AM 370 de Juillet 2017

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www.afriquemagazine.com

N o 3 7 0 -

AFRIQUE MAGAZINE - JUILLET 2017

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE AQUE CHAQUE OIS MOIS

Côte d’Ivoire

Scénarios

pour maintenant et… 2020 ! Enjeux Les nouvelles batailles du Golfe

Interview

Hervé Bourges

Une passion africaine

RWANDA

ENQUÊTE SUR LE MODÈLE

KAGAME IL SERA À NOUVEAU CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE LE 4 AOÛT PROCHAIN. RETOUR SUR UN LONG RÈGNE CONTROVERSÉ.

Maghreb L’invasion du made in Turkey

+

Et aussi

Les Jeux de la Francophonie, l’humour de Oualas, les sons de Tony Allen, les réponses de Sianna N° 370 – JUILLET 2017

M 01934 - 370 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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ÉDITO par Zyad Limam

LES DEUX

O

PRINCES

n les appelle souvent par leurs acronymes : « MBS » et « MBZ ». Ils ont en commun une latitude de souverains alors qu’ils n’en ont pas encore le titre. Mohammed Ben Salman, 31 ans, fils du roi Salman d’Arabie saoudite et nouveau prince héritier (depuis le 21 juin). Et Mohammed Ben Zayed Al Nahyan, 56 ans, ruler d’Abou Dhabi et patron de facto de la fédération émiratie depuis les ennuis de santé de son demifrère l’émir Khalifa. Ils sont bien décidés à remodeler la carte de la péninsule arabique. Dans leur ligne de mire, l’Iran chiite, l’islamisme politique et ses différentes branches (Frères musulmans en particulier). Ils ont déjà une guerre sur les bras, celle du Yémen, avec pour objectif de faire reculer les milices houthistes, perçues comme des agents de Téhéran. Et où l’intervention se solde avant tout par une véritable tragédie humanitaire et bien peu de résultats stratégiques. Depuis le 5 juin dernier à l’aube, ils ont ouvert un nouveau front. Ce jour-là, l’Arabie saoudite et les émirats (suivis par Bahreïn, l’Égypte et d’autres) imposaient au Qatar un véritable blocus politique et économique (voir p. 28). Les princes pensent avoir le soutien de Donald Trump, l’imprévisible président américain, reçu avec faste à la cour du roi Salman, et bien connecté dans les milieux d’affaires émiratis. Leurs relations sont complexes. MBZ est l’aîné, disons « le leader ». Il a une formation et une expérience de pilote de chasse. Une expérience militaire qui fait défaut au « jeune » MBS, élevé dans les palais. MBZ, c’est aussi le chef d’une fédération qui a largement entamé la modernisation de son économie et le post-pétrole. Les émirats sont enfin un lieu unique d’expérimentation sociale, de fusion entre la culture orientale, les codes du Golfe et les paramètres occidentaux. Y compris sur le droit des femmes. Autant d’évolutions majeures absentes dans une Arabie saoudite sclérosée, intoxiquée à l’or noir, crispée sur ses fondamentaux archaïques. À Abou Dhabi, il y a une volonté de soutenir cette Arabie chancelante. MBS a lancé mi-2016 un plan de modernisation dénommé « Vision 2030 ». Mais au Royaume des Saoud, les résistances sont immenses. Et la possibilité d’un changement en douceur, planifié, relève du défi majeur. Le prince héritier n’est pas lui-même à l’abri d’une contestation, y compris à l’intérieur de sa famille. L’affaire qatarie est venue souligner les limites de ce double volontarisme. La position maximaliste de Riyad et Abou Dhabi n’a pas (encore) fait plier Doha. Le dossier saoudien sur le financement du terrorisme est franchement bien faible. Le Qatar résiste, à ce jour, aux ultimatums, et la situation provoquerait même un regain de sympathie à l’égard de la famille Al Thani, « fondatrice », après tout, de la chaîne Al Jazeera . Le soutien de Donald Trump a été fragilisé par les contre-déclarations du département d’État et les objections du département de la Défense. Les princes ont sous-estimé la réaction de l’Iran (prévisible) et de la Turquie (surprenante). Oman et le Koweït apparaissent soucieux de se protéger des volontés hégémonistes du duo. L’enlisement se profile comme la seule option, enlisement favorable avant tout à la position iranienne. Une question iranienne qui sera loin de disparaître de l’agenda. Dans la plupart des pays du Golfe, au sein des Émirats arabes unis, en particulier à Dubaï (où le silence de « Cheikh Mo » est notable), le débat est discret, mais réel. Faut-il s’aliéner l’Iran, voisin immense et incontournable, à quelques encablures, peuplé de plus de 80 millions d’habitants, avec ses potentialités économiques ? Le tout au bénéfice d’une alliance avec une Arabie crispée, en transition douloureuse, tentée par une mise au pas globale de sa sphère d’influence… ? Économiquement, culturellement, géographiquement, on voit mal comment le choix de l’un contre l’autre serait durablement possible. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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370 – JUILLET 2017

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p. 36 p. 52

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SOMMAIRE

JUILLET n°370

AFRIQUE MAGAZINE

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

EN VENTE CHAQUE MOIS

+Et aussi

Rwanda

Côte d’Ivoire

sur la méthode

pour maintenant et… 2020

Enquête

L’invasion du made in Turkey

Kagame

Scénarios

Hervé Bourges, l’humour de Oualas, les sons de Tony Allen, les réponses de Sianna

À Doha, la capitale.

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JUILLET 2017

M 01934 - 370 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

Rwanda

Enquête sur la méthode Kagame Maghreb

L’invasion du made in Turkey

Qatar

La nouvelle bataille du Golfe

Et aussi Un dossier spécial Jeux de la Francophonie, l’humour de Oualas, les sons de Tony Allen, les réponses de Sianna

Amadou Gon Coulibaly.

N° 370 – JUILLET 2017

M 01934 - 370 - F: 4,90 E - RD

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Musique : ce que l’on va aimer cet été

12

Agenda : Le meilleur de la culture PARCOURS Oualas

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EN VENTE AQUE CHAQUE OIS MOIS

Côte d’Ivoire

pour maintenant et… 2020 !

50

Les nouvelles batailles du Golfe

Interview

Hervé Bourges

RWANDA

KAGAME IL SERA À NOUVEAU CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE LE 4 AOÛT PROCHAIN. RETOUR SUR UN LONG RÈGNE CONTROVERSÉ.

Maghreb L’invasion du made in Turkey

Et aussi

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N° 370 – JUILLET 2017

M 01934 - 370 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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PORTFOLIO Le corps, l’effort, le sport

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98

VINGT QUESTIONS À... Sianna

Pouvoir Côte d’Ivoire : Scénarios pour maintenant et pour… demain ! par Zyad Limam

42

Enquête Maghreb, la vague turque par Frida Dahmani, Hedi Dahmani et Abdeslam Kadiri

52

Tony Allen

par Hedi Dahmani

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PHOTOS DE COUVERTURE : QATAR : ANA NANCE/REDUC/RÉA CÔTE D’IVOIRE : VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA RWANDA : LUC GNAGO/REUTERS

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par Loraine Adam

+

Les Jeux de la Francophonie, l’humour de Oualas, les sons de Tony Allen, les réponses de Sianna

CE QUE J’AI APPRIS

Enjeux Qatar : la nouvelle bataille du Golfe par Akram Belkaïd et Julien Wagner

C’EST COMMENT ? Tournons le dos à Donald par Emmanuelle Pontié

Scénarios Enjeux

28

par Astrid Chacha

17

Perspectives Rwanda : une élection jouée d’avance par Saith Kroub et Sabine Cessou

par Sophie Rosemont

04/07/17 16:55

ENQUÊTE SUR LE MODÈLE

18

Écrans : Addi Bâ, tombé pour la France

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AFRIQUE MAGAZINE

Une passion africaine

TEMPS FORTS

par Jean-Marie Chazeau

Henri Konan Bédié.

Le président Alassane Dramane Ouattara.

Guillaume Soro.

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

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CÔTE D’IVOIRE

SCÉNARIOS POUR MAINTENANT ET POUR… DEMAIN !

Livres : Maryse Condé, femme de tête par Catherine Faye

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

ÉDITO Les deux princes par Zyad Limam

ON EN PARLE

QATAR

LA NOUVELLE BATAILLE DU GOLFE Avec la mise au ban de l’émirat richissime s’ouvre une nouvelle séquence des déchirements arabes, révélateurs N° 370 – d’immenses enjeux stratégiques.

3

Analyse Justin Trudeau, le Canada côté soleil par Sylvie A. Briand

58

Interview Hervé Bourges par Hedi Dahmani et Emmanuelle Pontié

par Loraine Adam

AFRIQUE MAGAZINE

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NICOLAS FAUQUÉ POUR AM - JAMES GIAHYUE/REUTERS

Maghreb

370 – JUILLET 2017

04/07/17 20:09


FONDÉ EN 1983 (33e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR GÉNÉRAL ET RÉDACTEUR EN CHEF

zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION

Emmanuelle Pontié

DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

epontie@afriquemagazine.com

Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com

p. 58

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Alexandra Gil RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE EN CHARGE DES ÉDITIONS NUMÉRIQUES agil@afriquemagazine.com

Éléonore Quesnel

p. 71

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

DÉCOUVERTE

sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO

C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, Sylvie A. Briand, Sabine Cessou, Astrid Chacha, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexis Gau, Dominique Jouenne, Abdeslam Kadiri, Saith Kroub, Astrid Krivian, Thalie Mpouho, Sophie Rosemont, Julien Wagner.

CÔTE D’IVOIRE

VIVE LES JEUX! La 8e édition des Jeux de la Francophonie rassemblera 3 000 athlètes et artistes du 21 au 30 juillet à Abidjan. Tour d’horizon avant le coup d’envoi.

DÉCOUVERTE 71

VIVRE MIEUX

Côte d’Ivoire Vive les jeux!

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

La capitale s’est mise aux couleurs de la manifestation.

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

par Julien Wagner

VENTES EXPORT Arnaud Desperbasque TÉL.: (33) 5 59223575 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL.: (33)156821200

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Hammamet, toujours en fête

par Frida Dahmani

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OLIVIER POUR AM

MADE IN AFRICA D O S S I E R R É A L I S É PA R J U L I E N WA G N E R

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afriquemagazine@cometcom.fr COMMUNICATION ET PUBLICITÉ AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)153844181 – Fax: (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT Elisabeth Remy

Fashion : L’été sera africain

par Sophie Rosemont

VIVRE MIEUX 94 96 97

Bien respirer, c’est essentiel pour la santé Chaleur : s’hydrater mode d’emploi Jambes lourdes : ce qui soulage

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 - Fax : (33) 1 40 94 22 32

Carrefours : Cheick Ndiaye, l’assembleur par Loraine Adam

MARCO CASTRO POUR AM - DR (2)

JAMES GIAHYUE/REUTERS

NICOLAS FAUQUÉ POUR AM

AFRIQUE MAGAZINE

AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

p. 92 9

31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL ET DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0219 / I 856 02. Dépôt légal : juillet 2017. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2017.

AFRIQUE MAGAZINE

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Maryse Condé Femme de tête

Qu’est-ce que la RADICALISATION ? En s’inspirant des attentats terroristes de janvier 2015 en France, la grande dame des lettres antillaises revient avec un roman MAGISTRAL. « JE N’AI PAS de maître d’origine, ni père ni mère littéraire. Je me suis faite un peu toute seule et plutôt contre ceux que j’avais lus et que j’avais entendus. Je crois que c’est mieux ainsi. Essayer d’être soi-même. » L’écrivaine prolifique ne s’en laisse pas conter. À 80 ans, elle cultive encore l’esprit de contradiction. Une liberté qu’elle a conquise à la force du poignet. C’est l’essence même de son œuvre, une œuvre considérable et maintes fois primée. Entrée en littérature tardivement, l’auteure de Ségou et de La Vie sans fards trouve son

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inspiration dans les questionnements, quitté son île et longtemps enseigné en les illusions et les désillusions du Guinée, au Ghana, au Sénégal et à monde. Dans ses origines sociales et sa l’université Columbia, à New York, vit propre histoire aussi. Si elle a trouvé aujourd’hui à Gordes, dans le sud de la aujourd’hui une forme de sérénité, France, avec son second mari, Richard son parcours n’en a pas été moins Philcox, traducteur. Maryse Condé chaotique. Née Maryse Boucolon au vibre d’une vigueur et d’une sagesse que sein de la petite bourgeoisie de Pointene semblent en rien altérer l’âge et la à-Pitre, en Guadeloupe, elle grandit maladie. Son dernier roman, Le entre contes de Perrault Fabuleux et triste destin d’Ivan et poèmes de Rimbaud, et Ivana, conte lumineux et d’Apollinaire, de tourmenté, puise sa source Nerval. À 12 ans, elle dans les attentats de Charlie a lu tout Victor Hugo. Hebdo et de Montrouge, Bercée de mots lorsque la policière et de représentations martiniquaise Clarissa littéraires, elle ne Jean-Philippe est abattue s’interroge pas encore par Amedy Coulibaly, en sur sa genèse africaine. janvier 2015. Pour l’écrivain, « Je croyais que les c’est comme si un frère avait Noirs poussaient aux assassiné sa sœur. Elle met Antilles comme les alors en scène des jumeaux, « LE FABULEUX ET goyaves poussent aux en Guadeloupe. Un frère et TRISTE DESTIN goyaviers et les fleurs une sœur aux trajectoires D’IVAN ET IVANA », parfumées de l’ylangcontrariées. « Comme Maryse Condé, ylang aux arbres du JC Lattès, 250 p., 19 €. si elle obéissait à un signal, même nom. Natifs une force invincible assiégea natals. » Elle va bientôt découvrir que les jumeaux. » Le héros, Ivan, sera ses parents sont parvenus dans les îles terroriste. Une destinée entremêlée de la Caraïbe au terme d’une de références à la vie de l’auteur. douloureuse dépossession. Cette quête « Désormais, Ivan connut deux passions. identitaire est au cœur de ses écrits. Celle qu’il éprouvait pour sa sœur Comme elle, ses personnages aux qu’il aimait et désirait chaque jour origines complexes arpentent le monde. davantage, au point qu’il se réveillait « Les gens qui ne bougent pas ne la nuit convaincu que l’irréparable comprennent pas le monde autour s’était produit. Et celle pour son arme, d’eux », estime celle qui, après avoir son Mauser. » Magistral. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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BALTEL/SIPA

par Catherine Faye

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BALTEL/SIPA

ON EN PARLE livres roman

nouvelles

MAUX CROISÉS

LES LOIS DE L’ATTRACTION

« DEPUIS la vitre ouverte de sa voiture, l’homme l’abat avec un silencieux. Elle s’effondre : une balle dans la nuque pour la faire taire. » Ce quatrième roman de la Libanaise Imane Humaydane s’ouvre sur le meurtre de Noura, journaliste syrienne en exil. Nous sommes en août 1978 à Beyrouth. Seize ans plus tard, Maya découvre, au cours du tournage d’un documentaire sur la reconstruction du centre-ville, une sacoche abandonnée dans un immeuble en ruine. À l’intérieur, parmi photos et

«CINQUANTE GRAMMES DE PARADIS », Imane

Humaydane,

Gallimard, 232 p., 20 €.

documents d’avant la guerre civile, le journal posthume d’une certaine Noura. Et les lettres d’Istanbul de son amant Kamal. Passant d’une époque à l’autre dans ce MoyenOrient de la fin du XXe siècle, l’auteure croise deux destins de femmes. Et s’érige contre toute forme de barbarie. ■ C.F.

« PLEINE LUNE SUR BAGDAD »,

Akram Belkaïd,

éd. Érick Bonnier, 260 p. 20 €.

20 MARS 2003. C’est par une nuit de pleine lune que les États-Unis entament l’invasion de l’Irak. Au même instant, entre Washington et Koweït City, des hommes et des femmes connaissent, tel un imperceptible effet papillon, des changements dans leur quotidien. À Tunis, un qawwad (délateur) du parti fracasse une bouteille de boukha sur le crâne d’un avocat. Dans le désert irakien, un chauffeur de taxi jordanien fait une rencontre inattendue… À travers 14 nouvelles, Akram Belkaïd décrit d’une plume fine, parfois sombre, ce temps suspendu qui voit des destins basculer. À dévorer avant la prochaine lune. ■ H.D.

enquête DES AFFAIRES CANONS DANS LES DEUX ANNÉES à venir, la France créera 40 000 emplois dans l’armement. Et produira sans doute plus dans ce secteur que dans l’automobile… Comment être à la fois « la patrie des droits de l’homme » et le troisième marchand d’armes mondial ? L’auteur décrit les coulisses de cette schizophrénie qui amène, pour être militairement indépendant, « MARCHAND à conquérir des nouveaux marchés et à D’ARMES», devenir ainsi dépendant de ces mêmes ventes. Romain Mielcarek, Intermédiaires, pratiques de facturation… Tallandier, 112 pages, 13,90 €. Instructif pour tous les béotiens. ■ H.D.

bande dessinée LA MÉMOIRE DANS LA PEAU

«NOTRE HISTOIRE », vol. 2, L. Thuram,

J.-C. Camus, S. Garcia,

Delcourt/Mirages, 142 p., 18 €.

AFRIQUE MAGAZINE

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I

370 – JUILLET 2017

TROIS ANS APRÈS le premier tome, voici la suite des aventures du jeune Lilian Thuram. En 1984, la France de Platini et Tigana est championne d’Europe et l’apprenti footballeur, 12 ans, rêve d’intégrer le club de Fontainebleau. Commence alors une ascension rapide, faite de rencontres avec des éducateurs qui l’aident à trouver sa voie. Ce passage vers l’adolescence éveille sa conscience, guidée par le personnage fictif de Neddo, gardien de l’harmonie universelle. Le vieil homme convoque les grandes figures noires de l’histoire, du pharaon Taharqa à Angela Davis, en passant par Marcus Garvey ou Ésope, l’esclave poète affranchi qui inspirera les fables de La Fontaine… Un bon antidote à l’amnésie du monde. ■ H.D. 7

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Marc Zinga (notamment vu dans « Bienvenue à Marly-Gomont ») incarne une figure particulièrement courageuse mais tout en ambivalences.

Les nazis l’appelaient le « TERRORISTE NOIR ». Nos patriotes fait revivre ce « tirailleur sénégalais » guinéen, héros oublié de la Résistance. Un bel hommage. par Jean-Marie Chazeau DIX ANS après Indigènes de Rachid Bouchareb, voici une nouvelle mise en lumière de la participation des troupes coloniales à la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes cette fois au début du conflit, en 1940. Addi Bâ, jeune Guinéen prisonnier des Allemands, s’évade et se cache dans les Vosges avec la complicité de quelques villageois. Et même si certains ont du mal avec sa couleur de peau, il va participer activement à la formation du premier « maquis » de résistants dans l’est de la France. Une histoire vraie, un fait d’armes méconnu, illustré de façon assez scolaire mais très honnête, avec au passage un bel hommage au 12e bataillon des « tirailleurs sénégalais » qui s’était illustré dans la Meuse. 8

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Adapté du Terroriste noir (c’est ainsi que les nazis qualifiaient le fuyard) de Tierno Monénembo, le film « NOS PATRIOTES » est porté par Marc Zinga, (France) de Gabriel comédien belge (natif du Le Bomin. Avec Marc Haut-Katanga, en RDC) Zinga, Louane Emera. qui aligne les films en tête d’affiche depuis Qu’Allah bénisse la France, d’Abd Al Malik, puis Bienvenue à MarlyGomont avec Aïssa Maïga. Le trentenaire bruxellois a aussi été vu chez les frères Dardenne et en méchant dans le dernier James Bond… Dans Nos patriotes, il a su se glisser dans la peau de ce tirailleur héroïque et particulièrement courageux, mais loin d’être parfait. Une ambivalence très bien incarnée. « J’ai voulu faire ce métier depuis mon enfance et ce projet m’a donné l’occasion d’approfondir mon travail en termes de composition du personnage, explique-t-il. Celui-ci constituait un défi mis au service d’une histoire qui me touche profondément. » Le message passe très bien dans les yeux et le jeu de Marc Zinga. ■

CHRISTINE TAMALET - DR

Addi Bâ, tombé pour la France

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30/06/2017 14:04


thriller

LE MEURTRE DU NILE HILTON LE CAIRE juste avant la chute de Moubarak : un flic taciturne, sorte de Lino Ventura des bords du Nil, mène une enquête après la mort d’une jeune chanteuse tunisienne… Ce polar orientalisé sans folklore montre les dessous peu reluisants d’un régime où l’argent donne le sentiment de la toute-puissance jusque dans les commissariats. On comprend mieux la révolution qui éclatera bientôt contre la corruption et la police. Cette parfaite immersion dans l’atmosphère d’une capitale tentaculaire est un vrai tour de force quand on sait que les services de sécurité égyptiens ont fermé le plateau trois jours avant le tournage, obligeant à le délocaliser… à Casablanca. À l’image, on n’y voit que du feu. ■ J.-M. C.

Égypte, janvier 2011. Une femme est retrouvée égorgée dans une chambre d’hôtel. Noredinne mène l’enquête, à ses risques et périls…

« LE CAIRE CONFIDENTIEL » (Suède),

de Tarik Saleh. Avec Fares Fares, Hania Amar. En salles le 5 juillet.

comédie

Sous le voile des filles

Rire de la UN ÉTUDIANT parisien se cache sous un voile intégral et se fait passer radicalisation… le pari était pour une pieuse musulmane afin d’approcher sa copine maghrébine, osé ! quasi séquestrée par son frère radicalisé après un séjour au Yémen… Les premières scènes sont plus glaçantes que drôles, car un peu trop réalistes, et n’est pas Gérard Oury qui veut : difficile de faire du Rabbi Jacob dans la France de 2017. Mais le film finit par trouver le ton d’une comédie à l’italienne, quand la communauté iranienne de Paris (les parents de l’étudiant avaient fui le régime des mollahs) s’en mêle, menée par une actrice formidable, Anne Alvaro, dans le rôle de la mama perse et féministe. ■ J.-M.C. « CHERCHEZ LA FEMME » (France), de Sou Abadi.

Avec Félix Moati, Camélia Jordana, William Lebghil.

en ligne

DÉSERT ANIMÉ ATMO - E. SEIGNOL/THE FILM - DR

CHRISTINE TAMALET DR

ON EN PARLE écrans

SAHARA, film d’animation français de Pierre Coré, co-scénarisé par Nessim Debbiche, est déjà disponible en VOD et sur Netflix (sauf en France et en Chine) quelques semaines seulement après sa sortie en février (le délai minimum dans l’Hexagone est de 10 mois pour le cinéma en ligne pour l’instant). Omar Sy, la voix du héros, le cobra Ajar, mais aussi Roschdy Zem, Sabrina Ouazani et Reem Kherici, pourraient reprendre du service pour faire parler leurs personnages dans la version française : un Sahara 2 est en projet. ■ J.-M.C. AFRIQUE MAGAZINE I 3 7 0 – J U I L L E T 2 0 1 7

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A & M : le couple malien fait son retour avec un single dansant et festif. Tout comme Pharrell, le rappeur planétaire, qui a plus d’un hit dans son chapeau.

Ce que l’on va aimer cet été

La saison 2017 mise sur le groove et le synthétique. D’AMADOU & MARIAM à PHARRELL WILLIAMS, tour de piste des TUBES qui vont mettre le feu aux dancefloors…

À LA TÊTE DE LA BANDE ORIGINALE de Moi, moche et méchant 3, saga animée à laquelle il est fidèle depuis quelques années, Pharrell Williams offre, pour la sortie du nouveau volet, le tube de l’été, le bien nommé « Yellow Light ». Ici, le funk, sur une structure électro-pop, s’avère ludique (il faut plaire au public junior du film) tout en étant aussi imparable sur le dancefloor (les parents ont, eux aussi, le droit de s’amuser). À seulement 23 ans, Denai Moore s’impose quant à elle comme la rivale de Solange de l’autre côté de l’Atlantique. Elle manie avec une féminité assumée et subtile le R’n’B, la folk et l’électro-pop. L’Anglo-Jamaïcaine a déjà collaboré avec la crème de la scène indie britannique et, avec son second album produit par Steph Marziano (Radiohead, The Prodigy, FKA Twigs), elle entre pour de bon dans la cour des grands. En témoigne ce single absolument irrésistible, « Does It Get Easier ?», tout en groove synthétique – à l’image du son de Calvin Harris. Lui l’envisage en version calibrée pour le dancefloor. Juste pour l’été, il publie son album Funk Wav Bounces Vol. 1. Une ribambelle de tubes au programme, dont 10

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« Heatstroke », avec Ariana Grande, Young Thug et Pharrell Williams (encore lui), excusez du peu. Joyeux comme une fête d’anniversaire au bord de la piscine. Mais aussi « Rollin’ », single langoureux où le hip hop s’accompagne d’un clavier pop. Avec les interventions du chanteur Khalid, la nouvelle valeur sûre du R’n’B américain, et du rappeur Future. Même si on se languit du prochain album d’Amadou & Mariam, leur EP Bofou Safou, Denai Moore, Kendrick porté par le morceau-titre, nous Lamar et Calvin Harris : réjouit suffisamment pour arrêter la bande son estivale. de trépigner. Mais pas de danser : doté d’une production nourrie d’afrobeat comme de disco, « Bofou Safou » n’aurait pas détonné durant les nuits blanches du Studio 54, avec la magie du bambara en plus. Enfin, trois semaines après sa sortie, le nouvel album de Kendrick Lamar était déjà certifié platine. Guère étonnant au vu de la dextérité du rappeur de Compton. Single hyper porteur, « DNA » fait preuve d’un flow d’une rare puissance, radical et fulgurant, de paroles sombres et sans concession. En un mot, imparable. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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SADAKA EDMOND/SIPA - DR

par Sophie Rosemont

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r’n’b « JIW », Sahad

LYNA MAHYEM, LE SON JEUNE

& The Nataal Patchwork,

autoproduit.

pop / afrobeat

NOUVELLE PÉPITE de la scène R’n’B, Lyna Mahyem a créé le buzz en janvier 2016 avec une reprise afro-trap (texte rap sur un rythme afro) du titre « 92i Veyron » du rappeur Booba. Un succès soudain qui lui a valu plus de 37 millions de vues sur YouTube ! Depuis, la chanteuse de 21 ans enchaîne les tubes qui cartonnent tels que « Tiens ça », « À mes côtés » ou encore « Tsunami ». Son dernier titre « Prenons le large », sorti début juin, s’impose déjà comme l’un des sons phare de cet été avec des sonorités orientales au rythme entraînant. Incontournable si on aime le genre. ■ Thalie Mpouho « TSUNAMI »,

PREMIERS ALBUMS POUR LES FRÈRES SARR

La famille du philosophe Felwine Sarr partage le même GOÛT pour la musique. Majnun avec Waliyaan, et Sahad avec Nataal Patchwork. Inspirant !

UBLOCH PHOTOGRAPHIE - DR

SADAKA EDMOND/SIPA DR

ON EN PARLE musique

LES FRÈRES cadets de Felwine Sarr, économiste et écrivain sénégalais parti en orbite depuis la parution en 2016 de son « KINDÉPILI », essai Afrotopia (Philippe Rey/Jimsaan, 2016), Majnun, partagent avec lui son goût pour la musique. autoproduit. Felwine Sarr, engouffré dans un marathon de conférences internationales, n’a plus beaucoup de temps à consacrer à sa guitare… Majnun et Sahad Sarr, eux, sortent presque au même moment, mais séparément, leurs premiers albums respectifs. Leurs points communs font inévitablement penser à leur frère aîné : même éclectisme, même quête spirituelle, titres autoproduits en toute indépendance et textes « à message ». Majnun, qui emprunte ce surnom à un personnage de la littérature soufie, est basé à Orléans. Il tient avec son groupe Waliyaan (« exil » en wolof) des compositions qui rafraîchissent la pop sénégalaise, dans le sillage de d’illustres aînés tells que Xalaam. De son côté, Sahad a formé le Nataal Patchwork (« portrait » ou « photo » en wolof) avec des amis africains rencontrés à l’université de Dakar – notamment nigérians, ce qui s’entend dans les cuivres et les pointes d’afrobeat à la Fela. « Je suis le parent de l’eau et de la lumière, mon nom est couleur », chante Sahad. Fils de militaire, peut-être, mais aussi poète que ses frères. ■ Sabine Cessou AFRIQUE MAGAZINE

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Lyna Mahyem,

Universal Music.

rock SONGHOY BLUES, TOUT FEU TOUT FLAMME OMAR, Aloui, Garba et Nat : voici quatre garçons dans le vent qui, depuis deux ans, secouent la scène de Bamako, refusant la violence environnante. Enregistré à Londres avec Neil Comber (M.I.A, Django Django, Crystal Fighters), Résistance s’offre des interventions VIP comme celle d’Iggy Pop. Normal, le deuxième album du groupe malien assume ses racines de l’ethnie songhoy et son amour pour le Sahara tout en s’ouvrant aux influences seventies anglosaxonnes. Résultat, un rock électrique, polyglotte et indispensable. ■ S.R. « RÉSISTANCE » ,

Songhoy Blues, Transgressive/Pias Coop.

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57e Biennale

LA DERNIÈRE TENTATION DE VENISE

Moins nombreux cette année, les ARTISTES du continent se distinguent toutefois par leur qualité.

« Rock the Kasbah » électrise Paris La musique comme subversion : du karaoké au rock METAL, à travers des concerts, exposition et projections, l’ICI déroule une programmation plus détonnante que jamais ! ANGELICA MESITI, Adel Abidin, Hiwa K… « Rock the Kasbah » rassemble des artistes modernes et engagés venus « dénoncer » à travers l’art musical. L’exposition tient en effet son nom d’une chanson du groupe punk The Clash, écrite en 1982, suite à l’interdiction faite par l’ayatollah Khomeiny d’écouter du rock en Iran. En passant par les quatre coins du monde (Maghreb, Afrique subsaharienne, États-Unis…), « Rock the Kasbah » expose des œuvres à la fois contemporaines et spirituelles accompagnées d’un programme diversifié bravant tout tabou : débats, projection de films et documentaires, karaoké franco-arabe, battle de clips… Mais aussi éclectisme musical. Comme avec Lelahell, groupe algérien dans la lignée de Slayer. Ne ratez pas les derniers évènements programmés d’ici la fin du mois. ■ Thalie Mpouho « ROCK THE KASBAH », Institut des cultures d’Islam, jusqu’au 30 juillet. 19, rue Léon, Paris. rockthekasbah.fr 12

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Des centaines de languettes de tissus teintes, coupées et cousues : Abdoulaye Konaté travaille surtout le textile. AFRIQUE MAGAZINE

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RAPHAEL FANELLI - ITALO RONDINELLA

saison culturelle

Avec ses figures fantômes, Jompet Kuswidananto propose son interprétation d’une Indonésie – son pays – en quête identitaire.

BRÉSIL, installation textile de 7 mètres d’Abdoulaye Konaté, où s’entremêlent les similitudes culturelles guarini et malienne, The Mountain, film envoûtant de l’Égyptien Moataz Nasr, ou encore The Biography of the Forgotten du Nigérian Victor Ehikhamenor, fusion de formes abstraites avec une sculpture traditionnelle béninoise : la sélection africaine de la 57e Biennale de Venise se place sous le signe de l’interaction. Avec 86 pavillons et 120 artistes, l’événement se veut toujours plus ouvert, avec une majorité de nouveaux artistes et des formes créatives multiples. Présent pour la première fois, le Nigeria a pris ses quartiers dans une ancienne école. La Tunisie, qui fait aussi son baptême vénitien à l’initiative de la jeune mécène Lina Lazaar, a quant à elle choisi le thème de la migration, en installant deux kiosques où des douaniers fournissent un visa universel fictif. Une présence africaine remarquée. ■ Catherine Faye « BIENNALE DE VENISE », jusqu’au 26 novembre. labiennale.org

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« She Wants Love », 2014.

fête

« AFROPUNK » L’AGITATEUR DE LA VILLETTE

Jaden, le fils de Will Smith, avait joué en 2015.

L’édition parisienne du festival new-yorkais verra se produire des pointures comme FFF ou TYLER, THE CREATOR. CETTE ANNÉE, le festival Afropunk remet le couvert pour la troisième fois à Paris. Le succès des deux éditions précédentes a été tel que c’est la Villette et non plus le Trianon (devenu trop exigu) qui accueillera l’événement. Et ça promet ! Pendant deux jours, la culture noire américaine et celle du punk rock ne feront qu’une à travers ce mouvement anti-raciste et anti-homophobe né à Brooklyn au début des années 2000. Au programme, FFF, Tyler, The Creator ou encore Petite Noir, illustreront ce mélange des genres à travers des performances inédites. Également à l’affiche : street art, débats, cinéma… Serez-vous de la partie ? ■ T.M. « Afropunk Paris », la Villette, les 15 et 16 juillet. 211, av. J. Jaurès, Paris, et les 22 et 23 juillet à Londres. afropunkfest.com

musée d’Art moderne d’Alger

Nouveau regard

DR - BORIS NZEBO

RAPHAEL FANELLI ITALO RONDINELLA

ON EN PARLE agenda

ILS ONT moins de 30 ans et sont originaires de différentes régions d’Algérie. Ces 20 auteurs témoignent de la richesse du nouvel élan photographique qui traverse le pays. « Ils se racontent et nous racontent des histoires qui révèlent l’Algérie contemporaine », explique Bruno Boudjelal, commissaire de l’exposition. « Ikbal/Arrivées » fait suite à un atelier à la Villa Abdellatif durant lequel des photographes avaient travaillé dans la perspective des Rencontres de Bamako. Avec 200 clichés d’hommes, d’enfants et de femmes dans leur environnement social, l’ensemble pose un regard intime sur l’univers algérien et se démarque du champ photographique patrimonial classique. L’exposition sera présentée à la Cité internationale des arts à Paris, du 12 septembre au 4 novembre. ■ C.F. « Ikbal / Arrivées », musée d’Art moderne d’Alger, jusqu’au 13 juillet. 25, rue Larbi Ben M’hidi. mama-dz.com AFRIQUE MAGAZINE

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Manchester Art Gallery

PORTRAITS DÉCOIFFANTS

Prenant la chevelure comme prétexte, Boris Nzebo évoque diverses RÉALITÉS à travers ses toiles. « COMMENT comprendre que notre environnement ne soit pas aussi bien soigné que nos têtes ? Quand nos cheveux sont malades, nous les soignons, mais nous ne faisons rien pour combattre la corruption… » Exposées au milieu d’œuvres de grands noms tels que Giacometti, Bacon ou Modigliani, les toiles du Camerounais Boris Nzebo mettent le feu. Superposition de bâtiments fondus dans les visages, lignes entrecroisées, architecturées, couleurs éclatantes, la construction singulière de ses portraits questionne les sociétés africaines à travers les coiffures. Présentés à la Manchester Art Gallery, au Royaume-Uni, à l’occasion d’une exposition consacrée à la place de l’humain, ses tableaux s’inscrivent dans une perception très personnelle de l’autre. S’il a commencé en peignant des devantures de coiffeurs, sa technique particulière et ses œuvres significatives font aujourd’hui de lui un artiste afropop à part entière. En explorant la coiffure dans l’espace urbain, il interroge le monde et la construction de l’identité. ■ C.F. « To be human », Manchester Art Gallery,

jusqu’au 3 septembre. Mosley Street. manchesterartgallery.org 13

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PARCOURS par Astrid Chacha

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UN IVOIRIEN (PRESQUE) COMME LES AUTRES. À Abidjan, c’est l’étoile qui monte. Découvert par… Mohammed VI, ce comédien marocain, qui vient de se produire de nouveau à l’incontournable Marrakech du rire, propose un humour « Afrique-fusion ».

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voirien ? Vous êtes sûr ? Il n’a pas une tête d’Ivoirien celui-là… » Difficile, lorsqu’on évoque Oualas, de convaincre les sceptiques. Pourtant, passeport à l’appui, Tahar Lazrak – de son vrai nom – est bien le compatriote de Yaya Touré et Tiken Jah Fakoly. À Abidjan, dans le quartier résidentiel de Biétry Zone 4 où il demeure, ses voisins n’ont aucun doute. Il est des leurs. Il suffit de l’entendre parler nouchi, le dialecte local, pour s’en convaincre. Ses anecdotes font mouche, en particulier celles où il moque « les Libanais », la puissante communauté qui occupe une grande place au sein de l’économie nationale. Mais entretient aussi des rapports complexes avec le reste de la population. « Le dragueur libanais », « Le président libanais »… Relayés par sa chaîne YouTube, ses sketches ont eu un tel retentissement que la communauté, furieuse dans un premier temps, a finalement dû demander grâce pour qu’il lève le pied et cesse d’être étrillée. Les Ivoiriens, eux, à en juger par les commentaires postés sur les réseaux sociaux, en rigolent encore. Doué pour appuyer là où ça fait mal, Oualas, 28 ans, a pourtant failli passer à côté de cette voie. Il y a quatre ans, il travaillait encore comme directeur d’exploitation au Freeman Hôtel, dans le quartier de Marcory. Hôtelier le jour, comédien la nuit. Il tente déjà de se faire un nom parmi les aspirants comiques, lui qui rêve de cette carrière depuis le collège. Avec un brin de chance, le destin, facétieux forcément, s’invite. Nous sommes un soir de mars 2013, Oualas est convié à se produire à un dîner. Invité de marque : Mohammed VI, qui séjourne alors dans la capitale. Le roi le remarque, demande à le rencontrer. « À la fin de la soirée, Sa Majesté m’a invité à le rejoindre, m’a demandé si j’étais binational. Je lui ai répondu que c’était le cas et raconté ma vie. Il m’a alors suggéré de faire comique à plein temps plutôt qu’hôtelier. » Le souverain intercède pour qu’il se produise au très prisé Festival Mawazine qui se tient chaque année à Rabat et Salé. « Ce soir-là, Sa Majesté m’a offert un bien précieux : son temps et sa bénédiction. » Sa carrière est lancée. Dakar, Libreville, le Marrakech du rire… La popularité viendra avec un passage à « Bonjour 2015 », un show télévisé de la RTI (Radiodiffusion télévision ivoirienne) qui le fera connaître aux quatre coins du pays. Oualas écume désormais les scènes, répondant présent aux nombreuses invitations, notamment celles de soirées privées pour VIP, à Abidjan, où lui seul a le micro. « Plus qu’un métier, ce que je fais est une distraction, dit-il. Plus je suis sur scène, mieux je me porte. » Thèmes de prédilection : les conflits politiques, l’islamisme radical ou encore le bien contre le mal, un sujet abordé dans Sept jours pour une éternité… de Marc Lévy, son inséparable livre de chevet. Mais son cheval de bataille reste le racisme. Oualas est bien placé pour en parler, lui qui est entre deux rives. Son père, originaire de Fès et sa mère, berbère, sont arrivés en Côte d’Ivoire en 1956. À l’indépendance, ils demandent et acquièrent la nationalité ivoirienne. « Je suis autant attaché à mon origine marocaine qu’à ma nation ivoirienne. Ces deux cultures sont une chance… » Lui-même, bien que né à Casablanca, arrive bébé à Abidjan où il grandira à Treichville. Épris de reggae et de coupé-décalé, fan de bodyboard qu’il pratique à Assinie, Oualas, qui parle anglais, arabe, espagnol, français et nouchi, dit vouloir « œuvrer à renforcer les fraternités ». À ceux qui le taxent de « faux Ivoirien », il rétorque invariablement : « un vrai Ivoirien doit-il forcément être noir ? ». Oualas, l’Ivoirien blanc : un joyeux luron à suivre de près. ■ Facebook.com/OualasOfficiel

SEIBOU TRAORÉ POUR AM - DR

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Depuis leur rencontre en 2013, le roi du Maroc et l’humoriste se revoient régulièrement, comme ici au mois de mars dernier.

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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié

TOURNONS LE DOS

À DONALD

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t voilà, c’est fait. Les Iraniens, les Libyens, les Somaliens, les Soudanais, les Syriens et les Yéménites n’iront plus visiter la statue de la Liberté. Papy Trump a fait passer son décret. J’entends déjà chez certains hauts cadres africains, issus de contrées rodées aux méthodes rudes et expéditives, des cris d’approbation. En gros : « Si on ne veut plus d’immigrés terroristes, c’est ce qu’il faut faire ! » Idem chez les électeurs frenchs férus des thèses Marine et déçus de la défaite de leur championne toutes catégories des solutions à l’emporte-pièce. Alors bien sûr, les ressortissants des pays

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bannis qui ont un « très » proche parent chez l’oncle Sam (un mari par exemple, mais pas une grandmère, allez savoir…) pourront rentrer. Pareil s’ils ont un contrat de travail (bonne nuit pour qu’une boîte américaine les choisisse pour un boulot…). Par contre, le vrai terroriste qui a une double nationalité, disons un Franco-Syrien qui a envie de se faire exploser au pied de la Trump Tower, par exemple, lui, il peut éventuellement entrer… Inutile de préciser qu’au-delà de l’humiliation pour les étrangers concernés et de la démonstration de force pathétique de Donald, la solution qui consiste à fermer ses frontières pour lutter contre les kamikazes est absurde. L’auto-radicalisation, y compris chez des 100 % Américains, est impossible à prévoir et enrayer… Pas la peine de parler ici de l’importance bénéfique des flux intellectuels, culturels, économiques dans le monde, bla, bla, bla… On passe alors pour des Bisounours à côté de la plaque pour certains. Par contre, j’espère bien que les nations concernées par ces méthodes de discrimination globale, vont aussi interdire l’entrée des Américains chez eux, au moins un temps, juste pour marquer le coup ? Après, on peut aussi dire que les États-Unis de Donald, on se passera bien de les visiter tant qu’il est en place et que ses « grands » électeurs ne se mordent pas encore les doigts d’avoir voté pour lui. On se passera donc d’aller arborer des oreilles de Mickey à Disney World, de se goinfrer de malbouffe qui rend obèse, d’aller se pavaner à cheval dans des réserves d’Indiens coiffés d’un Stetson à la JR, de rapporter des ridicules boules de verre où la neige tombe sur l’Empire State Building… Et on évitera aussi de se faire choper par un égaré du Ku Klux Klan, le sinistre mouvement qui a repris du poil de la bête. Ou encore, de se faire menotter à tout bout de champ par des flics à gros bras, qui multiplient les délits de faciès. Car c’est aussi ça, l’Amérique. Cette terre où finalement, on n’a plus vraiment envie d’aller depuis ce triste matin du 20 janvier dernier. Depuis qu’un grand peuple a décidé de tourner le dos au monde en jouant la carte Trump. ■

On se passera donc d’aller arborer des oreilles de Mickey à Disney World, de se goinfrer de malbouffe qui rend obèse.

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PERSPECTIVES

RWANDA ENQUÊTE SUR LA MÉTHODE KAGAME

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ambiance est survoltée, presque fanatique. Ce 17 juin, un soleil de plomb se réfléchit sur la façade vitrée du siège du Front patriotique rwandais (FPR), une enceinte de 2 500 places flambant neuve. Simple polo rouge et tout sourire, le président rwandais fait son entrée sous un tonnerre d’applaudissements. Le parti – qui compterait des millions de membres selon les experts – s’est réuni en congrès pour une formalité : investir Paul Kagame candidat à la présidentielle du 4 août. « Je connais la puissance du FPR, ce qui signifie que nous allons à la victoire », lance le leader. L’élection laisse en effet peu de place au suspense. Depuis 1994, date à laquelle il a mis fin au génocide des Tutsis par le gouvernement hutu, Paul Kagame est l’homme fort du pays. D’abord ministre de la Défense, vice-président, puis président par intérim en 2000, il a ensuite été élu au suffrage universel avec plus de 90 % des voix en 2003 et 2010.

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Il sera à nouveau candidat à la présidence le 4 août prochain. Retour sur un long règne controversé, et un « modèle » qui interpelle le continent. par Saith Kroub, à Kigali

Et pour cette nouvelle rencontre avec le peuple rwandais, il peut s’appuyer sur une machine bien rodée. L’hégémonique parti au pouvoir est présent depuis vingttrois ans à tous les échelons de la société, du chef de village aux hommes d’affaires en passant par les associations sportives. Le FPR gère aussi un… fonds d’investissement, Crystal Venture, omniprésent au sein de l’économie avec des participations dans la plupart des secteurs d’activité : agroalimentaire, sécurité, télécoms ou BTP. Ce qui en fait le second employeur du pays après l’État. Estimation du fonds : environ 500 millions de dollars. À l’heure AFRIQUE MAGAZINE

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VINCENT FOURNIER/JA/RÉA

Des scores sans appel. Lors de l’élection de 2003, il avait recueilli 95 % des suffrages. Et 93 % en 2010.

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PERSPECTIVES RWANDA, ENQUÊTE SUR LA MÉTHODE KAGAME

où nous écrivons ces lignes, quatre autres prétendants à la magistrature suprême sont sortis du bois. En face de Paul Kagame, qui bénéficie, en plus du FPR, du soutien des deux autres partis représentés au Parlement – le Parti libéral (PL) et le Parti social démocrate (PSD) –, Franck Habineza fait bien pâle figure. Le président du Parti démocratique vert (PDV), seule formation politique d’opposition à être autorisée dans le pays, a eu son heure de gloire en 2015, lorsqu’il s’est opposé

L’HOMME DU « MIRACLE »

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évolutionnaire et anticolonialiste, visionnaire pour certains, Paul Kagame est, avant tout, l’homme qui aura mis un terme au génocide. En butte à la persécution, ses parents, Tutsis, quittent le Rwanda en 1961 alors qu’il n’a que 4 ans. Ils trouvent refuge en Ouganda, sa seconde patrie : à 22 ans, il rejoint ainsi un certain Yoweri Museveni qui mène les rebelles opposés à Idi Amin Dada. Lorsque Museveni s’empare du pouvoir en 1986, il nomme Kagame directeur adjoint des renseignements militaires. Un poste stratégique qui lui permettra de prendre, depuis l’Ouganda, la tête du Front patriotique rwandais (FPR) après le décès de son leader, Fred Rwigema, en 1990. Au Rwanda, le génocide planifié débute en avril 1994. Environ un dixième de la population rwandaise, près d’un million de personnes, est décimée, le plus souvent au gourdin ou à la machette, en une centaine de jours. Lorsque le FPR marche sur Kigali, en juillet 1994, ses membres découvrent un charnier à ciel ouvert, un État exsangue aux caisses vides, sans fonctionnaires, ni médecins ou instituteurs. Ce vide abyssal, Paul Kagame l’aurait transformé en « miracle », selon la terminologie couramment utilisée. Non sans asseoir entretemps sa puissance régionale : avec le soutien de l’Ouganda, le Rwanda joue un rôle central dans les « deux guerres du Congo » qui participent à la déstabilisation de la RDC voisine où s’étaient réfugiés de nombreux Hutus. Mais les plaies entre concitoyens restent béantes. En 2003, à la faveur d’une modification de la constitution, Kagame interdit toute référence à la distinction ethnique dans l’espace politique et civique. Reste que, vingt-trois ans après le génocide, des interrogations demeurent, notamment sur le rôle exact joué par la France. De nouveaux témoignages affirment ainsi que par l’entremise d’Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée en 1994, ordre a été donné de réarmer les génocidaires de Tutsis après leur fuite. Mais les archives présidentielles de la période 1990-1994 sont toujours classifiées. Et le mystère reste entier. Le temps est peut-être venu de les rendre publiques, comme l’avait promis François Hollande au début de son quinquennat, afin que la France fasse enfin la lumière sur ce pan de son histoire récente. ■ S.K.

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à la réforme de la Constitution autorisant Kagame à briguer un troisième mandat en 2017 et à pouvoir théoriquement diriger le Rwanda jusqu’en 2024. Il s’était battu, seul contre tous, pour invalider la réforme devant la Cour suprême. Son recours rejeté, les Rwandais se sont prononcés pour le « oui » à plus de 98 % selon les chiffres officiels. Franck Habineza va de nouveau tenter d’exister lors de cette présidentielle face au rouleau compresseur FPR. À ses côtés, et c’est une première au Rwanda, trois candidats indépendants espèrent eux aussi participer au scrutin. Leurs candidatures doivent encore être validées, le 7 juillet, par la commission électorale. Philippe Mpayimana est rentré d’un long exil en Afrique centrale et en France en début d’année. Il espère « amener la démocratie au Rwanda ». Quant à Gilbert Mwenedata, il avait déjà tenté sa chance lors des élections législatives de 2013 et n’avait officiellement recueilli que 0,4 % des voix. Mais c’est la candidature de Diane Rwigara, 35 ans, qui fait couler le plus d’encre. La jeune femme est la fille d’Assinapol Rwigara, richissime homme d’affaires et ancien financier du FPR, décédé en 2015 après qu’un camion a percuté sa voiture. La police avait conclu à un accident de la route, mais sa fille avait alors dénoncé « l’implication de membres haut placés du FPR » dans ce qu’elle a qualifié d’assassinat. Deux jours après l’annonce de sa candidature, des photos d’elle dénudée ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. « Des faux » assure-t-elle. L’opposante (lire pages suivantes) dénonce le harcèlement de ses soutiens par les autorités : « Ce sont des pratiques pathétiques. Si le gouvernement est si sûr de sa victoire et du soutien de la population, alors pourquoi ne nous laissent-ils pas rivaliser impartialement ? » Mais ces péripéties de la campagne, s’ils font les choux gras de la presse internationale, n’ont eu que peu d’écho dans la presse locale, très largement contrôlée par le pouvoir. Si bien que ces débats ne passionnent pas les foules. Certes, la campagne électorale ne démarre que le 14 juillet, mais en déambulant dans les rues

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Immeubles flambant neufs et rues propres : dans la capitale, les quartiers, notamment ceux des affaires, se développent à vitesse grand V. de Kigali, on aurait du mal à croire qu’une élection se prépare. Aucune affiche, pas de musique assourdissante ni de membres de partis politiques scandant le nom de leur champion. « Les Rwandais ont d’autres choses à faire […] Toute cette excitation autour de la campagne a tendance à peser négativement sur la croissance socio-économique du pays », a répondu Charles Munyaneza, secrétaire exécutif de la commission électorale, aux candidats déplorant le peu de temps alloué pour faire campagne. « Je ne vais pas voter, explique une jeune femme qui a vécu plusieurs années à l’étranger. Pourquoi irais-je ? C’est joué d’avance. Et d’ailleurs, si je devais voter, ce serait certainement pour Paul Kagame malgré tous les défauts de ce régime. » À Kigali, les citoyens sont partagés en deux camps : les inconditionnels et les résignés. Pas un jour ne passe sans

À Kigali, les citoyens sont partagés en deux camps : les inconditionnels et les résignés.

VINCENT FOURNIER/JA/RÉA - DR

Mémorial de Kigali. Vingt-trois ans après le génocide qui fit près d’un million de victimes, les plaies restent vives, mais le pays se reconstruit peu à peu.

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que le président ne soit porté aux nues sur Twitter par les premiers. Les autres acceptent le pouvoir en place avec plus ou moins d’enthousiasme. « Kagame jouit à l’évidence d’un soutien public considérable dans le pays. Mais, sans liberté d’expression ou de la presse, il est difficile de savoir ce que les Rwandais pensent vraiment », explique Carina Tertsakian, qui a longtemps travaillé sur le pays pour Human Rights Watch. Le Rwanda du XXIe siècle est difficilement dissociable de l’homme fort du pays. Sans conteste, vingt-trois ans après le génocide, le pays des Mille Collines est méconnaissable. Les rues, bordées de palmiers, sont étincelantes de propreté. Les grues s’activent autour des immeubles en construction venant voisiner les tours de verre, qui ont poussé avec une rapidité confondante. Les Rwandais s’affairent, nettoient, travaillent. La sécurité est érigée en priorité numéro un et, chaque soir, les militaires se déploient à tous les coins de rue. Le pays est devenu un îlot de stabilité dans cette région troublée des Grands Lacs. En vingt ans, le PIB a été multiplié par cinq et 7 % de croissance sont prévus pour 2017. Sous Paul Kagame, le petit État de 11 millions d’habitants est devenu l’enfant chéri des bailleurs internationaux. « C’est le pays où l’aide au développement a un véritable impact », explique un diplomate basé dans la région. Mais, sous ces progrès fulgurants et la vitrine proprette d’une nation unie derrière son leader charismatique,

se cache une réalité beaucoup moins lisse. L’opposition y est quasi inexistante, certains de ses dirigeants sont derrière les barreaux, d’autres en exil. La plupart des organisations de défense des droits de l’homme n’y ont plus droit de cité. Dans un rapport de 2014, Human Rights Watch a documenté de nombreux cas « d’arrestations arbitraires, de mises en détention, de poursuites judiciaires, de meurtres, d’actes de torture, de disparitions forcées, ainsi que de menaces et de manœuvres de harcèlement et d’intimidation contre des opposants du gouvernement et d’autres voix critiques ». « Le régime abuse de la loi censée lutter contre le divisionnisme et le négationnisme pour bâillonner toute velléité de contestation », explique un bon connaisseur du pays. « Au lendemain du génocide, il y avait de nombreux scénarios possible, relativise un diplomate basé à Kigali. Même s’il y a des imperfections, nous aurions signé tout de suite pour celui que nous offre Kagame aujourd’hui ». Dans cette société qui se rêverait post-ethnique mais qui a du mal à cicatriser, l’après-Kagame continue d’inquiéter. Et un Rwandais rescapé du génocide de résumer un sentiment largement partagé : « Il y a des injustices, des abus, nous vivons parfois dans la peur et la paranoïa, le pays est contrôlé politiquement et économiquement par une petite minorité. Mais après ce que nous avons vécu, ce n’est pas grand-chose. » ■

Diane Rwigara « Le problème majeur, c’est la peur» À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle n’est pas sûre de pouvoir être candidate. Ce qui ne l’empêche pas de fustiger la chape de plomb… DIANE RWIGARA A ANNONCÉ le 3 mai sa candidature à la présidentielle, en tant que candidate indépendante, prête à se confronter sans parti ni assise politique à l’hégémonie de Paul Kagame. Quelques jours plus tard, des photos d’elle nue circulaient sur Internet… Fille de l’homme d’affaires et ancien financier du Front patriotique rwandais (FPR), Assinapol Rwigara, décédé en 2015 dans un mystérieux accident de la route, cette jeune femme de 35 ans, formée en Californie à la comptabilité et la finance, dispose d’une aura et d’un soutien réels dans le pays. Elle a rassemblé 985 signatures, sur les 600 exigées pour présenter sa candidature, malgré les pressions exercées à son encontre par un pouvoir qu’elle dénonce comme omnipotent. Son nom n’est pas apparu dans la liste provisoire des candidats fin juin, seulement 512 des signatures ayant été jugées rece22

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vables par les autorités, selon des critères qui restent flous. Elle avait jusqu’au 6 juillet pour apporter les 88 signatures valides qui lui faisaient donc défaut. Dans cet entretien exclusif à AM, elle a le courage de donner son point de vue, en pesant bien ses mots, alors que la plupart de ses concitoyens se murent dans le silence et n’osent rien dire au sujet des autorités.

AM : Pourquoi avez-vous décidé de présenter votre candidature ? Parce que je pense que notre pays a besoin de changement. Ceux qui sont censés nous représenter dans les institutions ne le font pas comme il faudrait. Personne ne parle en notre nom, nous, les Rwandais ordinaires. Le problème majeur au Rwanda, c’est la peur. Elle ne concerne pas seulement la population, qui AFRIQUE MAGAZINE

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n’ose pas s’exprimer, mais aussi les politiciens. Tout le monde vit dans une certaine frayeur car la vérité n’est pas toujours bonne à dire. J’ai aussi décidé de me présenter parce que j’en ai eu assez d’attendre que quelqu’un d’autre le fasse et parle en notre nom. Au lieu d’attendre et de me lamenter, j’ai décidé de le faire moi-même. Craignez-vous pour votre sécurité ? Je crains plus pour la sécurité de mes proches. Au Rwanda, si l’on décide de se lancer dans la politique ou de s’exprimer, les conséquences sont subies par votre entourage. On peut être privé de son travail, faire faillite, se retrouver en prison ou perdre la vie. Peut-on comprendre que la liberté d’expression soit toujours restreinte en 2017, à cause du génocide des Tutsis en 1994 ? La liberté d’expression que je défends n’est pas celle qui ouvrirait la porte au révisionnisme ou au négationnisme. Il ne s’agit nullement de nier le génocide, mais d’avoir le droit de critiquer, de questionner, dialoguer sur l’état de la nation sans pour autant être tenu pour « ennemi » du pays. AFRIQUE MAGAZINE

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Y a-t-il un exemple de politique publique sur lequel vous aimeriez proposer des réformes ? Presque tous les aspects de nos vies de citoyens sont sous contrôle. Dans la politique, on n’a pas le droit de donner son point de vue. Les seules voix sont celles qui font l’éloge du régime. Il n’existe pas de plate-forme pour donner des idées. Quand les étrangers parlent du Rwanda, ils estiment toujours que le pays se développe, même sans grande liberté d’expression. Or, le pouvoir ne veut pas seulement contrôler ce que l’on pense ou dit, mais aussi ce que l’on fait ! Si vous avez une affaire qui marche, le FPR veut accéder à vos profits. Il devient actionnaire par force, par la pression, sans pour autant acheter des actions, et vous oblige à céder un pourcentage de vos revenus… Cette idée que le Rwanda est un paradis pour les hommes d’affaires concerne plus les opérateurs étrangers, que les Rwandais. Dans l’agriculture, il en va de même. L’État va jusqu’à dire aux paysans quoi cultiver. On ne peut pas être journaliste au Rwanda et dire la vérité sans avoir affaire à l’État et devoir fuir le pays. Au-delà de la liberté d’expression, 23

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il nous manque aussi la liberté d’entreprendre, de penser, de réaliser nos vies en étant tout simplement ce que nous sommes en tant que personnes. Pensez-vous que le pouvoir agit en toute impunité ? Bien sûr ! C’est le cœur du problème. Encore une fois, les visiteurs étrangers parlent de leur sentiment de sécurité chez nous – un privilège que nous, Rwandais, n’avons pas ! Les gens disparaissent, se font tuer et les coupables ne sont jamais arrêtés ou jugés. Quand un proche disparaît, sa propre femme a peur d’en parler… Les organisations de défense de droits de l’homme évoquent le cas de ces gens, mais la plupart de ceux qui vivent ce type d’expérience n’osent pas en parler. Les chiffres cités par les rapports des ONG sont très en deçà de la réalité. La vie d’un Rwandais au Rwanda ne vaut rien, ou pas grand-chose. Et le pouvoir continue, car il n’y a pas de conséquences. En tant qu’opposante, vous est-il possible de critiquer nommément le président ? Le président est intouchable. Je peux le critiquer, mais à mes risques et périls. Aussi, quand je parle du FPR et de l’État, j’évoque aussi son principal responsable. Les péripéties, avec photographies diffusées sur Internet, qui ont entouré l’annonce de votre candidature, ont-elles entravé le soutien dont vous bénéficiez ? Au contraire ! Elles ont surtout montré la bassesse des méthodes utilisées à l’encontre des opposants. Il aurait été plus difficile de me tuer ou de me mettre en prison. D’où cette tactique, pour essayer de me réduire au silence… Les responsables ne peuvent pas me contredire sur les faits, car ils savent que ce que je dis est fondé. Les faits sont têtus. On ne peut pas les nier. Cela m’a donné encore plus de détermination. Quelles sont les figures politiques qui vous inspirent ? Fred Rwigema (l’un des fondateurs du FPR avec Paul Kagame, mort en 1990 dès le début de la guerre lancée par ce qui était alors une rébellion rwandaise depuis l’Ouganda, NDLR), mais aussi André Rwisereka, chef du Parti vert démocratique, qui a été décapité lors de la campagne électorale de 2010. Il n’avait jamais eu de discours de division, mais voulait un dialogue ouvert. On sait tous comment ça a fini pour lui. La mort de votre père a-t-elle été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? La querelle qu’il avait avec les autorités était celle qu’ont la plupart des Rwandais : il n’a pas laissé l’État entrer dans son entreprise. Voici le choix que nous avons, en tant que citoyens : soit laisser l’État contrôler nos profits, ou quitter le pays. Mon

père n’a pas voulu fuir, ni laisser quiconque s’emparer de ses biens. Il ne leur a pas laissé de choix. Ils ont dû se débarrasser de lui. Il n’était pas le premier, ni le dernier. Notre famille a décidé d’en parler, mais cela ne veut pas dire que nous sommes les seuls. De manière collective, nous avons appris à souffrir en silence. Que vous soyez hutue ou tutsie, est-ce important ? Non, car le pouvoir actuel ne favorise pas une ethnie. Je suis tutsie, et ça n’a pas empêché le pouvoir ne nous victimiser. Le fait que vous soyez une jeune femme vous donne-t-il de la force ou au contraire cela vous fragilise-t-il ? Cela me donne de la force… Les photos n’ont pas été la seule tentative pour me réduire au silence. Les tactiques déployées pour nous empêcher de rassembler 600 signatures n’ont pas non plus fonctionné, puisque nous en avons eu plus de 900 – ce qui montre à quel point les gens en ont marre… Les gens sont fatigués du statu quo. Ceux qui ont signé pour moi l’ont fait en connaissance de cause. Ils ne dorment plus dans leur maison et vont dans la brousse. Les risques qu’ils prennent montrent que les Rwandais sont prêts au changement. Le fait que le Rwanda soit très connecté à Internet donne-t-il envie aux citoyens d’un autre style de gouvernance ? Le Rwanda reste assez particulier, même comparé à ses voisins directs, l’Ouganda, le Burundi ou à la RDC, où les gens ont le droit de s’exprimer et de réaliser leurs propres projets, de pouvoir entreprendre... Quand on n’a pas le droit de s’exprimer et de faire ce qu’on a envie de faire, on n’existe pas. On ne vit pas. Mon combat n’est pas uniquement pour la démocratie, mais pour la vie. Ne vous paraît-il pas compréhensible, après un génocide, que les vainqueurs écrivent leur version de l’histoire et refusent toute critique ? Le génocide des Tutsis est arrivé, c’est un fait. Ce sujet est très sensible, pour le gouvernement comme pour ceux qui ont perdu les leurs. Tout ce que je peux vous dire, c’est que penser comme certains que le génocide nous impose de nous taire, c’est prendre les Rwandais pour des enfants et marquer une certaine condescendance à leur égard. Quand je parle de liberté d’expression, il ne s’agit pas de tenir des discours qui divisent. Non ! La liberté que je revendique, c’est celle de pouvoir questionner et critiquer. La différence entre le Rwanda et tous les autres pays du monde, c’est que nous n’avons pas le droit de parler des problèmes. Comment voulez-vous trouver des solutions, à partir du moment où les problèmes ne peuvent pas être nommés ? ■ propos recueillis par Sabine Cessou

« Presque tous les aspects de nos vies de citoyens sont sous contrôle. »

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La question de l’homme fort Peu de Rwandais osent parler à visage découvert quand ils ont des critiques à émettre. En revanche, le débat sur le modèle Kagame passionne l’élite africaine. BOUBACAR BORIS DIOP Journaliste et écrivain sénégalais, a participé en 1998 avec Koulsy Lamko et d’autres auteurs à un atelier d’écriture au Rwanda, dont il a tiré l’excellent roman Murambi, le livre des ossements (Zulma, Paris, 2011).

« EN RAISON DE SON SENS ÉLEVÉ DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL, KAGAME EST UN EXEMPLE »

ANTOINE TEMPÉ/PICTURETANK

AM : Que pensez-vous du débat autour de Paul Kagame en tant que « modèle » ? Pour moi, c’est un très grand homme – modèle ou pas. Lorsqu’on exterminait les Tutsis, personne n’a levé le petit doigt pour les sauver. C’est lui qui a mis fin au génocide et personne d’autre. Ce pays aurait dû être sous assistance médicale après 1994. Il fait débat aujourd’hui, ce qui en dit long sur le chemin parcouru par une nation dans laquelle des pays comme la France ont été du côté des tueurs, et dont on disait que son chef ne tiendrait pas après 1994. Mais Kagame n’a pas lâché. Je considère que quoi qu’il arrive, il a gagné. Je comprends que les jeunes un peu désespérés s’intéressent à lui, car on trouve difficilement un exemple tel que le sien dans notre histoire contemporaine, en raison de son sens élevé de l’intérêt général. Ce débat est-il particulièrement intéressant au Sénégal, un pays présenté comme un « modèle » de démocratie ? Même au Sénégal, il y a beaucoup de nuances entre ce tableau qu’on dresse souvent de l’Afrique, avec les bons démocrates et les méchants dictateurs. Paul Kagame tient son pays d’une main de fer, certes. Cela ne me dérange pas, car il n’est pas Mobutu, ni Bokassa AFRIQUE MAGAZINE

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ou Amin Dada. Je suis bien placé, en tant que Sénégalais, pour apprécier les vertus d’un système ouvert. Or, qu’en a fait Macky Sall ? Les résultats paraissent tellement dérisoires ! Dans un pays tel que le Rwanda où la parole a tué, est-ce possible de construire une démocratie ? Il n’est pas seulement question de la parole qui tue : la Radio des Milles Collines, c’était très démocratique, et son discours a abouti à une apocalypse, en effet. Au Sénégal, les gens s’expriment, mais cette liberté concerne une minorité. C’est précieux, mais le pays n’en va pas moins à vaul’eau ! Notre diplomatie reste assez énigmatique et les intérêts français n’ont jamais été mieux servis que sous Macky Sall. Le système éducatif est à l’abandon. Les gens ne peuvent pas se soigner. Malgré ses 200 partis politiques, notre démocratie de prébendes voit le chef distribuer les privilèges et tout le monde se tait sur ces pratiques.

Personne n’a-t-il jamais été à la hauteur de Paul Kagame ? Le bon exemple reste Thomas Sankara. À sa différence, Paul Kagame ne s’inscrit pas dans une révolution planétaire et n’a jamais voulu faire de Kigali une Mecque des progressistes. Il essaie de faire au mieux pour son pays. Ce qui n’exclut pas la volonté de parler aux autres et d’avoir de bonnes relations avec nombre de dirigeants francophones. Nulle part au monde, je n’ai pu observer de tels changements. Paul Kagame le dit parfois : « Nous voulons que notre histoire soit un regard vers le futur, au lieu d’une fixation sur le passé. » Son intention est de faire parler du Rwanda en bien, pour ses progrès, et non en mal, à cause du génocide. Si les morts de 1994 revenaient à Kigali, ils ne reconnaîtraient pas la ville où ils ont été assassinés. L’espace urbain est devenu totalement différent – j’y vois une volonté inconsciente d’effacer les traces du crime, mais par le haut, et non par un vulgaire maquillage de la scène. Paul Kagame est-il le seul chef d’État à avoir vraiment tourné la page postcoloniale ? À la fin du génocide, la France lui a proposé la solution qu’on fourgue toujours aux Africains, avec un gouvernement d’union nationale et le partage du pouvoir. Il leur a dit : « Allez vous faire voir ! ». N’oublions pas qu’en 1998, au Rwanda, il n’y avait rien ! Tout le monde avait été tué : les juges, les intellectuels… Arriver à s’en sortir à force de travail après cette histoire terrible, c’est tout simplement exceptionnel ! ■ propos recueillis par S.C. 25

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De mère rwandaise, le journaliste et chercheur et burundais a œuvré au sein du bureau parisien du Congrès national africain (ANC) dans les années 80. Il s’est penché sur les questions de réconciliation nationale en Afrique du Sud et au Rwanda.

« SANS ESPOIR EN 1993, LE RWANDA EST DEVENU UN EXEMPLE DE DÉVELOPPEMENT» AM : Paul Kagame est-il un modèle à suivre en Afrique ? Il préside un pays résilient, que d’aucuns croyaient incapable de se redresser après le génocide. En 1994, l’État était détruit, l’insécurité généralisée et près de 2 millions de Rwandais avaient fui après avoir trempé dans des massacres. Des dizaines de milliers d’enfants étaient des orphelins du génocide ou perdus par leurs parents lors de la fuite. De cette blessure indescriptible a émergé un pays aux indices de développement humain impressionnants. Sans espoir en 1994, le Rwanda est devenu un modèle de développement et d’intégrité de ses dirigeants. Parce qu’il est l’un des inspirateurs de cette réussite, Paul Kagame est vu par de nombreux Africains comme un modèle de dignité et de progrès, en effet. Quid des critiques à son encontre sur la démocratie et le respect des droits de l’homme ? Il y a plusieurs partis politiques au Rwanda, dont une partie est alliée à la majorité présidentielle. Au vu des résultats du pouvoir, le rapport des forces ne va pas tourner à court terme en faveur de l’opposition. Si l’on considère que la démocratie implique un espace de libre parole pour tous, on peut comprendre que la liberté

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d’expression soit restreinte au Rwanda, en raison des dangers de la rhétorique identitaire. La loi rwandaise tient la banalisation du génocide pour un délit et non un droit. Car il y a encore, hélas, des partis qui n’ont tiré de l’histoire récente aucune leçon sérieuse. La démocratie participative n’en a pas moins joué son rôle dans la renaissance du Rwanda, avec les gacaca et les coopératives agricoles et artisanales. En quoi les voies suivies par le Rwanda et le Burundi après 1993 et 1994 sont-elles différentes ? L’accord d’Arusha en 2000 a abouti au partage du pouvoir entre groupes « ethniques » au Burundi, avec 50 % de Hutus et 50 % de Tutsis dans l’armée, 40 % de Tutsis et 60 % de Hutus dans l’administration, ainsi que 30 % de femmes dans les institutions. Cette formule a coupé l’herbe sous le pied des extrémistes et démystifié la question « ethnique », les citoyens ayant réalisé que le problème du Burundi était politique, et non ethnique. Les revendications sont devenues plus sociales qu’identitaires. Après dix ans de corruption et de répression contre les opposants, le refus du président Pierre Nkurunziza de quitter le pouvoir en 2015 a fait régresser le Burundi.

Au Rwanda, au contraire, les accords d’Arusha d’août 1993 ont été pulvérisés par le génocide. Un mouvement de libération nationale, le FPR, a pris le pouvoir et décidé de ne plus jamais accepter de discours de haine, tout en prenant pour modèle les meilleures réussites économiques au monde, Singapour et Maurice. La justice a été rendue au Rwanda, et non au Burundi… Le fait que les pouvoirs soient toujours militaires dans la région n’est-il pas problématique ? La culture des dirigeants compte plus à mon sens. La vraie question est de savoir quel est le programme de telle équipe à un moment donné de l’histoire. Nelson Mandela a été le premier commandant de la branche armée du Congrès national africain (ANC), Umkhonto We Sizwe (MK). Samora Machel, Amílcar Cabral, Thomas Sankara et Jerry Rawlings avaient tous un passé militaire, mais voulaient en finir avec les discriminations, la corruption et la pauvreté. À mon sens, le problème majeur de l’Afrique postcoloniale est d’ordre idéologique. Il relève du populisme identitaire radical, une forme de démagogie qui sert à prendre ou conserver le pouvoir en instrumentalisant les différences réelles ou supposées (ethnie, religion, région), de façon radicale comme on l’a vu au Rwanda en 1994. Ce qui risque encore d’arriver au Burundi, si le cynisme de la communauté internationale prime sur le devoir de protéger un peuple. Kagame, par ses lectures et ses combats, vient de la tradition panafricaine des luttes de libération. Nkurunziza, lui, est resté prisonnier de l’ethnie dans un pays sans ethnie, car tous les Burundais partagent la même langue, la même culture et vivent sur le même territoire. Une tragédie ! ■ propos recueillis par S.C. DR

NESTOR BIDADANURE

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Historien sénégalais, il dirige depuis 2007 l’Institut d’études africaines au sein de l’université de Columbia (New York).

« SUR DES QUESTIONS VITALES, C’EST UN MODÈLE POSITIF »

SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA

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MAMADOU DIOUF

AM : Que pensez-vous du fait que des intellectuels au Sénégal voient en Paul Kagame un modèle de gouvernance – quitte à passer sous silence la violence à l’encontre de ses opposants ? Ce modèle doit nous interroger sur la signification des régimes politiques et le rôle des présidents en Afrique. Sans forcément suivre ce que la nouvelle doxa des mouvements de défense des droits de l’homme et de certaines institutions internationales nous « enseignent » sur la démocratie. Qui doit en définir les règles ? Les Africains en premier lieu ou la « communauté internationale », même si je n’exclus pas des interactions indispensables ? Il ne s’agit pas d’accepter la violence qui accompagne cette gouvernance, mais de reconnaître que, sur certaines questions vitales, elle a des effets positifs. Le sujet n’est-il pas très clivant ? Ma position n’est pas de combattre ou de défendre Paul Kagame, mais de réfléchir sur une histoire rythmée par le déchaînement d’une incroyable violence de 1959 à 1994. Elle a atteint un paroxysme inégalable et continue de se manifester de manière sporadique. Le génocide, aussi bien que la gouvernance de Kagame depuis 1994, nous oblige à revoir notre grille de lecture sur la démocratie, la sécurité, l’ordre, l’égalité, l’ethnicité, notre rapport à l’histoire et au temps du monde. Et ce n’est pas simple. Clairement, les règles imposées pour juger de la démocratie – élections périodiques, limitation des mandats AFRIQUE MAGAZINE

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présidentiels –, ne suffisent plus à comprendre les mutations en cours sur le continent, ni à déchiffrer les trajectoires heurtées empruntées par les sociétés. Qu’on le veuille ou non, il existe une certaine stabilité au Rwanda – établie ou non par la terreur, je ne sais pas… Paul Kagame n’est pas populaire seulement chez les Tutsis. Ne faut-il pas reconnaître son travail dans la lutte contre la corruption, l’organisation urbaine et le respect de la loi ? L’assurance maladie et le système de santé ne sont-ils pas performants ? Paul Kagame a-t-il eu le courage de décoloniser profondément l’esprit du Rwanda ? Son courage personnel n’est pas central, mais plutôt l’expérience qu’a traversée son pays, amenant son élite à expérimenter hors des sentiers battus, en passant d’une langue à une autre, d’un réseau diplomatique à un autre et en s’imposant comme l’une des puissances militaires les plus déterminées dans trois régions d’une extrême complexité, les Grands Lacs, l’Afrique centrale et de l’Est… Paul Kagame s’inscrit encore dans cette logique de l’expérimentation pour faire pièce des pratiques des régimes tutsis et hutus de la période postcoloniale, dans un contexte extrêmement dur. Représente-t-il l’homme fort dont les États africains auraient besoin ? Cette question est lancinante, mais l’homme fort ne résout rien du tout. La question est d’avoir une équipe capable de fonctionner pour obtenir les résultats, avec un animateur qui dirige comme un primus inter pares. Kagame est le produit du génocide. Il a un regard sur le présent et le futur du Rwanda forcément marqué par cet événement. Être Kagame ailleurs en Afrique est impossible parce que les circonstances sont différentes. Il y a eu génocide au Rwanda dans

une séquence si courte et une telle barbarie que les traces vives laissées dictent des comportements tout aussi inédits. Kagame et Mandela, qui sont les produits d’histoires particulières, n’ont pas fait les mêmes choix après 1994. L’Afrique du Sud a opté pour la réconciliation, Mandela, le mandat unique et le refus de voir un homme incarner la providence. Le Rwanda, lui, est resté un État fort autour d’un homme, avec la recherche d’un consensus. Je ne crois pas au chef charismatique comme moteur de transformations positives. On est déjà passé par là, avec plusieurs expériences sans succès, d’Houphouët-Boigny à Museveni en passant par Nkrumah, Kenyatta, Nyerere, Sékou Touré dans la première génération et Jerry Rawlings… L’Afrique n’a pas besoin d’une dictature bienveillante ou d’un monarque éclairé, mais d’une équipe dotée d’une vision partagée par la population, alors susceptible de se mobiliser. N’y a-t-il pas un problème de violence au Rwanda ? Je suis d’accord, elle est persistante. Imaginer que le Rwanda puisse ne pas en être imprégné après le génocide est une vue de l’esprit. Croyez-vous qu’après un million de morts tués à la machette, il soit possible de passer à la non-violence du jour au lendemain ? En revanche, on doit louer le fait que le niveau de brutalité ait considérablement reculé. ■

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ENJEUX

QATAR LA NOUVELLE BATAILLE DU GOLFE Doha, capitale ambitieuse d’un État peuplé d’un peu plus de 2 millions d’habitants.

MARTIN SASSE/LAIF-REA

Trop proche de l’Iran, trop proche des Frères musulmans, trop indépendant… le richissime émirat a été mis au ban par ses voisins. Une nouvelle séquence de déchirements arabes, révélateurs d’immenses enjeux stratégiques. par Akram Belkaïd AFRIQUE MAGAZINE

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ENJEUX QATAR, LA NOUVELLE BATAILLE DU GOLFE

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’heure des comptes a-t-elle sonné pour le Qatar ? Après avoir symbolisé une irrésistible émergence sur le plan régional et mondial, l’émirat est désormais acculé dans les cordes par deux de ses puissants voisins : l’Arabie saoudite et Abou Dhabi, le richissime poids lourd de la fédération des Émirats arabes unis (EAU). En accusant Doha de « soutenir le terrorisme » et en lui soumettant, « comme conditions d’un retour à la normale », plus d’une dizaine d’exigences d’une extrême dureté (fermeture d’Al Jazeera, expulsion d’opposants saoudiens, fin du soutien à la confrérie des Frères musulmans, compensations financières…), ces deux monarchies entendent imposer une tutelle de fait à la dynastie des Al Thani. Une attitude agressive, pour ne pas dire martiale, qui rompt avec le consensus feutré qui régnait jusque-là au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui réunit l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, le sultanat d’Oman et le Qatar. Pour la politologue Fatiha Dazi-Héni, « il y a toujours eu des tensions au sein du CCG dues notamment aux ambitions hégémoniques de l’Arabie saoudite et, plus récemment, des ambitions régionales de l’émirat d’Abou Dhabi. Mais cette crise avec le Qatar est d’une ampleur et d’une gravité inégalées. En temps habituels, les choses se réglaient à l’abri des regards extérieurs ». Un diplomate occidental, pourtant rompu aux turbulences politiques de cette région, confesse de son côté son « extrême étonnement », estimant que « désormais, tous les scénarios sont possibles. Y compris une militarisation de la crise et son internationalisation ». Pour comprendre ce bouleversement qui, quel que soit son dénouement, laissera des traces, il faut d’abord remonter à la fin des années 60. À l’époque, la Grande-Bretagne prépare son désengagement militaire et protecteur de la région. Les divers émirats du Golfe sont donc promis à l’indépendance après avoir vécu sous l’aile protectrice de Sa Majesté. Malgré les pressions de Londres, le Qatar, tout comme Bahreïn, refuse finalement de se joindre à la fédération des EAU. À Abou Dhabi, on ne goûte guère cette décision qatarie de jouer en solo. De son côté, à Bahreïn, la dynastie des Al Khalifa envisage un temps de réclamer une partie de la presqu’île qatarie, estimant que ce territoire lui revient de droit eu égard au passé de ce que l’on appelait la Côte des pirates au XIXe siècle. Quant à la monarchie saoudienne, elle tente d’agir en coulisse pour absorber le Qatar, ses diplomates rappelant que les Al Thani, membres de la confédération tribale des Banu Tamim, sont originaires du plateau saoudien du Najd et que leur pré-

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Une ambition dans un secteur sence au Qatar est le résultat d’une relégation territoriale au XVIIIe siècle due au mauvais comportement de cette tribu visà-vis des caravanes de pèlerins pour La Mecque. Ainsi, pour résumer, le Qatar devient indépendant en 1971 au détriment des ambitions hégémoniques plus ou moins affirmées de trois de ses voisins : l’Arabie saoudite, Abou Dhabi et Bahreïn. ÊTRE AU MIEUX AVEC TOUT LE MONDE Dès lors, la stratégie de cet émirat va être de toujours obtenir l’assurance de ses partenaires occidentaux, ÉtatsUnis, Grande-Bretagne et France en tête, qui veilleront en permanence à sa protection et à l’intégrité de son territoire. Officiellement, « l’ennemi » ne fait pas partie du CCG. Washington, Londres ou Paris sont sollicités pour faire pièce aux ambitions régionales de l’Iran, de l’Irak voire de pays plus éloignés comme l’Inde ou le Pakistan. En réalité, dès 1972, et une crise dans la délimitation définitive des frontières, Doha sait qu’il lui faudra compter avec la volonté saoudienne de régenter la péninsule. Dans un premier temps, et ce jusqu’au milieu des années 90, la stratégie qatarie va donc s’appuyer sur deux axes. Le premier consiste à adopter une démarche AFRIQUE MAGAZINE

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inattendu : celui des médias « relativement » libres... Installation hautement stratégique : la base d’Al-Udeid, en plein désert qatari. Celle-ci compte la plus grande concentration de militaires américains dans la région (10 000 soldats).

MALAK HARB/AP/SIPA - NATHAN LIPSCOMB/U.S. AIR/SIPA

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En vingt ans d’existence, Al Jazeera (ici les plateaux de la chaîne à Doha) s’est fait de nombreux ennemis dans la région.

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Les vrais ennuis ont commencé avec des positions favorables aux printemps arabes.

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magasins prestigieux à Londres, Paris, New York ou Tokyo : voilà quelques-unes des actions répétées du Qatar qui feront constamment la une des journaux. La concurrence en matière de notoriété planétaire avec l’émirat voisin de Dubaï étant rude, le Qatar se distingue dans un secteur inattendu : celui des médias et de la liberté d’expression. Le lancement d’Al Jazeera en 1996 est un tournant dans le paysage audiovisuel arabe. La chaîne d’informations tranche avec le reste. Elle ouvre de multiples antennes dans le monde. Des opposants arabes peuvent s’y exprimer en direct et sans retenue. Les autres monarchies du Golfe sont ménagées mais à Riyad comme à Abou Dhabi ou Manama, on s’inquiète de cette télévision qui tend son micro aussi bien à Oussama Ben Laden qu’aux dirigeants du Hamas palestinien ou du Hezbollah libanais. Plusieurs fois, les Saoudiens demandent, non pas la fermeture de la chaîne, mais une reprise en main. L’émir Hamad s’y refuse. Il est persuadé que cette télévision est un atout dans la lutte d’influence qui l’oppose aux autres Mohammed monarchies. « Ils ont des armées, j’ai Ben Salman, prince héritier Al Jazeera » confie-t-il à un émissaire et ministre de algérien venu un jour lui demander la Défense – en vain – de bannir de l’antenne des d’Arabie personnalités de l’ancien Front islasaoudite. mique du salut (FIS). SOUTIEN AU « MAUVAIS CAMP » En plus de vingt ans d’existence, Al Jazeera s’est fait nombre d’ennemis dans le Golfe. Jusqu’à présent, Saoudiens et Émiratis estimaient que leurs propres médias, dont la chaîne Al-Arabiya, arriveraient à contrebalancer son influence et son tropisme pro-Frères musulmans. La crise de juin 2017 montre que la donne a changé et que les deux monarchies veulent en finir avec une voix qu’ils considèrent comme séditieuse et pas suffisamment engagée contre l’Iran ou les Frères musulmans. « L’activisme du Qatar n’a jamais cessé d’agacer les Saoudiens mais, sous le règne du roi Abdallah, ils ont fait preuve de retenue comme ce fut aussi le cas pour Dubaï » analyse un ancien haut fonctionnaire qatari aujourd’hui à la retraite et installé en Europe. « En 2010, quand nous avons obtenu l’organisation de la Coupe du monde de football 2022, il était clair que Riyad n’appréciait guère cette mise en avant. Mais les vrais ennuis ont commencé avec les printemps arabes. En se distinAFRIQUE MAGAZINE

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conciliatrice et apaisante à l’égard de Riyad et d’Abou Dhabi. Doha ne fait pas allégeance totale mais évite de heurter de front ses deux voisins en se rangeant le plus souvent à leurs avis lors des différends au sein du CCG. Le second réside dans la multiplication d’accords de défense avec les grandes puissances occidentales mais aussi dans une normalisation diplomatique avec des pays tels l’URSS, l’Iran ou la Chine populaire. Dès cette époque, Doha entend être au mieux avec tout le monde… Des relations commerciales et sécuritaires officieuses sont même nouées avec Israël, officiellement boycotté par tous les membres de la Ligue arabe. Les choses changent en juin 1995 avec une révolution de palais. Le prince Hamad Al Thani dépose son père, l’émir Khalifa Al Thani, qui règne depuis 1972. Le coup d’État se fait sans violence mais le déchu n’acceptera son sort qu’en 2004, date de son retour à Doha. Entre-temps, la modernisation de l’émirat s’accélère. Une anecdote locale ressassée à l’envi par les officiels locaux prétend que le nouveau souverain aurait été profondément vexé, dans les années 80, qu’un douanier français ignore où se situait le Qatar. Une fois sur le trône, Hamad Al Thani entend « mettre son pays sur la carte ». Il s’agit alors de faire connaître ce petit émirat à peine plus grand que la Corse et dont le nombre de citoyens ne dépasse pas les 250 000 âmes. Le boom des prix des hydrocarbures et, plus encore, la forte demande mondiale en gaz naturel dont le Qatar est le troisième producteur mondial, va servir cette ambition. Doha ne se contente plus d’acheter des armes ou de signer des accords de défense. Il lui faut être sur tous les fronts : sports, culture, arts, humanitaire, conférences internationales et, bien entendu, business. Attirer de grandes compétitions sportives comme la Coupe du monde de football (pari réussi) ou les Jeux olympiques (pari perdu, du moins pour le moment) ; financer de grands musées et constituer un vaste patrimoine archéologique, dépêcher des convois humanitaires pour assister les populations confrontées à des guerres et des crises (Somalie, Djibouti, Sahel, Libye, Népal), investir dans les grands noms de l’industrie mondiale grâce à son fonds souverain, acquérir des immeubles et des

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Riyad, le 20 mai. Entouré du roi Salman Ben Abdelaziz Al Saoud (à dr.) et de Mohammed Ben Zayed Al Nahyane, prince héritier d’Abou Dhabi (à g.), Donald Trump a conforté Saoudiens et Émiratis dans leur détermination. guant avec une position autonome et favorable aux révoltes populaires, le Qatar a créé les conditions de la crise actuelle. » En Égypte, puis en Libye comme en Syrie, mais aussi en Tunisie, Doha est accusé par ses voisins de soutenir le mauvais camp. Celui de mouvements islamistes plus ou moins proches des Frères musulmans. Or, ces derniers sont autant honnis par la monarchie saoudienne que par le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Ben Khalifa Al Nahyan. En 2014, déjà, le jeune émir Tamim, qui venait de succéder à son père l’année précédente, avait dû faire amende honorable et promettre que son pays serait moins entreprenant à l’égard des Frères. Las, et malgré quelques concessions, l’agenda syrien ou libyen des Qataris est resté inchangé. De son côté, et malgré une désaffection d’une grande partie de son public arabe, Al Jazeera continue d’ouvrir son antenne à des voix discordantes qui prônent notamment une normalisation entre monarchies du Golfe et l’Iran. La mise sous quarantaine du Qatar par ses deux voisins oblige ses dirigeants à prendre la mesure de l’efficacité relative de leur politique de soft power. Face aux mises en demeure saoudiennes et émiraties, Doha n’a vraiment pu compter que sur deux partenaires. La Turquie, qui possède une base militaire sur le sol qatari et l’Iran, qui a dépêché de nombreuses cargaisons de vivres et de produits de première nécessité pour alléger le poids du blocus frontalier. En Occident, le président américain Donald Trump a repris à son compte les accusations de « soutien au terrorisme », semblant ignorer alors que le Qatar abrite la plus grande base américaine de la région. Certes, le Pentagone a pris ses distances avec ces mises en cause mais le président américain a conforté Saoudiens et Émiratis dans leur volonté de mater Doha. En France, comme en GrandeAFRIQUE MAGAZINE

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Bretagne, au-delà des appels à la raison, le message est sans ambiguïté : le Qatar ne vaut pas que l’on se brouille avec Riyad, premier détenteur des réserves de brut dans le monde et premier acheteur d’armes dans la région. « Le soft power qui ne s’adosse pas à une force militaire, fût-elle de dissuasion défensive comme c’est le cas de la Suisse, ne sert à rien » estime encore le diplomate occidental. Pour lui, « le Qatar va devoir tirer les enseignements de son isolement, même relatif. Et comprendre que dépenser des milliards de dollars pour organiser la Coupe du monde de football ou financer un festival musical en Europe ne garantit pas une protection absolue contre des voisins hostiles. UNE VOLONTÉ DE CROISER LE FER Pour autant, rien n’est encore perdu pour Doha. Si les offres de protection iraniennes sont plus embarrassantes qu’autre chose, le rapprochement avec Ankara est une donne majeure. Jadis, avant que les Britanniques ne règnent en maître dans la région, les Ottomans occupaient une partie de la presqu’île. Ce retour à l’histoire et la volonté de Tayep Reccip Erdogan de croiser le fer, s’il le faut, avec Abou Dhabi ou Riyad, bouleversent le rapport de force. Avec une base militaire au Qatar et des troupes stationnées en permanence, la Turquie, membre, faut-il le rappeler, de l’Otan, a clairement signifié qu’elle empêcherait un changement de régime dans l’émirat. Ni l’armée saoudienne ni celle d’Abou Dhabi, toutes deux déjà enlisées au Yémen face aux rebelles houthis, ne font le poids face à des troupes turques aguerries. La monarchie des Al Thani joue peut-être son avenir dans cette crise mais rien ne dit que ses adversaires ne paieront pas le prix fort d’une mise en quarantaine aussi musclée que brouillonne. ■ 33

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Dans son palais, en 2015.

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Tamim Ben Hamad Al Thani L’épreuve de force Jeune, riche, sportif, il tente de maintenir les équilibres et de faire face à la véritable crise existentielle qui menace le pouvoir de sa famille. par Julien Wagner

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roisième chef d’État le plus jeune au monde (37 ans) et quinzième le plus riche (2,5 milliards de dollars), Tamim Ben Hamad Al hani est le point de départ de la crise politique en cours dans le Golfe. Ce sont ses « supposées » déclarations favorables à l’égard de l’Iran et des Frères musulmans début juin (qu’il dément) qui ont mis le feu aux poudres. Depuis lors, celui qui a succédé à son père, Hamad Ben Khalifa Al Thani, en 2013, a plutôt étonné par son sang-froid. Aucune mesure de représailles diplomatiques n’a par exemple été prise par l’émirat à l’encontre des pays (africains, notamment) qui ont soutenu Riyad. Décrit par ses interlocuteurs comme un homme « chaleureux » et « affable », Tamim, qui a trois épouses et neuf enfants, est surtout présenté comme étant de caractère plus conservateur que son père, soucieux aussi d’accentuer la « qatarisation » de l’économie. L’émir, formé comme ce dernier à l’Académie royale de Sandhurst (Royaume-Uni), l’école des élèves-officiers de la British Army, a eu le temps de se préparer à l’exercice du pouvoir. Avant même son accession, il conduit les discussions avec l’Arabie saoudite au sujet de litiges frontaliers et est chargé du suivi des contrats d’armement avec les États-Unis et la France. Dès 2003 en fait, à la faveur d’une modification de l’ordre de succession, il est consacré héritier. Pourtant, il était loin d’y être destiné : il n’est en effet que le deuxième fils de la deuxième épouse de Hamad Ben Khalifa, Cheikha Mozah Nasser Al Missned. Il va en fait bénéficier de la perte d’influence de ses trois grands frères Mishal (héritier désigné de 1995 à 1996), Fahd puis Jassim (héritier désigné de 1996 à 2003). Il s’agit surtout de la première passation « normale » de pouvoir dans la jeune histoire du pays. Son père avait fait montre de plus d’« audace » pour accéder au trône. En 1995, à la faveur d’un coup d’État, Hamad Ben Khalifa avait confisqué le pouvoir alors que son propre père était en déplacement en Suisse. Avec Hamad, l’État « tête d’épingle » va se transformer en premier exportateur de gaz liquéfié au monde. C’est

aussi lui qui établit une nouvelle stratégie de rayonnement à l’international au travers d’investissements massifs dans les médias (Al Jazeera), le tourisme ou le sport. C’est lui encore qui décide de soutenir les Frères musulmans ou apparentés, le Hamas à Gaza, en Tunisie (par son soutien à Ennahdha), en Égypte à l’époque du régime des Frères musulmans et du président Morsi. Tout en se ménageant des alliances en Occident avec les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni. Et c’est encore lui qui signe en 2010 des accords de sécurité et de défense avec Téhéran, honni par l’Arabie saoudite. Une stratégie d’équilibriste, sur le fil, que son fils tente de maintenir. En Afrique, Doha s’est jusqu’ici surtout concentré sur le Maghreb où l’émirat a investi dans l’énergie et le tourisme. Mais il s’est aussi impliqué directement sur le continent, comme médiateur de crises, entre le Soudan et le Tchad ou entre Djibouti et l’Érythrée. Malgré l’ouverture régulière de nouvelles ambassades africaines à Doha, le Qatar reste une puissance relativement discrète en Afrique subsaharienne. On lui reproche même d’y « promettre beaucoup mais de donner peu ». Le prince s’est d’abord et avant tout fait connaître à travers sa passion pour le sport. Il est ainsi le grand artisan de la sulfureuse obtention par son pays de la Coupe du monde de football 2022 (après l’échec d’une tentative pour organiser les JO de 2020). Joueur de tennis confirmé, il a occupé les fonctions de membre du Comité international olympique (CIO). Le 6 mars 2012, à travers Qatar Investment Authority, il devient aussi l’unique actionnaire du club de football Paris Saint-Germain. Malgré ses nouvelles fonctions, aujourd’hui encore, à Paris, le Parc des Princes ne cesse de bruisser des humeurs du monarque envers « son PSG ». Pas plus tard que l’an dernier, furieux que son équipe ait été éliminée en quart de finale de Ligue des champions par Manchester City (propriété de fonds émiratis), c’est lui qui décide de congédier l’entraîneur, Laurent Blanc, deux mois seulement après que celui-ci ait renouvelé son contrat. Une décision à 20 millions d’euros. ■ 35

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Le chef de l’État a d’ores et déjà annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat. 36

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SCÉNARIOS POUR MAINTENANT ET POUR… DEMAIN ! Même si 2020 et l’échéance présidentielle, « ce n’est pas maintenant », la classe politique ne pense qu’à cela. Des ambitions multiples qui permettent de mieux lire les enjeux auxquels fait face le pays. par Zyad Limam

Ado, président

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EMMANUEL EKRA/AP/SIPA

ertains pourraient le penser affaibli. D’autres, surtout, aimeraient le voir affaibli. La crise militaire, les mutineries, l’ont touché. Le président s’en veut certainement de ne pas avoir maîtrisé tous les paramètres de cette affaire. Des moments ont été critiques. Mais, aujourd’hui, Alassane Dramane Ouattara est bien là, interpellé, mais solide au centre du dispositif. Malgré la conjoncture complexe, en particulier avec la baisse des prix du cacao, les bailleurs de fonds et les partenaires sont présents. Les Jeux de la Francophonie ouvrent à Abidjan dans quelques jours (voir

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Tout est possible… Le président a certainement son sentiment, sa position, son éthique sur la question. Mais il veut aussi avoir un rôle majeur, sur l’après. Il a certainement un ou deux scénarios bien inscrits. Mais il fait aussi, on l’a dit, de la politique. Les circonstances, les événements, les personnalités pourront l’amener à changer le dispositif. Et puis le « PR » n’est pas tout-puissant. Le pouvoir, la vie, rien ne s’écrit d’avance. Les noms qui circulent en boucle dans les salons abidjanais, dans les journaux, ne sont pas forcément ceux qui s’imposeront un jour. Et puis, le pays a changé. Le système est basé sur des élections, sur une compétition électorale et les urnes. Le peuple aura son mot à dire. En clair, et pour reprendre une expression présidentielle, « 2020, ce n’est pas maintenant ».

Tous contre Ado ? C’est le scénario qui agite le tout-Abidjan. Une union des forces pour mettre fin à la domination présidentielle, qui viendrait contrecarrer les choix supposés d’ADO dans l’optique 2020. Puisque la Côte d’Ivoire se gouverne par alliance, il suffirait de changer l’alliance pour atteindre le palais. Le FPI (Front populaire ivoirien) de l’ex-président Gbagbo étant pour le moment largement affaibli, divisé entre « pro-Laurent » et « post-Laurent », il resterait donc deux candidats majeurs, deux mouvances essentielles qui pourraient être tentés de jouer leur carte (un peu) ensemble. Le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) d’Henri Konan Bédié et les amis de Guillaume Soro, regroupés au sein d’un mouvement « soroïste » ou dans une nouvelle mouture des Forces nouvelles (FN)… Encore faudrait-il que des notables PDCI arrivent à s’entendre avec des militants au passé « rebelle ». Encore faudrait-il que « Guillaume » accepte de laisser la place à un président PDCI pour un ou deux mandats (cinq ou dix ans). Encore faudrait-il que les alliés se fassent confiance et que le mariage de la carpe et du lapin soit fonctionnel… Encore faudrait-il surtout que le reste du pays – la sphère d’influence actuelle du RDR (Rassemblement des républicains), démographiquement puissante – accepte la perspective d’être exclu du pouvoir. Le tous contre Ado, ou son successeur adoubé, pourrait avoir l’effet inverse, analyse ce spécialiste : « Celui de rassembler les troupes, les fidèles du RDR, éparpillés, amollis par les années de pouvoir et remobilisés par la perspective d’un retour de ceux qui, hier, après tout, défendaient peu ou prou le concept d’ivoirité. » Et, dans tous les cas de figure, ce scénario de la compétition ouverte serait lourd de dangers pour la Côte d’Ivoire. AFRIQUE MAGAZINE

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p. 71). Un sommet Afrique/Union européenne est prévu dans la capitale début novembre. Et la Côte d’Ivoire a obtenu de haute lutte un siège de membre non permanent au conseil de sécurité des Nations unies. L’opinion, interne et externe, sait à quoi s’en tenir réellement : la stabilité, c’est l’équipe actuelle, dirigée par ADO et son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Pour mener le pays jusqu’à 2020, et à la fameuse échéance présidentielle, restaurer les paramètres de sécurité, assurer les grands équilibres de la nation, se battre pour la croissance. On ne voit pas très bien les autres options possibles… De longues années de luttes et d’opposition et sept ans de pouvoir ont beaucoup appris au président. ADO est en « recherche », il ressent les bouillonnements, les ambitions, il se pose des questions, s’interroge sur le rôle des uns ou des autres. Il écoute aussi, tout en se tenant à ses convictions. Il a confiance en son jugement. Et il sait où il veut aller. Ce qui compte le plus pour le « PR », c’est de marquer l’histoire. Être celui qui aura sorti le pays de l’ornière identitaire. Être celui qui saura éviter le piège des successions tragiques, des passations chaotiques. Aller au-delà d’Houphouët en quelque sorte. Il cherche une unité, un rassemblement autour de valeurs communes. Dans cette bataille de longue haleine, le président a besoin de « son » équipe, de son carré de fidèles, des gens sur qui il peut compter absolument. Primus inter pares, Amadou Gon Coulibaly, son lieutenant « de trente ans », est devenu son Premier ministre à un moment essentiel du second mandat. Mais pour « la classe politique », tout cela évidemment s’inscrit dans l’échéance présidentielle d’octobre 2020, véritable obsession généralisée. Ça calcule et ça gamberge. On s’imagine que le président a fait ses choix. Que l’affaire est pliée. Que les héritiers sont quasiment en place. Certains alors tentent de s’opposer, de faire valoir leurs droits supposés d’une manière ou d’une autre… À plus de trois ans de l’échéance, la course est ouverte. Du côté des proches d’ADO, certains regrettent que le « chef » ait annoncé un peu trop tôt, fin 2016 et début 2017, qu’il ne se présenterait pas pour un nouveau mandat en 2020. Une attitude tout à l’honneur du président, mais qui a ouvert la boîte de Pandore des ambitions débridées, multiples, souvent irréalistes. Ambitions qui se heurtent à une perspective toujours possible. ADO pourrait changer d’avis, être tenté d’allonger son bail au palais. Se représenter. Des personnalités importantes le poussent à continuer : « Après tout, à peine dix ans de pouvoir en Afrique, ce n’est pas grand-chose, pas suffisant en tous les cas pour réformer en profondeur le pays… »

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Le cas Guillaume Soro

Depuis les mutineries, le débat tourne autour de l’impétueux Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale (PAN), fondateur des Forces nouvelles, personnage équivoque et central de la rébellion, ex-Premier ministre de Laurent Gbagbo, rallié à Alassane Ouattara. Entre ADO et le jeune combattant audacieux, le courant a longtemps été parfaitement continu. Dans une forme étonnante de complémentarité, entre jeunesse et maturité. Des relations étroites qui auront plus d’une fois sauvé la mise à un Soro aventureux. En particulier lors de ses ennuis judiciaires en France et au Burkina. Puis la séquence se détériore. Avec la réforme constitutionnelle de fin 2016, le « PAN » perd son poste de dauphin constitutionnel. Il voit son concurrent intime Amadou Gon Coulibaly prendre une large place. Ses relations déjà guère brillantes avec le ministre d’État, ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko, s’assombrissent au gré des articles de presse qui évoquent leur rivalité. Au RDR, on se méfie de cet homme « incontrôlable », qui participe peu à la vie du parti, qui travaille sur son « agenda perso ». Des proches évoquent un Soro mal aimé, se sentant mis de côté par le PR, prêt à prendre ses revanches. Son rêve présidentiel jamais ouvertement exprimé n’en est pas moins un secret de polichinelle. Et certains estiment qu’on cherche à lui prendre ce à quoi il a « droit », ce qu’on on lui aurait « promis », un destin national, maintenant, en 2020… L’affaire des mutineries, son rôle supposé, la découverte de caches d’armes chez des proches du « PAN », achèvent de déstabiliser les équilibres précaires. Soro est dans le collimateur, on le soupçonne de vouloir faire dérailler la machine gouvernementale. Ses troupes tentent de faire revivre les FN, montent au créneau quand le chef est attaqué. Son influence dans l’armée est certaine, et pour certains jeunes, c’est un homme, un vrai… « Guillaume est un combattant, il impose un rapport de force, une forme de crainte, on se méfie de lui », résume un observateur avisé. « Il a été la cible de tentative d’assassinat. Il a survécu. Il croit en son destin. Le problème, c’est son image. Pour de nombreux Ivoiriens, Soro reste un homme imprévisible, dangereux, un homme de combat, de coups. Il ne rassure pas, il est

impulsif. Et son audience en dehors de son territoire est limitée. Pour les gens de l’ouest, du FPI, une bonne partie du PDCI et des Baoulés, il est avant tout l’homme de la rébellion. » Toute la question est là. GS est un homme d’action… Mais à l’intérieur de la sphère présidentielle, sa marge de manœuvre est contrainte. À l’extérieur, son audience a ses limites réelles. Dans une élection ouverte, GS aurait probablement bien du mal à rassembler. En clair, Guillaume a-t-il une place, un rôle constructif à jouer dans une Côte d’Ivoire pacifiée dont il ne serait pas le chef ?

Les ambiguïtés d’Henri Konan Bédié En apparence, tout va presque bien. Le duo fonctionne. En 2010 (au second tour) et en 2016, les troupes du PDCI, menées par le leader inamovible Henri Konan Bédié, se sont ralliées plus ou moins franchement à la candidature d’Alassane. Malgré les ambitions des uns et des autres, l’alliance a tenu, à une période cruciale pour le pays, celle de la reconstruction, de la réconciliation. Les enfants d’Houphouët se sont retrouvés pour le bien de la Côte d’Ivoire. ADO a investi dans le duo, multipliant les marques protocolaires, écoutant les doléances, y répondant le plus souvent. Rarement président en exercice n’aura témoigné autant d’attention à l’égard de l’un de ses prédécesseurs, qui par ailleurs, rappelons-le, fit tout ce qu’il put pour l’écarter du chemin vers le pouvoir. « HKB », 83 ans, ancien chef de l’État, débarqué par un coup d’État quasi improvisé en 1999, cultive, lui, son image de grand frère, de président honoris causa, de sphinx à la parole rare mais qui porte. Il a de la mémoire, la dent dure aussi disent certains. Les choses évidemment se déglinguent, là aussi, avec la perspective de 2020. HKB, poussé par la base et les cadres ambitieux du parti, entend bien se rendre incontournable et jouer un rôle déterminant dans la succession présumée d’ADO. D’interviews en confessions plus ou moins privées, HKB cajole Guillaume me Soro et martèle que le prochain président de la République publique sera issu des rangs du PDCI. Et que, de toutee façon, il s’agit d’une « promesse »

Puisque la Côte d’Ivoire se gouverne par alliance, il suffirait de changer… d’alliance pour gouverner.

Henri Konan Bédié.

Guillaume Soro.

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POUVOIR SCÉNARIOS POUR MAINTENANT ET POUR… DEMAIN !

L’énigme Amadou Gon C’est C est l’homme l homme dont tout le mon monde parle. Le numéro deux du PR. Entre les deux lead leaders, il y a quelque chose de quasi filial. Entre eux, comme on l’a écrit dans ce magazine, pas l’épais l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. La nom nomination d’« AGC » au poste de Premier ministre ministr pour piloter la seconde partie du mandat éétait attendue, logique. Elle aura surtout ancré l’idée que l’héritier a été choisi… Mutineries, grèv grèves, tensions sociales… Le PM s’est retrouvé dès les premiers jours au cœur de la tempête. Un rude apprentissage de Le fils de Korhogo a dû aussi l’exécutif. L

Ce qui q est sûr, c’est qqu’il u’il veut ve avant tout réussir sa mission. Amadou Gon Coulibaly. 40 40

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forcer sa nature, accepter de prendre la lumière, le premier rang, se pousser à communiquer, à faire de la télé, à donner des interviews. Processus normal qui ne fait qu’alimenter plus encore les rumeurs sur son rôle supposé en 2020. Et l’opposition quasi ouverte de certains poids lourds de la scène politique. AGC tente de prendre tout cela avec une certaine distance, en se concentrant sur son rôle. Dans un portrait publié dans AM no 368, il répondait ainsi à la question sur de possibles ambitions de se hisser au tout premier plan : « Je suis d’abord le Premier ministre d’Alassane Ouattara. Le mandat court jusqu’en 2020. Ce sont des années pleines qu’il faut mettre à profit, pour tous. Cette équipe a été soudée par un combat. Par une fidélité à un homme. Elle doit rester en cohésion pour assurer la réussite du président. Les dissensions ne seraient pas acceptables. Pour le reste, on verra plus tard. Et puis, moi, de toute façon, je ne calcule pas. Jamais. Ce n’est pas mon éducation, ni ma nature. Ma vie a été le produit des événements et des circonstances. C’est ça le destin, le vrai. Plus que les grandes décisions. Si je n’avais pas rencontré Alassane Ouattara en 1990, mon chemin aurait certainement été très différent. Alors, je m’investis, dans ce que j’ai à faire. Dans ce qui est devant moi. » Certes. Mais Amadou Gon a-t-il un agenda personnel ? Ce qui est sûr, c’est qu’il veut réussir à son poste de Premier ministre. Et il sait qu’il faudra s’imposer. Il sait qu’il devra s’exposer. Ce qui est sûr, aussi, c’est qu’AGC est avant tout fidèle à ADO. C’est l’alpha et l’oméga de son action. Son approche sera fonction des orientations du président. Ce qui est sûr enfin, c’est que « le fidèle lieutenant » n’aime pas qu’on lui marche sur les pieds, qu’on le torpille « en douce ». Le PM a un passé de militant, de combattant, il a appris à s’imposer dans les marigots de la politique et gagner ses galons. Si « on le cherche », il ne se laissera pas faire.

Le défi économique (et ses conséquences) On raconte qu’un conseiller de Bill Clinton, se lançant dans la campagne pour prendre la présidence à un George W. Bush auréolé de sa victoire dans le Golfe, aurait dit, pour résumer la stratégie de victoire : « It’s the economy, stupid. » « C’est l’économie, idiot ! ». Un peu comme en Côte d’Ivoire. Ici, on peut faire tous les discours politiques que l’on voudra, il faut que l’économie, le développement, le pouvoir d’achat suivent, ou plutôt, précèdent. Depuis 2011, le pays a emprunté le chemin AFRIQUE MAGAZINE

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(le fameux « pacte de Daoukro » interprété diversement par les uns et les autres). On imagine que du côté de la présidence, ces sorties ne sont pas toujours appréciées. Et que par moments l’ambiance devient fraîche. Même si les ponts ne sont pas rompus. On sait que le « grand frère » parle avant tout à ses militants, on se doute aussi que, pour survivre, le PDCI a besoin de visibilité, de concourir, mais on aimerait plus de discrétion et de solidarité à trois ans de l’échéance. Reste à savoir si HKB et ses troupes ont les moyens de leur politique. Hors du pouvoir exécutif depuis des années (depuis 1999…), les ressources du parti sont limitées. Pour la majorité des Ivoiriens, le référent traditionnel, le personnage Houphouët-Boigny, est une figure lointaine, historique certes, mais qui ne mobilisera pas des électeurs concernés par des préoccupations contemporaines. Pour beaucoup, le projet actuel se résume à un « Baoulo-centrisme » originel : « Le pouvoir traditionnellement est à nous, il doit donc nous revenir. » Une approche que la démographie politique et sociologique du pays d’aujourd’hui rendrait hasardeuse. Enfin, pour exister, pour se donner une chance au cas où, le parti a besoin d’un candidat, avec une force d’attraction nationale. Et qui serait donc, de facto, le successeur d’HKB… Et sans que le processus de sélection n’entraîne une lutte des chefs destructrice pour un parti historique certes, mais lui aussi touché par le temps, justement.

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d’une croissance élevée. Mais la pauvreté et les inégalités restent importantes. L’étape du « rattrapage » rapide est passée. Il faut maintenir des taux élevés sur une longue durée. Et s’axer sur le structurel : la gouvernance, la lutte contre la corruption, l’éducation, la modernisation des mentalités, l’entrepreneuriat et le social, et, in fine, la réduction des inégalités. Il faut réconcilier le pays neuf et ambitieux avec le pays précaire et fragile. L’émergence doit donc descendre vers le plus grand nombre, ouvrir les portes de la création d’entreprise, stimuler l’artisanat, l’innovation, les nouveaux secteurs – technologie, tourisme, service… Cette ambition doit permettre de répondre à l’immense défi que pose la jeunesse. 70 % de la population a moins de 30 ans. La conjoncture, liée à la baisse des cours du cacao, est venue souligner que la reconstruction économique du pays, l’émergence, n’est pas à l’abri du retournement. Mais le pays reste attractif, les investissements suivent, la campagne Eurobond 2017 a permis de lever près de 2 milliards de dollars sur les marchés. La mise en route du grand projet de la centrale de Soubré ouvre de vastes perspectives en termes d’énergie. Il y a un véritable projet Côte d’Ivoire, la possibilité de s’imposer comme une nation émergente, de diversifier les ressources et les activités, de créer une richesse commune et mieux partagée. Mais c’est une œuvre de très longue haleine. Une ambition quasi générationnelle qui demande unité et gouvernance.

Ce que veulent vraiment

les Ivoiriens Les sondages, les enquêtes disent souvent la même chose. Ce qui compte le plus pour les Ivoiriens, c’est le maintien de la paix. La volonté de ne pas retomber dans la violence, les divisions, les errements du passé. D’assurer la stabilité pour les générations à venir. La crise militaire de début 2017 est venue rappeler que les comptes de l’histoire ne sont pas entièrement soldés. Malgré les immenses progrès des dernières années, le pays reste fragile, l’ethnicité, les fidélités claniques, les fraternités d’uniformes sont encore prégnantes. On l’a vu récemment, des armes circulent dans le pays. Les Ivoiriens, dans leur très grande majorité, quels que soient leurs backgrounds ethniques, culturels, veulent passer à autre chose. Pour reprendre la formule d’un visiteur assidu du pays : « Solder les erreurs du passé et maîtriser autant que possible les paramètres du futur. » Par réalisme, par pragmatisme, par sens des priorités, les Ivoiriens veulent vivre ensemble. Ils savent que l’unité offre une perspective et que les autres chemins peuvent mener au chaos. Ils attendent un discours politique nouveau qui réponde réellement à cette demande.

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Une autre manière de faire de la politique ? Le pouvoir, la présidence, le graal… Les appareils constitués, les militants, les bases, les cadres, que ce soit au RDR, au PDCI, au FPI (dans les versions pro-Gbagbo ou post-Gbagbo), dans les proches de Forces nouvelles qui cherchent à se rassembler, ailleurs, tous veulent jouer leurs cartes, en se basant souvent sur le logiciel ancien, largement inspirés par les réflexes identitaires, les bases ethnico-régionales. C’est le passé revisité. Malgré les dangers. Une approche mécanique supposée répondre aux réflexes d’un pays bien compartimenté. Bien sûr, la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui reste profondément modelée par les identités ethniques : le nord, le sud, l’est, l’ouest, les chrétiens, les musulmans, les animistes, les allogènes, les autochtones… Mais on l’a vu, le pays a besoin d’unité. Il faudra bien que les « patrons », les états-majors trouvent un accord sur le ticket présidentiel de 2020. Un ticket qui puisse rassembler largement. Qui génère un « score ». Et puis, surtout, la société change, elle n’est pas immobile, figée. Croissance économique, démographie, urbanisation, modes de vie, technologies, jeunesse, bouleversent les codes sociaux et le mode patriarcal traditionnel. Une classe moyenne est en train de naître. Les gens se marient au-delà de leurs terroirs. Abidjan et les grandes villes servent de creuset à l’émergence de cette nouvelle identité « pan-ivoirienne ». Il est certainement temps d’aller un peu loin, de dépasser les lectures ethniques, de rassembler ceux qui le souhaitent autour de principes et de valeurs, de redonner du sens au mot houphouëtisme, que les uns et les autres invoquent souvent sans vraiment vouloir en appliquer les préceptes. Personne n’est naïf, mais il y a vraiment une forte demande de modernité. Une des pistes envisageables serait la réunification de la grande famille houphouëtiste. Autour de valeurs communes : démocratie, unité, développement. C’est le projet ambitieux du RHDP, la formation du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix. L’idée portée contre vents et marées par Alassane Dramane Ouattara. La mise en place s’annonce ardue, exacerbée par les ambitions 2020, mais elle aurait le mérite de forcer le futur, de dépasser les contraintes ethniques et identitaires. Il y a une part de politique as usual, décrit cet Ivoirien très bien informé, « mais, in fine, les cartes sont entre les mains du président ». Ce sera à lui donc de lancer la machine, de provoquer l’adhésion, le mouvement, de déclencher un big bang dans l’univers politique ivoirien. ■ 41

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LA VAGUE TURQUE par Frida Dahmani, Hedi Dahmani et Abdeslam Kadiri

Revenant en force, Ankara inonde la région 42

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prentissage de l’école secondaire ! Derrière cette déferlante, des accords de libre-échange conclus en 2004-2005 et une stratégie qui porte le sceau de Recep Tayyip Erdogan : Premier ministre à partir de 2003 et président de la République turque depuis 2014, il est le maître d’œuvre du comeback de la Turquie sur la scène régionale, comme l’expliquent nos correspondants dans les pages qui suivent. ■ H.D.

Tunis, juin 2017, à la veille de la fête de l’Aïd el-Fitr. Autour du marché central, des étals de vêtements importés, très prisés durant ces nuits de ramadan.

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éfrigérateurs, vêtements, féculents… Depuis quelques années, d’Agadir à Bizerte, Marocains et Tunisiens voient déferler du made in Turkey. Les parts de marché historiques des marques asiatiques, européennes ou nationales rétrécissent toutes au profit de ce qu’une minorité intellectuelle qualifie de « nouvel envahisseur ». Une offensive économique, déficitaire dans la balance des échanges commerciaux – et qui se double d’une séduction culturelle : nourrie aux feuilletons égyptiens durant des années, l’Afrique du Nord consomme désormais des séries et telenovelas turques, doublées en dialecte local voire… syrien. L’idylle est telle que la Tunisie introduit même l’enseignement de la langue turque dans l’ap-

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Tunisie Les consommateurs sont

ravis, mais l’économie trinque

Peu chères, mais souvent de moindre qualité… Les importations en provenance du pays du Bosphore séduisent de plus en plus de clients, au détriment du marché national. soupape nécessaire pour éviter la grogne sociale. Tout le monde s’y retrouvait d’autant que des proches du pouvoir étaient à la tête de ces réseaux. Depuis, les deux-trois parrains d’antan ont été remplacés par une dizaine de nouveaux barons… », explique Lassâad. S’il s’émeut désormais, c’est que lui aussi est menacé. Des étals clandestins devant son magasin proposent des produits similaires aux siens pour moins cher. Il dénonce la complicité et la complaisance des Tunisiens : « Certains y gagnent, certes, mais ils participent à faire couler le pays. » Comme lui, les industriels vivent mal ce qu’ils considèrent comme un danger pour le tissu industriel national. « Le marché local est affecté par les importations de textile et habillement qui demeurent problématiques, notamment celles provenant de Turquie et de Chine, avec lesquelles la Tunisie affiche un bilan des échanges totalement déficitaire, puisqu’on achète à ces deux pays sans rien exporter dans ce domaine », alertait déjà en 2015 Belhassen Gherab, président de la Fenatex, qui a démissionné en mars dernier. UN RECUL À L’INTERNATIONAL Moncef, un sous-traitant de cette filière envisage, lui, une reconversion dans un autre domaine. « On n’y arrive plus : avant, les Turcs étaient de simples concurrents ; avec l’ouverture des barrières douanières, ils tuent à petit feu le textile tunisien » s’exaspère-t-il. Les commandes se font rares et sont de dernière minute ; dans ces conditions aléatoires, je ne peux continuer à employer 20 ouvrières ». De fait, la Tunisie

« Cela finit par devenir une épidémie qui touche tous les secteurs. »

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a rétrogradé de quatre places parmi les pays exportateurs d’habillement vers l’Union européenne (UE). Moncef peste et s’insurge, d’autant plus que le patronat réagit du bout des lèvres : « Le comble est que la famille de Wided Bouchamaoui, présidente de l’Utica [Union tunisienne de l’industrie du AFRIQUE MAGAZINE

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venue Habib Bourguiba. En cette douce soirée fin de ramadan, sur l’artère névralgique de Tunis, une jeune femme est en colère. Assia, 44 ans, professeur d’arabe, est hors d’elle. Elle désigne deux hommes affublés d’un costume rouge et or que l’on dirait inspiré d’un Aladin échappé des Studios Disney. « Ils nous envahissent sans aucune retenue ! », assène-t-elle à qui veut l’entendre. À force de grands gestes et dans un espéranto compris d’eux seuls, les deux hommes invitent les passants à déguster des glaces turques dans l’échoppe voisine. C’est ce qui met Assia en colère. « C’est insupportable, continue-t-elle. Les Turcs sont partout et on laisse faire. En plein centre de Tunis, un pôle touristique, voilà que l’on fait la promotion de leurs produits au lieu des nôtres ! Si j’allais vendre des spécialités tunisiennes place Taksim à Istanbul, les Stambouliotes ne me laisseraient pas faire ! ». Réaction épidermique ? Peut-être. Mais elle reflète aussi un trop-plein qui n’est pas sans incidence sur la balance commerciale tunisienne : sur les cinq premiers mois de 2017, le déficit avec la Turquie frôle les 820 millions de dinars (env. 300 millions d’euros), dans le droit fil des 1 482,2 millions de dinars de déficit en 2016 (540 millions d’euros). Au fil des ans et à faveur d’un accord de libre-échange conclu entré en vigueur le 1er juillet 2005, le made in Turkey s’est installé dans les commerces tunisiens au point de faire d’Ankara le 4 e fournisseur en Tunisie. « Cela a commencé par des biscuits pas chers et finit par devenir une épidémie qui touche tous les secteurs » précise Lassâad, un grossiste de la rue d’Espagne. Un commerce qui lui profite toutefois : l’homme s’approvisionne auprès de fournisseurs de l’économie parallèle, court-circuite taxes et factures et réalise, ni vu ni connu, de belles marges. « Sous Ben Ali, les Turcs apportaient leurs marchandises à Tripoli… Des Tunisiens s’y approvisionnaient pour fournir les bazars éphémères, en plein air, de produits introuvables venus de Libye. C’était un business illégal mais toléré par l’État, une

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En l’espace d’un an, la marque de prêt-à-porter LC Waikiki a ouvert trois boutiques en Tunisie. Ci-dessus, celle de la capitale, qui connaît une affluence permanente. Du côté de la restauration, les snacks à la mode d’Istanbul se multiplient, comme ci-dessous, avenue Bourguiba .

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commerce et de l’artisanat], le patronat tunisien, a ramené certaines franchises turques dans le pays. Faute de développer le secteur dans une conjoncture difficile, il faudrait au moins le préserver. » Mais la foule, qui envahit les points de vente de la marque de prêt-à-porter LC Waikiki, représentée par le groupe de Koraich Ben Salem, n’a cure de ces arguments. FINI LA FRIPE, VIVE LE « CHEAP » « Pour pas cher, je suis à la mode et c’est neuf ! », énonce Souad, une quadragénaire qui désormais dédaigne faire les marchés de fripes – jusque-là très appréciées des Tunisiennes. Le phénomène, devenu spectaculaire, s’est installé de manière insidieuse et profite du consumérisme des Tunisiens. Car l’extravagant déficit avec la Turquie est dû principalement à l’importation en masse d’habillement et de produits de consommation courante qui ne contribuent ni à la création d’emplois ni au développement économique – d’autant que le marché national fabrique des produits équivalents et, souvent, de meilleure qualité. « On a aussi tué l’industrie pneumatique : la Stip [Société tunisienne des industries de pneumatiques] ne produit plus de pneus, mais curieusement, c’est l’un de ses patrons qui est importateur de pneumatiques turcs » remarque

ALGÉRIE : L’EXCEPTION QUI CONFIRME LA RÈGLE

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e pénètre pas le marché algérien qui veut. Ici, les restrictions et verrous mis en place par les politiques étatistes et la Banque d’Algérie limitent les importations, d’autant que le système de franchise tel qu’il existe dans les autres pays y est particulièrement bridé. Les échanges avec la Turquie montent en puissance – même s’il est encore un partenaire modeste, avec 4,34 % des exportations et 3,57 % des importations. Mais le pays suit, petit à petit, l’exemple de ses voisins : en octobre 2016, pour la première fois, un feuilleton turc doublé en dziri (dialecte algérien) a été diffusé sur la chaîne privée Echourouk. « Elif », le drame d’une jeune fille qui rêve de devenir médecin mais en est empêchée par son père qui veut la marier à un riche notable du village, a été un véritable succès. Et les groupes industriels pointent leur nez : le géant du textile Boyner Sanayi ouvrira un complexe à Meskiana et un autre projet devrait voir le jour à Sidi Khettab (région de Rezilane). Tous deux devront revitaliser le secteur du textile, sinistré depuis dix ans, et favoriser la production locale au détriment des importations asiatiques et européennes. ■ H.D.

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Salem Ben Yahia, un ancien du secteur. Mis sur la sellette, le ministre du Commerce et de l’Industrie, Zied Laadhari, du parti d’Ennahda, a assuré que 80 % des produits importés de Turquie sont nécessaires à la Tunisie et que 30 % de ces importations concernent des équipements industriels dont le rapport qualité-prix est compétitif pour le pays. Un autre tiers selon lui porte sur des produits semi-manufacturés qui sont assemblés en Tunisie et exportés, contribuant ainsi à l’équilibre de la balance commerciale. Le reste étant constitué de biens de consommation indispensables, dont les huiles végétales. Des explications peu convaincantes, d’autant que le ministre rechigne à prendre des mesures conseillées pour limiter, à l’instar du Maroc, les importations qui sont pourtant prévues par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’accord de libre-échange entre la Tunisie et la Turquie. En revanche, et paradoxalement, le ministre a ouvert une ligne de financement de 70 millions de dinars aux entreprises du textile, afin de permettre la relance du secteur. « Le raz de marée des produits turcs est notable depuis 2012, l’année où les islamistes sont arrivés au pouvoir et relève d’une forme de soutien d’Ennahda à l’égard de leurs frères turcs et d’une stratégie dans l’islamisation du pays » assurent les détracteurs du parti (lire interview p. 49) qui multiplient les indiscrétions mais sans parvenir à prouver une stratégie concertée. Certains y voient du positif, une manière de provoquer un sursaut qualité dans la production nationale : « Les entreprises tunisiennes n’ont qu’à se mettre à niveau ; nous avons toujours été friands de produits étrangers mais le dinar est en trop mauvaise santé pour pouvoir voyager, alors on compense avec le made in Turkey. C’est un effet de mode qui passera, comme l’époque du shopping en Italie… » argumente Naziha. Cette institutrice reconnaît ne pas résister aux tentations et consommer plus, bien qu’elle n’arrive pas à lire la composition des produits – ce qui pourrait ralentir ses frénésies d’achats. À son opposé, la société civile fait de la résistance et s’est mobilisée sur les réseaux sociaux, avec le Collectif 619 (matricule de l’origine tunisienne sur les codes-barres), qui incite à consommer tunisien et à décrier les produits turcs, surtout quand ils ont leur équivalent en Tunisie. « Comment peut-on permettre que le bourghoul, blé mondé, que nous produisons, soit concurrencé par son équivalent venu d’Anatolie ? Pourquoi des confections d’eau minérale turque, utiles à faire des glaçons, sont-elles dans les supermarchés ? » Autant de paradoxes que souligne Aya Snoussi, membre du groupe. Mais la question essentielle est celle formulée par les économistes : « Peut-on revoir l’accord de libre-échange et contingenter le quota d’importation de manière unilatérale sans contrevenir à ses dispositions ? » Question que beaucoup jugent superflue puisqu’elle ne tient pas compte du commerce parallèle, premier client des produits turcs en Tunisie. ■ F.D. AFRIQUE MAGAZINE

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Maroc Textile, le secteur sinistré Depuis l’Accord de libre-échange de 2006, les enseignes low cost étranglent l’économie locale : 200 000 emplois ont été supprimés. Et ce n’est pas fini… Face à la concurrence, les ateliers de confection locaux (ici, Casablanca) sont à la peine.

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avid contre Goliath, Daoud contre Calüt… Vu de Rabat, le partenariat entre le Maroc et Turquie ressemble aussi à la confrontation du pot de terre contre le pot de fer. Dumping, pratique déloyale et commerce bilatéral déséquilibré sont pointés du doigt par les opérateurs locaux. Plusieurs secteurs au Royaume sont touchés : le textile, d’abord, mais aussi la grande distribution ou encore l’acier. Chaque année qui passe voit ainsi les importations en provenance du pays d’Atatürk augmenter sensiblement. En 2015, elles ont dépassé le cap de 10,5 milliards de dirhams (962 millions d’euros). Quand les exportations, elles, ne dépassent pas 3,3 milliards de dirhams. Résultat : un déficit commercial de 7 milliards de dirhams (640 millions d’euros). Plus pugnaces que leurs homologues tunisiens, les entrepreneurs ont mis sur pied, début juin, un forum – dit de « la dernière chance » (!) – d’investissement d’affaires MarocTurquie afin de tenter de relancer une coopération sous tension. Notamment parce que le marché turc est quasi inaccessible pour les exportateurs marocains, découragés par la législation et tracasseries administratives d’Ankara dès lors qu’ils essaient de promouvoir leurs produits. Le déséquilibre est tel que l’ex ministre turc de l’Économie, Mehmet Zafar Caglayan, a promis un assouplissement des procédures et une augmentation du volume des investissements marocains, notamment dans les secteurs de l’automobile, le textile et l’agroalimentaire. Entré en vigueur en 2006, l’Accord de libre-échange (ALE) a fini par faire figure de miroir aux alouettes : son comité de gestion ne s’est réuni qu’une fois depuis cette date alors que le traité oblige à une réunion annuelle. Un camouflet tel que

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la visite d’Erdogan en 2013 (alors chef de gouvernement) a été boycottée par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM)… Au Maroc, c’est le secteur du textile qui paie principalement les pots cassés. Entre 2009 et 2013, 200 000 emplois ont disparu. L’Association marocaine des industries de textile et de l’habillement (Amith) a réagi et lancé une étude sur l’existence de preuves de concurrence déloyale et de pratiques anticoncurrentielles de la part des industriels turcs. Qu’on en juge : en dix ans, les importations turques ont triplé, passant de 1 540 millions de dirhams en 2007 à 4 426 millions en 2016 ! D’une part, l’afflux de textile de contrebande (Chine, Taïwan, etc.) aux postes-frontières de Ceuta (au Nord) et de Guerguerate (au sud de Dakhla), et de l’autre, l’invasion d’enseignes low cost turques (LC Waikiki, De Facto, Koton…), aux prix très compétitifs, ont mis aux abois le textile marocain. Si les produits made in Turkey grignotent de plus en plus le marché marocain, c’est parce qu’ils sont subventionnés dans le pays d’Atatürk, à plusieurs niveaux. Lorsqu’ils inondent le marché marocain, ils sont bien plus attractifs. À quoi il faut rajouter l’effet de volume, la puissance de l’industrie textile turque (linge de maison, prêt-à-porter, matières premières…) étant sans commune mesure avec celle du Royaume. Échaudé par cette mauvaise expérience, le pays a pris des mesures de sauvegarde pour empêcher deux autres secteurs – celui de l’acier et de la céramique – de péricliter face au dumping turc. Une décision qui n’a pas été du goût d’Istanbul, qui a lancé une procédure contentieuse devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). ■ A.K. 47

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Des feuilletons aux voyages, une vision idéalisée du monde turc Spécialités culinaires, divertissements, tourisme… Nombre de Maghrébins vivent à l’heure d’Ankara. À l’origine : des échanges anciens qui prennent une nouvelle tournure.

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es manuels d’histoire sont clairs : l’Empire ottoman a fait de l’Afrique du Nord sa possession à partir du XVIe siècle. Mais si l’envahisseur n’a pu s’imposer que quelques dizaines d’années au Maroc, il s’est installé durablement en Tunisie, de 1574 à 1881. Et le pays des beys husseinites conserve des réminiscences de ce passé : outre d’innombrables monuments dont d’anciennes casernes et des mosquées, les plus notables traces de la présence de la Sublime porte, qui a jeté les bases de l’administration du pays, perdurent dans la gastronomie tunisienne (notamment la pâtisserie) et dans la musique qui, par exemple, marque à grand renfort de cuivres des cérémonies comme les circoncisions. Durant près de trois siècles, ce sont même les Turcs qui se sont adaptés aux coutumes locales en adoptant le dialecte et l’arabe comme langue ainsi que les costumes locaux. Et à l’indépendance, Habib Bourguiba a été fortement marqué par le modèle de Kemal Atatürk qu’il prenait comme exemple de modernité à suivre – sans oser toutefois imposer la laïcité. Depuis une dizaine d’années, la Turquie est aussi devenue une destination privilégiée pour les Marocains et les Tunisiens, les autorités d’Ankara ne demandant pas de visa aux ressortissants maghrébins et les tour-opérateurs proposant d’imbattables tarifs low cost. Une aubaine à l’heure où aller faire du tourisme en Europe relève du chemin de croix. Ils étaient ainsi 83 000 Marocains à s’y rendre en 2014, soit près de 8 fois plus qu’en 2001 ! Ces échanges ont fini par faire s’installer, en Tunisie principalement, la culture turque dans le quotidien de la population. Les kebabs ont envahi les centres urbains et les spectacles de derviches tourneurs sont régulièrement au

programme des festivals. Mais c’est l’engouement suscité par des feuilletons qui battent des records d’audience, comme Nour, qui influe le plus sur les goûts des Tunisiens. Et surtout des Tunisiennes. À tel point qu’elles préfèrent désormais aux bijoux traditionnels des parures en toc estampillées Harim Soltan (un autre succès télévisuel) et que les plus coquettes des jeunes femmes musulmanes portent le voile à la mode stambouliote. En avril dernier, l’actrice turque Gaye Turgut et son mari et partenaire, Deniz Evin, ont effectué un séjour au Maroc. Les comédiens sont bien connus dans le monde arabe où ils ont des millions de fans, pour leurs rôles – « Manar » et « Mahmoud » – dans la saga portant le nom originel de Beni Affet (Samhini, en arabe, et doublée en darija)… et qui passe depuis quatre ans au Royaume ! À la suite de leur passage dans l’émission « Rachid Show », ce sont des centaines de Marocains qui ont promis sur leur page Facebook de se rendre en Turquie, pays de leurs idoles. Et ils tiennent promesse : à peine arrivés,

La série télévisée « Gümüs » (« Nour »), avec son actrice phare Gaye Turgut, rencontre un franc succès dans le monde arabe.

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tous postent des photos dans les lieux extérieurs qui tiennent décor de la série. Mais il y a mieux : puisque la population qui mange turc et s’habille turc, pourquoi ne pas le parler également ? À la faveur des liens tissés avec Ennahdha, le turc a ainsi rejoint officiellement les langues vivantes pouvant être dispensées dès la 4e en Tunisie. Comme pour conforter ce penchant, un centre culturel turc vient de s’installer dans l’un des quartiers les plus prisés de la médina et, durant les soirées de ramadan, une troupe de musiciens habillés en janissaires ont animé les rues de Tunis et de sa banlieue. « C’est trop, c’est du folklore de pacotille. Sous l’influence des islamistes qui veulent complaire au régime d’Erdogan, on est envahi par une culture bas de gamme dont les Turcs eux-mêmes ne voudraient pas », assène l’architecte Hédi Karaborni, dont la famille… est originaire d’Istanbul. ■ F.D. et A.K. AFRIQUE MAGAZINE

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83 000 Marocains se sont rendus dans le pays en 2014, soit près de 8 fois plus qu’en 2001 !

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Alain Blondy Historien*, spécialiste du monde méditerranéen « Il y a un néo-ottomanisme chez Erdogan » AM : Hormis son offensive économique, la Turquie vise-t-elle à imposer aussi une domination idéologique face au wahhabisme saoudien ou au chiisme iranien ? Alain Blondy : Erdogan a certainement la volonté politique de restaurer la puissance de la Turquie. Depuis des années, il s’évertue en effet à détricoter le kémalisme dont il ne reste plus grand-chose, sauf dans les milieux favorisés d’Ankara, Istanbul et Izmir. Mais la majorité de la population suit son leader car, en toile de fond, il y a une volonté de réaffirmer la prééminence de l’islam, notamment pour ceux qui n’ont pas toujours digéré le Traité de Sèvres de 1920 qui, signé par le sultan au lendemain de la Première Guerre mondiale, a vu les Alliés dépecer l’Empire ottoman. Un fait est très important : le monde arabe se voit alors libéré de l’influence des Turcs qui n’ont jamais fait mystère de leur mépris pour ces populations qu’ils considéraient ni plus ni moins que comme des « gardiens de chèvres ». Et qu’ils n’ont jamais tenu pour une entité unifiée, sachant très bien qu’en Afrique du Nord, il s’agissait de Berbères arabisés. Cette analyse s’est révélée juste : libéré de l’influence ottomane, le monde arabe n’a jamais été unifié, sauf pendant de très courtes périodes, comme sous Nasser. La Turquie, à laquelle l’Europe a définitivement fermé les portes, essaie-t-elle de conquérir un autre poids régional ? Pendant longtemps, l’Occident a utilisé des potentats locaux – les rois d’Arabie saoudite, Saddam Hussein,

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Bachar al-Assad… – pour faire contrepoids à la puissance turque. L’idée, notamment à Washington, était qu’il fallait empêcher un seul État d’avoir la puissance régionale absolue. Cela n’a pas empêché la Turquie d’être un allié fidèle, notamment au sein de l’Otan. La chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS font qu’avec le temps, il y a eu rééquilibrage entre les positions de Moscou et celles d’Ankara qui, depuis, opèrent les rapprochements et alliances que l’on connaît. Avec la montée des partis islamistes, Erdogan essaie-t-il de réinstaurer le mythe du califat ? Non. Ce terme – à la mode depuis la propagande de Daesh – ne recouvre pas de réalité pour le monde arabe. C’est une construction médiatique. Car la domination du califat ottoman – de 1517 jusqu’à sa suppression par le sultan en 1924 – ne laisse pas de bons souvenirs au monde arabe. Il y a certainement une volonté de revanche, un néo-ottomanisme chez Erdogan, qui souhaite restaurer la

puissance ottomane. En revanche, il sait que le monde musulman sunnite est morcelé, donc vulnérable. Donc, aussi, éventuellement influençable. Toutefois, avec l’arrivée de partis islamistes au pouvoir – Ennahdha en Tunisie, le PJD [Parti de la justice et du développement] au Maroc –, Erdogan dispose d’un alibi de sympathie. Ces partis promeuvent le modèle turc, plus compatible en termes de politique intérieure que le wahhabisme, mais il ne semble pas qu’il puisse y avoir une « internationale islamiste » car chaque pays, et on le voit avec les révolutions arabes, souhaite promouvoir sa propre identité. Or, les intérêts turcs ne sont pas les intérêts égyptiens qui ne sont pas non plus les intérêts algériens… Il y a des différences. Le problème d’interprétation est que les schémas qui inspirent nombre de journalistes et d’analystes datent de la fin de la Seconde voire de la Première Guerre mondiale, il y a cent ans… Ce sont des schémas qui remontent à Lawrence d’Arabie ! Aujourd’hui, tous les pays ont vu l’émergence de classes moyennes, éduquées, qui aspirent à la démocratie plutôt que d’être diluées dans une espèce de grand tout idéologique islamiste. Erdogan le sait. Ce qui ne l’empêche pas de nouer des alliances de circonstances dès lors qu’il considère que c’est au bénéfice de la Turquie. ■ propos recueillis par H.D. * Dernier ouvrage paru : Nouvelle histoire des idées. Du sacré au politique, Perrin, 2016.

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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Loraine Adam

Tony Allen À 77 ans, toujours aussi inclassable,

le co-inventeur de l’afrobeat, qui a enregistré 36 albums avec Fela Kuti, continue d’explorer son art au gré des rencontres : world, jazz ou électro. ll refuse les étiquettes et se moque bien des critiques. Trois ans après son Film of Life, il annonce un nouvel album, The Source, sur le prestigieux label Blue Note.

› Je n’aime pas fréquenter les gens de mon âge, je préfère de loin la compagnie des plus jeunes. Les personnes qui m’ont le plus marqué sont mes parents : ils m’ont élevé, pris soin de moi et appris la vie. Et, surtout, ils m’ont toujours laissé faire ce que je voulais. Ma folie, c’est ma liberté et c’est grâce à elle que je suis ici devant vous. Mon père était ingénieur, j’ai une sœur dentiste à Boston, un frère architecte à Londres et dans notre fratrie de six enfants, je suis le seul artiste. Je tiens de Dieu ma bonne étoile et ma force. Mon destin était tout tracé. › C’est encore le destin qui m’a poussé à m’installer à Paris. Mon manager m’avait convaincu de venir en Europe car je venais de quitter Fela pour monter ma propre formation et on craignait des conflits entre nos deux groupes. J’ai donc préféré quitter le Nigeria. J’ai d’abord atterri à Londres en 1984, où je suis resté un an et demi, mais je n’ai pas réussi à obtenir de permis de séjour. Je suis alors venu en France, à Paris, où je vis depuis bientôt trente ans. Je retourne environ une fois par an au Nigeria. › Dans mon travail, je me fiche complètement des critiques, je ne les écoute pas. Si ça ne marche pas aujourd’hui, ce n’est pas grave, je sais que ça marchera plus tard. Je suis sûr de moi, je ne suis pas dans le doute ou la remise en question. › L’expression « jouer » de la musique n’est pas juste car c’est loin de n’être qu’un jeu. C’est aussi beaucoup de travail et de contraintes. Ce métier m’ennuie parfois, comme lorsque je dois faire 22 heures d’avion pour un concert de 90 minutes au Japon. C’est pénible et c’est tout sauf du plaisir. Cela me demande une très grande concentration et, en fin de compte, je ne m’amuse surtout qu’après le concert, quand on est en backstage et qu’on joue entre amis. Dans ces moments-là, je n’ai pas de limites. Je n’aime pas non plus la promotion, répondre aux interviews, répéter sempiternellement les mêmes choses, c’est très fastidieux pour moi. › La qualité humaine la plus importante à mes yeux est l’honnêteté. C’est la clé de tout. Si elle est là, la confiance règne et permet de construire une vraie relation. Ça rend libre de faire des choses et d’avancer. Le doute perturbe et paralyse les relations. › Pour me détendre ou me ressourcer, ça dépend d’où je suis, mais en général, j’aime sortir, surtout la nuit. J’aime les femmes et voir mes amis. › Quand je jouais avec Fela, il y avait un message politique. Mais, aujourd’hui, je joue pour divertir. Je ne suis pas un chanteur professionnel, je n’ai plus de micro et je ne passe pas de message. Je ne suis plus militant, je l’ai trop fait avec Fela. Aujourd’hui, j’ai envie de faire du bien.

En attendant « The Source » (le 8 septembre), un tribute à Art Blakey est sorti en mai chez Blue Note. Tony Allen jouera à Jazz à la Villette (Paris) le 9 septembre. 50

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› J’ai neuf enfants, six en France et trois au Nigeria, mais aucun n’est dans la musique. Je ne les ai jamais forcés à en faire. L’un d’eux a tenté de percer dans le rap mais je pense qu’il est très difficile d’être le fils de Tony Allen ; alors, il a abandonné. Tous mes enfants se connaissent, j’ai tout fait pour qu’ils soient en contact. Je pense que je suis un bon père. Je leur ai toujours conseillé de suivre leur propre voie. Car dans la vie, il y a toujours du bon et du mauvais, il suffit de choisir le bon chemin. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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BERNARD BENANT

« Ma folie, c’est ma liberté et c’est grâce à elle que je suis ici devant vous. »

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ANALYSE

ANALYSE LE CANADA CÔTÉ SOLEIL

Justin Trudeau

Le Canada côté soleil

Le jeune Premier ministre bat des records de popularité, maîtrise les réseaux sociaux et raconte comme personne l’histoire d’une nation ouverte. Côté ombre, le pays, comme les autres, protège ses intérêts avant tout… par Sylvie A. Briand, à Québec 52

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Sa différence, il en a fait une marque de fabrique. À contre-courant des conservateurs, il s’affiche ici avec sa famille, en tête de la Gay Pride de Toronto, le 25 juin dernier.

ustin Trudeau l’a promis : « Canada is back ». Après une décennie de grisaille et de mauvaise presse sur la scène internationale, le Canada est de retour. Jamais un Premier ministre de la « Belle Province » n’a sans doute autant voyagé ni fait parler de lui. Amérique du Sud, Europe, Afrique, Asie… le beau, le grand, le sexy Justin Trudeau a foulé le sol de tous les continents et attiré sur son passage très médiatisé des masses frisant parfois l’hystérie. En cette ère de peurs et de terrorismes, Justin Trudeau fait rêver, incarnant un pays jeune et dynamique, ouvert et tolérant, défenseur de l’environnement et des droits de l’homme. Tout l’opposé, en somme, de l’image que projette le voisin états-unien depuis que Donald Trump a succédé à Barack Obama. Et de celle que donnait le Canada sous la houlette de Stephen Harper, le PreAFRIQUE MAGAZINE I 3 7 0 – J U I L L E T 2 0 1 7

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ANALYSE JUSTIN TRUDEAU, LE CANADA CÔTÉ SOLEIL

UNE FAMILLE POLITICO-MÉDIATIQUE

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ien avant la « trudeaumanie » de Justin, il y eut donc celle du père, Pierre Elliott Trudeau (1919-2000), qui dépoussiéra l’art, jusque-là bien terne, de la politique au Canada. Cet intellectuel montréalais devenu ministre de la Justice à Ottawa est élu Premier ministre lors des élections de juin 1968, en opposition au nationalisme québécois qui bouillonnant d’une nouvelle ferveur depuis le « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle en juillet 1967. La veille du vote, la parade de la Saint-JeanBaptiste tourne à l’émeute à Montréal. Assistant au défilé, Pierre Trudeau, ennemi déclaré des souverainistes québécois, défie les militants en refusant de quitter la tribune d’honneur où pleuvent bouteilles et injures. La scène est filmée et il devient pour les partisans de la fédération l’homme qu’il faut à Ottawa pour contrer les « séparatistes ». Célibataire le plus en vue du pays, il fait entrer dans l’ère des tabloïds un Canada plutôt prude et peu habitué aux paillettes. On lui prête des aventures avec Barbra Streisand et bien d’autres avant qu’il n’épouse en 1971 la jeune Margaret Sinclair, 23 ans, qui rêve vaguement de devenir comédienne. Leur mariage et les frasques de la toute jeune Première dame, qui s’ennuie ferme à Ottawa, font les choux gras de la presse. Leur voyage aussi médiatisé que critiqué en 1976 à Cuba, où Fidel Castro se fait photographier avec leur bébé Michel dans les bras, est l’un de leurs derniers à l’étranger. Si lui se montre en père attentionné avec ses trois fils, qu’il emmène un peu partout, elle « fugue » à Toronto le jour de son sixième anniversaire de mariage pour faire la fête avec les…

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mettant à ses compatriotes des « voies ensoleillées ». Mais il est difficile de parler de son ascension fulgurante au sein du Parti libéral sans parler de son propre père. Pierre Elliott Trudeau a été aux commandes du pays entre 1968 et 1984. Ce Montréalais était, comme son fils Justin, l’incarnation idéalisée du Canadien avec un père francophone et une mère anglophone. C’est lui qui a officialisé le caractère multiculturel et le bilinguisme pour mieux couper l’herbe sous le pied des nationalistes québécois, qui menaçaient alors la fédération canadienne de projets d’indépendance, aujourd’hui au point mort. Charismatique et provocateur, il a été le premier chef de gouvernement que la population a adulé ou abhorré avec fougue et passion. C’est lui qui, sur un ton de souverain mépris, a qualifié de « mangeur de hot-dog » Robert Bourassa, alors Premier ministre libéral du Québec. Lui qui s’était lié d’amitié avec Fidel Castro, faisant Pierre Trudeau Premier ministre se déplaçait en famille. Ici, en 1972, avec Margaret et Justin.

Rolling Stones ! La soirée bien arrosée se poursuit dans les boîtes de nuit de New York, où elle s’amuse avec Jack Nicholson et Ryan O’Neal. Les médias canadiens crient au scandale, mais elle n’en a cure. Trudeau perd les élections de 1979, avant de retrouver une dernière fois le pouvoir en 1980. Le couple divorce en 1984 et, peu après, il annonce son retrait de la vie politique, Le dirigeant canadien sa popularité alors et son homologue en berne, comme américain Ronald l’économie du Canada. Reagan, en 1981. Après l’échec d’un second mariage, Margaret, elle, est diagnostiquée « maniaco-dépressive » ; elle se consacre depuis à informer les Canadiens sur les troubles bipolaires. Justin semble avoir hérité de la flamboyance paternelle. Lui aussi se rend à Cuba en novembre 2016, mais il ne peut revoir Fidel Castro, trop affaibli. Le « Comandante » avait assisté en 2000 à Montréal aux funérailles de son ami Pierre Elliott, mais Justin n’a pas osé lui rendre la politesse à La Havane après avoir été vivement critiqué pour un tweet d’hommage funèbre au « remarquable » lider cubain, qui était aussi, lui a-t-on rappelé au Canada, un « dictateur ». ■ S.A.B. AFRIQUE MAGAZINE

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mier ministre conservateur. Pendant le règne de ce dernier (2006-2015), qui allait développer une version nationale du néoconservatisme américain, le pays était globalement perçu comme ayant pour priorité principale ses intérêts financiers et ceux de ses multinationales au mépris des droits de l’homme et de l’environnement. Une politique résolument tournée à droite, frileuse à l’égard des migrants et en rupture avec l’attitude de neutralité dans les relations internationales que prônait jadis Ottawa, et calquant soudainement ses positions sur celles des faucons américains. Le protocole de Kyoto contre le changement climatique, entré en vigueur en 2005, avait ainsi été jeté à la poubelle en 2011 par Harper, qui l’avait qualifié de « complot socialiste ». C’était un « autre Canada » au pouvoir. C’est contre cette politique d’intérêts mercantiles et d’austérité budgétaire que Justin Trudeau a fait campagne en pro-

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Emmanuel Macron et Justin Trudeau, au sommet du G7 à Taormine (Sicile). L’image de la jeunesse au pouvoir.

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fi de l’embargo américain contre Cuba. Lui qui avait fait une insolente pirouette derrière la reine Elizabeth lors du Sommet du G7 en 1977. Des gestes symboliques, forts, médiatisés qui ont valu au Canada sa première « Trudeaumanie » dès son élection en 1968. L’ancien professeur a alors 49 ans et… une réputation de tombeur. Lorsqu’il épouse en 1971 la très jolie Margaret Sinclair, il fait encore la une des tabloïds : la mariée est de vingthuit ans sa cadette. Et c’est en cette même année, le jour de Noël, que naît le petit Justin. Deux autres garçons vont suivre, Alexandre et Michel, avant que le couple ne divorce en 1984. La famille vit un drame personnel en 1998 avec le décès de Michel, emporté par une avalanche à l’âge de 23 ans. UN COMBAT DE BOXE PAR K.O. Justin, lui, ne pense pas encore suivre les traces de son père. Après des études en littérature et en éducation à l’université de McGill (Montréal), il devient professeur de français et de théâtre en Colombie-Britannique. C’est à la mort de Pierre Elliott Trudeau en 2000 qu’il sort de l’ombre. Lors des funérailles retransmises en direct, il rend un hommage émouvant à son père qui marque les esprits. Mais il lui faudra encore quelques années pour se faire un prénom – n’hésitant pas, notamment, à monter sur le ring en 2012 pour un combat de boxe caritatif contre un député conservateur, qu’il mettra K.O. après six minutes. L’année suivante, il prend les rênes du Parti AFRIQUE MAGAZINE

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C’est à l’étranger que la « Trudeaumanie » est la plus spectaculaire. libéral qu’il mène, au bras de Sophie Grégoire, personnalité médiatique québécoise et mère de ses trois enfants, sur la « voie ensoleillée » d’une majorité absolue au Parlement lors du scrutin d’octobre 2015. Le Canada étant doté d’un régime parlementaire de type britannique, Justin Trudeau devient ainsi, à 43 ans, Premier ministre pour un mandat de quatre ans. Avec un coup d’éclat inaugural : la nomination du premier gouvernement à parité parfaite (15 hommes, 15 femmes) de l’histoire du Canada, ouvrant la voie au président français Emmanuel Macron, venu rejoindre à 39 ans le petit « club » des jeunes et dynamiques dirigeants. Si la popularité de Trudeau au Canada s’est depuis légèrement effritée dans les sondages (environ 44 % d’opinions favorables) sur fond de chute des prix du pétrole et de déficits budgétaires (19,2 milliards d’euros en 2017-2018, soit environ 1,5 % du PIB), c’est à l’étranger que la « Trudeaumanie » est « la 55

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ANALYSE JUSTIN TRUDEAU, LE CANADA CÔTÉ SOLEIL

plus spectaculaire », selon la firme montréalaise Influence Communication. Au premier rang desquels les Américains qui, par effet de miroir inversé, sont fascinés par cet « anti-modèle » de Donald Trump, féministe déclaré, amateur des défilés de la fierté gay et ami des réfugiés. Le milliardaire de Washington veut empêcher l’entrée aux États-Unis de ressortissants musulmans ? Le Canada de Trudeau, lui, a accueilli 46 700 réfugiés en 2016, pour la plupart syriens, un record pour le pays depuis 1978. Ce qui peut expliquer que, depuis le début de l’année, « la couverture médiatique internationale de Trudeau soit encore en augmentation », note l’analyste Gabriel Vignola. Outre les ÉtatsUnis, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne sont les plus friands d’articles sur le Premier ministre canadien, qui partage avec le milliardaire de la Maison-Blanche l’omniprésence médiatique. « À l’instar de Trump, Trudeau utilise les réseaux sociaux et les médias traditionnels pour délivrer des messages simples afin d’incarner une position politique sans avoir à la défendre concrètement ou à se baser sur des faits. Par exemple, il a pris à l’international une position très progressiste sur le changement climatique sans que celle-ci se soit jusqu’à maintenant concrétisée en termes de décisions politiques majeures », estime Influence Communication. L’intéressé a au contraire donné son feu vert à la construction de deux oléoducs dans l’Ouest canadien sans menace selon lui sur l’environnement, expliquant que si son pays devait préparer sa sortie des énergies fossiles polluantes, il ne pouvait pas non plus laisser dormir 173 milliards de barils de pétrole dans son sous-sol. Et si, quand il était dans l’opposition, Justin Trudeau critiquait l’inaction du gouvernement Harper sur le dossier d’un blogueur saoudien, emprisonné dans son pays, et dont la famille réfugiée au Québec réclame la libération depuis cinq ans, il semble avoir été rattrapé depuis par la « realpolitik » et a autorisé la vente controversée de blindés légers à l’Arabie saoudite. Un contrat de 15 milliards de dollars qui avait été… signé par Harper. Des détracteurs, Justin Trudeau en a. Critiques principales : n’être « qu’une image sans substance », et faire la promotion du Canada et des valeurs libérales comme d’une marque commerciale. Des médias se sont de leur côté interrogés sur l’ambition affichée de redonner au pays ses lettres de noblesse, au-delà des déclarations d’intention ; notamment dans ses relations avec l’Afrique, continent le plus pauvre et le plus vulnérable face aux changements climatiques. « Il y a clairement une rupture avec Trudeau, comme l’a montré son discours au sommet de

la Francophonie à Madagascar. Il a suscité beaucoup d’espoir, mais on attend toujours des actes, des décisions réelles », estime Issiaka Mandé, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal (Uqam). Pour Toby Moorsom, professeur à l’Institut d’études africaines de l’université Carleton (Ottawa), « il y a une contradiction entre le discours de Trudeau et la réalité, mais ce n’est pas nouveau pour le Canada, qui n’a jamais été aussi bienveillant qu’il le prétend ». L’aide internationale sous Trudeau comptait, selon l’OCDE, pour 0,26 % de son revenu national brut (RNB) en 2016, en légère baisse par rapport à 2015 (0,28 %) et nettement en dessous du 0,7 % fixé par l’ONU. À titre de comparaison, la France a versé en aide 0,38 % de son RNB ; la Norvège, 1,1 % ; le Royaume-Uni, 0,69 % ; et les ÉtatsUnis, 0,18 %. « Rien n’a vraiment changé, conclut Moorsom, et on espère toujours la nomination d’un “ombudsman” » pour superviser les sociétés minières canadiennes, qui ont mauvaise presse en Afrique du fait de leur non-respect de l’environnement et des droits humains. Plus de 70 % des compagnies minières dans le monde sont cotées en Bourse au Canada.

Parfaite antithèse de Donald Trump, il fascine ses voisins américains.

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HAUSSE DES DÉPENSES MILITAIRES Selon David Black, professeur en sciences politiques à l’Université de Dalhousie (Nouvelle-Écosse), l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche peut bien avoir boosté celle de Justin Trudeau, elle est sans doute un « élément perturbateur » de la politique étrangère du Canada. Après les critiques de Washington à l’égard des pays de l’Otan (versant, comme le Canada, moins de 2 % de leur PIB dans le domaine de la défense), le gouvernement Trudeau a annoncé une hausse de 73 % des dépenses militaires, à environ 22 milliards d’euros par an (1,4 % du PIB), pour renouveler sa flotte, avec l’achat prévu de 88 avions de chasse et 15 navires de guerre. David Black croit que l’incertitude autour de la nouvelle politique américaine est l’une des raisons ayant poussé sans explication Ottawa à retarder sine die une mission très attendue en Afrique de Casques bleus canadiens. Ce qui a fait dire au directeur du Centre FrancoPaix à l’Uqam, Bruno Charbonneau, dans une tribune publiée dans le quotidien montréalais Le Devoir, que le Canada a peut-être « manqué son retour » sur la scène internationale. Mais toutes ces critiques ne semblent pas nuire pour le moment à la popularité de celui qui, selon Influence Communication, a réussi à « symboliser le progrès qu’il prône par sa jeunesse, ses qualités physiques et son ouverture proclamée au monde », loin des atmosphères anxiogènes que délivre le monde d’aujourd’hui. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Le Premier ministre canadien en visite au Liberia, en novembre 2016.

L’Afrique, entre aide au développement et exploitation des ressources minières

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’Afrique reste au fil des ans le premier récipiendaire de l’aide au développement du Canada. En 2016, le continent a reçu 39 % du total de l’aide internationale canadienne pour un montant de 2,1 milliards de dollars canadiens (environ 1,4 milliard d’euros), selon des chiffres officiels. L’Éthiopie, le Ghana, la Tanzanie, le Mali et le Nigeria sont dans l’ordre les pays africains qui ont le plus bénéficié de cette aide bilatérale et multilatérale (via l’ONU ou d’autres organismes). Le gouvernement de Justin Trudeau a mis la priorité sur les programmes dédiés aux femmes comme l’éducation et la planification familiale ainsi que la lutte contre les violences sexuelles, les mariages forcés et les mutilations génitales. Pour mieux promouvoir cette « politique féministe », le Premier ministre s’était rendu en novembre 2016 au Liberia, premier pays africain dirigé par une femme, Ellen Johnson Sirleaf, mais avec lequel Ottawa entretient des relations limitées (il n’y a pas de représentation diplomatique canadienne au Liberia). Il avait ensuite participé à Madagascar à son premier sommet de la Francophonie, où il avait dénoncé les persécutions dont sont victimes les homosexuels, notamment dans des pays africains. Reste que l’aide au continent est en légère baisse par rapport à celle octroyée en 2015, qui comptait pour 41 % de l’aide totale. Une diminution que le ministère du Développement international a expliquée par des variations

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du taux de change. Quant aux échanges commerciaux avec l’Afrique subsaharienne, ils restent faibles, représentant moins de 2 % du total des échanges canadiens, qui comptent comme premiers partenaires l’Afrique du Sud et le Nigeria. Auteur d’un livre sur « la constance de l’inconstance » canadienne dans ses relations avec l’Afrique, le professeur David Black, de l’Université de Dalhousie, ne voit « aucun effort réel pour corriger les contradictions entre la réalité et les beaux discours », notamment en ce qui concerne les activités minières de sociétés privées nord-américaines. Corruption de responsables, désastres écologiques, abus des travailleurs locaux… la liste des griefs présumés contre les sociétés minières est longue. La dernière controverse en date implique la société aurifère Acacia, détenue majoritairement par la torontoise Barrick Gold et accusée d’avoir exporté depuis des années beaucoup plus d’or qu’elle en avait déclaré aux autorités tanzaniennes et de devoir ainsi des milliards de dollars en taxes impayées. Niant ces accusations, le PDG de Barrick a rencontré en juin le chef de l’État tanzanien pour tenter de régler les choses à l’amiable. Un autre dossier suivi est celui de Nevsun Ressources, qui est poursuivi en justice au Canada pour sa complicité présumée dans l’emploi de travailleurs forcés dans une mine de l’Érythrée. La société nie toute responsabilité dans cette affaire impliquant un sous-traitant local. ■ S.A.B. 57

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INTERVIEW

Hervé Bourges

«L’Afrique, c’est notre devenir ! » Son parcours est lié au continent. Le journaliste, qui fut conseiller de Ben Bella ou encore directeur de RFI, et aussi patron de TF1, livre un Dictionnaire amoureux de l’Afrique. Un ouvrage nourri des expériences et rencontres au fil du temps. propos recueillis par Hedi Dahmani et Emmanuelle Pontié

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ême s’il n’arbore plus sa barbe caractéristique, l’homme n’a rien perdu de sa superbe. À 84 ans, Hervé Bourges porte toujours beau. Il salue, ôte son chapeau en feutre et commande un expresso dans cette brasserie parisienne du quartier des Halles où il a ses habitudes. Au menu du jour, un… pavé de près de 900 pages, le Dictionnaire amoureux de l’Afrique, qu’il aura mis deux ans à penser et rédiger. Un temps pendant lequel plus d’un demi-siècle de souvenirs et rencontres aura remonté à la surface. Si la France le connaît essentiellement pour avoir dominé le paysage audiovisuel (présidences de TF1, de France Télévisions, du CSA…), c’est en tant que journaliste et ami « réaliste » de l’Afrique qu’il vient, en cette matinée, confirmer à AM son amour pour le continent. ■ H.D. AFRIQUE MAGAZINE

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MARCO CASTRO POUR AM

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INTERVIEW HERVÉ BOURGES : « L’AFRIQUE, C’EST NOTRE DEVENIR ! »

A M : Pourquoi avez-vous choisi cette collection

« Je n’ai jamais connu plus beaux paysages que ceux du Nord-Cameroun et du Tassili algérien. »

et sa formule de mots-clés ? Hervé Bourges : C’est l’éditeur qui m’a choisi ! J’ai essayé de faire quelque chose qui m’implique directement, parce que je ne suis pas un observateur qui écrirait perché sur un piédestal : j’ai été mêlé à la vie de l’Afrique ces cinquante dernières années, même si je suis peut-être plus connu pour mes responsabilités audiovisuelles. J’ai tenté de prendre les distances nécessaires : sans chercher à « assassiner » certains ou à glorifier d’autres. Je parle ainsi de pays ou de chefs d’État pour lesquels je n’ai pas très attaché au Cameroun, je ne me suis pas contenté de faire forcément de sympathie… Mugabe, par exemple, on ne peut un coup et d’en repartir : si Dieu me prête vie, j’espère pouvoir pas dire que je sois amoureux de lui… (Il rit). y fêter en 2020 les 50 ans de l’ESSTIC, l’école de journalisme Des personnages importants, quelque peu contestés, de Yaoundé. Et, chose importante, j’ai gardé des contacts avec sont absents de votre livre : Kadhafi, Bokassa… des gens qui étaient gamins à l’époque : comme Miloud Begag, Je cite Bokassa ! Mais il est vrai qu’il aurait pu bénéficier le fils de l’ancien muezzin de la mosquée de Sétif. Ou encore d’une entrée – assez spectaculaire d’ailleurs. Mais j’ai voulu évila famille de Bachir Boumaza, qui fut opposant à Houari Bouter de citer des exemples trop personnels. Je vous en donne un medienne, puis président du Conseil de la nation en 1997… quand même : quand j’ai créé l’École internationale de journaVous dites que l’Afrique vous a apporté « la patience lisme de Yaoundé en 1970, il y avait six pays d’Afrique centrale et la fraternité… » plus le Togo. J’avais à l’époque pris mon bâton de pèlerin pour C’est déjà beaucoup ! J’ai aussi découvert un style de vie aller voir chacun des chefs de ces États afin de leur demander très différent… Une sorte d’immersion dans une nature qui des financements pour l’école, au prorata des étudiants qui m’a beaucoup impressionné. Je n’ai jamais connu plus beaux allaient y être formés. Bokassa m’avait reçu officiellement, paysages que ceux du Nord-Cameroun et du Tassili algérien. étreint et embrassé en m’appelant « mon fils ». Le temps a passé Finalement, quel est le pays que vous préférez ? et j’ai retrouvé une photo de cet instant quand j’ai Ces trois-là : Algérie, Cameroun, Sénégal. été nommé à la tête de TF1 en 1983 : Minute, l’hebMais j’ai vécu des choses extraordinaires ailleurs. domadaire d’extrême droite, l’avait publiée, disant J’ai déjà raconté mes nuits dans le désert mauà peu près : « Voilà les fréquentations du nouveau ritanien… Combien, la première fois, j’avais été président de TF1 ! ». Amusant, non ? surpris de manger dans le désert des méchouis Vouz présentez des figures historiques, qui crissaient sous la dent parce que le sable s’y mais pas de visages jeunes, qui incarneraient était mêlé, en comagnie de griots et griottes qui l’Afrique de demain… chantaient la Mauritanie éternelle ; et combien C’est vrai, je parle des jeunes, mais sans en la politique française intéressait alors les Mauciter car je ne sais pas ce qu’ils deviendront… Cerritaniens dans l’immensité du Sahara. Et je me tains pourraient me faire le reproche de ne pas disais : si les Français pouvaient s’intéresser assez évoquer l’Afrique d’aujourd’hui. Je l’ai fait au « Dictionnaire autant à l’Afrique… Il y a un vrai intérêt des Afritravers d’un parcours, de souvenirs… amoureux de l’Afrique », cains pour la France. J’ai par exemple des échos Revenons à vous. Une phrase vous colle à la peau : Plon, 880 p., 25 €. assez extraordinaires sur les élections françaises, « Hervé Bourges, l’ami de l’Afrique… » le phénomène Macron… Ça fait plutôt plaisir. Je n’ai jamais entendu l’inQu’en pensez-vous, justement ? verse. Les gens qui m’ont connu savent que j’ai toujours aimé La déclaration d’Emmanuel Macron à Alger sur le colol’Afrique, de manière désintéressée. Je n’y ai jamais cherché le nialisme, qu’il a défini comme « crime contre l’humanité », a pouvoir – tâche plutôt difficile en étant Français. C’est ce que eu un retentissement incroyable. Deux chefs d’État – que je m’avait dit M’hamed Yazid, l’un des négociateurs des accords ne peux toutefois pas citer – m’en ont parlé. Ils ont trouvé ça d’Evian de 1962 : « Au moins, toi, tu n’as jamais cherché à nous extraordinaire, alors qu’ils sont loin d’être des révolutionnaires. faire la leçon. » Ça ne voulait pas dire que je n’avais pas de jugeQuant à l’Algérie, les échos que j’en ai eu sont également très ment, mais je me considérais comme un passager sur ce contipositifs, sur le mode : « S’il a dit cela, on peut établir des relanent. En Afrique noire, on a parfois dit de moi : « Il est l’un des tions nouvelles… » rares Blancs qui est venu et que l’on a revu après. » Je suis ainsi 60

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« 8 novembre 1983. François Mitterrand m’invite à l’Élysée afin de rencontrer et saluer Chadli Bendjedid, le chef de l’État algérien, en visite officielle. » « 1979. Dernière rencontre avec le président tunisien Habib Bourguiba à Paris. Sa mémoire était défaillante ; mais il me parlera avec précision et une grande chaleur de ses “deux grands amis” : l’ancien premier ministre français Pierre Mendès France et l’historien du Maghreb Charles-André Julien. »

« Juin 1986. Félix Houphouët-Boigny me présente, au cours d’une longue visite privée, sa superbe collection culturelle en sa résidence de Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire. »

DOCUMENTS PERSONNELS - N°5246-1756 - CLAUDE AZOULAY/PARIS-MATCH

« Niger, 1985. En compagnie de mon épouse Marie et de deux petites Nigériennes. »

À propos de l’Algérie, vous avez été au cœur de la lutte pour l’indépendance… C’est une suite de hasards qui m’a amené à ce parcours. Au départ, j’étais seulement opposé à la guerre d’Algérie, j’étais connu comme étant un militant anticolonialiste, mais je me suis retrouvé au cabinet de Michelet, ministre de la Justice du général de Gaulle, et j’étais le « geôlier » de Ben Bella, Aït Ahmed, Boudiaf… J’avais été chargé par De Gaulle, par l’intermédiaire de Michelet, d’aller les voir chaque semaine, de leur poser des questions sur la manière dont ils voyaient l’évolution de la situation et de voir comment on pouvait faire évoluer le problème algérien. C’était deux ans avant les accords d’Évian. Je l’ai fait loyalement de part et d’autre. Après l’indépendance, rédacteur en chef de Témoignage Chrétien, je reçois un coup de fil de Ben Bella, qui à l’époque n’est encore « que » Premier ministre et qui AFRIQUE MAGAZINE

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me dit : « On va créer l’Algérie nouvelle, voulez-vous venir ? » C’était une position extrêmement délicate car, du côté français, on pouvait me considérer comme un traître, et côté algérien comme une barbouze. Mais je n’ai jamais eu le moindre problème, et je ne me suis jamais mêlé des questions intérieures algériennes. J’étais associé aux dossiers de la jeunesse et de l’information, et ça s’est arrêté là. Comment expliquez-vous que les relations entre la France et l’Algérie soient toujours aussi passionnées ? Parce qu’on n’a pas su sauter l’obstacle du colonialisme. Je ne crois pas que les Algériens attendent – et s’ils l’attendent, ils ont tort – des actes de repentance de la part des autorités françaises. Les jeunes Français d’aujourd’hui ne sont en rien responsables de ce qui s’est passé auparavant. En fait, on n’a pas dit les choses telles qu’elles ont été. J’ai connu des historiens 61

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INTERVIEW

algériens très mécontents de la manière dont on voulait les de chaînes africaines et tous les ministres de l’Information, leur embrigader dans un récit glorieux sans recul… Je pense que disant en substance : « Voilà, on va vous installer le numérique, l’on y arrivera progressivement : le mouvement a été amorcé à une condition : on crée les infrastructures, vous remboursez avec Jacques Chirac, s’est poursuivi avec François Hollande… Et petit à petit et, en contrepartie, vous prenez nos programmes. » maintenant, Emmanuel Macron. Et c’est d’autant plus curieux Si bien qu’aujourd’hui, les programmes chinois vont progressique, sur les problèmes du terrorisme, il y a une coopération et vement être visionnés par les Africains. En France, le seul qui des relations très étroites entre les services de sécurité. Mais a compris cela, c’est Vincent Bolloré. Il est établi solidement en c’est au niveau politique qu’il y a des problèmes, par exemple Afrique. Au niveau de la télévision, il a fait un pari qu’il est en sur la résolution de l’affaire du Sahara où, à mon avis, les deux train de gagner. Peu de gens s’en rendent compte. Ses détracparties, Algérie et Maroc, ont tort. teurs disent qu’il perd de l’argent à Paris avec le groupe Canal+. Votre avis sur les relations France-Afrique ? Peut-être. Mais il en gagne ailleurs… Je pense qu’elles vont s’assainir. Du fait de la mondialisaLa période n’est pas bonne pour le continent. Baisse du prix tion. Des pays comme la Chine, le Japon, la des matières premières, expansion des Corée, la Turquie changent la donne. Regarterrorismes… Quelle est votre analyse ? BIO EXPRESS dez l’offensive africaine d’Erdogan, qui a Je ne suis ni afro-pessimiste ni afrofait une tournée au moins aussi importante optimiste, j’essaie d’être afro-réaliste. que celle de Mohamed VI, roi du Maroc… L’Afrique va compter de plus en plus, en raiLes pays africains s’en rendent compte. Et son de sa démographie – même si cela peut la France devrait saisir ce phénomène non avoir des incidences négatives –, des taux de comme une contrainte nouvelle qui viendrait croissance importants et de l’émergence de distancier les relations franco-africaines, mais la classe moyenne. Et cela va de pair avec les au contraire les rendre beaucoup plus saines. évolutions technologiques… Voyez le bond Il y a eu une déclaration étonnante d’Alpha en avant. L’histoire du téléphone est, de ce Condé, qui était en visite à Paris en avril derpoint de vue, emblématique. Il n’y a pas si 1933 Naissance à Rennes. nier. Lors du dîner officiel, après le discours longtemps, il y avait davantage de téléphones 1960 Entre au cabinet d’Edmond de François Hollande, le président guinéen lui fixes à Manhattan que dans toute l’Afrique ! Michelet, ministre de la Justice a répondu, je cite de mémoire : « Monsieur le Aujourd’hui, ce retard est comblé et certains de Charles de Gaulle. président, nous sommes très soucieux d’étapays sont plus avancés que nous dans l’uti1970 Crée l’École internationale blir de nouvelles relations, mais il faut que lisation de services comme la banque, la de journalisme de Yaoundé. vous vous rendiez compte que vous avez plus poste… Par contre, autant je suis optimiste 1983 Devient président de TF1 besoin de l’Afrique que l’Afrique a besoin de sur le développement de l’Afrique en généaprès avoir dirigé RFI et vous. Nous avons désormais d’autres parteral, autant je reste dubitatif sur l’évolution avant de rejoindre RMC. naires, qui ne sont pas nécessairement les politique et démocratique. Encore que… 1990 Nommé à la tête du futur meilleurs ni les plus proches de nous, mais il Qu’est-ce que la démocratie ? Ce n’est pas seugroupe France Télévisions. n’y a pas que vous… » Il l’a dit ! lement le suffrage universel, c’est la société 1995 Président du CSA. La francophonie aussi est en recul… civile, c’est-à-dire la justice indépendante, la Oui. Prenez la presse algérienne : elle est parfois muselée, presse libre, mais aussi l’arbre à palabres… J’ai été très surpris a des difficultés, mais enfin, un journal comme El Watan et de voir lors des élections au Sénégal comment les Mourides d’autres tiennent la route… Eh bien, cette langue-là, la France et les Tidjanes discutaient entre eux pour savoir pour qui ils l’a laissée tomber. Et c’est grave pour l’avenir. Regardez les allaient voter. Ce n’était plus en mode individuel. Mais un vote Chinois : ils apprennent le français pour établir des relations de communautés. avec les pays francophones. Alors que nous, Français, avons Quel est selon vous le pays africain qui s’en sort le mieux ? laissé tomber notre langue pour un anglais approximatif, et c’est Franchement, je ne sais pas. Je regarde ce qu’en disent la un grand reproche que nous font les Africains. Abdou Diouf, Banque mondiale, le FMI… Ce sont souvent des petits pays quand il était patron de la francophonie, m’a dit : « À chaque fois ou, étrangement, des pays qui ont fait parler d’eux autrement, que j’en parlais à un responsable français, il haussait les épaules comme le Rwanda… Le Sénégal et la Côte d’Ivoire ne se portent et levait les yeux au ciel… » Même au Sénégal, notre langue pas trop mal, mais ce sont parfois les situations politiques qui recule… Les jeunes générations parlent wolof, point. La France y sont un peu fragiles. a aussi perdu le combat du numérique. Les Chinois, eux, ont Le Maghreb est également confronté à cette instabilité… invité il y a un peu plus d’un an, à Pékin, tous les responsables Oui. Au Maroc, la situation devient difficile. En Tunisie, c’est 62

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HERVÉ BOURGES : « L’AFRIQUE, C’EST NOTRE DEVENIR ! »

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d’une fragilité extraordinaire. Et en Algérie, où je vais encore très régulièrement, il y a aussi une islamisation de la société alors qu’elle a connu une dizaine d’années noires. Et se posent bien sûr des questions sur l’après-Bouteflika. Vous avez été au cœur des activités médiatiques. Comment voyez-vous l’évolution de la profession, des journalistes ? Elle est liée à l’évolution des pays et à leur niveau d’éducation. Parfois, on me dit : « Il n’y a pas de liberté de la presse ici. » Mais qu’est-ce que la liberté de la presse quand la majorité de la population ne sait ni lire ni écrire, que les gens n’ont pas les moyens d’acheter un journal ? Quand les conditions économiques, sociales, d’éducation et de richesse ne sont pas réunies ? Il y a beaucoup de radios indépendantes africaines qui font très bien leur travail. Enfin, on peut dire d’Internet et des réseaux sociaux qu’ils offrent le meilleur et le pire. En Afrique, c’est le meilleur, parce qu’on ne peut plus cacher les choses… Comment jugez-vous l’évolution de l’audiovisuel français ? Il y a quand même un bon équilibre entre privé et public. Alors, est-ce que ce dernier joue son rôle ? Je ne sais pas. Mais je constate des progrès considérables au niveau des libertés. On ne voit pas aujourd’hui un chef d’État mettre la main sur une télévision publique ou un média. Non, le seul reproche que l’on pourrait faire, c’est la connivence de la politique avec les médias, le suivisme, le manque de recul sur le passé et de regard sur l’avenir. On voit aujourd’hui que les réseaux sociaux bousculent tout. Ça oblige les gens à aller vite, et on n’a plus le temps de vérifier une information. Je me réfère pour cela à la phrase d’Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, qui disait : « Le métier, c’est l’art de la proximité et du doute. » Être proche, c’est savoir de qui on parle, et le doute, c’est s’interroger sur la manière dont les choses se passent. Or, malheureusement, ces deux aspects-là, on ne les retrouve plus vraiment. Quel est le chef d’État africain qui vous a le plus impressionné ? J’ai une admiration pour ce qu’a fait Senghor – ce qui ne veut pas dire que c’est le chef d’État qui a le mieux réussi. J’ai eu de la sympathie pour Moktar Ould Daddah, le père de l’indépendance mauritanienne. Victime d’un coup d’État, il a été décrié, mais c’était un homme simple, ouvert… Deux autres personnages m’ont marqué : Habib Bourguiba et Mohammed V. Bourguiba a été un grand chef d’État qui a vraiment marqué l’histoire de la Tunisie, et son héritage s’en ressent aujourd’hui encore. Sinon, j’ai eu beaucoup d’estime pour quelqu’un qui a été président très peu de temps, Mohamed Boudiaf. Les Algériens sont allés le chercher à un moment où la situation était très mauvaise. J’ai eu la chance de le voir peu de temps avant sa mort. J’étais à l’époque président de France Télévisions et j’avais suggéré à Jean-Marie Cavada de faire une « Marche du siècle » avec Boudiaf, qui était alors chef d’État. J’y suis allé. Nous avons dîné en tête à tête et il m’a dit : « Je ne laisserai pas ces criminels qui utilisent l’islam se propager en Algérie, mais AFRIQUE MAGAZINE

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« Qu’est-ce que la liberté de la presse quand la majorité de la population ne sait ni lire ni écrire ? » il faut d’abord que je m’attaque à la corruption. » Eh bien, il en est mort. Sankara aussi, je l’ai bien connu. Ce que j’aimais chez lui, c’était le désintérêt personnel. Ce n’était pas un homme d’argent. Quand j’étais président de TF1, deux chefs d’État m’appelaient régulièrement. Houphouët et Sankara. Quand Houphouët me téléphonait, c’était pour dire : « J’ai l’impression que Mitterrand ne m’aime pas, il y a un mauvais article dans L’Unité » – l’hebdomadaire socialiste que dirigeait alors Claude Estier. J’essayais de le convaincre que Mitterrand n’y était pas pour grand-chose. Alors que Sankara, lui, m’appelait pour me demander si j’avais des caméras ou du matériel télévisuel d’occasion pour qu’il équipe la télévision burkinabè. Et le pire d’entre eux ? Bokassa. C’est le plus gros ratage. Et le pire, c’est qu’en France on en a joué. Que l’on ait pu retransmettre le sacre en direct, je n’en reviens toujours pas. Bon, c’était sous la France de Giscard, mais quand même. Parlons de l’avenir… En dehors de l’écriture, qu’avez-vous envie de faire ? Eh bien, tant que je suis présentable, profiter de la vie. Vous savez, j’ai quand même 84 ans, je n’ai rien à attendre, rien à demander. Quand et pourquoi aviez-vous décidé de raser votre barbe légendaire ? À partir du moment où les autres ont décidé de faire pousser la leur ! Je l’ai portée au moment où personne ne la portait. Je rejette totalement l’effet du mimétisme. Pour conclure ? Une chose que la vie m’a apprise, c’est de ne pas se faire d’illusions sur la nature et la lâcheté humaines. J’ai vu que ceux qui applaudissaient Pétain étaient les mêmes qui ont ensuite applaudi De Gaule. Ça m’avait frappé. L’homme est un loup pour l’homme. Mais il y a aussi des gens formidables. Quant à l’Afrique, je conclurai en disant qu’il faut regarder devant. En 2050, sur 10 milliards d’individus dans le monde, 2 milliards seront Africains. Le continent est donc pour moi, quelles que soient ses difficultés, symbole d’avenir. Et s’il fallait terminer par une petite phrase, je dirais : La France est notre patrie et l’Afrique notre devenir… ■ 63

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PORTFOLIO par Hedi Dahmani

Le corps, l’effort, le sport

Dans une autre vie, Jean-Denis Walter, journaliste, a dirigé les rédactions PHOTO de nombreux magazines. Passionné par les disciplines sportives, il a fini par ouvrir un lieu dédié à son hobby : la seule galerie au monde à proposer uniquement des œuvres originales et en éditions limitées sur cette thématique. En voici une sélection EXCLUSIVE, avant sa nouvelle exposition dédiée au surf. Galerie Jean-Denis Walter, 56 bd de la Tour-Maubourg, 75007 Paris. jeandeniswalter.fr Ouvert du lundi au samedi de 11 h à 19 h. Exposition « SURF » à partir du 18 juillet.

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Colin Delfosse, BELGIQUE • Catch à Kinshasa (2010). Depuis 25 ans, le catch congolais attire inconnus et aspirants à la gloire. Sur ces rings de fortune, le spectacle est assuré.

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Ben Thouard, FRANCE • Naum dans le tube (2013). Établi en Polynésie depuis neuf ans, le photographe s’est illustré en immortalisant les vagues vierges de Tahiti. Ici, le free surfeur Naum Ildefonse s’engouffre dans le légendaire tube de Teahupoo.

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Gérard Rancinan, FRANCE • Gebré (1996). Hailé Gebreselassie, deux fois médaillé d’or

aux Jeux olympiques, a été l’un des plus importants athlètes de fond et demi-fond. Gérard Rancinan est l’un des photographes contemporains les plus cotés. Une grande image pour un grand champion.

Jodi Bieber, AFRIQUE DU SUD • Mada III (1998). École de rugby à Antananarivo (Madagascar). Pour ce reportage, la journaliste a été couronnée au World Press Awards, qu’elle se verra décerné huit fois en quatorze ans. AFRIQUE MAGAZINE

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Christophe Calais, FRANCE • Les mille collines (2011). Une image tirée d’un reportage spécial sur le Tour du Rwanda cycliste. « Pour moi, c’est une autre manière de parler d’un pays que j’aime tant », dit le photographe. 68

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Thomas Hoeffgen, ALLEMAGNE • Lagos la dingue (1999).

« J’étais au Nigeria à la recherche des terrains d’enfance du joueur Jonathan Akpoborie, raconte Thomas Hoeffgen. Quand nous sommes passés par là, j’ai tout de suite vu l’image. Il a fallu insister parce que mon chauffeur ne voulait pas s’arrêter, c’est un des endroits les plus dangereux de Lagos. J’ai quand même pris mon temps pour soigner mon cadrage… »

José Nicolas, FRANCE • Foot dans une école d’Accra (2017). « Au Ghana, je m’ennuyais à une conférence. Sorti prendre l’air, je suis tombé sur cette école où certains enfants, à l’heure du déjeuner, ne mangeaient pas, faute de pouvoir payer la cantine. J’ai pris leur repas en charge : l’école m’a laissé photographier l’établissement jusqu’à la fin de la journée. » AFRIQUE MAGAZINE

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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

CÔTE D’IVOIRE

VIVE LES JEUX! La 8e édition des Jeux de la Francophonie rassemblera 3 000 athlètes et artistes du 21 au 30 juillet à Abidjan. Tour d’horizon avant le coup d’envoi.

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La capitale s’est mise aux couleurs de la manifestation.

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Plus qu’une fête, un symbole Trente-trois ans après la Coupe d’Afrique des nations, en 1984, le pays accueille à nouveau un événement d’envergure internationale. Signe d’un vrai retour sur le devant de la scène.

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es voici donc de retour en Afrique. Enfin ! serait-on tenté de dire. Douze ans après Niamey et avant de repartir pour le Canada en 2021 (à Ottawa), les Jeux de la Francophonie vont à nouveau poser leurs instruments et leurs crampons sur le continent, du 21 au 30 juillet prochain. Après Casablanca (1989), Antananarivo (1997), et Niamey (2005), s’avance donc « Abidjan 2017 » pour ce qui s’annonce comme l’édition la plus suivie depuis sa création. « Nous attendons une mobilisation record, promet Robert Beugré Mambé, ministre chargé de l’Organisation des Jeux. Avec près de 4 000 jeunes talents, sportifs et artistes, issus des 55 pays participants, 500 000 spectateurs par jour sur les dix journées de compétition et 500 millions de téléspectateurs cumulés. » En comparaison, la dernière édition,

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NABIL ZORKOT

Depuis un an, à Abidjan, les chantiers de construction ou de réhabilitation d’infrastructures fleurissent en vue des Jeux. Une impulsion qui profitera bientôt à tous.

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pays devant l’OIF, la « réconciliation nationale » était en 2013 à Nice, avait été suivie par près de 250 millions au centre de ses préoccupations. Elle l’est toujours. « En de téléspectateurs. 2011, nous sortions d’une dizaine d’années de troubles Sur place, en tout cas, l’événement est attendu, intérieurs graves, explique Zaki Zablei, responsable du tout particulièrement par la jeunesse, cœur battant dossier national des Jeux de la Francophonie. Le président des Jeux voulus par l’Organisation Internationale de Ouattara a tout de suite pensé que l’organisation d’un la Francophonie (OIF). À l’Université Félix-Houphouëttel événement pourrait aider le pays à tourner la page, à Boigny, sur la commune de Cocody, où nous nous sommes réhabiliter son image au niveau régional et international rendus avant l’ouverture de l’événement (voir reportage et à refaire surface au niveau politique, en montrant que p. 84), les étudiants commençaient déjà à s’impatienter nous sommes un pays stable et que l’on peut compter sur et étaient intarissables sur leur « fierté d’accueillir leurs la Côte d’Ivoire. » Ces Jeux sont d’abord là pour ça. Dix frères francophones ». Dans la ville d’Abidjan, qui vit un jours de communion autour du drapeau ivoirien et de boom immobilier sans précédent, et dont les tentacules partage avec des pays amis. Dix jours pour montrer le n’en finissent plus d’estourbir forêts et villages alentour, visage d’une Côte d’Ivoire unie qui regarde vers l’avenir. la promotion des festivités prochaines démarrait à peine. Dix jours pour montrer à l’Afrique et au monde que le pays La place de la République, sur la presqu’île du Plateau, est de retour sur le devant de la scène. avait pris les devants et était déjà habillée de la tête Le pari est ambitieux. Les mois précédents ont été aux pieds des couleurs d’« Abidjan 2017 ». Les habitués marqués par la « crise des mutins », lors de laquelle des bords de la lagune Ébrié ne pouvaient s’y tromper : quelques milliers de militaires à travers le pays ont du Village des Jeux au pied du pont Henri-Konan-Bédié eu recours au chantage et à la menace pour obtenir au Musée national (commune du Plateau) en passant des primes non réglées. Les fonctionnaires, eux aussi, par le Canal au Bois (Treichville), les chantiers en réclament des impayés, et les syndicats cours de finalisation annonçaient bien négocient depuis des mois avec le un événement à venir. En écho, la Radio « Le président gouvernement. Premier ministre depuis à télévision ivoirienne (RTI), partenaire Ouattara a tout peine sept mois, Amadou Gon Coulibaly, n’a officielle de l’événement, communiquait de suite pensé que l’organisation pas eu à chômer. Il a même semblé passé son à tout-va : décompte quotidien, émissions d’un tel événement temps à éteindre les débuts d’incendie, de dédiées, spots publicitaires… Oui ! Il va bien pourrait aider le la chute des cours du cacao à l’aggravation se passer quelque chose d’exceptionnel cet pays à tourner la du déficit budgétaire (4,5 % annoncés été à Abidjan. page, à réhabiliter pour 2017). En juin, il a cependant connu son image au plan régional sa première véritable victoire médiatique L’ÉTAT DEMEURE FRAGILE et international en annonçant le « succès » du tour de table Pour l’État, le symbole est majeur. et à refaire effectué auprès des différentes places La Côte d’Ivoire n’a plus accueilli un surface au niveau financières internationales à Paris, Francfort, événement de cette ampleur depuis la Coupe politique, en Munich, Londres, Boston et New York. d’Afrique des nations de 1984. Il intervient montrant que nous sommes L’État ivoirien a effectué deux emprunts six ans après la fin de la crise politicoun pays stable. » respectivement de 1,25 milliard de dollars militaire (2002-2011) qui avait éteint son (890 millions d’euros) sur seize ans à 6,25 % leadership économique et politique régional, et de 625 millions d’euros à 5,125 % sur huit ans. « Votre miné sa capacité d’attraction et entamé sa confiance en pays est l’économie la plus dynamique de l’UEMOA, la elle-même. En dépit de statistiques économiques très deuxième en Afrique subsaharienne, dans le Top 10 des encourageantes (8 % de croissance en 2016, prévision de croissances les plus fortes dans le monde. Vous devez être 7,2 % en 2017), la situation demeure fragile. Sur le plan fier ! », a-t-il harangué ses compatriotes à cette occasion. économique, avec une croissance qui peine à profiter à Tout en martelant : « Mais il faut qu’on travaille, qu’on l’ensemble de la population et en tout premier lieu à ceux travaille, qu’on travaille », promettant au bout du chemin qui en ont le plus besoin. Comme sur le plan ethnico« l’émergence de l’Ivoirien nouveau ». géographico-religieux, où les plaies ne sont pas encore Bien sûr, les Jeux de la Francophonie ne vont pas faire refermées entre Nord et Sud, musulmans et chrétiens, basculer la Côte d’Ivoire dans l’émergence. Et ils n’ont Ivoiriens et étrangers, Sénoufos, Bétés, Dioulas… Quand, pas le retentissement planétaire des Jeux olympiques ou en 2012, le président Alassane Ouattara, élu l’année d’une Coupe du monde de football. Mais ils constituent précédente, avait décidé de porter la candidature de son 74

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Alassane Ouattara avait tenu à assister à la cérémonie d’ouverture à Nice, en 2013. À ses côtés, A’Salfo du groupe Magic System. malgré tout un test grandeur nature de l’état du pays, un défi unique en termes d’infrastructures et d’organisation. La France, dont les Jeux de Nice ont connu quelques couacs (voir article Le choix de l’originalité, page 82), peut en témoigner. Depuis bientôt trente ans, l’audience de cet événement quadriennal ne cesse de s’élargir. Les diffuseurs, de TV5 Monde à Africable en passant par Canal+, boudent de moins en moins les épreuves et promettent cette année des dizaines d’heures de direct. En Afrique, l’engouement promet aussi d’être tout autre que dans la ville de la Côte d’Azur, plus connu pour ses maisons de retraite que pour ses boîtes de nuit. Abidjan, sa jeunesse, sa vie et sa fougue, devrait offrir un cadre bien plus enjoué et dynamique que ne le fut la ville de Christian Estrosi. Oui, les Jeux de la Francophonie creusent peu à peu leur sillon. D’abord en cultivant leur originalité. Une singularité qui peut d’ailleurs se résumer en un mot : la culture. Non pas seulement celle du corps, mais celle de l’esprit. Car les compétitions artistiques y tiennent une place prépondérante. Elles seront au AFRIQUE MAGAZINE

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nombre de dix avec, entre autres : la danse de création, les arts visuels, les arts de rue, la littérature, la chanson, la photographie… Auxquels il faut ajouter depuis 2013 des concours autour du développement, avec la création numérique et la création en développement durable. Le sport ne sera pas en reste avec toutes les compétitions olympiques d’athlétisme, mais aussi le judo, le tennis de table ou le football.

FERVEUR ET ENTHOUSIASME Les plus impatients de tous, d’ailleurs, ce sont elles, les délégations participantes. À l’image de la première d’entre toutes, celle de la Côte d’Ivoire, aussi farouchement déterminée qu’un troupeau d’éléphants quand il défend ses petits ! De la judokate Zoulehia Dabonne (voir p. 86) à la troupe Ivoire Marionnettes (p. 78) en passant par le coureur de 4x100 m Aboubakar Diarrassouba (p. 80), tous affichent une ferveur et un enthousiasme qu’ils espèrent contagieux. Pour faire gagner leur discipline. Et leur pays. ■ J.W. 75

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Robert Beugré Mambé

« Ce seront des Jeux populaires ! » Le ministre chargé de l’Organisation des Jeux de la Francophonie, un poste créé il y a moins d’un an par le président Ouattara, est aussi gouverneur du district d’Abidjan. Qui de mieux placé pour nous parler d’« Abidjan 2017 » ?

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Qu’est-ce qui vous fera considérer AM : Pourquoi la Côte d’Ivoire a-t-elle que ces Jeux sont réussis ? absolument souhaité organiser les Jeux Notre but est simple : qu’aucun athlète n’ait de la Francophonie de 2017 ? envie de retourner chez lui à la fin des Jeux. Quand, en 2012, le président Alassane Pour cela, il faut que l’accueil soit excellent Ouattara s’est engagé auprès de ses amis dès l’aéroport et que le lieu de résidence soit francophones à organiser ces Jeux, il avait agréable et fonctionnel tout en permettant en tête trois raisons majeures : réconcilier de profiter d’Abidjan. Il faut aussi que les la Côte d’Ivoire avec elle-même après la compétitions programmées se déroulent à très difficile crise politico-militaro-sociale l’heure et au lieu précis où elles doivent l’être, que nous avons vécue pendant près de que les compétiteurs aient l’opportunité de se dix ans, récompenser et exprimer notre mélanger avec les Ivoiriens, et qu’ils se sentent reconnaissance envers les pays francophones comme chez eux, en famille. qui ont milité pour le retour de la paix dans Quelles particularités nous réserve la Côte notre pays pendant cette période, et bien d’Ivoire par rapport aux éditions précédentes ? sûr marquer notre retour dans le concert Nous voulons conserver ce des nations en Afrique. Ces Jeux « la Francophonie qui a fonctionné par le passé et constituaient d’autant plus une est une plateforme apporter ensuite notre touche opportunité que la Francophonie qui permet propre. D’abord, par notre est une plate-forme qui permet d’exprimer des hospitalité et notre joie de vivre. d’exprimer des valeurs comme valeurs comme Les Ivoiriens aiment la vie et la fraternité, la diversité et la la fraternité, la diversité veulent la partager avec les autres. cohésion. Sa force n’est pas et la cohésion. » C’est pourquoi nous avons fait en seulement de se préoccuper sorte que ces Jeux soient des Jeux du développement social et populaires. Les 13 communes d’Abidjan se sont économique, mais surtout du développement humain. « Il n’y a de richesse que d’hommes », mobilisées et se sont par exemple engagées à disait Jean Bodin. Et, pour une nation, il n’y a créer une vingtaine de Fan zones afin que les spectateurs qui ne peuvent se rendre au stade de richesse que le peuple. puissent regarder les différents événements C’est donc une étape dans le processus ensemble. Dans toute la ville d’Abidjan, ces de réconciliation nationale ? Jeux seront source d’animation. En fait, nous ne sommes plus en 2012. Six Quel est le budget total de l’organisation ? ans se sont écoulés. Nous sommes aujourd’hui Et combien financée par la Côte d’Ivoire au-delà de la réconciliation nationale, à un elle-même ? moment où les Ivoiriens veulent partager Nous avons deux types de budget. avec les autres nations africaines et donner l’image d’un continent à la recherche de l’essor Le premier est dit conventionnel. Il est proche de 10 milliards de francs CFA et est financé économique, mais aussi du développement par l’OIF, la Côte d’Ivoire et les contributions culturel et sportif. Nous voulons montrer que volontaires des pays participants. C’est celui l’Afrique n’est pas seulement le continent de que l’OIF a établi comme étant nécessaire l’avenir, mais aussi celui du présent. AFRIQUE MAGAZINE

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pour réussir une bonne organisation. Il y a un second budget, celui d’investissement, qui, normalement, est à la charge unique de la Côte d’Ivoire. Je ne peux pas encore vous en communiquer le montant exact. Parmi ces investissements, il y a eu la réhabilitation du Stade Houphouët-Boigny, la rénovation du Musée national et d’une partie de la Bibliothèque nationale, la construction d’une rotonde dans le Palais des sports, le Stade vélodrome a été rafraîchi et anobli, des salles de basket ont été rénovées, une arène de lutte africaine a été réalisée, une toute nouvelle salle polyvalente de 2 500 places a été édifiée, le Canal au Bois, où les épreuves d’art de rue auront lieu, a été entièrement rénové et, enfin, le Village Akwaba, où seront logés les 4 000 concurrents des Jeux, a été construit. Pour cette dernière réalisation, nous avons demandé à nos pays amis une contribution exceptionnelle, car il n’était pas prévu au départ et a nécessité un effort supplémentaire. Il y a eu un débat sur l’opportunité ou non de démonter les installations du Village après les Jeux. Qu’en sera-t-il ? Ces bâtiments sont faits pour durer vingt à trente ans. On peut les démonter, mais nous ne le ferons pas. Les jeunes Ivoiriens en ont besoin. C’est la volonté du ministre des Sports, François Albert Amichia, et c’est aussi celle du président, avec l’idée d’en faire un centre sportif et culturel de haut niveau. Quoi qu’il arrive, je peux d’ores et déjà vous garantir qu’il sera occupé continuellement pendant au moins six mois après les compétitions, puisqu’il accueillera les participants à différentes conférences dont la prochaine rencontre UE/Afrique fin novembre à Abidjan. La Côte d’Ivoire a été désignée en 2013 comme pays hôte des 8es Jeux de la Francophonie. Néanmoins, beaucoup de travaux n’ont débuté que l’an dernier, comme le Village des Jeux, dont la construction a démarré à la fin de 2016. Pourquoi ce retard ? Au départ, la Côte d’Ivoire avait choisi de loger les concurrents dans la cité universitaire de l’Université HouphouëtBoigny. Il ne s’agissait alors que de travaux de réhabilitation. Finalement, il a été décidé de changer de lieu pour ne pas gêner la AFRIQUE MAGAZINE

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continuité des cours des étudiants. Il restait alors moins d’un an pour offrir une résidence digne de ce nom à nos hôtes. Nous avons rapidement identifié une zone, puis réalisé des plans, lancé les travaux… Cela explique ce retard. Mais je peux vous rassurer, tout sera fin prêt au 30 juin, presque trois semaines avant la cérémonie d’ouverture. En juillet, ce sera encore la saison des pluies. Ne craignez-vous pas que les Jeux soient perturbées par une mauvaise météo ? D’abord, excepté le football et l’athlétisme, la plupart des compétitions ont lieu en intérieur. Ensuite, il est vrai que cette période est généralement pluvieuse, mais pas comme le sont les mois de mai et juin. Normalement, à partir du mois de juillet, les grandes pluies cessent. Elles deviennent un peu plus longues et beaucoup moins intenses. Pas de quoi a priori empêcher les compétitions, d’autant que les nouveaux terrains ont été équipés de systèmes de drainage. Au cas où le bon déroulement des épreuves serait perturbé, nous avons de toute façon la capacité de reprogrammer rapidement telle ou telle compétition, sans dépasser les délais. Tous les cas de figure ont été envisagés. ■

Tout sera prêt bien avant la cérémonie d’ouverture, garantit le ministre Robert Beugré Mambé, également confiant sur le déroulement des épreuves, jusqu’aux aléas de la météo : « Tous les cas de figure ont été envisagés. »

propos recueillis par J.W.

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Les préparatifs vont bon train, les personnages prennent vie, mais on ne nous montre pas tout. Des surprises sont à prévoir… de taille, forcément !

La Marionnette académie La compagnie Ivoire Marionnettes, médaillée d’or à Nice en 2013 dans la discipline « Marionnettes géantes », a pris ses quartiers face à la lagune Ébrié, sur la plage du village d’Abatta, parenthèse balnéaire entre Cocody et Bingerville.

«J’

ai toujours voulu être artiste. Quand j’ai entendu parler de la compagnie, ça m’a tout de suite plu. Alors j’ai déménagé, j’ai quitté mes parents et je suis venu ici. C’est un engagement très important, mais ce n’est pas difficile, parce que j’aime ça. La marionnette, c’est mon art. » Jean-Marcel Brou Daboiko, 21 ans, a le regard d’un jeune homme déterminé. Assis sur une scène en béton d’une dizaine de mètres de large construite sur du sable, il coud dans de longs morceaux de tissus amoncelés sur le sol. Autour de lui, cinq autres acolytes transpercent de part en part l’amas coloré à l’aide de larges aiguilles. Nous sommes chez la compagnie Ivoire Marionnettes. À Abatta, entre les communes abidjanaises de Cocody et Bingerville. Les douze

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été formés aux métiers artistiques. membres habitent sur la plage dans De la danse au chant en passant une propriété sablonneuse au bord par le théâtre, la peinture ou la de la lagune Ébrié, à une bonne sculpture. « J’ai passé une sélection heure de route du cœur d’Abidjan, dans le village, se souvient Badrissa. loin du tumulte de la ville. À un Et j’ai été recruté. À cette période, mois des Jeux, les « tenants du titre » Werewere Liking faisait beaucoup se préparent avec ardeur et bonne de sculptures mais aussi un humeur. Ils vivent en « Après cela, peu de marionnettes. C’est communauté. Une peut-être que elle qui est la base même de communauté artistique. nous serons ma formation. » Après des Huit habitants y sont des invités au carnaval de voyages au Cameroun et au élèves en formation. Les Venise ou à Rio. Bénin, il crée en 2008 Ivoire quatre autres sont les Pourquoi pas ? Marionnettes, avec trois membres fondateurs du Si on gagne, tout amis, dont Désirée Kouassi, groupe, dont Badrissa est possible. » une danseuse qui n’a alors Soro, 38 ans. « J’ai été que 17 ans, et Souleymane Koro, formé au village Ki-yi M’bock, à un styliste de 26 ans. En 2013, ils Cocody », commence-t-il par raconter raflent la médaille d’or aux Jeux de la timidement. Ki-yi M’bock est un Francophonie dans la toute nouvelle village d’artistes fondé à Abidjan en discipline des marionnettes géantes. 1985 par l’écrivaine camerounaise « Les Jeux ont été une grande chance Werewere Liking. En trente ans, pour nous, sourit Souleymane Koro. plus de 500 jeunes Ivoiriens y ont AFRIQUE MAGAZINE

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Unis et soudés par leur art, élèves et fondateurs de la compagnie créent et vivent ensemble, à l’écart du tumulte de la ville.

Grâce à cela, on a gagné en visibilité et on a pu nouer des partenariats. C’est à partir de ce moment-là que les gens ont commencé à croire en nous. » Depuis, la compagnie est invitée un peu partout dans des carnavals en Afrique et en Europe. Elle tourne au Maroc, au Bénin, au Togo, au Mali, en Belgique ou en France. Parallèlement, elle devient une académie. « Quand nous sommes revenus de Nice, le ministère de la Culture ivoirien a voulu que l’on forme des jeunes pour mettre à profit ce talent », raconte Badrissa. Et à partir de 2014, les premiers élèves, dont Jean-Marcel, viennent vivre sur place pour un cursus de trois ans. Devant le portail, un panneau égrène les nombreux mécènes de l’école, comme l’Unesco, l’ambassade de Suisse (qui a financé la scène), l’Institut français de Côte d’Ivoire, l’Institut Goethe ou France Volontaires. Désirée Kouassi est tout excitée. « La marionnette », comme elle dit, c’est sa vie. « On touche un peu à tout. On chante, on danse, on coud, on écrit, on invente des chorégraphies… Mais, surtout, la marionnette guérie, elle AFRIQUE MAGAZINE

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trouver quelque chose d’étrange. On participe à un concours. On est obligés de proposer quelque chose que les gens n’ont pas l’habitude de voir. C’est l’originalité qui vous démarque des autres. C’est elle qui peut nous amener la victoire. Dans les marionnettes, on a l’habitude de voir des représentations d’hommes ou d’animaux ; cette fois, nous avons décidé d’aller plus loin, vous verrez… », lâche-t-il énigmatique. Au-delà des rêves de nouveaux voyages, ils le savent, une victoire aux Jeux permettrait de pérenniser donne de la joie aux enfants », dit-elle et d’agrandir l’école. « Maintenant, il dans un immense sourire qui vient lui faut maintenir le cap. Et maintenir toucher les oreilles. Évidemment, elle le cap, cela veut dire accueillir de veut encore gagner cette année. « Je nouveaux élèves marionnettistes. suis super motivée. On ne peut pas Notre objectif, c’est que les jeunes que s’avancer, mais gagner est notre prière. nous avons formés obtiennent cette On veut aller la chercher. Après cela, médaille d’or. Ce serait génial pour la peut-être que nous serons invités au Côte d’Ivoire. Et pour nous, ce serait carnaval de Venise ou à Rio. Pourquoi magnifique. Cela nous crédibiliserait pas ? Si on gagne, tout est possible. En encore plus et boosterait l’académie. tout cas, on en rêve. » On serait encore plus soutenu par nos L’épreuve dure quinze minutes partenaires et par l’État. » seulement et il s’agit Un bonheur supplémentaire d’être prêt. Alors élèves « j’ai toujours pour Adama : « Il faut et professeurs travaillent voulu créer des objets avec dire aux jeunes que la d’arrache-pied. « On se mes mains… mais, marionnette apporte la joie. prépare spécifiquement avant de venir Qu’elle divertit et qu’elle sur notre représentation ici, je ne savais surprend. » Pour lui, il n’y a aux Jeux depuis environ pas que ce que décidément aucun doute : six mois, s’enthousiasme je faisais c’était de l’art. » victoire ou pas, il a trouvé Adama Kamagate, sa voie. « J’aimerais devenir 22 ans, qui a commencé un jour un grand marionnettiste, sa formation en 2015. Il y a de la développer mes propres idées et avoir pression quand même, parce que, bon, ma propre académie. Quand j’y pense, ils ont gagné la dernière fois, alors j’ai toujours voulu faire ça, créer des on veut faire pareil. » La troupe garde objets avec mes mains… Mais, avant encore jalousement secret ce qu’elle de venir ici, je ne savais pas que ce que va présenter, mais Badrissa accepte de je faisais c’était de l’art. » ■ J.W. livrer quelques indices. « L’idée était de 79

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Aboubakar Diarrassouba

L’espoir au bout de l’effort Le jeune athlète va disputer l’épreuve de 4x100 m sous les couleurs ivoiriennes. Avec des rêves plein la tête et une foi dans le potentiel de son pays : « La course, c’est comme l’économie. Tu peux remonter les autres même si tu n’es pas bien parti… »

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omme à l’habitude à Abidjan, « Nous n’avons pas à notre disposition de juin est pluvieux. Un mois où pistes assez longues pour faire des séances il ne fait pas bon travailler lactiques, qui nécessitent des courses sur dehors. Au Stade Robertune distance plus grande. Et on n’arrive Champroux, en plein centre pas vraiment à respecter notre programme de la commune de Marcory, ils sont pourtant d’entraînement. » Aboubakar est déçu, mais nombreux dans ce cas. Deux préparations certainement pas du genre à s’apitoyer bien différentes d’« Abidjan 2017 » en sur son sort. « Bon, c’est comme ça. On parallèle. Des travaux de réhabilitation d’un doit s’adapter. Se rendre chaque jour dans côté, des athlètes qui enchaînent les sprints un endroit différent pour faire tel ou tel de l’autre. Deux mondes distants de quelques exercice, et tenter de maintenir notre état mètres seulement, mais qui s’ignorent de forme. » joyeusement. Encore que. Cette cohabitation Aboubakar est sprinteur. Sur 100 m, cache une grande frustration. Sur la piste de 200 m et relayeur sur 4x100 m. Sur 100 m, course, ce sont les ouvriers qui s’échinent. « sa » course, son record est de 10 s 40. Pas Ils coulent, tassent, aplatissent, ajustent, assez rapide normalement pour les minima recoulent. Leur course est contre la montre. des Jeux de la Francophonie. Pourtant, il va Sur un petit terrain de handball adjacent, bien y participer, sur l’épreuve du 4x100 m. les sprinteurs de l’équipe ivoirienne, seuls « Arthur Cissé Gué, un des membres de ou en groupe, enchaînent les l’équipe, a fait les minima lors « c’est une chance du Grand Prix du Ghana 2016. accélérations. Derrière les haies incroyable grossièrement entretenues, ils Avec son temps, il a qualifié toute d’accueillir cet devinent le terrain de football l’équipe et moi avec », raconteévénement. Ça et la piste d’athlétisme flambant donne tellement t-il dans un grand sourire. de joie et de neuve tournant autour qui L’athlétisme ivoirien vit parmi fierté que je suis accueilleront des épreuves les plus belles heures de son prêt à tous ces sportives de ces Jeux. Eux doivent histoire, avec des locomotives sacrifices. » se contenter d’un goudron usé qui comme Murielle Ahouré, 30 ne permet de courir que sur une vingtaine de ans, vice-championne du monde du 100 m mètres. Après, c’est l’herbe. et 200 m en 2013 et double championne « Toutes les pistes d’Abidjan sont fermées d’Afrique ; Meïté Ben Youssef, premier en même temps, explique Aboubakar Ivoirien à descendre sous les 10 secondes Diarrassouba dans une moue gênée. Elles (9 s 99) ou encore Wilfried Koffi, double sont toutes en réhabilitation. » Aboubakar champion d’Afrique sur 100 et 200 m en a 27 ans. Il est étudiant à l’Institut national 2014. « Les deux titans masculins, explique de la jeunesse et des sports (INJS). Depuis Aboubakar plein d’admiration, ne seront pas le 17 mai, lui et tous les athlètes sont en là aux Jeux de la Francophonie. Il y a les entraînement intensif, mais les conditions Championnats du monde d’athlétisme juste ne sont pas optimales. La fédération après. C’est aussi pour ça que j’ai une place d’athlétisme a dû se plier à la priorité des dans le relais. » Mais attention. Aboubakar priorités : finir les installations à temps. ne s’excuse pas d’être là. « Moi je suis ravi. AFRIQUE MAGAZINE

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Cette place dans le relais est liée à certaines circonstances, mais je ne la dois qu’à moimême et à mon travail. » Il donne tout pour son sport. Du matin au soir. La fédération ne prend en charge que les deux dernières semaines de stage. « Ce sont mes parents qui m’aident. Avec mes études à l’INJS et les entraînements, je n’ai pas le temps de travailler à côté », regrette Aboubakar, qui compte neuf frères et sœurs. Pas de quoi le décourager malgré tout. Il sait où il est et ce qu’il veut. « Il y a l’amour du sport d’abord. Après, ces lacunes, il faut faire avec. Essayer de ne pas les prendre en compte. Sinon, tu n’iras jamais t’entraîner. Moi, je me force. Je donne. Je travaille. Et je me motive pour essayer de faire l’impossible. Aujourd’hui plus que jamais. On a quand même une chance incroyable d’accueillir cet événement. Ça donne tellement de joie et de fierté que je suis prêt à tous ces sacrifices. » Une motivation qu’il va chercher par-delà même les limites du sport. « La Côte d’Ivoire a toujours eu un très gros potentiel, sportif comme économique. Or l’économie, c’est comme le sport, tu peux remonter les autres même si t’es pas bien parti. Nous pouvons le faire. » Le ministre des Sports François Albert Amichia a annoncé le 23 juin que le gouvernement était à la recherche de près de 200 milliards de francs CFA supplémentaires pour boucler le financement nécessaire à la mise en œuvre de sa politique sportive nationale 2016-2020. Mais, avec les Jeux, les entraîneurs de la fédération d’athlétisme gardent la foi. Louise Koré, 56 ans, est entraîneur d’Aboubakar. Son sourire ne trompe pas. Les Jeux, elle les attend de pied ferme. Et avec d’autant plus d’impatience qu’elle a une histoire avec eux. En 1989, elle y a décroché une médaille de bronze sur 4x400 m. « J’ai participé aux tout premiers Jeux de la Francophonie à Casablanca. Je me souviens d’une compétition magnifique, très fraternelle. Les voir venir dans mon pays aujourd’hui, passer le flambeau aux générations suivantes… Je suis comblée, avoue-t-elle émue. En plus, le gouvernement a beaucoup investi dans les nouvelles AFRIQUE MAGAZINE

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infrastructures. Ça va considérablement améliorer nos conditions d’entraînement pour toutes les années à venir. C’est bon pour nous et l’athlétisme ivoirien. » Aboubakar pense aussi à tout ce qu’il pourra faire avec les trois nouvelles pistes du Stade Champroux, du Stade FélixHouphouët-Boigny et du Stade vélodrome : des compétitions plus régulières et plus nombreuses, des entraînements plus spécifiques et plus variés. Il vient de passer son Master 2. « Je veux être entraîneur. J’aimerais encadrer des jeunes gens et leur donner l’espoir d’aller loin. Mon rêve, ce serait de réussir à amener un jeune Ivoirien au très haut niveau international. », confie-t-il, avant de repartir, déjà, faire des accélérations. Sourire aux lèvres et sueur au front. ■ J.W.

Hyper motivé, Aboubakar, 27 ans, donne tout pour son sport, du matin au soir, convaincu, pour lui comme pour son pays, que travail et abnégation porteront leurs fruits.

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Le choix de l’originalité Les sept premières éditions ont connu des succès plus ou moins importants, dans des contextes parfois compliqués, mais l’accent mis en continu sur la culture et l’art confère à ce rendez-vous international une singularité incomparable.

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a référence, c’est Niamey. » Pour ceux qui suivent de près les Jeux de la Francophonie, cela ne fait aucun doute, l’édition 2005 a bien été la plus marquante d’entre toutes. « Au Niger, la mobilisation et l’enthousiasme de la population ont été énormes. Les stades étaient pleins, l’accueil des concurrents a été formidable, la capitale était en fête… L’accueil des Nigériens avait tout simplement été exceptionnel », se souvient Thomas Gil, responsable de la communication du Comité international des Jeux de la Francophonie (CIJF), qui assistait alors à ses premiers Jeux. L’engouement pour ce rendez-vous est bien plus fort dans les pays du Sud que dans ceux du Nord en général, « le nombre de téléspectateurs comme de spectateurs en témoigne », soulignet-il. Mais cela n’explique pas tout. La communication auprès de la population avait été particulièrement soignée et l’organisation avait vu juste en introduisant la lutte africaine, l’un des sports les plus populaires au Niger, parmi les épreuves sportives. Une discipline qui n’a d’ailleurs plus jamais quitté la programmation depuis. La dernière édition, à Nice, ne peut pas en dire autant, et le bilan a été beaucoup plus mitigé. La ministre française déléguée à la Francophonie

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pas été suffisantes. L’absence totale à l’époque, Yamina Benguigui, s’était de retransmission en direct sur une même dite « déçue » du manque chaîne nationale a par exemple de retentissement médiatique de fortement pénalisé l’intérêt de la l’événement en France. Pourtant, population française. Différents c’était bien l’édition de tous les records couacs avaient également émaillé les (dont la plupart seront battus à compétitions, dont la « disparition Abidjan) : 54 États et gouvernements dans la nature » d’une trentaine de représentés, 3 200 participants concurrents africains. L’Organisation (2 700 concurrents et plus de 500 internationale de la Francophonie (OIF) accompagnateurs), des centaines plaide la jeunesse. « Il ne faut pas non de médias internationaux présents, plus oublier que cet événement est des retransmissions télévisuelles en relativement récent, tempère Thomas direct – 49 heures de programmes Gil. Sept éditions, ce n’est rien en termes au total suivis par 200 à 250 millions d’expérience comparé aux 30 éditions de téléspectateurs cumulés –, des des Jeux olympiques ou aux 21 éditions émissions radio quotidiennes avec près des Jeux du Commonwealth. » de 50 millions d’auditeurs au total et À chaque fois en tout cas, les une présence presque continue sur les cérémonies d’ouverture ont cinq continents. L’engouement donné lieu à des spectacles Si les épreuves pour cet grandioses suivis par des artistiques, qui se événement millions de téléspectateurs déroulaient dans le centre est beaucoup à travers le monde. Avec de Nice, ont été d’un bon plus fort dans les pays du Sud une mention spéciale pour niveau et bien suivies que dans ceux celle de Beyrouth 2009 et la par le public local, en du Nord. performance inoubliable de revanche, les épreuves la soprano libanaise Majida El Roumi. sportives avaient été programmées Hélas, ces Jeux libanais ont eu lieu à trop loin du cœur de la ville, et des une très mauvaise période pour le Pays problèmes de transport ont nui à du cèdre, qui faisait alors face à des l’audience. La judokate ivoirienne regains de tension avec Israël. Deux Zoulehia Dabonne, présente en 2013, mois avant le début des Jeux, début nous a d’ailleurs confié combien août 2009, des affrontements entre elle avait été « déçue par le nombre les armées des deux pays avaient fait de spectateurs durant les épreuves cinq morts. Il avait même été question de judo ». Incontestablement, la un temps d’annuler les compétitions. communication autour de l’épreuve Finalement, par mesure de sécurité, et sa diffusion en France n’avaient AFRIQUE MAGAZINE

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NEGROTTO VIVIANE/SIPA

Épreuve de lutte africaine, l’un des sports les plus populaires au Niger, lors de l’édition particulièrement réussie de 2005 à Niamey, qui reste une référence dans l’histoire des Jeux de la Francophonie. la plupart des Libanais étaient restés chez eux et avaient regardé les retransmissions télévisées. « Malgré ces difficultés, les compétitions sportives et artistiques ont été suivies par des millions de téléspectateurs, rappelle Thomas Gil. Les Libanais ont gardé un très bon souvenir de ces Jeux. » Depuis la toute première édition à Casablanca en 1989, décidée deux ans plus tôt lors du sommet de la Francophonie à Québec (Canada), les Jeux ont fait le choix de l’originalité en introduisant des épreuves non sportives, « comme au temps de la Grèce antique », rappelle avec fierté l’OIF. Au Maroc, où 70 000 spectateurs avaient assisté à la cérémonie d’ouverture, sept épreuves artistiques et quatre épreuves sportives seulement s’étaient tenues. Une inclination jamais démentie par la suite, et même cultivée au fur et à mesure du temps, avec aujourd’hui dix épreuves artistiques et deux épreuves AFRIQUE MAGAZINE

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pays après avoir remporté la médaille de création, écologique et numérique. d’or dans l’épreuve de chanson en « Le niveau est globalement très 2013, est une belle illustration du élevé, que ce soit en photographie, en potentiel de découvertes que peuvent peinture, en sculpture, les artistes sont receler ces compétitions. Le groupe confirmés et certains déjà connus, alors Ivoire Marionnettes (voir reportage que les athlètes sont le plus souvent p. 78), médaille d’or en 2013, est des talents en devenir », fait remarquer aujourd’hui invité à participer Thomas Gil. Depuis à des festivals un peu 2013, l’OIF a même « les artistes partout à travers le monde. choisi d’accompagner sont confirmés et certains En sport, les Jeux ont aussi et de promouvoir les déjà connus, eu la chance d’accueillir lauréats après les Jeux, alors que les quelques « grands noms ». en plus des primes athlètes sont De la sprinteuse française reçues de la part des le plus souvent triple championne olympique pays qu’ils représentent. des talents en devenir. » Marie-José Pérec, au coureur L’organisation s’engage de fond marocain double ainsi à les valoriser, à médaillé olympique Hicham El les prendre en charge pour participer Guerrouj, en passant par le sprinteur à des festivals, à les exposer par des canadien double médaillé olympique pages personnelles et des portraits sur Donovan Bailey. À Abidjan, cette Internet et à communiquer sur leur année, aucun nom ronflant n’est talent. attendu. Mais qui sait ? Certains peutLe chanteur haïtien Jean Jean être se révéleront. ■ J.W. Roosevelt, devenu une star dans son 83

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DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire

« Ce qui compte : favoriser la paix » Les étudiants de l’Université Houphouët-Boigny d’Abidjan sont heureux d’accueillir cette 8e édition, mais ont aussi des préoccupations bien plus terre à terre comme l’emploi et le logement. Nous leur avons donné la parole.

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chille Djagouri, 26 ans, discute avec un de ses amis au bord d’une allée de l’Université FélixHouphouët-Boigny. Le temps est menaçant. Il a beaucoup plu ces dernières semaines à Abidjan. Les étudiants en droit ayant déjà fait leur rentrée depuis le 29 mai – chaque filière ayant son propre calendrier –, ils sont actuellement en force sur le campus. Achille est l’un d’entre eux. Les Jeux de la Francophonie en Côte d’Ivoire, « bien sûr » qu’il s’y intéresse. Béret sur la tête, regard assuré, il a apparemment la ferme intention d’en être : « Si j’ai la santé, je ne pense pas qu’il existe quelque chose qui puisse m’empêcher d’y assister. Déjà, c’est un événement important sur le plan économique. Et puis, il nous permet de montrer que nous sommes capables d’organiser ce type d’événement. Sur le plan international, c’est quand même quelque chose de grand. Si la Côte d’Ivoire a la capacité d’accueillir tous ces concurrents et tous ces spectateurs, que tout se déroule comme il faut, et que nos invités se sentent en sécurité, cela prouvera que notre pays a mûri. » Il est persuadé que tout se passera bien… pourvu que « la politique soit laissée de côté ». Manifestement, les étudiants de l’université n’ont pas tenu rigueur du

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d’enthousiasme au sein de la jeunesse. couac intervenu au printemps dernier Peut-être même que cela pourrait avec le gouvernement. À l’origine, ce ramener certaines choses qui existaient dernier avait décidé que les participants avant, mais qui n’existent plus… aux Jeux seraient accueillis dans des comme l’unité de la nation. Et puis chambres universitaires. Mais, pour ce sera une fierté pour nous tous de y parvenir, il aurait fallu que les lieux recevoir nos frères africains, ici, dans soient libérés par leurs occupants, notre pays. » des centaines d’étudiants issus de Ses cahiers de cours plaqués sur toutes les régions de Côte d’Ivoire, qui sa poitrine, Sonia Djatchybisso a n’auraient sans doute pas pu suivre les fini les cours. 21 ans et étudiante en cours pendant presque un mois. Les lettres modernes, elle veut devenir syndicats étudiants, très actifs sur les professeur de français. Les Jeux de campus ivoiriens et rétifs au projet du la Francophonie ? Très peu pour gouvernement, ont finalement eu gain elle. « J’en ai entendu parler, mais, de cause. Et les concurrents seront franchement, ça ne m’intéresse pas. Ce logés à l’Institut national de la jeunesse qui m’importe, c’est d’étudier et d’avoir et des sports à Abidjan, complètement un travail. Moi, j’habite à Yopougon reconstruit. Mais les jeunes attendent [commune d’Abidjan]. Pour plus du pouvoir en « Pour nous, venir à l’université, le place. « D’un point de de toute façon, transport est cher. Pourtant, vue officiel, c’est vrai, ces Jeux ne parfois, on vient, et les on voit le gouvernement peuvent être que bénéfiques, professeurs ne sont pas là effectuer certaines ou sont en grève. Je sais que démarches pour imposer puisqu’ils apportent des le gouvernement fait des la Côte d’Ivoire au niveau infrastructures efforts pour tenter de mettre international, observe de qualité. » les étudiants à l’aise. Il fait Daniel Gnakpa, 22 ans, de son mieux sans doute, mais ça ne étudiant en droit. Sur le fond, on se voit pas forcément dans notre vie aimerait qu’il nous soutienne davantage de tous les jours. » Christiane N’dri, en matière de logement et d’emploi. 25 ans, étudiante en droit, la rejoint un Mais ces Jeux sont plus importants peu, mais est plus tendre avec les Jeux : qu’on le croit. Ils peuvent favoriser « La première de nos préoccupations, la paix dans notre pays. Pendant à nous, les jeunes, c’est notre niveau deux semaines, nous allons parler de de vie. Et, depuis quelque temps, il francophonie, d’entraide, de solidarité, n’augmente pas vraiment… Mais je d’harmonie… Cela peut créer beaucoup AFRIQUE MAGAZINE

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CAMILLE MILLERAND - NABIL ZORKOT POUR AM

Sur le campus, si chacun est conscient que les Jeux ne régleront pas tous les problèmes, le pragmatisme prévaut et les nombreuses retombées positives sont saluées. suis tout à fait d’accord avec le fait d’accueillir ce type d’événement. Ça peut nous aider à avancer. » Une situation qui n’a pas de quoi abattre un jeune Ivoirien. « Nous sommes un peuple optimiste », sourit Gildas, 24 ans, étudiant en droit. Au pied du monument au masque Piro, au cœur de l’Université, il discute avec ses amis, Linda, 21 ans, étudiante en lettres modernes, et Saint-Cyr, 24 ans, en sciences économiques. Saint-Cyr a pu observer certains des travaux d’infrastructures réalisés pour les Jeux de la Francophonie et il est particulièrement enthousiaste. « Au niveau de Treichville, vers le Canal au Bois, ce qu’ils ont fait, franchement, c’est bien joli. Il faut reconnaître que beaucoup de choses ont été construites ces dernières années en Côte d’Ivoire. Le troisième pont en ville, l’échangeur, l’hôpital de Bingerville, des nouveaux bâtiments dans l’université… » « Et l’Université de Man », ajoute Gildas. « Pour nous, de toute façon, ces Jeux ne peuvent être que bénéfiques, puisqu’ils apportent AFRIQUE MAGAZINE

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L’Institut national de la jeunesse et des sports, à Abidjan, où seront logés l’ensemble des compétiteurs, athlètes et artistes, a été complètement reconstruit pour l’occasion. des infrastructures de qualité à la ville », résume Saint-Cyr. Linda fait la moue. Elle paraît un peu plus dubitative. Ce qui la fait rêver, elle, ce ne sont pas les Jeux, c’est le métro. « Le président nous en a promis un.

Ça, franchement, ce serait génial. Ça nous ferait un grand changement. Quand il y aura un métro à Abidjan, alors là, je croirai à l’émergence. » Bon, en attendant, il y a les Jeux, et ça ne semble pas si mal. ■ J.W. 85

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DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire

3 questions à… Zoulehia Dabonne « À Nice, j’ai ouvert une porte que je n’ai pas refermée depuis »

AM : Vous avez participé aux Jeux de Nice en 2013. Quel souvenir en gardez-vous ? Zoulehia Dabonne : Cette compétition m’a beaucoup marquée. J’ai commencé le judo assez tard, à 15 ans. Et tout est allé très vite pour moi. À 20 ans, j’étais ceinture noire. Moins d’un an plus tard, à trois semaines de l’ouverture des VIIe Jeux à Nice, on m’a appelé pour venir concourir. Je n’ai quasiment pas eu le temps de me préparer et j’ai quand même décroché la 3e place. C’était un peu inespéré et, au final, j’ai pris énormément de plaisir. J’ai pu rencontrer un tas de gens d’horizons très différents, découvrir des lieux que je ne connaissais pas et j’ai surtout accumulé beaucoup d’informations sur mon sport et sur la gestion d’une grande compétition internationale. À Nice, j’ai ouvert une porte que je n’ai pas refermée depuis.

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Comment faites-vous pour Quel est votre objectif ? gérer la pression ? La médaille d’or ! Après Nice, Je suis un peu la leader du judo j’ai participé à de grandes dans mon pays aujourd’hui. Donc, compétitions internationales qui forcément, l’attente de la fédération m’ont permis d’acquérir encore plus et des gens autour de moi est d’expérience. Je me suis qualifiée grande. Moi-même, déjà, je me pour les JO à Rio en 2016, où j’ai mets beaucoup de pression. Il faut perdu au premier tour contre la savoir s’en méfier, c’est sûr, cela peut championne olympique en titre, coûter beaucoup d’énergie Kaori Matsumoto. J’ai « Pour une fois, participé deux fois la compétition a à un athlète. Mais à force aux Championnats lieu chez moi, je de participer à de grands ne peux pas viser événements, on apprend du monde, j’ai été médaillée de bronze aux autre chose que à gérer cette pression. Et la victoire. » puis, je suis une gagnante. championnats d’Afrique La compétition, ça me pique plus 2016, et aux Jeux islamiques à qu’autre chose. De toute façon, ce qui Bakou la même année, où j’ai compte, c’est de toujours tout donner. terminé 3e. J’ai gagné des tournois Tout ce que j’ai dans le cœur, dans en Ukraine, au Sénégal, au Gabon… les bras et dans les jambes. Et si ça Pour une fois, la compétition a ne marche pas… tant pis ! Au moins, lieu chez moi, je ne peux pas viser je ne pourrai rien regretter. ■ J.W. autre chose que la victoire.

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NABIL ZORKOT

À 24 ans, « Zoul » est la chef de file du judo ivoirien et l’une de ses meilleures chances de médaille, dans la catégorie des moins de 57 kg. Aussi réservée dans la vie que furieuse sur un tatami, ce talent hors-norme nous raconte son rapport aux Jeux.

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Ici, les maisons traditionnelles de la médina ont presque les pieds dans les eaux turquoise de la mer Méditerranée…

destination

HAMMAMET, TOUJOURS EN FÊTE

Jeunesse dorée et touristes continuent de se presser dans cette station balnéaire tunisienne, INDÉMODABLE depuis un demi-siècle. AU CREUX de son golfe, Hammamet abrite derrière pas qu’elle doit son développement aux visiteurs. Fief du les remparts une médina préservée malgré le flux de visiteurs tourisme de masse dans les années 90, l’ancienne Pupput qui arpentent ses ruelles. Première station balnéaire romaine, à 60 kilomètres de Tunis, était aussi synonyme en Tunisie depuis les années 60, elle déroule un chapelet de fête pour la jeune jet-set locale. Depuis la révolution d’hôtels et une capacité de plus de 25 000 lits le long de de 2011, les tour-opérateurs occidentaux ont boudé ses rivages blancs mais n’a rien perdu de la Tunisie mais les touristes reviennent, LES BONNES son charme. Avec ses vergers qui dévalent souvent en individuel ; ils sont toujours épris ADRESSES avec indolence jusqu’à une mer limpide, le de Hammamet comme pour bon nombre ✔ Café Sidi Bou Hadid petit village de pêcheurs a séduit, dans les de Tunisiens et d’Algériens qui y séjournent. ✔ Boutique Fella années 20, Jean et Violet Henson, un couple Le secret de la ville n’est pas uniquement ✔ Golfs Yasmine et Cytrus d’excentriques anglo-américains et le prince dans ses flots azur et sa proximité avec ✔ Restaurant Chez Achour roumain George Sebastian. Ils revisitent les grandes villes tunisiennes et l’Europe ; ✔ Une virée en quad l’architecture locale et créent un « style elle offre surtout des prestations pour tous dans l’arrière-pays Hammamet », comme label d’un certain les goûts dans un environnement magique et ✔ Centre Dar Sébastien art de vivre insouciant, élégant, festif et non contaminé. La jeunesse dorée tunisienne ✔ Médina de Yasmine intemporel. Ils font la notoriété et la légende se retrouve dans les innombrables bars de Hammamet de la ville. Dans leur sillage, de grands plage branchés et fait la fête jusqu’au petit ✔ Hôtel Al Badira bourgeois tunisiens prennent leurs quartiers jour dans les discothèques tandis que les d’été dans des propriétés où jasmin et fleurs amateurs de spectacles apprécient Dar d’orangers embaument tandis que des Italiens s’installent Sebastian, devenu centre culturel international qui donne dans les petites maisons de pêcheurs sous les remparts de la le ton chaque été avec un festival drainant les plus grands vieille ville. Au fil du temps, la cité, en installant les zones artistes mondiaux. Seule ombre au tableau, la population touristiques dans ses périphéries nord et sud, a protégé son locale assez conservatrice qui, à faveur des municipales centre historique, ses jardins et son rivage mais n’oublie de 2017, voudrait que la fête baisse d’un ton. ■ Frida Dahmani 88

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SHUTTERSTOCK

par Frida Dahmani

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vip

ASSINIE-MAFIA,

Popularisé par Alpha Blondy, l’ex-village de pêcheurs est devenu le spot FAVORI de l’élite ivoirienne !

hôtel

SABLE FIN, EAU CLAIRE, villas à perte de vue… À 100 kilomètres par la route à l’est d’Abidjan, la presqu’île d’Assinie s’impose comme « the place to be » de la jet-set ivoirienne. Bordé par le golfe de Guinée, l’ancien petit village de pêcheurs abrite désormais une luxueuse station balnéaire. Une popularité « VIP » qui remonte à deux décennies lorsqu’Alpha Blondy lui dédie une chanson en 1998 intitulée « Assinie-Mafia », qui lui donne une notoriété internationale et officialise cette appellation. Depuis, millionnaires, hommes d’affaires et politiques (Alassane Ouattara, La presqu’île de l’océan Laurent Gbagbo…) y ont établi une résidence, Atlantique est contribuant à donner à la paradisiaque localité devenue un lieu le surnom de « Saint-Tropez d’Afrique de de villégiature incontournable l’Ouest ». Une vingtaine d’hôtels dont sept haut de gamme sont à disposition des touristes. pour la jet-set d’Abidjan. Alors, vous y allez quand ? ■ Thalie Mpouho

À Marrakech, le riad qui rend fou Ce très photogénique petit hôtel est devenu la star d’Instagram…

DR - NABIL ZORKOT

SHUTTERSTOCK

MADE IN AFRICA escapades

C’EST L’HISTOIRE D’UN RIAD parmi tant d’autres sur le millier que compte Marrakech. Sauf que, depuis un an, le petit Yasmine (2 chambres et 5 suites) est devenu la coqueluche des réseaux sociaux – Instagram en tête. À l’origine du buzz, une blogueuse. Et, surtout, une piscine, de la taille d’un jacuzzi, cernée des traditionnelles mosaïques arabo-andalouses et d’un symbole amazigh au fond du petit bassin. En juillet 2016, Lauren Bullen, une blogueuse suivie par 700 000 personnes, publie sur son compte (@gypsea_lust) une photo d’elle et son compagnon dans le patio. Le cliché, « liké » plus de… 111 000 fois, crée des émules. À tel point que, venus du monde entier, des touristes de passage dans la Ville rouge se présentent désormais à l’entrée et demandent à visiter et photographier l’endroit. Comme s’il s’agissait d’un lieu de pèlerinage. Un engouement qui provoque même des passes d’armes lorsqu’un internaute prend un cliché dont la mise en scène en évoque un autre. L’enthousiasme pour le charmant riad n’est pas pour déplaire à Alice et Gaby, les hôtes du lieu : depuis cette publicité inattendue, les demandes de réservations ne désemplissent pas pour ce charmant lieu de la Médina. Lauren Bullen a gagné 1,1 million de followers supplémentaires. Et certains, sur les réseaux sociaux, découvrent même qu’il existe un pays qui s’appelle… le Maroc. ■ H.D. À partir de 90 €/nuit. 209, rue Ank Jemel, Bab Taghzout. Tél. : +212 5243-77012. ryad-yasmine.com

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Cheikh Ndiaye, l’assembleur

Il sculpte, crée, transforme. Au CŒUR de son travail : l’hybridation technique.

FRANCK ONDOBO POLYCARPE

Profession : barman. Signe particulier : il ne prépare jamais le même cocktail ! À Yaoundé, il est le pilier de l’hôtel des Boukarous. « FOP » improvise des breuvages en fonction de l’inspiration du moment, sans jamais non plus en dévoiler la recette.

AM : Comment êtes-vous devenu barman ? J’ai fait des études en biologie marine, et mes parents ne me soutenaient pas financièrement, parce que j’avais choisi pour eux « la mauvaise filière ». J’ai dû donc commencer à travailler dans des bars et des petits restaurants pour payer ma scolarité. J’étais plongeur, mais parfois on me laissait préparer des cocktails... J’ai fait des rencontres au fil des années et je me suis rendu compte qu’à Yaoundé, il n’y avait pas beaucoup de bons barmans. Où trouvez-vous votre inspiration ? Mon lien avec le client est devenu un défi pour moi. Je me souviens de mes débuts : il y avait toujours de l’autre côté du comptoir de très belles femmes, et je me disais qu’il fallait que je les impressionne, pour qu’elles reviennent ! J’avais besoin de me prouver que je m’y connaissais suffisamment en cocktails. Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ? Improviser ! Quand je suis au comptoir, il faut que les gens soient avec moi, qu’ils restent au bar, qu’ils aiment mes cocktails. J’adore quand on me demande ce que j’ai mis dedans. Je joue à cacher les saveurs, à surprendre le client. ■ Alexandra Gil

SON COCKTAIL : Fantômas Mélangez 5 cl de vin avec 7 cl de rhum. Ajoutez 5 cl de crème de cassis, 4 cl de sirop de grenadine et mélangez. Avant de servir, ajoutez une petite touche de triple sec. Cela cachera le reste des parfums, pour un peu plus de mystère…

LES ŒUVRES stimulantes du Sénégalais Cheikh Ndiaye sont une invitation à la rêverie et à la contemplation mais pas seulement. L’artiste appréhende la ville comme un espace d’apprentissage et d’expérimentation. Désenclaver le quotidien pour stimuler l’imagination et la créativité des citadins est au cœur de la réflexion de ce passionné d’architecture et d’urbanisme, diplômé de l’école des beaux-arts de Dakar comme de celle de Lyon (avec félicitations du jury). À base d’assemblages de matériaux bruts et usagés et d’hybridations techniques, ses peintures, photographies, sculptures ou installations ont un rapport détourné à l’artisanat et à l’architecture. Cheikh Ndiaye cherche avant tout à créer des liens et développer des pratiques bénéfiques pour l’ensemble de la collectivité. « Hippocampus », sa dernière exposition en date, à La Maréchalerie de Versailles, se situe quant à elle au croisement de l’architecture et de la construction navale. Actuellement représenté par la galerie Cécile Fakhoury à Abidjan (Côte d’Ivoire), l’artiste de 47 ans, qui vit entre Lyon, New York et Dakar, écrit et donne également des conférences à l’étranger sur des problématiques autour de l’art contemporain, la société africaine, la philosophie, l’anthropologie et l’architecture. ■ Loraine Adam

L’installation « Redoute », fabriquée en bois récupéré.

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secrets de pro/Yaoundé

*Les Boukarous, rue de Narvik, Yaoundé, Cameroun. 90

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Le projet est spectaculaire.

architecture

Des gratte-ciel pour le futur

Une FERME-village verticale et autosuffisante : c’est le concept de Mashambas Skyscraper, une idée récompensée et à promouvoir. COUP DE TONNERRE sur le continent… Pawel Lipinski et Mateusz Frankowski, deux architectes polonais, ont reçu le prix du magazine d’architecture « du XXIe siècle » eVolo 2017, remis chaque année depuis 2006 au projet le plus innovant, pour leur « Mashambas Skyscraper ». Ce « gratte-ciel des terres cultivées », en kiswahili et anglais, est un édifice modulaire, amovible et écologique, spécialement conçu pour l’Afrique subsaharienne. Il vise à apporter « la révolution verte aux plus pauvres ». Ses auteurs, inventifs, voudraient également permettre aux petits exploitants agricoles d’obtenir « d’aussi bons rendements à l’hectare que les grandes fermes commerciales ». De quoi s’agit-il ? Empiler des parcelles cultivables en hauteur, dans une structure ouverte sur l’extérieur, en apportant aux agriculteurs des « engrais bon marché » et des « outils innovants ».

Le projet, holistique, comporte une place de marché au rez-de-chaussée, un cabinet médical, une école et même une piste d’atterrissage pour des drones susceptibles de fournir des aliments dans les zones reculées. L’édifice pourrait bénéficier à des communautés rurales au sud du Sahara, jusqu’à ce qu’elles soient autosuffisantes. Le gratte-ciel, démontable, pourrait ensuite aller voir si l’herbe est moins verte ailleurs. Remarquable sur le papier, cette utopie charitable se veut pragmatique, mais ne précise pas comment le système d’irrigation fonctionnerait. Qui, demain, pourra faire tourner le Mashambas Skyscraper ? Les gouvernements, les ONG, des entreprises privées, des mécènes ? On espère vivement que cette réalisation trouvera les appuis qu’elle mérite pour, enfin, concrétiser l’Afrique émergente. ■ Sabine Cessou

LE LIEU : SKY LIFE BY MAYENA (LIBREVILLE) ET SINON ?

Restaurant, bar, rooftop. ET SINON ?

Cuisine du monde et gastronomie gabonaise dans un immeuble ultra moderne. POUR QUI ? DR (2)

ALEXANDRA GIL DR

MADE IN AFRICA carrefours

Les gourmets et clubbeurs en quête de nouveauté. AFRIQUE MAGAZINE

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C’est le nouvel endroit branché de la capitale gabonaise : cuisine exotique en semaine, rooftop le samedi, glacier le dimanche. Le Sky Life propose un large panel de spécialités culinaires et des enseignes mondialement connues (Morelli’s, Don Vincenzo…). Côté ambiance, on y trouve des DJ qui mettent le feu à la piste, des soirées à thèmes et, surtout, une vue imprenable sur la mer. On vous laisse, on y va… ■ T.M. Pont de Guégué, 20294 Libreville, Gabon. Tél : +241 07 04 89 89. lifebymayena.com

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Accra, Douala, Pretoria… ? Non, Ikea !

L’été sera africain

En plus d’avoir les honneurs des musées et manifestations cette année, le continent s’invite dans les intérieurs et VESTIAIRES cette saison, aussi bien féminins que masculins. Retour sur une tendance partie pour durer. par Sophie Rosemont

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à Seydou Keïta au Grand Palais ou « Art/Afrique », l’atelier présenté à la fondation Louis Vuitton, elle persiste à utiliser wax et autres déclinaisons de tissus africains, en particulier dans les accessoires : souliers, mais aussi sacs, pochettes ou bijoux. On ne compte plus celles qui vont se fournir dans le XVIIIe arrondissement de Paris, chez African Beautiful, Holland Textiles, Diosa, etc. Pourquoi un tel engouement, qui ne semble pas faiblir – alors que l’industrie de la mode est réputée pour son cœur d’artichaut ? « L’Afrique est un pays qui se développe beaucoup, son art explose et rayonne sur le reste du monde : il est donc logique qu’il prenne également de l’ampleur sur les dressings européens, répond Chloé David-Boyet, responsable communication en agence de presse mode. Aujourd’hui, on ose vraiment les imprimés africains – le mass market à la H&M a aidé à les populariser. Solange Knowles, Beyonce et d’autres stars du R’n’B se sont emparées de cette mode et ont inspiré les jeunes filles. » Et pas seulement. Ce printemps-été voit l’une des collaborations AFRIQUE MAGAZINE

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DEPUIS QUELQUES SAISONS, les imprimés africains ont la part belle dans les défilés et les show-rooms. On ne compte plus les références, aussi bien chez Dries Van Noten, Burberry que Vivienne Westwood, Kenzo ou encore Givenchy… Comme nombre d’influences exotiques, on aurait pu s’attendre à ce qu’elle passe de mode le temps d’un hiver. Eh bien, non : la fashion « saga Africa » ne fait que commencer. Mieux encore, elle s’est également propagée dans la décoration d’intérieure. On retrouve du wax, des masques et des imprimés africains aussi bien chez Merci que chez Mondial Tissus, Habitat ou Pierre Frey (pour les papiers peints). Même Ikea a décidé récemment d’y consacrer une collection entière, en collaborant avec les créateurs issus du site Internet Design Indaba (Bethan Rayner et Naeem Biviji, Laduma Ngxokolo, Bibi Seck…). Couleurs et graphisme tribaux sont au rendez-vous. La mode s’inspire du design (et inversement) mais, surtout, de l’art. Dans la continuité de l’événement consacré

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MADE IN AFRICA fashion

Le foulard wax, un des hits du moment.

les plus excitantes de l’enseigne Repetto, avec le musicien Matthieu Chedid, dans le cadre de la sortie de son album Lamomali. « Un hommage à la kora, au Mali, à l’Afrique et au monde », annonce la marque de chaussures. Le tissu wax se retrouve via quatre imprimés sur le légendaire modèle Zizi, en série limitée et numérotée – et dont tous les bénéfices seront reversés sous forme de matériel de danse à l’association malienne Donko Seko. Quelles sont les qualités esthétiques des motifs africains ? La vivacité des couleurs se retrouve aussi dans la tradition textile finlandaise ou brésilienne, par exemple, mais sans ce chic si particulier. « Tous les coloris sont vifs sans être criards, kaki, bordeaux, moutarde : subtils, élégants. Les imprimés sont très travaillés, explique Chloé David-Boyet. Et, surtout, ils fonctionnent aussi bien en total look qu’en petites touches. Cette tendance se retrouve beaucoup sur les accessoires. C’est solaire, gai. C’est sans doute pour cette raison qu’on arrive à trouver, chaque année, un hit de l’été inspiré de l’Afrique : le foulard noué dans les cheveux, les compensées ou encore les paniers pour l’été 2017. » Qu’on se le tienne pour dit, l’imprimé africain n’est pas près d’avoir dit son dernier mot. ■

Richelieus Matthieu Chedid pour Repetto

Collier Thomas Sabo

Bague Chloé

Cabas Zara

JAMAIS SANS NOS PANIERS

Panier Balenciaga

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Ne nous fions pas à son allure relax, le panier a été l’une des stars des podiums printemps-été 2017. En osier naturel de préférence, et sous toutes ses formes – circulaire ou type cabas. On en trouve pour tous les prix, de Balanciaga à Zara (ci-contre) en passant par Dolce & Gabbana, Prada et Mango. Muni de pompons, breloques, d’un message ou d’un ruban, il est aussi partout dans la rue, avant même de s’inviter à la plage. On le porte aussi bien avec un jean qu’une robe légère ou, pourquoi pas, un tailleur, dans sa version besace ronde… ■ S.R.

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Bien respirer, c’est essentiel pour la santé

Inspirer, expirer… Quoi de plus simple et INSTINCTIF ? En y portant réellement attention et avec des exercices appropriés, il est possible de multiplier des bienfaits étonnants.

LA RESPIRATION A POUR FONCTION essentielle d’oxygéner le sang, et les organes et tissus irrigués par ce dernier en profondeur. Elle permet aussi de détoxifier l’organisme en rejetant le gaz carbonique. Autres rôles auxquels on pense moins… À chaque inspiration, le côlon est comme « un peu comprimé », ce qui aide à la progression du bol alimentaire : c’est pourquoi l’activité physique, qui augmente l’amplitude respiratoire, est bénéfique en cas de constipation. Et puis, la circulation veineuse est améliorée par une respiration ample, grâce au pompage effectué par le cœur et à la compression effectuée par le diaphragme sur les veines de l’abdomen. Enfin, la respiration a un 94

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effet antistress important : bien respirer lentement, en se concentrant sur cette action, a un effet relaxant et permet de retrouver le calme.

Avec le ventre Quand on respire de façon automatique sans y penser, on utilise la respiration dite thoracique : elle fait travailler uniquement la partie supérieure du thorax, et elle ne remplit pas d’air les poumons au niveau de leurs capacités, loin de là. Ce n’est donc pas la meilleure respiration, que ce soit pour oxygéner l’organisme ou éliminer les toxines, et donc pour une santé optimale. Il faudrait penser à la combiner AFRIQUE MAGAZINE

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VIVRE MIEUX forme & santé

pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

avec la respiration abdominale, « par le ventre », qui augmente énormément l’amplitude. En pratique, il s’agit de prendre l’habitude de gonfler le bas du ventre, et pour cela, il faut un peu d’entraînement. Voici comment faire au début : en position assise, dos droit et épaules baissées, les mains placées sur le ventre (pour bien prendre conscience de ses mouvements), on inspire pendant 3 secondes par le nez en gonflant le ventre (sans forcer), on bloque l’air pendant 3 secondes, et pour terminer on expire lentement par la bouche, le ventre redevenant plat. Un exercice à répéter plusieurs fois de suite et plusieurs fois dans la journée. Cette respiration abdominale apporte une oxygénation au top, y compris du cerveau, et un plus grand bienêtre général tout en réduisant les tensions car elle a des vertus calmantes. Elle est aussi à adopter pour mieux réguler le transit, prévenir les ballonnements, améliorer les capacités respiratoires des fumeurs, des asthmatiques, et booster la détoxification.

On visualise avec le cerveau C’est une méthode efficace pour atténuer des douleurs, notamment musculaires, des spasmes abdominaux ou maux de tête. On ferme les yeux, on pense mentalement à la zone ou l’organe que l’on veut soulager, et on expire en dirigeant son expiration vers la douleur cinq à sept fois de suite. Maintenant pour chasser des tensions négatives, un état de nervosité, etc. : yeux fermés là encore, on prend une image mentale agréable (un souvenir comme un bain dans une mer turquoise chaude…), on inspire plusieurs secondes en visualisant cette image, puis on expire par la bouche en diffusant mentalement cette sensation agréable à tout son corps. Un exercice à répéter trois fois de suite pour ressentir un bien-être et une détente. Même technique pour s’aider à trouver le sommeil quand il fait de la résistance… Très lentement, on inspire en imaginant par exemple une vapeur tiède pénétrer son cerveau, puis on expire en visualisant cette vapeur qui sort et laisse place à un ciel bleu, à du coton ou autre image douce. À faire plusieurs fois pour se relaxer et tomber dans les bras de Morphée.

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Et narine par narine en alternance C’est ce qu’on appelle la respiration alternée (utilisée aussi en yoga), à pratiquer pour retrouver un meilleur équilibre nerveux et un meilleur état mental suite à des stress répétés, pour se clarifier les idées, se donner de l’énergie… En pratique, on bouche la narine gauche avec le pouce, on inspire lentement par la narine droite. On bouche ensuite la narine droite avec le petit doigt et on expire par la gauche en essayant de sortir un maximum d’air. Puis on inspire alors avec cette narine gauche, on la bouche, et on expire par la narine droite. Et ainsi de suite, pendant environ une minute. Pour terminer, on expire doucement par les deux narines. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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ET SI ON FAISAIT UNE PETITE SIESTE ?

En vacances plus que jamais, prenons enfin le TEMPS de récupérer. TOUT AU LONG DE L’ANNÉE, on manque souvent de sommeil. Ce déficit de repos n’est pas sans conséquences : avec une fatigue bien sûr, mais aussi de moindres performances côté concentration et mémorisation, et une moindre résistance au stress. Il est démontré aussi que cela impacte notre santé : baisse de l’immunité, hausse de la tension artérielle, élévation du taux de sucre dans le sang, prise de poids. Pour compenser le manque de repos, les avantages de la sieste sont reconnus. Le début d’après-midi entre 14 et 15 h est le moment idéal. Les petits sommes de 10 à 20 min sont les plus efficaces pour récupérer. Dormir ne serait-ce que 20 min, peut nous « réparer » d’une carence en sommeil d’1 à 2 h par nuit ! Les grasses matinées n’ont pas cet impact positif. Alors, on se programme des siestes estivales régulières. Si on n’en a pas l’habitude, on met un réveil ou on se fait réveiller au bout de 20 min. La sieste doit durer moins de 30 min car, au-delà, on entre en phase de sommeil profond dont on a du mal à sortir ! ■

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POURQUOI TRANSPIRE-T-ON ?

Ce phénomène parfois gênant est IN-DIS-PEN-SA-BLE.

CHALEUR : S’HYDRATER MODE D’EMPLOI

Quand le mercure grimpe, buvez-vous vraiment assez d’EAU ? Et avez-vous les bons réflexes ? 27°, 28°, 29 °C… ON EST SOUVENT tenté de boire glacé pour trouver une sensation de fraîcheur. Grossière erreur. D’abord, car la sensation de soif s’atténue plus vite, donc on a tendance à moins s’hydrater. Ensuite, l’impression de fraîcheur disparaît plus rapidement que si on prend une boisson à température ambiante. En effet, c’est un « choc thermique » qui arrive dans l’estomac : pour ramener la boisson glacée à la température du corps, l’organisme produit de la chaleur et par conséquent nous « réchauffe » ! Quant à boire chaud, pourquoi pas : cela peut aider à transpirer, et ainsi à rafraîchir le corps. Il faut aussi penser à adapter les quantités. Quand il fait très chaud, on transpire davantage, et on évacue donc de l’eau. C’est pourquoi il faut en boire au moins 1,5 à 2 l par jour. Lorsqu’on fait un travail physique dehors et qu’on transpire énormément, on peut avoir besoin de bien plus… Il faut alors boire régulièrement. La bonne habitude : le faire avant d’avoir soif, car quand le corps déclenche cette alerte, c’est qu’il manque déjà un peu d’eau. N’importe quelle boisson n’hydrate pas de la même façon. On mise avant tout sur l’eau ! À savoir : les boissons comme le thé ou le café sont à consommer avec modération en période de forte chaleur… En effet, elles ont – et cela vaut aussi pour les sodas – un effet diurétique. Autrement dit, on urine davantage, et perd de l’eau. Si on en abuse, on risque même de se retrouver en hydratation insuffisante. En revanche, les fruits et légumes riches en eau, les soupes froides, compotes, sorbets… participent à une bonne hydratation. ■ 96

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LA TRANSPIRATION permet de maintenir la température du corps autour de 37 °C. C’est l’hypothalamus, glande située dans notre cerveau, qui la régule. Quand il fait très chaud, il commande, via le système nerveux, aux glandes sudoripares de fonctionner davantage : elles évaporent de la vapeur d’eau par les pores situés à la surface de l’épiderme, ce qui nous rafraîchit. On transpire plus aussi sous l’effet d’émotions, quand on fait du sport, parce que la température du corps grimpe dans ces circonstances. Dans des conditions normales (climat tempéré), on élimine en moyenne 1 l de sueur par jour. Il faut boire assez pour compenser, d’autant plus par forte chaleur (voir ci-contre). La sueur est inodore. Mais elle se décompose au contact des bactéries présentes sur la peau. D’où les odeurs, surtout au niveau des aisselles… Pour les modérer, on utilise des déodorants ou antitranspirants : bloquer la transpiration sur cette petite zone ne gêne pas la régulation de température. On porte du coton plutôt que du synthétique, qui favorise la macération. Et on s’épile, les poils étant aussi vecteurs de macération. ■

EN BREF LE CAFÉ BON POUR LA PROSTATE Une étude sur la santé et l’alimentation menée sur plus de 7 000 hommes (publiée dans l’International Journal of Cancer) le montre : les hommes qui consomment trois expressos par jour ont un risque de cancer de la prostate réduit de moitié par rapport aux autres. Qui plus est, l’action anti-tumeur de la caféine a ensuite été confirmée en laboratoire. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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VIVRE MIEUX forme & santé STOP AUX CRAMPES !

Jambes lourdes : ce qui soulage Pesanteurs, fourmillements, gonflements… On peut LUTTER contre ces sensations désagréables.

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On prend des veinotoniques en continu quand il fait chaud (la chaleur dilate les veines) : ces médicaments sont efficaces sur les symptômes. Autre option, les compléments alimentaires à base de petit houx, vigne rouge, marron d’Inde : ils soulagent bien aussi. Au besoin, on n’hésite pas à augmenter un peu les doses (sans toxicité).

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En plus, on applique un gel anti-jambes lourdes, plusieurs fois par jour s’il le faut, d’abord sur la voûte plantaire, le pied, puis en remontant vers le haut des cuisses. À base de plantes traitantes, ce type de produit apporte souvent en plus une fraîcheur appréciable.

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On bouge. L’activité physique est un excellent moyen d’alléger ses jambes : elle active les veines sous le pied, et la pompe musculaire du mollet qui fait remonter le sang. Au minimum, on marche 30 minutes par jour. Montée des escaliers, natation, vélo, gymnastique, gym aquatique, sont des activités excellentes également.

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Côté assiette, on fait le plein de fruits et légumes, notamment agrumes, fruits rouges, poivrons : ils sont riches en antioxydants, essentiels à la tonicité des parois des veines. On évite ce qui gêne la remontée du sang : jambes croisées en position assise ; vêtements serrant beaucoup la taille, pantalons comprimant au niveau de l’aine… De même, les chaussures ne doivent pas serrer. Pour la hauteur des talons, l’idéal est 3 à 4 cm : cela accentue l’effet de pompe du mollet quand on marche.

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En cas de gonflements le soir, on prend un bain de pieds dans une eau fraîche salée (une poignée de gros sel), et on dort les pieds du lit surélevés (environ 5 cm). ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Comment combattre ces CONTRACTURES des muscles, brutales et très douloureuses.

LES CRAMPES sont souvent dues à une hydratation insuffisante, à une activité physique intensive ou inhabituelle, ou encore à l’absence d’étirements lorsqu’on fait un effort. Plus rarement, il y a des causes médicales : prise de certains médicaments, troubles circulatoires… Si ces contractures se répètent, il faut prendre l’avis du médecin. Mais la plupart du temps, elles sont bénignes. Pour faire passer une crampe, il faut étirer le muscle dans le sens inverse de la contracture. Pour le mollet ou l’arrière de la cuisse, en levant un peu la jambe et tirant la pointe du pied vers soi (s’asseoir ou s’allonger, c’est plus facile). Pour le pied, en tirant le bout vers le haut. Et on masse la zone douloureuse. Pour prévenir, on s’hydrate et consomme des aliments riches en magnésium (légumes secs, céréales complètes), sel minéral qui participe à la relaxation des muscles, et des fruits et légumes pour l’apport de potassium qui régit la contraction musculaire. Et on y va progressivement dans la pratique sportive ! ■

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À LIRE Un livre à éplucher ! Car vous y découvrirez qu’avec bon nombre d’épluchures d’aliments, mais aussi de noyaux, de fanes…, vous pouvez vous faire des soins beauté, vous préparer des remèdes santé, et bien d’autres choses ! Des recettes et astuces vraiment étonnantes, et anti-gaspi. « Les épluchures, tout ce que vous pouvez en faire », par Marie Cochard, éd. Eyrolles, 19,90 euros.

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LES 20 QUESTIONS

propos recueillis par Loraine Adam

Sianna 1. Votre objet fétiche ? Je dirais mon téléphone, mais je ne suis pas vraiment fétichiste. 2. Votre destination favorite ? J’ai adoré découvrir la République Dominicaine. Mais la destination de rêve, ce serait Bali. Ou Bora-Bora… 3. Le dernier voyage que vous avez fait ? C’était à Ouarzazate au Maroc.

Ses débits et rythmes musicaux sont aussi rapides qu’elle est sage et posée dans la vie. Arrivée sur la pointe des pieds, Sianna Dwayna, d’origine malienne et adoptée très jeune par une famille française installée à Beauvais, est devenue, à 22 ans, la nouvelle reine du rap-game et du freestyle. Elle fait les premières parties de La Fouine, Booba ou Orelsan, avant de sortir Diamant noir, son premier album*.

4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Un cahier, ma trousse, et mon iPad.

6. Un livre sur une île déserte ? L’hymne à ma mère, le premier livre de Naïmi Ayad, une jeune comédienne francoalgérienne. 7. Un film inoubliable ? Training Day d’Antoine Fuqua avec Denzel Washington, Ethan Hawke et la chanteuse de R’n’B Macy Gray, en tant qu’actrice. 8. Votre mot favori ? Okay. 98

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9. Prodigue ou économe ? Prodigue ! 10. De jour ou de nuit ? De nuit ! 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Sans hésiter, Twitter. C’est la base. 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Je prends ma voiture et je vais me garer à la campagne pendant une heure. Je me pose là avec de la musique. 13. Votre extravagance favorite ? Je ne vois pas.

14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Athlète de haut niveau. 15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Fanko, qui m’accompagne sur scène. On se connaît depuis longtemps maintenant et je le considère vraiment comme mon grand frère. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Une belle paire de chaussures !

17. Votre plus beau souvenir ? Ils sont très nombreux. Mais, artistiquement parlant, ce serait la première partie de Booba à Bercy en 2015. 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Sans hésiter, le Maroc. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? No comment. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Ma musique et mes futures bonnes actions. ■ *Paru en février chez Warner Music.

AFRIQUE MAGAZINE

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DR

5. Un morceau de musique ? « Kietu » de Damso, extrait de son nouvel album Ipséité sorti en avril.

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