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AFRIQUE MAGAZINE

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N o 3 9 0 A F R I Q U E M A G A Z I N E - M A R S 2 0 1 9

DÉBAT

Faut-il tuer le FCFA ?

TOP-MODÈLE

RANIA BENCHEGRA NOUS RACONTE SON AMERICAN DREAM

BUSINESS LA FORMIDABLE AVENTURE DU GAZODUC MAROC-NIGERIA

ABDELAZIZ BOUTEFLIKA

UN DESTIN ALGÉRIEN, LA FIN D’UNE ÉPOQUE INTERVIEW EXCLUSIVE

BENGHAZI

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Salif Keita «L’expérience LA VIE APRÈS m’a apaisé» LA GUERRE France 4,90 € – Afrique Afriqu du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 €– Espagne 6,90 €– États-Unis 8,99 $– Grèce 6,90 €– Italie 6,90 €– Luxembourg 6,90 €– Maroc 39 DH– Pays-Bas 6,90 €– Portugalcont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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SOCIÉTÉ LE COUSCOUS, CONCORDE OU RIVALITÉS ? N ° 3 9 0 - MARS 2019

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ÉDITO par Zyad Limam

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CAP À L’EST

’est devenu un débat permanent à la fois rationnel et irrationnel : le poids de la Chine en Afrique. En quelques années, l’empire du Milieu s’est imposé comme le premier partenaire du continent africain. Dans le domaine particulièrement crucial des infrastructures, la Chine est devenue le principal bailleur bilatéral, avec un montant qui excède les financements combinés de la Banque africaine de développement (BAD), de l’Union européenne, de la Société financière internationale (IFC), de la Banque mondiale et du G8 ! Il y a évidemment la dette, importante, mais aussi l’investissement direct extérieur (IDE). L’IDE chinois en Afrique s’élèverait à près de 300 milliards de dollars entre 2005 et 2018, selon le groupe de réflexion American Enterprise Institute (AEI). Et puis il y a ce méga-grand plan des nouvelles routes de la soie dans lequel l’Afrique joue un rôle clé. Bref, faisons-nous face à une nouvelle colonisation, plus ou moins subtile, à une mise sous tutelle économique via une vague incontrôlable de capitaux, de prêts, d’investissements, de contrats et de contraintes ? La question mérite d’être posée. La Chine n’est pas une puissance angélique, elle défend ses intérêts à long terme. L’avantage, c’est que cette stratégie permet aussi de répondre à des besoins cruciaux de l’Afrique, au moment où les pays occidentaux et les bailleurs traditionnels sont aux abonnés plus ou moins absents… Ce cap à l’est pris par l’Afrique n’est pas une option. Pour reprendre un fameux raccourci historique, le XIXe siècle aura été européen, le XXe siècle américain, et le XXIe siècle sera asiatique (et peut-être un peu africain aussi). L’Asie sera le centre de gravité du futur, le cœur de l’économie, du commerce, de l’innovation (pour le meilleur et pour le pire, comme le montrent les avancées chinoises en termes de reconnaissance faciale de masse). L’Asie représente déjà démographiquement la moitié de l’humanité. Près de 5 milliards d’habitants dont 1,4 milliard de Chinois et presque autant d’Indiens. AFRIQUE MAGAZINE

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D’ici à 2050, les pays asiatiques contribueront pour plus de la moitié à la production économique mondiale. Et par leurs poids économique et démographique, ils vont progressivement jouer un rôle majeur dans la résolution des défis globaux : régulation financière internationale, changement climatique, nouveaux modèles énergétiques, risques technologiques, insécurité alimentaire… Dans ce contexte, rien ne prouve que la Chine s’impose comme la puissance ultra-dominante. On a parlé de l’Inde, évidemment. Selon le chercheur Parag Khanna (auteur de The Future Is Asian*), « la Chine, par le biais de nouvelles routes de la soie, va faire monter des puissances régionales qui vont atténuer sa propre hégémonie. L’Asie retournera alors à ce qu’elle a toujours été historiquement, un équilibre multipolaire de puissances ». Pour l’Afrique, le choix est donc clair, il faudra s’arrimer à cette zone d’expansion massive. On voit déjà à quel point les pays de la façade est du continent, Djibouti et le Kenya en particulier, bénéficient de l’énergie en provenance de l’Est. Et si, démographiquement, le XXIe siècle sera asiatique, il sera aussi africain : la population de l’Afrique sera de 2 à 3 milliards à l’horizon 2050 puis 4,4 milliards en 2100. En clair, l’Asie et l’Afrique représenteront 80 % des êtres humains à la fin du siècle ! Il y a forcément une grande stratégie à mettre en œuvre, une alliance des continents qui serait mutuellement favorable et historiquement révolutionnaire. Reste à l’Afrique à démontrer sa capacité à mieux défendre ses intérêts. Dans la négociation, elle n’est pas démunie : elle a des ressources, des matières premières, des perspectives de croissance. Les bons contrats restent possibles, favorisant la création d’emplois, le transfert de technologies, le respect des normes environnementales. Comme le soulignait la chercheuse Folashadé Soulé dans Le Monde du 14 février, c’est avant tout, côté africain, une question de gouvernance. La fameuse gouvernance, élément clé, central, de notre futur ! ■ * The Future Is Asian, de Parag Khanna, Simon & Schuster, 2019.

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SOMMAIRE Mars n°390 18

ON EN PARLE

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AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

DÉBAT

Faut-il tuer le FCFA ?

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TOP-MODÈLE

RANIA BENCHEGRA

NOUS RACONTE SON AMERICAN DREAM

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PHOTOS DE COUVERTURE : SHUTTERSTOCK, NATASHA KOT, AZZOUZ BOUKALLOUCH/MAP, SHUTTERSTOCK, AMANDA ROUGIER

Le couscous, graines de concorde par Frida Dahmani

par Loraine Adam et Catherine Faye.

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C’EST COMMENT ? Oui ou non ? par Emmanuelle Pontié

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Toutânkhamon : L’étoile éphémère par Catherine Faye

PARCOURS Germaine Acogny CE QUE J’AI APPRIS Harry Roselmack

Le gazoduc Nigeria-Maroc ira-t-il au bout ? par Julie Chaudier

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Agenda : Le meilleur de la culture

par Astrid Krivian

N ° 3 9 0 - MARS 2019

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Benghazi La vie après la guerre par Maryline Dumas

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Musique : Muthoni Drummer Queen, girl power ! par Sophie Rosemont

Le franc CFA, notre meilleur ennemi ? par Cédric Gouverneur

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Écrans : Une zone franchement drôle par Jean-Marie Chazeau

Abdelaziz Bouteflika Un destin algérien, la fin d’une époque par Zyad Limam

Livres : Le dormeur à gages de Tahar Ben Jelloun par Catherine Faye

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

TEMPS FORTS

ÉDITO Cap à l’est par Zyad Limam

FAROUK BATICHE/AFP - MARYLINE DUMAS

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Salif Keita « L’expérience m’a apaisé » par Astrid Krivian

84 Rania Benchegra American dream par Fouzia Marouf

par Fouzia Marouf

01/03/19 19:57

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VINGT QUESTIONS À… Laurence Fishburne par Fouzia Marouf

66 L’émergence en danger par Jean-Michel Meyer AFRIQUE MAGAZINE

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FONDÉ EN 1983 (34e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

p. 46

Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

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RÉDACTION

Emmanuelle Pontié

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PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

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Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, Julie Chaudier, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Élise Lejeune, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Nathalie Simon. VIVRE MIEUX

MADE IN AFRICA 88

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

Escapades : Addis-Abeba le parfum de la « nouvelle fleur »

VENTES EXPORT Laurent Bouin TÉL.: (33) 6 87318865 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL.: (33)156821200

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Carrefours : Nadine Engelbrecht pense l’habitat de demain

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Fashion : Diarrablu, l’élégance de l’algèbre

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DR - LABORATORIOROSSO - DE AGOSTINI/AKG - SHUTTERSTOCK

par Luisa Nannipieri

VIVRE MIEUX 94

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Bien nourrir son intestin, la clé de l’équilibre Pour vous soigner au naturel, optez pour les huiles essentielles Lutter contre les acouphènes Articulations qui font mal : on agit !

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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

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Commission paritaire : 0219 D 85602 Dépôt légal : octobre 2019. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2018.

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« L’INSOMNIE »,

Le dormeur à gages de Tahar Ben Jelloun

L’écrivain franco-marocain revient avec un THRILLER rocambolesque dans lequel il aborde les nuits blanches de son héros avec cynisme et humour noir. par Catherine Faye

« J’AI TUÉ MA MÈRE. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu. Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. C’est tout. Ensuite j’ai dormi, longtemps, profondément. » Commencer un roman par une telle attaque est un pari risqué. Pas pour Tahar Ben Jelloun, 74 ans, qui n’a cessé de construire une œuvre multiforme et propose ici un texte très différent de tout ce qu’il a écrit jusqu’à présent. L’histoire ? Un scénariste de Tanger, grand insomniaque, découvre que pour 6

pouvoir enfin bien dormir il lui faut tuer quelqu’un. Sa mère est sa première victime. Hélas, avec le temps, l’effet s’estompe. Il doit récidiver. Plus sa victime est une personne importante, plus il dort. Et c’est l’escalade. On découvre alors que sa femme, qu’il déteste, est à l’origine de ses insomnies. Se libérer d’elle serait donc en réalité le seul remède à ses nuits blanches. Il en est incapable. Cette haine est d’ailleurs réciproque : elle aussi veut le tuer. Mais elle se montre plus forte que lui. Il a beau se prendre pour un tueur impitoyable et un brillant scénariste, il se fait avoir par cette femme apparemment insignifiante, qui utilise toutes les ressources imaginables pour le maintenir dans une relation de dépendance. Dans ce roman d’un dormeur à gages, Tahar Ben Jelloun aborde un mal courant qui touche des millions de personnes, l’insomnie. Mais il y interroge également la complexité des relations entre les individus et le réel, avec malice, fantaisie et même une pointe d’ambiguïté. Son narrateur est-il d’ailleurs véritablement un tueur ou ne raconte-t-il pas tout simplement les scénarios qu’il élabore durant ses nuits sans sommeil ? Prix Goncourt 1987 pour La Nuit sacrée, l’auteur de L’Enfant de sable (1985) et du Bonheur conjugal (2012) est l’écrivain francophone le plus traduit dans le monde. La publication en 1973 de Harrouda, son premier roman, avait fait scandale car il abordait le tabou de la sexualité. Depuis, son œuvre est ancrée dans les méandres de la société marocaine, ses problèmes et ses violences. Du reste, d’où lui est venue l’idée de cette fable grinçante ? « L’insomnie est pour moi une vieille compagne, elle vient du traumatisme de ma détention dans une prison militaire au Maroc, il y a cinquante ans. » Un épisode sur lequel il revient dans son précédent roman La Punition, paru l’année dernière. Pour parler de l’insomnie, il s’est d’abord intéressé à Marcel Proust et à Franz Kafka, deux grands insomniaques. Mais, peu à peu, il comprend que pour traiter d’un sujet aussi grave il faut que ce soit léger et drôle. « L’humour noir est la seule chose qui peut nous sauver. » Voici donc venu le temps pour cet écrivain, aussi poète et peintre à ses heures, de s’amuser un peu. « S’il vous plaît… Un petit peu de sommeil… Un petit peu de cette douce et agréable absence… » écrit-il dans ce roman qui lui permet aussi d’aborder, en filigrane, le sujet délicat de la mort. Car dormir, n’est-ce pas accepter de lâcher prise ? De laisser mourir un peu de soi ? En tout cas, une chose est sûre, son héros, ce criminel sympathique, dort vraiment, lui, à l’issue de chacun de ses meurtres. La boucle est bouclée. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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F. MANTOUANI/GALLIMARD

Tahar Ben Jelloun, Gallimard, 272 pages, 20 €.


ON EN PARLE livres roman

Clemantine Wamariya a été nommée au conseil du musée du Mémorial de l’Holocauste de Washington par Barack Obama.

PROTÉGER OU MOURIR « ON LEUR a donné quinze jours. Quinze jours et une certaine quantité d’ivoire à rapporter. » C’est une guerre bien particulière entre braconniers et rangers qui va se jouer entre le delta de l’Okavango et la rivière Chobe, au Botswana. Là, les animaux, et en particulier les éléphants, y ont trouvé un refuge contre la barbarie. Des hommes y veillent nuit et jour, comme Seretse, qui travaille pour le gouvernement

« IVOIRE »,

Niels Labuzan, JC Lattès, 250 pages, 18 €. botswanéen, Erin, qui a quitté la France pour vivre dans une réserve, ou encore Bojosi, ancien braconnier reconverti en garde. Ce roman inspiré pose une question nécessaire : que signifierait un monde sans animaux sauvages ? ■ C.F.

JULIA ZAVE

DÉSIR D’ENFANT

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UNE LEÇON DE VIE

« LA FILLE AU SOURIRE DE PERLES »,

Clemantine Wamariya et Elizabeth Weil, Les Escales, 312 pages, 20,90 €.

premier roman YEJIDE ET AKIN forment un couple harmonieux, ils ont tout pour être heureux. Tout sauf un enfant. Yejide a essayé, en vain. Lorsqu’une délégation familiale se présente à sa porte escortant une seconde épouse pour sauver l’honneur d’Akin, c’est au-dessus de ses forces. Commence alors pour elle un parcours de combattante pour sauver son couple, dans un contexte de chaos politique. Traduit dans 18 pays, ce récit tragi-

témoignage NÉE À KIGALI, Clemantine Wamariya a 6 ans quand le conflit rwandais éclate en 1994. Avec sa sœur, elle fuit les massacres et traverse sept pays d’Afrique. Recueillie par un couple aisé à Chicago, elle découvre soudain une tout autre réalité, devient pom-pom girl, fait de brillantes études qui la mènent jusqu’à Yale. Un véritable rêve américain… Mais comment se reconstruire après l’enfer ? Quel sens donner à son histoire ? Aujourd’hui militante pour les droits de l’homme, elle publie le récit de sa vie. Un témoignage qui nous incite à regarder au-delà du statut de victime. ■ C.F.

bd DES DIAMANTS ET DU SANG

« RESTE AVEC MOI »,

Ayòbámi Adébáyò, Charleston, 320 pages, 22,50 €. comique, où alternent les points de vue de l’épouse et du mari, propulse la jeune auteure nigériane, qui a étudié l’écriture aux côtés de Chimamanda Ngozi Adichie, sur la scène littéraire internationale. ■ C.F.

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« KATANGA, TOME III : DISPERSION »,

Sylvain Vallée et Fabien Nury, Dargaud, 68 pages, 16,95 €.

COURSES-POURSUITES, fusillades et rebondissements, on retrouve tout ce qui fait le sel des précédents volumes de cette trilogie. Une plongée en BD dans la crise katangaise, entre guerre d’indépendance et chasse aux diamants. On y rencontre des mercenaires impitoyables, des hommes politiques corrompus, d’anciens nazis, des victimes annoncées… L’œuvre est basée sur des faits historiques précis, le propos est quasi documentaire. Un récit violent, iconoclaste et pour autant jubilatoire. ■ C.F. 7


Une zone franchement drôle

FORT DU SUCCÈS de La Vache (plus d’un million d’entrées en France en 2016), le réalisateur franco-algérien joue de nouveau sur l’opposition des contraires : après le bled et la France, c’est Paris et sa banlieue. L’histoire d’une entreprise de communication qui a longtemps profité des avantages fiscaux qu’offre une zone franche, La Courneuve, en y installant… une simple boîte aux lettres. Sommé par les services des impôts d’y emménager vraiment sous peine de devoir rembourser plusieurs millions, Fred, le bouillant dirigeant de cette petite société (excellent Gilles Lellouche), emmène ses salariés de l’autre côté du périphérique. Ils y découvrent les voitures brûlées (le tournage a eu lieu avant les gilets jaunes sur les Champs-Élysées…), les incivilités, 8

« JUSQU’ICI TOUT VA BIEN », (France)

de Mohamed Hamidi. Avec Gilles Lellouche, Malik Bentalha, Sabrina Ouazani. les magouilles, les gangs et les trafics de drogue… mais ce n’est jamais très méchant ni violent. Un regard bienveillant qui n’empêche pas de provoquer le rire : c’est la force des situations et des comédiens. Les Parisiens bon teint débarquent avec leurs préjugés, même une beurette qui a pris du galon y revient à reculons (lumineuse Sabrina Ouazani). Le casting du recrutement local imposé pour la zone franche donne lieu à une galerie de portraits très drôle. En passeur de ces deux mondes, le très lunaire Samy (Malik Bentalha, ex-Jamel Comedy Club, vu dans Pattaya et Taxi 5) fait parfois glisser le film vers la comédie romantique, sans mièvrerie. Pas vraiment un pamphlet, tant le film insiste sur ce qui fonctionne au-delà du périph : solidarité, générosité, adaptabilité. Un peu trop idéaliste ? C’est ce qu’on se demande, vingtcinq ans après La Haine, quand surgit seulement à la fin, comme un avertissement, le titre du film… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Raconter le choc des cultures entre des jeunes Parisiens branchés et les habitants débrouillards des cités : c’est le PARI RÉUSSI de Mohamed Hamidi pour dépasser les clichés avec le sourire. par Jean-Marie Chazeau


ON EN PARLE écrans animation

La clé de l’espoir PETITE PALESTINIENNE d’un camp de réfugiés à Beyrouth, Wardi découvre l’histoire des siens depuis 1948, l’année de la catastrophe (la Nakba) pour les 700 000 Palestiniens expulsés à la création de l’État d’Israël. Un jour, son arrière-grand-père lui confie la clé de sa maison en Galilée et une porte sur bien des souvenirs. Dans ce film, les flash-back sont animés en 2D, les personnages sont des marionnettes d’une très fine expressivité et le décor

comédie

Wardi et son arrière-grand-père ou comment transmettre son histoire à travers les générations et dans l’exil. du camp très réaliste. Là-bas, en 70 ans, « la seule chose qui a changé, ce sont les tours : à chaque nouvelle génération, un étage ». Poétique et politique à la fois, pour petits et grands. ■ J.-M.C.

« WARDI »

(Norvège-France-Suède) de Mats Grorud. Avec pour la VF les voix de Pauline Ziadé, Aïssa Maïga, Saïd Amadis.

La fille de son père

PRÉSENTÉ AU DERNIER FESTIVAL de Toronto, c’est le premier film nigérian sélectionné par la plateforme Netflix. Réalisé, produit et coécrit par une star de Nollywood, Genevieve Nnaji, qui incarne elle-même la fille du patron d’une entreprise de transport (Lionheart), ambitieuse mais respectueuse de son père. Quand elle pense pouvoir lui succéder, la compagnie est au bord de la faillite… On sourit et on suit avec plaisir les tribulations de la superbe et magnétique héroïne, qui s’impose en douceur dans un monde machiste et corrompu. Les (courtes) séquences de prières évangéliques et de musiques signalent qu’on est bien dans un film made in Nollywood, mais sans perdre le spectateur qui n’en a pas les codes. En prime, les vues aériennes d’Enugu montrent un Nigeria affairé et moderne, même loin de Lagos. ■ J.-M.C. « LIONHEART » (Nigeria) de Genevieve Nnaji. Avec elle-même, Nkem Owoh, Peter Edochie.

documentaire

Papa, pourquoi?

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LE RÉALISATEUR ALASSANE DIAGO rend visite à sa mère, qu’il avait filmée en 2009 dans Les Larmes de l’émigration. Dans la cour de sa maison au Sénégal, elle raconte sa résignation (« c’est la volonté divine ») et sa tristesse d’avoir vu partir son mari, qui n’est jamais revenu. Le cinéaste, qui n’apparaît pas à l’image, se rend ensuite au Gabon, à la rencontre de ce père qui y a fondé un autre foyer. L’homme parle très peu mais se laisse filmer dans son quotidien, et face caméra il écoute ce fils retrouvé tardivement, sans effusion, plus qu’il ne lui répond. Il faut attendre près d’une heure pour que soit posée la question qui fâche : « Pourquoi as-tu abandonné ta famille ? » De cette lente confrontation rugueuse naît une formidable émotion qui cueille le spectateur quand il ne s’y attend pas. ■ J.-M.C. « RENCONTRER MON PÈRE » (France) d’Alassane Diago. AFRIQUE MAGAZINE

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Muthoni Drummer Queen Girl power ! Pour son troisième album, la chanteuse kenyane affirme pour de bon son féminisme et sa passion pour la musique urbaine. Incomparable.

« JE REPRÉSENTE une femme africaine puissante. J’ai vibrer pour la première fois : « Le contrôle de sa voix et son inventé (et continue d’inventer) une vie sur des chemins look averti dans “I Wanna Dance With Somebody” m’ont artistiques moins fréquentés. Je pense que j’aide les gens vraiment impressionnée. Je voulais absolument chanter à imaginer leur propre grandeur. J’aime ça. » Mesdames comme elle ! » Quelques années plus tard, elle découvre ce et messieurs, bienvenue dans l’univers haut en couleur qu’est le show scénique grâce à Michael Jackson : « Ce n’est de Muthoni Ndonga, la musicienne la plus que par les clips et des extraits d’émissions enthousiasmante du Kenya d’aujourd’hui. Son télévisées que j’ai pu réaliser à quel point audace verbale est au diapason de sa musique, la danse et les costumes étaient bons ! Qu’il féministe, secouée de rythmes intransigeants pouvait chanter et danser tout en ayant cette et de mélodies sensationnelles. En effet, présence plus grande encore que la scène son nouvel album, She, brosse le portrait de où il évoluait. » D’où un irrésistible amour battantes. « Kenyan Message » donne la parole du beat, qu’elle pratique avec ses talents de à une doctoresse engagée, « Million Voice » nous percussionniste et qu’elle cultive aujourd’hui plonge dans la peau d’une réfugiée somalienne, aux côtés du duo de producteurs suisses « Caged Bird » rend hommage à son écrivaine avec lesquels elle façonne ses chansons, « SHE », Muthoni de prédilection, Maya Angelou… Elle, Muthoni, GR! & Hook. Ensemble, ils ont enregistré Drummer Queen, Yotanka Records domine le terrain avec son flow tour à tour She lors de sessions bootcamp en Suisse. langoureux et féroce, mêlant sans complexe ses Entre-temps, elle a étudié les relations influences R’n’B’, hip-hop, reggae, afrotrap et soul. internationales et la philosophie à l’United States Sur un titre comme « Squad Up », on entend même International University Africa, au Kenya, et a fondé du rock’n’roll diablement électrique. le festival Blankets & Wine à Nairobi… Muthoni ne manque pas d’inspiration, elle a fait de sa Ces jours-ci, Muthoni est d’ailleurs dans la capitale plume une arme, au même titre que son timbre vocal. Issue kenyane avec GR! & Hook pour imaginer de nouvelles d’un milieu modeste, elle a dû faire preuve de pugnacité pour chansons. Pas du genre à se reposer sur ses lauriers, occuper la scène, même si elle rêve depuis toute petite d’être l’artiste compte bien continuer à prouver que rap et sous le feu des projecteurs. C’est Whitney Houston qui l’a fait féminisme font bon ménage. ■ 10

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PETER MUTUMA

par Sophie Rosemont


ON EN PARLE musique afropop

RINA MUSHONGA, UN VRAI MELTING-POP

pop

UNE MÉLODIE COUSUE DE FIL D’OR

Avec Thread of gold, le trio d’Hejira revient en beauté.

ELLE HABITE le sud de Londres, mais ses origines se situent entre le Zimbabwe et les Pays-Bas. Depuis la sortie de son premier album en 2014, The Wild, The Wilderness, on mise beaucoup sur cette artiste aussi bien influencée par Paul Simon que par Eurythmics et Santigold. Avec son afropop engagée sous influence dancehall, Rina Mushonga allie l’organique et l’électro en faisant preuve d’un sens inné des rythmes. De « Pipe Dreamz » à « Jungles » en passant par l’addictif « 4qrts », In a Galaxy résonne fort et juste, entre contes africains, mythologie grecque et transes occidentales. ■ S.R. « IN A GALAXY », Rina Mushonga, Pias

DÈS LE TITRE « Save it for Another », une pop éthérée et intimiste jaillit toute en suspension… Après le décès de son père, la chanteuse d’Hejira, Rahel Debebe-Dessalegne, est partie à la recherche de ses racines en Éthiopie. C’est là qu’elle a imaginé ces nouvelles chansons et qu’elle a convoqué le reste du groupe afin de les enregistrer. On retrouve bien la fusion habituelle entre folk, jazz et pop classieuse, mais avec une présence plus intellectualisée des influences africaines du trio. Le résultat porte bien son nom : oui, les chansons sont ourlées d’or par la somptueuse voix de Rahel mais aussi par une instrumentation de haute voltige. ■ S.R. « THREAD OF GOLD », Hejira, Limo Lima Records/Big Wax Distribution

world music

DR

ANITA FARMINE PERSEPOLIS MUSICAL DE L’IRAN quitté en 1979 à Orléans, en passant par les terres algériennes et Dunkerque, cette multi-instrumentiste accomplie chante en français, en anglais mais aussi en persan. Pour son troisième album, Seasons, elle préserve cette recette magique parfaitement assortie à son timbre chaleureux et à son amour des rythmiques – sans oublier la guitare électrique qu’elle se plaît à convoquer, histoire de bousculer une ou deux ritournelles… L’exil, les deuils, le temps qui passe et les nouveaux départs nourrissent, de loin en loin, les chansons de cet album qui se veut avant tout intemporel. ■ S.R. « SEASONS », Anita Farmine, Palapapaï Prod AFRIQUE MAGAZINE

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hip-hop GET INTO THE GROOVE ON NE PRÉSENTE plus le duo ghanéen formé par M3nsa et Wanlov the Kubolor, r, qui, depuis douze ans et cinq albums, réussit à dominer les classements de la pop continentale. Aujourd’hui, ils proposent un EP bref mais intense : dans le bien nommé Afrobeats Lol, Fokn Bois s’amuse à explorer le rap et l’électro dans leurs recoins les plus inattendus. Enregistré entre Accra, Budapest, Londres et Yokohama, ce nouveau disque témoigne d’un sens de la mélodie s’affirmant aussi bien en studio que sur le dance floor. ■ S.R. « AFROBEATS LOL », Fokn Bois, Idol 11


Place aux jeunes artistes, tels Janet Siringwani-Nyabeze (à g.) et Troy Makasa (à dr.).

découverte

PLUME ET CRAYON

Des livres mêlant texte et dessin, jamais édités, sortent enfin au grand jour. exposition

CAP SUR LE ZIMBABWE Des ARTISTES PEINTRES redessinent et interrogent l’actualité de leur pays. VINGT-NEUF ARTISTES DU ZIMBABWE ont interrogé pendant sept mois la vie quotidienne de leur pays, mais aussi leur société à travers la peinture, sur le thème « peindre à la fin d’une époque ». Five Bhobh (à prononcer « five bob »), c’est le tarif à payer qu’annoncent les chauffeurs de kombi (minibus) au Zimbabwe, une fois les passagers entassés à l’intérieur. C’est aussi le nom donné à cette exposition, où chaque artiste s’est glissé dans la peau d’un passager au cœur de cet engin-nation, pour dépeindre les multiples questionnements que soulève une période de grande peur. Les œuvres interrogent l’actualité, inventent mille et un avenirs, racontent des histoires imbriquées les unes dans les autres. Un voyage chaotique et prégnant au cœur de la vie quotidienne zimbabwéenne, dans le plus grand musée d’Art contemporain africain du monde. ■ C.F. « FIVE BHOBH – PAINTING AT THE END OF AN ERA », musée Zeitz Mocaa, au Cap, Afrique du Sud, jusqu’au 31 mars. zeitzmocaa.museumw

LA FONDATION MARTIN BODMER et le musée d’Art moderne et contemporain de Genève proposent « Cahiers écrits, dessinés, inimprimés », qui réunit des ouvrages d’artistes, d’écrivains ou de philosophes jamais imprimés mais suffisamment travaillés pour être considérés comme des livres à exemplaire unique. Où parentés graphiques et familiarités visuelles établissent des passerelles entre différents univers écrits, dessinés, tracés ou coloriés tels ceux du Franco-Suisse Marcel Miracle et de l’Ivoirien Frédéric Bruly Bouabré (1923-2014). Celui qui, suite à une « révélation divine », archiva le monde contemporain à la façon d’un entomologiste, glanant traces du réel et du spirituel. Une cosmogonie qu’il consignait en milliers de dessins réalisés aux stylo à bille et crayons de couleur sur du papier cartonné de petit format. Un immense artiste africain qui, grâce à son invention de l’alphabet bété, avait dès 1958, bien avant l’heure du succès, retenu l’attention du grand savant, naturaliste et anthropologue Théodore Monod. ■ L.A. « CAHIERS ÉCRITS, DESSINÉS, INIMPRIMÉS », Fondation Bodmer, Genève, Suisse, jusqu’au 25 août 2019. fondationbodmer.ch

festival

MUSIQUES ÉLECTRO AU BURKINA FASO

« FESTIVAL AFRICA BASS CULTURE (ABC) »,

Institut français de Ouagadougou, du 1er au 10 mars 2019 ; Institut français de Bobo-Dioulasso, du 15 au 17 mars 2019. 12

DR - JOHANN LOURENS PHOTOGRAPHY

La 4e édition du festival Africa Bass Culture (ABC) se tient du 1er au 10 mars à Ouagadougou et continue du 15 au 17 mars à Bobo-Dioulasso. Bien plus qu’un rendez-vous musical, ABC réunit l’Afrique digitale à travers des ateliers, des performances, des soirées DJ-VJ… Cette manifestation, lieu de rencontres avantgardiste, est le carrefour artistique de l’afro-électro sur le continent ! ■ Le festival ABC, un haut lieu de la musique digitale.

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ON EN PARLE agenda

commémoration

Révolution tunisienne

Au programme, des photos d’archives et des caricatures.

Z - HOURIA ABDELKAFI - IWAN BAAN

Le Mucem revient sur ces 29 jours qui, il y a huit ans, ont entraîné la chute de BEN ALI. L’EXPOSITION PRÉSENTÉE AU MUCEM (à Marseille) est une adaptation de « Before the fourteenth, instant tunisien – Archives de la révolution », inaugurée au Musée national du Bardo, près de Tunis, le 14 janvier (jusqu’au 31 mars), à l’occasion du 8e anniversaire de la révolution tunisienne. Elle en retrace les moments historiques, entre l’immolation par le feu du jeune vendeur de rue Mohamed Bouazizi (17 décembre 2010) et la fuite du président Zine el-Abidine Ben Ali (14 janvier 2011) après vingt-trois ans de pouvoir sans partage. Vingt-neuf jours décisifs qui racontent la révolution. Spontanée, indépendante de toute idéologie et sans guides politiques, celle-ci a trouvé son expression dans l’image et a inauguré le mariage des nouvelles technologies et de la rue, introduisant un nouveau mode de mobilisation et d’action politique, de nouvelles expressions artistiques. L’exposition s’articule autour d’un vaste fonds d’archives : vidéos, photos, blogs, statuts Facebook, articles de journaux, enregistrements de témoins, caricatures, graffitis, slogans, dessins, poèmes et chansons, et aussi communiqués et déclarations de la société civile, collectés à travers tout le pays. ■ C.F. « INSTANT TUNISIEN, ARCHIVES DE LA RÉVOLUTION »,

Mucem, Marseille, du 20 mars au 30 septembre 2019. mucem.org AFRIQUE MAGAZINE

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événement

Une fleur d’acier, de verre et de béton de fibres pour incarner la puissance qatarie.

LA ROSE DES SABLES DE DOHA

Le NOUVEAU Musée national nous plonge dans l’histoire multiséculaire du Qatar. APRÈS EMMANUEL MACRON, qui avait inauguré le Louvre Abou Dhabi avec l’homme fort des Émirats arabes unis, cheikh Mohammed ben Zayed Al-Nahyane, en novembre 2017, c’est au tour du Premier ministre français, Édouard Philippe, de se rendre à Doha, ce 28 mars, pour couper le ruban rouge du nouveau musée emblématique qatari, sous le haut patronage de l’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani. Un musée de 40 000 m2, en forme de rose des sables, imaginé par l’architecte Jean Nouvel et construit autour du palais historique, qui vient d’être restauré. Concrètement, le Musée national, dont la directrice n’est autre que la sœur de l’émir, cheikha Al-Mayassa, présidente de Qatar Museums Authority, exposera des œuvres contemporaines d’artistes qataris et internationaux, des objets rares et précieux, parmi lesquels le célèbre tapis de perles commandé par le maharajah de Baroda en 1865, orné de plus de 1,5 million de perles du golfe Persique (émeraudes, diamants, saphirs), et offrira une expérience immersive dans l’histoire du Qatar, allant de 700000 avant JésusChrist à nos jours, le long de plus de 2 km de galeries. L’art de la démesure… ■ C.F. « NATIONAL MUSEUM OF QATAR », Doha, Qatar. qm.org.qa 13


PUBLI-REPORTAGE

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LE PARTAGE D’EXPÉRIENCE AU SERVICE DE L’EXCELLENCE OPÉRATIONNELLE

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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié

OUI OU NON ?

O

n connaît, très spécifiquement en Afrique centrale, le syndrome de la porte fermée et la lueur de bonheur qu’on lit dans la pupille du portier observant avec délice la file d’attente qui s’est formée devant telle administration, telle ambassade, tel grand magasin ou tel stade. Un grand classique : la porte à double battant ouverte à moitié pour que les gens s’écrasent les uns contre les autres en la franchissant, ou celle qui se ferme quinze minutes avant l’horaire prévu, claquée pile au nez d’une pauvre retardataire qui croyait (à juste titre) être dans les temps. Le maître de la porte, héritier d’une once de pouvoir ponctuel, petit havre de plaisir dans son quotidien bien terne, en use et en abuse. Normal. Il a l’immense pouvoir de dire non. On connaît encore le vendeur renfrogné, derrière son étal de légumes au marché presque content de ne pas avoir les avocats que vous cherchez. Ou encore le fonctionnaire ravi de vous annoncer, après vos quarante-cinq minutes de queue, que les timbres fiscaux sont en rupture… Bref, le non bien frontal, très bantou et un brin caractériel, c’est presque culturel. Il rabat le caquet éventuel du client fortuné ou pressé, de celui qui croit que la vie est facile, et que l’on doit satisfaire ses désirs, alors que le petit employé, lui, il souffre. Plus loin, disons globalement en Afrique de l’Ouest, on se heurte à un autre type de non, beaucoup moins direct, peut-être plus subtil, fruit d’une culture bien différente, celle du « faux oui ». En gros, quoi que vous demandiez ou souhaitiez, on vous répond oui neuf fois sur dix, avec un grand sourire vissé sur le visage. Ce qui, déjà, crée une ambiance plus conviviale. Certes. Pourtant, avec le temps, vous vous rendez compte que les oui tardent à être suivis d’effets. On vous dit « bien sûr, je vais vous trouver ça », et, après plusieurs relances, votre interlocuteur continue à vous jurer sur tous les saints qu’il n’y a pas de problème, que AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 0 – M A R S 2 0 1 9

c’est sûr, ça va le faire… Mais, rien. Idem pour une signature, que l’on vous promet tous les jours, et qui souvent ne vient jamais. Bref le « faux oui » se transforme vite en un « vrai non » qui ne dit pas son nom. Différents cieux, différentes mœurs. Après, chacun ses goûts. Le visiteur, touriste ou homme d’affaires, a le choix. Vaut-il mieux se heurter à un non direct ou être baladé pendant des jours par un faux oui ? Le truc, c’est de ne pas perdre de vue, qu’à Dakar comme à Douala, obtenir un vrai oui, ce n’est pas toujours facile. Que ce soit pour cause d’impuissance non avouée ou le fruit d’un caractère rebelle, c’est quand même, au final, un goût immodéré pour le non qui prédomine. Qu’on se le dise ! ■

À Dakar comme à Douala, obtenir un vrai oui, ce n’est pas toujours facile.

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PARCOURS propos recueillis par Astrid Krivian

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LAURENT PHILIPPE/DIVERGENCE-IMAGES.COM

Germaine Acogny AFRIQUE MAGAZINE

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ACTUELLEMENT EN TOURNÉE EN EUROPE avec son solo « À un endroit du début », la Franco-Sénégalaise est la figure historique de la danse africaine contemporaine. À 74 ans, la chorégraphe continue aussi à transmettre son langage à l’École des Sables, près de Dakar. Voici la leçon d’une incroyable interprète de la nature.

N

ée au Bénin, j’ai grandi au Sénégal. J’ai l’instinct béninois et le geste sénégalais. Enfant, comme toutes les petites filles, je dansais. Mais elles me traitaient de folle, parce que je cherchais à danser comme un arbre, un escargot… La danse est un esprit qui habite une personne et la rend capable de faire des mouvements extraordinaires. Pour moi, comme dans les danses traditionnelles du Bénin, du Togo, du Nigeria, tout part de la colonne vertébrale : c’est le serpent, l’arbre de vie. Je sais la vibration que cela provoque dans le corps, dans son dressement. Je cherche dans la profondeur de l’héritage de mes ancêtres pour l’utiliser dans les temps modernes. Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, connaître les danses de son pays. Elles sont le reflet de l’environnement : un habitant du bord de mer ne danse pas comme celui de la forêt. Certaines danses traditionnelles se perdent aujourd’hui. Sauf chez les Dioula, en Casamance, les hommes font encore la danse de la circoncision dans la forêt sacrée, mais ils n’ont plus le temps de rester pour apprendre toutes ces formes complexes. Maintenant, il y a les danses urbaines qui font écho aux buildings, etc. Une tradition qui se perd va renaître d’une autre façon. À l’École des Sables, nous invitons les danseurs à connaître ce patrimoine de leur pays, pour qu’ils se l’échangent. C’est une précieuse base de données pour leur création contemporaine. Chaque jour, j’ai mes rituels d’entraînement. Je vis à Toubab Dialaw, à 50 km de Dakar, en face d’une lagune. Je me réveille à 6 heures, je fais mes étirements, mes exercices, et mes répétitions. Je marche dans l’eau et je médite au bord, debout. J’effectue ma prière dansée, que l’artiste Gacirah Diagne a créée pour moi. Je lui suis très reconnaissante, elle a été l’une de mes premières élèves à qui j’ai transmis le goût de la danse. Dans le film Yao de Philippe Godeau, je réalise cette danse-prière en hommage Retrouvez toutes les dates aux esprits de l’eau et aux ancêtres d’Omar Sy. Je l’ai vraiment considéré comme et les lieux de la tournée mon fils pendant le tournage, nous avons partagé une vraie émotion. Cette de Germaine Acogny sur www.ecoledessables.org cérémonie était réelle pour moi, je ne jouais pas. J’ai dû trouver cet état de corps pour transmettre cette force, incarner cette passation des esprits. Ma grand-mère paternelle, Aloopho, était une prêtresse Yoruba. Je suis aussi habitée par son esprit, ce n’est pas un hasard si je suis devenue danseuse. J’ai la chance de pouvoir me transformer. Je dis toujours aux danseurs : quand on a un don de Dieu, il ne faut pas le gaspiller. Et l’on doit le travailler pour le cultiver, le faire grandir. J’aime regarder les gens dans la rue, leur manière de se comporter, cela me nourrit. Je suis aussi très inspirée par la nature. J’ai créé des mouvements qui portent les noms suivants : nénuphar, escargot, tourbillon, buffle, baobab, épervier… Le fromager aussi, un arbre majestueux qui est le symbole de ma technique : être bien enraciné dans sa culture, prendre les influences d’ailleurs mais toujours rester soi-même. Pour faire comprendre un mouvement aux danseurs, j’utilise cette image : c’est lent et fort comme un arbre qui pousse. Et l’on peut rester debout sans bouger, mais il y a une force intérieure qui forme notre présence. » ■

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Abdelaziz Bouteflika Un destin algérien, la fin d’une époque Il aura tout connu : une ascension fulgurante, la gloire, la chute, l’exil, le grand retour, et près de vingt ans de pouvoir. C’est le plus long «règne» de l’Algérie indépendante. L’homme est fragile, et sa candidature pour un 5e mandat provoque la rupture du statu quo et une formidable demande de changement. par Zyad Limam 18

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LOUAFI LARBI/REUTERS XXXXXXXXXX

Abdelaziz Bouteflika, décembre 2011. AFRIQUE MAGAZINE

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juin 1965 Le ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika (à g.) et Gamal Abdel Nasser, chef de l’État égyptien.

juillet 1973 À la sortie de l’Élysée après un entretien avec le président français, Georges Pompidou (ci-dessous).

KEYSTONE FRANCE/GAMMA RAPHO - KEYSTONE FRANCE XXXXXXXXXX

1974 Bouteflika devient le 29e président de l’Assemblée générale des Nations unies. À ses côtés : Kurt Waldheim, Secrétaire général (à g.) et Bradford Morse, Sous-Secrétaire pour les affaires politiques.

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LES TALENTS DE LITTLE BIG MAN la confiance (rare) de Boumediene et devient le plus jeune ministre des Affaires étrangères du monde. Élégant, habile, ne dédaignant pas les mondanités, francophone, arabophone, il incarne une diplomatie algérienne militante, puissante, au cœur des enjeux Nord-Sud. Il y gagnera le surnom de « Little Big Man ». Il y « règne » pendant seize ans, imposant son style et son image aux quatre coins du monde.

KEYSTONE FRANCE/GAMMA RAPHO XXXXXXXXXX

Il a rejoint le maquis à l’âge de 19 ans. Membre actif de l’armée des frontières et de l’Armée de libération nationale, Abdelaziz Bouteflika devient, à 25 ans, ministre de la Jeunesse et du Tourisme dans le premier gouvernement de l’indépendance. En juin 1963, il prend le poste des affaires étrangères et sera limogé en mai 1965 par Ben Bella. Partie prenante du « coup de juin 65 », Bouteflika bénéficie de

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XXXXXXXXXX ÉTIENNE MONTES/GAMMA RAPHO

AVEC CARLOS, UNE PHOTO POUR L’HISTOIRE

23 décembre 1975 Bouteflika sur l’aéroport d’Alger avec Carlos (au centre). AFRIQUE MAGAZINE

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21 décembre 1975. Six terroristes conduits par Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos, font irruption dans l’immeuble de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à Vienne, en Autriche. Ils prennent de nombreux otages, dont 11 ministres. Carlos et ses victimes s’envolent vers l’Algérie. Le ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika mène les négociations. Au bout de

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quelques heures, Carlos accepte de relâcher 30 personnes. L’avion repart vers Tripoli avant de revenir dans la capitale algérienne où tous les otages sont enfin libérés. Commentaire de l’ambassadeur américain à Alger : « Bouteflika a fait du bon boulot et renforcé sa réputation en gérant cette affaire de manière magistrale, que ce soit avec les pirates de l’air ou la presse. » 23


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Ses liens privilégiés avec le président Houari Boumediene font de lui le numéro 2 du régime. « Boutef » est incontournable, tant sur la scène internationale que dans les arcanes de la politique intérieure. D’un côté, Boumediene l’austère homme du terroir et, de l’autre, Bouteflika le bon vivant et le voyageur. Les deux hommes se complètent. 30 décembre 1978, Boumediene meurt à l’hôpital Mustapha. Bouteflika, compagnon de toujours, est choisi pour prononcer l’oraison funèbre. Il devrait de toute évidence succéder au raïs, mais l’armée est hostile. Les vieux comptes se règlent. Chadli Bendjedid arrive au pouvoir. C’est le début de la « déboumedienisation ». 24

décembre 1976 Alger, aux côtés du président Houari Boumediene. AFRIQUE MAGAZINE

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GILBERT UZAN/GAMMA RAPHO XXXXXXXXXX

LE FILS SPIRITUEL


1999, LE RETOUR embrasent le pays. Bouteflika veut retrouver sa place, la première. L’annonce du départ anticipé du président Liamine Zeroual ouvre la séquence de la revanche. Bouteflika se présente en candidat indépendant à l’élection d’avril 1999. Il incarne l’âge d’or de l’Algérie. L’appareil militarosécuritaire, exsangue, se soumet. Bouteflika prête serment et devient le septième président de l’Algérie indépendante. C’est le début d’un long règne.

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MANOOCHER DEGHATI/AFPIMAGESFORUM

avril 1999 En meeting dans la ville d’Adrar, dans le sudouest algérien, pour la campagne présidentielle.

On lui colle un dossier de corruption, on l’écarte du pouvoir, on le pousse à l’exil, mais, pour reprendre l’expression de l’un de ses proches, « aucun doute, ce redoutable manœuvrier fera en sorte que son destin coïncide avec celui de l’Algérie ». Une Algérie qui s’enfonce dans la crise avec les émeutes d’octobre 1988. La victoire du Front islamique du salut (FIS) au premier tour des législatives de décembre 1991 provoque l’interruption du processus électoral. On le consulte, on lui propose des postes, alors que la violence et la guerre civile

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décembre 2008 L’homme fort du pays en visite à Oran. L’article de la Constitution limitant le nombre de mandats présidentiels vient d’être modifié. 26

Progressivement, Abdelaziz Bouteflika prend tout le pouvoir. Il impose son autorité, s’attache à asseoir son emprise, à placer ses hommes. Son premier objectif est de sortir de la guerre civile. Première étape, en septembre 1999 : la Concorde civile, approuvée par référendum. Deuxième étape en 2006 : avec la Charte nationale pour la paix et la réconciliation, proposée aux irréductibles. Le président est donc deux fois légitime. D’abord comme acteur majeur de l’indépendance. Et ensuite comme l’artisan principal du retour à la AFRIQUE MAGAZINE

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XXXXXXXXXX ZOHRA BENSEMRA/REUTERS

LE PRÉSIDENT


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paix après la guerre civile. Le terrorisme devient « résiduel ». Mais l’économie reste soumise à la fluctuance de l’or noir. Le président a changé la Constitution et la règle de la limitation des mandats. Il est réélu en 2004, en 2009. Le pays échappe à la tempête des révolutions arabes. Le rigorisme moral et religieux étouffe progressivement une société dont on sent pourtant qu’elle est jeune, vive, et qu’elle attend une rupture, la fin de l’ère FLN (Front de libération nationale). Qui attend, au fond, de « Boutef » qu’il signe lui-même l’acte de décès du système, et qu’il propose un autre avenir. AFRIQUE MAGAZINE

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PERCWXCXCXCXCXWES TRANSITIONS ABDELAZIZ MINVENIS BOUTEFLIKA, INT LXCXXCCXWXCXCCIA UN DESTIN ALGÉRIEN, NOSSUNTUR LA FIN D’UNE REÉPOQUE

LE DÉCLIN

XXXXXXXXXX FAROUK BATICHE/AFP PHOTO

28 avril 2014 Très affaibli, en fauteuil roulant, il prête serment à la nation pour la 4e fois.

Le président pourtant ne lâche rien. Ni le pouvoir ni le système. Malgré les coups du sort. Fin 2005, il avait frôlé la mort suite à un ulcère hémorragique. En 2013, il est frappé par un AVC. Le président se déplace en fauteuil roulant. Sa santé se dégrade. Il tient, il veut rester au sommet au moment où le pays cherche à sortir du statu quo historique. Il gouverne seul, entouré de proches dont son frère, l’omniprésent et fidèle Saïd. Bouteflika se présente à l’élection présidentielle de 2014. Les images sont terribles, elles montrent le déclin de l’être humain, mais aussi l’impasse politique dans laquelle l’Algérie s’installe. Cinq ans après, rien n’a changé. L’élite au pouvoir est paralysée. Un homme âgé, affaibli, quasi invisible depuis près de vingt ans, se présente pour un 5e mandat. L’Algérie descend alors dans la rue, sans que l’on sache, au moment où ses lignes sont écrites, où mènera le mouvement.

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RAMZIBOUDINA/REUTERS

ET DEMAIN L’Algérie est grande et fragile. La guerre, la violence, les conflits internes font partie de son histoire douloureuse. À quelques semaines de l’élection présidentielle, certains voient la possibilité d’un nouvel « octobre 1988 ». D’autres prédisent un second Printemps arabe qui partirait d’Alger et des grandes villes. On s’inquiète de part et d’autre de la Méditerranée de la déstabilisation d’un pays peuplé de plus de 40 millions d’habitants, avec un taux de natalité élevé, une puissance AFRIQUE MAGAZINE

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pétrolière, arabe, saharienne, africaine. Et pourtant, ce que l’on entend surtout, ce n’est pas le désir de révolution, la tentation du vide ou du chaos. C’est quelque chose de beaucoup plus positif, de nécessaire. C’est la demande de changement, de renouvellement, de réinvention. L’arrivée d’une nouvelle génération, qui ne soit pas celle des indépendances ni même celle marquée par la guerre civile. On entre dans la fin d’une époque et le début d’une autre Algérie.

26 fÉvrier 2019 Des étudiants manifestent leur opposition à un 5e mandat présidentiel.

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DÉBAT

LE FRANC CFA, NOTRE MEILLEUR ENNEMI ? Depuis plusieurs semaines, la devise panafricaine se retrouve une nouvelle fois sous le feu des critiques. Et le poids des rumeurs. Perçue comme la garante de la stabilité et de l’intégration régionales ou comme un instrument de servitude néocolonial obsolète, la monnaie échauffe les esprits. Principaux éléments du dossier. par Cédric Gouverneur

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« C

omment peut-on prétendre vivre avec la monnaie du colon ? » chante la Béninoise Moona dans le vidéoclip « Sept minutes contre le CFA », tourné par un collectif de dix artistes africains, parmi lesquels le chanteur ivoirien Black Mojah et le rappeur sénégalais Nitt Doff, et qui reflète la méfiance des sociétés civiles face au franc CFA. Pourrait-il en être autrement, compte tenu de la relation ambiguë de cette monnaie avec l’ancienne métropole ? Son nom lui-même ploie sous une lourde charge symbolique : le sigle CFA a signifié tour à tour « Comptoirs français d’Afrique », « Colonies françaises d’Afrique », « Communautés françaises d’Afrique », puis « Communauté financière africaine » et « Coopération financière en Afrique » ! Derrière le rhabillage sémantique, la permanence de ces trois lettres rend impossible l’oubli des racines coloniales. D’autant que pièces et billets ne sont pas imprimés sur le continent, mais en France. Plus précisément à l’imprimerie de la Banque de France de Chamalières (Puyde-Dôme), petite ville auvergnate dont le maire n’est autre que le fils de Valéry Giscard d’Estaing, ancien ministre des Finances et ancien président français. Le 16 février dernier, l’économiste togolais Kako Nubukpo, ainsi que d’autres experts monétaires africains, réunis à Bamako autour de l’ancienne ministre de la Culture et essayiste Aminata Dramane Traoré, recommandaient « une sortie collective du franc CFA, meilleure option pour les pays de la zone ». Ancien ministre de la AFRIQUE MAGAZINE

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Prospective et ancien cadre de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Kako Nubukpo plaide pour que les dirigeants prennent leurs responsabilités et sortent de ce qu’il qualifie de « servitude volontaire » [lire notre interview]. En septembre 2017, le sulfureux panafricaniste Kémi Seba était expulsé du Sénégal après avoir brûlé un billet de 5 000 francs CFA lors d’une mise en scène médiatique. Mais les cercles altermondialistes et panafricanistes ne sont pas les seuls à critiquer la monnaie. Déjà, en 2016, le secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), l’économiste bissau-guinéen Carlos Lopes, le jugeait « désuet », mettant en cause en particulier les taux de change fixes. Et, en avril 2018, l’économiste Dominique Strauss-Kahn lui-même concluait dans un rapport que le système de fixité du change CFA-euro engendrait « une addition d’incertitudes », à comparer avec la souplesse du cedi, la monnaie du Ghana, deuxième économie de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après le Nigeria. Candidat à la présidentielle sénégalaise du mois dernier, Ousmane Sonko (parti Pastef) avait fait de la sortie de la zone CFA un argument majeur. Numéro 2 AFRIQUE MAGAZINE

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du gouvernement togolais, Gilbert Bawara a ingénument fait remarquer dans un tweet fin février que les principales économies du continent jouissent toutes de leur monnaie nationale (Afrique du Sud, Nigeria, Éthiopie…). Certes. Mais ces monnaies nationales sont souvent faibles, ou en tous les cas soumises à de rudes variations, le plus souvent à la baisse : le cedi ghanéen s’est déprécié de 8,8 % en 2018. Le naira nigérian, dépendant du cours du pétrole, a dévissé de 30 % en juin 2016. Et la Banque centrale éthiopienne a dû dévaluer le birr de 15 % en octobre 2017. Les détracteurs du CFA ont reçu récemment un soutien pour le moins inattendu : celui du vice-président du Conseil italien. Le 20 janvier, Luigi Di Maio (Mouvement 5 étoiles) s’est livré à une charge aussi brutale qu’approximative, accusant cette monnaie d’appauvrir le continent et d’aggraver la tragédie migratoire en Méditerranée : « Il y a des dizaines [sic] de pays où la France imprime une monnaie, le franc des colonies, et avec cette monnaie elle finance la dette publique française », a-t-il vitupéré, avant de conseiller à l’Union européenne de sanctionner Paris. Grossière et caricaturale diversion de la part d’un gouvernement italien xénophobe, qui sans le moindre scrupule ferme ses ports aux migrants ? Toujours est-il que cette provocation montre les solides incompréhensions que suscite le CFA. Cette monnaie est née fin 1945, quand, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France a ratifié les accords de Bretton Woods, qui jetaient les bases du système monétaire international. Le franc CFA devient la monnaie commune de 31


DÉBAT LE FRANC CFA, NOTRE MEILLEUR ENNEMI ?

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ans la seconde moitié des années 1980, la zone franc affronte des déséquilibres économiques intenables, notamment à cause de l’effondrement des cours des matières premières, indexés sur le dollar… Conscients de l’impopularité d’une dévaluation, les dirigeants africains n’osent s’avancer, laissant le gouvernement de l’ancienne puissance coloniale assumer la responsabilité de cette décision et la colère de la rue. Le 11 janvier 1994 à Dakar, après une nuit d’âpres négociations où s’affrontent notamment Omar Bongo, opposé à la dévaluation, et la délégation ivoirienne menée par le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, qui y est favorable, la nouvelle est annoncée par les chefs d’État et de gouvernement de la zone, en présence du président du FMI, Michel Camdessus, et du ministre français de la Coopération, Michel Roussin. Le CFA est dévalué de moitié : son taux de change passe, sans crier gare, de 50 francs CFA pour 1 franc à 100 francs CFA pour 1 franc. Concrètement, avec la même somme, les ménagères remplissent moitié moins leur panier, à une époque où, rappelons-le, le made in China si bon marché n’avait pas encore envahi les étals… En outre, la population pâtissait déjà des conséquences des fameux plans d’ajustement structurel du FMI. Cette dévaluation a traumatisé de nombreux foyers. Les États ont peu ou pas soutenu leurs populations, sauf sans doute la Côte d’Ivoire, qui a relancé les filières du café et du cacao. À noter que les deux francs CFA ne sont plus convertibles entre eux depuis cette dévaluation : de forts mouvements spéculatifs avaient alors lieu entre les deux zones. Des opérateurs changeaient des montants élevés, mettant en danger l’équilibre et les capacités des banques centrales à fournir des billets. S’ensuivront des années de crises sociales et politiques, avant que les taux de croissance des pays de la zone franc, jusque-là moroses, repartent à la hausse. ■ C.G. Au Mali, lors de la dévaluation du franc CFA en janvier 1994.

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toute la zone. Il est alors arrimé au franc français puis à l’euro, au moyen d’une parité fixe (1 euro pour 655,95 francs CFA). Le fait d’être ainsi accroché à l’euro empêche la monnaie de dévisser en cas de crise majeure – comme, par exemple, la décennie de troubles en Côte d’Ivoire. Afin de garantir cette stabilité, les pays de la zone ont obligation de déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du Trésor public français. En échange de ces dépôts, ils perçoivent des intérêts. La monnaie est donc construite sur un diptyque magique : convertibilité et stabilité. C’est l’une des clés majeures de l’investissement extérieur en Afrique subsaharienne. La monnaie rassure les apporteurs de capitaux. La dévaluation de 1994 [voir encadré] a affaibli cette notion de stabilité en alimentant régulièrement depuis le spectre d’une nouvelle « dévaluation imposée » par la France. En particulier dans la zone Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), victime collatérale de la baisse du cours du pétrole. Les outrances diverses sur le nécessaire éclatement de la zone franc alimentent les réseaux sociaux et les sites complotistes. In fine la récurrence de ces débats fragilise la réputation du franc CFA avec des effets non négligeables. Une remise en cause du système ne peut qu’effrayer ou ralentir les projets d’investissement. UNE MONNAIE ADAPTÉE AU COMMERCE INTRA-AFRICAIN ? Pour les détracteurs du franc CFA, les réserves de change déposées auprès du Trésor public de l’ancienne métropole limiteraient, au contraire, la capacité des États à injecter de l’argent dans leur économie. Là aussi, l’argument se discute. En réalité, les réserves de change détenues par la BCEAO et la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) ont déjà été redistribuées dans les économies de la zone en équivalent francs CFA. C’est la garantie en euros qui se trouve auprès du Trésor français. Parlons enfin du taux de change. Cette stabilité monétaire tant vantée, si elle préserve la zone de scénarios catastrophes hyperinflationnistes (comme au Zimbabwe), constituerait un handicap pour les entreprises africaines. Car, quand la valeur de l’euro grimpe par rapport au dollar, celle du franc CFA suit le mouvement : les produits africains deviennent alors plus onéreux à exporter. Ainsi en est-il du coton africain, incapable de lutter contre le coton brésilien, avantagé par la faiblesse du real. Autre point trop souvent oublié : il existe non pas un, mais deux CFA, le franc de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et celui de la CEMAC. Deux monnaies qui, depuis 1994, ne sont plus convertibles entre elles : un entrepreneur camerounais désirant commercer au Mali doit donc changer ses CFA d’Afrique centrale en euros puis ces euros en CFA d’Afrique de l’Ouest, réglant au passage une commission à la Banque de France… À l’inverse, une entreprise européenne peut inonder de ses produits la zone franc. Au AFRIQUE MAGAZINE

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© PATRICK ZACHMANN / MAGNUM PHOTOS

DAKAR, 11 JANVIER 1994 : LE CHOC


Siège de la BCEAO, à Dakar.

PIERRE GLEIZES / RÉA

Le président français Emmanuel Macron : « Ce sont les Africains qui décident. » final, sur les étals de marché, un poulet français importé est moins cher qu’un poulet africain produit dans la campagne voisine. Aussi, grâce à la convertibilité, les élites africaines peuvent placer en Europe leurs avoirs, plus ou moins bien acquis… Le franc CFA est donc accusé non seulement de handicaper les entreprises africaines, mais également de favoriser la fuite des capitaux. Reste que la convertibilité fonctionne dans les deux sens : un CFA « libre » peut sortir de la zone, comme il peut y revenir. C’est selon la confiance et les conditions du marché. Comme pour toute monnaie convertible. En visite à Paris le mois dernier, le président ivoirien Alassane Ouattara, ancien « patron » de la BCEAO, a quant à lui fermement défendu le CFA, qui « rend service au peuple africain ». Lors d’un déplacement à Ouagadougou fin 2017, le président français Emmanuel Macron, interpellé sur ce même sujet par un étudiant, avait rappelé qu’après tout le sort du CFA réside entre les mains des Africains, et d’eux seuls : « Ce sont les Africains qui décident. » À bien des égards, le débat s’apparente à celui de la souveraineté politique, du postcolonialisme, de l’indépendance réelle ou non de l’Afrique. Pour avancer, il faudrait sortir des incantations politiques et entrer dans une véritable discussion économique. Une sortie brutale occasionnerait un choc systémique majeur et prévisible. Sans parler de l’extraordinaire complexité que représenterait la mise en place d’un nouveau système qui garantisse à la fois convertibilité, stabilité et qui participerait activement à l’intégration des zones économiques (UEMOA-CEMAC). La souveraineté africaine, en réalité, est liée aux performances économiques de la zone. Plus de productivité, plus de valeur ajoutée, moins d’importations, plus d’exportations en devises signifie un CFA plus fort, plus attractif, moins dépendant des couvertures du Trésor français et de la Banque centrale européenne (BCE). Une réforme raisonnable passerait sans doute par une adaptation institutionnelle du système actuel, souligne l’économiste français Samuel Guérineau. Une opinion avec laquelle l’ancien ministre togolais Kako Nubukpo n’est évidemment pas d’accord. Les deux interviews ci-après vous aideront à vous forger votre propre opinion. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DÉBAT LE FRANC CFA, NOTRE MEILLEUR ENNEMI ?

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Samuel Guérineau

Économiste au Centre d’études et de recherches sur le développement international (CERDI), doyen de l’école d’économie de l’université Clermont Auvergne.

« Le bénéfice flagrant du franc CFA est sa stabilité »

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Comment expliquer que les billets ne soient pas imprimés en Afrique, mais dans l’ancienne métropole coloniale ? La technologie d’émission des billets de banque coûte très cher, car les billets doivent être infalsifiables. Même si la dimension symbolique est évidemment forte, rappelons que de nombreux pays africains et sud-américains délèguent aussi à des entreprises étrangères. Le franc CFA est aussi accusé de favoriser la fuite des capitaux africains… Le franc CFA n’est pas pleinement convertible : sortir des francs CFA du continent pour investir nécessite une autorisation des États africains. Si cette autorisation est donnée à tort, c’est donc un problème de gouvernance, non lié à la monnaie. La stabilité du franc CFA a-t-elle permis de limiter la casse en cas de crise politico-militaire majeure ? Les résultats économiques de la zone franc ne sont ni pires ni meilleurs que dans d’autres pays africains disposant de leur propre monnaie. Mais le bénéfice flagrant du franc CFA demeure sa stabilité. Des pays comme la Côte d’Ivoire ont pu traverser de graves crises sans connaître d’inflation majeure. L’autre atout de la zone franc a été la construction d’institutions communautaires, qui améliorent les politiques économiques, grâce à de la coordination, de l’expertise et un regard par les pairs. Quelles pistes proposeriez-vous afin de le réformer ? Pour beaucoup d’Africains, il est inacceptable que, près de soixante ans après les indépendances, Paris ait un tel poids. Il faudrait diminuer la présence de la France. Le nom CFA, très marqué historiquement, pourrait ainsi être changé. La France dispose de sièges dans les organes des banques centrales ; elle y est soupçonnée de prendre les décisions : un simple poste d’observateur pourrait suffire. L’obligation de dépôt sur le compte d’opération ouvert auprès du Trésor public français pourrait être réduite ou supprimée, en conservant un droit d’information sur l’évolution des réserves. Afin de garantir le franc CFA sans qu’il soit adossé totalement à Paris, une solution serait que cette garantie soit partagée entre la France et des institutions régionales et internationales. Ces mesures permettraient d’établir une relation moins asymétrique, renforçant la souveraineté des pays africains. ■ Propos recueillis par C.G.

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AM : Né en 1945, le franc CFA a néanmoins perduré après les indépendances. Comment l’expliquer, selon vous ? Samuel Guérineau : Lors des indépendances, les chefs d’État africains ont trois décisions à prendre : conserver une monnaie régionale commune ou créer leur propre monnaie ? Fixer sa valeur par rapport au franc ou par rapport au dollar ? Quel mécanisme mettre en place pour sécuriser le taux de change ? Paris proposait une solution de continuité : une monnaie commune par sous-région, doublée d’un mécanisme de garantie du taux de change, le « compte d’opération ». L’objectif est de garantir la valeur du CFA, puisque la France prête de manière automatique en cas de manque de devises. À l’époque, cette proposition annonçait une rassurante stabilité économique. Le manque de souveraineté était le prix à payer de ce dispositif… Des réformes ont depuis renforcé la souveraineté des pays africains, mais l’asymétrie persiste… Un des dispositifs les plus décriés est la règle de 50 %, certains accusant même la France de se financer sur ces derniers. Chacune des deux banques centrales africaines, la BCEAO et la BEAC, centralise en effet les réserves de change : les entreprises déposent à leurs banques, qui déposent à la Banque centrale à Dakar ou Yaoundé. Puis les deux banques centrales en déposent 50 % sur un compte au Trésor public français. Le total de cette réserve se monte environ à 6 milliards d’euros : très peu en comparaison de la dette française. D’autant que la France rémunère l’argent déposé par des taux d’intérêt, le taux d’intérêt est faible actuellement (0,7 %), mais il a longtemps été supérieur à 3 % : le gain financier est donc très limité pour la France. Le franc CFA est-il surévalué ? La mesure de la surévaluation dépend à la fois du taux de change (commun à tous les pays) et de la situation économique propre à chaque pays, notamment du déficit commercial. À l’heure actuelle, selon les analyses du FMI, la CEMAC connaît une légère surévaluation, mais pas l’UEMOA. Faudrait-il le dévaluer ? Si le prix du pétrole reste faible, une option serait de dévaluer dans la CEMAC mais pas dans l’UEMOA. Cela ne garantit pas une amélioration forte et durable de la balance commerciale. À court terme, le prix à payer peut être élevé notamment en termes de pouvoir d’achat pour les plus pauvres.


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Kako Nubukpo

Économiste, ancien ministre de la prospective du Togo et ancien responsable de la BCEAO. Il a dirigé l’ouvrage collectif Sortir l’Afrique de la servitude monétaire (éditions La Dispute, 2016).

YEMPABOU AHMED OUOBA

« Une servitude volontaire, un système de rente » AM : Pourquoi selon vous, en 1960, les jeunes États africains ont accepté le CFA ? Kako Nubukpo : Il y a eu des refus au moment des indépendances. Au Togo, Sylvanus Olympio a voulu créer une monnaie nationale. En janvier 1963, les statuts de la Banque du Togo ont paru au Journal officiel. Le 13 janvier, il est assassiné… Le Mali est sorti du CFA en 1962 et n’est revenu qu’en 1984. Si les autres dirigeants ont fait le choix de rester, c’est souvent parce qu’ils avaient été ministres de la IVe République française, comme Senghor ou Houphouët. Il y a eu une authentique contestation collective contre le CFA : la Mauritanie est sortie en novembre 1972, Madagascar en juin 1973. Lorsque Gnassingbé Eyadema reçoit Georges Pompidou en novembre 1972 à Lomé et remet en cause le franc CFA, Pompidou lui rétorque que « la souveraineté africaine a ses limites dans la garantie que donne l’État français ». Mais Pompidou a quand même dû réformer. Comment expliquer cette curieuse règle de 50 % de dépôt auprès du Trésor public français ? La France sert d’assureur. En contrepartie de la garantie de parité fixe, les États africains doivent couvrir leur émission monétaire au moins à 20 %, et placer au moins 50 % de leurs réserves auprès du Trésor public français. Or cet argent pourrait être investi dans des projets structurants. Tout économiste de base trouverait anormal un tel système. Avec le retournement des cycles du pétrole, les réserves de change sont désormais d’environ 60 % en zone CEMAC et d’environ 70 % en zone UEMOA, mais il y a quelques années elles ont été à 100 % ! D’où ma thèse de la servitude volontaire : cette situation arrange bien les dirigeants. C’est un système de rente, confortable, qui leur permet de ne pas faire preuve d’imagination. Je ne critique pas Paris dans mes analyses sur le CFA. La responsabilité première de cette situation vient des dirigeants africains. Paris se contente de faire du paternalisme monétaire. Selon vous, le FCFA favorise la fuite des capitaux hors de l’Afrique ? Si vous disposez de francs CFA, vous pouvez les placer de façon tout à fait légale, acheter des appartements sur Paris, par exemple. C’est un véhicule d’accumulation de richesses

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hors d’Afrique. Au Nigeria, ils le font de façon illicite. En zone CFA, c’est légal ! Quid de la stabilité apportée par le CFA ? Cette stabilité est une fiction. Car si le CFA est stable vis-àvis de l’euro, il fluctue vis-à-vis des autres monnaies, lorsque l’euro grimpe par rapport au dollar. L’inflation est trop faible : on parle de déflation. Les marges des entreprises sont trop faibles, elles ne recrutent pas. Cette stabilité monétaire a un coût : l’instabilité de l’économie et le rationnement du crédit. Emprunter à un taux inférieur à 10 % est impossible. On a une monnaie forte et une inflation très basse, et pourtant les prêteurs ne prennent pas le risque, parce que la zone n’est pas perçue comme stable, notamment pour des raisons politiques. On a une population qui double tous les vingt-cinq ans, mais qui n’a pas accès au crédit. Des entreprises qui empruntent à court terme pour le négoce, mais pas pour les investissements productifs. Comment Alassane Ouattara et les partisans du CFA comptent affronter cette bombe démographique ? Le franc CFA est-il surévalué ? Tout dépend du secteur d’activité. En tant qu’économiste au CIRAD [Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement, ndlr], j’ai travaillé plusieurs années sur la filière coton, et la surévaluation du CFA y est flagrante. Quand l’euro s’apprécie face au dollar, les marges bénéficiaires diminuent. Les deux francs CFA, le XAF d’Afrique de l’Ouest et le XOF d’Afrique centrale, ne sont plus convertibles entre eux depuis 1994. Pourquoi ne pas avoir rétabli cette convertibilité ? Les échanges entre les deux zones ne représentent de toute façon pas grand-chose. Les échanges intra-communautaires sont à environ 15 % au sein de l’UEMOA, et environ 10 % au sein du CEMAC. Ridicules par rapport à ceux de l’Union européenne, estimés à 60 % ! Les premiers partenaires du Mali, ce ne sont pas ses voisins, mais la France et la Chine. Il faudrait donc revenir à des monnaies nationales ? Les pays ont des fortunes monétaires diverses suivant leur gouvernance : le Rwanda est bien géré, la RDC est mal gérée. On peut aussi avoir le droit à l’erreur, comme le Ghana des années 1970 qui a connu l’hyperinflation. ■ Propos recueillis par C.G.

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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Fouzia Marouf

Harry Roselmack le 17 juillet 2006 avec le 20 heures de TF1. Fidèle à sa chaîne (il est animateur de l’émission Sept à huit tous les dimanches) il reste l’une des rares incarnations de la difficile diversité du PAF. Il investit un nouveau terrain d’expression, en réalisant Fractures, son premier longmétrage diffusé sur le Net. L’histoire d’un face-à-face tendu sur un yacht, entre une escort-girl et un jihadiste…

www.fractureslefilm.com

❯ Pousser toujours plus loin les limites m’a appris à atteindre ce que je souhaitais. Entreprendre n’est pas difficile, c’est réussir qui l’est. Très tôt, encore étudiant à l’école de journalisme de Tours, j’ai su m’adapter à ce qui m’était offert. Faire mes premières armes au sein de la radio, un média qui me passionnait, m’a réellement permis de grandir. ❯ Mon passage à Média Tropical en 1994 a été décisif, j’y ai appris à me connecter avec ma culture antillaise, martiniquaise. Cette radio s’adressait aux ressortissants d’Outre-Mer, le fait d’y côtoyer des journalistes qui y avaient vécu m’a enrichi. J’ai pris conscience de la réalité économique des Antilles grâce aux nombreux personnages politiques et influents qui passaient à l’antenne. Je considère cela comme un héritage, j’ai ainsi pu renouer avec la langue créole, à la ressentir : j’en retiens un vrai retour aux sources qui a été indispensable à mon équilibre et à mon épanouissement. ❯ L’éducation que j’ai reçue a été essentielle dans mon parcours. Mes parents m’ont ouvert à la foi, ils m’ont transmis le respect et l’amour d’autrui, tout cela dans un esprit de performance qui m’a permis d’exister. Ils m’ont rappelé qu’être noir en France n’est pas un avantage. ❯ Avoir été le premier présentateur noir du journal télévisé sur TF1 m’a révélé un fait important : il y avait une prise de conscience du manque de diversité après les émeutes de 2005. Jacques Chirac a convoqué les patrons des chaînes de télévision afin d’y remédier. Cela m’a renvoyé à la réalité de notre corps social. Au début des années 90, les premières émeutes de Vaulx-en-Velin étaient déjà nées d’un sentiment de frustration, cristallisé par des gens laissés à l’abandon. Les « quartiers » avaient adopté une logique différente de celle de la République. Cette illustration spectaculaire m’a appris qu’il n’y avait pas qu’une France, mais deux. ❯ Être père m’a forgé, changé, a bouleversé toutes les autres priorités. Cela me procure davantage de force, la volonté d’aller sans cesse de l’avant. Grâce à mes enfants, j’apprends à donner de l’amour et des repères, car on ne sait pas se construire sans amour, ni individuellement ni collectivement. Grâce à la paternité, j’ai pu mettre des mots sur des sensations. La complicité avec ma fille aînée s’est nouée alors qu’elle n’avait que quelques mois : je la changeais en sifflant, à son tour elle a essayé de m’imiter et comme elle n’y arrivait pas, elle a éclaté de rire et moi aussi… Ça a été notre premier fou rire. ❯ L’écriture de mon roman, Novilu, m’a aidé à transmettre une part de mes émotions en plus de me révéler personnellement. Écrire est pour moi un besoin viscéral. J’ai suffisamment d’impudeur et d’audace pour dévoiler mes sentiments en les couchant sur le papier. Cela m’apporte énormément, je m’ouvre à d’autres horizons, j’éprouve du plaisir et je ressens surtout le désir de partager. ❯ Pour moi, l’Afrique incarne le berceau de l’humanité. Elle est la matrice de l’homme, au fil de ses grandes heures dans l’histoire, et il faut qu’elle en ait conscience. Elle est bien plus que ce nouvel eldorado où tout le monde veut faire du business de façon équitable. ■

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STÉPHANE DAVI

Il fut le premier homme noir à présenter un journal télévisé en France. C’était


« Mes parents m’ont transmis le respect et l’amour d’autrui, en encourageant la performance afin d’exister. »

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Les combats ont vidé la ville de ses habitants et ravagé son patrimoine architectural.

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MARYLINE DUMAS

REPORTAGE


Il y a huit ans, la deuxième cité libyenne, la grande capitale de l’Est, se soulevait contre Kadhafi et plongeait au cœur d’une guerre civile meurtrière. Soumise aux milices islamistes, puis libérée au canon par les troupes du général Haftar en juillet 2017. Au milieu des ruines, les habitants cherchent à reconstruire et à vivre. par Maryline Dumas envoyée spéciale à Benghazi AFRIQUE MAGAZINE

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REPORTAGE BENGHAZI : LA VIE APRÈS LA GUERRE

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UNE SALE GUERRE Croisé dans l’une de ces rues abandonnées, Omar al-Mukhtar, un membre de l’ANL, demande nos autorisations de travailler. Deux lettres, dûment tamponnées, passeport et cartes d’identité des personnes travaillant au « Bureau des médias étrangers », chargées d’accompagner les journalistes, sont présentés. Après dix minutes de palabres et d’échanges radio, tout semble correct. Le militaire se propose alors comme guide. À Benghazi, depuis la fin de la guerre, les habitants se sentent plus libres de se confier aux journalistes. Omar al-Mukhtar, nommé ainsi par ses parents en hommage au héros de la résistance libyenne contre le colon italien au début du XXe siècle, est né dans ce quartier et y a également combattu. L’homme, hanté par les fantômes de ses camarades morts en « martyrs », ne peut contenir les mots qu’il déverse comme pour se libérer. Il 40

s’arrête sur les gravats d’une église italienne. L’ancien lieu de culte servait de garde-manger et de cache d’armes. Les murs des bâtiments percés ont permis aux ennemis de circuler tout en restant couverts. Une méthode aussi utilisée à Syrte, au centre de la côte libyenne, par l’EI. C’est une guerre sale et vicieuse que raconte le soldat. Les forces de Khalifa Haftar y ont perdu plus de 5 000 hommes. « Beaucoup de mes camarades sont morts à cause des mines antipersonnel, soit parce qu’ils ne les avaient pas vues, soit parce qu’ils essayaient de les désarmer », se souvient-il. Lui a eu plus de chance. Visé par un sniper, il a « seulement » été blessé à la jambe au coin d’un des rares cafés encore ouverts. Le même où il savoure son nousse-nousse (mi-café, mi-lait fouetté) quotidien. Sa mission a aujourd’hui bien changé : « Je surveille surtout les enfants. Je les empêche de jouer dans les décombres ou près des Le Benghazi Café, avec sa devanture neuve, tranche au cœur des bâtiments en ruine. Les habitants viennent pour se souvenir d’un mode de vie révolu.

MARYLINE DUMAS - WOLFGANG KAEHLER/GETTYIMAGES

e paysage fend le cœur et coupe la respiration de toute personne ayant connu le « Benghazi d’avant ». Le centre historique, autrefois si dynamique avec ses magasins et ses cafés, n’est aujourd’hui que succession d’immeubles détruits ou dentelés par les impacts de balles. Nombreuses sont les rues désertées, aussi silencieuses que la mort. Depuis mai 2014, l’Armée nationale arabe libyenne (ANL), rassemblant d’anciens militaires et des révolutionnaires sous les ordres de Khalifa Haftar, combattait, dans le cadre de l’opération Karama (« dignité »), une coalition hétéroclite de révolutionnaires libyens et de terroristes de l’État islamique (EI) ou d’Ansar al-Charia. Pour parvenir à la victoire finale, annoncée en grande pompe le 5 juillet 2017, l’ANL a dû mener des bombardements aériens massifs, dont le résultat est visible dans le centre historique, dernière partie de la seconde ville du pays à être tombée aux mains de Khalifa Haftar.

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En 2004, le front de mer de la ville où se dresse l’ancienne cathédrale catholique, construite dans les années 1930 durant la période coloniale italienne.

Le centre historique, autrefois si dynamique, n’est aujourd’hui que succession d’immeubles détruits. AFRIQUE MAGAZINE

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REPORTAGE BENGHAZI : LA VIE APRÈS LA GUERRE

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’est à la force de leurs bras que les Benghaziotes font renaître leur ville. En l’absence d’un gouvernement actif, ils s’engagent et s’entraident. La fondation Amal (« espoir »), créée en janvier 2017, en est un exemple concret. Elle a d’abord accompagné les familles fuyant les combats en fournissant couvertures, kits de cuisine et autres. Aujourd’hui, elle finance la rénovation d’hôpitaux, la création d’une clinique spécialisée dans les cancers féminins et offre du matériel scolaire aux élèves. L’association caritative a également ouvert, l’automne dernier, une usine de textile où travaillent uniquement des femmes de classes sociales défavorisée et moyenne. Celles que la tradition cantonne d’habitude à domicile, car maris, pères ou frères sont responsables des revenus du foyer. « La guerre a changé la société et nous croyons que les femmes vont avoir une chance d’avancer et de contribuer à la reconstruction de Benghazi », estime Nabil Zda, l’un des fondateurs d’Amal. Actuellement, une vingtaine de femmes produisent des uniformes, commandés par des écoles privées ou des cliniques, ainsi

que des vêtements civils. C’est le cas de Fatma Ratani, 32 ans, dont le mari est au chômage depuis la guerre : « J’ai besoin d’argent étant donné la situation économique. Mais j’ai aussi envie d’apprendre quelque chose de nouveau et d’acquérir de l’expérience. » Rania Shembash est responsable bénévole de cette entreprise sociale et solidaire. Issue d’une famille aisée et ouverte, elle a abandonné un travail rémunérateur après la guerre pour s’engager dans la fondation : « J’étais totalement traumatisée par les combats. La nuit, j’étais hantée par des images d’atrocités. Je trouvais que plus rien n’avait de sens. Ici, en aidant ces femmes, je me sens utile. » Cette mère de quatre enfants explique : « Nous voulons aider les femmes. Beaucoup ont abandonné l’école tôt pour se marier, notamment. Elles ont construit une vie familiale, mais manquent d’argent à cause de la crise. Certaines sont même veuves de guerre, d’autres – elles sont de plus en plus nombreuses – ont divorcé et doivent assumer la charge de leurs enfants. Les combats ont bouleversé la société libyenne, les divorces ont fortement augmenté. » ■ M.D. Fatma Ratani a trouvé un emploi de couturière grâce à la fondation Amal.

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habitations qui menacent de s’effondrer ou qui sont encore minées. » Les démineurs ont tenté de « nettoyer » au maximum, mais des immeubles affichent encore des pancartes « attention danger mines ». En novembre dernier, un homme est mort avec son cheval en déclenchant une mine devant une école. VIVRE MALGRÉ TOUT Pourtant, malgré des bâtiments brinquebalants, les habitants reviennent, poussés par le manque d’argent. Les prix des produits importés sont gonflés par un taux de change régi par le marché noir. Ainsi, l’euro s’échangeait, en décembre à Benghazi, à 5,46 dinars libyens, contre 1,59 dinar au taux officiel. Résultat, le kilo de tomates est à 3 dinars contre 50 centimes il y a quatre ans. Beaucoup préfèrent investir dans les réparations des logements dont ils sont propriétaires plutôt que louer. D’autant plus qu’avec la guerre et les déplacés, les loyers ont augmenté. La crise des liquidités, qui touche toute la Libye depuis trois ans environ, complique encore les choses. N’ayant plus confiance dans le système, personne ne dépose ses économies dans les banques. En conséquence, celles-ci peinent à assouvir les demandes de retraits, alors que les autres moyens de paiement (carte bancaire, chéquier…) sont peu développés. Ce sont surtout les fonctionnaires – qui représentent 70 % de la population active – payés par virement qui en subissent les conséquences. Chaque semaine, ils font la queue pendant des heures pour retirer une somme limitée. Selon la mairie de Benghazi, 80 % de la population du centre-ville historique serait rentrée chez elle. Le chiffre paraît optimiste au regard des rues désertées. Omar al-Mukhtar parle quant à lui de 200 familles sur les 1 000 qui habitaient ici avant la guerre. Une équipe d’architectes a inspecté les bâtiments. D’après leur rapport, la mairie estime que 20 % des bâtiments seront démolis, mais AFRIQUE MAGAZINE

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LA RENAISSANCE, TRÈS LENTEMENT


ESAM OMRAN AL-FETORI /REUTERS

Des enfants jouent au football dans la cour d’une école. La vie et le jeu reprennent leurs droits au milieu des ruines.

« Je surveille surtout les enfants. Je les empêche de jouer dans les décombres ou près des habitations qui menacent de s’effondrer ou qui sont encore minées. » AFRIQUE MAGAZINE

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REPORTAGE

DES ÉLECTIONS IMPOSSIBLES ?

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’est un sujet périlleux. Depuis 2017, les élections libyennes ont été annoncées aussi souvent qu’elles ont été reportées. Après la France, qui a dû renoncer à la date du 10 décembre 2018, c’est l’ONU, par la voix de son représentant en Libye, Ghassan Salamé, qui avait évoqué, au Conseil de sécurité du 8 novembre dernier, un « processus électoral qui débuterait au printemps 2019 ». Celui-ci devait être précédé d’une conférence nationale, prévue pour les premières semaines de l’année, pour fixer une feuille de route claire. Celle-ci n’a toujours pas eu lieu. La date n’a même pas été fixée. Le 11 février, l’Union africaine a évoqué des élections en octobre. Une façon de reprendre la main, alors que la communauté internationale est fortement divisée sur la question. Depuis le 29 mai 2018, date à laquelle Emmanuel Macron, après avoir réuni les différents protagonistes de la crise libyenne, avait annoncé des élections pour le 10 décembre, la France n’a rencontré que peu de soutien. Italie, Grande-Bretagne et États-Unis ont rapidement fait entendre leurs réticences. Ghassan Salamé, lui, a toujours fait preuve

de prudence : « On n’organise pas d’élections sous le feu des canons », disait-il, fin 2018, à Jeune Afrique. Et parler d’élections n’est pas suffisant. Qui élire ? Pour combien de temps ? Avec quels objectifs ? Autant de questions qui ne trouvent que de vagues réponses. Deux hypothèses sont actuellement à l’étude. La première consiste à organiser un référendum dans le but de valider le projet de nouvelle Constitution. Viendraient ensuite les élections législatives et présidentielle, comme envisagé par la nouvelle loi fondamentale. Or le projet de Constitution est fortement critiqué – y compris par des membres de l’Assemblée constituante comme Abdelkader Gedoura – et risque d’être rejeté. Faut-il alors amender la déclaration constitutionnelle de 2011 et organiser de nouvelles élections pour une période de transition ? C’est le chemin sur lequel avancent les Libyens. Encore faut-il parvenir à mettre d’accord tout le monde, c’est-à-dire l’Assemblée législative de Tobrouk, le Conseil d’État de Tripoli (sorte de Sénat créé par les accords de Skhirat de 2015 signés sous l’égide de l’ONU), les groupes armés, la communauté internationale… ■ M.D.

Le 29 mai 2018, à Paris, s’est tenue la conférence internationale sur la Libye.

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les habitants n’ont pas été informés et sont las d’attendre. Faouzi Bouchnav s’est réinstallé au printemps 2018. Son appartement n’avait que peu de dommages, « juste quelques trous dans les couloirs ». Si le bâtiment semble avoir été épargné, impossible d’être certain que les fondations n’ont pas été ébranlées par les bombardements. L’homme, soldat depuis 2011, est pourtant confiant : « Dieu nous aide. Il faut bien avancer, regarder vers l’avenir. » Toutes les économies du jeune marié sont passées dans la remise en état du logement dans lequel il est né : « C’est un bien familial, je ne pouvais pas faire autrement. » La municipalité a demandé aux habitants de déposer un dossier pour obtenir un dédommagement estimé à 1 000 LYD (635 euros, au taux officiel) le mètre carré. Mais quand sera-t-il versé ? Nidal Al Kadiki, responsable de la communication à la municipalité, reste prudent : « Le coût total de la reconstruction de Benghazi est évalué à 50 milliards de dinars [31,78 milliards d’euros, ndlr]. Un tel projet n’est pas du ressort de la municipalité, mais du gouvernement. » Or la Libye est divisée en deux gouvernements depuis des années. Celui de l’Union nationale, reconnu par la communauté internationale, est basé à Tripoli et n’a aucun pouvoir à Benghazi, situé 1 000 km plus à l’est. Un étranger souhaitant visiter la Libye, par exemple, ne fera pas les mêmes démarches pour visiter Tripoli ou Benghazi. Il n’obtiendra pas non plus le même visa. Le gouvernement de Beida (situé à 200 km à l’est de Benghazi), souvent qualifié de « gouvernement parallèle », contrôle la Cyrénaïque (l’Est libyen) et une partie du Sud grâce à Khalifa Haftar, son bras armé. Mais cette autorité peine à travailler en l’absence d’une reconnaissance internationale et d’argent. Les revenus de l’État libyen – pétroliers principalement – sont envoyés à la Banque centrale de Tripoli, qui se contente de payer les salaires des fonctionnaires et AFRIQUE MAGAZINE

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BENGHAZI : LA VIE APRÈS LA GUERRE


MARYLINE DUMAS

les subventions des produits de première nécessité. « Je crois que je n’ai pas vu le Premier ministre Abdallah al-Thini [chef du gouvernement de Beida, ndlr] à la télévision depuis au moins trois ans, tente de se souvenir Mohamed, la vingtaine. Peut-être n’habite-t-il même plus en Libye… » KHALIFA HAFTAR, LE SAUVEUR ? Le seul responsable visible reste indubitablement Khalifa Haftar. Le chef de l’ANL apparaît sur des affiches de 4 × 3 partout dans la ville. Son portrait s’accompagne de phrases élogieuses : « Vous êtes la conscience de la patrie », « Tout le peuple libyen est avec vous », « Nous vous avons donné autorité ». Détesté, pour ne pas dire haï, dans d’autres régions libyennes – principalement à l’Ouest –, Khalifa Haftar est ici considéré comme le sauveur. « Depuis la révolution, le pays sombre. Nous manquons de médicaments, le terrorisme est là… Tous nos responsables politiques se sont contentés de paroles. Seule l’armée de Khalifa Haftar nous a soutenus. C’est le seul en qui nous avons confiance », explique Issam Faraj Al Barghati, un dentiste. Khalifa Haftar transportera-t-il son aura sur le champ politique ? Malgré les rumeurs sur ses ambitions, il n’a jamais fait de déclarations claires en ce sens. « C’est un militaire, assure Abdelkader Gedoura, membre de l’Assemblée constituante. Ce qu’il aime, c’est être obéi. Je ne pense pas qu’il se présentera. » Aref Ali Nahed, ancien ambassadeur de la Libye aux Émirats arabes unis, est le premier à s’être déclaré candidat aux élections présidentielles. Fervent partisan de Khalifa Haftar, il est probable que son annonce ait été faite avec l’accord du maréchal. Encore faut-il que les élections aient bien lieu. Beaucoup estiment qu’il convient de ne pas se précipiter. « La Libye a besoin de stabilité, de sécurité et d’une ambiance pacifique pour préparer des élections », juge Abdelhafez Ghoga, qui fut le vice-président du AFRIQUE MAGAZINE

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Les murs dévastés accueillent les affiches faisant l’éloge du maréchal. Conseil national de transition pendant la révolution. Il faudrait également une volonté commune de la part de tous les protagonistes, qui s’engageraient préalablement à reconnaître les résultats, quels qu’ils soient. Jusqu’à présent, Khalifa Haftar a soufflé le chaud et le froid. Ses avancées militaires dans le Sud libyen depuis mi-janvier font penser aux observateurs qu’il s’éloigne de la perspective électorale. Ou du moins qu’il cherche à peser davantage pour s’assurer une issue positive en cas de négociations. Son porte-parole, Ahmed Mismari, affirmait en décembre : « Nous soutenons le processus électoral. Mais il y a une condition sine qua non : ces élections doivent être libres et justes dans une situation sécuritaire correcte. » L’homme sous-entend ici que ce n’était pas le cas à Tripoli. De quoi faire sourire les partisans de Khalifa Haftar qui rêvent de le voir atteindre la capitale. « Sa place est à Tripoli », assure Abdelkader Gedoura. « Je voterai pour le maréchal s’il se présente aux élections, mais il faut d’abord reprendre en main toute la Libye. Nous avons hâte de partir pour l’ouest et en finir avec les Frères musulmans et autres terroristes », assure Faouzi Bouchnav. Et s’il n’y allait pas ? La communauté internationale – Italie et GrandeBretagne, très ancrées à l’Ouest, en tête – tente d’empêcher une telle incursion. Si le statu quo persiste, les Benghaziotes pencheront alors probablement vers une indépendance plus ou moins marquée vis-à-vis de Tripoli – fédéra-

Le seul responsable visible est Khalifa Haftar, qui apparaît sur des 4 × 3 partout dans la ville. lisme, autonomie et séparatisme étant souvent confondus ici. « Il y a un sentiment qui grandit dans la population : chacun ses affaires. Les Tripolitains nous poussent dans ce sens. Ils ont un esprit de domination et ne veulent rien partager », estime Abdelkader Gedoura, ouvertement fédéraliste. La question est loin d’être nouvelle, même si elle s’est accentuée, depuis 2014, avec la division politique. Déjà en septembre 2011, Nicolas Sarkozy appelait : « Peuple de Benghazi, nous vous demandons une chose : nous croyons dans la Libye unie, pas la Libye divisée. » Une phrase qui avait déclenché des cris : « Libye, Libye, Libye ». La réaction serait probablement différente aujourd’hui. ■ 45


FUTUR

LE GAZODUC

NIGERIA-MAROC

IRA-T-IL

Avec plus de 5 500 km offshore et onshore, ce serait l’un des plus longs pipelines du monde. Il relierait l’un des principaux pays producteurs de gaz du continent à un royaume chérifien en demande d’énergie et d’intégration régionale. Le projet est magnifique. Et les multiples obstacles à sa réalisation, économiques, financiers, sécuritaires, tout aussi impressionnants… par Julie Chaudier 46

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AU BOUT? L ancée lors de la visite de Mohammed VI à Muhammadu Buhari, président du Nigeria, en décembre 2016 à Abuja, la capitale nigériane, l’idée du gazoduc s’inscrit au cœur de la stratégie énergétique du royaume sur le continent. À l’époque, le roi prépare son grand retour au sein de l’Union africaine. Quelques semaines auparavant, en octobre, il opère ainsi une tournée en Afrique de l’Est, où sont annoncés deux investissements colossaux du groupe OCP, le géant phosphatier marocain, bras armé de la diplomatie chérifienne, dans des usines d’engrais en Éthiopie et au Rwanda. Depuis, le Maroc n’a eu de cesse de se positionner comme un leader régional. Dans ce contexte, le gazoduc

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constituerait très symboliquement un lien avec le pays le plus puissant de la région, le Nigeria, il renforcerait le Maroc dans sa position de carrefour entre l’Afrique et l’Europe et obligerait la quasi-totalité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), que le Maroc aspire à rejoindre, à se mettre d’accord en créant des liens d’interdépendance. Après une première étude générale de faisabilité, la Compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC) et l’Office national des hydrocarbures et des mines du Maroc (ONHYM) ont sélectionné, le 7 janvier, le cabinet d’ingénierie londonien Penspen pour réaliser la première phase de l’étude FEED [concerne l’ingénierie de détail, ndlr] du projet de gazoduc entre le Nigeria et le royaume. « Elle consiste en un examen détaillé des résultats

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FUTUR LE GAZODUC NIGERIA-MAROC IRA-T-IL AU BOUT ?

de l’étude de la demande et de l’offre de gaz », expliquent les experts de Penspen dans un communiqué. Le cabinet devrait livrer cette première partie d’ici à la fin de ce mois. La décision finale d’investissement ne sera prise que lorsque sera achevée la seconde phase de cette étude. Concrètement, peu d’informations circulent encore sur ce projet d’envergure. Associant les deux fonds souverains Ithmar Capital (ex-FMDT) pour le Maroc et la Nigeria Sovereign Investment Authority (NSIA) pour le Nigeria, il est géré conjointement par l’ONHYM et la NNPC. Le gazoduc devrait traverser pas moins de 13 pays d’Afrique de l’Ouest et associe un tracé onshore et offshore sur plus de 5 550 km et se classerait parmi les plus longs pipelines du monde. « Avec une fourchette grossière de 3 à 5 millions de dollars par kilomètre installé et à raison de 5 660 km annoncés, il en résulterait un coût allant de 17 à 28 milliards de dollars », estime Khalid Ghozlani, directeur général du cabinet EnerG Consulting au Bahreïn. Un investissement considérable et réaliste ? Selon les experts que nous avons interrogés – deux d’entre eux ont préféré garder l’anonymat pour pouvoir parler librement du projet –, deux conditions essentielles doivent être remplies pour permettre au gazoduc de voir le jour. D’une part, le Nigeria doit être capable de garantir un approvisionnement constant en gaz sur près de vingt ans. D’autre part, le gazoduc doit nécessairement relier et fournir l’Europe. OPPORTUNITÉS ET RISQUES Le Nigeria possède, avec 180 000 milliards de pieds cubes (pc) de gaz, la plus grande réserve du continent et la neuvième à l’échelle mondiale. Il n’a pourtant produit en 2017 que 1 645 milliards de pc car « la plupart des réserves de gaz naturel sont situées dans le delta du Niger. Le sabotage des pipelines et les ruptures d’approvisionnement sont fréquents dans l’industrie du gaz naturel au Nigeria », souligne l’Administration d’information sur l’énergie (EIA) des États-Unis en 2016. « La situation de la population nigériane est vraiment triste. Pour une partie d’entre elle, le fait de se sentir dépossédée et abandonnée crée les conditions des sabotages sur les gazoducs qui en retour empêchent le développement serein d’infrastructures nécessaires », ajoute Khalid Ghozlani. En 2016, ces sabotages faisaient s’effondrer les exportations du Nigeria. En 2017, deux gazoducs ont encore explosé et, en octobre dernier, au moins 30 personnes ont été tuées par l’explosion et l’incendie d’un oléoduc attaqué par des pilleurs dans le sud-est du Nigeria. Pour le nouveau projet de gazoduc, « il existe un risque majeur pour l’offre : à mon avis, c’est le plus grand risque pour tout le projet », soutient Khalid Ghozlani. L’échec du premier gazoduc ouest-africain, le West African Gas Pipeline (WAGP), qui relie depuis 2009 le Nigeria au Togo, au Bénin et au Ghana, en est la preuve. Les attaques successives 48

Les nouvelles routes du gaz Le gazoduc Nigeria-Maroc devrait relier 13 pays côtiers. Certains tablent sur leur propre production et d’autres ont des besoins urgents.

Le Maroc Il consomme seulement 640 millions de m3 de gaz d’Algérie via le gazoduc Maghreb-Europe en raison du conflit au Sahara occidental, dans lequel l’Algérie soutient le Polisario. Le Maroc estime avoir besoin de près de 5 milliards de m3 par an à partir de 2021. Mauritanie Le champ gazier de Banda a été découvert à 50 km au large de Nouakchott en 2011, mais n’a jamais été exploité en dépit d’un projet d’exportation d’électricité soutenu, au départ, par la Banque mondiale. Le pays compte beaucoup aujourd’hui sur les récentes découvertes de gaz à sa frontière avec le Sénégal.

Sénégal Il exploite seulement le champ de gaz Gadiaga, découvert dans les années 1990, mais a signé un accord de coopération avec la Mauritanie pour l’exploitation à partir de 2021 de l’énorme champ de gaz Grand Tortue-Ahmeyim (495 milliards de pc), situé à cheval sur sa frontière maritime avec la Mauritanie et découvert par Kosmos Energy en 2016. Guinée-Bissau Vu les découvertes récentes de pétrole et de gaz au Sénégal, le président de la Guinée-Bissau a réclamé en août 2018 la renégociation de l’accord de coopération maritime qui accorde au Sénégal 85 % des ressources potentielles en hydrocarbures d’une zone maritime disputée entre les deux pays.

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Tunisie

Espagne

Maroc 3 Algérie

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Mauritanie Mali

Niger

2,1 Sénégal

Tchad

Gambie

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Guinée Bissau

Burkina-Faso Guinée 82 34 Côte Liberia d’Ivoire Ghana

Sierra Leone

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Gazoduc Nigeria-Maroc (en projet) Gazoduc WAGP Gazoduc Maghreb-Europe

Libye

3 507

Togo Bénin

Ghana Face à l’échec du WAGP, le Ghana se détourne du gaz nigérian et se recentre sur sa propre production pour fournir ses centrales électriques. En juillet 2018, le champ gazier Sankofa est entré en production. Il vient compléter la production de son champ Jubilee, entamée en 2010.

Nigeria Il dispose des premières réserves de gaz du continent et des neuvièmes à l’échelle mondiale mais les sousexploite. En cause, son incapacité à lutter contre les actes de sabotage et de piraterie d’une population qui s’estime spoliée.

Togo Privé de gaz par le Nigeria en dépit de son raccordement au WAGP, le Togo, qui ne possède pas de réserves, développe un projet d’importation de GNL en provenance de la Guinée équatoriale.

Côte d’Ivoire Le pays exploite 4 gisements offshore dont le gaz sert exclusivement à approvisionner ses centrales électriques, mais ce n’est pas suffisant. Un consortium d’entreprises, mené par le groupe français Total, s’est vu confier la construction d’un terminal flottant de regazéification de GNL importé dans le port d’Abidjan.

Tensions Production de gaz (en milliard de pieds cubes)

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Zone de risque de piraterie

Nigeria 1 645

Républiqu centrafrica

Cameroun Guinée équatoriale Congo Gabon

Rép dém du C

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FUTUR LE GAZODUC NIGERIA-MAROC IRA-T-IL AU BOUT ?

10 juin 2018. Rencontre entre le président du Nigeria et le roi du Maroc autour du projet de gazoduc.

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Deux conditions sont essentielles pour que le gazoduc voie le jour : le Nigeria doit garantir l’approvisionnement pendant vingt ans ; et le pipeline doit aussi relier et fournir l’Europe. un projet de 28 milliards de dollars sur vingt ans par crainte de subir le même sort que le Ghana. Traditionnellement, les clients sont pourtant essentiels au financement des pipelines aux côtés des grandes banques. LE NÉCESSAIRE DÉBOUCHÉ EUROPÉEN Le long de la côte ouest-africaine, le nombre d’États susceptibles d’acheter le gaz nigérian par le gazoduc en projet a d’ailleurs tendance à se réduire, car beaucoup de pays couvrent une partie de leurs besoins grâce à leur propre production [voir carte]. Le Sénégal, la Mauritanie et le Ghana ont récemment découvert du gaz qu’ils destinent à l’alimentation de leurs usines électriques ou à son exportation sous forme liquéfiée. Le Maroc lui-même ne consomme aujourd’hui que 640 millions de m³ de gaz captés sur le gazoduc Maghreb-Europe qui relie l’Algérie à l’Espagne. En raison du différend qui l’oppose à son voisin de l’Est, le royaume s’interdirait d’augmenter sa consommation de gaz algérien. En 2014, avant le projet de gazoduc, il avait ainsi développé un plan d’importation de GNL (gaz naturel liquéfié). Il avait alors évalué ses besoins en gaz à 5 milliards de m³ par an mais « la demande du Maroc, seule, n’est pas suffisante pour justifier un tel investissement, estime Khalid Ghozlani. Par contre, si le gazoduc va jusqu’en Europe, là, le projet prend sens. » Dans son plan gazier présenté en 2014, Abdelkader Amara, à l’époque ministre de l’Énergie, avait estimé les besoins du Maroc en gaz naturel, à l’horizon 2021-2025, à 5 milliards de m³ par an (175 milliards de pc). L’Europe, pour sa part, a consommé 18 600 milliards de pc de gaz en 2017, selon AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 0 – M A R S 2 0 1 9

AZZOUZ BOUKALLOUCH

que subissent le WAGP et les installations nigérianes d’approvisionnement ont non seulement empêché la WAGP Company de fournir les 175 milliards de pc promis par an, mais ont également stoppé toute livraison de gaz entre septembre 2012 et juin 2013, puis à nouveau à l’été 2016. Le Ghana a alors été contraint d’approvisionner ses centrales thermiques en pétrole, moyennant 55 millions de dollars toutes les trois semaines. Il en a tiré les conséquences : « Le pays s’oriente rapidement vers la canalisation de sa propre production de gaz de l’ouest vers l’est du Ghana pour sa propre production d’électricité en utilisant le gazoduc Nigeria-Ghana », expliquent les auteurs du rapport « La transition énergétique en Afrique à l’aune de la nouvelle stratégie africaine du Maroc », publié en juillet dernier par l’Institut royal des études stratégiques (IRES) du Maroc. Si le Nigeria n’a pas réussi à garantir l’approvisionnement du WAGP, comment pourrait-il le faire pour un nouveau gazoduc ? Loin de s’atténuer, les problèmes de sécurité irradient dans tout le golfe de Guinée, devenu la zone maritime la plus dangereuse du monde. « Les informations faisant état d’attaques dans les eaux entre la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo ont plus que doublé en 2018 », révèle le Bureau maritime international dans son dernier rapport annuel. Sur les 18 navires attaqués avec des armes dans le monde en 2018, 13 l’ont été dans cette zone, qui compte également 130 des 141 otages enlevés en mer. Les six navires détournés l’an dernier se situaient également dans le golfe de Guinée. Dans un tel contexte, si le Nigeria et, au-delà, les États du golfe de Guinée n’arrivent pas à sécuriser leurs eaux territoriales, aucun acheteur ne voudra s’engager financièrement sur


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Le détroit de Gibraltar est un passage obligé pour la route du gaz. l’Agence internationale de l’énergie, dont 39 % en provenance de Russie par gazoduc. Une dépendance énergétique pointée du doigt par Bruxelles mais qui n’a pas empêché l’Allemagne de lancer avec la Russie la construction d’un nouveau gazoduc, le Nord Stream 2, qui contourne les pays d’Europe de l’Est en passant par la mer du Nord. La diversification des approvisionnements en gaz de l’Europe devient ainsi urgente et source de tension entre les pays de l’Union européenne. Une belle opportunité pour le gazoduc Nigeria-Maroc ? « Il n’y a aucune raison a priori pour que l’Europe refuse de s’engager, tout dépendra du prix du gaz, au final, livré par le gazoduc », estime Khalid Ghozlani. Là, les avis divergent. Pour un autre expert, « l’Europe achète déjà une grande partie du GNL nigérian, qui lui offre une grande flexibilité alors qu’un gazoduc demande un engagement ferme sur vingt ans. Elle n’a pas besoin d’un tel gazoduc. Elle n’a d’ailleurs jamais signé pour le gazoduc transsaharien NigeriaAlgérie, alors qu’il pose des difficultés semblables mais qu’il ne traverse que trois pays. » Le projet Nigeria-Maroc-Europe se retrouve également en concurrence avec un autre projet de gazoduc reliant Israël, producteur de gaz, à Chypre, à la Grèce et à l’Italie. Plus court, donc moins cher, s’approvisionnant dans un pays relativement stable comme Israël, ce gazoduc bénéficie d’une petite avance sur le projet maroco-nigérian puisque les quatre États ont tous signé un protocole d’accord en décembre 2017. Au final, les deux conditions sine qua non à la réalisation du gazoduc seront si difficiles à remplir que deux des trois experts (à l’exception de Khalid Ghozlani) que nous avons interrogés AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 0 – M A R S 2 0 1 9

n’hésitent pas à parler, dans la sécurité de l’anonymat, d’« éléphant blanc ». Selon eux, ce mégaprojet ne verra, en fait, jamais le jour. UN PROJET TRÈS POLITIQUE « Personne n’est dupe. Le Maroc peut bien dépenser quelques millions de dirhams dans une étude inutile pour faire plaisir au Nigeria, pourvu que celui-ci continue à jouer les médiateurs dans l’affaire du Sahara occidental et abandonne sa position de départ, très favorable à la République arabe sahraouie démocratique, qu’il a reconnue en 1984 », explique le premier. Le projet est donc très politique y compris « au sens noble du terme, en termes d’intégration régionale pour tous les pays liés par le gazoduc », insiste Khalid Ghozlani, or on a déjà vu les enjeux politiques d’un projet prendre le pas sur toutes les autres considérations. Pour l’heure, la Mauritanie est le seul pays à avoir manifesté son intérêt à rejoindre le pipeline Nigeria-Maroc en tant que producteur de gaz, à la suite de la découverte en 2016 d’un énorme champ de gaz, Grand Tortue-Ahmeyim (495 milliards de pc), à cheval sur sa frontière maritime avec le Sénégal. À très court terme cependant, l’exploitation de ce gaz, prévue pour 2021, devrait se faire sous forme liquéfiée, selon l’accord signé par les deux pays. Les auteurs du rapport de l’IRES estiment d’ailleurs que, « avant de voir se matérialiser une intégration énergétique régionale allant du Nigeria au Maroc, la naissance d’un groupement plus restreint du Maroc au Sénégal aura lieu ». Un projet plus modeste mais également plus réaliste ? ■ 51


Le couscous, graines de concorde

C’est le plat emblématique, historique, mémoriel, quasi philosophique du Maghreb. D’une nation à l’autre, d’une ville à l’autre, d’une famille à l’autre, la compétition est féroce. Et pourtant, il s’apprête à rejoindre la grande famille du patrimoine mondial de l’Unesco. Avec une candidature commune des cinq pays… Incroyable ! par Frida Dahmani 52

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RÉ-UNION


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RÉ-UNION LE COUSCOUS, GRAINES DE CONCORDE

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Les gestes sont transmis de mère en fille, et les recettes passent les générations.

RÉUNION ET PARTAGE Depuis plusieurs mois, dix experts en patrimoine, sociologues et ethnologues planchent sur la graine qu’ils sont habitués à déguster. Imed Soula, maître de recherches à l’Institut national du patrimoine (INP) et chargé du dossier pour la Tunisie, précise qu’il a fallu introduire le couscous dans l’inventaire du patrimoine du pays avant de démarrer l’enquête sur le terrain. « Au-delà de l’aspect culinaire, la question du couscous est assez complexe et fait intervenir des volets économiques et sociaux. Il ne s’agissait pas, pour ce dossier, d’effectuer une approche scientifique ou académique mais d’être dans une démarche participative collective ; nous avons vulgarisé le sujet et impliqué la société civile dans l’enquête effectuée », souligne le chercheur. Dans ce consortium de saveurs maghrébines, une place a également été réservée à la Libye, qui doit, au préalable, ratifier la convention de l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine immatériel. À Alger, Tunis, Rabat et Nouakchott, on s’affaire et on multiplie les réunions avec l’Unesco. Cette campagne pour le couscous, implicitement reconnu comme spécialité régionale, prend des allures géostratégiques et AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 0 – M A R S 2 0 1 9

JACQUES SIERPINSKI/EPICUREANS

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n 2016, l’Algérie avait frôlé la crise diplomatique et pris de court les pays voisins en proposant l’inscription du couscous au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. « Cela ne va pas plaire à nos amis », avait glissé un haut responsable algérien en faisant allusion aux Tunisiens. Il ne pensait pas si bien dire. Venue aussi du Maroc et de la Mauritanie, la levée de boucliers a été générale. Une situation qui aurait pu passer inaperçue si elle avait eu un autre objet mais, au Maghreb, on ne touche pas au couscous, érigé en plat national aussi bien en Tunisie, au Maroc, en Mauritanie et bien sûr en Algérie. Cette dernière avait aussi irrité son voisin marocain en se proposant d’inscrire le raï et la musique gnaoua à son propre patrimoine. Des sujets qui fâchent et attisent les rivalités mais, dans une région qui cherche à se préserver des conflits, la guerre du couscous n’aura pas lieu. De conciliabules en réunions multilatérales, un arrangement a finalement été trouvé. Chaque pays a rengainé ses arguments nationaux et oublié les susceptibilités pour contribuer à la constitution d’un dossier d’inscription commun, qui devait être déposé à l’Unesco avant le 31 mars 2019, première étape visant à faire de ce plat universellement connu un bien de l’humanité.


THE SACRAMENTO BEE/ZUMA/RÉA

symboliques ; en marquant une frontière avec les pays du Machreq aux coutumes culinaires différentes, elle soude les pays maghrébins par-delà les dissensions politiques. Une mise en commun inattendue pour « un plat de partage », comme l’identifie Ghazi Gheraïri, ambassadeur de Tunisie auprès de l’Unesco. Il n’empêche que chaque pays étudie, pour ce dossier, ses bouillons et ses traditions de près. Si la semoule est commune, chacun l’accommode à sa manière : en Mauritanie, le couscous s’accompagne de viande séchée ou de dromadaire ; au Maroc, il sera blanc avec un bouillon relevé par les aromates et les légumes ; en Algérie et en Tunisie, on n’hésite pas à faire en plus usage de la tomate. Mais il n’y a pas de règles puisque chaque région peut avoir un couscous spécifique. « Le couscous est un sujet de rivalité entre familles, c’est dire combien cela peut être épineux entre pays », remarque Hassen Belakhal, un restaurateur de Tunis qui mitonne comme personne un « couscous de la veuve », un plat où la saveur des nombreux légumes combinés aux épices fait oublier l’absence de viande et préserve la dignité de la famille en laissant croire à une certaine aisance. L’expression aussi d’une pudeur sociale où on présente quand même un couscous à ses hôtes malgré le peu de moyens. Ce qui compte, c’est qu’il soit bon. Ce mode de préparation rappelle que le couscous, comme plusieurs plats AFRIQUE MAGAZINE

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Dresser un plat devenu universel, tout un art enseigné (entre autres) au Culinary Institute of America (CIA) à Hyde Park, aux États-Unis.

Ses origines précises restent une véritable énigme. Avec des traces qui remontent à la naissance du blé et au règne du roi berbère Massinissa. 55


RÉ-UNION

FARID KHERBOUCHE

« Le couscous n’est pas un plat que l’on mange seul » Physicien devenu archéologue, le directeur du Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH) à Alger est en charge de constituer le dossier qui sera présenté à l’Unesco pour inscrire le couscous au patrimoine culturel immatériel.

AM : Que représente le couscous ? Farid Kherbouche : Il relève du civilisationnel ; on ne sait ni quand ni comment il est apparu mais il est très ancien. Cependant, on ne pourra jamais attribuer l’origine du couscous à un pays puisque cette notion, nouvelle et artificielle, est née avec le colonialisme. Auparavant, les tribus étaient éparpillées sur tout le territoire. La circulation et les échanges étaient fréquents si bien que le terme de Méditerranée, dont l’étymologie signifie « terre du milieu », prend tout son sens. Il est néanmoins certain que le couscous est né dans les plaines, au même endroit que les cultures céréalières, parmi lesquelles le blé. Que va apporter ce classement au couscous ? Le patrimoine immatériel est culturel, vivant, lié à l’humain ; il englobe des pratiques et des gestes d’un savoir-faire ancestral, que l’on croyait perdus à jamais, comme celui des potières de Sejnane [ville située dans le nord de la Tunisie, ndlr], récemment classé au patrimoine mondial de l’Unesco. L’inscription du couscous à cette liste renforcera le sentiment d’appartenance à une sphère géographique ; on finit toujours par admettre qu’on a un patrimoine commun, c’est bénéfique pour renforcer les liens dans les pays du Maghreb. Il faut aussi souligner ici que le rôle de la femme est mis en avant. Le couscous fédère, ce n’est pas un plat que l’on mange seul comme un sandwich sous un Abribus ! C’est un plat collectif, qui véhicule la notion de partage et du vivre ensemble. ■ Propos recueillis par Frida Dahmani

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typiques qui ont inspiré la diète méditerranéenne, comme on la désigne, est d’abord un mets du pauvre que l’on accommode avec des produits puisés à proximité, dont le premier objectif est de rassasier. « La graine a aussi la particularité de se conserver longtemps, d’être facile à transporter, sans compter que sa préparation par les femmes en été est un véritable rituel encore de nos jours », note un ethnologue. Les gestes qui accompagnent l’élaboration du couscous sont immémoriaux et leur transmission de mère en fille met les femmes au cœur de l’économie locale. Depuis la récolte du blé, l’extraction, le broyage et la transformation en semoule, elles gèrent toutes les étapes d’un processus inchangé depuis des millénaires. Si chaque pays maghrébin en revendique la paternité, ses origines précises restent méconnues ; une véritable énigme. Des traces de la présence de blé, attestées sur le site d’Althiburos en Tunisie, remontent à l’âge de bronze tandis que « des ustensiles proches des outils de fabrication du couscous [ont] été retrouvés dans des tombes remontant au règne de Massinissa (roi berbère entre 202 et 148 av. J.-C., d’un territoire comptant l’Algérie occidentale, une partie de la Tunisie et de la Libye) », précise Ouiza Gallèze, chercheuse au Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH) à Alger. Les références au couscous se retrouvent dans les écrits des grands voyageurs dès le XIIIe siècle, comme Ibn al-Adim ou Ibn al-Azraq, un musulman de Grenade exilé en Égypte, qui relate sa nostalgie des succulents couscous de sa jeunesse : « Et parle-moi du kouskoussou, plat noble et raffiné… » écrit-il. Un peu plus tard, les pêcheurs de Trapani qui se fournissaient en corail dans les fonds de Tabarka évoquaient le mode de cuisson du couscous en parlant de « casca », en référence au keskes ou couscoussier cité également durant la période hafside. Une diffusion dans le temps et l’espace qui permet à Ouiza Gallèze d’affirmer sa « transculturalité car il appartient à plusieurs peuples ». Des populations sans frontières qui ont évolué depuis le Néolithique à travers les échanges et qui ont ainsi affiné leur savoir-faire jusqu’à inventer le couscoussier et la cuisson à la vapeur. C’est ce qu’ont pensé les Siciliens, qui ont voulu revendiquer l’origine du couscous qu’ils auraient exporté au Maghreb, alors que les récits de voyage attestent qu’il leur est parvenu AFRIQUE MAGAZINE

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LEE/LEEMAGE

LE COUSCOUS, GRAINES DE CONCORDE


BORZGUÈNE, MESFOUF, FERFICHA…

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avec la conquête arabe du IXe siècle. Ils ont cependant su capitaliser sur leur adaptation de la graine en organisant chaque année un festival et un championnat du monde du couscous à San Vito Lo Capo, une manifestation très courue par les gastronomes mais surtout les grands chefs. Les Tunisiens ont souvent remporté le concours, mais les amoureux du couscous estiment que la grande gastronomie ôte le charme des traditions. « Un couscous, ça se partage, le grand plat rond et fumant est placé au milieu de la table pour que chacun y pioche sa part. Trois graines au fond d’un plat, ce n’est pas un couscous », assène Roberto Serra, un Italien natif de Tunisie. Même les Américains se sont hasardés à proposer leur revisite du plat, qu’ils ont adopté à leur tour avec l’arrivée des migrants siciliens au début du XXe siècle. La notoriété se passe des frontières et, de ce point de vue, le couscous voyage bien, même si les puristes se scandalisent des versions en boîte ou congelés. 50 NUANCES DE GRAINES Une seule appellation et une infinité de déclinaisons, le couscous est sans conteste un patrimoine commun bien que sa version royale, avec son assortiment de merguez et de viandes, est une hérésie pour certains initiés. Consommé, presque au quotidien, le couscous en tant que plat national est pourtant peu valorisé. Il est à la carte de tous les restaurants et gargotes mais aucun ouvrage, en dehors des livres de recettes classiques de cuisine, ne lui est consacré en Tunisie, tandis qu’un projet de musée du Couscous est en attente depuis des années à Djerba. « Pourtant, il y aurait tant à dire sur le couscous », remarque un ethnologue, intarissable sur les coutumes qui accompagnent le mets. Il est même au centre de contes initiatiques un peu magiques que l’on rapporte lors des rencontres familiales. Tous les Tunisiens connaissent l’histoire de la jeune fille qui, pour conjurer un sort l’empêchant de se marier, devait entre le lever et le coucher du soleil accomplir toutes les étapes de l’élaboration d’un couscous, depuis la préparation de la graine roulée à la main et séchée au soleil jusqu’à sa cuisson. Un travail de titan qui relève du rite de passage et qui sous-entend, de manière assez machiste, que savoir préparer le couscous est une condition nécessaire à un mariage ; la mère nourricière n’est jamais loin en Méditerranée. « Cela montre aussi l’imporAFRIQUE MAGAZINE

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’origine du mot « couscous » est incertaine ; le terme le plus ancien désignant le plat est, selon le linguiste berbère Salem Chaker, sekou, qui signifie « bien formé » ou « bien arrondi ». Mais le couscous dans ses innombrables déclinaisons prend aussi d’autres noms : ferficha pour le couscous aux fanes de fenouil, mesfouf pour le couscous blanc sucré aux raisins secs et aux amandes que l’on déguste pendant les soirées de ramadan. Le plus célèbre en Tunisie est le borzguène, une spécialité du Kef (ville du Nord-Ouest) que l’on prépare dans une ambiance de fête au démarrage de la récolte. La graine très fine est accompagnée de viande d’agneau, de fruits secs, de dattes, de lait, de beurre et de miel. De quoi affronter les travaux des champs. « C’est un plat unique et complet à la saveur sucréesalée assez particulière », explique Tarak Guarnaoui, un agriculteur de la région qui, « pour la baraka », n’entame jamais la saison sans partager un borzguène. ■ F.D.

tance du couscous dans l’imaginaire des populations, souvent tribales, qui ont dans leur histoire connu la disette », affirme Ghazi Gheraïri, qui considère le couscous comme un marqueur d’identité. « Avec cette inscription collective, on rappelle ce qui rapproche. Pour la première fois au Maghreb, une démarche visant à inscrire un bien immatériel au patrimoine mondial a été menée », rappelle l’ambassadeur. Fatema Hal, anthropologue et gastronome d’origine marocaine, nuance : « Si le couscous peut contribuer à réunir, tant mieux ! Mais plutôt que de mettre toute son énergie pour un titre, il faudrait faire le nécessaire pour préserver toute notre cuisine, avec des écoles qui ne se contentent pas d’enseigner une cuisine internationale. » Mais le plat incontournable des repas de famille n’est pas près de disparaître, il porte bel et bien l’empreinte maghrébine, même si les Amazighs font entendre leur désaccord en soulignant le fait que le couscous est né en terre berbère et que le Maghreb est un apport, voire une invention arabe. Néanmoins, le Maghreb, qui peine à instaurer un régime politique représentatif, semble avoir trouvé un terrain d’entente grâce à la graine et semble être capable de se construire par le biais de la culture et de la gastronomie. Le couscous et ses variations, qui relèvent souvent de recettes familiales, rappellent que, si la création des pays maghrébins est récente, les échanges y ont été constants et ont participé à l’évolution d’une région où tous sont sûrs que « le meilleur couscous est celui de leur mère ». ■ 57


DESTIN

TOUTÂNKHAMON

L’ETOILE EPHEMERE C’est grâce à la découverte de son tombeau, en 1922, et des incroyables trésors qu’il abritait, que ce pharaon est devenu une légende. Mort à 19 ans, on sait peu de chose de lui et de son règne. Mais la science permet aujourd’hui de se lancer sur les traces du jeune souverain et de se replonger dans les fastes de la XVIIIe dynastie. par Catherine Faye 58

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ANTHONY MICALLEF/HAYTHAM/RÉA

Le mythique sarcophage du pharaon, en or et pierres précieuses. AFRIQUE MAGAZINE

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DESTIN TOUTÂNKHAMON L’ÉTOILE ÉPHÉMÈRE

CE CÉLÈBRE INCONNU Mais qui se cache derrière le somptueux masque mortuaire de 11 kg fait d’or massif ? À quelle lignée appartient ce pharaon, entouré dans son tombeau aux murs couverts de mystérieux hiéroglyphes d’un trésor préservé des pillages ? Durant plus de trois millénaires, de nombreux pharaons ont régné sur l’Égypte ancienne. S’il est impossible d’en dresser une liste exacte, on estime aujourd’hui qu’ils ont été entre 190 et 260 à se succéder sur le trône. Certains sont tombés dans l’oubli ; d’autres ont marqué l’histoire de leur nom. Les deux plus célèbres sont sans conteste Khéops et Ramsès II. Quant à Toutânkhamon, il est le plus populaire. Toutefois, sa célébrité est essentiellement due au fabuleux trésor que recelait sa sépulture. Car, arrivé au pouvoir à l’âge de 8 ou 9 ans, il n’aurait régné qu’une dizaine d’années et n’aurait pas marqué ses contemporains. Pourtant, la courte vie de l’énigmatique souverain est tressée de zones d’ombre et de nombreuses légendes. Il en est ainsi de la malédiction du pharaon, appelée aussi « malédiction de Toutânkhamon », qui veut 60

que plusieurs archéologues ayant participé à l’exhumation de la momie auraient connu une mort inexpliquée quelques mois ou quelques années après sa mise au jour. Rien de tel pour broder une histoire insolite. Et susciter toujours plus de curiosité. Toutânkhamon semble sortir de nulle part. Malgré des décennies de recherche et une enquête scientifique hors norme conduite de 2007 à 2009 par un groupe d’égyptologues, d’experts en identification de l’ADN et de spécialistes en médecine légale, il reste difficile d’établir une généalogie fiable. Notamment dans une civilisation dans laquelle « père » signifie aussi bien « ancêtre » que « beau-père » et où les liens familiaux de la XVIIIe dynastie brillent par leur complexité. Des incertitudes entretenues par les changements de nom, les incestes et les adultères, fréquents à l’époque dans les dynasties royales. Ainsi, Toutânkhamon appelle Amenhotep III son « père » dans des inscriptions à Louxor et à Soleb (Nubie), ou encore désigne Thoutmôsis IV de manière plus précise sur un instrument d’observation astronomique. Toutefois, il s’agit là peut-être du « père du père », etc. Thoutmôsis IV étant le père d’Amenhotep III, et par conséquent le grand-père d’Akhenaton. Si ce dernier est souvent désigné comme étant son « vrai » père, les analyses ADN menées pas l’incontournable égyptologue Zahi Hawass, ancien secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, indiquent cette filiation comme « probable ». Il faut donc rester circonspect. En revanche, rien n’établit que Néfertiti, qui a donné naissance à six filles, serait la mère de Toutânkhamon, comme cela a souvent été dit. Ni plusieurs autres femmes royales, en lesquelles on a voulu voir la mère Le dossier du du jeune pharaon. Celle-ci pourrait finaletrône, où sont ment être une jeune inconnue, sœur d’Akhereprésentés naton… Un vrai écheveau que ni le temps, Toutânkhamon ni la science, ni la curiosité ne réussissent à et son épouse. AFRIQUE MAGAZINE

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DE AGOSTINI/AKG

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’énigme qui entoure l’enfance, l’étonnante idylle et la mort aussi soudaine que mystérieuse du jeune souverain n’ont jamais cessé d’envoûter les égyptologues. La mise au jour du tombeau intact de Toutânkhamon est la plus extraordinaire découverte archéologique de tous les temps. Depuis, son nom est devenu tout à fait familier ; nul n’ignore l’existence du fabuleux trésor funéraire. Plus de 5 400 objets, dont chacun possède une histoire particulière et témoigne de la beauté et de la sophistication des arts et de l’artisanat de la XVIIIe dynastie, considérée comme l’âge d’or de l’Égypte. Façonnés il y a des milliers d’années, ils sont restés dans l’obscurité la plus totale jusqu’au 4 novembre 1922, lorsque Howard Carter, un archéologue britannique obstiné et passionné, et son équipe de fouilles composée essentiellement d’ouvriers égyptiens découvrent l’entrée d’un escalier taillé dans la roche descendant vers une sépulture. En tête de la petite troupe qui peu à peu s’habitue à l’obscurité, l’égyptologue s’exclame : « C’est merveilleux. C’est absolument merveilleux ! » La nouvelle de cette découverte hors du commun se répand comme une traînée de poudre et captive l’imagination du monde entier.

Difficile d’établir sa généalogie. Il semble sortir de nulle part dans un univers où les liens familiaux brillent par leur complexité.


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DESTIN TOUTÂNKHAMON L’ÉTOILE ÉPHÉMÈRE

Plus de 5 400 objets témoignent de la sophistication des arts de la XVIIIe dynastie, considérée comme l’âge d’or égyptien. démêler. Seule certitude, sa nourrice, Maïa, « la grande favorite du bon dieu, celle qui a nourri la chair du dieu », est restée importante pour lui jusqu’à sa mort. Lorsque le jeune garçon, qui s’appelle encore Toutânkhaton (« image vivante d’Aton »), monte sur le trône, avec son épouse royale Ânkhesenamon à ses côtés, son nom se transmue en Toutânkhamon, c’est-àdire « la réincarnation du dieu ». Ils ont grandi ensemble, une enfance remplie de joies et de chagrins. Ils n’auront pas d’héritier vivant. Carter découvre néanmoins deux fœtus momifiés dans le tombeau : « Le mystère de sa vie continue à nous échapper – les ombres s’agitent, mais l’obscurité ne se dissipe jamais complètement », écrira-t-il. Bien sûr, comme ses prédécesseurs, Toutânkhamon a d’autres épouses dont nous ne savons rien et il a peut-être hérité du harem de son père.

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ENTRE MERVEILLES ET MALÉDICTION

HARRY BURTON (2)/ADOC-PHOTOS ; ROGER VIOLLET ; HERITAGE-IMAGES/LEEMAGE

GARANT DE L’ORDRE COSMIQUE ET SOCIAL Peu après le couronnement au temple d’Amon, à Karnak, les jeunes souverains sont obligés de quitter les palais, les jardins et les temples qu’ils connaissent si bien pour s’installer en aval du Nil, dans la capitale traditionnelle égyptienne, Memphis. Peut-être pour résider plus près des points chauds du Levant, où les vassaux de l’Égypte implorent le roi d’envoyer des troupes afin de les protéger des troubles couvant dans la région. Toutânkhamon règne en effet à une époque charnière du Nouvel Empire égyptien : la fin chaotique de la longue et prestigieuse XVIIIe dynastie. Le roi juvénile ne peut prendre de décision tout seul. Ce sont donc les membres expérimentés de la cour qui tiennent les rênes et contribuent à son éducation intellectuelle et physique. Notamment Sennedjem, un « responsable des tuteurs » qui lui enseigne bien plus que la lecture et l’écriture. On ne sait pas si le pharaon prend part aux batailles se déroulant sous son règne, on sait seulement qu’il voyage sur le Nil, à bord de son propre vaisseau, et chasse des animaux sauvages dans le désert… Mais le roi n’est pas seulement roi.

Novembre 1922. L’égyptologue britannique Howard Carter, qui a découvert le fameux trésor, entouré de son équipe d’ouvriers égyptiens.

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orsque l’archéologue britannique Howard Carter, mandaté par le riche lord Carnavon, découvre le matin du 4 novembre 1922 une marche dans le sable de la vallée des Rois, cela tient du miracle. Plus personne ne croyait à l’existence d’une autre tombe dans cet espace déjà très fouillé. Immédiatement, la découverte a un retentissement mondial, tout comme la célèbre malédiction qui en découle. Relayée par les médias, notamment par l’écrivain Arthur Conan Doyle, la légende de la malédiction du pharaon prend forme à la mort de lord Carnavon, en mars 1923, quelques mois à peine après l’ouverture du tombeau. En douze ans, les journalistes décomptent une vingtaine de personnes, en lien avec le chantier, mortes dans des conditions suspectes. L’explication la plus vraisemblable est celle de l’existence de poussières organiques allergènes, nées de la décomposition des fruits ou légumes laissés en offrande, qui auraient entraîné des infections pulmonaires. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Le lieu des fouilles, dans la vallée des Rois, non loin des tombeaux de Ramsès V et de Ramsès VI.

Ce sarcophage a abrité la momie du pharaon pendant plus de trois mille ans. AFRIQUE MAGAZINE

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Toutânkhamon sort de l’ombre, au propre comme au figuré : jusqu’alors inconnu, il devient l’une des énigmes de l’histoire. 63


DESTIN TOUTÂNKHAMON L’ÉTOILE ÉPHÉMÈRE

C’est lui qui possède le ka royal, c’est-à-dire l’énergie vitale, et un double spirituel, qui représente les dieux sur Terre. Il a également le devoir de maintenir l’ordre. Les Égyptiens antiques croient que le cosmos existe dans un équilibre entre, d’un côté, l’ordre universel, la vérité, la justice (maât) et, de l’autre, le chaos et le désordre (isfet). Outre son rôle de maintien de l’ordre cosmique et de l’ordre social terrestre, le pharaon sert aussi d’intermédiaire entre ses sujets et le divin. Vaste programme pour un garçon de cet âge ! La première année de son règne, d’après une inscription qu’il fait graver sur une large stèle, les temples, depuis la frontière méridionale à Éléphantine jusqu’au delta du Nil au nord, tombent en ruine, envahis par les mauvaises herbes. Les dieux se sont détournés de l’Égypte et ignorent toutes les prières. La construction connaît alors un fort regain d’activité, surtout dans la ville sacrée d’Amon, Thèbes (aujourd’hui Louxor), qui redevient le centre religieux de l’Égypte. D’ailleurs, des recherches scientifiques sont menées en ce moment dans la vallée des Rois, dans la vallée de l’Est, où se situe le tombeau de Toutânkhamon, mais aussi dans la vallée des Singes, non loin. Peut-être viendront-elles enrichir nos connaissances actuelles… Néanmoins, la religion d’État ne se limite pas à des rituels accomplis dans le secret du sanctuaire. Il y a aussi des festivals, que Toutânkhamon rétablit, où on procède à des rituels en public et où les dieux quittent leurs chapelles pour d’autres temples. Son père avait interdit ces festivals, la fête d’Opet en tête où des prêtres portent la statue d’Amon dans une chapelle portative en forme de barque de Karnak à Thèbes en s’arrêtant dans des petites chapelles.

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« PARTOUT LE SCINTILLEMENT DE L’OR »

C DR - LABORATORIOROSSO

UNE MORT SOUDAINE ET MYSTÉRIEUSE Mais tous les rois meurent. Et vient le tour de Toutânkhamon. Il est dans sa dixième année de règne. Il a 19 ans. On a longtemps pensé qu’il avait connu une mort violente. L’hypothèse la plus répandue était que le pharaon aurait été assassiné, des radiographies effectuées en 1968 ayant révélé la présence d’un éclat d’os dans le crâne induisant un traumatisme crânien. En réalité, cette fracture avait été provoquée par une mauvaise manipulation des embaumeurs. Désormais, parmi les hypothèses privilégiées, celle d’une mort due à l’infection de sa jambe gauche, suite à une blessure, apparaît des plus probables. D’après les dernières études, Toutânkhamon aurait peut-être été emporté par le paludisme. En effet, l’ADN du pharaon a révélé la présence du parasite Plasmodium falciparum. Quoi qu’il en soit, personne ne s’attendait à ce qu’il meure si jeune. Sa tombe royale est inachevée ; il faut donc trouver une sépulture digne de lui. Une fois son corps embaumé, il est transporté de Memphis à Thèbes, dans une tombe déjà prête à recevoir momie et équipement funéraire. Le voilà en route vers l’audelà. D’où il ne reviendra jamais faire la lumière sur le passé. Ni éclairer notre nuit. ■

Exposition « Toutânkhamon. Le trésor du pharaon », du 23 mars au 15 septembre 2019, à la Grande Halle de la Villette, Paris. lavillette.com

’est une expérience immersive unique qu’offre l’exposition « Toutânkhamon. Le trésor du pharaon », visible à Paris jusqu’au 15 septembre 2019. En vue du 100e anniversaire de la découverte des trésors de son tombeau, plus de 150 œuvres ont été sélectionnées pour une tournée mondiale. La première escale, le California Science Center, à Los Angeles, a accueilli les reliques jusqu’en janvier dernier. En clôture de l’exposition itinérante, la collection rejoindra le Grand Musée égyptien, au Caire, dont l’inauguration est prévue pour 2020. À savoir, le musée du Louvre pour l’escale parisienne va même prêter la statue Le dieu Amon protégeant Toutânkhamon. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Carquois en bois plaqué d’or et orné de scènes de chasse du pharaon.

Le naos, ici en bois doré, abrite une statue de la divinité et constitue la pièce essentielle des tombeaux de l’Égypte ancienne.

Fauteuil du pharaon Toutânkhamon enfant.

Boîte en calcite à décoration florale.

Collier avec scarabées, animal sacré de la cosmogonie égyptienne.

La crosse (à dr.) et le fléau (à g.), les attributs du pouvoir royal. Collier avec statuette en or d’Amenothep III, le père présumé de Toutânkhamon.

Pectoral (bijou) en or figurant l’oiseau Ba, qui représente l’âme du mort. AFRIQUE MAGAZINE

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LE GRAND DÉBAT

L’ÉMERGENCE EN DANGER

Elle est devenue un leitmotiv, un thème récurrent des discours politiques et des conférences. 37 des 54 États africains ont adopté « un plan ». Le continent a du potentiel, les progrès sont notables, les taux de croissance s’envolent. Mais les contingences et la réalité sont là : tensions politiques et économiques internationales, dette, insécurité, faible gouvernance, etc. risquent de mettre un sévère coup de frein à cet objectif. par Jean-Michel Meyer

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e changement dans la continuité. Le successeur de Paul Kagamé à la tête de l’Union africaine, l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi, n’a pas dévié de la trajectoire dessinée par ses pairs. Pour son premier discours, lors du 32e sommet de l’UA, à AddisAbeba, les 10 et 11 février 2019, il a dévoilé les trois axes de sa présidence d’un an : développer les infrastructures, accélérer l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale (ZLEC) africaine et créer des emplois, notamment pour la jeunesse. Sur la même longueur d’onde, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, et le président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, se sont rencontrés en marge du sommet pour renforcer les moyens de l’Agenda 2063, qui doit faire de l’Afrique à cette date « un continent de prospérité partagée, qui dispose des moyens et des ressources nécessaires pour piloter son propre développement grâce à une gestion durable et à long terme de ses ressources ». Aujourd’hui, 37 des 54 États africains ont conclu un plan d’émergence. Le concept a même

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son rendez-vous annuel. La 3e édition de la Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique (CIEA) s’est déroulée du 17 au 19 janvier à Dakar. « Pour accélérer la marche vers le progrès économique et social, plusieurs dirigeants africains ont doté leur pays de stratégies visant l’émergence, quelle qu’en soit la dénomination. L’un des leviers en est une croissance forte, durable, inclusive, et sous-tendue par des réformes prioritaires pour hâter la transformation structurelle. La finalité de la croissance est le bien-être de l’homme », a souligné le président sénégalais Macky Sall.

MAINTENIR LE CAP En apparence, la voie est dégagée. Après un trou d’air de 2015 à 2017, la croissance africaine reprend du tonus, surtout au sud du Sahara, où elle devrait atteindre 3,4 % en 2019 et autour de 3,7 % en 2020, selon les dernières prévisions de la Banque mondiale en janvier. Elle devrait aussi se renforcer en Afrique du Nord, de 1,9 % cette année avant de remonter à 3 % environ en 2020. À l’échelle de la planète, toutefois, la Banque AFRIQUE MAGAZINE

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« La finalité de la croissance est le bien-être de l’homme », a souligné le président sénégalais Macky Sall.

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mondiale a révisé la croissance à la baisse, à 2,9 % en 2019. « Après avoir tourné à plein régime au début de 2018, l’économie mondiale a perdu de la vitesse en cours d’année et le chemin pourrait être encore plus cahoteux en 2019 », observe Kristalina Georgieva, directrice générale de la Banque mondiale. Une escalade des tensions commerciales entre Washington et Pékin devrait peser sur le commerce mondial, réduire l’investissement et perturber les chaînes d’approvisionnement. Autre menace : le recul de la croissance chinoise. Conséquences ? La baisse des cours des matières premières et du pétrole. Autour de 55 dollars le baril en janvier, l’or noir devrait rester « à ce niveau au Paul Kagamé transmet la présidence de l’UA à son homologue égyptien cours des quatre ou cinq prochaines années », note Abdel Fattah al-Sissi, qui aura à charge la poursuite de l’Agenda 2063. le FMI. D’où une détérioration et un resserrement des conditions financières, plus coûteuses pour l’Afrique. « L’inet 2010, six des dix pays avec le taux de croissance éconotensification des vents contraires, économiques et financiers, mique le plus élevé au monde étaient africains : l’Angola (1er), auxquels sont confrontés les pays émergents et en développele Nigeria (4e), l’Éthiopie (5e), le Tchad (7e), le Mozambique (8e) ment risque de compromettre les progrès accomplis par la comet le Rwanda (10e). Aujourd’hui, la plupart des champions de munauté mondiale dans la réduction de l’extrême pauvreté », l’émergence de cette époque, notamment les pays pétroliers, redoute Kristalina Georgieva. ont reculé voire sombré en raison de leur extrême fragilité Des signaux inquiétants s’allument aussi sur le continent. budgétaire. En 2018, seul le Rwanda, et l’Éthiopie dans une La dette médiane du secteur public en Afrique subsaharienne moindre mesure, a confirmé dans la durée sa trajectoire, avec est passée de 34 % du PIB en 2013 à 48 % en 2016, ce qui un taux moyen de croissance du PIB de 8 % de 2001 à 2015 et réduit à nouveau la marge de manœuvre des États. « Des une réduction du taux de pauvreté de 44 à 39 %. interventions vigoureuses en matière de politique de finances publiques sont nécessaires en ce qui concerne la mobilisation LEVER LES FREINS AU DÉVELOPPEMENT fiscale, la réforme fiscale et la consolidation des dépenses pour Or la pauvreté, l’un des principaux moteurs de la course à assurer la soutenabilité de la dette », conseille la BAD, dans l’émergence, reste endémique. « L’Afrique subsaharienne enreson rapport sur « les perspectives économiques de l’Afrique gistrera toujours un taux de pauvreté à deux chiffres en 2030 en 2019 ». La banque panafricaine s’inquiète aussi des « prosi aucun changement d’orientation majeur n’est mis en œuvre », blèmes de sécurité et de migration, et les incertitudes liées aux alerte la Banque mondiale dans son dernier rapport sur le sujet élections et à la transition politique qui pourraient peser sur fin 2018. Chantier prioritaire pour contrer ce fléau : la création la croissance ». Car rien n’est figé, au contraire… Entre 2001 d’emplois. Les Africains en âge de travailler devraient passer de

CROISSANCE DU PIB RÉEL EN AFRIQUE, PÉRIODE 2010-2020 Pourcentage 10

Inde 8

Chine 6

Pays émergents et en développement (à l’exclusion de l’Afrique)

Afrique

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-2 2010-14

2015

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(projection)

2020

(projection)

Source : Statistiques BAD et Fonds monétaire international.

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©2019 AFRICAN UNION COMMISSION

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NABIL ZORKOT

Former les jeunes actifs et leur donner du travail est un des défis pour l’émergence. 705 millions en 2018 à près de 1 milliard d’ici 2030. Au rythme actuel de l’évolution démographique, le continent doit créer chaque année environ 12 millions de nouveaux emplois pour contenir l’augmentation du chômage, estime la BAD. Pour cela, « une croissance économique forte et durable est indispensable », explique la banque. Et elle doit dépasser les 3 % ou 4 % actuels de progression du PIB. « La stabilisation macroéconomique et les résultats en matière d’emploi sont meilleurs lorsque l’industrie tire la croissance, ce qui suggère que l’industrialisation est un vecteur puissant de création rapide d’emplois. Or, les économies africaines se sont désindustrialisées », note la BAD dans son rapport. Les chefs d’État « auraient pu industrialiser nos pays en transformant sur place nos matières premières avant exportation, grâce à la manne extraordinaire des recettes d’exportation de nos matières premières », dénonce dans une tribune, le 19 février, l’économiste béninois Nadim Michel Kalife, qui accuse les dirigeants du continent de « mauvaise gestion des finances publiques » et d’un manque de « vision ». La BAD met ainsi la pression sur les États afin d’accélérer l’intégration régionale et instaurer la zone de libre-échange continentale (ZLEC), projet phare de l’Agenda 2063. Adoptée en mars 2018, elle devait commencer à entrer en vigueur dès janvier 2019 pour doper le commerce intra-africain de 60 % d’ici à 2022. Soit l’équivalent de 35 milliards de dollars de plus. Mais 22 pays au moins doivent ratifier l’accord sur la ZLEC pour qu’elle soit mise en œuvre. Un an après, ils ne sont que 18 pays, bientôt 19 avec l’Éthiopie, à l’avoir fait. « Une Afrique sans frontières constitue le fondement d’un marché continental concurrentiel qui pourrait devenir un centre d’affaires au plan international. Elle permettrait une production agricole et industrielle par-delà des frontières AFRIQUE MAGAZINE

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Au rythme actuel de l’évolution démographique, le continent doit créer chaque année environ 12 millions de nouveaux emplois. nationales et offrirait donc des économies d’échelle aux investisseurs, tout en créant des marchés beaucoup plus vastes et en donnant de nouvelles opportunités aux petites et grandes entreprises », plaide ainsi la BAD dans son dernier rapport. Reste, de fait, le frein le plus puissant à l’émergence : la gouvernance politique. « La question institutionnelle et politique est la clé. L’émergence reste un projet moteur de transformation structurelle pour les pays africains, on le voit au Ghana, au Kenya, en Éthiopie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Maroc ou au Rwanda, là où il y a une consolidation de l’État, même s’il n’est pas toujours démocratique. Là où il y a une gouvernance politique solide, qui parvient à sortir du court terme pour s’inscrire dans la durée et la planification de l’Agenda 2063 et les objectifs du développement durable », analyse Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). L’émergence exige des gouvernements intègres, volontaristes et capables d’agir dans la durée. Sinon, relève Thierry Vircoulon, enseignant en sécurité et conflit en Afrique à Sciences Po – USPC, « ce qui émerge derrière l’émergence de l’Afrique, c’est avant tout la puissance chinoise ». ■ 69


FOCUS

MAROC L’AÉRONAUTIQUE EN AVANCE SUR SON PLAN DE VOL En moins de vingt ans, le royaume a réussi une percée dans l’une des activités industrielles parmi les plus exigeantes en termes de maîtrise technologique. Le défi ? S’intégrer davantage dans la chaîne de valeur mondiale.

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one franche Midparc dans la province de Nouaceur, à une trentaine de kilomètres de Casablanca. C’est dans ce paysage rural qu’est née et se construit depuis près de vingt ans la filière industrielle aéronautique marocaine. Le 31 janvier dernier, le Canadien Bombarbier Aéronautique, troisième constructeur mondial derrière Boeing et Airbus, continue cette histoire industrielle en annonçant le doublement de la capacité de son site sur un terrain de 14 500 m². « Ces travaux seront achevés vers la fin du premier trimestre de 2020 », a précisé Stephen Orr, vice-président du site. L’usine du groupe Bombardier est spécialisée dans la production de composants d’ailes, d’ailerons, d’ailettes, de volets intérieurs et extérieurs, de nacelles de moteurs et de planchers pour les avions régionaux, ainsi que de pièces de fuselage, de portes et de planchers pour jets privés. Cet investissement s’inscrit dans l’engagement pris en 2011 d’investir 200 millions de dollars au Maroc pour développer un site de stature mondiale, avec la création de 850 emplois directs à la clé d’ici 2020. Et de 4 400 emplois indirects. « Notre avenir à long terme au Maroc semble bien établi, tout comme l’avenir de nos employés », a insisté Stephen Orr. Le constructeur canadien n’est pas le seul

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à avoir identifié le Maroc sur ses radars. Plus discrètement, trois équipementiers ont annoncé fin 2018 l’extension de leur unité de production marocaine : le Français Ratier Figeac, spécialisé dans l’assemblage et les tests d’équipements, la société marocaine d’étude et de fabrication des outillages aéronautiques (EFOA) et Laroche, groupe français spécialiste de l’usinage de pièces de haute précision. Trois investissements qui doivent créer plus de 200 emplois. Outre les majors mondiaux Boeing, Airbus ou Bombardier, et les poids lourds Safran, Stelia, Thales, Alcoa, un total de 135 équipementiers ont implanté des unités au Maroc, créant 15 000 postes, tandis que les exportations du secteur ont dépassé 1,2 milliard de dollars en 2018. Le taux

d’intégration moyen de valeur ajoutée locale a grimpé de 29 % en 2017 à 32 % l’an passé. Fixé initialement à 35 % en 2020, ce taux a été revu à la hausse au vu des bons résultats actuels. Nouvel objectif des autorités : 42 % le plus rapidement possible. Autant dire que le ministre de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Économie numérique, Moulay Hafid Elalamy, se montre très optimiste. « Les prévisions de croissance du secteur sur les cinq prochaines années sont de l’ordre de 20 % annuellement », estimait-il lors du dernier Salon aéronautique de Marrakech, en octobre 2018. « Le secteur avance à grands pas. 100 % des câblages de Boeing, par exemple, ont été fabriqués au Maroc », assurait-il.

La chaîne de valeur aéronautique mondiale Étude de marché • Évaluation

du risque de marché

• Identification

des besoins des clients

Conception • Conception

détaillée

• Organisation

du projet

• Dessin de base • Conceptualisation

de base

➡ Production ➡ • Intégration

Marketing

• Leasing

majeure • Intégration modulaire

➡ Services • Services

après-vente

• Vente • Essai/certification

• Assemblage

des sous-systèmes

• Production

des composantes

Positionnement actuel du Maroc AFRIQUE MAGAZINE

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JEROME CHATIN/EXPANSION-REA

Présent depuis quinze ans dans le royaume, le groupe Safran y est leader du secteur. Pour Moulay Hafid Elalamy, l’activité doit réaliser 26 milliards de dirhams (2,4 milliards d’euros) de chiffre d’affaires en 2020, avec la création de 23 000 nouveaux emplois d’ici là ; un enthousiasme partagé par le président de la Banque africaine de développement (BAD). « Entre 2012 et 2018, la valeur ajoutée de l’industrie en Afrique a diminué de 621 milliards d’euros à 557 milliards. Cependant, le Maroc se portait bien et sa production industrielle s’est améliorée de 16 % environ, faisant du royaume un hub pour les entreprises de l’industrie aéronautique », souligne Akinwumi Adesina, président de la BAD. Et ce n’est pas le trou d’air annoncé dans l’économie mondiale qui devrait modifier le plan de vol de cette industrie. « S’il y a des baisses de commandes dans le secteur automobile, celui de l’aéronautique, qui a plus de valeur ajoutée, est en train d’exploser », indiquait Abdou Diop, le directeur associé du cabinet d’audit Mazars Maroc, le 31 janvier, lors de la conférence-débat « Le monde, l’Afrique, le Maroc : quelles perspectives pour 2019 ? », organisée par Attijariwafa Bank. La percée du Maroc aux portes de l’Europe dans une branche de AFRIQUE MAGAZINE

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l’industrie mondiale parmi les plus exigeantes en termes d’investissements, de savoir-faire et de maîtrise technologique repose largement sur le Plan d’accélération industrielle (2014-2020). Ce dernier s’articule depuis 2015 autour de quatre écosystèmes, fondés auprès de grands donneurs d’ordres stratégiques et d’équipementiers de classe mondiale, dans le câblage, la mécanique, la chaudronnerie et l’assemblage mécanique. Depuis 2017 deux nouveaux écosystèmes ont vu le jour : la fabrication de moteurs et les matériaux composites. Prochaine étape ? « Nous allons nous autoriser le passage au spatial. Nous estimons que nous pouvons apporter une contribution à cette industrie, car le royaume est considéré comme la plateforme la plus compétitive aux portes de l’Europe », annonce Moulay Hafid Elalamy. Mais attention à ne pas se brûler les ailes en voulant voler trop haut. « Les avancées enregistrées par le secteur ne devraient pas occulter la persistance de certains défis qu’il faut

relever pour assurer la pérennité de sa croissance et garantir la remontée dans la chaîne de valeur. Il s’agit notamment de la diversification de l’offre exportable à travers la promotion de l’intégration industrielle. [...] La disponibilité de main-d’œuvre hautement qualifiée s’impose également », avertit le rapport titré La Complexité de la remontée des chaînes de valeur mondiales : cas des industries automobile et aéronautique au Maroc et en Tunisie, publié fin 2017 par le think tank Policy Center for the New South (ex-OCP Policy Center). D’autant plus que le Maroc prédit l’arrivée d’une centaine de nouveaux acteurs de cette industrie d’ici 2020. Le royaume devra donc relever fortement son offre en ingénieurs et techniciens. « Bien que des dispositifs de formation de profils qualifiés aient été mis en place, force est de souligner la persistance d’un déficit en matière de profils pointus », prévient le rapport qui pointe l’éternel point faible marocain. ■ J.-M.M.

L’une des clés du succès : la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée

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PORTRAIT

DAVID MALPASS

Un contre-choix pour la Banque mondiale par Jean-Michel Meyer

Le président américain, Donald Trump, a fait appel à David Malpass, un pourfendeur de l’institution financière internationale, pour succéder à Jim Yong Kim, qui a démissionné en janvier dernier. Une candidature qui passe mal.

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A

vis de tempête à la Banque mondiale (BM). C’est un faucon républicain, David Malpass, 63 ans, très critique à l’égard de l’institution financière internationale, que Donald Trump a choisi pour prendre la tête de la Banque mondiale à l’issue des rencontres de printemps entre cette dernière et le FMI, qui auront lieu du 12 au 14 avril, à Washington. Un loup dans la bergerie. Les candidatures pour remplacer l’Américain Jim Yong Kim, qui a démissionné en janvier 2019, sont ouvertes jusqu’au 14 mars. Pour lui succéder, David Malpass doit obtenir l’approbation des 25 membres du conseil des administrateurs de la BM. Une formalité. Car si le principe est contesté aujourd’hui, c’est un Américain qui dirige l’institution de Bretton Woods depuis sa création en 1944. Sauf énorme surprise, David Malpass, choisi par Donald Trump, s’installera dans le fauteuil de président de la Banque mondiale pour cinq ans. Principal conseiller du secrétaire d’État au Trésor sur les questions économiques internationales, l’homme connaît bien la Maison-Blanche. Au cours des présidences de Ronald Reagan et de George W. Bush, il a respectivement occupé les postes de sous-secrétaire adjoint au Trésor pour les pays en développement et de sous-secrétaire d’État adjoint aux Affaires économiques de l’Amérique latine. Depuis 2017, il ne cesse de pilonner l’institution. Ses premiers pas à la Banque mondiale risquent d’être minés. Comme la plupart des conservateurs américains, David Malpass dénonce la lourdeur bureaucratique du groupe, qu’il compare à un navire sans capitaine, affai-

bli par le multilatéralisme « qui est allé trop loin. » Il accuse la banque de s’être « moquée de sa mission » en privilégiant sa propre croissance au détriment de la lutte contre la pauvreté et assène qu’elle génère « des montagnes de dettes sans résoudre les problèmes. » Sous l’impulsion de David Malpass, la Maison-Blanche a accepté en 2018 de soutenir un plan visant à inciter les actionnaires à injecter 13 milliards de dollars dans le capital de la Banque mondiale, à condition d’imposer des limites supplémentaires à ses prêts, de concentrer davantage les ressources vers les pays les plus pauvres et de limiter la croissance des salaires du personnel de la Banque.

VISIONNAIRE OU RÉACTIONNAIRE ? Autre grief : l’Américain estime que la BM est trop favorable à la Chine, notamment dans son projet de route de la soie. « La Chine a fait une percée inquiétante dans les banques multilatérales de développement, regrettait-il en décembre dernier devant le Congrès américain. Elle absorbe des décennies de savoirfaire financier dans ces institutions, à l’instar de ce qu’elle a fait avec les technologies industrielles. » Les accusations de l’Américain ou ses propositions de réforme (plus de transparence, une meilleure mesure des résultats) trouvent un écho parmi ceux qui réclament depuis longtemps la restructuration de la Banque. Mais ce sont surtout ses opposants qui s’expriment. Aux ÉtatsUnis, la cheffe de file démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, redoute que le candidat de Trump « sape les missions de AFRIQUE MAGAZINE

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OLIVIER DOULIERY/ABACAPRESS.COM

David Malpass se tient derrière Donald Trump à l’annonce de sa nomination à la tête de la Banque mondiale, le 6 février 2019. l’institution ». De son côté, l’ancien ministre des Travaux publics du Liberia, W. Gyude Moore, a tweeté : « Un pyromane invétéré va désormais être notre chef des pompiers ! » Et d’ajouter : « Je m’interroge sur le fait que le président de l’institution puisse être une personne fondamentalement opposée à la manière dont la Banque fonctionne. C’est préoccupant. » À un David Malpass qui se complaît dans un rôle de donneur de leçons, ses détracteurs rappellent ses quinze ans passés comme économiste en chef de la banque privée Bear Stearns, qu’il a quittée en 2008, alors qu’elle était en quasi-faillite. Un article qu’il a écrit en août 2007 dans le Wall Street Journal, quelques mois avant le krach immobilier et financier de 2008, refait surface. « Les marchés du logement et de la dette ne représentent pas une part aussi importante de l’économie américaine ou de la création d’emplois. Il est plus probable que l’économie soit robuste et qu’elle se développera de AFRIQUE MAGAZINE

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David Malpass accuse la BM de s’être « moquée de sa mission » en privilégiant sa propre croissance au détriment de la lutte contre la pauvreté.

manière solide dans les mois et les années à venir », expliquait-il alors. « Bien que certaines des critiques de David Malpass soient valables, un ancien chef économiste d’une institution financière dont l’imprudence a contribué à détruire l’économie mondiale en 2008 est l’une des dernières personnes sur lesquelles nous pouvons compter pour faire de la Banque un organisme plus responsable », a déclaré David Pred, le directeur de l’ONG américaine Inclusive Development International (IDI). Le ton est donné ! Mais comme l’explique The Economist, l’influent hebdomadaire britannique, le président américain a choisi un candidat qui est l’un « des derniers membres les plus qualifiés du gouvernement de M. Trump. » Le refuser entraînerait probablement une nomination encore plus provocatrice. Cela suffira-t-il au conseil des administrateurs pour le choisir ? Réponse en avril prochain. ■ 73


INDUSTRIE MINIÈRE

AFRIQUE DU SUD LES MINES TOUCHENT LE FOND Fragilisés par les variations des cours des matières premières et la hausse des coûts de production, les groupes miniers redoutent les conséquences de la redistribution des terres décidée par le gouvernement.

À

défaut d’avoir imaginé une stratégie pour sauver le secteur minier sudafricain, le président de la République, Cyril Ramaphosa, a au moins le sens de la formule. « L’industrie minière, c’est le lever du soleil », a-t-il lancé à son auditoire, le 5 février dernier. Il est le premier chef d’État du pays à se rendre au salon Investing in African Mining Indaba au Cap, l’événement majeur du secteur sur le continent. Fondateur du Syndicat national des mineurs (NUM), Cyril Ramaphosa, en poste depuis un an, a fait notamment fortune dans les mines et donc bénéficie encore d’un sérieux crédit auprès des mineurs. Mais pour combien de temps ? 74

Durant le salon, son ministre des Ressources minérales, Gwede Mantashe, s’est félicité d’« un environnement favorable aux investissements » depuis l’arrivée au pouvoir du chef de l’État. Mais le lever de soleil semble se transformer en éclipse totale qui risque d’assombrir l’avenir du secteur minier. Victime des variations des cours des matières premières (diamant, or, platine, charbon, etc.) et de la hausse des coûts de production dans le pays, la compagnie minière sud-africaine Sibanye-Stillwater, fragilisée par des pertes financières dans deux de ses mines d’or l’an passé, a annoncé le 13 février 2019 un plan de restructuration massif de ses activités, avec la suppression de 6 000 emplois – soit 10 % des effectifs – juste au lende-

main d’une grève nationale contre les licenciements… « Des restructurations de cette ampleur ne sont jamais prises à la légère », a déclaré Neal Froneman, le PDG de Sibanye-Stillwater. Le groupe n’est pas le seul à réduire la voilure. L’an dernier déjà, Impala Platinum a décidé de supprimer 13 000 emplois, tandis que le producteur Gold Fields annonçait vouloir réduire un tiers de ses effectifs, soit 1 000 postes en moins. Dans ce contexte, la riposte des syndicats est féroce. Les grèves sont fréquentes. La plus grande centrale syndicale, la Cosatu, a ainsi appelé ses 1,6 million d’adhérents à cesser le travail le 13 février pour dénoncer « les suppressions d’emplois dans tous les secteurs de l’économie. » « Il faut comprendre que les ressources minières s’épuisent. Dans les mines, le gisement est limité. Vous l’exploitez jusqu’au bout et c’est fini. Il n’y a pas moyen de créer d’autres emplois au même endroit. Ce n’est pas comme produire du Coca-Cola lorsqu’il suffit de mélanger de l’eau et du sirop », a comparé le ministre sud-africain des Ressources minérales, lors de l’African Mining Indaba. À leur apogée dans les années 1980, les mines sud-africaines employaient 760 000 personnes et contribuaient à 21 % du produit intérieur brut (PIB). Aujourd’hui, elles ne comptent plus que 450 000 employés et le secteur rapporte à peine 7 % de la richesse nationale. La chute est vertigineuse. L’an dernier, l’Afrique du Sud a vu son industrie minière décliner de 2,6 %. L’activité la plus touchée est la production d’or avec une chute record de 16 %. Même si Gwede Mantashe a accordé 11 nouveaux permis d’exploitation en 2018 et qu’il table sur la découverte de nouveaux gisements pour « absorber des emplois perdus ailleurs », rien ne paraît véritablement enrayer ce déclin. « L’Afrique du Sud semble avoir préféré un fort taux de chômage à des salaires bas. AFRIQUE MAGAZINE

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SIPHIWE SIBEKO/REUTERS

PERSPECTIVES


SHUTTERSTOCK

Conséquence, nous estimons que le secteur des métaux précieux va se réduire dans la prochaine décennie », a déclaré de son côté l’analyste Johann Pretorius, du cabinet Renaissance Capital. Interrogé par l’AFP, il justifie sa prévision par « la complexité croissante » de l’exploitation, notamment par la profondeur des gisements, « l’automatisation des mines » et « les revendications des syndicats ». Mais ce qui tétanise les groupes miniers, c’est la réforme foncière soutenue par Cyril Ramaphosa. En discussion actuellement au Parlement, elle doit aboutir à une redistribution des terres sans dédommagements. Déjà, la Haute Cour de Pretoria a donné un droit de veto aux communautés rurales pour accepter ou non des projets miniers sur leurs terres. Et l’an dernier, la justice a imposé au ministre des Ressources minérales de consulter la communauté de Xolobeni (sud-est) avant d’accorder un permis à la compagnie australienne Transworld Energy and Minerals Resources. L’agence de notation Moody’s a averti en juin dernier que « si la réforme s’avérait coûteuse pour les entreprises, la baisse des investissements serait encore plus prononcée. » Le chef de l’État a tenté d’apaiser l’inquiétude des industriels. « Les investisseurs ne doivent pas avoir peur, on ne leur prendra pas leurs biens », a-t-il promis. Les premières opérations de redistribution viseraient « des parcelles détenues par l’État », a-t-il garanti. La réforme foncière vise à « réparer le péché originel commis contre les Noirs sud-africains pendant la colonisation et l’apartheid », a-t-il justifié. Un quart de siècle après la chute du régime ségrégationniste, les trois quarts des terres agricoles sont encore aux mains de la communauté blanche, qui ne représente que 8 % des 55 millions d’habitants. Avec les élections législatives du 8 mai en ligne de mire, Cyril Ramaphosa sait qu’il est attendu sur le sujet. ■ J.-M.M. AFRIQUE MAGAZINE

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C H I F F R E S par Jean-Michel Meyer

Dans l’édition 2019 de son rapport «Où investir en Afrique?», la banque sud-africaine Rand Merchant Bank (RMB) évalue les besoins de financement de l’Afrique entre 130 et 170 milliards de dollars par an.

11 000

C’EST LE NOMBRE D’EMPLOIS CRÉÉS DANS LE SECTEUR DU TEXTILE AU MAROC EN 2018.

PLUS DE 660 MILLIONS D’AFRICAINS disposeront d’un smartphone d’ici à l’année 2020 d’après le cabinet Deloitte.

Récolte record de cacao à l’issue de la campagne 2018-2019 en Côte d’Ivoire, avec 2,2 millions de tonnes attendues.

LES ENVOIS DE FONDS EFFECTUÉS PAR LA DIASPORA NIGÉRIANE SE SERAIENT ÉLEVÉS À 25 MILLIARDS DE DOLLARS EN 2018, CE QUI EN FERAIT LE CHIFFRE LE PLUS IMPORTANT D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE, SELON PRICEWATERHOUSECOOPERS (PWC). 75


PERSPECTIVES

proposés par Black Rhino. Autres handicaps souvent relevés par les fonds américains : leur difficulté à aborder la complexité de l’environnement des affaires en Afrique et la concurrence chinoise dans les infrastructures, notamment. Mais l’intérêt des fonds américains pour l’Afrique a également coïncidé avec la

volonté de Barack Obama de renforcer la présence des États-Unis sur le continent. En 2014, le président avait annoncé des investissements américains de 33 milliards de dollars en Afrique, dont 14 milliards apportés par le secteur privé. Depuis, la Maison Blanche a changé de stratégie… ■ J.-M.M.

INVESTISSEMENTS

Le numéro 1 mondial du capitalinvestissement quitte l’Afrique.

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in de partie en Afrique subsaharienne pour le fonds new-yorkais Blackstone, numéro 1 mondial du capital-investissement, avec 472 milliards de dollars d’actifs dans le monde. Par une indiscrétion du Wall Street Journal, début février, le géant américain a décidé de sortir du fonds Black Rhino, un fonds d’investissement basé en Afrique du Sud et dédié aux infrastructures et à l’énergie au sud du Sahara. Blackstone en avait pris le contrôle en 2014 avec le magnat industriel nigérian Aliko Dangote, qui s’était associé à hauteur de 50 % dans le fonds sud-africain.

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Avec ses partenaires, Blackstone prévoyait d’investir 5 milliards de dollars en Afrique durant la période 2014-2019, dans « des projets d’infrastructure énergétique en Afrique subsaharienne, en particulier dans les secteurs de l’électricité, du transport et des pipelines. » Black Rhino affirmait travailler sur une dizaine de projets, mais aucun n’a vu le jour en 2019. Même si les Américains Carlyle Group et Warburg Pincus restent présents sur le continent, Blackstone a jeté l’éponge en Afrique subsaharienne comme ses compatriotes Bain Capital en 2016 et Kohlberg Kravis Roberts & Co en 2017. Les raisons ?Comme les autres grands fonds américains, les critères d’investissements de Blackstone reposent sur la recherche de très gros deals. En 2018 déjà, le fonds new-yorkais évoquait publiquement son manque d’enthousiasme pour les projets

DIASPORA

Création d’un fonds pour le Nigeria

Les Nigérians établis aux États-Unis veulent participer à la diversification de l’économie de leur pays d’origine.

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ne pluie de dollars venus d’Amérique. Un fonds d’investissement de la diaspora nigériane aux États-Unis devrait réunir 3 milliards de dollars à investir dans leur pays d’origine. Le fonds sera dirigé outre-Atlantique par la diaspora. Si aucune date n’a été donnée quant à la création de ce fonds, il devrait se concentrer sur les secteurs de l’agriculture, de l’électricité, des mines et des transports. Une initiative soutenue par l’État, indépendamment des résultats de l’élection présidentielle du 23 février 2019. En effet, le Nigeria est en recherche permanente d’in-

vestisseurs pour diversifier son économie, alors que le pétrole représente environ les deux tiers des recettes publiques et plus de 90 % des recettes en devises. Or la forte baisse des prix du brut en 2014, suivie d’une pénurie de devises étrangères, ont affaibli le pays. En 2017, le pays avait déjà réalisé avec succès une émission obligataire ciblant sa diaspora (Diaspora Bond) qui avait collecté environ 300 millions de dollars. Le Nigeria suit ainsi l’exemple du Kenya qui sollicite sa diaspora depuis plusieurs années pour l’impliquer dans des projets de développement. ■ J.-M.M.

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REUTERS/BRENDAN MCDERMID

Blackstone tire le rideau


LES MOTS

FERROVIAIRE

La ligne trans-maghrébine relancée Une table ronde doit réunir les bailleurs de fonds le 28 mars.

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in janvier, le secrétariat général de l’Union du Maghreb arabe (UMA) a annoncé la relance du projet de ligne ferroviaire trans-maghrébine, reliant la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, sur une distance de 2 350 km. Une étude, financée par un don de la BAD, doit être menée à partir du 1er mars 2019 pour « la réhabilitation et la modernisation de la ligne de chemin de fer trans-maghrébine. » Le sujet sera au cœur d’une table ronde qui se déroulera à Tunis le 28 mars. Elle réunira les bailleurs de fonds pour financer les travaux du chantier estimés à 3,8 milliards de dollars. Le tracé est inchangé depuis la genèse du projet en 1990… Mais depuis la fermeture de la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc, en 1994, le projet a été enterré mais refait AFRIQUE MAGAZINE

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régulièrement surface. En juin 2014, Yacine Bendjaballah, le directeur général de la Société nationale algérienne des transports ferroviaires (SNTF), assurait que la réalisation de cette ligne de train à grande vitesse (TGV) sera entamée bientôt. Mais quand ? La ligne ferroviaire restera-t-elle longtemps un projet inachevé comme l’autoroute trans-maghrébine ? Considérée comme le plus ancien, le plus grand et le plus coûteux des projets d’infrastructures en Afrique, elle doit – à quelle échéance ? – relier sur 7 000 km la Mauritanie à la Libye en passant par le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Finalement, au train où avancent les deux projets, il n’estpasimprobablequeleprésident algérien les inaugure au cours de son cinquième mandat s’il est élu le 18 avril prochain ! ■ J.-M.M.

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« Tidjane Thiam représente probablement la plus grande réussite de la diaspora africaine en Europe. Il a tout à fait le calibree nde pour diriger n’importe quelle grande institution financière désormais. » LIONEL ZINSOU, FONDATEUR ET MANAGING PARTNER DE SOUTHBRIDGE. DGE.

« Si on estime qu’il faut sortir du F CFA, ce sera en toute souveraineté et en toute conscience, pas sur un coup de tête. » DANIEL ONA ONDO, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE DE L’AFRIQUE CENTRALE (CEMAC) (CEMA

« Les Africains ne doivent plus considérer les dépenses es de santé comme un coût mais comme un investissement.. » HALIMA DANGOTE, DIRECTRICE ICE ÉXÉCUTIVE DE LA FONDATION ON ALIKO DANGOTE.

« Je crois qu’il est temps que la direction de la Banque q mondiale soit confiée m à une personne issue du continent africain. » d IB IBRAHIM ASSANE MAYAKI, DIRECTEUR GÉNÉRAL D DU NOUVEAU PARTENARIAT D POUR LE DÉVELOPPEMENT PO DE L’AFRIQUE (NEPAD) D 77


INTERVIEW

Salif Keita « L’expérience m’a apaisé »

propos recueillis par Astrid Krivian 78

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uand on le retrouve dans le salon de son hôtel à Paris, il est plongé sur sa tablette, absorbé par une partie de dames, son loisir préféré. « Ça me détend », confie la voix d’or du Mali. Pieds nus, chapeau melon sur le chef, il est catégorique : enregistré en partie dans son studio Moffou à Bamako, Un autre Blanc, sur lequel il a invité ses amis Angélique Kidjo et Alpha Blondy, ainsi que la jeune génération (le prince de l’afrotrap MHD, la Nigériane Yemi Alade), est son dernier disque. Las du processus de création d’un album, il n’arrête pas pour autant la musique, art qui l’a « sauvé ». Né il y a 70 ans à Djoliba, sur les bords du fleuve Niger au cœur du pays mandingue, il est issu d’une famille noble malinké, descendante de Soundiata Keita. Le chanteur a dû transgresser le système de sa caste, qui lui interdisait l’art réservé aux griots, subissant ainsi le rejet de ses parents. Atteint d’albinisme, une maladie génétique, il est aussi la cible d’attaques incessantes de la part des autres enfants. En 1968, après des années de galère et de solitude, il intègre l’orchestre national du Super Rail Band de Bamako, puis les Ambassadeurs du Motel, et il respire enfin. Menant depuis 50 ans une carrière internationale, il est devenu l’un des plus célèbres artistes du continent, ambassadeur des sonorités de son pays dont il a su préserver la nature raffinée en les frottant à d’autres univers musicaux. À travers sa fondation, il combat par ailleurs les violences et les discriminations à l’encontre des albinos en Afrique, encore victimes de meurtres sacrificiels. AFRIQUE MAGAZINE

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AMANDA ROUGIER

Un autre Blanc devrait être son dernier album ! Mais le N’an kama (prodige) de Djoliba n’a pas dit son dernier mot. Les concerts et les tournées vont continuer. Tout comme son engagement pour le respect des droits humains. En particulier ceux des albinos, toujours victimes de l’ignorance et des préjugés.


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INTERVIEW SALIF KEITA : « L’EXPÉRIENCE M’A APAISÉ »

AM : Un autre Blanc sera votre dernier album. Et pourquoi ?

Votre père cultivateur vous envoyait dans Salif Keita : Je crois que je suis fatigué ! [rires] M’asseoir les champs pour surveiller les semences… pour faire un disque, élaborer la musique, les paroles et réunir Je surveillais les cultures et je criais pour chasser les singes, dix à quinze morceaux… Tout ça prend beaucoup de temps les oiseaux ; cela a un peu forgé ma voix. Mon père ne voulait et d’énergie. Je vais continuer de tourner, pas comme avant pas que je cultive parce qu’il savait que le soleil était mauvais évidemment car j’ai 70 ans, et il est fatigant de sauter dans les pour moi. Je montais aux arbres, j’avais fabriqué un instrubus, les trains, les avions. Mais j’aime beaucoup les tournées, ment avec des troncs et j’en jouais en criant pour dissuader les j’ai toujours le plaisir d’être sur scène, je rencontre des fans de animaux. [rires] partout qui ont envie de m’écouter et de s’amuser. L’enfant que vous étiez serait-il fier Après cinquante ans de carrière, comment préserve-t-on de l’homme que vous êtes devenu ? le désir de faire de la musique ? Oui, je le crois. Parce que, sincèrement, ce n’était pas facile. C’est une passion, une façon de vivre, cela manque si on Les gens sont d’une grande méchanceté, ma sœur. Vraiment. n’en fait pas. On en a besoin. Le monde change tellement, il s’y Quand tu es différent, ils ne l’acceptent pas. Dieu nous a peutpasse tant de choses qu’on ne peut qu’être inspiré. Il faut dire être créés ainsi pour montrer qu’Il est puissant, qu’Il a des goûts qu’aujourd’hui l’homme s’éloigne un peu plus de l’être humain. variés, qu’Il imagine des créatures diverses. Mais les gens ne Regardez les problèmes écologiques, la nature est en danger. l’ont pas compris. Ta différence passe mal. C’était vraiment C’est ce qui nous pousse, nous artistes, à créer. Je n’arrêterai très méchant… Mais maintenant je passe inaperçu, on voit jamais la musique, mais sortir des albums, oui. Salif le chanteur et non plus ma couleur de peau. [sourire] Vous dites souvent que la musique vous a sauvé… Heureusement. Ah oui, sans elle je ne serais plus là. D’une part parce que Pourquoi avez-vous nommé votre album Un autre Blanc ? ma famille ne voulait pas que je devienne artiste, de l’autre Vous êtes blanche, je suis blanc. Sous mon chapeau, j’ai les parce que les institutions me refusaient cheveux crépus, vous avez les cheveux lisses, on est d’exercer le métier de maître d’école. différents : je suis un autre Blanc, n’est-ce pas ? [rires] Donc, quel choix se présentait à moi ? Un Blanc d’origine africaine, qui a un papa noir, une Délinquant ou agriculteur. Je serais maman noire, qui a vécu parmi les Africains. Un devenu cultivateur, mais avec ma peau Blanc qui a un autre regard sur l’Afrique, sur la cou◗ Un autre Blanc, Naïve Records, octobre 2018 très fragile exposée au soleil, j’auleur noire, un Blanc qui n’est pas comme les Blancs ◗ Talé, Universal Music, 2012 rais développé un cancer et beaucoup réguliers. [rires] En somme, ◗ La Différence, d’autres problèmes de santé. un Blanc au sang noir. Universal Music, 2009 Enfant, vous étiez très bon élève, De famille noble, votre caste ◗ M’Bemba, et vous envisagiez même par la vous interdisait de faire de la Decca Records, 2005 suite une carrière d’instituteur… musique, pratique réservée ◗ Folon, Island Records, 1995 Oui. Heureusement, grâce à l’école, aux griots. Vos parents ont-ils je sais lire, écrire, je parle français, ce qui fini par accepter votre vocame permet de m’exprimer devant beaucoup de gens, de tion, notamment quand vous traverser le monde. Je voulais continuer mes études, mais avez connu le succès ? je ne pouvais pas, à cause de ma vue. Je voulais en effet Avant de moudevenir instituteur, mais ça non plus, ça n’a pas marché. rir, mon papa et ma Parce qu’on me disait qu’en tant qu’albinos, j’allais faire maman m’ont dit : peur aux élèves. « Nous prions Dieu Vous racontez que vous avez dû développer une pour que tu puisses grande force pour faire face à ces incessantes te nourrir grâce à un agressions et violences dont vous étiez victime… autre boulot que la Oui. Parce que j’étais différent, j’étais le seul Blanc au chanson. Que tu trouves une milieu de 500 élèves. Tout le monde croyait qu’on pouvait autre manière de vivre. » Malme battre, m’agresser, aller plus loin avec moi. Être ainsi gré mon succès… C’est cultufrappé m’a vraiment appris à me défendre. Certains me rel. Un Keita sur une scène en suivaient jusque chez moi. Mes parents sortaient pour les train de chanter, mon Dieu, chasser. Quand j’ai appris à lutter, à terrasser les gens, j’ai c’était pour eux une indignacommencé à respirer. tion. Mes parents étaient des

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nobles de sociétés ancestrales, ce n’est pas ce qu’ils voulaient pour leurs enfants. N’éprouvaient-ils pas de la fierté envers vous et votre réussite ? Pourtant, j’ai tout fait pour eux, c’est moi qui ramenais à manger, ce qui est normal cela dit… Que voulez-vous ? La culture a ses obligations et ses lois auxquelles on ne peut échapper. C’est pourquoi, en 2005, avec votre morceau « M’Bemba », vous demandiez pardon à votre ancêtre Soundiata Keita, fondateur de l’empire du Mali au XIIIe siècle, pour avoir enfreint la loi de votre caste ? En effet, je lui chante des louanges, j’implore son pardon. Je dis que chanter pour moi est peut-être une chance pour ma langue, ma voix, mais pas pour mon ethnie. Je le reconnais. Mais un artiste qui chante des choses positives, qui éduque les gens, n’est-il pas aussi noble à sa façon ? Moi, j’ai été arrosé de tous les côtés durant mon enfance. Mes parents me disaient : « Tu es noble, tu ne dois pas chanter », mais les étrangers ne voulaient pas de leur côté que je devienne instituteur parce que j’aurais fait peur aux enfants… J’ai été arrosé par toutes ces choses, et c’est pourquoi j’ai beaucoup vécu seul. Aujourd’hui, on pense que je n’aime pas être avec les gens, mais ce n’est pas ça. C’est qu’on m’a trop fait peur. Et cela m’a rendu solitaire. À quel moment de la journée travaillez-vous votre musique ? À partir de minuit, jusqu’à l’aube. Parce que la nuit, tout est calme, le téléphone ne sonne pas… Tu es seul avec ta guitare. Tu as le temps et l’inspiration. J’adore jouer dans l’obscurité ! Il fait noir, mais cela ne veut pas dire qu’il fait obscur. Tu perçois beaucoup de choses. Les idées s’éclairent. La lumière intérieure brille. Quelle est votre journée type à Bamako ? Vous ne me croiserez jamais en ville. Je suis tout le temps à la campagne ou au bord du fleuve Niger, auprès duquel j’ai grandi. J’y tiens beaucoup. La nature inspire ma musique. Je suis un vrai combattant pour la nature. Parce que je crois que c’est tout ce qu’il nous reste, il ne faut pas qu’elle nous échappe. Sur votre album La Différence, en 2009, vous aviez justement dédié la chanson « San Ka Na » au fleuve Niger pour éveiller les consciences sur sa protection. Quel est son état actuel ? Il est pollué et il est en train de se tarir, d’être oublié, de disparaître. Les orpailleurs y versent du mercure, de l’acide, tous les produits nuisibles pour la vie. À plusieurs reprises, des budgets ont été alloués pour le traitement, le nettoyage… Mais l’argent a été bouffé ailleurs. [soupir d’exaspération] Les politiciens ne s’en occupent pas. J’habite sur les bords du fleuve, et j’ai acheté une île au milieu, Djataland. Quand il fait chaud, tout le monde vient : touristes, Bamakois… Il y a une abondance de manguiers, d’oiseaux, de lézards… Et on ne tue AFRIQUE MAGAZINE

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« J’ai toujours le plaisir d’être sur scène, je rencontre des fans de partout qui ont envie de s’amuser. » rien, personne ne chasse, c’est la loi de l’île ! Les oiseaux sont heureux là-bas. J’ai même interdit la pêche à cause de la pollution. Il y a une plage, des restaurants, des cases climatisées, des installations sanitaires, le wi-fi… Je fais de mon mieux pour y préserver la nature. Vous avez créé en 2005 la Fondation Salif Keita pour les albinos. Quelles sont vos actions ? Nous faisons de la prévention santé en fournissant aux personnes atteintes d’albinisme des protections, comme les crèmes solaires. C’est très important car, dès l’âge de 15 ans, ils commencent à développer le cancer de la peau. Il y a trop de soleil en Afrique. Souvent, ils viennent nous voir quand c’est trop tard, le cancer est déjà avancé. Nous intervenons aussi pour leur insertion sociale. Par exemple, si à l’école les albinos ne sont pas assis au premier rang, ils ne voient pas le tableau. Nous demandons donc aux directeurs des établissements de les placer devant. On a souvent des problèmes avec les habitants des campagnes qui ont un enfant albinos. Les maris quittent le foyer, laissant femme et enfant, que nous prenons en charge. Surtout, nous prévenons les albinos de faire très attention à eux, car encore aujourd’hui ils sont sacrifiés, ma sœur. Lors de la dernière élection présidentielle, certains ont été tués. Ces meurtriers n’ont pas d’états d’âme. Ils les assassinent d’une façon atroce. Le gars a arraché la fillette à sa maman et l’a décapitée, éventrée, à 500 m, a pris ce dont il avait besoin et est parti. Ils sont très méchants. Pour eux, les albinos sont des animaux, il faut les traiter comme tels, tu peux les tuer comme tu égorges un bœuf, un mouton… Oui… Pourquoi perpètrent-ils ces crimes pendant l’élection présidentielle ? Pendant toutes les périodes électorales, pas la seulement présidentielle : municipales, législatives… Il faut alors faire très attention à ces enfants car ils disparaissent. C’est de la sauvagerie, de l’analphabétisme, parce que ces gens n’arrivent pas à expliquer la cause biologique de l’albinisme. Selon leurs 81


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croyances, les albinos sont puissants, et pour s’approprier leur puissance et remporter ainsi les élections, il faut les tuer, boire leur sang, faire des incantations avec des parties de leur corps… Un candidat va voir son marabout qui lui demande la tête d’un albinos, le cœur, une partie génitale… tout. Ça se passe encore actuellement. Mais ils procèdent de plus en plus discrètement car ils savent qu’on les a à l’œil, et qu’on n’hésiterait pas à les dénoncer, à les poursuivre. Vous avez aussi œuvré pour que les jeunes albinos acquièrent une bonne estime d’eux-mêmes et qu’ils puissent aussi se retrouver entre eux… Oui. Parce qu’ils avaient peur de se réunir, pour eux c’était comme s’ils formaient une proie collective. Mais depuis que les associations existent, ils ont commencé à se rencontrer, à se battre ensemble pour leur vie. Et ils croient que, si on ne les aime pas, c’est parce qu’ils ne doivent pas être aimés. Non ! Ce n’est pas vrai… Comment peux-tu refuser ta personne ? Chacun de nous est né pour une mission donnée, nous sommes tous des prophètes à part entière, venus pour servir la société, y jouer un rôle, tu ne dois pas refuser le tien. Ce n’est pas parce que tu es harcelé, rejeté, stigmatisé que tu dois fuir ta destinée. Tu fais partie de cette machine, il ne faut pas faillir à ton devoir. C’est ce qu’on leur dit. Il faut tenir, tu es là pour ça, il faut que tu assumes. Ainsi, ils ont commencé à se voir, à s’entraider, à parler entre eux, à se donner la main pour se battre. Je suis vraiment fier de ça. Puis, l’ONU a créé la Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme, qui a lieu le 13 juin. Ça nous a bien confortés et donné un peu de voix. Et j’espère que ça va avancer encore. Il y a des concours de beauté dans certains pays africains, pour élire une Miss ou un Mister Albinos… Oui j’y ai souvent assisté, on y voit vraiment de très belles femmes ! C’est bien, il faut que les albinos se considèrent comme des personnes à part entière. Votre fille Nantenin, également atteinte d’albinisme et de déficience visuelle, est présidente de votre fondation. Athlète de haut niveau, elle a remporté dans la catégorie du sprint trois médailles aux jeux Paralympiques de Pékin et de Londres, deux titres de championne du monde et cinq titres de championne d’Europe. Elle a été promue Chevalier de la Légion d’honneur. C’est vous qui lui avez transmis cette force de caractère ? Je suis vraiment fier d’elle. Quand je l’ai emmenée pour vivre en France à l’âge de 2 ans, j’ai vraiment eu peur. Que va-telle devenir ? Mais elle a compris dès son plus jeune âge qu’il fallait qu’elle se batte. Je ne lui ai pas caché, je lui ai dit : « Tu es née pour te battre. Ne crois pas qu’on va t’amener la vie sur un plateau d’argent. Tu te démènes et tu auras ta récompense, venue du Ciel. » Elle a très tôt compris qu’elle est différente et qu’on ne lui fera pas de cadeau si elle ne bataille pas. 82

« L’Afrique doit s’instruire, se cultiver. S’éloigner des mauvaises croyances… L’éducation est la priorité. » Avez-vous atteint une certaine sérénité avec les années ? Obligatoirement. Plus on avance en âge, plus on est sage. On comprend mieux les gens, on analyse avec plus d’acuité. J’étais très énervé quand j’étais jeune, j’étais bagarreur, parce que la société m’avait rendu ainsi. Maintenant j’accepte, je ne suis plus comme ça. La vie, l’expérience m’ont apaisé. Quelle est la place de la spiritualité dans votre vie ? Je crois au fatalisme. Ma spiritualité, c’est que rien ne se fait au hasard. Il faut accueillir les situations. C’est très important. Certes, pas n’importe quelle situation, mais il faut accepter quand même qu’il y ait un dieu. Je ne suis pas pieux, mais je crois en Dieu. À la base, je suis musulman mais j’adore la diversité religieuse. Chacun a sa façon de s’approcher du divin. Vous dites que, pendant longtemps, votre guitare a remplacé l’amour d’une femme… C’est vrai. Si je laisse ma guitare ici quelque temps, quand je reviens, elle me reprend de la même manière. [rires] Je dormais en serrant fort ma guitare dans mes bras. Je trompais ma solitude avec elle. Aujourd’hui encore, je ne peux pas me séparer d’elle, je ne peux pas ne pas en jouer. Elle est merveilleuse. À n’importe quel endroit où tu la touches, elle te répond. Les femmes représentaient-elles un risque de souffrance pour vous ? Quand tu grandis dans une société où les gens se moquent de toi tout le temps, crois-tu que tu vas apprendre ce qu’est l’amour ?! Ce n’était vraiment pas facile… Et aujourd’hui, comment ça va avec les femmes, l’amour ? [rires] Ça va, ça va ! Vous qui avez chanté « Africa » sur votre album Folon (1995), croyez-vous en un continent uni ? Je crois à une complémentarité entre les continents, un monde qui bouge, Blancs et Noirs ensemble. Quant au panafricanisme, ça n’arrivera jamais. Le budget de l’Union africaine est constitué en majorité de fonds extérieurs à l’Afrique. [soupir AFRIQUE MAGAZINE

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JASON CAIRNDUFF/REUTERS

Nantenin, la fille de Salif Keita, est championne du monde de sprint et plusieurs fois médaillée aux jeux Paralympiques. C’est une battante, comme son père, qui a su se surpasser. exaspéré] De quoi ils se mêlent ? L’Afrique doit s’instruire, se cultiver, pour mieux comprendre les choses, dans leur vrai sens. S’éloigner des mauvaises croyances… L’éducation est la priorité. Les Africains n’ont pas compris la démocratie, on ne peut pas l’enseigner à un peuple analphabète. Réglons d’abord ce problème d’instruction ; à partir de là, on pourra avancer. Car on a tous salué l’arrivée de la démocratie, mais avec le recul on se rend compte qu’on a commencé par la fin. Nous en souffrons beaucoup. Dès ce moment, on nous a manqué de respect. Nous avons eu beaucoup de problèmes que nous n’avions pas auparavant, comme la corruption. Et puis, les Africains ont eu la religion musulmane par les Arabes, la religion chrétienne avec les Occidentaux, ils sont là devant ce tableau que les autres leur ont imposé, qui se dresse devant eux et les empêche d’avancer. Donnez le Coran à traduire à un Africain, il ne saura pas le faire. Il y en a même qui prient, répètent des phrases qu’ils ne comprennent pas. Enfin, il faut dire la vérité, quoi… Tu as de l’or, du pétrole chez toi, tu ne sais pas comment l’exploiter, et moi je suis blanc, je viens l’exploiter, j’en fais ce que je veux et je ne vais pas te le donner. Mais si le Blanc l’exploite, il faut que j’en profite aussi alors ! Regardez, la Chine dans les années 1950 n’était rien, elle n’avait pas développé ses industries, ses technologies, AFRIQUE MAGAZINE

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mais elle a avancé en gardant sa culture de base. Tandis que l’Africain est en train de quitter sa culture pour une autre qu’il ne connaît pas. Vous constatez que les musiciens du Mali ont porté haut les couleurs de leur pays dans le monde, mais qu’en retour l’État ne leur a accordé aucune reconnaissance… Les musiques africaines en général ont beaucoup servi le continent, en permettant de faire connaître sa diversité culturelle dans le monde entier. Aujourd’hui, il n’y a pas un festival musical où l’on ne programme pas un artiste africain, mais l’État malien n’en a cure. Les hommes politiques se servent de la musique pendant les élections, sinon ils n’y attachent aucune importance. Je voudrais qu’ils soient francs, justes, qu’ils comprennent qu’ils sont là parce qu’il y a des gens pauvres derrière. Mais ils ne voient jamais la misère passer, jamais ! En tant qu’artistes, nous la voyons devant notre porte, tout le temps, parce que les pauvres viennent nous voir. Quelqu’un qui souffre de faim peut-il approcher un président ? Non, car tous ces hommes de pouvoir sont entourés de policiers. Ils ont la belle vie, tandis que la misère se promène en ville, à chaque coin de rue. Je ne peux donc être d’accord avec eux. S’ils prêtent serment d’agir pour le bien de leur peuple et que rien de sérieux n’en ressort, je ne peux pas leur accorder de l’importance. ■ 83


RENCONTRE

RANIA BENCHEGRA AMERICAN DREAM

En peu de temps, la jeune top-modèle marocaine s’est imposée sur le papier glacé des magazines les plus prestigieux outreAtlantique. Sa silhouette sexy et dans l’air du temps a conquis les plus grandes marques. Retour sur une successstory singulière qui nous fait voyager des sommets de l’Atlas aux côtes de la Californie. par Fouzia Marouf 84

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ront haut, regard de braise et un air bien décidé… Les traits empreints de douceur de Rania Benchegra évoquent à la fois l’Orient et l’Amérique latine. Naturelle, cheveux ramassés en chignon haut, elle débarque avec un grand sourire dans le palace parisien proche des Champs-Élysées où le rendez-vous a été fixé. Elle se confie en toute simplicité tout en commandant des dattes et des amandes. Elle a travaillé toute la journée et son ventre commence à crier famine. Née à Marrakech, la jeune femme de 22 ans est aujourd’hui installée à Los Angeles, où elle travaille avec la célèbre agence Next Management, la troisième plus grande au monde, présente à Londres, Milan et Paris. UNE FORCE DE CARACTÈRE Audacieuse et combative, elle décide de tenter sa chance en Californie, alors qu’elle n’a que 19 ans : « À l’époque, je vivais au Nigeria et je venais de divorcer après un an de mariage. Je n’avais que 150 dollars en poche. Comme j’avais un oncle qui habitait à Los Angeles, je suis naturellement allée chez lui. Lorsqu’il m’a vu arriver en short et que je lui ai parlé de mes AFRIQUE MAGAZINE

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MATHIEU PUGA

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RENCONTRE RANIA BENCHEGRA, AMERICAN DREAM

rêves de mannequin, il m’a annoncé qu’il venait d’épouser une Américaine qu’il souhaitait convertir à l’islam et donc que je tombais mal… Je ne pouvais pas rester chez lui. » Qu’à cela ne tienne ! Rania, gonflée à bloc, avait déjà repéré plusieurs prestigieuses agences de la côte Ouest. Elle raconte : « Toujours en short, j’ai frappé à la première porte, celle de Next Management. À ma grande surprise, j’ai été très bien accueillie, on m’a dit “we want you, we love you !” » Le jour même, elle signe un contrat pour une durée de six mois et s’installe dans un appartement en colocation avec d’autres mannequins. Grâce à sa patience et à sa ténacité, elle obtient finalement un visa spécial talent. « C’était crucial, mon expérience au Maroc m’a vraiment sauvée. J’ai présenté les nombreuses couvertures de magazines comme L’Officiel, Nissa, Femme du Maroc pour lesquelles j’avais posé. Et j’ai obtenu ce visa qui m’a permis de poursuivre ma carrière aux États-Unis. » Elle amasse un petit pécule pendant six mois sur son compte en banque et, toute fière, envoie un screenshot de son relevé bancaire à son père ! « Je me suis acheté une voiture, je me suis stabilisée », se souvient-elle. Aujourd’hui, Rania s’est largement imposée dans le milieu, c’est une silhouette que les marques veulent, un body désiré, elle multiplie les allers-retours entre Los Angeles et New York. Sa personnalité, son visage accrocheur et ses mensurations parfaites ont conquis de grands noms de la mode. Elle parle de ses prestigieux contrats avec Dior, Roberto Cavalli, Dolce & Gabanna, Adidas, Free People, Anastasia Beverly Hills ou encore Smashbox Cosmetics, H&M et aussi la fameuse marque de lingerie, Victoria’s Secret. 100 % MAROCAINE La jolie môme, qui tient souvent la pose lors d’instantanés glacés pour ELLE (US), collectionne aussi les interviews et a fait la couverture de Vogue Arabia. Sa force ? Ses origines arabes car elle a la chance d’être 100 % marocaine. « C’est assez rare dans le milieu. Souvent les filles sont métisses, avec des origines danoises ou anglaises, éthiopiennes ou marocaines. Je compte bien représenter le Maroc ! » assène-t-elle tout en dégustant une datte. Karim Tassi, designer basé à Marrakech et réputé pour ses vaporeux selhams (capes marocaines) se rappelle des débuts de la belle dans le mannequinat : « Rania m’a d’emblée inspiré. Elle a un genre très contemporain avec ses traits précis, anguleux et en même temps je l’ai trouvé douce, agréable et pleine d’humilité. Nous avons fait des séances photo, toutes les tenues lui allaient à merveille, elle incarnait parfaitement la “femme Tassi” ! C’est un mannequin qui exprime de la force et de la détermination avec sérénité. J’aimerais beaucoup la 86

« Le Nigeria est une part importante de ma vie, chère à mon cœur. J’y étais totalement heureuse et pleine d’insouciance. » retrouver pour un show ou un shooting, je suis très admiratif du chemin qu’elle a parcouru. » Le conte de fées commence dans la cité ocre, sa ville natale. Rania est repérée à Marjane, le centre commercial de la région où elle fait des courses avec sa mère alors qu’elle n’a que 16 ans. Elle est invitée à passer une audition à Casablanca par l’une des organisatrices du concours Elite Model. Son père qui travaille dans le milieu de la production cinématographique s’y oppose farouchement. Pourtant, la jeune fille est une enfant de la balle : dès l’âge de 5 ans, elle pose pour des publicités de la marque Petit Bateau. Elle fréquente souvent aussi les tournages de superproductions internationales aux côtés de son père. La fillette est la mascotte des plateaux, sympathisant avec les étoiles hollywoodiennes, comme Ben Kinsgley. « De retour à l’école primaire, mon institutrice me disait qu’elle allait reprendre les cours afin que je n’aie pas de retard. Je lui répondais pleine d’aplomb que je n’en avais pas besoin car je serai une star ! » s’amuse-t-elle aujourd’hui. C’est avec la complicité de sa mère (et à l’insu de son père) qu’elle se rend dans la métropole casablancaise afin de passer son premier casting, qu’elle réussit haut la main. Durant quatre mois, elle fait du sport, suit un régime alimentaire drastique afin de concourir au très attendu concours, Elite Model Look, qui se tient alors à l’hôtel Sofitel de Marrakech. « J’ai gagné ce premier concours et je suis ensuite allée en Chine afin de représenter le Maroc pour l’étape suivante. Il y avait des filles du monde entier. De retour à la maison, je me suis battue et je n’ai pas lâché prise, j’ai rencontré de nombreux couturiers et rédactrices en chef de magazines féminins. Puis je me suis mariée à 18 ans et j’ai suivi mon mari, métis brésilien et italien qui avait une entreprise de construction au Nigeria. » AFRIQUE MAGAZINE

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inStargram

INSTAGRAM RANIA BENCHEGRA

Son compte Instagram, @raniabenc, affiche plus de 74 500 followers.

ABUJA, LA PARENTHÈSE NIGÉRIANE Durant plus d’un an et demi, Rania sillonne le Nigeria aux côtés de son époux. Ils habitent alors à Abuja, la capitale fédérale, ville à laquelle elle est aujourd’hui particulièrement attachée, sensible à son énergie communicative. « C’est une part importante de ma vie, chère à mon cœur. J’y étais totalement heureuse et pleine d’insouciance, comme préservée du monde extérieur et de sa frénésie. Je ne me préoccupais absolument pas des réseaux sociaux. Je lisais Yasmina Khadra et Paulo Coelho. J’étais en phase avec moi-même. » Lorsqu’elle ne travaille pas, Rania aime retourner sur les traces de son enfance marrakchie, aller à la chasse avec son oncle à Merzouga : « La première fois qu’il m’a tendu son fusil, j’ai visé un pigeon dont on voyait à peine la tête au milieu des feuillages », dit-elle. Revendiquant fortement son arabité, elle suit avec intérêt les jeunes talents qui émergent sur la scène de la mode internationale, comme Karim Adduchi, fashion designer en vogue basé à Amsterdam. Ce dernier présente d’ailleurs début mars AFRIQUE MAGAZINE

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En train de boire un verre à Miami, version Frida Kahlo pour un shooting ou en caftan au Maroc, à Istanbul en Turquie devant du maïs grillé, sur une plage en Californie en maillot et jean déchiré, en balade nocturne à Beverly Hills, la top est à l’aise partout et sublime quoi qu’elle fasse.

sa nouvelle collection, « Maktub », à l’hôtel Saint James à Paris. « Il est hyper créatif et porte clairement une vision marocaine, totalement adaptée à la femme contemporaine. Il me rappelle Azzedine Alaïa, que j’ai eu la chance de rencontrer et qui est pour moi le plus talentueux styliste du monde arabe. En plus d’avoir toujours su insuffler son âme orientale à travers son art, c’était un homme très attachant et tendre », se souvient-elle. De passage dans l’Hexagone afin d’étendre ses collaborations en Europe, Rania souhaite conquérir de nouvelles marques et défiler pour de célèbres couturiers. Et aussi s’essayer au cinéma, bien entourée par des acteurs confirmés : « J’ai la chance d’être guidée par Jared Leto (qui a joué notamment dans Requiem for a Dream), mon meilleur ami. De retour à Los Angeles, je vais poursuivre les castings, j’ai déjà fait des essais pour deux superproductions. Cela m’encourage à persévérer. » En femme d’action, Rania, toujours au top, poursuit son chemin, décidée à réaliser ses rêves. ■ 87


L’archipel compte 115 îles et îlots. Ci-contre, l’île artificielle Éden Island.

Le siège de l’Union africaine rappelle que la ville est considérée comme la capitale politique du continent.

destination

ADDIS-ABEBA : LE PARFUM DE LA « NOUVELLE FLEUR »

La capitale éthiopienne s’ouvre aux visiteurs, notamment africains, l’occasion idéale de découvrir une ville HISTORIQUE, COSMOPOLITE et même « branchée ».

Sur le quai du train reliant Addis-Abeba à Djibouti. 88

SITUÉ SUR UN PLATEAU À 2 400 M D’ALTITUDE, dans le centre de l’Éthiopie, Addis-Abeba profite au mois de mars de températures douces, entre 20 et 25 °C quand, dans le reste du pays commence la saison des pluies. Cette vibrante métropole de plus de quatre millions d’habitants, siège de l’Union africaine depuis 1963, n’arrête pas de grandir. Au gré des rues, les bâtiments traditionnels et les maisons au toit de tôle ondulée côtoient des immeubles modernes. Comme le luxueux Ethiopian Skylight Hotel (établissement cinq étoiles), tout juste inauguré par la fameuse compagnie Ethiopian Airlines, avec sa piscine chauffée en extérieur ou AFRIQUE MAGAZINE

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SHUTTERSTOCK (2) – TIKSA NEGERI/REUTERS

par Luisa Nannipieri


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MADE IN AFRICA escapades

son terrain de minigolf. Depuis novembre dernier, n’importe quel ressortissant africain peut désormais obtenir un visa à l’entrée. Ville de contrastes, la « nouvelle fleur » (son nom en amharique) offre aux voyageurs de quoi s’émerveiller. On peut commencer la journée par un plaisir simple : prendre un café dans une échoppe. La boisson est ici presque une religion, qui a sa propre cérémonie, la buna. Il suffit de s’asseoir sur un tabouret face à une vendeuse de café pour assister à la torréfaction des graines sur le feu avant qu’elles soient pilées et tamisées, puis portées à ébullition dans une jebena, et siroter enfin une petite tasse de café noir, sucré et épicé. En route ensuite dans LES BONNES les ruelles du Merkato, le plus ADRESSES grand marché en plein air ✔ Séjourner dans le luxe à du continent ou vers celui de l’Ethiopian Skylight Hotel Shiro Meda pour ses tissus ✔ Manger des spécialités traditionnels. Détour obligé locales au restaurant par le Musée national où l’on du Finfine Hotel rencontre Lucy, Ardi et Selam, ✔ Écouter de la bonne musique les plus anciens squelettes au Fendika Azmari Bet d’hominidés au monde, ✔ Rencontrer les artistes locaux sans oublier de s’arrêter pour au Netsa Art Village déguster une injera, sorte ✔ Faire ses achats au Merkato de grande crêpe à la farine de ou à Shiro Meda teff, servie avec de multiples accompagnements. Le soir, les improvisations impertinentes des azmaris, ces troubadours de père en fils, et le blues envoûtant des crooners résonnent dans les bars et animent les restaurants pour le plaisir des noctambules. Et si l’animation de la ville vous fatigue, rendezvous sur le quai de la gare de Lebu, où le « train du Négus » a repris du service. Cette ancienne ligne ferroviaire, remise en état et entièrement électrifiée, relie la ville à Djibouti : 756 km en douze heures environ, avec tout le confort, à travers les décors changeants d’un pays original et préservé. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Le jardin d’Éden est au Lemuria Cet ÉCOLODGE seychellois est une ode à la sérénité.

NICHÉ DANS LES ROCHERS du sud-ouest de l’île de Praslin, le Lemuria est entouré par plus de 100 ha d’une végétation luxuriante qui surplombe trois des plages les plus magnifiques au monde. Ce havre de paix, qui a été le premier écolodge de luxe à ouvrir ses portes aux Seychelles, évoque la Lémurie, le continent perdu. Tout comme son architecture, revisitée en 2016 pour donner l’impression aux hôtes de poser le pied sur la mythique île au trésor. Le design des suites, des restaurants ou du spa a été réalisé à partir de matériaux locaux, comme le bois et le granit rose, en parfaite harmonie avec l’environnement. Chaque suite donne directement sur la plage ; les plus exigeants séjourneront dans l’une des huit villas avec piscine bâties à la pointe sud de l’anse Kerlan ou choisiront la villa présidentielle, avec plage privée et piscine à trois niveaux. Engagé dans la préservation de la faune et de la flore, notamment à travers un programme de protection des tortues qui viennent pondre sur ses plages, le Lemuria est aussi mondialement réputé pour son parcours de golf de 18 trous. ■ L.N.

Constance Lemuria, île de Praslin, Seychelles (à partir de 650 € la nuit pour une junior suite) constancehotels.com

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L’étagère conçue par le duo Issa Diabaté et Kevin Gouriou, et la ligne de carafes pensée par les designers du studio Propolis (Bethan Rayner et Naeem Biviji) et Mikael Axelsson.

design

Ikea Överallt

Une COLLECTION urbaine et fun sous le signe de l’Afrique. par Luisa Nannipieri C’ÉTAIT DANS LES TUYAUX depuis un moment, elle est enfin là : la collection capsule en édition limitée Ikea Överallt vient tout juste d’être présentée au festival Design Indaba, au Cap. Dix designers, architectes et artistes de renom, comme le Sud-Africain Laduma Ngxokolo ou l’Ivoirien Issa Diabaté, y ont travaillé pendant deux ans en partenariat avec des experts suédois. Le résultat est un concentré de créativité qui met à l’honneur les multiples identités du continent et l’effervescence du design africain, associé au modernisme scandinave. Au cœur du projet, la volonté de partager les rituels urbains modernes, notamment ceux qui dépassent les limites géographiques et culturelles. L’occasion pour les designers de s’interroger ensemble sur le concept de « salon urbain » et de concevoir

des objets capables de « créer du lien ». Chez la Sénégalaise Selly Raby Kane, par exemple, ce lien commun passe par le rituel du tressage des cheveux. D’où son idée d’un panier tissé qui en calque le procédé et le style. Mais les créatifs sont allés plus loin : l’accès aux matériaux et aux points de vente n’est pas le même en Afrique et en Europe. D’où la réflexion sur le procédé même de fabrication des objets. La chaise en bois de l’architecte Issa Diabaté pourrait très facilement être assemblée par des artisans locaux à partir de plan en accès open source. Les Égyptiennes Hend Riad et Mariam Hazem ont quant à elles imaginé des coussins et des sacs élaborés à partir des fils obtenus lors la reconversion de paquets de chips. La collection Överallt sera en vente dans tous les magasins Ikea, y compris au Maghreb, à partir du mois de mai. ■

LE LIEU : ZOE’S GHANA KITCHEN Une cantine où se relaxer, socialiser et goûter des plats de chef à petits prix. ET SINON ?

Tous les mois, sur réservation, des dîners privés chez Zoe. POUR QUI ?

Ceux qui veulent profiter d’un restaurant londonien sympa avant le Brexit. zoesghanakitchen.co.uk

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Après avoir présenté ses interprétations des classiques de la cuisine ghanéenne dans des restos éphémères à Berlin, Accra, New York et Brixton, Zoe Adjonyoh s’installe pendant un mois dans le bouillonnant quartier londonien de Hammersmith. À cette occasion, celle qui fait partie des 44 meilleurs chefs du monde, selon la collection Hachette Cuisine, a concocté une carte sans gluten et vegan friendly. On y retrouve le jollof, un poulet frit au riz, mariné dans des épices et trempé dans du lait ribot, un ragoût de haricots à base de tomates, oignons et piment, des gombos marinés et frits ou des kelewele (bananes plantains parfumées à la cannelle, à la noix de muscade, aux clous de girofle et au gingembre). Des plats bien épicés, mieux qu’à la maison et agrémentés d’une touche de glamour. ■ L.N. Courant mars chez W12 Studios, à Londres AFRIQUE MAGAZINE

DANIEL WESTER – CAMILLE MACK

QU’EST-CE ?

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MADE IN AFRICA carrefours

La Conservatory, une maison de campagne énergétiquement indépendante.

Nadine Engelbrecht pense l’habitat de demain architecture

NADINE ZWAUELPOORT – DR

Dans ses projets, cette jeune ARCHITECTE SUD-AFRICAINE fusionne vieilles bâtisses et nouvelles techniques, pour un bâtiment durable destiné aux particuliers. FORTE D’UN DIPLÔME EN ARCHITECTURE à Pretoria, d’un master en design climatique en Allemagne et de trois ans d’expérience dans le cabinet international Boogertman + Partners, Nadine Engelbrecht a créé sa propre firme en 2012. Depuis, elle a suivi principalement des projets pour des particuliers, où elle a pu appliquer ses connaissances en matière de constructions durables et passives. Plusieurs de ses interventions, comme le House E ou le Create Café à Pretoria, ont reçu les attentions de la presse spécialisée et lui ont valu des prix nationaux et internationaux. Aujourd’hui, elle suit des chantiers en Afrique du Sud et au Ghana, et vient de terminer une incroyable maison de campagne, la Conservatory, entièrement off-grid, c’est-à-dire autonome en eau, sans impact sur l’environnement, qui produit autant d’énergie qu’elle en consomme et qui reste à la bonne température toute l’année sans chauffage ni climatisation. Le bâtiment se développe autour d’une grande serre vitrée, qui offre une vue imprenable sur des paysages magiques. En hiver, cette serre spécialement conçue permet aux rayons du soleil de pénétrer tout en gardant l’air froid à l’extérieur. En été, la façade s’ouvre et se transforme en patio, facilitant AFRIQUE MAGAZINE

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la ventilation naturelle des pièces. Construite à partir de matériaux locaux, durables et à maintenance simplifiée, y compris briques et béton, la maison garantit au couple de propriétaires le confort et la chaleur d’une alcôve loin de la frénésie de la ville, sans les isoler pour autant. En effet, le grand loft s’ouvre au besoin sur des suites indépendantes, destinées aux visiteurs. ■ L.N.


Couleurs vibrantes, motifs singuliers et quintessence de l’élégance, les créations de Diarra Bousso unissent ses deux passions : la mode et les mathématiques.

créateur

Diarrablu,

l’élégance de l’algèbre DES ROBES et des ensembles légers, souples et frais, monochromes ou imprimés, qui font écho aux couleurs et à l’architecture de l’île de Saint-Louis. Ndar, du nom de l’île en wolof, est la dernière collection signée Diarrablu, célèbre maison créée par la Dakaroise Diarra Bousso en 2013. Ancienne économiste, Diarra a quitté son poste d’analyste à Wall Street pour rentrer au Sénégal et se dédier à ses deux vraies passions : les maths et la mode. Aux côtés de sa mère, Khoudia Dionna, et d’El Hadji Amadou Gueye, qui l’aident dans la réalisation des vêtements et la gestion de l’entreprise, elle a réussi à créer en quelques années une marque de luxe durable basée à Dakar ; plusieurs branches ont depuis été 92

implantées, notamment à Londres et à New York. Dans le même temps, elle a peaufiné ses études scientifiques à Stanford et est aujourd’hui chercheuse en mathématiques créatives à la Silicon Valley. Son approche multidisciplinaire et sa volonté de fusionner art et arithmétique se reflètent dans ses collections. Souvent dans les noms, tel celui de sa série Fibonacci, en 2018, ou Infinity, l’année précédente, mais aussi dans le choix des motifs. Pour créer chaque dessin, la créatrice se sert d’équations, de fonctions et d’algorithmes numériques qui, une fois convertis en graphiques, imprimés et combinés, donnent vie à des formes abstraites uniques évoquant toujours l’Afrique et ses traditions. Dans le cas AFRIQUE MAGAZINE

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CAAB OUSMANE – EL HASSANE SIDIBE

La dernière collection de la SÉNÉGALAISE DIARRA BOUSSO mixe tradition, technologie et mode éthique par Luisa Nannipieri


Les tissus de la collection, dans des tons monochromes ou vifs, s’inspirent de l’architecture de Ndar.

de Ndar, elles ont été imprimées sur soie et teintées à la main. Les touches d’orange et de bleus sont ainsi un hommage aux couleurs du désert, de la savane, de l’océan et de la rivière de l’île. Les coupes, modernes et décontractées, ponctuée d’une touche traditionnelle, s’inspirent des femmes sénégalaises et de leur sens inné de l’élégance. Chaque pièce a été préparée, coupée et cousue par des artisans locaux et, dans un idéal de durabilité, les chutes de production sont réutilisées pour la fabrication des accessoires. Un principe qui trouve aussi son fondement mathématique dans la règle dite de l’itération : répéter constamment le même processus permet d’aller vers l’objectif du zéro déchet. Du côté des chaussures, comme les sandales à lacets qui réinterprètent le classique soulier local, les ateliers utilisent des recoupes de cuir italien et, AFRIQUE MAGAZINE

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MADE IN AFRICA fashion

toujours dans l’esprit d’une mode durable, la plupart des pièces de la maison peuvent se porter de différentes manières, et la taille peut s’ajuster au fil du temps et des nécessités. Ces dernières semaines, la dernière collection de Diarrablu a fait son apparition sur les réseaux sociaux. Pour la marque, la promotion via Instagram ou Facebook joue aussi un rôle important dans la filière de production. Afin d’éviter tout gâchis, les robes, kimonos, tailleurs ou maillots de bain ne sont pas assemblés à l’avance et distribués dans des boutiques physiques, mais à la demande des clients. Toute surproduction est ainsi évitée. Pour une manufacture de haute qualité qui répond à la nouvelle logique d’une mode éthique, en lien direct avec les consommateurs. ■ 93


La flore intestinale abrite quelque 100 000 milliards de bactéries.

Bien nourrir son intestin, la clé de l’équilibre IL FAUT EN PRENDRE CONSCIENCE : l’intestin n’est pas qu’un tuyau par lequel passent les aliments ! Il renferme notre microbiote, appelé anciennement flore intestinale, ce monde intérieur composé de bactéries, de virus et de champignons non pathogènes. Un trésor précieux dont on parle de plus en plus. Il est démontré qu’il joue un rôle fondamental sur notre système immunitaire et notre comportement.

Un « second cerveau » Que cache donc ce microbiote ? D’abord, quelque 100 000 milliards de bactéries, qui contribuent à empêcher des agents nuisibles (bactéries pathogènes, polluants…) de coloniser l’intestin. Plus surprenant, il recèle aussi la 94

majeure partie de nos cellules immunitaires (entre 60 et 70 %), qui assurent la défense du corps face aux agresseurs. Par ailleurs, l’intestin contient des millions de neurones, qui échangent des informations avec le cerveau, et donc influent sur le fonctionnement cérébral. Si l’équilibre du microbiote vient à être perturbé, notamment par une mauvaise alimentation, mais aussi par le stress ou les antibiotiques, gare aux conséquences… En effet, c’est prouvé : il y a un lien entre le déséquilibre de la flore intestinale et certaines maladies. À commencer par des affections digestives comme la diarrhée, la constipation, les ballonnements chroniques ou encore le syndrome de l’intestin irritable (ballonnements, problèmes du transit, douleurs abdominales). Mais la perturbation du microbiote AFRIQUE MAGAZINE

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La flore intestinale – ou microbiote – a un impact considérable sur notre santé et notre mental. Alors, on la protège en mangeant mieux.


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pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

peut aussi entraîner le développement de bien d’autres troubles, sans qu’on en connaisse tous les mécanismes : allergies cutanées ou respiratoires, diabète, obésité, maladies inflammatoires de l’intestin, syndrome de fatigue chronique, et même dépression. Des études réalisées en laboratoire ont démontré que, lorsqu’on transfère le microbiote d’une personne déprimée dans l’organisme d’une souris saine, celle-ci développe des symptômes liés à la dépression. Notre « second cerveau » est également souvent considéré par les professionnels de santé comme le « siège de nos émotions ». Rien d’étonnant à cela quand on sait que 90 % de l’hormone du bonheur, la sérotonine, est produite dans l’intestin ! Le déséquilibre du microbiote altérant le système immunitaire, on peut également être davantage sujet à diverses infections. Des études suggèrent un lien avec le développement de maladies auto-immunes (sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde) ou de certaines affections neurodégénératives comme Parkinson et Alzheimer.

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Revoir son menu C’est par l’alimentation qu’on influence la qualité de son microbiote. Et s’il fallait commencer par une bonne habitude, ce serait celle de bien mastiquer à chaque bouchée avalée. Première mesure nutritionnelle, on fuit ses ennemis… On stoppe les excès de produits sucrés ou riches en mauvaises graisses qui déséquilibrent fortement la flore. L’idéal est de faire sa cuisine soi-même, avec des mets sains et simples. Il faut oublier le plus possible tout ce qui est plats préparés industriels et produits transformés. L’alimentation de type méditerranéenne reste une valeur sûre. Seconde mesure, on consomme des aliments amis, ceux qui sont source de probiotiques. Ces bactéries vivantes nourrissent en effet le microbiote intestinal et peuvent restaurer ses propriétés en cas de perturbation. On peut trouver ces probiotiques dans les yaourts, les fromages non pasteurisés, le kéfir, le miso (pâte de soja fermentée utilisé en condiment ou en soupe), les cornichons et la choucroute. Enfin, on mise sur les prébiotiques, fibres spécifiques servant de nourriture aux probiotiques, qui stimulent efficacement la flore intestinale. Certains fruits (pêche, banane…), légumes (brocolis, asperge…) et légumineuses (lentilles, pois chiches…) en contiennent de bonnes quantités. Au besoin, le médecin ou le pharmacien peut conseiller une cure de compléments alimentaires à base de probiotiques pour soulager les maux. Il adaptera la durée et la souche (micro-organismes) à utiliser en fonction des troubles ; n’hésitez pas à demander conseil. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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La marjolaine présente des propriétés relaxantes.

POUR VOUS SOIGNER AU NATUREL,

OPTEZ POUR LES HUILES ESSENTIELLES • Pour les digestions difficiles.

Le repas reste sur l’estomac avec une sensation de fatigue… Pour un coup de boost, on choisit l’huile essentielle de cumin, qui stimule le système digestif. On avale une ou deux gouttes maximum mélangées à un peu de miel.

• Pour les ballonnements.

Il est classiquement conseillé de se masser le ventre dans le sens des aiguilles d’une montre. Mais avec des huiles essentielles, c’est plus efficace. On en mélange deux gouttes d’estragon et deux de basilic exotique dans deux cuillerées à soupe d’huile végétale (amande, germe de blé, voire olive), puis on masse cinq minutes. En cas de ballonnements fréquents avec gaz, on teste cette cure : une goutte d’huile essentielle d’estragon dans une petite cuillerée de miel, à prendre deux fois par jour pendant cinq jours, en dehors des repas.

• Pour le mal de ventre lié au stress.

On recourt à l’huile essentielle de marjolaine qui calme douleurs et spasmes en déposant simplement une goutte sur la langue. ■ 95


Lutter contre les acouphènes Ces sifflements ou bourdonnements dans les oreilles sont gênants au quotidien, voire insupportables avec le temps. Voici quelques conseils pour faire face. LES ACOUPHÈNES sont bien réels, même s’ils ne viennent pas d’une source extérieure et si les autres ne les entendent pas. Leur intensité peut être mesurée par examen médical, n’hésitez donc pas à aller consulter. • Si les acouphènes viennent de survenir… C’est fréquent après un traumatisme sonore, comme écouter de la musique à très fort volume lors d’un concert. Les cellules auditives lésées envoient alors des sons parasites. Dans ce cas, il est conseillé de se faire examiner au maximum dans les deux jours son médecin ou un spécialiste ORL. La prise de médicaments corticoïdes et vasodilatateurs évite en général que les acouphènes persistent ou les atténue. Le meilleur réflexe reste de ménager son audition en écoutant la musique à un volume raisonnable et en portant des bouchons d’oreilles lors des concerts ou de travaux très bruyants. • Si les acouphènes sont là depuis un temps… Diverses causes sont avant tout recherchées : baisse d’audition (ne plus entendre certains sons génère des bruits parasites), bouchon de cérumen, hypertension artérielle mal contrôlée, affection de l’oreille (otospongiose, maladie de Ménière). Le port d’un appareil auditif pour la surdité ou un traitement au cas par cas peut alors remédier au problème. • Mieux vivre avec ses acouphènes… Quand aucune cause n’est découverte (ce qui est assez courant), il existe néanmoins des solutions. Au quotidien, il faut limiter les

excitants (café, thé, soda caféiné, alcool) qui peuvent augmenter la perception des acouphènes. Pour la même raison, on évite de rester dans le silence, en mettant une musique douce en bruit de fond. Comme cette pathologie génère parfois du stress et de l’anxiété, plusieurs techniques sont proposées pour modifier son ressenti : la relaxation, l’hypnose, la thérapie cognitive et comportementale. La sophrologie donne également de bons résultats : elle apprend à détourner son attention pour avoir une moindre perception des troubles. Si cela ne suffit pas, il existe une thérapie acoustique d’habituation, la Tinnitus Retraining Therapy (TRT). Il s’agit d’un appareil masqueur d’acouphènes (à utiliser plusieurs heures par jour) qui diffuse un faible bruit pour moins entendre les sons parasites et finir peu à peu par les oublier. Une amélioration est ressentie dans 50 % des cas au bout de trois mois. Quand il n’y a plus de gêne, on peut arrêter. À savoir : ce « traitement » existe aussi dans votre smartphone avec des applications comme Diapason ou ReSound Relief. ■

Du nouveau sur le magnésium

Se soigner… tout simplement !

Nous en manquons souvent, et cela engendre plus de troubles qu’on ne l’imagine : fatigue, problèmes de sommeil, migraines, pertes de mémoire, déprime, surpoids… Dans Les Bienfaits du magnésium, l’auteur donne des conseils adaptés à chaque situation et dévoile une méthode – l’association avec de la silice – pour mieux assimiler le précieux sel minéral durablement. Les Bienfaits du magnésium, par le Dr Kathy Bonan, Albin Michel, 12,90 €.

Bobos du quotidien, mal de tête, de dos ou de ventre, douleurs des règles, maux ORL… Le Guide des antidouleurs naturels nous livre des tas de ssecrets, validés par la science, pour soulager ttoutes sortes de souffrances. Aliments, ttisanes, applications de divers remèdes, rréflexologie, respiration et relaxation, etc. Une mine de conseils bien expliqués ! U Le Guide des antidouleurs naturels, L par le Dr Yann Rougier et Marie Borrel, p LLeduc.s Éditions, 18 €.

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À LIRE


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Articulations qui font mal : on agit !

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Avaler des médicaments antidouleur pour soulager immédiatement n’est pas la solution, il existe d’autres moyens pour aller mieux à long terme. UNE DOULEUR articulaire cache souvent un rhumatisme très répandu : l’arthrose. Cette affection apparaît lorsque le cartilage recouvrant l’extrémité des os s’amincit et se détériore. Plus rarement, un rhumatisme inflammatoire est en cause. La prescription de médicaments antalgiques ou inflammatoires peut se révéler nécessaire pour apaiser le mal. Mais il ne faut pas se contenter de cela. Il existe des moyens pour préserver ses articulations, les entretenir et éviter ainsi les crises. Malgré une idée préconçue, l’activité physique est bénéfique ! Elle n’abîme pas, elle n’use pas davantage. Elle améliore au contraire la mobilité, en renforçant les muscles qui soutiennent les articulations et réduit leur inflammation. Bouger booste aussi la nutrition du cartilage et en favorise le renouvellement. Qui plus est, l’exercice entraîne une production d’endorphines, les molécules antidouleur par excellence. La marche a tout simplement prouvé ses bienfaits. Autrement, optez pour des activités douces comme le vélo, le stretching, le yoga ou pour des sports aquatiques (natation, aquagym) ; porté par l’eau, le poids du corps force moins sur les articulations. Une pratique régulière est indispensable AFRIQUE MAGAZINE

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pour être efficace. Seule règle d’or à respecter : en cas de sensibilité ou de crise douloureuse, on laisse son articulation au repos, il ne faut pas forcer. Des séances de rééducation chez un kinésithérapeute ou un ergothérapeute pourront vous aider à regagner en mobilité et vous y apprendrez des exercices adaptés. Seconde mesure essentielle : on lutte contre l’excès de poids. Les kilos en trop pèsent sur les hanches, les genoux, ils accroissent la pression sur le cartilage. Un surpoids peut causer de l’arthrose, même chez les jeunes, et aggraver un mal débutant. Par ailleurs, le tissu graisseux favorise la sécrétion de substances inflammatoires, délétères aussi pour toutes les articulations. N’hésitez pas à vous faire guider par un nutritionniste pour avoir un régime adapté et parvenir à le suivre plus facilement. Une alimentation de type méditerranéenne, riche en fruits, légumes et poissons gras, agrémentée d’huile d’olive ou de colza, est conseillée : l’apport en antioxydants et oméga-3 a des vertus anti-inflammatoires protectrices. À l’inverse, les produits industriels riches en sucre et en graisses sont à bannir. ■ 97


LES 20 QUESTIONS

propos recueillis par Fouzia Marouf

Laurence Fishburne

Légende vivante du 7e art, Laurence Fishburne crève les écrans outre-Atlantique depuis plus de quarante ans. D’Apocalypse Now à Boyz N the Hood en passant par Matrix, l’acteur et cinéaste afro-américain est aussi passionné par le continent. Il réalisera prochainement au Maroc L’Alchimiste, adapté du roman de Paulo Coelho.

2. Votre voyage favori ? J’adore Venise, son énergie. nergie. Pour moi, c’est un endroit droit merveilleux. Le fait de vivre sur l’eau me fascine cine totalement. 3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Mexico. Il y a une incroyable qualité de vie comme à Marrakech. D’ailleurs, je trouve que l’architecture, les couleurs, les fleurs et les parfums se ressemblent. 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? L’amour. 5. Un morceau de musique ? « Love Theme », extrait du péplum Ben-Hur. 98

6. Un livre sur une île déserte ? L’Alchimiste de Paulo Coelho. 7. Un film inoubliable ? Lawrence d’Arabie, qui est de loin mon préféré. 8. Votre mot favori ? La vie. Je n’en connais pas de plus beau.

9. Prodigue ou économe ? Prodigue car je suis généreux, j’aime vraiment partager sans mesure avec ceux que j’aime. 10. De jour ou de nuit ? De nuit ! Je dirais même que je vais jusqu’au bout de la nuit. 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup p de fil ou lettre ? Coup de fil. JJ’ai besoin d’entendre la voix des gens. Lorsqu’on parle, on utilise pa le ton, le lang langage du corps, les mots. Qua Quand vous êtes au téléphone, téléphone la voix vous fait tout oublier oubl et vous enveloppe contrairement co aux autr autres modes de communication. com Votre truc pour 12. Vo penser à autre chose, pens tout oublier ? Cela Cel dépend des situations. Parfois, situ je médite, j’écris ou o je m’évade en écoutant de la musique.

14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? J’étais plutôt rêveur, je ne me projetais pas encore. 15. La dernière rencontre qui vous a marqué ? Le photographe JR, qui est un grand artiste, dont j’ai fait la connaissance pendant le 17e festival international du film de Marrakech. On s’apprécie et on a eu un bel échange, très spontané. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? La sincérité. 17. Votre plus beau souvenir ? La naissance de mes quatre enfants, une vraie bénédiction ! 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Au Maroc. J’adore ce pays, je m’y sens chez moi. J’aimerais y acheter une maison. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Elle s’inspirait de la chanson des Beatles, « All you need is love »… Love is all you need ! 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Mon sourire. ■

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AURORE MARÉCHAL/ABACA

1. Votre objet fétiche ? Les masques, qui sont la signature de l’acteur. J’ai commencé ma collection par des masques africains, dénichés au fil de mes voyages. Puis, j’en ai acquis un peu partout : Asie, Amérique latine, Europe…

13. Votre extravagance favorite ? Le hammam.


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