apprête à enterrer Muhammad, on se trouve confronté à un désaccord sur le lieu de l’enterrement : faut-il l’enterrer dans la mosquée, dans sa chambre ou dans le cimetière du Baqî‘ ? La dispute s’échauffe et Abû Bakr, qui jouit visiblement d’une excellente mémoire, coupe court à la discussion car il se souvient que Muhammad a dit qu’un prophète devait être enterré sur le lieu même de sa mort. Se conformant alors à l’opinion « véridique » d’Abû Bakr, on décide d’enterrer le Prophète dans la chambre de sa femme ‘Aïsha : on lève le lit du Prophète et on creuse un trou dessous.

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Tous les ouvrages de la Tradition, aussi bien sunnite que shiite, sont unanimes pour dire que c’est ‘Alî qui officie durant la toilette mortuaire, assisté de l’ange Gabriel, nous dit-on. D’autres membres de la famille hachémite participent à la tâche : son oncle ‘Abbâs et ses deux fils Qutham et Fadhl (certaines versions évoquent la présence de ‘Aqîl, le frère de ‘Alî), ainsi qu’Oussâma Ibn Zayd et Shoqrân, l’affranchi du Prophète. On nous apprend que la famille du Prophète s’enferme avec la dépouille sans que soient expliquées les raisons réelles de cet isolement : se sont-ils eux-mêmes enfermés ou ont-ils été enfermés ? Dans certaines variantes, on voit ‘Abbâs quitter la chambre mortuaire et s’installer devant la porte car, dit-il, le Prophète aurait été gêné que son oncle le voie la tête découverte (hâsiran). Des hommes du clan des Banû Zuhra (les oncles maternels du Prophète) souhaitent entrer « ON NOUS dans la chambre mortuaire pour participer au cérémonial funèbre. Le choix APPREND QUE tombe sur ‘Abd-al- Rahmân Ibn ‘Awf. LA FAMILLE DU PROPHÈTE D’autres personnes veulent prendre part à la toilette mortuaire comme S’ENFERME l’Ansar Aws Ibn Khawliyy. À travers ce personnage, la Tradition souligne AVEC LA l’attachement des Ansars à Muhammad, qu’ils considèrent comme l’un des DÉPOUILLE SANS leurs ; de par leur lien de parenté (certes lointain) avec lui, ils se présentent QUE SOIENT comme ses oncles (akhwâl) et disent du Prophète qu’il est « le fils de notre EXPLIQUÉES sœur ». LES RAISONS C’est Muhammad lui-même pendant son agonie qui aurait désigné ‘Alî RÉELLES DE CET pour s’occuper de son enterrement. Certaines versions affirment que c’est ISOLEMENT : Abû Bakr qui demande à ‘Alî et ‘Abbâs de se charger de la toilette morSE SONT-ILS tuaire. Abû Bakr, toujours doté d’une excellente mémoire, rappelle encore EUX-MÊMES une fois une parole d’Abûl Qâcim : « J’ai entendu le Prophète dire que ce ENFERMÉS OU sont ses proches parents qui doivent le laver » – ce n’est pas l’unique fois ONT-ILS ÉTÉ qu’Abû Bakr justifie une décision par un dit du Prophète qu’il est visibleENFERMÉS ? » ment le seul à avoir entendu ! La Tradition donne une description détaillée de la toilette mortuaire. Les personnes présentes sont gênées car elles ne savent pas s’il faut dénuder complètement le défunt. Racontant l’épisode à son cousin ‘Abd-Allâh Ibn ‘Abbâs, ‘Alî dit : « Le Prophète a ordonné que je sois le seul à le laver ; il m’a prévenu que celui qui verrait son sexe serait aveuglé. » Selon une autre version qui verse dans le merveilleux, alors que les cousins du Prophète se demandent s’il faut garder les vêtements du défunt ou les enlever, Dieu fait tomber sur eux un lourd sommeil (écho à l’assoupissement survenu lors des batailles de Badr et d’Uhud) et une voix inconnue venant du fond de la maison ordonne : « Lavez l’Envoyé d’Allâh sans enlever ses vêtements. » Le sommeil qui s’empare de la famille du Prophète expliquerait aussi qu’ils ne s’aperçoivent pas du « coup d’État » qui a lieu au même moment à la saqîfa des Banû Sâ‘ida ! ■

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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O RG A N I S A T I O N

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Cap sur la jeunesse!

LUDIOVIC/RÉA

Intégrer la nouvelle génération : un défi pour la croissance, le développement et la stabilité.

RÉALISATION BAUDELAIRE MIEU AFRIQUE MAGAZINE

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Un rêve pour tous, un projet pour chacun Priorité du second mandat d’Alassane Ouattara, l’insertion des jeunes dans la vie active fait l’objet d’une série de mesures phares qui devraient bénéficier à 600 000 d’entre eux d’ici à 2020.

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JOAN BARDELETTI/PICTURETANK

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près un premier quinquennat consacré aux infrastructures, à la relance de l’économie et à la consolidation de la paix, le second mandat du président Alassane Ouattara a mis le cap sur la jeunesse. Et les défis sont de taille. Depuis Félix Houphouët-Boigny, tous les chefs d’État qui se sont succédé à la tête de la Côte d’Ivoire ont eu la volonté de prendre en main les questions liées à la jeunesse, mais avec des succès parfois mitigés. Notamment en ce qui concerne l’alphabétisation : ainsi, d’après le recensement de 2014, 56,1 % de la population âgée de 15 ans et plus ne sait ni lire ni écrire.Mais qu’est-ce qu’un « jeune » ? Selon le Bureau international du travail (BIT), entre dans cette catégorie toute personne ayant entre 15 et 35 ans. La Côte d’Ivoire, elle, semble vouloir faire figure d’exception puisqu’elle étend cette norme jusqu’à… 45 ans. Anomalie ? Non : la société ivoirienne étant culturellement marquée par le respect de l’âge, l’État a souhaité faire bénéficier les 35-45 ans des dispositifs prévus pour leurs cadets. C’est ce qui explique que, par exemple, les partis politiques cooptent des quadragénaires à la tête de mouvements ou groupements de jeunesse. Les statistiques démographiques sont ainsi tout aussi parlantes : sur une population estimée

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Vive l’esprit d’entreprise ! Ces deux cadres, du quartier du Plateau, à Abidjan, illustrent la nouvelle dynamique qui anime le pays.

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de l’entrepreneuriat, a été notamment conçue pour améliorer l’accès à la vie active des jeunes diplômés dont les profils ne correspondent pas aux besoins du marché.

Le budget jeunesse de l’État s’élève à 58 milliards de francs CFA (88,4 millions d’euros) et devrait s’appliquer à 120 000 jeunes par an.

DES PROJETS AUX PROFILS PERSONNALISÉS

Une concrétisation récente des projets de l’État, la plate-forme mise en place en 2015 (emploijeunes.ci). à 23 millions de personnes, 77,3 % ont moins de 35 ans ; et ce taux dépasse les 80 % dès lors que l’on y intègre les quadras. Analphabétisme, difficultés à trouver un emploi stable, précarité : un cercle vicieux qui peut conduire les plus vulnérables sur le chemin du désœuvrement et dont peuvent profiter des individus ou mouvements malintentionnés. La jeunesse est donc un enjeu national, tant sur le plan de la croissance économique, du développement que sur celui de la stabilité politique et sociale. Le président Ouattara et le gouvernement ivoirien ont mis en œuvre plusieurs programmes avec, parfois, l’appui de bailleurs de fonds.

UN PASSEPORT POUR L’EMPLOI En 2015, a ainsi été créée l’Agence Emploi Jeunes dans le but de fédérer toutes les politiques d’emploi et de réinsertion. Le gouvernement a également lancé l’opération « Agir pour les jeunes », qui dispose d’un budget de 4,1 milliards de francs CFA (6,2 millions d’euros) et ayant pour vocation de financer plus de 11 000 projets. Enfin, l’initiative « Une formation, mon passeport pour l’emploi », dans le domaine 112

De son côté, la France a mis en place un fonds global de 21 milliards de francs CFA (32 millions d’euros) par le biais du contrat de désendettement et de développement (C2D). La Banque mondiale, quant à elle, développe avec le gouvernement le Projet d’emploi jeune et développement des compétences (Pejedec), destiné à favoriser l’accès à des stages et emplois et l’acquisition de compétences professionnelles par des jeunes de 18 à 30 ans. « Le Pejedec fait partie de la multitude de chantiers engagés par le président de la République pour faire face aux problèmes de chômage et de sous-emploi des jeunes de notre pays », explique Moussa Dosso, le ministre de l’Emploi et de la Protection sociale. L’enveloppe budgétaire du Pejedec s’élève à 25 milliards de francs CFA (38 millions d’euros) et concerne une population de 30 000 jeunes. Au total, le budget jeunesse de l’État s’élève à 58 milliards de francs CFA (88,4 millions d’euros) et devrait s’appliquer à 120 000 jeunes par an. L’objectif est d’en insérer 600 000 à l’horizon 2020 dans des emplois durables du secteur formel. « Nous définissons les projets en fonction des profils et des situations. Personne ne sera exclu », confie Sidi Touré, le ministre de la Promotion de la jeunesse. Enfin, pièce maîtresse du dispositif, le président Ouattara, conscient des difficultés de scolarisation des plus jeunes, a instauré la gratuité scolaire pour les enfants âgés de 6 à 16 ans. Ce programme est financé à hauteur de 700 milliards de francs CFA (1 milliard d’euros) sur cinq ans dont un pan sera consacré au recrutement de 5 000 instituteurs et des agents de formation. ■ B.M. AFRIQUE MAGAZINE

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VINCENT KOWALSKI

L’école est désormais gratuite jusqu’à 16 ans, une mesure pour lutter contre les difficultés de scolarisation des plus humbles.

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SIDI TIÉMOKO TOURÉ Ministre de Promotion de la jeunesse, de l’Emploi des jeunes et du Service civique

«Il faut faire de nos jeunes des entrepreneurs!» L’EX-CHEF DE CABINET du président, en fonction depuis la mi-mai, est engagé depuis plus de vingt ans auprès des jeunes, d’abord au Rassemblement des républicains (RDR) puis dans différents mouvements. Il est l’auteur d’Alassane Ouattara et les jeunes : le temps des possibles (2010).

AM : La jeunesse ivoirienne, qui a souffert de la désorganisation du pays du fait de la récente crise, a le sentiment d’être laissée pour compte. Le gouvernement a-t-il des réponses concrètes à lui apporter ? Sidi Touré : Oui, le chef de l’État a rappelé qu’il souhaitait apporter une réponse globale à tous les problèmes de la jeunesse, notamment en matière d’emploi, qui constitue la priorité et le cœur du Programme national de développement (PND) pour la période 2016-2020. Et le gouvernement fera en sorte que les jeunes bénéficient de toutes les opportunités qui s’offriront à eux. Nous avons ainsi développé une série d’initiatives telles que le programme « Agir pour les jeunes » (financement de projets) : plus de 12 000 personnes en ont bénéficié entre juillet et novembre 2015. Comprenez-vous ceux qui définissent la génération actuelle comme « désœuvrée » ? Je ne souscris pas à cette expression. Les jeunes ivoiriens ont soif d’entreprendre. Malheureusement, par le passé, cette ambition a souvent été insatisfaite. Nous essayons donc, désormais, d’apporter des réponses à cette attente. Concrètement,

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cela se traduit, par exemple, par des formations complémentaires qualifiantes, à destination notamment de ceux qui n’avaient pas de possibilités d’insertion dans le monde professionnel. Ainsi, 800 jeunes en ont bénéficié en 2015, et près de 2 000 seront concernés cette année. Nous avons aussi mis en place des formations afin d’améliorer leurs compétences et leur employabilité : là aussi, ce sont 14 500 personnes qui en ont déjà profité. Et cet effort sera poursuivi.

à des fins de cooptation. Autre volet qui nous semble fondamental : la protection des jeunes. À cet effet, nous mettons en œuvre régulièrement des campagnes de sensibilisation visant à combattre le « désœuvrement », de manière à répondre – et nous les comprenons – à leurs attentes.

Vous avez fait le constat que le système éducatif classique ne formait pas à l’entrepreneuriat, une nouvelle voie que vous semblez désormais privilégier… L’un des premiers De quelle manière ? messages que nous Y a-t-il des mesures avons essayé de palpables ? « Aller à transmettre consistait Nous devrions l’école afin à faire comprendre bientôt instaurer d’intégrer plus à la nouvelle le Conseil national génération que tard la fonction de la jeunesse, l’emploi salarié n’est qui permettra aux publique ne plus forcément gage intéressés d’avoir doit pas être d’avenir. Aller à un interlocuteur une fin en soi. » l’école afin d’intégrer unique au niveau plus tard la fonction national. Un publique ne doit pas être une répertoire des compétences se fin en soi. Nous recommandons trouve actuellement sur la table du vivement l’auto-emploi, c’est-àgouvernement, un dispositif qui dire l’entrepreneuriat. Mais cet permettra aux postulants d’être état d’esprit mérite un travail en valorisés au travers de profils amont. Ainsi, un schéma de réforme pertinents. Ceux-ci du système emploi-éducation est seront mis à disposition dde l’État, à l’étude, de sorte que les profils des décideurs et chefs d’entreprise

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CÉLESTIN DIOMANDE/VISUAL PRESS AGENCY

national, afin de remettre au goût du jour le civisme dans le cœur des Ivoiriens. Nous travaillons aussi, en termes de communication, à diffuser l’image de jeunes porteurs d’espoir avec un objectif de réussite à l’horizon 2020. Cette campagne sur le « jeune Ivoirien nouveau », qui va prochainement être effective, doit servir de référence. En résumé : une réelle volonté et beaucoup projets que nous devons mener les uns après les autres.

production jusqu’à la transformation et formations futures puissent correspondre aux attentes du marché locale des principales matières premières nationales : cacao, café, du travail. Toutes les initiatives noix de cajou… Ces idées font leur concourent, à terme, à faire de chemin et nous commençons à les nos jeunes des entrepreneurs, mettre en pratique c’est pourquoi le avec différents gouvernement alloue partenaires. des ressources afin « L’une de nos que ces projets se missions est Existe-il d’autres concrétisent. de protéger initiatives, par nos enfants exemple en matière Y a t-il des secteurs de moralité et de qui sont plus des fléaux civisme ? particulièrement de la société Notre société encouragés ? moderne. » moderne est La majorité des traversée par emplois qui sont créés beaucoup de fléaux dont, en en Côte d’Ivoire proviennent du première ligne, la drogue domaine agricole. Il y a là un très et la prostitution, et les adolescents fort potentiel de développement. en sont les premières victimes. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un L’une des missions de notre ministère retour ancestral à la terre. Les jeunes est donc d’assurer leur protection. doivent devenir des businessmen Cela passe, par exemple, par le salut de ce secteur en intégrant une aux couleurs mis en place au niveau chaîne de valeur qui irait de la

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Comment, durant ce temps, prévenir la tentation du radicalisme et de l’extrémisme ? C’est un difficile combat et nous aurons besoin de tous les acteurs de la société civile. Nous allons nous appuyer sur des personnalités religieuses afin de nous aider à identifier les cas critiques. L’objectif est de les éloigner de ces tentations dans un cadre civique. D’autres exemples – en prenant comme modèles celles et ceux qui sont récompensés par le chef de l’État, chaque année, pour leur niveau d’excellence – peuvent également être pertinents. Nous avons la conviction qu’un jeune, lorsqu’il a une occupation et un espoir de perspectives, ne se laisse pas entraîner sur les chemins hasardeux de la radicalisation. C’est pour cette raison que nous mettons autant d’énergie à trouver des réponses. Nous sommes en première ligne et les jeunes doivent nous faire confiance. ■ Propos recueillis par B.M.

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ÉDUCATION

Le long chemin de la

Avec le système LMD, l’Éducation nationale ambitionne de s’aligner sur les standards internationaux pour que les diplômes ivoiriens soient reconnus à l’étranger. 116

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n 2012, un an après l’accession du président Alassane Ouattara au pouvoir, le gouvernement a instauré la grande réforme licencemaster-doctorat (LMD) dans le système universitaire public. Objectif : se rapprocher tant bien que mal des standards internationaux. Inspiré du modèle anglo-saxon « Bachelor-MasterPhD », le LMD est la réponse européenne d’harmonisation des systèmes éducatifs, afin de permettre les équivalences des diplômes et de faciliter la mobilité des étudiants au niveau international. « Le but était la reconnaissance des diplômes délivrés par les établissements ivoiriens dans le monde

entier », explique un universitaire qui a travaillé sur l’implémentation de ce système. L’ambition affichée dépassait le stade de la réforme purement académique, et englobait l’administration, la finance, la scolarité, le calendrier universitaire, l’enseignement, l’apprentissage, l’évaluation et la recherche. Avec comme finalité de pouvoir proposer aux enseignants et aux étudiants des moyens logistiques et techniques afin qu’ils s’épanouissent dans un cadre optimal. Un ambitieux programme… Le gouvernement a d’abord lancé un vaste chantier de rénovation et de réhabilitation des universités publiques, à commencer par le campus de l’université Félix-Houphouët-Boigny (UFHB) de AFRIQUE MAGAZINE

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NABIL ZORKOT/PROFOTO - CAMILLE MILLERAND

réforme universitaire

Cocody qui, à lui seul, accueille plus de 50 000 étudiants. Le montant des investissements était estimé à 153 milliards de francs CFA (233,2 millions d’euros) avec, en ligne de mire, l’indispensable rénovation voire la construction d’infrastructures (amphithéâtres, salles de travaux dirigés, bibliothèques, résidences universitaires…). La professeure Ly Ramata, présidente de l’UFHB, avait élaboré un plan stratégique 2014-2018 comportant six axes majeurs : environnement de travail et cadre de vie ; renforcement de la gouvernance ; formation ; insertion professionnelle ; recherche ; accroissement des ressources financières. Le système LMD a été mis en place dès la réouverture des établissements AFRIQUE MAGAZINE

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L’université FélixHouphouët-Boigny (UFHB) d’Abidjan, la plus grande du pays, accueille environ 50 000 étudiants.

Avant tout, rénover et réhabiliter les infrastructures publiques, pour offrir à toutes et à tous des conditions d’études décentes. 117


Rehausser le niveau des étudiants ivoiriens aux normes internationales, tel est le credo du président Alassane Ouattara.

Le nouveau système permet une meilleure adéquation entre la formation académique et l’emploi.

universitaires publics en septembre 2012. « L’émergence prônée par le chef de l’État ne sera pas qu’économique, mais dépendra aussi de la capacité de la Côte d’Ivoire à moderniser son enseignement supérieur et sa recherche scientifique pour parvenir à s’insérer dans le contexte international de la mondialisation », explique le professeur Justin Koffi, de l’université de Cocody. UNE MISE EN ŒUVRE CHAOTIQUE L’ancien système des unités de valeur tant redouté par les étudiants a été remplacé par des unités d’enseignement, et l’instauration de six semestres pour valider la licence, quatre pour le master et quatre supplémentaires pour le doctorat. Cette nouvelle organisation donne aux

LY RAMATA EN PACIFICATRICE

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y Ramata-Bakayoko, présidente de l’université de Cocody, a été promue en janvier dernier ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Elle qui avait piloté la mise en œuvre du système LMD est aujourd’hui consciente des difficultés. Pour Ly Ramata, la priorité demeure la pacification et le retour de la paix sur les campus ivoiriens où la contestation a ressurgi récemment, à l’instigation des syndicats d’étudiants qui réclament de meilleures conditions d’études. La ministre espère ainsi, une fois la sérénité retrouvée, de pouvoir conduire le LMD sur la voie du succès espéré. ■ B.M.

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étudiants la possibilité de suivre des cursus dans des universités étrangères grâce au développement de compétences et aptitudes telles que la communication, les langues et la capacité à exploiter ses connaissances, à résoudre des problèmes, à travailler en équipe, à s’insérer dans la société. Son principal avantage est la professionnalisation, qui permet une adéquation entre la formation académique et l’emploi, contrairement à l’ancien système. Mais trois ans après la démarrage de la réforme, de nombreuses difficultés perdurent, engendrant des grèves à répétition, tant chez le personnel enseignant que chez les étudiants. « Nous avons adopté le LMD avec trop de précipitation », explique Innocent, étudiant de l’université de Cocody. Le système de l’enseignement supérieur revient de loin mais les difficultés matérielles sont encore handicapantes. Les conditions d’enseignement sont difficiles en raison des effectifs nombreux dans les amphis. Malgré les efforts financiers du gouvernement, ces derniers tout comme les salles de cours sont en nombre insuffisant. L’informatisation des universités est particulièment faible. Pour le gouvernement, il s’agit donc de passer à une seconde étape axée sur le qualitatif et les moyens humains. ■ B.M. AFRIQUE MAGAZINE

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ISSOUF SANOGO/AFP PHOTO

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PORTRAITS

Elles font bouger le pays Elles ont une trentaine d’années, sont indépendantes et actives. Toutes ont la même particularité : elles incarnent le leadership et l’entrepreneuriat féminin d’aujourd’hui. par Audrey Lebel

Laure Blédou

Le dynamisme comme religion

CORENTIN FOHLEN/DIVERGENCE

LAURE BLÉDOU, 35 ANS, francoivoirienne installée avec son mari et leur fille à Abidjan depuis 2013, est l’une des fondatrices de TEDx Côte d’Ivoire. « Afro-optimiste-féministe fière et convaincue », elle consacre bénévolement son temps libre à « dénicher des pépites ivoiriennes et plus largement africaines », notamment parmi des entrepreneurs rencontrés lors des premières conférences TEDx

organisées à Abidjan en 2014. Elle travaille actuellement à l’organisation du prochain TedX Bassam. N’y voyez pas de quelconque lien avec les attentats de mars dernier : Grand-Bassam est avant tout connu en Côte d’Ivoire pour sa célèbre marche des femmes de 1949. Pour protester contre l’emprisonnement de leur époux prisonnier politique et obtenir leur libération, une poignée d’Abidjanaises s’étaient soulevées contre le colonisateur français et avaient manifesté sur l’actuel pont de la Victoire. Elles l’ont payé de leur vie. C’est pour leur rendre hommage que

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Laure y organise un TedX 100 % féminin. Et aussi, explique-t-elle avec un sourire, parce que « les femmes ont souvent tendance à se sous-estimer. Je contribue à ma façon, avec ce féminisme opérationnel, à faire évoluer les choses ». Un engagement bénévole dont le but est de « faire rayonner le pays et de donner à voir une Afrique dont on n’entend jamais parler : débrouillarde, dynamique, pleine de ressources ». Autant d’adjectifs caractéristiques de cette jeune femme qui, auparavant à Paris, en parallèle de ses études, a été tour à tour surveillante dans les écoles, animatrice de quartier, formatrice de journalistes africains au sein d’un organisme pour lequel elle est partie à Kinshasa. Laure a aussi été consultante pour la création de la chaîne VoxAfrica, toujours avec cette « volonté de transmission et cette même ambition panafricaine ». Rien d’étonnant à ce qu’elle soit aujourd’hui à la tête de Bayard Presse Édition Afrique, en charge du développement de deux magazines pour enfants, Planète Enfants et Planète J’aime Lire. « Ce qui me stimule dans ce poste, c’est l’entrepreneuriat : la chance de pouvoir créer quelque chose de nouveau ici, à Abidjan, et de donner à la jeunesse ivoirienne la possibilité d’apprendre à lire avec des récits appartenant à notre culture. » Une histoire qui devrait avoir une jolie suite… 119


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qu’elle et ses trois comparses de départ se partagent. « Quand on présentait le projet aux banques, personne ne voulait nous recevoir. Tous les jours, pendant trois mois, j’essayais de rencontrer le directeur. Tous les jours il m’évitait, je ne le croisais jamais. Jusqu’à ce que je me rende compte que son bureau disposait de deux portes. Je l’ai attendu à celle d’où il partait discrètement. Il était fâché quand il m’a vu. Il m’a dit : “Je n’ai que cinq minutes à vous accorder.” Finalement, on est restés quarante-cinq minutes et il m’a invitée à entrer dans son bureau. » Quelques mois plus tard, c’est aussi par la débrouille qu’elle obtient le prêt qui lui permet de dynamiser son entreprise, le début de la véritable aventure. D’où tient-elle son acharnement sans faille ? « Grâce à ma mère, qui était issue du monde rural. C’est elle qui m’a fait réaliser que toute femme est une entrepreneure dans l’âme qui s’ignore. Elle et toutes les femmes de la campagne. Je suis tellement épatée par tant de courage, elles m’inspirent tous les jours. »

Amie Kouamé Patricia Zoundi

Femme des villes et des champs À 40 ANS, Patricia Zoundi a obtenu en 2014 le Prix national d’excellence de Côte d’Ivoire, catégorie « entrepreneuriat jeune ». Parmi près de 500 concurrents. Grâce à Quickcash, la société de transfert d’argent qu’elle a fondée en 2010 et qui embauche aujourd’hui quarantecinq salariés. L’idée ? Permettre aux zones rurales d’envoyer et de recevoir rapidement de l’argent. « Pour moi, c’est une démarche communautaire, c’est ma façon de contribuer à l’émergence d’un monde 120

rural prospère et actif. » Elle dispose de 800 points de vente nationaux et peut se vanter d’un chiffre d’affaires de 400 millions de francs CFA. Pour en arriver là, Patricia, a « rusé, utilisé le système D, et fait beaucoup de sacrifices. On mangeait de manière saisonnière à la maison. Quand c’était la saison de la banane, c’était banane à chaque repas, quand c’était celle de la patate, c’était patate à chaque repas. Je m’étais coupé les cheveux pour ne pas aller chez le coiffeur. Tout l’argent que j’avais, je voulais l’injecter dans mon business ». Au lancement de son affaire, Patricia investit dans un ordinateur d’occasion, une table, une chaise et un téléphone portable

« J’AI TOUJOURS été la fille à côté de la plaque », assure Amie Kouamé, 31 ans. Pourtant, ce n’est pas la sensation qu’elle donne lorsqu’on la rencontre : celle d’une personne résolument branchée, ambitieuse, connectée. À tel point que durant l’interview, elle a du mal à lâcher son téléphone portable. « Je peux le prendre quand même avec moi ? » Installée à Abidjan, Amie est digital manager à A+, la chaîne africaine de Canal+ lancée en 2014. Quand elle a été approchée pour ce poste, elle n’a pas hésité une seconde. « Depuis la crise de 2010, je ne regardais plus la RTI, la télévision nationale, qui était pour moi un outil de langue de bois.

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CORENTIN FOHLEN/DIVERGENCE

Branchée sur le monde


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Enfin on nous proposait des contenus innovants et tournés vers le continent ! J’étais très excitée en commençant à A+, j’avais besoin d’être utile, d’être une ambassadrice de mon pays, de le valoriser. » Parce qu’Amie est « une femme dynamique, rebelle, anticonformiste, impertinente », selon ses propres mots, elle a aussi créé avec son amie d’enfance Édith Brou (lire page suivante), en 2011, le premier média « de la femme africaine et urbaine », Ayanawebzine. « J’étais frustrée de ne pas me retrouver dans les articles des magazines féminins occidentaux, où on voyait toujours les mêmes visages blancs. Avec Édith, on souhaitait que ce soit le magazine de la femme africaine et pas seulement de la femme ivoirienne, parce qu’on tenait à ce que la diaspora se sente aussi concernée. Pour nous, Internet était l’outil le moins cher, le plus simple, celui qui permettait au monde entier d’être relié. » Sept contributrices AFRIQUE MAGAZINE

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alimentent aujourd’hui le site, dont la page Facebook comptabilise près de 20 000 likes. Et Amie ne s’arrête pas là. Elle qui se présente comme une « militante de l’entrepreneuriat au féminin » est aussi l’initiatrice du Forum superwoman d’Abidjan, un événement lancé le 8 mars 2012 qui, chaque année, permet de « regrouper les entrepreneuses ivoiriennes inspirantes et de les mettre en contact ». Ses inspiratrices à elle ? « L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, Michelle Obama et, surtout, Beyoncé ! » Tendance, on vous dit !

Mariam Diaby

La pasionaria de l’identité authentique AUTOMNE 2011. Alors qu’elle rentre de Paris où elle vient de terminer ses études, Mariam Diaby, 33 ans,

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crée un groupe sur Facebook : les « Nappys de Babi ». Sa motivation ? Partager son expérience de « nappy » (néologisme formé de la contraction de « naturel » et de « happy »). C’est qu’elle a dû mal à trouver des conseils pour prendre soin de ses cheveux crépus. Grâce au réseau social, l’idée est donc de s’échanger bons plans et astuces pour s’occuper de sa chevelure de façon naturelle et à moindre coût. « Au départ, c’était vraiment un petit groupe d’amies, on était trois ou quatre… » Aujourd’hui, ce sont près de 16 000 nappys, « au profil différent, des étudiantes, 121


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Édith Brou

Geek jusqu’au bout des ongles C‘EST UNE FEMME overbookée. À 32 ans, celle qui se rêve en « la prochaine Sheryl Sandberg* africaine » n’a pas une minute à elle. Dans les locaux de l’antenne ivoirienne de Vibe Radio, tout juste lancée fin 2015, Édith termine l’enregistrement d’une émission avant de nous accorder un peu de son temps. « Je suis désolée, je suis très en retard. » Une heure… On lui en tiendrait difficilement rigueur, elle qui est l’une des personnalités influentes de Côte d’Ivoire avec ses 58 000 followers sur Twitter. Cocréatrice du site Internet Ayanawebzine avec son amie Amie Kouamé (pages précédentes), Édith est la « geekette » par excellence. Elle est d’ailleurs la présidente de l’Association des blogueurs de Côte d’Ivoire. « Internet libère les barrières, c’est la raison pour laquelle ça me passionne. » Elle lance son premier blog en 2009, crée en 2010 avec son ami Jean-Patrick Ehouman (un autre blogueur et entrepreneur influent ivoirien) l’ONG Akendewa, « tournée vers l’entrepreneuriat et la jeunesse ».

Ensemble, ils montent le « premier bar cam de Côte d’Ivoire, une sorte de rencontre virtuelle où les geeks se retrouvent sur Internet », soutenu dès la 2e édition par Google Afrique. Elle est aussi l’initiatrice de la campagne « Mousser contre Ebola » en août 2014. « On considère qu’Internet peut aider à résorber le chômage dans les pays africains et principalement en Côte d’Ivoire. » C’est ce qui explique qu’aujourd’hui elle est digital manager au sein de People Input CI, l’une des plus grandes agences digitales du continent africain. Son mot d’ordre ? « L’empowerment féminin. Souvent on dit que les nouvelles technologies sont trop compliquées pour les femmes, que ce n’est pas pour elles. Elles sont confrontées à tant de sexisme. Pour moi, le pari était donc de montrer qu’il existe des femmes qui écrivent sur Internet ! », s’enthousiasme Édith, qui a longtemps évolué dans ce milieu de geek très masculin et qui n’hésite pas à se revendiquer féministe. * Directrice des opérations (COO) de Facebook, cette Américaine est dans le top 10 des femmes les plus puissantes du monde du magazine Forbes. ■

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des femmes de la classe moyenne ou aisée, de 50 ans ou plus », qui d’Afrique, d’Europe, d’Amérique, « et même d’Asie », font partie de la communauté. À Abidjan, Mariam est l’emblème de cette tendance au retour à la coiffure afro. Pour elle, « il ne s’agit pas de revendication politique. Je ne suis pas dans la mouvance des Black Panthers. Je milite seulement pour plus de visibilité des cheveux crépus car la vision que les gens en ont est toujours péjorative. Selon eux, ce n’est pas beau, c’est sale, ça ne fait pas professionnel ». À tel point que « dans beaucoup d’écoles en Côte d’Ivoire, il est interdit d’avoir les cheveux crépus. Alors que c’est notre identité, on doit en être fiers » ! Message entendu ? « Il y a encore cinq ans, sur les panneaux publicitaires, on ne voyait jamais de femmes avec des coupes afro, explique Mariam. Le modèle référent, c’était des femmes à la peau claire avec les cheveux lisses. Les choses changent. » Une petite victoire pour elle qui entend bien réaffirmer l’identité africaine et convaincre les Ivoiriennes de cesser d’utiliser des produits nocifs pour coller aux modèles occidentaux. « Les produits industriels défrisants entraînent des problèmes capillaires, des alopécies, voire des cancers. Ce n’est pas le cas du beurre de karité, de l’huile de coco, du savon noir. » Parce qu’elle a à cœur d’agir dans son pays – « il n’y a pas mieux placé que les Africains pour diriger l’Afrique », affirme-t-elle – , elle travaille aujourd’hui au lancement du premier réseau national de salons capillaires naturels. Objectifs ? Créer des emplois, former localement, puis à terme lancer une gamme de produits. Ouverture du premier centre à Abidjan prévue fin 2016.


DÉCOUVERTE CÔTE D’IVOIRE

PORTRAITS

Les « jeunes » hommes du président Ils ont des sensibilités et parcours différents. Mais ces cinq mousquetaires ont pour ambition commune d’être acteurs du nouvel élan de leur pays. par Audrey Lebel

Mamadou Touré, conseiller chargé de la jeunesse à la présidence

Le boulimique de responsabilités

DR

DANS LES ANNÉES 2000, un certain Mamadou Touré, figure de la Coalition pour le changement (CPC), militait avec ses camarades pour obtenir des mesures de sécurité suffisantes pour protéger population p o ége la popu o ou réclamait é à Laurent Gbagbo des élections. « Je suis

un fervent Alassaniste et je l’assume auprès des jeunes », confie aujourd’hui et sans détour le même Mamadou Touré. Conseiller chargé de la jeunesse à la présidence depuis 2011, il ne se cantonne pas à des fonctions purement politiques. Diplômé en affaires internationales et en diplomatie, l’homme a plusieurs cordes à son arc. En plus d’avoir l’oreille du président Ouattara, le conseiller organise les assises annuelles de la jeunesse, tribune de rencontre entre les pouvoirs, pou o s, le secteur privé et les jeunes, pour déba débattre des problématiques importantes important de la société telles que la citoyenneté, l’employabilité et citoyenn le civisme. Au vu de son insatiable énergie, le chef de l’État l’a coopté comme so son représentant dans plusieurs cconseils et groupes de travail. Mamadou Touré a aussi été membre membr du comité de pilotage de la campagne en vue de la cam candidature de la Côte d’Ivoire candida pour ll’organisation des Jeux de francophonie. Et depuis le la fr mois de janvier, il préside le mo think thank Afrikamaono, th constitué d’anciens étudiants co de Sciences Po Paris, dont d l’objectif est d’élaborer l’o des stratégies et de déployer de des actions qui permettront continent de devenir leader. au con

Zié Daouda Coulibaly, chef de cabinet à l’Inspection générale de l’État

L’allié fidèle ENSEIGNANT certifié de lycée, Zié Daouda Coulibaly a délaissé les cours magistraux pour faire ses classes au sein du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI), l’école de formation politique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), allié du Rassemblement des Républicains (RDR, au pouvoir). À 45 ans, ce jeune « au sens ivoirien du terme » est le délégué départemental du PDCI d’Ouangolodogou, sa ville natale. Autant dire qu’il n’est pas un inconnu du microcosme politique ivoirien. Notamment parce qu’il fut de tous les combats d’Henri Konan Bédié, de sa prise de pouvoir à son exil en 2000. Et tandis que nombre de ses camarades rejoignaient le RDR d’Alassane Ouattara, lui préférait rester fidèle à sa formation d’origine. Ce qui ne l’a pas empêché d’enchaîner les postes de conseiller de plusieurs ministres à partir de 2003. Il s’est ensuite engagé aux côtés d’Alassane Ouattara au cours de la campagne présidentielle de 2010, puis en 2015, où il a l’un de ceux à l’origine 123


DÉCOUVERTE CÔTE D’IVOIRE

Alphonse Soro, député RDR de Karakoro

Le mobilisateur ÂGÉ DE 35 ANS, Alphonse Soro, député de la petite bourgade de Karakoro, près de Korhogo (Nord), est un homme hyperactif. Secrétaire national chargé de la jeunesse au Rassemblement des Républicains (RDR), il tente de mobiliser les jeunes autour du chef de l’État. Soucieux de la problématique de l’emploi, ce diplômé d’un master en management et administration des entreprises à l’Institut des hautes études commerciales d’Abidjan a lancé en 2014

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il est assurément l’homme de la situation, notamment grâce à une riche expérience dans l’économie digitale et dans la gouvernance numérique de l’État (www.egouv.ci). Régulièrement sollicité tant en Côte d’Ivoire qu’à l’étranger pour son expertise sur les mutations du secteur, il est aussi depuis août dernier le secrétaire national adjoint du RDR, en charge de l’économie numérique.

une grande caravane à travers le pays pour sensibiliser les jeunes sur les opportunités d’emploi et les initiatives. En 2015, le chef de l’État lui offre une bourse pour le cycle international de l’École nationale d’administration (ENA) de Paris en vue d’une formation sur la gestion des finances publiques. À son retour en juillet, il prendra une part active à la campagne présidentielle pour la réélection du président. Aujourd’hui, sa priorité est de travailler à la réconciliation véritable des jeunes de Côte d’Ivoire, quelle que soit leur obédience politique, persuadé qu’il est que l’une des clés de l’émergence tant prônée par Alassane Ouattara est la paix entre les jeunes.

Édouard Fonh-Gbei, directeur général du CNTIG

Le « Géo Trouvetou d’Ouattara »

Isaac Gnamba-Yao, directeur général adjoint de La Poste

Le réformateur 2.0 NATIF D’AGBOVILLE, dans la région Sud, réputée pour être le bastion Su électoral du Front populaire Ivoirien éle (FPI), Issac Gnamba, directeur (FP général adjoint de la Poste de Côte gén d’Ivoire, compte de nombreux d’I amis au RDR. Depuis mars 2012, am sa mission principale consiste à ttransformer l’établissement public en une entreprise performante pu qui s’adapterait aux nouveaux qu usages des technologies de usa l’information et de la communication l’in (TIC). Pour cette grande réforme, (T portée au niveau national par po Bruno Koné, ministre de l’Économie Bru numérique et de la Poste, nu Gnamba bénéficie de l’appui Gn du directeur général, Mamadou Konaté, et du président du conseil Ko d’administration Denis Kah Zion. d’a Au vu de son expérience dans les multinationales dédiées aux TIC,

SURDOUÉ ? Édouard Fonh-Gbei l’est sans conteste, lui qui fait partie de ces technocrates recrutés par appel à candidatures pour participer au nouveau départ amorcé par Alassane Ouattara. Directeur général du Centre national de télédétection et d’information géographique (CNTIG) depuis plus de quatre ans, sa mission principale est de mettre en réseau tout le territoire à travers un maillage numérique efficace. Le CNTIG est un organisme sous tutelle de la présidence qui favorise l’innovation et le développement technologique. Édouard Fonh-Gbei, ingénieur en géodésie et systèmes informatiques, est aussi titulaire d’un doctorat en génie géomatique et a fait une formation en génie informatique au Canada. Ses sujets d’études ont porté sur l’intelligence artificielle, les systèmes multi-agents et la cartographie mobile dans des entreprises comme Duke Energy ou Universal Pegasus International à Houston (États-Unis). ■

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de l’appel de Daoukro (ville natale d’Henri Konan Dédié) qui prônait une nouvelle candidature du chef de l’État. Zié Daouda entretient une telle relation avec le couple Bédié qu’il est le bienvenu, à tout moment, à sa résidence. Ce père de deux enfants est depuis 2011 chef de cabinet à l’Inspection générale de l’État, une institution sous tutelle de la présidence.


L’Afrique vous Azalaï Hôtel Marhaba La clé de vos voyages en Mauritanie

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itué en plein centre-ville, Azalaï Hôtel Marhaba est un hôtel 4 étoiles à proximité du quartier des affaires et à 5 minutes de l’Aéroport International de Nouakchott en Mauritanie.

Outre ses chambres et suites raffinées entièrement équipées, l’hôtel dispose d’un bar ouvert à la clientèle résidente ou extérieure, d’une salle de conférences spacieuse, un restaurant gastronomique avec une carte complète, une piscine et une salle de fitness équipées. Le service, irréprochable, vous séduira par sa discrétion et son efficacité.

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MADE IN AFRICA ET AUSSI événement Rétrospective Giacometti à Rabat p. 130 rencontres d’Arles L’Afrique sans clichés p. 131 mode L’été blanc-bleu d’Anissa Meddeb p. 132 hôtel The Norfolk, au cœur de Nairobi p. 135 126

La très chic Victoria Island vue d’Ikoyi, quartier résidentiel autrefois havre de paix des Britanniques.

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destination

LAGOS, « NEW YORK » DE L’AFRIQUE

par Michael Ayorinde

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ituel immuable. En atterrissant à Lagos, le voyageur coutumier sait qu’il est préférable de patienter dans le hall de l’aéroport MurtalaMuhammed plutôt que de se ruer sur le premier taxi jaune venu. Un coup de fil, et un véhicule de société vient l’accueillir pour le déposer à bon port. Dès lors, on quitte le « continent » le plus vite possible. Destination impérative : un hôtel ou un logement situé sur les îles – Victoria Island ou Ikoyi – à une trentaine de kilomètres de là. En empruntant le Third Mainland Bridge, majestueux pont de treize kilomètres, la vue qui longe le continent permet de jouir du paysage de la

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JOE PENNEY/REUTERS

Elle captive, effraie et magnétise : cette mégalopole tentaculaire porte en elle d’intenses énergies créatrices. Une ville fascinante qui mérite le détour… à condition de ne pas s’y perdre.

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Le polo, introduit dans le pays au début du XXe siècle par des officiers britanniques, est le must pour l’élite lagotienne.

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lagune et ses villages de pêcheurs, notamment Makoko, qui compte des milliers d’habitations sur pilotis. À l’approche du quartier résidentiel Ikoyi, autrefois havre de paix des Britanniques, de vastes jardins de flamboyants, jacarandas et autres frangipaniers se découvrent. Une fois installé, le visiteur a la possibilité de prendre des bateaux qui mènent en trente minutes sur des plages à la sortie de Lagos, notamment Tarkwa Bay, où l’on échappe au tumulte de cette ville de 20 millions d’habitants. Impossible de nier l’évidence : à une encablure d’Ikoyi, Victoria Island – le Manhattan de Lagos – est le quartier qui compte. Sa particularité ? C’est le lieu de résidence ou de villégiature du plus grand nombre de milliardaires du continent. Porsche y a ouvert une succursale. Et Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, dont le yacht mouille dans la lagune, y possède une demeure. Envie d’exercice en plein air ? Inutile de braver d’inutiles dangers. Les adeptes choisissent la zone sécurisée de Lekki ou de Banana Island, avec ses villas à 5 millions

de dollars. Moyennant finance, l’on pourra courir ou se promener sur ces terres qui bordent la lagune. Mais, hors de ces lieux, mieux vaut éviter de s’aventurer à pied dès la nuit tombée : même les Nigérians ne s’y risquent pas. Au fil de ses balades, le visiteur découvre que Lagos compte de nombreuses galeries réputées. L’Art Twenty One, fondée par Caline Chagoury, accueille la crème des artistes contemporains nigérians. Non loin de là, Terra Kulture abrite aussi une librairie et un restaurant de qualité, spécialisé dans la cuisine africaine et assez bon marché. Autre lieu incontournable, la Nike

Art Gallery de l’artiste Nike DaviesOkundaye, la plus grande d’Afrique de l’Ouest : 10 000 pièces sont réunies sur quatre étages ! En fin d’après-midi, un tour au Yacht Club, à la pointe de Lagos Island, s’impose. Un verre à la main, on peut y contempler le coucher de soleil sur fond de bateaux ancrés dans la lagune. À moins que, resté au cœur d’Ikoyi, l’on préfère savourer un thé ou un café au Jazz Hole, l’une des plus célèbres librairies de la ville. Du côté de Victoria Island, c’est aux jardins du Federal Palace, l’un des lieux les plus cotés, qu’il est recommandé de boire un verre avec vue sur le port et la lagune. De même le Blowfish,

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FRÉDÉRIC NOY/COSMOS - PER-ANDERS PETTERSSON/COSMOS

MADE IN AFRICA

La jeunesse dorée, qui aime lorsque le champagne coule à flots, fréquente volontiers les boîtes de Victoria Island.


les bonnes adresses TROIS LIEUX À DÉCOUVRIR

◗ VICTORIA ISLAND NOK BY ALARA Le restaurant branché qui fait sensation. Aux fourneaux, Pierre Thiam, cuisinier sénégalais qui s’est fait connaître à New York, a imposé la « fusion food » à Lagos. Arrivé il y a deux ans, il relève un nouveau défi : concilier les saveurs traditionnelles de l’Afrique avec la « cuisine modernisée ». Ainsi, il sert des calamars avec des épices à la mode « suyas » (brochettes typiques du nord du Nigeria) ou une soupe de gombo aux fruits de mer. 12A Akin Olugbade Street, Victoria Island. www.nokbyalara.com

GEORGE OSODI/PANOS-RÉA -DR (3)

Typiques, les files interminables de voitures ou de cammionnettes commerciales. à l’ambiance chic, possède l’un des meilleurs restaurants de la place. Ancienne prison coloniale transformée en espace culturel, le Freedom Park reste l’un des endroits les plus sûrs la nuit. Grand événement du lieu, l’Afropolitan Vibes y réunit une fois par mois les amoureux de musique autour de concerts de qualité. S’y pressent notamment les returnees, ces Nigérians formés ou élevés en Occident et ayant fait le choix de revenir vivre au pays. Et si l’on préfère le clinquant et le gros son, on fréquentera les boîtes de nuit ultrachics de Victoria Island, là où des représentants de la jeunesse dorée engloutissent en quelques minutes des dizaines de milliers d’euros en achat de prestigieuses bouteilles. Mais c’est depuis le Sky ou le Red, les restaurants les plus chics de l’Eko Hotel que, la nuit, le voyageur peut contempler l’immensité de cette ville qui ne dort jamais. Et comprendre alors pourquoi elle a été surnommée la « New York de l’Afrique ». ■ AFRIQUE MAGAZINE

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◗ LAGOS ISLAND YACHT CLUB Fondé en 1932 par des navigateurs, le Yacht Club est sans doute l’endroit le plus agréable de la ville. Situé à la pointe de l’île de Lagos, à proximité du pont reliant Ikoyi à Victoria Island, il offre la plus belle vue sur Eko (l’autre nom de Lagos), sa lagune, son port et l’océan. L’ambiance y est plus détendue que dans les autres clubs de la ville, la tenue vestimentaire des clients est décontractée et la cuisine simple et saine. lagosyc.org ◗ LAGOS ISLAND FREEDOM PARK Créé il y a cinq ans, dans les murs d’une ex-prison coloniale, il est rapidement devenu le lieu le plus tendance de Lagos. Chaque soir, les concerts, les pièces de théâtre, les conférences ou les projections de films s’y multiplient. L’un des meilleurs endroits pour prendre un verre entre amis dans les superbes jardins aménagés par l’architecte Theo Lawson. Wole Soyinka – le prix Nobel de littérature – y dispose de bureaux et y répète encore aujourd’hui ses pièces de théâtre. Le parc abrite le premier restaurant végétarien de la ville et l’une des rares boutiques de souvenirs de qualité. Broad Street. ■ lagosfreedompark.com

Ci-contre, le chef sénégalais Pierre Thiam, qui officie au Nok By Alara ; ci-dessous, le Freedom Park

Ci-dessus, le Yacht Club de Lagos Island. 129


événement Rétrospective

Giacometti à Rabat

Imaginée sur mesure pour le musée Mohammed-VI, cette ambitieuse exposition se penche sur les influences des arts africains dans le travail de l’artiste italien.

MADE IN AFRICA

L

qui laissent l’artiste toujours insatisfait », explique Serena Bucalo-Mussely, commissaire associée de l’exposition. Les portraits en sculpture et en peinture, ainsi qu’une galerie de gribouillis de têtes, sur différents supports, témoignent de la quête inlassable de l’artiste. Dans les années de la maturité, il s’attache à restituer l’expérience de la vision. Les figures de Giacometti rétrécissent ou s’allongent pour mieux évoquer une figure se tenant au loin, comme dans La Cage (1950) et L’Homme qui marche (1960), aujourd’hui sa création la plus iconique. Cette rétrospective « marocaine » souligne les influences des arts africains sur le travail de Giacometti, dévoilant des documents inédits et des œuvres jamais présentées auparavant. « Les dessins et les esquisses tracés sur des papiers éparpillés ou aux marges des livres de sa bibliothèque montrent bien l’intérêt de l’artiste, très tôt, pour les arts d’Afrique », relève Serena BucaloMussely. À Paris, à la fin des années 1920, il se lie à Carl Einstein, ll’auteur de Negerplastik, et à Michel Leiris, l’art dogon. « Alberto n’est jamais allé spécialiste de l’ar mais il s’est nourri de ce monde lointain à en Afrique, ma les ouvrages d’art et les collections travers les magazines, mag des musées. À Paris, il visita fréquemment le musée de l’Homme et le musée du Louvre. » Les figures de l’art deviennent un répertoire de formes et de africain dev compositions qui l’accompagnent pendant toute composit sa vie. ■ Abdeslam Kadiri Musée Musé Mohammed-VI (Rabat) jusqu’au 4 septembre. museemohammed6.ma sep Le MMVI, premier musée d’art moderne et contemporain du royaume.

DR (2) - MUHCINE ENNOU

es habitants et visiteurs de Rabat sont vernis ! Jusqu’au 4 septembre, ils peuvent profiter, sous les cimaises du musée Mohammed-VI d’art moderne et contemporain (MMVI), d’une rétrospective unique consacrée à l’œuvre d’Alberto Giacometti (19011966) en Afrique. Conçue spécifiquement pour le MMVI, l’exposition, qui rassemble une centaine d’œuvres saisissantes, embrasse les principaux axes de la carrière de Giacometti et sa production protéiforme : sculptures, peintures, dessins, objets d’art décoratif… Articulé en trois sections chronologiques, le parcours dévoile les œuvres présurréalistes et surréalistes de Giacometti puis le retour au travail d’après nature et, enfin, la question du placement de la figure dans l’espace. Après des premières années de formation en Suisse, Alberto Giacometti arrive à Paris en 1922. Il étudie à l’académie de la Grande-Chaumière, mais il est vite intéressé par les courants avant-gardistes de l’époque. En 1930, il rejoint le groupe surréaliste d’Andréé Breton avant d’en être exclu (comme Salvador Dali)) en février 1935. Entre-temps, il crée des chefsd’œuvre comme la Femme qui marche (1932), 2), le Palais à 4 heures du matin (1932) ou la Tête ête crâne (1934), dont une peinture est présentée ée dans l’exposition). Giacometti revient par la suite à une sculpture d’après modèle. « Ces années sont caractérisées par l’obsession de la représentation de la tête et de la figure humaine. Il demande à ses proches de poser pour lui, notamment à sa femme Annette et à son frère Diego. Ses modèles posent jour et nuit dans l’atelier, pendant des longues et épuisantess séances Ci-contre, Buste d’homme assis (Lotar III), 1965, bronze ; à droite, Homme (Apollon), 1929, bronze.

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livre

Paradis perdus Nick Brandt remet en scène des animaux sauvages en des lieux dont l’homme les a chassés. n éléphant dans un terrain vague, un rhinocéros devant une usine, des girafes côtoyant des grues de chantier. Ces bêtes, au regard souvent mélancolique, sont presque vivantes. Mais presque seulement. Car il s’agit en fait d’immenses panneaux, grandeur nature, reproduisant des images prises par l’artiste de créatures contraintes de fuir leurs terres envahies par un urbanisme et une industrialisation galopants. « L’idée m’est venue en retrouvant un portrait d’une mère éléphant avec son petit, explique le photographe Nick Brandt. Je me suis dit que ce cliché aurait plus d’impact s’il était placé dans un contexte inattendu. » C’est ainsi qu’est né le projet « Inherit the Dust » (« Hériter de la poussière »), le dernier en date de ce photographe baroudeur et militant qui, depuis quinze ans, se promène avec son appareil en Afrique de l’Est. Auteur d’une superbe trilogie achevée en 2013, avec la sortie de Chronique d’une terre dévastée, il va plus loin cette fois en replaçant au cœur des villes ceux qui en furent les premières victimes. Une façon de demander aux visiteurs : quel monde voulons-nous construire ? ■ Loïc Franck Inherit the Dust (Distributed Art Publishers, New York, 2016). Et exposition : A-galerie, 4 rue Léonce-Reynaud, Paris 16e, jusqu’au 30 juillet.

U rencontres d’Arles

ANTOINE TEMPÉ - COURTESY OF THE MAUD SULTER ESTATE AND AUTOGRAPH ABP

L’AFRIQUE SANS CLICHÉS

CET ÉTÉ, L’AFRIQUE sera à l’honneur pour la 47e édition de l’un des rendez-vous photographiques les plus courus de la planète. Maître de cérémonie, Sam Stourdzé a en effet choisi de programmer une trilogie baptisée « Africa Pop ». La première exposition, « Swinging Bamako », rend hommage à Malick Sidibé, disparu cette année. Ses clichés font revivre Les Maravillas du Mali, des musiciens formés à La Havane et revenus au pays. La deuxième, « Tear my Bra » (« Arrache mon soutien-gorge »), nous fait découvrir les coulisses de Nollywood. Un Hollywood nigérian né dans les années 1980, quand des marchands arpentaient les rues de Lagos pour vendre des cassettes VHS de films à petits budgets. Depuis, ce phénomène a pris une telle ampleur, qu’en 2009, le pays est devenu le deuxième producteur mondial de longs-métrages ! Enfin, dans « Syrcas », pour évoquer les victimes afroeuropéennes de l’Holocauste, Maud Sulter, qui nous a quittés en 2008, avait réalisé des photomontages installant des œuvres d’art africaines dans des paysages du Vieux Continent. Trois bonnes raisons de passer par Arles ! ■ Céline Lô Arles (Bouches-du Rhône), du 4 juillet au 25 septembre. rencontres-arles.com AFRIQUE MAGAZINE

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Les singes, présents et absents des paysages… NICK BRANDT/COURTESY OF A-GALERIE, PARIS

Le septième art version nigériane avec « Tear my Bra » et un hommage aux victimes noires de l’Holocauste dans « Syrcas », à l’affiche cet été.

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« A Visual Dialogue », la nouvelle collection de la jeune Tunisienne.

mode L’été

blanc-bleu d’Anissa Meddeb

Entre kimonos d’Extrême-Orient, traditions du Maghreb et touche occidentale, la styliste nous invite à un cocktail des cultures. tout juste 22 ans, la styliste Anissa Meddeb, qui évolue entre New York, Paris et Tunis, se démarque avec « A Visual Dialogue », une collection capsule en bleu et blanc présentée à Tunis, et lance sa marque, Anissa Aïda. Épuré comme un haïku, son travail interprète les volumes et les structures de vêtements traditionnels qu’elle traduit en basiques chics, modernes

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traditionnels, des kimonos d’Extrême-Orient aux djellabas d’Afrique du Nord, m’ont toujours fascinée. Leur coupe, structure et géométrie représentent une source d’inspiration inépuisable et un point de départ pour toutes mes créations. J’aime y ajouter des éléments de la garde-robe dite “occidentale”, aujourd’hui globalisée, pour obtenir un dialogue entre cultures. » Un pari réussi. ■ Frida Dahmani

QUAND LOUBOUTIN REND HOMMAGE À LA SAPE ◗ Cinq ans – déjà ? oui, oui – que Christian Louboutin chausse

les hommes. Plus confidentiels que les célébrissimes escarpins de ces dames, les souliers, à l’incontournable semelle rouge là aussi, reprennent les grands classiques masculins (oxfords, derbies, loafers) et se distinguent par leurs lignes épurées. Et pour cause : la collection printemps-été 2016 n’est ni plus ni moins qu’un hommage revendiqué du créateur parisien à la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes), congolaise. Une vénération que n’aurait pas reniée un certain Papa Wemba… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DR (5) - RENÉ HABERMACHER

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et graphiques. Loin des dentelles et sequins de la haute couture, ce parti pris apporte une fraîcheur inattendue et intemporelle. Si elle ne manque pas une occasion de rendre hommage aux influences de sa Tunisie natale, c’est depuis New York que la styliste trouve la meilleure inspiration en raison de « l’énergie que la ville transmet à tous ceux qui y vivent », dit-elle. Une explication à cette collection transfrontières ? « Les vêtements


créateur

LAOLU SENBANJO, L’ART DANS LA PEAU

AGENDA JUSQU’À FIN 2016

Saison France-Maroc

C’EST LUI QUI A TRANSFORMÉ les corps des danseuses en œuvres d’art dans le dernier clip de Beyoncé, Lemonade. Mais si ce travail a révélé l’artiste nigérian au grand public, il n’en était pas à son coup d’essai. « Mon mantra, c’est : “Toutes les surfaces sont ma toile” », explique Laolu. Il peint sur les murs, les guitares et aussi les chaussures, comme en témoigne sa version customisée des mythiques baskets Air Max, réalisée voici quelques mois pour Nike. Le graphisme est cependant loin d’être la seule passion de celui qui, jusqu’à 34 ans, était, comme son père, avocat à Lagos, spécialisé dans les droits de femmes et des enfants. Mais Senbanjo a fini par tomber la robe et s’est exilé à Brooklyn pour devenir… chanteur. Une vocation que notre homme n’a d’ailleurs pas laissé tomber. Inspiré par l’afro-soul et le reggae, il continue d’enchaîner les concerts : « Je crée souvent des œuvres inspirées par ma musique et vice versa », précise ce mystique, qui a baptisé son style « Art sacré d’Ori ». Un terme qui signifie à la fois l’essence, l’âme et la destinée en langue yoruba, l’ethnie majoritaire sur sa terre d’origine. Car, comme en témoignent ses créations à la palette bigarrée, ce grand voyageur n’a jamais oublié d’où il vient. ■ C.L. www.laolu.nyc

L’Institut français du Maroc propose une nouvelle saison culturelle avec plus de 800 événements dans les 12 villes du royaume. Au programme : cinéma, théâtre et concerts.

Lieux multiples (Maroc) if-maroc.org

DU 27 JUIN AU 25 JUILLET

Festival international de jazz Dans les salles de spectacle, théâtres, musées et parcs d’Istanbul, il invite, depuis 1994, les plus grands noms de la scène du jazz mais aussi de la pop, du rock, de l’électro et des musiques du monde. À l’affiche cette année, Branford Marsalis Quartet, Hugh Coltman et Damon Albarn

Istanbul (Turquie) caz.iksv.org

DU 9 AU 17 JUILLET

Zanzibar International Film Festival Le Ziff ou Festival des pays Dhow, le plus grand événement culturel de Zanzibar voire de Tanzanie, propose projections, conférences, expositions, théâtre, littérature, danse, spectacles vivants, musique traditionnelle et contemporaine.

Zanzibar (Tanzanie) ziff.or.tz

Peinture corporelle inspirée de la culture et de la spiritualité yoruba. BY S.E.A. - DR (3)

Ci-dessus, création pour Roc Nation, le label de Jay-Z ; ci-contre, baskets Stan Smith-Adidas customisées.

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interview

« L’État ne fait pas son travail »

Après Paris pour son précédent album, le groupe est revenu enregistrer à domicile.

Karim Ben Smaïl, patron de la maison d’édition tunisienne Cérès, dénonce l’ingérence des autorités dans le secteur du livre.

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de la Culture sur les « ratés » de la participation de la Tunisie au Salon du livre de Genève fin avril… Karim Ben Smaïl : La Tunisie était hôte d’honneur du Salon. Mais le ministère semble avoir estimé que l’invitation lui était adressée personnellement. Résultat : il a généreusement offert 550 m² à ses offices et instituts et a laissé 100 m² aux éditeurs du pays sans jamais les associer à l’événement. En mettant du contenu, les retombées auraient été positives auprès d’un public qui n’entend parler que de terrorisme. Il faut que l’État soit au service de la culture. Qu’entendez-vous par là ? En 2011, avec la fin de la censure, l’année a été florissante. Mais dès 2012, des coupes ont été faites dans le budget de la culture alors que les achats publics couvrent jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires d’un éditeur. Depuis, l’édition indépendante s’éteint doucement alors que le ministère alloue de grosses sommes à ses publications. Bien sûr, l’État doit publier sur des sujets spécifiques n’ayant pas de logique commerciale ou éditoriale mais quand il se mêle d’ouvrages grand public, il fait une concurrence déloyale à un secteur qu’il est censé protéger. On assèche le secteur privé et on irrigue le public – dont le Centre national de la traduction. Des fonctionnaires traduisent mais sur quelles normes éditoriales ? Comment sont choisis les titres ? Pour quel public ? Où sont ces livres ? On ne les voit jamais ! Depuis vingt ans, les officines créées par Ben Ali ont fait main basse sur le secteur. Mais à la faveur de la révolution, nous pouvons exiger de la transparence. À ce sujet, vous citez le livre Je suis Bardo en exemple… Soit on est dans la politique, soit dans l’édition : on n’appelle pas un livre Je suis Bardo ! Cet ouvrage payé sur les deniers publics est un mélange des genres. Son absence en librairie, ses quarante-trois auteurs, son grand format, sa mise en page obsolète, ses deux versions peu maniables mais coûteuses et une coquille en quatrième de couverture démontrent que l’État n’est pas un professionnel. Il faut que la captation de l’État cesse ! ■ Propos recueillis par F.D.

musique

TINARIWEN : DESERT BLUES C’EST À M’HAMID EL-GHIZLANE, dans le désert marocain, que les grands bluesmen du Sahara ont produit leur prochain album, en début d’année. Avec en guests des musiciens locaux. Sortie prévue en 2017. En attendant, on savoure leur dernière production live Oukis N’Asuf (« Oublier la nostalgie »), celle qui habite le Touareg loin de son désert. Ce disque présente en effet le versant festif et allègre de leur musique. Et pour cause : la reine du tindé, la chanteuse Lalla Badi, partage la scène avec eux. Le tindé, c’est à la fois une percussion et le nom du répertoire de poésies chantées exclusivement par les femmes touaregs, lors de fêtes, d’événements heureux. Un hommage à cette grande dame de 75 ans, icône du Sahara, « leur maman », « leur grande sœur ». Dans les années 1970, elle accueille les ishumar (« chômeurs ») à Tamanrasset, dans le grand Sud algérien, lorsqu’ils fuient la répression militaire et la sécheresse du Mali. Ils commencent la musique auprès de cette chanteuse dont on s’arrache les cassettes aux textes engagés. Des décennies plus tard, ce disque offre l’héritage de cette rencontre. On retrouve la patte Tinariwen : guitares lancinantes, puissance des chants collectifs, djembé et calebasse au rythme chaloupé, belle voix rauque, rugueuse du chanteur-guitariste Ibrahim Ag Alhabib… Et toujours leurs paroles revendicatives pour les droits des Touaregs, qu’il serait plus juste d’appeler les Kel Tamasheq, « ceux qui parlent la langue tamasheq ». ■ A.K. AFRIQUE MAGAZINE

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NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM - MARIE PLANEILLE

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AM : Un collectif d’éditeurs a interpellé le ministère


AGENDA DU 13 AU 16 JUILLET 2016

Festival Timitar Depuis treize ans, ce rendez-vous de la culture berbère valorise les musiques du Maroc et du monde.

(Agadir) Maroc

Un lieu d’exception niché dans un majestueux jardin tropical.

festivaltimitar.ma

hôtel The

Norfolk, au cœur de Nairobi

10 JUILLET AU 20 AOÛT

Festivals internationaux de Hammamet et de Carthage Ces deux grands festivals de musique où résonnent les voix du Maghreb et d’ailleurs s’étalent sur plusieurs semaines.

Intégrée à la célèbre chaîne Fairmont, cette vénérable maison fondée en 1904 traverse l’histoire tumultueuse du Kenya.

DR - ANGE SERVAIS

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airobi s’impose comme l’un des hubs incontournables la « tech » continentale. Et l’agenda diplomatique de la capitale kényane s’annonce chargé, avec la 14e conférence de la Cnuced (1722 juillet) et le Sommet Japon-Afrique (Ticad VI, 27-28 août). Autant de bonnes raisons de (re)découvrir cette ville de plus de 3 millions d’habitants. Et cet hôtel particulier, Le Norfolk, logé au cœur d’un immense jardin tropical. Voulu par un major anglais, C.G.R. Ringer, inauguré en 1904, Le Norfolk s’imposera vite comme le lieu de passage obligé des aventuriers, ambitieux, entrepreneurs, chasseurs de grand fauve aussi, attirés par cette nouvelle perle de la couronne britannique. Une halte confortable à une rude époque. On dit que Winston Churchill (alors sous-secrétaire d’État aux Colonies) y séjourna en 1907, tout comme le président américain en retraite Theodore Roosevelt, en 1909. Depuis, Le Norfolk a toujours été au cœur de l’histoire kényane, dans les grands moments (l’hôtel se trouve

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sur une avenue qui porte le nom de l’un des promoteurs de la lutte pour l’indépendance) mais aussi parfois dans la tragédie (avec un attentat terroriste lors du Noël 1980). La ville s’est développée autour de la maison et de ses jardins. Et aujourd’hui plus que jamais, Le Norfolk s’impose comme un havre de tranquillité au cœur de la multitude. Cent soixantedix chambres et suites « up to date », dans un décor tout droit sorti d’Out of Africa (certaines scènes du film ont été tournées ici), restaurants, bars, piscine chauffée, tout est là… L’aventure, le luxe et l’histoire sont disponible, certes à un certain prix. ■ Zyad Limam Harry Thuku Rd, Nairobi. fairmont. com/norfolk-hotel-nairobi

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Hammamet et Carthage (Tunisie) festivalhammamet.tn festivaldecarthage.tn DU 21 AU 24 JUILLET

Africajarc Manifestation pluridisciplinaire dans la vallée du Lot avec Boubacar Ndiaye, Inna Modja, Kandia Kouyaté, Mamani Keita…

Carjac (France) africajarc.com

CHEZ MARCÈNE, THE PLACE TO EAT ◗ Tout sourire, Marcène, la propriétaire, qui a fait ses armes pendant dix-neuf ans à Washington (États Unis), propose une cuisine africaine revisitée, métissée, modernisée, en plein cœur du quartier du Plateau. Au menu : « Perle des lagunes », gambas pili pili, ou encore son fameux crabe façon cake du Maryland. Tout simplement divin ! ■ Z.L. Chez Marcène, rue du Commerce, Abidjan. 135


L’ancienne capitale de l’empire russe avait inspiré Tala Hadid pour son courtmétrage Windsleepers (2001). Depuis, la réalisatrice irakomarocaine, également écrivain et photographe, diplômée de Columbia, y retourne en toute saison, séduite par sa beauté, sa richesse culturelle et historique.

mon carnet de route

Saint-Pétersbourg ◗ Les nuits blanches. De mai à fin juillet, Saint-Pétersbourg, située au sud du cercle polaire arctique, émerge de longs mois de froid mordant et d’obscurité. Presque vingt-quatre heures de jour pendant près de trois mois ! On se promène à 2 heures du matin, dans une ville baignée d’une lumière magique, la notion de nuit n’existe plus… Une célébration du renouveau, de la joie. Une euphorie constante, accentuée par des heures sans sommeil, à regarder un vaste ciel bleu illuminé par un soleil éternel. 136

◗ La Maison Pouchkine

(Institut de littérature russe). Fondé en 1905, ce musée présente une vaste collection d’œuvres d’art, de documents et d’objets liés à la littérature russe des XIXe et XXe siècles. Des manuscrits de Pouchkine,

Gogol, Tchekhov, Lermontov, Tolstoï, Dostoïevski, Gorki… On saisit alors l’importance de la culture, et particulièrement de la littérature, au cours de l’histoire de la Russie et de l’Union soviétique.

◗ Le restaurant Sakartvelo. Réputé pour être le meilleur établissement géorgien de la ville. Idéal pour se régaler d’un festin du Caucase ! Au menu : pain fourré au fromage et aux herbes (khachapuri tarkhunit), tendres brochettes de viande (chachlyks), soupe de haricots rouges, raviolis à la viande (khinkali) et boulettes épicées.

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TALA HADID - FOTOLIA - DR (2)

PRÉSENTÉ PAR ASTRID KRIVIAN


FOTOLIA - RIA NOWOSTI/AKG-IMAGES - L. DE VINCI/WIKIPEDIA - SERGE SIBERT/COSMOS - DR

◗ Musée de l’Ermitage. L’un des plus vastes et plus anciens musées du monde, fondé par Catherine II en 1764. Un complexe de différents bâtiments, dont le superbe palais d’Hiver, ancienne résidence impériale. Sa collection, dont seule une petite partie est exposée, comprend près de 3 millions de pièces ! Dans le département de l’Europe occidentale, on admire des œuvres de Rembrandt, Vinci (photo, Madonne Litta), Raphaël, Titien et Giorgione, de la période impressionniste et postimpressionniste, dont Matisse et Picasso. La partie orientale, créée en 1920 après la révolution, est consacrée à l’ancienne Égypte, à la Mésopotamie, Byzance, l’Iran, l’Asie centrale, le Caucase, la Chine, le Japon et l’Inde. Les artistes russes méritent également le détour.

◗ L’appartement

d’Anna Akhmatova. Installé dans l’aile sud du palais Cheremetiev, ce musée littéraire célèbre la vie et l’œuvre de la grande poétesse, qui vécut dans ce lieu de 1924 à 1952. L’appartement est rempli de ses souvenirs, de sa

correspondance avec d’autres écrivains. Très émouvant : le bureau où elle écrivit en 1940 son chef-d’œuvre, Poème sans héros.

◗ Le fleuve Neva. Il traverse la ville d’est en ouest. L’hiver, il est gelé. Aux premiers signes du printemps, la glace se fissure et fond peu à peu tandis que l’été approche. Rien que dans le centre historique, 342 ponts relient les deux rives ! Du printemps à l’automne, les ponts-levis se lèvent au milieu de la nuit pour le trafic fluvial. Vous pouvez alors vous retrouver coincé sur l’une des îles ! Mais avec un peu chance, un marin peut vous faire traverser sur un petit bateau. Sinon, en attendant que les ponts s’abaissent, on peut admirer le flux des navires arriver du golfe de Finlande.

◗ L’île Vassilievski. Située dans la partie nord de la cité, Vassilievski est l’île des étudiants, des marins et des musiciens. J’y ai vécu avec un éditeur londonien et la poétesse ukrainienne Genya Turovskaya, deux très bons amis. Des mois d’échanges passionnés autour de la poésie et du cinéma. Nous faisions nos courses dans un marché couvert qui offre un large choix de spécialités culinaires du Caucase et des pays de l’Est.

◗ La gare de Finlande. C’est à cette gare que Lénine est arrivé de son exil en Suisse, juste avant la révolution d’octobre 1917. La locomotive à vapeur du train qu’il emprunta est exposée sur l’un des quais. Pendant AFRIQUE MAGAZINE

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le siège de la ville (septembre 1941-janvier 1944), c’était la seule gare en activité. Elle accueillait le ravitaillement transporté par camion depuis un territoire non occupé, sur la rive ouest du lac Ladoga.

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SpiceBomb Fresh, 79,80 euros (90 ml), Viktor & Rolf. Turban en crochet, 180 euros, Missoni Mare.

duty free

Ici l’ombre…

Il fait (trop) chaud. Effluves rafraîchissants, textures fines, accessoires de luxe légers comme une plume… On se pare pour têt fraîche, aîche, le é. garder la tête les idées claires et le look affûté. PAR MYRIAM MYRIA RENARD

Lunettes Dior So Real, bleu marine et or rose, 460 euros, Dior.

Montre Tambour Monogram Blossom Tourbillon 38 mm automatique, prix sur demande, Louis Vuitton. 138

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DR (5) - STEVE WELLS

Robe en cupro rose, effet tie and dye, 1 599 euros, Roberto Cavalli.

Maillot de bain une pièce, dos nu imprimé Carretto Siciliano, 395 euros, Dolce & Gabbana.


Montre Reverso « Ceci n’est pas une pipe », édition limitée René Magritte, prix sur demande, Jaeger-LeCoultre. Maillot de bain, Smith. 289 euros, euros Paul Smith

Lecteur MP3 Walkman waterproof, 79 euros (4 Go), Sony.

Casquette, 195 euros, Saint Laurent.

Lunettes de soleil, soleil 450 euros, Bottega Veneta.

T-shirt Palmtree vintage, 95 euros, Maison Kitsuné.

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L’Eau d’Issey, 80 euros (100 ml), Issey Miyaké. AFRIQUE MAGAZINE

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pages dirigées par Danielle Ben Yahmed

VIVRE MIEUX

addiction

N’HÉSITEZ PLUS : DITES NON AU TABAC! La dépendance à la cigarette n’est pas une fatalité. Même si l’effort semble insurmontable à certains, de plus en plus de méthodes et de traitements s’offrent aux fumeurs pour les aider à se libérer de ce produit hautement toxique.

ET AUSSI fibromes Des tumeurs fréquentes à prendre au sérieux p. 143 casques audio Gare à l’écoute intensive ! p. 144

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allergie aux pollens Lutter contre le « rhume des foins » p. 145 AFRIQUE MAGAZINE

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ontenant une soixantaine de substances chimiques cancérogènes, la fumée est responsable de l’immense majorité des cancers du poumon, mais aussi de la bouche, du larynx, du pharynx et de l’œsophage. Le tabac est en outre lié à un grand nombre de cancers de la vessie et du pancréas, et il serait impliqué dans ceux du rein, du col de l’utérus, de l’estomac et dans certaines leucémies. Mais ce ne sont pas ses seuls méfaits sur la santé. Il augmente également le risque d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral (AVC), et favorise l’hypertension artérielle et l’artérite. Par ailleurs, le tabac est la cause principale de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), provoquant une inflammation des bronches qui évolue peu à peu vers l’insuffisance

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Face à la hausse de la consommation ces vingt dernières années en Afrique, de plus en plus d’États se sont lancés à l’assaut du tabagisme, en édictant des lois ou à travers des campagnes d’information.

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VIVRE MIEUX

LES TRAITEMENTS CLASSIQUES La motivation est un facteur important dans l’arrêt du tabac. C’est elle qui vous donnera la volonté suffisante pour atteindre votre but : vivre une nouvelle vie sans cigarettes. La nicotine entraînant une très forte dépendance, le sevrage doit être pris en charge comme une maladie, le recours aux substituts nicotiniques (patchs, gommes) pouvant se révéler insuffisant. Des études ont prouvé que les chances d’arrêter définitivement de

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Depuis une dizaine d’années, la cigarette électronique fait de plus en plus d’émules : il y aurait aujourd’hui environ 3 millions de « vapoteurs » rien qu’en France.

Se sevrer grâce au Web Des applications ont vu le jour sur Internet ces dernières années en matière de sevrage. Coaching et conseils personnalisés y sont dispensés par des spécialistes. La plateforme « Ensemble, réussissons notre défi tabac », avec son espace d’échanges interactifs entre tous les publics

concernés, mérite également d’être signalée. Ainsi que le site « Tabac Info Service », qui dispense de précieuses informations.

fumer augmentent lorsque le fumeur choisit de se faire accompagner. Cela peut être par son entourage, mais aussi par son médecin traitant ou encore par un tabacologue, qui pourra prescrire des médicaments (bupropion ou varénicline) qui agissent sur l’envie de fumer. Une aide psychologique peut également être utile. ALTERNATIVES D’autres méthodes existent, comme la cigarette électronique en produit de

substitution. Elle comble à la fois le manque physique dû à la nicotine, et agit aussi sur la dépendance psychologique. Réputée moins dangereuse pour la santé que la cigarette classique, puisqu’elle ne contient pas de goudrons cancérogènes, elle contient néanmoins des composants toxiques dans son e-liquide. Il est conseillé de se renseigner sur le taux de nicotine contenu dans l’e-liquide afin de l’adapter à chaque utilisateur. De plus en plus de personnes ont recours à cette option pour réduire leur consommation de tabac, voire pour un arrêt total. Ce moyen se révèle efficace pour bon nombre de fumeurs. Enfin, certains se tournent vers des méthodes qui ont fait leurs preuves telles que l’hypnose ou l’acupuncture. Dans le premier cas, le thérapeute travaille sur la suggestion, en essayant d’amplifier le désir de se délivrer du tabac, de se débarrasser d’un toxique, d’une dépendance. Quant aux acupuncteurs, ils utilisent des points qui détoxifient, qui aident à diminuer le besoin physique et l’envie. ■ Julie Gilles

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respiratoire. Il est aussi lié ou aggrave de nombreuses pathologies : diabète, maladies des gencives avec risque de perte des dents, affections digestives, troubles de l’érection, dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA)… Enfin, un aspect à ne pas négliger : il accélère le vieillissement de la peau. Le tableau est bien noir… Or il n’est jamais trop tard pour arrêter de fumer, d’autant plus que les bienfaits se font sentir assez rapidement. Ainsi, un an seulement après la dernière cigarette, le risque d’infarctus diminue de moitié, tandis que la possibilité de faire un AVC redevient équivalente à celle d’un non-fumeur. Au bout de cinq ans, l’incidence du cancer du poumon est presque réduite de moitié.


fibromes

Des tumeurs fréquentes à prendre au sérieux Souvent dépourvues de symptômes, ces affections à ne pas négliger sont peu faciles à détecter. Ce n’est que lorsqu’elles provoquent douleurs et saignements que l’on songe à consulter.

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orte de boules dure et blanche de diamètre variable se formant à différents endroits du muscle utérin, les fibromes, ou myomes, parfois sans danger, sont à prendre au sérieux. Leur prévalence est particulièrement élevée, puisqu’on estime qu’entre 20 et 40 % des femmes de plus de 35 ans seront touchées au cours de leur vie, les femmes d’Afrique subsaharienne se situant dans la fourchette haute. Fréquemment indolores et asymptomatiques, ils ne sont pas toujours faciles à diagnostiquer et sont souvent découverts au hasard d’un examen. Ils ne nécessitent dans ce cas aucun traitement et régressent après la ménopause.

fréquentes d’uriner (du fait de la compression d’organes), nécessitant une prise en charge médicale. Des anti-inflammatoires et un traitement pour diminuer les saignements suffisent généralement à soulager ces symptômes. L’utilisation d’un stérilet hormonal, qui fait disparaître les règles, est aussi une option, sauf dans le cas de fibromes situés profondément dans la cavité utérine. Si les symptômes perdurent, on recourt classiquement à la chirurgie. Ils peuvent être simplement retirés chez les femmes souhaitant avoir des enfants. Chez les femmes n’ayant plus de désir de grossesse, l’ablation de l’utérus pourra être proposée, notamment en cas de fibromes multiples ou de gros volume. Souvent traumatisante, celle-ci peut être évitée grâce à une solution alternative, TRAITER LES TROUBLES l’embolisation : un produit est injecté Pourtant, chez environ un tiers pour boucher les artères nourrissant des femmes porteuses, les fibromes les fibromes ; privés de sang, ces sont associés à une palette de troubles derniers régressent petit à petit. pouvant aller des saignements Nouveauté, et véritable avancée : menstruels abondants à une anémie, un nouveau médicament, l’Esmya, due à une carence en fer, en passant a reçu une autorisation de mise sur le par des douleurs abdominales marché européen. Il diminue la taille, et/ou pelviennes ainsi que d’envies la douleur et les saignements associés L’Esmya est au fibrome. Il a été démontré qu’il commercialisé peut éviter la moitié des opérations dans l’Hexagone chirurgicales. Utilisable chez les depuis femmes souhaitant des enfants, il l’an dernier. n’a pas d’effet secondaire, et empêche les fibromes de regrossir. ■ A.B.

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QUESTIONS BIEN-ÊTRE Comment prévenir l’otite des baigneurs ? Cette otite externe est due à des bactéries présentes dans l’eau, qui entraînent une infection du conduit auditif. Pour prévenir, il est recommandé de rincer vos oreilles à l’eau après la baignade, de les égoutter en penchant la tête et de les sécher avec un mouchoir en papier. L’utilisation de bouchons anti-eau est par ailleurs conseillée.

Les huiles essentielles ▲ peuvent-elles calmer une migraine ? Appliquées sur le milieu du front, les tempes et la nuque, elles peuvent ralentir l’évolution d’une crise, voire la stopper. À choisir : la menthe poivrée qui rafraîchit et peut diminuer la dilatation des vaisseaux, ou la lavande qui apaise la douleur.

Par forte chaleur, quels textiles porter ? Privilégiez les fibres naturelles comme le coton, le lin, qui absorbent l’humidité et permettent l’évaporation de la sueur. Les matières synthétiques, plus légères à porter, ont l’inconvénient (sauf mention spéciale sur l’étiquette) de ne pas capter l’humidité de la transpiration. Celle-ci reste entre le corps et le vêtement, provoquant inconfort et odeurs gênantes. 143


casques audio GARE À L’ÉCOUTE INTENSIVE !

À LIRE Genèse des maladies

◗ DES YAOURTS CONTRE L’HYPERTENSION

Selon une étude américaine de l’American Heart Association (mars 2016), 144

Trucs & astuces ▲ pharmaceutiques Grâce à cet ouvrage, vous saurez comment soigner rapidement les petits bobos du quotidien, classés de A à Z. L’auteur propose pour chaque problème les remèdes en homéopathie, aromathérapie, phytothérapie, et également ceux de la médecine classique. Au choix, donc, selon vos préférences, avec des conseils clairs et simples, et des tableaux pratiques quand cela se justifie. Par Solange Strobel, Eyrolles, 9,90 euros

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VIVRE MIEUX

EN BREF

le calcium contenu dans les yaourts aiderait les femmes à faire baisser leur pression artérielle, en dilatant légèrement les vaisseaux sanguins. Une protection non retrouvée chez les hommes. Pour celles qui n’aiment pas les yaourts, tout produit laitier fera l’affaire, à raison deux à trois fois par jour.

OMNIPRÉSENTE grâce aux casques et autres écouteurs, la musique fait partie du quotidien des jeunes, qui l’aiment forte et à haute dose. Un hobby risqué ! Une étude Ipsos révèle que les trois quarts des 15-30 ans ont déjà été sujets à des acouphènes (bourdonnements ou sifflements dans les oreilles) ou ont subi une perte d’audition momentanée à la suite d’une trop forte exposition sonore, dans un concert, par exemple. Il est alors conseillé de consulter un spécialiste le plus rapidement possible. Dans certains cas, les dommages peuvent être irréversibles. Un certain nombre d’adolescents et de jeunes adultes souffriraient d’ailleurs d’une perte auditive précoce sans en avoir conscience. Comment préserver sa santé auditive ? • L’OMS recommande un niveau sonore inférieur à 85 décibels en général, et une exposition très limitée aux sons très forts (moins de 15 minutes à 100 décibels). • En théorie, on ne devrait pas dépasser une heure d’écoute par jour à moitié du volume maximal. Dans la pratique, on en est souvent loin… Des pauses régulières pour permettre à l’ouïe de se reposer sont indispensables. • Dans les endroits bruyants, comme les transports, pour éviter la surenchère de volume, il est préconisé d’utiliser des casques plus hermétiques aux bruits que des écouteurs. • Enfin, mieux vaut ne pas s’endormir en écoutant de la musique avec un appareil audio sur les oreilles : cela ne fera qu’encourager le risque de troubles auditifs ! ■ A.B.

Cancers, obésité, diabète, affections du cœur ou du système nerveux, allergies, pathologies émergentes… S’appuyant sur de nombreux travaux scientifiques menés en Europe du Nord, aux ÉtatsUnis ou au Canada, l’auteur, cancérologue, explique le rôle de l’environnement dans le développement des maladies : pollution atmosphérique et chimique, métaux lourds, etc. Une thèse un peu inquiétante, mais qui peut aussi permettre de se protéger. Par le Pr Dominique Belpomme, Les Liens qui libèrent, 23,80 euros.


allergie aux pollens

Lutter contre le « rhume des foins » La pollinose, ou rhinite allergique, touche de plus en plus de personnes de tous âges à l’approche des beaux jours.

DR - SHUTTERSTOCK

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ez qui coule, qui se bouche, qui démange, crises d’éternuements, parfois irritation et larmoiement des yeux… Tels sont les symptômes de la rhinite allergique due aux pollens. En hausse ces dernières années, celle-ci toucherait entre 10 et 40 % de la population mondiale. Souvent les troubles sont même exacerbés par les pics de pollution. Six réflexes simples vous aideront à prévenir cette affection particulièrement gênante 1. Durant les périodes de pollinisation, en particulier au printemps, il est recommandé d’aérer sa maison tôt le matin ou tard le soir, les pollens sont en effet moins présents dans l’air. 2. Il est déconseillé de se promener et de faire du sport en extérieur dans la journée. En voiture, il est préférable de garder les vitres fermées. 3. Le recours à des sprays protecteurs (Allergyl, Stérimar) est utile dans la mesure où ils forment un film sur la muqueuse nasale pour la protéger

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des allergènes. Sans effet indésirable, ces produits peuvent s’utiliser en prévention. 4. Le soir, ne pas oublier de se nettoyer le visage et de se brosser les cheveux, pour éviter que les pollens ne se déposent sur l’oreiller et ne provoquent des troubles nocturnes.

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Il est en outre conseillé de laver la muqueuse nasale à l’aide d’un spray d’eau de mer (au moins le soir) pour éliminer les grains de pollens. 5. En automédication, des antihistaminiques en comprimés peuvent se révéler rapidement efficaces sur le nez qui coule, les éternuements, les démangeaisons. Les plus récents, à base de cétirizine ou de loratadine, entraînent peu de somnolence. En cas de symptômes qui durent des semaines, il est recommandé de les prendre en continu car l’effet cesse dès l’arrêt. Il existe également des antihistaminiques en spray nasal ou en collyre. À proscrire, les comprimés associant antihistaminique et vasoconstricteur : ils ont de nombreux effets secondaires et peuvent se révéler dangereux sur le plan cardiovasculaire. 6. Faute de soulagement suffisant et en cas de crise sévère, il est nécessaire de consulter son médecin, qui pourra prescrire ponctuellement d’autres antihistaminiques, des corticoïdes en spray pour agir sur l’obstruction nasale ou en comprimés. ■ Julie Gilles

par des spécialistes médicaux. On peut également y poser des questions. ◗ COMBATTRE LES VERRUES TENACES

Pour en venir à bout – sous la plante du pied notamment –, Urgo Verrues persistantes (en pharmacie), qui contient

de l’acide trichloroacétique concentré à 40 %, active la desquamation de la peau et favorise le renouvellement cellulaire. Le résultat est spectaculaire : il fait disparaître les lésions en une semaine seulement. Le stylo à cran délivre la dose nécessaire, en toute sécurité. 145


les 20 questions

NAWELL MADANI 1. Votre objet fétiche ? Mon iPhone, avec mes photos de famille, ma playlist, mes notes de travail, mon agenda et l’application qui m’indique la distance que j’ai parcourue par jour. 2. Votre voyage favori ? La Thaïlande pour le soleil, la boxe thaï et les marchés pittoresques… 3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Marrakech, à l’occasion de l’ouverture du Fiesta Beach – hôtel chic, piscine avec plage sable blanc ; 50 Cent est partenaire de l’établissement. 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Des ballerines de secours ! Eh oui, on ne peut pas toutes porter des talons de 12 cm toute la journée comme Beyoncé ! 5. Un morceau de musique ? One Dance, de Drake. 6. Un livre sur une île déserte ? Le Petit Prince, de Saint-Exupéry. 7. Un film inoubliable ? Whiplash, de Damien Chazelle, un chef-d’œuvre, une référence ! 8. Votre mot favori ? « Merci », et je pense qu’on ne le dit pas assez. 146

Danseuse, chorégraphe, comédienne, animatrice télé, scénariste et réalisatrice, cette Belge pétillante a reçu en 2015 le Globe de cristal du meilleur one-man-show. Elle tourne actuellement dans le premier film de Philippe Lacheau, Alibi.com, aux côtés de Didier Bourdon et de Nathalie Baye. En attendant, elle poursuit son « Welltour » et sera le 12 juillet à L’Olympia (Paris). PAR LORAINE ADAM

9. Prodigue ou économe ? Généreuse, car j’aime bien partager avec mes proches. 10. De jour ou de nuit ? Les deux ! Je dors peu… 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Tous les moyens de communication ! Surtout si je n’arrive pas à joindre mon mec, je suis prête à envoyer un pigeon voyageur s’il le faut ! 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Faire du sport… le footing fractionné. 13. Votre extravagance favorite ? Sonner aux portes et partir en courant quand je suis avec mes copines, surtout quand elles portent des talons de 12 cm !

14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Vétérinaire. 15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? François Berléand, qui a accepté le rôle que je lui ai proposé dans mon premier film. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Le chocolat et les frites : ouais, je suis une vraie Belge ! 17. Votre plus beau souvenir ? Mon premier Olympia : il y avait papa et maman. 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Dans les bras de mon mari. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Quand mon mari m’a enfin offert la rose du vendeur ambulant pakistanais. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Que j’ai fondé la « brigade antibâtards »… Venez voir mon spectacle, vous comprendrez ! ■

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DYOD PHOTOGRAPHY/OPALE/LEEMAGE

Humoriste et animatrice, 32 ans.


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