édito
PA R ZYAD LI MAML’AMÉRIQUE EN DÉRIVE
Novembre 2024. Cette date semblerait presque loi ntai ne da ns le ch aos gé né ra li sé de s af fa ir es de l’humani té, les bousculades des urgences et des enjeux. Pour tant, un an, c’est déjà demain, et l’échéance pourrait marquer un palier supplémentaire de rupture. En novembre prochain, se dérouleront les élections américaines Celles qui installent ou réinstallent le pouvoir exécutif, mais aussi une par tie du pouvoir législatif, avec le renouvellement complet de la Chambre des représentants et celui par tiel du Sénat. Dans un an, le sort du pays le plus puissant du monde, celui autour duquel s’organise encore, et malgré tout, un semblant d’architecture internationale (très impar faite, certes, mais une architecture quand même), sera dans la balance.
Les États-Unis d’Amérique sont essentiels. C’est le cœur de l’Occident, du système démocratique, libéral et capitaliste. Leur déstabilisation aurait des répercussions sismiques On peut critiquer leurs politiques, leurs dirigeants, les Irak multiples, mais nous autres, non -américains, soumis à cette tutelle plus ou mo in s pe sa nte, no us avon s be so in qu e ce tte puissance soit gouvernée de manière relativement rationnelle. Le poids de l’Amériqu e est si impor tant que le reste de l’humanité ne peut pas se permet tre qu’elle déraille.
Or, ce tt e st abil it é amé ri ca in e es t en je u, la démocratie américaine est en jeu. Pour cette élection cruciale, l’homme qui mène la course à l’investiture du Parti républicain s’appelle Donald Trump. Son visage couleur orange est mondialement connu. Erratique, colérique, désorganisé, népotiste, imprévisible, provocateur, hors -la-loi… Son premier passage à la Maison-Blanche (2017-2021) a laissé l’Amérique à bout de souf fl e. Et nous aussi Le candidat ex-président, âgé tout de même de 77 ans, a des dizaines de chefs d’accusation à son actif, une première dans l’histoire. La plus grave étant sa tentative d’inverser le résultat des él ections présidentielles de novemb re 2020. Et son rôle supposé dans l’at taque stupéfiante du Capitole, le 6 janvier 2021 Trump était prêt, clairement, au
coup d’État Et il prétend revenir à la Maison -Blanche en janvier 2025, sans avoir jamais exprimé le moindre re gret, au co nt ra ire, en exa ce rb ant so n dis co ur s, ses menaces et ses outrances. Et ce danger public est suivi les yeux fermés par des dizaines de millions d’Américains, subjugués par le slogan MAGA (« Make America Great Again ») Des Américains généralement surarmés qui détestent la culture globale, les étrangers, les Américains non blancs, les immigrants et les migrants, l’égalité des droits, les droits des femmes, les minorités, les différences sexuelles, ceux qui ne croient pas en Dieu ou ceux qui croient en un autre Dieu.
Sans être trop excessif, on ne peut pas exclure l’avènement d’un pos t- fa sci sm e à l’amér icaine, d’une « démocratie » foncièrement illibérale et dangereuse, qui serait as si se sur le prem ier ar senal nucléaire du monde. Les écrivains se sont déjà saisis de ces scénarios catastrophe, de cette dystopie si possible Certains imaginent même une nouvelle guerre de Sécession, un éclatement de la fédération entre États progressistes et États conservateurs… On imagine l’impact sur le reste du monde…
Face à ce possible tsunami, se dresse comme il pe ut un ho mme de 80 an s, le prés id ent Joe Bi de n, ca ndi da t à sa ré él ec ti on , san té fr ag ile, pas hésitants, fatigue apparente. Et un Parti démocrate tiraillé par les différences, entre un nécessaire centrisme pragmatique et des tentations nettement plus à gauche
Les sondages du jour donnent pour le moment une quasi -égalité entre Biden et Trump, une donnée en soi consternante. Mais d’ici novembre, tout est possible L’âge de l’un et de l’autre ouvre un champ des bouleversements possibles. Il faudra aussi choisir ou confirmer des candidats à la vice- présidence, qui se trouveront à un souf fle du pouvoir. La justice pourra certainement jouer son rôle La démocratie a des ressources, des militants. Rien n’est écrit.
Et nous au tres , non- américains , nous devrons attendre sur le côté la conclusion temporaire de cette histoire qui, pour tant, nous concerne. ■
N° 44 5 OC TO BR E 20 23
TEMPS
28 Deux pr inces pour une am bition par Cédr ic Gouver neur
38 Gabon : Le coup « de la liberté » ? par Emmanuelle Pont ié et Zyad Liman
46 Maroc : Après le séisme, se relever par Zyad Limam
84 African Trips par Luisa Nannipieri
96 Samy Manga : En f nir avec la fève ? par Astr id Kr ivian
P.06
P.46
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D’IVOIRE
L’économ ie du futu r par Philippe Di Nacera, Dominique Mobioh Ezoua et Emmanuelle Pont ié
52 La st ratégie de l’émergence
56 Cap su r l’indust rialisation !
58 Amadou Coulibaly : « Faire de la transfor mation digitale un levier de croissance »
61 L’aven ir de l’éducation sera connecté
62 Adama Benoît Yéo :
« Nous som mes dans le peloton de tête en Afrique en matière de TN T »
64 Au serv ice d’un plan du rable
68 Raymonde Goudou Coffe :
« Des bases solides sont posées pour la péren nisation de nos actions »
70 Ph ilippe Metch :
« Réussir dans le chocolat »
71 Ambroise N’Koh :
« Revenir à une ag ricult ure de proximité »
72 Abidjan, capitale des serv ices
75 Vanessa Diou f : « Ressouder les liens rompus »
76 Louis-André Dacour y-Tabley :
« Le choix des énergies renouvelables »
78 Waw Muzik bouscule le st reaming musical
80 Jacobleu : « Il faut que nous nous adaptions à l’universel »
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Ezoua, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.
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ON EN PA RL E
L’AFRIQUE EN COMMUN
CÉLÉBR ER le dy namisme de la photographie contemporaine du continent, d’après les Africains et les Afro-descendants. Le pari fait par la Tate Modern était ambitieux. Mais l’expo événement « A World in Common: Contemporary African Photography », coordonnée par le commissaire Osei Bonsu, est largement réussie. Les 36 artistes invités (dont 12 femmes) ont des origines variées et offrent, à travers plus de 150 œuvres, un beau panoramique de l’Afrique. Au fil des salles, partagées en trois sections dédiées à l’identité et à la tradition,
aux contre-histoires, et aux futurs imaginés, on découv re des portraits de familles bédouines des années 1950 et ceux, imposants, des rois contemporains du Nigeria. Des photos surréalistes et des paysages inquiétants côtoient des vues étonnantes de Lagos ou de Kinshasa Des images largement mises en scène et à l’esthétique soignée, loin des clichés pris historiquement par les Occidentaux, dans un effort de décolonisation de la photographie, participant à redessiner la place et la vision de l’Afrique dans le monde. ■ Luisa Nannipieri
« A WORLD IN COMMON: CONTEMPORARY AFRICAN PHOTOGRAPHY », Tate Modern, Londres (Royaume-Uni), jusqu’au 14 janvier 2024 tate.org.uk
La TAT E MODER N de Lond res invite à voir autrement le cont inent.
GENESIS OWUSU Mixturepunkpop
EN 2021,ilfaisait sonapparition avecunpremieralbum, Smiling With No Teeth,dont on avaitsoulignél’épatante maturité.Ils’appelle Kofi Owusu-Ansaheta vu le jour il yatrente-cinqans àKoforidua,avant quesafamille n’émigre en Australielorsqu’il avait2ans.Trèsvite surnommé Genesis,ilselance tôt dans un rapengagé, dont il agardé quelques réf lexesdansson second disque, Struggler,lequel, commeson noml’indique, évoque la bataille d’être au monde–etd’êtresoi.Letoutsur un fond très immédiat,volontiers radical, quelque rt tre( st)p ket(power) militants ,usant mme émeut Rosemont
GENESISOWUSU, Struggler, Ou rness/ Awal.Enconcert le 16 novembre au Ca fé de la da nse, àParis.
SO UN DS
Àécouter maintenant !
Chou kBwa & TheÅ ngst römers
Soma nt i, Le sD isques BongoJoe/L’Aut re Di st ri bution
Impossible de rester de marbre en entendantlavoi xduchanteurDjopipi, quiincarne unetranse, celleduvaudou, cultivée musicalement parcegroupe quel’ondoitabsolument découv rirsur scène –etqui estentournée dans toute la France cetautomne.Car il s’agit de la rencontre du sextet haïtienChouk Bwa et du duoélectro belge TheÅ ngströmers Desbeats et desincantations!
YussefDayes
Bl ackC la ssical Mu si c, Brow nswood /Cashmere Thou ghts/Nonesuch
Anji mi le
Th eKin g, 4A D/ Wa gram
Pour sonpremier album, concocté auxcôtés du bassiste Rocco Palladino, le batteur britanniques’offre un casting de haut niveau (Masego, Sheila Maurice-Grey, ShabakaHutchings…) pour ses morceaux groovy d’uneépatantev italité. Ilsconfirmentàquelpoint Yussef Dayes, 30 ansseulement,est devenu indispensableàlascène jazz londonienne, tout en cultivantsariche diversité. Il agrandiauTexas dans unefamille malawite et s’esttrèsvitedédié àlamusique –brute,mélodique, entrepop et gospel…Cedont témoigne ce superbesecondalbum signépar AnjimileChithambo,personnetrans et racisée, fière de l’être,etpourqui le folk resteunmédiumprotestataire. Écrits aprèsl’assassinatdeGeorge Floyd, «A nybody », «Genesis »et «A nimal» vont droitaux tripes. ■ S.R.
Avec Struggler,l ’Australo-Ghanéen constru it un la ngagemusical HY BR IDE, POÉT IQUE, et très person nelàla fois. Àécouter en urgence!
CI NÉ MA
NOCES DE PAPIER
Un cast ing impeccable pour raconter un MA RI AGE AR RA NGÉ
D’AUJOUR D’HUI, unissant pour la façade un couple magh rébin au x dési rs cont ra riés…
« LES MAR IAGES D’AMOUR, ça n’existe que depuis cent ans ! » C’est ce que fait remarquer à Hadjira, voilée, une voisine au décolleté bien dessiné (incarnée par l’épatante Zahia Dehar, mannequin et comédienne longtemps réduite au statut d’ex-escort girl connue pour ses relations avec des footballeurs). La femme arrive du sud de la France pour épouser Saïd, le fils du boucher algérien d’un quartier de Rennes, célibataire un peu trop endurci aux yeux de ses parents. Les mères sont ainsi à la manœuv re : celle d’Hadjira, fantasque (Lubna Azabal, dans la droite ligne des personnages hauts en couleur de Viva Laldjérie ou Lola Pater, précédents films de Nadir Moknèche), veut sortir sa fille des griffes d’un dealer marseillais. Celle de Saïd, sérieuse et déterminée, ne veut pas voir que son fils est gay et le pousse à épouser cette célibataire inespérée pour sauver la réputation de la famille. Le film commence par une séquence rythmée et assez drôle qui permet de bien camper la situation, façon comédie italienne, sur un air de jazz américain Avant de se concentrer sur la cohabitation de ces deux êtres que tout oppose, dans le contexte
d’une piété musulmane à géométrie variable, héritage de parents immigrés bien intégrés à la société française. L’interprétation subtile des deux comédiens nous fait partager ce concubinage contraint, même si le suspense sur le rapprochement possible ou pas des faux amoureux est un peu forcé. L’empathie du spectateur est parfois refroidie par l’attitude de l’un ou de l’autre, et par un scénario qui hésite à bousculer les marqueurs supposés de la virilité. Mais certaines scènes montrent aussi très justement comment un jeune maghrébin en France peut être valorisé en tant que fantasme sexuel, pour peu qu’il corresponde aux clichés de la « racaille » encapuchée qu’on attend de lui… et qu’il en joue Au moment où des débats souvent vifs, voire haineux, autour des homosexuels agitent plusieurs pays du monde arabe (et bien des pays africains), cette illustration de la difficulté à vivre pleinement sa vie amoureuse est bienvenue ■ Jean -Marie Chazeau
L’AIR DE LA MER REND LIBRE (France), de Nadi r Mok nèche. Avec Youssouf Abi-Ayad, Kenza Fortas, Lu bna Azabal En sa lles
JAMESBKS Danseavecle loup
Avec sont rèsréussinouvelalbum, Wolves of Africa,lefilsdeManuDibango RELIELES CONTIN EN TS tout en mélangeant lesgen resmusicau x.
AM : Grâceà vosnombreuxvoyages et expériencesdansdifférents pays, vous êtes un citoyendu monde.Comment cela insuffle -t-il de l’énergieàvotre musique ?
JamesBKS : Je me nourris de monA DN pour proposer une musiquesincère et authentiquequi racontel’histoire d’un hommes’étant construitàtravers troiscontinents quilui sont chers. La France m’av u naître et m’aéduqué. Sa proximité avecdifférentesculturesm’a permis d’avoirune vision ouvertetrèstôt surlemonde.Mon escale de dixans auxÉtats-Unism’a initiéàlamusique afro-américaine. Ce pays de toutes lesopportunitésm’a donnél’occasion de rêver en grandsansmeposer de questions… Puis,mareconnexion avecmes racines camerounaisesa donnédelamaturité, descouleurs, un sens àmamusique et le sentiment d’être un hommecomplet, quipeut dorénavant transmettreàson tour Pouvons- nousparlerdecette collaboration avec l’exceptionnelle AngéliqueKidjo ?
Quelques mois avantque mon père biologiquenousquitte, j’ai eu la chance d’assister àune répétition
avec AngéliqueK idjo,chezlui.C’est àcemoment-là quej’airencontré cette grande dame.Les voir jouerensemble commes’ils montaienttousles deux surscène pour la première fois fut uneexpérienceinoubliable quim’a beaucoup appris,notammentsur la clé de la longévité.Unanaprès,A ngélique et moiavons chanté en duolors d’un concertà Montpellierréunissant bonnombredestars africaines de l’ancienne et de la nouvelle génération L’invitersur monalbum me semblait être unesymboliqueforte. Comment préserver la flamme artistique héritée de votrepère?
Je pense queje fais partie d’une génération quia bénéficiédes portes quedes artistes commelui ont su ouvrir àune époque où la musique africaineétait difficilement classable et largementexploitée. C’estun héritage culturel quimerev ient au même titreque touteune génération de musiciensqui ontsuseser vir de leur histoire et la fusionneravec d’autres.Jepense àdes Wizk id,des BurnaBoy,des Libianca,des Salatiel ou encore Fallylpupa,qui ontsu s’exporter au-delàdes frontières de leur pays.Ilétait importantpour
JAMESBKS, Wolves of Africa, Grow nK id.Enconcert le 23 novem breàl ’Élysée Mont ma rt re,àParis.
moidecollaborer avecdes artistes commeYemiA lade ou StanleyEnow, qui, au-delàdeleurtalentetdeleur aura médiatique,témoignentd’un messagefort. C’estaussi le message quejetenais àfaire passer àtravers l’artwork de monalbum brillamment réalisépar Fifou. La musiqueet la cultureafricainesinf luencent le mondeaujourd’hui,maisilest tempsqu’ellesseréapproprientleur histoire,toutencontinuantàjeter despontsaveclereste du monde. ■ Propos recueillispar SophieRosemont
ÉNERGIES COLLATÉRALES
ROM AN
SEXE,RAGE ET VÉRITÉ
Unetraversée transgressive etlibératrice dans lesremousdel’obscuranti sme religieu xetdes tabous. «CER ÉCIT m’afaitbander commeuncerf, rouler par terrederireetlaisséentrevoir uneprochedéliv rance pour mescompatriotes et congénères. »Dès son préludeàuntexte digne de MargaretAtwood ou de CharlesBukowsk i, l’auteure musulmaneénigmatique –dontlepseudo, Nedjma, pourrait faireallusionà l’héroïnerebelle du roman homonymedeKateb Yacine –lanceunpavédanslamare. Montée de l’islamismeet
NEDJMA, Les Coquelicots, Plon, 256pages, 22 €
desextrémismes,destruction deslibertésindiv iduelles –des femmes surtout–,mais aussihypocrisie, mensonges et per version,rienn’échappe àlaver ve acerbe et crue de Zahra, Algérienne décidée àreprendreson destin en main,quitteà se livrer àlaprostitution.Libre de vivrecomme bonlui semble,« Coquelicots », sonnom de travailleuse du sexe surInternet, torpille lesA lgériens,les Tunisiens, lesMarocains, comme lesFrançais. Et brisetous lesinterdits de la sexualité en terremusulmane ■ C.F.
HUIT ANSaprès l’exposition «BeautéCongo » de la Fondation Cartierpourl’art contemporain, la galerieparisienneM AGNIN-A,engagée dans la défenseetlapromotiondes artistes africains, dévoileunensembled’œuv resannonciatrices de la peinture actuelle en Afriquecentrale. En se concentrantsur deux périodes –celle desartistesmodernes(1927-1932) et celledes artistes dits «duHangar» (1946-1954)–,la perspectivenarrative de l’événementseveut ouverte. Libreauv isiteurd’appréhenderchaque tableau, dont l’esthétisme spontané, suggestif ou témoin du vivant,vaetv ient entreabstraction et figuration.Par-delàleurtémoignage historique,huilessur papierousur panneau et aquarellesdessinent un gestepoétique, où authenticité et savoir-faireinstinctif s’interpénètrent. Des« décorateursdecases », peintres de la vieauv illage, de la brousseetde compositions géométriques,àl’audaceartistique de l’écoleduHangar, crééeen1946par le marinier français Pierre Romain-Desfossés, quelquechose advient. Mwenze,K ibwanga, Bela, et tant d’autres façonnantainsi le berceau de la créativité congolaise. ■ Catherine Faye
«MODERNCONGO :1930-1960 », Galerie MAGNIN-A, Paris(France), du 14 octobre au 23 décembre magnin -a.com
AU TO POR TR AI T
Fragments d’unevie
Parpetites touches, Dany Laferrièredissèque le va-et-vientd’idées qu’il n’ajamaiscessé d’ex plorer. DE L’ARTDEV IVR Eà l’horizontaleà celuidepisser parmiles fleurs,enpassant parl’art de rebrousser chemin, voiciune autobiographie poétiquedel’auteurdu best-seller mondial Comment fairel’amour avec un nègre sans se fatiguer et de Jesui s un écrivain japonais.Aufil de 19 sections, composées de maximes, de réf lexions commentées et de rêveries, l’académiciencanado-haïtien distilleune ribambelle d’instantanés, en proseouen vers,telsdes haïkus revisités : «L’aventurec’est de rendre
DA NY LAFERRIÈR E, Un certain artdevivre, Grasset, 140pages,16 €
possible la découverte / de nouveaux paysages intérieurs /etnon d’aller au bout du mondepour contempler /ceque tout le mondepeutvoirn’importe où », glisse-t-ildès les premièrespages.Descriptions hâtives, remarquesjoyeuses ou tristes,parfois absurdes, dessinentunautoportrait sensible de ce nomade des lettres. Pour quilavie et la fiction ne font plus qu’un. ■ C.F.
La ga lerieM AGNI N-Aexpose unecinquanta ined ’œuv res, pa rm iles plus représentatives de l’émergence de la SCÈN ECONGOL AISE.
BEVERLY GLENNCOPELAND ÊTRE SOI
L’ar tiste transgen re ca nadien affi rme TOUT E SA DÉLICATESSE da ns son superbe The Ones Ahead.
C’EST SUR LES PERCUSSIONS d’« Africa Calling » que commence ce nouveau disque, avant de laisser place à une ballade à fendre l’âme, « Harbour (Song For Elizabeth) ». Il y a six ans, on redécouvrait l’ambient savant de ses Keyboard Fanta sies, originellement parues en 1986 Né à Philadelphie, désormais installé au Canada, Beverly Glenn-Copeland travaillait depuis sur ses nouvelles chansons, quelque part entre folk épuré et new age, baroque et minimal Comment être soi, ou s’assumer tel ce que l’on est réellement, semble questionner l’artiste, assigné au genre féminin à sa naissance et s’affirmant comme homme trans au début des années 2000 Devenu une icône queer, il signe ici des manifestes pour la surv ie et la joie, malgré tout, d’être au monde. ■ S.R.
BEVERLY GLENN-COPELAND, The Ones Ahead, Transg ressive Records.
EXPLORER LE POTENTIEL DU SUD
INTITULÉE « The Beauty of Impermanence: An Architecture of Adaptability », la 2e édition de la triennale d’architecture de Sharjah (Émirats arabes unis) présente les travaux de 30 professionnels, dont presque la moitié est issue du continent. La commissaire nigériane Tosin Oshinowo, réputée pour son approche afro-minimaliste et socialement responsable, et la Sharjah Art Foundation les invitent à explorer le potentiel des solutions innovantes « nées des conditions de pénurie dans les pays du Sud ». Un rendez-vous qui consolide le rôle de protagoniste culturel de l’émirat dans la région, offrant une scène de premier plan à des acteurs souvent exclus de la conversation, mais qui ont leur mot à dire sur le futur de l’architecture ■ L.N. TRIENNALE D’ARCHITECTURE DE SHARJAH, Émirats arabes unis, du 11 novembre 2023 au 10 mars 2024 sharjaharchitecture.org
L’ém irat de Shar ja h accuei llera une riche TR IENNALE mettant en avant une autre arch itectu re du futu r.
Troisquestionsà… Victoria Mann
et ArmelleDakouo
LA FONDATRICE et la directrice artistiquedelafoire Also Known As Africa (A KA A) œuvrent àlapromotiondel’art contemporain du continent en France et au-delà.
AM : Il s’agit de la 8e édition d’AK AA. Comment a-t- elle évolué depuissacréation en 2016 ?
Victoria Mann : Elles’est affinéeetachangé.Toutcomme le marché de l’artouParis –qui n’offraitpas auxfoireslemême rayonnementavant la montée en flèche de l’intérêtpourl’art contemporain africain. Nousavons gardénotre vision de départ, ouvertesur le monde, choisissantles artistes parrapport àleur source d’inspirationetnon àleurpasseport.Cette fidélité afait notre force. Nous n’avons plus àexpliquer desconceptscomme leGlobalSouth,oules liensqui existent avec le MoyenOrient et lesA mériques.Nos éditions sont plus pointues,sansque l’on doiveles limiteràune niche. Quel estlefil rouge cetteannée ?
ArmelleDakouo: Le butétait de lancer uneconversation entrelascène continentale et l’afro-descendante,trèsprésente auxÉtats-Unis. J’ai étésurprisedevoirque ledébat sur l’invisibilisation de la création afro,caribéenne et latino yest aussitrèsactuel. La pratique artistique peut palliercemanque de visibilité.Etnotammentlapratiquecuratoriale,qui impacte tout le système,etqui estlecœurduproblème. Nousavons donc donné toutes lescartesblanchespossibles.Pourlapremière fois, même l’installation monumentaleaété confiéeàuncurateur invité,l’A méricain Fahamu Pecou.
Un thèmequi anticipe un développement àl ’international ?
Victoria Mann : Depuis la pandémie,A KA As’inscrit dans un projet culturel àlongterme,notamment àtravers la création d’archives avecnos artbooks ou notrecollaboration avec Manifesta,àLyon. Au printempsprochain,nouslancerons AK AA Creative Projects auxÉtats-Unis. C’estune très belle occasion de proposerunformatdefoire réinventé, presquehybride Uneplate-forme commerciale et curatorialequi proposera uneexpérienceentre expo et business auxcollectionneurs et visiteurs. ■ Propos recueillispar LuisaNannipieri
ALSO KNOWNASAFRICA, CarreauduTemple, Paris(France), du 20 au 22 octobre akaafair.com
LE RETOUR DESFRÈRES TRAORÉ
La su itedupremier fi lm àsuccèsdeLeï la Sy et Kery
Ja mesq uitteu ni nsta nt la ba nl ieue pa risien ne POUR LE SÉNÉGA L…
LE PR EMIERVOLET de Banlieu sards,ref usé partousles producteurs français,avait fait un carton surNetflix en 2019.Voici logiquement la suitedel’histoire destrois frères Traoré (etdeleurmère Khadija, veuve) en banlieue parisienne.Demba,l’aîné, incarné parle charismatiqueKer yJames,était donné pour mort àlafin du précédentopus. Le voici sortid’affaire, mais traumatisé,cohabitantavec sonbrillantcadet,Soulaymaan, quicommence sa carrière d’avocat,tandisque le benjamin, Noumouké, lycéen, s’enfonceunpeu plus dans lesembrouilles violentesetles rixesentre bandes rivales. La mère esttoujours là, jusqu’à uneséquencequi ramène la familledansle pays desorigines: le Sénégal. Quinzeminutes solaires quin’échappent pasà la cartepostale, entrelutte surlaplage, œuvrehumanitaire dans uneécole,etv isiteobligée àGorée devant la porteduvoyagesansretourdes esclaves. Un portrait d’unefratriefranco-sénégalaisequi se veut nuancé, pour ne pasréduire la banlieue françaiseaux clichésmédiatiques, même si le film n’adopte pastoujours un messageclair, sauf contre lesv iolences policières… ■
BA NLIEUSAR DS 2 (France),deLeïla Sy et Kery James. Avec lu i-même, Ja mmeh Dianga na, Ba ka ry Diom bera. Su rNet f ix.
LI TT ÉR AT UR E
UN PAYS EN CO LÈ RE
Prem ierauteu rafr icai nà recevoir le pr ix Nobeldel it tératu re en 1986, WOLE SOYI NK Arev ient avec un roma n vi ru lent cont re la corr uption,ent re fa blepol it iq ue et réqu isitoi re trucu lent.
PUBLIÉESUR SA TERR ENATA LE en 2020,etaux États-Unis en 2021,cette fiction ingénieuse et foisonnantedénonce lesdérives du pouvoirdansunNigeriaimaginaireet l’instrumentalisation du religieux, pour mieuxmanipuler le peuple. Cinquante ansaprès UneSaisond’anomie (Belfond), inspirépar lesmassacres au Biafra àlafin desannées1960, l’écrivain renoueaveclegenre romanesque.Après plus d’unevingtainedepiècesdethéâtre,plusieurs anthologies de poésie,des Mémoires,des essais,des nouvelles, il emploie icilanarration fictionnellepourdensifier sonindignation et sa colère face auxinjusticesetaux manœuvresdes pouvoirs en place. En mettantenscène un mystérieux réseauqui vend desorganes dérobés àl’hôpitalenv ue de pratiques rituelles,l’auteurdelatragédieanticolonialiste La Mort et l’Écuyer du roi démantèleainsi lespratiques illégales et mafieusesdes dirigeants.Unroman denseetr ythmé, quientraînelelecteur dans un maelström de complots, de fatalisme, d’utopies. Et de réflexions. La politique, la religion et l’immoralité traversent toutel’œuvre de Wole Soyinka. Sonengagementest total. Emprisonnée àdeuxreprises, plusieurs fois exilée et condamnée àmort en 1997,cette figure de l’opposition n’adecesse de porter les critiquesles plus caustiques àl’encontredes élites corrompues et desdictatures. Lors de sondiscours àStock holm,en1986, il dédieson prix Nobel àNelsonMandela, toujours en captivité. En 2017,àlasuite de l’élection de Donald Trump àlaprésidencedes États-Unis,ildéchiresacarte verteen signe de protestation,renonçant ainsi àson droitderésidence permanente,alorsqu’il yenseigne. Quantàsapluscélèbre citation,« Le tigre ne proclame passatigritude, il bondit sur sa proie et la dévore », elle aprofondémentinf luencé toute unegénération d’intellectuelsafricains. Mais c’estlarichesse de sonimageriepoétiqueetlacomplexité de sa pensée quifont de luileporte-paroledel’intégrité et de la justicesociale.Entre thriller et satire,son troisièmeroman touche sa cible. ■ C. F. WOLE SOYINK A, Chroniques du pays desgens lesplusheureu xdumonde, Seuil, 544 pages, 26,90 €
LA REVANCHE D’UNE PREMIÈRE DAME
BERNADET TE CH IR AC inca rnée pa r Cather ine Deneuve da ns une joyeuse satire fémi niste !
ELLE N’A JA MAIS EU la flamboyance ou le sens du business de certaines first ladies africaines… Mais
Bernadette Chirac aura su s’imposer aux côtés de son président de mari, voire contre lui, comme le montre cette comédie au tempo parfait. C’est une icône du cinéma français plutôt « gauche caviar » qui incarne la très conser vatrice épouse de Jacques Chirac, au moment où le couple entre à l’Élysée. Catherine Deneuve ne joue pas totalement l’imitation et adoucit même le caractère plutôt revêche de la vraie première dame, ce qui atténue
un peu la charge satirique. Mais elle rend justice à une femme dont le flair politique (régulièrement réélue en prov ince, elle avait fortement déconseillé la dissolution de l’Assemblée en 1997 et prédit Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002) a été superbement ignoré par un mari volage qui, en duo avec sa fille Claude, l’aura parfois sous-estimée ■ J.-M.C BER NADETTE (France), de Léa Domenach. Avec Catherine Deneuve, Michel Vuiller moz, Denis Podalydès. En salles
GAIETÉS APPARENTES
En détour na nt ses créations de leur dest inat ion prem ière, PASCALE MA RT HI NE TAYOU traite, en fi ligra ne, de sujets graves.
FA ISA NT FACE à un mur, un téléviseur privé de bonnet d’âne ; au plafond, des banderoles tels des cerfs-volants ; plus loin, une ronde de chaises colorées ; ici et là, des branchages coiffés de sachets (des paquets de bonbons ? des boules de Noël revisitées ?) ; enfin, un tohu-bohu de statuettes, sortes de figurines pour chérubins…
À première vue, on pourrait s’imaginer dans un univers parallèle et joyeux, un arc-en-ciel poétique, dont seuls les enfants auraient la lecture. Mais derrière leurs façades enjouées, les 23 installations, ces « petits riens », comme l’artiste camerounais se plaît à les nommer, dénoncent plus d’un chaos.
Au mur, une déclaration d’intention précise la démarche du plasticien :
« C’est mon appel d’urgence face aux terreurs multiples qui me tordent les boyaux. Mais je ferai en sorte que cette aventure se transforme en une performance ludique, avec joie et humour » Ainsi, dans un dédale d’élucubrations, de fétiches inventés, Pascale Marthine Tayou crie les poisons et les cicatrices du monde. Et métamorphose les douleurs en tons vifs ■ C.F.
« PASCALE MARTHINE
TAYOU : PETITS RIENS », Collection Lamber t, Avignon (France), jusqu’au 19 novembre
collectionlambert.com
EXPLORER L’ENTRE- DEUX
La jeune MA RQUE
FR ANCO-T UN ISIENN E
Chez Nous trouve da ns sa double cu lt ure sa force créative.
CA MÉLI A BA RBACHI, née à Roubaix de parents tunisiens, a fait de sa binationalité une force. En appelant sa jeune marque de prêt-à-porter Chez Nous, elle a choisi de faire un clin d’œil à la façon ironique dont les Tunisiens appellent leurs compatriotes nés ou vivant en Occident et qui ont l’habitude de parler de leur autre pays en disant « chez nous là-bas ». Depuis le lancement du label, en octobre 2021, la designeuse puise son inspiration dans son histoire familiale et ses racines, ainsi que dans les questionnements sur l’identité propres à toute personne issue de l’immigration. Les pièces, confortables, à la coupe contemporaine, et pour la plupart non genrées, intègrent des références à la tradition et sont réalisées de façon éthique, à partir de matières organiques et à faible impact environnemental.
La marque collabore notamment avec un atelier de tricot « zéro déchet » et un campus d’insertion professionnelle dans le nord de la France, mais aussi avec un atelier certifié écoresponsable à Ksar Hellal, près de Monastir
La derni ère coll ecti on , « Mé moire », re nd hom mage à Djer ba , avec de s i mpr im és qui évoq ue nt le s fa ïenc es de s hab itations tra diti on ne ll es.
Le s pièce s sont confor ta ble s, et pour la pl upa rt no n ge nrée s.
En outre, dans une démarche inclusive, chaque création s’adapte à toutes les morphologies (les tailles allant du XXS au XXX L) Une approche év idente dès la première collection, « Djerbian », inspirée par la vie sur la célèbre île tunisienne Parmi ses pièces phares, la Blouza Djerba reprend sous la forme d’une surchemise soyeuse et versatile un vêtement traditionnel masculin. En 2022, la grande bleue était mise à l’honneur avec une ligne en denim brut, « Bleu Méditerranée » : sa veste sans manches Farah, par exemple, rappelle cette pratique des Tunisiennes de changer les manches de leurs habits selon la saison ou la mode Dernière en date, la collection « Mémoire » rend hommage à Djerba, avec des imprimés et des lignes qui évoquent les faïences des habitations traditionnelles, les matières brutes, les codes st ylistiques, mais également les paysages de l’île et ses monuments. Ces vêtements simples et pratiques invitent à se sentir comme à la maison, partout et tout le temps. chez nous -store.com ■ L.N.
Chic et solaire
DES PRODUITS DE LUXE éthiques et abordables, c’est le concept derrière la marque de sacs Citizens of Carthage, créée en 2020 par Khadija Ben Hamouda et Johanna Antonucci. Le label propose pour l’instant quatre modèles (Luna, Elyssa, Astarté et Tanit), fabriqués en série limitée dans un atelier familial à partir de fins de stock de grandes maisons de maroquinerie, et en collaboration avec de petits artisans. Chaque sac est estampillé du signe de Tanit, qui évoque la divinité carthaginoise protectrice des femmes, et l’on devine dans le choix du design des clins d’œil à la « dolce farniente ». Une façon de rendre hommage en même temps à la Tunisie et au sud de la France, terres d’origine des deux créatrices. La palette de couleurs s’inspire aussi de l’esthétisme du bassin méditerranéen. Aux premières collections, plus chatoyantes, se sont ajoutées des nuances plus mates, comme le camel ou le bordeaux. La dernière en date, « Punic », met en avant de nouvelles versions des modèles Luna, Elyssa et Tanit. Des créations pensées pour apporter un côté cool aux tenues hivernales, en soirée ou au quotidien, tout en évoquant par petites touches la chaleur de l’été. citizensofcarthage.com ■
Le la bel CI TIZENS OF CA RT HAGE propose des sacs à l’esthét iq ue méditerranéenne, qu i illumi nent les tenues d’ hiver.
« PARFUMS D’ORIENT
VOYAGES OLFACTIFS
Du Haut-Atlas au x rives de l’océa n Indien, une im mersion da ns les SENT EU RS DE L’OR IENT. Et de leurs or ig ines.
MUSC, BOIS DE SA NTAL , oud, cèdre de l’Atlas, baie rose épicée, safran, my rrhe… Des champs d’essences rares à l’atelier du parf umeur, des rues de la médina au cœur de la maison, chaque note, chaque effluve sollicite en chacun un souvenir, une iv resse, une familiarité. Un dégoût parfois. Comme une porte ouverte, sur l’intime et le sacré, le lien social et le mystère Un vertige olfactif, à l’aune de l’allégorie poétique baudelairienne : « En ouvrant un coffret venu de l’Orient / Dont la serrure grince et rechigne en criant… » Tout un monde de correspondances qu’un vieux flacon réveille. Cet Orient aromatique fait aujourd’hui l’objet d’une exposition immersive à l’Institut du monde arabe. Une promenade, de l’Arabie à l’Inde, des îles indonésiennes aux confins de l’Asie, où le visiteur explore l’histoire des parf ums, de ses prémisses dans l’Ég ypte antique (avec le ky phi, sorte d’encens sacré) à nos jours. Et une immersion dans des senteurs spécialement créées par le Britannique Christopher Sheldrake,
C’ESTCOMMENT,ABIDJAN ?
«C’EST DOUX,maisc’est risqué », telest le sous-titre d’Ici c’ Babi,d’après le petitnom donné àlacapitaleéconomique parses habitants. Dans cettesérie 100% ivoirienne, primée au dernierFespaco,quelqu’un prév ient :« ÀBabi, tout le mondeest perdu, lesrelations,c’est sexe ou argent. Tu payesoutubaises… »DeYopougonaux quartiers chics, on suit lestribulationsdepersonnages particulièrement biencampés: uneambitieusepoliticienne quiv isela présidence de la République,unjeune rappeur quel’on croitgay,samère quiest unetrèsénergique tenancière de maquis,unapprenti pharmacien quitente de vendre un savonmaison, uneinf luenceuseà succès… Jalousie,secrets de familles,arnaquesetcoups tordus sont au programme!
Au bout de chacun des41épisodesd’une quinzainede minutes, un vrai suspense s’installe :lescénario, astucieux, parv ient àrendreaddictif ce foisonnement de destinsmêlés,
montrant tous lesaspects de la vieabidjanaise, de la galère destransportsaux nuitsalcoolisées,des marchés de rueaux bureauxclimatisés, descomptoirsdetransfert d’argent auxordinateurs desbrouteurs…Onparle français, dioula, ça foisonne de vie, tout en renversantcertains modèlestraditionnels :unmariattentionné fait la cuisine et le ménage,une épouse modèle cède auxcharmes musclés d’un gigolo…Avecquelquesmessages subliminauxcontre le blanchimentdelapeau(«Onn’est pasàClichy-sous-Bois ici! ») ou l’homophobie, et surleconsentement: quand unego(unefemme)dit non, c’estnon.Coécritepar le romancierA rmandGauz(CamaradePapa,en2018), unesérie africainetrès XXIe siècle ! ■ J.-M.C
ICIC’BABI (Côted’Ivoire),d’A rmandGau z. Avec Pélagie Béda,Adi zetouSid i, Ru benMabea.Sur TV5mondeplus.com.
ÀBabi, riches et pauv ressecroisent, gu idés pa rledésir et le busi ness,maispas que…
Un show ADDICT IF en st ream ingg ratu it !
ÉTOI LE MICH ELIN OU CANTIN E INVENTIVE ?
Deux ADRESSES
OU VERT EN 2022 dans le 1er arrondissement de Paris, le restaurant du chef Omar Dhiab a déjà gagné sa première étoile Michelin. Une récompense pour sa cuisine libre et moderne, assaisonnée aux épices de ses souvenirs d’enfance et de ses voyages en Ég ypte, la terre de sa famille. La salle aux accents art déco est chaleureuse et intime On y est accueilli avec un verre de karkadé (à base d’hibiscus), tel un ami de passage à la maison. À la carte, on trouve un croustillant croq ris de veau, retravaillé et rehaussé d’une sauce grenobloise dont l’acidité casse finement la rondeur du plat On peut également y déguster des coquillages serv is sur un suc végétal gélifié, qui a macéré toute la nuit, dont l’inspiration prov ient du jus des salades ég yptiennes, que l’on boit
à table. Mais aussi des feuilles de vigne en tempura. Autant de clins d’œil sincères à ses origines. omardhiab.com
La même année, dans le 2e arrondissement, une jolie cantine s’était installée au sein du tiers lieu Liberté Living-Lab, le Waalo : ce terme renvoie aux terres cultivées et inondables au bord du fleuve Sénégal, dont l’on dit qu’elles produisent d’excellents légumes Cette première table du chef mauritanien Harouna Sow propose des plats éclectiques, afro et français. On y trouve autant du mafé que des créations 100 % maison, comme l’œuf hibiscus, accompagné d’un bouillon de tamarin et d’asperges. Mais aussi des plats hybrides, comme le garba daurade royal, sur un lit de semoule de manioc fermenté et sa sauce vierge. Réfugié en France, où il a découvert son talent pour la cuisine, Harouna Sow met aujourd’hui son inventiv ité au serv ice des matières
PA RISI EN NES qu i méla ngent cu lt ures et in fluences pour créer des plats sa ins et éton na nts.ch ef ré com pe nsé Oma r Dh iab a ou ve rt son re stau ra nt en 20 22 Le Wa alo propose u ne cu is in e ou est -a fricain e innova nte
AR CH I
Havre de paix
Cachée da ns la SAVA NE KÉNYAN E, la ma ison Ar ijiju pour ra it rempor ter un
pr ix décerné au x projets du ra bles.
LA CATÉGORIE
INTERNATIONA L des Architecture Today Awards 2023, dédiés aux bâtiments durables qui résistent à l’épreuve du temps, met l’accent sur l’Afrique. L’un des deux projets finalistes (les récompenses du magazine britannique seront remises fin novembre) est la maison Arijiju : cette villa avec dépendances de luxe, spa, piscine et hébergements réservés au staff se fond dans la savane herbeuse du plateau de Laik ipia, au Kenya Terminé en 2015 par Michaelis Boyd, en collaboration avec Nicholas Plewman Architects, ce sanctuaire au milieu de la nature s’inspire de l’architecture de l’abbaye provençale du Thoronet, datant du XIIe siècle La disposition des bâtiments le long d’une pente douce offre aux résidents une vue imparable sur le mont Kenya, tout en les cachant des regards indiscrets La couleur délicate des matières locales employées pour les murs et les pergolas (des pierres de Meru et du chêne soyeux du Sud), ainsi que le choix de laisser la savane reprendre ses droits sur les toits-terrasses contribuent à brouiller les frontières entre le paysage et les lieux de vie. L’habitation principale se rejoint via un escalier en pierre qui descend dans une paisible cour jardin, entourée d’une colonnade sur laquelle s’ouvrent les pièces principales de la villa. Un savant mix de st yles européens et africains encore peu commun dans ce coin du continent. michaelisboyd.com ■
PA RC OU RS
Khalid Lyamlahy
DANS SON DERNIER LIVRE, L’ÉCRIVAIN MAROCAIN
raconte le sort dramatique d’un jeune réfugié gambien. Un texte révolté et délicat qui soulève des réflexions sur l’injustice, la migration, les rapports entre l’Afrique et l’Europe. par
Astrid KrivianChaque mot est un « coup porté au silence », celui qui recouvre le drame de Pateh Sabally : le 21 janvier 2017, ce réfugié gambien de 22 ans se jetait dans les eaux glacées de Venise, se noyant sous les insultes, l’indifférence et les plaisanteries racistes des badauds. Heurté et indigné, l’écrivain marocain Khalid Lyamlahy retrace, dans son roman Évocation d’un mémorial à Venise, la trajectoire de ce jeune exilé, esquissant un « archipel solidaire ». Mêlant fiction, réalité et dimension poétique, son ouvrage sort de l’oubli le sort des réfugiés, engloutis sous les chiffres, le tapage des actualités « Mon livre est une main tendue vers eux. C’est aussi un acte de fraternité envers tous les Africains, dont j’évoque la mémoire, comme celle des tirailleurs sénégalais. Ce texte dépasse la frontière entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne. Ce mémorial suppose l’hommage, une édification que l’on revisite, mais également un travail de remémoration de la part du lecteur. » Sa forme fragmentée, « par tâtonnements », dialogue avec les doutes, les vides. « Contre cette tendance à vouloir tout comprendre du destin des réfugiés, il faut accepter que des gestes, des expériences nous échappent. » Il assume l’impuissance de l’écriture : « On ne peut pas tout mettre en mots. L’écriture est une lutte, avec soi, avec le sujet. Ce dernier m’opposait une telle force, c’était inutile de fuir. » L’écrivain fait tomber le masque de Venise : « Que signifie mourir dans cette ville my thique, surchargée de représentations, parmi les touristes, au pied des drapeaux italiens et européens ? Ce drame révèle l’échec de notre humanité. »
Né à Rabat en 1986, il dévore très tôt les classiques de la littérature française.
À l’adolescence, il noircit son journal intime, puis écrit des poèmes, des nouvelles. Il s’engage pourtant dans un cursus scientifique. Arrivé en France en 2004 pour intégrer l’École nationale supérieure des mines d’Alès, dont il sort diplômé en 2008, il devient ensuite ingénieur à Paris dans le secteur du bâtiment Mais très vite, la saveur des textes, ce lien précieux, quasi vital, à la littérature, aux mots, cette respiration intellectuelle lui manquent Il suit donc des études de lettres par correspondance à la Sorbonne Nouvelle Chaque soir après le travail, studieux et passionné, il se plonge dans l’analyse des œuvres En 2015, après son master, il quitte sa carrière d’ingénieur pour faire une thèse de doctorat à l’université d’Oxford Le sujet : les auteurs marocains de la revue avant-gardiste Souf fles Auteur en 2017 d’un premier ouvrage, Un roman étranger, il est aujourd’hui maître de conférences en littératures maghrébines francophones à l’université de Chicago. Enthousiasmé par le dy namisme du milieu universitaire américain, il observe : « Très curieux, mes étudiants approchent cette littérature comme une porte d’entrée vers les cultures, les sociétés, l’histoire du continent. Les États-Unis produisent les plus grands travaux actuels sur la littérature africaine francophone. Les traductions de ces œuvres en anglais sont toujours plus nombreuses. Cela génère un intérêt nouveau, croissant pour les lettres africaines » ■
Évoc atio n d’un mé mo ri al à Ve nis e, Pré se n ce a fricain e, 172 page s, 12 €
«Ce drame révèle l’échec de notre humanité.»
LE G3 DES PUTSCHISTES
Mali, début septembre : 64 mor ts, dont 49 civils, après deux attaques djihadistes at tribuées à une alliance af filiée à Al -Qaïda (contre un bateau sur le fleuve Niger entre Tombouctou et Gao, et contre une position de l’armée) Burkina Faso, le 6 août : une vingtaine de mor ts civils près de Bittou, dans la région du Centre -Est Et le 19 septembre : 16 civils tués par deux at taques djihadistes. Niger, le 15 août : 17 soldats tués et 20 blessés dans une embuscade entre Boni et Torodi L’avant-veille, six autres soldats avaient été tués aux alentours de Tillabéri. Dans la fameuse région dite des « trois frontières », entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Selon tous les observateurs et macabres comptables des meur tres et exactions menés par les islamistes dans ces pays, ils ont encore augmenté depuis les coups d’État et l’entrée « en fonction » des trois nouveaux hommes forts en treillis qui les dirigent.
Ce bilan qui s’alourdit et s’égrène de mois en mois, plu s ou moins dans l’indif férence généralisée, est terrifiant. Des milliers de gens, terrorisés du matin au soir, sans savoir s’ils seront en vie le lendemain, habitent dans des zones totalement oubliées, souvent sans eau, sans électricité, sans communication, sans école, sans aucun soutien. Leurs gouvernements, emmenés par des putschistes aux programmes flous, aux visions cour t-termistes, sont évidemment impuissants. Au sommet de ces États, l’intérêt personnel et les calculs savants pour retarder les scrutins et s’enkyster dans le pouvoir prévalent. À coups de discours galvanisants face à des foules de jeunes perdus à qui l’on vend le concept de souveraineté, d’indépendance, d’avenir plus rose sans l’aide internationale.
Sur le fond , bien sûr, des armées na tionales ef ficaces, capables de bouter les djihadistes hors du pays, sont à plébisciter. Mais pour cela, faudrait-il encore que les pays sahéliens concernés aient de vrais moyens, sortent de la pauvreté structurelle qui les frappent, afin, entre autres, que leurs armées soient fortes, capables de faire le job. Alors, au moment où les trois nations de la zone des trois frontières s’accordent sur la Char te du Liptako- Gourma et signent l’Alliance des États du Sahel, on peut s’interroger sur l’urgence de créer tout à coup cette forme de G3 des putschistes Une alliance dont le seul but est de se protéger en cas de guerre ou d’ingérence extérieure Pour être plus clair, au cas où la Cédéao ou une puissance occidentale essaierait de les déloger. C’est une priorité nationale, ça, à l’heure où leurs populations se font décimer à coups de bombes tous les jours sur leur propre sol ? Franchement, on est en droit de se poser la question, et de s’inquiéter profondément sur l’avenir du Sahel passé aux mains d’hommes en treillis… ■
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