AM N°378 - Mars 2018

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

N o 3 7 8 - A F R I Q U E

MAGAZINE - MARS 2018

RD CONGO

FIN DE RÈGNE

Algérie, Maroc, Tunisie

LE RETOUR DE LA NATALITÉ

Peut-on encore espérer un changement pacifique de régime à Kinshasa ?

ET SES CONSÉQUENCES

Jérusalem

La bataille perdue

Cinéma

Mehdi Ben Attia : « Une femme qui regarde les hommes, c’est encore une provocation »

Côte d’Ivoire

AMBIANCES À ABIDJAN par Zyad Limam

LES 20 ANS DE CHILDREN OF AFRICA

Maroc

www.afriquemagazine.com

JERADA Les raisons de la colère

Joseph Kabila, le 26 janvier 2018.

N° 378 - MARS 2018

M 01934 - 378 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

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N o 3 7 8 - A F R I Q U E

MAGAZINE - MARS 2018

Algérie, Maroc, Tunisie

JÉRUSALEM LA BATAILLE

PERDUE Maroc

JERADA Les raisons de la colère

Show-biz

Les beaux gosses font leur cinéma !

Le retour des bébés ! Nous faisons de plus en plus d’enfants. C’est beau. Mais pour le futur, cette nouvelle poussée démographique pose de sérieuses questions économiques, sociales, politiques. Enquête.

Interview MEHDI BEN ATTIA

« Une femme qui regarde les hommes, c’est aujourd’hui encore une provocation »

RDC UN RÉGIME AU BOUT DU ROULEAU

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Les tendances du marchÊ de la finance Toutes les offres d’emploi en cours

Les innovations qui font la fiertĂŠ du continent

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Les rĂŠv du MINĂŠlations FI redi 10

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*Une publication de la SociÊtÊ de Presse et d’Editions du Cameroun (SOPECAM)

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ÉDITO par Zyad Limam

AMBIANCES

À ABIDJAN

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ous sommes mi-février. Le temps ressemble à une belle saison sèche, avec de grands ciels bleus qui soulagent les terres gorgées d’eau après des mois de pluies immenses. Au visiteur, la capitale économique apparaît dans son effervescence habituelle. Ça bosse, ça « trade », ça échange, ça circule, ça se bouscule. Hommes d’affaires, investisseurs, « chercheurs d’or » arrivent parfois de loin pour tester ce marché en croissance, cette porte de l’Afrique. Il y a quelque chose de positif dans l’atmosphère, d’émergent, pour reprendre une expression en vogue. Il y a un voile d’inquiétude aussi. Dans les déjeuners chics, les soirées en ville, on passe souvent de l’optimisme, d’une certaine forme d’enthousiasme, à l’inquiétude face aux enjeux politiques de demain. Et disons-le, à la perspective de l’élection présidentielle de 2020. Trop d’ambitions, trop d’appétits, trop de divisions encore et de blessures qui ne sont pas si lointaines. Et puis ces incidents, ces militaires qui se sont agités… Tout pourrait déraper, mal se passer, mettre un nouveau coup d’arrêt au progrès ivoirien. Bien sûr, les ambitions sont nombreuses, réelles. Oui, certains se voient président, y pensent en se rasant tous les matins (pour reprendre la fameuse phrase de Nicolas Sarkozy). C’est légitime. Et de toute façon le président Alassane Ouattara l’a dit : tout le monde pourra y aller… Mais 2020, ce n’est pas maintenant. Plus de deux ans, en politique, c’est long. Le calcul de ceux qui parieraient sur une supposée « fragilité de l’intérieur » serait hasardeux. Alassane Ouattara est président, aux commandes, il a de l’expérience, des moyens, une économie qui reprend, il est soutenu par les grands partenaires extérieurs. ADO est soucieux de contrôler l’agenda, décidé à imprimer sa marque sur la suite en se laissant encore plusieurs mois avant de fixer son propre cap. La montée d’Amadou Gon Coulibaly au poste de Premier ministre, avec une vraie autonomie, renforce un exécutif solidaire et motivé. Certes, la Côte d’Ivoire, malgré les grands progrès des années ADO, reste un pays en construction, dont les ressorts politiques sont toujours marqués par l’ethnicité, les fidélités claniques, et même les fraternités d’armes. Mais la Côte d’Ivoire a aussi changé. Elle est jeune, la plupart des citoyens n’ont pas connu Houphouët, d’autres n’étaient que des enfants au moment de la fin du Gbagboïsme et de la crise de 2010. Cette jeunesse, l’apparition d’une classe moyenne urbaine, fragile mais réelle, la mixité des origines, l’urbanisation créent un « nouvel Ivoirien » attaché à ses origines certainement, mais dont on devine les réelles motivations : de l’éducation, de la formation, du travail, de l’emploi, un logement accessible, plus de justice sociale, une possibilité de modernité, de progrès en quelque sorte. Cet électorat « montant » est nettement moins sensible aux affiliations politiques traditionnelles. La très grande majorité des Ivoiriens, de cette génération comme de celles qui précèdent, veulent aussi la paix. Ils ont vu ce qui pouvait être perdu, si vite. Plus que jamais, la capacité du pays à se rassembler, à se réconcilier, à s’accorder autour de principes partagés d’exercice du pouvoir, reste la clé du futur. En 2020, l’élection sera une élection. Personne ne pourra contourner le système, s’installer de force. Personne ne pourra être « désigné » ou « adoubé ». Personne ne gagnera sans convaincre les citoyens qu’il incarne une promesse de progrès et de stabilité. Il faudra y aller. Et les électeurs auront le dernier mot. C’est le processus démocratique, et c’est probablement l’une des évolutions les plus importantes du pays. ■ AFRIQUE MAGAZINE I 3 7 8 – M A R S 2 0 1 8

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SOMMAIRE

Mars n°378

AFRIQUE MAGAZINE

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

EN VENTE CHAQUE MOIS

ON EN PARLE 8

RD CONGO

FIN DE RÈGNE

Peut-on encore espérer un changement pacifique de régime à Kinshasa ?

Algérie, Maroc, Tunisie

LE RETOUR DE LA NATALITÉ ET SES CONSÉQUENCES

Jérusalem

Côte d’Ivoire

Cinéma

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JERADA Les raisons de la colère

Joseph Kabila, le 26 janvier 2018.

N° 378 - MARS 2018

M 01934 - 378 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

2018 MARS

AFRIQUE MAGAZINE

PERDUE Maroc

JERADA Les raisons de la colère

Show-biz

N 378

Les beaux gosses font leur cinéma !

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

Le retour des bébés ! Nous faisons de plus en plus d’enfants. C’est beau. Mais pour le futur, cette nouvelle poussée démographique pose de sérieuses questions économiques, sociales, politiques. Enquête.

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« Une femme qui regarde les hommes, c’est aujourd’hui encore une provocation » UN RÉGIME AU BOUT DU ROULEAU

N° 378 - MARS 2018

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France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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PHOTOS DE COUVERTURE : AFRIQUE SUBSAHARIENNE : KENNY KATOMBE/REUTERS MAGHREB : SHUTTERSTOCK

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Jérusalem : la bataille perdue par Sylvie A. Briand et Akram Belkaïd

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par Jean-Marie Chazeau

Afrique du Sud : Ramaphosa monte (enfin) au front par George Ola-Davis

Agenda : Le meilleur de la culture

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HOMMAGE Idrissa Ouedraogo

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Jerada, les raisons de la colère par Julie Chaudier

Show-biz : les #bogoss font leur cinéma ! par Fouzia Marouf

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C’EST COMMENT ? Triste 8 mars par Emmanuelle Pontié

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PARCOURS Edward Enninful par Sophie Rosemont

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40

CE QUE J’AI APPRIS Patrick Ruffino par Astrid Krivian

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VINGT QUESTIONS À... Seun Kuti par Astrid Krivian

RDC

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par Emmanuelle Pontié

Interview MEHDI BEN ATTIA

6

Musique : Nakhane, le talent clairvoyant

RD Congo : fin de règne par George Ola-Davis, Zyad Limam et Cédric Gouverneur

28/02/18 20:05

Algérie, Maroc, Tunisie

LA BATAILLE

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Écrans : Sous le soleil exactement

Maghreb : Le retour des bébés par Akram Belkaïd, Julie Chaudier, Frida Dahmani et Hedi Dahmani

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20

Livres : Scholastique Mukasonga, mention très bien

par Sophie Rosemont

LES 20 ANS DE CHILDREN OF AFRICA

Maroc

JÉRUSALEM

10

par Zyad Limam

Mehdi Ben Attia : « Une femme qui regarde les hommes, c’est encore une provocation »

TEMPS FORTS

par Catherine Faye

AMBIANCES À ABIDJAN

La bataille perdue

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

ÉDITO Ambiances à Abidjan par Zyad Limam

Happy birthday Children of Africa ! par Alexandra Fish

LE DOCUMENT Immigration : le grand bond en avant par Hedi Dahmani

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Mehdi Ben Attia : « Une femme qui regarde les hommes, c’est encore une provocation » par Hedi Dahmani et Astrid Krivian AFRIQUE MAGAZINE

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378 – MARS 2018

DANIEL BEREHULAK/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA - GIANLUIGI GUERCIA/AP/SIPA

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AFRIQUE MAGAZINE

FONDÉ EN 1983 (34e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com RÉDACTION

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Emmanuelle Pontié

DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

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Hedi Dahmani RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ hdahmani@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Éléonore Quesnel

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SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

sr@afriquemagazine.com

Escapades : Pemba Island, bijou caché de la Tanzanie

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Akram Belkaïd, Sylvie A. Briand, Julie Chaudier, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexandra Fish, Cédric Gouverneur, Alexis Hache, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, George Ola-Davies, Fouzia Marouf, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

par Alexis Hache

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Carrefours : Hermann Kamte, génie du bois par Luisa Nannipieri

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Fashion : Aristide Loua, le gentleman afropolitain

VIVRE MIEUX

par Luisa Nannipieri

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

VIVRE MIEUX 94

YOUSSEF BOUDLAL/REUTERS - GUILLAUME COLLET/SIPA - ANTONIO PISACRETA/ROPI-REA

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COMMUNICATION ET PUBLICITÉ AMC Afrique Méditerranée Conseil 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)153844181 – Fax: (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT Elisabeth Remy AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0219 D 85602. Dépôt légal : mars 2018. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2018.

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Grande voix de la littérature rwandaise, maintes fois primée, elle revient avec un RÉCIT autobiographique, en forme de témoignage percutant. par Catherine Faye C’EST le génocide qui a fait d’elle un écrivain. Un destin auquel Scholastique Mukasonga, rescapée tutsi, n’avait pas pensé. Mais, pour elle, survivre et témoigner sont inextricablement liés. En 1994, 37 membres de sa famille ont été massacrés. Pour eux, cette survivante a choisi d’entremêler sa voix et les leurs. Et de consacrer son œuvre au drame rwandais. Pour ne pas oublier. Avec Un si beau diplôme !, l’auteur revient à la veine autobiographique. Son style fluide, plein d’humour et de fantaisie, rythme le récit de ses souvenirs, si douloureux soient-ils parfois. Elle y raconte son parcours, ses illusions, ses désillusions, sa foi en la vie, l’importance des rencontres. Un écheveau traversé par un fil rouge déterminant : l’obtention d’un diplôme. « C’est ce papier, si tu l’as un jour et il te le faudra, idipolomi nziza, un beau diplôme, c’est ce qui te sauvera de la mort qui nous est promise, garde-le toujours sur toi comme le talisman, ton passeport pour la vie », lui répète son père alors qu’elle n’est encore qu’une enfant. Munie de ce sésame, elle ne serait plus ni hutu ni tutsi et atteindrait un statut inviolable… « J’étais 8

persuadée qu’il m’ouvrirait toutes les portes et, en premier lieu, celles de l’administration burundaise », écrit-elle. Pour l’obtenir, la jeune « UN SI BEAU fille est obligée de prendre le DIPLÔME !», chemin de l’exil. Elle passe de pays Scholastique en pays, du Burundi à Djibouti, Mukasonga, puis en France. Tantôt les chances Gallimard, que lui promet ce précieux papier 192 p., 18 €. apparaissent comme une certitude, tantôt elles se volatilisent tel un mirage. « J’ai passé la moitié de ma vie à courir après un diplôme. Ce n’était pourtant pas une thèse de doctorat, de celles qui restent en chantier toute une vie et couronnent enfin une brillante carrière universitaire : non, ce n’était qu’un modeste diplôme d’assistante sociale. » Qui plus est, ce diplôme qui lui a coûté tant d’efforts, n’a aucune valeur en France. Pourtant, l’accomplissement de ce mythe qu’elle s’est forgé trace le sens de sa vie. Une existence qui connaît dès l’enfance la violence des conflits ethniques. En France, où elle vit depuis 1992, l’écrivain est également assistante sociale. Scholastique, dont le nom signifie « enseignement », s’est fait la voix du peuple rwandais. En témoignant, elle redonne une place aux disparus et apaise les vivants. Plus encore, ce « beau diplôme » lui a ouvert les portes de l’humain, avec pour laissez-passer, la mémoire, inaltérable, la transmission et l’éducation. « Aux premiers chants d’oiseaux, bien avant l’aurore, mon père me réveillait : “Henuka ! Henuka ! Lève-toi ! Lève-toi ! L’école t’attend !”. » Ainsi commence son récit. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE

Scholastique Mukasonga Mention très bien


ON EN PARLE livres

chroniques LIBYE INTIME JUIN 2012. Sept mois après la fin de la révolution, deux journalistes français arrivent à Tripoli, curieux de voir comment les Libyens comptent bâtir cette ère nouvelle. Co-écrit par notre correspondante Maryline Dumas, ce recueil couvre cinq ans et demi de chroniques, mêlant faits d’actualité et petites histoires quotidiennes. Ce sont ces dernières qui valent principalement le détour, comme lorsque les auteurs donnent le mode d’emploi des Libyens pour se procurer de l’alcool. Ou dressent

document CARNETS D’UN MÉDECIN DE CAMPAGNE

« JOURS TRANQUILLES À TRIPOLI », Maryline

Dumas et Mathieu Galtier, Rive Neuve,

220 p., 15 €.

le pudique portrait de Tariq, un démineur qui paiera de sa vie de désamorcer sans relâche bombes artisanales et engins de mort. Au final, c’est un hommage au pays que narrent les reporters. ■ Hedi Dahmani

récit

essai

DR

À LA RECHERCHE DES BONOBOS PARTI sur les traces du Japonais Takayoshi Kano, le premier scientifique à étudier le comportement des bonobos dans leur environnement naturel en 1973, l’auteur du remarqué TraîneSavane – biographie romancée du Docteur Livingstone – s’engouffre dans une aventure rocambolesque au cœur de la forêt congolaise. Son récit s’attache autant à fouiller la personnalité de l’énigmatique primatologue japonais AFRIQUE MAGAZINE

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LE PROFESSEUR Einsterz, ex-Peace Corp américaine, pose ses valises en 1990 à Kolofata, un village situé à l’Extrême Nord du Cameroun en 1990. Durant 24 ans, elle développe et anime un hôpital qui devient la référence dans la région. Jusqu’à l’attaque meurtrière des terroristes de la « LIFE AND DEATH secte islamiste Boko Haram, le 27 juillet IN KOLOFATA », 2014, alors qu’elle est en vacances aux Ellen Einterz, Indiana University États-Unis. De ses notes et souvenirs, elle Press, 220 p., 28 $ tire un ouvrage incroyable, une analyse (en anglais). unique des réalités de cette région « du bout du monde », à travers son stéthoscope de chirurgien. En attendant son retour, et tant que la secte continue à perpétrer ses attentats, l’organisation Médecins sans frontières a pris ses quartiers dans l’établissement. ■ Emmanuelle Pontié

LE CHOIX DE LA LIBERTÉ

« SAMOURAÏS

DANS LA BROUSSE »,

Guillaume Jan,

Paulsen, 216 p., 21,50 €. qu’à décrire le quotidien de Wamba, village oublié du monde. Un prétexte de plus pour cet écrivain de s’aventurer loin dans la jungle qui l’aimante depuis des années. ■ C.F.

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« TANT QUE NOUS ATTENDRONS que ce soient les Blancs qui viennent nous construire des W.-C., nous ne serons pas sortis de notre merde. » Ces mots, publiés par l’auteur il y a une douzaine d’années par l’auteur dans la presse, reviennent ici dans sa longue introduction. Et se font l’écho du titre de son ouvrage. Une phrase prononcée lors d’un discours à Boston, en 1865, par un ancien esclave américain, Frederick Douglass, devenu conférencier et homme politique : « Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas l’empêcher de se tenir debout. » La démarche afro-sarcastique de Venance Konan, journaliste propulsé sur le devant de la scène littéraire par son bestseller Les Prisonniers de la haine, interroge cette fois-ci les origines d’une Afrique prisonnière de l’aide. Décapant. ■ C.F.

« SI LE NOIR N’EST PAS CAPABLE… »,

Venance Konan,

Michel Lafon, 18 €.

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Nakhane, BMG.

Nakhane

Le talent clairvoyant

Tout le monde ne parle que de ce jeune Sud-Africain multi-facettes, et de sa voix aux accents LYRIQUES. Une révélation. par Sophie Rosemont UNE SOUL-POP électronisante et parfois électrique, littéralement. Sorti des tripes, un chant qui va droit au cœur, imposant sa nourriture soul et son potentiel lyrique. Né Nakhane Mahlakahlaka il y a vingt-neuf ans, en Afrique du Sud, il a pris ensuite le patronyme scénique de Nakhane Touré (en référence à Ali Farka Touré, l’une de ses idoles) pour se faire un nom dans le vaste domaine de l’art. D’abord en 10

musique : après s’être essayé au punk rock à la fac, il se lance dès 2013 avec un premier album remarqué, Brave Confusion. Sa famille le soutient, et pour cause : sa mère et sa tante professeur de musique chantent à l’église – mais savent l’encourager, à leur manière : « Si jamais ma tante me voit à la télévision et que je ne suis pas au niveau, elle m’appelle et me crie

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TARRYN HATCHETT

« YOU WILL NOT DIE »,

dessus : “C’était quoi, ça ? Tu ne vas pas nous humilier à la télévision nationale !” Mais si je suis bon, elle va me dire : “Bon sang, tu les as tous tués !” » De quoi travailler ses performances, assez exceptionnelles en live. Une étoffe de comédien, aussi… Car Nakhane a récemment été vu au cinéma, dans Les Initiés. Il y interprétait jeune homme gay devant affronter son environnement. Pas tout à fait un rôle de composition puisqu’il est régulièrement menacé pour oser assumer son homosexualité. Loin de céder à la peur, il garde la tête haute, ne souhaitant pas revivre les tourments d’une adolescence incertaine… jusqu’à ce qu’il lise James Baldwin. « J’avais 19 ans et jusque-là, j’étais perdu dans ma vie. J’étais noir, queer, je n’avais jamais rien lu sur des personnages qui me ressemblaient et les livres de Baldwin ont été un appel. Tout comme Brenda Fassie, qui a affronté tous les dangers pour vivre sa musique en public. » La reine de la pop sud-africaine est décédée à Johannesburg, où vit aujourd’hui Nakhane. Pourtant, les sirènes européennes lui font de l’œil… « J’adore Londres et j’y passe de plus en plus de temps, mais je ne veux pas vraiment quitter Johannesburg. Les Sud-Africains veulent vivre, sont enthousiastes, ils s’habillent bien, les jeunes font des choses sans attendre d’être embauchés par les grosses sociétés. Et puis moi, c’est la friction qui m’inspire… Le confort, c’est dangereux pour l’inspiration ! » C’est aussi le crayon à la main que s’illustre Nakhane qui, fort d’un roman publié en 2015, Piggy Boy’s Blues, sait traduire ses émotions et ses combats dans ses chansons. « Clairvoyant », « You Will Not Die », « Fog », « Teen Prayer » : tout sonne bien, mais surtout juste. Influencé par l’authenticité d’artistes comme Joni Mitchell ou Marvin Gaye, il aime aussi ceux qui endossent des personnages tels David Bowie. Réjouissons-nous, Nakhane semble bien appartenir à ces deux catégories. ■


ON EN PARLE musique

« SARAH MAISON »,

Sarah Maison.

groove ADY SULEIMAN, SOUL ATTITUDE

chanson

SARAH MAISON, CHANSON DANS LA CASBAH

Aussi FRAIS que langoureux : un premier mini-album séduisant. DIPLÔMÉE des Beaux-Arts de Nice et dotée d’une voix de rêve, la charismatique Sarah Maison a d’abord exploré le terrain de l’art plastique avant de s’essayer à la musique. Bien lui en a pris : elle a le goût des arrangements qui voient grand et des mélodies addictives. Son titre « Western arabisant », passé en boucle sur les ondes françaises, offre un large panel des influences de la chanteuse. D’origine berbère et catalane, elle convoque pop, rock et chanson dans un seul canevas irrésistiblement langoureux. « Barachicha », « Muzul », « Torrent de chaleur »… autant de joyaux flamboyants que propose cet EP qui sera bientôt suivi, on l’espère, d’un album. ■ S.R.

hip hop

BALOJI, AUX SOURCES DU RAP

RAPHAEL LUGASSY - TCD PHOTOGRAPHY

Un mélange euphorisant de SONS traditionnels et électro. Du grand art ! EN SWAHILI, « baloji » signifie « sorcier ». C’est vrai qu’il y a un peu de magie dans la musique de cet artiste belge qui, à l’orée de sa quarantaine, peut se féliciter d’une carrière accomplie. Pour son troisième album, il revient aux sources : son enfance passée à Lubumbashi, où l’électricité est rare mais la chaleur humaine prédominante. Avec 137 Avenue Kaniama, il retrace une ambiance quasi cinématographique, nourrie d’électro, de hip hop, de funk comme des musiques traditionnelles – non seulement congolaises mais aussi nigérienne, zimbabwéenne et ghanéenne. L’ombre du tumulte politique n’est jamais loin mais qu’on se rassure, rien ne semble entamer l’énergie créative de Baloji, qui atteint là son point d’orgue. ■ S.R. « 137 AVENUE KANIAMA »,

Baloji, Bella Union. AFRIQUE MAGAZINE

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À 25 ANS, c’est LE jeune espoir de la scène nu-soul anglaise. Born and raised à Nottingham, mais d’origine zanzibarais par son père, Ady Suleiman est un exemple probant de mélange des cultures. Y compris dans les influences de sa musique, où l’on entend aussi bien des échos reggae que jazz ou folk. Baptisé Memories, son premier album ne tombe cependant jamais dans la nostalgie, grâce à un don avéré pour la ballade groovy, comme « Longing for Your Love » ou « If I Die ». Appuyé à la production par le gratin de la scène britannique, régulièrement complimenté par des stars comme Chance the Rapper ou Lianne La Havas, Suleiman a une voie royale devant lui qui devrait le conduire bien au-delà de la contrée de Robin des Bois. ■ S.R. « MEMORIES », A. Suleiman, Pemba/Modulor.

diva YEMI ALADE, LA REINE DE L’AFRO-POP EST DE RETOUR ! « LA MAGIE, les conquêtes, les luttes et la puissance de la peau noire » : voilà les thèmes annoncés de son nouvel album. lbum. Car à 28 ans, la belle Nigériane a beaucoup coup de choses à dire et ne s’en prive pas. Elle sait aussi toujours bien s’entourer, urer, avec les rappeurs Olamidee et Falz mais aussi des producteurs de renom comme Young D, Sarz ou V-Tek. On a trouvé la potion on vitaminée qui allait dynamiser notre hiver ! ■ S.R. « BLACK MAGIC »,

Yemi Alade,

Effyzzie Musique/ La Baleine.

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Mektoub, my Love : Canto uno, ou l’histoire d’un été en pente douce.

Sous le soleil exactement

Révélation de la dernière Mostra de Venise, LE NOUVEAU FILM d’Abdellatif Kechiche nous fait partager des vacances idylliques. C’est sea, sex & sun à Sète, des années-lumière avant le burkini… cette longue séquence estivale – 3 heures – où la parole circule UN ÉTUDIANT franco-tunisien timide, monté à Paris, très vite, seulement ponctuée d’interludes musicales ancrées retourne à Sète, dans le sud de la France, passer des vacances dans les années 90. Une époque pas si lointaine où la religion, en famille. Ça commence très fort car il surprend derrière les interdits, n’avaient pas l’importance qu’ils ont pris les volets sa meilleure amie en pleins ébats avec son cousin… aujourd’hui en France. Pas un voile à l’horizon, La scène est sans pudeur, elle dure, et on se même les moutons ne sont pas égorgés… dit que c’est reparti comme dans La Vie Personne n’avait de téléphone portable, on est d’Adèle où les corps étaient filmés en 1994. Français d’origine maghrébine ou de longuement en pleine action. Et pourtant, le souche dansent et boivent de l’alcool ensemble, reste du film sera beaucoup moins explicite. les hommes draguent lourdement les filles, Au contraire, si la caméra s’attarde avec mais les filles savent très bien se défendre et insistance sur les fesses des femmes, moulées semblent même plutôt mener la barque du dans le tissu, elle suit surtout le parcours commerce comme celle des affaires estival de son jeune héros, Amin, dont on se sentimentales… Liberté de la parole, des corps demande s’il va finir par aller au bout de ses et des cœurs, sous un soleil souvent filmé attirances pour les filles qu’il rencontre… Sa Abdellatif frontalement, qui inonde de lumière ce film famille, ses amis, sont incarnés par des Kechiche. chaleureux et envoûtant… Idyllique ? Oui, cela acteurs qui ont du bagout et beaucoup de ressemble à un souvenir de vacances, donc ce spontanéité (le plaisir aussi de retrouver, en « MEKTOUB, MY LOVE : n’était peut-être pas tout à fait la réalité, mais tatie bavarde et bienveillante, Hafsia Herzi, CANTO UNO ». qu’est-ce qu’on a envie d’y croire ! « Sage est dix ans après La Graine et le Mulet). La Avec Shain Boumedine, fluidité de la mise en scène ajoute à Lou Luttiau, Ophélie Bau. celui qui a gardé son âme d’enfant », dit une des femmes de ce tableau solaire… ■ l’empathie que l’on éprouve, embarqué dans Sortie le 21 mars (France). 12

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BALTEL/SIPA

par Jean-Marie Chazeau


ON EN PARLE cinéma écrans

drame

Hot spot à Tripoli COMMENT L’ITALIE, accusée de refouler des migrants en perdition en pleine mer, s’arrange pour qu’ils ne quittent plus les côtes libyennes : c’est ce que raconte sous forme de fiction ce film d’un documentariste italien très sensibilisé à cette cause. Son héros est un super-flic envoyé par Rome en mission à Tripoli, pour négocier avec des chefs des milices libyennes la gestion de camps de rétention. Mais il va finir par être touché par le sort d’une des femmes qu’il y croise… Un grain de sable chez un homme dont la vie est pourtant méthodiquement organisée, comme le souligne de façon un peu démonstrative une réalisation très clinique. ■ J.-M.C. « L’ORDRE DES CHOSES » (Italie)

d’Andrea Segre. Avec Paolo Pierobon, Giuseppe Battiston, Yusra Warsama.

À Tripoli, un policier envoyé en mission dans les camps de rétention va finir par être touché par le sort d’une femme qu’il y croise…

drame

Vivre libre

TROIS ANS après le traumatisme de l’accueil très violent fait au Maroc à Much Loved, son film sur des prostituées de Marrakech, Nabil Ayouch rebondit avec habileté, sans provocation. Dans ce film choral, où l’on croise aussi Ingrid Bergman et Freddie Mercury, il met en valeur les parcours individuels de Marocains dont le milieu social, la religion, les désirs, sont très différents. Chacun à sa manière fait preuve de courage au milieu d’une masse hostile. Alternent les superbes paysages de l’Atlas où, en 1982, un instituteur qui enseigne en berbère fuit l’arabisation de son école, et les rues de Casablanca au bord de l’insurrection en 2015. Le film fait le lien direct entre l’éducation reçue par toute une génération et le fossé qui s’est creusé entre tenants de la tradition et de la modernité. On y voit aussi toute l’indifférence d’une élite marocaine à l’égard du reste de la société… ■ J.-M.C. « RAZZIA » (Maroc) de Nabil Ayouch. Avec Maryam Touzani,

Arieh Worthalter, Abedelilah Rachid.

série

SOPHIE DULAC/JOLEFILM - DAVID LEE/NETFLIX

Dans le lit de Nola SPIKE LEE redonne vie, trente ans après, à son héroïne de Brooklyn, Nola Darling, artiste « pansexuelle, polyamoureuse et libérée » : dans son lit alternent trois amants et… une fleuriste. Le résultat est sexy, drôle, audacieux et politiquement percutant, sur le corps des Noirs, les rapports hommes-femmes, la gentrification, l’esclavage, Trump, le monde de l’art ou encore la diaspora africaine… C’est très rythmé, chaque épisode dure une demi-heure, avec des trouvailles visuelles (les pochettes des disques de la BO apparaissent plein écran) et d’excellents comédiens, à commencer par la très belle DeWanda Wise. Netflix a déjà commandé une deuxième saison. Vite ! ■ J.-M.C. AFRIQUE MAGAZINE

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« NOLA DARLING N’EN FAIT QU’A SA TÊTE »

de Spike Lee. Avec DeWanda Wise, Lyriq Bent,

Cleo Anthony. Sur Netflix.

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Pour composer ses alvéoles, la plasticienne utilise des bouteilles en plastique recouvertes de soie.

C’est en réalisant un reportage que l’artiste a rencontré ces brodeuses, pour lesquelles elle a eu un coup de cœur.

Des portraits cousus d’or

Au Rwanda, Marie Moroni a braqué son OBJECTIF sur les femmes d’un atelier de broderie.

galerie

L’ART ET LA MATIÈRE

Avec ses tableaux en trois dimensions, la Marocaine Ghizlane Sahli nous entraîne dans son univers POÉTIQUE.

CETTE série de portraits, exposée à VOZ’Galerie, spécialisée dans la photographie contemporaine, est née d’une rencontre intime. Celle de la scénographe et plasticienne Marie Moroni et de brodeuses rwandaises. « En mars 2015, lorsque je suis partie au Rwanda pour la première fois, je ne connaissais ni ce pays, ni aucun autre d’Afrique. Je devais réaliser un reportage photo sur un atelier de broderie. Mon travail sur ces femmes brodeuses terminé, je ne pouvais les quitter. Ma rencontre avec elles a été un véritable coup de cœur. L’envie de les révéler m’est apparue comme une nécessité, un témoignage essentiel », confie la photographe, dont les rencontres et les histoires individuelles sont au cœur de son travail. C’est donc à Rutongo, un petit village au milieu des collines au nord de Kigali, dans l’atelier de broderie, que l’artiste est retournée photographier ces femmes. Des visages qui en disent long. ■ Catherine Faye

MANIPULANT des objets auxquels est attribuée une valeur pratique, Ghizlane Sahli, artiste marocaine, redéfinit leur représentation symbolique. Une préparation « longue et réfléchie », nous confie-t-elle. « Histoire de tripes » est la somme de compositions insolites, telles des alvéoles qui fonctionnent comme des associations d’idées et de matières entre des bouteilles en plastique, le grillage qui les supporte, la soie qui les recouvre. Autre stigmate ? La broderie des artisanes aux doigts de fée, qui finalisent ses créations. Sahli s’interroge sur l’héritage humain, cette matrice, affranchie d’appartenance sociale, culturelle, religieuse, car « cette gestation vivante forme l’œuvre », conclut-elle. Elle sera a ensuite au Mucem à Marseille du 25 avril au 10 septembre 2018 pour l’exposition « L’or ». ■ Fouzia Marouf

« IBABA – PHOTOGRAPHIES DE MARIE MORONI », VOZ’Galerie, Boulogne-Billancourt,

« HISTOIRE DE TRIPES », David Bloch Gallery, Marrakech, jusqu’au 15 mars.

jusqu’au 28 avril. www.vozgalerie.com 14

www.davidblochgallery.com AFRIQUE MAGAZINE

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MARIE MORONI - DR (2)

photographie


ON EN PARLE agenda

dialogue

Toute l’Afrique en Martinique

9e art

LA BD ARABE SECOUE ANGOULÊME

La Fondation Clément déploie une TRÈS ambitieuse sélection d’œuvres d’hier et aujourd’hui. JAMAIS la Martinique, ni même plus largement la Caraïbe, n’avaient accueilli une manifestation de ce type et de cette envergure. Près d’une centaine de pièces majeures appartenant aux collections de la Fondation Dapper présentent ici un vaste répertoire de styles caractéristiques des grandes cultures des sociétés de l’Afrique centrale et de l’Ouest. Figure de reliquaire fang (Gabon) ou bâton de danse en l’honneur du dieu Shango (Nigeria) évoquent des pratiques qui, dans les Antilles, touchent au plus profond de l’intimité des individus. Les œuvres entrent en résonance avec la Fondation Clément. De fait, avec son patrimoine industriel et les témoignages des anciens travailleurs, l’ancienne distillerie réunit la mémoire du rhum et de l’esclavage. Mais, plus encore, une trentaine d’œuvres contemporaines viennent interroger l’histoire. D’Ousmane Sow à Omar Victor Diop, en passant par Barthélémy Toguo, 17 artistes ouvrent le dialogue. Un dialogue péri-Atlantique, entre Afrique, Amériques et Caraïbe. Une communion enracinée dans un même terreau. Un même héritage ancestral. Rituel, mystique, culturel. ■ C.F. « AFRIQUES, ARTISTES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI », Fondation Clément, Martinique, jusqu’au 6 mai 2018.

HUGHES DUBOIS/ARCHIVES FONDATION DAPPER - MOHAMED BOUROUISSA

www.fondation-clement.org

Un panorama réjouissant, POLITIQUE et intime.

Gabon, figure de reliquaire tsogho.

ALGÉRIE, Égypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie… L’exposition présente la nouvelle scène de la bande dessinée arabe à travers 200 planches originales, des dizaines d’exemplaires de revues et d’albums. Soit une cinquantaine d’auteurs, issus du Maghreb et du MoyenOrient. Ainsi les collectifs Samandal au Liban, TokTok en Égypte, Skefkef au Maroc, et Lab619 en Tunisie témoignent avec humour et gravité de la situation dans leurs pays. Partagée entre l’évocation du quotidien des grandes villes, l’expérimentation et les récits de l’intime, cette exposition bouscule les codes du 9e art. ■ C.F. « NOUVELLE GÉNÉRATION, LA BANDE DESSINÉE ARABE AUJOURD’HUI », musée de la Bande dessinée d’Angoulême, jusqu’au 4 novembre. www.citebd.org

en immersion

CAVALIERS LIBRES L’œil de Mohamed Bourouissa distille un mystère que suggère d’emblée le titre de son exposition, «Urban Riders ». Une énigme annonçant la couleur avec le film Horse Day, tourné durant huit mois dans un quartier déshérité de Philadelphie. Le plasticien franco-algérien y explore la représentation de jeunes Afro-Américains auprès de chevaux, image souvent incarnée par des cow-boys blancs. Libérés, inattendus, mis en scène, ces 80 portraits déconstruisent les mythes du rapport entre l’homme et l’animal. Bourouissa questionne l’identité et l’espace au cœur des écuries de Fletcher Street, destinées aux chevaux abandonnés et créées par ces cavaliers qu’on devine tout aussi esseulés. Tels des tableaux vivants, ancrés dans l’humain, qui disent une réalité aussi inconnue qu’intrigante. ■ F.M. « URBAN RIDERS », musée d’Art moderne de la ville de Paris, jusqu’au 28 avril. mam.paris.fr AFRIQUE MAGAZINE

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HOMMAGE par Emmanuelle Pontié

21 janvier 1954 - 18 février 2018

Idrissa Ouedraogo Il promenait sa longue silhouette sur les plateaux de tournage et les festivals, évoquant avec talent des histoires, des images, des projets, des films, des séries… Grand Prix du jury à Cannes en 1990, le réalisateur burkinabè, l’une des figures du cinéma africain contemporain, s’est éteint si prématurément à Ouagadougou, à 64 ans.

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n 1987, Yam Daabo (« Le choix ») est projeté dans une salle de Ouaga en plein Fespaco. En sortant du cinéma, un grand type plutôt négligé, en tongs, est assis sur une marche. Je ne le connais pas. Il m’interpelle : « Salut ! Tu as vu le film ? Tu as aimé ? ». Je fais mine de ne pas le voir. Il insiste. Et je lui confie que ce premier long-métrage m’a éblouie,

que j’ai adoré. Le naturel des acteurs, la lumière sublime, la caméra lente, les paysages beaux à couper le souffle. Il affiche tout à coup un immense sourire et me lance : « C’est moi qui l’ai fait ! ». Je reste coite. Ce petit chefd’œuvre ouvrira la voie à la carrière exceptionnelle que l’on connaît. Avec Yaaba (1989), puis Tilaï, Grand Prix du jury à Cannes en 1990 et Étalon de Yennenga au Fespaco l’année d’après, suivis de Samba Traoré en 1992 et Kini & Adams en 1997, qu’il tourne en anglais en Afrique du Sud. On se souvient aussi de sa mise en scène de La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire en 1991 à la Comédie-Française. Et bien sûr de la première série burkinabè, Kadi Jolie, qui fait le tour du continent. Idrissa, réaliste ou résigné, disait au début des années 2000 à qui voulait l’entendre que le cinéma africain n’avançait pas, que l’heure était aux séries, à la télé, aux DVD aussi. Il sort encore La Colère des dieux en 2003. En tout, son œuvre prolifique laisse dix longs-métrages, une vingtaine de documentaires, courts-métrages ou films collectifs moins connus, plusieurs séries télé. Infatigable militant du 7e art, il œuvre aussi un temps à la restauration des salles de Ouagadougou, à la demande du président Blaise Compaoré. Il anime, programme, attire les spectateurs… Puis moins, les temps changent. Mais Idrissa, jusqu’au bout, parlait images, talents, financements, avenir. De festivals en festivals, dans le monde entier, il défendait la toile africaine. Autour d’un verre, d’une cigarette, tard dans la nuit. Avec ce large sourire vissé sur le visage. Et cette incroyable bonhomie, celle des grands, des généreux, des « au-dessus du lot », qui ne prennent pas la grosse tête. Pourtant, Idrissa Ouedraogo aurait pu. Car c’est une icône du cinéma africain qui s’en est allée le 18 février dernier, à 64 ans. Et aussi un ami. ■

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CATHERINE CABROL/KIPA/SYGMA VIA GETTY IMAGES

Idrissa Ouedraogo à Montreuil, en 1994, année où il tournera pour la première fois en France (Le Cri du cœur).

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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié

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TRISTE 8 MARS

ranchement, on aimerait qu’il n’y ait plus jamais de Journée mondiale dédiée aux femmes le 8 mars. Plus de ministère en charge de la protection de leurs droits non plus. Ça voudrait dire qu’elles ne seraient plus en danger et que leur statut serait enfin considéré comme égal à celui des hommes. Mais, malheureusement, c’est encore loin d’être le cas. Et chaque année, à la même période, s’expose dans les colonnes des journaux une litanie de chiffres épouvantables. En tête, ces 200 millions (au moins) de femmes qui ont subi une mutilation sexuelle dans 30 pays en 2017. Dont 44 millions sont des filles de moins de 15 ans. On lit aussi que, définitivement, et idem dans les pays dits « développés », les grilles de salaire varient du bleu au rose, avec des montants plus élevés pour ces messieurs que pour ces dames lorsqu’ils occupent pourtant le même poste. Au mois de mars toujours, on ressort les statistiques sur la parité, dans tous les pays, domaines, secteurs. Et c’est toujours bancal. La balance penche du même côté. Pire, on débat encore sur le thème : la RDC estelle vraiment « capitale mondiale du viol », comme le déclaraient des ONG pour frapper les esprits sur cette « nouvelle arme de guerre » utilisée dans les conflits. On a envie de dire, qu’elle en soit la « capitale mondiale » ou pas, quelle importance… Et que les viols en question reculent, selon les autorités piquées au vif par la critique, ce n’est pas suffisant ! C’est juste insupportable. On découvre encore, sous d’autres cieux, en France, ces chiffres totalement délirants pour un pays d’Europe, censé baigner dans le droit, l’éducation, la justice pour tous : 225 000 femmes sont victimes chaque année de violences de la part de leur partenaire. En 2016, 123 en sont mortes. Alors oui, cette Journée de la femme est importante. Au moins pour être informés. Pour savoir. Pour enrager de voir que tout ça n’évolue pas. Pour apprendre par exemple au détour d’un site d’infos qu’une femme a été emprisonnée onze ans

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au Salvador pour avoir fait une fausse couche, responsable donc pénalement d’avoir perdu son bébé. Il faut quand même avoir le courage de le faire, ça, non ? Et encore plus fort : une toute nouvelle loi a été votée en Russie en janvier dernier (oui, oui, en 2017), qui dépénalise le fait de battre sa femme ! On paye tout au plus une petite amende… La loi précise quand même : sauf si la dame doit être hospitalisée après les coups de son mari. Merci, c’est trop d’honneur ! Donc franchement, au vu et au su de tout ça, merci à la Journée de la femme d’exister encore. Si elle peut un jour par an rappeler au moins que le chemin sera encore terriblement long pour toutes nos sœurs. Rien de plus, apparemment. C’est pourquoi j’ose à peine dire « bonne fête du 8 mars, Mesdames… ». ■

Alors oui, cette Journée de la femme est importante. Au moins pour être informés. Pour savoir. Pour enrager de voir que tout ça n’évolue pas. 19


TEMPS FORTS

Maghreb

Tunisie, Maroc, Algérie : on se remet à faire des enfants ! Un mini baby-boom qui pose aussi des questions sociales, politiques et économiques. Enquête.

Le retour des bébés

par Akram Belkaïd, Julie Chaudier et Frida Dahmani

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ANDREW MCCONNELL/PANOS-REA

’est une donnée statistique encore récente mais significative : au Maghreb, la natalité repart à la hausse. Dans une Afrique confrontée au boom démographique, ce frémissement dont on ne sait encore s’il sera durable constitue une sorte d’anomalie. Alors que le taux moyen d’enfants par femme était en baisse constante depuis le milieu des années 60, ces trois pays accueillent désormais plus de bébés (1). L’Algérie, qui a connu son indice le plus bas dans les années 2003-2004 (2,4 enfants) approche désormais le chiffre de 3 naissances par femme. Le Maroc en est à 2,5. Quant à la Tunisie, le taux de fertilité devrait s’établir aux alentours de 2,3 d’ici 2020 (2). Si les causes peuvent différer d’un pays à l’autre, la crise économique peut, paradoxalement, constituer un début d’explication. Quand une nation prospère à l’instar, il y quelques décennies, des pays occidentaux, les jeunes font de plus longues études, arrivent plus tard sur le marché de l’emploi, les femmes y deviennent plus actives et l’âge du mariage recule. A contrario, dans une société où le chômage devient problématique, le mariage – comme on peut le constater au Maroc – intervient plus tôt et devient une sorte de « valeur refuge ». S’ils se confirmaient, ces

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indices devront inciter les gouvernements à anticiper les défis à venir. Plus d’enfants signifie un changement dans les habitudes de consommation des ménages mais également anticiper l’accroissement des structures dédiées à l’enfance, des conditions de scolarisation, de la formation des enseignants, des filières pour l’emploi… À l’horizon de 2050, il y aura 110-115 millions d’Algériens, Marocains et Tunisiens. L’équivalent de la France et l’Espagne réunies. Un marché d’opportunités formidables à bâtir, dès aujourd’hui, pour la nouvelle génération. ■ Hedi Dahmani (1) Banque mondiale http://bit.ly/2A5zD2H (2) Usherbrooke http://bit.ly/2CNaRop

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TEMPS FORTS MAGHREB : LE RETOUR DES BÉBÉS

Tunisie : Vers une contrerévolution démographique ? Dans ce pays emblématique du contrôle des naissances, la montée du conservatisme religieux, le recul des politiques de Planning familial et les non-décisions politiques font remonter les courbes. par Frida Dahmani lutte contre le sous-développement qui a également permis vec 11,4 millions d’habitants, la petite Tunisie aux Tunisiennes de disposer d’elles-mêmes. À telle enseigne n’est pas confrontée au choc démographique qu’elles donnaient naissance à deux enfants dans les années des géants d’Afrique. Et ici, la natalité se porte 2000 contre sept dans les années 60. Une transition démobien. Nul besoin de chiffres pour le constater ; graphique brutale mais saluée comme un modèle à suivre par il suffit de flâner un samedi après-midi dans les instances internationales. Il n’en demeure pas moins que les artères des grandes villes, dans les innombrables centres ce choix fait par les autorités a été imposé au même titre que commerciaux ou autres espaces publics, pour constater le l’éducation, la lutte contre l’analphabétisme et l’éradication des nombre important de familles accompagnées de deux ou trois épidémies. Cette politique, qui présentait la limitation de la enfants de moins de 8 ans. Certes le pays est jeune, 60 % de sa population a moins de 30 ans, mais il ne s’agit pas de cela ; la Tunisie, aujourd’hui, pouponne. La proliféraNOMBRE MOYEN D’ENFANTS PAR FEMME, TUNISIE tion de jardins d’enfants, de magasins 8.00 de jouets et de vêtements pour les O 7.00 O petits, d’espaces réservés aux familles, O de clubs pour les moins de 6 ans dans 6.00 O les milieux urbains, est aussi un indiO 5.00 cateur significatif d’un phénomène O nouveau. L’offre de prestations propo4.00 O sées aux foyers avec une progéniture 3.00 en bas âge pourrait révéler une meilO O O O O leure aisance sociale et un changement 2.00 dans les habitudes familiales, avec des 1.00 mères qui n’abandonnent pas leur vie active. Elle dit surtout que la Tunisie fait de plus en plus d’enfants. C’est ce que confirment les chiffres de l’Institut Culminant à 7,01 en 1964, le nombre d’enfants par femme a progressivement national des statistiques (INS) issus du baissé depuis pour s’établir à 1,99 en 2005. Selon les estimations de la Banque mondiale, ce taux pourrait monter à 2,33 en 2020. recensement de 2014 ; pour une population de 11,4 millions, le nombre de fécondité comme un devoir des femmes au titre d’une partinaissances est passé de 182 478 en 2005, à 225 887 en 2014, cipation au développement économique, s’est appuyée sur le tandis que le nombre moyen d’enfants par femme, ou indice réseau du Planning familial. Celui-ci a vulgarisé le principe du synthétique de fécondité (ISF), est de 2,46 en 2014 contre 2,16 contrôle des naissances, l’usage de la contraception et l’avoren 2004 et 2,2 en 2009. tement. « Quand les femmes faisaient trop d’enfants, on avait La situation est assez paradoxale pour la Tunisie. Au lenderecours à la ligature des trompes. C’était sans doute violent main de l’indépendance, dans un ensemble de mesures pour pour les couples mais la plupart des femmes étaient soulagées l’émancipation de la femme dont le Code du statut personnel de ne plus enfanter », se souvient Fatma Mourali, une assistante (CSP), la régulation des naissances a été l’un des outils de

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Autrefois gratuits, les préservatifs coûtent désormais 5 500 dinars (1,8 euros) les trois unités et sont souvent en rupture de stock.

En 1957, le président Habib Bourguiba (au centre) promulgue le Code du statut personnel visant à instaurer l’égalité des droits dans de nombreux domaines entre les hommes et les femmes. Dès les années 60, la pilule contraceptive est accessible gratuitement. Et en 1965, une loi autorise l’avortement, tant pour des raisons médicales que sociales. À son opposé, des Tunisiennes, dans l’attente de trouver un emploi, mettent à profit ce temps pour devenir mère. D’autres estiment que la recrudescence des naissances est en lien avec une société qui s’est révélée profondément conservatrice depuis la révolution de 2011 ; comme si l’ancien régime avait brimé sociale qui a participé au lancement du Plansa prédisposition naturelle. Dans le discours ning familial aux côtés de la première gynédes islamistes, entre 2011 et 2013 – date où cologue tunisienne, Tawhida Ben Cheikh. Les ils ont quitté le pouvoir –, les incitations au Tunisiennes, qui représentent la moitié de la mariage étaient nombreuses, certains en faipopulation, ont dès lors pris, avec un certain * saient même un droit qu’ils réclamaient pour succès, une place active dans la société, accédé à E SO AL UR DI CE : les plus démunis, tandis que des associations l’éducation et intégré le marché du travail. B A NQU E MON caritatives organisaient des cérémonies en groupe. Soixante ans et une révolution plus tard, malgré les Indubitablement, un changement a impacté la société. changements de modes de vie, le chômage, le niveau d’éducation Mais il est aussi issu d’une décision politique, ou plutôt d’une et l’urbanisation, la Tunisie, avec une fécondité de 2,5 enfants non-décision. En effet, si les autorités ne semblent pas s’alarpar foyer (lire p. 27), est prise dans « une contre-transition mer de l’inflexion de la courbe des naissances, elles semblent démographique, comme l’Égypte et l’Algérie », selon Youssef aussi ne pas avoir de politique en matière de planification Courbage, directeur de recherches à l’Institut national des natale. Le docteur Khaldoun Bardi constate que « tout a été fait études démographiques (Ined). Un renversement de tendance pour détricoter le système de régulation de naissances ; tant et une réaction de type nataliste qui interpellent. La hausse au niveau du discours qu’au plan pratique en rendant difficile actuelle n’est plus justifiée comme dans les années 80 par la l’accès soit à la contraception soit à l’interruption volontaire de baisse de la mortalité infantile ; pour l’INS, le baby-boom s’exgrossesse (IVG). Le constat est là ; les équivalents du Viagra plique par l’augmentation du nombre de mariages au moment sont disponibles, par contre les stérilets, contraceptifs que préoù les époux, natifs des années 70-80, sont en âge de fonder fèrent les femmes en Tunisie, sont en rupture de stock. Nous une famille. « Le temps de boucler les études, de trouver une manquons de gouvernance pour les moyens que nous avons, stabilité professionnelle, fait que l’on se marie beaucoup plus mais le symptôme est plus grave que le fait lui-même ; toute la tard. Mais l’horloge biologique presse les femmes à procréer » trame du choix de société est attaquée ». La natalité est prise raconte Imène, pharmacienne de 38 ans qui vient d’avoir son entre deux feux du fondamentalisme religieux : celui encouragé premier enfant et projette d’en faire un autre avant ses 41 ans.

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NICOLAS FAUQUÉ /IMAGESDETUNISIE.COM - DR

millions d’habitants (11,4 en 2017)

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TEMPS FORTS MAGHREB : LE RETOUR DES BÉBÉS

par la politique et celui qui répond aux principes d’une frange de la société nourrie des préceptes des chaînes satellitaires traditionalistes. La situation est ubuesque ; tout le système de contrôle et de régulation des naissances se délite faute d’un programme, de moyens et de maintenance de son réseau. Les centres de Planning familial, qui fournissaient les stérilets gratuitement, invitent les femmes à les acheter ; les plus démunies n’en ont pas les moyens et « reviennent plus tard au Planning pour un avortement qui revient plus cher à l’État que le stérilet », souligne Irzak Khnitech de l’association tunisienne de la Santé de la reproduction. Encore faut-il qu’elles continuent de pouvoir recourir à l’IVG. « L’accès au centre de Protection maternelle et infantile (PMI) est devenu dramatique, il y a toujours quelqu’un qui invoque des raisons idéologiques et religieuses, pour dissuader les femmes d’interrompre une grossesse, même dans les délais légaux et sans que cela relève d’un avis ou d’un argumentaire médical », note Khaldoun Bardi. Rupture de stock des préservatifs, qui ne sont plus disponibles gratuitement et coûtent 5 500 dinars le paquet de trois unités, absence de sensibilisation et de prévention des jeunes à la sexualité achèvent de rendre patent le désengagement de l’État en matière de stratégie reproductive. La Tunisie, qui a bâti son développement notamment par le biais du contrôle des naissances, pourrait, faute de décision, mettre en péril ses équilibres. L’INS se veut rassurant. S’appuyant sur les projections des Nations unies en matière de population, l’institut assure que ce phénomène nataliste est ponctuel. N’empêche, le secrétaire d’État à la Jeunesse, Abdelkoddous Saâdaoui, précise « qu’il faudra attendre 2035 pour retrouver une stabilité démographique ». L’impact de la poussée de naissances est difficilement quantifiable mais pose déjà un problème sérieux dans la mesure où la Tunisie, dont les ressources sont faibles et qui peine à résoudre le problème de l’emploi des jeunes, ne peut continuer à soutenir une fécondité de 2,5 par famille. Les difficultés financières rencontrées par les ménages les inciteront peut-être à vouloir moins d’enfants. Il n’en demeure pas moins que les autorités devront tenir compte de cette tendance qui grèvera des caisses de Sécurité sociale et de retraite déjà mal en point. « Plus de naissances aujourd’hui, plus de retraités demain, une durée de vie plus longue, un chômage endémique et un secteur informel fort, vont mettre à genoux le système », souligne un directeur de la Caisse nationale de Sécurité sociale. Le plan de développement 2016-2020 ne prévoit rien en matière de natalité alors qu’un rapport sur « les perspectives de la population mondiale » des Nations unies annonce 13,476 millions d’habitants en Tunisie à l’horizon 2050. Il faudra que l’État s’y prépare, mais aussi que les femmes retirent à la sphère politique et sociale un droit de regard et d’ingérence dans leur sphère privée. Une démarche qui pourra être soutenue par la société civile. ■ 24

Maroc Le foyer comme seul horizon féminin Les Marocaines font des études, mais ne trouvent pas d’emploi. Et elles se marient plus tôt. Cette « transition de la nuptialité » pourrait provoquer une arrivée massive de jeunes sur le marché du travail. par Julie Chaudier

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e Maroc n’est pas encore concerné par la reprise de la fécondité qui touche tous les autres pays du Maghreb. « Pas encore » parce qu’un phénomène nouveau mis au jour par le dernier recensement général de la population a totalement surpris les statisticiens du Haut-Commissariat au Plan (HCP) : après avoir vu reculer pendant près de quatre décennies l’âge au mariage, celui-ci s’est soudain abaissé à partir de 2004. Contre toute attente, les Marocaines se marient de plus en plus tôt. « Globalement, l’âge au premier mariage féminin a diminué de 26,3 ans à 25,8 ans entre 2004 et 2014 », a annoncé Ahmed Lahlimi Alami, haut-commissaire au Plan, le 14 octobre 2015. Parallèlement, la part de mariés a augmenté de 53 % à 57,3 % parmi les hommes et de 54 % à 57,8 % parmi les femmes, entre 2004 et 2014. » « La proportion de célibataires est moins importante qu’avant, les unions sont plus nombreuses et l’âge au mariage des filles se réduit, donc on devrait logiquement voir le taux de fécondité augmenter, continue Jamal Bourchachen, alors secrétaire général du HCP, pourtant il s’est stabilisé depuis 2002. » L’indice de fécondité au Maroc a atteint en 2014 AFRIQUE MAGAZINE

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Un mariage traditionnel dans les rues d’Essaouira.

2,2 enfants par femme, à peine moins que dix ans auparavant, où il s’établissait à 2,5 enfants. Pour le statisticien, le Maroc assiste aujourd’hui à une transition de la nuptialité après avoir vécu sa transition démographique. Il s’attend d’autant plus à une augmentation de la fécondité « que le niveau de contraception (67 %) est déjà élevé. On le voit mal limiter les effets de cette nuptialité. » En octobre 2015, les statisticiens, surpris par leur découverte, avaient rapidement évoqué, une éventuelle « retraditionnalisation » du Maroc susceptible d’expliquer cette inversion de tendance. Au contraire, les phénomènes qui avaient servi pendant quarante ans à expliquer le recul de l’âge moyen au mariage étaient avant tout d’ordre social et économique. Sur la base d’une enquête biographique réalisée en 2009 à Sidi Ifni, la démographe Leila Boufraioua, explique ainsi que « les principaux facteurs à l’origine du retard de la primonuptialité féminine [un premier mariage contracté de plus en plus tard dans la vie des femmes, NDLR] sont l’accès à la scolarité et l’allongement des études, ces deux facteurs retardant l’entrée en union et réduisant la probabilité de contracter un mariage précoce ». AFRIQUE MAGAZINE

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Pour les hommes, « l’une des principales conditions imposées par les beaux-parents [au mariage, NDLR] est l’exercice d’une activité professionnelle leur garantissant que leur futur gendre sera en mesure de subvenir aux besoins d’une * SO famille », écrit-elle dans son LE UR IA CE : ND O M B A E NQU article « La nuptialité dans le sud marocain. Évolution des mœurs ou contraintes économiques ? ». Faut-il croire, alors, que, depuis dix ans, le processus inverse s’est enclenché ? Les Marocaines se marieraient-elles aujourd’hui de plus en plus tôt parce qu’elles auraient moins accès à l’école et feraient moins d’études ? Entre 2000 et 2014, le taux de scolarisation des filles au collège a en réalité explosé : il est passé de 26,3 à 54,4 %, soit un niveau supérieur à celui des garçons. De même, le taux de scolarisation des filles au lycée atteint 56,8 % en 2014 contre 22,9 % en 2000. Même dans l’enseignement supérieur, les

millions d’habitants (35,28 en 2017)

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mai 2017, le Centre d’études et de recherches démographiques (CERED) du HCP n’en fait ainsi aucune mention et parie sur la diminution régulière mais de plus en plus lente de l’indice de fécondité. Selon ses calculs, celui-ci devrait atteindre vers 2027 le seuil de renouvellement de deux enfants par femme, puis 1,8 en 2050. La population totale du Maroc atteindrait alors 43,5 millions d’habitants contre 33 millions en 2014. Surtout, « la population potentiellement active (de 15 à 59 ans) s’accroîtrait jusqu’au terme des projections, passant de 21,1 millions en 2014 à 25,6 millions en 2050. Celle de 18 à 24 ans, entrant sur le marché du travail, connaîtrait un accroissement de son effectif jusqu’en 2032. Après cette date, elle diminuerait sensiblement pour atteindre 3,8 millions en 2050 », écrivent les auteurs de l’étude. Au contraire, si le HCP se trompe – comme l’abaissement de l’âge au premier mariage le laisse présager –, les jeunes entrant sur le marché du travail devraient être plus nombreux dans une vingtaine d’années ou au-delà, selon le moment auquel la courbe de la fécondité se renverserait. Une perspective très inquiétante pour un pays dont l’économie ne parvient pas, à l’heure NOMBRE MOYEN D’ENFANTS PAR FEMME, MAROC actuelle, à créer suffisamment d’em8.00 ploi. En moyenne depuis au moins 2012, la population en âge de traO 7.00 O O vailler (de 15 à 59 ans) accueille en O 6.00 effet 386 000 jeunes de plus chaque O année, alors que l’économie natio5.00 O nale ne parvient même plus à créer O 4.00 les 100 000 emplois annuels qu’elle O avait maintenus jusqu’en 2012. 3.00 O Même en 2017, alors que la météo a O O O 2.00 été clémente, l’économie nationale n’a créé que 86 000 emplois, alors que 455 000 personnes rejoignaient au même moment la population en De 7,09 en 1962, le nombre d’enfants par femme a ensuite baissé jusqu’en 2015 (2,53). âge de travailler. En 2016, année Selon les estimations de la Banque mondiale, ce taux devrait se stabiliser à 2,49 en 2020, un solde positif qui verrait croître la population de +23% dans les trente prochaines années. de sécheresse sévère, l’économie marocaine a même détruit 37 000 emplois de plus qu’elle n’en avait créés. de repousser la date de leur mariage, mais elles n’ont pas pour Seule note d’espoir dans une perspective bien sombre, la autant trouvé de travail ensuite. Elles en obtiennent même reprise de la fécondité serait synonyme du rajeunissement de la moins que par le passé. Le foyer et le mariage semblent ainsi population. Aujourd’hui, le vieillissement, lié à la baisse contiredevenir leur seul horizon. nue de la fécondité, a déjà commencé. Entre 2004 et 2014, Ce faisant, puisque ce dernier reste au Maroc l’unique la part des habitants de 60 ans et plus est passée de 8,1 % à cadre de la reproduction, le taux de fécondité devrait logique9,6 %. Elle implique que le nombre de personnes âgées inacment repartir à la hausse dans les prochaines années. Depuis la tives que les travailleurs ont à charge est en train d’augmenter. découverte de cette « transition de la nuptialité » qui rapproche Un rajeunissement impliquerait au contraire que la charge des le Royaume de l’expérience des autres pays du Maghreb, personnes âgées serait mieux répartie sur une population plus aucune enquête ne s’y est pourtant intéressée. Il semble grande. Une bonne nouvelle si cette dernière parvient bel et même qu’elle ait été complètement oubliée. Dans ses « Projecbien à trouver de l’embauche. ■ tions de la population des ménages 2014-2050 » publiées en 1960

femmes ont sensiblement augmenté leur présence. Elles représentent aujourd’hui 48,5 % des effectifs des établissements publics, contre 41,9 % en 1998. Il n’y a que dans l’enseignement supérieur privé que leur nombre a baissé, pour n’atteindre que 39,7 % des effectifs, contre 42,1 %, seize ans plus tôt. Il faut donc chercher ailleurs l’explication à la régression de l’âge au mariage des Marocaines. Elle pourrait se trouver dans le taux d’activité des femmes. Entre 2004 et 2014, celui-ci s’est littéralement effondré. Dans le monde rural, il est passé de 14,9 % à 7,5 %, de sorte que toutes zones confondues, seuls 14,7 % de la population féminine était professionnellement active en 2014, contre 17,6 % dix ans auparavant. Toutes les autres femmes en âge de travailler y ont tout simplement renoncé. Pire, parmi ces femmes « actives », 28,3% sont au chômage. En somme, seuls 8,3 % des Marocaines occupent un poste. Face à ce constat alarmant, une hypothèse émerge : l’augmentation de l’emploi féminin n’a pas pris le relais de l’école et de l’enseignement supérieur. L’investissement des femmes dans leur formation leur a permis


Youssef Courbage : « Un changement conjoncturel »

JOHN FOLEY/OPALE

Pour ce chercheur de l’Institut national d’études démographiques (France), il faut rester optimiste : les pays de la région restent globalement inscrits dans une perspective de réduction des naissances. propos recueillis par Julie Chaudier Le Maroc a vu ces dix dernières années l’âge au premier AM : La quasi-totalité des pays du Maghreb et du Prochemariage des femmes régresser. Faut-il s’attendre à une Orient connaissent une augmentation de la fécondité. augmentation de la fécondité ? S’agit-il d’un phénomène global qui touche toute la région ? Le Maroc est le seul pays du Maghreb à ne pas avoir Youssef Courbage : Chaque pays est particulier et ces connu de contre-transition démographique. Il est vrai que hausses sont des phénomènes concomitants mais relativel’âge au mariage s’est abaissé récemment – mais de quelques ment étrangers les uns aux autres. En Égypte, l’explication mois seulement, c’est très peu – et que la proportion de céliest assez simple : le taux d’emploi des femmes a beaucoup bataires est en baisse mais ce n’est là que l’un des facteurs régressé, en particulier chez les femmes très instruites. Il des évolutions de la fécondité. Il faudrait étudier aussi avec n’y a que chez les Égyptiennes analphabètes que ce taux attention la contraception, le nombre d’avortements, mêmes augmente, mais elles sont de moins en moins nombreuses. illégaux, ainsi que le nombre de séparation des couples… En Syrie, avant 2011, l’hétérogénéité de la société justifiait Dans un pays comme le Maroc où l’émigration est forte, il que le pays n’ait pas entamé sa transition démographique. faut aussi relever le nombre d’hommes mariés séparés, pour Une minorité composée des chrétiens, des Syriens d’orilesquels il est impossible d’avoir des enfants. Je ne pense pas gine russe et des Alaouites, avaient bien adopté les mœurs que l’abaissement de l’âge au mariage suffise à provoquer européennes et atteint une fécondité proche de ce que l’on la baisse de la fécondité. retrouve en Europe, mais la majorité, laissée pour compte, composée de Sunnites, conti- « Les Arabes ont Que peut-on conclure de ces constats nuait à faire beaucoup d’enfants. vécu en quarante successifs ? Le modèle de « transition démographique » conçu en Europe pour Est-ce la même explication pour l’Algérie ans ce que les l’Europe est-il trop schématique et ne peut et la Tunisie ? Européens ont correspondre à la réalité particulière En Algérie, d’abord, les femmes travaillent mis quasiment de chaque pays ? peu. Ensuite, le pays est passé d’un état de Il y a certainement de ça, mais je pense guerre civile jusqu’au début des années 2000 deux siècles surtout qu’il s’agit de phénomènes pureà un état de paix et de relative prospérité écoà accomplir. » ment conjoncturels. J’ai publié en 2007 avec nomique. De ce fait, beaucoup de mariages qui Emmanuel Todd Le Rendez-vous des civilisations. Nous avaient été repoussés pendant la guerre ont pu avoir lieu. estimions que le monde arabe, par sa transition démoDans les pays qui ont connu des violences très meurtrières, graphique, allait rejoindre les standards européens. Je ne on parle aussi souvent de pulsion nataliste, comme d’une pense pas qu’il faille revenir sur nos conclusions. Il faut urgence de la vie. Dans ce pays, un million de personnes garder à l’esprit que les pays arabes ont vécu en quarante sont mortes pendant la guerre d’indépendance. ans ce que l’Europe a réalisé en un siècle et demi voire deux Pour la Tunisie, je donne ma langue au chat ! J’y ai siècles. C’est un choc brutal qui ne peut pas avoir lieu sans discuté avec différents chercheurs, qui m’ont donné des perturbations. Même en Europe, en Allemagne, en France, réponses contradictoires. Certains m’ont servi la tarte à la mais aussi en Irlande et dans les pays scandinaves, la baisse crème habituelle : l’influence de l’islamisme. D’autres affirde la fécondité n’a pas été continue. Il y a eu des oscillations ment que les statistiques publiques seraient erronées… Il sur une tendance générale à la baisse. Ces exemples me faut souligner, surtout, que l’augmentation de la fécondité rendent relativement optimistes pour le monde arabe. ■ en Tunisie est beaucoup plus faible qu’en Algérie.

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Algérie : Le néo-boom Comme souvent dans l’histoire, la fin de la guerre et le retour à une forme de paix durable ont provoqué une hausse de la natalité. Le palier de trois enfants par femme pourrait être atteint. Une nouvelle donne qui met l’État au défi en termes d’emplois, de logements, de création de richesse. par Akram Belkaïd

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phique est repartie à la hausse en Algérie et un chiffre à lui la fin des années 80, de nombreux démographes seul permet de prendre la mesure de ce nouveau changement. et économistes algériens annoncent une grande En 2017, les naissances devraient avoir dépassé le million de nouvelle. Le taux de fécondité a beau être bébés contre moins de 500 000 en 2002. En 2015, selon l’Ofencore élevé, l’Algérie semble bel et bien engafice national des statistiques (ONS) basé à Alger, le taux de gée dans la transition démographique avec un fécondité atteignait 2,8 et devrait peut-être repasser la barre taux de 4,5 en 1990 (il était de 4,8 alors que le pays s’apprête à symbolique des trois enfants par femme dès 2018. Ces projecfêter le vingtième anniversaire de son indépendance en 1982). tions permettent ainsi d’envisager une population algérienne Comme d’autres États du Sud, l’évolution démographique s’ende l’ordre de 52 millions d’individus en 2030, cinq fois plus qu’à gage alors dans une tendance classique qui voit émerger une l’indépendance et 11 millions de plus qu’en 2017. Comment baisse conjuguée des naissances et des décès. Pour ces spéciaexpliquer un tel retournement ? L’une des premières raisons listes, le spectre de la surpopulation contre lequel mettaient en garde nombre d’experts durant les années 70 s’éloigne. Dix ans NOMBRE MOYEN D’ENFANTS PAR FEMME, ALGÉRIE plus tard, et alors que s’achève la 8.00 « décennie noire » (1991-2000) et O O O O son lot de violences meurtrières, les 7.00 O statistiques confirment la tendance. 6.00 L’indice de fécondité est tombé à 2,4 O en 2000. Les démographes parlent 5.00 O alors « d’aubaine démographique ». 4.00 En un mot, cela signifie que la O population active est encore jeune 3.00 O O O O et nombreuse et qu’elle profite – en 2.00 théorie – d’un double avantage, celui d’avoir moins d’enfants à nourrir et moins de personnes âgées dont il faut s’occuper. Cela, à condiDe 7,68 en 1966, le nombre d’enfants par femme a baissé jusqu’en 2002 (2,4) tion bien sûr, que l’économie suive avant de repartir à la hausse en 2004. Selon les estimations de la Banque mondiale, la population pourrait s’accroître de +37,5% d’ici l’année 2050. et offre suffisamment d’emplois. Dans leur ouvrage Le Rendez-vous avancées par certains experts est qu’eux-mêmes (ou leurs collèdes civilisations (Seuil, 2007), les démographes Youssef Courgues) se sont lourdement trompés dans l’analyse du phénomène bage et Emmanuel Todd, entérinent cette transformation, de baisse des naissances des années 90. Selon eux, la guerre l’inscrivant dans une tendance mondiale « de convergence » civile en Algérie a simplement empêché de nombreux ménages où, dans l’ensemble du monde arabo-musulman, à quelques de faire des enfants. Elle aurait aussi été un obstacle imporexceptions près (Yémen, Gaza), la hausse du niveau d’alphatant aux mariages. Du coup, au lieu de se maintenir autour de bétisation des hommes et des femmes, l’érosion de l’endogamie la barre des trois enfants par femme, la fécondité aurait draet l’amélioration des conditions de vie se combinent avec la matiquement baissé en raison des circonstances politiques et baisse de la fécondité. sécuritaires. À cela s’ajouterait le fait que le pays a aussi connu Or, depuis quelques années, le discours est d’une tout autre à l’époque une grave crise économique (hausse du chômage, nature et reprend des accents alarmistes. La courbe démogra-


Par rapport à ses voisins marocain et tunisien, l’Algérie compte la natalité la plus forte ainsi que l’âge médian le plus jeune du Maghreb (27,5 ans pour les hommes, 28,1 pour les femmes).

dans le retour en force du conservatisme religieux, l’explication fermeture de nombreuses entreprises publiques, etc.). Le boom de la hausse de la natalité. Certes, la société algérienne est traactuel serait à mettre sur le compte d’un « effet de rattrapage » versée par un regain de religiosité et de prégnance du discours postdécennie noire. Tout en reprenant cette hypothèse, du moralisateur. Mais contrairement à d’autres religions, l’islam, y moins en partie, plusieurs démographes algériens avancent compris traditionaliste, est bien moins virulent à l’égard une autre explication principale. Selon eux, il faut des programmes de Planning familial. Si la question interpréter la période ayant suivi la guerre des relations sexuelles hors du mariage demeure civile comme, non pas un rattrapage, mais un tabou, la prescription de contraceptifs oraux un « baby-boom » classique, comparable à pour les femmes mariées ne pose, à l’heure ce que d’autres pays ont connu. Quand la actuelle, aucun problème majeur. Dans les dispaix revient, quand la violence terroriste cours politiques tels que ceux que véhicule le s’éloigne et que l’État tient un discours salafisme, la nécessité pour un ménage de faire optimiste, à l’instar de ce que fit le prébeaucoup d’enfants n’apparaît pas comme une sident Bouteflika après sa première élecurgence ou une priorité. tion en 1999, la démographie est stimulée. Mais quelles que soient les raisons de ce Et c’est d’autant plus vrai que les autorités « néoboom démographique », l’Algérie va devoir algériennes ont beaucoup dépensé pour réagir avec vigueur pour encaisser le choc à venir. assurer le bien-être social. En construisant * E SO AL UR En 2030, les 20-35 ans constitueront 60 % de la plusieurs centaines de milliers de logements DI CE : N O B A NQU E M population active. Cette jeunesse aura besoin d’emplois, depuis 2000, Alger a permis à autant de ménages de logements, d’hôpitaux, d’écoles pour ses enfants mais aussi de s’installer et d’avoir des enfants. La résorption, même et surtout, de quoi manger. Selon les estimations les plus couincomplète, de la crise du logement – véritable fléau de l’Algérie rantes, il faudrait que le produit intérieur brut (PIB) algérien indépendante – est l’une des explications du retour en force enregistre un taux de croissance annuelle de 8 % pour absorber de la croissance démographique. Cela vaut aussi pour les larles nouveaux entrants sur le marché du travail à partir de 2020. gesses financières octroyées à la population, et notamment la Il faudrait aussi que l’Algérie résorbe sa dépendance alimenjeunesse, après les révoltes arabes de 2011. Hausse des subventaire à l’égard de l’étranger (40 % des besoins sont actuellement tions, augmentations salariales massives et rétroactives, encouimportés) et qu’elle redéfinisse son modèle social en vue de ragements à la création d’entreprises sont autant de facteurs répondre au défi démographique. Autant de chantiers cruciaux qui ont pesé dans la hausse de la fécondité. Reste enfin une qui méritent d’alimenter le débat électoral en vue du scrutin dernière explication, le plus souvent avancée en Occident mais présidentiel de 2019. ■ qui demande encore à être validée. Plusieurs experts voient

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NEW POWER. Originaire du Ghana, cet officier de l’Ordre de l’Empire britannique est le premier rédacteur en chef black de Vogue UK, l’un des plus prestigieux magazines de mode. Well done, Sir.

VLADIMIR WEINSTEIN/BFA/SIPA/SHUTTERSTOCK - COUVERTURES VOGUE

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amais la rédaction anglaise de Vogue, réputée pour être un peu collet monté, n’avait connu de dirigeant noir. Voilà chose faite. Depuis quelques mois, place à Edward Enninful, « l’un des rédacteurs de mode les plus talentueux et accomplis du monde » selon les termes dithyrambiques de Jonathan Newhouse, PDG de Condé Nast International. D’ailleurs, le nouveau rédacteur en chef n’arrive pas tout à fait seul. Sa garde rapprochée pour son premier numéro ? Ses « contributrices éditoriales » – Kate Moss et Naomi Campbell, s’il vous plaît –, le réalisateur Steve McQueen (Twelve Years a Slave), ou encore la maquilleuse star Pat McGrath. Bref, des créatifs qui ont du tempérament sont au top de l’univers des beautiful people. De quoi dynamiser un magazine qui, s’il est une marque censée être insubmersible, connaît des baisses de vente depuis quelques années et mérite, au Royaume-Uni du moins, d’être dépoussiéré comme il se doit. À l’heure où les marques et les annonceurs réalisent que la diversité est indispensable pour élargir la cible de leurs consommateurs, Enninful, 46 ans, est apparu comme étant l’homme du renouvellement. Une révolution ? Non et oui. Car s’il y a longtemps que mannequins noirs (Iman, Alek Wek…) ou photographes (Mathew J. Smith, Shamayin) ont investi la planète fashion, c’est la première fois qu’un poste de direction éditoriale aussi important est confié à un homme originaire d’Afrique. Expert des réseaux sociaux, qui ont contribué à sa popularité auprès d’une cible bien plus jeune que lui (près de 700 000 followers sur Instagram), connaissant les stars influentes du moment, il sait que la mode doit descendre dans la rue tout en faisant rêver. Si son intuition est si aiguisée, c’est qu’il connaît mieux que quiconque les coulisses de ce monde. Né au Ghana en 1972, Edward Enninful a été élevé à l’ouest de Londres. Sa mère, couturière, lui a transmis son amour des étoffes et, bien qu’il soit entouré de cinq frères et sœurs, il sait très vite imposer son bagout et sa singularité. Adolescent longiligne, il est alors est repéré par un œil de lynx (dans un train !) et pose devant les objectifs de grands photographes du milieu comme Nick Knight. À 18 ans seulement, il devient styliste pour le très branché magazine i-D. Et pas stagiaire ! Ainsi, il y travaille avec David Sims, Craig McDean, Sølve Sundsbø (pour les faiseurs d’images) et, déjà, Kate Moss, Naomi Campbell (pour les muses). À la fin des années 90, l’édition italienne de Vogue fait appel à lui, puis, quelques années plus tard, c’est la papesse Anna Wintour qui lui demande de signer des séries mode. En 2008, le « Black Issue » du Vogue italien, qui ne présente que des mannequins noirs, est en rupture de stock en 72 heures. Plus rien n’arrêtera son ascension. En 2011, tout en étant consultant pour des marques (de Calvin Klein à Dior), il est nommé directeur artistique et créatif du magazine W. Son parti pris, à la fois chic et urbain, assoit la réputation du magazine et fait accourir les annonceurs. En 2016, il est fait officier de l’Ordre de l’Empire britannique. Pas mal, pour un homme noir et, qui plus est, ne cache pas son homosexualité… En février 2017, il profite de la Fashion Week pour réunir 81 célébrités de la mode dans une vidéo ultra-virale, baptisée « I am an immigrant », imposant son ouverture d’esprit face au décret migratoire de Donald Trump. Il ne manquait plus que la rédaction en chef de Vogue à son arc et, telle une Wintour sur son trône new-yorkais, il impose déjà sa patte sur la revue, avec l’activiste Adwoa Aboah ou les sœurs Hadid en couverture. Au moment où Black Panther fait un carton mondial, Edward Enninful participe à sa manière à faire évoluer les mentalités. Et banaliser l’évidence : le talent n’a ni frontières ni couleur. ■

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Plus de diversité : la nouvelle tête pensante du magazine est passée à l’acte dès son premier numéro, en mettant à la une Adwoa Aboah (à g.), la très engagée mannequin d’origine ghanéenne. Et pour le mois de mars 2017, c’est Bella et Gigi Hadid qui ont droit à une couverture chacune.

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TEMPS FORT

RD Congo Miné par les conflits, la violence, la corruption, le pays devrait voter le 23 décembre... Un obstacle qui paraît infranchissable. Et alors que tout est à reconstruire.

FIN

DE RÈGNE par George Ola-Davies avec Zyad Limam

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ien d’étrange à ce que les leaders religieux soient fortement impliqués dans la vie sociopolitique de la République démocratique du Congo. Il en est ainsi depuis la période précoloniale du pays. La puissante Église catholique et ses dirigeants ont souvent été impliqués dans l’étouffement de tout chaos qui couvait. Pas toujours avec succès, mais les politiciens avaient tendance à les écouter, au moins pendant un temps. Les chefs religieux ont joué un rôle important dans la Conférence nationale souveraine de 1990, qui visait à réintroduire la politique multipartite et à mettre fin à deux décennies de dictature de Mobutu. Ils ont également suivi de près, entre 2001 et 2003, le dialogue intercongolais de Sun City, en Afrique du Sud, qui installait, pour la première fois dans l’histoire de la politique en Afrique, quatre vice-présidents, visant à surmonter les divisions traditionnelles du pays et à inaugurer un véritable fonctionnement démocratique. Ce nouveau système tendait à apaiser les divisions dogmatiques qui ont entaché le tissu de la société et ainsi éloigné les chefs religieux. Mais cela n’a duré qu’un temps, car ces derniers devaient resurgir au centre de la vie politique de leur cher pays pour éviter qu’il ne sombre dans les abysses d’une crise politicohumanitaire. Leur dernière implication a fait naître un

nouveau chapitre de l’intervention sécuritaire défiant toute raison. Car malheureusement, cette démocratie issue du dialogue intercongolais, dans une nation de près de 79 millions d’habitants, surnommée par euxmêmes « scandale géologique » à cause de son immense richesse minérale, n’a été qu’une succession de rêves brisés. La RDC est le deuxième plus vaste pays du continent (2 344 858 km2) après l’Algérie, et se targue d’offrir le cinquième plus grand gisement de diamants au monde. Il dispose également de larges réserves d’or, de cobalt, de cuivre, de nickel et d’un métal rare, la cassitérite, utilisée dans la fabrication des téléphones portables. Marie-Ange Mulumba, une femme d’affaires diamantaire à Mbuji Mayi, a dit de la richesse minérale du pays : « Si seulement nous avions utilisé sagement nos minerais, nous aurions vécu dans un paradis sur terre, mais ici au Congo, nous sommes dans un enfer perpé-

À Kinshasa, le 26 janvier 2018, Joseph Kabila a tenu une conférence de presse, la première depuis cinq ans.


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tuel. » Le barrage hydroélectrique d’Inga, construit sous le régime de l’ancien président Mobutu Sese Seko, au point mort depuis des décennies, est un autre scandale énergétique. Le jour où il sera entièrement opérationnel, il pourra fournir 4 500 mégawatts d’électricité qui non seulement alimenteront toute la RDC mais seront également exportés vers la Namibie, l’Angola, le Botswana et l’Afrique du Sud… La RD Congo, c’est aussi l’histoire d’une immense tragédie nationale, avec une succession de guerres, et surtout, un conflit

tout est relatif –, l’État se délite, laissant par ailleurs les pilleurs de tous acabits dévaster les immenses ressources naturelles congolaises. En marge des querelles de politiciens dans la capitale, on a assisté à une réapparition des combats interethniques qui ont duré près de deux décennies dans la région orientale de l’Ituri, entre les communautés hema et lendu. Des milliers de personnes ont fui vers l’Ouganda voisin, laissant derrière elles leurs maisons incendiées, leurs terres agricoles détruites et leur bétail volé. Le conflit entre les deux communautés qui vivent côte à côte a fait plus de 10 000 victimes depuis que la violence a éclaté en 1999. Sur un autre front, les milices armées ont poursuivi leurs activités dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.

ÉPICENTRE DE LA CRISE

majeur embrasant la région, entre 1998 et 2003, impliquant une dizaine de pays africains, provoquant un nombre de victimes estimées entre 1 et 5 millions de personnes. Le cataclysme le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale… La RD Congo, c’est aussi la présence de la plus importante et la plus onéreuse force des Nations unies : 18 000 militaires, 4 000 civils. Dix provinces sur 26, selon le magazine britannique The Economist, sont en situation de crise armée intérieure, avec la présence de milices hors de contrôle. On estime que 2 millions de Congolais ont quitté leurs lieux de vie l’année dernière, portant le nombre de réfugiés à près de 4,5 millions. En dehors de Kinshasa (voir p. 38), de Lubumbashi – et encore,

Son mandat légal a pris fin il y a près de deux ans et aucun signe ne montre qu’il soit prêt à RENONCER au pouvoir. 34

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31 décembre 2017. À l’appel de l’Église, des manifestations pacifiques anti-Kabila ont eu lieu dans plusieurs villes, comme ici à Kinshasa.

Le président Joseph Kabila a suivi les traces d’autres leaders africains sur le continent avant lui. Il s’est présenté en treillis militaire quand il a été imposé au peuple après l’assassinat de son père Laurent-Désiré, puis l’a troqué pour des costumes de grands couturiers. Il a été élu deux fois, en 2006 et 2011, à la suite de processus douteux. Son mandat légal après deux quinquennats a pris fin il y a près de deux ans et aucun signe ne montre qu’il soit prêt à renoncer au pouvoir bientôt. La dernière date annoncée pour l’élection présidentielle est le 23 décembre de cette année. Mais beaucoup n’y croient pas… À deux reprises, ces élections ont été reportées pour des raisons différentes et chaque fois, le pays a glissé dans une nouvelle et plus grande violence. L’Église est intervenue alors que les forces de sécurité de l’État employaient leurs tactiques brutales et sanglantes envers les Congolais qui comptaient leurs morts et leurs biens détruits. La différence cette fois, est que les partisans du parti au pouvoir conduisent ce qu’ils ont appelé des « contre-manifestations » dans les églises de l’ensemble du territoire pour parer aux marches de protestation initialement lancées par les chefs religieux. L’incertitude sur la candidature de Kabila a suscité en particulier l’attention de la part du Comité laïc de coordination (CLC) qui a organisé la série de marches populaires en RDC les 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018. Pour la première fois, les forces de sécurité sont alors entrées dans les églises et ont attaqué ceux qu’elles accusent de participer à un « soulève-


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25 février 2018. Pour la troisième fois en deux mois, des catholiques manifestent contre le président après la messe du dimanche, qui se heurtent aux forces de l’ordre.

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On a tendance à croire à Kinshasa que la communauté internationale est un chien de garde impuissant, INCAPABLE de fermeté… 36

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ment, a même déclaré en janvier dernier : « Monsieur Kabila ment populaire non autorisé ». Les Nations unies ont confirmé ne se représentera pas à la présidence. » Pour Roger Lumbala, la mort de neuf personnes cette année suite à des violences leader du Rassemblement congolais pour la démocratie natiopolicières. nale (RCDN) et possible candidat au scrutin du 23 décembre : À l’épicentre de la crise : la tenue ou non d’élections le « Nous ne savons pas si Kabila va abandonner. Il est intro23 décembre prochain. Le gouvernement, par le biais de la verti et il est difficile de deviner ce qu’il pense. » Pendant ce Commission électorale nationale indépendante (CENI), tente temps, le président agit comme si de rien n’était ou presque. d’introduire un nouveau système de vote électronique controEt consolide son pouvoir. Il a récemment nommé Henri Mova versé, que beaucoup soupçonnent de pouvoir fausser les résulSakanyi comme nouveau ministre de l’Intérieur et vice-Pretats. Le 13 février, le chef de la CENI, Corneille Nangaa, a mier ministre. Sakanyi était, jusqu’à cette nomination, le déclaré : « Sans machines à voter, il n’y aura pas d’élection le secrétaire général du parti PPRD (Peuple pour 23 décembre 2018. » D’autres responsables de la reconstruction et la démocratie) de Kabila, la CENI ont affirmé qu’il ne s’agit pas d’une un titre qui est en cours de suppression pour « machine à tricher » mais plutôt d’une techfaire place au nouveau poste de président, que nologie qui simplifie le processus et réduit les Kabila aurait l’intention d’assumer. coûts. Les opinions de la communauté internaAvec une opposition en plein désarroi, la tionale vont à l’encontre de celles de la CENI. possibilité que le PPRD de Kabila continue à L’ambassadeur américain auprès des Nations s’accrocher au pouvoir, avec lui-même dans le unies, Nikki Haley, par exemple, a affirmé que rôle d’une éminence grise qui tire les ficelles en le nouveau système de vote pourrait nuire à coulisses, n’est pas à exclure. Pour Thierry Virla crédibilité du scrutin. « Cette élection doit coulon, analyste reconnu de la région, le mainêtre soutenue par un vote papier dont le peuple tien au pouvoir de Joseph Kabila en RDC tient congolais ne contestera pas le résultat », a-t-elle largement grâce à un pacte tacite passé entre les déclaré, ajoutant que « les États-Unis ne sont acteurs sécuritaires, politiques et économiques. pas enclins à soutenir un système de vote élec- L’opposant Roger Lumbala tronique ». Pourtant, afin qu’un tel système (RCDN) pourrait se représenter. Qui n’ont aucun intérêt à ce que cela change. Les « services de sécurité » ont toute latitude fonctionne correctement, il a besoin d’une alipour faire des affaires depuis l’arrivée au pouvoir de Kabila, mentation électrique constante, ce qui n’est pas seulement un en 2001. Les politiciens et les élus vivent de la perpétuation luxe pour certains, mais pour la majorité de la population… du système avec ses salaires et ses rentes. Les compagnies minières et pétrolières (souvent sous-estimées), chasse garSILENCIEUX SUR SON AVENIR dée des proches et des alliées du régime, s’enrichissent tranLa RDC n’a pratiquement jamais cédé à la pression interquillement et apparaissent régulièrement dans les enquêtes nationale. Cette dernière menace ne sera pas une exception. internationales, type Panama Papers. Et la plupart des grands On a tendance à croire à Kinshasa que la communauté interpays voisins, à l’exception notable du Rwanda, ont trouvé un nationale est un chien de garde impuissant, incapable de modus operandi avec le président Kabila et son gouvernement. fermeté dans l’exécution de ses sanctions, sauf pour retenir Enfin, il faudrait parler de la Chine, devenue depuis le fameux l’argent de l’aide, geler les biens étrangers des hauts fonctiondeal de 2007 « minéraux contre cash » l’un des acteurs majeurs naires et militaires et les empêcher de voyager vers les pays de la politique congolaise. Après dix-sept ans de Kabilisme où leurs fonds sont conservés. Kabila lui-même reste silencieux (et plus de trente ans de Mobutisme), les citoyens aspirent sur son avenir. L’un de ses collaborateurs, Lambert Mende, à un véritable changement, à quelque chose de profond qui ministre de la Communication et porte-parole du gouverneira au-delà du simple renouvellement de la classe politique. Il s’agit de mettre un terme à un vrai système économico-po-


litique d’intérêts croisés, mettre fin, pour reprendre Thierry Vircoulon, au « consensus de corruption », «horizon indépassable de l’histoire congolaise ». Face à cette force d’inertie, à l’immensité de la tâche, les fissures au sein de l’opposition continuent à s’accentuer. Moïse Katumbi, riche homme d’affaires et ancien gouverneur de la province du Katanga, qui dirige la plate-forme politique du G7, reste en exil sans aucune certitude qu’il sera de retour pour mener une campagne digne de ce nom. Katumbi bénéficie de soutien non seulement dans sa région du Katanga, mais dans tout le pays. Avant de déclarer son intention de devenir président, il avait largement supporté et parrainé Joseph Kabila. Il a démissionné du parti du PPRD en 2015 après des différends avec celui-ci, dénonçant la dérive de l’exécutif et l’absence d’État de droit. Son départ du pays a suscité des incertitudes, ce qui a conduit à l’effritement progressif du G7. La faction Tshisekedi, née après la mort de l’emblématique figure de l’opposition, Étienne Tshisekedi wa Mulumba, en février 2017, aurait pu être un bloc d’opposition majeur, mais elle est plus divisée que jamais. La formation avait à peine décollé quand elle a été frappée par une sécession. Il y a maintenant deux camps constitués du « Rassemblement de Limete » avec Félix Tshisekedi à sa tête et Olivier Kamitatu, Pierre Lumbi, et Christophe Lutundula comme principaux acteurs. Et « l’aile Kasa-Vubu » composée du Premier ministre, Bruno Tshibala, Joseph Olenghankoy et Roger Lumbala

Vital Kamerhe, l’un des architectes de l’accord de Sun City et ancien président de l’Assemblée national, a choisi le camp du MLC.

VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/REA - KENNY KATOMBE/REUTERS

CRISE DE LEGITIMITÉ Olivier Kamitatu était membre fondateur du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. Ce dernier étant en prison et suite à une série de désaccords, il avait quitté le MLC pour s’aligner sur la majorité présidentielle en devenant ministre puis député, avant de créer son propre parti, l’ARC (Alliance pour le renouveau au Congo). Il est désormais le porte-parole du G7 qui soutient Moïse Katumbi pour la présidence. Leur crise interne au sein du G7 est double. L’une des principales sources de discorde qui est apparue au public en décembre dernier Ses partisans l’attendent. Mais rien ne dit que l’ancien gouverneur de la province concerne le soutien ou non d’une marche pour du Katanga, Moïse Katumbi, exilé, sera de retour pour mener campagne. contrer celle proposée par le CLC. Cette différence de point de vue semble profonde et si l’on en croit Roger ceux qui sont au pouvoir le sont en dehors de tout mandat poliLumbala, cela semble irréconciliable. Une autre réside dans tique. Sur la base de cette illégitimité, comment pouvons-nous les désaccords profonds entre les groupements régionaux et espérer trouver une solution si nous n’avons pas d’élections ? » tribaux, désaccords endémiques qui ont tourmenté la vie poliLumbala soutient également l’idée que l’appareil étatique tique du pays bien avant l’avènement de l’indépendance. Roger réprime ceux qui ont supporté l’appel à la manifestation du Lumbala quant à lui pense que le pays n’est pas en crise poliCLC. « Dans quel pays au monde les autorités resteraient les tique. « Nous avons surtout une crise de légitimité parce que bras croisés alors qu’il y a un soulèvement ? » D’un côté, dit-il, AFRIQUE MAGAZINE

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« on devrait critiquer de manière constructive et d’un autre côté, vous devriez essayer de réfléchir aux raisons de ce qui a poussé les autorités à prendre une telle position ». Face à une division si importante au sein du camp de Tshisekedi, il est difficile d’envisager une réconciliation avant le scrutin de décembre. La faction Tshisekedi n’est pas la seule opposition au régime de Kabila. Il y a eu une valse politique permanente, avec des personnalités influentes qui changent de camp à leur convenance. Il y a ceux qui choisissent celui du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, Mbusa Nyamwisi, un ancien chef de guerre et ex-ministre, et l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, l’un des architectes de l’accord de Sun City et ancien président de l’Assemblée nationale. L’absence de Jean-Pierre Bemba a peut-être affaibli la structure de son parti, mais les loyalistes

du parti du MLC sont toujours là. Ces personnalités politiques viennent de régions farouchement opposées au régime de Kabila. La base politique du MLC se trouve dans la région de l’Équateur, celles de Mbusa Nyamwisi et Vital Kamerhe dans la région du Kivu. Ils ne sont peut-être pas en mesure de mettre en place une force suffisante pour mener une bataille politique d’envergure, mais face à l’adversité du régime actuel, une recomposition des groupements d’opposition n’est pas impossible. Au moins ont-ils encore le temps de conduire et livrer un vrai combat. Les populations congolaises l’attendent avec impatience. Elles l’ont réclamé dans les rues, dans les bars, dans les lieux de prière… Et la dernière chose que les Congolais souhaitent, c’est un désordre à grande échelle dans un pays qui a déjà connu l’une des plus importantes instabilités politiques du continent. ■

Kinshasa ou la dynamique du chaos Congestionnée, anarchique et à bien des égards invivable, la troisième ville du continent a su créer une identité culturelle vivace, faite de débrouillardise et d’optimisme à toute épreuve. par Cédric Gouverneur

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imanche 25 février, les manifestations du Comité laïc de coordination (CLC) contre l’enkystement à la présidence de Joseph Kabila ont été, comme attendu, interdites et réprimées. Plus surprenant est le prétexte avancé par le gouverneur de Kinshasa afin de justifier cette interdiction : « Faute d’itinéraire à suivre, la ville ne saurait prendre acte de votre manifestation parce que ne pouvant en garantir un encadrement efficient », annonçait la veille André Kimbuta aux opposants catholiques. Cette saillie a dû faire sourire à Kinshasa, où l’« encadrement efficient » est une chimère, un OVNI, certainement le dernier qualificatif que les habitants accoleraient à la gestion – ou plutôt à l’absence de gestion – de leur incroyable mégapole… Troisième ville d’Afrique, près de 15 millions d’habitants selon certaines estimations, véritable cité-État. Kinshasa et ses 24 communes abritent tous les extrêmes, du pire bidonville à Pakadjuma aux villas de milliardaires ostentatoires sur les collines de MontFleury. Chaque matin, des « esprits de morts », véritables cars bondés, déversent des cohortes de travailleurs dans le centre de la Gombe, le quartier des affaires, qui repartent à la nuit 38

tombée, créant de gigantesques embouteillages sur les rares grandes artères de la ville, malgré le récent doublement des voies sur les boulevards Lumumba et du 30-Juin. Ici s’alignent des centres commerciaux et des immeubles résidentiels aux loyers exorbitants, une bulle sociologique où vivent les élites, les expatriés et les fonctionnaires de la Monusco, la mission interminable de l’ONU en RDC qui a fait flamber le coût de la vie. BIDONVILLES CRASSEUX ET VILLAS DE MILLIARDAIRES À l’autre bout de l’échelle sociale, les trois quarts de la mégapole sont constitués de zones crasseuses et délabrées, sans eau ni électricité, aux rues anonymes, alimentées par l’exode rural et les guerres des provinces de l’Est. Même dans les quartiers de la classe moyenne, les infrastructures, quand elles existent, sont défaillantes. Ainsi, en juillet dernier, des habitants de la commune de Ngaliema ont eu la désagréable surprise, en tournant le robinet, de voir couler des matières fécales ! Le recyclage des déchets n’est présent que parce qu’il permet à une partie de la population de subsister (métaux, verres, matériaux pour la confection de gravier…). AFRIQUE MAGAZINE

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L’intelligence, la ruse, L’INVENTIVITÉ permettent aux Kinois de lutter contre le marasme économique.

GWENN DUBOURTHOUMIEU/JEUNE AFRIQUE

Sur le boulevard du 30-Juin, centres commerciaux et immeubles résidentiels aux loyers exorbitants s’alignent : une bulle sociologique où vivent les élites. Plusieurs bourgmestres ont été démis de leurs fonctions, sanctionnés pour la saleté de leurs communes. Et pourtant, sans aucun plan directeur et soumise à une gestion totalement défaillante, Kinshasa tourne. La ville bénéficie en effet de son propre fluide vital : le « Mayélé ». L’intelligence, la ruse, l’inventivité qui permet aux Kinois d’affronter l’adversité, de surmonter les moult tracas du quotidien et de lutter contre le marasme économique, avec une énergie et une suractivité hors normes, où chacun s’affaire à deux ou trois boulots par jour. Entre les hôtels Memling et le Grand Hôtel, autour de l’ambassade de France, les chégués (jeunes livrés à eux-mêmes) vendent de tout à la sauvette, ciblant le tourisme d’affaires, tout en larcinant au passage. Capitale de la « SAPE » et de la fête, où les vieilles enceintes des bars de quartiers populaires balancent à tue-tête des tubes de vieux ndombolos ou rumbas modernisées à longueur de jour et de nuit, pendant que des immeubles en AFRIQUE MAGAZINE

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verre ultra-modernes jouxtent des boîtes de nuit chics et chères du boulevard du 30-Juin, Kinshasa est « paradoxale et fascinante », résume Sylvie Ayimpam. Docteur en sciences politiques et sociales à l’Université catholique de Louvain, elle a étudié l’économie informelle de la mégapole* et met l’accent sur le « contraste entre la morphologie délabrée de la ville et la vitalité de ses habitants ». « Les Kinois sont fiers de leur ville et d’euxmêmes, ils ne se laissent pas aller au désespoir et conservent un appétit de vivre étonnant », conclut-elle. Des tréfonds de son chaos, Kinshasa a su créer une identité urbaine dynamique et optimiste, qui rayonne bien au-delà du bassin du Congo : « Ils arborent fièrement leur identité kinoise, continuent à croire que leur ville est une des capitales mondiales de la musique, de l’ambiance festive et de l’élégance ». Ce qui ne nous tue pas… ■ * Économie de la débrouille à Kinshasa, Karthala, Paris, 2014.

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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Astrid Krivian

Patrick Ruffino Couleurs vintage et son saturé : Agoo*, son dernier album, nous entraîne dans le Cotonou des années 70. Une cité dans laquelle le chanteur et bassiste béninois a fait son éducation musicale, jouant autant dans les night-clubs que les églises. Avant de devenir, aujourd’hui, une figure incontournable de la scène parisienne. Funky !

❯ Mon nouvel album est l’expression de ma double culture, occidentale et africaine : inspiré autant par les rythmes traditionnels du Bénin que par les influences rock, jazz, funk… J’ai la chance d’avoir des parents d’origines diverses : mon père bénino-ghanéen et yoruba du Nigeria, ma mère burkinabè. Je chante dans toutes ces langues : yoruba, mina, fon, dendi, et un peu en français. Selon les émotions, on passe de l’une à l’autre !

❯ À la maison, on écoutait autant Duke Ellington ou Ray Charles que Fela Kuti, le Bembeya Jazz de Guinée… Tous les jours après l’école, ma grand-mère nous passait des vinyles de high-life de son Ghana natal. C’est mon éducation musicale, ça m’a construit. ❯ Petit, je traînais dans les couvents vodou, ces lieux très secrets, car j’étais curieux. Mon père m’a donc emmené au village pour mon initiation, qui a duré plusieurs jours. J’avais 10 ans. Mais je n’en dirai rien : ce rite est gardé sous silence jusqu’à ma mort ! ❯ À 12 ans, le soir, je fuguais. J’allais dans les clubs de Cotonou pour jouer, dans les quartiers chauds… Une fois, je me suis même retrouvé nez à nez avec mon père ! À mes 18 ans, j’ai pris mon indépendance, je continuais l’école, mais j’étais déjà un musicien professionnel. C’était un affront car je viens d’une famille d’intellectuels. Mon père m’avait dit : « Fais ce que tu veux, pourvu que tu sois le meilleur. Mais ne deviens jamais une charge pour tes frères, tu ne dois rien demander à personne. » C’est resté gravé, encore aujourd’hui. Je me bats toujours seul, et j’ai beaucoup de mal à demander de l’aide aux autres. ❯ Je chantais les matins à l’église protestante et le soir à l’église catholique. J’ai fait ma communion, ma confirmation. J’ai fréquenté aussi l’école coranique. Finalement, toutes les religions se ressemblent et ont le même fondement. ❯ Ma mère était la deuxième femme députée dans l’histoire du Bénin, et vice-présidente du mouvement des Femmes révolutionnaires du pays. Une dame de fer ! J’ai vu comment elles ont lutté, contre l’excision notamment. Chez nous, la polygamie est condamnée par la loi. Mais il y a encore beaucoup à faire pour que les femmes aient la place qu’elles méritent. Il y a toujours ce fléau des jeunes filles qui doivent quitter les bancs de l’école pour se marier. ❯ Je suis multi-instrumentiste. Donc quand je travaille avec des musiciens, ils ne peuvent pas me mentir : je connais ce qu’ils ont dans les mains ! Je conçois mes morceaux de A à Z. Quant à la voix, elle demeure le premier instrument. En Afrique, c’est la tradition, en plus de ton instrument, tu dois chanter. Enfant, j’étais chantre au sein de la chorale. Je regardais avec envie la guitare basse de l’orchestre dans lequel mes frères jouaient. Alors j’ai appris.

Agoo, Music Development Company, dans les bacs. 40

❯ Les déceptions amoureuses m’inspirent. C’est beau d’être en couple, mais souvent, la confrontation des ego le détruit. Pour autant, il ne faut pas non plus s’oublier soi-même dans la relation, il faut se protéger. Depuis ma séparation, j’ai du mal à recommencer une histoire, à séduire… J’ai peur. Mais j’y crois toujours. Comme je le chante dans « Lonlon », un jour, « j’aurai le droit à l’amour aussi, mon vrai amour viendra. » ■ AFRIQUE MAGAZINE

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FRANÇOIS MALLET

« Mon père m’avait dit : «Fais ce que tu veux, pourvu que tu sois le meilleur.» C’est resté gravé, encore aujourd’hui. »

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TEMPS FORT

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Capitale pour deux peuples, Ville sainte des trois monothéismes, conquise et reconquise, divisée et meurtrie, défigurée par le mur, elle est à l’épicentre du conflit israélo-palestinien.

CORINNA KERN/LAIF/REA

PERDUE

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par Sylvie A. Briand

Surplombant le Mur des Lamentations, un groupe de soldats israéliens prend la pose. La mosquée Al-Aqsa, dont on aperçoit le dôme, est située à cheval entre les quartiers juif et musulman. 43


TEMPS FORT JÉRUSALEM, LA BATAILLE PERDUE

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es Palestiniens ont-ils le dos au mur ? La question semble ne faire guère de doutes pour Hanane Achraoui qui, après toute une vie passée à défendre les droits des Palestiniens, dit n’avoir jamais vu une « situation aussi critique » pour son peuple. « Il n’y a plus de médiateur américain, il n’y a plus de solution à deux États, il n’y a plus de solutions du tout pour les Palestiniens. En fait, il n’y a plus qu’Israël qui profite du statu quo pour construire des implantations et créer une situation irréversible sur le terrain. Et personne ne fait rien », nous affirme cette figure de proue du comité exécutif de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). L’Autorité palestinienne refuse tout contact avec l’administration américaine après avoir reçu, selon les mots de son chef Mahmoud Abbas, la « claque du siècle ». C’était en décembre dernier et le président Donald Trump venait d’annoncer le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, « capitale éternelle » d’Israël. Sans un mot pour les Palestiniens qui réclament comme capitale d’un futur État indépendant – à l’horizon plus que jamais incertain – la partie orientale de la Ville sainte, annexée en 1967 par Israël. L’IRAN DANS LE VISEUR DES SAOUDIENS Et pour enfoncer le clou, Donald Trump a déclaré avoir rayé la question du statut de Jérusalem d’un futur plan de paix que préparent son gendre Jared Kushner et son avocat Jason Greenblatt, juif orthodoxe ouvertement pro-israélien. Prêt à tout pour imposer sa paix, le président américain a menacé de couper les vivres aux Palestiniens s’ils ne venaient pas s’asseoir à la table des négociations. Washington a déjà gelé la moitié des 125 millions de dollars prévus pour l’UNRWA, l’agence onusienne chargée d’aider les quelque 5 millions de réfugiés palestiniens répartis dans les territoires occupés, en Jordanie, au Liban et en Syrie. En désespoir de cause, Mahmoud Abbas s’est rendu à Bruxelles puis à Moscou pour tenter de trouver un soutien. Mais sans grand résultat à part une condamnation verbale de la décision américaine sur Jérusalem. « Les Européens et les Russes pourraient s’impliquer plus dans le dossier, mais personne ne peut ou ne veut remplacer Washington. Les Israéliens ne l’accepteraient de toute façon pas », soutient l’ancien ministre palestinien Ghassan Khatib. Or, ce qui en dit long sur la solitude et l’impuissance de l’Autorité palestinienne,

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c’est la quasi-absence de réaction du plus riche et plus puissant des pays arabes, l’Arabie saoudite, qui entretient une relation privilégiée avec Donald Trump, tant le président que l’homme d’affaires. S’il a dit regretter la déclaration de Trump, le roi saoudien Salmane s’est bien gardé d’en faire l’objet d’un contentieux avec son allié américain et s’en est pris à ceux qui, selon lui, « instrumentalisent » la question de la Ville sainte et de la Palestine. Gardien des lieux les plus sacrés de l’islam à La Mecque et Médine, l’octogénaire monarque n’a dépêché que des sousfifres à Istanbul pour assister en décembre, aux côtés du président iranien Hassan Rouhani et du Turc Recep Erdogan, à un sommet extraordinaire sur Jérusalem de l’Organisation pour la coopération islamique (OCI), dont le siège se trouve pourtant en Arabie saoudite. UN TOURNANT, IL Y A TROIS ANS « Ceux qui sont fâchés du peu d’intérêt et de l’absence de réactions quant à la décision américaine sur Jérusalem doivent comprendre comment et pourquoi », selon le Saoudien Abdelrahman al-Rashed, ancien directeur de la chaîne d’information en continu al-Arabiya et chroniqueur politique dans les médias saoudiens connu pour sa proximité avec la famille royale. « Comment la cause palestinienne pourrait-elle être celle de tout le monde » dans une région en guerre placée sous « la menace de l’Iran et de ses milices » comme le Hezbollah libanais, qui « dominent la politique de désinformation à propos d’Israël et de ses actions », a-t-il écrit dans le journal arabophone Asharq al-Awsat en accusant l’Iran d’être « le plus grand ennemi de la cause palestinienne après Israël ». Le fléchissement de la position saoudienne dans le dossier israélien a pris une tournure manifeste après l’arrivée au pouvoir au début de l’année 2015 du roi Salmane et de son fils, le prince héritier Mohammed ben Salmane, propulsé à 29 ans à la tête du ministère de la Défense et d’à peu près toutes les affaires courantes. En juillet 2016, l’ancien général Anwar Eshki, qui dirige un Centre d’études stratégiques en Arabie saoudite, a effectué une visite remarquée en Israël, un an après avoir fait un discours tout aussi remarqué à Washington sur la nécessité pour Riyad de régler en priorité le conflit israélo-palestinien. Discours qui s’était conclu par une chaleureuse poignée de main entre le Dr Eshki et l’ancien diplomate israélien Dore Gold qui, il y a quelques années encore, fustigeait dans un livre « le fanatisme religieux saoudien ». Les Saoudiens et leurs alliés émiratis ont eu discrètement recours ces dernières années, sous couvert d’un pays tiers, aux services de professionnels israéliens en matière de sécurité et de surveillance des réseaux sociaux, selon l’agence Bloomberg. Le chef d’état-major israélien, Gadi Eizenkot, s’est même dit prêt à échanger des informations sensibles avec Riyad, d’après AFRIQUE MAGAZINE

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PALESTINIAN PRESIDENCY/HANDOUT/ANADOU AGENCY - ISSAC HARARI/FLASH-90 - REA

Le Prince Mohammed ben Salmane, qui a reçu Mahmoud Abbas à Riyad, en décembre 2017, incite le président de l’Autorité palestinienne à accepter les propositions de Donald Trump. Le chef d’État américain (ici en visite à Jérusalem en mai 2017) a fait sien le vœu de Benyamin Netanyahou, de reconnaître la Ville sainte comme « capitale éternelle » de l’État d’Israël, en acceptant d’y transférer depuis Tel Aviv l’ambassade des États-Unis.

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LE FATAH SE RAPPROCHE DU HEZBOLLAH Et la montée des tensions près de la ligne de démarcation entre Israël, le Liban et la Syrie, englobant un territoire syrien sous occupation israélienne depuis 1967, s’explique en partie par « la déclaration Trump » et la « victoire » toute relative du régime de Bachar al-Assad contre les rebelles syriens grâce à ses alliés du Hezbollah, de l’Iran et de la Russie, selon ce spécialiste. Le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a appelé à « l’union sacrée de tous les groupes de la résistance » et a reçu ces dernières semaines le Palestinien Azzam al-Ahmad, un haut représentant du Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, ainsi que des membres du Hamas qui font la navette entre le Liban, la Turquie et le Qatar. Sans compter les « visites d’observation » de miliciens chiites irakiens, filmés dans le sud du Liban avec des combattants du Hezbollah. « Le rapprochement du Fatah avec le Hezbollah et l’Iran a commencé bien avant l’annonce de Trump. Mais je ne crois pas que les Palestiniens pourraient commettre une erreur aussi grave que celle de mettre tous leurs œufs dans le même panier iranien », estime Oraib Rantawi. Personne n’a oublié Édifié à partir de 2002, le mur coupe la ville en deux et empiète largement sur les frontières de 1967 (ligne verte).

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que l’OLP de Yasser Arafat et la Jordanie s’étaient retrouvés isolés, affaiblis et financièrement aux abois en raison de leur soutien à l’ancien homme fort irakien Saddam Hussein, dont l’armée avait envahi le Koweït en 1990 avant d’en être délogée par une coalition emmenée par les Américains, incluant des pays du Golfe. Washington en avait profité pour organiser, fin 1991, une conférence de paix pour le Proche-Orient à Madrid qui avait ouvert la porte deux ans plus tard aux accords d’Oslo pour les Palestiniens puis, en 1994, à un traité de paix entre la Jordanie et Israël. DIVISIONS PALESTINIENNES Hanane Achraoui faisait partie de ceux qui, loin de se réjouir de ce qui était considéré comme une avancée formidable vers la paix, avaient critiqué « l’erreur » d’Oslo. En échange de la reconnaissance de l’OLP – et non de la Palestine – et de son retour en terre sainte après pratiquement toute une vie passée en exil, Yasser Arafat avait accepté la création d’une Autorité palestinienne ayant une juridiction limitée sur une partie des territoires occupés, morcelés par la colonisation juive, et « laissant Jérusalem-Est sous le contrôle israélien », déplore celle qui avait fait partie de la délégation jordanienne à Madrid (l’OLP n’avait pas été autorisée à représenter les Palestiniens). « Mais aujourd’hui, la situation est encore pire », soupire-t-elle. Les Palestiniens sont grosso modo divisés en deux, à l’image de leur géographie et de la situation au Moyen-Orient. Le mouvement islamiste du Hamas, affilié aux Frères musulmans et soutenu par l’Iran, règne dans la bande de Gaza sous blocus israélo-égyptien depuis l’expulsion manu militari de l’Autorité palestinienne il y a dix ans. En Cisjordanie, c’est l’Autorité palestinienne dominée par le Fatah qui gère les affaires courantes. L’Égypte parraine un difficile processus de réconciliation dont l’issue semble dépendre du conflit qui oppose l’Arabie saoudite et les Émirats à l’Iran et au Qatar, richissime monarchie du Golfe sous boycott arabe (Arabie saoudite, Emirats, Égypte...) pour ses liens avec les Frères musulmans. « Ce n’est pas qu’une lutte de pouvoir entre Palestiniens, mais une compétition régionale », explique Oraib Rantawi. « Ce qui est menacé de destruction aujourd’hui », résume le chercheur, « c’est la cause nationale palestinienne ». Car si la question de Jérusalem, poursuit-il, « ne suffit pas à faire réagir davantage les pays arabes, tout occupés qu’ils sont par leurs propres conflits, ni à convaincre les Palestiniens de mettre de côté leurs divisions, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait les faire bouger ». ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DANIEL BEREHULAK//THE NEW YORK TIMES/REDUX/REA

le quotidien en ligne arabophone Elaph qui, propriété du Saoudien Othman al-Omeir, un proche du roi Salmane, a multiplié ces derniers mois les interviews exclusives avec des responsables israéliens. Reste que, officiellement, l’Arabie saoudite et ses alliés émiratis nient tout contact avec Tel Aviv et continuent de rayer le mot Israël des atlas en vente dans les librairies. « Les Saoudiens sont impatients de voir les Palestiniens faire la paix avec Israël pour pouvoir se concentrer sur leur ennemi numéro un, l’Iran. Il y a toutefois des limites qu’ils ne peuvent franchir sans risquer de compromettre la stabilité de leur propre royaume », nous affirme Oraib Rantawi, directeur du Centre d’études palestiniennes al-Qods à Amman. « Ils peuvent bien faire du chantage financier et user du bâton et de la carotte pour convaincre Mahmoud Abbas de se montrer plus ouvert et conciliant à l’égard des propositions américaines », poursuit Oraib Rantawi, « mais ils ne peuvent choisir à sa place, c’est Mahmoud Abbas qui doit prendre toute la responsabilité d’une telle décision pour son peuple ».


1925

Afin de développer l’hébreu, l’Université hébraïque de Jérusalem est inaugurée en avril 1925, en présence notamment d’Albert Einstein.

1947 Après la Seconde Guerre mondiale, 10 % des juifs qui fuient l’Europe gagnent la Palestine. Le bateau Exodus est empêché par les Anglais d’accoster. L’épisode émeut l’opinion mondiale, accélérant le partage futur de la Palestine.

LIBRARY OF CONGRESS - SHERSHEC FRANCK/GOVERNMENT PRESS OFFICE

La « Cité de la paix»: un siècle de violences Administrée par l’Empire ottoman à partir de 1516, la Ville sainte est depuis 1917 l’objet de toutes les convoitises. Et d’une passion très souvent meurtrière.

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u XIX e siècle, l’écrivain Ernest Renan voyait en Jérusalem le « futur pôle magnétique de l’amour et de la poésie religieuse du monde ». Cet avenir fantasmé semble aujourd’hui bien loin pour la « Cité de la paix » qui, sacrée pour les trois principales religions monothéistes, n’a connu depuis un siècle qu’une succession de violences… En décembre 1917, les troupes alliées, que Le Figaro qualifie de « Croisés du Droit », chassent les Ottomans de la Ville sainte qu’ils administraient depuis 1516. La tentation est alors grande à Paris, à Londres ou à New York d’évoquer la « Jérusalem délivrée », même si des Arabes musulmans ont participé aux combats contre les Turcs… Un mois avant la AFRIQUE MAGAZINE

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prise triomphale d’Al-Qods, « la Sacrée » comme on l’appelle en arabe, Lord Walter Rothschild, grand financier du mouvement sioniste, a rendu publique une lettre d’Arthur Balfour, le chef de la diplomatie britannique, promettant de faire de la Palestine sous mandat anglais un « foyer national pour les juifs » sans brimer pour autant les droits des populations non juives. Et pourtant. Venus pour la plupart d’Europe de l’Est, fuyant les pogroms russes puis les persécutions nazies, les juifs mettent en place des universités, des exploitations agricoles, des journaux, une ville nouvelle, Tel Aviv, bref, toute une société parallèle usant bientôt de sa propre langue « ressuscitée », l’hébreu, et méprisant le plus souvent les Palestiniens dont la culture 47


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sraël gagnant sur toute la ligne ? Rien n’est moins sûr. Certes, la classe politique de droite ou de gauche ne boude pas son plaisir, elle qui fait pratiquement front commun sur la question de Jérusalem, sa « capitale unifiée » et « indivisible ». Officiellement, la solution à deux États reste la seule envisageable pour la coalition de droite au pouvoir, qui refuserait de voir la judaïté se dissoudre dans une majorité de Palestiniens dans l’hypothèse d’un État binational. Gonflé à bloc par le soutien américain, le Comité central du Likoud, le parti très à droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu, s’est prononcé à l’unanimité en faveur de l’annexion d’une partie de la Cisjordanie et d’une accélération de la colonisation. Sauf que Netanyahu a essuyé un prompt démenti du Département d’État après avoir affirmé que l’annexion avait été évoquée avec des responsables américains. Il faut dire que le très controversé Premier ministre joue la surenchère sur bien des dossiers, y compris celui des migrants africains, pour tenter de faire oublier les lourdes accusations de corruption qui risquent de lui coûter son poste. Il n’est d’ailleurs pas le seul à faire dans l’escalade dans un pays où les divisions se creusent entre ceux prêts à tout pour garder un État-nation juif et les autres, voulant préserver en priorité le caractère démocratique d’Israël. Dans un pays qui n’hésite pas à assigner des mineurs – comme la jeune Ahed Tamimi devant des tribunaux militaires, sa ministre de la Justice, Ayelet Shaked, a réclamé le maintien coûte que coûte d’une majorité juive même « au prix des droits humains ». Et c’est justement cette radicalisation qui inquiète des ONG israéliennes comme Peace Now ou B’Tselem, qui réclament, à l’instar de l’Autorité palestinienne, une solution à deux États dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale palestinienne pour mettre fin à ce qu’elles comparent à un système « d’apartheid » où la démocratie juive risque d’y laisser sa peau… ■ S.B.

Bassem Tamimi, père de Ahed, 17 ans, poursuivie pour avoir giflé un soldat.

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DEPUIS 1948, UNE ESCALADE SANS FIN Les groupes sionistes armés, qui ne veulent pas d’un État binational, attendent la fin de cette guerre particulièrement atroce envers les juifs d’Europe pour lancer ce que le Premier ministre anglais Clement Attlee dénonce comme une « campagne de terreur ». Les attentats juifs à l’explosif se multiplient. Barbelés et chevaux de frise défigurent le visage de Jérusalem. Ce qui n’empêche pas, le 22 juillet 1946, la destruction partielle du luxueux hôtel King David, qui abrite le QG de l’administration britannique. Quatre-vingt-onze personnes sont tuées par la déflagration revendiquée par l’Irgoun, une organisation juive clandestine. Les Anglais veulent partir et s’en remettent à l’ONU qui vote en 1947 une partition de la Palestine : comptant pour le tiers de la population, les juifs doivent obtenir environ 57 % du territoire. Jérusalem ne doit être ni juive ni palestinienne, mais internationale. Sans surprise, les Palestiniens refusent ce partage et les pays arabes voisins se lancent à l’assaut du nouvel État israélien peu après l’annonce de son « indépendance » le 14 mai 1948. Les Palestiniens ont été chassés dès le mois d’avril de Jérusalem-Ouest et la Ville sainte est coupée en deux après l’entrée, le 18 mai, des forces jordaniennes dans sa partie orientale au terme d’âpres combats. C’est la débâcle. Israël contrôle environ 70 % de la Palestine et, à l’ouest, la ville neuve de Jérusalem qu’il érige d’emblée en « capitale » en y installant son Parlement et la plupart de ses ministères. En septembre 1948, le médiateur de l’ONU, le diplomate suédois Folke Bernadotte, est assassiné à Jérusalem-Ouest par des extrémistes juifs qui ne veulent pas de son rapport plaidant pour le retour des centaines de milliers de Palestiniens chassés de leur foyer. Et c’est un extrémiste palestinien qui abat, en 1951, sur l’esplanade des Mosquées, le roi jordanien Abdallah, « coupable » d’avoir annexé Jérusalem-Est et la Cisjordanie. En 1967, au terme de la guerre des Six Jours, les troupes israéliennes passent à l’attaque et expulsent les Jordaniens de la Cisjordanie avant d’annexer à leur tour Jérusalem-Est où se trouvent les lieux saints juifs, chrétiens et musulmans. Dix ans plus tard et la guerre de 1973, le président égyptien Anouar AFRIQUE MAGAZINE

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SARA LEMEL/ZUMA PRESS/ZUMA/REA

ISRAËL, À DROITE TOUTE

est si différente. Grèves, révoltes et attentats arabes éclatent. Appelée à trouver une issue au soulèvement palestinien, la commission anglaise Peel est la première à proposer en 1937 une partition de la Palestine – sans Jérusalem – qui jette de l’huile sur le feu. Pour la première fois, un groupe sioniste clandestin, l’Irgoun, a recours aux bombes artisanales qui font des dizaines de tués palestiniens dans des marchés, des cinémas, des gares… La Seconde Guerre mondiale qui se profile amène les Anglais à renoncer à la partition – évoquant désormais la création d’un État binational au terme de leur mandat – et à instituer un quota sur la migration des juifs, à un moment critique pour ces derniers…


1957 Hussein de Jordanie, 21 ans, est monté sur le trône cinq ans plus tôt. Le jeune roi doit notamment administrer la Cisjordanie, qui englobe alors les villes de Jérusalem-Est, Jéricho, Naplouse ou encore Hébron.

1967 11 juin. La guerre des Six Jours voit Israël s’emparer de la Vieille Ville de Jérusalem. Le ministre de la Défense, Moshe Dayan (au centre), accompagné de Uzi Narkiss (à g.) et Yitzhak Rabin (à dr.), y parade et en tire une renommée internationale.

DR - HO/AP/SIPA - SA’AR YA’ACOU/GOVERNMENT PRESS OFFICE

1994 Yasser Arafat, leader de l’OLP, Shimon Pérès, ministre des Affaires étrangères et Yitzhak Rabin, Premier ministre, reçoivent le prix Nobel de la Paix pour les Accords d’Oslo.

el-Sadate brise un tabou en se rendant à Jérusalem, prélude à la signature d’un traité de paix entre son pays et Israël, sans que cesse pour autant la construction d’implantations juives dans Jérusalem-Est et les territoires occupés. En 1980, le Parlement israélien vote une « loi fondamentale » faisant de Jérusalem sa capitale « une et indivisible ». En 1987, c’est le début d’un soulèvement populaire qui fait des milliers de victimes, en grande majorité palestiniennes. Les accords d’Oslo en 1993 ramènent un semblant d’espoir avec la création d’une Autorité palestinienne chargée d’administrer une partie des territoires occupés, sans droit de regard sur Jérusalem-Est. Pour des groupes islamistes ne répondant à aucune autorité, le combat contre l’occupation continue. Les cafés et marchés de Jérusalem sont la cible d’attentats suicides faisant des dizaines de tués israéliens. Une seconde intifada éclate à Jérusalem en 2000 après une visite jugée provocante du tenant de la droite israélienne, Ariel Sharon, sur l’esplanade des Mosquées. Devenu Premier ministre, Sharon décide en 2002 d’emmurer Jérusalem et les territoires occupés derrière d’infranAFRIQUE MAGAZINE

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chissables barrières de sécurité pour empêcher les infiltrations de kamikazes en Israël où, si l’on est juif, on peut vivre une vie pratiquement normale. Ce qui n’est pas le cas des Palestiniens, notamment des 370 000 d’entre eux vivant dans la partie annexée de Jérusalem (soit 40 % de la population totale, 20 % de plus qu’en 1967). Ces Palestiniens ont droit à des services sociaux limités et à un statut non pas de citoyens mais de résidents qu’ils peuvent perdre en cas d’absence prolongée et qu’ils ne peuvent transmettre à un conjoint, même originaire de Gaza ou de la Cisjordanie. Plus de 75 % des Palestiniens de Jérusalem vivent sous le seuil de la pauvreté, selon l’ONG israélienne B’Tselem. «En décembre 2017, Donald Trump prend une décision dénoncée à la quasi-unanimité par l’ONU en reconnaissant Jérusalem comme « capitale » d’Israël. Le transfert de l’ambassade américaine depuis Tel Aviv doit intervenir le 14 mai : 70 ans jour pour jour après la création de l’État hébreu. Cruciale pour les Palestiniens, la question du statut de Jérusalem devait en principe faire l’objet de négociations au point mort…■ S.B. 49


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Palestine : le futur impossible ? Notre confrère, qui s’est rendu dans les territoires début 2018, décrypte les enjeux stratégiques. Ses conclusions ne portent pas à l’optimisme… par Akram Belkaïd

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n décidant, en décembre 2017, d’autoriser le transfert de l’ambassade des États-Unis d’Amérique de Tel Aviv à Jérusalem et donc en reconnaissant la Ville sainte comme capitale unifiée d’Israël, le président Donald Trump a certainement donné le coup de grâce au « processus de paix » né des accords d’Oslo de 1993. Certes, cette décision est contraire au droit international et l’Assemblée générale des Nations unies n’a pas manqué de la condamner (Washington a apposé son veto à une résolution comparable du Conseil de sécurité). Mais il n’en demeure pas moins qu’un palier historique a été franchi. Pour mémoire, il faut se souvenir que d’autres présidents américains, dont Bill Clinton et George W. Bush, avaient promis d’autoriser ce transfert avant de se raviser une fois élus. Le Congrès avait pourtant déjà voté une loi en ce sens en 1995. Mais, jusqu’à présent, tous les prédécesseurs de Trump signaient un décret reportant ce transfert de semestre en semestre et cela, au nom des « intérêts des États-Unis et de leur sécurité. » Dans un contexte régional hautement inflammable, notamment avec l’aggravation du risque de guerre entre Israël et l’Iran, quelle est la réalité de la situation en Palestine ? Quelles solutions se dessinent dès lors que l’option de deux États semble compromise ?

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Un processus de paix à l’arrêt

ENTRE L’AUTORITÉ palestinienne (AP) et Israël, les négociations sont suspendues depuis plusieurs années. Aucun des deux ne veut reprendre le dialogue sans que l’autre ne fasse des promesses et des concessions. Pour autant, une seule chose fonctionne encore. Il s’agit de la coopération sécuritaire entre les deux parties. L’AP gère la sécurité en zone A (18 % de la Cisjordanie) et la cogère avec Israël en zone B (21 %), le reste (zone C, 61 %) relevant de la stricte responsabilité de l’État hébreu. En réalité, les forces israéliennes interviennent où elles le veulent et quand elles le veulent. Pour nombre de Palestiniens, l’Autorité palestinienne n’a plus qu’un rôle d’auxiliaire de sécurité, voire de supplétive d’Israël. Et l’amertume est d’autant plus grande qu’une classe d’arrivistes et de nouveaux riches palestiniens a fait son apparition, comme en témoignent certaines constructions somptueuses de Ramallah. Cette minorité de la population détient les cordons de la Bourse et dépend 50

du maintien de l’AP pour sa propre survie et prospérité. C’est elle, entre autres, qui défend mordicus le « processus de paix », ce thème garantissant notamment l’afflux de l’aide étrangère. Pour l’heure, les deux parties semblent donc agir pour préserver le statu quo. Surtout, les Israéliens, eux aussi, ne veulent pas entendre parler d’une dissolution, voire d’une autodissolution, de l’Autorité palestinienne. Outre le coût financier d’un tel chambardement (Israël devrait alors prendre en charge les salaires des fonctionnaires palestiniens et les dépenses publiques de l’Autorité), cela signifierait un redéploiement des forces de sécurité israéliennes dans les grandes villes palestiniennes (Hébron, Jéricho, Naplouse, Bethléem, Jénine). On imagine sans peine la flambée de violence qui accompagnerait un tel retour.

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Jérusalem, point de discorde

POUR LES PALESTINIENS, Jérusalem-Est doit être la capitale de leur futur État. Selon le journaliste franco-israélien Charles Enderlin, « Yasser Arafat était prêt à renoncer au droit au retour [en Israël] des réfugiés palestiniens en contrepartie d’une souveraineté de son pays sur Jérusalem-Est et, plus particulièrement, sur l’esplanade des mosquées ». Or, aucun dirigeant israélien n’est prêt à abandonner la réunification de la Ville sainte en tant que capitale de l’État hébreu. Cela est d’autant plus vrai que la poussée du mouvement religieux au sein du jeu politique israélien oblige chaque majorité à revendiquer la souveraineté de son pays sur un territoire occupé depuis 1967. Pour contourner la difficulté, les États-Unis préparent un « nouveau plan de paix » dont on ne connaît pas grand-chose aujourd’hui. Selon des informations de la presse américaine, les Palestiniens se verraient proposer le faubourg d’Abou Dis comme capitale. Problème, l’endroit se situe désormais en dehors de Jérusalem car au-delà du fameux mur de séparation. En clair, la capitale de la Palestine n’aurait aucun lien avec Al-Qods, le nom arabe de Jérusalem. Inadmissible pour les concernés, ce que n’ignore pas Mahmoud Abbas, le président de l’AP. Au roi de Jordanie qui l’encourageait à réfléchir à l’option d’Abou Dis, le dirigeant palestinien aurait répondu qu’un tel choix lui serait fatal. Et pas uniquement sur le plan politique. AFRIQUE MAGAZINE

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Une annexion des colonies ?

DONALD TRUMP a franchi le Rubicon mais il n’a fait qu’entériner une situation déjà bien dégradée. S’il doit exister un jour, le futur État palestinien n’aura pas de continuité territoriale – sans même parler de la séparation physique entre Gaza et la Cisjordanie. Dans cette dernière, les colonies sont omniprésentes, s’interposant entre les villes palestiniennes, les encerclant parfois comme c’est le cas à Bethléem ou Hébron. Selon les estimations, plus de 650 000 colons vivent dans ce qui est considéré sur le plan international comme des terres palestiniennes occupées. Qui peut croire que ces populations accepteront de quitter leurs colonies ? Il faut ainsi se souvenir que l’expulsion de 6 000 colons installés à Gaza (dont certains ont pu s’installer en Cisjordanie en guise de compensation) avait mobilisé des milliers de soldats israéliens et provoqué d’importantes violences. D’ailleurs, la Knesset, le parlement israélien, examine actuellement plusieurs projets de loi destinés à proclamer l’annexion de ces colonies. Ces dernières ne se limitent pas à leur seule localisation géographique matérialisée par des barrières et des clôtures de protection. Comme l’explique Elias Sanbar, représentant de la Palestine à l’Unesco, il y a aussi l’assise foncière, les terres qui vont au-delà de la colonie et qui lui « appartiendraient » alors qu’elles sont la propriété de Palestiniens. C’est le cas, par exemple, du village de Nabi Saleh, non loin de Ramallah. C’est là où la jeune Ahed Tamimi et les habitants protestent chaque vendredi contre l’extension d’une colonie voisine. Au final, si jamais l’annexion des colonies se réalise, près de 50 % de la Cisjordanie actuelle échapperait aux Palestiniens et cela, dans un contexte qui ferait ressembler leur État à une multitude de bantoustans plus ou moins autonomes.

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Un État binational ?

L’OPTION de deux États s’éloignant, l’idée d’un seul État, binational, où vivraient ensemble Israéliens et Palestiniens, émerge de nouveau. Une idée défendue par de nombreux intellectuels, dont feu Edward Said, qui fut un opposant de la première heure aux accords d’Oslo. Mais une telle perspective pose une question cruciale. Ceux qui vivent en Cisjordanie (mais aussi à Gaza !) auront-ils les mêmes droits, notamment de vote, que les Israéliens ? Si la réponse est négative – ce que souhaitent la majorité des Israéliens –, alors il s’agirait d’un nouvel apartheid où le principe du « one man, one vote » ne serait pas respecté. Le combat des Palestiniens sera alors d’obtenir ces droits. Toujours dans ce cas de figure, qu’adviendra-t-il des « Palestiniens de 1948 », ceux que l’on désigne par l’expression « Arabes israéliens » ? Malgré quelques discriminations institutionnelles, ces derniers sont citoyens de l’État hébreu et ont donc le droit de vote, ce que ne supporte pas une partie de la droite et de l’extrême droite israéliennes. Une absorption de la

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Cisjordanie (et de Gaza) sans que leurs populations soient autorisées à voter, signifiera-t-elle une remise en cause des droits des Arabes israéliens ? La question se posera nécessairement. L’autre option est que le nouvel État binational accorde le droit de vote à tous ses habitants. Dans ce cas, cela signifie la fin d’Israël comme « État juif ». Et cela, une grande partie de sa population ne voudra pas l’accepter.

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Une nouvelle nakba ?

NAKBA est le mot en arabe pour désigner la grande catastrophe de 1948 avec l’expulsion ou la fuite de centaines de milliers de Palestiniens. Ce scénario est-il de nouveau possible ? Il y a quelques semaines, à Paris, la journaliste israélienne Amira Hass a résumé le fond de sa pensée. Pour elle, durant des années, ce genre de scénario relevait de la géopolitique-fiction. Mais celle qui a vécu à Gaza et habite aujourd’hui à Ramallah a changé d’avis. Pour elle, la vision « de centaines de bus transportant des Palestiniens vers le nord [Liban], l’est [Jordanie et Syrie] ou le sud [Sinaï] devient chaque jour une évolution possible ». La guerre en Syrie avec son cortège de déplacés, mais surtout le risque d’un conflit de grande ampleur entre Israël et l’Iran, confortent cette vision pessimiste, partagée parfois en privé par les membres de l’AP. Et leurs craintes sont d’autant plus fortes que des responsables israéliens, tels Avigdor Liberman, n’hésitent pas à affirmer qu’il faut expulser les Arabes israéliens et les Palestiniens de Cisjordanie. La communauté internationale s’interposerait-elle ? Rien n’est moins sûr.

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Quel futur immédiat ?

TOUS LES JOURS, les citoyens israéliens suivent un feuilleton qui concerne les ennuis judiciaires de Benjamin Netanyahou, accusé par la police de corruption et de trafic d’influence. Le politicien sera-t-il tenté de déclencher une guerre pour se sortir de ce mauvais pas ? Les théâtres possibles ne manquent pas. À Gaza, où la situation humanitaire est tellement mauvaise que même l’état-major de l’armée israélienne s’inquiète. Au Liban, où le Hezbollah, encore plus aguerri par sa participation à la guerre en Syrie, constitue une menace directe. En Syrie, lieu de confrontation idéal avec l’Iran et ses milices alliées ? Dans le même temps, les Palestiniens notent que nombre de pays arabes sont prêts à s’allier avec Israël pour combattre la République islamique et cela ne peut que les inquiéter. Dans la perspective d’un conflit de dimension majeure, ils espèrent que la Russie saura jouer les arbitres et se substituer aux États-Unis dont l’Autorité palestinienne ne veut plus comme parrain unique du processus de paix. Il va sans dire que les prochains mois seront déterminants pour l’avenir de la Palestine et du Proche-Orient. ■ 51


Au Parlement, au Cap, sitôt à la tête de l’État, l’ancien syndicaliste et homme d’affaires s’est engagé à éradiquer la corruption. 52

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TEMPS FORT

GIANLUIGI GUERCIA/AP/SIPA

Afrique du Sud Ramaphosa monte (enfin) au front

Mandela le voulait comme héritier. Élu le 15 février dernier, cet enfant du township de Soweto devenu millionnaire incarne l’espoir de redressement de la nation Arc-enciel, épuisée par les années Zuma. Et par la crise morale qui mine l’ANC. par George Ola-Davies

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e départ du président Jacob Zuma a été long à venir. Mais quand il s’est enfin concrétisé, il fut vif, direct et instantané. « J’ai décidé de démissionner du poste de président de la République avec effet immédiat, même si je suis en désaccord avec la décision de la direction de mon organisation », a-t-il annoncé le 14 février lors d’une allocution télévisée. Il a également déclaré qu’il ne souhaitait pas que son parti, le Congrès national africain (ANC), soit « divisé en [son] nom ». Des mots forts pour un combattant résolu qui a traversé de nombreuses tempêtes au sein du parti. La bataille menant à son départ a été longue et acharnée. Et ce dernier combat politique ne sera peut-être pas son dernier. Vu qu’il n’a pas réussi à négocier une quelconque amnistie qui pourrait le protéger des poursuites judiciaires engagées contre lui, Zuma court le risque de se retrouver devant les tribunaux. En quittant ses fonctions, l’ex-président s’est mis dans une situation de faiblesse et en même temps, il a laissé l’ANC, parti pour lequel il a « consacré toute [sa] vie », profondément polarisé. Son discours de démission était très éloigné de ce qui s’était passé plus tôt dans la journée, lorsqu’il avait affirmé sur les chaînes de télévision et radios nationales n’avoir rien fait qui justifie la décision du parti de le pousser vers la sortie et qu’il était injustement pris pour cible. L’ANC n’ayant selon lui donné aucun motif pour son évincement, il ne bougerait pas. À la fin cependant, 53


TEMPS FORT AFRIQUE DU SUD : RAMAPHOSA MONTE (ENFIN) AU FRONT

il a dit qu’il ne souhaitait pas que l’ANC soit divisé, mais c’est exactement ce qui s’est passé. Le mandat de Jacob Zuma en tant que président avait toujours été entaché de controverses : accusations de corruption, notamment de détournement de fonds, sa relation avec la riche famille indienne Gupta qu’il continue de nier, le limogeage « illégal » du très populaire ministre des Finances, Trevor Manuel, des poursuites pour viol (pour lesquelles il a été acquitté en 2006). UNE AMBIANCE DE TRAFIC D’INFLUENCE Bien avant d’assumer les fonctions de président, il a été impliqué dans une lutte de pouvoir acrimonieuse avec son prédécesseur, Thabo Mbeki, qui a été également évincé de la même manière il y a près d’une décennie. Alors qu’il tire le rideau sur sa présidence, Zuma laisse derrière lui une économie affaiblie, un chômage élevé, un système éducatif dévalorisé, des syndicats mécontents, des échecs politiques, une société inégale, une ambiance de trafic d’influence, des institutions corrompues et surtout, un ANC affaibli qui, en arrivant au pouvoir dans l’Afrique du Sud post-apartheid, semblait invincible dans le paysage politique du pays. Aujourd’hui, le pays aspire à un approvisionnement constant en électricité. Le Cap souffre d’une pénurie d’eau catastrophique qui a conduit au rationnement, les industries ne prospèrent plus

sur parole l’ancien président Zuma et sa promesse qu’il ne ferait pas obstacle à l’unité au sein du parti. Il l’a peut-être dit, mais cela reflète-t-il le point de vue de tous ses partisans ? Contrairement à ses deux prédécesseurs, le président Ramaphosa n’a pas gravi les échelons de l’ANC. Sa carrière politique, après avoir été avocat puis un négociateur très efficace pour les syndicats, a été interrompue lorsqu’il a rejoint le secteur privé et est devenu un entrepreneur à succès après l’avènement de la démocratie multipartite en 1994. Puis il a été à deux doigts de devenir président il y a vingt ans quand Nelson Mandela lui-même l’a désigné comme son dauphin. Cependant, la hiérarchie de l’ANC en a décidé autrement et a plutôt choisi Thabo Mbeki. Il s’est ensuite lancé dans les affaires et a gravi les échelons. Il n’est pas surprenant qu’il soit là où il se trouve aujourd’hui. En tant qu’architecte de la constitution du pays, le président Ramaphosa est réputé pour ses talents de négociateur qui l’ont fait aimer non seulement par Nelson Mandela et les hauts gradés de l’ANC, mais aussi par les dirigeants de l’apartheid qui ont été impressionnés par son aptitude à gérer avec succès bon nombre de problèmes alors que le pays se frayait un chemin hors des griffes du système de l’apartheid. Aujourd’hui, il semble avoir un soutien écrasant au sein de la communauté des affaires, qui n’a pas hésité à blâmer le régime de Zuma pour la stagnation économique du pays. Le taux de chômage atteint 25 % et, avec l’effondrement de l’économie, la nouvelle administration devra reconstruire la confiance pour que le marché reparte. Le nouveau gouvernement doit réorganiser la hiérarchie dans les entreprises d’État, dont la plupart sont dirigées par des loyalistes de Zuma, dont certains n’ont pas l’expérience nécessaire. South African Airways, la compagnie aérienne nationale, autrefois une fierté de la nation, est devenue l’ombre d’ellemême. Le fournisseur d’électricité, Eskom, fonctionne de façon exécrable. L’agitation sociale a caractérisé la majeure partie du deuxième mandat de Jacob Zuma. Au cours des deux dernières années, l’Afrique du Sud a été frappée par des mouvements de grève sans précédent et des manifestations dans les établissements scolaires et médicaux, forçant le gouvernement à fermer certaines universités. À cela s’ajoute le manque de réformes dans les institutions depuis la fin du régime de la minorité blanche. Pour que le gouvernement Ramaphosa réussisse, il devra opérer un changement radical par rapport à ce qui existe aujourd’hui et rendre les universités sud-africaines plus compétitives au niveau mondial, répondant ainsi à l’une des exigences des étudiants et des enseignants. La disparité entre les riches et les pauvres s’est aggravée à un point où le taux de criminalité a augmenté de façon spectaculaire, en particulier dans les zones aisées. La reprise écono-

L’ANC a besoin de sang neuf, avec des jeunes qui n’ont pas forcément traversé l’épreuve de la lutte et de l’Apartheid. comme elles le faisaient et le système foncier est sérieusement menacé. Ce ne sont que quelques-uns des dossiers dont Cyril Ramaphosa hérite et qu’il doit résoudre pour redonner espoir à une nation découragée qui a perdu la majeure partie de sa crédibilité morale dans la communauté internationale, et particulièrement en Afrique. Avec les élections générales prévues pour 2019, Ramaphosa devra commencer par la tâche ardue de réunir l’ANC fracturé. Il ne fait aucun doute que M. Zuma bénéficie toujours d’un soutien considérable au sein de la base de l’ANC et plus encore, au niveau local. Cela se comptera dans tout processus de négociation qui devrait commencer presque immédiatement. Ce qui pourrait rendre la tâche plus facile pour Ramaphosa, si on peut croire 54

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20 décembre 1991, Johannesburg. Quelques mois après la fin de l’apartheid, sous la bannière de l’ANC, Cyril Ramaphosa, Nelson Mandela, Thabo Mbeki (derrière) et Jacob Zuma participent aux négociations de la CODESA (Convention pour une Afrique du Sud démocratique).

GRAEME WILLIAMS/SOUTH/SIPA

mique seule ne redonnera pas au pays l’aura grâce à laquelle il s’était élevé au statut de champion sur le continent. Depuis l’avènement de la démocratie en 1994, l’Afrique du Sud a été appelée à jouer un rôle majeur dans un certain nombre de domaines. Dans la gestion de conflits, par exemple, elle a accueilli le dialogue intercongolais (Sun City, 2001-2002) et a été profondément impliquée dans les crises au Burundi, au Lesotho, au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire et en République centrafricaine. MAIN TENDUE AUX AUTRES ORGANISATIONS Cette stature morale a été érodée au cours des dernières années et a encore été aggravée par les attaques contre les migrants africains, qui ont suscité beaucoup d’amertume dans plusieurs capitales du continent. Pour que le pays retrouve cette confiance et cette stature, la nouvelle administration devra réexaminer sa politique africaine afin de reconquérir l’amitié de ceux qui l’ont admiré à la fin de l’apartheid. Ce que la dernière cacophonie entre le camp de Zuma et le reste de l’ANC a démontré, c’est la marche arrière que la politique sud-africaine a entamée. Le règne de Cyril Ramaphosa est un nouveau départ qui pourrait changer le destin de l’African National Congress. Il a un joker. Pour commencer, Julius Malema du parti Economic Freedom Fighters a laissé entendre qu’il ne le dérangerait pas pendant son discours sur l’état de la nation, ce qui est un indicateur positif. Ramaphosa lui-même a clairement fait savoir qu’il ouvrira les bras à toutes les organisations qui souhaiteront le rejoindre. Reste à savoir si elles céderont à sa main tendue. Un AFRIQUE MAGAZINE

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premier signe encourageant des choses positives à venir est que certains des poids lourds de l’ANC qui soutenaient Nkosazana Dlamini-Zuma (ex-épouse de Jacob Zuma, qui a perdu contre Ramaphosa pour la direction de l’ANC en décembre) ont ouvertement déclaré leur soutien au nouveau président. Travailler avec eux pour remettre leur maison en ordre consolidera le mouvement et permettra au pays de retrouver sa gloire passée. Les observateurs disent que l’ANC a vraiment besoin de sang neuf, avec des jeunes qui, contrairement à Albert Luthuli, Oliver Tambo et Nelson Mandela, n’ont pas traversé les épreuves de la lutte mais sont conscients que le pays doit retrouver sa place. Tout au long de sa campagne pour le leadership de l’ANC, Ramaphosa a mis l’accent sur sa détermination à éradiquer la corruption endémique qui a rongé la société, en particulier au sein de la fonction publique. Une ombre au tableau que les analystes politiques ne manquent pas de pointer : son échange d’e-mails pendant le massacre de Marikana en août 2012, dans lequel 34 mineurs ont été tués. Il avait considéré les luttes des grévistes comme étant des « actes criminels manifestement ignobles et devant être qualifiés comme tels ». Depuis, il s’est excusé pour le langage qu’il a employé, d’autant plus qu’il avait été chef du plus grand syndicat des mineurs du pays, luttant infatigablement pour de meilleures conditions de travail et des salaires plus hauts. Cyril Ramaphosa est le premier président né dans le fameux township de Soweto. Il travaillera dur à ne pas devenir, lui aussi, la proie des affrontements et des divisions de l’ANC, qui ont mené à la chute de ses deux prédécesseurs. ■ 55


REPORTAGE

JERADA LES RAISONS

DE LA COLÈRE Dans cette petite ville du nord-est du Maroc, de nombreux travailleurs prennent encore la route des dangereux puits clandestins de charbon. Plusieurs mineurs y ont trouvé la mort. Depuis, la colère de la population gronde. L’enjeu ? La difficile reconversion économique de cette région déshéritée, qui se sent abandonnée de l’État. par Julie Chaudier, envoyée spéciale à Jerada

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e « mouvement populaire du Rif » (Hirak) de Jerada était inéluctable. Dans cette petite ville de 43 000 habitants située à l’extrême nord-est du Maroc, à une quarantaine de kilomètres de l’Algérie, les effets conjugués de la pauvreté, de choix politiques hasardeux, de la corruption et d’un hiver glacial ont conduit à l’explosion de colère qui secoue la région depuis plus de deux mois. « Tout a commencé à Hay Massira, l’un des quartiers de la ville, raconte Aziz Naitabou, l’un des porte-parole du Hirak. Un groupe d’habitants a manifesté sa colère contre les montants jugés exorbitants de leurs factures d’électricité. Les forces de l’ordre sont venues disperser les gens et ont arrêté trois jeunes lycéens suite à une altercation verbale. » Le lendemain, deux frères se noyaient au fond de l’une des mines de fortune creusées de façon sauvage aux alentours de la ville pour extraire du charbon. Après un coup de burin, ils ont atteint une poche d’eau qui s’est déversée dans leur galerie où les deux jeunes hommes sont restés coincés. Cette fois, « les deux griefs [les factures d’électricité et la mort d’un

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mineur en février] étaient là par malchance en même temps alors qu’un seul suffit, en temps normal, à mobiliser les gens », fait remarquer Abderrazak El Gourji, secrétaire général de la wilaya de la région de l’Oriental. Le lendemain, des milliers de personnes se sont rassemblées pour les funérailles. « Après l’enterrement, je suis resté avec d’autres personnes pour organiser le mouvement », se souvient Aziz Naitabou. Depuis la fermeture en 1998 des Charbonnages du Maroc, qui exploitaient trois grands puits à l’intérieur de la ville, la population, qui dépendait tout entière de la mine, a commencé à creuser des puits dans la forêt environnante pour exploiter par ses propres moyens les filons de charbon. « En 1998, de nombreux projets ont bien été mis sur la table de la commission économique syndicale au moment de la fermeture : une usine de papier et de fourrage d’alfa, une plante spécifique à la région, une usine de batterie… mais aucun n’a jamais vu le jour, assure Aziz Naitabou. En 2008, l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) a

10 février 2018. Une marche réunit les femmes protestant à leur tour contre la pénurie d’emplois qui frappe la région.

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financé différents équipements comme la piscine et les abattoirs publics, qui ont été construits mais n’ont jamais ouvert ! Alors, oui, l’INDH finance aussi de tout petits projets, comme l’achat de triporteurs, mais ce n’est pas ça qui va redresser la ville et offrir des opportunités aux jeunes ! » « Des sommes colossales ont été investies dans les infrastructures de la province de Jerada. Entre 2003 et 2017, l’État y a dépensé 12 milliards de dirhams », se défend le secrétaire général de la wilaya de la région de l’Oriental. L’activité économique de la ville se limite pourtant bien, aujourd’hui, à deux immenses centrales électriques qui offrent peu d’emplois et importent désormais le charbon de l’étranger. Alors, en vingt ans, les forêts qui entouraient la ville ont progressivement disparu. Utilisés pour solidifier les galeries souterraines et comme bois de chauffe, les arbres ont tous été coupés. Dans ce paysage désolé, il ne reste plus à la surface que des amoncellements de pierres charbonneuses pour signaler l’entrée des mines. « Je creuse depuis que je suis né, il n’y a rien d’autre à faire dans ce bled ! » lance Mohamed, 25 ans. Appuyé sur une grande manivelle placée au-dessus d’un puits de mine, il remonte les sacs de charbon que lui envoie le mineur au fond. Le jeune homme gagne au mieux une centaine de dirhams par jour (moins de 10 euros), sans compter les quinze jours de travail sans rémunération consacrés à creuser le puits avant d’atteindre la première veine de charbon. Bien sûr, Mohamed est allé ailleurs, jusqu’à Oujda et Nador, chercher un autre travail, mais il n’a rien trouvé.

Un ouvrier descend dans l’une des nombreuses mines informelles.

UNE MÉTÉO MEURTRIÈRE C’est même le phénomène inverse qui se produit chaque hiver. Les ouvriers manœuvres, habituellement employés sur les chantiers à Oujda et dans le nord de l’Oriental, trouvent moins de travail et se rabattent sur les mines. Sur le site de l’ancienne mine de plomb de Zellidja, dans la même région, un éboulement a blessé un mineur le 31 janvier dernier. « Les gens qui viennent d’Oujda pour travailler dans les galeries ne connaissent rien aux mines. Ce sont eux qui s’attaquent aux piliers qui soutiennent les galeries pour récupérer plus facilement du plomb et les fragilisent », accuse Mohamed, la trentaine, mineur. La pression qui s’exerce pendant l’hiver sur les mines de la région est d’autant plus forte à Jerada que les prix du charbon, destiné aux chaudières des casernes militaires et des hôpitaux, sont au plus haut. C’est aussi par temps froid voire glacial que les galeries des mines artisanales – de construction fragile – s’effondrent parfois sous les effets conjugués de la pluie et de la neige. Tous les éléments sont alors réunis pour augmenter le nombre d’accidents mortels. Cette pression saisonnière s’est même accentuée ces dernières années avec la disparition progressive des principales autres sources de revenus de la population de la région. Pendant le protectorat fran58

« Les gens qui viennent d’Oujda n’y connaissent rien. Ce sont eux qui fragilisent les galeries. » AFRIQUE MAGAZINE

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DES RÉPERCUSSIONS EN CHAÎNE

Sociologue, chercheur auprès de la Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines, auteur de La Société contre l’État : Mouvements sociaux et stratégie de la rue au Maroc et De l’émeute à la manifestation*.

Les récents mouvements sociaux survenus successivement à Al Hoceima, Essaouira, Zagora, Jerada, Tendrara et Outat El Haj, sont-ils exceptionnels ? Ces mouvements sont le fruit d’un long processus d’instauration de ce que j’appelle « la tradition de la protestation ». Dans les années 80, au Maroc, toute protestation tournait systématique à l’émeute et subissait la répression de l’État. Dans les années 90, les diplômés chômeurs qui réclamaient des postes dans la fonction publique ont réussi à imposer l’occupation de l’espace public jusqu’à ce que l’État soit obligé d’ouvrir une négociation. Ce fut une victoire symbolique. Les syndicats et les partis d’opposition ont alors commencé à organiser des manifestations sur la base d’une mobilisation émotionnelle comme la cause palestinienne, la guerre contre l’Irak… Elles étaient très consensuelles et tout de monde, de l’extrême gauche jusqu’aux islamistes, y participait. À partir de 2000, avec le nouveau règne, on a vécu un basculement : deux manifestations gigantesques – pour et contre le plan de promotion de la femme – ont été organisées. Nous sommes alors passés de l’émotionnel au rationnel dans le cadre d’enjeux politiques intérieurs. Les récents mouvements de protestation sont tous nés en réaction à un décès dont la responsabilité a été attribuée à l’État. Ne peut-on pas, également, les qualifier de mobilisations émotionnelles ? En effet, ces manifestations sont des réactions émotionnelles à un événement. Ce type de mouvement spontané est très répandu partout dans le monde. On en a vu en Tunisie après l’immolation de Mohamed

« Aujourd’hui, la contrebande existe encore. On sait qu’il y a des “ portes ” dans le grillage côté marocain, mais seuls les objets légers, comme les lunettes de soleil, transportables à pied, franchissent encore la frontière », a constaté Mohamed Kerzazi, membre de l’Association marocaine des droits humains à Oujda. Preuve que cette situation – dramatique pour la région – est amenée à durer : des stations-service ont été construites à Oujda alors que, jusque-là, le carburant provenait essentiellement de la contrebande algérienne. Même l’émigration qui a longtemps représenté l’ultime échappatoire est devenue moins attractive après la crise économique mondiale de 2008. Moins de départs mais aussi beaucoup de retours. Les transferts d’argent des Marocains résidant en Espagne, où la crise fut la plus vive, vers leur famille au Maroc, se sont ainsi effondrés, en 2013, de 41 % par rapport à leur sommet de 2007. De toutes les régions du Maroc, l’Oriental a certainement été la plus touchée car « près du quart de notre diaspora en est originaire et celle-ci draine, à elle seule, 24 % des transferts d’argent vers le Maroc des Marocains résidants à l’étranger », a souligné Mohamed El Kettani, président du groupe Attijariwafa Bank, lors d’une conférence en juillet 2016. « Mon frère travaillait en Espagne mais en 2008, avec la crise économique, il a dû rentrer à Jerada. Il n’est reparti qu’il y a six mois », témoigne Mohamed, syndicaliste dans l’ancienne ville minière. Presque dix ans après la crise finan-

3 questions à… Abderrahmane Rachik

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çais, « en marge du Maroc utile, l’Oriental, véritable annexe de l’Oranie sous colonisation française, était tournée vers l’Algérie. […] Reliée par deux axes de communication majeurs, “la route impériale” et la voie ferrée Marrakech-Gabbes par Oujda et Oran, les deux régions formaient un espace économique commun », écrit le géographe Abdelkader Guitouni, enseignant chercheur à la faculté d’Oujda*. En 1997, la fermeture officielle de la frontière a donc durement touché la région, mais la contrebande « vivrière » a tout de même perduré pendant vingt ans. En 2014, cependant, le ministère de l’Intérieur marocain a annoncé son intention de lever un grillage tout au long de sa frontière avec l’Algérie. Au même moment, dans l’enchérissement qui caractérise la relation de deux voisins, celle-ci a également annoncé qu’elle creuserait, de son côté, une tranchée surmontée d’un remblai. Aujourd’hui, « en réponse à l’action de l’Algérie, cette démarche se justifie, pour le Maroc, pour lutter contre l’immigration irrégulière des Subsahariens, le terrorisme et l’entrée des réfugiés syriens, mais elle a eu pour conséquence de rendre la démarcation quasiment hermétique sur les 700 kilomètres de frontières que compte la région de l’Oriental, reconnaît Abderrazak El Gourji. Alors que les zones frontalières sont normalement des zones de prospérité, la contrebande vivrière a été quasiment réduite à néant. »


AP/SIPA

2 février. Au lendemain du décès d’un troisième mineur, la population laisse éclater sa colère à Jerada.

Bouazizi, en Algérie ou en France, avec les émeutes dans les banlieues de plusieurs villes, en novembre 2007, après la mort de deux adolescents dont la moto avait été percutée par un véhicule de la police. Il y en a aussi aux États-Unis à chaque fois que l’on suspecte un meurtre raciste. Mais les mobilisations au Maghreb, en revanche, ne sont pas fondées sur une solidarité « ethnique » qui intervient pour défendre « l’un des nôtres ». La vidéo de la mort de Mouhcine Fikri, à Al Hoceima [où on le voit monter dans une benne à ordure pour récupérer ses espadons saisis par la police et se faire broyer par le mécanisme du camion] a choqué tout le monde au Maroc. Les circonstances de sa mort sont à l’origine du Hirak d’Al Hoceima. Ce mouvement de protestation marque-t-il un

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tournant dans l’histoire des mouvements sociaux au Maroc ? Dans un contexte où les protestations se sont normalisées, la spécificité de ce mouvement tient dans le fait que ses militants ne font plus confiance aux institutions intermédiaires (partis politiques, organisations syndicales, associations…). L’an dernier, les manifestants ne voulaient plus avoir affaire à elles. Ils voulaient directement dialoguer avec le premier responsable politique : le roi. Il s’agit d’un grand changement mais il n’est pas positif parce qu’en démocratie, on ne peut pas vivre sans parti politique. ■ Propos recueillis par J.C. * Respectivement publiés en 2016, aux éditions La Croisée des chemins et en 2014, Forum des alternatives du Maroc.

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e Hirak d’Al Hoceima continue à tenir en haleine le Maroc. Apparu après la mort de Mohcine Fikri, un marchand broyé dans une benne à ordure, le 28 octobre 2016, à Al Hoceima, le Hirak a manifesté contre la marginalisation de sa région, le Rif, pendant des mois. L’été dernier, le ministère de l’Intérieur avait pensé y mettre un terme, suite aux premières explosions de violence, en arrêtant plusieurs centaines de manifestants. L’ouverture du procès de 54 membres du Hirak à la chambre criminelle près de la Cour d’appel de Casablanca offre au contraire une nouvelle scène au mouvement. Une scène, car ce procès marathon a tout de la pièce de théâtre. En cinq mois, le public a tour à tour entendu une avocate appeler la quasi-totalité des membres du gouvernement à témoigner, puis assisté à la révocation de deux avocats très influents parce qu’ils avaient accusé le président du Parti authenticité et modernité d’avoir poussé les prévenus à comploter contre la monarchie. L’audience a aussi vu Nasser Zefzafi, le leader du mouvement, être expulsé à plusieurs reprises, et a assisté au malaise de certains prévenus en grève de la faim… Depuis fin janvier, cependant, Nasser Zefzafi, la cour a enfin commencé à discuter « visage » du Hirak du fond. Les 54 accusés sont d’Al Hoceima, est emprisonné notamment poursuivis pour atteinte depuis mai 2017. à la sûreté intérieure de l’État. Ce crime est passible de quelques années de prison jusqu’à la peine de mort. Les leaders du Hirak sont accusés d’avoir voulu, sous couvert de revendications économiques et sociales, recréer la République du Rif indépendante d’Abdelkrim El Khattabi, héros de la lutte contre la colonisation espagnole dans les années 20. Jusqu’ici, cependant, le procureur a présenté pour toute preuve des dizaines d’écoutes téléphoniques et des publications sur les réseaux sociaux. Certaines conversations entre les militants du Hirak et leurs supposés bailleurs installés à l’étranger évoquent de l’argent et des armes, mais rien de matériel ne vient les étayer. À leur réécoute, les prévenus évoquent seulement le second degré, le sarcasme ou même une farce. De simples « likes » distribués sur les réseaux sociaux servent même de pièces à conviction… ■ J.C.

cière, l’émigration reste ainsi, encore aujourd’hui, la première solution envisagée par les pouvoirs publics pour répondre en urgence à la demande des manifestants du Hirak de trouver une « alternative économique » à l’exploitation des mines clandestines. Sur les 2 000 emplois promis, les pouvoirs publics envisagent bien le recrutement de 1 200 personnes dans de nouvelles usines à construire, mais misent d’abord, à très court terme, sur le départ de 750 Jerradis. « Dans le cadre de l’accord entre le Maroc est l’Espagne, nous avons réservé un quota de plus de 500 postes de travailleurs occasionnels (principalement des femmes) uniquement pour Jerada », indique le secrétaire général de la wilaya de l’Oriental. Autrement dit, 500 femmes pourront partir travailler en Espagne le temps de la cueillette des fraises. « Plus de 200 autres personnes ont commencé à être recrutées dans les pôles industriels de Kenitra et de Tanger », ajoute Abderrazak El Gourji. « Travailler à Kenitra dans les usines du secteur automobile ?, s’interroge, dubitatif, Ahmed, mineur. Pourquoi pas. » Rencontrée lors d’une manifestation du Hirak, Meryem, fraîchement diplômée de l’université d’Oujda mais toujours au chômage, n’est pas d’accord : « Je ne veux pas de ce genre de solution ; je veux rester à Jerada pour que le fruit de mes études profite à cette ville. » Devant l’insatisfaction qui perdure, le chef du gouvernement, Saâdeddine El Othmani, s’est déplacé à son tour, le 10 février, après les visites du ministre de l’Énergie et des Mines et du ministre de l’Agriculture en janvier avec, dans ses bagages, son propre lot de promesses : la suspension immédiate de tous les permis d’exploitation minière non conformes aux lois, l’exploitation rationnelle et réglementaire des autres richesses minières de la région ; la création d’une zone industrielle à Jerada ; la mobilisation de 3 000 hectares pour l’agriculture. Il n’a toujours pas convaincu : « la visite a laissé un arrière-goût amer au sein de la population de cette région. En fait, elle s’attendait à des mesures et des programmes pour l’ensemble de la région et pas uniquement à des initiatives au profit de la seule ville de Jerada. Le hic, c’est que Saâdeddine El Othmani a choisi la ville d’Oujda pour ne parler que de Jerada. Qu’en est-il donc de Berkane, de Driouch, de Figuig, de Guercif, de Nador et de Taourirt ?», lance Hassan Ammari, militant associatif, au quotidien marocain Libération. Partout, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Toute une partie du Royaume vit avec le sentiment d’appartenir encore au « Maroc inutile » par opposition au « Maroc

LE HIRAK D’AL HOCEIMA DE LA RUE AU PRÉTOIRE


YOUSSEF BOUDLAL/REUTERS

À Jerada, 43 000 habitants, les infrastructures de base font encore défaut.

utile » de l’axe Tanger - Casablanca - Marrakech, un siècle après l’invention de cette formule cynique par le maréchal Lyautey, résident général du Royaume. À chaque accident meurtrier, la population de ces localités oubliées se retourne contre les pouvoirs publics. Ainsi, le 8 janvier dernier, dans la région de Fès-Meknès, un homme décédait de ses blessures sur la route menant de la petite ville de Outat El Haj à Fès. Ce marchand ambulant s’était blessé en heurtant avec sa charrette des blocs de pierre laissés sur la route par un chantier. D’abord conduit à l’hôpital de la ville, il a dû être transféré au CHU de Fès, à plus de 240 km de là, mais il est décédé avant d’y parvenir. Des manifestations dénonçant l’indigence des services de santé ont immédiatement suivi et obtenu, au bout d’un mois, une nouvelle ambulance, la création d’unités d’urgence de proximité dans les villages avoisinants, l’affectation de deux spécialistes et deux généralistes ainsi que sept techniciens et infirmiers polyvalents. À 200 km à l’est, à Tendrara, trois jours après le drame de Outat El Haj, un enfant est mort dans des circonstances encore plus dramatiques. Heurté par un camion près du souk hebdomadaire, aux abords de la route qui lie Oujda à Figuig, il est décédé avant l’arrivée des secours, l’ambulance ayant mis une heure à arriver. La manifestation qui s’en est suivie a rapidement tourné à l’affrontement entre les forces de l’ordre et la population. Neuf personnes, arrêtées ont été condamnées à plusieurs mois de prison. Le déficit en équipements publics de base de ces deux localités n’a rien d’exceptionnel. Selon une étude réalisée AFRIQUE MAGAZINE

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par l’Observatoire national du développement humain, à Salé, ville mitoyenne de la capitale, Azilal et Figuig, très excentrées, seules 57 % des personnes interrogées vivaient à moins d’une heure d’un hôpital. Conscient que les écarts de développement et d’équipements publics entre les grandes villes du Maroc et les villages des plaines agricoles et des montagnes deviennent insupportables et constituent le terreau de la contestation sociale, le gouvernement a lancé en juin dernier le Programme national 2016-2022 de lutte contre les disparités sociales et territoriales dans le monde rural. Il est doté d’une enveloppe budgétaire de 50 milliards de dirhams destinée à 20 800 projets bénéficiant à 12 millions de citoyens dans 24 290 douars. « Nous sommes sans cesse dans cette ambivalence habituelle : faut-il développer le centre ou la périphérie ? Il est essentiel d’investir dans le centre pour le rendre compétitif mais il faut également assurer le rattrapage de la périphérie. Je pense qu’il faut tout développer mais peut-être pas à la même vitesse, l’essentiel, c’est de conjuguer les efforts pour garantir une vie décente à tous les citoyens », analyse le secrétaire général de la wilaya de la région de l’Oriental. En attendant, plus haut dans les montagnes du Maroc, la neige, tombée en abondance cette année, a coupé bien des routes, quand elles existent, et isolent de tout et pour plusieurs semaines des villages entiers. ■

* Le Maroc oriental de l’établissement du protectorat à la décolonisation : les mutations d’un carrefour ethnique frontalier, 1997.

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DÉSORMAIS considéré comme l’un des meilleurs acteurs de l’Hexagone, Tahar Rahim a marqué les esprits et bousculé les codes des acteurs parisiens « bon teint » depuis son excellente performance dans Un prophète (2009). Parier sur un jeune comédien méconnu, dans « un thriller qui réunissait des Arabes, aucun diffuseur n’en voulait », confiait le réalisateur Jacques Audiard. César du meilleur acteur et jeune espoir, le film a offert, de plus, un cadeau inespéré à Rahim : sa rencontre sur le tournage avec sa future femme, la talentueuse Leïla Bekhti. Depuis, il a multiplié les genres avec Jean-Jacques Annaud, Kiyoshi Kurosawa ou encore Fatih Akin. À seulement 36 ans, Rahim se prépare à une longue carrière qu’il mène actuellement aux États-Unis, à l’affiche notamment de Marie Madeleine, aux côtés de Joaquin Phoenix et Rooney Mara, où il incarnera… Judas. Un rôle de composition, bien sûr.

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Tahar Rahim, le fer de lance


ELLES ET EUX

Les #bogoss Show-biz

Qu’ils soient à l’affiche de blockbusters hollywoodiens ou de films d’auteur, jeunes premiers ou déjà stars, tous ces acteurs originaires du Maghreb ont au moins deux points communs : talentueux et sexy. Et ils crèvent l’écran ! par Fouzia Marouf

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font leur cinéma

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i vous cherchez le hashtag « #bogoss » sur les réseaux sociaux, il y a des chances de tomber sur un de ces acteurs de la nouvelle génération, nés en Algérie, Maroc, Tunisie, parfois en Europe. Tous, armés d’un physique avantageux et d’un charisme naturel, ont ressenti le besoin de devenir acteur. Des comédiens talentueux qui n’ont plus à attendre un rôle de flic, voyou ou dealer de banlieue et dont le nom ou l’ascendance les renverrait encore et toujours à leurs origines. Grâce à Roschdy Zem, Sami Bouajila ou encore Saïd Taghmaoui, qui avaient ouvert la voie, cette nouvelle génération s’y engouffre avec force. Avec l’élégance rock d’un Adam Bessa, la force tranquille d’un Mehdi Nebbou ou le côté caméléon d’un Tewfik Jallab, bouillonnent une foule de désirs, d’expériences nouvelles, au théâtre, à la télévision, voire de passages à la réalisation. Certains, passés par le cinéma indépendant de New York ou l’industrie de Los Angeles, marquent définitivement de leur patte – à l’instar du « Nouvel Hollywood » des De Palma, Scorsese et Cimino – un cinéma du Grand Maghreb. Autant de rôles incarnés qui façonnent désormais des acteurs inspirés. De là, à les voir tourner avec les plus grands réalisateurs, il n’y a qu’un pas : ces beaux gosses ont le cinéma dans la peau. ■ 65


ELLES ET EUX LES #BOGOSS FONT LEUR CINÉMA

Mehdi Nebbou, corps et âme

Dans Fixeur, d’Adrian Sitaru (sorti en France en 2017), il incarne un journaliste confronté à la prostitution juvénile.

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étendue, affichant plus de 35 films au compteur ! Surprenant, Mehdi a aussi séduit le 7e art indien, en tenant le rôle principal dans English Vinglish : « Un très bon souvenir. » Exigeant, il n’hésite pas à suivre flics, médecins urgentistes ou démineurs pour s’imprégner de ses rôles, car « ce sont des métiers incroyables, ils risquent leur vie pour sauver les nôtres ». Témoin, Fixeur, où il campe un journaliste confronté à la prostitution juvénile : « J’ai côtoyé un reporter de guerre qui m’a transmis les codes de son métier et de gagner la confiance d’autrui », confie-t-il. Mehdi, 47 ans, résout l’équation ardue entre films d’auteurs et super-productions, et enchante les critiques. Prochain projet ? Tourner son premier long-métrage comme réalisateur, pour un récit « tourné vers l’humain ». Comme lui.

Tewfik Jallab, le caméléon REGARD ténébreux, sourire ravageur, Tewfik Jallab gare sa moto et vous claque la bise avec simplicité. On retient notre souffle face à l’Apollon… Une présence qui crève naturellement l’écran depuis ses rôles emblématiques de La Marche à Lola Pater, séduisant au passage des réalisateurs comme Frédéric Schoendoerffer ou Christophe Barratier (L’Outsider) dans un rôle plus méandreux. Doté d’une réelle sensibilité, c’est un caméléon qui aime pousser toujours plus loin les limites des rôles : « être acteur, c’est parvenir à voguer entre les lignes. Explorer l’opposé, me surprendre moimême », nous dit-il. De mère marocaine et de père tuniso-algérien, Tewfik, 36 ans, est aussi un poète, amoureux des textes intemporels de Racine, passé par la case du sacro-saint Conservatoire national de théâtre, où il capte l’attention du talentueux dramaturge Wajdi Mouawad avant de mettre le cap sur New York et Los Angeles pour affiner son art. « J’adore la façon de travailler nord-américaine, il y a un respect de l’acteur. » Il tient le haut de l’affiche de Malek, tourné à Montréal, et narrant le destin tourmenté d’un réfugié libanais. Insaisissable, il donne la réplique à Sami Bouajila dans Paradise Beach et redouble de prouesses physiques dans Sun, en vrai casse-cou... AFRIQUE MAGAZINE

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ALEXANDRE DELAMADELEINE - DR

« CYCLONE », l’agent de la DGSE infiltré en Algérie, dans la série Le Bureau des légendes, c’était lui. Hussein, le médecin syrien réfugié en Allemagne, dans Homeland, encore lui. Mehdi Nebbou nous reçoit alors qu’il rentre à peine de New York. Père algérien, mère d’origine allemande, il a grandi entre le Pays basque français et Lyon. Passe avec aisance d’une langue à l’autre. Il étudie la réalisation à Berlin, effectue par hasard un casting en 1999… Sa vocation est née. Généreux, entier, il est repéré par Steven Spielberg qui lui offre un rôle dans Munich (2005). « J’étais chaud bouillant, j’avais faim d’une vraie scène avec Di Caprio », avoue-t-il. Puis ce sera Mensonges d’État (2008) de Ridley Scott et une filmographie où il dévoilera une palette de jeu plus


Assaad Bouab, comme un soleil exactement SOLAIRE, chaleureux, Assaad Bouab, est un astre qui capte l’attention dès son entrée sur un plateau ou dans une pièce. Un homme généreux avec la caméra et le public. Difficile de rester concentrée, face à son regard constellé d’éclats verts et bleus… impossible de lui échapper depuis l’irrévérencieux Marock, qui bousculait les codes de la bourgeoisie marocaine et de sa jeunesse dorée. Devenu aussi culte que ce film, Assaad, l’œil cerclé de khôl, partage ensuite la distribution de Kandisha de Jérôme Cohen-Olivar aux côtés d’Amira Casar et de David

Carradine. Sa belle gueule, son air affable devenus familiers en France comme au Maroc, plongent à présent le téléspectateur dans la série à succès Dix pour cent (France 2), faisant de l’âpreté de son personnage, la matière première de son univers implacable : « il s’est fait seul, c’est un self-mademan sans foi ni loi », confie Assaad, actuellement en tournage pour la saison 3. « C’est une série très appréciée du public, quel bonheur d’avoir des retours directs ! » Passant du cinéma (Indigènes en 2006) au théâtre, il vient de briller au sein de la pièce Les Trois Sœurs d’Anton Tchekhov, pour une tournée qui a fait halte à Anvers, Turin, J’aime le mélange des gens, Angers… « J’ des genres ». Son visage est baigné On le quitte à regret. de lumière. O

Aux côtés d’aînés confirmés, l’acteur s’était fait remarquer en 2006 dans Indigènes de Rachid Bouchareb.

Marwan Kenzari, prince d’Hollywood Marw

MEHDI TRIQUI - JAYL. CLENDENIN/CONTOUR BY GETTY

ATTENTION star en devenir. ATTENTION, L’histoire de Marwan Kenzari pourrait être celle d’un héros qui aurait frotté la lampe merveilleuse pour voir son vœu enfin exaucé. d’un gosse d’origine Celui d tunisienne, né aux Pays-Bas tunis de cinéma. et rêvant rê À 35 ans, Marwan Kenzari a été ét choisi par les studios Avec Noomi Rapace dans dan le thriller de science-fiction Seven Sisters (2017).

Walt Disney pour incarner le nouveau visage de Jafar, personnage incontournable du célèbre Aladdin et dont la réalisation est confiée à Guy Ritchie (sortie prévue en 2019). Insufflant un autre genre aux héros arabes, loin de l’image des bad boys, après des débuts prometteurs au sein de films d’auteurs néerlandais, parlant également anglais et arabe, Marwan s’impose dans des rôles de productions américaines argentées. Comme Ben-Hur, avec Morgan Freeman, inspiré du péplum originel signé par William Wyler en 1959 ou encore La Momie d’Alex Kurtzman avec l’actrice algérienne Sofia Boutella et Tom Cruise, le blockbuster mondial de l’été dernier. Les fidèles de Marwan l’ont retrouvé dans Le Crime de l’Orient Express, aux côtés de Kenneth Branagh, Penélope Cruz et Johnny Depp. Ou Seven Sisters, en 2017. À suivre. 67


ELLES ET EUX LES #BOGOSS FONT LEUR CINÉMA

Anas El Baz, la fureur de vivre D’UNE BEAUTÉ énigmatique, symbole d’une jeunesse effrénée, le Marocain Anas El Baz a été immédiatement estampillé « phénomène » depuis son rôle dans Casanegra. Révélé en 2008, par ce film urbain à l’effet coup de poing, exclusivement situé en extérieur nuit dans les venelles sombres de Casablanca, l’acteur au regard vert et buté perçait la caméra, cigarette au bec, rappelant le magnétisme d’un

certain James Dean. Il en est reconnaissant à Nour-Eddine Lakhmari de l’avoir « guidé pour ce rôle », lui qui était arrivé en France huit ans plus tôt. Nourri aux textes du Cours Florent, de retour au Royaume (où il a notamment tourné La Moitié du ciel), il passe à

Dhafer L’Abidine, le patient anglais SOURIRE diamantin, allure à couper le souffle, Dhafer L’Abidine, 45 ans, 1,83 m, sous ses airs fringants d’ex-mannequin, a su mener habilement sa barque, des plateaux de tournage de Tunisie à ceux du Royaume-Uni, en passant par l’exigeante rampe du théâtre. Il fait ses valises lorsqu’il rejoint la School of Speech and Drama de Birmingham (Angleterre). Diplôme en poche, il enchaîne dans la foulée avec Dream Team, série anglaise dédiée à la BBC où il renoue avec ses premières amours : le football. Car Dhafer a aussi été joueur professionnel à l’Espérance 68

sportive de Tunis, l’un des deux plus grands clubs du pays. « Le football m’a appris la rigueur et la ténacité. Mais j’ai toujours voulu être acteur, j’ai débuté comme assistant réalisateur à Tunis. Le jeu des comédiens suscitait ma curiosité, je voulais être face à la caméra », nous précise-t-il. C’est la série à succès Maktoub, diffusée de 2008 à 2014, durant le ramadan, qui assoit sa notoriété dans le monde arabe. Au plus fort d’un tournage en Suède, Dhafer doit rentrer à Londres pour le casting du film Sex & The City 2 : « C’était énorme, Liza Minelli, Penélope Cruz, Art Malik étaient réunis. » Lors d’une

Ses fans dépassent les frontières de la Tunisie : son compte Instagram est suivi par 2 millions d’abonnés.

scène, tournée au Taj Palace, l’un des plus prestigieux palaces de Marrakech, Dhafer est marqué par Kim Cattrall qui, « en plus d’être très pro, est d’une rare beauté ». Depuis, il est marié à une actrice anglaise qui a mis sa carrière de côté pour s’occuper de leur fille. AFRIQUE MAGAZINE

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Il reste fidèle au cinéma marocain, comme dans La moitié du ciel (2015) de Abdelkader Lagtaâ.

la vitesse supérieure avec deux stars mondiales dans une super-production à Marrakech. « J’ai adoré l’humilité de James Franco. Idem pour Nicole Kidman, très intelligente, elle a changé le texte de notre scène en expliquant que son héroïne devait parler arabe car elle vivait en terre arabe. Assaad Bouab, le sultan, partageait cette séquence, on s’est retrouvé dans le teaser de Queen of the Desert ! », s’amuse-t-il. Également doué pour la peinture, ses toiles sont traversées de regards intenses qu’il offre à ceux qu’il aime. Acteur fétiche de Lakhmari, il est encore son héros dans Burn Out, course contre la mort sortie au Maroc. Comme dans le Retour à Bollène de Saïd Hamich, bientôt en salles en France : «J’y incarne Nassim, jeune Marocain qui s’est extrait de son quartier natal, a réussi socialement, s’est marié à une Américaine. C’est un drame social très fort », conclut Anas, à peine 34 ans, qui enchaînera avec une comédie. Toujours assoiffé de vastes horizons.


Adam Bessa, cœur de rockeur

MONA GRID

SILHOUETTE de mannequin podium, œil pétillant de vie, Adam Bessa peut promener sa classe naturelle en défilant pour les créations du styliste Hedi Slimane. Ce jeune acteur francotunisien, déjà nominé Meilleur espoir aux César 2018 pour sa première interprétation dans Les Bienheureux, film rageur de Sofia Djama, se taille AFRIQUE MAGAZINE

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une carrière au long cours. Déterminé, entier, Adam est un félin, aussi animal et magnétique que – osons-le – Marlon Brando, qu’il admire. Alors que du haut de Bab El Oued, c’est lui qui a impressionné le public et la critique pour sa performance néo-rock-punk, en donnant sa parfaite mesure à Réda, jeune musulman fervent habité par un seul désir : se faire tatouer une sourate du Coran sur le dos. « Réda vit à Alger mais peut être un punk anglais des années 70 car la jeunesse est la même partout dans le monde », précise Adam. Très attaché à Marseille, où il vit, il a passé son enfance entre Bizerte et Tunis. « J’ai besoin de parler arabe, d’être connecté à ma culture, de faire le marché au soleil… » Fasciné par la capacité de travail de Sean Penn, Daniel Day-Lewis, Meryl Streep, il est aussi guitariste. Nourri aux sons jazzy, Adam vient de signer un album aux influences électro, Trendy Places, avec Claire Fontecave, sa complice à la scène et sa femme dans la vie. Bienveillant, papa d’un garçon d’un an, cet acteur qui incarne une force vive, générationnelle, est « confiant dans l’avenir ». Adam, ou le bienheureux originel. ■ 69


ÉVÉNEMENT

« Mille et une nuits pour mille et un cœurs » : le thème du spectacle et du 6e gala de la fondation, qui s’est tenu le 11 mars 2016, à l’hôtel Sofitel de Cocody.

CHILDREN OF AFRICA ! Il y a vingt ans, Dominique Ouattara se lançait une mission et un défi, la protection des enfants. Le 16 mars, la première dame de Côte d’Ivoire fêtera l’anniversaire de la fondation à Abidjan avec la grande ouverture de l’hôpital Mère-Enfant. Retour en images sur deux belles décennies. par Alexandra Fish

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HAPPY BIRTHDAY


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’est un très bel anniversaire que fêtera le 16 mars à Abidjan Dominique Ouattara, première dame de Côte d’Ivoire, présidente et fondatrice de Children of Africa. Et il en aura fallu de la ténacité, de la force pour porter ce projet tout au long de ces années. Certains se rappellent du premier gala à Paris, en 1998, pour mobiliser les énergies autour d’une grande ambition, celle de la protection des enfants, de Côte d’Ivoire et d’Afrique. Vingt ans de dévouement, de solidarité pour aider les plus fragiles. Depuis, six galas ont eu lieu (trois à Paris, et trois à Abidjan) qui ont permis de souder un véritable club d’amis et de rassembler les ressources nécessaires aux réalisations de Children of Africa. Des personnalités du monde entier ont répondu présent à l’appel de Dominique Ouattara. Sportifs, musiciens, acteurs, politiques, businessmen font le déplacement à chacun des galas. Il y a les amis de la première heure, comme la princesse Ira von Fürstenberg, le professeur Marc Gentilini, le proAFRIQUE MAGAZINE I 3 7 0 – J U I L L E T 2 0 1 7

fesseur Alain Deloche, Adriana Karembeu, Noémie Lenoir, Richard Berry, le regretté Johnny Hallyday, le talentueux MC Solaar… Rejoints par des nouveaux venus, tels Jamel Debbouze, Murielle Ahouré et Carla Bruni-Sarkozy. Et de grands entrepreneurs comme Martin Bouygues ou Vincent Bolloré auront activement participé aux projets de la fondation. Children of Africa privilégie quatre secteurs : la santé, l’éducation, le social et les centres subventionnés. Un vaste programme qui couvre plus de 80 localités dans toute la Côte d’Ivoire, mais aussi dix États africains. Avec des projets phares comme les campagnes de vaccination, la Case des enfants d’Abidjan, les bibliobus qui sillonnent le pays… Les vingt ans de la fondation verront surtout l’aboutissement d’un chantier majeur : l’inauguration de l’hôpital Mère-Enfant de Bingerville, unique pour la Côte d’Ivoire et la région. Un établissement de 120 lits, doté d’équipements de dernière génération, entièrement dédié à la santé maternelle et infantile. Et financé par la générosité et l’engagement des donateurs. ■

En ce mois de décembre 2014, les portes du palais présidentiel se sont ouvertes pour accueillir quelque 3 000 enfants qui, pour beaucoup, ont pu approcher le président Ouattara et la première dame. Une journée sous le signe des cadeaux et, surtout, des sourires.

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ÉVÉNEMENT LES 20 ANS DE CHILDREN OF AFRICA

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DE LA CASE AU BIBLIOBUS

LA FONDATION mène un certain nombre d’actions « traditionnelles » : campagnes de vaccination, dons de kits scolaires, aides pour les femmes… Et puis, il y a la fameuse Case des enfants, emblématique de la philosophie de Children of Africa. Cette maison nichée dans le quartier du Plateau à Abidjan, accueille depuis plus de quinze ans des petits orphelins, abandonnés ou démunis, qui sont pris en charge totalement : éducation, santé, nourriture, logement. Une équipe d’éducateurs spécialisés prend soin des pensionnaires jour et nuit tout en veillant à leur éducation. Vingt-six filles et trente garçons y vivent actuellement. Les enfants d’hier ont grandi, ils se sont insérés dans la vie professionnelle et reviennent souvent voir les nouveaux résidents pour les encourager. La fondation a également développé le concept des bibliobus. Huit véhicules, qui contiennent chacun 2 500 livres, sillonnent la Côte d’Ivoire, incitant ainsi la jeune génération à lire et à ouvrir son esprit au monde. ■

1998 1998 LANCEMENT DE LA FONDATION À PARIS

Catherine Deneuve et de la princesse Ira von Fürstenberg seront aux cotés de la fondation tout au long des 20 ans

1999 2E GALA,

PAVILLON D’ARMENONVILLE, PARIS Bonne humeur et élégance sont au rendez-vous avec le couturier nigérien Alphadi, dit le « Magicien du désert ». 72

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BERTRAND RINDOFF PETROFF/AGENCE ANGELI - DR (2)

C’est au Pavillon Gabriel que démarre l’aventure en septembre 1998, avec le soutien actif du professeur Marc Gentilini, alors président de la Croix-Rouge française.


1999 Aux côtés

de Dominique Ouattara, Laeticia et Johnny Hallyday, Naomi Campbell et S.A.R. le prince Michel de France.

2001 3E GALA, PALAIS DE CHAILLOT, PARIS Toujours dévouée pour les causes de l’enfance, Claudia Cardinale.

À chaque fois, les stars répondent au rendez-vous du cœur.

2001 Entourant

DAVID ATLAN - DR (3)

Alassane Ouattara, le Pr Sega Sangaré et Souleymane Diakité Coty.

2001 Jamais de fausse note

avec l’incontournable Manu Dibango.

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ÉVÉNEMENT LES 20 ANS DE CHILDREN OF AFRICA

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UN HÔPITAL À BINGERVILLE DONNER la priorité à la santé de la mère et de l’enfant, en faisant naître une structure dédiée à Abidjan, a été l’engagement majeur de Dominique Ouattara. La construction de l’hôpital Mère-Enfant de Bingerville a débuté en 2013. Son financement a été réalisé entièrement grâce aux dons et aux contributions des amis de la fondation. Ce sera une structure unique en Afrique de l’Ouest, dédiée à la santé maternelle et infantile. Il permettra également de développer la prévention et aussi la formation des personnels ivoiriens. Dans un contexte sanitaire encore difficile, l’hôpital assurera une véritable mission de service public. L’établissement sera doté d’une maison de vie pour les enfants malades du cancer offerte par Son Altesse la princesse Lalla Salma du Maroc à travers sa fondation. Ce projet hors normes sera inauguré en mars à l’occasion des vingt ans de la fondation Children of Africa. Un moment d’émotion pour les donateurs qui pourront visualiser le fruit de leur générosité, et pour ceux qui ont travaillé depuis tant années sur ce projet. ■

2014 5E GALA, ABIDJAN

Le président Alassane Ouattara et Dominique Ouattara accueillent la princesse Lalla Salma, épouse du roi Mohammed VI, au grand dîner de gala.

2014

Nathalie Folloroux-Bejani, la digne fille de Dominique.

2012 4E GALA À ABIDJAN, À LA CASE DES ENFANTS

2014

2012

Samuel Eto’o et Adriana Karembeu, rayonnante et présente depuis les débuts 74 de Children of Africa.

Gary Dourdan, Alpha Blondy, l’athlète Murielle Ahouré et A’Salfo (Magic System).

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La princesse Ira von Fürstenberg et le comédien Alain Delon autour de Dominique Ouattara. Un des enfants, habillé en tenue traditionnelle, pose après avoir récité une poésie.


2014

Tiken Jah Fakoly au micro du talenteux Yves Zogbo Junior, MC des galas.

Des souverains aux artistes, tous engagés en faveur des enfants.

2016 6E GALA, ABIDJAN

De g. à dr. : Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale, le couple présidentiel, Madame Henriette Konan Bédié, Michel Sidibé (Onusida) et Daniel Kablan Duncan, devenu depuis vice-président de la République.

2014

MC Solaar, ami de longue date de la fondation, et Fally Ipupa.

2016 La première dame et Carla Bruni-Sarkozy.

2018 Projet phare de la

Fondation Children Of Africa, l’Hôpital Mère-Enfant de Bingerville sera inauguré en ce mois de mars.

2016

BINDQSSQE,

LE 11 MARS AU MATIN. DoAlicia eost, int od que est et ab inullectem rest, volupic aborum voluptatium repe rem ut labo. Sandus commolu pidebiti bearundis erumqui veliquate et ium, sitate nimpora perciene volorep erepra

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LE DOCUMENT présenté par Hedi Dahmani

Immigration

Le grand bond en avant

L’augmentation des revenus, l’aide, le codéveloppement… Et si cette obole accélérait au contraire les candidatures au départ ? C’est la thèse originale et dérangeante de Stephen Smith, qui dresse dans cet essai de76géographie humaine un constat sévère sur les impasses du continent. I AFRIQUE MAGAZINE

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Comme en Italie (ici à Santa Maria di Castellabate, province de Salerne), les migrants et demandeurs d’asile affluent en Europe. Les solutions pour leur assurer un avenir font défaut.

ANTONIO PISACRETA/ROPI/RÉA

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a ruée vers l’Europe… Avec un titre aussi imagé, celui d’une déferlante de jeunes Africains prenant d’assaut un continent vieillissant, parfois au mépris de leur vie, l’optimisme n’est pas ce qui caractérise de prime abord cet essai. Aux antipodes du discours parfois béat sur les « forces vives » d’une Afrique émergente, et dont l’avenir s’annoncerait radieux, l’universitaire et journaliste Stephen Smith décortique les mécanismes démographiques, économiques et sociaux qui contribuent à l’exil. Partant du principe que les plus pauvres n’ont pas les moyens de voyager, l’auteur confronte le lecteur à un paradoxe : l’aide au développement, censée retenir chez elle une jeunesse en quête d’avenir, ne fait au contraire qu’accélérer la migration des populations dès lors qu’elles disposent des ressources nécessaires. Au fil des pages, Smith revient également sur les échecs des différentes politiques européennes, entre les partisans d’un accueil à tout-va et les tenants populistes d’une Europe forteresse. Certaines organisations humanitaires en prennent également pour leur grade, non pour l’aide fournie mais parce qu’elles collectent des fonds pour « sauver » des gens sans pouvoir ensuite fournir emplois, logements et éducation. À défaut de proposer une solution miracle, l’ouvrage a ainsi le grand mérite de poser les jalons d’un nouveau AFRIQUE MAGAZINE I 3raisonnement. 7 8 – M A R S 2 0 1 8■

La ruée vers l’europe, La jeune afrique en route pour le vieux continent par Stephen Smith, 272 p., Grasset. 77


LE DOCUMENT

Extraits La gouvernance démographique […] « L’Afrique subsaharienne a longtemps vécu dans une ambiance de laisser-faire, de désintérêt pour les questions démographiques », a constaté, en 2007, John May, alors le démographe Afrique de la banque mondiale. En 1961, à l’époque où il eût fallu prendre le problème à bras-le-corps, mais où le président tunisien Habib Bourguiba était bien le seul à promouvoir le statut de la femme envers et contre tout, le premier président de la Tanzanie, Julius Nyerere, a usé d’une métaphore pour caractériser le leadership des « dirigeants » de sa génération : en emmenant leurs populations là où elles brûlaient d’envie d’aller, à savoir au « royaume politique » qu’allait leur ouvrir le départ des colons, les pères des indépendances avaient autant d’emprise sur les masses qu’un « pique-bœuf sur le dos d’un rhinocéros ». Autrement dit : dans l’euphorie générale de l’accession à la souveraineté, il eût été politiquement difficile, sinon suicidaire, de se faire le héraut d’une remise en cause profonde des habitudes reproductives. Alors que tout semblait possible, décourager la procréation aurait semblé un contresens historique. Par ailleurs, les jeunes États, aussi jeunes que leurs citoyens, n’avaient guère la capacité institutionnelle de mettre en œuvre une telle « biopolitique » (Michel Foucault). À ce jour, la politique de planning familial s’improvise au sud du Sahara, et l’emploi de moyens modernes de contraception – toujours inférieur à 15 % parmi les femmes en âge de procréer – ne croît que lentement, d’année en année, alors qu’il est monté en flèche en Asie pour atteindre autour de 70 %. Si l’ancien gouverneur britannique du Nigeria

revenait sur terre, quelque part entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, sa lucidité le pousserait à mettre en garde, dès à présent, contre le glissement tectonique du troisième âge en Afrique, l’ensevelissement à long terme du continent sous des vieux sans pension ni sécurité sociale, pas même la fameuse « solidarité africaine » qui aura fait long feu. Mais qui pense à la sécheresse sous une pluie battante ? Le glissement tectonique du troisième âge, ce n’est pas pour demain ni même après-demain. Pour le moment, nous sommes dans la continuité au sud du Sahara. Depuis bientôt un siècle, les autorités coloniales puis les gouvernements africains ont failli en matière de gouvernance démographique si « gouverner, c’est prévoir ». Les populations subsahariennes ont multiplié leur nombre comme jamais auparavant une population sur cette planète, sans « révolution verte » pour garantir leur sécurité alimentaire ; puis elles se sont mises en marche vers des villes, industrieuses en l’absence d’industrie, pour s’y débrouiller au jour le jour. Jamais, dans l’histoire, les habitants d’une partie du monde n’ont été aussi jeunes que les Africains subsahariens aujourd’hui – dans le prochain chapitre, nous allons explorer cette île-continent de Peter Pan. Tant de jeunes constitueraient une belle promesse d’avenir si un nombre important d’entre eux ne mourait pas à la naissance ou ensuite de malnutrition, de maladies facilement soignables ou d’épidémies, dans des massacres et des guerres ; si tant de jeunes sans emploi n’étaient pas empêchés de grandir et de

Les populations subsahariennes ont multiplié leur nombre comme jamais. Puis elles se sont mises en marche vers des villes pour s’y débrouiller au jour le jour.

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JARED LAZARUS

réaliser leur projet de vie. Certes, depuis un siècle, l’Afrique a fait des progrès himalayens – nous allons également y revenir. Mais ces progrès ont été relativisés, et souvent laminés, par la loi des grands nombres.

migrants, qui bénéficient de leur accueil, aide à l’orientation, expériences et connexions locales, parfois même d’un premier emploi. La diaspora sert de sas pour passer du désarroi initial dans un nouveau « décor » à une familiarité de base avec une autre société. Elle donne bien plus qu’un *** coup de pouce. La présence de quelques hommes d’affaires somaliens depuis les années 1980 dans Le dilemme du codéveloppement la ville jumelle de Minneapolis-Saint Paul, dans le Deux conditions majeures doivent être réunies Minnesota, a ainsi abouti, en trente ans de conflit pour déclencher la « ruée vers l’Europe » ; une dans ce pays de la Corne de l’Afrique, à la plus circonstance aggravante, le « stress écologique » grande concentration de Somaliens aux États-Unis, dans certaines parties du continent, s’y ajoutera plus de 25 000 sur un total d’environ 85 000. À pour amplifier le mouvement. La première Eschweiler, une bourgade allemande de 55 000 condition est le franchissement habitants près d’Aix-la-Chapelle, la d’un seuil de prospérité minimale migration en chaîne a fait venir des par une masse critique d’Africains centaines de Togolais, sur un total sur fond de persistance d’une de 14 000 Togolais ayant immigré grande inégalité de revenus de l’ancienne « colonie modèle » entre l’Afrique et l’Europe. La allemande – Muster-kolonie – force d’attraction de l’extérieur en Afrique de l’Ouest. Dans les s’exercera alors pleinement sur anciens pays colonisateurs, tels que une multitude de jeunes sans la Grande-Bretagne ou la France, perspectives d’emploi mais les diasporas abondent mais sont capables de réunir, avec l’aide souvent perçues, exclusivement, de leurs parents au sens large, comme un fait postcolonial. […] le pactole de départ nécessaire Voici un premier paradoxe : la pour relever les défis d’un voyage difficulté d’une diaspora à se souvent clandestin. Actuellement, « fondre » au sein d’une population Ancien journaliste, Stephen Smith en fonction du point de départ et d’accueil prolonge son efficacité a publié de nombreux ouvrages consacrés au continent. Il enseigne de la voie choisie, cette somme se comme « cellule d’accueil » depuis 2007 les études africaines situe entre 1 500 et 2 500 euros pour les nouveaux immigrants. à l’Université de Duke (Caroline – soit une ou plusieurs fois le Le quartier surnommé Little du Nord, États-Unis). revenu annuel dans tel ou tel pays Somalia à Minneapolis-Saint subsaharien. […] La seconde condition majeure Paul, le Chinatown de beaucoup de grandes villes pour qu’un « saut quantique » se produise dans américaines, la cité « Les Rosiers » à Marseille les migrations vers l’Europe est l’existence de ou Montreuil, aux abords de Paris, permettent à communautés diasporiques, qui constituent autant d’autres Somaliens, Chinois, Comoriens et Maliens de têtes de pont sur l’autre rive de la Méditerranée. de mieux « atterrir ». Après, c’est une question La présence de « parents » diminue grandement de point de vue : on peut se féliciter d’une aide l’incertitude et le coût d’installation pour les communautaire facilitant beaucoup de choses ou, au contraire, déplorer des « enclaves étrangères » dans le pays d’accueil, qui en compliquent d’autres.

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LE DOCUMENT

Quelle que soit la perspective adoptée, le fait est qu’une diaspora tardant à se dissoudre dans son environnement encourage à venir d’autres immigrés qui, sans elle, ne se mettraient pas en route vers un pays où ils ont toutes les chances de rester durablement des étrangers. […] Cependant, la meilleure preuve de leur libre arbitre, en dépit des contraintes, est le choix de leurs compatriotes de ne pas s’en aller. Qui a raison, qui a tort ? Il est difficile de trancher la question hors situation. Mais il serait aberrant de conférer le statut de victime, en bloc, à ceux qui fuient les difficultés plutôt qu’à ceux qui y font face. De même, quels que soient les mobiles l’ayant poussé à immigrer en France, un Portugais n’y sera guère considéré comme faisant partie d’une « diaspora », surtout s’il obtient la nationalité française. Or, un immigré malien, même naturalisé, ferait toujours partie d’une diaspora à géométrie variable – malienne, africaine ou « noire » – non seulement à ses propres yeux mais aussi aux yeux de ses nouveaux concitoyens, qui pensent ainsi lui rendre justice. […] Ce danger est encore plus grand depuis l’avènement des technologies de communication universelles et gratuites. Avant, pour le migrant, les ponts entre son ancien et son nouveau pays étaient largement coupés ; par la force des choses, il regardait vers l’avant. Maintenant, il ressemble à Janus, le dieu romain à double visage qui veillait sur les portes, les commencements et les fins incertains, les passages difficiles. L’entre-deux du migrant africain est même héréditaire, transmis de génération en génération. C’est une « dispersion » sans fin. Voici un deuxième paradoxe : les pays du Nord subventionnent les pays du Sud, moyennant l’aide au développement, afin que les démunis

puissent mieux vivre et – ce n’est pas toujours dit aussi franchement – rester chez eux. Or, ce faisant, les pays riches se tirent une balle dans le pied. En effet, du moins dans un premier temps, ils versent une prime à la migration en aidant des pays pauvres à atteindre le seuil de prospérité à partir duquel leurs habitants disposent des moyens pour partir et s’installer ailleurs. C’est l’aporie du « codéveloppement », qui vise à retenir les pauvres chez eux alors qu’il finance leur déracinement. Il n’y a pas de solution. Car il faut bien aider les plus pauvres, ceux qui en ont le plus besoin ; le codéveloppement avec la prospère île Maurice, sans grand risque d’inciter au départ, est moins urgent… Les cyniques se consoleront à l’idée que l’aide a rarement fait advenir le développement mais, plus souvent, servi de « rente géopolitique » à des alliés dans l’arrière-cour mondiale. […] Les plus pauvres parmi les pauvres n’ont pas les moyens d’émigrer. Ils n’y pensent même pas. Ils sont occupés à joindre les deux bouts, ce qui ne leur laisse guère le loisir de se familiariser avec la marche du monde et, encore moins, d’y participer. À l’autre extrême, qui coïncide souvent avec l’autre bout du monde, les plus aisés voyagent beaucoup, au point de croire que l’espace ne compte plus et que les frontières auraient tendance à disparaître ; leur liberté de circuler – un privilège – émousse leur désir de s’établir ailleurs. Ce n’est pas le cas des « rescapés de la subsistance », qui peuvent et veulent s’installer sur une terre d’opportunités. L’Afrique émergente est sur le point de subir cet effet d’échelle : hier dépourvues des moyens pour émigrer, ses masses sur le seuil de la prospérité se mettent aujourd’hui en route vers le « paradis » européen.

Les plus pauvres parmi les pauvres n’ont pas les moyens d’émigrer. Et les plus aisés voyagent beaucoup, au point de croire que l’espace ne compte plus…

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Une digue bouchée avec des liasses d’euros Bien avant 2015, l’année migratoire record qui a vu ses défenses s’effondrer, l’Union européenne a nourri des doutes au sujet de sa capacité à interdire l’accès à son territoire aux migrants du Sud. Elle avait testé une réponse intransigeante dans un périmètre limité, autour de Ceuta et Melilla, les deux présides espagnols sur le territoire marocain. En 2003, pour un coût dépassant 30 millions d’euros, elle y avait érigé des grillages d’acier hauts de sept mètres. Mais à partir de 2006, les images de migrants s’agrippant comme à leur dernier espoir à ces ouvrages rappelant le Rideau de fer sont devenues le symbole d’une « forteresse Europe », interdite aux damnés de la terre. […] Pour rapatrier tous ses immigrés illégaux, la seule Grande-Bretagne aurait dû dépenser 9 milliards d’euros, selon l’estimation de son National Audit Office, et faire tourner la porte-tambour de l’expulsion pendant quinze à trente ans. Par comparaison, les 3 milliards d’euros versés à la Turquie en 2016, et la promesse d’une deuxième tranche du même montant, le tout pour bloquer quelque 2,5 millions de migrants sur le sol turc, peuvent ainsi paraître un bon placement, quasiment un « prix d’ami ». Or, par leur politique actuelle, des membres de l’UE, dont la France, ne font qu’entretenir ce réseau criminel. […] À première vue, la stratégie de l’Europe – boucher une digue sur le point de céder avec des sacs d’euros – semble aussi différente de celle des États-Unis qu’un distributeur automatique d’une base militaire. L’Amérique a en effet opté pour la militarisation de sa frontière avec le

Mexique, longue de 3 145 kilomètres et, avec quelque 350 millions de passages légaux par an, la plus traversée du monde. Ce choix est bien antérieur à l’élection de Donald Trump, qui y a ajouté une surenchère à la mode – un « mur » – et des injures à l’égard des Mexicains (« des criminels, des violeurs »). Dès 2006, à la suite du Secure Fence Act, George W. Bush avait fait construire sur mille kilomètres une double rangée de grillages électroniquement surveillés, pour 1,75 milliard de dollars. En 2010, quand cette approche a été abandonnée en raison de son coût exorbitant, Barack Obama a investi 600 millions de dollars dans le personnel de surveillance ; il a porté à plus de 20 000 le nombre des agents de patrouille, un nouveau record. […] Selon les autorités américaines ellesmêmes, sur les quelque 200 000 clandestins réussissant à franchir la frontière par an, moins de la moitié – environ 85 000 – restent illégalement aux États-Unis. Les autres retournent au Mexique, comme le feraient sans doute un nombre encore plus grand de leurs compatriotes clandestins installés de longue date – ils étaient 5,8 millions en 2016, un chiffre en décroissance depuis dix ans – si on ne leur barrait pas la route de retour avec des obstacles de plus en plus sophistiqués… […] Eu égard à ces différences, les stratégies européenne et américaine ne sont, après tout, pas si contrastées : en rémunérant des États limitrophes qui lui servent de camps de rétention, l’Europe cherche à s’abriter derrière un rempart d’argent ; Donald Trump veut bâtir un « mur » sur la frontière avec le Mexique en envoyant la facture à son voisin. ■

L’Europe cherche à s’abriter derrière un rempart d’argent. Donald Trump veut bâtir un « mur » avec le Mexique en envoyant la facture à son voisin.

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INTERVIEW

Mehdi Ben Attia

« Une femme qui regarde

les hommes,

c’est aujourd’hui encore une provocation » Avec L’Amour des hommes, le réalisateur tunisien explore un tabou encore vivace dans les sociétés arabes : celui du désir féminin qui s’affranchirait de la domination masculine. Une aspiration à la fois artistique et politique sur fond de révolution inachevée. par Hedi Dahmani et Astrid Krivian 82

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OLIVIER MARCENY

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INTERVIEW MEHDI BEN ATTIA

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l bouscule les tabous, par plaisir de provoquer, mais surtout pour parler de réalités trop peu représentées à l’écran. Après Le Fil (2010), son premier longmétrage, puis Je ne suis pas mort (2012), œuvre noire à mi-chemin entre mystère et fantastique, le cinéaste revient avec L’Amour des hommes. Un parcours d’émancipation féminine, dans le Tunis d’aujourd’hui, et qui inverse les traditionnels rôles masculins-féminins. Après la mort de son mari, Amel (Hafsia Herzi), une jeune photographe, décide de réaliser des clichés sensuels d’hommes, en les regardant comme eux regardent habituellement les femmes. D’abord soutenue par son beau-père, elle gagnera peu à peu son indépendance. Quête de liberté, émois amoureux... : pour Mehdi Ben Attia, le cinéma est un art du désir. L’occasion d’une rencontre sur fond de questionnements sociétaux dans la Tunisie d’aujourd’hui. ■ A.K.

« J’ai bien vu circuler, dans les yeux du public, le plaisir de la transgression. Il y a des gens à qui ça ne plaît pas, ça fait partie du contrat. »

AM : Comment est née l’idée de L’Amour Pasolini : « Scandaliser est un droit ; être des hommes, ce troisième film ? scandalisé, un plaisir. » J’aime la provoMehdi Ben Attia : En 2010, j’avais réalisé cation, comme spectateur et comme réaLe Fil, une histoire d’amour entre deux lisateur. Certes, elle a aussi un aspect un hommes, qui se voulait à la fois politique peu superficiel, et ne mène pas toujours et sensuel, politique parce que sensuel. très loin. Mais je crois aux vertus de la C’était encore la dictature. J’avais envie parole provocatrice. Il y a une jubilation d’interroger de nouveau ce sujet, dans un chez le spectateur de cinéma dans le pays comme la Tunisie. Puis est arrivé ce fait d’assister, de participer à des proqu’on appelle la révolution… vocations. J’ai montré le film aux JourCe n’en était pas une selon vous ? nées cinématographiques de Carthage à Qui suis-je pour en juger ? Selon les Tunis : j’ai bien vu circuler dans la salle, mots d’ordre d’alors, « Travail, liberté, dans les yeux du public, le plaisir de la dignité », les résultats que nous observons transgression. Il y a des gens à qui ça ne sept ans après sont plutôt mitigés… Mais il plaît pas, ça fait partie du contrat. Même y a eu un vrai souffle libertaire et je veux si je n’ai pas réalisé L’Empire des sens non m’en emparer. Car nul ne sait combien de plus ! Mais à Tunis, mon film est compris temps il va durer. comme une proposition transgressive et Votre héroïne, Amel, photographie les L’affiche, sensuelle et un brin je m’en félicite. hommes comme un vrai objet de désir. provocatrice, donne le ton. Comment le reste du pays peut-il voir Est-ce un tabou ? votre film, dans des villes où il n’existe parfois pas une seule Une femme qui regarde les hommes, leurs corps, c’est salle de cinéma ? Et quel accueil espérez-vous ? aujourd’hui encore une provocation. Chez nous, il y a du poliIl y a un énorme problème d’accès au cinéma tunisien. tique dans l’exercice du désir, qui n’appartient pas seulement Malgré un grand appétit de la part du public ! Car autant les à la sphère privée. Quand une femme affirme « je veux mener Tunisiens téléchargent ou achètent en DVD les films étrangers, ma vie comme il me semble », c’est une revendication politique. autant ils veulent voir en salles les « made in Tunisie ». Il y a un Et parce que le personnage d’Amel regarde les hommes comme vrai travail effectué, en dépit de l’absence de salles, pour les eux regardent les femmes, elle veut exercer une sorte de domidiffuser, les emmener dans les centres culturels, les maisons de nation sur eux. Et c’est dangereux. Mais c’est excitant, ça lui la jeunesse… Et la plupart des cinéastes y participent. Après, je plaît. Et je la comprends. ne sais pas comment mon film va être reçu en dehors de Tunis. Faut-il « secouer » ce pays, comme le dit l’un de vos Est-ce que ce délice de la transgression sera éprouvé ailleurs personnages ? dans le pays, dans des régions parfois plus conservatrices ? Je Oui. Pour citer le cinéaste et auteur italien Pier Paolo 84

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AMEL GUELLATY/CINETELEFILMS/4A4 PRODUCTION

Amel (Hafsia Herzi), jeune photographe, s’affranchit des codes habituels de la séduction. Face à la gent masculine, reléguée au rang d’objet de désir, c’est elle qui mène le bal et impose son tempo.

n’en suis pas certain, mais je devine que oui. Car il y a dans ces villes une jeunesse, une partie de la population qui a soif de propositions artistiques nouvelles. Amel est incarnée par Hafsia Herzi, actrice française d’origine tunisienne et algérienne. Un rôle que vous lui destiniez dès le départ ? Oui. Elle est à l’opposé du cliché de la femme artiste dans un pays musulman. Les artistes femmes que je connais en Tunisie sont dans une revendication, avec une force, une combativité, une énergie, un côté « Je ne vais pas me laisser faire », vêtues de treillis avec un tournevis dans la poche et de la peinture sur les ongles ! Hafsia est le contraire de ça. Elle est féminine, douce, on ne sait pas ce qu’elle pense. C’est une présence enveloppante. Ça m’intéresse car ça nimbe de mystère le film, le personnage. Ce qu’elle cherche n’est pas donné d’emblée. Or, souvent, les artistes manquent de mystère… Les poses des hommes sont empreintes de beaucoup de sensualité… Comment avez-vous dirigé les jeunes acteurs masculins ? J’ai été très agréablement surpris par leur facilité à se prêter à l’exercice, à se laisser aller, à être regardés. Comme si c’était AFRIQUE MAGAZINE

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très plaisant pour eux de pouvoir échanger un peu, de ne pas avoir à affirmer cette posture de domination masculine. Je ne saurais pas dire si cette nouvelle génération évolue là-dessus, si ça change ou pas, ce serait affirmer une généralité…. Je pense qu’il y a quelque chose d’universel dans le plaisir d’être regardé, y compris pour un homme. Mais les conditions sociales ne permettent pas de l’installer facilement. On hérite encore aujourd’hui de ces rôles hommes/femmes très conventionnels, cela perdure et ce n’est spécifique ni à la Tunisie ni au monde arabe. La domination, le regard sont plutôt du côté masculin. Voyez dans le cinéma mondial : le plus souvent, l’homme est l’artiste et la femme le modèle. Et si le modèle doit se dénuder, c’est d’autant plus une femme ! Je n’ai pas le souvenir d’un film d’une réalisatrice qui érotise le corps des hommes. Pourtant il y en a, mais le cinéma ne les représente pas. On est toujours dans ce schéma quelque peu archaïque. Pourquoi ouvrir le film par ces différentes figures féminines qu’Amel incarne ? On commence par son activité de photographe, par ses autoportraits. Elle est aussi comédienne d’une certaine manière, elle endosse des personnages féminins de la vie tunisienne, des identités très différentes. Quand j’ai quitté la Tunisie en 1986 pour étudier en France, il y avait deux ou trois manières extrêmement codées d’être un homme, ou une femme. Les hommes portaient souvent la moustache par exemple. Puis, je ne sais pas si ça s’appelle la révolution, ou la mondialisation, ou la prolifération des images… Mais trente ans plus tard, la société tunisienne me paraît infiniment plus diverse. Tunis 85


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a toujours été une ville sur le plan architectural, mais elle a aujourd’hui les attributs d’une capitale, avec toutes ces attitudes hétéroclites, ces multiples propositions dans l’offre de comportements. Dans le film, exposer dans une galerie une photo d’un homme en érection poserait problème à la censure… C’est un clin d’œil par goût de la provoc’ ! Et puis ça parle de la manière dont on est amené à ruser avec l’acceptable, quand on porte une œuvre en Tunisie. Le ministère de la culture a soutenu mon film, le scénario présenté à la commission était fidèle, mais on y a toutefois enlevé deux ou trois éléments pour ne pas créer de problèmes. Le producteur tunisien insistait pour qu’on supprime les gros mots. Les gens pensent que ça véhicule une mauvaise image. Moi j’aime bien les personnages qui parlent de façon ordurière. Dans le cinéma new-yorkais, celui de Scorsese par exemple, toutes les répliques sont ponctuées d’un fuck ! Chez nous, beaucoup s’en offusquent, il y a même des comédiens que ça gêne, alors que dans la vie, ils jurent tout le temps ! Et, oui, on a ôté un sexe en érection aussi. Mais je savais que j’allais finalement le faire au tournage. J’ai biaisé un peu, mais je ne me suis pas censuré. Est-ce un film d’émancipation féminine ? Est-ce un combat d’être une femme en Tunisie ? Oui. Elle ne se libère pas de manière agressive, mais oui. Au début, Amel est la femme de, puis la belle-fille de, puis elle s’apprête à être la copine de. C’est comme si elle quittait la cage du beau-père tyrannique pour celle du copain sympa. Je ne voulais pas ça pour mon personnage. À la fin elle est libre, avec l’angoisse que cela engendre aussi. Car que fait-on de sa liberté ? C’est très difficile de ne pas se plier aux règles de la domination. Dans le film, mon personnage subit cinq agressions. C’est beaucoup pour une histoire d’1 h 40 ! Soit elle manque de se faire violer, ou on l’agresse verbalement, physiquement… C’est une réalité. Et c’est plus difficile d’être émancipée, de mener sa vie. À la mort de son mari, elle reste chez ses beaux-parents. Car, il est encore difficile pour une Tunisienne de vivre toute seule. Je n’en connais pas beaucoup qui le font. Au dénouement, on devine qu’elle finira par prendre un appartement. Sans doute qu’un spectateur occidental ne le mesure pas forcément, mais c’est un véritable enjeu. Différentes classes sociales sont représentées dans le film… Il est important pour moi que le désir circule entre les classes sociales. Qu’il ne reste pas seulement cloisonné à l’intérieur d’un même groupe social, car ça me frustre. J’essaie par le cinéma que des rencontres, pas de nature évidente dans la vie, aient lieu. En Tunisie, et nous ne sommes pas le seul pays arabe ainsi, la classe qui se veut supérieure, reste en autarcie. En bas de l’échelle, il y a les gars de l’exode rural qui vivent au jour le jour. Et en haut, il y a cette classe possédante. C’est une 86

« Il est encore difficile pour une Tunisienne de vivre toute seule. Je n’en connais pas beaucoup qui le font. » société très stratifiée et assez matérialiste. Et la révolution n’a rien changé. C’est pour ça qu’à certains égards, l’emploi du mot révolution n’est pas pertinent. Parce que ce phénomène n’est pas juste un pouvoir qui change de mains : c’est aussi une lutte des classes qui, à mon sens, n’a pas eu lieu en Tunisie. Le personnage du beau-père est très ambigu, moderne et féministe sur certains points, mais aussi rétrograde, usant du droit de cuissage… J’ai beaucoup vu, y compris au sein de ma propre famille, ces hommes dont le discours est souvent féministe, libéral, intelligent, construit, cultivé… Et qui, une la fois à la maison, se conduisent comme des tyrans domestiques. Je ne suis pas sûr, là encore, que ce soit propre à la Tunisie. Mais c’est une figure qui m’intéresse, notamment parce qu’elle est contradictoire. Il prétend qu’il va apporter la liberté aux femmes, qu’il est leur allié dans cette quête. Mais ce qui l’arrangerait, c’est qu’elles finissent dans son lit ! C’est assez symptomatique de cette génération des sexagénaires, septuagénaires, d’une certaine bourgeoisie francophone… C’est un plaisir de filmer Tunis ? Oui, je la trouve belle, pas forcément dans la vie, mais au cinéma. Le côté délabré est très cinématographique. Autant les trottoirs défoncés, parfois les odeurs d’urine… ça ne fait pas rêver quand on y est ! Autant quand on filme la ville, au-delà de sa beauté architecturale, il y a des gens, des lumières, des manières de vivre qui me séduisent. Je suis assez critique envers ces personnages de la famille bourgeoise. Mais il n’empêche qu’ils savent vivre, parler, s’habiller, ils savent ce qu’ils veulent. Même si c’est un peu oppressant, c’est beau chez eux. Il y a quelque chose d’harmonieux. En 2010, votre premier film Le Fil, abordait le thème de l’homosexualité masculine. Aviez-vous eu des difficultés pour le réaliser en Tunisie ? AFRIQUE MAGAZINE

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NICOLAS FAUQUÉ POUR AM/DR (2)

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Le film n’a pas exactement été interdit, il n’y a pas eu de commission de censure. Mais le ministre de la Culture de l’époque ne voulait pas qu’il existe, il refusait de signer l’autorisation de tournage. Un deal a été convenu : on vous laisse tourner, mais vous n’essayez pas de diffuser le film en Tunisie. Le sujet de l’homosexualité existe dans le cinéma tunisien, mais en général, c’est abordé comme un douloureux problème. Or, dans Le Fil, elle est vécue comme un mode de vie revendiqué, et ça, il n’en voulait pas ! Il estimait que c’était de son devoir de ministre d’empêcher que ce genre de discours, d’image positive se propage. Moi, quand je raconte des histoires, je me sens obligé de montrer la modernité des personnages tunisiens. Aux yeux de la norme, ils transgressent des règles mais qui n’en sont pas pour eux. Ils ne font rien de mal. Vous dites ne pas avoir été attaqué, au contraire de vos consœurs féminines, comme si vous aviez droit au désir et pas les femmes… Je parle là des islamistes. Le Fil, où des hommes s’aiment sans entrave, ne m’a pas posé de problèmes à ce niveau-là, et je ne m’en plains pas. Mais je constate qu’en 2012, ils s’en sont pris aux réalisatrices tunisiennes Nadia El Fani et Raja Amari, à la photographe Faten Gaddes, la galeriste Yosr Ben Ammar… Que des femmes ! Comme si, lorsqu’elles revendiquent un regard, c’était plus compliqué pour eux. Je ressens cette impunité, ce droit du sexe masculin à mener sa vie comme bon lui semble, désirer qui il veut… C’était donc important pour L’Amour des hommes que mon personnage soit féminin. Quels sont vos cinéastes fondateurs ? Le cinéma européen moderne des années 60 m’a beaucoup façonné. Buñuel, Fassbinder, Chabrol, Godard, Antonioni… sont mes références. J’y reviens sans cesse. Je vois beaucoup de films actuels, mais ils ne me structurent pas comme ce cinéma-là. J’aime la dialectique entre la vie individuelle du personnage, et ce dans quoi il est pris, plus vaste que lui, son environnement, sa société. C’est un cinéma de la critique sociale, de l’émancipation. Mais aussi du désir, à la fois comme élan vers l’autre et soif de liberté : c’est notre moteur, il fait avancer les histoires. C’est ce que le cinéma m’a appris. Ridha Béhi, Férid Boughedir, Nourid Bouzid… avaient ouvert la voie. Avec Mohamed Ben Attia, Raja Amari et d’autres réalisateurs, y a-t-il une « nouvelle vague » du cinéma tunisien aujourd’hui ? Il n’y a pas un mouvement avec une cohérence artistique entre les œuvres. Tant mieux, car on est peu nombreux, donc ça évite qu’il y ait un chef et des suiveurs. On fait ce qu’on peut, chacun dans son coin. Il y eut une époque où je ne me reconnaissais pas dans les films tunisiens. Comme s’ils cherchaient à figer l’identité tunisienne, une représentation dépassée qui m’expliquait que la Tunisie, c’était super : il y a un patio au milieu de la maison, nos volets sont bleus, nos sols carrelés, nos AFRIQUE MAGAZINE

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2. Raja Amari (1), Nadia El Fani (2), Yosr Ben Ammar (3).

LES ARTISTES FÉMININES, CIBLES PRIVILÉGIÉES La perception de la liberté d’expression artistique est à géométrie variable. Comme le souligne Mehdi Ben Attia, les femmes sont les principales cibles des ultraconservateurs dès lors qu’une œuvre leur déplaît. La réalisatrice Nadia El Fani, militante pour la laïcité, en a fait les frais en 2011, menaces de mort à l’appui, lors de la sortie de son documentaire Ni Allah, ni maître. Faten Gaddes, ainsi que d’autres artistes exposées par la galeriste Yosr Ben Ammar, ont connu le même sort en 2012. L’œuvre Le Ring, punching-balls sur lesquels figuraient les visages de musulmanes, chrétiennes et juives, avait été brûlée lors d’une exposition au palais Abdellia (La Marsa), après une manifestation de salafistes qui avait fait une centaine de blessés et entraîné de nombreuses arrestations. ■ H.D.

femmes ont plus de droits que dans les autres pays arabes… Mais ça a changé. Les cinéastes de ma génération me parlent. On a la chance d’agir dans une société très en mouvement. Il faut essayer de comprendre, de regarder, d’attraper ce qui se passe, sans aucune certitude… C’est intéressant, ça crée sans doute des œuvres très différentes. Même s’il y a tout de même un thème central, commun dans le cinéma tunisien actuel : la femme, sa liberté, son émancipation, ses droits, ses combats, ses empêchements. ■ L’Amour des hommes, de Mehdi Ben Attia, avec Hafsia Herzi et Raouf Ben Amor, est sorti en salles le 28 février (France).

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Au Manta Resort, les chambres sont au bord de l’eau, mais aussi… à 5 mètres dessous !

Pemba Island, bijou caché de la Tanzanie

Loin du tourisme de masse et de l’agitation, au nord de ZANZIBAR, un petit coin de paradis vert peuplé de girofliers, parfait pour les amateurs de plongée comme de farniente. BIEN SÛR, on pourrait parler du Kilimandjaro, majestueux l’incroyable diversité du lieu. La visite d’une plantation de point culminant du continent africain du haut de ses clous de girofle, spécialité de l’île, est également chaudement 5 892 mètres, ou de l’impressionnant lac Victoria, immense recommandée, mais si vous ne devez faire qu’un saut à source du Nil Blanc bordée de trois pays (Ouganda, Kenya, Pemba, alors il vous faudra absolument chausser les palmes. Tanzanie), ou encore des fabuleux 15 parcs Car c’est sous l’eau que ce coin de paradis abrite nationaux dont les mythiques Serengeti et ses plus belles merveilles. Réputée pour ses LES BONNES Ngorongoro. Mais il y a en Tanzanie un lieu où ADRESSES sites de plongée et de snorkeling, Pemba Island ✔ L’hôtel The Aiyana pour l’on peut encore être à l’écart du tourisme de bénéficie des eaux limpides de l’océan Indien jouer les Robinson de luxe masse, où l’authenticité est toujours le maître comme cocon. Les amateurs de vie aquatique dans un cadre moderne mot. Surnommée « l’île verte », Pemba Island, seront comblés et les plus chanceux pourront ✔ Le marché aux poissons située à 80 kilomètres au nord de Zanzibar (et même profiter d’une expérience inédite au de Tumbe trente minutes d’avion), est recouverte d’une Manta Resort, installé à la pointe nord de l’île. ✔ Le Fundu Lagoon végétation dense et encore préservée, dont la Cet hôtel aux magnifiques villas construites au et ses bungalows écolos Ngezi Forest Reserve, qui s’étend au nord de bord d’une plage de sable blanc dispose d’une ✔ La fabrique d’huile de clous l’île sur 1 500 hectares. On y trouve environ chambre… sous l’eau ! À 250 mètres du rivage, de girofle de Chake Chake on peut ainsi passer une nuit incroyable à 355 espèces de végétaux et une faune variée, de la roussette de Pemba au piliocolobus en près de cinq mètres de profondeur, entouré de passant par le galago et une multitude d’oiseaux. coraux et de la faune sous-marine locale. Ce qui Deux sentiers de randonnées parcourent d’ailleurs cette forêt est rare est cher, prévoir 1 500 dollars pour l’expérience d’une primaire pour permettre aux visiteurs d’apprécier au mieux journée et d’une nuit pour deux dans ce lieu idyllique. ■ 88

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JESPER ANHEDE

par Alexis Hache


Le Anantara Tozeur Resort, premier resort haut de gamme aux portes du Sahara.

MADE IN AFRICA escapades partenariats

ETHIOPIAN AIRLINES DÉVELOPPE SON RÉSEAU

En signant des accords avec la Guinée et la Zambie, la compagnie affine sa STRATÉGIE panafricaine.

vip

Tunisie, destination vedette de l’année

DR (3)

Le pays s’apprête à accueillir une clientèle haut de gamme dans des hôtels de LUXE flambant neufs. AUTHENTIQUE, intéressante et… de standing. La Tunisie confirme son retour parmi les spots touristiques les plus prisés après une année 2017 très encourageante. Ce n’est pas un hasard si l’agence de presse américaine Bloomberg l’a insérée dans sa liste des destinations les plus attrayantes au même titre que les îles Fiji ou le Mexique. Le pays du Jasmin peut compter sur un atout : les nouveaux hôtels de luxe, tout d’abord à Tunis et ses environs. Le groupe Mabrouk a inauguré le premier Four Seasons tunisien en décembre (203 chambres), à côté de la marina de Gammarth. Un Mövenpick ouvrira, lui, au printemps, dans le quartier des Berges du lac. Troisième établissement du groupe dans le pays, il mise sur la gastronomie et l’événementiel. Et on annonce, sans date d’ouverture pour l’instant, un resort ultra-luxe, à Gammarth encore, du thaïlandais Six Senses. Ses 67 suites et villas avec piscine célébreront l’histoire culturelle berbère, ottomane, arabe et française du pays. Mais c’est l’ouverture, en mai prochain, du premier resort haut de gamme aux portes du Sahara, près de l’oasis de Tozeur, qui a permis au pays de figurer dans la liste du magazine Forbes des 13 meilleurs nouveaux hôtels du monde. Construit par la chaîne asiatique Anantara au cœur de la ville-oasis célèbre pour ses vastes palmeraies, le Anantara Tozeur Resort est le seul établissement africain à figurer dans la sélection. ■ Luisa Nannipieri AFRIQUE MAGAZINE

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Le transporteur éthiopien poursuit sa marche sur le continent, où il multiplie les hubs.

MOIS de janvier chargé pour Ethiopian Airlines, qui a successivement signé deux partenariats avec la Zambie et la Guinée pour relancer leurs compagnies nationales, Zambia Airways et Guinea Airlines. Très active en Afrique, Ethiopian entend ainsi poursuivre sa marche en avant sur le continent où elle multiplie les hubs dans le cadre de son plan Vision 2025. La compagnie éthiopienne détiendra 45 % de Zambia Airways et fournira équipements, maintenance et formation à Guinea Airlines. Dans les deux cas, les compagnies concentreront d’abord leurs efforts sur les vols intérieurs et régionaux avant d’envisager des liaisons internationales. Tewolde GebreMariam, directeur général d’Ethiopian Airlines, affirme que sa compagnie a « la capacité et l’expertise pour soutenir [ses] frères et sœurs africains dans le secteur de l’aviation ». De toute évidence, Ethiopian Airlines devrait profiter de ces investissements pour accroître encore son chiffre d’affaires qui s’élève aujourd’hui à 2,4 milliards de dollars et qu’elle souhaite porter à 10 milliards de dollars en 2025. Signe de sa bonne santé financière, elle ouvrira également de nouvelles liaisons dès le mois de mars. ■ A.H.

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La parole aux meubles

secrets de pro/Togo

EDEM ADJAMAGBO PROFESSION : PDG de Semoa SIGNE PARTICULIER : centré sur ses objectifs AM : Comment avez-vous commencé dans le métier ? D’une mère ukrainienne et d’un père togolais, j’ai grandi entre le Togo, l’Ukraine et la France, où j’ai fait mes études d’ingénieur. J’ai eu l’idée de créer Semoa lors d’un voyage en Ukraine en 2012 en constatant que les crédits de communication s’achetaient là-bas via des bornes automatiques et non sous forme de cartes recharges auprès de détaillants. J’ai donc voulu adapter ce système au contexte togolais et africain. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette activité ? Innover, apporter des solutions et accompagner des start-up naissantes. Semoa Togo et quelques autres acteurs se sont ainsi rapprochés pour travailler sur une école du numérique. Où en êtes-vous actuellement ? Nous avons développé Cashpay, une plateforme de paiement en ligne permettant de régler ses achats en espèces depuis des bornes automatiques, les Semoa-Kiosks. Cette année, nous allons implanter 25 nouvelles bornes sur le territoire togolais pour permettre aux utilisateurs d’acheter en ligne, transférer des crédits sur leurs mobiles ou payer leurs factures. Je veux que notre entreprise devienne le PayPal de l’Afrique. ■ Alexis Hache

VERSATILES et élégantes, les Talking Tables de la jeune designer Lani Adeoye résument à elles seules l’esprit et l’histoire de cette créative d’origine nigériane. Depuis New York, où elle dirige son cabinet, Studio Lani, elle précise que tous ses meubles ont une âme africaine et une sensibilité moderne. Celle qui a grandi entre Lagos, Montréal, Toronto et NY a cumulé les expériences les plus diverses et a su faire de l’adaptabilité une vertu et une inspiration. Ces petites tables en bois tourné à la main et en tiges de métal soudées par des artisans au Nigeria, rappellent les dunduns (tambours) de l’Afrique de l’Ouest. Mais leur corps multifonctionnel se transforme facilement en lampe d’appoint, en conteneur et peut même servir de plateau. Des qualités qui lui ont valu d’emporter le prix de la WantedDesign Launch Pad Competition, décerné par un jury de professionnels internationaux. Pour s’adapter à tous les goûts et tous les espaces, chaque table peut être recouverte en cuir tissé et teint d’un coloris au choix. Une nouvelle version en laiton verra le jour dans les prochains mois. ■ Luisa Nannipieri studio-lani.com

SON CONSEIL : « Osez ! »

Une Talking Table inspirée par les dunduns, ou « tambours parlants ».

« Ne vous dites pas que vos idées sont impossibles. En 2018, rien n’est impossible. Croyez en elles et cherchez ! Auto-formez vous. Adressez-vous à des incubateurs, des fab labs [espaces de création collaborative, NDLR], et vous y arriverez. »

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AFRIQUE MAGAZINE

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Semoa a reçu le prix spécial Finance Innovation aux « Startup of the Year Africa 2018 ».

Quand le design fonctionnel mélange artisanat nigérian et sensibilité CONTEMPORAINE.


MADE IN AFRICA carrefours La Lagos’s Wooden Tower, un projet conçu comme un poumon vert au cœur de la ville.

architecture

Hermann Kamte, génie du bois

À 26 ans, ce Camerounais surdoué imagine des bâtiments innovants, durables et RÉSISTANTS.

LES TOITURES d’aujourd’hui peuvent-elles devenir les espaces verts de demain ? Quel est le plan B pour l’avenir d’un monde surpeuplé ? L’agence camerounaise Hermann Kamte&Associates répond à ces questions avec le projet d’une tour résidentielle en bois de plus de 40 000 m² dans le centreville de Lagos. La Abebe Court Tower, ou Lagos’s Wooden Tower, s’étale sur quatre blocs de six étages d’appartements, construit au-dessus d’un bâtiment existant dans le luxueux quartier d’Ikoyi. Sa hauteur assure un éclairage et une ventilation naturelle aux logements, ceinturés de verdure et de terrasses et protégés du soleil par une enveloppe inspirée des tatouages des peuples edo, yoruba et hausa. Conçu comme un poumon vert au cœur de la ville, le projet prend très au sérieux le bien-être des habitants. Les espaces communs sont aménagés pour créer du lien social et le toit

accueille un restaurant et un jardin. Le bois, que l’architecte imagine durable et local, est travaillé et assemblé avec des techniques innovantes qui conjuguent résistance et légèreté du matériel. La proposition de l’agence HKA a obtenu plusieurs récompenses internationales, dont le prix du World Architecture Festival destiné aux projets qui identifient les défis clés des dix prochaines années, dans la catégorie « identité culturelle ». Cette capacité d’expérimenter avec une matière qui provoque de plus en plus d’engouement a même permis à Hermann Kamte de participer à la première exposition londonienne sur les structures verticales en bois. Organisée au sein de la Roca Gallery dessinée par Zaha Hadid, « Timber rising - Vertical visions for the cities of tomorrow » est en accès libre jusqu’au 19 mai. ■ L.N.

LE LIEU : LA TABLE NALI CANTINE itinérante venue poser ses valises au très branché Ground Control, lieu de vie temporaire au cœur d’un ancien site SNCF, cette table gourmet propose des plats de la ET SINON ? cuisine panafricaine aux influences internationales. Poulet au Des ateliers de cuisine et tamarin, bananes plantain servies avec une sauce de fourme d’initiation à la cuisine africaine. d’Ambert et whisky, thiakry à l’eau de rose, tout est à base de POUR QUI ? produits bio. À tester dans les deux années à venir ! ■ L.N. Les libres & curieux 81, rue du Charolais 75012 Paris, du mercredi au dimanche/ QU’EST-CE ?

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Street-food panafricaine décomplexée.

(le slogan du Ground Control) ! AFRIQUE MAGAZINE

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Ancien analyste d’affaires, il dit avoir eu le déclic après avoir reçu un lot de chemises envoyées par sa mère.

créateur

Aristide Loua

Le gentleman afropolitain Partagé entre les États-Unis et la Côte d’Ivoire, ce jeune DESIGNER s’inspire de sa vie de tous les jours pour dessiner ses vêtements, qui mélangent coupes occidentales et tissus artisanaux. par Luisa Nannipieri D’APRÈS le site Urban Dictionnary, le mot « afropolitain » désigne un Africain qui a été éduqué aux États-Unis ou en Europe et qui s’identifie avec son héritage métissé. Une définition qui correspond bien à ce que le designer ivoirien Aristide Loua veut évoquer avec la deuxième collection de sa marque Kente Gentlemen : Afropolitan. Clins d’œil à la culture et aux symboles de la diaspora, dont il se revendique, ses créations associent des coupes classiques aux motifs traditionnels du pagne sénoufo et du pagne baoulé, qui avaient déjà inspiré sa toute première ligne de vêtements. Produit dans le nord de la Côte d’Ivoire, le pagne sénoufo est peint directement sur le tissu de coton écru à l’aide d’un couteau en bois légèrement recourbé et taillé à 92

l’extrémité. Épais et irrégulier, cousu en patchwork, il est encore la base des costumes des paysans, des chasseurs et des danseurs du Nord. Le pagne baoulé, fait dans des villages du centre du pays selon des techniques transmises de génération en génération, est composé à partir de bandes de soie ou de coton colorées avec des pigments naturels qui sont ensuite cousues ensemble. Résistants et souples en même temps, les deux se prêtent bien à la confection de vestes, de chemises et de pantacourts frais et originaux à prix accessibles (118 euros la veste). Le wax a aussi sa place dans cette collection. Un choix assumé, malgré la volonté de mettre en avant les tissus de l’Afrique de l’Ouest : « Je ne suis pas contre le wax, a AFRIQUE MAGAZINE

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MADE IN AFRICA fashion Il pioche dans la tradition des pagnes baoulés ou sénoufos pour composer ses collections.

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Tenues élégantes ou plus décontractées : Aristide Loua est à l’aise dans tous les registres.

priori. Ce n’est pas un produit purement africain mais il a une place tellement importante dans la culture et la société contemporaine qu’il m’aurait été impossible de ne pas m’en servir », explique le designer. Et voilà que les gilets et les vestes en coton imprimé en teintes bariolées viennent ajouter une touche originale à la sobre chemise de ville. La couleur a toujours eu son importance dans le style de cet ancien analyste d’affaires de 29 ans qui au cours de sa vie, a vadrouillé dans presque toute la Côte d’Ivoire, une partie de l’Inde et les États-Unis. En 2013, Aristide Loua décide, après avoir assisté à la Fashion Week de New York, de faire de sa passion pour la mode son travail. « Je me suis rendu compte que si je ne trouvais pas sur le marché ce que je cherchais, en termes de qualité, de style et de prix, j’aurais dû le créer moi-même », se souvient-il, expliquant que toutes ses créations respectent une simple règle de base : il doit pouvoir les porter dans sa vie de tous les jours. Pas inquiet de devoir apprendre le métier sur le tas, il s’entoure d’une équipe de jeunes de talent et commence ses recherches. Ce sont des chemises que sa mère lui a envoyées depuis Abidjan qui le poussent à s’interroger sur le potentiel des tissus de son pays natal. Il rentre alors au bercail après huit ans d’absence et commence à sillonner le terrain. En quelques mois, il constitue un réseau d’artisans et de producteurs locaux qui lui fournissent les matières premières comme le lin, la soie ou encore le coton, 100 % ivoirien. Il se fait un point d’honneur de garder une relation directe avec eux, échangeant constamment sur AFRIQUE MAGAZINE

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Pour shopper ces pièces, une adresse : kentegentlemen.com les motifs et les couleurs du pagne. Curieux et inlassable, Aristide Loua regarde déjà au-delà des frontières ivoiriennes et envisage d’enrichir la palette des tissus traditionnels à sa disposition. Invité à présenter ses pièces lors des concours internationaux, cet outsider du milieu se réserve pour l’instant le statut d’observateur et préfère se concentrer sur le développement de sa marque. Il réfléchit aussi à monter un comité des créatifs ivoiriens, pourquoi pas aux côtés de Loza Maléombho, styliste de renommée internationale avec qui il partage l’affinité pour la culture locale ? Le bouillonnant designer a encore du pain sur la planche. ■ 93


Les secrets d’une sacrée

mémoire ! Quelques conseils pour garder intacte votre capacité à « ENCODER chaque jour de nouvelles informations ».

L’hygiène de vie est fondamentale Un rythme de vie trop intense avec un manque de sommeil est néfaste : la fatigue influe sur la vigilance et l’attention, capitales pour bien mémoriser ! Dormir suffisamment, en moyenne sept à huit heures par nuit, est essentiel : le sommeil améliore la capacité du cerveau à encoder de nouvelles informations tous les jours. Il lui permet aussi de hiérarchiser des données qu’il « ingurgite » constamment pour ne conserver que les plus 94

précieuses : un tri primordial pour que la mémoire fonctionne avec efficacité. D’autre part, l’activité physique est importante. Elle oxygène le cerveau et améliore son irrigation. Elle aide à stimuler la fabrication de nouveaux neurones dont on se sert pour mémoriser, et un effet bénéfique sur les capacités d’apprentissage et de mémorisation à tout âge. Marche rapide, vélo, jardinage ou autre, tout est bon. En plus, bouger, c’est aussi diminuer son risque de maladies cardiovasculaires, qui peuvent induire des difficultés de fonctionnement de la mémoire avec le temps.

Certains aliments lui font du bien Pour bien « carburer », le cerveau a besoin d’une alimentation variée, apportant des nombreux nutriments. En particulier antioxydants, polyphénols et oméga 3. Le régime méditerranéen riche en fruits et légumes, en poissons, notamment gras pour les oméga 3 (saumon, AFRIQUE MAGAZINE

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LA MÉMOIRE est son l’apogée entre l’âge de 20 et 35 ans. À partir de 40 ans, elle devient un petit peu plus lente, surtout celle dite « de travail », qui utilise des informations sur un laps de temps réduit. Malgré tout, elle reste performante : si on se concentre, on peut apprendre et retenir, même passé un certain âge. À condition de corriger sa vue et son audition si nécessaire, ces sens étant indispensables pour bien engranger les informations.


VIVRE MIEUX forme & santé

pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

maquereau, sardines…), en huile d’olive, est parfait. Bon à savoir à propos des légumes verts à feuilles (salades, épinards, choux…) : une récente étude américaine publiée dans la revue Neurology a montré que les personnes en consommant une portion par jour, ont de meilleurs résultats à des tests de mémoire que celles qui en mangent peu ou jamais. Et avec ce constat : leur cerveau a été considéré onze ans plus jeune sur le plan de ses facultés ! Afin de faire le plein d’oméga 3, on mise aussi sur l’huile de colza et de noix. En revanche, on évite les excès de graisses saturées (viandes grasses, beurre, fromage), pouvant perturber les capacités de la mémoire. Par ailleurs, pour son énergie, le cerveau a besoin de sucres lents : pain complet, riz, pâtes, pommes de terre, légumineuses. Enfin, le café (1 à 4 tasses par jour) apparaît bénéfique : la caféine a un effet antifatigue, stimule l’attention et améliore ainsi le traitement des informations.

Des activités qui la conservent La mémoire, plus on s’en sert, mieux c’est ! Pour cela, on pense souvent aux mots croisés, au Scrabble… Mais toute activité de loisir (lecture, films, documentaires, et même bricolage…) constitue une gymnastique cérébrale qui aide à préserver nos facultés mémorielles. Avoir une vie sociale la plus riche possible (amis, associations…) est d’autre part capital. Plus on discute avec les autres, débat de toutes sortes de sujets, plus on fait travailler ses méninges… Se rappeler des souvenirs en commun, apporter une réponse ou une contradiction à une personne, oblige à aller chercher l’information dans sa mémoire : cela la « rafraîchit ».

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La protéger de l’excès de stress Un petit peu de stress peut stimuler la mémoire. Mais trop lui nuit : cela crée des interférences sur elle, ce qui la rend moins disponible. Par exemple, si une contrariété accapare l’esprit, on n’est pas attentif, les informations passent sans être vraiment perçues, et encore moins enregistrées. Pour évacuer l’anxiété, il faut s’accorder des moments pour soi, à travers des activités épanouissantes, qu’on aime. La mémoire s’en trouvera améliorée. Et il faut savoir éloigner de tout ce qui crée des petits stress quotidiens… Pour cela, on range bien ses affaires, on organise bien ses journées, par exemple : c’est tout bête, mais soulage la mémoire de divers tracas. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Présent au quotidien dans notre alimentation, des pâtes jusqu’à la bière, il peut être irritant.

DOIT-ON SE MÉFIER DU BLÉ ?

Aujourd’hui, cette céréale serait responsable de bien des MAUX.

PAIN, sandwichs, pâtes, quiches, viennoiseries… Beaucoup de personnes en consomment tous les jours ou presque. Or, tout cela, c’est du blé… Et comme maintenant, il est sélectionné pour être très résistant, le gluten qu’il contient est devenu bien plus irritant pour la muqueuse digestive. À force, on peut développer une sensibilité au gluten avec des symptômes d’intestin irritable : ballonnements, maux de ventre, troubles du transit. Les conseils à suivre ? Il faudrait alterner riz, pommes de terre, légumes secs, quinoa, pâtes… Cela évite de manger trop de blé, et donc de gluten. De même, pour les pains, on varie : seigle, multicéréales, etc. Et puis, on limite le plus possible plats préparés et produits industriels : la plupart (même les viandes reconstituées type nuggets, saucisses, et le jambon) contiennent du gluten comme épaississant, stabilisant… C’est indiqué sur l’étiquette sous le nom d’hydrolysats ou protéines de blé. En général, cette modération apporte une nette amélioration des symptômes. ■ 95


N’oubliez pas de consulter ! Même si on a une bonne hygiène de vie, un SUIVI rigoureux est essentiel.

EN BREF UN GRAND PROGRÈS POUR LES SOINS DENTAIRES

C’est une nouveauté qui a reçu le prix de l’Innovation au dernier congrès de l’Association dentaire française à Paris. Pour la première fois, grâce à la technologie Fluoresce HD, les dentistes vont pouvoir visualiser très précisément une carie, et la traiter en même temps : le système colore le tissu carié en rouge, et le tissu sain en vert. Voilà donc la garantie de préserver les zones indemnes, et par conséquent au maximum les dents ! Autre bonne nouvelle : le système n’étant pas coûteux et ne nécessitant aucun changement de matériel, il va vite se déployer dans les cabinets. 96

Que l’on soit sportif ou non, on veille à contrôler de temps en temps son tour de taille… qui peut se détériorer sans qu’on ne s’en aperçoive. Ainsi, des soins à temps préservent les dents, et peuvent en outre éviter d’éventuelles répercussions sur la santé.

Un examen par an est recommandé Une autre habitude à prendre : on contrôle régulièrement son tour de taille, même avec un poids « correct ». Quand les graisses se nichent au niveau du ventre, cela augmente le risque de maladie cardiovasculaire. Le bon geste est de mesurer avec un mètre-ruban à hauteur du nombril : le tour de taille ne doit pas aller au-delà de 88 cm pour les femmes, et d’1 m pour les hommes. Si on est proche de ces chiffres, on fait davantage d’activité physique – la graisse du ventre y réagit bien –, et on fait aussi attention à son alimentation. Au-delà, on se soumet à un petit bilan médical. À partir de la cinquantaine, même si on sent parfaitement bien, voir son médecin une fois par an est recommandé : pour un examen clinique, pour vérifier sa tension artérielle, faire un bilan sanguin (rythme variable selon les facteurs de risque de chacun). Un tel suivi permet de dépister précocement un souci, de mieux le soigner, et de rester en bonne forme. Très important également, les contrôles chez l’ophtalmologiste, recommandés alors tous les deux à trois ans. Car certaines affections peuvent se développer à bas bruit. La mesure de la tension oculaire par exemple, est capitale pour diagnostiquer un début de glaucome, pouvant altérer progressivement la vision : s’il est détecté à temps, son évolution est stoppée grâce à un traitement par collyres. À partir de 65 ans, un contrôle plus rapproché peut être préconisé. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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PREMIÈRE règle d’or à appliquer : on consulte lorsque le corps envoie des alertes. Douleur inhabituelle, toux qui traîne, problème cutané qui s’installe, fatigue ressentie malgré le repos… Tout symptôme nouveau ou trouble qui se prolonge, peut être le signe que quelque chose cloche dans l’organisme. Consulter sans trop attendre permet souvent d’intervenir avant qu’une maladie ne se développe, ou au moins n’ait trop évolué. Dans tous les cas, on ne devrait pas pratiquer l’automédication très longtemps : au bout de quelques jours sans amélioration, mieux vaut prendre rendez-vous chez le médecin. Autrement, on ne zappe pas le dentiste. Même avec une hygiène dentaire rigoureuse, et sans problème apparemment, un contrôle une fois par an est une bonne habitude. Cela permet de découvrir une carie débutante, de procéder à un détartrage, de surveiller l’état des gencives


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CINQ ASTUCES POUR S’ENDORMIR VITE

Car il y a mieux que COMPTER les moutons !

ON CONNAÎT les conseils classiques, comme filer au lit aux premiers signes de fatigue (bâillements, paupières lourdes) ; ne pas consommer d’excitants en soirée et même dans l’après-midi si on y est sensible (café, coca, boissons énergisantes) ; dormir dans une chambre assez fraîche car la température du corps doit baisser pour qu’on s’endorme… C’est important, mais on essaie aussi les astuces suivantes.

POUR ÉVITER LES PETITS KILOS

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On dîne « sommeil », avec des produits laitiers

qui contenant du tryptophane, acide aminé qui facilite l’endormissement. Bien également, les céréales complètes, légumes secs, fruits oléagineux, et le chocolat, pour leur magnésium qui déstresse et aide aussi à sombrer plus vite. En revanche, on évite les dîners trop riches en protéines et graisses, néfastes.

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Halte aux grignotages et autres MAUVAIS réflexes !

On délaisse les écrans (ordinateur, tablette, smartphone), si possible deux heures

avant le coucher. Car la lumière bleue invisible qu’ils diffusent modifie la sécrétion de l’hormone du sommeil (mélatonine) et retarde l’endormissement. Mission impossible sans écrans ? On porte alors des lunettes anti-lumière bleue (verres correcteurs ou non).

3

On chasse les pensées parasites. Quand on

ressasse les oublis de la journée, ou ce qu’on a à faire le lendemain, mieux vaut lister tout ça sur papier avant de se coucher : on s’assoupit plus vite l’esprit tranquille.

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On recourt si besoin à la mélatonine

(1 mg). En vente libre en comprimés ou sprays à effet quasi immédiat, elle aide à s’endormir plus vite, et c’est sans effets secondaires.

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… ou aux plantes reconnues aussi pour induire le sommeil, comme l’eschscholtzia ou la valériane. ■

CE SONT des habitudes à perdre… À commencer par les viennoiseries, gâteaux, barres chocolatées, cacahuètes, chips… Autant d’aliments qui aiguisent l’appétit ! Pour limiter les fringales, on commence par manger suffisamment aux repas, et on n’en saute pas un. Si vraiment on ne peut se passer de grignoter, on mise sur les protéines qui sont des coupe-faim : œuf dur, yaourt, fromage blanc, jambon ou petit blanc de poulet… Pourquoi pas aussi un bol de soupe riche en fibres qui cale bien, ou une pomme ayant le même effet grâce à la pectine qu’elle contient. L’idéal étant de varier pour ne pas se lasser ! En ce qui concerne les repas, attention à l’habitude d’avaler à toute vitesse… On mange alors plus car la sensation de satiété n’a pas le temps de se déclencher : donc, on prend le temps de mâcher lentement. Et puis, on se méfie des dîners devant la télévision… L’attention captivée par le programme ne l’est plus sur l’assiette et on n’a pas conscience de ce qu’on ingurgite : soit on mange avant de s’installer devant l’écran ; soit on se prépare un plateau équilibré, et on n’y déroge pas ! ■

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SE SOIGNER AVEC LES ALIMENTS La cuisine est une véritable mine d’or pour notre santé ! C’est ce qu’on découvre dans Ma bible des aliments remèdes de Sophie Lacoste. On y trouve de quoi soigner les bobos dans l’instant : une pincée de poivre quand on se coupe, une cuillère de miel quand on se brûle, un poireau quand on se fait piquer…

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Mais aussi de quoi soulager bien des petits soucis de santé : de l’eau d’ail chaque matin en cas d’hypertension, des baies de genièvre pour les cystites à répétition… Une somme avec un résumé des bienfaits des aliments, et plus de 1 000 recettes simples ! Ma bible des aliments remèdes, éditions Leduc, 23 euros.

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LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Astrid Krivian

15. La dernière rencontre qui vous a marqué ? Le grand guitariste Carlos Santana, invité sur la chanson « Black Times » de mon dernier album. Il était génial ! Un artiste essentiel dans mon histoire mais aussi dans celle de la musique.

1. Votre objet fétiche ? Aucun. Je suis attaché aux êtres, pas aux choses. 2. Votre voyage favori ? Quand à 20 ans je suis allé étudier à Liverpool, en Angleterre. C’était la première fois que j’étais loin de chez moi.

4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Mon sourire ! (Rires) 5. Un morceau de musique ? « Fuck You » du rappeur américain Wise Intelligent. Il exprime parfaitement mon sentiment à l’égard des systèmes d’État en général. 6. Un livre sur une île déserte ? Black Man of the Nile and his Family de Yosef Ben-Jochannan. Il m’a apporté un éclairage précieux sur mon identité. 7. Un film inoubliable ? Tous les volets du Seigneur des anneaux et du Hobbit ! Leurs intrigues politiques et sociales me passionnent. J’avais déjà lu les livres. Des histoires fantastiques qui parlent de pouvoir et de respect. 98

Seun Kuti

16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Le sourire de ma fille !

Fils cadet du légendaire Fela Kuti,

17. Votre plus beau souvenir ? Sa naissance !

le chanteur et saxophoniste nigérian a reçu l’afrobeat en héritage, ainsi qu’une conscience politique et un esprit de révolte face aux injustices sociales. Machine à danser, le dernier album qu’il a réalisé avec son orchestre Egypt 80, Black Times*, prône l’africanisme et rend hommage aux leaders révolutionnaires du continent. Aussi corrosif que groovy ! 8. Votre mot favori ? « Motherland ». Ça veut dire la maison, le foyer, mais aussi l’accueil de ceux venus d’ailleurs, dans le besoin.

18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? J’aime habiter à Lagos, au Nigeria. Parce que c’est chez moi !

Textos et WhatsApp ! C’est clair, direct, tu dis l’essentiel et ne perds pas ton temps à parler d’autre chose.

9. Prodigue ou économe ? Un peu des deux. Ça dépend si je dois investir dans des projets importants ou pas !

12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Lire, jouer au jeu vidéo FIFA, faire du sport.

10. De jour ou de nuit ? Plus jeune, j’étais de nuit. Mais maintenant je suis de jour, car je dois m’occuper de ma fille.

13. Votre extravagance favorite ? Dépenser beaucoup d’argent en… je ne peux pas le dire ! (Rires)

11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ?

14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Musicien. Je vis mon rêve.

19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Tous les sacrifices, toutes les luttes politiques, physiques, pour la liberté, menées par mes pères, ces hommes fondateurs, ces leaders devenus légendaires dans l’histoire de l’Afrique. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Que j’étais en avance sur mon temps, visionnaire. Que je n’étais pas seulement un artiste intéressant à mon époque, mais que les gens dans le futur continueront à apprécier ma musique. ■ *Black Times, Strut Records/Zamora Label/Differ-Ant, dans les bacs. En tournée en France en mars.

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ALEXIS MARYON

3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Ma tournée européenne. C’est toujours un bonheur d’être sur la route, mes musiciens sont comme ma famille. Et j’adore diffuser mon message au monde à travers ma musique.


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