AfriqueMagazine 362

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AFRIQUE MAGAZINE

Être en Afrique Être dans le monde

En vente 2 mois

élection Le mystère Ali,

Le mystère gabon Libye Syrte,

la mère de toutes les batailles

Tunisie

Yosr Ben ammar ou la révolution par l’art !

Algérie

Mohammed VI, suivi de son frère le prince Moulay Rachid, et de son fils aîné, le prince héritier Moulay Hassan.

Les hommes de Zaatcha doivent rentrer chez eux

Côte d’Ivoire

sur le chemin de la IIIe république

monde arabe

Une exception Marocaine ?

Stabilité, démocratisation, société civile… le royaume paraît relativement à l’abri des tempêtes. Tentative d’explication et de décryptage. N° 362 – août – septembre 2016

France 5,90 e – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 e – Autriche 6,90 e – Belgique 6,90 e – Canada 9,99 $C DOM 6,90 e – Espagne 6,90 e – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 e – Italie 6,90 e – Luxembourg 6,90 e – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 e – Portugal cont. 6,90 e Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0

M 01934 - 362 - F: 5,90 E - RD

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ÉDITO

CE QUI FAIT

PAR zyad limam

NOTRE FORCE

D

es victimes, des morts, des femmes, des enfants, des hommes, des civils, des militaires, des policiers, des prêtres, des religieux… La répétitivité des attaques nous use, nous choque, nous pousse à la colère, à la haine et à l’hystérie. On assiste au délitement de la classe politique où, ici et là, on appelle à autant de mesures liberticides, « exceptionnelles » et évidemment sans impact mesurable. La France est la cible majeure d’une campagne de grande ampleur de la mouvance jihadiste et en premier lieu celle incarnée par l’État islamique (EI). On se dit qu’il va falloir vivre avec. Vivre avec une menace aussi multiforme que mortelle. L’émotion, la colère nous envahissent. Le sentiment d’impuissance aussi. On attend la prochaine frappe, muets de stupéfaction, comme un lapin paralysé par les phares géants d’un camion fou… Un jour, c’est un « déséquilibré » qui frappe, le fameux « loup solitaire » pris dans les filets d’une propagande qui donne du sens à l’horrible passage à l’acte. Ailleurs, ce sera l’action d’un réseau organisé, dirigé par des têtes pensantes enfouies à Raqqa ou à Mossoul. Un troisième jour, ce sera le petit délinquant de banlieue qui règle ses comptes avec l’histoire et l’injustice. Une gare, un aéroport, un café, une église… les « objectifs » répondent toujours à une logique. Et la revendication est toujours la même : celle du jihad. La France n’est pas une cible prise au hasard. Ici vit la communauté musulmane (pour peu qu’elle soit identifiable de manière aussi homogène) la plus AFRIQUE MAGAZINE

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importante d’Europe. On le sait, pour les stratèges et les théoriciens du jihad et de l’EI, il faut faire chuter cette impressionnante « zone grise » où plus de 4 millions de musulmans vivent dans une République démocratique et laïque. Il faut torpiller l’exemple. Comme il faut atteindre l’Allemagne qui accueille ce million de réfugiés venus de Syrie ou d’Irak. Il faut détruire toute possibilité de « fusion ». La victoire serait la guerre civile, elle-même guerre de religion, début de l’avènement du califat, Armaguedon, etc. En France, cette communauté est largement le produit de l’histoire et du choc colonial et postcolonial. Mais aujourd’hui, la très grande majorité est intégrée, impliquée. Acteurs économiques, politiques et culturels, ils font partie de la vie française. Ils sont Français ! Beaucoup d’entre eux sont de double culture, On se dit et ils participent d’autant qu’il va plus au rayonnement falloir vivre et à la richesse du pays. Mais d’autres, enfants de avec. Vivre cette République égalitaire, avec une menace aussi nés Français, de seconde multiforme ou de troisième génération, sont restés en marge, que mortelle. dans les cités, dans les banlieues, dans les déserts économiques. Déclassés, sans éducation, au chômage. Des enfants des ghettos si facilement manipulables… Ghettos que la police et les services de renseignement ont désertés depuis longtemps… En France, il y a certainement d’importantes décisions à prendre. Il faut travailler en termes de « nation », cette « entité abstraite, collective et 3


ÉDITO indivisible, distincte des individus qui la composent et titulaire de la souveraineté » (Larousse). C’est cette nation qui nous réunit, qui fait notre force collective. Il faut aussi réinvestir les cités. Remettre l’éducation au cœur des zones défavorisées, promouvoir de véritables programmes d’« affirmative action », de discrimination positive. Mais aussi simplifier le millefeuille sécuritaire. Créer un véritable service de lutte antiterroriste capable de « lire » et de détecter les signaux, de Le chaos est mettre hors d’état de nuire profond, « avant ». Renforcer aussi les il gangrène, mécanismes européens de on le laisse protection de la zone Schengen. Comme il est essentiel pour la s’étendre, classe politique de faire bloc, au gré des de ne pas étaler ses divisions alliances des pathétiques, de donner puissances. l’exemple vis-à-vis de citoyens au bord de la crise de panique ou de la révolution… Tous, tous ensemble, il nous faut aussi voir l’ennemi, le comprendre, l’analyser, décrypter son mécanisme, le mettre à nu, dans son programme intellectuel, organisationnel… La diabolisation, la vocifération, la référence au « mal » n’apporteront rien. Ce qu’il faut, c’est du savoir, du renseignement, de l’information, pour mieux lutter contre des organisations qui s’adaptent en permanence et qui nous connaissent intimement. L’une des clés serait de prendre de la hauteur, de la distance, autant que possible. Le jihadisme n’est pas né d’aujourd’hui. Il remonte aux années 1980, et il apparaît comme une force de réaction à l’Occident et aux régimes que celui-ci soutient. Les premiers attentats d’ampleur visent les États-Unis, incarnation de l’hyperpuissance dominatrice : attaque sur le World Trade Center en 1993, contre l’ambassade au Kenya en août 1998, et puis surtout la spectaculaire destruction des tours à New York le 11 septembre 2001. En France, le début de la campagne à proprement parler liée au jihad date du début des années 1990, avec le déclenchement de la crise algérienne et la montée en puissance du GIA. On ne peut pas s’exclure du contexte géostratégique. Et, en l’occurrence, le contexte géostratégique aujourd’hui, c’est le désastre moyen4

oriental, avec l’implosion de l’Irak et de la Syrie sur laquelle est né l’EI. On ne voit pas de véritable progrès sans solution durable à Damas et à Bagdad. On ne voit pas de véritable progrès sans un apaisement durable dans le conflit entre islam chiite et islam sunnite. On ne voit pas de solution non plus sans un minimum de signaux positifs venant de Jérusalem, d’Israël et de Palestine. Le chaos est profond, il gangrène, on le laisse s’étendre, au gré des alliances des puissances. La France, comme les États-Unis, joue un jeu complexe et contradictoire, soutenant parfois tel groupe contre tel autre. Et s’alliant ici ou là avec des États riches, eux-mêmes en phase de schizophrénie aiguë vis-à-vis de mouvements islamistes de tous bords. On pourrait parler aussi de la Libye, à trois heures de l’Europe, où on a laissé s’installer au cœur même du pays AFRIQUE MAGAZINE

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GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP PHOTO

Place de la République, à Paris, le 26 juillet 2016.

un foyer particulièrement menaçant de l’EI (lire notre article page 58)… Enfin, et même si on l’a dit et redit, les premières victimes de la violence jihadiste, dans une immense proportion, sont les musulmans eux-mêmes. De Kaboul à Istanbul, de Bagdad à Karachi, des centaines de civils – hommes, femmes, enfants – sont décimés. La Tunisie, démocratie naissante du monde arabe, est une cible permanente. Le Maroc (lire page 36) et l’Algérie aussi. L’Afrique subsaharienne, constamment oubliée, est en première ligne, avec les mouvements sahéliens et la persistance de Boko Haram dans la région du lac Tchad. Ce triste constat ne relève pas du « politiquement correct ». Il permet de comprendre l’ampleur et la complexité de l’ambition jihadiste, l’ampleur et la complexité de la bataille à mener. AFRIQUE MAGAZINE

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Notre génération et celles qui vont suivre vont faire face à d’immenses défis. Jihadisme, montée des nationalismes, des populismes (Donald Trump sera peutêtre le futur président des États-Unis et rien n’est à exclure pour les élections françaises de l’an prochain), tensions en mer de Chine, assertion des pouvoirs à Pékin, à Tokyo, à Delhi, Brexit et Ukraine, déliquescence de l’Europe qui ouvre la porte à la dérégulation et au chacun pour soi, usure écologique, démographie, bouleversements technologiques… Les forces de la désintégration sont peut-être trop puissantes, et le monde s’oriente, une fois encore, vers l’abîme. On ne doit pas baisser les bras. Il faut affronter notre époque. Faire œuvre de clarté et de solidarité. Travailler à une humanité plus juste. Et faire les vrais choix. Être du côté du progrès, de la République, de la démocratie, de la justice, et de la modernité. ■ 5


AOÛT-SEPTEMBRE 2016 N° 362 AFRIQUE MAGAZINE

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AOÛT

SEPTEMBRE 2016

EN VENTE 2 MOIS

MAGAZINE AFRIQUE

PORTRAIT MOÏSE KATUMBI

À LA CONQUÊTE DE KINSHASA

LE MYSTÈRE ALI, LE MYSTÈRE GABON

ÉLECTIONS

N 362

ENQUÊTE

UNE EXCEPTION MAROCAINE ?

CÔTE D’IVOIRE

Le président Alassane Dramane Ouattara

CE QUE VEUT ADO

BURKINA TOURNER LA PAGE

UN DOSSIER SPÉCIAL DE 16 PAGES

Nouvelle Constitution, élections législatives, succession, le chef de l’État cherche à imprimer sa marque et garder la main sur l’avenir.

STYLE L’AFROPUNK, FORT ET PUISSANT !

N° 362 – AOÛT – SEPTEMBRE 2016

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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AFRIQUE MAGAZINE

N 362

AFRIQUE

MAGAZINE

AOÛT

SEPTEMBRE 2016

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

EN VENTE 2 MOIS

ÉLECTION LE MYSTÈRE ALI,

LE MYSTÈRE GABON LIBYE SYRTE,

LA MÈRE DE TOUTES LES BATAILLES

TUNISIE

YOSR BEN AMMAR OU LA RÉVOLUTION PAR L’ART

ALGÉRIE

Mohammed VI, suivi de son frère le prince Moulay Rachid, et de son fils aîné, le prince héritier Moulay Hassan.

LES HOMMES DE ZAATCHA DOIVENT RENTRER CHEZ EUX

CÔTE D’IVOIRE

SUR LE CHEMIN DE LA IIIE RÉPUBLIQUE

MONDE ARABE

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UNE EXCEPTION MAROCAINE ?

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Stabilité, démocratisation, société civile… le royaume paraît relativement à l’abri des tempêtes. Tentative d’explication et de décryptage. N° 362 – AOÛT – SEPTEMBRE 2016

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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AFRIQUE MAGAZINE

58 Syrte, dont Kadhafi voulait faire la capitale de la Libye, est depuis 2015 sous le contrôle de l’EI,

SEPTEMBRE 2016

EN VENTE 2 MOIS

qui a instauré ses règles, avec sa propre police et un tribunal islamique. L’un des pays les plus riches d’Afrique se prépare à une élection présidentielle sous très haute tension. Enquête, témoignages et chiffres éloquents.

PORTRAIT

MOÏSE KATUMBI, À LA CONQUÊTE DE KINSHASA

CÔTE D’IVOIRE

SUR LE CHEMIN DE LA IIIE RÉPUBLIQUE

BURKINA

TOURNER LA PAGE

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UN DOSSIER SPÉCIAL DE 16 PAGES

ENQUÊTE

UNE EXCEPTION MAROCAINE ? Le président Ali Bongo Ondimba France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

DÉCOUVERTE

CAMEROUN

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STYLE

L’AFROPUNK, FORT ET PUISSANT !

BURUNDI COMMENT ÉVITER LE DRAME

N° 362 – AOÛT – SEPTEMBRE 2016

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Édito Ce qui fait notre force par Zyad Limam

L’ARMÉE EN PREMIÈRE LIGNE

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LES GENS 10

Blick Bassy « L’avenir est en Afrique. Réveillez-vous ! »

Le regard de…

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PHOTOS DE COUVERTURE : MAGHREB : ZOUBIR SOUISSI/ REUTERS AFRIQUE SUBSAHARIENNE : SIA KAMBOU/AFP PHOTO LUCAS JACKSON/REUTERS

Glez

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16

Yosr Ben Ammar « L’art est une arme contre l’obscurantisme »

C’est comment ? Vive la rentrée ? par Emmanuelle Pontié

19

Une image, une histoire

20

Septembre 1972 L’exode des Indiens d’Ouganda

Moussa Sissoko Le cœur black des Bleus

L’agenda Salia Sanou

25

14

Rama Thiaw Caméra au poing

Thibaut Danho Le champion du bassin

Ce que j’ai appris

LES TEMPS FORTS

Véronique Tadjo

26

Gabon Le mystère Ali, le mystère Gabon

36

Maroc Une exception marocaine ?

44

Côte d’Ivoire

104 Le document Fort, oui, comme Ali

138 Duty free So chic

146 Les 20 questions Sonia Mabrouk

Ce que veut Ado

50

Portrait L’ambition congolaise de Moïse Katumbi

58

Syrte Mère de toutes les batailles

66

Histoire Les hommes de Zaatcha reviendront-ils en Algérie ?

16 Yosr Ben Ammar promeut

70

Burundi De la répression à la catastrophe ?

la création artistique contemporaine dans sa galerie Le 32Bis, au cœur de Tunis.

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Tendance Afro, punk et puissant

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Portfolio Arles, un œil sur l’Afrique

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AFRIQUE MAGAZINE

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JOSEPH EID/AFP PHOTO - NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

N 362

AFRIQUE

MAGAZINE

AOÛT

LE MYSTÈRE ALI, LE MYSTÈRE GABON


AFRIQUE MAGAZINE

FONDÉ EN 1983 (33e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR GÉNÉRAL ET RÉDACTEUR EN CHEF

zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com

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DOSSIER BURKINA FASO

RÉDACTION

Emmanuelle Pontié

TOURNER LA PAGE 80

Armand Béouindé Le nouveau maire de Ouagadougou expose ses priorités

82

Interview Alpha Barry

84

Économie Un lent rétablissement

86

Interview Lassiné Diawara

88

Santé Une priorité nationale

90

Sorties Agapes et escapades

76 Avec Roch

DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

Kaboré (ci-dessus) à sa tête, le Burkina Faso se reconstruit peu à peu sous haute surveillance de la société civile.

Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ

epontie@afriquemagazine.com hdahmani@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Catherine Maupu PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com

Aldo de Silva CONSEILLER ARTISTIQUE

DÉCOUVERTE

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, François Bambou, Alexandre Blondin, Sabine Cessou, Alice Chapon, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Dom, Maryline Dumas, Catherine Faye, Loïc Franck, Glez, Cédric Gouverneur, Abdeslam Kadiri, Astrid Krivian, Kate Martin, Myriam Renard, Mariki Telmedji, Julien Wagner.

C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

DÉCOUVERTE 109 Cameroun. Au service de la nation

CAMEROUN

Au service de la nation

Grâce à la mobilisation de la population et avec le soutien des pays amis, l’armée a mis en place un système de défense efficace.

VOTRE SANTÉ

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

Avec la coopération de la population et des pays amis, l’armée joue pleinement son rôle.

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles. VENTES

Le président Paul Biya décore une diplômée de la promotion « Paix et Modernité » de l’EMIA, sur la place d’armes de l’école, à Yaoundé.

126 Cap sur Le Cap 130 Art contemporain : faites les murs, pas la guerre !

132 Mode : le wax chic en version parisienne 134 Cinéma : Divines surprises 136 Hommage : Philippe Mory

JEAN-PIERRE KEPSEU

MADE IN AFRICA

EXPORT Arnaud Desperbasque TÉL. : (33) 5 59223575 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33)156821200

DOSSIER DIRIGÉ PAR EMMANUELLE PONTIÉ - RÉALISATION FRANÇOIS BAMBOU AFRIQUE MAGAZINE

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109 Les forces de sécurité camerounaises à l’œuvre…

de l’utérus prolifère…

144 Tension artérielle : se méfier de l’effet « blouse blanche »

138 Élégant mais décontracté, le style preppy, c’est tendance.

SOPHIE GARCIA - DR

gérer l’arrivée des premières dents ERRATUM. Dans notre dossier consacré à la sécurité en Afrique (AM n° 361), la mise en exergue des propos de l’historien sénégalais Mamadou Diouf ne reflète pas la précision de sa pensée. Mamadou Diouf ne dit pas que « les confréries représentent un danger beaucoup plus grand que l’idéologie salafiste », comme nous l’avons écrit (p. 39), mais que les « confréries sont une plus grande menace pour la démocratie au Sénégal que les salafistes ». Dont acte !

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COMMUNICATION ET PUBLICITÉ

AFRIQUE MAGAZINE EST UN BIMESTRIEL ÉDITÉ PAR

145 Petite enfance :

AFRIQUE MAGAZINE

afriquemagazine@cometcom.fr AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél. : (33)153844181 – Fax : (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com

VIVRE MIEUX 140 Verrues : à chacun son remède 142 Endométriose : quand la muqueuse

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32

31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL ET DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0219 / I 856 02. Dépôt légal : août 2016. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2016.

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LE REGARD DE… GLEZ

Circulez, il y a tout à voir… En juillet, à Kigali (Rwanda), l’Union africaine officialise le projet de doter, d’ici à 2020, les citoyens du continent d’un passeport unique. Ce document permettrait ainsi de voyager d’un pays à un autre sans visa. Un beau et noble projet qui risque cependant de se heurter à quelques principes de réalité. Damien Glez est un dessinateur de presse franco-burkinabè. Il est aussi directeur de publication délégué de l’hebdomadaire satirique Le Journal du Jeudi. Il est membre actif de l’association Cartooning for Peace fondée par Plantu. Ses dessins et caricatures ont été publiés dans plus de quarante journaux internationaux. 8

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LES GENS

Blick Bassy

« L’avenir est en Afrique. Réveillez-vous ! » Le bluesman camerounais au timbre voilé encourage la jeunesse du continent à ne pas succomber aux illusoires sirènes de l’Occident. propos recueillis par Astrid Krivian

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AM : Vous êtes musicien camerounais. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire votre premier roman, Le Moabi Cinéma ? Blick Bassy : Je voulais aller plus loin dans les thèmes abordés. Je pensais même en faire un film au départ, et toucher un public plus large. Mon roman parle de l’émigration, des mirages de l’Occident, de son attraction illusoire auprès des jeunes Africains. Leur problème, c’est qu’ils pensent qu’il n’y a rien à faire dans leur pays, que le « paradis », la réussite sont ailleurs. Tant qu’ils n’obtiennent pas de visa, ils sont désœuvrés, comme au chômage. On leur impose un modèle de réussite basé sur un autre environnement, un autre système

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DENIS ROUVRE

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askets fluo aux pieds, collier plastron sud-africain autour du cou, vernis bleu ciel au bout des doigts… Au premier contact, Blick Bassy détonne. Mais l’homme n’est pas exhibitionniste. Plutôt un anticonformiste en quête d’une liberté, qui souhaite paradoxalement s’affranchir du regard des autres. On l’interroge. Sa voix est posée, ses gestes réfléchis. On évoque son parcours, le blues qu’il vénère, sa naissance à Yaoundé, son arrivée en France… Et, surtout, cet étrange et passionnant premier roman, écrit entre deux tournées, où le musicien livre une part inédite de sa personnalité.


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LES GENS 12

baptiste… il changeait de religion à chaque fois qu’un de société. Le fait d’être parti m’a fait réaliser combien il est scandale éclatait au sein de l’une d’elles. J’ai été baptisé difficile de s’en sortir ici en Europe. C’est ce que je veux dire sept fois ! J’ai fait la prière obligatoire à 5 heures tous les aux jeunes à travers cette fiction : l’avenir est en Afrique, matins jusqu’à mes 21 ans. Mon père avait trois femmes, regardez ce que vous avez, agissez, réveillez-vous ! Il faut on était vingt et un enfants, imaginez l’enfer d’attendre que revaloriser nos terres, notre culture. Et arrêter ces dangereux chacun fasse sa prière à l’aube ! discours qui idéalisent l’Occident, à cause desquels des Un prêtre polygame qui promet de guérir les malades milliers d’Africains risquent et perdent la vie chaque année. du sida avec un aspirateur… L’Église passe pour un grand Pourquoi est-ce un arbre, le moabi, qui diffuse, révèle des charlatan dans votre roman… images sur la réalité en Occident ? La religion est l’un des principaux maux qui minent J’aurais pu choisir un baobab, ou toute autre espèce l’Afrique. L’esclavage, la colonisation, l’apport de l’Église africaine, symbole du continent. Aujourd’hui encore dans les ont remplacé l’essence de nos croyances fondamentales, de villages des tribus bassas, il y a des cérémonies lorsqu’on les nos dogmes et de notre modèle de société. L’Europe nous a abat. Ils sont des témoins sacrés, on a l’impression qu’ils sont imposé une religion à laquelle elle ne croit muets mais ils ont des messages. Cet arbre de plus elle-même aujourd’hui. Les églises sont la connaissance est un symbole : la vérité est « À CHAQUE désertées en France. Au Cameroun, la religion souvent sous nos yeux mais nous ne l’écoutons SCANDALE abrutit la population, et est devenue l’excuse : pas, nous l’ignorons, nous allons la chercher AU SEIN DE les gens ne sont pas responsables de leur vie, ailleurs. L’ÉGLISE, MON de leurs actes, tout est remis à la volonté de Pourquoi cet arbre est-il gardé par l’armée, PÈRE CHANGEAIT Dieu ! Donc, ils ne se prennent pas en main. afin que la population n’y accède pas ? DE RELIGION... Les pasteurs s’enrichissent en promettant Parce que les gouvernants africains J’AI ÉTÉ BAPTISÉ aux malades, aux boiteux, aux aveugles de sont complices de cette tragédie, de ces SEPT FOIS ! » les guérir… comme dans la Bible. Ils sont mensonges. Ça les arrange bien de voir tellement puissants, ils ont des chaînes de leur peuple essayer de partir et délaisser télévision, payent des acteurs de telenovelas leur pays. Pendant ce temps, ils peuvent brésiliennes pour être à leurs côtés, renforcer piller les richesses, n’ont de compte à leur crédibilité. Parfois, quelqu’un peut être rendre à personne. Or, ils ont vraiment tué juste parce qu’un prêtre a décidé que c’était une responsabilité dans ce phénomène : un sorcier, qu’il portait malheur. L’Europe a comme pour les campagnes d’information connu cette période où l’on brûlait des gens, sur le paludisme et le sida, il faudrait qu’il nous, on vit ça encore aujourd’hui. y ait l’équivalent sur les difficultés de vivre Est-ce que votre discours au sujet de la religion en Europe. Les médias européens parlent est entendu au Cameroun ? toujours de nos maux : guerres, famines, Non, pour la plupart des gens, je blasphème, maladies… À l’inverse, sur le continent, on je suis possédé par le diable, l’Occident m’aurait magnifie l’Europe. La difficulté d’obtenir complètement détruit… Ils pensent même que un visa renforce cette envie de partir : le je dois ma carrière à une secte ! La réussite « paradis » est difficile à atteindre ! C’est quand par le travail n’est pas reconnue. Enfant, on même le comble : quels pays nous demandent nous faisait croire que Manu Dibango avait un visa pour venir ? Les mêmes qui, par le vendu ses cheveux pour pouvoir être célèbre. passé, ont dessiné les frontières des nôtres. C’est la croyance, encore, qu’on ne peut pas Pourtant, vous avez choisi de vivre en France, réussir grâce à ses efforts mais en faisant dans le Nord, depuis 2005… des sacrifices, en faisant appel à un pouvoir Au Cameroun, malheureusement, il n’y Son roman, paru en mai extérieur magique. Malheureusement, nos a pas les structures adéquates pour faire une chez Gallimard, succède traditions et croyances ancestrales ont été carrière internationale. En tant que citoyen à Akö, son troisième mises dans le même sac que la sorcellerie. du monde, j’avais besoin de me frotter à et dernier album (2015). Qu’est-ce que l’animisme, votre croyance ? d’autres univers musicaux, partager mon C’est considérer l’homme comme un élément parmi tant message. Plus jeune, j’ai refusé à trois reprises une bourse d’autres, à l’égal d’une herbe, d’un arbre, de l’eau… Or il se d’études pour l’Europe et les États-Unis. Le rêve de tous les comporte comme si c’était lui qui avait créé la Terre, et qui jeunes ! À l’époque, pour mon père, soit j’étais malade mental, décidait. On parle d’écologie, d’environnement, comme si soit on m’avait jeté un sort ! Il avait même appelé un prêtre c’était un sujet à part, séparé de nous ! J’ai la chance d’avoir pour me faire exorciser. grandi au village, mon oncle nous a appris à cultiver le Un fervent chrétien, en quelque sorte... manioc, le plantain, à chasser. À reconnaître le chant d’un Oui, il possédait d’ailleurs l’église du village, qu’il avait certain oiseau qui nous avertit de la présence d’un serpent construite. Catholique, protestant, Nouvelle Église de Dieu, AFRIQUE MAGAZINE

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DAVID BALICKI

Il maîtrise bassa, français et anglais, joue de plusieurs instruments, s’adonne à l’écriture... Assurément, Blick a plus d’une corde à son arc.

venimeux. Mais dans nos sociétés, aujourd’hui, on n’écoute plus les messages de la nature. Le blanchiment de peau est présenté comme un « sport national » dans votre livre : « Black is beautiful » y devient « Black is awful »... C’est, là encore, lié au manque d’estime de soi, au passé colonial, à cette idéalisation de l’Occident. Il y a une absence cruelle de modèles, que nous devons créer, aller chercher dans notre histoire. Il faudrait que Peau noire, masques blancs, de Frantz Fanon, soit enseigné à l’école. Et nos dirigeants ont là aussi une responsabilité : ces produits qui blanchissent la peau sont extrêmement nocifs, ne subissent aucun contrôle, et passent en publicité sur la télé nationale ! AFRIQUE MAGAZINE

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Les conséquences pour la santé sont désastreuses : peau brûlée, cicatrices, odeurs, maladies… Y a-t-il des carences dans l’enseignement de l’histoire du Cameroun ? Bien sûr. Et tant qu’on ne connaît pas notre histoire, qu’on ne l’assume pas, on sera perdu. Même les périodes les plus récentes ne sont pas enseignées. Celles des résistants camerounais, qui ne sont toujours pas reconnus comme des héros : Félix Moumié, Ernest Ouandié, Ruben Um Nyobe. Ils se battaient pour être libres, pour sortir de la colonisation, du joug de la France, et ont été tués pour ça. Mon grand-père et ma mère ont vécu pendant deux ans dans la forêt, à se cacher, parce que leur village était voisin de celui de Nyobe. L’armée française séquestrait, torturait, tuait les gens autour pour qu’ils avouent où se trouvaient les rebelles. L’histoire raconte que ces héros de l’indépendance étaient des terroristes, que les Bassas sont des maquisards. Tous ces événements se sont passés pendant la gouvernance de De Gaulle. Le héros des uns peut être le bourreau des autres. Vous avez créé votre label BB Prod au Cameroun en 2004. Quels artistes produisez-vous ? Des jeunes rappeurs, des artistes de musiques urbaines : Koppo, les rapconteurs avec Krotal, Bantou Pô-si, X-Maleya… Je soutiens ceux qui rappent en camfranglais, sorte de créole camerounais malheureusement encore mal perçu, qui mêle français, anglais et mots issus des langues de différentes tribus. Car malgré nos 260 dialectes au Cameroun, nous n’avons pas une langue qui réunit les différentes ethnies, comme le bambara au Mali, le wolof au Sénégal ou le lingala au Congo… Moi, je chante en bassa, il faut rester fidèle à soi-même, à ses racines. Et ce n’est aucunement un frein pour partager ma musique au-delà des frontières : l’an dernier, Apple m’a bien acheté une chanson [Kiki, NDLR] pour faire la promotion de l’iPhone 6 ! ■ 13


Moussa Sissoko Le cœur black des Bleus Arrivé sur la pointe des pieds à l’Euro 2016, l’enfant d’Aulnay-sous-Bois a fini la compétition en étant le plus vaillant des Tricolores. De l’ombre à la lumière... par Alice Chapon

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n’aligne pas un joueur « qui n’est connu que de son père et de sa mère » pour un quart de finale d’un tel niveau. Non, il n’est pas entré de plain-pied dans cette compétition éclaboussant coéquipiers et adversaires de son talent. Moussa, c’est plutôt un diesel. Version injection. Il est monté en puissance jusqu’à cette maudite finale perdue contre le Portugal au cours de laquelle il a été élu meilleur joueur de la rencontre. Mais Moussa remportera d’autres trophées à l’avenir. Comme pour accréditer l’adage africain, selon lequel il vaut mieux regarder devant soi que se retourner sur l’endroit où l’on a trébuché. ■

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u Stade de France, qui a abrité la finale de l’Euro 2016, à Aulnay-sous-Bois, il y a grosso modo une vingtaine de kilomètres. Un monde pour Moussa Sissoko, originaire de cette banlieue parisienne où différentes communautés partagent le pain, et qui a toujours gardé une indéfectible reconnaissance pour sa ville. Celle « où tout a commencé », rappelle-t-il. Il n’oublie pas qu’Aulnay a été son tremplin pour le Red Star 93 avant de rejoindre le centre de formation du Toulouse Football Club, où il effectuera ses débuts professionnels à 17 ans. Ce parcours lui vaut d’être régulièrement appelé en équipe de France chez les jeunes et, à la faveur de sa meilleure saison au « Téfécé », en 2009, il est remarqué par Raymond Domenech, alors sélectionneur des Bleus. La suite est logique : un départ outre-Manche pour le repaire des « Frenchies », Newcastle. Son deuxième Aulnay, son deuxième Toulouse… Car chez Sissoko, la fidélité a plus de sens que le seul clinquant des clubs européens qui brandissent les chèques aux multiples zéros. Voilà pourquoi il avait choisi d’y rester, malgré les appels du pied récurrents d’autres formations anglaises de prestige. Moussa-le-besogneux a sans doute adapté la devise du pays de ses parents, le Mali, à sa propre vie : « Un peuple, un but, une foi. » Il a cru à Newcastle, tombé dans les profondeurs du championnat anglais, si bas que c’est désormais la Championship (deuxième division) qui l’attend. Il n’y passera certainement pas la saison, soyons clairs. À 26 ans, le milieu des Bleus connaît les vertus de la patience. Convoqué par Didier Deschamps un peu à la surprise générale, il a tenu son rang au fil des rencontres de l’équipe de France. Au début, disons le tout net, il a énervé les fins observateurs appelés supporters, passablement contrariés par ses hésitations, son placement. Les mêmes ont volontiers raillé les choix du sélectionneur parce qu’on

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UNE FINALE PERDUE EST TOUJOURS UNE BLESSURE INDÉLÉBILE. DONT ON SE RELÈVE PARFOIS PLUS FORT...

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Yosr Ben Ammar « L’art est une arme contre l’obscurantisme » Elle a installé sa galerie, Le 32Bis, au cœur de Tunis, loin des quartiers huppés de la « banlieue nord ». Street art, tags, graffiti, elle cherche à faire bouger les lignes, vers une expression moins élitiste.

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L’art au quotidien... Même chez elle, Yosr Ben Ammar s’entoure d’artistes. Au mur, une fresque d’Aïcha Snoussi.

par Frida Dahmani

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a Soukra, La Marsa, Sidi Bou Saïd… C’est dans ce triangle d’or, à vingt minutes de la capitale, que se trouve la majeure concentration de galeries de Tunis. Un territoire de création apprécié par les artistes et le lieu de résidence de nombreux collectionneurs. Yosr Ben Ammar, 41 ans, y a longtemps évolué avant de prendre à contre-pied cette tendance et d’ouvrir en 2015, avec le galeriste Mehdi Ben Cheikh, Le 32 Bis, un espace dédié à l’art urbain dans un quartier en déshérence du centre de Tunis. Souriante mais un peu réservée, elle devient intarissable quand il est question de plasticiens tunisiens. Formée à la finance et à la gestion de portefeuille, l’ancienne étudiante à l’Institut supérieur de gestion de Paris (ISG) est devenue une dénicheuse de talents et une galeriste atypique. Avec des parents collectionneurs, Yosr Ben Ammar a goûté aux arts

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La culture pour tous... C’est dans le centre-ville de Tunis, dans un quartier en déshérence, que Yosr Ben Ammar a voulu installer la galerie 32Bis.

Portraits réalisés par le Libanais Yazan Halwani (noir et blanc) et l’Espagnole Btoy (couleurs). Ci-dessous, le graffeur tunisien Inkman.

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plastiques dès son plus jeune âge. « Suivre des cours de peinture avec Ali Bellagha n’est pas anodin : ça marque. » Mais « c’est une rencontre avec le peintre Ahmed Hajeri qui a été déterminante ; au bout de trois heures de discussion, j’avais décidé d’ouvrir Kanvas, ma propre galerie », se souvient non sans émotion celle que ses amis surnomment Yoyo. Le coup de tête se révèle être un coup de maître qui fait connaître, dès l’ouverture en 2007, une nouvelle génération de plasticiens tunisiens dont Mohamed Ben Slama, Omar Bey, Nadia Jelassi, Mehdi Bouanani et Ali Tnani. La révolution de 2011 et son besoin d’expression produisent une abondance d’œuvres et l’émergence de nouvelles signatures. Un temps fort, symbole d’un profond changement où les arts plastiques traduisent avec éloquence l’espoir mais aussi les incertitudes d’une société qui se cherche. Une approche critique dont Yosr est partie prenante et cheville ouvrière ; cornac d’artistes, elle les lance sur de nouvelles pistes et participe à une movida foisonnante d’idées et de propositions. Juin 2012 sera pour elle un clivage majeur. Les œuvres qu’elle expose alors au palais Abdellia de La Marsa sont vandalisées par des extrémistes religieux qui

multiplient les menaces à son égard. Par crainte de rétorsions et « parce que la galerie, faute de sortie de secours, ne laissait pas d’issue en cas d’attaque », la petite-fille de Tahar Ben Ammar, signataire du protocole d’indépendance en 1956, met fin à l’aventure de Kanvas. Malaise. Mais plus que les intimidations des salafistes, c’est une petite phrase du ministre de la Culture, Mehdi Mabrouk, prononcée après le saccage d’Abdellia (« L’art se doit d’être joli et ça, ce n’est pas joli ») qui choque. Elle ancre sa détermination à avancer avec des mécènes et à prendre ses distances avec les services de l’État dès lors que le ministère se mêle de critique artistique… Elle ne baisse pas pour autant les bras et entame son engagement contre le radicalisme. « Chacun lutte avec ce qu’il connaît. Pour moi, c’est l’art. C’est une des armes contre l’obscurantisme », assène-t-elle, poursuivant l’accompagnement d’artistes avec l’inauguration de la Hope Contemporary Gallery, avant de s’orienter vers le street art et l’art urbain avec Mehdi Ben Cheikh, fondateur de la galerie Itinerrance à Paris. « Djerbahood », en 2014, marque une première collaboration réussie. Une centaine d’artistes internationaux investissent les murs du paisible et traditionnel village d’Erriadh à Djerba. Les tags et les graffitis se déclinent en grand format pour composer des fresques géantes qui feront le tour du monde. Un succès. Yosr évolue. Interpellée par ce qui est dans l’air du temps, une expression moins élitiste en prise avec l’environnement urbain, elle défriche dans l’enthousiasme d’autres voies et poursuit son aventure sur les routes de l’expression avec Le 32 Bis, un temple du street art. Un pari audacieux qui ancre l’art dans la Cité et qu’elle relève tout en étant lucide quant à l’étroitesse du marché de l’art local mais convaincue qu’il demeure un bastion de liberté. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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CORNAC D’ARTISTES, ELLE LES LANCE SUR DE NOUVELLES PISTES ET PARTICIPE À UNE MOVIDA FOISONNANTE D’IDÉES ET DE PROPOSITIONS.


Rama Thiaw Caméra au poing Réalisatrice engagée, elle a filmé le « printemps sénégalais » à travers le mouvement contestataire Y’en a marre. par Sabine Cessou

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rimé à la Berlinale en mars, le documentaire de 110 minutes de cette réalisatrice sénégalaise sur le mouvement citoyen Y’en a marre confirme un vrai talent : celui de Rama Thiaw, 38 ans, une battante à l’esprit rebelle qui a grandi entre la Mauritanie, la banlieue dakaroise de Pikine et la France. Elle y a étudié l’économie à la Sorbonne et le cinéma à Saint-Denis, avant de s’emparer d’une caméra et de sujets de société qui lui tiennent à cœur. Mère en France d’un garçon Rama Thiaw rythme le début de son film prénommé Kaya – en d’images d’archives, retraçant avec précision hommage à Bob Marley –, le film des événements. Où l’on voit la rue elle revendique ses origines s’enflammer, littéralement, dans des scènes populaires et africaines. de colère qu’elle contribue à fixer dans les Remarquée dès 2011 grâce à mémoires, des morceaux d’anthologie qui ont Boul Fallé, un documentaire inspiré les jeunes bien au-delà des frontières sur l’engouement des jeunes du Sénégal – au Burkina Faso et en République pour la lutte traditionnelle démocratique du Congo (RDC) notamment. au Sénégal, Thiaw assume En filigrane, la réalisatrice filme aussi la valse Une scène du film montrant une manifestation une manière très personnelle du collectif Y’en a marre. médiatique autour du mouvement. Entouré dès le de filmer, s’attardant avec départ de jeunes journalistes européens fascinés, poésie sur les corps des lutteurs dans leur ballet, qu’elle voit Y’en a marre, dont on comprend comment le leadership s’est comme l’incarnation d’un espoir : « Redevenir ce que nous construit dans des périodes de tension intense, n’a été reconnu sommes, de nobles guerriers. » par la diplomatie occidentale que sur le tard, en 2013, une fois Son dernier film, déjà culte au Sénégal au moment la bataille finie, par les visites officielles de Barack Obama et du de son tournage, s’intitule The Revolution Won’t Be Televised ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius. (« La révolution ne sera pas télévisée »), un titre inspiré Son sujet s’est imposé à elle avec la force de l’évidence : « Je par Gil Scott Heron, poète africain-américain (1949-2011) n’ai jamais rencontré des artistes aussi intègres, si intègres que et l’un des parrains du hip-hop. Un paradoxe, aussi, car les filmer est devenu forcément nécessaire, ne serait-ce que les images montrent des caméras et des objectifs braqués pour me dire que je ne rêvais pas », dit-elle. Le documentaire, sur les trois camarades de lutte, Thiat et Kilifeu (deux qui fait le tour des festivals de la planète, a été montré à Milan, rappeurs du groupe Keur Gui) et leur ami journaliste Buenos Aires, Toronto, Munich, Varsovie, Bruxelles, Seattle, Fadel Barro, fondateurs en janvier 2011 du mouvement Durban et Lausanne au mois d’août. En mélomane engagée, Y’en a marre. Leur mobilisation visait à empêcher le président Rama Thiaw ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Son prochain Abdoulaye Wade de se maintenir au pouvoir, en faisant projet, qui promet de faire couler de l’encre, porte sur le reggae modifier la Constitution, comme cela arrive en toute en Afrique : d’Abidjan à Johannesburg, l’histoire d’une passion impunité sous d’autres cieux. et d’une force positive, comme elle… ■

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Thibaut Danho Le champion du bassin Il défendra les couleurs de la natation ivoirienne aux Jeux olympiques de Rio. Conscient que ses performances serviront à faire évoluer l’image d’une discipline encore en devenir sur le continent. Propos recueillis Alexandre Blondin

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Quel conseil donneriez-vous à un jeune sportif ans, 1,86 mètre, 80 kg, la personnalité qui souhaiterait suivre votre chemin ? du Capricorne et le charisme des La sage philosophie de Nelson Mandela, qui démontre que vainqueurs ! Si Thibaut était un l’on n’obtient rien sans rien et que tout ce que l’on entreprend gladiateur des temps modernes, est un combat qu’il faut mener avec volonté et détermination. l’Olympe lui tendrait les bras. En ce mois d’août, il va vivre le rêve olympique et défendre les Vous êtes champion de natation de Côte d’Ivoire et vous détenez couleurs de la Côte d’Ivoire au pays des Cariocas dans une six records nationaux en nage libre et en papillon. Quelles sont discipline où le continent (hors Afrique du Sud et Tunisie) vos ambitions sportives et vos perspectives d’avenir ? fait office de parent pauvre. Recordman de Côte d’Ivoire Je reste très prudent sur les données possibles de sur 50 m, 100 m, 200 m, 400 m nage libre, 50 m et 100 m mon évolution sportive même si je me sens capable d’aller papillon, le nageur franco-ivoirien truste les titres et se beaucoup plus loin au niveau des performances. Ma priorité positionne comme un nouvel espoir de la natation noire reste mes études et mon avenir professionnel. Lorsque africaine. Brillant étudiant à l’École nationale d’ingénieurs j’étudiais à l’IUT à Toulouse, j’ai effectué un stage de des mines d’Alès (Gard), ce jeune performeur conjugue les plusieurs mois à Londres pour être parfaitement bilingue. études supérieures, la technicité sportive et l’intelligence Cette expérience était une initiative personnelle car je suis de l’eau. Sociétaire du Cercle nautique Cévennes Alès, un battant et un décisionnaire, « la tête et les jambes » c’est coaché par Alain Michel, il s’entraîne 20 heures par semaine possible, encore faut-il savoir gérer le corps et l’esprit. entre la piscine et la salle de musculation. Le Rio sera votre première sélection « LA FRANCE tigre est son animal totem, grand prédateur et olympique… Que ressentez-vous à quelques jours M’A OFFERT DES de ce symbolique événement sportif ? excellent nageur, des qualités que revendique CONDITIONS le sportif en quête de performances. C’est un souhait qui se réalise, une chance et D’ENTRAÎNEMENT une opportunité incroyables. Je suis comme sur AM : Comment êtes-vous arrivé en France ? INCOMPARABLES un nuage et je vais donner le meilleur de moiThibaut Danho : Mon père, natif du village de même. Ma 7e place en finale du 50 m papillon Bago près d’Abidjan, est venu s’installer en France AVEC CELLES DE MON PAYS pour faire ses études. J’ai commencé à nager très (6e temps des séries), lors des Jeux africains de D’ORIGINE. » jeune à l’ASPTT Grand Toulouse. J’ai vite ressenti Brazzaville (2015) face au champion olympique une véritable passion et des prédispositions sud-africain Chad Le Clos, m’a donné des ailes pour ce sport, mais je ne pensais pas accéder un jour au pour la suite de ma carrière. Je serai du voyage à Rio pour niveau international. La France m’a offert des conditions représenter la Côte d’Ivoire dans l’épreuve reine olympique, d’entraînement incomparables avec celles de mon pays le 100 m nage libre. Mon temps de référence de 53”21, même d’origine. Je suis fier d’être à la fois Français et Ivoirien, s’il est loin des meilleurs mondiaux, est une performance de partager mon cœur entre deux cultures. sur le continent. Conscient de l’enjeu que représente cet Peu de nageurs noirs africains s’affichent au niveau événement unique, je me conditionne physiquement et international, pensez-vous être une exception ? psychologiquement. Quel que soit le résultat, je sais que Une exception, non, car je ne m’entraîne pas en Afrique. je vais vivre une aventure humaine et sportive magique Lors des Jeux africains, tous les nageurs qui ont obtenu des et inoubliable. Serge Vremen, président de la Fédération médailles s’entraînaient dans une structure externe à leur ivoirienne de natation et de sauvetage (Fins), souhaite pays d’origine. Il faut de nouvelles piscines et des centres impulser la natation ivoirienne. C’est un projet ambitieux, un de formation pour que la natation progresse et se place au véritable défi de représentativité identitaire. Ma participation niveau international ; il n’y a pas de secret. aux Jeux olympiques est plus qu’un objectif : c’est un devoir. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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GAËL JUNKER

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◗ Ma nouvelle création, Du désir d’horizons, est fondée sur le matériau que j’ai pu recueillir dans des camps de réfugiés en Afrique où j’anime des ateliers depuis trois ans dans le cadre du programme « Refugees on the Move ». Danser pour résister, là où tout semble impossible, est pour moi un engagement de la première heure. En 2006, j’ai d’ailleurs fondé, avec le chorégraphe Seydou Boro, le Centre de développement chorégraphique La Termitière dans un quartier défavorisé de Ouagadougou. Aujourd’hui, mon spectacle met en scène les états du corps que j’ai pu observer dans les camps. Ce ressenti, ce vécu, tissent une poétique dans mon écriture chorégraphique et amènent les spectateurs à réagir et à réfléchir sur la condition humaine.

l’agenda

Salia Sanou

La danse comme espace de réflexion et d’altérité. Pour ce danseur-chorégraphe, le mouvement du corps est un plaidoyer pour le dialogue. Nommé officier des Arts et des Lettres, il se partage entre le Burkina Faso et la France. Sa nouvelle création, Du désir d’horizons, est en tournée internationale. PRÉSENTÉ PAR CATHERINE FAYE

de la jeunesse africaine. À la danse et au mouvement s’ajoutera la parole, incarnée par des slammeurs. Je vois en cette jeunesse la lumière de l’Afrique. Et pourtant, il n’y a ni vraie écoute, ni de prise de conscience SON PROJET des pouvoirs publics : la ◗ J’ai lancé des ateliers dans connaissance, l’éducation, les capitales africaines sur la voilà où l’Afrique pèche. question du corps comme lieu de mémoire et espace de prise En attendant, on m’a confié la direction artistique du de parole, et je réfléchis à une création dont le thème sera une prochain festival Danse réflexion politique sur l’avenir l’Afrique danse ! (photo). 22

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MARC COUDRAIS - DR (2)

SON SPECTACLE


SES LIVRES SON VOYAGE ◗ Aller ailleurs, apprendre et échanger sur d’autres terrains est essentiel. Je suis Africain, mais je fais partie du monde. Paris a été le premier voyage qui m’a profondément marqué. Là, j’ai atterri dans un autre monde où tous les codes changeaient et il m’a fallu trouver ce double qui était en moi pour m’adapter. Plus tard, Tokyo (photo) m’a beaucoup impressionné : la façon de marcher des Japonais, d’être les uns avec les autres dans un petit espace, l’utilisation rationnelle de cet espace. Et puis, à l’opposé, Montréal, avec ses grandes étendues, ses larges avenues. J’appréhende toujours un lieu par l’espace et par le corps.

SA MUSIQUE

SHUTTERSTOCK - DR (2)

◗ Jazz, rock, musique classique je reste très ouvert. Mais c’est la sonorité des voix africaines qui m’a bercé. Kilimanjaro, de la chanteuse militante sud-africaine Miriam Makeba (photo), oscille entre mélancolie et espérance et nous élève vers le ciel à l’image du sommet de la montagne tanzanienne. Mandjou, du Malien Salif Keïta, est un hymne aux relations et aux valeurs humaines. Il y rend hommage au président guinéen Ahmed Sékou Touré et au peuple mandingue. Tiken Jah Fahkoly pour son engagement et, bien sûr, Nina Simone pour sa voix exceptionnelle et sa lutte pour l’égalité des droits : une grande dame.

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relation à l’autre qui m’a frappé. J’ai donc introduit des pas de sirtaki dans Du désir d’horizons, faisant ainsi un clin d’œil aux réfugiés et aux migrants qui se trouvent en Grèce. Sinon, la comédie musicale de Flora Gomes, SON FILM Nha Fala, sur une musique de ◗ Alors que je cherchais des références à la notion Manu Dibango, m’a beaucoup touché. Elle dénonce d’exil dans la danse des le poids des traditions, un Balkans ou du MoyenOrient, je suis tombé sur le frein en Afrique. Enfin, le magnifique Zorba le Grec, dépouillement et la poésie de Timbuktu, d’Abderrahmane de Michael Cacoyannis. Sissako, m’inspirent aussi. Dans ce film, c’est la

◗ Je parlerais plus volontiers d’auteurs. Le dramaturge congolais Sony Labou Tansi, dont les pièces de théâtre féroces et toujours d’actualité dénoncent la dictature, m’a permis de prendre du recul. Et aussi l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, qui replace l’histoire de l’Afrique au même rang que celles des autres continents. C’est grâce à l’Ivoirien Ahmadou Kourouma que j’ai pu faire le lien entre la colonisation et ce que nous vivons aujourd’hui : En attendant le vote des bêtes sauvages m’a particulièrement remué car, si les politiciens changent, les systèmes politiques sont tenaces. Sans oublier François Rabelais, le libre-penseur, et Samuel Beckett, dont le difficilement classable Cap au pire interroge le processus créatif. Tous ces textes m’invitent à aller « ailleurs » dans mes chorégraphies.

SA TABLE ◗ Les maquis restent mes lieux favoris pour boire une bière, manger un poulet grillé, écouter de la musique et discuter avec les amis tard dans la nuit. C’est un lieu familial avec une ambiance unique ! À Ouagadougou, j’aime m’asseoir à la terrasse de La Synthèse. On est aux premières loges pour observer la circulation au rond-point où il est situé. Quand le gars prend le virage, tu sais s’il va aller dans le décor ou non. Quand je suis à Montpellier, où je vis la moitié du temps, cette atmosphère me manque.

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U A E V U O N

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C’EST COMMENT ?

VIVE

PAR emmanuelle pontié

LA RENTRÉE ?

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rofitez bien de vos vacances (ceux qui en prennent ou peuvent en prendre…) ! Car la rentrée est de retour. Avec son parcours du combattant. Oublions les nantis, sans souci de sous, qui mettent leurs petits et grands dans les écoles privées. Pour les autres, c’est une galère, en gros d’août à octobre. Il faut trouver de l’argent, auprès de banques qui, là, miracle, proposent plein de crédits. Petits, remboursables vite, à des taux vertigineux. Parce que l’on sait que le Burkinabè ou le Gabonais qui a plein d’enfants y aura forcément recours. Il faut faire la queue pour les inscriptions, choisir entre ses filles et ses garçons qui ira à l’école cette année car les y envoyer tous n’est souvent pas possible, trouver la liste de fournitures interminables, où l’on inclut parfois le banc pour s’asseoir dans les écoles de village. Après, il faut trouver le maître ou le prof, qui refuse durant des mois, voire une année, d’aller enseigner dans des terres éloignées des villes. Certaines écoles sont vides, avec des arbres qui ont poussé à l’intérieur des classes, et elles abritent des ânes venus se protéger du soleil. Il faut passer les écueils de la petite corruption, du bakchich pour avoir une place ou un ticket pour la classe supérieure à la fin de l’année, voire des NST (notes sexuellement transmissibles) dès le secondaire, où les jeunes filles commencent à être séduisantes… Il faut supporter les classes bondées, à 150 ou 200 élèves. Et lorsque l’on gravit les étapes, on devra encore batailler pour l’introuvable bus scolaire, la bourse qui n’est pas versée, le campus totalement délabré où l’on s’entasse à trois ou quatre par chambre… Les trois ministères généralement concernés par l’éducation (de base, secondaire, supérieure) sont pourtant budgétivores dans les États africains. Mais alors, quid de l’affectation des moyens ? Dès que l’on sort des capitales où, bon

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an mal an, les écoles petites ou grandes ouvrent et dispensent plus ou moins des cours, c’est le désert des Tartares. Plus dans tel pays que dans tel autre, d’accord. Mais au final, on se demande comment un enfant peut s’épanouir, réussir, se former, être apte à prendre son avenir professionnel en main après autant d’années d’adversité, ponctuées souvent de grèves à répétition et d’années blanches. Eh oui, en 2016, ça n’a toujours pas évolué. Le système s’est même souvent dégradé en matière de gestion de l’enseignement, du niveau et des moyens. On construit des écoles, « tant ou tant par an » s’enorgueillissent les gouvernements. Mais si elles ne fonctionnent pas, à quoi ça sert ? Comme si le danger de former des générations de jeunes, inadaptés au monde du travail et au monde tout court, n’inquiétait personne parmi les pouvoirs publics. Incroyable. Pourtant chacun le sait, c’est bien dès le début, à l’école, que l’on se construit. Ou pas. ■

CERTAINES ÉCOLES SONT VIDES, AVEC DES ARBRES QUI ONT POUSSÉ À L’INTÉRIEUR DES CLASSES, ET ELLES ABRITENT DES ÂNES VENUS SE PROTÉGER DU SOLEIL.

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TEMPS FORTS

LE MYSTÈRE

ALI,

LE MYSTÈRE

GABON

Fin août se tiendra une élection présidentielle sous haute tension. Au centre du jeu, un candidat sortant, incarnation du système mais aussi d’un possible sursaut… Enquête, témoignages et chiffres éloquents. 26

Dossier réalisé par Zyad Limam avec Sabine AFRIQUE Cessou et Julien Wagner MAGAZINE I 3 6 2 – A O Û T – S E P T E M B R E

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Libreville, le 9 juillet, le chef de l’État a mobilisé plusieurs milliers de sympathisants pour l’annonce officielle de sa candidature à la présidentielle du 27 août.

SAMIR TOUNSI/AFP PHOTO

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lection présidentielle donc, fin août, dans un climat tendu. Bienvenue dans une campagne où tous les coups sont permis, violence, mensonges, arrestations… Et où on parle si peu du fond, de ce qui compte. Et le fond, finalement, c’est cette sensation que le Gabon n’avance pas ou si lentement, c’est cette sensation d’immobilisme, cette absence de vraie détermination, de volonté de développement. Malgré les richesses immenses et les talents réels du pays. L’affaire ne concerne pas qu’Ali Bongo Ondimba (ABO), président sortant, et qui en a certainement fait plus que d’autres en quelques années. L’affaire concerne toute une élite, issue des indépendances et des années Bongo, une élite dont le souci essentiel reste encore le partage de

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la rente, le conservatisme, la défense des intérêts acquis, bien loin d’un projet de changement novateur, plus rapide et surtout plus égalitaire. Les progrès, les évolutions positives passent au second plan aux yeux d’une opinion marginalisée qui se dit que « tout reste en haut ». Dans ce contexte, l’élection d’août 2106 apparaît essentiellement comme une lutte de chefs au sein de « la famille ». Elle soldera plus ou moins définitivement les comptes entre les héritiers d’Omar Bongo Ondimba. Mais elle n’ouvrira pas de réelles perspectives pour demain. Un demain qui s’annonce particulièrement difficile. La fin de la rente pétrolière se profile à grande vitesse, et la diversification de l’économie reste particulièrement timide. Plus de 60 % des Gabonais ont moins de 25 ans. Comment peuvent-ils se sentir concernés par ce combat de grands frères qui monopolisent le pouvoir ? Et comment expliquer à cette jeunesse la logique d’un système où une famille et ses proches tiennent les rênes du pouvoir depuis 1967… Pour le candidat

Ali Bongo Ondimba, la campagne s’annonce dure et la réélection n’est pas « dans la poche ». Il n’est pas à l’abri d’une (improbable) candidature unique de l’opposition (largement ex-pédégiste). Trop souvent isolé dans la tour d’ivoire du palais du Bord de mer, entouré de sa garde rapprochée, le président s’est coupé des cercles traditionnels d’influence et de pouvoir, y compris dans sa région d’origine. Pourtant, face à une opposition aussi « réactionnaire » et en l’absence d’un véritable contre-choix, Ali Bongo Ondimba reste le mieux placé pour mener un temps encore la barque Gabon. Mais la continuité et la stabilité ne sont un véritable argument qu’à condition que tout cela débouche sur un véritable projet réformateur. Et une perspective d’avenir. Ali, l’héritier, l’homme du système, doit devenir l’homme du changement. Et préparer une vraie alternance, ouvrir la route vers une transition générationnelle. L’autre chemin, celui d’un « immobilisme amélioré à la marge » serait porteur de lourdes menaces. ■ ZYAD LIMAM

Ce qu’ils en disent Essayistes, intellectuels, journalistes, ils proposent un regard souvent sans concession sur les années Ali. Avec en guise de contrepoint un texte signé par des cadres nationaux qui soulignent les acquis positifs de ce premier mandat.

Emane-Wongo (Collectif de jeunes hauts cadres gabonais)

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« À trop balayer sa cour, on fait sortir les racines »

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u moment où la campagne en vue de l’élection d’août prochain bat son plein en déversant ses torrents de promesses, d’anathèmes et de procès en pureté nationale, il nous a semblé utile de nous interroger sur le septennat finissant qui symbolise, pour les uns, le grand bond en avant et, pour les autres la régression absolue. Notre pays a-t-il progressé ou régressé sur le plan économique, social, politique et de l’État de droit démocratique ? Passons en revue les différents plans aussi simplement que possible en épargnant au lecteur les chiffres auxquels chacun peut faire dire ce qu’il veut.

L’ÉCONOMIE Malgré la persistance des maux maintes fois dénoncés (gabegie, concussion, corruption…), le Gabon a commencé à faire sa mue et à sortir de la dépendance aux rentes extrac28

tives. Au-delà des difficultés financières du moment (dues pour une bonne part à la crise des matières premières), l’économie résiste relativement bien. La cessation de paiement tant prophétisée par certains tristes oracles ne s’est pas encore réalisée. Cela s’explique par le début de diversification de l’économie dont la zone spéciale de Nkok est une illustration.

LE SOCIAL Pendant près de sept ans, le pays a vécu sous le mode de la grève permanente. Si ces innombrables mouvements sociaux avaient une pertinence au regard des retards de solutions accumulés au cours des vingt années précédentes, il est vite apparu que la plupart de ces grèves obéissaient à des agendas politiques dès lors que certaines centrales avaient fait le choix d’accompagner l’opposition dans sa contestation du pouvoir d’Ali Bongo Ondimba. Il n’en reste pas moins que cette pression syndicale a permis de nombreuses avancées sociales dont la plus marquante est l’adoption, il y a un an, du nouveau système de rémunération des agents de l’État, dont les soldes n’avaient pas bougé depuis le début des années 1990. L’honnêteté commande de reconnaître que peu de gouvernements pouvaient accorder AFRIQUE MAGAZINE

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Au cœur de Libreville, face à la mer, l’imposant palais présidentiel.

en période de crise une augmentation moyenne de 30 % à leurs fonctionnaires. Les agents de l’État en sont conscients et c’est ce qui explique l’échec lamentable du mot d’ordre de grève générale lancé par une centrale syndicale dont les responsables ont fini par tomber les masques en rejoignant les « pourfendeurs de la non-gabonité » d’Ali Bongo Ondimba. De même, si le régime d’assurance maladie universelle et de garantie sociale n’a pas été mis en place par l’actuel gouvernement, le citoyen a pu en constater l’effectivité et la durabilité. La modernisation des infrastructures sanitaires n’est pas en reste, dont l’illustration la plus parlante est la construction de trois centres hospitaliers universitaires ultramodernes. Sans parler du logement social qui, s’il n’est pas à la hauteur des promesses de campagne du candidat Ali Bongo Ondimba, n’en a pas moins connu un début d’exécution.

qui n’était qu’une autorité, est devenue un pouvoir. Les syndicats usent (et souvent abusent) des libertés syndicales. Bien sûr, on entend souvent la petite rengaine des manifestations interdites de l’opposition ou violemment dispersées par les forces de l’ordre en omettant de signaler que la fermeté de la répression n’est souvent que la réponse à la violence des manifestants, dans leur essence et leur objet.

ALORS, PROGRÈS OU RÉGRESSION ? LE POLITIQUE Pour avoir renoncé à utiliser certains des ressorts traditionnels qui avaient assuré la relative stabilité d’Omar Bongo, son successeur a pris le risque du septennat chahuté qu’il a connu. Cette façon de faire a conduit à la radicalisation de l’opposition et à nombre de frustrations au sein du parti majoritaire, le Parti démocratique gabonais (PDG), qui a vu quelques-unes de ses figures de proue se découvrir une vocation d’opposants vociférants. Au point que, et à de rares exceptions près, la prochaine élection n’opposera que des pédégistes. Pour autant, le PDG, fidèle au président, n’a ni sombré ni perdu ses capacités de machine électorale bien rodée, comme le démontrent les élections législatives partielles de juin dernier qui l’ont vu conserver neuf des douze sièges concernés.

OLIVIER EBANGA/AFRIKIMAGES AGENCY

L’ÉTAT DE DROIT DÉMOCRATIQUE À lire certaines gazettes, à écouter les opposants, le Gabon aurait sombré dans la pire des dictatures depuis sept ans. Pourtant, si on est encore loin de la démocratie idéale, rien dans le système institutionnel, comme dans la pratique, ne permet d’affirmer que le pays a régressé. La presse est nombreuse, libre et souvent d’une violence inouïe. Les délits de presse viennent d’être dépénalisés. Certes, il y a encore des efforts à faire dans le sens de l’ouverture des médias publics à la diversité politique du pays. Mais on connaît peu de « dictatures » où le chef de l’État est traîné dans la boue la plus infecte, dans la presse écrite et audiovisuelle privée. Par ailleurs, la peine de mort a été abolie. Il n’y a pas véritable prisonnier politique. La justice, AFRIQUE MAGAZINE

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Un proverbe gabonais enseigne qu’à trop balayer la cour du village, on finit par mettre à nu les racines et souches dissimulées par la poussière et l’humus. Au risque de faire trébucher autrui sinon de trébucher soi-même. En survolant les sept dernières années, on réalise que la volonté affirmée du président sortant de balayer la cour du village Gabon constitue autant sa force que sa faiblesse. Fallait-il balayer la cour du village Gabon ? À l’évidence, oui. Nécessairement. Depuis 1990, le pays s’était installé dans l’immobilisme et le confort de la palabre politique permanente avec ses postures, ses chantages et ses partages des dépouilles de la République. Pour avoir intégré la haute administration au cours de la dernière décennie du long règne d’Omar Bongo et pour avoir vécu le septennat finissant au cœur de l’appareil d’État, nous avons pu constater la différence, le mouvement et la perspective d’un changement. Il fallait donc balayer la cour. Mais comment et avec quels outils ? Là réside certainement le passif de ceux qu’il est convenu d’appeler au Gabon « les émergents ». Des erreurs ont été commises. Erreurs de casting. Trop de bras cassés et de ripoux ont souvent remplacé d’autres bras cassés et d’autres ripoux. Erreurs de timing. On a parfois confondu vitesse et précipitation. Erreurs d’appréciation. On a quelquefois priorisé ce qui ne le devait pas. Erreurs de conduite. On a pu à un moment se convaincre qu’on ne pouvait pas faire du neuf avec du vieux. Néanmoins, il faut reconnaître à Ali Bongo Ondimba une vision et un courage certains. Toutes choses dont le Gabon avait absolument besoin pour fermer le cycle précédent et se projeter dans l’avenir. La prochaine présidence ne pourra que profiter du mouvement lancé en 2009. ■ 29


de sociologie à l’université Omar-Bongo, Libreville

TEMPS FORTS

« Dans l’inconscient de nos sociétés, le pouvoir vient de l’extérieur. Il est autre »

d’État en Afrique centrale se font fort d’avoir plusieurs femmes, pour marquer leur puissance dans tous les sens du terme, Ali Bongo vit avec son épouse. Son père, Omar Bongo avait des alliés partout, dans toutes les régions, parce qu’il faisait des enfants et entrait ainsi dans les familles, permettant également à ses conquêtes féminines de poursuivre des stratégies d’ascension sociale.

Francis Akindès Professeur de sociologie politique à l’université Alassane-Ouattara de Bouaké

« L’argument des origines est corrosif » IL A ÉCRIT de nombreux essais dont Côte d’Ivoire : la réinvention de soi dans la violence (Codesria, Dakar, 2011). AM : Que représente Ali Bongo à vos yeux ? Francis Akindès : La figure typique de la reproduction d’un système sur ses propres bases. Il est confronté aujourd’hui aux appétits des éléments du système qui l’a fabriqué et qui veulent contrôler la marmite comme lui. Un système qui a généré une compétition entre ses anciens barons, dont Jean Ping et Guy Nzouba Ndama, ex-président de l’Assemblée nationale qui a démissionné en avril après dixneuf ans au perchoir. Cette classe politique prépare le deuxième enterrement du père Omar Bongo. Comment ? En recherchant les arguments les plus efficaces pour éloigner l’héritier de son capital politique. Le débat porte sur ▲

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IL EST NOTAMMENT l’auteur de L’Impérialisme postcolonial. Critique de la société des éblouissements (Karthala, Paris, 2015). AM : Que pensez-vous du débat dominant avant la présidentielle, qui tourne autour de la nationalité du chef ? Joseph Tonda : Ce n’est pas nouveau. On a dit d’Omar Bongo qu’il était Congolais, Centrafricain et même Pygmée, ce qui était une façon de le sortir de la communauté des Bantous… On attribue par ailleurs cette prophétie à Léon Mba, le premier président du pays, après qu’il a été trahi par les siens, les Fangs, sa propre ethnie : « Un petit homme sortira de la forêt pour vous commander. » C’était Omar Bongo… Je ne suis pas de très près les polémiques qui jalonnent la campagne électorale, et il n’est pas question pour moi de juger de leur pertinence. Simplement, ce schéma du dirigeant qui vient toujours de l’étranger m’intéresse. Il relève de cette forme obscure d’impérialisme postcolonial qui se manifeste toujours dans l’inconscient de nos sociétés. Le pouvoir vient de

l’extérieur. Il est autre. Lors de la Conférence nationale du Congo, à Brazzaville, j’ai entendu dans la salle un dirigeant politique dire que Denis Sassou Nguesso était Soudanais ! Toute une mythologie existe sur le président du Congo, selon laquelle il serait né d’un mille-pattes ou d’une puissance de la forêt… Dans les mentalités, les schémas inconscients laissés par la colonisation se mélangent avec ceux des traditions de nos sociétés. Ali Bongo représente-t-il une puissance héritée de son père ? Son père disait : « Je vous fais la bonne politique, vous me faites la bonne économie. » Ali Bongo est arrivé en voulant faire la bonne économie, en gestionnaire. Il n’arrive pas à convaincre, en partie à cause de la vidéo de la cérémonie de son entrée dans la franc-maçonnerie qui a circulé sur les réseaux sociaux – un dispositif initiatique venu d’Occident, qui est aussi un instrument de domination. Cela conforte l’image d’un personnage qui sert les intérêts non pas des Gabonais, mais de cette fraternité extérieure enracinée en France. N’a-t-il pas voulu rompre avec le style et l’époque de son père ? Symboliquement, il a en effet tué le père, en détruisant les édifices construits par Omar Bongo : la maternité portant le nom de sa grand-mère a été détruite, de même que le palais de la Démocratie, un autre bâtiment marquant le passage de son père au pouvoir. Il a voulu rompre avec le passé que représentait son père et s’est inscrit dans une autre époque. Signe de sa « modernité », si l’on peut dire : « Qu’est-ce que ce président qui n’a pas plusieurs femmes ? » entend-on à Libreville. Alors qu’Omar Bongo et les chefs

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DR

Joseph Tonda Professeur


LE PARCOURS D’ALI Fils de chef, rocker, héritier, candidat président, les images d’une grande aventure personnelle. 1988 Une partie de la grande fratrie des Bongo pose au palais. De gauche à droite, Grace, Ali, Nadine, Albertine Amissa et Pascaline.

11/08/2011 Visite du site du futur stade d’Angondjé, en prévision de la CAN 2012, en compagnie de ses fils Jalil Louis (à g.) et Bilal et de Samuel Eto’o.

DR - XAVIER BOURGOIS/AFP IMAGES FORUM - FRILET/SIPA - DAVID IGNASZEWSKI (2) DESIREY MINKOH/AFRIKIMAGES - AMANDA LUCIDON/WHITE HOUSE

07/07/1997 Le jeune Ali n’a jamais caché son intérêt pour la musique. Une passion toujours d’actualité.

14/07/2005 Ministre de la Défense et conseiller de son père, Omar Bongo Ondimba, qui dirigera le pays de 1967 à 2009.

14/02/2012 Au palais du Bord de mer avec la garde rapprochée : Maixent Accrombessi (à droite), Liban Soleman (à gauche) et Monsieur Park.

16/10/2009 Cérémonie d’investiture. Ali devient le 3e président depuis l’indépendance au terme d’un scrutin controversé. AFRIQUE MAGAZINE

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05/08/2014 À la Maison-Blanche, à l’occasion du sommet États-Unis-Afrique, avec son épouse Sylvia. 31


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la conformité de tel ou tel acte de naissance. Un bon sujet de dissertation de sciences politiques sur l’éthique en politique… L’argument des origines, de bas niveau, n’a rien de constructif. Il a révélé dans d’autres contextes, notamment en Côte d’Ivoire, ses aspects corrosifs. Tout se passe comme si les vrais problèmes, répartition de la rente pétrolière, développement inégal entre les régions, chômage des jeunes, ne devaient pas être abordés. Comment les responsables politiques du Gabon font-ils pour ne pas redistribuer les ressources dans un pays aussi peu peuplé ? C’est la question de fond, qui ne fait pas débat tant l’accord est parfait au sein de la classe politique sur l’essentiel : l’entre-soi dans la mangeoire ! Outre Ali Bongo et Guy Nzouba Ndama, Jean Ping n’est-il pas lui aussi attaqué sur ses origines ? En effet, parce qu’il est métis. C’est malheureux, mais quelqu’un comme Barack Obama, s’il vivait au Kenya, n’aurait jamais été maire de la moindre petite ville. De façon contradictoire et très ambiguë, l’Afrique s’est émerveillée de son élection à la présidence des ÉtatsUnis. Or, des deux groupes que forment les Noirs et les Blancs, lequel a le plus évolué ? Si les Blancs n’avaient pas voté pour lui, Obama n’aurait jamais été président ! Sur le continent, on oublie le fait que les humains se rencontrent, se croisent, s’aiment et vont produire un métissage qui représente un indicateur de richesse d’une société. L’Afrique politique tourne le dos au métissage, on l’a vu avec Lionel Zinsou au Bénin. C’est regrettable ! Le cas du Gabon ne pose-t-il pas la question de ces élections à risques en Afrique, porteuses de tensions ? Partout sur le continent, les élections sont des moments de

renouvellement de l’accès à la rente politique. La tension est plus ou moins forte, en fonction du degré de liberté d’expression. Les élections, il en faut bien, pour renouveler la classe des mangeurs… On enveloppe les intérêts financiers dans un discours démocratique, mais l’enjeu n’est pas compliqué : il est essentiellement financier ! Quand les dirigeants ne partagent pas suffisamment la rente, on va exhumer des arguments susceptibles de mettre le pays en péril, juste pour arriver à ses fins. Paradoxalement, c’est ainsi que la culture politique se construit. Aller voter, en Afrique, c’est un emprunt culturel qui a besoin de temps pour s’enraciner. Ces crises ne sont que péripéties dans la construction de la démocratie. Dans certains pays comme le Bénin et le Cap-Vert, la culture du vote est entrée dans les habitudes, sans risque de basculement dans la violence… Un tel risque est-il présent au Gabon ? Oui, si les leaders politiques poussent le bouchon trop loin en titillant les bas instincts des gens sur la question des origines. Mais le Gabon n’en est pas encore à la mobilisation meurtrière des identités primaires, comme on l’a vu en Côte d’Ivoire, au Kenya ou au Zimbabwe. D’ailleurs, notons qu’en Afrique centrale, la donne se présente autrement qu’en Afrique de l’Ouest : plus il y a des ressources dans un pays, plus il y a une ferme détermination pour les contrôler durablement.

Achille Mbembe Historien camerounais et professeur de science politique

« Le défi central, c’est l’émergence d’une véritable contre-élite » BASÉ À JOHANNESBURG, en Afrique du Sud, il a publié de nombreux essais, dont Sortir de la grande nuit (2013), Critique de la raison nègre (2013) et Politiques de l’inimitié (2016), aux éditions La Découverte (Paris). AM : Que représente Ali Bongo, président du Gabon ? Achille Mbembe : Il lui est très difficile de se démarquer de cette image qui lui colle à la peau – celle du fils de Bongo. Au même titre que Joseph Kabila, en République démocratique du Congo, ou Faure Gnassingbé, au Togo, et comme ce sera bientôt le cas en Guinée équatoriale, il est le fruit de ces cultures politiques primitives où le pouvoir s’exerce par le biais de toutes sortes de fétiches et se transmet par la voie du sang, de père en fils. Sur la scène continentale, Ali Bongo est pratiquement inconnu. Du milliard d’habitants que compte l’Afrique, il est peu probable qu’il soit entendu au-delà du pré carré francophone. Toute velléité de réforme est-elle perdue d’avance dans ces micro-États d’Afrique centrale ? Le Gabon ou la Guinée équatoriale sont en effet des États croupions, et je crains qu’il en soit ainsi pour très longtemps encore. Ils auraient pu devenir, sinon, des Singapour ou des Hongkong tropicaux, du moins des entrepôts majeurs à l’exemple des Émirats arabes unis. Encore eût-il fallu, dans le premier cas, qu’ils soient

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MATHIAS BALK/DPA PICTURE ALLIANCE/AFP PHOTO - DR

adossés à une Chine qui n’existe pas, ou à une Grande-Bretagne disposée à en faire le tremplin de ses réseaux financiers internationaux. Ils ont eu le malheur de tomber sous la coupe de deux puissances prédatrices et sans scrupule, la France et l’Espagne. Pour le reste, le sort du Gabon est lié au devenir de son économie extractive. Une fois que les minerais et autres gisements seront épuisés, le changement aura lieu. Il ne sera guère organisé. Au contraire, il suivra une logique tourbillonnaire, en conséquence de quoi il ne prendra pas nécessairement une direction démocratique, progressiste ou radicale. Voyez-vous un espoir quelconque de vraie rupture ou de renouvellement de la classe politique dans une configuration où les anciens compagnons de route des hommes forts sont les principaux opposants et reproduisent consciemment ou non le système dont ils sont issus ? Tout cela prendra énormément de temps. Néanmoins, sur le long terme, on ne peut pas sous-estimer l’importance de ces forces de la

fragmentation. Le défi central, c’est l’émergence d’une véritable contreélite, de forces populaires porteuses de propositions suffisamment radicales pour transformer en profondeur la donne. Cela exige de l’intelligence, des capacités d’organisation, des moyens financiers, des relais solides au sein de la société et des solidarités transnationales. Pour l’heure, rien de tout cela n’existe. Je ne vois que des forces de segmentation et non de convergence.

Antoine Glaser

Journaliste et écrivain français

« Un “parricide” plutôt qu’un héritier » ANCIEN RÉDACTEUR EN CHEF de La Lettre du continent, auteur de nombreux ouvrages, dont le récent Arrogant comme un Français en Afrique (Fayard, Paris, 2016). AM : Que pensez-vous du bilan d’Ali Bongo ? Antoine Glaser : Ce qu’il a le plus modernisé, c’est sans doute la communication d’État. Quand son père parlait, les micros se tendaient immédiatement. Ce n’est pas le cas pour lui. Outre les forums économiques, dont ceux de Richard Attias, il s’est fait le grand mécène des groupes de communication internationaux et même africains. Un choix dispendieux et d’autant plus étonnant qu’il ne se soucie guère de son image à l’intérieur du pays : il n’a pas la réputation de redistribuer

la manne pétrolière autour de lui, contrairement à son père. Le fils ne pratique pas la politique de la carotte, mais plutôt celle du bâton. Ancien ministre de la Défense, il est resté un homme de sécurité et un « parricide », bien plus qu’un « héritier », à l’opposé de tout ce que l’on peut entendre à son sujet. N’a-t-il pas voulu marquer une rupture en 2009 ? Avant même d’arriver au pouvoir, il se trouvait dans la rupture. Son père lui avait donné le ministère de la Défense pour assurer la sécurité de son régime, et l’avait laissé créer son petit groupe de rénovateurs au sein du Parti démocratique gabonais (PDG), au pouvoir, pour mieux surveiller les barons du régime. Mais Omar Bongo vivant, Ali a toujours été tenu à l’écart des affaires de l’État. Il n’avait pas de bureau au palais présidentiel, contrairement à sa sœur Pascaline, qui était directrice de cabinet, avait la signature pour tous les contrats et assistait aux entretiens de son père, même les plus secrets. À l’hôtel Meurice à Paris, c’est elle qui faisait entrer les grands VIP français, tandis qu’Ali restait au bout du couloir comme une âme en peine, avec les autres conseillers de son père. Les milieux d’affaires français évitaient de lui parler pour ne pas donner au père l’impression qu’ils jouaient déjà la carte du fils… N’a-t-il pas été plus intéressé par les États-Unis ? Si, à tel point que dans les services de renseignement français, Ali passait pour un pro-américain, même s’il est venu se faire adouber par les réseaux français à la fin du règne de son père. Une semaine avant que François Hollande n’aille faire la leçon à Joseph Kabila à Kinshasa, lors du 14e sommet de la francophonie, en octobre 2012, il est parti à Kigali, au Rwanda, et a voulu lui aussi imposer l’anglais au Gabon. C’était une vraie réponse à la France : « Si on nous embête, 33


TEMPS FORTS 34

nous aussi nous prendrons l’anglais comme première langue », voulait-il dire en substance. Pourquoi ce président issu d’une nouvelle génération ne provoque-t-il pas plus d’enthousiasme ? Parce qu’il est resté au milieu du gué. Il a commencé à faire la rupture sur le plan politique en tant que rénovateur, sans aller jusqu’au bout. À la mort de Félix HouphouëtBoigny, le Gabon était devenu le cœur de la Françafrique, dont les réseaux s’étaient déportés sur Libreville. Il n’a pas su transformer ce système historique, ni marqué un acte de réelle rupture. Sur le plan économique, il a fait des discours intelligents sur la transformation et le développement durable, conscient d’être à la tête de l’un des pays qui représentent le second poumon vert de l’humanité après l’Amazonie. Les actes n’ont pas été posés par la suite, alors qu’il disposait d’une manne financière exceptionnelle à son arrivée au pouvoir, avec la bonne tenue, pendant longtemps, des cours du pétrole. Il est resté dans cet univers hyper-protégé sans redistribuer, en pensant que de toute façon, le pouvoir équivaut à la puissance financière et que tous viendraient manger dans le creux de sa main. Les successeurs ne sont-ils pas souvent piégés, en Afrique, par tout un système laissé par leurs prédécesseurs ? Les ruptures se font plutôt, il est vrai, avec ceux qui sont en dehors du système, par exemple les sociétés civiles du Burkina et du Sénégal. La tendance générale voit des gens rester au pouvoir et se renfermer sur leur premier cercle. Plus les anciens compagnons de route se retrouvent à la marge, plus ils deviennent des opposants comme Roch Kaboré au Burkina, Macky Sall au Sénégal, ou encore Jean Ping au Gabon et Moïse Katumbi en RDC. Ce qui renforce une certaine continuité, dans les faits. ■ Propos recueillis par Sabine Cessou

Diversification LA RÉVOLUTION INACHEVÉE Comment transformer une économie rentière en économie productive ? Un défi aussi urgent qu’à peine entamé.

par Julien Wagner

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epuis 2009 et l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, le Gabon s’est engagé dans une tentative de modification profonde de son économie. L’idée-force est de réduire la dépendance au pétrole (40 % du PIB et plus de 80 % des recettes d’exportation), en transformant une économie rentière en une économie productive. Elle se matérialise en particulier à travers le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), avec un maître mot : diversification. Une nécessité pour ce petit pays (1,8 million d’habitants) dont la production pétrolière est en déclin (370 000 barils/ jour en 1997 contre 240 000 barils/jour aujourd’hui), et dont le taux de chômage est élevé (entre 20 et 27 % selon l’enquête nationale sur l’emploi et le chômage conduite en 2012 par les autorités). La chute des cours du pétrole depuis l’été 2014 (–56 %), si elle valide cette option, est venue contrarier sa réalisation en diminuant considérablement les dotations de l’État et en pénalisant l’économie dans son ensemble. Ainsi, depuis 2012, la dette publique gabonaise a plus que doublé (de 20 à 40 % du PIB). En conséquence de quoi, début 2016, les agences Fitch Ratings, Standard & Poor’s et la Coface ont toutes dégradé leur note du pays d’un cran. Parallèlement, les premiers résultats du PSGE se font sentir. Les industries du bois (chiffre d’affaires multiplié par trois depuis 2009) et des mines (manganèse, or, minerais de fer…) sont en plein essor et prennent peu à peu du poids dans l’économie (près de 10 % du PIB à elles deux). Le développement de zones économiques spéciales, comme celle de Nkok (près de Libreville), est globalement une réussite. Des programmes ont été lancés pour améliorer le climat des affaires et promouvoir l’entrepreneuriat : dispositif d’incubation, soutien à des coopératives agricoles et le fameux programme Graine, qui vise à l’indépendance alimentaire et à stopper l’exode rural (85 % de la population est urbaine). Enfin, la création de fonds tels que le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) ou le Fonds souverain de la République gabonaise (FSRG), créé en 2012, marque une volonté nouvelle de l’État pour une gestion des ressources plus efficace et plus transparente. Résultat des courses, malgré l’effondrement des cours du brut, la croissance gabonaise est restée soutenue en 2014 (4,4 %) et en 2015 (4,2 %), grâce notamment aux secteurs non pétroliers (+4,8 % en 2015). Rasséréné, le gouvernement gabonais a d’ailleurs choisi de maintenir un niveau d’investissement élevé (22 % des recettes) et ce, malgré les risques de dérapages budgétaires. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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LA RÉPUBLIQUE DES CONTRASTES Les statistiques décrivent un pays opulent, éduqué, fragile, inégalitaire.

2010

2012

2014

2015

GABON

8 250

9 850

10 410

9 210

AFRIQUE SUBSAHARIENNE

1 281

1 617

1 728

1 680

18 179 14 339 12 605

6 497

2003

2009

2014

2015

PIB en milliards de dollars courants Sources : Banque mondiale, The World Factbook/CIA

En termes de volume, le Gabon se positionne aux alentours de la 20e économie africaine. Mais le produit intérieur brut (PIB) reste fortement corrélé aux revenus pétroliers. Après un pic en 2014, la richesse globale produite par le pays est retombée à un niveau proche de celui de 2009.

IHD 1990 0,60 IHD 2009 0,66 IHD 2014 0,68

L’indice de développement humain (IDH) exprime une valeur entre 0 (la plus faible) et 1 (la plus élevée). La situation du Gabon est relativement enviable, mais finalement, elle a peu évolué depuis les années 1990. Source : PNUD

Le Gabon est l’un des pays les moins peuplés du monde (153e rang mondial) avec, selon les estimations, entre 1 750 000 et 1 919 000 habitants, et une densité très faible, 7 habitants/km2… Libreville rassemble plus de 700 000 habitants. 60 % de la population a moins de 25 ans. On estime que plus de 40 000 Gabonais pourraient être porteurs du VIH. Source : The World Factbook/CIA

83 %-87 %

47 %

35 %

(prévision)

La part des revenus pétroliers dans les recettes de l’État diminue régulièrement. Les prévisions de production également, ce qui rend plus difficile encore la reconversion de l’économie.

CLASSEMENT IDH AFRIQUE 2015

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Selon le calcul de l’indice de développement humain (IDH) élaboré par le PNUD, le Gabon se situe au 110e rang mondial. Mais il reste l’un des pays les moins mal lotis du continent.

1 MAURICE 2 SEYCHELLES 3 ALGÉRIE 4 LIBYE 5 TUNISIE 6 BOTSWANA 7 ÉGYPTE Source : PNUD 8 GABON 9 AFRIQUE DU SUD 10 CAP-VERT

GUINÉE ÉQUATORIALE –84 GABON –42 PNUD a également BOTSWANA –41 Le calculé la différence ANGOLA –30 de rang entre le revenu AFRIQUE DU SUD –29 brut par habitant et l’indice de développement SOUDAN –27 humain (IDH). Un SWAZILAND –25 nombre significatif de pays africains affiche NIGERIA –24 CÔTE D’IVOIRE –24 des valeurs négatives qui démontrent l’ampleur DJIBOUTI –22 des inégalités. Second

C’EST LE TAUX ESTIMÉ D’ALPHABÉTISATION DU PAYS SELON LES SOURCES. UNE PERFORMANCE NOTABLE QUI PLACE LE GABON PARMI LES TOUT PREMIERS PAYS DU CONTINENT. Source Unesco AFRIQUE MAGAZINE

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57 %

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Nominalement et en termes de revenu par habitant, le Gabon reste le second pays le plus riche du continent, derrière la Guinée équatoriale, bien au-dessus de la moyenne subsaharienne. À noter, le repli de la performance 2015 lié à la forte baisse des cours du pétrole. Revenu par habitant en dollars nominal - Source : Banque mondiale

2012

pays le plus inégalitaire d’Afrique, le Gabon est juste derrière la… Guinée équatoriale. Source : PNUD

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TEMPS FORTS

UNE EXCEPTION

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Mohammed VI assiste à l’Akika (l’équivalent du baptême) du nouveauné de son frère cadet, le prince Moulay Rachid, au palais royal de Rabat le 7 juillet 2016.

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MAROCAINE ?

Stabilité, ouverture, une société aux courants multiples… Dans un contexte régional particulièrement difficile, le royaume se présente comme un cas à part. par Abdeslam Kadiri, correspondance de Tanger

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DN PHOTOGRAPHY

ans le monde arabo-musulman d’aujourd’hui, dans ce monde « post-printemps », déstabilisé, menacé, aux prises avec la stagnation économique, le Maroc, ce royaume si longtemps perçu comme fragile, apparaît comme une exception bien singulière. Un pays-clé, dont les nombreux partenaires, en Occident et ailleurs, ne manquent pas de louer la stabilité, les réformes, la diplomatie religieuse et la diplomatie tout court. On reconnaît son efficacité dans la lutte antiterroriste, et la capacité du système à gérer les oppositions et les contradictions. Économiquement, le pays reste en équilibre instable, mais la communication et les paris sur l’avenir alimentent le dynamisme. Exception marocaine ? Même s’il faut être prudent avec ce concept, jadis popularisé par Hassan II – les attentats de Casablanca de mai 2003 ont montré que nul n’était invulnérable –, le socle du royaume est solide, indiscutablement, même lors de la récente polémique autour de l’étrange acquisition de terrains de l’État à prix dérisoires. Et dans cette période de tempête, il propose un étonnant contre-modèle, mélange subtil d’ouverture, de conservatisme et de prises de risques. Un contre-modèle aussi dans la lutte contre l’islamisme radical. Alors, décryptons cette singularité marocaine. Voici dix ingrédients d’une recette qui fait tourner le royaume de Mohammed VI. ■

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Mohammed VI, le patron et l’arbitre ■ GUIDE DE LA NATION, commandeur des croyants, chef des armées, premier businessman du pays… Le roi a imposé progressivement son style. Proche du peuple, présent sur les fronts intérieurs et extérieurs, capable de discours affirmés, il a insufflé un concept d’autorité à une monarchie proactive et exécutive. Au Maroc, le Palais semble être partout, tout le temps. Toute l’année, le souverain sillonne le pays, mettant à profit une formule de son père : « Le trône des Alaouites est sur la selle de leurs chevaux. » Orientateur stratégique, c’est lui qui dicte la marche à suivre, veille au grain des dossiers sensibles, tout en déléguant volontiers aux technocrates et ingénieurs dont

il s’entoure. Fin juillet, c’est ainsi lui qui a annoncé à la surprise générale le retour du pays dans l’Union africaine, qu’il a quittée il y a trente ans. Un signe fort, inattendu, qui marque la primauté des choix. Dès le début de son règne, Mohammed VI a pris des engagements pour son pays : meilleure éthique des forces de l’ordre, justice moins corrompue, lutte contre la pauvreté… Ouvert des chantiers importants : politiques (IER, Ircam), économiques (TGV, autoroutes, barrages), sociaux (INDH, Moudawana – Code de la famille) ou encore géostratégiques (diplomatie religieuse). À la suite du printemps arabe, la nouvelle Constitution de 2011 a délimité ses pouvoirs, clairement énoncés

dans les articles 41 et 42 qui font la part des choses entre le roi commandeur des croyants (Amir al-Mouminine) et le roi chef de l’État. Mais le souverain chérifien reste ancré au centre du jeu politique. Si la libéralisation du régime remonte dans les faits au milieu des années 1990 (Hassan II avait alors préparé le terrain pour son fils), Mohammed VI l’a accélérée. Il procède continuellement à des nominations, savant jeu de chaises musicales dont il est le chef d’orchestre. Tout le monde craint ses colères. Même le « fort en gueule » Premier ministre Abdelilah Benkirane (lire ci-après), que des rumeurs persistantes disent sur le départ après qu’il a agacé récemment Sa Majesté.

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■ AVEC LUI, LE PAYS s’est incontestablement trouvé une bête politique et populaire. Un vrai Premier ministre, patron du Parti de la justice et du développement (PJD), aux commandes depuis novembre 2011, et qui ne laisse personne indifférent. Bosseur, fonceur, probe, il parle la darija, la langue du peuple, pour être au diapason de la base. Ses forces ? Un discours direct, qualifié de populiste, son volontarisme et une image d’incorruptible. Véritable tribun, on l’a vu tonner au Parlement, blaguer, voire écraser la larmichette. Tout en réconciliant la population avec la politique, il fait le grand écart entre l’agenda de son parti et les priorités du Palais, avec lequel le PJD a scellé un compromis. Disons même un deal historique. Pour pouvoir exister politiquement, le PJD reconnaît l’islam marocain (malékite), ne remet pas en cause le titre de commandeur des croyants dévolu à Mohammed VI, renonce à la violence. De fait, le gouvernement Benkirane offre le visage d’un islam plutôt modéré, dilué dans la

Véritable tribun, Benkirane, chef de gouvernement depuis novembre 2011, excelle lors des meetings. société, qui s’articule au jeu politique. Et l’usure du pouvoir n’a pas entamé le capital sympathie dont il bénéficie. L’homme a fait de la lutte contre la corruption et le despotisme son mot d’ordre. Il gère une équipe composite et des dossiers délicats : réforme de la caisse de compensation, retraites, statut des juges, bourses estudiantines… Son parti a rétropédalé

sur ceux de la femme ou des enseignants stagiaires… Sans parler de sorties polémiques sur l’alcool ou le tourisme. C’est donc sans surprise que le PJD devrait rafler, face aux partis historiques Istiqlal et USFP – en déconfiture – mais aussi face au Parti authenticité et modernité (PAM), force émergente sur la scène, les élections législatives du 7 octobre prochain.

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SAMUEL ARANDA/PANOS/RÉA

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Abdelilah Benkirane, ou le retour du Premier ministre


La mosquée Hassan II de Casablanca, inaugurée en 1993.

JULIA CUMES/ZUMA/RÉA

Un islam du « juste milieu» ■ APRÈS LES COUPS D’ÉTAT de 1971 et 1972, Hassan II a pris conscience de l’importance du levier religieux pour asseoir son pouvoir vacillant. Intuition fine et payante pour le monarque. Le titre de « commandeur des croyants » devient dès lors un outil au service de la monarchie. Aujourd’hui encore, c’est un des piliers fondamentaux du régime. Dès son avènement, Mohammed VI a porté une attention soutenue au champ religieux, qu’il a réformé en profondeur, ce qui a permis au pays de reprendre le contrôle de son islam : ministère des Habous et Conseils des oulémas restructurés, cadre légal renforcé, cadres religieux formés… Dans le royaume, l’islam officiel est malékite (de l’imam Malik, la voie du juste milieu). Tout AFRIQUE MAGAZINE

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autre courant (salafiste, chiite, etc.) ou association (Al Adl Wal Ihsane…) sont étroitement surveillés pour ne pas provoquer de fitna (anarchie, désordre). La refonte de M6 a débuté dès décembre 2000 à Tétouan quand le souverain a renouvelé la composition des Conseils des oulémas, en rajeunissant leurs profils. Mais ce sont les attentats du 16 mai 2003 de Casablanca qui alertèrent le régime sur la nécessité de réaménager le champ religieux en encadrant l’espace vacant laissé aux prédicateurs radicaux, et notamment l’ensemble des mosquées, dont les deux tiers échappaient en 2004 au contrôle des autorités ! Mieux, le leadership religieux du souverain s’est traduit par la création en mars 2015, à Rabat, d’un Institut Mohammed VI de

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formation des imams. D’une enveloppe budgétaire de 140 millions de dirhams (12,9 millions d’euros), il accueille plus de 400 élèves venus du pays, bien sûr, mais aussi du Mali, de Guinée, de Tunisie, voire de France. À l’international, l’islam marocain fait recette et est régulièrement vanté par les puissances occidentales, Paris, Washington ou Londres… qui n’ont pas trouvé d’antidote au risque jihadiste. Même Moscou a signé en mars un protocole avec le royaume pour financer la formation d’imams et s’inspirer du « modèle marocain » ! Pour enfoncer le clou, cette diplomatie religieuse s’est déployée en Afrique subsaharienne (Mali, Sénégal…) par le biais de la création d’une Fondation Mohammed VI des oulémas africains. 39


Une classe politique rodée à la recherche d’un coup de jeunisme ■ LE ROYAUME, c’est aussi une classe politique rompue aux turpitudes et à l’usure du pouvoir. Lors de la contagion du printemps arabe, elle a défendu le roi et le système, soucieuse de continuité et de stabilité. Idem quand le ministère américain des Affaires étrangères a publié en mai un rapport partial sur les droits de l’homme dans le pays, jugé « calomnieux » par Rabat. Voilà des partis vieillissants certes, mais qui ont de la bouteille, un rodage et qui sont habitués à une certaine mécanique électorale. Ils canalisent

une partie des émotions politiques. Et proposent des options d’alliances dans un système qui se démocratise. Ces partis « traditionnels » marqués par l’attentisme, n’ont pas vu venir la montée en puissance d’un PJD qui a su s’adresser aux foules. Balkanisés (plus de trente-cinq formations !), de « droite » comme de « gauche » – du RNI au PPS en passant par le PAM, l’UC, l’USFP et l’Istiqlal –, ils ouvrent aussi un vivier inépuisable de choix pour le Palais. Depuis février 2011, bon nombre de citoyens, en particulier les

plus jeunes, critiquent la longévité « des cadres », leur faible représentativité, leur opportunisme et leur frein à l’action. Ils supportent de moins en moins de voir les partis être gérés comme des petites entreprises familiales. On est loin de l’appel royal d’octobre 1996 « à la modernisation du champ politique par la création de pôles politiques forts et aptes à s’alterner dans la gestion des affaires publiques ». Il est plus que temps que les partis opèrent leur mue générationnelle, en rénovant les contenus et leur communication old school.

les professionnels de la culture. Puis, une partie de la société s’était également alarmée d’un retour en force d’un « ordre moral » puritain, le gouvernement centrant nombre de débats autour des valeurs et de l’identité nationale et religieuse. Une tendance préoccupante pour les modernistes, d’autant que des « comités populaires » s’auto-constituaient alors dans plusieurs villes pour lutter contre la « débauche » (prostitution, alcool…). Les censures de titres de presse internationaux ou de livres

jugés sacrilèges devenus subitement « introuvables » se sont multipliées (Le Dernier Combat du captain Ni’mat, Les Derniers Jours de Muhammad). Et l’été 2015 a été émaillé d’incidents entre islamistes, conservateurs et modernes : campagne No Bikinis sur les plages d’Agadir, lynchage d’homosexuels, polémique autour du film de Nabil Ayouch, Much Loved… La société reste relativement conservatrice. Sauf quand les contre-pouvoirs (société civile ou patronat) font entendre leur voix.

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Un « deal » fragile entre « islamistes » et « libéraux »

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■ SI LE MAROC est au milieu du gué, c’est aussi grâce à un compromis fragile entre islamistes et libéraux, qui évite au royaume de prendre une décision essentielle : franchir le Rubicon de la modernité ou s’enraciner dans le traditionalisme. Ce va-et-vient est perceptible dans les grandes décisions politiques jusqu’aux tensions sociales, en passant par l’économie à travers une classe entrepreneuriale (trop ?) ambitieuse pour un marché étroit. Ici, c’est souvent un pas en avant, deux en arrière. Et inversement... Durant son mandat, le gouvernement PJD aura connu de nombreux bras de fer avec la société civile. En 2012, une réforme « islamisante » des chaînes de l’audiovisuel avait provoqué un tollé. L’annonce de l’existence d’un « art propre », en juin 2012, par Najib Boulif, ministre encarté au PJD, avait aussi inquiété

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Occidentalisées ou plus ancrées dans la tradition, deux visages de la société marocaine.

ALFREDO CALIZ/PANOS-RÉA

Des femmes qui s’affirment ■ ELLES SONT de plus en plus libres. Une nouvelle génération de femmes perce dans les différentes sphères de la vie publique, devenant presque des égéries, des roles models, pour l’ensemble de la population féminine. Elles bouleversent les fondements d’une société patriarcale et machiste. En politique, voici Mbarka Bouaida, Charafat Afilal, Amina Mae Elainine ; dans le business, place à Lamia Tazi, Souad Benbachir, Nadia Kettani ; en culture, citons Fatym Layachi, DouAFRIQUE MAGAZINE

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nia Boutazzout… Et la liste est longue : dans l’associatif, les médias, le sport… Cette évolution est travaillée par une lame de fond. Taux de fécondité, mobilité, travail, éducation, contraception… les Marocaines prennent leur destin en main depuis l’indépendance. Cependant, cette libération s’est accélérée sous Mohammed VI et a pris un cadre légal avec la nouvelle Moudawana (adoptée en 2004). Gardons-nous là encore de généraliser car la situation d’une femme rifaine est aux antipodes

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de celle d’une Casablancaise nantie. Au royaume, les femmes émancipées sont souvent issues de l’élite, éduquée et libre. On les trouve dans l’axe CasaRabat, là où les pratiques sociales évoluent plus vite que les mentalités. Les radios libres et les magazines y font florès, ouvrant des rubriques sexo décomplexées pour dédramatiser la libido des Marocain(e)s. À Casablanca, la révolution sexuelle est en marche, le concubinage toléré (en catimini), la mixité dans l’espace public avérée. 41


Une société civile petite et… dynamique ■ BIEN QUE CLAIRSEMÉE, la société civile est dynamique. Elle se mobilise pour les libertés publiques et l’ancrage des mentalités dans le XXIe siècle. Elle a permis des avancées majeures, notamment en matière de protection du droit de la femme, des droits de l’homme, des abus, de la situation des enfants, des mœurs… Elle sent aussi les opportunités et elle se mobilise par exemple sur l’écologie (le Maroc accueille la COP22 à Marrakech en novembre prochain). Incarnée par des personnalités courageuses, souvent

avant-gardistes, intellectuels, avocats, associatifs… elle donne des coups de pied dans la fourmilière de l’establishment et du rigorisme religieux. Vrai contre-pouvoir, c’est par la société civile que les pétitions, les manifestations, les débats arrivent. Mais, esseulée, elle est en contradiction avec le pays profond. Les mentalités ont la peau dure. Comme lorsqu’elle demande de légaliser l’avortement ou les drogues douces (cannabis), de respecter la liberté de conscience ou de recentrer le débat sur la marocanité et non

sur l’identité religieuse. Récemment, elle a (r)ouvert les débats sur l’égalité hommes-femmes devant l’héritage et sur la dépénalisation des « déjeûneurs » pendant le Ramadan…Une figure comme la chercheuse Asma Lamrabet a d’ailleurs déclaré que l’article 222 du Code pénal (qui pénalise ceux qui ne jeûnent pas) était en contradiction avec la Constitution et l’islam ! C’est un fait : la société civile participe (peu ou prou) au processus décisionnel. Même si le « système » cherche à maîtriser cette autonomie…

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■ DIFFICILE DE DRESSER un portrait de la société marocaine, tant elle est diverse et unie, contrastée et soudée, archaïque et frémissante de modernité… Autant de paradoxes mais qui ne provoquent pas d’éclatements. Au Maroc, le changement est souterrain, profond, surtout depuis que le pays est devenu majoritairement urbain (60 % de la population désormais). Symbole de cette mutation sociétale : les femmes sont davantage autonomes, formées et éduquées. Dans 25 % des ménages, ce sont elles qui subviennent aux besoins de la famille ! Au « bled schizo », on peut à la fois regarder en boucle les chaînes satellitaires (Al-Jazira, CNN, France 24…), voyager en Europe, boire de l’alcool, tout en égrenant son chapelet de prière et en se montrant assez conservateur dès qu’il s’agit des valeurs. Mais manger en public pendant le Ramadan, revendiquer la liberté sexuelle, de conscience ou accepter la nudité dans le cinéma restent encore des sujets sacrilèges. Au fond, ce n’est pas le « moi » qui

De nuit, la colline d’Agadir éclaire le rivage de la devise nationale : « Dieu, l’État, le Roi ».

dérange mais la représentation de soi, a fortiori dans l’espace public. Dans ce roman national, on se définit comme musulman, patriote et ardemment monarchiste. « Allah, al-Watan, al-Malik » (« Dieu, l’État, le Roi »), proclame d’ailleurs la devise du pays. La population fait souvent bloc derrière son souverain, notamment pour des causes nationales comme le Sahara occiden-

tal. Mais ce patriotisme infusé, coulant dans les veines, est-il suffisamment ancré intellectuellement ? Les Marocains, dans leur majorité, connaissentils par exemple l’histoire du Sahara, la genèse du conflit, sa contextualisation, le rôle des puissances étrangères, les vrais enjeux, leur permettant d’avoir un avis éprouvé, une opinion construite sur le dossier ? Le doute est permis.

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Entre modernité et tradition, un grand écart permanent


LUDOVIC/RÉA

Des chantiers audacieux, garanties de stabilité ■ MOHAMMED VI a fait des paris audacieux à la fois pour souder le peuple au trône et miser sur l’avenir. Ainsi les premières années du règne du « roi des pauvres » – surnom que lui ont donné ses communicants – ont été marquées par le retour d’opposants célèbres (famille Ben Barka, Abraham Serfaty…), le lancement de l’IER (Instance équité et réconciliation) qui a fait la lumière sur les années de plomb (investigations, réparations, auditions publiques, recommandations…), la création de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) – vaste chantier pour combattre la pauvreté –, ou la réforme du Code de la famille qui aurait pu, avec davantage d’accompagnement, donner de meilleurs résultats… Concernant le Sahara, le Maroc a repris la main en présentant aux Nations unies en avril 2007 sa proposition d’autonomie. Depuis, le plan fait partie intégrante de la trame des négociations. Parmi les grands chantiers du règne de M6 figurent le projet de TGV Atlantique (qui reliera Tanger à Agadir) et, surtout, le port de Tanger Med (I et II). En 1996, le royaume penchait vers l’Atlantique. Mais en 2002, le souverain prend son monde à contre-pied en lançant le projet sur la Méditerranée, qui concentre 25 % du trafic maritime mondial. Créé en 2009, Tanger Med est capable de rivaliser avec les plus grandes plates-formes à l’échelle mondiale. Carte payante qui a incité l’usine Renault à venir s’y installer. Moins connu, le port de Nador West Med, bâti sur la côte méditerranéenne, est aussi un port de transbordement AFRIQUE MAGAZINE

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Motrice TGV de l’ONCF, exposée à l’occasion de la cérémonie de lancement des travaux du tronçon TangerCasablanca. en eau profonde qui joue un rôle de hub régional. Autre coup de maître : le secteur des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, chapeautés par l’agence pour le solaire Masen et l’Onee) auquel le roi accorde une attention particulière. L’inauguration de la

centrale solaire Noor à Ouarzazate en dit long sur l’ambition royale : 1 million de foyers éclairés, 240 000 tonnes de CO2 évitées chaque année… Lors de la COP21, M6 s’est engagé à augmenter la part des énergies renouvelables à 52 % à l’horizon 2030. Réaliste et réalisable ?

Un pays « stratégique » sur l’échiquier mondial ■ ASSURÉMENT, le Maroc est un pays stratégique pour l’Occident, auquel il est ancré historiquement et culturellement. L’UE et les États-Unis ont intégré que, sans être une grande puissance, il était un précieux allié pour son expertise en matière d’encadrement religieux et de lutte antiterroriste. Ils y voient aujourd’hui le dernier rempart contre l’expansion de l’islamisme radical. Les services de renseignement marocains travaillent ainsi en collaboration encore plus étroite avec leurs homologues occidentaux… Toutefois, depuis quelques mois, le royaume cherche à diversifier ses partenariats. Rapprochement avec les pays du Golfe, l’Inde, la Chine, ouverture vers l’Afrique subsaharienne… Le souverain chérifien entend montrer à ses alliés de toujours, l’Amérique en tête, que son pays n’est la chasse gardée d’aucun, et qu’il tient à son indépendance.

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Lors d’un discours à Riyad, prononcé le 20 avril dernier devant les chefs d’État du Golfe, Mohammed VI a donné le ton, prônant une politique nationale, souverainiste et monarchiste. Il a fermement mis en garde contre le double jeu des États-Unis (notamment dans le dossier du Sahara et au Proche-Orient) et a souligné que le printemps arabe a laissé place à un automne calamiteux. Nul doute que Washington a très peu goûté le message, encore moins le rapprochement du roi avec la Russie, l’Inde et surtout la Chine, où il fut reçu avec les honneurs et qui lui a proposé une coopération commerciale et militaire d’envergure. Ce coup de poker – courageux mais également risqué – peut-il convaincre ses partenaires historiques que dans un monde ultracomplexe, un rééquilibrage des alliances est nécessaire ? Seul l’avenir le dira… 43


CÔTE D’IVOIRE TEMPS FORTS

CE QUE VEUT

ADO

Élections, Constitution, réformes : le président par Zyad Limam 44

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veut garder la main sur l’avenir du pays. AFRIQUE MAGAZINE

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THIERRY GOUEGNON/REUTERS

Le RHDP, qui a soutenu la candidature d’Alassane Ouattara, célèbre sa victoire à l’élection présidentielle de 2015.

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VERS LA « IIIE RÉPUBLIQUE » Il faut un texte pacificateur, qui apaise le pays, le fasse entrer dans la modernité institutionnelle, qui le mette à l’abri des tempêtes. Et qui permette aux différentes sensibilités et ambitions de coexister au sommet. Pour ADO, la mission est essentielle. Elle mobilise une grande partie de son temps, de son énergie depuis la réélection de 2015. Avec certainement une volonté de marquer son passage, d’entrer dans l’histoire, de faire la synthèse, de léguer un cadre pour le futur et les générations à venir. Il y a une volonté réelle de se débarrasser des dispositions « confligènes », inégalitaires, ethniques, dont le président lui-même et ses proches ont eu à souffrir. De solder les comptes de « l’ivoirité », de se défaire de ce terrible

Amadou Gon coulibaly, 57 ANS C’est le personnageclé. Ministre d’État, secrétaire général de la présidence, il n’y a pas l’ombre d’une « feuille de cigarette » entre lui et ADO. Il apparaît de plus en plus comme « l’héritier naturel».

Henri KONan BéDIé, 82 ANS Le patron du PDCI maintient un contrôle étroit sur son parti. Soucieux de sa stature et de son rôle, son alliance avec le président résiste aux ambitions des uns et des autres. article 35, symbole de l’exclusion et de la division. ADO l’a dit dès 2015, lors de la campagne électorale : « Ce qui est important, c’est que nous regardions l’avenir et notre avenir, c’est faire en sorte que nul ne doit être exclu en raison de son origine, de sa religion, de son ethnie ou de la couleur de sa peau. » Et il y a évidemment aussi des considérations politiques essentielles à moyen et long termes. Alassane voit loin. Toutes les sorties se préparent. Et le président tient à peser sur le choix de son successeur. Ce n’est pas un secret, ADO veut garder la main. Maîtriser l’évolution, et mettre en place les mécanismes qui aboutiront à sa succession en 2020. Le président consulte, écoute, prend du temps (ce qui n’est pas si fréquent dans le monde des présidents, justeAFRIQUE MAGAZINE

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SIA KAMBOU/AFP (2)

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in juin 2016. Abidjan bruisse entre les grosses pluies de la saison et quelques rayons de soleil. La « perle des lagunes » a renoué avec ses grandes ambitions. On y parle développement, business, projets. Le taux de croissance depuis 2010 oscille entre 8 % et 10 % par an. La richesse du pays a, grosso modo, doublé. Belles voitures, restaurants huppés, investissements, infrastructures (dont le fameux troisième pont qui enjambe l’eau entre Cocody Riviera et Marcory), immobilier, centres commerciaux, ça bouge… Tout cela semble aller de soi, et pourtant on revient de loin. À la fin 2010, la Côte d’Ivoire sort de deux décennies de mal-développement, de crises identitaires, ponctuées par un fiasco électoral et une quasi-guerre civile… Palais de la présidence, au cœur du plateau, l’ex-grand quartier des affaires lancé dans une seconde jeunesse. Une demeure très houphouëtienne, style résolument seventies, rénovée de fond en comble. Avec de belles vues sur les jardins et la lagune. C’est là que travaille Alassane Ouattara, dans la même pièce et sur le même bureau que Félix Houphouët-Boigny. Comme pour marquer une continuité de l’histoire, de l’État ivoirien. Élu en 2010, au terme d’un long chemin, réélu très confortablement fin 2015, l’enfant de Kong a foi en lui, il croit en son destin. Entouré d’un bataillon de fidèles, hommes et femmes dévoués à la réussite de son action, le président s’implique entièrement dans son second mandat, dont il a dit à de multiples reprises et publiquement que ce serait le dernier. Il a des plans. Une grande ambition politique qui fonderait une nouvelle République, une Côte d’Ivoire moderne, durablement éloignée des divagations mortifères autour de l’identité et de « l’article 35 » sur les critères d’éligibilité à la fonction présidentielle, sur l’« ivoirité ». Il en parle depuis des mois, il a annoncé son intention lors de la campagne électorale de l’année dernière. C’est la nouvelle Constitution, après celle d’Houphouët, largement formelle, et celle de 2000 à l’origine de tant de drames. Il y aura un référendum, fin octobre, pour que les Ivoiriens approuvent son projet.


Sauf très improbable coup de théâtre, Alassane Ouattara ne sera pas candidat à sa succession. ment). Il veut se rassurer, confronter ses idées, tout en ne se privant pas du plaisir politique de brouiller les pistes. Mais il a les idées claires, il sait où il veut aboutir. Cette réforme constitutionnelle, c’est la sienne avant tout. Le débat agite le pays, alimente les unes de la presse, permet à l’opposition de clamer haut et fort son… opposition. Des experts planchent sur les textes. Le peuple votera. Le train avance. Et au moment où ses lignes sont écrites, un certain nombre de paramètres essentiels semblent acquis. En premier lieu, il faut solder définitivement la question de l’identité et de l’ivoirité, par une écriture nettement plus inclusive de l’article 35 sur les conditions d’éligibilité à la présidence. Ce sera la clé de voûte symbolique du texte. Autre réforme tout aussi essentielle, celle qui tient à la dévolution du pouvoir, avec la création d’un poste de vice-président, élu sur un ticket avec le président, « à l’américaine ». Ce vice-président serait le véritable numéro deux politique du pays en étant le successeur constitutionnel en cas d’empêchement présidentiel. C’est donc aussi le candidat naturel au terme du ou des mandats. Le président de l’Assemblée nationale, longtemps doté de cette prérogative cruciale à « un souffle du pouvoir », perd son privilège d’héritier en attente. Une révolution…

BRUNO CHAROY/PASCO & CO

UNE RICHESSE ENCORE MAL REDISTRIBUÉE Troisième point majeur du projet, la création d’un Sénat. Objectif officiel, un meilleur équilibre législatif, avec une représentation plus forte de la diversité ivoirienne, des régions, des collectivités locales. Création d’un Sénat qui renvoie surtout à la volonté politique du président d’élargir les bases du pouvoir. Pour ADO, la Côte d’Ivoire a besoin d’une architecture institutionnelle qui permette aux différentes communautés du pays d’aspirer à un grand poste de responsabilité. Avec cette Constitution de la IIIe République se dégageraient alors cinq centres symboliques du pouvoir, « cinq grands postes » : présidence, vice-présidence, présiAFRIQUE MAGAZINE

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Guillaume soro,44 ANS Personnage mystérieux, ancien combattant, mais jeune encore. Président de l’Assemblée, il paraît s’être fondu dans la vie institutionnelle. La réforme lui retirerait son statut de dauphin. Ce qui ne l’empêche pas de voir plus loin. dence de l’Assemblée nationale, du Sénat et Premier ministère. Chacun, donc, devrait trouver une place au sommet… Mi-juillet 2016. Brutal coup de chaud sur l’ambiance générale. L’université FHB, à Abidjan, entre en grève après des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Quelques jours plus tard à Yamoussoukro et Daloa éclatent les premières échauffourées sur la question ultrasensible des tarifs de l’électricité. À Bouaké, vendredi 22 juillet, c’est l’émeute urbaine. Un mort et plusieurs dizaines de blessés. Dans la foule, on trouve aussi des jeunes sans travail, des commerçants, mécontents d’avoir été récemment délogés d’un marché local, ou encore d’anciens combattants démobilisés. Depuis plusieurs semaines, certains réclamaient des primes. Après les hausses, le président Ouattara avait annoncé en mai dernier vouloir « mettre fin au monopole de la CIE [privatisée en 1990 et propriété du groupe franco-africain Eranove, actionnaire majoritaire, NDLR] et de la Sodeci [Société de distribution d’eau] » pour tenter de tirer les prix à la baisse. Les bailleurs internationaux, eux, ont récemment fait pression pour augmenter les tarifs d’électricité subventionnée par l’État… L’affaire des tarifs de la CIE illustre tragiquement l’un des défis majeurs de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui. Les taux de croissance restent l’un des marqueurs des années Ouattara, mais ils ne garantissent pas la paix sociale. La richesse se crée mais elle ne se répartit pas suffisamment équitablement. Et l’afflux de capitaux publics et privés entraîne de réels problèmes de gouvernance pour une structure d’État 47


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Hamed Bagayoko, 51 ans Ministre de l’Intérieur, populaire, madré, il traverse les vicissitudes de la vie politique en tentant de faire entendre sa différence. Ambitieux, tout en étant loyal, il estime certainement avoir le temps de son côté.

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qui a encore largement besoin d’être modernisée et rajeunie. La petite et grande corruption s’accentue avec « les opportunités » et la hausse du coût de la vie. À Paris, au mois de mai dernier, les bailleurs de fonds publics ont soutenu l’expérience ivoirienne et le Programme national de développement (PND) 2016-2020. Mais le secteur privé s’est montré plus réservé, demandant plus de « transparence », moins d’administration, moins de fiscalité… Pour le président et le gouvernement, l’équation est complexe. Pour le citoyen lambda, « le bitume, ça ne se mange pas », et le taux de pauvreté reste préoccupant. En termes d’IDH (indice de développement humain), les choses s’améliorent mais la Côte d’Ivoire reste encore en queue de peloton (aux alentours de la 170e place mondiale). C’est ce décalage grandissant entre un pays neuf, qui avance, qui s’enrichit, et un pays qui sort difficilement de la précarité qui provoque la tension. Pour certains, y compris dans les cercles du pouvoir, la stabilité politique et institutionnelle est un enjeu majeur,

mais le débat sur un nouveau modèle économique plus inclusif l’est tout autant, voire plus. L’idée d’une meilleure redistribution des richesses s’impose. Faire en sorte que la croissance vienne toucher les zones rurales et les zones périurbaines, la Côte d’Ivoire de l’intérieur, loin des lumières d’Abidjan. Faire entrer « l’autre » pays dans le progrès. Fin juillet 2016. À Abidjan et dans les principales villes, la sécurité a été renforcée. Mais le débat constitutionnel et politique a repris de plus belle. Les cercles d’influence s’éveillent aux enjeux profonds qu’impliquent ces changements prévus. On débat certes sur tel ou tel point de la nouvelle Constitution, mais la seule chose qui compte vraiment aux yeux des acteurs politiques, c’est la succession… Et donc ce poste essentiel qu’est devenue la vice-présidence, marchepied vers le poste suprême. Alassane Ouattara, on l’a dit, ne sera pas candidat à nouveau et sauf coup de théâtre très improbable, il ne se prévaudra pas de la nouvelle Constitution pour faire autrement. Mais le projet de réforme constitutionnelle devrait contenir une disposition transitoire qui permettrait à ADO de désigner son colistier au cours de l’actuel mandat. Une personnalité, donc, qui sera clairement identifiée comme le successeur retenu pour 2020. On se doute qu’Alassane Ouattarra a choisi. Que ce choix a été longuement mûri, qu’il a été acté, et que les principaux partenaires concernés ont été informés de son intention. On imagine à quel point les tractations et les calculs ont été et seront intenses. Au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dirigé encore d’une main ferme par Henri Konan Bédié, nombreux sont ceux à se prévaloir de la fameuse déclaration de Daoukro, pour imposer un « héritier » issu de leurs rangs (en admettant qu’ils arrivent à s’entendre sur un nom). Au Rassemblement des républicains (RDR), les choses ne sont pas beaucoup plus simples et de nombreux profils de haut rang s’estiment parfaitement placés pour succéder au chef ! IIIe République ou pas, la course aux ambitions est donc d’ores et déjà lancée. Si 2020 est « pliée », il faut penser à 2025. Il faut donc vite se préparer, s’organiser, s’attacher des fidélités. Et d’ailleurs, 2020 est-elle vraiment « pliée » ? Et en admettant, ce nouveau président de 2020 devra luiAFRIQUE MAGAZINE

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NABIL ZORKOT POUR AM

Un vice-président qui deviendrait le numéro deux politique et de facto le successeur.


même se présenter avec un vice-président… « Les meilleurs plans ne sont pas forcément respectés. Et d’autres voudront échapper à l’écriture de l’avenir largement inspirée par le président. Ils voudront tenter leur chance », commente un poids lourd du sérail. Réponse de l’un de ses collègues : « Justement. Si le contexte constitutionnel est opérationnel, si la loi suprême est efficace, peut-être que cette compétition pourra se dérouler de manière relativement sereine. » Une sérénité d’autant plus nécessaire que la Côte d’Ivoire change. Elle évolue. Elle s’éloigne du modèle traditionnel et patriarcal post-indépendance. La croissance économique et la démographie génèrent une profonde modification sociale. Des classes moyennes émergent avec la volonté d’être représentées, de peser sur les décisions. Une société civile apparaît, soutenue par les réseaux sociaux. Des centaines de milliers de jeunes arrivent sur le marché du travail et personne ne sait réellement ce qu’ils veulent ou ce qu’ils pensent. À part qu’ils sont connectés au monde qui les entoure. Et qu’ils ne se précipitent guère pour s’inscrire sur les nouvelles listes électorales.

ISSOUF SANOGO/AFP PHOTO (2)

LÉGITIMITÉS ET IDENTITÉS RÉGIONALES Dans les rangs du pouvoir, la scène est complexe. Le débat sur la succession envahit le paysage. Mais fin novembre, doivent avoir lieu d’importantes élections législatives. Les deux grands partis de l’alliance, PDCI et RDR, sont censés se regrouper formellement ou fusionner. C’est l’un des grands objectifs d’ADO : rassembler cette fratrie qui s’est fracassée sur les rochers de la succession d’Houphouët. Reconstituer une force politique unifiée. Les résistances sont nombreuses. Au fil des années, des appareils se sont créés et cherchent à défendre leur existence, à élargir leurs territoires. De part et d’autre, nombreux s’estiment dépositaires uniques de la vraie légitimité. De part et d’autre, on n’a pas vraiment renoncé – on ne sait jamais – à cultiver son identité régionale et sa base (supposée) ethnique. Et de part et d’autre, les calculs pour prendre la main sur les « cousins d’en face » sont nombreux. De son bureau du palais, le président cherche à garder le cap, à imposer son agenda. Il écoute ceux qui évoquent avec insistance l’exigence de développement et une meilleure justice sociale. La situation sécuritaire reste aussi une préoccupation majeure. La Côte d’Ivoire est tributaire de son environnement régional et stratégique. Après les attentats de Bassam, la menace est permanente dans toute l’Afrique de l’Ouest. Et on l’a dit, les ambitieux et les ambitions se sont révélés. ADO cherche à se positionner « au-dessus », à mettre en place un cadre durable et pérenne, apte à garantir une certaine stabilité. Il veut sa nouvelle Constitution, un texte qui projette le pays dans l’avenir. Il tient à choisir son « héritier ». Et comme c’est un homme politique, il tient aussi à ce AFRIQUE MAGAZINE

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Thierry Tanoh, 53 ANS Secret, discret, travailleur, ministre et secrétaire général délégué à la présidence, il a rejoint le PDCI. « Filleul » de HKB, il incarne la génération montante du parti.

Abdourahmane CISSÉ, 34 ANS Très influent ministre chargé du Budget, c’est l’un des poulains du chef de l’État. Actif lors de la campagne présidentielle, il semble prêt à faire le « saut politique ». Et se présenter à la députation ? que les élections législatives de novembre lui donnent une majorité cohérente sur laquelle il aura plus que de l’influence. On comprend le grand objectif du président. Celui, finalement, de s’inscrire comme le véritable héritier d’Houphouët. De renouer avec une grande ambition ivoirienne. Sur ce chemin, les obstacles seront certainement nombreux. Mais on ressent dans le pays une envie de futur. On sent une volonté, au moins par pragmatisme, par réalisme, de vivre ensemble, de ne plus céder aux vertiges de la division, de la violence. Unie, la Côte d’Ivoire porte un projet, offre une perspective à ses citoyens. ■ 49


PORTRAIT

L’ambition congolaise de Moïse TEMPS FORTS

Katumbi

Ex-entrepreneur, ex-gouverneur du Katanga, patron d’un club de foot, il se veut aujourd’hui homme d’État. Il a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle en RDC prévue fin novembre 2016. Rencontre avec un personnage sûr de son destin, certainement courageux. Et peut-être idéaliste. par Sabine Cessou envoyée spéciale à Bruxelles

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En mars 2014, lors d’une conférence sur les mines à Goma.

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oïse Katumbi reçoit chez lui, le 7 juillet, dans un quartier chic de Bruxelles. Dans son immeuble, pas de sécurité renforcée. Il se tient lui-même devant sa porte grande ouverte, costume sombre sur une chemise blanche, le sourire aux lèvres. L’opposant congolais brigue la succession de Joseph Kabila à la présidence de la République démocratique du Congo (RDC), quatrième pays le plus peuplé du continent – 77 millions d’habitants au cœur de l’Afrique centrale. L’enjeu est colossal : une alternance pacifique dans ce pays serait une première dans son histoire tourmentée, mais aussi en Afrique centrale, une région où les présidents sont toujours, en 2016, tentés de l’être à vie. Il invite à prendre place dans l’un des fauteuils en cuir de couleur crème de son salon. La pièce est simple, mais son décor fait penser plus à Lubumbashi qu’à Bruxelles : longs rideaux beiges, tapis rouge et une bibliothèque en bois sombre où sont disposés des livres et des objets – un chapeau, des prix, des coupes, des souvenirs et des trophées. Moïse Katumbi garde un œil sur la télévision, qui reste allumée, et l’autre sur l’un de ses téléphones, où il reçoit sans cesse des appels ou des messages WhatsApp. Il décroche quand c’est urgent et s’excuse un moment pour répondre en anglais ou en swahili, afin de régler les questions d’intendance liées aux déplacements de son club de football, le Tout Puissant Mazembe. Cette équipe qui gagne est l’un de ses meilleurs atouts en termes de popularité… « Le foot, c’est tout ce qui compte ici », nous a lancé quelques jours avant notre visite à Bruxelles un confrère congolais en reportage au Katanga, rappelant de façon laconique que Moïse Katumbi, ancien gouverneur de cette province minière entre 2007 et janvier 2016, est « d’abord et avant tout un homme d’affaires ». Ce bâtisseur, qui se voit désormais à la présidence de la RDC, est l’une des plus grosses fortunes d’Afrique, dont le montant reste un secret bien gardé. FILS ET FRÈRE D’ENTREPRENEURS Métis, issu d’un mariage entre un Juif grec chef d’entreprise et une Congolaise de l’ethnie bemba, femme au foyer, il est né à Kashobwe, un village du Haut-Katanga proche de la frontière zambienne, dans une fratrie de douze enfants – six garçons et six filles, dont deux paires de jumeaux. Ayant perdu son père à l’âge 9 ans, il a été élevé par son demi-frère Raphaël Katebe Katoto, un entrepreneur de vingt ans son aîné, l’une des personnes dont il est le plus proche. « Demifrère, chez nous ça ne veut rien dire, explique-t-il. Nous sommes frères. » De même, il balaie d’un revers de la main

Moïse Katumbi, à son domicile de Lubumbashi, début mai. Depuis, l’opposant congolais a quitté la RDC pour l’Afrique du Sud puis l’Europe.

les questions liées à son teint. Il se dit Congolais et rappelle qu’il n’est pas le premier métis de la vie politique de son pays. « Kengo wa Dondo, ancien Premier ministre, a été candidat à la présidence de la République. Les gens qui disent que je ne suis pas Congolais ne sont même pas nés au Congo… Voyez où cette histoire a mené la Côte d’Ivoire. Ce sont des bêtises ! » Très croyant, baptisé à 9 ans, il a été surnommé « Petit Moïse » pendant ses années d’internat chez les Bénédictins, où son frère l’a envoyé en 1980. « Ce n’était pas une école de riches et les conditions étaient difficiles », se souvient-il. Il s’est adapté, seul élève de son âge à y terminer son cycle primaire, avant de faire ses « humanités » – l’équivalent du baccalauréat français. C’est chez les bons pères, sur la route de Likasi, qu’il a entamé une longue carrière de mécène, économisant sur son argent de poche pour aider ses camarades à payer leur « minerval », le terme de l’ex-colonisateur belge pour les frais de scolarité. Son prénom lui permet-il de se positionner aujourd’hui comme le « sauveur » que voit en lui Raphaël ? Il n’est pas prêt à exploiter ce filon trop facile. « Quand ma mère m’a baptisé, je n’avais pas de projet politique, répond-il. J’ai construit une grande église à Kitwe, en Zambie, où j’ai vécu en exil de 1997 à 2003. Je n’avais pas non plus la politique en tête à l’époque. C’est entre moi et mon Dieu ! » Lui-même père de six garçons, dont les deux cadets sont issus de son mariage avec Karine, d’origine burundaise, il reste discret sur sa vie privée et évoque plus volontiers sa carrière. Son frère lui a mis le pied à l’étrier très jeune, l’emmenant pendant les vacances faire du négoce autour du poisson. « Moïse était mon préféré », témoigne au téléphone Raphaël Katebe Katoto, qui ne tarit pas d’éloge sur son « phénomène » de frère. « Dès son plus jeune âge, il a toujours été quelqu’un de droit, d’obéissant et qui se comportait de manière exemplaire. » Après le bac, Raphaël l’envoie étudier la gestion à l’université de Kitwe, en Zambie. Une ville distante de 187 kilomètres de Lubumbashi, où il prend des cours du soir. « Le plus grand industriel de la RDC, c’est Raphaël, souligne de son côté Moïse Katumbi. Nous avions les activités de transport de cuivre avec l’entreprise publique de la Gécamines depuis 1974, et les pêcheries industrielles à partir du lac Moero. » AFRIQUE MAGAZINE

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BRYAN DENTON/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

En 1997, à la chute de Mobutu, l’incertitude politique le pousse à rester à Kitwe, où il investit dans une mine d’émeraudes. De retour en RDC en 2003, il convoite des gisements de cuivre du Katanga, à la faveur de la privatisation de la Gécamines. Mais se voit refuser la mine de Kamoto, aux réserves prouvées. Les autorités refusent son dossier, préférant négocier avec des investisseurs étrangers. « Je suis un bosseur. J’étais très fâché ! se souvient-il. Quand j’ai un projet, je veux le terminer, je crois que c’est le plus important dans la vie. » Il mise avec Amphil Mining, basée aux Philippines, dans l’exploration du site de Kinsevere, prenant le risque d’y investir 40 millions de dollars. Son pari réussit. Un gisement important de cuivre est découvert, lui permettant de revendre ses parts et de se diversifier. Avec le recul, il revient non sans dérision sur son entrée en politique. Il a d’abord soutenu la campagne de Joseph Kabila en 2006, date à laquelle il a voté pour la première fois de sa vie, comme bien des Congolais. « Ces politiciens sont arrivés au pouvoir à vélo et n’ont pas hérité d’une seule maison en ville. D’où viennent leurs avoirs actuels ? Ceux qui m’attaquent oublient que j’ai mis ma limousine à la disposition de Joseph Kabila pour sa campagne. » Récompensé pour ses largesses, il est nommé en 2007 gouverneur du Katanga – une province qui est aussi le fief de AFRIQUE MAGAZINE

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Kabila. Une fonction qu’il envisage d’exercer proprement. Il cède alors sa place dans toutes les sociétés de la famille, et vend ses activités de transport du cuivre par camion. « Pas une seule fois, ma femme n’a mis les pieds dans mon bureau de gouverneur », explique-t-il, tout en reprenant la série de chiffres qui attestent de ses talents de gestionnaire à la tête d’une province grande comme la France. « Le Katanga est passé du troisième au premier rang des contributeurs au budget de l’État, avec des recettes qui ont bondi de 18 millions à 1,2 milliard de dollars par an. » Le redressement, mené par une équipe soudée qu’il a constituée autour de lui, n’a pas été sans mal. Il a impliqué que la province cesse de « couler » et déclare enfin les exportations de minerai qui partent par camion. « Les douaniers arrivaient au travail à 11 heures et repartaient à 14 heures. À 6h30 du matin, je les attendais devant la porte. J’en ai suspendu beaucoup, et je leur ai expliqué qu’il fallait changer de mentalité. » Face aux manœuvres du pouvoir pour reporter l’élection présidentielle de 2016, il prend ses distances, persuadé que le pays perdra les acquis de dix ans de paix et qu’il ne s’en sortira pas s’il rate le coche de l’alternance. Il annonce le 4 octobre 2015 sa démission du poste de gouverneur et du parti présidentiel. Un mois plus tard, le 8 novembre, il vend la Mining Company Katanga (MCK), une société de génie civil, au groupe de 53


«En cinquante-six ans d’indépendance, nous n’avons pas construit le quart de ce que les Belges ont laissé… »

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logistique français Necotrans, l’un des concurrents de Bolloré. « Necotrans voulait nous racheter depuis 2014 car notre société était très prospère. J’ai dit à ma famille d’attendre que je quitte le gouvernorat, pour qu’on ne m’accuse pas de faire des affaires en tant que gouverneur. » Aurait-il vendu pour protéger son patrimoine et le placer à l’étranger, compte tenu des risques qu’il encourt en tant qu’opposant ? Il hausse les sourcils, surpris. Il conserve des intérêts dans l’immobilier, le transport et l’agriculture. « Notre patrimoine se trouve au Congo, répond-il. Si je devais me lancer à nouveau dans les affaires, je le ferais au Congo ou dans un autre pays africain ! » Quant à savoir s’il est prêt à financer une rébellion, à la manière d’autres hommes politiques congolais avant lui, c’est un sujet qui le fâche encore plus… « Nous respectons la loi et notre engagement est pacifique », lâche-t-il.

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UNE FIGURE POPULAIRE Il se présente lui-même comme la deuxième ou troisième fortune de RDC, mais ne figure pas dans les classements des magazines économiques, parce qu’il est aussi un homme politique. « Je ne suis pas un parvenu, dit-il. Mes amis d’enfance viennent des familles de banlieue de Lubumbashi. Je n’aimais pas les enfants des opérateurs économiques quand j’étais jeune, car ils jouaient entre eux. » Il insiste d’ailleurs sur ce point : « Ce qui est important pour moi, c’est le Moïse de l’enfance, celui qui vit avec ses amis et partage avec les autres. » Inutile, cependant, d’aller lui demander 500 dollars juste parce qu’il les a. « Les gens connaissent ma logique, dit-il. Si l’on vient me voir avec un problème, par exemple un père de famille sans travail qui a perdu son épouse, dont le corps est bloqué à la morgue parce qu’il n’a pas les 25 euros que coûte le cercueil, j’envoie des gens vérifier que c’est vrai, puis j’aide. Comment pourrais-je garder 500 000 dollars et voir de pareilles choses dans mon pays ? » Quant à ses intimes, parmi lesquels des diplomates, ils comptent effectivement pour lui. « Moïse est un homme simple et attentionné, témoigne une proche du couple Katumbi. Ceux qui sous-estiment sa popularité se trompent : dès qu’il sort à Lubumbashi, une foule compacte se rassemble aussitôt autour de lui. J’ai été bloquée dans sa voiture pendant plus d’une heure en mars. » Il sourit. « Partout où je passe, les gens courent… » Est-il aussi populaire dans le reste du Congo ? La question revient en boucle, pernicieuse, parmi les mauvaises langues, de plus en plus nombreuses à vouloir mettre en doute ses capacités. Moïse Katumbi n’est pas seulement vilipendé par

les médias d’État en RDC, qui relaient à qui mieux mieux les accusations de la justice qui se multiplient à son encontre : recrutement de mercenaires, prétendue spoliation d’une maison à Lubumbashi qui appartient en réalité à son propre frère, une affaire qui lui a valu trois ans de prison ferme et 1 million de dollars d’amende, lors d’un procès qui s’est tenu le 22 mai en son absence et où ses avocats n’ont pas été autorisés à plaider. Les révélations faites le 26 juillet par la juge Chantal Ramazani Wazuri lui donnent raison. Elle a dénoncé les « contraintes physiques et morales » exercées contre elle par le patron des services secrets, avant un verdict qui visait à rendre l’opposant inéligible. À Paris, ses manières décontractées et peu serviles n’ont pas eu l’heur de plaire à tout le monde. Des sources politiques le décrivent comme un businessman qui n’aurait pas la carrure d’un homme d’État, faute de projet. « Mon programme, réplique-t-il, consiste à construire un État de droit avec un système éducatif fort, l’accès aux services de santé et des efforts pour diversifier l’économie. » Il suit heure par heure les informations en provenance de Kinshasa, où le ministre de la Communication et des Médias Lambert Mende n’a plus de mots assez durs pour lui. « Je me fais insulter tous les jours, mais je suis confiant car ma conscience est tranquille. Les gens savent qui a fait quoi au Congo… Si j’étais un parvenu en train de piller les trésors publics, la population se soulèverait contre moi ! » SON RETOUR EN RDC, UN QUITTE OU DOUBLE Les Congolais, il le clame sans détour, représentent son « armée ». Il compte sur eux pour imposer une nouvelle donne à son retour en RDC, qu’il annonce sans crainte pour les semaines qui viennent à Kinshasa, la capitale. Dans cette ville, il fait peur aux autorités. Elles ont tout fait pour l’empêcher d’assister aux obsèques du chanteur Papa Wemba, le 2 mai dernier. Un événement qui aurait pu se transformer en tribune politique. La foule compacte qui attendait le corps du chanteur à l’aéroport, le 29 avril, n’a pas hésité à entonner des chants en faveur de l’opposition. Une foule tout aussi dense attendait Katumbi lors son arrivée mouvementée aux portes du palais de justice de Lubumbashi, le 13 mai, accompagné de milliers de ses partisans et de dizaines d’avocats prêts à plaider gratuitement. Il était convoqué pour la troisième fois pour répondre à des accusations de recrutement de mercenaires. En fait, il a été ainsi privé de ses gardes du corps, tous arrêtés. « Un dossier fantaisiste et mal ficelé pour lequel les autorités ont d’abord AFRIQUE MAGAZINE

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L’homme d’affaires dit n’avoir qu’une ambition : sortir son pays de la misère. Ici, la capitale, Kinshasa, qui compte 10 millions d’habitants.

GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR JA

mentionné le nombre de 600 mercenaires, puis 458, puis 12 », dit-il. Aux portes du tribunal, la police a tiré des gaz lacrymogènes, jeté des pierres sur son véhicule, et un homme en cagoule qu’il soupçonne d’être un policier l’a piqué dans le dos avec une seringue infectée – provoquant une insuffisance respiratoire constatée par ses médecins, mais aussi par les trois experts envoyés par la justice congolaise, qui l’ont autorisé à quitter le territoire national le 20 mai, à bord d’un avion médicalisé. Il s’est alors rendu en Afrique du Sud, puis en Allemagne et en Grande-Bretagne, pour y faire des analyses. Il a séjourné tout le mois de juin dans sa maison de Londres, acquise en 1997, le temps de se remettre. Alors qu’on le disait à terre, il a repris pied sur le ring en juillet, plus déterminé que jamais. Avec une opposition partie comme à son habitude en ordre dispersé, il œuvre à ce qui serait une grande première en RDC : une candidature unique autour de son nom. Il s’est rendu à Washington début juillet puis à Paris avec l’opposant historique Étienne Tshisekedi, pour y rencontrer les autorités et défendre sa cause : l’organisation de la présidentielle en novembre, comme prévu par la Constitution. Le pouvoir, de son côté, tergiverse. Il ne peut pas réviser la loi fondamentale par référendum comme à Brazzaville, sur l’autre rive du fleuve Congo, la rue ayant vivement réagi à Kinshasa en janvier 2015 face à une première tentative d’amendement d’une simple loi électorale. Les émeutes ont fait quarante-deux morts, la police ayant tiré à balles réelles sur les manifestants. La mouvance présidentielle vise un « glissement » du calendrier électoral pour mieux permettre à Joseph Kabila, 45 ans, de se maintenir à un poste qu’il occupe depuis 2001. La répression couve en RDC, où le pouvoir s’emploie à discréditer l’opposition et à se présenter comme le seul garant de la stabilité – au risque, comme au Burundi voisin, de replonger le pays dans la guerre civile. « JE SUIS UN HOMME D’ÉTAT » Contrairement à l’image qu’on lui prête, il ne compte pas trop sur ses soutiens américains, qui pressent depuis 2014 Kinshasa d’organiser les élections, pour faire le travail à sa place. « Je ne laisserai pas le président Kabila faire un jour de plus au pouvoir, répète-t-il. La Constitution est très claire. Je vais rentrer pour faire face à ces fausses accusations contre moi, des mensonges flagrants. » Que fera-t-il si des policiers l’attendent à l’aéroport ? « Il n’y a pas de problème, répond-il. Je vais dire à ce gouvernement que ma conscience est tranquille. » L’épreuve de force s’annonce rude en RDC. À en juger par les exemples donnés par le Congo, le Burundi, le Rwanda et AFRIQUE MAGAZINE

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l’Ouganda, elle risque de tourner en défaveur du candidat Katumbi. Celui-ci, réticent à commenter la situation chez les voisins, préfère s’en tenir au destin de son pays. « Les Congolais iront voter, c’est tout ! », assène-t-il. Il promet de faire fonctionner la justice « si la roue tourne », mais ne s’acharne pas contre Joseph Kabila, auquel il propose avec un certain fair-play le respect dû à un ancien chef d’État. En attendant de voir comment tournera la partie de poker en cours en RDC, il continue de méditer sur les leçons données par ses modèles en politique : Léopold Sédar Senghor et Nelson Mandela, « parce qu’ils ont eu l’intelligence de partir ». Il lit des traités d’économie, des biographies de Winston Churchill, Charles de Gaulle, Jacques Chirac et François Mitterrand… Sans oublier le pape François, qu’il trouve « magnifique ». Il paraît déterminé à renouer avec ses journées telles qu’il les passe au pays : réveil à 5 heures, quarante-cinq minutes de tennis, douche, petit déjeuner, bureau et audiences, puis de nouveau son tennis à 16 heures et la salle de musculation jusqu’à 19 heures. Son rêve ? « Que le Congo soit une vraie République démocratique avec un grand “D”. S’il connaît sa première alternance, ce pays ira en cinq ans vers le développement. Je rêve d’un Congo où chacun pourra vivre et que tout le monde pourra visiter sans barrière de visa. Il faut voir le lac Moero – c’est Monaco ! Il faut voir les chutes de Kaloba, les plus hautes d’Afrique ! Je rêve d’un pays qui réalise enfin son potentiel. En cinquante-six ans d’indépendance, nous n’avons pas construit le quart de ce que les Belges ont laissé… Il faut dire la vérité ! » Il veut transformer l’essai, et passer de mécène à décideur en prenant des risques calculés, comme en affaires. « Je suis un homme d’État, n’allons pas plus loin », glisse-t-il dans la conversation, se refusant à calomnier ses adversaires… Le businessman a les moyens de son avenir politique. Soupçonné de vouloir acheter les consciences, il répond : « Le peuple congolais n’est pas achetable. Il voit les résultats. Il est en train d’attendre le changement. Ce que le président Kabila n’a pas prouvé en quinze ans, comment veut-il le prouver plus tard encore ? » ■ 55


une image, une histoire PAR CÉDRIC GOUVERNEUR

SEPTEMBRE 1972

L’EXODE DES INDIENS D’OUGANDA Londres, automne 1972. Des dizaines de milliers d’expatriés du souscontinent débarquent au Royaume-Uni,

en état de choc et sans un sou en poche : Idi Amin Dada vient de les expulser du pays, où leurs familles s’étaient installées au XIXe siècle et vivaient souvent confortablement. Malgré l’invitation de l’actuel président Museveni, la plupart n’ont jamais remis les pieds dans le pays.

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ILS ÉTAIENT ÉPICIERS, tailleurs, banquiers, planteurs de café… À la fin du XIXe siècle, les Britanniques avaient recruté leurs ancêtres à Bombay afin de bâtir le chemin de fer dans leurs colonies d’Afrique de l’Est. Pourquoi donc les colons avaient-ils fait traverser l’océan à 30 000 coolies plutôt que de recruter des Africains ? C’était la méthode habituelle des Britanniques – cela a été le cas de Gandhi, débarqué, lui, en Afrique du Sud en 1893 –, qui utilisaient une main-d’œuvre déjà « rodée » au lieu de recourir à des autochtones moins enclins à obéir à ceux qui avaient conquis leurs terres. Une fois achevée la voie ferrée entre Mombasa et Kampala, certains (du moins ceux qui avaient échappé aux épidémies) s’établirent dans la région. Environ 7 000 d’entre eux entrèrent dans l’administration, ou ouvrirent des commerces avec leur pécule. À l’indépendance de l’Ouganda en 1962, leurs descendants étaient environ 60 000 : 1 % de la population, représentant un quart du PIB.

Arrivé au pouvoir à la faveur d’un putsch en 1971, Idi Amin Dada, ancien sous-officier de l’armée britannique – il a participé à l’écrasement de la révolte des Mau-Mau* –, est un colosse mégalomane, qui s’autoproclame « président à vie », « conquérant de l’empire britannique » et même « roi d’Écosse ». Paranoïaque, il multiplie les purges, persécute les ethnies acholie et lango, puis s’acharne sur les « Asiatiques », dont l’aisance matérielle suscite des jalousies. Le 4 août 1972, Amin affirme qu’« Allah lui a ordonné

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18 septembre 1972. L’aéroport de Stansted, à 60 kilomètres de Londres, voit atterrir le premier des « charters spéciaux » en provenance de Kampala ou Entebbe. À son bord, les « Asiatiques » exilés par Idi Amin Dada. dans un rêve d’expulser les Indiens » (musulmans pour un tiers d’entre eux) et leur donne « quatre-vingtdix jours » pour quitter le pays en abandonnant leurs biens : les bannis n’ont droit d’emporter qu’un maximum de « 55 livres sterling » ! Une politique au racisme assumé, hélas populaire auprès de beaucoup d’Ougandais : un ancien étudiant de Kampala raconte comment, à chaque fois que la radio égrenait le nombre de jours avant l’expulsion, toute sa résidence universitaire exultait… D’autres témoignages montrent cependant que les Indiens AFRIQUE MAGAZINE

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étaient appréciés des Ougandais qui les côtoyaient ou travaillaient pour eux – bref, ceux qui les connaissaient au-delà des préjugés. En toute impunité, les soldats de « Big Daddy » pillent et violent les « bloodsuckers » indiens. La quasi-totalité fait donc ses valises. La plupart se rendent au RoyaumeUni, d’autres au Canada ou en Inde, voire aux îles Malouines. Leurs sociétés – très exactement 5 655 boutiques, entreprises, plantations… – sont distribuées à des militaires qui, n’ayant pas les compétences pour les gérer,

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les conduisent à la faillite. En 1979, l’armée tanzanienne, ripostant à une énième provocation d’Amin Dada, envahit l’Ouganda où la population l’accueille en libératrice. « Big Daddy », 300 000 victimes à son actif, s’exile en Arabie saoudite, où il s’éteindra dans son lit en 2003. Yoweri Museveni a invité en 1992 les Indiens expulsés à revenir au pays et à retrouver leurs biens spoliés. Mais la plupart ont refait leur vie, et très peu ont répondu à son appel. ■ * Mouvement insurrectionnel kényan dans les années 1950.

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SYRTE

MÈRE DE TOUTES Du vert au noir. De Kadhafi à l’État islamique. En cinq ans, le destin de cette ville, choyée par l’ancien dictateur et presque créée de toutes pièces, semble voué aux tumultes permanents.

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par Maryline Dumas, correspondance à Tripoli

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LES BATAILLES

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t si ce n’était qu’une question de temps ? En cette fin juillet, sous une chaleur écrasante, les forces libyennes alliées au gouvernement d’union nationale de Fayez el-Sarraj pilonnent les combattants de l’État islamique (EI) dans le centre-ville de Syrte. Tombera, tombera pas ? Les jihadistes, qui défendent leur dernier bastion, parviennent encore à tenir les assaillants à distance. Après avoir contrôlé plus de 250 kilomètres de côtes autour de la ville, nous avons pu constater, sur le terrain, que les extrémistes de l’EI étaient désormais retranchés dans les quelque vingtcinq kilomètres carrés du centre-ville. « Ils sont là-bas » : derrière une butte de sable, Salem Taleb pointe du doigt le centre

de conférences Ouagadougou à 1 600 mètres de là. Aucun drapeau n’est visible mais les tirs font comprendre qu’il est impossible d’approcher d’avantage. Les terroristes, qui y ont installé leur poste de commandement, y donnaient également des cours « théoriques » avant que les combats ne débutent. « Kadhafi avait sécurisé le site. Il y a des abris anti-aériens dans les sous-sols, c’est facile de s’y protéger », explique Abdullah el-Ayeb, membre des forces libyennes. Une ville dont le choix n’est pas dû qu’au seul hasard… À ses origines, Syrte, à mi-chemin entre Tripoli et Benghazi, n’était qu’un conglomérat de villages au milieu d’une région désertique. Les habitants vivaient grâce aux cultures, à l’élevage et à l’artisanat. Au début des années 1950, le destin de cette zone bas-

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19 juin 2016. Au large de Syrte, un navire de guerre du gouvernement d’union nationale garde le contrôle des côtes. L’ennemi est désormais encerclé par terre comme par mer.

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Kadhafi, qui se rêvait en « roi des rois d’Afrique », l’imaginait en capitale du continent.

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cule avec la découverte du pétrole : le « croissant pétrolier » contient 70 % des réserves d’or noir du pays. Le renversement de la monarchie en 1969 par le jeune colonel Mouammar Kadhafi, né à Qasr Abu Hadi, dans le grand Syrte, marque un deuxième tournant. Rapidement, le « Guide de la révolution » caresse l’idée de transformer « sa » ville en capitale du pays. Il crée d’abord une nouvelle province, Al-Wosta (la Centrale), en plus des trois régions historiques (Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan). Le Parlement et les ministères y sont délocalisés à la fin des années 1980. Pas pour longtemps. Les accidents de la route entre les deux villes se multiplient et le nombre de victimes – dont des ministres – est tel que le leader libyen renonce au projet. Puisqu’elle ne peut être la capitale de la Libye, pourquoi ne serait-elle pas… la vitrine du continent ? Kadhafi, qui se voulait « roi des rois d’Afrique », rêve d’en faire une métropole à l’échelle continentale. Il encourage la création de l’Union africaine (UA), qui remplacera l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Et c’est à Syrte, le 9 septembre 1999, qu’est actée cette évolution. La proclamation a lieu dans l’immense centre de conférences Ouagadougou qui symbolise à la perfection la folie des grandeurs de l’ancien dictateur : moquette verte, murs en marbre et immenses lustres contenant 500 lampes chacun, le lieu, qui s’étend sur 44 000 mètres carrés et 37 mètres de hauteur, est démesuré pour une ville qui ne comptait que 75 000 habitants en 2011. Cette année-là, la révolte populaire puis la guerre civile contraignent Kadhafi à fuir Tripoli en août. Il se réfugie à Syrte où, le 20 octobre, il est finalement capturé et lynché. Marginalisée par les révolutionnaires en raison de sa réputation kadhafiste, oubliée par le gouvernement et détruite par les combats, la ville offrait dès lors un terrain propice pour les terroristes, qui ont donc été acceptés – voire bien accueillis dans un premier temps – par les habitants. Février 2015. Avec les bâtiments de la radio et la télévision locales, le centre de conférences Ouagadougou est investi par l’organisation État islamique. Une prise sans combats, progressive, en douceur… Afrique Magazine avait ainsi pu se rendre dans la ville sans y être inquiété. À l’époque, dans le quartier Numéro 2 réservé aux personnes originaires de Misrata, les habitants étaient dubitatifs face AFRIQUE MAGAZINE

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Novembre 2011. Symbole de la chute de Kadhafi, le centre de conférences Ouagadougou, principalement dédié à l’Union africaine, est dévasté. AFRIQUE MAGAZINE

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Au départ, les activistes de l’EI semblaient plutôt bienveillants. Avant de montrer un tout autre visage...

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à l’arrivée du drapeau noir. Abdallah Mohamed déclarait ainsi : « Il faut oublier Daech. Ce sont des gens liés à Kadhafi qui utilisent leur drapeau, c’est tout. » Mais preuve que l’occupation allait s’annoncer difficile, l’homme et sa famille ont été chassés de leur maison quelques heures après avoir parlé aux journalistes. Mohamed Mustapha Abbourguiba, désormais réfugié dans le fief révolutionnaire voisin de Misrata, estime que l’EI s’est comporté « de façon correcte le premier mois. Mais plus ils ont eu du pouvoir, plus ils sont devenus agressifs ». Le vieil homme à la vue défaillante en a lui-même fait l’expérience : « Un jour, j’ai allumé une cigarette à un checkpoint de Daech. Le garde a souri, m’a dit de l’éteindre et de filer. Quelques mois plus tard, j’ai été arrêté pour la même raison. Cette fois, ils voulaient me battre ! Un des hommes s’est montré miséricordieux à cause de mon âge… » Car en juin 2015, l’EI a pris le contrôle complet de la ville et instauré ses règles, avec sa propre police et un tribunal islamique. Le tournant décisif se produit en deux mois plus tard. Suite au meurtre de Khaled ben Rajab, un imam qui a refusé de remettre sa mosquée aux mains de l’EI, la tribu des Ferjani (à laquelle il appartenait) décide de prendre les armes face au drapeau noir. La répression sera sanglante : plus d’une centaine de morts, parmi lesquels une douzaine décapités puis crucifiés. Les habitants n’ont d’autre salut que dans la fuite.

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LE PORT, AUTRE « CADEAU MAUDIT » DE KADHAFI Juin 2016. Nous revenons à Syrte. Faouzi Mustapha, réfugié à Misrata, estime que l’EI a choisi cette ville « parce qu’il y avait un manque de sécurité et pas de police. Nous, les habitants, on a été manipulés par la brigade des rebelles. C’est eux qui étaient responsables de la sécurité dans la ville. Mais ils se sont rapprochés d’Ansar al-Charia [en 2013-2014, NDLR] puis ont accepté Daech. » Basés au sud-ouest du centreville de Syrte, Salem Taleb et sa dizaine d’hommes tiennent la dernière base avant l’EI : « Notre rôle, c’est de tenir cette position. » À ses côtés, les combattants sont jeunes, certains sortent tout juste de l’enfance. Ils font face aux terroristes sans grand équipement : en tenue dépareillée – baskets,

tongs, T-shirt, jean ou bermuda – et sans gilet pare-balles. « Dieu nous protège », affirme Ahmed Zeidan, un combattant. En est-il certain ? Quoi qu’il en soit, il est sur le front. « Pour sauver mon pays », dit-il. Tous, pourtant, reconnaissent que ces combats sont bien différents de ceux de la révolution de 2011. Ils évoquent une guerre « sale », faite d’attaques imprévues, de snipers, de mines et d’attentats-suicides. Malgré tout, les brigades libyennes ont réussi à encercler l’EI. Elles espèrent ainsi affaiblir l’ennemi en l’assiégeant par la terre comme par la mer. « Nous surveillons étroitement le port de Syrte, indique Reda Issa, chef des gardes-côtes de Misrata. De toute façon, aucun gros bateau ne peut entrer par le port. L’entrée devait faire sept mètres de profondeur, aujourd’hui, il n’y a pas plus de deux mètres… Le lieu est mal placé, le sable revient constamment. » Le port de Syrte, un autre cadeau maudit de Kadhafi : le « Guide » avait été prévenu, mais il n’en a fait qu’à sa tête. Dans le même registre, l’aéroport international construit dans le sud de la ville n’a reçu que les avions des délégations étrangères. Aucun vol commercial ne s’est jamais posé sur son bitume. Les terroristes l’ont abandonné début juin, laisAFRIQUE MAGAZINE

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MARYLINE DUMAS

En juin 2016, l’offensive contre l’EI s’est intensifiée grâce au renfort de nouveaux combattants, tels ces hommes venus depuis Nalout (sud-ouest de Tripoli).

sant dans les toilettes cheveux et barbes coupées. Signe que certains d’entre eux ont pris la fuite. Les largesses du « Guide » pour sa cité ont en tout cas nourri la jalousie des autres localités. Hassan Rohama, un Syrtois, raconte : « Tous les Libyens croient qu’on a été privilégiés. Un jour, j’ai rencontré un Tripolitain. Je lui ai fait visiter le quartier Abu Hadi où vivent les kadhafistes [la tribu du « Guide », NDLR]. Il s’attendait à voir des routes en marbre. Mais les routes n’étaient réparées qu’en cas de sommet international et alors, on ne pouvait plus bouger. L’université était fermée, les routes coupées. Nous avons autant souffert que les autres. » Pour héberger dignement les chefs d’État étrangers en visite, Mouammar Kadhafi avait également fait construire des bâtiments luxueux à l’est de Syrte. Les « palais des invités » ont accueilli, après la révolution de 2011, une partie des déplacés libyens. Originaires de villes considérées comme pro-kadhafistes comme Tawergha ou Tomina, ces réfugiés internes avaient choisi de s’installer là où ils espéraient trouver un accueil chaleureux. « Le problème, c’est que 10 000 maisons ont été détruites par les combats, et notamment les bombardements de l’Otan, et que nous avons reçu 25 000 déplacés », indiquait, en 2012, AbdulAFRIQUE MAGAZINE

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jalil Chaouch, un des députés locaux. Dans ces conditions, les nouveaux arrivés se sont installés dans les palais des invités, dans des bâtiments publics, ou des bungalows pour les moins chanceux. La plupart des habitants de Syrte ont dû finalement fuir la ville à cause des jihadistes et ce sont désormais près de 15 000 familles, selon les autorités libyennes, qui ont été « déplacées » au sein de leur propre pays. À Misrata, on juge que ce sont justement les kadhafistes – sous-entendu la tribu et ceux qui ont la même idéologie – qui ont accueilli l’État islamique afin de maintenir le désordre dans le pays. Les habitants de Syrte, eux, nient ce caractère tribal. « Il y a dix-sept tribus ici. Chacune a des membres qui soutiennent Daech », affirme Faouzi Mustapha, responsable des réfugiés de Syrte à Misrata. De fait, tous les responsables sécuritaires s’accordent à dire que l’EI est ici majoritairement composé d’étrangers (Tunisiens, Égyptiens, Soudanais…). Les Misratis, eux, répètent à l’envi la déclaration télévisée d’Ahmed Gaddafi Dam, cousin de l’ancien « Guide» réfugié en Égypte qui présentait, en 2015, les combattants de l’EI comme des « jeunes au cœur pur ». Les faits lui auront donné passablement tort. Du vert au noir… ■ 63


ce que j’ai appris PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE FAYE

VÉRONIQUE TADJO Lauréate du Grand Prix national Bernard Dadié de la littérature 2016 (8e Salon international du livre d’Abidjan) pour l’ensemble de son œuvre, l’auteure ivoirienne

s’adresse aux jeunes autant qu’aux adultes. Avec révolte et réserve à la fois. Elle écrit pour combattre l’inacceptable, l’injustice. Et briser l’indifférence. Après quatorze années passées à Johannesburg, elle se partage désormais entre Londres et Abidjan.

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› J’aime être en état de création. C’est un besoin vital pour moi. Créer, c’est porter un éclairage différent sur ce qui nous entoure. Que ce soit L’Ombre d’Imana (Actes Sud, 2000) sur le génocide au Rwanda, Reine Pokou (Actes Sud, 2005), inspiré par une figure historique et mythique, ou Loin de mon père (Actes Sud, 2010), une saga familiale, je cherche à entraîner les lecteurs dans un univers qui leur ouvre les yeux sur la part cachée de notre vie. La peinture et l’illustration que je pratique sont aussi des formes d’écriture. Mais elles font appel à un autre côté du cerveau, à la maîtrise des couleurs et de la forme. › C’est à Lagos que j’ai conçu mon premier ouvrage pour la jeunesse, La Chanson de la vie (Hatier, 1993), un recueil de contes. Le Nigeria est un pays très riche culturellement. Il m’a énormément inspirée, tant au niveau de la narration que des illustrations. Depuis je n’ai pas arrêté. Pour moi, c’est un engagement et une passion. Le but, c’est de faire aimer la lecture aux jeunes de manière à ce qu’ils se tournent naturellement vers la littérature africaine en grandissant. Ainsi, nous pourrons mettre fin à cette idée que « les Africains ne lisent pas ». › Écrire sur Mandela, Graça Machel et Léopold Sédar Senghor est pour moi la meilleure façon de transmettre une mémoire et un modèle de combat à la nouvelle génération. Certains s’étonnent que l’on puisse écrire à la fois pour un public adulte et pour les jeunes. C’est mal comprendre la capacité que certains auteurs ont de retourner dans « le royaume de l’enfance », selon l’expression de Senghor, qui a lui-même beaucoup écrit pour la jeunesse. D’autres auteurs comme Ahmadou Kourouma, Wole Soyinka, Ngugi wa Thiong’o et Chinua Achebe se sont aussi intéressés à la jeunesse. C’est un travail de fond que nous faisons. › Nous avons la responsabilité d’être des citoyens conscients. En effet, nous pensons trop souvent que nous sommes de bonnes personnes qui prennent les meilleures décisions : c’est parce que nous vivons dans une paix relative et l’illusion d’une stabilité. Mais un jour la guerre survient et notre existence bascule. Nous découvrons alors notre vraie nature. Comment allons-nous nous comporter ? Allons-nous sauvegarder notre humanité dans ce chaos ? Il faut toujours rester en alerte afin de ne pas se retrouver dans une telle situation. › La liberté est ce que nous avons de plus précieux. Elle nous permet de nous épanouir et de trouver notre voie. D’écouter les autres aussi. Si nous voulons contribuer à notre développement de manière positive, nous avons besoin que toutes les énergies se rencontrent. Et cela ne peut se faire que dans un contexte favorable. › Je suis une amoureuse du désert, de sa sobriété et de son mystère. Je pense que c’est ainsi que je suis arrivée à l’écriture. À la fin de mes études à la Sorbonne, à Paris, je suis rentrée en Côte d’Ivoire par la route. Cette traversée du désert, à travers le Maroc, l’Algérie, le Niger et le Burkina Faso, a été mon plus beau voyage. Un véritable voyage initiatique. Comme je n’avais emporté aucun objet précieux, il ne me restait que mon carnet et pour garder des traces de mon périple : les rencontres, les paysages et les sensations que j’éprouvais. › Le temps est notre meilleur ami et notre pire ennemi. Quand on est jeune, il est de notre côté. Et puis, au fil des années, on le perd. On est tellement occupé à vivre qu’on oublie de lui prêter attention. Or il arrive un stade où l’on se rend compte qu’il nous a filé entre les doigts ! C’est à ce moment-là qu’il faut prendre son temps. Littéralement. Il faut le garder, le savourer, le faire durer. Car il n’y a plus de seconde chance. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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ODILE MOTELET

«On est tellement occupé à vivre qu’on oublie de prêter attention au temps qui passe.»

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LES HOMMES DE ZAATCHA REVIENDRONT-ILS EN ALGÉRIE ? AFRIQUE MAGAZINE

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Depuis un siècle et demi, ils reposent dans les collections du Musée de l’homme. Les crânes des insurgés de Zaatcha avaient été rapportés à Paris comme trophées, après l’extermination de la population de cette oasis rebelle par les troupes françaises en 1849. Une pétition demande leur retour au pays. par Cédric Gouverneur

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MNHN/JC DOMENECH

Le Musée de l’homme, à Paris, où sont conservés les crânes des révoltés.

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ournaliste et écrivain algérien vivant en France, Brahim Senouci ne s’attendait pas à ce que sa pétition connaisse un tel succès : « Je m’étais dit que récolter deux mille signatures serait déjà bien. » Lancé le 20 mai, son appel au rapatriement des crânes des insurgés de Zaatcha* avait, début juillet, recueilli plus de 27 000 signatures. La présence en France de six crânes de rebelles algériens du XIXe siècle, dont trois insurgés de Zaatcha, est connue depuis plus de cinq ans : en mai 2011, l’historien algérien Ali Farid Belkadi les découvre dans les sous-sols du Musée de l’homme de Paris. « Il avait alors lancé une première pétition, que j’avais signée, raconte M. Senouci. Mais ce texte n’avait reçu aucune réponse des autorités algériennes. » Et pour cause : le massacre de Zaatcha est presque aussi méconnu des deux côtés de la Méditerranée. « L’histoire enseignée en Algérie est désincarnée, ajoute M. Senouci, l’accent est mis sur la guerre d’indépendance, ce qui sert aux élites pour se maintenir au pouvoir. Il existe bien une place Zaatcha à Alger, souligne-t-il, mais étrangement, pas de place Ahmed Bouziane », du nom de ce cheikh, chef des insurgés de 1849. « Je veux lever un coin du voile sur cette période atroce de la conquête de l’Algérie. Même la figure 67


d’Abd el-Kader est contestée », le mythique émir rebelle étant parfois critiqué en Algérie pour avoir été décoré de la Légion d’honneur (notamment pour le récompenser d’avoir protégé les chrétiens d’Orient lors de son exil damascène). Les crânes des insurgés reposent « dans des cartons spéciaux, dans de bonnes conditions de conservation », nous explique Michel Guiraud, directeur des collections du Muséum national d’histoire naturelle, dont dépend le Musée de l’homme. M. Guiraud précise que ces crânes sont loin d’être les seuls : « Il y a dix-huit mille crânes dans nos collections. Des restes humains de tous les continents, qui représentent la diversité de l’espèce humaine. Beaucoup sont des gens pauvres, morts dans des hôpitaux militaires et jamais réclamés par leurs proches. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : l’esclavage n’a été aboli qu’en 1848. » Restituer les crânes de Zaatcha, le Muséum n’a évidemment rien contre, à certaines conditions : « Nous ne prendrons jamais l’initiative de la démarche. Si l’individu est nommé, qu’il a des descendants, que les États concernés relaient la demande, nous sommes favorables à l’examen du dossier. »

En 2002, le Muséum avait, à la requête de l’Afrique du Sud, rapatrié les restes de la célèbre Vénus hottentote : Saartjie Baartman (Sawtche de son vrai nom, 1789-1815), une esclave khoïkhoï exhibée comme un phénomène de foire en Grande-Bretagne, en Hollande et en France en raison de son fessier proéminent. Et en 2014, le chef rebelle kanak Ataï, tué au combat en 1878, a retrouvé l’île de ses ancêtres. « On examine en ce moment la demande de restitution de restes d’Inuits du Canada rapportés par des expéditions polaires et décédés de maladie en Europe, explique M. Guiraud. Mais contrairement à l’Algérie, le Canada a déposé une demande officielle… » Une récente déclaration laisse supposer qu’Alger pourrait effectuer cette démarche : le ministre des Moudjahidine (anciens combattants), Tayeb Zitouni, a déclaré le 16 juin, au sujet des crânes de Zaatcha : « Nous œuvrons actuellement en collaboration avec le ministère [algérien] des Affaires étrangères pour une prise en charge optimale de cette question. » ■ * https://goo.gl/OudPhE.

Un massacre colonial oublié

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Après la reddition d’Abd el-Kader fin 1847, la France croyait avoir « pacifié » sa nouvelle colonie algérienne. Mais, dès 1849, se manifeste au sud de Constantine un nouveau chef rebelle, Ahmed Bouziane, qui se retranche avec ses partisans à Zaatcha. Après un long siège, l’armée française envahit la citadelle. Et tue tous ses défenseurs.

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hmed Bouziane était un moqaddem, un chef de village. En juillet 1849, il appelle au jihad contre les autorités coloniales, lève des troupes et se retranche avec elles dans l’oasis de Zaatcha, près de Biskra, à quelque 400 kilomètres d’Alger. Les défenseurs ont l’avantage du terrain, qui se prête admirablement à un siège : « L’oasis présente l’aspect d’une haute futaie de palmiers, écrit le général Herbillon dans son rapport, cité par l’historien spécialiste du colonialisme Alain Ruscio. Le sol est coupé de canaux d’irrigation, de murs de jardins… C’est un dédale inextricable. Chaque jardin à enlever à l’ennemi nécessite une affaire. » Un autre officier, Bourseul, décrit dans son livre (Souvenirs de la guerre d’Afrique, 1851) « des maisons impénétrables et des jardins aux murs crénelés, comme autant de petites citadelles dont il faut faire le siège séparément ». Les Français sous-estiment leurs adversaires, et le premier assaut, le 17 juillet, tourne à la déroute : les assaillants

doivent battre en retraite sous une grêle de balles, laissant sur le carreau une trentaine de tués et plus de cent blessés. L’état-major envoie des renforts : quatre mille hommes du général Herbillon, puis début novembre mille cinq cents zouaves du colonel Canrobert. Le siège est d’autant plus exaspérant qu’avec les zouaves s’invite un hôte indésirable : le choléra. Comme souvent à l’époque, l’épidémie fera presque autant de victimes dans les rangs français que les combats eux-mêmes.

« TOUS SUCCOMBENT LES ARMES À LA MAIN » Les semaines passent. Les assaillants sont à bout de nerfs : le choléra les décime inexorablement. Et le bruit court que les rebelles auraient émasculé des captifs français avant de les décapiter… Tandis qu’en attendant l’hallali, on tue le temps et les mouches en tentant d’échapper aux miasmes, la haine fermente sous les calots accablés de chaleur et de frustrations… Le 26 novembre enfin, l’assaut AFRIQUE MAGAZINE

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WIKIPÉDIA

Prise d’assaut du village, le 26 novembre 1849, par des combattants de l’artillerie et un régiment de zouaves.

est donné par des Français ivres de rage, confrontés à des insurgés qui n’ont rien à perdre : « Le signal est donné, les fanfares retentissent, la charge sonne, et les trois colonnes précédées de leurs chefs s’élancent avec intrépidité », écrit Bourseul. Les rebelles abattent « le plus de Français possible avant de mourir ». Bourseul lui-même salue leur courage : « Pas un seul des défenseurs de Zaatcha ne cherche son salut dans la fuite, pas un seul n’implore la pitié du vainqueur, tous succombent les armes à la main, en vendant chèrement leur vie, et leurs bras ne cessent de combattre que lorsque la mort les a rendus immobiles. » L’artillerie lourde anéantit un à un les postes de tirs, et pourtant, « ensevelis sous leurs ruines, les Arabes tirent encore, et leurs longs canons de fusil, passant à travers les décombres, semblent adresser aux vainqueurs une dernière vengeance et un dernier défi ». Ahmed Bouziane est finalement capturé, et le général Herbillon donne l’ordre qu’il soit aussitôt fusillé : « Bou-Zian [sic] regarde la mort en face et tombe en égrenant son chapelet, écrit Bourseul. Son fils [âgé d’une quinzaine d’années] éprouve le même sort, on le fusille dans un jardin avec une cinquantaine d’autres Arabes. Le fils de Bou-Zian était beau, jeune et brave. Il mourut avec le calme qui distingue le véritable courage. » Au soldat qui d’un coup de crosse le AFRIQUE MAGAZINE

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pousse vers son destin, le garçon rétorque avec fierté : « On tue le fils de Bouziane, mais on ne le frappe pas ! » Une fois les défenseurs tués ou fusillés, les civils sont impitoyablement massacrés, parfois après avoir été violés, mutilés. « Les zouaves se précipitaient avec fureur sur les malheureuses, écrit un autre témoin cité par Alain Ruscio, Louis de Baudicour1. Ici un soldat amputait le sein d’une pauvre femme… Là un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille. » Le général Herbillon – qui ne lève pas le petit doigt contre ces exactions – précise doctement dans son rapport qu’« un aveugle et quelques femmes furent seuls épargnés ». Les pertes françaises s’élèvent au total à 570 morts (dont 250 du choléra) et 680 blessés. Du côté algérien, l’historien Alain Ruscio les estime à « sans doute de l’ordre de 800 ». Herbillon ordonne que les corps de Bouziane, de son fils et du chérif Si Moussa al-Darkaoui soient décapités et exposés au camp, puis au marché de la ville voisine de Biskra, « pour qu’il ne restât aucun doute aux Arabes sur le sort justement mérité des principaux fauteurs de l’insurrection », exulte la presse de l’époque2. Rapportés en France par des médecins militaires, leurs crânes reposent depuis au Musée de l’homme. ■ C.G. 1. La Guerre et le gouvernement de l’Algérie, 1853. 2. Le Moniteur algérien, 30 novembre 1849.

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Avec un tour de passe-passe constitutionnel, Pierre Nkurunziza a imposé son troisième mandat présidentiel. Au-delà du déni du droit et des risques de guerre civile, c’est aussi l’avenir des processus démocratiques du continent qui se joue ici. par Sabine Cessou

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ix mois après le soulèvement populaire burkinabé qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir, le Burundi a envoyé le signal inverse, en avril 2015, montrant qu’il est toujours possible pour un homme fort de se maintenir au pouvoir. Et ce, dans une relative indifférence générale, face à une répression qui a fait 270 000 réfugiés, 890 morts documentées, 800 disparitions et 6 000 arrestations selon les ONG burundaises. Et qui fait planer la menace d’un nouveau génocide dans la région des Grands Lacs. Oublié, négligé, désespérément hors des radars de l’attention internationale depuis la crise qui s’est ouverte le 25 avril 2015, le Burundi n’en reste pas moins central pour le continent. Avec l’annonce de la candidature non constitutionnelle de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, rien moins que l’avenir de la démocratie africaine se joue en effet dans ce petit pays de 10,7 millions d’habitants, à la charnière de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique centrale. Secouée depuis son indépendance en 1962 par des rivalités interethniques, cette ancienne colonie belge a basculé dans la guerre civile à maintes reprises : en 1972, en 1988 puis en 1993, après l’assassinat de Melchior Ndadaye. AFRIQUE MAGAZINE

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JAN VAN DE VEL/REPORTERS-REA

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DE LA RÉPRESSION À LA CATASTROPHE ?


Élu en août 2005 pour un mandat de cinq ans et rééligible une seule fois, Pierre Nkurunziza s’est octroyé une prolongation dont une partie de l’Afrique est coutumière. AFRIQUE MAGAZINE

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Premier président hutu démocratiquement élu, il est tué par une armée que contrôle alors la minorité tutsie (14 % de la population, pour 85 % de Hutus, la même proportion qu’au Rwanda voisin). Le Burundi a ensuite tourné la page, après treize années d’une guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts, évacuant la problématique ethnique de sa vie politique sans en faire un tabou, érigeant en catharsis nationale le débat démocratique qui s’est fait par le biais de médias indépendants – faute de la mise en place d’une Commission vérité et réconciliation (CVR) prévue par les accords de paix d’Arusha, signés en 2000 et appliqués en 2005. Le président Pierre Nkurunziza, 52 ans, ex-professeur de gymnastique et ancien chef rebelle hutu, élu dans la foulée de ces accords, a choisi de ne pas respecter ce texte négocié sous la double houlette de Julius Nyerere et Nelson Mandela. Il a ignoré la nouvelle Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs, et

balayé dix ans de paix en rallumant le feu de la haine, distillé par les brutalités de sa milice monoethnique, les Imbonerakure (« Ceux qui voient loin » en kirundi). Sous prétexte qu’il a été élu par l’Assemblée nationale en 2005 (et réélu cinq ans plus tard au suffrage universel), il a fait courir le premier de ses deux mandats à partir de 2010, s’octroyant l’une de ces rallonges « cadeaux » qui passent de moins en moins auprès de la population… Il montre que c’est encore possible, en raison des tergiversations de la diplomatie occidentale, de l’ombre portée sur la crise par le Rwanda voisin et en dépit de la crise similaire qui s’annonce en République démocratique du Congo (RDC)… S’en indignent dans les témoignages qui suivent un ancien président hutu du Burundi, un défenseur des droits de l’homme qui a survécu à une tentative d’assassinat, un leader de l’opposition et un confrère béninois, qui souligne l’importance des enjeux burundais pour l’ensemble du continent. ■

Sortir de la crise…

SYLVESTRE NTIBANTUNGANYA

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Homme politique

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« Une solution au Burundi aiderait toute la région »

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ncien président du Burundi, en poste d’avril 1994 à juillet 1996, cet homme politique hutu de 60 ans fait partie du Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’État de droit (Cnared), la plate-forme formée par l’opposition en exil à Bruxelles, où il réside.

AM : L’enjeu du moment est-il politique ou ethnique ? Sylvestre Ntibantunganya : Il est politique. La contestation du troisième mandat de Pierre Nkurunziza a été menée autant par des Hutus que par des Tutsis – avec la quasitotalité du leadership hutu ayant émergé depuis 1993. Mais cette crise de gouvernance risque de virer au drame politico-ethnique. D’où l’urgence d’agir, pour éviter qu’elle ne déborde avec des risques de contagion à l’échelle régionale. Croyez-vous au dialogue ? Il faut absolument y travailler. Personne ne peut évaluer les conséquences d’une crise militaire au Burundi. Que chacun se pose la question de ses propres responsabilités si la situation dégénérait, pouvant aller jusqu’au génocide comme certains le redoutent. La situation en RDC, avec un président qui rechigne lui aussi à partir au bout

de son second mandat, nuit-elle à la résolution de la crise au Burundi ? La question se pose à l’inverse : trouver une solution au Burundi permettrait de résoudre plus facilement les problèmes qui se posent ailleurs ! Le Burundi et le Rwanda sont l’épicentre de la crise que connaît la région des Grands Lacs depuis la fin du XXe siècle. Ces deux pays sont appelés à être des têtes de pont, pour construire une Afrique intégrée sur le plan économique, de l’Atlantique à l’océan Indien, avec toutes les richesses et ressources dont nous disposons. Le Burundi est riche en minerais. Ses réserves de nickel figurent parmi les cinq premières du monde. Il est baigné par l’eau douce du lac Tanganyika, le second lac le plus profond de la planète. La seule vraie question consiste à mettre en valeur ces richesses dans un ensemble cohérent et solidaire.

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Politiciens, journalistes ou membre de la société civile… Ces quatre témoins livrent leur vision du danger qui guette l’ensemble des pays d’une région au bord de l’explosion.


PIERRE-CLAVER MBONIMPA

Défenseur des droits de l’homme

« Les présidents d’Afrique souffrent tous de la même maladie »

CARL DE SOUZA/AFP - D. ROULETTE

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’un des chefs de file de la campagne « Halte au troisième mandat » a réchappé à une tentative d’assassinat le 3 août 2015, puis a été évacué à Bruxelles, où il réside depuis. Fondateur de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), il a perdu en 2015 son gendre et son fils, tous deux militants de l’opposition, assassinés à Bujumbura. AM : La comparaison avec le Rwanda de 1994 nuit-elle à la compréhension de ce qui se passe au Burundi ? Pierre-Claver Mbonimpa : C’est le pouvoir du Burundi qui veut mêler le Rwanda aux problèmes du pays. Cela étant, les signes avant-coureurs d’un génocide sont là. La communauté internationale doit rester aux aguets, pour éviter le pire. La population ne gagne rien aux avancées diplomatiques qui sont faites. Elle n’est pas protégée et continue à mourir et subir la torture. Le Burundi est-il pénalisé par le fait qu’il se trouve au cœur d’une région où les présidents refusent majoritairement de partir ? Les présidents africains souffrent tous de la même maladie : s’éterniser au pouvoir en violation des lois de leur pays, de la Constitution et des accords de paix d’Arusha pour ce qui concerne le Burundi, alors que ces

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accords avaient mis fin au « problème ethnique ». Trouver la solution au Burundi permettrait de résoudre un problème régional, en effet. Dans un pays où se présentent des risques de génocide, il faut mobiliser le plus vite possible, avec des moyens. Nous avions demandé la venue d’une force extérieure, que l’Union africaine (UA) a évoquée en décembre en parlant de 5 000 hommes, mais qu’elle n’a pas voulu déployer. Si la communauté internationale échoue sur le problème du Burundi, nous allons vers la guerre civile. Avez-vous peur pour votre sécurité, même en Belgique, où vous vivez ? Je ne peux pas avoir peur après tout ce qui m’est arrivé, mais je prends mes précautions. Je reste aux aguets. Ceux qui s’en sont pris à ma famille ne vont pas lâcher, parce qu’ils savent qu’ils devront répondre plus tard de leurs actes devant la justice. Je risque alors d’être un témoin gênant.

ALEXIS SINDUHIJE

Journaliste et homme politique

« La résistance couve comme un volcan »

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ondateur de la Radio publique africaine (RPA) en 2000, cet ancien journaliste de 50 ans s’est lancé en politique en fondant en 2008 son parti, le Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD),

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largement suivi par les jeunes, séduits par son franc-parler. Accusé par le pouvoir de vouloir lancer une insurrection, il vit en exil en Ouganda depuis mars 2014. AM : Pourquoi la diplomatie reste-t-elle vaine au Burundi ? Alexis Sinduhije : Accepter un troisième mandat non constitutionnel, c’est une abdication de la diplomatie occidentale dans la construction de la démocratie. Partout où les présidents ne sont pas élus correctement par leur peuple, ils continuent à gouverner sans légitimité – au Togo, en RDC, au Congo, au Burundi, etc. La France essaie de conserver ses propres dinosaures, comme Sassou au Congo. Paris veut garder la grille de lecture sécuritaire, qui implique de prendre en compte les ethnies – Hutus et Tutsis ! On m’a fait comprendre à Paris que la démocratie et les droits de l’homme ne sont pas la priorité. Or le problème du Burundi risque d’avoir des implications internationales énormes, et notamment un désamour vis-à-vis de la France ; Nous ne pourrons alors que dire à nos enfants que c’est bien d’en lire ses philosophes, mais une autre histoire d’en suivre ses politiques ! Les pressions diplomatiques sont-elles vouées à l’échec ? En soi, mon pays ne représente pas un problème de sécurité internationale assez important pour que l’on s’y attelle sérieusement. On peut se passer de le régler, à partir du moment où le gouvernement pourrait stabiliser la situation interne – le scénario qui est en train de pointer. La RDC reste le vrai problème dans la sous-région. L’instabilité du Burundi n’est redoutée que dans 73


FRANCIS LALOUPO

Journaliste

« L’hécatombe au compte-gouttes »

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nimateur du « Grand Débat » sur la radio Africa n° 1 et la BBC, ce Béninois suit de près la question du Burundi. AM : Assiste-t-on à une faillite de la diplomatie africaine au Burundi ? Francis Laloupo : Absolument. Quelles que soient les crises qui se produisent en Afrique, aucun leadership efficace ne se distingue. Qui peut imposer son autorité aujourd’hui ? La Côte d’Ivoire joue le rôle d’une locomotive économique, sans plus. Le Nigeria pèse très peu, on l’a vu dans la crise malienne. Quant à l’Afrique du Sud, elle est dirigée par un président discrédité. Est-il réaliste de parler de dialogue « inclusif » entre pouvoir et opposition ? C’est extravagant et fantaisiste ! Même Ban Ki-moon en parle, ce qui n’est pas sérieux ! En fait, c’est le seul instrument dont dispose la diplomatie internationale aujourd’hui. Les limites de tels dialogues ont été montrées par les gouvernements d’union nationale qui se sont soldés par des faillites politiques, au Kenya, au Zimbabwe, en Centrafrique, etc. Les accords de paix d’Arusha qui ont mis fin en 2005 à treize ans de guerre civile au Burundi sont eux aussi issus d’un dialogue ayant échoué : sur le papier, tout était merveilleux, mais dans la pratique, la logique guerrière l’a emporté.

Comprend-on, en France et en Afrique, le poids symbolique de la crise au Burundi ? Paris voit ce pays comme le dernier îlot francophone de la région. Or sa population pense très peu à la France et beaucoup plus à la Belgique. Un arrangement historique prévaut, Paris ayant laissé le leadership à Bruxelles sur le Burundi. D’où le retard à l’allumage de la France sur la crise dans ce pays. La Belgique a décrété les premières sanctions, avant l’Union européenne (UE). En Afrique, on ne comprend pas non plus les enjeux, sauf dans la région des Grands Lacs. Les pays les plus proches sont la RDC et le Rwanda, où se posent les mêmes questions de maintien au pouvoir. Au-delà de ce voisinage, les gens connaissent très mal l’histoire du Burundi, un pays masqué par ses collines. L’action de l’Afrique passe par l’UA, qui y a encore fait la preuve de son incurie. À supposer que Pierre Nkurunziza ait accepté le déploiement de 5 000 soldats africains, le projet n’aurait jamais été mis en œuvre, faute de moyens. On attend toujours la force africaine qui devait être déployée pour lutter contre Boko Haram ! Tout le monde est-il en train de rater le coche au Burundi ? Les Nations unies parlent d’envoyer 300 policiers pour le maintien de l’ordre, alors que la question n’est pas de nature policière. Il devrait plutôt s’agir de mettre en place un mécanisme de veille avant une intervention militaire. La vraie question est de savoir si ce pouvoir au Burundi peut être reconnu par la communauté internationale. Or, tout se passe comme si les médiations successives au Burundi avaient entériné le troisième mandat de Pierre Nkurunziza – le déclencheur de la crise. On ne peut pas mettre en place un dialogue en occultant

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la mesure où elle pourrait gagner ce grand voisin. La communauté internationale, France en tête, essaie donc d’obtenir un accord politique sur un gouvernement d’union nationale, la solution qu’on fourgue toujours aux Africains… Ce qui revient à leur dire : « Vous pouvez écraser le peuple comme vous voulez, on vous donne les moyens de vous partager le pouvoir. » C’est insultant, et c’est en même temps un bon indicateur de la révolution qui reste à faire pour changer les mentalités, en Afrique comme en Occident. Le monde observe-t-il ce qui se passe chez vous comme un signal fort donné à toute l’Afrique centrale ? L’idée de la France en RDC consiste à conserver le statu quo et garder Kabila, comme au Burundi. Paris a fait un choix géopolitique en Afrique centrale et dans les Grands Lacs. Son choix, c’était de soutenir Juvénal Habyarimana au Rwanda du début des années 1990, et de conserver le statu quo aujourd’hui au Burundi. Le renseignement militaire français considère que les opposants burundais sont soutenus par les Rwandais – ce qui n’est pas le cas – et qu’il faut donc prendre la défense de Pierre Nkurunziza. Or la situation va exploser en RDC de manière prévisible. Kabila essaie d’écraser l’opposition et de réprimer les manifestations comme au Burundi. Deux données essentielles sont souvent oubliées : une opposition armée et latente existe en RDC chez les anciens rebelles du M23, qui pourrait se métamorphoser et disposer d’un appui populaire. Une résistance couve par ailleurs au Burundi, qui va finir par exploser comme un volcan et étonner tout le monde. ■


THOMAS MUKOYA/REUTERS

Émeutes consécutives à l’annonce du troisième mandat de Pierre Nkurunziza le 25 avril 2015 ; les opposants fuient devant la police. l’objet même du conflit ! Les puissances occidentales prennent acte de l’issue des élections, comme partout depuis vingt-cinq ans. Tous les pouvoirs voyous fabriquent donc leurs résultats, couvrant des pouvoirs illégitimes. Il paraît difficile de gérer le conflit burundais comme des fraudes électorales au Togo ou au Tchad… Le Burundi envoie-t-il le signal contraire du Burkina, indiquant qu’il est encore possible de s’accrocher au pouvoir ? Le vent de démocratie qui souffle sur le continent est en effet contrecarré par des dynamiques très lourdes, avec des pouvoirs prêts à entrer dans des schémas de guerre pour se maintenir. « Combien de morts ? » C’est dans ces termes que les Nations unies se posent le problème du seuil de violence acceptable. Le pouvoir burundais l’a bien compris. Il tue un peu tous les jours, ce qui relève presque du fait divers. L’hécatombe au comptegouttes se révélera comme telle dans quelques années. Dans les communiqués des Nations unies, la possibilité d’un génocide est déjà prévue, mais le voyage de Ban Ki-moon le 22 février à Bujumbura s’est soldé par la décision d’envoyer seulement 300 policiers. Au final, cette histoire va devoir être réglée par les Burundais eux-mêmes, qui s’engagent dans une nouvelle période de crise. ■ Propos recueillis par S.C. AFRIQUE MAGAZINE

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CHRONOLOGIE 25 avril 2015 Manifestations de masse à l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat. Quelque 130 « frondeurs » du parti au pouvoir quittent leurs fonctions et le pays. 5 mai La Cour constitutionnelle donne raison à Nkurunziza, mais avant cette annonce, son vice-président dénonce les menaces de mort proférées à l’encontre des quatre magistrats (sur sept) qui, comme lui, jugent le troisième mandat non constitutionnel. 13 mai Lors d’un sommet sur la crise burundaise à Arusha, en Tanzanie, un coup d’État est mené à Bujumbura par le général hutu Godefroid Niyombaré, 47 ans, chef des services de renseignement, acclamé par la population. 15 mai Les médias libres sont détruits par les forces de l’ordre et les putschistes arrêtés, sauf leur chef, qui prend la fuite vers la RDC. 21 juillet La présidentielle, boycottée par l’opposition, est remportée par Nkurunziza avec 69 % des voix et 30 % de participation dans la capitale. L’élection est condamnée par les États-Unis, la Belgique et l’Union européenne (UE). 1er août La société civile et l’opposition fondent à Addis-Abeba (Éthiopie) un Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’État de droit (Cnared), un gouvernement bis qui vise à restaurer la démocratie. 1er octobre L’UE gèle les avoirs et restreint les déplacements de trois proches du président ainsi que de l’un des généraux responsables du putsch manqué. 23 novembre Les États-Unis imposent à leur tour des sanctions contre quatre responsables burundais, parmi lesquels Godefroid Niyombaré, le meneur du coup d’État. 11 décembre Trois camps militaires sont attaqués à Bujumbura et des stocks de munitions pillés, vraisemblablement par la rébellion des militaires ayant suivi Godefroid Niyombaré. La police passe de maison en maison, faisant sortir une centaine de jeunes garçons Tutsis pour leur tirer une balle dans la tête. 12 décembre L’Union africaine (UA) envisage d’envoyer une force de 5 000 soldats, que Pierre Nkurunziza dénonce à l’avance comme une « armée d’invasion ». 27 février 2016 L’UA n’évoque plus que le déploiement d’une centaine d’experts non armés. 1er avril Une résolution du Conseil de sécurité décide du principe d’une force de police onusienne, dont la portée reste à définir. Washington évoque 3 000 hommes, mais Paris quelques centaines, tout au plus. 20 mai Des pourparlers reprennent en Tanzanie sous l’égide de l’ancien président tanzanien Benjamin Mpaka et du médiateur ougandais Yoweri Museveni, qui prônent un « dialogue inclusif », mais la Cnared n’est pas invitée, en raison de l’hostilité des autorités de Bujumbura à son égard. 75


DOSSIER

BURKINA FASO

TOURNER LA PAGE Huit mois après l’arrivée au pouvoir de son nouveau président, élu démocratiquement, le pays se reprend en main et se reconstruit sous haute surveillance de la société civile.

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par Emmanuelle Pontié, envoyée spéciale photographie Sophie Garcia pour AM

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u premier coup d’œil, Ouaga semble n’avoir pas bougé. Ni vécu non plus deux ans de crise politique dure. Résilience au cœur, les citoyens continuent à arpenter les rues au guidon de leurs deux-roues entre la fac ou le boulot et leurs domiciles des quartiers populaires. Le soir, on devise dans les petits bars de bord de route, lançant des joutes verbales de « parenté à plaisanterie » avec humour, devant une bonne bière. Pourtant, au-delà des apparences, les stigmates de la révolution d’octobre 2014 qui a renversé le président Blaise Compaoré, au terme de vingt-sept ans de pouvoir, sont bien là, en plein centre-ville. Témoin la longue façade éphémère entourant le légendaire Hôtel Indépendance, pris d’assaut par les jeunes en colère qui refusaient que « Blasco » rempile, et qui n’a pas encore rouvert ses portes. Pendant la transition, entre putsch manqué du général Diendéré, arrestations et incertitudes, le pays a sombré dans une crise économique grave. Et au lendemain de l’élection de Roch Marc Christian Kaboré le 30 novembre dernier, au score confortable de 53 %, les attentes sociales des populations sont particulièrement pressantes. « On ne voulait plus de Blaise, et on a confiance

Place des cinéastes, dans le centre-ville de Ouagadougou. AFRIQUE MAGAZINE

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les bailleurs de fonds, dans l’attente d’assurance de stabilité, jouaient la montre pour revenir dans le pays et où, selon la nouvelle équipe dirigeante, les caisses de l’État sont exsangues. « Les opérateurs économiques de la place ont tenu, même si la plupart ont tourné au ralenti durant ces deux dernières années. Les secteurs du coton, des mines, et même du ciment se portent plutôt bien aujourd’hui. Mais il faudrait que la dette intérieure soit résorbée. C’est une priorité pour que la vie économique reprenne vraiment son rythme de croisière », commente le directeur d’une société de transit. Une requête qui devrait être honorée, puisque la décision d’apurer la dette intérieure régulière estimée à plus de 158 milliards de francs CFA (240,8 millions d’euros) a été prise en conseil UN CHEMIN SEMÉ D’EMBÛCHES des ministres le 29 juin dernier. Du côté du palais de Kosyam, parmi les collaborateurs du En matière sociale, le PNDES prévoit plusieurs volets priochef de l’État, on comprend les attentes et on perçoit l’imparitaires, articulés autour du renforcement du capital humain tience. Mais force est de reconnaître que les premiers pas de en matière de formation. Dans les domaines de la santé, de Roch Kaboré se sont heurtés à un chemin semé d’embûches. l’éducation, des logements sociaux, de nombreuses actions et Quinze jours après sa prise de pouvoir, l’attaque jihadiste réalisations sont en cours d’élaboration. « Nous allons aussi particulièrement violente du 15 janvier, revendiquée par privilégier et soutenir les secteurs porteurs pour l’économie Aqmi, frappait Ouaga en plein cœur, avenue Kwame-Nkruet l’emploi, notamment l’agriculture et l’élevage, à travers la mah, faisant une trentaine de morts entre le café Cappuccino mécanisation, l’ingénierie, la maintenance. Ainsi, 35 000 hecet l’hôtel Splendid. Depuis, le volet sécuritaire s’est imposé tares vont être aménagés et irrigués. Nous prévoyons aussi comme une priorité budgétivore, retardant la mise en place de booster les domaines de soutien à la production, comme des promesses de campagne ou la recherche de financements les transports, les télécoms et l’énergie », explique Mathias pour le très ambitieux Programme national du développeSomé, directeur du bureau de suivi du programme présiment économique et social (PNDES), dont on fignolait encore dentiel. En attendant, quelques mesures sont déjà entrées les derniers contours fin juin. Le tout dans un contexte où en vigueur. La prise en charge médiDébat organisé le 15 mai, à Ouagadougou, par le Balai citoyen, collectif issu de la société civile. cale gratuite des enfants de moins de Le thème de la rencontre : le droit au logement et la transparence dans la gestion foncière. 5 ans est effective depuis le début de l’année. Au ministère de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Insertion, le Programme emploisjeunes pour l’éducation nationale (PEJEN) a été lancé. « L’idée est de combler les postes vacants au niveau du post-primaire. Pour cela, en 2016, nous recruterons 4 200 stagiaires diplômés du supérieur qui feront, grâce à une bourse, une formation à l’École normale pour être intégrés dans la fonction publique avec un salaire de 100 000 francs CFA [152,45 euros] par mois », déclare le ministre Jean-Claude Bouda. En ville, on se réjouit de ces « débuts », mais on attend surtout le grand plan, son application, et les améliorations du quotidien qui devraient en découler. Dans un pays où le Smic, pas toujours respecté, stagne péniblement à 35 000 francs

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en Roch. Mais on ne voit encore rien de concret. Il n’y a pas de travail. Les gens souffrent. Il faut qu’il agisse vite », prévient Simon, la quarantaine, chauffeur. Simon, Blandine, Ousmane… Le ton est sans appel. Et c’est peut-être ça qui a changé. Cette soudaine conscience chez les jeunes Ouagalais qu’ils ont pris leur destin en main et sont désormais les maîtres du jeu. Tout au moins le pensent-ils, et le disent-ils ouvertement. À la moindre maladresse d’un membre du gouvernement, ou à la suite d’une petite phrase mal interprétée du nouveau boss, les réseaux sociaux s’enflamment, prompts à dénoncer, condamner.

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Le président Kaboré en visite au camp militaire Bila Zagré, à Kamboinssé, où s’est déroulée une formation à la planification des opérations.

CFA (53,35 euros), on peine à trouver un travail suffisant pour faire vivre une famille. « Ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est une main-d’œuvre qualifiée, bien formée. Il y a de la demande ! Les miniers recrutent par exemple à des postes très difficiles à trouver. Par ailleurs, le Code du travail mériterait un lifting. De nombreuses lois ne bénéficient pas de textes d’application. Du coup, on peut en faire plusieurs lectures », déclare Gisèle Espagno, directrice de l’agence RMO Job Center à Ouagadougou. En attendant la réponse sonnante et trébuchante aux attentes sociales, le président tente d’avancer sur d’autres AFRIQUE MAGAZINE

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À la moindre maladresse du gouvernement, les réseaux sociaux s’enflamment. 79


Pour le nouvel élu, il est temps de « passer à l’action ».

ARMAND BÉOUINDÉ, LE NOUVEAU MAIRE DE OUAGADOUGOU, EXPOSE SES PRIORITÉS.

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l a été élu le 18 juin dernier. Quatre jours plus tard, Armand Béouindé, qui ne s’est pas encore installé dans ses locaux de la mairie, nous reçoit dans son bureau de Graphi Imprim aux tonalités vert et bronze chics. Première société privée d’informatique du pays, dont il est PDG puis administrateur général depuis 1993, Graphi Service devient Graphi Imprim en 2005 en ajoutant l’impression à ses activités. Dans le même temps, ce natif de Kaya, 53 ans, qui a débuté sa carrière comme cogérant de la Librairie du 4-Août, réputée pour la diffusion d’ouvrages progressistes, entre tôt en politique. Membre de l’Union de lutte communiste reconstruite (ULC-R) dans les années 1980, il participe à la révolution du 4 août 1983 aux côtés de Sankara, puis est élu au bureau politique du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) en 2012. Le 4 janvier 2014, il démissionne du parti au pouvoir, aux côtés de Roch Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré. Homme de communication, il s’investit dans la campagne et l’organisation de meetings du candidat du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), dont il est l’un des membres fondateurs. Le 22 mai 2016, il est élu conseiller municipal de l’arrondissement 12 de Ouagadougou, puis maire central quelques semaines plus tard. Détendu, il parle de ses priorités. Sécurité, circulation routière fluidifiée, espaces verts, assainissement… Et s’il fallait n’en citer qu’une ? « Je crois que le plus urgent est d’arriver à changer les mentalités pour un retour à l’intégrité et au civisme, deux qualités qui se sont envolées durant la fin de règne du président Compaoré, où l’impunité était devenue la règle. » Dans l’attente de dévoiler les détails de son programme, Armand Béouindé déclare s’inscrire dans la continuité de l’action du ministre Simon Compaoré, ancien maire de la capitale. Peu connu du grand public, il devra imposer son style et composer avec les membres de l’opposition qui tiennent certains arrondissements de la ville. Dans un difficile contexte de reconstruction. Une tâche qui ne semble pas impressionner Béouindé, souriant : « L’heure de la politique politicienne est derrière nous. Il faut passer à l’action. Je sais que les attentes sont grandes, mais nous nous hâterons doucement. » ■ E.P.

promesses électorales, comme celle de changer la Constitution pour passer à la Ve République, avec une réduction des pouvoirs du président ou la suppression du Sénat. Une commission ad hoc a été créée le 16 mars, composée de 92 membres, en charge de rédiger un avant-projet. Mais début juillet, les travaux n’avaient pas encore vraiment commencé… Mi-juin, à Ouaga, l’un des domaines où des signes positifs étaient vraiment visibles est sans doute la lutte contre la corruption et la restauration de la transparence. Les membres du gouvernement ont déclaré leur patrimoine sans broncher, et la volonté de rompre avec les passe-droits et autres enrichissements douteux qui étaient en vigueur, selon les dires de tous, dans les dernières « années Blaise » est clairement affirmée. « L’image du pays des Hommes intègres a pris du plomb dans l’aile. La corruption, grande et petite, s’est installée. Les marchés réservés, attribués à la famille présidentielle ou aux copains, étaient devenus la règle. On sent que la nouvelle équipe veut sincèrement changer cela. Et les “révolutionnaires” vont y veiller… », confie un homme d’affaires de la place. Exemple concret d’une volonté de transparence au niveau des douanes, la mise en place de la plate-forme Sylvie (Système de liaison virtuelle pour les opérations d’importation et d’exportation), où toutes les informations sont réunies pour les transactions d’import-export. De quoi instaurer un suivi anticorruption sur toute la chaîne des opérations. La lutte aussi contre l’incivisme et les petites arnaques, qui empoisonnent le quotidien des Ouagalais, est un combat clairement affiché par les autorités. Y compris par le nouveau maire de la capitale, Armand Béouindé, qui reconnaît que les mentalités ont dangereusement évolué et qu’il va falloir y mettre bon ordre. Pas rare en effet de se faire racketter par des policiers qui vous accusent d’avoir grillé un feu, à tort, afin de grapiller quelques billets de francs CFA pour leur propre compte ! Sans parler du nouveau fléau qui s’est répandu dans le pays et qui pose un sérieux souci aux autorités : le phénomène des Koglweogo, des milices rurales qui font la loi sur leur territoire, palliant les défaillances de l’armée et des gendarmes en matière d’effectifs et de sécurité. Il en découle régulièrement des dérives condamnables, bien difficiles à corriger aujourd’hui.

RESTAURER L’AUTORITÉ DE L’ÉTAT Le dernier challenge pour Roch Kaboré, et pas des moindres, est en effet de restaurer l’autorité de l’État. Tout en réglant les comptes avec le passé. Lui et ses deux principaux alliés de poids, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité intérieure Simon Compaoré et le président de l’Assemblée nationale Salif Diallo, ont quitté le parti au pouvoir de Blaise Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), en janvier 2014, pour créer le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Mais AFRIQUE MAGAZINE

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Accusant le gouvernement d’avoir laissé dans l’insécurité les populations des campagnes, les villageois ont mis sur pied des milices populaires, les koglweogo. Ici, des membres du groupe de Sapouy (Centre-Ouest). tous les trois ont travaillé longtemps sous l’ancien régime, et ont même été de proches collaborateurs de l’ancien président. Et incarner la rupture sur le long terme ne sera pas forcément une tâche aisée. D’autant que les alliances peuvent aller et venir. Certains détracteurs murmurent que le « trio », issu d’une situation ponctuelle, ne restera pas soudé très longtemps. Et il faudra aussi régler des affaires qui empoisonnent. Comme celle du général Djibrill Bassolé, embastillé depuis le 29 septembre 2015, sur des soupçons plutôt minces, dit-on, de complicité lors du coup d’État manqué du général Diendéré. Ou encore celle de Yacouba Isaac Zida, ancien Premier ministre de la transition, accusé de détournements massifs, et qui refuse à ce jour de rentrer de son exil au Canada. Et bien sûr, le dossier le plus épineux est certainement celui de Blaise Compaoré lui-même, réfugié chez la puissante voisine Côte d’Ivoire et « protégé » par le président Alassane Ouattara. Un mandat d’arrêt international, lancé par le Burkina, suit son cours… Assorti de soupçons à peine voilés de tentatives de déstabilisation régulières, fondées ou non, de la part des amis de l’ancien chef de l’État, que l’on accuse d’être toujours actif depuis le pays voisin.

Des premiers mois pas simples, donc, pour le nouveau président, selon la plupart des observateurs. Cela dit, le capital confiance de ses électeurs reste intact. Ouaga attend. De voir. Des actes. Tout en se rassurant à la vue des portes de restaurants et d’hôtels hermétiques, tenues par des vigiles armés devant lesquels il faut montrer patte blanche. Ou en se prêtant de bonne grâce aux sept ou huit contrôles aux-

La volonté d’en finir avec les passe-droits est clairement affirmée.

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quels il faut se soumettre avant d’entrer dans l’aéroport. Car la menace islamiste est toujours là. Palpable. Depuis le 15 janvier, on n’a pas pansé ses plaies. L’attentat est encore régulièrement commenté en ville. Et partout, on a bien conscience qu’un nouvel événement de ce genre pourrait remettre en cause dangereusement la reconstruction du pays confiée à Roch Kaboré. ■ 81


3 QUESTIONS À…

Alpha Barry «LE VENT DE LA DISCORDE AVEC LA CÔTE D’IVOIRE SOUFFLE DÉJÀ BIEN LOIN» Cet ancien journaliste a pris la tête du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’extérieur début 2016.

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Le chef de la diplomatie (à gauche), sur les lieux des attentats du 15 janvier.

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AM : Comment œuvrez-vous pour que le Burkina reprenne sa place dans le concert des nations ? Alpha Barry : Le Burkina Faso vit aujourd’hui une nouvelle ère de son histoire politique. En réussissant le pari de faire mentir les prédictions apocalyptiques de déstabilisation par l’instauration d’un nouveau régime, après deux années de turbulences, notre pays concentre attentions et admiration de nos amis et partenaires, à travers le monde. Notre action est orientée sur les r elations de coopération fructueuse avec tous nos voisins sans exclusive. L’élargissement du cercle de nos partenaires ainsi que le renforcement de la coopération avec ces derniers font partie de nos priorités sur le plan diplomatique. Nous avons entrepris des tournées auprès de certains d’entre eux et cette dynamique va être poursuivie. Où en sont vos relations avec la Côte d’Ivoire, au regard des « affaires » comme les mandats d’arrêt contre Blaise Compaoré ou Guillaume

Soro, les 400 réfugiés ivoiriens chez vous, et les soupçons de volonté de déstabilisation ? La Côte d’Ivoire et le Burkina sont liés par l’histoire et la géographie ; nous sommes deux pays frères et nos populations partagent des destins communs. Les mandats d’arrêt émis contre Blaise Compaoré et Guillaume Soro ont certes secoué les relations qui lient nos deux pays. Mais le vent de la discorde souffle déjà bien loin… En effet, en marge des travaux du Sommet de l’Union Africaine, en janvier 2016, à AddisAbeba, les présidents Ouattara et Kaboré ont convenu de travailler pour que la confiance soit rétablie au sommet de l’Etat et entre les peuples. Ils ont préconisé un règlement diplomatique des tensions nées de l’ affaire des mandats et de l’attaque, fin janvier, d’un camp militaire par des éléments de l’ex RSP qui s’étaient réfugiés en Côte d’Ivoire. Toutefois, la justice doit pouvoir continuer à faire son travail, en toute indépendance, et cela ne doit pas entamer la qualité des relations entre nos deux peuples. Pour ce qui est des 400 Ivoiriens présents sur notre sol, suite au conflit intercommunautaire survenu à Bouna, soyez rassurés sur le fait qu’ils sont ici chez eux et que les dispositions sont réunies pour leur prise en charge. Vous avez suggéré que les Casques bleus protègent votre frontière avec le Mali. Des démarches sont-elles engagées dans ce sens ? Nous avons, à ce jour, 2 901 hommes répartis sur différents théâtres d’opération dont deux bataillons d’environ 1 740 hommes au Mali. Il s’agirait de redéployer l’un des deux bataillons de l’intérieur du Mali vers notre frontière commune, longue de plus de 1 000 kilomètres, qui doit être sécurisée. Nous avons entamé des discussions avec les responsables onusiens et nous espérons que les dispositions pourront être prises pour nous permettre de renforcer notre système sécuritaire. ■ Propos recueillis par E.P.

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économie

Un lent rétablissement TEMPS FORTS

Après deux années de marasme, la reprise s’annonce peu à peu. Le résultat d’une politique mêlant diversification et soutien aux secteurs clés.

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par Morgane Le Cam

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révisions 2016 ? 5,2 % de croissance, un repli des dépenses budgétaires de 21 % et une hausse des recettes fiscales de 13 % entre janvier et avril… Au ministère de l’Économie du Burkina Faso, l’addition rend les analystes optimistes : après deux années de baisse de croissance liées à l’insurrection d’octobre 2014 et au coup d’État de septembre 2015, l’économie burkinabè sort enfin la tête de l’eau. Mais l’essor sera laborieux. L’attentat du 15 janvier 2016 a rendu encore plus frileux les investisseurs, comme l’explique Fidèle Bama, directeur général de l’Économie et de la Planification : « Nous sommes dans l’attentisme. La situa-

tion s’améliore mais il faut donner des gages de sécurité aux investisseurs, pour les rassurer. » L’instabilité du pays n’est pas le seul obstacle qui refroidit les opérateurs économiques. Les coûts de production, parmi les plus élevés d’Afrique de l’Ouest, ont empêché l’économie burkinabè de se doter d’un tissu industriel solide. « Nous ne transformons pas nos matières premières. La population consomme donc des produits finis importés et à l’inverse, nous exportons des produits bruts », regrette Idrissa Ouédraogo, directeur du Centre d’études, de documentation et de recherches économiques et sociales (Cedres). Dans le secteur agricole, qui représente près de 45 % du PIB, rares sont les AFRIQUE MAGAZINE

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Avec le développement du BTP, les cimentiers ont de beaux jours devant eux, comme Cimfaso, l’un des quatre acteurs locaux.

industriels à transformer le fruit des récoltes en produits finis. Un manque de valeur ajoutée qui a poussé l’État à expérimenter une nouvelle stratégie visant à encourager, sur une même zone, l’implantation d’unités de transformation et d’activités compétitives : le pôle de croissance. Le premier est en finalisation à 230 kilomètres de Ouagadougou. Élevage, industrie, services, logement… Le pôle de Bagré a séduit 108 opérateurs économiques agricoles dont la production à grande échelle devrait démarrer l’an prochain. « Nous envisageons de créer d’autres pôles de croissance à Samandéni, dans la vallée du Sourou et à Ouessa », ajoute Fidèle Bama. Une aubaine pour les cimentiers qui, depuis l’an dernier, se livrent une bataille acharnée pour conquérir des nouveaux marchés au Burkina Faso. En 2009, l’indien Diamond Cement régnait sur un marché national où la concurrence n’était pas encore née. Mais en mars 2015, le jeu s’est ouvert. Cimaf, CimBurkina et Cimfaso ont établi leurs quartiers dans la zone industrielle ouagalaise de Kossodo, attirés par des perspectives alléchantes : +12 % par an pour la consommation nationale de ciment sur les cinq prochaines années, selon la direction générale de l’industrie. Aussi les cimentiers continuent-ils à se tirer la bourre, cette fois-ci en mettant le cap à l’ouest du pays. À Bobo-DiouAFRIQUE MAGAZINE

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Échaudés par l’expérience OGM, les agriculteurs ont obtenu la suspension, au mois d’avril, de ce type de culture (ci-dessus). En réformant son Code, le quatrième producteur d’or du continent entend tirer de meilleures recettes de son activité minière (ci-dessous).

lasso, les groupes Cimaf et Cimfaso ont tous deux entamé la construction de leurs cimenteries en mai dernier. Deux nouvelles unités qui devraient faire doubler la capacité annuelle de production du Burkina, passant de près de 2,5 à 5 millions de tonnes. Mais une telle capacité dépasserait de loin la demande nationale (autour de 1,5 million de tonnes selon nos informations), même en hausse. Les cimentiers se tournent donc vers les pays de la sous-région pour exporter leur or gris qui, à raison de près 6 000 francs 85


CFA (9,15 euros) le sac de 50 kg, reste encore un « produit de luxe » pour les Burkinabè dont 40 % vivent en dessous du seuil de pauvreté. « Le développement du BTP est intéressant pour le pays. Cela nous permet de diversifier notre économie », précise Idrissa Ouédraogo. De diversification, l’économie burkinabè en a bien besoin, les secteurs minier et cotonnier continuant de représenter à eux seuls près de 70 % des recettes d’exportations nationales.

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NON AU COTON OGM !

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Une forte dépendance qui plombe l’économie burkinabè à la moindre baisse des cours. Comme en 2015, lorsque le coton a perdu 6,4 % de sa valeur et a ainsi aggravé la pauvreté des quelque 4 millions de producteurs de coton déjà confrontés à une difficulté interne : l’introduction des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans la filière par le géant Monsanto. Croissance plus rapide, meilleure résistance du coton aux aléas climatiques et réduction de l’application d’insecticides sont les principaux avantages de cette innovation. Mais le coton OGM a aussi ses inconvénients. « La semence coûte plus chère et le coton récolté pèse moins lourd que le conventionnel. Le producteur y perd 24 235 francs CFA (37 euros) par hectare à chaque campagne de récolte », assure Ousseini Ouédraogo, le représentant de la Copagen, une structure qui accompagne les agriculteurs. Ces derniers ont aussi dénoncé une dégradation de la qualité de la fibre, qui aurait perdu en longueur. Selon l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso (UNPCB), l’introduction des OGM a fait perdre près de 50 milliards de francs CFA (76,2 millions d’euros) aux producteurs. Pour remettre sur pied la filière, le syndicat a annoncé la suspension de la culture du coton OGM en avril dernier. L’or, première ressource d’exportation devant le coton, a lui aussi connu sa réforme. Car même si le Burkina Faso est le quatrième plus grand producteur africain d’or, les recettes tirées de ses sept mines en activité ne participent pas assez à l’économie nationale. En cause : une ristourne fiscale accordée aux exploitants dans le Code minier de 2003. Une faiblesse corrigée par l’adoption d’un nouveau Code en juin 2015. Plus de ristourne et une obligation de versement de 1 % du chiffre d’affaires à un nouveau fonds destiné au développement local : sur le papier, la fin des privilèges des miniers est actée mais en réalité, le Code est encore en train d’être négocié. Quoi qu’il soit décidé, le potentiel burkinabè continuera à être exploité. En juin dernier, une nouvelle mine d’or a été inaugurée à Houndé, dans l’ouest. Propriété de la société canadienne Endeavour, Houndé est présentée comme la plus grosse mine d’or du pays avec une production annuelle estimée à 190 000 onces. Preuve que même si le pays des Hommes intègres se lance dans la diversification, l’après-mine n’est pas pour demain. ■

INTERVIEW

Lassiné Diawara «NOUS DEVONS INVENTER DES SOLUTIONS INNOVANTES» Le président du Syndicat des commerçants importateurs et exportateurs (Scimpex), à la tête de plusieurs sociétés, croit à la résilience des entreprises. AM : Après deux années difficiles pour le secteur privé, quel regard portez-vous sur la situation d’ensemble des affaires ? Lassiné Diawara : Nombreuses sont les entreprises qui ont vu leurs outils de production détruits ou leurs activités paralysées. Si l’on ajoute à cela le fragile climat sécuritaire de la sous-région dont nous avons fait les frais le 15 janvier 2016, on est tenté de dire qu’un certain attentisme s’est emparé des milieux d’affaires dans leur désir d’investir. Cela a certainement pesé sur les performances économiques du pays ; en témoignent le taux de croissance estimé de 4,4 % en 2015 et celui de 4 % en 2014, inférieurs au taux de croissance moyen des dix dernières années qui était de 5,5 %. Mais il faut saluer les capacités de résilience de notre secteur privé. Les deux années que nous avons traversées n’ont pas entraîné de véritable blocage de l’activité. L’approvisionnement du pays s’est effectué normalement. En effet, selon les statistiques de la BECEAO, l’indice de la production industrielle indique une reprise spectaculaire de l’activité au cours du premier trimestre de 2016. En glissement annuel, l’indice du chiffre d’affaires du commerce de détail a connu une progression de 15,6 % au premier trimestre de 2016. C’est prometteur. Au cours du premier trimestre de l’année, les données relatives aux créations d’entreprise et à la délivrance des permis de construire sont conformes aux moyennes habituellement constatées en période normale qui tournent autour de 2 500 nouvelles créations. Le contexte actuel du Burkina est-il favorable ? Oui. Le gouvernement a pris la pleine mesure de l’importance d’un environnement des affaires stable. À ce titre, on peut se réjouir du renforcement des outils de simplification des procédures. Au niveau du Scimpex, nous avons bien accueilli le nouveau Système de liaison virtuelle pour les opérations d’importations et d’exportations (Sylvie). De même pour le Système AFRIQUE MAGAZINE

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Banque, industrie, immobilier, l’homme d’affaires natif de Bobo-Dioulasso est un opérateur économique incontournable. intégré des guichets uniques (Sigu), qui vient aussi d’être mis en place et qui participe à l’interconnexion des administrations avec lesquelles nous travaillons tous les jours. Il permet de fluidifier nos transactions et d’assurer la transparence et la traçabilité dans nos opérations. De plus, le lancement des travaux de construction de deux nouvelles cimenteries dans l’ouest du Burkina Faso, pour plus de 75 milliards de francs CFA (114,3 millions d’euros), est un bon signe. Les perspectives sont prometteuses, avec l’adoption prochaine du Plan national de développement économique et social (PNDES), qui s’attaque aux défis de la transformation structurelle de notre économie en accordant un rôle très actif au secteur privé. Quelles sont les principales attentes du secteur privé ? Nous saluons le gouvernement pour l’ensemble des initiatives qu’il déploie afin de restaurer notre économie. Toutefois, cela ne doit pas occulter un certain nombre d’attentes fortes du secteur privé. Il y a, en premier lieu, la résorption de la dette intérieure, qui

s’élevait à 573,46 milliards de francs CFA (874,2 millions d’euros) en 2015. La résolution de cette question sera une véritable bouffée d’oxygène. Par ailleurs, tout en reconnaissant les difficultés financières de l’État, il est urgent que nous imaginions des solutions innovantes qui pourraient passer par des systèmes de partenariat public-privé pour s’attaquer à la question du financement des entreprises. Nous pensons également que la sécurisation de nos investissements est capitale. À ce titre, nous attendons des nouvelles autorités des mesures fortes pour rassurer les investisseurs. Nous avons, entre autres, des attentes quant aux coûts des facteurs qui restent encore élevés et sur la pression fiscale trop forte. La résolution de cette question passe nécessairement par l’élargissement de la base fiscale. Le gouvernement doit poursuivre les efforts dans ce sens. Naturellement, il faut continuer la lutte contre la fraude et la corruption qui sapent les efforts que nous ne cessons tous de déployer. ■ Propos recueillis par E.P.

« Nous attendons des nouvelles autorités des mesures fortes pour rassurer les investisseurs. »

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Une priorité nationale Après avoir instauré la gratuité pour les enfants et les femmes enceintes, le gouvernement œuvre pour la modernisation et l’amélioration des soins. par Alice Haller

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lus qu’une promesse de campagne du candidat Kaboré, ou une Arlésienne des précédents gouvernements, la gratuité des soins était un espoir des populations. Espoir en partie comblé depuis le 1er juin sur l’intégralité du territoire après une phase de test dans trois régions. En partie seulement car, pour l’heure, seuls les enfants de moins de 5 ans, les femmes enceintes et celles ayant accouché (jusqu’à quarante-deux jours après) en bénéficient. Dans un pays où aucun soin ne pouvait être pris en charge sans être payé au préalable, cette mesure est un réel soulagement et le signe, selon les bénéficiaires, d’une plus grande équité. Filémon Ouédraogo, de l’association AAS, très investie dans la prise en charge des personnes atteintes du VIH, estime que « la santé est une priorité du chef de l’État, qui multiplie les initiatives, comme l’amélioration des centres de santé dans les zones transfrontalières, qui étaient dans un état lamentable. Mais il a hérité d’un système hors d’âge. » De fait, les indicateurs sanitaires restent médiocres. Avec 12,7 % du budget de l’État consacré à la santé (en 2014), les engagements pris dans le cadre de la déclaration d’Abuja visant à allouer 15 % à ce secteur ne sont toujours pas respectés. Le nombre et la dotation des infrastructures publiques sont insuffisants. En zone urbaine, des structures privées, 407 sur tout le territoire, viennent pallier ces déficits. Mais leurs coûts plus élevés freinent leur fréquentation et les réservent à une population qui avait déjà accès aux soins. Avec un médecin pour environ 20 000 habitants et un infirmier pour près de 3 000 habitants, le Burkina Faso est bien en deçà des normes internationales.

INITIATIVES MULTIPLES À l’occasion du lancement de la mesure de gratuité, le représentant de l’Unicef a rappelé que « le pays perd encore chaque année 60 000 enfants de moins de 5 ans et 2 800 femmes autour de l’accouchement ». Soit près de 165 enfants et 8 femmes par jour. Pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies d’ici à 2030, il faudra que le pays maintienne la priorité accordée aux questions sanitaires. Et multiplie les initiatives comme celle de l’hôpital Blaise-Compaoré. Financé par la coopération taïwanaise, cet établissement est doté des

La maternité de l’hôpital Yalgado-Ouédraogo, à Ouagadougou. outils et des compétences nécessaires pour offrir des soins de qualité, mais souffre de sa modernité et de son organisation rigoureuse : les patients hésitent à s’y rendre, persuadés que l’établissement est onéreux. Il s’agit pourtant d’un Centre hospitalier universitaire (CHU) public, jouissant donc du même statut que l’historique hôpital Yalgado-Ouédraogo aujourd’hui dans un état tel que même le Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale dénonçait en novembre 2015 lors d’une conférence de presse « une épidémie de manques et de pannes ». Pour remédier à cette situation, Roch Kaboré a pris l’initiative d’accélérer l’ouverture d’un pôle hospitalier – en construction depuis six ans –, prévue avant la fin 2016. L’ambition du chef de l’État est de répliquer ce modèle dans les régions, « si l’exemple est réussi du point de vue de l’organisation et de la gestion interne », a-t-il précisé. Autre nouveauté, le Centre de cancérologie de Ouagadougou, fruit de la coopération entre le Burkina et l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), qui développe des actions de coopération sanitaire avec les pays en développement. Selon l’étude Globocan 2012, 10 000 nouveaux cas de cancers sont attendus chaque année, avec un taux de mortalité approchant 80 %. Là encore, Roch Kaboré a récemment annoncé la gratuité et la systématisation du dépistage des cancers du col de l’utérus et du sein, parmi les plus fréquents. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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sorties

Agapes et escapades La capitale burkinabè recèle des lieux de gastronomie hautement recommandables. Et réserve même d’agréables surprises…

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uagadougou, avouons-le, n’a jamais été la ville la plus folichonne pour faire une fête invétérée. Sauf en période de Fespaco (dernier week-end de février les années impaires) où les maquis et quelques tables privées de cinéastes du cru ne désemplissent pas, bière à flots et discussions jusqu’au bout de la nuit. Ouaga, c’est un peu un gros bourg fréquenté par des gens raisonnables. Et malgré le retour de jeunes diaspos élevés en Côte d’Ivoire à grand renfort de coupé-décalé endiablé et de parler « y a quoi ? », la capitale est restée assez sage. Elle offre un choix de tables assez raffinées, aux cuisines « localoccidentalisées », où le capitaine (en brochettes, carpaccio ou pavés) et les grillades de tout poil gardent la vedette. Peu ou pas de plats tradi (tô et autres sauces gombo) dans les restaurants du centre-

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Ci-dessus, le surprenant Hamerkop Manor, à une demiheure de Ouagadougou. Ci-contre, ambiance bretonne au SaintMathieu.

ville. Pour le midi, où le soleil brûle, en gros, dix mois sur douze, il s’agit de chercher le meilleur rapport qualité/clim. Le Bistrot lyonnais et ses spécialités terroir french (rognons, quenelles et viandes goûteuses) cartonne. Plus bobo, déco ouest-Af, on choisira le Princess’ Yenenga, à la carte subtile, douée pour les poissons légers et les sauces aériennes. Et citons le petit dernier : Le Saint-Mathieu et sa grande salle « bretonne » avec une barque et un phare reconstitués, une carte plutôt internationale, de bonne tenue. Plus loin, à Ouaga 2000, l’historique Vert Galant reste un must, pour la régularité des saveurs. Le soir, malgré une chaleur tournante qui ne faiblit pas vraiment, on peut se permettre un extérieur « rafraîchi » au ventilo ou un jardin. Côté jardin, le plus agréable, c’est le Benoua Lodge. Cuisine variée, simple et vraiment très savoureuse, du poulet bicyclette braisé au couscous merguez-bœuf. Mention spéciale au petit champagne de connaisseur que l’on y sert, excellent et abordable. Pour ceux qui aiment. Et bien sûr, un autre incontournable historique : Le Verdoyant, son jardin, ses pizzas et sa carte longue comme un jour sans tô, avec des hauts et des bas dans l’assiette. Mais ambiance très sympa garantie. Après, on tient à signaler l’endroit le plus improbable, chic, rare et finalement super-branché pour une escapade à 25 kilomètres de Ouaga, sur la route de Kaya. Thibault Fournier, un Français ouagalais depuis 1988, après une carrière panafricaine dans la com’, a décidé de se lancer dans un rêve fou : construire un manoir de style Tudor en plein bord de fleuve, à Loumbila. Le domaine d’Hamerkop Manor, hérissé de murs en briquettes, tours et ogives fabriquées exclusivement avec des matériaux locaux, accueille des clients triés sur le volet pour des dîners de roi aux chandelles, avec chambre d’hôte originale. Le lieu est destiné, dans quelques mois, à accueillir des expositions artistiques permanentes et éphémères, des concerts lyriques, etc. La cuisine, en tout cas, y est assez exceptionnelle, grâce au concours du talentueux burkinabè artiste-cuisinier Jean Koala. Un rendez-vous très prisé les week-ends, notamment par la jet-set ouagalaise, mais uniquement par bouche-àoreille et à réserver très en avance. Chut ! ■ AFRIQUE MAGAZINE

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JEAN-CLAUDE FRISQUE - DR

par Emmanuelle Pontié


La Société Cotonnière du Gourma, dénommée SOCOMA est une filiale du Groupe GEOCOTON. Depuis plus de 10 ans, notre Société cotonnière, fait ses marques dans l’accroissement du rendement agricole et l’augmentation des revenus de l’ensemble des cotonculteurs de la zone de l’est du BURKINA FASO par son appui-conseil, dans la distribution d’intrants et dans la diversification des cultures et des revenus aux producteurs et aux Groupements de Producteurs de Coton (GPC). Nous disposons de trois unités industrielles destinées à l’égrenage du coton graine et localisées à Fada N’Gourma, Diapaga et Kompienga et dont la capacité nominale atteint les 120.000 tonnes par an. Engagés dans la production du coton 100% conventionnel cette campagne 2015/2016, nous visons à maintenir le Label Qualité Coton du Burkina Faso et sommes résolument engagé dans le Cotton made in Africa (CmiA). Nous travaillons en collaboration avec l’Union des producteurs du coton burkinabè (UNPCB), à apporter les solutions idoines aux questions problématiques environnementales et de développement durable. Nous participons à l’édification de l’économie burkinabè avec plus de 10 milliards injectés chaque année au titre de recettes cotonnières. Aussi, soutenons-nous les activités éducatives, sociales et culturelles, inscrivant notre action dans la dynamique du donner et du recevoir.

La SOCOMA est une société anonyme (SA) de droit burkinabè et filiale du groupe GEOCOTON Tél. : +226 25 37 69 73 * Fax : +226 25 37 69 77 E-mail : info@socoma.net * www.socoma.net socoma industriel

La SOCOMA c’est le Coton...

Mais aussi la culture diversifiée...

Maïs biologique et tournesol


SABINE CESSOU

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L’artiste sénégalais Bouna Medoune Seye, entouré ici de deux jeunes Dakarois, se reconnaît dans le mouvement afropunk.

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Apparu aux États-Unis en 2003 avec un film puis un festival à New York, le mouvement officialise un trait d’union méconnu pendant quarante ans : la rencontre de la communauté noire avec la contre-culture punk et underground.

TENDANCE

par Sabine Cessou AFRIQUE MAGAZINE

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fropunk. Détonnant, le terme sonne à la fois comme un slogan et une évidence, pour tous les Africains, Afro-Américains et autres membres de la diaspora qui écoutent et jouent du rock. Étonnamment, le mot n’est apparu qu’en 2003, dans le sillage du film Afro-Punk, tourné à travers les États-Unis par James Spooner et devenu culte depuis. Le réalisateur, métis de l’île de Sainte-Lucie (Antilles anglaises) arrivé à New York à l’âge de 14 ans, a grandi en se reconnaissant dans la scène punk de la ville où officiaient alors nombre de Noirs méconnus. À la sortie de son documentaire, réalisé en amateur, Spooner effectue une tournée américaine pour mettre en avant les témoignages recueillis dans son film. Son site Internet reçoit une telle avalanche de messages que l’engouement se transforme bientôt en phénomène social. L’idée de lancer un festival, en 2005, avec Matthew Morgan, manager britannique de musiciens noirs installés à New York, est née. Le rendez-vous annuel attire aujourd’hui 90 000 personnes dans le Commodore Barry Park de Brooklyn, dans une ambiance de fête cosmopolite et bon enfant, sur fond de revendications d’égalité raciale. « Nous voulons tous nous voir, en tout cas ceux qui nous ressemblent, dans une direction positive, et pas juste dans les pages football », note Matthew Morgan. 93


KEMI BASSÈNE

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L’afropunk peut être natté, piercé et tatoué – mais pas forcément – et il écoute un peu de tout, rock’n’roll, funk et parfois du heavy metal, sans oublier les rebelles africains. Jimi Hendrix, Fela et George Clinton figurent en bonne place dans son panthéon, de même que les contemporains Keziah Jones, Lauryn Hill et Jaden Smith, qui se reconnaissent dans le mouvement. Saul Williams est l’un des artistes les plus emblématiques de cette tendance, dans son look, son attitude comme dans ses messages. Le chanteur américain est connecté à l’Afrique, puisqu’il a joué en 2011 le rôle principal dans l’excellent film de fiction Aujourd’hui (Tey), tourné à Dakar par le Franco-Sénégalais Alain Gomis. Il a sorti un album intitulé Martyr Loser King, référence moqueuse à Martin Luther King. Slammeur de la première heure, il a clôturé l’Afropunk Festival 2016 à Paris avec un concert d’anthologie, le 5 juin au Trianon. Il a fait défiler les messages de ses chansons sur des images projetées derrière lui sur scène. Invitant le public, le majeur levé et le mot « f*ck » à toutes les sauces, à s’ériger contre « l’apathie », la « construction de la race », à ne pas « croire en la tribu » ou la « pensée religieuse », il a passé un bon moment à chanter au milieu du public, dans la fosse, déclenchant une énergie magnétique autour de lui. Ovni urbain, l’afropunk est un être alternatif et fashion qui vit en électron libre, sans barrières. L’exubérance de ses coiffures renvoie à la crête iroquoise des punks anglais des

années 1970, sous forme de coupe afro bleue, grise ou violette, de crânes rasés de mille façons ou encore de nattes multicolores portées haut en chignon sur le sommet de la tête. « C’est la voix de toute une jeunesse américaine qui essaie d’exister hors des codes habituels et ne se reconnaît pas forcément dans la soul et le R’n’B, avec un sens de la fusion qui va au-delà de la couleur », explique Lamine Badian Kouyaté, styliste malien, fondateur à Paris de la griffe Xuly.Bët. Il a participé au festival de Paris et Brooklyn en 2015, pour y écouler des tuniques en wax marquées au sigle afropunk en grosses lettres dorées. Adepte du pogo, cette façon qu’ont les punks de sauter sur place pendant les concerts, ce versant

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Le rappeur, poète et comédien américain Saul Williams en concert au Trianon, à Paris, le 5 juin 2016, lors du festival Afropunk.

Ovni urbain, c’est un être alternatif et fashion qui vit en électron libre, sans barrières. AFRIQUE MAGAZINE

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DRIELY S. 2015

Affiche pour le festival à Paris en 2016. Libertaire et tolérant, le mouvement se veut sans tabou en matière de mœurs sexuelles.

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Prof Babacar «AUX ORIGINES DU MOUVEMENT, UN ROCK NON SÉGRÉGÉ» AM : Quelles sont les origines de l’afropunk ?

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Bretagne pour fonder un genre de boys band punk, à une époque où Patti Smith et les Ramones étaient déjà présents sur la scène new-yorkaise, de même que The Clash et The Damned en Grande-Bretagne. McLaren était marié à la styliste anglaise Vivienne Westwood, qui a ouvert une boutique de mode d’où est sorti l’uniforme punk. À la base, il s’agissait d’être le plus choquant possible, avec des vêtements déchirés limite clochard… Comment expliquer le succès d’Afropunk à Paris ? Le festival correspond à une attente. Les jeunes des classes moyennes regardent vers les États-Unis pour se trouver des tendances et des sources d’inspiration. Le mouvement afropunk n’est pas né en France, où il reste une franchise américaine… Cela étant, c’est naturel qu’un styliste comme Xuly.Bët se retrouve dans l’afropunk, un mouvement extensible et multiforme qui lui ressemble. Lamine Badian Kouyaté était dans le squatt d’artistes de L’Hôpital éphémère avec la Fédération française de funk (FFF) à ses débuts, qu’on peut considérer comme le premier groupe afropunk en France, avant Skip The Use. ■ Propos recueillis par S.C.

mouvement punk : il s’agit d’être soi-même, de remettre en cause le « système » en refusant diktats, conventions et tout conformisme. Rêver et vivre un monde meilleur, tel est le projet, plus tourné vers le présent que le passé. « Une seule règle : pas de règles », résume Matthew Morgan. SE RÉAPPROPRIER LA SCÈNE ROCK « Le mouvement repose aussi sur une grosse revendication, commente l’artiste et critique d’art sénégalais Kemi Bassène. À partir du moment où les Noirs ont perdu le rock à Memphis, avec Elvis Presley, tous les mouvements dérivés ont été récupérés. » L’une des principales motivations de James Spooner, avec son film, était justement de discuAFRIQUE MAGAZINE

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noir du mouvement rejette la violence. Il ne vit pas sous des banderoles, ni dans la nostalgie des années 1970. Son esthétique reste ouverte et indéfinissable, au carrefour de trop d’influences pour supporter une quelconque étiquette. Éclectique, libertaire et tolérant, le mouvement l’est notoirement à l’égard des homosexuels et des transgenres, qu’il défend. « Afropunk donne cet espace finalement rare dans la société américaine, qui permet à chaque Noir d’être luimême, sans risquer de prendre des coups ou des insultes », relève le site du festival. Un afropunk se reconnaît d’abord et avant tout à son caractère libre et sa personnalité assumée. D’ailleurs, cette déclaration d’indépendance représente la base même du

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Ancien manager du célèbre groupe de rap français IAM, DJ marseillais basé à Paris, il décrypte l’identité afropunk.

Prof Babacar : Le punk est né dans les villes industrielles du Midwest, où existaient une classe ouvrière et une frustration forte de la jeunesse, sans moyens ni lieux d’expression propre. D’où l’apparition d’un rock « garage » qui, à l’époque, n’avait pas de coloration : des jeunes Noirs et des jeunes Blancs s’y sont mis. Un groupe qui s’appelait Death a même fait l’objet d’un documentaire, A Band Called Death. Ce groupe n’a jamais rien sorti mais il a été déterminant pour l’apparition des Stooges et des MC5 à la fin des années 1960, avec un son très lourd et des morceaux parfois très longs. C’était un rock absolu à la Jimi Hendrix, que tous les punks ont écouté et admiré pour sa liberté d’expression. Le mouvement a ensuite migré sur New York, où il s’est intellectualisé. De manière récurrente, des artistes revendiquent les racines noires du rock aux États-Unis, comme George Clinton, qui a fait du rock avant de faire du P-Funk (funk psychédélique). Comment le mouvement a-t-il gagné la Grande-Bretagne ? Malcolm McLaren, manager des New York Dolls en 1972 et 1973, a eu le flair de faire le casting des Sex Pistols en Grande-


DARE KUMOLU-JOHNSON

Parmi le public, c’est un autre festival qui se joue : celui des looks libres et extravagants (Brooklyn, 2015). ter des « relations de race » sur la scène punk, où existent nombre d’artistes et de groupes noirs tels que Mick Collins, Fishbone, Vaginal Davis et Bad Brains. Tous se vivent comme des pousses du rock’n’roll, ce grand arbre planté dans les années 1950 par des Noirs américains, Chuck Berry, Little Richard et Sister Rosetta Tharpe. Se revendiquer afropunk, c’est se réapproprier une scène rock occupée depuis des lustres par des idoles blanches. Le festival propose une fusion assez large, à tel point que la presse américaine se demande s’il n’est pas prêt à diluer son côté punk pour mieux vendre son côté afro auprès des masses. Ce tournant commercial a incité James Spooner à prendre ses distances. Il est sorti de l’organisation du festival en 2008 pour des raisons « philosophiques », et s’est installé depuis en Californie, comme artiste tatoueur et vegan. Une autre manager d’artistes, l’Africaine-Américaine Jocelyn Cooper, qui compte le chanteur néo-soul D’Angelo parmi ses clients, a pris le relais auprès de Matthew Morgan, confirmant l’ambition mainstream du festival. En 2015, Afropunk Festival se déporte à Atlanta et Paris pour la première fois. Deux capitales mythiques pour les Africains-Américains : Atlanta a été le berceau de la lutte pour les droits civiques, AFRIQUE MAGAZINE

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Rêver et vivre un monde meilleur, tel est le projet, plus tourné vers le présent que le passé. et Paris, préférée à Londres, souligne le côté caribéen de la connexion afropunk. Explications de Matthew Morgan : « Mon collègue de longue date Louis Constant-Desportes, avec qui j’ai commencé l’aventure Afropunk, est un jeune Martiniquais qui dirige le site afropunk.com directement de Paris, devenu un endroit naturel où venir. » Prochaines étapes : le Brésil et l’Afrique du Sud, pour prendre des dimensions vraiment globales. ■ 97


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Antoine tempé (France) • Dakar, 2013. Établi dans la capitale sénégalaise, le photographe revisite avec son compère Omar Victor Diop, à travers le projet [re-]Mixing Hollywood, de grands classiques du cinéma. Ici, Blow-Up de Michelangelo Antonioni.

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PORTFOLIO

Arles Un œil sur l’Afrique Rendez-vous incontournable des amoureux et professionnels de l’image, ce festival marque, chaque année, la découverte de nouveaux talents et la consécration de photographes reconnus. L’édition 2016 aura ainsi vu l’émergence du continent au travers d’artistes ou de reporters confirmés ou en devenir. Loin, surtout, des... clichés habituels. AFRIQUE MAGAZINE

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Omar Victor Diop (Sénégal) • Abidjan, 2103. L’autre versant du projet [re-]Mixing Hollywood. Ici, l’artiste interprète à sa manière American Beauty, qui fut notamment récompensé en 2000 des Oscars du meilleur film, réalisateur (Sam Mendes), et acteur masculin (Kevin Spacey).

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uche Okpa-iroha (nigeria). A Room for a Favour, 2012. Cliché extrait de la série The Plantation Boy où le photographe s’invite dans des scènes du film Le Parrain (1972), de Francis Ford Coppola.

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Malick Sidibé (mali). Galerie magnin-a. Regardez-moi !, 1962. Les folles nuits de la jeunesse de Bamako, l’une des célébrissimes images d’un photographe culte du continent.

Sarah Waiswa (ouganda). Étrangère en terre familière, 2016. Primée à Arles du prix Découverte 2016, l’artiste dénonce le sort fait aux albinos en Afrique subsaharienne. AFRIQUE MAGAZINE

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Dominic Nahr (suisse) • magnum photos. Soudan, 2012. Les forces armées soudanaises viennent de bombarder un site pétrolier. Un ouvrier inspecte le point d’impact sous le regard de collègues et de membres de l’Armée de libération populaire du Soudan.

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Zanele Muholi (Afrique du sud) • Autoportrait, 2015-2016. Dans cette série, la Sud-Africaine a recours à l’autoportait pour commémorer, questionner et célébrer la façon dont le corps noir a été représenté en photographie.

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NEIL LEIFER COLLECTION/SPORT ILLUSTRATED VIA GETTY


LE DOCUMENT

Fort, oui, comme Ali

Le plus grand boxeur du XXe siècle a traversé l’histoire des États-Unis la rage au ventre. Une trajectoire exceptionnelle qu’il doit autant à sa haine de l’iniquité qu’à un génie communicatif. Jamais sport, politique et show-business n’auront été aussi imbriqués, comme en témoigne cette biographie inédite.

«J

e me suis battu comme un alligator, j’ai catché avec une baleine, mis des menottes aux éclairs, foutu la foudre en taule. Je suis pire qu’un mal incurable ! » clame devant les caméras Ali, juste après sa victoire contre George Foreman jusqu’alors invincible. Nous sommes le 30 octobre 1974 à Kinshasa et le boxeur de 32 ans vient de récupérer son titre de champion du monde, quatre ans après avoir refusé de partir combattre au Vietnam. « The Rumble in the Jungle » restera l’un des plus grands duels de tous les temps, notamment pour le combat médiatique qui se déroule en coulisses. Dans cet ouvrage extrêmement documenté, Claude Boli, auteur de plusieurs livres sur l’histoire sociale du sport et frère du footballeur Basile Boli, lie étroitement le destin de cette figure emblématique de la boxe à l’histoire politique, culturelle et sociale des États-Unis. Génie de la communication et de la provocation, artiste du verbe, parfois manipulateur, Ali y est dépeint à la manière d’un Fred Astaire dans un corps d’athlète sur le ring, et d’un Robin des Bois dans la vie. Sa personnalité a accompagné l’éclosion d’une conscience américaine nouvelle, son impact sur la communauté afro-américaine a éveillé la fierté de se sentir noir et beau. En changeant de nom et en se convertissant à l’islam aux côtés de Malcolm X, le petit gamin de Louisville, Kentucky, est devenu le symbole de l’affirmation de soi. Et un héros de roman universel. ■

présenté par Kate Martin

Mohamed Ali, par Claude Boli, « Folio », Gallimard, 2016.


Extraits 25 février 1964. Cassius Clay devient champion du monde face à Sonny Liston. Le lendemain, il annonce sa conversion à l’Islam…

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es boxeurs et non des moindres, tels que les Noirs, champions du monde, Joe Louis et Floyd Patterson, participent au lynchage médiatique. Le premier pense qu’Ali, en se ralliant aux Black Muslims, va s’attirer une réaction de haine du public. L’autre se présente comme le catholique qui se battra contre Ali le musulman pour lui retirer son titre et faire honneur à l’Amérique. Celui-ci, atteint par cette vindicte, demeure digne. Ali, donc, fait partie des Black Muslims, une organisation qui est à la fois une secte religieuse et un mouvement politique avec des idéaux radicaux. Les « musulmans noirs » rejettent en bloc le christianisme, soupçonné de maintenir le pouvoir de la population blanche. Une de leurs singularités les plus notables est le refus de porter un nom américain, hérité de l’esclavage, et de lui préférer un patronyme musulman. Cassius Clay deviendra donc : Cassius X Clay, puis, en mars 1964, Mohamed Ali. La conversion à la religion musulmane du boxeur de Louisville est loin d’être un « coup de tête » comme le prétendent certains journalistes de l’époque. Il s’agit de bien plus que cela. Il a fallu un ensemble de circonstances qui ont été nourries par l’expérience du racisme au quotidien, un environnement favorable et une certaine naïveté pour le conduire à cette direction spirituelle. La vocation du jeune boxeur tisse des liens étroits entre une religion qui était marginalisée et qui devient, durant les années 1960, l’une des forces visibles de l’émergence d’un pouvoir noir. Cassius Clay devenu Mohamed Ali participe à sa façon aux cris de révolte d’une minorité invisible devenue, de par son appartenance à la foi musulmane, une menace pour l’intelligentsia blanche. (…)

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1970. Mohamed Ali et Joe Frazier mettent en évidence une interrogation qui émerge au sein de la communauté afro-américaine : qui de ces deux champions est le plus représentatif de l’Amérique noire ?

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ohamed Ali est le premier à lancer le pari que les Afro-Américains devront faire un choix à chacune de ses prestations contre Frazier. Dès leur première rencontre, les moqueries d’Ali touchent de plein fouet l’origine sociale de son adversaire. Durant toute sa campagne médiatique d’avant-match, Ali s’est borné à traiter Frazier d’« oncle Tom », de campagnard et surtout d’être « intellectuellement limité ». Ce dernier reproche n’est pas anodin, il révèle consciemment ou non une confrontation entre deux

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TANDIS QUE MOHAMED ALI SE RAPPROCHE DES IDÉAUX DES CLASSES DOMINANTES, JOE FRAZIER SE FAIT LE REPRÉSENTANT DES CATÉGORIES DOMINÉES.

*** 1974. Le « combat du siècle » contre George Foreman est délocalisé au Zaïre (ex-RDC). Kinshasa devient la capitale fantasmée du monde noir…

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uand l’idée d’une rencontre sur le sol africain est proposée par les promoteurs de l’événement, notamment le Noir Don King, Mobutu profite d’une occasion unique pour montrer au reste du monde, et en particulier aux Américains, un aspect positif de sa politique. Aux yeux de l’opinion publique américaine, notamment des Noirs, l’image de Mobutu est liée à des scènes dégradantes d’une Afrique sauvage, sanguinaire, non démocratique. Le président veut essayer d’effacer les perceptions souillées de son pays après les sanglants affrontements ethniques qui ont marqué la guerre civile entre 1961 et 1963, et surtout l’assassinat de Patrice Lumumba, l’un des leaders politiques africains les plus connus et les plus appréciés par la communauté noire des États-Unis. Dans la capitale zaïroise, plusieurs affiches en français traduites en anglais sont

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Claude Boli est docteur en histoire contemporaine (De Montfort University, Leicester, RoyaumeUni) et en sociologie (université de Nantes). Il est aussi directeur scientifique du Musée national du sport français (Nice). Ses champs de recherches sont le sport en Angleterre, l’histoire urbaine et les diasporas noires en Europe.

Amériques noires : l’une qui s’est constituée en un groupe relativement discernable par une volonté de visibilité où le paraître est primordial, et l’autre au contraire, qui est restée attachée à des valeurs où l’invisibilité prédomine et est perçue comme un acte résilient. Mohamed Ali et Joe Frazier cristallisent ces deux schémas d’une communauté en quête de pouvoir et de reconnaissance sociale. Dans leurs combats, Ali l’exubérant, le tape-à-l’œil, l’artiste du ring, veut réduire Joe Frazier à l’image d’une Amérique noire taciturne (car marquée par un complexe d’infériorité « raciale »), besogneuse, et socialement marginalisée par un déficit intellectuel. C’est un fait essentiel que, dans les années 1970, les duels entre les deux meilleurs boxeurs divisent toutes les catégories de l’Amérique noire. Le match Ali-Frazier n’est pas qu’un simple combat de boxe. Pour une partie de la population américaine, l’affrontement est matière à se représenter et à se positionner socialement. Le combat est également l’expression de deux Amériques qui commencent à se distancier et à ne plus se reconnaître dans une expérience commune, celle de la condition noire. Tandis que Mohamed Ali se rapproche des idéaux des classes dominantes, Joe Frazier se fait le représentant des catégories dominées. Frazier saisit l’occasion des confrontations avec Mohamed Ali pour prouver qu’il incarne les valeurs de la majorité des Noirs. Avec une vie inchangée malgré l’argent de la boxe, il montre qu’il est le meilleur représentant de la communauté « en boxant comme un forcené pour gagner sa vie, plutôt que de faire des shows télévisés » comme il le souligne dans une interview. En fait, Frazier exprime les vues d’une frange de la population noire délaissée par les actions de promotion d’une petite et grande bourgeoisie noire. Frazier a trouvé dans la boxe une raison d’être, en ne rejetant pas ses origines sociales. (…)

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placardées à la gloire du président. Sur l’un des murs, on peut lire : Merci Citoyen Président Mobutu, parce que grâce à ce combat de boxe, Kinshasa deviendra pour un moment la capitale du monde entier. Les médias africains sont très impliqués et participent activement à l’événement. Jeune Afrique livre à ses lecteurs toutes les péripéties de l’événement. Fraternité Matin, le quotidien de Côte d’Ivoire, couvre pendant plusieurs jours le duel Ali-Foreman. La presse a bien compris la teneur historique et le bénéfice que va tirer Mobutu de cette exposition médiatique à l’échelle planétaire. C’est ce qui transparaît dans les propos du journaliste de Jeune Afrique : « Le match Foreman-Ali entre en effet dans le contexte de la politique de développement économique et international menée par le président Mobutu. Autrement dit, le match de Kinshasa n’est ni plus ni moins qu’une opération publicitaire, qu’une opération de prestige à l’échelle nationale. (…) De ce fait, tous les États-Unis vivent actuellement à l’heure de la cuisine, de la musique, et de l’art africains en général, et zaïrois en particulier. »

(…) Aux États-Unis, King a trouvé des arguments pour convaincre Ali d’accepter d’aller boxer dans « la mère patrie », « la terre de leurs ancêtres ». L’argumentaire de King est purement intéressé, mais il sait que s’il veut toucher le cœur de Mohamed Ali, il doit le persuader que ce combat est la bataille de tous les Noirs du monde. Kinshasa constitue une des victoires de cette pensée et de ce pouvoir noirs. À Kinshasa, si en privé Ali trouve le temps africain long et inconfortable, en public il se dit particulièrement heureux et fier de se retrouver au milieu des siens. La fibre communautaire conduit Ali à tenir des propos laudateurs : « C’est une sensation extraordinaire de travailler dans un pays régi par des Noirs. J’aimerais que tous les Noirs d’Amérique voient ça. En Amérique, on nous fait croire que nous ne pouvons rien faire sans l’homme blanc et surtout, tout ce que nous connaissons de l’Afrique, c’est la jungle. Tout ce que nous voyons de l’Afrique, ce sont des autochtones qui accompagnent des Blancs en safari. Parfois, on verra un Blanc se faire capturer par un gorille et être sauvé par des Noirs. On ne nous montre jamais les voitures africaines, les bateaux africains et les avions africains. On ne parle jamais des chaînes de télévision africaines. Ici, tout est noir : les soldats, le président, les visages sur les billets. Cela paraît impossible et pourtant vingt-huit millions de personnes gèrent ce pays sans qu’aucun Blanc ne soit impliqué. Je croyais que les Africains étaient des sauvages mais depuis que je suis ici, j’ai compris que bon nombre d’entre eux sont plus sages que nous ne le sommes. Ils parlent anglais et deux ou trois autres langues. Impressionnant, non ? C’est nous, en Amérique, qui sommes des sauvages. »

Le combat fait surgir les aspirations séparatistes d’Ali et surtout le rêve d’un État noir. Kinshasa devient aux yeux d’Ali la cité noire fantasmée. Pour King, le combat doit être le prolongement du Festival des Arts nègres lancé en 1966 par le poète président Senghor dans la capitale sénégalaise, Dakar. Bien au fait de l’histoire du mouvement panafricaniste, King aime faire référence aux leaders noirs (africains et américains) qui ont oeuvré pour la reconnaissance d’une culture noire et pour la valorisation d’une identité africaine. ■

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EXTRAITS © ÉDITIONS GALLIMARD 2016

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« BON NOMBRE D’AFRICAINS SONT PLUS SAGES QUE NOUS NE LE SOMMES. ILS PARLENT ANGLAIS ET DEUX OU TROIS AUTRES LANGUES. IMPRESSIONNANT, NON ? C’EST NOUS, EN AMÉRIQUE, QUI SOMMES DES SAUVAGES. »


DÉCOUVERTE

C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

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Au service de la nation Avec la coopération de la population et des pays amis, l’armée joue pleinement son rôle.

JEAN-PIERRE KEPSEU

Le président Paul Biya décore une diplômée de la promotion « Paix et Modernité » de l’EMIA, sur la place d’armes de l’école, à Yaoundé.

DOSSIER DIRIGÉ PAR EMMANUELLE PONTIÉ - RÉALISATION FRANÇOIS BAMBOU AFRIQUE MAGAZINE

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Défilé des forces armées à l’occasion de la 44e édition de la fête de l’Unité, le 20 mai 2016.

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Un front uni, une population soudée AFRIQUE MAGAZINE

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VICTOR ZÉBAZÉ

DÉFENSE POPULAIRE


La crise sécuritaire causée par Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord a permis de mesurer la solidité du lien armée-nation.

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aoundé, le 24 avril 2015. Sur la place d’armes de l’École militaire interarmées (EMIA), Paul Biya préside la consécration de deux promotions d’officiers. Ce jour-là, tout en rendant hommage aux nombreux succès des soldats camerounais, le chef de l’État ne manque pas de souligner la gravité du moment, marquée par la guerre contre les terroristes de Boko Haram : « Il faut le souligner, nos soldats ont fait mieux que se défendre et nous défendre. Ils ont infligé à l’ennemi des pertes considérables et l’ont obligé à évacuer notre territoire. C’est le moment pour moi de leur rendre hommage pour leur courage et leur esprit de sacrifice. Ils ont notre estime, ils ont notre admiration. Pour sa part, le peuple camerounais, dans sa grande sagesse, a bien perçu que c’est son existence même en tant que peuple qui était menacée. Et cela, il ne pouvait évidemment pas l’accepter. Du nord au sud, de l’est à l’ouest, le peuple camerounais, s’est massivement mobilisé, et se mobilise encore, dans l’enthousiasme et la spontanéité, pour apporter, dans un bel élan de solidarité, une contribution généreuse à l’effort de guerre. » Pour le président Biya, « cette grande mobilisation des uns et des autres a donné une résonance particulière à notre stratégie de défense populaire. Armée et nation font bloc pour préserver notre territoire et notre souveraineté ». Si aujourd’hui le front

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La synergie est fondamentale pour disposer de renseignements de premier ordre et neutraliser l’ennemi.

Le général René Claude Meka, chef d’état-major des armées.

est relativement calme et sous contrôle des forces camerounaises, les premières heures de la guerre ne furent pas de tout repos. Un officier supérieur en témoigne : « La tactique de la secte Boko Haram est d’attaquer en surnombre et de harceler plusieurs points de contact pour disperser nos forces. L’on comprend bien qu’il y a une ambition stratégique derrière ces modes de combat qui se heurte au professionnalisme de notre armée. Boko Haram bénéficie de conseils militaires provenant vraisemblablement de mercenaires, car l’art de la guerre s’apprend. L’on n’utilise pas des éléments d’arrêt, de diversion et d’assaut sans avoir reçu une formation initiale. » D’autant que l’ennemi avance à visage masqué : « Tandis que les forces régulières portent des uniformes et cherchent à en découdre directement avec l’ennemi, le combattant irrégulier, lui, se dissimule dans la population, évite l’affrontement direct et préfère frapper par surprise, voire par lâcheté. Pour annihiler une telle menace, il importe d’étudier ses acteurs, ses origines et les buts poursuivis », décrit un officier général pour traduire la difficulté qu’ont dû avoir les militaires camerounais pour venir à bout des terroristes, sans dégâts dans la population civile. PLAN DE BATAILLE Face à ce conflit inattendu opposant des soldats formés aux situations conventionnelles à des criminels entêtés et barbares, le président Biya a proposé un plan de riposte à trois niveaux. Sur le plan interne, il s’est agi de renforcer les capacités d’intervention des forces prépositionnées sur le territoire national, d’intensifier la recherche du renseignement, de sensibiliser les populations et les leaders locaux. Ainsi, dès 2014, Paul Biya a procédé à une réorganisation tactique des forces et à un accroissement de leurs capacités. Au-delà de ce dispositif, l’opérationnalisation du concept de « défense populaire » s’est avérée indispensable dès lors que le groupe islamoterroriste Boko Haram a montré une forme de perfidie en infiltrant les populations civiles

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pour enrôler des enfants comme combattants voire comme bombes humaines, en les envoyant se faire exploser dans les marchés, mosquées et autres lieux de rassemblement. Suivant les instructions régulières du chef de l’État, chef des armées, qui a plusieurs fois enjoint les forces de défense à multiplier des actions au bénéfice des populations, l’armée participe à la construction de ponts, de routes, de digues et d’écoles. Elle continue néanmoins d’assurer sa mission première : la défense. « Son rôle principal, c’est de faire la guerre, explique le général René Claude Meka, chef d’état-major des armées. Si leur contribution au développement est une tâche secondaire, elle permet néanmoins de consolider le lien armée-nation. En outre, tous les analystes conviennent qu’il existe une relation étroite entre le sous-développement et les problèmes de sécurité. Il n’y a pas, en effet, de sécurité sans développement et inversement. La contribution des forces de défense à l’essor socio-économique du Cameroun s’inscrit dans cette perspective, par le biais notamment d’actions civilomilitaires qui visent à améliorer le bien-être des populations. » Pour le patron de l’armée, cette fonction stratégique de « contribution aux actions de développement » devrait d’ailleurs monter en puissance dans le nouveau contexte des menaces asymétriques car elle devrait permettre aux forces de défense d’améliorer leur immersion dans leur environnement opérationnel, ce qui ne peut qu’améliorer la collaboration avec les populations, notamment dans l’alerte et le renseignement. Il y a deux ans, d’ailleurs, le thème de la fête nationale, grand moment de parade militaire, était : « Armée et nation, en synergie pour la préservation de la paix et de la sécurité, gage de l’intégration, de la stabilité et du développement socio-économique ». Un thème qui, selon les cadres de la grande muette, met effectivement en exergue le renforcement du lien indissoluble entre l’armée et la nation au sein du concept central de défense populaire. Car si les forces de défense tiennent leur efficacité de l’adhésion AFRIQUE MAGAZINE

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FABRICE/XINHUA/RÉA

des populations à leur action, surtout dans le contexte actuel où l’ennemi développe des formes d’hostilité telles que le retournement des populations contre la loi et l’autorité, la synergie entre l’armée et la nation est une donnée fondamentale pour disposer de renseignements de premier ordre et neutraliser l’ennemi. COMITÉS DE VIGILANCE La nécessité d’améliorer le renseignement et la détection d’éléments infiltrés au sein de la population a permis l’émergence des comités de vigilance, illustration majeure de l’implication des civils dans la défense du territoire. Un phénomène très apprécié du président Paul Biya, qui ne manque pas une opportunité de leur apporter son soutien : « J’ai eu l’occasion de saluer le rôle des comités de vigilance qui appuient avec efficacité nos forces de défense et de sécurité. Nous devons ici saluer la mémoire de nos compatriotes qui ont perdu la vie dans cet exercice légitime de défense civile. À la barbarie aveugle des terroristes, ils ont su opposer leur vigueur patriotique, jusqu’au sacrifice suprême. En cela, ils constituent des modèles pour notre nation. » Il faut dire que Paul Biya n’a pas attendu la guerre contre Boko Haram pour prôner ce concept de défense populaire, qu’il a tenu à promouvoir dès son accession au pouvoir comme expression de la résistance morale et civique de la nation. AFRIQUE MAGAZINE

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Comme l’explique le chercheur en défense et sécurité Raoul Sumo Tayo, de l’université de Yaoundé-I, « pendant longtemps, dans sa mise en œuvre, ce concept est apparu comme un slogan creux, inadapté à l’environnement de sécurité, certains estimant qu’il était une simple “donnée formelle” et que face aux menaces nouvelles, les forces militaires constituaient la seule réponse “adaptée” ». Pour l’universitaire, l’implication des comités de vigilance apparaît alors comme une mise en œuvre effective du concept de défense populaire, une opérationnalité de celle-ci. M. Sumo Tayo explique que « l’emploi de ces comités a trait à leur connaissance du milieu ». En effet, dans le cadre d’un conflit asymétrique, il est difficile d’identifier l’ennemi. Les comités contribuent à la mission d’observation à travers trois éléments : la nature, l’ampleur et l’attitude de l’ennemi. Pour beaucoup, donc, la crise sécuritaire causée par Boko Haram aura été le révélateur de l’attachement du Cameroun à son intégrité territoriale, mais aussi du sens du sacrifice dont les citoyens peuvent faire preuve. Ainsi, l’État a décidé d’améliorer leur équipement pour qu’ils aient de meilleures capacités pour alerter et renseigner les forces de défense sur les mouvements des terroristes. En plus de gratifications financières, ces groupes ont reçu bottes, torches, jumelles, détecteurs de métaux et motos toutterrain pour renforcer leur potentiel. ■

Obsèques, le 6 mars 2015 à Yaoundé, de soldats tués dans des combats contre l’organisation islamiste.

« Il n’y a pas de sécurité sans développement. La contribution des forces de défense à l’essor socioéconomique du Cameroun s’inscrit dans cette perspective. »

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MODERNISATION

Les vertus de la réforme Grâce à une profonde restructuration entamée dès 2001, les forces armées ont pu s’adapter et affronter les récentes menaces. En tirant parti des nouvelles techniques.

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ans l’Extrême-Nord, les départements du MayoTsanaga et du Mayo-Sava ont été un moment l’épicentre de la confrontation entre les forces camerounaises et les terroristes de Boko Haram, finalement chassés de la zone. Une des clés de cette victoire s’explique par la mutualisation des compétences des différents corps militaires positionnés sur le théâtre des opérations : le Bataillon d’intervention rapide (BIR), qui a installé un poste de commandement pour diriger l’opération Alpha ; un bataillon des troupes aéroportées venu de Koutaba ; et des hommes du régiment d’artillerie sol-sol (Rass) envoyés de Nkongsamba. C’est la synergie entre ces unités aux savoir-faire complémentaires qui a permis de faire place nette, et de ramener le calme dans l’Extrême-Nord. Comme le souligne le général de brigade Frédéric Ndjonkep, commandant de la 3e Région militaire interarmées (RMIA 3), « aucune composante ne peut se targuer de travailler seule. C’est ensemble que nous réussissons, en complémentarité les uns des autres ». Pour le colonel Didier Badjeck, chef de division de la communication au ministère de la Défense, il s’agit là d’une déclinaison concrète du concept d’interarmisation, introduit par la réforme de l’armée, instaurée par le président Paul Biya dès 2001. Plus qu’une simple doctrine, l’interarmisation des forces s’est montrée

redoutablement efficace une fois qu’il s’est agi d’engager la guerre, car comme le souligne un officier de l’armée de terre, c’est un des acquis majeurs de cette nouvelle donne au sein de la grande muette, avec les Régions militaires interarmées qui ont été créées en fonction des réalités géopolitiques et géostratégiques. De fait, la guerre contre Boko Haram a motivé la mise en place d’une 4e Région militaire interarmées (RMIA 4) et la typologie des menaces a influencé la création de nouvelles unités de gendarmerie, terrestres, aériennes et maritimes. En outre, des forces d’élite spécialement formées et équipées mènent des missions spécifiques pour combattre la piraterie maritime ou les attaques terroristes notamment dans les zones transfrontalières maritimes et terrestres. L’ensemble de ces forces travaillent en synergie dans les Régions militaires interarmées. Les nombreuses opérations en cours dans la zone de conflit (Émergence, Logone, Alpha), comme l’explique le général Jacob Kodji, commandant de la 4e Région militaire interarmées (RMIA4), « convergent vers le même objectif avec AFRIQUE MAGAZINE

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des actions complémentaires, dans une bonne coordination ». Lancée en 2001, cette restructuration de l’armée s’est accélérée ces dernières années dans un contexte de guerre, et est considérée comme une vraie révolution qui a permis au Cameroun de se préparer avant l’heure aux différentes formes d’attaques connues ces dernières années. « La réforme que j’ai entreprise en 2001 vise à moderniser et à accroître l’efficacité opérationnelle de nos forces de défense. Comme je m’y étais engagé, cette réforme est appelée à se poursuivre, avec comme axes majeurs le rajeunissement et la professionnalisation des effectifs, la modernisation des équipements et l’amélioration du cadre de vie des personnels militaires », expliquait Paul Biya à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’armée. Ces textes ont également permis le redéploiement stratégique des unités et formations sur le terrain à travers l’activation de plusieurs brigades d’infanterie motorisées (Brim) et de régiments d’appui dans les zones sensibles, la création des bases aériennes et le renforcement du maillage AFRIQUE MAGAZINE

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de la gendarmerie à travers de nouveaux escadrons. Pour un cadre du ministère de la Défense, « l’apparente coïncidence entre le renforcement des capacités opérationnelles de l’armée camerounaise et la montée des périls sécuritaires est loin d’être fortuite. Il convient davantage d’y voir une manifestation supplémentaire de la grande vision qui caractérise le magistère du président Paul Biya qui, de nombreuses années avant, a su anticiper sur les événements ». RESTRUCTURATION La réforme de 2001, engagée par le chef des armées, à travers vingt et un décrets qui restructurent de fond en comble l’organisation militaire du pays ainsi que les différentes composantes de l’armée, donne les grandes orientations d’une « armée professionnelle, moderne et rajeunie ». Cette réforme s’appuie sur la professionnalisation à travers des savoirfaire complémentaires dans les techniques de combat, la technologie, la doctrine et la prospective stratégique, d’où la promotion de l’enseignement supérieur militaire en

Le président de la République en compagnie des élèves de l’École militaire interarmées (EMIA) de Yaoundé.

La clé de la victoire réside dans la mutualisation des compétences des différents corps positionnés sur le théâtre des opérations.

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plus des centres de formation et des écoles d’officiers, mais aussi sur le rajeunissement de la hiérarchie militaire, avec la nomination récente de cinq nouveaux généraux de brigade de moins de 60 ans. Pour le colonel Didier Badjeck, chef de division de la communication au ministère de la Défense, « la réforme s’est implémentée progressivement au sein des forces de défense, bousculant des doctrines devenues de plus en plus inadaptées aux mutations du monde contemporain. Le chef de l’État, chef des armées, a ainsi pu donner une empreinte révolutionnaire au format de notre armée, s’inscrivant dans une prospective gagnante dans les combats contre des menaces protéiformes arrivées plus vite que prévu ». AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE VIE ET D’EXERCICE Les mesures liées à l’amélioration des conditions de vie et d’exercice des personnels officiers et non officiers ont assurément été les plus appréciées par la troupe. Il s’agit notamment de la suppression du 4e échelon du grade de capitaine et de lieutenant de vaisseau, pour permettre un passage plus rapide des officiers subalternes à la catégorie d’officiers supérieurs, et de l’harmonisation des âges de départ à la retraite des personnels non officiers et des officiers subalternes de la gendarmerie nationale et des armées. Le président a également décidé de mettre en œuvre un programme d’urgence de construction de logements pour militaires en activité et a chargé le ministre de la Défense de finaliser, avec le Crédit foncier (la banque immobilière à capitaux publics), les négociations devant aboutir à l’accès des militaires à la propriété immobilière. Mieux, en plus de l’instauration d’un secrétariat d’État aux Anciens Combattants, Anciens Militaires et Victimes de guerre, le chef des armées a promis la création d’une mutuelle des armées, offrant une meilleure prise en charge des soins médicaux des personnels. ■ 116

GENDARMERIE

Aux avant-postes de la sécurité Premier rempart contre la criminalité et le terrorisme grâce à un maillage efficace, cette force veille particulièrement à la sûreté intérieure.

« S

achez qu’un gendarme se doit d’être un militaire professionnel de la sécurité, au contact de la population et au service de l’État et du citoyen. L’enjeu, c’est la qualité du service que vous devrez désormais rendre à nos populations qui attendent beaucoup de la gendarmerie nationale qui, en tant que service public, doit offrir aux citoyens des conditions de protection et de sécurité égales pour tous. » Face à ses hommes, JeanBaptiste Bokam, le secrétaire d’État à la Défense chargé de la gendarmerie, prend un ton martial. Que ce soit lors des cérémonies spéciales de levée des couleurs ou à l’occasion de rassemblements ponctuels des troupes au béret rouge, il ne manque pas de leur rappeler le cœur de leur mission de sécurité et l’exigence de probité qui en découle. Car l’action de cette force à caractère militaire, assurant également des missions civiles, s’exerce sur toute l’étendue du territoire national, et plus particulièrement dans les zones rurales et sur les voies de

communication. Dans le cadre de ses missions particulières, la gendarmerie concourt à la défense nationale et au maintien de la sûreté intérieure de l’État autant qu’elle assure les missions de police militaire et de police judiciaire civile et militaire. La formation du gendarme, qui allie les techniques de recherche de renseignement et la rudesse de la formation militaire, confère à ces quelque 15 000 hommes des compétences multiples, qui leur permettent de répondre aux attentes des citoyens, notamment en zone rurale où ce corps militaire dispose de 500 brigades ventilées à travers les dix régions du pays, et regroupées en soixante et onze compagnies. La gendarmerie camerounaise est également en première ligne pour le maintien de l’ordre et la sécurité routière sur les grands axes, assurés par une trentaine d’escadrons et plus d’une centaine de pelotons mobiles.« Face à la montée du phénomène terroriste, le renseignement, dans sa globalité, est la base de toute décision et demeure la clé de toute action », assure le patron de la gendarmerie, dont les équipes sont généralement en première

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ligne dans la lutte contre les terroristes, à travers les missions de renseignement, qui les amènent à mettre en place des dispositifs d’infiltration des zones et groupes sociaux à risque, mais aussi par la compacité de leur maillage territorial. Plusieurs unités spéciales d’action ou de renforcement AFRIQUE MAGAZINE

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des compétences ont été mises en place pour permettre à la gendarmerie de couvrir efficacement la totalité de ses missions. Ainsi, outre le célèbre Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale (GPIGN), réputé pour son action contre la grande criminalité et le terrorisme,

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le Centre opérationnel de la gendarmerie (COG) assure le relais régulier entre les besoins des citoyens et la hiérarchie militaire, notamment en traitant les situations de détresse. Le Centre de perfectionnement de la police judiciaire (CPPJ) permet aux enquêteurs de la gendarmerie, qui ont le statut d’officier de police judiciaire, d’être mieux aguerris en matière de police technique et scientifique. Ainsi, les locaux du secrétariat d’État à la défense à Yaoundé, qui abritent le commandement central de la gendarmerie, accueillent un pool d’officiers et de sous-officiers qui utilisent essentiellement les nouvelles technologies pour traquer les criminels. Nombre de grands dossiers de lutte contre la corruption qui ont permis de mettre des dignitaires en prison sont ainsi passés par la gendarmerie nationale. ■

Forte de 15 000 hommes, la gendarmerie est présente dans les dix régions du pays.

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FORMATION

Autour de la prestigieuse EMIA, le pays dispose d’écoles et de centres d’instruction qui dispensent des enseignements poussés, centrés en particulier sur le contexte géopolitique international.

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réée en 1959 et inaugurée deux ans plus tard, l’illustre École militaire interarmées (EMIA) de Yaoundé a formé plus de 95 % des officiers camerounais, et a même accueilli de célèbres stagiaires d’autres pays tels que Thomas Sankara ou Blaise Compaoré. « Creuset de la classe dirigeante des forces de défense nationales, l’EMIA est chargée de la formation initiale, du perfectionnement et de la spécialisation des officiers des armées (armée de terre, armée de l’air, marine) et de la gendarmerie, explique un responsable du ministère de la Défense. L’école propose un programme d’enseignement universitaire de qualité centré sur les connaissances de l’environnement géostratégique et international. » L’enseignement opérationnel intègre l’art de la guerre, l’armement,

l’instruction sur le tir et la topographie. D’autres matières militaires – la psychologie du commandement et l’histoire de la guerre – viennent compléter un entraînement commando délivré dans les centres d’aguerrissement. « La professionnalisation des forces de défense prônée par la réforme de juillet 2001 traduit la volonté de la haute hiérarchie d’offrir à ses cadres, et partant à tout son personnel, des arguments de réponse face à un environnement géopolitique et sécuritaire en perpétuelle mutation. Dès lors, la culture de défense dispensée au sein des centres de formation apparaît plus comme une nécessité dans le contexte actuel que comme une simple formalité », apprécie le même officier supérieur. Ainsi, l’université de Yaoundé-I a ouvert ses masters en géopolitique de défense ou de sécurité aux cadres de l’armée, et l’École supérieure internationale de guerre AFRIQUE MAGAZINE

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Vers une armée aguerrie


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(Esig), créée en 2005, permet désormais aux officiers camerounais et d’ailleurs de travailler sur les enjeux de défense et de sécurité à l’échelle du continent et de s’exercer au commandement de haut niveau. Selon ses dirigeants, « l’Esig forme, par le biais d’un cursus de dix mois, des officiers supérieurs des armées et de la gendarmerie, aptes à assumer de hautes responsabilités au sein de leur armée d’appartenance, en particulier dans les états-majors de haut niveau interarmées, interalliés et internationaux. Le contenu de l’enseignement est centré sur l’environnement d’emploi et les missions les plus probables des officiers stagiaires en Afrique. Partant du principe que la réponse aux enjeux sera multinationale, l’effort est porté sur l’interopérabilité, sans pour autant laisser de côté la réflexion sur les capacités des forces de sécurité et de défense sur le plan national ». Pour que l’Esig se positionne comme un pôle d’excellence de l’enseignement militaire supérieur du second degré en Afrique, le Cameroun a signé avec la France, en avril 2008, une convention instaurant un partenariat actif avec l’École de guerre de Paris. UN DISPOSITIF PRÉSENT SUR TOUT LE TERRITOIRE Ces écoles d’officiers sont complétées par un dispositif de formation et de perfectionnement déployé sur tout le territoire. La réforme de 2001 a mis en place le Commandement des écoles et centres d’instructions interarmées (Comeciia), qui harmonise et assure la formation initiale et continue du personnel militaire, la spécialisation et le perfectionnement des officiers ainsi que l’enseignement militaire supérieur préparatoire, du premier et deuxième degré. Parmi la douzaine de structures qui composent le portefeuille du Comeciia, le Centre d’instruction des forces armées nationales de Ngaoundéré (Cifan) est le plus renommé. Basé en milieu sahélien, ce dernier est complété par le Centre d’instruction des forces armées de Djoum pour la formation de base des soldats en AFRIQUE MAGAZINE

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milieu équatorial, ou encore le centre de Koutaba, dans l’Ouest, pour l’entraînement des parachutistes. Par ailleurs, les unités d’élite et d’autres corps spéciaux comme le Bataillon d’intervention rapide (BIR) ou la Garde présidentielle ont ouvert des centres dotés d’instructeurs expérimentés pour améliorer la formation de leurs hommes et les adapter à leurs missions spécifiques. « Dans l’armée camerounaise d’aujourd’hui, chaque homme est spécialisé à quelque chose. Il y a désormais une corrélation claire entre les effectifs, leurs équipements, et leur fonctionnalité. De l’armée de masse, nous sommes passés à un paradigme d’armée technologique », explique le colonel Didier Badjeck, chef de division de la communication au ministère de la Défense, par ailleurs ingénieur et pilote de l’armée de l’air. La formation continue étant l’une des clés de la performance de l’armée nationale, tout le personnel militaire est quasiment en stage permanent, du soldat de rang à l’officier supérieur. Après une formation commune de base, le soldat suit aussitôt un cursus spécialisé qui se prolonge au fil de sa carrière par des certificats d’aptitude technique ou différents brevets et diplômes. ■

Deux soldats du bataillon des troupes aéroportées de Katouba équipés pour un entraînement.

Du soldat de rang à l’officier supérieur, tout le personnel est quasiment en stage permanent.

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INTERVENTION

La montée en puissance des unités d’élite À l’instar des grandes nations étrangères, le Cameroun développe depuis plus d’une décennie des forces spécialisées dans le traitement des menaces frontalières, urbaines et, désormais, terroristes.

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L

e 16 février 2016, alors qu’il revient du Nigeria, où il a dirigé une opération de démantèlement d’un camp de Boko Haram et de libération d’otages, le lieutenantcolonel Beltus Kwene saute sur une mine. Il ne survivra pas à ses blessures. Officier de la force d’élite la plus réputée du pays, Beltus Kwene a pris part aux batailles les plus périlleuses contre la secte islamiste, et représente aux yeux des Camerounais, qui lui ont rendu un grand hommage, l’incarnation du soldat intrépide, surentraîné, aguerri au combat et prêt au sacrifice suprême pour le succès de sa mission, le lot ordinaire des hommes du Bataillon d’intervention rapide (BIR). Créée en 1999 sous le nom de Bataillon léger d’intervention (BLI), pour lutter contre les coupeurs de route qui semaient la mort dans la partie nord du pays, cette force d’élite a gagné l’estime de la population au fur et à mesure de ses succès. Aujourd’hui encore, transformée en Bataillon d’intervention rapide depuis le 25 juillet 2001, elle est aux avant-postes chaque fois que de graves menaces se déclarent. C’est grâce au BIR qui a désormais différentes armes en son sein (terre, mer, air) que la piraterie maritime a pu être jugulée dans le golfe de Guinée. Ses hauts faits d’armes ont conduit le patron des armées à améliorer significativement sa dotation en équipements de pointe et à la prépositionner sur tous les théâtres où des menaces potentielles sont redoutées. Ses recrues sont puisées parmi des jeunes choisis au terme d’une sélection physique et morale drastique, et capables de supporter une formation rude, dispensée par des

instructeurs eux-mêmes passés par des armées d’élite de pays militairement puissants. Le corps d’élite a grandi au fil du temps et a connu de profonds changements, notamment sur le plan de son implantation territoriale. De nouvelles unités ont ainsi été créées. Depuis 2008, son déploiement territorial est monté en régime avec une composante terrestre déployée dans cinq capitales régionales stratégiques (en dehors de Douala et Yaoundé), une maritime qui couvre tout le flanc Atlantique du pays, de Bakassi à Campo, et le Groupement d’intervention rapide aéromobile (Giram) qui assure la couverture aérienne. Toutes ces déclinaisons du BIR disposent d’équipements issus des dernières technologies et ajustés au périmètre de leurs missions. Cette force d’élite dispose également d’un centre d’instruction, d’un camp de formation antiterroriste, d’un groupement d’intervention rapide de plongeurs de combat et d’une base logistique. UNE REDOUTABLE EFFICACITÉ Selon le journaliste Éric Benjamin Lamère, spécialiste de l’armée camerounaise, les succès obtenus par le BIR sur divers fronts sont la résultante de plusieurs facteurs : « Sur la lutte contre les coupeurs de route, contre les bandes armées le long du littoral et dans la guerre contre Boko Haram, il s’est montré d’une redoutable efficacité. Une réussite qui tire sa source du sérieux et de la rigueur dans le recrutement et la formation, d’un équipement en quantité et de qualité et d’un encadrement qui se veut conforme aux standards en vigueur dans les plus grandes armées de la planète. » Face à la montée de la criminalité urbaine, des unités spéciales et des forces d’élite au AFRIQUE MAGAZINE

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sein de la gendarmerie ont été mises en place, avec pour objectif de les adapter à certaines menaces intraterritoriales telles que le terrorisme et le grand banditisme. Dans ce registre, l’émergence du Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale (GPIGN) a été décisive pour la neutralisation des gangs lourdement armés qui sévissaient dans les métropoles il y a une décennie. Alliant renseignement et actions musclées, le GPIGN – qui agit cagoulé – peut traquer des gangs de braqueurs à travers tout le territoire. En reconnaissance du rôle majeur joué par ces équipes dans la détection et la neutralisation des entités terroristes, le gouvernement américain a envoyé en juin dernier du matériel de pointe. Selon Michael Hoza, l’ambassadeur des ÉtatsUnis qui remettait solennellement ces dons, « cet équipement donnera aux enquêteurs des services de police et de gendarmerie la capacité de procéder aux enquêtes sur des scènes de crimes terroristes. Cela permettra de soutenir l’un des maillons sécuritaires du pays au moment où la nation se défend et protège ses citoyens contre Boko Haram. En effet, notre partenariat soutient directement la vision établie par le Cameroun pour renforcer le secteur de la sécurité ainsi que les capacités des hommes et des femmes qui ont le devoir sacré de protéger la nation et ses citoyens ». De quoi motiver davantage Jean-Baptiste Bokam, secrétaire d’État à la Défense chargé de la gendarmerie, pour qui « le GPIGN dispose AFRIQUE MAGAZINE

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désormais de tous les outils et matériels de nouvelle génération lui permettant de mettre en déroute les délinquants de tous ordres, aux rangs desquels les adeptes de Boko Haram. Ce don vient également booster la capacité opérationnelle du GPIGN, en facilitant son engagement plus aisé sur les théâtres d’opérations où les forces font face au phénomène terroriste et aux incursions des bandes armées ». DES MISSIONS STRATÉGIQUES Sur ce même modèle de lutte antiterroriste mais avec une orientation plus métropolitaine, la police camerounaise a mis en place le Groupement spécial d’opérations (GSO), chargé de neutraliser les bandes organisées de malfaiteurs, de mener des actions contre les prises d’otages et la piraterie aérienne, et de détruire les engins piégés. Véritable armée au sein de la police, le Groupement mobile d’intervention (GMI) a, quant à lui, des missions stratégiques extensibles en fonction du contexte sécuritaire. Ainsi, au-delà du maintien de l’ordre préventif, de la protection civile et de la surveillance des frontières, les hommes du commissaire divisionnaire Nathanaël Kepawou Ngambo, commandant central du GMI, peuvent, en situation de défense opérationnelle, participer aux actions de combat avec des unités de corps de bataille, assurer la protection des points sensibles, prendre contact avec les populations en vue d’organiser la résistance intérieure. ■

Le Groupement d’intervention rapide aéromobile (Giram) en plein exercice sur la base aérienne de Yaoundé.

Toutes ces déclinaisons du BIR disposent d’équipements issus des dernières technologies et ajustés au périmètre de leurs missions.

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POLICE

La brigade anti-émeute lors du défilé de la fête nationale, le 20 mai 2015 à Yaoundé.

Professionnalisme et éthique

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enue impeccable, démarche athlétique, regard franc, courtoisie à l’égard des usagers… Après avoir été pendant longtemps considérée comme le parent pauvre du système de sécurité, la police camerounaise s’est transformée ces dernières années. Désormais, les maîtres mots impulsés par Martin Mbarga Nguélé, le délégué général à la sûreté nationale, sont « éthique et compétence ». « La mission fondamentale de la police est d’assurer la paix et l’ordre public, la protection des institutions et de leurs biens. Cette noble mission requiert des qualités et des valeurs qui correspondent à un contexte, une vision et une éthique », aime à répéter M. Mbarga Nguélé, lui-même commissaire divisionnaire de police à la retraite. Il faut dire que les reproches de la population à l’égard des forces de police étaient nombreux, allant de la corruption au

trafic d’influence, incompatibles avec les missions régulières de la police : assurer la sécurité intérieure et extérieure de l’État, en plus du traditionnel maintien de l’ordre public, particulièrement dans les agglomérations urbaines. LUTTE CONTRE LA CORRUPTION La répression des actes répréhensibles commis par des policiers est devenue systématique. Chaque année, des agents de police, y compris des commissaires, sont révoqués ou suspendus. Pour le patron de la sûreté nationale, ces sanctions répondent à la volonté du président Biya qui plaide pour « l’avènement d’une police efficace dans la sécurisation des personnes et des biens, respectueuse de la discipline et de la déontologie, et totalement réconciliée avec les populations dont elle est le partenaire et le recours naturels ». AFRIQUE MAGAZINE

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Déontologie, renforcement du recrutement, déploiement de la vidéosurveillance… Le Cameroun ambitionne de s’aligner sur les standards internationaux.


En plus du recrutement de plusieurs milliers de policiers tous grades confondus, afin d’améliorer le maillage et les capacités de cette administration à répondre aux défis sécuritaires (4 700 recrues prévues en 2016), le gouvernement a consenti d’importants moyens depuis deux ans pour augmenter son efficacité. Le saut qualitatif le plus important vient assurément du déploiement de la vidéosurveillance pour renforcer la prévention et la répression face aux diverses formes de criminalité. En plus des deux métropoles principales que sont Douala et Yaoundé, les villes de Kyé-Ossi, Kousséri, Waza et Garoua-Boulaï ont déjà bénéficié de ce système mis en place avec le concours de Cameroon Telecommunications (Camtel), l’entreprise publique de télécommunications. « Il est devenu impératif pour notre pays de s’aligner sur les méthodes de prévention et de lutte contre ces nouvelles formes de criminalité et de terrorisme en améliorant au quotidien nos capacités opérationnelles pour des résultats plus efficaces » a expliqué M. Mbarga Nguélé, qui annonce l’extension de ce système dans d’autres villes du pays. D’autres mesures telles que le renouvellement du parc automobile et la construction de nouveaux commissariats ont été mises en œuvre afin de donner une impulsion supplémentaire à la sûreté nationale. De quoi réjouir le patron de la police, qui n’est pas peu fier des états de service de ses hommes : « La sûreté nationale avance dans la bonne direction. Les fonctionnaires de police de tous grades s’efforcent d’accomplir la mission fondamentale de notre administration. Le professionnalisme des policiers, le renforcement de la prévention et la réaction plus prompte des unités d’intervention sont des éléments qui ont contribué grandement à maintenir la paix, à consolider la collaboration entre la police et les populations. » ■ AFRIQUE MAGAZINE

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COOPÉRATION

Diplomatie et affaires militaires C’est dans l’union et en faisant appel à la collaboration régionale et mondiale que les pays pourront lutter activement contre le terrorisme et l’insécurité.

«À

menace globale, riposte globale. Telle devrait être la réponse de la communauté internationale, notamment de l’Union africaine et de nos organisations régionales. […] Il faut que l’on sache que la distance qui peut séparer un pays des zones de combat n’est pas une assurance tous risques. Pour ma part, je persiste à croire que la menace que représentent les jihadistes, Boko Haram et autres Shebab, ne pourra être levée que par une mobilisation au niveau international. Beaucoup l’ont compris. Il reste à en tirer les conséquences. C’est le lieu pour moi de me féliciter du soutien multiforme que nous apportent non seulement l’Organisation des Nations unies, mais aussi certaines grandes puissances, notamment les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie et l’Allemagne. Nous les remercions de leur engagement déterminé à nos côtés dans cette lutte. » En réponse aux vœux du corps diplomatique en janvier 2015, le chef de l’État Paul Biya

avait ainsi fixé la direction que devait prendre la lutte contre le terrorisme. Même si l’armée camerounaise a engrangé des victoires significatives face à Boko Haram, M. Biya reste convaincu que seule une mutualisation des efforts, au moins au niveau continental, pourrait éradiquer ce fléau. MUTUALISATION Le moins que l’on puisse dire est que cette vision a aussitôt été partagée par ses pairs à travers le monde. Dans la région, l’émergence de la Force multinationale mixte (Multinational Joint Task Force –MNJTF), qui totalise 8 700 hommes venus des quatre pays du bassin du lac Tchad (Cameroun, Tchad, Nigeria, Niger) et du Bénin, est une manifestation concrète de cette décision de renforcer la coopération militaire entre les États. C’est un Camerounais, le général Valère Nka, qui a été nommé commandant adjoint de cette unité dont le quartier général se trouve à N’Djamena (Tchad). Le Cameroun fournit 123


Cérémonie d’ouverture du 2e Sommet sur la sécurité régionale, qui s’est tenu à Abuja le 14 mai 2016. De g. à d., les présidents Ali Bongo Ondimba (Gabon), Paul Biya (Cameroun), le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian, les présidents François Hollande (France), Muhammadu Buhari (Nigeria), Patrice Talon (Bénin) et Idriss Deby (Tchad).

Sur le plan international, les États-Unis et la France se sont particulièrement distingués dans leur appui aux forces camerounaises.

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un contingent de 2 450 hommes et assure le commandement du premier secteur militaire de la MNJTF, dirigé par le général Bouba Dobekreo, rendu célèbre par ses états de service à la tête du Bataillon d’intervention rapide (BIR). L’universitaire Raoul Sumo Tayo, chercheur en sécurité et défense à l’université de Yaoundé-I, estime que cette logique impulsée par Paul Biya était indispensable : « Les pays touchés par les activités de Boko Haram n’avaient pas d’autre choix que de mutualiser leurs efforts. La mise en place de la Force multinationale mixte (FMM), chargée de lutter contre Boko Haram a, a minima, permis de contourner la principale difficulté que constituait le refus du droit de poursuite au Cameroun par le Nigeria, et vice versa. Les deux pays ont trouvé la parade pour régler la question sans que le prestige national du Nigeria n’en prenne un coup. Par le truchement de la FMM, le Cameroun a ainsi, en quelque sorte, obtenu le droit de poursuite en territoire nigérian. » Résultat direct, les forces camerounaises du BIR ont mené plusieurs opérations en territoire nigérian ces derniers mois, sous la bannière de la FMM, pour

démanteler des camps de Boko Haram et libérer des otages. Sur le plan international, les États-Unis (qui ont déployé une force de 300 hommes au front pour le renseignement) et la France se sont particulièrement distingués dans leur appui aux forces camerounaises, que ce soit en matière de formation, de renseignement ou de fourniture d’équipements. « Ce qui est dans l’ordre normal des choses, au regard des efforts déployés par le Cameroun pour faire face aux coûts et conséquences de la guerre », explique Michel Hoza, l’ambassadeur des États-Unis au Cameroun. « Les autorités camerounaises ont pris une position ferme contre ce réseau de criminels, et elles allouent les ressources nécessaires à la défense du peuple et du territoire national. Les États-Unis saluent ce rôle de premier plan joué par les forces de sécurité camerounaises, qui ont mis en place des mesures de défense audacieuses et fiables pour protéger leur nation », indiquait le représentant américain, qui a d’ailleurs eu un énième entretien le 30 juin 2016 avec le président Biya pour examiner les avancées et perspectives de la coopération militaire entre les deux pays. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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MADE IN AFRICA ET AUSSI art contemporain Faites les murs, pas la guerre ! p. 130 mode Le wax chic en version parisienne p. 132 cinéma Divines surprises p. 134 hommage Philippe Mory p. 136 126

destination

CAP SURLE CAP Édifiée sur un site exceptionnel, à la pointe australe du continent, la plus ancienne ville d’Afrique du Sud offre un métissage réjouissant de cultures, de langues et de paysages. par Loïc Franck AFRIQUE MAGAZINE

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Le pittoresque quartier de Bo-Kaap, réputé pour ses maisons colorées et son multiculturalisme.

es façades vert fluo, rouge vif, roses ou bleu dragée… Ici, dans le quartier de Bo-Kaap, les maisons de plain-pied semblent incarner l’esprit de la ville : une cité dans laquelle toutes les couleurs se mélangent, sans le moindre interdit, un univers vraiment à part dans une Afrique du Sud encore marquée par les

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du métissage qui a fait la réputation de toute la région. C’est là que vivent depuis des siècles les descendants des esclaves malais, emmenés dans les soutes des navires de colons hollandais. Mais ce vestige d’une histoire agitée

AGF/GETTY IMAGES

stigmates de l’apartheid. Et de fait, ce quartier, le plus ancien du Cap, et l’un des plus prisés des touristes, avec ses rues pavées et ses demeures le plus souvent construites autour de 1760, est sans doute l’un des plus solides et visibles témoignages

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MADE IN AFRICA

À ne pas manquer : la colonie de manchots du Cap de Boulders Beach.

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raconte aussi toute la complexité du melting-pot à la sud-africaine. Les Malais restent fidèles à la religion musulmane (la plus vieille mosquée encore debout a été bâtie en 1798) et, pour la plupart, ne parlent pas l’afrikaans, la langue nationale. Au contraire, les métis nés d’une union entre les colons et les femmes noires (principalement les Khoïkhoï, ethnie majoritaire dans cette province) se décrivent volontiers comme des « Afrikaners bruns », et se veulent parfaitement intégrés dans une nation rebaptisée

« arc-en-ciel ». Autant dire que ces deux groupes ne se mélangent guère. C’est là tout le paradoxe d’une terre qui accueille au total plus de la moitié des 4 millions de métis du pays. D’autant que certains en oublient que tous avaient encore, il y a moins de trente ans, le statut de coloured, et vivaient pour la plupart regroupés dans l’un des trois townships, Khayelitsha, Langa et Gugulethu, dans lesquels les parquait le régime ségrégationniste. Des quartiers où s’est développé l’art de la rue des tagueurs et des muralistes

que viennent aujourd’hui découvrir des visiteurs étrangers, toujours accompagnés d’un guide… Pour compléter cette plongée dans l’histoire d’une ville fondée en 1652 par les Néerlandais, faites un détour par le palais construit en 1764 par Martin Melck, un mercenaire prussien, et par l’hôtel de ville, dont le style évoque la Renaissance italienne, mais qui a été bâti en 1905. C’est du balcon de cet édifice que Nelson Mandela s’est pour la première fois exprimé, en 1990, après vingtsept ans de prison. Et si ce parcours vous a ouvert l’appétit, il est temps de rejoindre le port et le front de mer, où se trouvent d’innombrables restaurants. Là, depuis une terrasse, vous découvrirez ce qui fait tout le charme de cette agglomération de 3,7 millions d’habitants, la plus méridionale de toute l’Afrique : la nature. Juste au-dessus de vous se trouvera la célèbre montagne de

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La cité océane, dominée par la montagne de la Table et par les pics de la Tête-de-Lion et du Diable.


DR (2) - SHUTTERSTOCK

◗ TWO OCEANS RESTAURANT Il serait dommage de ne pas goûter aux produits de la mer, spécialité de la région, surtout avec une vue imprenable sur l’océan, qui pourrait presque détourner votre regard de votre assiette. D’autant que la qualité des plats ravira les amateurs de crustacés et de poissons. Comptez environ 12 euros pour une assiette de crevettes ou de langoustines. Cape Point Nature Reserve. two-oceans.co.za ◗ MAMA AFRICA Pour déguster, en musique, le meilleur de la cuisine locale, faites un détour par cet établissement populaire, et testez par exemple le dovi du Zimbabwe ou bien le poulet aux cacahuètes. 178 Long Street. mamaafricarestaurant.co.za ◗ DUTCH MANOR ANTIQUE HOTEL Si cette ancienne maison hollandaise de 1812 peut vous donner l’impression de faire un bond dans le temps, elle est désormais équipée de tout le confort moderne, et est aussi idéalement située au cœur de la ville. Chambres à partir de 70 euros. 158 Buitengracht, Bo-Kaap. dutchmanor.co.za ◗ THE MARLY Les pieds dans l’eau, avec en arrière-plan la majestueuse montagne des Douze-Apôtres et la fameuse route de Chapman’s Peak, cet établissement vous permettra de profiter des deux atouts majeurs de la région : la nature et l’océan. Un décor qui a cependant son prix : comptez 210 euros la nuit. 201 The Promenade, Victoria Road, Camps Bay. themarly.co.za

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les bonnes adresses

Gastronomie

la Table (à laquelle les moins sportifs pourront accéder par téléphérique), flanquée des pics de la Tête-de-Lion et du Diable. C’est « la » randonnée à ne pas manquer et le point de départ idéal pour un périple le long d’une péninsule verdoyante battue par les vents, qui vous mènera jusqu’au cap de Bonne-Espérance, à 47 kilomètres du centre-ville, la pointe du continent, aux rochers fouettés par les embruns et sur lesquels des vagues immenses viennent se briser. Sur votre route, ne manquez pas de faire une halte à Boulders Beach, une plage de sable que vous partagerez avec une colonie de 2 000 manchots du Cap, une espèce en voie de disparition. Vous ne serez pas les seuls à venir les voir, mais, avec Foxy Beach, cela reste l’endroit idéal pour observer de près ces drôles d’oiseaux, encadrés par des rangers, veillant à la sécurité de tous. Une autre façon de profiter des paysages de la région est de prendre sa voiture et d’emprunter Chapman’s Peak Drive, la magnifique route panoramique de 18 kilomètres entre Hout Bay et Noordhoek. Vous aurez peut-être la chance (si vous tombez en pleine saison) d’apercevoir des baleines dans l’océan. Et les fans de voile pourront faire une pause à Hout Bay, un site réputé pour ses sports nautiques. Quant à ceux qui ont entendu parler de l’excellente réputation des meilleurs crus sud-africains, sans jamais avoir eu l’occasion d’y goûter, ils ne doivent surtout pas rater la route des vins de Constantia. C’est de cette vallée, aux maisons basses de style hollandais, que, depuis trois siècles, sortent les meilleures bouteilles du pays (avec celles de la région de Stellenbosch). Les vignerons se font un plaisir de faire goûter leurs nectars aux amateurs qui, s’ils ne savent s’astreindre à la modération, seraient bien avisés de louer les services d’un chauffeur… ■

◗ ROUTE DES VINS Pour découvrir les meilleurs crus de la région, mieux vaut le faire en bonne compagnie. Celle d’un sommelier diplômé qui vous fera découvrir les plus beaux domaines des régions de Constantia, Durbanville et Elgin. Une journée de parcours gustatif vous reviendra à 140 euros. ◗ ÇA VA JAZZER ! Au Cap, on aime la musique en général, et le jazz en particulier. Si les clubs ne manquent pas, les amateurs choisiront de venir pendant le Festival international dont la prochaine édition aura lieu les 31 mars et 1er avril 2017. capetownjazzfest.com ■

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art contemporain

Faites les murs, pas la guerre !

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«J

’espère briser les stéréotypes que nous connaissons tous avec la beauté de l’écriture arabe », confiait récemment Faouzi el-Seed, graffiteur franco-tunisien, lors de son intervention à la conférence TED (Technology, Entertainment and Design) dont l’objectif est de diffuser à travers le monde des idées innovantes et humanistes. En quelques années, cet ambassadeur de la paix a couvert les murs des plus grandes métropoles, Doha, Los Angeles, New York, Rio, Le Cap, Paris, mais aussi les parois de maisons anonymes, comme à Temoula ou Ksar Hadada en Tunisie. Des messages d’amour et d’espoir. Citations, poèmes, versets se déroulent, s’arc-boutent et s’enchevêtrent sur minarets, façades ou garde-corps

En haut, Perception, un hommage à la communauté copte de Zaraeeb, « le peuple des poubelles », qui vit du ramassage des ordures dans le quartier déshérité de Manchiet Nasser, au Caire. Ci-dessus, l’artiste (à droite) avec ses collaborateurs. dans sa langue maternelle apprise sur le tard, dans un souci de revenir à ses origines. « L’écriture arabe touche l’âme avant d’atteindre les yeux », affirme celui dont les calligraffitis (mix de calligraphie arabe et de graffiti) mêlent grâce et sagesse. Dans le lacis de sa dernière création, Perception, une anamorphose dans un quartier populaire du Caire, on peut lire : « Si quelqu’un veut voir la lumière du soleil, il faut qu’il se frotte les yeux. » L’art urbain prend ici toute sa dimension : universelle et transfrontière. ■ Catherine Faye elseed-art.com AFRIQUE MAGAZINE

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EL SEED/ELSEED-ART.COM - MAHDI KHMILI

MADE IN AFRICA

Les créations d’eL Seed, qui s’affichent sur les bâtiments de villes du monde entier, s’inscrivent dans une démarche d’abord humaniste.


AGENDA JUSQU’AU 20 AOÛT

Ziva, l’école qu’il a créée à Harare, l’une des seules sur le continent à enseigner le graphisme.

Festival international de Hammamet Encore une quinzaine de soirées pour découvrir des chanteurs, auteurs et créateurs comme Alia Sellami et Souad Ben Slimane, Abdulrahman Mohammed, Rochdi Belgasmi… Ou encore Bourguiba et les femmes, docu-pièce de M. R. Farhat qui rend hommage aux figures de l’émancipation féminine.

Théâtre de Plein Air, Hammamet (Tunisie)

graphisme SAKI

TOMMASO RADA/4SEE-RÉA

MAFUNDIKWA, OU L’ABC DE L’ART « JE SUIS RENTRÉ chez moi après vingt années passées aux États-Unis. L’Afrique m’a rappelé. » Saki Mafundikwa, 61 ans, n’en démord pas : la créativité africaine doit puiser dans ses sources et ses racines pour y trouver ses influences. Visionnaire et affable, le graphiste designer zimbabwéen, diplômé d’un master en arts plastiques à l’université de Yale, est encore directeur artistique à New York lorsqu’il décide de fonder, en 1999, une école d’art graphique à Harare. Elle s’appellera Ziva, un acronyme pour Zimbabwe Institute of Vigital Arts, qui signifie aussi « connaissance » dans la langue shona. Pourquoi « vigital » ? Le mot, qu’il a inventé, se réfère aux outils digitaux appliqués aux arts visuels. Cette école est l’une des rares en Afrique à enseigner le design et accueille des élèves qui viennent aussi bien de Tanzanie, du Kenya, du Soudan que du Mozambique ou de Zambie. Son ambition ? Créer un nouveau langage visuel basé sur l’héritage syllabaire et symbolique africain. L’auteur d’Afrikan Alphabets: The Story of Writing in Afrika (« Les Alphabets africains : histoire de l’écriture en Afrique ») pose ainsi un regard nouveau et remarqué sur le design et l’art. Et ravive les origines africaines de l’écriture. Stylé et inspirant. ■ Kate Martin www.ziva.org AFRIQUE MAGAZINE

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festivalde hammamet.com

DU 9 AU 11 AOÛT

Festival Ephemere 2016 La 3e édition revient en force pendant trois jours avec toujours plus de musiques électroniques et une dizaine d’expositions d’arts visuels. Les premières éditions se sont déroulées à guichets fermés !

La Playa, Hammamet (Tunisie) ephemere-fest.com JUSQU’AU 18 SEPTEMBRE

Dakar-Martigny : hommage à la Biennale d’art contemporain de Dakar Dak’art et l’art africain contemporain s’exportent à Martigny, en Suisse, où une trentaine d’artistes prennent part à l’aventure. Sculpture, peinture, installations vidéo, musique, cinéma, littérature investiront une dizaine de lieux dont Le Manoir.

Fondation Barry et Musée des sciences de la terre, Martigny (Suisse) manoir-martigny.ch 131


Nafi Diarra, Shade Affogbolo :: mère et fille et… associées. La collection été. Ci-dessous, le modèle Frankie.

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À gauche, gauc ga ucchhe he, e, hhaut ha autt IIphi phhi ; ci-contre, ci i-con -cconntr tre, e robe Valentina. obe V a ennti al tina naa .

Le wax chic en version parisienne Elles créent en France et fabriquent au Bénin. Nafi Diarra et Shade Affogbolo tissent une toile métissée tendance rétro.

MADE IN AFRICA

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dans un atelier de couture au Bénin. La styliste dano-sénégalaise Nafi Diarra, basée à Ouidah, supervise la fabrication, tandis que sa fille Shade Affogbolo, 29 ans, née à Dakar d’un père béninois travaillant dans la finance, dessine et écoule les modèles à Paris, où elle a grandi et étudié le droit et le journalisme. Leurs pièces sont vendues par La Botica (entre 60 à

250 euros), une enseigne multimarque de la rue de Bagnolet. Elle vise à changer les perceptions autour du wax, un tissu chic qui a toute sa place dans les garde-robes parisiennes. Son rêve : lancer une boutique « lifestyle » à Paris, pour faire du wax dans tous ses états : mode, linge de toilette, de table, de lit – et pourquoi pas du papier peint… ■ Sabine Cessou

METTEZ LES VOILES AVEC CES SACS DE PLAGE ◗ Voici des sacs qui ne craignent ni le sable ni l’eau de mer.

Et pour cause : ils proviennent des voiles des boutres, ces barques traditionnelles en bois qui naviguent sur les côtes de l’océan tr Indien. Sur l’île de Lamu (Kenya), Ali Lamu rachète les voiles In abîmées ou déchirées et les recycle en sacs de plage. Et avec ab le pécule, les pêcheurs peuvent financer l’achat de nouvelles toiles pour leur embarcation. Un système dont tout le monde to profite, même les fashionistas ! ■ alilamu.com pr AFRIQUE MAGAZINE

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JEROME JACK - DR (4)

ash Prints It, une griffe lancée en 2013, revisite le wax hollandais dans des coupes occidentales classiques. Chemises chic, jupes crayon, robes plissées… La sophistication est la marque de fabrique des deux passionnées de couture qui se cachent derrière cette marque qui emploie dix personnes


Grandeur nature

Devenir un pro du safari photo !

Piscine chauffée ou océan vivifiant ? Les deux, mon capitaine !

Partez au Kenya et suivez les conseils de Guillaume Bonn et Gary Knight, chasseurs d’images renommés. ’art de capturer des animaux sauvages avec un… objectif ne s’improvise pas. Même le meilleur des matériels ne remplacera jamais un œil aiguisé, comme celui de Guillaume Bonn. Né à Madagascar, ce photographe a passé pas moins de vingt-trois ans au Kenya. Il se définit lui-même comme un « Africain blanc », et a été publié par des titres prestigieux, de Vanity Fair à Libération. Avec son partenaire et confrère Gary Knight, il propose de profiter de leur expérience de chasseurs d’images, en vous accompagnant pour un safari unique en pays masaï, une terre à la faune exceptionnelle. Logé dans un campement tout confort – dressé quelques jours avant l’arrivée et démonté après en laissant la nature intacte –, les participants passeront une semaine complète à bénéficier des conseils éclairés de ces mentors, qui expliqueront aussi comment réussir les portraits et les natures mortes. Une journée sera également consacrée aux prises de vue aériennes. Le prochain départ est prévu pour le 5 novembre, mais n’attendez pas trop pour réserver : seuls dix heureux élus s’envoleront pour Nairobi. ■ Loïc Franck garyknight.org/safariworkshop ● guillaumebonn. com/masai-mara.html

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GUILLAUME BONN - DR

Lions, éléphants, girafes… Guillaume et Gary vous montreront comment les immortaliser.

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Maison d’hôtes VILA BEA, TOUT COMME CHEZ SOI Sur la côte Atlantique, partez à la découverte du Maroc tranquille. TANGER AU NORD, RABAT AU SUD… Jusque-là, à exactement 100 kilomètres de ces deux villes, Moulay Bousselham n’offrait que peu d’occasions d’y faire halte. Ici, ce n’est ni la richesse culturelle des villes historiques ni l’exotisme des sites touristiques qui dominent. Plutôt le Maroc de la simplicité, celui d’une région qui se partage entre pêche et culture maraîchère. Vila Bea, ce sont sept chambres, intimes et intimistes toutes tournées vers l’océan et décorées dans le style pop seventies. Depuis son ouverture l’an dernier, cette maison d’hôtes accueille amateurs de repos… comme de repas : avec l’inventive Aïcha aux cuisines, c’est une fusion réussie entre saveurs marocaines et savoir-faire français qui sublime les papilles. Au menu ? Viandes, poissons et légumes du jour en fonction des arrivages au marché avoisinant. Et lorsque vient le soir, autour d’un verre ou d’un thé à la menthe, l’hôte ne peut qu’admirer le soleil qui plonge dans la mer, en plein milieu de l’horizon rougeoyant, comme une invitation à prolonger l’instant. Et vérifier que le temps, ici, peut vraiment suspendre son vol. ■ Hedi Dahmani vilabea.com 133


cinéma

Divines surprises Le film qui a électrisé le dernier Festival de Cannes est signé d’une Franco-Marocaine qui n’a pas froid aux yeux. Avec Divines, Houda Benyamina et ses actrices se jouent avec fougue des codes de la virilité, et ouvrent un peu plus le cinéma français aux comédiens noirs et arabes…

«T

alcoolique (jouée par la comédienne marocaine Majdouline Idrissi) et son oncle… travesti. Tête brûlée, elle rêve d’une autre vie et fait les quatre cents coups avec sa copine black obèse Maïmouna (Déborah Lukumuena), attachante et pleine d’esprit. Il y a aussi un beau gosse de la cité (Kevin Mischel) qu’elles matent depuis les cintres d’un théâtre lorsqu’il vient répéter, torse nu et musclé, avec une troupe de danseurs… Sur leur chemin, les deux ados croisent une dealeuse, black elle aussi, à qui tout réussit : Rebecca (Jisca Kalvanda), qui mène les hommes à la baguette et s’éclipse régulièrement en Thaïlande assouvir ses rêves les plus bling-bling. On le voit, tous les codes masculins sont inversés, et si, malgré quelques invraisemblances, le scénario et la mise en scène emportent le morceau, c’est aussi grâce à ce casting issu d’une association où la réalisatrice donne des cours de théâtre. Sa tragédie pleine de fureur, de rires et d’énergie démontre qu’elle sait capter les talents les plus bruts pour les faire briller à l’écran. ■ Jean-Marie Chazeau

NIVIÈRE/VILLARD/SIPA

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’as du clito », a lancé Houdia Benyamina, reconnaissante, au sélectionneur qui l’avait choisie. C’était en mai dernier, en clôture du Festival de Cannes, recevant la prestigieuse Caméra d’or (meilleur premier film, toutes sélections confondues). La réalisatrice franco-marocaine reprenait ainsi une des répliques de son film, inversant l’expression bien connue où des attributs plus masculins soulignent un comportement courageux… Heureuse et surprise, entre deux jurons et une phrase en darija (arabe dialectal marocain) pour sa maman, avant un puissant youyou, elle a lancé : « On est là, quoi, on est là ! » Car Divines, c’est d’abord ça : des filles de banlieue parisienne qui se prennent en main et parviennent à crever le fameux plafond de verre qui, en France, trop souvent, freine quiconque n’a pas la bonne couleur, la bonne adresse, la bonne ascendance… ou le bon vocabulaire. Il y a d’abord Dounia (Oulaya Amamra), boule de nerfs et de désirs, qui vit dans un camp rom avec sa mère

La réalisatrice, accompagnée de ses « girls », a remporté la Caméra d’or à Cannes.

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DU 16 AU 21 SEPTEMBRE

10e édition du Festival international du film de femmes

LA HOUSE DU TOWNSHIP À EN CROIRE LES ÉLECTRO aficionados ou autres house danseurs, Musica da Terra, le premier album du collectif Batuk, est lumineux. Convoquant plusieurs traditions et langues du continent africain, l’afro-house sort de son township et envoie ses longues transes techno mâtinées de percussions tribales dans un Batuk, Musica da bourdonnement répétitif sur lit de textes engagés. Si Terra (Teka-Believe). on ajoute à cette rythmique obsédante la voix épicée de l’énergique Carla Fonseca, alias Manteiga, artiste mozambico-sudafricaine, on bascule instantanément dans la planète explosive de ce collectif subversif. Mené de main de maître par deux stars de l’électro sudafricaine, les producteurs Spoek Mathambo et Aero Manyelo, le groupe s’est enrichi de talents comme la performeuse Nandi Ndlovu, le multiinstrumentiste ougandais Giovanni Kiyingi ou encore le rappeur congolais Lebon. Ensemble, ils se font le porte-parole de la jeunesse post-apartheid des townships, une jeunesse hyperconnectée dans un pays en pleine explosion créative. Les barrières tombent sous l’emprise d’un maelström de boîtes à rythmes et de tambours. Et les revendications frappent juste. ■ C.F.

Salé (Maroc) fiffs.ma DU 22 AU 25 SEPTEMBRE

Tanjazz La 17e édition du Festival de jazz de Tanger, l’un des grands moments musicaux du Maghreb, prend ses quartiers dans toute la ville en proposant cette année une affiche essentiellement féminine. Avec, entre autres, la flûtiste Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance, la pianiste AyseDeniz Gokcin et la jeune multiinstrumentiste Esinam Dogbatse.

Tanger (Maroc) tanjazz.org

musique BATUK,

Des documentaires et des fictions, le cinéma français comme invité cette année… Un festival organisé par l’association Bouregreg, qui fête ses 30 ans et travaille au développement socio-économique et culturel de Salé, dans des valeurs d’ouverture, de tolérance et de respect de l’autre.

SON PÈRE, SON HÉROS

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◗ Kidi est journaliste et auteure. C’est aussi la fille

Mon royaume pour une guitare, de Kidi Bebey, éd. Michel Lafon.

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du célèbre guitariste camerounais Francis Bebey, disparu il y a quinze ans. Elle livre ici un roman original, à travers un exercice périlleux : réécrire la vie de son père, la vraie et la rêvée, en comblant les vides par son imagination. De l’enfance de ce fils de pasteur né au bord du Wouri à l’explosion de sa carrière sur la scène du Carnegie Hall, en passant par la rencontre avec sa mère, l’exil, la mort du frère aîné, les relations complexes avec la terre d’origine… C’est le portrait incroyablement humain d’un père, d’une famille, d’un Cameroun des années 1960 et d’une indépendance acquise dans la douleur. Et surtout, une reconstruction de soi, à travers une écriture gaie et poétique. ■ E.P. 362 – AOÛT – SEPTEMBRE 2016

JUSQU’AU 16 OCTOBRE

Exposition hommage au Bénin Les communs du château de Tanlay, l’un des plus beaux spécimens de l’architecture de la Renaissance, accueillent les œuvres de vingt artistes contemporains béninois dont Kossi Aguessi.

Tanlay (France) lyonne.fr 135


petite sœur quand on entendit une voix de stentor qui semblait descendre des nuages : « Gardien ! Ouvre ce portail ! Je viens voir mon neveu. » Mon père, qui lisait sur la terrasse, avait vite compris et dit à ma mère : « Ça, c’est tonton Phiphi », avant d’aller lui ouvrir lui-même. À peine était-il entré qu’il nous souleva de terre ma sœur et moi comme de la paille en nous serrant dans ses bras : « Mes bébés ! » Il ne nous appellera jamais autrement que « mon bébé », y compris mes parents d’ailleurs. Sur le coup, j’étais aussi fasciné qu’effrayé par le personnage, mélange indéfinissable d’anar, de gros ours hirsute, de bon vivant et de conteur hors pair. Souvent je restais à côté de mes parents pour l’écouter parler. Non pas (1935-2016) que je suivais toujours ce qu’il disait, mais surtout pour la musique qu’était sa Acteur et cinéaste, il a été l’un des fondateurs du 7e art voix, si grosse, si chaude et rocailleuse. Car, la plupart du temps, il parlait gabonais. Son petit-neveu, Mariki Telmedji, stagiaire chez en omyènè avec mon père. Et, à voir AM au cours de ce mois de juin, dresse un portrait spontané. l’air de mon père et la truculence des accents de tonton Phiphi, j’imaginais l avait fait lourd et orageux à dans le très éphémère gouvernement que le propos devrait être plus grivois Paris en ce mardi 7 juin 2016. révolutionnaire issu du coup d’État qu’autre chose ; ce que me confirmera Mais, c’est du Gabon que viendra de 1964 contre Léon Mba. Ensuite, bien plus tard mon père. D’une le coup de tonnerre qui me direction la prison dont il sortira franchise déconcertante, je l’ai entendu laissera complètement sonné en début à l’arrivée d’Albert-Bernard Bongo plus d’une fois qualifier tel d’idiot fini de soirée : Philippe Mory, père du pour se remettre au cinéma, des deux et tel autre de cloporte sans montrer le cinéma gabonais, venait d’écrire son côtés de la caméra. moindre signe d’énervement ou même dernier scénario en mettant un terme Tout ayant déjà été dit et écrit sur de haine. Bon vivant, il vivait à fond. à son pèlerinage dans le monde cet homme exceptionnel depuis sa Un jour que mon père lui demandait des vivants. Quel destin que celui terrible disparition, je me contenterai comment il allait, il répondit : de tonton Phiphi ! ici d’un simple témoignage personnel. « Mon bébé, tonton Phiphi vit peinard Né des amours morganatiques J’ai un peu connu Philippe Mory, que dans cette chienne de vie ! » d’un forestier français et d’une j’ai eu l’immense privilège de côtoyer Face au choc de la violence Gabonaise, Philippe Mory croisera vite sur le tournage de L’Ombre de Liberty, de sa mort, je me suis consolé en me sur son chemin souffrance, bonheur, d’Imunga Ivanga, en 2006, dans lequel disant que le vieux Ghalwa joie et peine, et les affrontera avec je tenais un tout petit rôle. Un Le film qui a lancé (comme il se désignait la même détermination et la même talent naturel. Un jeu d’acteur sa carrière… souvent) avait, jusqu’au légèreté de l’artiste et du saltimbanque fluide et une extraordinaire bout, voulu être le seul à qu’il sera toute sa vie. Parti faire humanité le caractérisaient décider de sa vie. C’était des études « sérieuses » en France, il sur le plateau. Mais je n’ai un homme, un vrai : finira acteur et cinéaste. Après s’être pas attendu ce tournage pour Onom’onom’iyé, en omyènè. révélé au public français dans On connaître tonton Phiphi. Un homme unique. n’enterre pas le dimanche, de Michel C’était un samedi D’ailleurs ne s’appelait-il pas Drach, en 1959, il regagnera son après-midi, au début des Mory, qui signifie, en effet, Gabon natal l’indépendance venue, années 2000. J’avais 10 ou en omyènè, « un, unique » ? ■ et se retrouvera peu après ministre 12 ans et jouais avec ma

Hommage

Philippe Mory

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Au carrefour de l’Afrique, du monde arabe et de l’Asie

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Élégant, smart, mais restant décontracté en toutes circonstances, le style preppy, né sur la côte Est des États-Unis, rencontre toujours autant de succès. Démonstration de rentrée pour les lectrices et lecteurs. PAR MYRIAM RENARD

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pages dirigées par Danielle Ben Yahmed

VIVRE MIEUX

VERRUES À CHACUN SON REMÈDE

ET AUSSI endométriose Quand la muqueuse de l’utérus prolifère… p. 142 tension artérielle Se méfier de l’effet « blouse blanche » p. 144 petite enfance Gérer l’arrivée des premières dents p. 145 140

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ausées par des papillomavirus, les verrues sont des lésions cutanées bénignes mais contagieuses, qui se traduisent par des excroissances de la peau, de la même couleur que celle-ci, ou un peu plus foncée. Elles siègent la plupart du temps sur les mains, où elles apparaissent plutôt en relief, et sous les pieds, où elles forment comme une minipastille. Signe caractéristique : elles écartent les empreintes digitales ou stries de la peau et, donc, les « effacent », ce qui permet de les distinguer d’autres lésions telles que les durillons ou les

callosités. Avec le temps, les verrues peuvent s’épaissir, durcir, et devenir douloureuses. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas un manque d’hygiène qui favorise la contamination puisqu’il s’agit d’un virus. Certaines personnes sont d’ailleurs plus réceptives que d’autres, particulièrement en cas de grande fatigue ou de stress. Les facteurs de risques sont multiples, mais c’est principalement en marchant pieds nus dans des lieux chauds et humides (piscines, douches publiques, vestiaires) que les verrues plantaires pourront

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Sprays, azote ou simple sparadrap : débarrassez-vous durablement de ces affections virales.

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REMÈDES Les verrues peuvent guérir spontanément : on estime ainsi que la moitié disparaît au bout d’un an, et les trois quarts en deux ans. Pour des questions de contagion et par souci esthétique, on évite en général d’attendre ce laps de temps, d’autant que cela peut s’avérer douloureux quand on marche, en cas de verrues plantaires. Appliquer un simple sparadrap sur la verrue est une méthode possible. Changé une fois par jour pendant quelques semaines, il modifie l’environnement de la lésion, crée une macération défavorable aux virus, et peut ainsi être efficace. Il existe des produits à base d’acide salicylique qui ramollissent la peau et favorisent sa desquamation. Veillez à les appliquer uniquement sur la lésion, sans déborder sur la peau saine. Pour les verrues plantaires, « encastrées » dans la peau du pied, plus épaisse, il est préconisé de frotter doucement avec du papier de verre très fin avant l’application. On évitera la pierre ponce ou la lime en métal, difficiles de nettoyer et qui exposent à un

risque de nouvelle contamination. Ces traitements sont assez contraignants, car ils doivent être appliqués quotidiennement. Autre possibilité en matière d’automédication : les sprays de cryothérapie, qui brûlent la verrue par le froid. Un traitement utilisable chez les enfants, mais qui peut picoter un peu. Son avantage : il nécessite seulement une à trois applications. Lorsque ces solutions ne donnent pas de résultats au bout de la durée indiquée, il est mieux de consulter un dermatologue. Selon les cas, celui-ci «brûlera » la lésion à l’azote liquide (froid plus intense que le spray utilisé à la maison) et/ou prescrira une préparation d’acide salicylique plus concentrée que les produits vendus sans ordonnance. En cas d’échec, un traitement au laser pourra alors être envisagé. ■ Julie Gilles

Astuces de grand-mère Si leur efficacité n’est pas toujours prouvée, des solutions alternatives existent. Ainsi, vous pouvez frotter la verrue tous les soirs avec de l’ail, de l’oignon, de la pomme de terre, un clou de girofle, du citron… Mais les résultats restent relatifs. En revanche, la chélidoine, ou herbe à verrues, plante courante à la campagne, a fait ses preuves, grâce aux propriétés antimitotiques contenues dans le suc de la tige, qui sont très invasives. Attention, toutefois, à ne pas en abuser et à éviter sur une peau saine !

endométriose

Quand la muqueuse de l’utérus prolifère… Méconnue, cette affection gynécologique qui touche une femme sur dix est diagnostiquée souvent tardivement.

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ette maladie chronique, dont les causes restent mal connues, se caractérise par le développement de muqueuse utérine, ou endomètre, ailleurs que dans l’utérus. Ces cellules migrent principalement vers les trompes, les ovaires, le rectum et la vessie. Lors des cycles menstruels, elles se mettent à proliférer sous l’effet des stimulations hormonales, qui forment des lésions pouvant aboutir à la stérilité chez trois à quatre femmes sur dix.

L’endométriose entraîne de fortes douleurs abdominales lors des règles, des symptômes qui apparaissent ordinaires et qui n’alertent pas comme ils le devraient, y compris les médecins. C’est une des raisons du retard de diagnostic. D’autres troubles doivent faire suspecter l’existence de cette maladie : des règles abondantes et longues, des douleurs chroniques au bas-ventre, parfois des souffrances en allant à la selle, ou encore des rapports sexuels douloureux.

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VIVRE MIEUX

apparaître, la peau humide ramollie se laissant plus facilement « attaquer », ou par contact de la main. Il est donc recommandé de rendre quelques précautions. À la piscine, il est conseillé de se laver les pieds au savon, de bien les sécher, et surtout d’éviter de marcher pieds nus. Pour les personnes sujettes à ces infections, il existe désormais un spray efficace (Excilor, lab. Vemedia), qui crée un film polymère non collant, constituant une barrière contre les verrues pendant 8 heures (et qui protège simultanément des mycoses). Attention toutefois aux lésions pouvant se propager par auto-inoculation : en se grattant, on risque de propager le virus sur les zones voisines.


QUESTIONS BIEN-ÊTRE Quelle différence entre sucre blanc et sucre roux ?

L’accumulation de tissu cicatriciel dû aux inflammations répétées est la cause des douleurs au bas-ventre dont souffrent la plupart des femmes atteintes d’endométriose. ADHÉRENCES

Le diagnostic est effectué grâce à un examen clinique et échographique, voire une IRM, qui localise précisément les lésions, et surtout une cœlioscopie, permet de visualiser l’intérieur de la cavité abdominale (sous contrôle vidéo), et de réaliser des prélèvements pour analyse.

ENDOMÉTRIOSE

UTÉRUS

OVAIRE

TROMPE DE FALLOPE

Les adhérences qui se forment sur TRAITEMENTS les trompes et les ovaires nuisent à la mobilité des trompes, avec des conséquences Plusieurs options de traitement sur la fertilité. sont possibles. Lorsqu’il n’y a un traitement hormonal provoquant pas de désir de grossesse, la prise comme une ménopause artificielle, d’une pilule contraceptive en peut être envisagé. continu ou la pose d’un stérilet En cas de désir d’enfant, hormonal, sont le plus généralement ou lorsque les lésions sont très préconisés. Ces contraceptions importantes, le recours à la chirurgie bloquent le cycle menstruel, s’impose, grâce à une technique pouvant diminuer notablement au laser ou basée sur la chaleur, afin les souffrances ainsi que la taille de préserver le tissu sain. ■ J.G. des lésions. Si cela ne suffit pas,

EN BREF FOTOLIA - DR (2)

◗ BANDE ANTI-SAIGNEMENT

Une coupure au doigt est vite arrivée, et cela saigne beaucoup… Ingénieuse, cette bande auto-adhérente s’enroule facilement, tient parfaitement autour de la plaie et stoppe aussitôt le saignement. Urgo S.O.S. coupures, en pharmacie. AFRIQUE MAGAZINE

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Les deux proviennent de la canne à sucre ou de la betterave sucrière. La différence réside dans le traitement, ou raffinage. Le sucre blanc est totalement purifié, ce qui le prive de tous ses éléments nutritifs, contrairement à son cousin roux, moins raffiné, qui conserve plus de nutriments.

Que faire contre les troubles avant les règles ? Irritabilité, humeur dépressive, fatigue, sensation de gonflements, douleurs dans les seins… Ces symptômes s’expliquent en grande partie par un déséquilibre hormonal à ce moment-là. Parlez-en à votre médecin, il peut agir avec divers traitements : anti-inflammatoires et antidouleurs, diurétiques contre les gonflements, gel à la progestérone pour la tension mammaire, magnésium contre la déprime, la fatigue… Et faites de l’exercice : il améliore l’humeur et diminue les douleurs.

Faut-il éviter de boire de l’eau en mangeant ? Contrairement à l’idée communément répandue, cela ne perturbe pas la digestion. Au contraire : l’eau rend les aliments plus mous, donc plus facilement assimilables par les sucs digestifs. Cela permet aussi de réguler l’acidité produite par l’estomac et de limiter le risque de reflux, de ballonnements. 143


tension artérielle SE MÉFIER DE L’EFFET « BLOUSE BLANCHE »

À LIRE Foin des idées reçues ! La crise de foie existe-t-elle ? Les poils repoussent-ils plus drus quand on les coupe ? Faire l’amour diminue-t-il le risque de cancer de la prostate ? Plus de 200 croyances ou idées reçues sont passées au crible dans cet ouvrage. Le vrai du faux y est démêlé (car il y a des vérités !), avec des réponses sérieuses ou légères, données récentes de la recherche scientifique à l’appui. Tant qu’on a la santé, par le Pr Jacques Belghiti et Annette Vezin, éd. Fayard, 19 euros.

EN BREF ◗ FINIES LES ALLERGIES DE CONTACT !

C’est le premier produit au monde qui protège les peaux allergiques aux métaux tels que le nickel, le chrome ou 144

Abécédaire de la santé

le cobalt. Un désordre du système immunitaire qui affecte plus d’une personne sur dix, chez qui bijoux fantaisie, montres, boutons de jeans, pièces de monnaie, téléphones portables, tablettes ou ordinateurs entraînent rougeurs, picotements, démangeaisons et irritations. La crème protectrice HPS Skintifique capture les métaux à la surface de l’épiderme, réduisant ainsi leurs effets néfastes. En pharmacie et sur skintifique.me

Par ordre alphabétique, l’auteur dresse un bilan sur les maux courants : problèmes de dos, de sommeil, jambes sans repos, sédentarité… Ou sur des maux plus spécifiques : cholestérol, diabète, problèmes de prostate, ostéoporose, Zika. À partir des dernières découvertes de la médecine auxquelles souvent les médecins de famille n’ont pas encore eu accès, il livre des conseils très pratiques pour que le lecteur puisse agir sur sa santé. Dico-guide de votre santé, par le Dr Damien Mascret, éd. Leduc.s, 17 euros.

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FOTOLIA - THIERRY LEGAY

VIVRE MIEUX

LA RÉACTION DE STRESS provoquée par l’examen médical, appelée syndrome de la « blouse blanche », est un phénomène assez courant, en particulier chez les personnes âgées, les femmes et les jeunes. En effet, lorsque la pression sanguine est mesurée par un professionnel de santé, elle peut s’élever de manière artificielle puis revenir à la normale dès que le patient sort du cabinet. Or il peut s’agir dans ce cas d’un résultat trompeur pouvant conduire à des prescriptions inutiles. Comment savoir, alors, de manière certaine si les chiffres de 14/9 ou davantage traduisent réellement un problème d’hypertension ? Pour confirmer le diagnostic de cette maladie, il est recommandé aux médecins de renouveler le contrôle lors de trois consultations différentes. Seulement, si le même effet « blouse blanche » se reproduit à chaque fois, les données resteront trompeuses… Il existe des solutions pour contrer ce problème. D’abord, l’automesure à domicile (les médecins prêtent parfois des appareils). En pratique, le patient prend sa tension lui-même, en position assise, avec trois mesures réalisées deux fois par jour (matin et soir) pendant trois jours consécutifs. Autre option : les médecins peuvent proposer un holter tensionnel, pratiqué par un petit appareil portatif (nommé également holter) qui enregistre la tension par prises automatiques sur vingt-quatre heures : un examen très fiable qui permet de vérifier le caractère permanent des chiffres élevés ou, au contraire, de les démentir. ■ Annick Beaucousin


petite enfance

Gérer l’arrivée des premières dents Votre tout-petit est grognon, a tendance à baver, dort et mange mal… Ce sont peut-être les signes avant-coureurs de poussées dentaires. Heureusement, il existe de nombreuses solutions pour l’aider à passer ce cap.

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otre bébé salive et mordille beaucoup, est irritable et agité, montre une baisse d’appétit, dort mal, a les gencives sont enflammées, les joues rouges et les fesses irritées, pas d’affolement, ce sont les symptômes facilement identifiables et nombreux de poussées dentaires. Les premières dents, ou dents de lait, apparaissent en général entre 4 et 7 mois. Ce sont d’abord les incisives du bas qui sortent, puis celles du haut. Viennent ensuite les incisives latérales, les molaires et les canines. La durée de la poussée dentaire et l’ordre d’apparition des dents peuvent varier d’un bébé à un autre. À 3 ans, l’enfant est censé posséder ses vingt premières dents. C’est dire si tout-petit aura à subir de longs mois d’inconfort !

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Les poussées dentaires ne provoquent pas ni fièvre (la température ne dépasse pas 38°), ni de dégradation de l’état général ou de diarrhées. Si l’enfant semble vraiment malade, il est recommandé de consulter car la cause est souvent autre : otite, angine…

De multiples solutions sont à votre disposition pour soulager votre enfant. Vous pouvez lui proposer un anneau de dentition à mordre, préalablement réfrigéré car le froid anesthésie (évitez le congélateur car l’anneau sera trop glacé), et des plats froids adaptés à l’âge (compotes, yaourts), ou encore lui masser les gencives avec un doigt bien lavé ou avec un linge propre et humide. Il existe de multiples gels pour poussées dentaires, mais ceux qui contiennent un anesthésiant sont à éviter : le toutpetit peut les ingérer, ce qui aura pour conséquence de diminuer le réflexe de déglutition permettant d’avaler. Un produit novateur, Hyalugel Premières Dents (lab. Expanscience), est arrivé récemment sur le marché : à base d’acide hyaluronique (présent dans la muqueuse gingivale), il adhère aux gencives et forme un film invisible. Son action anti-œdème et réparatrice, grâce à ses propriétés anti-inflammatoires, réduit la douleur et favorise la cicatrisation. Le paracétamol (dose adaptée au poids) peut aussi être d’un grand secours. Certains remèdes sont à proscrire. Ainsi, évitez les légumes ou fruits crus à mordre, susceptibles de rester coincés dans la gorge. Ne tentez pas non plus de percer la gencive ni de la frotter avec de l’alcool. Enfin, il est déconseillé de recourir à un collier de dentition type collier d’ambre, ou à des biscuits sucrés qui ne soulagent pas. ■ A.B.

EN BREF ◗ MÉDICAMENTS INFANTILES

Ce site d’information et de conseils comporte un dossier pratique et très complet pour les parents : comment s’y retrouver parmi les différents traitements, comprendre la notice ; que faire si l’enfant refuse un médicament ; quelles sont les erreurs à éviter…

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Une rubrique pour les enfants répond aussi à leurs questions. Le tout validé scientifiquement. sparadrap.org 145


1. Votre objet fétiche ? Un marque-page en argent offert par Jean d’Ormesson. 2. Votre voyage favori ? On peut faire le tour du monde et ne se sentir bien que chez soi. À Paris ou à Tunis, mes deux capitales de cœur.

4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Ma tenue de sport. Où que je sois, je cherche la salle de sport, c’est ma seule habitude et ma terrible contrainte aussi pour rester en forme ! 5. Un morceau de musique ? Le dernier album de Paul Simon Stranger to Stranger, un mélange de jazz, folk, rock, afrobeat. 6. Un livre sur une île déserte ? De la poésie, je regrette de ne pas en lire suffisamment ; René Char, par exemple. 7. Un film inoubliable ? Un vieux film de Spike Lee qui ressort en salles cet été, Do the Right Thing, à voir et à revoir pour mieux comprendre l’Amérique. 8. Votre mot favori ? « Liberté », car c’est la base de tout. 9. Prodigue ou économe ? Fourmi pour moi et cigale pour les autres et les miens, que j’essaye de gâter.

les 20 questions SONIA MABROUK Journaliste, 38 ans.

Celle qui se destinait à l’enseignement est passée par la rédaction de Jeune Afrique avant de devenir la présentatrice du journal télévisé sur la chaîne nationale française Public Sénat. Aujourd’hui à la fois sur cette chaîne et sur Europe 1, cette passionnée d’art, née à Tunis, est aussi à l’origine de l’Association des musées méconnus de la Méditerranée, fondée avec le mécène Marc de Lacharrière en 2010. PAR LORAINE ADAM

attachée au crayon et au papier pour les grandes occasions !

12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? 11. Twitter, Facebook, Tout relativiser. Nul e-mail, coup de fil ou lettre ? besoin de partir loin pour Plutôt twitterophile à la limite s’éloigner des soucis. Il de l’addiction mais je reste suffit de penser à l’essentiel. 10. De jour ou de nuit ? Les deux, mon général !

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13. Votre extravagance favorite ? Une collection de baskets de toutes les couleurs qui égaye mon dressing ! 14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Professeur, et je le suis devenue, avant d’être happée par le journalisme. AFRIQUE MAGAZINE

15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? J’en fais tous les jours grâce à mes invités TV ou radio, j’ai beaucoup apprécié l’échange que j’ai eu récemment avec l’acteur Niels Arestrup. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Aux plats de ma mère à Paris et à ceux de ma grand-mère en Tunisie !

17. Votre plus beau souvenir ? Tous ceux qui viennent ! Je n’aime pas l’idée de choisir le plus beau souvenir car j’espère toujours que l’avenir m’en réserve de nouveaux et plus beaux encore… 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? J’y vis, ici, à Paris. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Celle qui me ferait rougir si je vous en parlais… 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Ce questionnaire, bien sûr ! ■ I

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W. SIMITCH/CAPA PICTURES POUR PUBLIC SÉNAT

3. Le dernier voyage que vous avez fait ? L’ Égypte pour tourner un documentaire sur le musée copte du Caire.




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