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1959-2020

AMADOU GON COULIBALY LE DESTIN INTERROMPU Le Premier ministre de Côte d’Ivoire, candidat aux élections présidentielles, est décédé le 8 juillet. Portrait vivant d’un homme de grande qualité

Conflits LA GRANDE BATAILLE DU NIL

Interview OUMOU SANGARÉ, L’INSOUMISE Cinéma JEAN-PASCAL ZADI: «ARRÊTEZ DE DIRE BLACK!»

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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édito PAR ZYAD LIMAM

LES GÉANTS D’ARGILE Au centre, il y a ce fleuve qui coule depuis la nuit des temps, le plus long du monde (6 700 km) avec l’Amazone. Le Nil tire ses eaux d’un bassin d’alimentation gigantesque, qui couvre près du dixième de la surface de l’Afrique. Un écosystème peuplé de 250 millions d’habitants et qui concerne 11 pays riverains. Le fleuve mythique prend sa première source au cœur du continent, au lac Victoria (Nil Blanc). Et sa seconde dans les contreforts montagneux éthiopiens et le lac Tana (Nil Bleu). Ces deux branches se réunissent à Khartoum, la capitale du Soudan, avant de poursuivre une course lente et puissante vers la Méditerranée. Le Nil, majestueux, associé presque exclusivement par l’histoire et par la légende à la grande Égypte, celle des pharaons, des pyramides, de Nasser, de la révolution de la place Tahrir et celle des généraux inamovibles… Ce récit s’apprête à être bouleversé. Depuis dix ans, l’Éthiopie construit un imposant barrage, le Grand barrage de la renaissance [voir notre enquête pages 26-33]. Et s’apprête dans les semaines à venir à commencer à remplir les premiers bassins de rétention. Un acte symbolique (il faudra des années pour véritablement le remplir), mais les enjeux sont immenses. Pour l’Éthiopie, le barrage est un élément essentiel de sa politique de développement, la clé de l’énergie dont elle aura besoin pour les décennies à venir. Pour l’Égypte, c’est une menace existentielle à sa sécurité, un défi à sa « souveraineté » sur le fleuve, qui serait d’ailleurs un fleuve « arabe ». De part et d’autre, on multiplie les rodomontades nationalistes et militaristes. Comme toujours, ces séquences de tensions s’apparentent à la fois au poker menteur, au brassage furieux de l’air qui accompagnent des processus de négociation. Mais il suffirait d’une erreur, d’une maladresse, d’une insulte de trop, et tout pourrait dégénérer, vers un conflit plus ou moins ouvert. AFRIQUE MAGAZINE

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On se menace, on montre les armes, on se tient debout comme des géants. L’Égypte est l’une des trois premières économies du continent, avec l’Afrique du Sud et le Nigeria. C’est la 21e économie du monde en PIB. Mais si l’on regarde le pouvoir d’achat par habitant, le résultat est moins brillant (au-delà de la 100e place). L’Égypte, Oum el-Dounia (« la mère de l’univers »), est soumise à une démographie galopante. Elle vient de dépasser les 100 millions d’habitants, et la courbe ne paraît pas près de ralentir. Au-delà de sa taille, de son histoire millénaire, de sa culture, son aura, de la vitalité fascinante du Caire, de la majesté de ses pyramides, le pays vit dans la précarité permanente. Sous la menace de rupture alimentaire, à la merci du prix du blé ou du sucre. Sans parler de la dépendance addictive aux financements externes et aux capitaux du Golfe. Et sans parler enfin d’une situation politique particulièrement préoccupante avec l’échec de la révolution, la mainmise des généraux, les menaces sécuritaires. Et des effets plus ou moins « publics » de la pandémie de Covid-19. L’Éthiopie connaît depuis dix ans un véritable renouveau économique. Le pays tente de sortir de la misère endémique héritée de la féodalité du régime des Négus et des impasses sanguinaires du DERG de triste mémoire… Addis-Abeba se transforme. Les grands projets se multiplient et les tours orgueilleuses s’élèvent. Ethiopian Airlines parcourt le monde. Le pays est gouverné par un Premier ministre jeune : Abiy Ahmed mène une délicate tentative de réforme du modèle politique autoritaire. Mais l’Éthiopie reste l’un des pays les plus pauvres du monde (au-delà de la 170e place en matière de revenu par habitant). Sa croissance démographique pèse sur les équilibres. Le pays compte au moins 110 millions d’habitants et pourrait atteindre 200 millions d’âmes d’ici vingt-cinq ans… Enfin, la transformation du modèle 3


politique entraîne violences et déstabilisations. Ce pays qui n’a jamais été colonisé, qui a infligé une mémorable défaite aux troupes de l’envahisseur italien, reste miné par de violentes divisions internes, par une lutte permanente de ses nationalités et de ses cultures. En ouvrant la porte à la réforme, en desserrant l’étau autoritaire, Abiy Ahmed a aussi permis la résurgence des multiples nationalismes éthiopiens. Fin juin, un chanteur populaire oromo a été assassiné en plein jour à Addis-Abeba. Depuis, les manifestations et la répression ont fait plus de 170 morts. Un retour autoritaire n’est pas à exclure. Et le barrage de la renaissance apparaît paradoxalement comme l’un des derniers éléments fédérateurs d’une Éthiopie en crise d’unité(s)… Comme le soulignent de nombreux analystes de la région, le Nil est une promesse, le partage des eaux un casse-tête (les quotas datent de plusieurs années), la démographie une menace, le barrage un problème, et là, on ne parle que d’un barrage, alors qu’il pourrait y en avoir d’autres – sans compter que la question de l’eau va devenir existentielle dans les années à venir… Mais la réalité, à court terme, c’est que les géants qui bombent le torse sont fragiles, à genoux, et que personne ne sait vraiment où se retrouveront l’Égypte et l’Éthiopie dans les mois et les prochaines années à venir, compte tenu des menaces lourdes qui pèsent sur leur stabilité. L’Afrique du Sud cherche à imposer une médiation africaine sur ce dossier, pour éviter les manipulations et les ingérences de véritables maîtres du monde, ÉtatsUnis en tête (soucieux, semble-t-il, de faire plier l’Éthiopie pour garantir le soutien de l’Égypte au plan de paix trumpien du Moyen-Orient…). L’Afrique du Sud, « the Rainbow Nation », héritière de la tragédie de l’apartheid et de l’œuvre de Nelson Mandela, personnage « primus inter pares » de l’histoire moderne du continent. L’Afrique du Sud, première ou deuxième économie d’Afrique, en compétition avec le Nigeria, mais certainement le pays le plus technologiquement avancé, dont les infrastructures s’apparentent souvent à celle du « premier monde ». L’Afrique du Sud, dont on pensait qu’elle pourrait être le fer de lance de l’émergence africaine. L’Afrique du Sud, qui reste pourtant comme un monde isolé, replié sur lui-même, « une île » en marge du continent, de ses évolutions et de ses vibrations. Une nation riche et puissante qui s’appauvrit au fil des ans, minée par la corruption, la mal gouvernance, l’entre-soi des élites ANC, et la permanence des divisions raciales et ethniques. Une nation portée par un mythe historique, fort, rassembleur, 4

mais qui n’aura pas su sortir de la précarité les millions d’enfants de l’apartheid. L’Afrique du Sud, géant à bout de souffle qui, après avoir affronté la tragédie du sida dans les années 1990-2000, doit faire face à des foyers particulièrement vivaces de l’épidémie de Covid-19. Dans ce contexte, à l’autre bout du continent, le Nigeria aime à rappeler qu’il représente aujourd’hui, en volume, et selon les calculs, et selon tout de même le cours du baril de pétrole – qui ne se porte pas au mieux en ces temps épidémiques –, la première économie du continent. Avec un PIB de près de 400 milliards de dollars (1 100 milliards en PPA, parité de pouvoir d’achat) ! Ramenés à la population du pays (aux alentours de 200 millions d’habitants), les chiffres sont nettement moins spectaculaires, et le pays navigue aux alentours de la 130e place mondiale en matière de revenu par habitant. La pression démographique ne diminue pas (on estime que les Nigérians pourraient être près de 400 millions dans vingt-cinq ans…), alors que la richesse nationale AFRIQUE MAGAZINE

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JAMES OATWAY/PANOS-REA

Le township d’Alexandra, à Johannesbourg, ville confinée, le 3 avril 2020.

reste largement liée au pétrole. Des dizaines de millions de jeunes arriveront sur le marché de l’emploi, « formel ou informel », mettant une formidable pression sur un appareil de gouvernement fédéral ou local qui a largement montré, depuis l’indépendance, son incapacité à suivre le rythme et à impulser une véritable politique de développement à long terme. Le Nigeria, « première économie d’Afrique », pays le plus peuplé, vacille sous son propre poids, aux prises avec de formidables forces de divisions internes, religieuses et ethniques, entre son nord « musulman » et son sud « chrétien », menacé de toutes parts aussi par le sectarisme religieux. À lire ces lignes, on pourrait être tenté de proclamer « small is beautiful ». L’Afrique ne manque pas d’exemples de nations plus modestes, qui ont fait de véritables progrès en matière de développement économique, social, de création de produits et de services. Des pays peut-être mieux « configurés » au niveau de la taille, de la population, pour gérer la complexité, la staAFRIQUE MAGAZINE

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bilité, les investissements, les besoins en infrastructures. Mais l’Afrique a besoin de ces géants pour aller plus vite sur le chemin de l’émergence. Elle a besoin qu’ils soient stables, solides, pour ne pas entraîner leurs voisins dans les turbulences et les vagues. L’Afrique a besoin de ces géants, qu’ils soient dynamiques, en croissance, pour entraîner avec eux leur environnement dans ces cercles vertueux. Imaginez le Nigeria, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Afrique du Sud comme des centres d’innovation, de création, de production de richesses qui rayonneraient sur leurs régions… Pour en revenir au début de cet édito, la mise en commun concerté du Nil, sous l’action éclairée des deux géants égyptien et éthiopien permettrait d’électrifier, d’irriguer, de contrôler les crues et les sécheresses, de soutenir le développement de tous les pays du bassin. Et de fournir de l’énergie à toute la Corne de l’Afrique, et certainement même au-delà… « Big should be beautiful » aussi. ■ 5


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ÉDITO Les géants d’argile

TEMPS FORTS

par Zyad Limam

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ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

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Le luxe à l’état pur

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PARCOURS Amin Sidi-Boumédiène par Astrid Krivian

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C’EST COMMENT ? Tourisme à domicile ! par Emmanuelle Pontié

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P.8

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Amadou Gon Coulibaly, le destin interrompu

par Zyad Limam

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VINGT QUESTIONS À… Meryem Aboulouafa par Astrid Krivian

Spécial Côte d’Ivoire

Mes convictions Par Amadou Gon Coulibaly Korhogo, la maison d’Amadou Gon par Zyad Limam

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La bataille du Nil

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Crash du vol AH 5017, tragiques incompétences

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Khaled Gaiji : « L’Afrique est un avant-poste »

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Jacques Attali, guide de survie

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Oumou Sangaré, l’insoumise

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Jean-Pascal Zadi et John Wax : « Arrêtez de dire “black” ! »

par Cédric Gouverneur

par Cédric Gouverneur

par Astrid Krivian

par Anne-Cécile Huprelle

par Astrid Krivian

par Astrid Krivian

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Baudouin Mouanda, objectif Congo

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

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DR - ALFREDO CALIZ/PANOS-REA

par Emmanuelle Pontié


FONDÉ EN 1983 (36e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin

llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Glez, Cédric Gouverneur, Anne-Cécile Huprelle, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

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VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

VENTES

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EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

BUSINESS Raid américain sur la BAD Menace sur les investissements pétroliers Jumia en panne de modèle L’OMC cherche son directeur général Les produits agricoles résistent

ABONNEMENTS

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BAUDOUIN MOUANDA - SHUTTERSTOCK-

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VIVRE MIEUX Rétine : ne perdez pas la vue ! Pieds : pour éviter les champignons Alimentation : des idées reçues à oublier Que faire en cas de tendinite? par Annick Beaucousin et Julie Gilles

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Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Conflits

Au cœur du conflit, le grand barrage de la renaissance. L’Éthiopie et l’Égypte s’affrontent pour le contrôle du fleuve. La diplomatie est au point mort. Les torses sont bombés, alors que d’autres chemins seraient certainement plus positifs pour ces géants aux pieds d’argile.

Interview OUMOU SANGARÉ, L’INSOUMISE Cinéma JEAN-PASCAL ZADI: «ARRÊTEZ DE DIRE BLACK!»

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31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam.

Le Premier ministre de Côte d’Ivoire, candidat aux élections présidentielles, est décédé le 8 juillet. Portrait vivant d’un homme de grande qualité

LA GRANDE BATAILLE DU NIL

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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

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AMADOU GON COULIBALY LE DESTIN INTERROMPU

par Jean-Michel Meyer

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LA BATAILLE DU

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SPÉCIAL CÔTE D’IVOIRE

L’ADIEU À AMADOU GON COULIBALY

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Interview

OUMOU SANGARÉ, L’INSOUMISE

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JEAN-PASCAL ZADI: «NOIR TOUT SIMPLEMENT» N °4 0 6 - JUILLET 2020 L 13888 - 406 - F: 4,90 € - RD

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La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2020.

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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode et du design

Au centre, un boléro Balenciaga (vers 1940), entouré de deux pièces Alaïa (automne-hiver 1989).

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LE LUXE À L’ETAT PUR

ÉVÉNEMENT

Hommage à deux grands maîtres de l’élégance : BALENCIAGA et ALAÏA.

DR (2) - JEAN-BAPTISTE MONDINO

QU’EST-CE QUI RELIE le Basque espagnol Cristóbal Balenciaga (1895-1972) et le Franco-Tunisien Azzedine Alaïa (1935-2017) ? L’esprit méditerranéen, certes. L’audace, surtout. Si le premier, surnommé « le couturier des couturiers », dessine les robes des têtes couronnées et des mythiques Marlene Dietrich et Ginger Rogers, le second habille les plus célèbres mannequins des années 1990 et les excentriques Grace Jones ou Farida Khelfa. Bien que les deux virtuoses de la coupe ne se soient jamais rencontrés, leurs œuvres se répondent en un dialogue atemporel. Tel un jeu de miroirs. Ici, trois boléros noirs, l’un signé Balenciaga, riche de passementeries et de pompons, les deux autres, décorés d’une broderie « caviar » de perles et de fils métalliques. Là, deux tenues de soirées, l’une assortie d’une cape, l’autre d’une veste en cuir. Le génie du maître espagnol est prégnant. Le talent des deux hommes éternel. Toujours dans des tons noirs ou grenat, leur inspiration va et vient, d’une couture invisible à un précis d’architecture. Un face-à-face inédit. ■ Catherine Faye

Ensemble Alaïa (automne-hiver 2016).

Azzedine Alaïa, photographié par Jean-Baptiste Mondino en 1988.

« ALAÏA ET BALENCIAGA : SCULPTEURS DE LA FORME »,

Fondation Azzedine Alaïa, Paris (France), jusqu’au 3 janvier 2021. AFRIQUE MAGAZINE

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ON EN PARLE SOUNDS

À écouter maintenant !

❶ Bandé-Gamboa

Horizonte, Heavenly Sweetness/Idol/L’Autre Distribution

Belle initiative que celle du producteur et DJ Francisco « Fininho » Sousa, qui a décidé de faire revivre des morceaux rares ou inédits, issus du patrimoine de Guinée-Bissau et du Cap-Vert. Convoquant les meilleurs musiciens des deux pays, des plus aguerris aux jeunes talents, Horizonte s’inscrit dans la démarche de l’homme politique et intellectuel Amílcar Cabral, fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert.

❷ Nadine Shah

un rappeur kenyan, ça peut vite devenir EXPLOSIF. En témoigne le son synthético-urbain de leur EP commun.

PLUS QU’UN AMUSE-BOUCHE en attendant la sortie d’un album prévu pour la fin 2020, il faut envisager MUGOGO! comme une entrée en matière percutante. Comme souvent, tout part d’une rencontre, celle du rappeur kenyan Ziller Bas (qui s’exprime en « sweng flow », un mélange d’anglais, de swahili et de kigiriama, sa langue natale) et du producteur suisse d’électro FlexFab. Ces deux-là se sont croisés durant une tournée en Afrique de l’Est du second. Après une résidence, FlexFab se rend à Kilifi, au Kenya, où, en plein concert, Ziller Bas vient lui demander sans gêne s’il peut se lancer dans un freestyle. Révélation mutuelle, qui débouche sur des retrouvailles au Kenya quelques mois plus tard, dans l’urgence et une certaine pression – Ziller étant assigné à résidence… Cela s’entend sur ce premier EP : de « Fullu ! » à « MUGOGO!», entre dance africaine contemporaine et hip-hop survolté, la mixture est ultra efficace. ■ Sophie Rosemont FLEXFAB & ZILLER BAS, MUGOGO!, Believe. 10

❸ Stevan

Just Kids, Astral People/Pias

Il s’appelle Stevan Muhayimana, il a 19 ans et a déjà imposé ses multitalents dans son pays natal, l’Australie, qui le considère comme son nouveau prodige du R’n’B : guitariste, pianiste, bassiste et batteur… Il a de quoi faire une chanson tout seul. Aussi bien influencé par Frank Ocean que par Stevie Wonder, il balance tout son groove dans cette mixtape, justement nommé Just Kids. ■ S.R.

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RAPHAEL PIGUET - DR (4)

MELTING-POT SURVOLTÉ Quand un producteur suisse rencontre

HIP-HOP

Kitchen Sink, BMG Il n’est pas anodin d’ouvrir un album sur un morceau baptisé « Club Cougar »… qui épouse le propos de ce nouvel album de la chanteuse anglaise d’origine pakistanaise et norvégienne. En effet, elle revendique ici la liberté d’être une femme libre à 34 ans – son âge – et épanouie, même sans mari ni enfant. Féministe donc, rock aussi, l’album s’avère d’une belle sensualité.


ALAIN MABANCKOU MABANCKOU, Rumeurs d’Amérique,

Plon, 256 pages, 19 €.

L I T T É R AT U R E

SÉBASTIEN MICKE

ALAIN MABANCKOU L’IDENTITÉ DU MOUVEMENT

En livrant sa vision de L’AMÉRIQUE, le Franco-Congolais se distingue dans la prochaine rentrée littéraire. AFRIQUE MAGAZINE

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« QUI SUIS-JE AU FOND ? Vous n’aurez pas de réponse dans mes deux passeports congolais et français. Suis-je un “Congaulois”, comme dirait le grand poète congolais Tchicaya U Tam’si ? Suis-je un “binational”, pour coller à l’air du temps ? En réalité, en 1530, année de la création du Collège de France […], je n’existais pas en tant qu’être humain. » Dans sa leçon inaugurale, lors de son entrée au Collège de France en 2016, Alain Mabanckou ne mâche pas ses mots. Sa verve triomphe ; son combat pour une mise en lumière de l’identité artistique africaine s’ancre avec humour et fermeté. Installé aux États-Unis depuis une quinzaine d’années, l’auteur de Mémoires de porcépic (pour lequel il a reçu le prix Renaudot en 2006) et de Petit Piment (2015) enseigne la littérature francophone à l’université de Californie à Los Angeles. Le rêve américain est aujourd’hui aussi son histoire. Dans cet ouvrage, il dessine son Amérique, entre imaginaire et réel. Un portrait, presque un autoportrait : opulence de Santa Monica, conditions de vie des minorités, guerre des gangs, politique, musique. Petite et grande histoire se mêlent aux désespoirs et aux joies d’un peuple kaléidoscope auquel il donne la voix. Pour autant, en évoquant l’Amérique, Mabanckou ne déserte pas le Congo, qu’il « trimballe nuit et jour, à l’instar de la tortue Kalala qui traîne sa carapace sans en ressentir le poids, soucieuse de la protéger contre vents et marées, parce qu’elle est son ultime demeure ». ■ C.F. 11


ON EN PARLE ROMAN

Champ libre En plein Printemps arabe, une femme prostituée interpelle le monde.

Dans ce THRILLER psychotique en forme de fuite en avant, deux hommes poursuivent un terroriste insaisissable jusqu’au Sahara… NOUS SOMMES EN 1994, la violence de la guerre civile en Algérie est à son apogée… Deux hommes partent à la poursuite d’un dangereux terroriste, très loin au sud du pays. Amin Sidi-Boumédiène [voir pp. 22-23], dont c’est le premier long-métrage (présenté l’an dernier à la Semaine de la Critique à Cannes), veut nous faire ressentir la peur qui transpirait de partout à cette époque. En nous emmenant dans le Sahara algérien (sur fond de rock alternatif), il emprunte aux codes du western, du thriller, du cinéma fantastique et du road movie, et mélange les points de vue et les flash-back pour mieux nous surprendre, quitte parfois à nous perdre. Mais les deux comédiens (Lyes Salem, dans un nouveau registre, et Slimane Benouari, dont la paranoïa du personnage grandit au fil du récit) réussissent à nous entraîner avec eux, sans que l’on sache réellement qui ils sont… ■ Jean-Marie Chazeau ABOU LEILA (Algérie-France), d’Amin Sidi-Boumédiène. Avec Slimane Benouari,

Lyes Salem, Meriem Medjkane. 12

RACHID BENZINE, Dans les yeux du ciel, Le Seuil, 176 pages, 17 €. cet écrivain prolixe propose une lecture éclairante du monde à travers une approche historico-critique. Son dernier roman, Dans les yeux du ciel, donne la voix à Nour (« lumière »), une femme prostituée emportée dans le tourment de la révolte populaire. Elle incarne tous les combats de la société arabe, notamment la condition des femmes. Et toutes les espérances. ■ C.F.

LETTRES TURQUES

Mondes intérieurs

Dans ce recueil introspectif, Asli Erdogan dénoue l’écheveau de son histoire et de son pays perdu. ELLE SE SERA rarement autant dévoilée. « Je suis la somme de tout ce que l’on m’a et ne m’a pas donné, de ce que j’ai perdu et de ce qu’il me reste à perdre, du sang des mots et du silence des lèvres… Je suis l’irracontable », confesse la romancière et journaliste turque, dans une langue poétique, sculptée au cordeau. Poursuivie quatre ans par la justice de son pays et acquittée le 14 février dernier, elle se livre sans ambages au fil de textes réunis dans 12 chapitres, sans doute les plus beaux qu’elle ait écrits. Parus

ASLI ERDOGAN, Requiem pour une ville perdue, Actes Sud, 144 pages, 17 €. en Turquie en 2007, ils ont été enrichis depuis qu’elle vit en exil en Allemagne. Dès les premières lignes, on pénètre comme dans un labyrinthe intime. Fables, rêveries, confessions, graves ou nostalgiques, tissent une identité complexe et vibrante. Celle d’une écrivaine engagée, inclassable et puissante. D’une femme entière, à fleur de peau, tourmentée et résistante. Comme un écho à tous ses combats. Et une métaphore de ses solitudes. ■ C.F.

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DR (2) - HERMANCE TRIAY - DR - CYRILLE CHOUPAS

ALGÉRIE BAD TRIP CINÉ

« SI JE DEVAIS me situer du point de vue philosophique, je citerais trois auteurs. Le premier, qui m’a beaucoup marqué, c’est Paul Ricœur, avec son travail sur le langage religieux. Il y a eu ensuite Michel Foucault. Les Mots et les choses ont été pour moi une vraie claque. Et puis, Jacques Derrida », confie Rachid Benzine à La Revue en 2013. L’existentialisme, la subjectivation et la déconstruction formant ainsi l’architecture de la pensée de l’ancien champion de France de kickboxing devenu islamologue et figure de proue de l’islam libéral francophone. À travers ses publications,


Table Terracota, entourée de deux chaises Jean.

DESIGN

POL GUILLARD, TUNIS 2017

CHACHA ATALLAH

Elle dynamise le secteur tunisien, avec sa marque née du dialogue entre ARTISANAT et architecture.

« LE MOBILIER ne vit pas sans l’architecture. Chaque projet est un projet total. » La vision de l’architecte et designeuse tunisienne Chacha Atallah ne peut pas être plus claire. Depuis qu’elle a sorti ses premiers travaux à son nom, en 2014, elle propose des objets nés d’une commande ou d’un besoin particulier. Les tables Sixtine sont au départ un ensemble de trois meubles qui dialoguent entre eux, même si on peut les séparer. La table basse en bois massif Bean, qui rappelle le dos d’un violoncelle, est le résultat d’un travail sur la ligne courbe. Les tables élancées Terracota sont en céramique, à déployer en intérieur comme en extérieur. Certaines pièces, comme la collection de vaisselle, également en céramique, ont été esquissées il y a des années. L’effervescence créative qui anime la Tunisie depuis quelque temps et la possibilité de collaborer avec des manufactures et des petits artisans compétents, de façon fluide et immédiate, ont permis à la designeuse de faire de ses croquis une réalité. Dans son showroom de Carthage, elle présente ses nouvelles pièces et organise souvent des rencontres entre créatifs de tous bords. ■ Luisa Nannipieri chachaatallah.com

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ON EN PARLE

Le complexe Wangjing Soho, à Pékin, en Chine.

B E AU - L I V R E

GÉNIE DE L’ESPACE Taschen retrace l’incroyable carrière

de la «reine de la courbe », classée par Forbes, en 2008, parmi les 100 femmes les plus PUISSANTES DU MONDE.

Le centre culturel Heydar Aliyev à Bakou, en Azerbaïdjan.

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Le guitariste sud-africain Sibusile Xaba.

DR (3) - HARNESS HAMESE - BART VAN DER MOEREN

C’EST LA PREMIÈRE FEMME à recevoir, en 2004, le prestigieux prix Pritzker (considéré comme le Nobel d’architecture). Citoyenne irako-britannique de culture musulmane, Zaha Hadid (1950-2016) a remodelé l’architecture contemporaine, en défiant les logiques de la construction. Du Musée national des arts du XXIe siècle, à Rome, au complexe Wangjing Soho, à Pékin, en passant par le pont Sheikh Zayed, à Abu Dhabi, elle a conçu des bâtiments reconnaissables entre tous. Structures en vol, plafonds de verre, vides inattendus, formes extravagantes, son style fluide, fragmenté ou encore futuriste, manie l’abstraction et se joue des conventions. À travers des dizaines de dessins et de photographies étourdissantes, Taschen présente tout autant ses créations architecturales que le mobilier et la décoration intérieure qui habitent son univers singulier. Et si emblématique du XXIe siècle. ■ C.F. ZAHA HADID, Complete Works 1979-Today, Taschen, 672 pages, 50 €.

Le claviériste britannique d’origine nigériane Dele Sosimi.

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Le batteur nigérian Tony Allen.

MUSIQUE

RENCONTRES AU SOMMET

La rappeuse sud-africaine Yugen Blakrok.

BERNARD BENANT - BOITUMELO MOROKA - HAYLEY LOUISA BROWN

La bande-son de l’été ? L’ALBUM COLLECTIF Keleketla!, enregistré entre Johannesbourg et Londres, et porté par la vitalité de jeunes talents et de MUSICIENS LÉGENDAIRES, de feu Tony Allen aux Watts Prophets, en passant par Afla Sackey.

LA BATTERIE DE TONY ALLEN. C’est elle qui résonne dès le morceau d’ouverture, « Future Toyi Toyi ». Puissante, cristalline, porteuse de toute l’énergie viscérale de l’afrobeat. Mais le regretté musicien nigérian n’était pas seul en studio. À ses côtés, Coldcut, duo britannique d’électro, formé par Jonathan More et Matt Black, et devenu culte au début des années 1990. Dans la liste des intervenants, la chanteuse Nono Nkoane, le chanteur et multi-instrumentiste Tubatsi Moloi, les guitaristes Sibusile Xaba et Miles James, le percussionniste Thabang Tabane, le bassiste Gally Ngoveni, les jazzmen Shabaka Hutchings et Ed « Tenderlonious » Cawthorne, la saxophoniste Tamar Osborn, le claviériste Dele Sosimi, le percussionniste Afla Sackey ou encore la rappeuse Yugen Blakrok… Sans oublier l’emblématique orchestre afrobeat Antibalas et les Watts Prophets, premiers maîtres du spoken word sur la côte Ouest des États-Unis et pionniers du rap. La guest list est étourdissante, et pourtant, le projet s’est construit très spontanément. AFRIQUE MAGAZINE

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Le duo britannique d’électro Coldcut.

C’est à la Keleketla! Library de Johannesbourg que Ruth Daniels, de l’organisation caritative In Place of War (à laquelle sera versée une partie des bénéfices de l’album) décide d’inviter Coldcut à enregistrer aux studios Trackside de Soweto. Sur place, il s’entoure du gratin des musiciens locaux et confectionne un son entre électronique, afrobeat et jazz. Le titre du disque s’impose vite : « Keleketla » (qui signifie « réponse »), comme la bibliothèque. Ici, la réponse fait partie du dialogue entre plusieurs univers musicaux, cultures et les deux continents. En effet, à leur retour en Angleterre, Black et More ont décidé d’organiser de nouvelles sessions à Londres, rajoutant des morceaux, des textures, de nouvelles idées d’arrangements… Le tout en mettant en lumière des paroles militantes. Le résultat est épatant, fort de titres sur ressorts comme « International Love Affair » ou « Papua Merdeka », qui réclame la liberté du peuple de Papouasie occidentale. ■ S.R. KELEKETLA!, Keleketla!,

Ahead of Our Time/Ninja Tune.

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ON EN PARLE

ONLINE

Elsa Bleda, Sans titre, série « Nightscapes », 2014.

Une vitrine sur L’ART contemporain africain.

Derrick Adams, Sans titre, série « Floaters », 2017.

C’EST CE QUE PROPOSE LA PLATE-FORME en ligne Artsy.net, spécialisée dans les beaux-arts. Celle-ci rend possible la visite virtuelle de la manifestation 1-54, initialement prévue à New York en mai dernier. Avec 25 galeries et des centaines d’œuvres de plus de 80 artistes du continent et de ses diasporas, le voyage se veut global et éclectique. Mention spéciale pour le plasticien afro-expressionniste camerounais Adjani Okpu-Egbe, lauréat du premier Ritzau Art Prize, destiné à soutenir la création africaine. ■ C.F. artsy.net/1-54-new-york-2020

Nengi Omuku, Funke 1, 2019.

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Eman Ali, Muzna and Habiba, 2019.

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COURTESY GALERIE ANNE DE VILLEPOIX, PARIS - COURTESY AFRONOVA GALLERY - COURTESY KRISTIN HJELLEGJERDE - COURTESY OF 50 GOLBORNE

BALADE NUMÉRIQUE


Tenue de Datin Haslinda Abdul Rahim (collection printemps-été 2018).

EXPO

SOUFFLE DE L’ISLAM

DATIN HASLINDA ABDUL RAHIM FOR BLANCHEUR/SPRING/SUMMER 2018

Les MODES CONTEMPORAINES MUSULMANES mises à l’honneur à New York. AVEC PRÈS DE 1 MILLIARD de femmes musulmanes sur la planète, les modes islamiques se font incontournables. Les codes évoluent, les styles rayonnent au sein et au-delà des communautés, se réappropriant les traditions. Au Moyen-Orient, de jeunes designers réinterprètent la abaya, telle la Qatarienne Wadha Al Hajri. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les stylistes importent savoir-faire artisanal, associant looks et matières, comme Naima Muhammad avec ses pagnes ghanéens. L’exposition new-yorkaise explore les nouvelles tendances et le dynamisme de cette industrie de la mode contemporaine, notamment en Indonésie, pays musulman le plus peuplé – et donc l’un des foyers de ce secteur économique. Le Cooper-Hewitt, Smithsonian Design Museum propose un voyage de Dubaï à Jakarta, en passant par Le Cap, à la découverte de la haute couture, du prêt-à-porter ou encore des tenues sportives islamiques. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE

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« CONTEMPORARY MUSLIM FASHIONS », Cooper Hewitt,

Smithsonian Design Museum, New York (États-Unis), jusqu’au 23 août 2020. cooperhewitt.org 17


ON EN PARLE

On attend de découvrir le nouveau look du Bristol, à Paris, qui a profité de sa fermeture pour redécorer ses chambres.

TOURISME

Cap sur septembre

PETIT À PETIT, LES ACTEURS du tourisme reprennent des couleurs. Cet été, grandes et petites entreprises vont surtout essayer d’attirer la clientèle locale, que ce soit en France, au Maroc ou en Afrique du Sud, où l’on mise publiquement sur une reprise à l’automne. Certaines liaisons aériennes internationales redémarrent dès ce mois-ci, notamment vers la Tunisie et le Maroc, mais la plupart des pays repousse l’ouverture des frontières, par crainte de contamination. L’île Maurice, par exemple, même si elle a été labellisée « safe travel » (destination sûre) par le Conseil mondial du tourisme et des voyages, sera fermée aux étrangers jusqu’en septembre. Ce qui tombe à pic pour l’un des plus beaux nouveaux resorts de la côte sud-est de l’île, l’Anantara Iko (anantara.com) : celui-ci rouvre au public le premier du mois et propose des réductions de 40 % sur ses formules séjour, jusqu’à fin octobre. Autre destination sûre du point de vue 18

sanitaire : la Tunisie. Le groupe Accor y a déjà entamé la réouverture de certains hôtels de la marque Mövenpick, rachetée l’année dernière, comme le Mövenpick Hotel Sfax ou le Mövenpick Hôtel du Lac (movenpick.com), à Tunis. Au Maroc, les choses progressent plus doucement. Il faudra patienter jusqu’à fin septembre pour réserver une chambre à La Mamounia (mamounia.com), palace historique de Marrakech qui fait peau neuve. Sacré meilleur hôtel urbain au monde en 2018 par le magazine Condé Nast Traveler, il sera entièrement rénové et fera place à deux restaurants d’inspiration italienne et asiatique. En France aussi, septembre promet des surprises : à Paris, on attend de découvrir le nouveau look du Bristol (oetkercollection.com), qui a profité de ces mois de fermeture pour transformer son jardin et redécorer ses chambres. Une métamorphose écoresponsable dans un style raffiné, qui caractérise l’esprit de cette perle de l’hôtellerie. ■ L.N. AFRIQUE MAGAZINE

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Si cet été, il faudra encore penser local, pandémie oblige, le secteur hôtelier commence néanmoins à PRÉPARER SA RENTRÉE.


MODE

WAXUP

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La griffe qui veut VALORISER LES TISSUS du continent.

QUAND, EN 2013, Caroline Akwei et Perrine Bah Yabi ont créé WaxUp Africa, seulement 20 % des textiles industriels vendus comme africains étaient réellement produits sur le continent. Les deux entrepreneuses, basées à Genève, ont fait jouer leur réseau pour développer une marque de mode éthiquement engagée autour d’un tissu devenu le symbole d’un certain style africain : le wax. Si le pagne doit son origine au batik javanais et son essor en Afrique aux colonisateurs, des millions de personnes ont su se le réapproprier pour en faire des tenues associées à une ethnie, une région ou un événement de la vie. Aujourd’hui, le wax est fabriqué essentiellement au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Ghana. Et c’est justement à des artisans ghanéens attentivement sélectionnés que les deux femmes ont demandé de confectionner les porte-bébés Sling Up, ainsi que les T-shirts homme, les jupes ou encore les foulards de leurs collections. Pour les kimonos et certaines jupes longues, elles ont préféré les textiles ivoiriens, plus vaporeux mais AFRIQUE MAGAZINE

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toujours d’une qualité exceptionnelle. La dernière collection de la marque, 5 % – Real is Rare, naît pourtant d’un triste constat : malgré la qualité, la production du wax sur le continent ne fait que baisser. Face à la concurrence du textile chinois ou néerlandais, elle ne représente plus que 5 %. Leurs pièces aux coupes simples et classiques sont donc mises une nouvelle fois au service des dessins, pour valoriser au maximum l’inventivité et la dextérité des artisans. Le style, joyeux mais toujours avec une touche élégante, est une déclaration d’amour à ce tissu emblématique. Le but des designeuses, qui ont aussi cofondé Afrodyssée, le Marché international des tendances africaines, et ouvert une boutique à Genève, est de sensibiliser le public à la qualité et la créativité africaines. Et d’alerter sur tous ces savoir-faire que l’on risque de perdre. ■ L.N. waxupafrica.com 19


ON EN PARLE

GUERRE

APOCALYPSE DOWN

Des ex-GI noirs sont de retour au Viêt Nam cinquante ans plus tard. Le NOUVEAU SPIKE LEE déçoit. « WHAT’S GOING ON » chante Marvin Gaye, omniprésent dans la bande-son de ce retour au Viêt Nam. Quatre vétérans de la guerre du Viêt Nam débarquent à Saïgon en 2020, dans l’optique de récupérer le corps de leur charismatique officier, mort au combat… et quelques lingots d’or. Cette chasse au trésor et aux souvenirs dans la jungle vietnamienne est ponctuée de flash-back où, curieusement, les mêmes comédiens incarnent leurs personnages plus jeunes, excepté l’officier mort (Chadwick Boseman, Black Panther), qui du coup, à l’écran, pourrait être leur fils ! Ce n’est pas la seule coquetterie un peu kitch du film, qui nous la joue Tarantino avec ses giclées d’hémoglobine et multiplie les références à Apocalypse Now, de Coppola. Spike Lee ne manque pas néanmoins d’asséner quelques rappels historiques bienvenus

sur le rôle des Afro-américains durant cette guerre : représentant 11 % de la population américaine, ils étaient 32 % parmi les troupes envoyées au front. Ni de souligner les divisions de la communauté noire de son pays un demi-siècle plus tard : « Je roule pour moi, j’en ai marre de me faire avoir », explique ainsi l’un de ces vétérans (rejoint par son fils, qui incarne la nouvelle génération), portant fièrement la casquette « Make America Great Again », le slogan de Trump. Entre comédie et film de guerre, le message politique au final n’est pas toujours très clair. ■ J.-M.C. DA 5 BLOODS : FRÈRES DE SANG (États-Unis), de Spike Lee. Avec Delroy Lindo, Clarke Peters, Chadwick Boseman. Disponible sur Netflix.

SÉRIE

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Familles cabossées

UNE SAGA IVOIRIENNE LUXUEUSE et agitée autour de la production de cacao… Deux clans s’affrontent pour des cabosses de « l’or brun », dont une riche famille victime d’une tentative d’assassinat. Quand le fils, fâché avec son père, revient du Canada pour assurer l’intérim des affaires, jalousies et ambitions vont s’exacerber. Beaux gosses, jolies filles (et femmes puissantes), intrigue documentée : les 12 épisodes placent la saga télévisée dans le haut du panier. Le casting panafricain (le Gabonais Serge Abessolo en patriarche, aux côtés de l’Ivoirienne Naky Sy Savané) et les superbes décors de la région de la Nawa achèvent de faire exister la ville imaginaire de Caodji. ■ J.-M.C. CACAO (Côte d’Ivoire), d’Alex Ogou. Avec Serge Abessolo, Olivier Kissita. Disponible sur Canal+ Afrique.


Le Hillbrow Counselling Centre, à Johannesbourg.

ARCHI

LOCAL STUDIO

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De l’avant-garde au SERVICE DE LA COMMUNAUTÉ et des petits budgets.

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FONDÉ EN 2012 PAR THOMAS CHAPMAN, le cabinet sud-africain Local Studio a joué un rôle majeur dans la rénovation du centre-ville de Johannesbourg. La firme a remporté l’Architectural Vanguard Award 2018, décerné aux meilleurs architectes émergents du monde, et continue de s’appliquer à réinventer l’habitat et les infrastructures sociales. Parmi ses projets les plus marquants, on trouve le Hillbrow Counselling Centre, une structure semi-transparente, reliée à un bâtiment préexistant par un pont suspendu constitué d’un vieux conteneur. La façade laisse percevoir les silhouettes des personnes qui s’y déplacent à l’intérieur, sans pour autant les exposer aux regards. Plus récemment, le cabinet a appliqué l’expérience qu’ils ont accumulée en milieu urbain dense à un projet pour la communauté rurale de la province de Limpopo : deux dortoirs pour une ONG, presque entièrement autonomes et réalisés à partir de matériaux locaux, destinés à accueillir plus de 200 jeunes. Pour leur garantir un peu d’intimité, les architectes ont joué avec la lumière, les fenêtres et les murs intérieurs, qui délimitent les espaces sans les fermer. ■ L.N. localstudio.co.za

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PARCOURS

Amin Sidi-Boumédiène AVEC SON PREMIER FILM, ABOU LEILA,

le cinéaste algérien questionne les mécanismes de la violence. Après trois courts-métrages, il nous plonge dans la décennie noire avec cette œuvre puissante et singulière, telle une catharsis.

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propos recueillis par Astrid Krivian

é en 1982, Amin Sidi-Boumédiène grandit à Alger. Si les salles de cinéma font défaut, il est un cinéphile en herbe grâce aux cassettes VHS louées au vidéoclub ou prêtées par son grand frère. Et découvre sur Canal+ des films d’auteur du monde entier. Son premier choc : Shining, de Stanley Kubrick. Après son bac, il suit des études de chimie en France à Paris, en 2000. « Des années d’apprentissage. Je vivais enfin la jeunesse que la décennie noire en Algérie nous avait volée », confie-t-il. Licence en poche, décidé à suivre sa propre voie, il s’inscrit au Conservatoire libre du cinéma français. Et renforce sa culture cinématographique. « Plus je regardais des films, plus j’avais envie d’en faire. » Esprit critique mais ouvert, il est notamment marqué par le surréalisme de Buñuel, les cinémas européens, américains, japonais des années 1960 et 1970, les films coréens contemporains. Lui qui écrit depuis l’enfance s’abreuve aussi de littérature allemande ou sud-américaine. « Comme beaucoup d’Algériens, le réalisme magique, l’irruption du fantastique dans le réel me touchent. » Il apprend rigoureusement chaque étape de fabrication d’un film, fait des stages en régie sur les plateaux, devient assistant : « Connaître les différents aspects m’a permis d’effectuer en toute conscience mes choix de mise en scène. » Son inspiration jaillit à son retour au pays natal, après avoir obtenu son diplôme en 2005. « Beaucoup de cinéastes de ma génération réalisaient des courts-métrages, on sentait une émulation. On voulait participer à la renaissance du cinéma algérien, alors que le système ne le permettait pas vraiment. » Après trois courts-métrages, dont L’Île, Prix du meilleur film au Festival d’Abu Dhabi, il signe son premier long, Abou Leila, puisant dans son adolescence assombrie par la guerre civile. En 1994, alors que les assassinats s’intensifient dans le pays, deux hommes traversent le désert pour traquer un terroriste. Le film ne s’attache pas aux faits mais aux sentiments liés à ces événements. « La situation était trop confuse pour se résumer en une chronique sociale ou politique de deux heures. » Il explore l’intériorité des personnages, leurs pulsions et hallucinations. Une immersion mentale, inspirée des angoisses et cauchemars du cinéaste, qui questionne les mécanismes de la violence, contaminant chaque être, même innocent. Ce film baroque convoque les genres et les déjoue, « proche du rock progressif, passant d’un style à l’autre en gardant sa personnalité ». Le réel et le rêve se confondent. « Pendant cette décennie, on ne savait plus si l’on baignait dans un cauchemar ou la réalité. On ne comprenait pas les tenants et les aboutissants. » Le langage sonore traduit un hors-champ oppressant, le danger invisible qui rôde. Le réalisateur emploie des symboles, images archétypales issues de la mythologie, de la religion, enfouies dans la mémoire et l’inconscient collectifs. Telle la notion de sacrifice. « Les victimes du terrorisme, civils innocents, sont aussi des sacrifiés. » Abou Leila fut pour lui une catharsis : « Nous, artistes de ma génération, sommes obsédés par cette période. Il y a encore tant à dire. La pluralité des points de vue permettrait aussi de la regarder en face, de soigner les traumatismes et les dépasser. » ■

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FRANCK FERVILLE/AGENCE VU

«Pendant cette période, on ne savait plus si l’on baignait dans un cauchemar ou la réalité.» AFRIQUE MAGAZINE

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C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

DOM

TOURISME À DOMICILE ! Je sais, le sujet est l’un des chouchous du « C’est comment ?» Mais là, l’occasion est trop belle pour ne pas en remettre une petite couche pour tous… Juillet verra certains d’entre vous prendre des vacances. Après les confinements et autres auto-confinements imposés par la pandémie de Covid-19, ceux qui ont télétravaillé, gardé leur emploi ou thésaurisé auront les moyens et l’envie de bouger un peu et de partir en villégiature. Mais cette fois-ci, le choix du tourisme domestique risque de s’imposer. Les frontières seront fermées pour la plupart, les hôtels loin d’être tous rouverts dans le monde, et les mesures de sécurité à l’entrée des pays « open », avec souvent quatorzaine et tout le tintouin, pas gérables. En revanche, se balader dans les régions inconnues de son propre pays (enfin !) sera recommandé. Également pour s’éloigner, au passage, des capitales qui cristallisent le plus souvent le plus grand nombre de cas de Covid. Vive la campagne, le village familial et au-delà, la découverte du désert, des forêts, des plages, des pics rocheux, des volcans. On va vous épargner la liste incommensurable de beautés sublimes à découvrir sur son territoire, les mêmes qui attirent les touristes étrangers chaque année « non Covid ». De plus, prendre ses vacances chez soi, si je puis dire, aura un avantage énorme : soutenir un peu l’industrie touristique locale, totalement mise à genoux par la pandémie. Trekking en dirhams, jet-ski en rands ou balades en forêts primaires en francs CFA coûteront souvent moins cher aux consommateurs et participeront utilement au soutien des économies nationales. Connaître un peu mieux son pays, redécouvrir ses racines ou partir à la rencontre d’autres cultures que celle de son seul village permettra peutêtre de dépasser les clichés et les idées reçues sur les autres peuples qui composent sa propre société. Et accessoirement, on entendra moins « Au Nord, ils sont comme ci ou comme ça », ou « Au Sud, les gens font ci ou ça », de personnes n’ayant jamais mis un pied dans les régions en question. Alors, n’hésitez pas cette année à partir à l’aventure chez vous. C’est ce que feront la plupart des peuples du monde. Profitez-en à l’heure où pas mal de prédictions chagrines et scientifiques prévoient de nouvelles vagues du virus dans les deux ou trois mois qui viennent… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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