AM 442 Free

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LE CHOIX DE MACKY

Le président Sall ne se représentera pas pour un nouveau mandat en février 2024. Une décision historique qui ouvre un immense champ des possibles politiques.

SÉNÉGAL
N° 442 - JUILLET 2023 L 13888 - 442 H - F: 4,90 € - RD CLIMAT UNE PLANÈTE EN ÉTAT D’URGENCE France 4,90 € – Afrique du Sud 4 9,95 r ands (taxes incl.) – AlgĂ©rie 3 20 D A – Allemagne 6 ,90 € – Autriche 6 ,90 € – Belgique 6 ,90 € – Canada 9,99 $C D OM 6,90 € – Espagne 6 ,90 € – États-Unis 8 ,99 $ – GrĂšce 6 ,90 € – Italie 6 ,90 € – Luxembourg 6 ,90 € – Maroc 3 9 D H – Pays-Bas 6 ,90 € – Portugal cont. 6 ,90 € Royaume-Uni 5,50 ÂŁ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0
CHANGEMENT DE STRATÉGIE
BARTHÉLÉMY
ƒUVRES ET
RUSSIE-AFRIQUE
? PORTFOLIO
TOGUO EN
EN IMAGES BUSINESS
BEN HANIA ET LES FILLES D’OLFA
GEORGES MOMBOYE LA DANSE EN HÉRITAGE
DIVERSIFICATION IMPÉRATIVE CINÉMA KAOUTHER
RYTHMES

Ă©dito

ET PENDANT CE TEMPS-LÀ


En Russie, un mercenaire, ancien cuisinier du Kremlin, que l’on croyait sous contrĂŽle, a failli renverser le rĂ©gime du tsar Vladimir Poutine. Sans vraiment le vouloir d’ailleurs, ses chars et ses camions ont tout simplement pris la route. Le pouvoir central, d’apparence si puissant, omnipotent, paraĂźt lĂ©zardĂ©. Les clans, dit-on, sont en compĂ©tition. Et personne ne peut vraiment dire oĂč va cette trĂšs grande puissance nuclĂ©aire. On ne peut pas exclure qu’un aventurier prenne la main. En Ukraine, la guerre fait rage, civils et soldats meurent tous les jours. Aucune perspective de paix, de sortie de crise, malgrĂ© les risques majeurs de dĂ©rapages et les coĂ»ts pour le monde entier.

Aux États-Unis, un « r Ă©cidiviste », i nculpĂ© quasiment de trahison, empilait les notes « s ecret dĂ©fense » dans les salles de bains en marbre de son palais rococo de Floride
 Milliardaire Ă  ses heures perdues, malgrĂ© une montagne de dette, Donald Trump, 77 ans, teint de peau carotte, caracole en tĂȘte des sondages de la primaire rĂ©publicaine. Et pourrait ĂȘtre Ă  nouveau prĂ©sident de la premiĂšre puissance mondiale. On en frĂ©mit
 S’il ne va pas en prison d’ici-lĂ . Avec des consĂ©quences tout aussi imprĂ©visibles. Face Ă  lui, un homme raisonnable, Joe Biden, d’un Ăąge encore plus respectable. 80 ans
 Le locataire de la Maison Blanche paraĂźt un peu fragile tout de mĂȘme. Il trĂ©buche et bugge de temps en temps. Des dizaines de millions de jeunes AmĂ©ricains sont perdus, dĂ©semparĂ©s. Ce n’est pas enthousiasmant, mais c’est lui, Old Joe, le rempart contre le chaos. L’élection prĂ©sidentielle est prĂ©vue pour novembre 2024. Dans prĂšs de quinze mois. Une éternité 

Les mĂȘmes États-Unis sont engagĂ©s dans un bras de fer assumĂ© avec la Chine. Beijing est devenu l’adversaire stratĂ©gique, Ă©conomique, politique majeure. Les États-Unis veulent rester maĂźtres du systĂšme, maĂźtres du monde. En experts, ils reconnaissent le talent chinois, l’impact d’un pays qui en moins d’un demisiĂšcle est passĂ© du sous-dĂ©veloppement au statut de challenger numĂ©ro 1. CĂŽtĂ© CitĂ© interdite, on s’arc-boute sur l’avenir de TaĂŻwan, devenu le marqueur historique et lĂ©gitimant du Parti communiste. Et l’ArmĂ©e rouge montre ses muscles dans toute la rĂ©gion, irritant des nations voisines, comme le ViĂȘt Nam, les Philippines,

l ’I ndonĂ©sie, l’Australie
 Le conflit est possible. Mais surtout la rivalitĂ© États-Unis/Chine rend toute discussion globale quasiment impossible. Comment parler de dĂ©veloppement durable et de changement climatique sans une coopĂ©ration minimale entre les deux pays les plus importants (et les plus pollueurs) du monde ?

E n France, un motard de la police tire Ă  bout portant sur Nahel, un gamin de 17 ans, lors « d ’un refus d’obtempĂ©rer ». Les images sont bouleversantes. Des soi-disant penseurs de droite et d’extrĂȘme droite trouvent pourtant toutes sortes de raisons qui justifient l’inacceptable. ÉcƓurant. Les extrĂȘmes gauches alimentent les braises. Irresponsables. Les banlieues se soulĂšvent, des nuits de folie vengeresse, d’une « violence rare », avec leurs cortĂšges de destructions, de pillages, d’agressions. C’est stupĂ©fiant, littĂ©ralement. La France est encore un État de droit. La justice fonctionne. Il y a une enquĂȘte sur le policier impliquĂ©. Mais la France refuse aussi de voir le malheur des citĂ©s pĂ©riurbaines, gangrenĂ©es par les trafics, de comprendre Ă©galement Ă  quel point elle change, Ă  quel point elle devient une nation multiraciale, multiculturelle, multireligieuse. Le dĂ©ni est puissant. Et l’extrĂȘme droite monte tranquillement dans les sondages. L’élection prĂ©sidentielle est dans quatre ans. Et entre-temps, il y a les Jeux olympiques de Paris. Ça va swinguer


En IsraĂ«l, un gouvernement d’ultradroite fait sa loi, dans le silence gĂȘnĂ© du reste du monde. La nouvelle majoritĂ©, menĂ©e par l’inoxydable Benjamin Netanyahou, lui-mĂȘme inculpĂ© depuis la nuit des temps dans un certain nombre de dossiers de corruption, veut mener tambour battant sa rĂ©volution identitaire et religieuse. Il faut « Ă©teindre » la Cour suprĂȘme, installer la primautĂ© du sacrĂ©. Et poursuivre la colonisation, coĂ»te que coĂ»te et au plus vite. En Cisjordanie, la rĂ©pression s’accentue, la situation est incandescente et les civils, comme Ă  JĂ©nine, payent le prix de la guerre. L’armĂ©e dĂ©ploie tout son arsenal face Ă  de jeunes militants qui n’ont plus rien Ă  perdre. La perspective de deux États sur une mĂȘme terre n’a jamais Ă©tĂ© aussi lointaine, aussi inatteignable. Celle d’un seul État, sous rĂ©gime d’apartheid, n’a jamais Ă©tĂ© aussi proche. Le dialogue avec les États arabes dans le cadre des accords d’Abraham est au point mort. Le processus de paix est une fiction
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AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 3

3 ÉDITO

Et pendant ce temps-là
 par Zyad Limam

6 ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Ekiti Sound : La force de la musique

24 PARCOURS Sabine Pakora par Astrid Krivian

TEMPS FORTS

28 Sénégal : Une histoire en marche par Zyad Limam et Cédric Gouverneur

36 PlanĂšte en Ă©tat d’urgence par Zyad Limam

46 Changement de stratégie ? par Emmanuelle Pontié

52 Kaouther Ben Hania : « Raconter nos histoires de l’intĂ©rieur » par Astrid Krivian

60 Xavier Le Clerc : La rage créatrice par Astrid Krivian

P.06 P.36 P.52

66 Georges Momboye : HĂ©riter et transmettre par Philippe Di Nacera

Afrique Magazine est interdit de diffusion en AlgĂ©rie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) Ă  exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pĂ©nalise nos lecteurs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algĂ©riens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

4 AF RIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023
DRXINHUA/ICON SPORTPHILIPPE QUAISSE/PASCO
N°442 JUILLET 2023
27 C’EST COMMENT ? Climat, c’est quoi ? par Emmanuelle PontiĂ© 44 CE QUE J’AI APPRISPierre-Édouard DĂ©cimus par Astrid Krivian 72 PORTFOLIO Éclectique BarthĂ©lĂ©my Toguo par Emmanuelle PontiĂ© 88 VIVRE MIEUX L’activitĂ© physique, c’est la santĂ© ! par Annick Beaucousin 90 VINGT QUESTIONS À
 Fredy Massamba par Astrid Krivian

BUSINESS

78 Diversification impérative

82 Estelle Brack : « Le commerce en dollars n’est pas Ă  l’avantage des pays Ă©mergents »

84 En Namibie, l’hydrogùne vert devient concret

85 Eau potable : La tech israélienne débarque

86 Le Kenya au régime des lourdes taxes

87 Ashok Leyland s’implante en CĂŽte d’Ivoire par CĂ©dric Gouverneur

P.78

FONDÉ EN 1983 (39e ANNÉE)

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Zyad Limam

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Jean-Marie Chazeau, Philippe Di Nacera, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

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PHOTOS DE COUVERTURE : CARMEN ABD ALI/THE NEW YORK TIMES/REDUXRÉA - JIHANE ZORKOT - PHILIPPE QUAISSE/PASCO

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

6 AF RIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023

SOUND

La force de la musique

BasĂ© ENTRE LE NIGERIA ET L’ANGLETERRE, Leke Awoyinka mĂȘle rap, Ă©lectro et afro-juju dans son Ă©patant second album. Rencontre avec une Ăąme en or.

AM : En quoi le Nigeria vous inspire-t-il ?

Ekiti Sound : Je trouve beaucoup d’inspiration dans les musiques fuji, apala ou highlife pour les ambiances plus folk ou les Ă©lĂ©ments percussifs. Mais j’aime Ă©galement les vastes expĂ©rimentations de l’Afrique de l’Ouest des annĂ©es 1970, des formations comme Ofege ou Blo
 Le Nigeria est un pays bĂ©ni par une vaste gamme de sons, qu’ils proviennent d’un groupe de l’Église pentecĂŽtiste ou de l’intense street-pop, forte de producteurs aussi intĂ©ressants que Rexxie. Quelle Ă©tait l’ambition artistique de ce nouvel opus ?

Souhaitant que l’on me connaisse mieux, j’ai davantage parlĂ© et partagĂ©. J’avais envie d’étreindre mes auditeurs avec ma musique, de proposer un disque plus ambitieux mais avec un groove accessible. Bref, j’ai voulu oser sans choquer. Tout en restant fidĂšle aux piliers d’Ekiti Sound (culture, amour, identitĂ©, famille), et sans compromis sur la notion de fidĂ©litĂ©. Il s’agissait de repousser les limites de l’électronique africaine, et je crois qu’avec le format Dolby Atmos de l’album, nous avons crĂ©Ă© une nouvelle expĂ©rience sonore.

Pouvez-vous nous expliquer cette trĂšs belle pochette ?

Quand j’étais enfant, j’étais passionnĂ© par les missions spatiales, je lisais tout Ă  ce sujet ! Au sein de la sonde Voyager, chacun emportait avec lui une « capsule temporelle » unique. Le message Ă©tait portĂ© par un enregistrement phonographique, gravĂ© sur un disque en cuivre plaquĂ© or contenant des sons et des images sĂ©lectionnĂ©s pour dĂ©crire la diversitĂ© de la vie et de la culture sur Terre. Ce dont l’album s’est inspirĂ©, c’est du monde qui m’entoure. Je trouve du rĂ©confort dans les musĂ©es, les reliques et l’analogique, mais je suis fascinĂ© par le progrĂšs et le futur. Cette contradiction se retrouve sur la pochette, qui reprĂ©sente une piĂšce d’or, le mĂ©tal le plus prĂ©cieux – car nous avons tous de la valeur –, qui incarne par ailleurs l’esprit du hip-hop. Ce qui nous renvoie au titre du disque, Drum Money !

Parce que nous sommes tous beaux et uniques, et une fois que nous puisons dans notre horloge interne ou nos Ăąmes, nous en extrayons de l’or
 Il n’est pas question de richesse matĂ©rielle, mais de sentiments. Pour cela, le roulement de tambour d’un battement de cƓur, l’instinct intrinsĂšque du rythme, l’amour des sons de notre pays et l’accomplissement du voyage suffisent. ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont

AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 7
EKITI
INTERVIEW DJ BREEZEDR
EKITI SOUND, Drum Money, Crammed Discs.

CONCERTS « MÉDITERRANÉE », Festival d’Aix-en-Provence, Rabat (France), du 4 au 24 juillet. festival-aix.com

SOUNDS

À Ă©couter maintenant !

Meshell Ndegeocello

The Omnichord

Real Book, Blue Note

FESTIVAL

DE RAVEL À GAMAL ABDEL-RAHIM

SituĂ©e aux portes de la MĂ©diterranĂ©e, la VILLE D’AIX-EN-PROVENCE valorise la crĂ©ativitĂ©

DE WAJDI RIAHI, pianiste d’exception, qui combine son hĂ©ritage tunisien et sa passion pour le jazz, Ă  Walid Ben Selim, chanteur et compositeur originaire de Casablanca, en passant par le jeune tromboniste d’origine libanaise Robinson Khoury, la programmation des concerts « MĂ©diterranĂ©e », essentiellement instrumentale, dĂ©ploie une grande variĂ©tĂ© de dispositifs et de langages. Et donne la voix aux cultures bordant la mer, tout comme aux artistes qui, aujourd’hui, en sillonnent les rives.

À l’image des Gharbi Twins, trio tunisien de cordes (oud, violon, qanĂ»n), stars au Maghreb et au Moyen-Orient : ambassadeurs des traditions musicales d’un pays dans lequel on apprend et compose aussi en famille, ils se produiront le 21 juillet Ă  l’HĂŽtel Maynier d’OppĂšde. Soit le lendemain de l’Orchestre des jeunes de la MĂ©diterranĂ©e, oĂč plus d’une centaine de jeunes instrumentistes, auditionnĂ©s dans les conservatoires du bassin, seront menĂ©s par le chef et compositeur britannique Duncan Ward, au Grand ThĂ©Ăątre de Provence. ■ Catherine Faye

DĂ©jĂ  trois dĂ©cennies d’une carriĂšre irrĂ©prochable et en perpĂ©tuelle rĂ©invention : l’autrice-compositrice et multi-instrumentiste amĂ©ricaine explore la musique qu’elle Ă©coutait enfant dans un merveilleux nouvel album foisonnant, The Omnichord Real Book. Autour d’elle, des complices tels que Joan Wasser (Joan As Police Woman), Jason Moran, Jeff Parker, ou encore Thandiswa Mazwai. Variations jazz et trouvailles sonores


Kassa Overall Animals, Warp

Ça balance pas mal Ă  Seattle, oĂč rĂ©side ce virtuose batteur, rappeur et songwriter accompli, formĂ© auprĂšs de grands noms du jazz, et dont les propositions tĂ©moignent d’une hybriditĂ© sonore allergique aux Ă©tiquettes. Convoquant hip-hop, post-rock et mĂȘme bossa-nova, cet Animals qui interroge le paradigme humaniste invite, entre autres, Laura Mvula, Lil B, le groupe Shabazz Palaces, le trompettiste Theo Croker


Fredy Massamba

Trancestral, Hangaa

Music/RFI Talent

EnregistrĂ© entre YaoundĂ©, Bruxelles, Paris et MontrĂ©al, le nouvel album de l’artiste congolais [voir son « 20 Questions » en p. 90] passe avec souplesse de la rumba au hip-hop en passant par le jazz, sans oublier les traditions de son pays natal et ses racines musicales : chantĂ© en lingala, kituba ou encore kikongo, le bien nommĂ© Transcestral rĂ©sonne de la belle Ăąme d’un artiste aussi bien influencĂ© par Manu Dibango que par Tiken Jah Fakoly. ■ S.R.

ON EN PARLE 8 AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023
❶ ❷ ❞ DR (4)
musicale de son ancrage territorial.

CINÉMA

MÈRE COURAGE
 ET ABUSIVE

Une Tunisienne espĂšre toujours le retour de ses filles radicalisĂ©es et emprisonnĂ©es en Lybie. Dans ce documentaire hybride, Olfa Hamrouni raconte AUX CÔTÉS DE SON DOUBLE incarnĂ© par Hend Sabri les violences qu’elle a subies
 et infligĂ©es.

« JE DÉTESTE LES FILLES ! » lance Olfa Hamrouni au dĂ©but de ce vrai-faux documentaire. Elle en a pourtant eu quatre, dont deux sont enfermĂ©es depuis des annĂ©es dans une prison libyenne aprĂšs avoir cĂ©dĂ© aux sirĂšnes toxiques de l’État islamique
 Son histoire avait Ă©tĂ© largement mĂ©diatisĂ©e en 2016 lorsqu’elle avait accusĂ© le gouvernement tunisien de ne rien faire pour les rapatrier. En vain. Elle a donc acceptĂ© de se raconter devant la camĂ©ra de Kaouther Ben Hania [voir son interview en pp. 52-59], dans l’espoir de relancer son combat, mais aussi de comprendre comment sa famille en est arrivĂ©e là
 Dans son premier long-mĂ©trage, Le Challah de Tunis (2014), la rĂ©alisatrice – qui a depuis Ă©tĂ© nommĂ©e aux Oscars en 2021 pour L’homme qui a vendu sa peau – mĂ©langeait dĂ©jĂ  fiction et rĂ©alitĂ© en enquĂȘtant sur un agresseur de femmes. Ici, elle a fait appel Ă  de jeunes comĂ©diennes pour incarner les deux absentes aux cĂŽtĂ©s de leurs sƓurs, mais aussi de Hend Sabri, qui joue Olfa dans les situations les plus traumatiques (violente premiĂšre nuit de noces, disputes, coups
), reconstituĂ©es pour les camĂ©ras. Sont aussi filmĂ©es les discussions sur le tournage entre Olfa et son double, et

entre les quatre filles et leur mĂšre, alternant scĂšnes Ă©crites et improvisations. Superbement mis en lumiĂšre et en musique, ce dispositif hybride mĂ©langeant thĂ©Ăątre, cinĂ©ma et thĂ©rapie embarque le spectateur dans la recherche d’une vĂ©ritĂ© difficile. Car Olfa le reconnaĂźt : victime de la violence de son mari (incarnĂ© par Majd Mastoura [voir son interview en pp. 58-59], qui joue avec justesse tous les rĂŽles masculins), elle l’avait Ă©galement Ă©tĂ© de celle de ses parents, avant de devenir bourreau Ă  son tour et de battre ses filles sous tous les prĂ©textes. Peu Ă  peu, pour les adolescentes, le hijab est devenu une protection, puis le niqab une solution, par jeu, par mode, puis par conviction pour deux d’entre elles, sous l’emprise d’un imam salafiste : « Un petit Daech Ă  la maison », raconte l’une d’elles en riant. Car on sourit aussi. Et avec cette mise en scĂšne pourtant artificielle, ce film radical ne triche jamais. « J’ai eu trop peur pour mes filles, je les ai perdues », constate Olfa. Courageux et captivant. ■ Jean-Marie Chazeau

LES FILLES D’OLFA (Tunisie-France), de Kaouther Ben Hania. Avec Hend Sabri, Olfa Hamrouni, Majd Mastoura. En salles.

AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 9 TANIT FILMS

L’AVENTURIER DU FILM PERDU

Un

IL Y A SOIXANTE-DIX ANS Ă©tait tournĂ© le tout premier film de fiction en Afrique noire francophone, quelques mois avant celui retenu par les historiens (Afrique sur Seine, de Paulin Soumanou Vieyra) : un moyen-mĂ©trage rĂ©alisĂ© en GuinĂ©e par Mamadou TourĂ©, Mouramani, que personne n’a vu depuis longtemps. Le rĂ©alisateur guinĂ©en Thierno Souleymane Diallo est parti Ă  sa recherche en se filmant, traversant son pays les pieds nus (pour montrer qu’« on n’a pas d’argent pour acheter des chaussures, ni faire des films aprĂšs des Ă©tudes de cinĂ©ma »). On pĂ©nĂštre dans des salles noires en ruine, dans un marchĂ© oĂč l’on trouve des DVD indiens en version soussou
 Une enquĂȘte passionnante qui en dit long sur l’histoire d’un pays autrefois Ă  l’avant-garde cinĂ©phile. Qui fait preuve aussi d’un optimisme particuliĂšrement crĂ©atif. ■ J.-M.C.

AU CIMETIÈRE DE LA PELLICULE (Guinée-France), de Thierno Souleymane Diallo. En salles.

LE PLUS BEL ÂGE

RĂ©compensĂ© au dernier Festival d’AngoulĂȘme pour l’ensemble de son Ɠuvre, RIAD SATTOUF pose dans cette sĂ©rie un regard plein de justesse sur la fin de l’adolescence.

L’UN DE SES RÊVES ? Ouvrir la « derniĂšre librairie du monde ». À 17 ans, Esther, dont l’auteur de L’Arabe du futur chronique le quotidien depuis ses 10 ans, aborde maintenant l’ñge adulte. Le huitiĂšme et avant-dernier tome de la sĂ©rie (vendue Ă  plus de 1,5 million d’exemplaires pour les sept premiers) brosse un portrait intime de l’ado brune au long nez, avec tout ce qui fait de cette phase de l’existence l’une des Ă©tapes les plus troublantes : vague Ă  l’ñme, avenir incertain, dĂ©sirs flous
 Chaque planche dĂ©peint, avec authenticitĂ© et drĂŽlerie, les rĂ©flexions et le quotidien de la jeunesse contemporaine, Ă  travers des personnages souvent croquĂ©s en noir et blanc. Ici ou lĂ , des couleurs primaires se rĂ©pandent sur les pages, venant intensifier une Ă©motion, une expression : jaune et bleu, par exemple, lorsqu’Esther nous explique sa technique de relaxation mentale (« DĂ©jĂ , j’imagine que je suis en vacances en Bretagne, mais une Bretagne avec du rĂ©chauffement climatique »). Le ton est donnĂ©. ■ C.F.

RIAD SATTOUF, Les Cahiers d’Esther : Histoire de mes 17 ans, Tome 8, Allary Éditions, 56 pages, 17,90 €.

ON EN PARLE 10 AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 DR (3)
RICHARD DUMAS
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BD
DOCU
cinĂ©aste guinĂ©en part Ă  la recherche d’un moyen-mĂ©trage africain OUBLIÉ.

BLICK BASSY Fables

aquatiques

Son

C’EST À MINTABA, en pays bassa, au Cameroun, que Blick Bassy a vu le jour, avant de grandir entre YaoundĂ© et son village natal – oĂč il noue un lien trĂšs fort avec la nature comme la musique. AprĂšs avoir rencontrĂ© le public avec son groupe Macase, il officie en solo depuis 2009, construisant une trame narrative musicale aux multiples chapitres, convoquant le passĂ© d’esclavagisme du continent africain, le bluesman amĂ©ricain Skip James, ou encore le rĂ©sistant anticolonialiste camerounais Ruben Um Nyobe. Sans oublier de signer un trĂšs beau roman, Le Moabi cinĂ©ma
 Aujourd’hui, il signe un MĂĄdibĂĄ d’une grande Ă©pure mais Ă©motionnellement saisissant, aux arrangements imaginĂ©s avec le musicien français Ă©lectro-pop Malik Djoudi. EntourĂ© de cordes, de cuivres et de claviers, il y raconte, en bassa, le pouvoir de l’eau, si vitale, qui peut terriblement manquer. TantĂŽt chat, tantĂŽt fleur ou oiseau, Blick Bassy confirme ĂȘtre un magnifique conteur. ■ S.R.

GABRIEL DIADR
MUSIQUE
CINQUIÈME ALBUM met Ă  l’honneur la langue bassa, tout en Ă©lectronisant Ă  bon escient sa folk acoustique. Superbe !
BLICK BASSY, Mådibå, InFiné/ Othantiq AA.

AVENTURES

LES PASSAGERS DU TEMPS

En tuk-tuk au Maroc ou Ă  cheval dans le mĂ©tro de New York, INDIANA JONES retrouve une certaine jeunesse Ă  prĂšs de 80 ans, dans le DERNIER VOLET DE LA SAGA


IL Y A QUINZE ANS, les trucages numĂ©riques et la surenchĂšre scĂ©naristique d’Indiana Jones et le Royaume du crĂąne de cristal avaient assommĂ© le public et la critique : explosion atomique, invasion d’extraterrestres, un fils incarnĂ© par Shia LaBeouf
 Cette fois-ci, Indy retrouve ses vieux ennemis, les nazis, dans un prologue haletant, en pleine dĂ©bĂącle allemande, Harrison Ford apparaissant avec un visage liftĂ© par de subtils effets spĂ©ciaux qui lui donnent l’ñge de son personnage en 1944. Vingt-cinq ans plus tard, on le voit prendre sa retraite de professeur d’archĂ©ologie Ă  New York avec son visage d’aujourd’hui (79 ans au moment du tournage), amer et rattrapĂ© par son passĂ© via l’irruption d’une filleule trĂšs sportive, vĂ©nale et peu amĂšne Ă  l’égard de son parrain. Ils se retrouvent pourtant au Maroc, sur les traces d’une moitiĂ© d’antiquitĂ© conçue par ArchimĂšde, permettant de voyager dans le temps pour y changer le cours de l’histoire, et convoitĂ©e par un

scientifique hitlĂ©rien (Mads Mikkelsen), reconverti en responsable du programme Apollo ! Avec l’aide d’un ado (incarnĂ© par un jeune Français d’origine mauricienne, Ethann Isidore), ils vont aller de bagarres en poursuites Ă©piques dans les rues de Tanger (tournĂ©es dans la mĂ©dina de FĂšs) et en MĂ©diterranĂ©e. Loin des polĂ©miques sur le comportement colonial d’Indiana Jones, le rĂ©alisateur James Mangold, qui a pris le relais de Steven Spielberg pour cet ultime Ă©pisode, a su moderniser la franchise en insufflant une rĂ©flexion sur le temps. Et en conservant des personnages rĂ©currents comme Sallah, l’ami Ă©gyptien, toujours incarnĂ© par l’acteur gallois John Rhys-Davies qui, il y a quelques annĂ©es, se fĂ©licitait « d’incarner enfin un personnage arabe positif dans la culture populaire occidentale » ! ■ J.-M.C. INDIANA JONES ET LE CADRAN DE LA DESTINÉE (États-Unis), de James Mangold. Avec Harrison Ford, Phoebe Waller-Bridge, Ethann Isidore. En salles.

ON EN PARLE 12 AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 JONATHAN OLLEY/LUCASFILM LTD
Harrison Ford et Phoebe Waller-Bridge incarnent le célÚbre aventurier et sa filleule.

AUTRES REGARDS

À Bordeaux, KAPWANI

KIWANGA, lauréate du prestigieux prix Marcel Duchamp 2020, invite à la réflexion.

JEUX DE TRANSPARENCE, asymĂ©trie, dĂ©gradĂ©s de couleurs, voilages ou bulles de verre
 Les nouvelles installations de Kapwani Kiwanga, exposĂ©es au CAPC musĂ©e d’art contemporain de Bordeaux, proposent une lecture du monde Ă  la fois lucide et onirique, en dĂ©construisant les rĂ©cits originels. Ce projet inĂ©dit a Ă©tĂ© pensĂ© en relation avec l’histoire du lieu, l’EntrepĂŽt lainĂ© (autrefois appelĂ© EntrepĂŽt rĂ©el des denrĂ©es coloniales), destinĂ© au xixe siĂšcle au stockage sous douane des marchandises en provenance des colonies, avant leur expĂ©dition Ă  travers l’Europe. Un espace tout en vastes volumes, pierres blanches et arcades, devenu en 1973 un lieu de crĂ©ation contemporaine, oĂč la lĂ©gĂšretĂ© et la fluiditĂ© des crĂ©ations de l’artiste canadienne, d’origine tanzanienne, viennent dĂ©construire les rĂ©cits qui sous-tendent la gĂ©opolitique contemporaine et les asymĂ©tries de pouvoir. Une Ɠuvre engagĂ©e, mise en lumiĂšre Ă  la derniĂšre Biennale d’art contemporain de Venise, au New Museum of Contemporary Art, Ă  New York, Ă  la Haus der Kunst, Ă  Munich, ou encore au Museum of Contemporary Art Toronto. ■ C.F.

« KAPWANI KIWANGA, RETENUE », CAPC musĂ©e d’art contemporain de Bordeaux (France), jusqu’au 7 janvier 2024. capc-bordeaux.fr

SEBASTIANO PELLION DI PERSANO
EXPOSITION
Vue de l’exposition « The Milk of Dreams » Ă  la Biennale de Venise 2022.

JEAN-CHRISTOPHE BERLIN A BON DOS !

60 exercices pour prévenir et soulager le « MAL DU SIÈCLE ».

JEAN-CHRISTOPHE BERLIN est un Ă©tonnant personnage. KinĂ©sithĂ©rapeute de renom, il exerce Ă  Paris, oĂč il reçoit Ă  la fois une clientĂšle de quartier et aussi quelques VIP du monde des arts, du business et de la politique. Ancien rugbyman au Stade français, il en a gardĂ© la carrure, la jovialitĂ© et le goĂ»t des bonnes choses. DiplĂŽmĂ© de mĂ©decine du sport et de pathologies du rugby, il s’est impliquĂ© fortement sur la question des accidents, en particulier sur les joueurs les plus jeunes en milieu scolaire et universitaire. Il a aussi vĂ©cu en Afrique, Ă  Dakar, pour son service militaire Ă  l’hĂŽpital gĂ©nĂ©ral, une aventure de vie dont il s’est inspirĂ© pour son roman Babacar a disparu, paru en 2020 aux Ă©ditions SĂ©maphore. SpĂ©cialiste du dos, Jean-Christophe Berlin est l’auteur d’une bonne quinzaine d’ouvrages sur le « mal du siĂšcle » : la sĂ©dentaritĂ©, l’absence d’exercice physique, les mauvaises postures esquintent doucement mais sĂ»rement toute notre structure dorsale, sans parler des atteintes plus graves, comme l’arthrose lombaire ou la hernie discale. Dans son nouveau livre, Jean-Christophe Berlin propose une approche simple, pratique pour prĂ©venir et soulager les douleurs, renforcer la structure articulaire et musculaire : 60 exercices qui sont construits autour de sa mĂ©thode A4R (assouplissement, relĂąchement musculaire, renforcement musculaire, respiration, retour au calme). Et quelques bons conseils aussi pour s’adapter, Ă  long terme, aux situations courantes : au volant, devant son ordinateur, en passant l’aspirateur
 Une lecture indispensable et facile pour rester « debout » et en forme ! ■ Zyad Limam

JEAN-CHRISTOPHE BERLIN, Exercices pour prĂ©venir et soulager le mal de dos, Le Courrier du livre, 192 pages, 18 €

Babacar a disparu, Le SĂ©maphore, 202 pages, 20 €

RÉCIT

ÉRIC MUKENDI, Mes deux papas, Gallimard, 192 pages,

« DITES-MOI MADAME, pourquoi je dois m’expliquer devant vous lĂ . Si j’étais un petit Blanc, je n’aurais qu’à raconter. Je vous le jure. » D’entrĂ©e, Éric Mukendi, nĂ© en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo et professeur de français Ă  Rouen, afïŹche le dilemme de son personnage : la langue est pour le jeune homme un enjeu social. Les tournures et les mots n’ayant ni la mĂȘme saveur, ni la mĂȘme portĂ©e, selon la sphĂšre d’oĂč ils viennent. Depuis son arrivĂ©e en France Ă  7 ans, prĂšs de quatre dĂ©cennies se sont Ă©coulĂ©es, mais l’écrivain n’a pas oubliĂ© ses premiers pas en Europe. D’oĂč une exploration sans complaisance et pleine de piquant de l’entre-deux mĂ©tissĂ© dans lequel le hĂ©ros de son rĂ©cit Ă©volue. Un tĂ©lescopage entre deux mondes, deux cultures, deux modes de vie, deux langues. Et deux papas. Car en rĂ©alitĂ©, celui qui l’élĂšve en banlieue parisienne est son oncle. Et celui qui vient un jour frapper Ă  la porte n’est autre que son pĂšre biologique
 Cruel dilemme. ■ C.F.

ON EN PARLE AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023
SANTÉ FRANCESCA MANTOVANI/GALLIMARDDR
18,50 €
Double « je »
Un premier roman sur les heurs et les malheurs de l’immigration, portĂ© par le TALENT DE CONTEUR d’Éric Mukendi.

LITTÉRATURE

UN PAYS EN COLÈRE

D’ENTRÉE DE JEU, François-Henri DĂ©sĂ©rable cite en exergue son mentor, Nicolas Bouvier, avant de nous emmener sur ses traces, en Iran. Soixante-dix ans aprĂšs le voyage effectuĂ© de la Yougoslavie Ă  l’Afghanistan de l’écrivain suisse (L’Usage du monde), l’auteur de Mon maĂźtre et mon vainqueur (Grand prix du roman de l’AcadĂ©mie française 2021) relĂšve le dĂ©fi de traverser la rĂ©publique islamique, au plus fort de la rĂ©pression contre les manifestations qui suivent le dĂ©cĂšs de Mahsa Amini. ArrĂȘtĂ©e en septembre 2022 par la police des mƓurs pour « port de vĂȘtements inappropriĂ©s », quelques semaines avant l’arrivĂ©e de DĂ©sĂ©rable, cette jeune femme est morte des suites d’une hĂ©morragie cĂ©rĂ©brale, causĂ©e par des violences policiĂšres. MalgrĂ© les mises en garde alarmistes du ministĂšre des

Affaires Ă©trangĂšres, l’ancien joueur de hockey sur glace professionnel – qui a Ă©crit son premier livre Ă  25 ans et dĂ©cidĂ© de se consacrer Ă  la littĂ©rature –a quand mĂȘme dĂ©cidĂ© de partir prendre le pouls d’un pays aux abois. De TĂ©hĂ©ran aux confins du Baloutchistan, sa narration s’appuie sur la grande tradition du rĂ©cit de voyage, au fil de rencontres, d’anecdotes, d’observations, du quotidien comme du contexte politique. Parti dans l’esprit de Bouvier (« le programme Ă©tait vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de partir »), il est entrĂ© en contact avec un peuple meurtri et rĂ©voltĂ©,

dont l’écrasante majoritĂ© souhaite la fin du systĂšme en place. « J’espĂšre seulement vivre assez longtemps pour voir tomber ce rĂ©gime, pour voir le jour oĂč l’Iran qui a rĂ©primĂ© devra soutenir le regard de l’Iran qu’il aura rĂ©primĂ© », lui confie son guide dans la plus grande mosquĂ©e sunnite du pays, Makki, Ă  Zahedan. C’est dans cette mĂȘme ville, autre chaudron de la contestation, que plus de 90 manifestants ont Ă©tĂ© tuĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ©, lors du « vendredi sanglant », le 30 septembre dernier. Entre littĂ©rature et reportage, le rĂ©cit de l’écrivain français prĂȘte ainsi la main Ă  une rĂ©volution en marche. Femmes iraniennes en tĂȘte. ■ C.F.

FRANÇOIS-HENRI DÉSÉRABLE,

L’Usure d’un monde : Une traversĂ©e de l’Iran, Gallimard, 160 pages, 16 €

CLAIRE DESERABLE
Dans son dernier ouvrage, L’Usure d’un monde, une traversĂ©e de l’Iran, FRANÇOIS-HENRI DÉSÉRABLE rend hommage Ă  une population en rĂ©volte.

ÉVÉNEMENT

À VENISE, L’AFRIQUE POUR REBÂTIR LE MONDE

TournĂ©e vers un futur durable et dĂ©colonisĂ©, la BIENNALE D’ARCHITECTURE exhorte Ă  changer de perspective.

LE 18 MAI DERNIER, c’est sous un ciel changeant que Venise a accueilli sa Biennale d’architecture, rendez-vous incontournable pour tous ceux qui s’interrogent sur l’évolution et l’impact de cet art. IntitulĂ©e « Le Laboratoire du futur », cette 18e Ă©dition est particuliĂšre, puisque, pour la premiĂšre fois depuis sa crĂ©ation en 1980, les projecteurs sont braquĂ©s sur les pratiques des professionnels issus du continent et de ses diasporas : prĂšs des trois quarts des 89 participants, sĂ©lectionnĂ©s par la premiĂšre commissaire noire Lesley Lokko, sont ainsi d’origine africaine. Parmi eux, on trouve les bĂątisseurs, comme David Adjaye, Francis KĂ©rĂ©, Koffi et DiabatĂ©, ou encore Mariam Kamara, mais aussi des noms mĂ©connus, repĂ©rĂ©s autour du globe par l’équipe de la commissaire ghanĂ©enne et Ă©cossaise.

Être Ă  Venise, avec ses ponts, ses ruelles denses d’histoire et sa lagune, est pour beaucoup un rĂȘve devenu rĂ©alitĂ©. Fiers et reconnaissants de l’invitation, ils Ă©changent de maniĂšre enthousiaste avec les visiteurs et la souriante et affairĂ©e Lesley Lokko. Entre deux rencontres, celle-ci assiste Ă  l’inauguration de la magnifique exposition « Tropical Modernism: Architecture and Power in West Africa », prĂ©sentĂ©e par le Victoria and Albert Museum, ou chaperonne les visites guidĂ©es dans les grandioses halles de l’Arsenal et les pavillons des Giardini. Ce sont notamment dans ces deux lieux historiques de la ville que s’articule cette immense expo internationale diffuse, qui brouille les frontiĂšres entre art et architecture. C’est le cas pour les pavillons nationaux, comme celui de la Grande-Bretagne, mention spĂ©ciale du jury, mais aussi pour les jeunes professionnels invitĂ©s :

ON EN PARLE 16 AF RIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023
ANDREA AVEZÙ/COURTESY OF LA BIENNALE DI VENEZIALUISA NANNIPEIRI
Ci-dessus, la commissaire Lesley Lokko. Ci-dessous, Muluku: 6 Bone Temple, de Yussef Agbo-Ola, invité par la Grande-Bretagne.

en mĂ©langeant matiĂšres et technologies (vidĂ©o, dessin, rĂ©alitĂ© augmentĂ©e, etc.), ils prĂ©sentent leurs rĂ©flexions en faveur d’une architecture dĂ©carbonisĂ©e et dĂ©colonisĂ©e, qui intĂšgre le contexte historique-social et les besoins des usagers. Certains petits cabinets ont privilĂ©giĂ© une approche trĂšs conceptuelle, quand ils auraient pu mettre en avant leurs projets dĂ©jĂ  sortis du sol, mais l’ensemble des participants a globalement su articuler une proposition diffĂ©rente. Des voix jusque-lĂ  considĂ©rĂ©es comme marginales ont dĂ©sormais toute leur place sur la scĂšne vĂ©nitienne.

MĂȘme s’il les dĂ©couvre Ă  peine, le milieu trĂšs occidentalisĂ© de l’architecture est enfin prĂȘt Ă  les entendre. C’est le cas pour le NigĂ©rian Demas Nwoko, 88 ans, venu retirer un Lion d’or rĂ©compensant sa carriĂšre et accueilli par des cris et des applaudissements Ă©mus. Ce prix et la petite exposition qui lui a Ă©tĂ© dĂ©diĂ©e au cƓur des Giardini visent Ă  mieux faire connaĂźtre ce prĂ©curseur de l’architecture africaine durable, ancrĂ©e dans les traditions locales dĂšs les annĂ©es 1970. Tout comme les travaux des grands bĂątisseurs dans la section « Force majeure » dĂ©montrent que d’autres modĂšles que celui du « starchitecte » fonctionnent
 Relançant ainsi l’idĂ©e d’un art plus collectif, rĂ©solument tournĂ© vers le futur, et au service des personnes et de la planĂšte. ■ Luisa

AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 17
Ci-dessus et Ă  droite, l’exposition consacrĂ©e Ă  Demas Nwoko, rĂ©compensĂ© d’un Lion d’or pour sa carriĂšre. Le projet, tout en bois, de David Adjaye.
XXXXXXXXXXXXXX ANDREA AVEZÙ/COURTESY OF LA BIENNALE DI VENEZIAMATTEO DE MAYDA/ COURTESY OF LA BIENNALE DI VENEZIA (2)

COMÉDIE

FAUX GUN ET VRAI GAME

Un FEEL-GOOD MOVIE dans une banlieue parisienne : quand des mĂšres tentent de

LES MÉDIAS les avaient surnommĂ©s « les bĂ©bĂ©s rappeurs » : en 2015, une vidĂ©o virale de gangsta rap montrait des Ă©coliers brandissant une arme (factice) et des liasses de billets en faisant l’apologie du sexe, de la drogue et du meurtre dans un langage ordurier
 Ces enfants de Sarcelles ont inspirĂ© ce (premier) film tournĂ© sur les lieux mĂȘmes, dans lequel les mĂšres de trois garçons du clip dĂ©cident de leur donner une leçon en s’y mettant Ă  leur tour, avec un flow d’enfer ! CoachĂ©, le trio (qui pour faire bonne mesure regroupe une femme noire, une arabe et une blanche) va faire plus de vues que leur progĂ©niture
 Si l’abattage de Claudia Tagbo fait toujours merveille, la rĂ©vĂ©lation du film est Zaho : la chanteuse algĂ©ro-canadienne incarne

son premier rĂŽle au cinĂ©ma avec une fougue et une drĂŽlerie irrĂ©sistibles. Autour, les hommes jouent les seconds rĂŽles, dont Jean-Pascal Zadi, qui incarne un producteur de showbiz dĂ©calĂ© (« Le rap, c’est pas un jeu, c’est un game »), et deux guests : Guy2Bezbar dans son propre rĂŽle, et Stomy Bugsy dans celui
 du maire de Sarcelles ! Parfois bancal et trop plein de bons sentiments, mais heureusement Ă©picĂ© d’un flow percutant. ■ J.-M.C. YO MAMA (France), de LeĂŻla Sy et Amadou Mariko. Avec Claudia Tagbo, Zaho, Sophie-Marie Larrouy. En salles.

ON EN PARLE 18 AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 MIKA COTELLON
retrouver de l’autoritĂ© sur leurs enfants
 grĂące au rap !

Ensoleiller son intérieur

Avec leur touche de folie, les PIÈCES COLORÉES de la marque marocaine

Noun Design animent les espaces.

QUE CE SOIT À PARIS, New York ou Milan, les crĂ©ations de Noun Design ont voyagĂ© dans les villes les plus branchĂ©es au monde ces derniers mois. Avec ses tables insolites, ses couleurs Ă©clatantes et ses poufs rigolos, la jeune marque basĂ©e Ă  Casablanca a obtenu le soutien de la Maison de l’artisan (qui promeut le savoir-faire marocain) et la consĂ©cration du public. Les clients s’arrachent par exemple la table basse AĂŻn, oĂč terracotta et cĂ©ramique, mate et brillant, s’allient pour former un Ɠil envoĂ»tant. Ainsi que les poufs Matisha, tout en rondeurs et pompons, qui tournent sur eux-mĂȘmes et offrent une assise confortable. Depuis vingt-cinq ans dans l’archi d’intĂ©rieur, et dĂ©jĂ  directrice d’une grande entreprise familiale spĂ©cialisĂ©e dans la menuiserie en bois, sa fondatrice DorothĂ©e Navarro a un penchant pour les objets animĂ©s par un reflet de lumiĂšre, des couleurs vives ou la juxtaposition des textures et des matiĂšres. Ses piĂšces, conçues pendant le confinement et disponibles depuis fin 2021, regorgent de vitalitĂ©. À travers leurs noms, celles-ci cĂ©lĂšbrent en outre la tradition marocaine, que la designeuse revisite avec des artisans et artisanes du bois, du textile et de la poterie d’exception. Dans un esprit joyeux et hors des sentiers battus. ■  L.N.

AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 19
DESIGN
ALESSIO MEI
La table basse AĂŻn.

Hamaji,MODE

l’élĂ©gance au naturel

Les piĂšces pastel et eco-friendly de cette petite MAISON

KENYANE subliment

les savoir-faire nomades.

AVEC SES COLLECTIONS contemporaines aux silhouettes Ă©thĂ©rĂ©es et intemporelles, qui respectent l’environnement et financent directement les petits artisans, Hamaji (signifiant « nomade » en swahili de la cĂŽte est du continent) est devenue en quelques annĂ©es une petite maison de mode kenyane au style unique et Ă  la qualitĂ© rare. Le label Ă©tait Ă  l’origine un projet de fin d’études de la crĂ©atrice Louise Sommerlatte. AprĂšs des Ă©tudes au Cap et un sĂ©jour Ă  Berlin, celle qui est nĂ©e et a grandi au Kenya est revenue s’installer en 2018 Ă  Kilifi, une ville cĂŽtiĂšre, laquelle lui a inspirĂ© plusieurs de ses piĂšces. Le survol annuel des GuĂȘpiers carmins est par exemple figĂ© dans un motif qui Ă©gaye des

20 AF RIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023
ON EN PARLE
DR (2)
La styliste Louise Sommerlatte.

Une partie de la garde-robe est crĂ©Ă©e à partir de vĂȘtements vintage ou recyclĂ©s.

trenchs, des pantalons, ainsi que de petites robes vert menthe. Le dessin a été travaillé sur des blocs de bois, puis imprimé, avec des teintures végétales, préservant un savoir-faire ancestral.

Une partie de la garde-robe de la marque est crĂ©Ă©e Ă  partir de vĂȘtements vintage ou recyclĂ©s : celle-ci comprend surtout des piĂšces estivales aux couleurs pastel (caftans, petits hauts, pantalons palazzo, combinaisons), mais aussi des blazers et blousons automne-hiver (fantaisistes vestes Kantha, par exemple). La designeuse travaille Ă©galement avec du coton et du Tencel, un tissu soyeux en fibres d’arbres, produit dans une petite usine Ă  zĂ©ro Ă©mission situĂ©e dans la rĂ©serve naturelle kĂ©nyane de Rukinga. Certaines crĂ©ations, comme la jupe en dentelle de soie et coton filĂ©e Ă  la main au pied du mont Kenya, ou le top perlĂ© Antassia, rĂ©alisĂ© par un groupe de femmes Samburu dans le nord du pays, tĂ©moignent directement de la richesse de l’artisanat traditionnel. De la conception des dessins au tissage, jusqu’à la rĂ©alisation des broderies qui rehaussent les petits dĂ©tails, c’est principalement le travail des femmes qui permet Ă  Hamaji d’exister. Et c’est pour elles que la marque propose des crĂ©ations centrĂ©es sur une fĂ©minitĂ© nomade, Ă  l’élĂ©gance fluide. hamajistudio.com ■ L.N.

Les crĂ©ations, plutĂŽt estivales, tĂ©moignent de la richesse de l’artisanat traditionnel.

AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 21
DR (3)

SPOTS

DANS LE VENTRE DE LAGOS

La ville lagunaire bouillonne de CRÉATIVITÉ CULINAIRE, et les gastronomiques se multiplient. Comme ces

deux tables à tester sur Victoria Island.

PARMI LES NOUVELLES ADRESSES de Lagos, le Ona mĂ©rite une mention spĂ©ciale. Ouverte par la cheffe nigĂ©riane Obehi Ekhomu et son mari il y a un peu plus d’un an, cette table gastronomique Ă  la dĂ©co minimaliste et Ă  la vaisselle artisanale a pour objectif de donner ses lettres de noblesse Ă  la cuisine locale et aux techniques de cuisson ancestrales, comme la fermentation ou le fumage. L’une des recettes phares, servie dans une assiette bleue en verre soufflĂ© agrĂ©mentĂ©e de coquillages, sublime les escargots africains. Les mollusques fumĂ©s, de terre et de mer, arrivent avec une crĂšme d’ail rĂŽti Ă  la noix de muscade, huile de piment fermentĂ©e et chips de manioc. L’étĂ©, la cuisine met Ă  l’honneur les cĂ©rĂ©ales de saison, comme le fonio,

le millet et le sorgho, et toute l’annĂ©e, sont proposĂ©s plus de 50 boissons maison et des spiritueux distillĂ©s sur le continent. Y compris l’ogogoro et le vin de palme. Pour s’extraire du brouhaha mĂ©tropolitain, on peut passer chez The House. Un lieu de socialisation chaleureux, Ă  destination de la population cosmopolite et dynamique qui aime se dĂ©tendre ailleurs que dans les clubs. Dans cet univers inclusif, chaque piĂšce a son ambiance, son thĂšme et sa carte. Les crĂ©ateurs du lieu invitent Ă  se laisser guider par ses envies du moment : des plats gastronomiques dans la White Room ou d’inspiration caribĂ©enne sur un canapĂ© dans l’une des autres piĂšces ? Et pourquoi pas de la fusion afro, comme les cuisses de dinde avec riz jollof fumĂ© maison – connu dans tout Lagos –, ou le Blackened Suya Burger ? DĂ©tendez-vous, et faites comme chez vous ! thehouseng.com ■ L.N.

22 AF RIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 DR (4)
À
gauche et
ci-dessous,
le Ona redonne ses lettres de noblesse à la cuisine locale. Ci-contre et ci-dessus, The House accueille une population cosmopolite.

Au Nobu HÎtel, Marrakech en majesté

MÊME DANS LE QUARTIER glamour de L’Hivernage, rĂ©putĂ© pour ses magnifiques palaces, la structure circulaire et la carapace d’acier du Nobu HĂŽtel Marrakech (ancien The Pearl) attirent les regards. Premier Ă©tablissement en Afrique du groupe cofondĂ© par Robert de Niro et le chef japonais Nobu Matsuhisa, l’hĂŽtel a Ă©tĂ© officiellement inaugurĂ© fin mai par l’acteur hollywoodien en personne. Les trois Ă©tages du bĂątiment, son spa de 2 000 m2 et ses 71 chambres et suites (nuit Ă  partir de 390 euros) ont Ă©tĂ© entiĂšrement rĂ©novĂ©s, intĂ©grant au dĂ©cor signĂ© Jacques Garcia des Ă©lĂ©ments plus frais et lumineux conçus par Stevani & Silva. Ces derniers ont rĂ©interprĂ©tĂ© la signature esthĂ©tique japonisante de Nobu, des murs

en bois clair et du mobilier sur mesure aux lignes Ă©purĂ©es, avec des touches modernes et traditionnelles. Le nouveau design crĂ©e une continuitĂ© d’ambiance entre le bar lounge, le restaurant signature au rez-de-chaussĂ©e, oĂč l’on cĂ©lĂšbre la cuisine fusion du cĂ©lĂšbre chef, et le Rooftop Garden. Ce second restaurant aux influences mĂ©diterranĂ©ennes et marocaines est aussi un cocktail bar intime et chaleureux, avec solarium et piscine en zellige. RĂ©amĂ©nagĂ© avec goĂ»t, le toit-jardin est l’une des places to be de la ville : on peut y venir profiter d’un DJ set ou se rĂ©galer les yeux avec une vue Ă  360° sur les montagnes de l’Atlas, la mĂ©dina et l’iconique minaret de la Koutoubia. marrakech.nobuhotels.com ■

ARCHI
Le groupe commence son AVENTURE AFRICAINE fort d’un rooftop d’exception qui offre une vue imprenable sur la ville ocre.
L.N.
DR

Sabine Pakora

DANS SON SPECTACLE AUTOBIOGRAPHIQUE

La Freak, journal d’une femme vaudou, la comĂ©dienne d’origine ivoirienne questionne l’altĂ©ritĂ© en mettant au jour les clichĂ©s sur les minoritĂ©s. Intime et politique, Ă©mouvant et satirique, ce seule en scĂšne est prĂ©sentĂ© au festival d’Avignon. par Astrid Krivian

Mama africaine, maraboute, prostituĂ©e, femme de mĂ©nage, sommĂ©e de tchiper et de parler avec un « accent africain »  Sabine Pakora a longtemps souffert des rĂŽles stĂ©rĂ©otypĂ©s, essentialisĂ©s, qu’on lui proposait d’incarner au cinĂ©ma et Ă  la tĂ©lĂ©vision française. Des personnages empreints d’un regard exotisant, hĂ©ritĂ©s d’un imaginaire colonial : « Je me sentais rĂ©ifiĂ©e. J’ai beaucoup jouĂ© la prĂȘtresse vaudoue, laquelle reprĂ©sente le fantasme de la sociĂ©tĂ© française sur l’Afrique. J’étais la cerise exotique sur le gĂąteau », raconte l’actrice, entre deux gorgĂ©es de soda, sur une terrasse parisienne ensoleillĂ©e. Forte de ses Ă©tudes en anthropologie et en sociologie, qui lui ont permis d’affĂ»ter et de nourrir ses rĂ©flexions, de politiser ses expĂ©riences artistiques et professionnelles, elle a Ă©crit un spectacle inspirĂ© de son parcours : La Freak, journal d’une femme vaudou, qu’elle interprĂšte seule et met en scĂšne. « Il pose la problĂ©matique de l’assignation, des stĂ©rĂ©otypes, des stigmatisations. Je questionne l’altĂ©ritĂ©, la relation de la norme et de la pĂ©riphĂ©rie. DĂšs que tu es un peu diffĂ©rent, tu es ostracisĂ©, “freakisĂ©â€ », s’indigne celle qui a tĂ©moignĂ© dans l’ouvrage collectif Noire n’est pas mon mĂ©tier, initiĂ© par AĂŻssa MaĂŻga en 2018. Si rien ne la prĂ©destinait Ă  ĂȘtre comĂ©dienne, l’art dramatique constitue pourtant le fil rouge de son existence. NĂ©e en CĂŽte d’Ivoire, oĂč son pĂšre a fait fortune dans l’exploitation du bois, Sabine Pakora arrive en France Ă  4 ans avec sa famille, Ă  Paris, puis dans le Sud. Ne trouvant pas de compagnon de jeu au sein de sa fratrie, la cadette s’invente des histoires avec ses poupĂ©es et s’évade Ă  travers la tĂ©lĂ©vision, rejouant par cƓur des scĂšnes de films face au miroir. Quand son pĂšre fait faillite, il abandonne ses enfants Ă  l’Aide sociale Ă  l’enfance. À 7 ans, le lien avec sa mĂšre, que ce dernier a rĂ©pudiĂ©e, est aussi coupĂ©. Le cinĂ©ma revĂȘt alors un sens encore plus vital, nĂ©cessaire. « Je vivais un traumatisme ; c’était compliquĂ© de mettre des mots sur la douleur. Le septiĂšme art me permettait de rĂȘver, de me projeter, de suivre des personnages qui exprimaient Ă©motions et pensĂ©es », confie cette fan de Sergio Leone, de Romy Schneider, et du film musical Les Demoiselles de Rochefort AprĂšs un bac thĂ©Ăątre, une formation au Conservatoire d’art dramatique de Montpellier, puis Ă  l’École supĂ©rieure d’art dramatique, Ă  Paris, l’actrice s’éprend de danse africaine : « Je me suis ainsi rĂ©appropriĂ© ma propre culture. » Elle tourne dans le monde entier avec la compagnie Montalvo-Hervieu, est Ă  l’affiche de la comĂ©die musicale Kirikou. Puis, suite Ă  une blessure, et mue par un dĂ©sir profond de travailler des textes, elle revient Ă  ses premiĂšres amours : sur les planches, elle joue notamment sous la direction de Hassane Kassi KouyatĂ© et, sur grand Ă©cran, de Lucien Jean-Baptiste et de Toledano et Nakache. Actuellement, elle tourne un projet amĂ©ricain : « Un rĂŽle qui n’est pas stigmatisĂ©. Je me sens libre. C’est donc possible ! » Et planche sur l’écriture de l’histoire de ses parents, qu’elle n’a quasi pas connus. « Je veux dĂ©couvrir quelle Ă©tait leur jeunesse pendant la pĂ©riode coloniale. C’est aussi mon hĂ©ritage. » ■ La Freak, journal d’une femme vaudou, du 7 au 26 juillet, Ă  la Chapelle du verbe incarnĂ©, Ă  Avignon (France).

PARCOURS 24 AF RIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023
MARINE LÉCROART
«Le septiĂšme art mede rĂȘverpermettait , de me projeter.»

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CLIMAT, C’EST QUOI ?

Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial s’est dĂ©roulĂ© en juin dernier, Ă  Paris. La plupart des chefs d’État africains Ă©taient lĂ . Et
 de nouvelles promesses pour aider le continent Ă  lutter contre le changement climatique et Ă  rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s ont Ă©tĂ© faites. AprĂšs toutes celles qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©es lors des multiples COP, et pas vraiment encore suivies d’effets. Mais il n’empĂȘche, c’est bien, il faut ĂȘtre lĂ , montrer que l’on est concernĂ©s, prĂ©occupĂ©s, demander encore et encore, pour obtenir un jour les fonds nĂ©cessaires Ă  la « survie » de l’Afrique. MĂȘme si le continent ne participe qu’à 3 % des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre dans le monde, il rĂ©colte de plein fouet les consĂ©quences de la pollution gĂ©nĂ©rĂ©e par les autres. Et il faut urgemment des sous pour mettre en place des politiques intelligentes, innovantes, efficaces, afin d’éviter les terres brĂ»lĂ©es, les rĂ©coltes anĂ©anties, l’eau rarĂ©fiĂ©e, etc.

Cela dit, avant de disposer des fonds nĂ©cessaires et de mettre en place les solutions adaptĂ©es, le premier travail serait de conscientiser les populations. Et c’est peut-ĂȘtre le plus grand chantier. Dans des pays oĂč la pauvretĂ© frappe la plus importante partie des habitants, faire comprendre qu’il faut changer de comportement pour lutter contre la dĂ©forestation, abandonner des pratiques ancestrales pour des nouvelles technologies coĂ»teuses, ou encore tout simplement faire le tri des dĂ©chets alors que le ramassage des ordures n’existe peu ou pas, devrait ĂȘtre un combat de tous les jours pour les gouvernements. Pourtant, les affiches, messages, articles, rĂ©unions locales explicatives sur le sujet ne sont vraiment pas lĂ©gion. Dans des sociĂ©tĂ©s qui vivent au jour le jour, oĂč l’urgence, c’est encore manger et se soigner, les mĂ©faits des comportements sur l’avenir du climat, on s’en moque comme de sa premiĂšre igname. Et c’est malheureusement assez normal. C’est donc aux mĂȘmes gouvernements qui viennent demander des fonds dans les rĂ©unions mondiales sur le sujet de travailler dĂ©jĂ  chez eux, d’augmenter les budgets de leurs ministĂšres concernĂ©s, d’instaurer des programmes Ă  l’école, de sensibiliser et d’éduquer les populations. C’est lĂ  l’urgence. Et accessoirement de montrer l’exemple.

Les enfants de prĂ©sidents ou les milliardaires locaux qui empruntent un avion pour sillonner leur propre pays, alors qu’il y a des routes, c’est tout Ă  fait contre-productif. Ceux qui le font aujourd’hui dans la plupart des pays « riches » sont au minimum Ă©pinglĂ©s par les mĂ©dias. C’est donc une profonde refonte des mentalitĂ©s et des comportements qui doit s’opĂ©rer. De haut en bas. Avant mĂȘme d’imaginer pouvoir lutter utilement Ă  la prĂ©servation du continent. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 442 – JUILLET 2023 27
DOM
PAR EMMANUELLE PONTIÉ C’EST COMMENT ?

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