AM 426 Free

Page 1

LE MONDE D’APRÈS

DU COVID-19 À VLADIMIR POUTINE

MALI OU LE COUP D’ÉTAT PERMANENT L’ALGÉRIE, 60 ANS DEPUIS ÉVIAN LA FIN DE LA FRANCE EN AFRIQUE ? Assimi Goïta.

L’interview d’Amzat Boukari-Yabara

RDC : LES PIÈCES À CONVICTION par Thierry Michel

CÔTE D’IVOIRE : L’EXIGENCE SOCIALE Un dossier de 27 pages

ABDELLAH TAÏA : « L’ÉCRITURE EST UN FEU » N °4 2 6 - M A R S 2 0 2 2 France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $ DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

L 13888 - 426 H - F: 4,90 € - RD


C’est mon talent qui dessine mon avenir.

SC BTL-0 /2 - Crédits photos : © Patrick Sordoillet.

PATRICIA AHOURO RESPONSABLE DU CUSTOMER SERVICE

S’ENGAGER

plus EN FAVEUR DE LA PARITÉ

Bolloré Transport & Logistics compte déjà 30% de femmes dans ses effectifs et accélère aujourd’hui la féminisation de ses métiers. En formant et en accompagnant les collaboratrices tout au long de leur carrière nous leur offrons des perspectives à la hauteur de leurs talents.

N O U S FA I S O N S B I E N

plus Q U E D U T R A N S P O R T E T D E L A L O G I S T I Q U E


édito LE MONDE D’APRÈS C’était au pire de la pandémie de Covid-19. On parlait du monde d’après, des options, des solutions, des priorités, du retour à la vie, et aux projets. Le Covid est encore là, peut-être tapi, attendant de distiller son énième variant. Et la guerre, elle, est arrivée, brutalement, dans la nuit du 23 au 24 février. Les forces de la fédération de Russie sont entrées en Ukraine, nation souveraine, pour une « opération militaire spéciale ». En réalité, un conflit majeur aux répercussions systémiques et internationales. Les images de ce monde d’après sont stupéfiantes. Les bombardements, les missiles, les tanks. Les civils sous le feu, les victimes, les villes détruites. Et le spectre de l’arme atomique… Nous voilà donc dans ce fameux monde d’après. On peut comprendre, et admettre, les impératifs de sécurité de la Russie, sa volonté de stopper la progression de l’OTAN vers l’est, de poser sur la table des « exigences » pour un nouvel arrangement sécuritaire en Europe, à ses frontières. Qui dépasse les arrangements post-1945, puis ceux qui suivirent le démantèlement du pacte de Varsovie. Et qui implique la « neutralité » (un concept à définir) de certains de leurs voisins. Et on se doute que les États-Unis auront cherché à pousser leur avantage depuis 1991 et la chute de l’URSS. À élargir l’OTAN. On se doute aussi qu’ils auront soutenu, en Biélorussie, et surtout en Ukraine, les mouvements pro-occidentaux. Et que les États-Unis auront poussé Kiev à manifester une forme d’assurance, de témérité, sans évidemment qu’ils n’aient réellement l’intention de les défendre en cas de catastrophe, les laissant presque à nu face à l’armée russe… On peut se dire qu’il aurait fallu, que oui l’on aurait dû imposer des lignes rouges à la politique d’intimidation russe, à la violence, après la Tchétchénie, et la Crimée, et la Syrie… Que l’on aurait dû trouver les moyens de dire stop à Vladimir Poutine. AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

PAR ZYAD LIMAM

Et que cette guerre concerne le « Nord », l’Occident, les Russes, les Européens, les Américains, et que l’indignation est tragiquement sélective, et que lorsque les États-Unis ont quasiment rayé l’Irak (ou d’autres pays) de la carte, personne ne s’est levé, que les Palestiniens sont soumis à l’occupation depuis plus de cinquante ans, que le Yémen est en proie à une guerre menée par l’Arabie saoudite, etc. Et que tout le monde s’en fiche, que tout le monde accepte. Oui, on peut comprendre et décrypter, et relativiser. Mais, à la fin des fins, l’invasion de l’Ukraine reste une agression caractérisée, inacceptable. Une attaque massive sans motif impérieux, envers une nation relativement démocratique, avec des leaders élus. Une attaque à dix contre un, avec la destruction massive et le ciblage des civils comme stratégie militaire. S’appuyant sur des casus belli factices ou surréalistes (« dénazification », protection des citoyens russophones, autonomie du Donbass…). La vérité est ailleurs. Pour Vladimir Poutine, l’idée, ce n’est pas uniquement de repousser l’OTAN (ou la très virtuelle possibilité que l’Ukraine rejoigne un jour lointain l’OTAN). Le projet, l’ambition, c’est d’effacer l’Ukraine indépendante, de l’absorber dans la mère patrie. De repousser l’Occident, d’humilier « cet empire du mensonge », ces pays de « trouillards », de prendre une revanche sur l’histoire, de rétablir la grande Russie – pas celle des communistes, plutôt celle des tsars. C’est de recréer la grande empreinte d’un empire russo-centré, qui réduit au silence ses propres minorités, qui conteste l’existence de l’Ukraine, de la Biélorussie, de la Moldavie, de la Géorgie, et même du Kazakhstan, et peut-être aussi celle des républiques baltes. Et d’autres encore… Sous couvert de sécurité, c’est une guerre impériale, de reconquête, avec un coût humain insupportable. Au XXIe siècle. Une guerre d’autant plus impériale, coloniale même, que la plupart de ces peuples, la grande majorité des Ukrainiens, des Biélorusses, des Géorgiens, des Moldaves veulent intégrer l’Union européenne, le système des démocraties libérales 3


(au moins sur un plan nominal). Les Ukrainiens et les Biélorusses sont des cousins et des frères qui tentent désespérément de s’éloigner de « la famille »… Et la Russie, face à cette contestation, à cette demande d’émancipation, ne propose que la force et la contrainte. Subjugation d’ailleurs nécessaire au maintien, à la survie d’un pouvoir autoritaire à Moscou. Cette guerre, c’est tout d’abord celle d’un seul homme, Vladimir Poutine, maître étonnamment incontestable, qui a su réincarner un rêve de puissance, qui a constamment utilisé la guerre comme une arme politique (en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine…), qui a dangereusement rallumé les feux du nationalisme russe (et « Le nationalisme, c’est la guerre », disait François Mitterrand…). C’est la guerre d’un homme isolé, rationnel ou irrationnel (les deux ne sont pas incompatibles), qui approche des 70 ans, et qui peut contempler sa finitude, la limite du temps. Un homme solitaire, entouré de quelques oligarques corrompus et soumis et de rares hommes de main fidèles – formés comme lui à l’école du KGB –, qui tiennent le pays. C’est la guerre d’un pays doté d’une formidable puissance atomique, presque égale à celle des États-Unis. L’arme nucléaire, cauchemar de l’humanité, carte ultime de la Russie. C’est aussi la guerre d’un pays « pauvre », dont le nombre d’habitants (144 millions) décline, dont l’économie (1 500 milliards de dollars de PIB) « pèse » moins que celle de l’Italie (1 880 milliards de dollars), dépend des technologies importées, et qui ne vit que de la rente pétrolière et gazière. Un pays fondamentalement en crise, tourné vers les rêves du passé, au lieu de s’investir dans les projets d’avenir. La guerre, on sait comment y entrer, mais on ne sait jamais comment on va en sortir… L’invasion de l’Ukraine ne se déroule pas véritablement comme prévu, les Ukrainiens résistent de manière acharnée. Une nation est née. Un héros aussi, avec Volodymyr Zelensky, président courage, maître de la communication planétaire. Et la Russie, en bombardant « ses frères », donne naissance à des générations de résistants. L’issue de la bataille, déséquilibrée, ne fait pas de doute. Mais comment, hors la négociation et le compromis juste, la Russie pourrait-elle contenir, contrôler un pays foncièrement hostile de 45 millions d’habitants, le deuxième plus grand d’Europe continentale ? Avec quelles ressources ? Avec combien de dizaines de milliers d’hommes en permanence ? Avec quel leader autoproclamé qui ne serait pas haï comme un traître ? Et en faisant face à quelle résistance ? 4

L’OTAN, les États-Unis, l’Europe ne se sont pas engagés dans une confrontation militaire directe aux conséquences potentiellement dévastatrices. Toujours cette option nucléaire, et puis, on ne mourra pas pour Kiev – « Ce n’est pas vital. » Mais en quelques jours, l’Occident a mis en place un « paquet » de sanctions comme jamais vu dans l’histoire moderne. En quelques jours, la Russie a été littéralement coupée d’une grande partie du reste de la planète, économiquement, culturellement, même physiquement (avec la fermeture des espaces aériens). Un débat s’ouvre sur la nécessité de se passer du pétrole et du gaz russes. Ou de réduire cette dépendance. D’asphyxier l’empire… Les embargos et les sanctions sont toujours contournables, la Russie est résiliente, c’est un grand pays, et ce n’est pas demain la veille que l’on pourra se passer de son gaz ou de son pétrole. Mais le prix à payer pour la Russie, par les citoyens russes, va être immense. En particulier pour ces élites urbaines, pour la jeunesse éduquée, pour les créatifs, pour les entrepreneurs qui se retrouvent face à un quasi-no futur. L’exil va devenir une option. En quelques jours, trois décennies d’intégration dans l’économie globale auront été annihilées. La Russie va devenir instable, appauvrie. Acculée et déstabilisée, donc dangereuse. Les parts rationnelles et irrationnelles de Poutine, de son entourage proche, vont devenir des facteurs essentiels de la sécurité ou de l’insécurité du monde. Un dérapage, une fuite en avant, une modification des équilibres intérieurs, une rupture, tout est possible… L’Europe, « bourgeoise », ramollie par plus de soixante-dix ans de paix et de prospérité, se retrouve, elle, avec un ennemi intime puissant et permanent à sa porte. Elle a découvert en elle aussi une unité, un sens du destin commun, par sa fragilité et par la nécessité d’assumer une plus grande part de sa sécurité. Les budgets militaires vont exploser, en premier lieu en Allemagne. Les pays « neutres » (Finlande, Suède…) seront tentés de ne plus l’être. Ou de rejoindre l’OTAN, accentuant les tensions militaires. À court terme, la crise risque de provoquer une tempête économique majeure de part et d’autre de ce nouveau « mur ». L’instabilité, la guerre, l’envolée vertigineuse des prix de l’énergie, l’inflation vont rendre toute reprise post-Covid très hasardeuse. Le cours du blé atteint des hauteurs stratosphériques, comme celui d’autres denrées alimentaires. Les pays émergents, les pays les plus fragiles risquent de payer la facture la plus lourde avec toutes les conséquences politiques possibles. AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022


MIKHAIL KLIMENTYEV/SPUTNIK/AFP

Le président russe Vladimir Poutine avec des hauts gradés de l’armée au Kremlin, à Moscou.

L’ordre géopolitique du monde va bouger. La Russie tentera de se désencercler en s’appuyant sur des puissances secondaires et tertiaires comme l’Inde, le Pakistan, les pays du Golfe, Cuba, le Venezuela… Elle tentera de se poser comme un contrepoids à l’hégémonie occidentale, de générer des vocations en Afrique et aux quatre coins du monde. Ce plan dépendra de la capacité russe à contourner les sanctions, à sortir de la guerre d’Ukraine. Et il dépendra essentiellement de la Chine. La Chine, « ami indéfectible » selon les communiqués, puissance globale, économique et militaire, à portée de Taïwan… Une Chine combative, décidée à promouvoir un nouvel équilibre du monde aux dépens des États-Unis, et de l’économie dollar. Mais une Chine soucieuse aussi et avant tout de sa stabilité interne. Et de son vieillissement, de sa dévitalisation démographique. L’Afrique sera l’un des enjeux de cette désorganisation-réorganisation géostratégique du monde. Elle ne pourra pas rester à l’écart des réalignements, plaider le « cela ne nous regarde pas ». L’impact économique sera là. Et les alliances et les contre-alliances trouveront chez elle un terrain certainement fertile, auprès d’États AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

fragiles. Comme nous l’avons écrit dans ce magazine, le continent est instable, morcelé, mais il est incontournable. Il est au centre du monde. C’est le continent « jeune », avec une démographie favorable, riche de son sol, de son sous-sol, de ses potentialités. La guerre est une barbarie, la preuve qu’une part de notre humanité est tentée de rejouer éternellement les tragédies du passé, de favoriser la loi du plus fort contre le plus faible, de penser territoires, conquêtes, butins. Mais le monde change. L’économie elle-même se transforme. Aujourd’hui, la connaissance et l’intelligence sont la clé du pouvoir, de la richesse, du progrès, et cela ne se conquiert pas, cela ne se soumet pas. Les enjeux auxquels nous devons faire face, ceux qui menacent notre existence (en dehors de l’arme atomique), dépassent le cadre étroit du monde d’hier. L’usure de notre planète, le réchauffement climatique, la déforestation, la pollution, les migrations massives, le Covid-19 et les virus à venir, tout cela n’a pas de frontières, pas de territoires. Les enjeux du millénaire, le futur devraient nous transcender, nous rassembler, nous éloigner des identités parcellaires et meurtrières. C’est cela, le vrai monde d’après. ■ 5


N °4 2 6 M A R S 2 0 2 2 ÉDITO Le monde d’après

30

par Zyad Limam

par Emmanuelle Pontié, Hussein Ba et Boubacar Haïdara

ON EN PARLE

8

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

40

De retour sur Seine

78

PARCOURS Diadié Dembélé

26

par Astrid Krivian

48

60 ans après Évian par Cédric Gouverneur

Amzat Boukari-Yabara : « La diplomatie française en Afrique est obsolète » par Astrid Krivian

C’EST COMMENT ? C’est déjà trop tard !

29

TEMPS FORTS Mali : Le mal d’État permanent

par Emmanuelle Pontié

84 Thierry Michel RDC : Les pièces à conviction

CE QUE J’AI APPRIS Diouc Koma

90

par Jean-Marie Chazeau

par Astrid Krivian

114 VINGT QUESTIONS À… Sahad par Astrid Krivian

Abdellah Taïa : « L’écriture est un feu » par Fouzia Marouf

94

51

Luxury Africa par Luisa Nannipieri

DÉCOUVERTE UNE CÔTE D’IVOIRE POUR TOUS par Zyad Limam, Francine Yao et Emmanuelle Pontié

Objectif inclusivité ! Face aux inégalités Accompagner les plus vulnérables 60 Pour une révolution du système éducatif 64 L’adéquation formation-emploi 66 Soutenir et autonomiser les femmes 68 La stratégie Nord 70 Le droit aux soins 72 Judith Didi-Kouko Coulibaly : « Thérapies spécifiques et politique sociale » 74 La carte électricité, le facteur eau 52 56 59

LE MONDE D’APRÈS

DU COVID-19 À VLADIMIR POUTINE

MALI OU LE COUP D’ÉTAT PERMANENT L’ALGÉRIE, 60 ANS DEPUIS ÉVIAN LA FIN DE LA FRANCE EN AFRIQUE ? Assimi Goïta.

L’interview d’Amzat Boukari-Yabara

RDC : LES PIÈCES À CONVICTION par Thierry Michel

CÔTE D’IVOIRE : L’EXIGENCE SOCIALE Un dossier de 27 pages

ABDELLAH TAÏA : « L’ÉCRITURE EST UN FEU » N °4 2 6 - M A R S 2 0 2 2 France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $ DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

AM 426 COUV.indd 1

L 13888 - 426 H - F: 4,90 € - RD

08/03/2022 20:34

PHOTOS DE COUVERTURE : SHUTTERSTOCK - NICOLAS RÉMÉNÉ/LE PICTORIUM - SEPTPHOTO - DR - MARTIN COLOMBET

P.08 P.51

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

6

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

DR - MARTIN COLOMBET

3


FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin

llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com

P.30

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Hussein Ba, Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Boubacar Haïdara, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Olivia Marsaud, Luisa Nannipieri, Carine Renard, Sophie Rosemont, Francine Yao.

P.40

NICOLAS RÉMÉNÉ/LE PICTORIUM - REPORTERS ASSOCIÉS/GAMMA-RAPHO - DOOK PHOTO

102 106 108 109

BUSINESS

Sommet UE-UA : Et maintenant ? Meriem Berrada : « Il nous faut collaborer ensemble » Le poids croissant de Moscou en Afrique Énergie : une solution à la crise européenne ?

P.94

par Cédric Gouverneur et Emmanuelle Pontié

110 111 112 113

VIVRE MIEUX Fatigue : L’autre vague qui préoccupe Pourquoi a-t-on le hoquet ? Venir à bout de la sécheresse oculaire Les eaux minérales et leurs vertus par Annick Beaucousin et Julie Gilles

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

VENTES EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

ABONNEMENTS

Com&Com/Afrique Magazine 18-20, av. Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ regie@afriquemagazine.com AM International 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél. : (33) 1 53 84 41 81 Fax : (33) 1 53 84 41 93

AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : mars 2022. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022.

7


ON EN PARLE

DR (2) - JIM WINSLET

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

Comme pour l’édition précédente, 1-54 prendra ses quartiers dans la maison de vente aux enchères Christie’s.

8

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022


ÉVÉNEMENT

DE RETOUR SUR SEINE

Initialement prévue à Marrakech, l’INCONTOURNABLE FOIRE ITINÉRANTE fait à nouveau escale chez Christie’s, à Paris. AVANT LA PANDÉMIE, l’événement, fondé en 2013 par la Marocaine Touria El Glaoui, déclinait ses éditions annuelles à Londres, New York et Marrakech. Les éditions 2021 et 2022 de la ville rose ont malheureusement dû etre annulées pour raisons sanitaires. Cette année, comme « 1-54 », l’année dernière, la manifestation revient Christie’s, donc à Paris, accueillie par la prestigieuse Paris maison de ventes aux enchères de l’avenue (France), du Matignon. Coïncidant avec le rendez-vous 7 au 10 avril. majeur pour l’art moderne et contemporain 1-54.com / Art Paris, 1-54 réunira plus de 50 artistes artsy.net du continent et de la diaspora et 22 exposants internationaux, dont les galeries Cécile Fakhoury, Magnin-A, Nathalie Obadia, The Third Line ou Loft Art Gallery. Devenue incontournable, la foire 1-54, en référence aux 54 pays qui constituent le continent, participe activement à la notoriété et à la cote des artistes africains. Sa mise en ligne, du 7 au 10 avril, sur la plate-forme Artsy, partenaire historique de l’événement, permettra également à toutes les œuvres présentées d’être vues et achetées dans le monde entier. ■ Catherine Faye

La fondatrice Touria El Glaoui.

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

9


ON EN PARLE SOUNDS

À écouter maintenant !

❶ La Bronze

Vis moi, Audiogram/ The Orchard

Depuis 2015 et une reprise très réussie de Stromae, La Bronze façonne un répertoire singulier qui s’affirme ici dans toute sa richesse. Quelque part entre la chanson et une pop parfois contaminée d’électro ou de rock, la chanteuse et actrice montréalaise incarne sa musique aussi bien en français qu’en arabe – en témoigne le superbe « Haram ». Sans oublier de rappeler, dans « Sois ferme, la ferme », qu’elle ne compte pas se laisser marcher sur les pieds…

❷ Ronisia

CHEIKH IBRA FAM Magique afropop

Son premier album officiel international démontre toute la SENSIBILITÉ DU CHANTEUR et multi-instrumentiste sénégalais. N NOUVEAU MENEUR du mythique Orchestra Baobab, puis dans un projet du O nom de Freestyle ; amoureux des sonorités n de son pays natal, le Sénégal, comme de d ll’afrobeat et de l’électro-pop contemporaine. Le voici tel qu’il est, Cheikh Ibra Fam. L Enregistré en Gambie avec son oncle, E lle guitariste Coly Cissé, Peace in Africa CHEIKH IBRA FAM, est une mixture polyglotte et hybride où Peace in Africa, l’on entend cuivres et kora, boîtes à rythmes Soulbeats et guitares sèches, soul, reggae ou encore Music/Safiko. jazz. De quoi rêver, mais aussi (et surtout) danser. Côté collaborations, c’est également très riche : Mo’Kalamity, Cheikh Lô, Mamy Kanouté, le saxophoniste Thierno Koite, et aussi le regretté Balla Sidibé, que l’on entend sur « The Future », enregistré trois jours avant sa disparition, en juillet 2020. ■ Sophie Rosemont 10

D’origine cap-verdienne, cette chanteuse de Grigny, en banlieue parisienne, a seulement 22 ans mais fait déjà preuve d’une belle assurance. Révélée par sa reprise du « Dilemma » de Nelly et Kelly Rowland, ou lors de premières parties de Burna Boy et Dadju, elle propose avec ce premier album un discours averti sur l’état amoureux, nourri de R’n’B et d’afropop. Hormis les duos avec Ninho ou Tiakola, elle assure tout seule. Irrésistible !

❸ Bonga

Kintal Da Banda, Lusafrica

Un demi-siècle de carrière pour le chanteur angolais et portugais d’adoption depuis 1965, qui reste fidèle à la semba de son cœur. Une quarantaine d’albums, un titre de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres… et un nouvel album qui, face à l’actualité désastreuse de sa contrée natale, prend le parti d’enchanter notre décor, grâce aux vents, aux cuivres et à une belle énergie, toujours contagieuse. En bonus : un joli duo avec Camélia Jordana. ■ S.R.

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

IBRAHIMA KHALIOULAH - DR (4)

HYBRIDE

Ronisia, Epic Africa


De gauche à droite, Mona Zaki, Adel Karam, Nadine Labaki et Georges Khabbaz vont jouer à un jeu dangereux…

FILM

CARTES SIM SUR TABLE

RUDY BOU CHEBEL/NETFLIX - DR

Un dîner entre amis qui tourne au cauchemar à cause des téléphones de chacun… Le PREMIER FILM ARABE DE NETFLIX fait s’étrangler les plus conservateurs. DÉCLINAISON D’UN FILM ITALIEN à succès (Perfetti Sconosciuti), un dîner dans la maison bourgeoise d’une famille arabe va mal tourner. Trois couples et un ami venu seul décident en début de repas de poser leurs téléphones portables sur la table, promettant de lire à haute voix et d’écouter avec le haut-parleur les messages qui pourraient arriver. Or, comme le dit l’un des convives : « On a toute notre vie dans ces téléphones ! » Ainsi, tromperies, petits et gros mensonges, et même un coming out vont être révélés. Ce jeu de massacre réjouissant est porté par d’excellents comédiens libanais et égyptiens, mais il a irrité les esprits les plus conservateurs : adultères, homosexualité, contraception, AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

vin qui coule à flots… Un député égyptien y a vu des « scènes pornographiques » (même s’il n’y a aucune image érotique) portant atteinte aux valeurs de la famille, allant jusqu’à demander l’interdiction de Netflix, dont c’est la première coproduction dans la région. Un avocat a également saisi la justice égyptienne. Mais le succès du film dans le monde arabe ne se dément pas. La version initiale italienne avait d’ailleurs reçu en 2016 le prix du meilleur scénario… au Festival international du film du Caire. ■ Jean-Marie Chazeau ON SE CONNAÎT… OU PAS (Liban-Égypte) de Wissam Smayra. Avec Nadine Labaki, Mona Zaki, Eyad Nassar. Sur Netfl ix. 11


ON EN PARLE Le septième épisode suit des danseurs ivoiriens.

MIX

24 artistes de huit pays du continent, du Maroc au Botswana, démontrent l’étendue de leur talent et la richesse de la NOUVELLE SCÈNE ARTISTIQUE africaine. UN SLAMEUR IVOIRIEN qui déclame en tagwana après avoir cité le dramaturge français Corneille, une plasticienne tunisienne qui utilise le Facebook d’une inconnue pour dessiner sa vie dans une exposition, ou encore un groupe de heavy metal au cœur du Botswana : C’Katcha, Hela Lamine et Skinflint font partie des 24 artistes rencontrés pour la nouvelle saison de Y’Africa. Un titre né de la contraction de « Africa Ya lelo » (« l’Afrique d’aujourd’hui » en lingala), pour une série documentaire initiée en 2020 avec succès : 15 chaînes de télévision africaines avaient diffusé la première saison, dont les extraits via les réseaux sociaux ont dépassé les 13 millions de vues. Une production d’Orange dédiée aux cultures africaines qui s’ouvre au-delà de la francophonie. Ces huit nouveaux épisodes hebdomadaires terminent leur diffusion d’ici avril, selon les pays. Du Maroc à la Sierra Leone, en passant par le Sénégal ou le Liberia, ils et elles sont stylistes, photographes, musiciens, sculpteurs, chorégraphes… et affirment avec talent leur caractère et leur parcours, fruit de beaucoup de travail. Parmi ces fortes personnalités, la rappeuse MC Caro explique dans un bidonville du Liberia comment elle a acquis l’autorité nécessaire pour faire passer ses messages, consciente du pouvoir que les artistes peuvent avoir sur des populations traumatisées par la guerre ou qui se réfugient dans la drogue. Une bouffée de créativité et d’optimisme. Et bonne nouvelle : une troisième saison est en chantier ! ■ J.-M.C. Y’AFRICA, SAISON 2 (France), série documentaire de Dan Assayag. Sur 15 chaînes africaines et la chaîne YouTube d’Orange. 12

RÉFLEXION

REGARDS CROISÉS Un roman à clés, qui tente de démêler le vrai du faux d’une Afrique ambiguë. LEVER LE VOILE. C’est l’image qui vient à l’évocation des ouvrages jubilatoires et sans détours de l’écrivain subversif togolais, lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire 2004, pour La Fête des masques, et du Prix Ahmadou Kourouma 2007, pour Le Paradis des chiots. Décrivant la candeur et l’extrême violence, le désir et le morbide, ou encore les contradictions d’une Afrique contemporaine excessive, il n’hésite pas à choquer. Dans son dernier texte, le romancier et essayiste convoque les « sommités en anthropologie, en ethnologie et en sociologie, Georges Balandier, Michel Leiris, Pierre Bourdieu, Claude Lévi-Strauss ou Raymond Aron, pour n’en citer qu’un tout petit échantillon », afin de dresser le panorama d’un continent aux frontières du réel, du concept, du fantasme. Au fil des pérégrinations de son personnage, un Français parti pour des recherches doctorales dans un village du Togo, c’est une méditation sur les failles de la connaissance de l’histoire africaine que l’auteur nous propose. Car comment penser une Afrique conforme à la réalité lorsque le regard élaboré par les Européens imprègne jusqu’à l’idée que se font les intellectuels africains de leur propre monde ? Ce n’est pas un hasard si L’Aventure ambiguë, de Cheikh Hamidou Kane, a inspiré ce récit à Sami Tchak : l’histoire d’un jeune Peul confronté à la culture occidentale, qui perd peu à peu la foi, renonce à devenir marabout et entame des études de philosophie. Ce n’est que par une réflexion rationnelle et critique que l’on pourra accéder à une compréhension tangible du monde. Et de soi. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

DAN ASSAYAG - DR (2)

SÉRIE

LE GRAND

SAMI TCHAK, Le Continent du Tout et du presque Rien, JC Lattès, 320 pages, 20,90 €.


Blue Lab Beats FUSION

TERRAIN DE JEU SONORE

Ce duo de producteurs londoniens interroge ses RACINES AFRICAINES tout en explorant le jazz et le R’n’B contemporains. Passionnant. AU PRINTEMPS 2021, leur premier EP paru chez le prestigieux label Blue Note, We Will Rise, intronisait déjà leur art musical, nourri de multiples influences. R’n’B des années 1990, deep soul, dubstep, jazz, afrobeat… « C’est ce qu’écoutaient nos parents quand nous étions plus jeunes, répondent NK-OK et Mr DM. Ces rythmes incroyables de Fela Kuti, John Coltrane, Patrice Rushen, Roy Ayers ou Public Enemy qui résonnaient dans notre foyer sont désormais comme implantés dans nos cerveaux. » De quoi nourrir ce premier album, Motherland Journey, fort de titres imparables tels « Labels », « I’ll Be Here For You », « Sensual Loving » ou le morceau-titre, enregistré à Accra. « Lorsque nous étions au Ghana, nous avons assisté à beaucoup de défilés de rue avec des instruments de percussion traditionnels. La scène des clubs est tellement différente, il y a tellement d’amour et de passion dans l’air… Bien sûr, le nouvel album de Wizkid était également très inspirant. » L’opus de Blue Lab Beats porte bien son nom : il a nécessité plus de deux ans de travail, orchestré par le duo, qui a été rejoint ici et là par d’autres artistes enthousiastes à l’idée d’investir ce foisonnant terrain de jeu sonore : Jerome Thomas, KillBeatz, Tiana Major9, Poppy Daniels, Ghetto Boy et le regretté Fela Kuti, dont la voix et l’énergie résonnent sur « Motherland Journey ». ■ S.R.

BLUE LAB BEATS, Motherland Journey,

DR (2)

Blue Note.

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

13


KAREN PAULINA BISWELL

ON EN PARLE

14

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022


INTE RVIEW

ROKIA KONÉ

ENTRE DEUX CONTINENTS

La ROSE DE BAMAKO publie son premier album international Bamanan, produit par le producteur irlandais à succès Jacknife Lee. Une merveille ! C’EST L’UNE DES AMAZONES D’AFRIQUE, du nom de ce supergroupe féminin qui, formé au Mali en 2015, célèbre le charisme vocal, l’engagement féministe, l’attachement à la poésie et aux traditions, mais aussi la curiosité artistique de ses membres. Née à Dioro, un village près de Ségou, Rokia Koné a grandi entourée de chanteurs… Aujourd’hui, elle s’allie avec le producteur irlandais Jacknife Lee. Ses faits d’armes ? Entre autres, les disques de U2, Bloc Party, Taylor Swift ou encore REM. Avec Rokia Koné, ils ont confectionné le très réussi Bamanan. Entre sonorités synthétiques et rythmes mandingues, il raconte la violence, mais aussi l’amour, rappelle l’inégalité criante des sexes et demande justice. AM : Comment est née cette collaboration avec Jacknife Lee ? Rokia Koné : Il a découvert ma musique

KAREN PAULINA BISWELL

C’est ce qui compte le plus pour vous, d’ouvrir votre culture au monde ?

Oui, car à l’avenir, les gens n’écouteront plus la musique malienne, du moins pas de la façon dont nous l’incarnons aujourd’hui. Il est important d’expérimenter et de développer ses sonorités. En travaillant avec Jacknife Lee, j’ai eu I

426 – MARS 2022

En quoi la culture bambara est-elle cruciale dans Bamanan ?

Au cœur de l’album, trois morceaux font référence à l’histoire et aux histoires du Mali transmises de génération en génération par les griots : « Anw Tile », « Soyi N’galanba » et « Bambougou N’tji ». Ces chansons racontent les parcours des grands héros bamanan de Ségou tels que Biton, N’golo et Bambougou N’tji. Certaines des paroles sont très anciennes, mais j’ai ajouté du texte et changé les mélodies et les rythmes. Il est important d’enregistrer ces vieilles chansons car ce sont elles qui nous rappellent nos origines et notre culture.

Bamanan, DECCA.

alors qu’il faisait partie du jury d’un concours de remix pour Les Amazones d’Afrique. Nous n’avons pas eu la chance de nous rencontrer de visu car il a travaillé sur l’album depuis la Californie, où il réside, pendant la pandémie. Je ne connaissais rien de lui, ni des groupes avec lesquels il a collaboré ! Mais en écoutant le travail qu’il a fait avec ma musique, je l’ai aimé parce qu’il la rend accessible à de nouveaux publics.

AFRIQUE MAGAZINE

l’occasion d’explorer une autre façon de faire. Cela apporte du sang neuf à la musique en général, mais aussi, Inch Allah, ouvre de nouvelles opportunités pour ma carrière…

Pouvez-vous nous raconter la genèse, l’objectif du superbe morceau « N’yanyan » ?

Nous l’avons enregistré en août 2020, au Mali, durant la nuit du coup d’État. Nous n’avons pu faire qu’une seule prise avant qu’ils ne coupent l’électricité dans la ville et n’imposent un couvre-feu. « N’yanyan » fait référence à un étranger dont personne ne connaît l’origine. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas concrètement appréhender, que l’on ne peut ni voir ni toucher. Les griots affirment qu’ils ne savent pas ce dont il s’agit ! Cette chanson, très ancienne, a été créée par nos ancêtres afin de rappeler aux êtres humains leurs limites, leur mortalité, mais elle nous dit également que la vie dure longtemps… Nous ne sommes qu’à mi-chemin. Ces difficultés auxquelles nous sommes confrontés finiront par passer. ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont 15


ON EN PARLE BANDE DE S S INÉ E

WHO’S THE BOSS?

ETRAN DE L’AÏR RY T H M E S

Touareg rock’n’roll

Toute la fièvre des lives du GROUPE NIGÉRIEN, qui remue le Sahel depuis vingt-cinq ans, se retrouve dans son nouvel album studio. À LEURS DÉBUTS, ces musiciens marchaient des dizaines de kilomètres pour aller jouer, leurs guitares et leurs sonos sur le dos, à travers la région du Sahel. Désormais, Etran de l’Aïr est une référence incontournable du rock de la sémillante scène d’Agadez, la plus grande métropole du nord du Niger, qui donne logiquement son nom à ce nouvel album. Ici, les guitares frémissent et les rythmes s’accélèrent, sans oublier les mélodies envoûtantes gorgées de riff comme de sable. Les frères et les cousins qui constituent le groupe mêlent le blues touareg au soukous congolais, la romance à l’engagement, mués par une insatiable soif de liberté. « Dis-moi ce qui est plus précieux dans ce monde que la paix », chantent-ils dans « Alhaire », confirmant le fameux adage que la musique adoucit les mœurs – tout en électrisant nos existences ! ■ S.R. 16

SCHEENA DONIA ET MARGUERITE DENEUVILLE, C’est maman qui commande !, à partir de 7 ans, éditions Coast to Coast, 48 pages, 12 €.

PEUT-ON PARLER d’une parentalité « à l’africaine » ? Comment l’héritage culturel influence-t-il les choix éducatifs et pédagogiques d’une famille franco-gabonaise ? Cette BD drôle et chaleureuse écrite par l’entrepreneure et influenceuse Scheena Donia et illustrée par Marguerite Deneuville est également une réflexion sincère et ironique sur la question de l’autorité parentale, vue par une maman de quatre enfants. En nous racontant sans complexes

son quotidien agité mais attachant et les moments de complicité (et de tension) avec ses enfants et son mari, l’autrice rend hommage aux femmes qui l’ont élevée avec de la poigne et beaucoup d’amour et glorifie le rôle de la « daronne ». Même si l’autorité parentale doit être partagée, elle assume le fait que C’est maman qui commande ! Et n’oublie jamais LA règle d’or : même si on l’aime plus que tout, l’enfant n’est pas roi. Un livre à lire et relire avec toute la famille ■ Luisa Nannipieri

B E AU L I V R E

LIBERTÉ AU POING Un hommage vibrant à Muhammad Ali, le plus grand sur le ring comme en dehors.

MULTIPLE CHAMPION du monde des poids lourds, figure de l’opposition à la guerre du Viêt Nam et de la bataille pour la reconnaissance de l’égalité des droits des Noirs américains, musulman converti aux côtés de Malcolm X, Muhammad Ali, né Cassius Clay, en 1942, à Louisville, a autant été adulé que vilipendé. À la fois athlète prodigieux et icône planétaire de l’histoire contemporaine américaine, il doit sa trajectoire exceptionnelle à sa fureur de vivre et à sa haine de l’iniquité. Riche de milliers de photos, de souvenirs personnels, de textes d’experts et d’interviews

GREATEST OF ALL TIME: A TRIBUTE TO MUHAMMAD ALI, Taschen, 652 pages, 100 € (en anglais). palpitantes, cet ouvrage est aussi mégalo que le fut « l’homme qui volait comme le papillon et piquait comme l’abeille ». Une belle manière de remettre les projecteurs sur ce génie de la boxe, virtuose de la provocation autant que fervent défenseur de la justice. Un héros de roman universel à ériger en symbole de l’affirmation de soi. Et du dialogue. ■ C.F.

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

ABDOULMOUMOUNI HAMID - DR (3)

ETRAN DE L’AÏR, Agadez, Sahel Sounds.

Le quotidien attachant et drôle d’une mère de famille, qui ne cache pas l’influence de ses origines africaines sur sa façon de vivre la parentalité.


LE PRODIGE

PHÉNOMÈNE

OBREE DAMAN

DR (2)

En quelques années, ce JEUNE CHANTEUR SÉNÉGALAIS a su s’imposer avec sa voix puissante,, claire,, à la fois suave et déterminée.

C’EST LA NOUVELLE VOIX du Sénégal. En 2016, ill remporte le concours de chant organisé par Vibe Radio, participe icipe à la première saison de l’émission The Voice Afrique francophone, sort le single « Tollouway » et intègre lee label African Victory. Depuis, il est le chouchou des médias ias et des réseaux sociaux. Né à Dakar, il a vécu à Kaolack lack et à Gorée, confié à différents membres de sa famille. lle. Mais il a surtout été marqué par sa grand-mère, qui l’a initié nitié au chant dès ses 4 ans. « Avec mes grands-parents, nous avons vécu des moments agréables mais aussi terribles, bles, et ma grand-mère avait toujours un chant, une musique ue pour chacun d’entre eux. Elle chantait la vie. J’ai hérité d’elle le don de performer la musique, qui est pour moi une façon de donner voix à l’invisible. » Le jeune homme charismatique, ismatique, qui cite Wasis Diop comme mentor, voit la musique comme « un voyage » : « Je sais d’où je suis parti, mais j’ignore re mon point d’arrivée ! Je ne considère pas la musique comme mme un métier, c’est ma vie. » Dans un studio de Guédiawaye, ye, il est en train de terminer son premier album, Bantu Balé, é, qui veut dire « morceau de bois », dans lequel il parle de protection tection de la nature et de la jeunesse sénégalaise. « Bantu » veut aussi dire « être humain » dans plusieurs langues africaines. ricaines. Citadin, il a néanmoins un pied dans la terre, sa a famille cultivant des champs à 80 km de Dakar, et chante ccee retour à l’agriculture, en wolof et en anglais. « Je vois os oi des jeunes qui vendent des noix de cajou dans les rues, ues, ils ont quitté leur village, alors qu’avec du soutien, de la formation technique, ils auraient pu bâtir quelque chose. Travailler dans l’agriculture, c’est aussi éviter de prendre la pirogue… » Le premier single, « Bo Jekko », parle, lui, du pardon. Envers les autres, mais aussi envers soi-même. « En tant qu’artistes, nous avons la responsabilité de parler d’amour, et non de haine », explique-t-il. Dans le clip, très beau, il laisse parler ses deux autres passions : le cinéma et la mode. Son deuxième me single, « Bideew », veut dire « étoile » en wolof. Nul doute que l’étoile d’Obree n’a pas fini de briller. ■ Olivia Marsaud arsaud AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

« Bideew », son deuxième single, est paru en décembre dernier.

17 7


EXPO

ON EN PARLE

CONTES VISUELS

Ci-dessus, Boys Run with Hoops, 2019. Ci-contre, Afghan Girl, qui fit la couverture du National Geographic en 1984.

« LE MONDE DE STEVE MCCURRY », Musée Maillol,

Paris (France), jusqu’au 29 mai. museemaillol.com 18

ON A TOUS EN TÊTE sa célèbre photo de la jeune fille afghane, réfugiée au Pakistan. Yeux verts à la fois émouvants et inquiétants, visage de madone cerclé d’un voile rouge brique. Mais il y a aussi les deux garçons courant avec des cerceaux au pied de majestueux baobabs, sur la côte sud-ouest de Madagascar. Ou encore ces danseurs insolites, sortes d’oiseaux de science-fiction, de la tribu Asaro, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’univers de l’Américain Steve McCurry est celui d’un humaniste, à l’œil à la fois journalistique et artistique, pour qui le voyage s’impose comme une porte d’entrée sur le monde qui nous entoure. Un monde bousculé par la brutalité de la guerre, de la violence. Mais toujours sublimé par les rencontres, l’élégance de l’ordinaire, des rites ou d’un regard. Dans chacune de ses photographies se conjuguent l’imprévu et l’instant. Saisies par l’objectif de cet arpenteur de zones reculées, souvent risquées, elles reflètent la magie d’une scène, d’un visage. Et nous racontent à chaque fois une histoire. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

THOMAS FAVERJON - STEVE MCCURRY (2)

À travers 150 CLICHÉS EN GRAND FORMAT, le musée Maillol présente une rétrospective exceptionnelle du célèbre photographe américain STEVE MCCURRY.


Un roman bouleversant sur l’histoire passée SOUS SILENCE, ses déchirements. Et d’autres possibles.

Elif Shafak Renaissances

MARIE ROUGE POUR TÉLÉRAMA

L I T T É R AT U R E

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

« IL Y A UNE QUANTITÉ DE CHOSES qu’une frontière – même d’un tracé aussi net et aussi bien tracé que celui-ci – ne peut empêcher de traverser. Les vents étésiens, par exemple, au nom doux mais étonnamment fort, meltemi ou meltem. » Dès les premières lignes, le ton est donné. C’est la question de l’appartenance, de l’enracinement et de l’exil qui porte la voix de ce roman d’un amour interdit entre un Grec, Kostas Kazantzakis, et une jeune fille turque, Defne. Nous sommes en 1974, dans une Chypre déchirée par la guerre civile. Une île divisée par une ligne de démarcation gardée par les Casques bleus, séparant les chrétiens des musulmans, les Grecs des Turcs. Mais dans ce climat de haine et de violence, il y a aussi ce qui voyage au-delà des frontières. Les histoires, les sons, les rêves, les oiseaux migrateurs. Et la littérature. Tout ce que l’on a en commun et qui nous relie en tant qu’êtres humains. Depuis toujours, l’écrivaine turque s’intéresse à ce qui transcende les frontières, la liberté de penser et d’être. À 50 ans, exilée depuis que le régime de Recep Tayyip Erdogan la tient sous haute surveillance, cette opposante et féministe engagée vit à Londres. Son deuxième roman écrit en anglais, La Bâtarde d’Istanbul, best-seller en Turquie en 2006, lui a d’ailleurs valu d’être poursuivie en justice pour avoir abordé le génocide arménien. Pétris de réalisme et de merveilleux, de traditions romanesques occidentales et orientales, ses récits sont traversés par la force de la mémoire, de l’héritage, des silences et des vides. Son douzième roman ne déroge pas à la règle. Il porte en lui la puissance et l’émotion de ses précédents ouvrages. Et révèle un monde où les arbres, gardiens du temps et des souvenirs, connectés à la fois en dessous et au-dessus du sol, nous rappellent qui nous sommes. Un parmi des millions, au milieu du vaste univers. ■ C.F. ELIF SHAFAK, L’Île aux arbres disparus,

Flammarion, 432 pages, 22 €.

19


ON EN PARLE Sur la terrasse, Nola Hatterman, 1930.

Portrait d’une femme noire, Marie-Guillemine Benoist, 1800. Madonna and Child, James Latimer Allen, vers 1930.

C U LT U R E

L’HISTOIRE DE L’ART REVUE ET CORRIGÉE

Le compte Instagram « A BLACK HISTORY OF ART » met à l’honneur la création artistique noire, pour lui redonner toute la place qu’elle mérite.

La jeune femme a transformé ce qui était au départ un sentiment de stupeur en un projet inspirant, lequel permet de voir à quel point la conscience noire imprègne l’art. Cela va du Portrait d’une femme noire (1800), de Marie-Guillemine Benoist, l’un des tableaux qui ont marqué sa formation et le premier post de la page, aux travaux inspirés par le bogolan du Malien Amadou Sanogo, en passant par les sculptures de Barbara Chase-Riboud ou par Laure, la modèle noire du tableau Olympia (1863), de Manet. ■ L.N. Compte Instagram : ablackhistoryofart

HUMOUR

MDR à Abidjan! APRÈS UNE PREMIÈRE ÉDITION EN 2021, le leader de l’humour francophone, Grégoire Furrer, créateur du Montreux Comedy en Suisse, revient à Abidjan et pose ses valises durant une semaine au Dycoco Comedy Club pour un grand festival du rire à l’occasion de la journée internationale de la francophonie. Une vingtaine d’artistes internationaux et ivoiriens, dont le Québécois Reda Saoui, les Français Oth & Kal, le Camerounais Valéry N’Dongo ou l’Ivoirien Clentelex seront au rendez-vous pour une semaine MDR (Marathon du rire), qui doit tourner entre le Dycoco et l’Institut français de Côte d’Ivoire. ■ Emmanuelle Pontié FESTIVAL DYCOCO, Abidjan (Côte d’Ivoire), du 20 au 26 mars. dycoco-comedy.com 20

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

CAPTURES D’ÉCRAN D’INSTAGRAM (4) - NEALS NIAT

FRÉQUENTER L’UN DES MEILLEURS cours d’histoire de l’art du monde, celui de l’université de Cambridge, et se rendre compte qu’aucun artiste noir n’est jamais abordé en classe… Pour la Nigériane et résidente britannique Alayo Akinkugbe, 21 ans, cela a été un choc. Et l’une des raisons qui l’ont poussée à créer, en février 2020, le compte « A Black History of Art » sur Instagram. Y sont mis en avant des artistes, modèles, conservateurs et penseurs noirs délaissés par l’histoire officielle. Deux ans plus tard, il est suivi par 54 500 abonnés.

Le modèle Laure, dans Olympia, Manet, 1863.


DESIGN

KOMPA, la plénitude d’après Peter Mabeo Le créatif de Gaborone et Fendi collaborent sur une collection centrée sur les matériaux et L’ARTISANAT BOTSWANAIS.

LA MAISON DE MODE internationale Fendi et le designer botswanais Peter Mabeo se sont associés pour créer une collection d’une dizaine de pièces uniques et modernes, réalisées à partir de techniques différentes habilement combinées entre elles. Dévoilée lors de la foire Design Miami, la collection « Kompa » (« ce qui est complet » en botswanais) réunit le meilleur de l’artisanat local dans des objets multifonctionnels, aux formes émoussées et aux teintes naturelles. Peter Mabeo a déjà travaillé avec de grands noms du design, comme Inès Bressand ou Patricia Urquiola, depuis Gaborone, où il a ouvert Mabeo Furniture en 1997. Pour cette collaboration avec Fendi, il a sillonné le

pays pour instaurer un dialogue créatif avec des peintres, des vanniers, des sculpteurs, des céramistes et des ferronniers. Le travail de cette communauté artisanale a donné vie à des pièces tel le Chichira Cabinet, un buffet en feuilles de palmier tressées, doté de tiroirs en bois à ouverture verticale enchâssés sur des montants métalliques. Ou le Loma Stool, composé de deux éléments spéculaires en bois, conçus par une équipe de menuisiers et de potiers, qui peuvent servir de tabourets, de table d’appoint ou d’unités de rangement. À l’intérieur, on retrouve des motifs tribaux peints par des artistes d’une région désertique du Botswana. ■ L.N. mabeofurniture.com

ROBIN HILL

De gauche à droite, la Foro Chair, le Chichira Cabinet et le efo Stool.

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

21


ON EN PARLE

Les pièces sont réalisées avec des matières de grande qualité…

… et les ensembles sont colorés et unisexes.

… les coupes sont basiques et fluides…

LUKHANYO MDINGI crée du lien

MODE

Lukhanyo Mdingi.

CE N’EST PAS UN HASARD si le tricot est l’une des techniques les plus utilisées par Lukhanyo Mdingi pour ses créations. Comme les fils de laine mérinos ou de mohair qui s’entremêlent pour créer les pulls, les écharpes et les robes graphiques et colorées de ses collections, il aime répéter que c’est la collaboration entre designers textiles et artisans talentueux d’Afrique du Sud, du Burkina Faso et d’ailleurs qui lui a permis de réaliser son rêve d’enfance et de se faire connaître à l’international en tant que créateur de mode. Directeur artistique de la marque qui porte son nom depuis 2015, le quasi trentenaire sud-africain a remporté le prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode en septembre 2021 et a été invité à ouvrir la Paris Fashion Week homme de l’automne-hiver 2022-2023. Un succès qu’il attribue à « cette communauté d’artisans et d’humains, et leurs talents, qui font la richesse de nos collections et à laquelle je veux rendre service. À travers la création, j’espère aussi générer un impact social nouveau sur 22

ces communautés-là ». Cette approche lui a valu le soutien de l’Ethical Fashion Initiative, le programme des Nations unies et de l’Organisation mondiale du commerce qui met en relation les marques émergentes, les artisans et les producteurs locaux dans un souci de développement durable social et environnemental. Pour présenter sa dernière collection, « Bodyland », Lukhanyo Mdingi a recouvert les murs de l’Espace Voltaire, à Paris, de larges pans de tissus et a invité sur scène Véronique, l’une des tisserandes burkinabées à l’origine des textiles audacieux qui composent ses pièces unisexes. Une autre façon de mettre en avant « les mains qui créent » et l’humain derrière les vêtements. Pour le designer, qui construit ses costumes, ses ensembles décontractés et ses robes à partir de coupes basiques et fluides, réalisées avec des techniques traditionnelles et des matières de grande qualité, ce sont la texture et la palette de couleurs qui donnent à chaque pièce un caractère moderne, puissant et sensuel. ■ L.N. lukhanyomdingi.co.za AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

DR (3) - ALEX ZONO

Le designer sud-africain a fait ses débuts à la Fashion Week de Paris avec « Bodyland », une ligne qui CÉLÈBRE L’HUMAIN derrière les vêtements.


ASA

POP

LAGOS SPIRIT Déjà le CINQUIÈME ALBUM SOLO pour la chanteuse franco-nigériane, qui a trouvé l’inspiration dans la ville des lacs.

DR (2)

IL S’APPELLE, très logiquement, V, et s’ouvre sur le velours mélodique et l’énergie rythmique de « Mayana »… Et persiste dans sa pop nourrie de R’n’B, de soul et d’afrobeat, sans contraintes ni textuelles ni génériques. Elle qui n’avait jamais eu le temps, en quinze ans de carrière bien remplie, de se poser longtemps au Nigeria a, dès le début de la pandémie, pris l’un des derniers vols Paris-Lagos. Sur place, elle s’est ressourcée, a écrit et composé. En résultent ces nouvelles chansons, parfois partagées avec d’autres artistes enthousiastes et de toutes générations, tels la Ghanéenne Amaarae (« All I Ever Wanted »), le groupe de highlife The Cavemen (« Good Times ») et le prince de l’afrobeat Wizkid (« IDG »). ■ S.R.

ASA, V, Platoon.

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

23


ON EN PARLE

LE GOÛT DU TERROIR

À Marrakech et à Lagos, deux chefs de talent invitent à redécouvrir les SAVEURS LOCALES avec des cartes innovantes et de grande qualité. CHAQUE PAYS A SON TERROIR. Certains restaurants se font un devoir de le mettre en avant, et les chefs s’amusent de plus en plus à expérimenter avec. Comme Faiçal Zahraoui, déjà meilleur jeune talent du prix Gault et Millau Maroc 2017, aux fourneaux du Azalai Urban Souk, à Marrakech. Sa passion pour les ingrédients de caractère, comme la sardine, qu’il travaille dans différentes textures, et ses recherches sur les techniques de fumigation des aliments, qui apportent une touche moderne aux classiques, ont fait de lui une figure de proue de la bistronomie marocaine. Au menu de ce local à la déco beldi-bohème, on trouve des plats à base de farine de caroube, au goût légèrement chocolaté, un risotto de lentilles avec émulsion de lait de coco ou encore une crème brûlée au millet. Parfait pour un repas locavore, végé-friendly et sans gluten. La même dévotion aux produits locaux, sains et de qualité a poussé le chef Michael Elegbede à ouvrir l’Ìtàn Test Kitchen, à Lagos, en 2019. Dans cette petite table – 18 couverts trois fois par semaine –, le dîner est une expérience culinaire et culturelle. Chaque menu met à l’honneur la cuisine de l’un des groupes ethniques du Nigeria, des Yoroubas aux Igbos. Une façon de nourrir les estomacs 24

Le chef Michael Elegbede a ouvert l’Ìtàn Test Kitchen en 2019.

et les cerveaux avec une cuisine durable, qui participe du développement de la filière alimentaire. Ici, pas de gaspillage : on utilise chaque partie des ingrédients, que ce soit du bœuf ou de l’igname. Et tout vient du Nigeria, des assiettes en argile aux fraises, cultivées avec soin par des fermiers partenaires. ■ L.N. azalai-urban-souk.business.site michaelelegbede.com/itan

AFRIQUE MAGAZINE

DR (3)

SPOTS

L’Azalai Urban Souk propose des repas locavores, végé-friendly et sans gluten.

I

426 – MARS 2022


Nouvel écrin pour le tennis à Casa ARCHI

Avec ce complexe sportif DÉDIÉ À LA BALLE JAUNE, l’agence YDA marque le paysage urbain de la ville côtière.

DR (2)

CONSTRUIT À L’ENTRÉE du nouveau quartier Anfa Club de Casablanca, le club de tennis de l’Association culturelle sportive de l’air (ACSA) a ce qu’il faut pour devenir un point de repère au milieu des nouvelles constructions. La structure du complexe, qui comprend six courts de tennis, une salle de sport, un sauna, un restaurant ainsi qu’une salle de prière, est minimaliste mais visuellement marquante. La plupart des espaces ouverts au public ont été condensés dans un grand bâtiment rectangulaire recouvert par des gradins et habillé en bois. Cette tribune sert aussi d’escalier et donne accès à une terrasse de 500 m2, avec vue dégagée sur les terrains de jeux. La couleur ocre du revêtement est un clin d’œil à la terre battue des courts et fait ressortir le complexe sportif dans le paysage urbain. Ce projet, inauguré en janvier dernier, est signé par Younes Diouri, fondateur de l’agence YDA en 2015. Formé à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, il fait partie de cette nouvelle génération marocaine engagée dans le renouveau de l’architecture contemporaine. Il a, entre autres, participé à la conception du nouveau parc urbain qui a supplanté la piste d’atterrissage de l’ancien aéroport Casa-Anfa et travaille à la réhabilitation des historiques Arènes de Tanger. Un projet qu’on a hâte de découvrir. ■ L.N. yd-a.com

La couleur ocre de la structure est un clin d’œil à la terre battue des courts.

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

25


PARCOURS

Diadié Dembélé

DANS UNE LANGUE INVENTIVE ET POÉTIQUE,

l’écrivain malien signe un premier roman d’apprentissage plein d’humour, Le Duel des grands-mères : l’histoire d’un jeune Bamakois envoyé au village de ses ancêtres. par Astrid Krivian

26

AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

DR

C

’est l’histoire d’un garçon qui veut « retrouver sa langue ». Parce qu’il est impertinent, dissipé, trop occidentalisé aux yeux de certains, le jeune Hamet, 12 ans, écolier à Bamako et adepte de l’émission télévisée Des chiffres et des lettres, est envoyé au village. Ses parents espèrent ainsi le remettre dans le droit chemin et lui inculquer les us et coutumes soninké. Auprès de ses aïeules, Hamet retisse le lien avec ses origines, découvre le travail des champs, les assemblées villageoises, les croyances ancestrales – lesquelles défient sa lecture cartésienne des phénomènes naturels. Roman d’apprentissage, Le Duel des grands-mères raconte les tiraillements de son héros, partagé entre différentes cultures et langues, « qui marche dans le brouillard des identités produit par les essentialistes de tout bord ». Diadié Dembélé a lui-même expérimenté ce plurilinguisme. Né à Kodié de parents soninké originaires de Kayes, il grandit à Bamako, où le bambara est utilisé en majorité : « À la maison, on parlait le soninké ; avec les voisins, dans la rue, c’était le bambara. Et à l’école régnait un climat de terreur : le français était obligatoire », se souvient-il. Si le bambara est sa langue de cœur, il a choisi d’écrire en français, avec lequel il entretient un lien ambigu : « Je l’aime beaucoup. Mais introduite par les colons, cette langue demeure, pour la génération de mon père, celle du déracinement et de la violence. Aujourd’hui, elle garde le statut de langue officielle dans certains pays, au détriment des locales, reléguées à un rang inférieur », regrette-t-il. Influencé par l’œuvre d’Ahmadou Kourouma, son « gros-gros français » est irrigué par des imaginaires issus du bambara et du soninké, ponctuant son texte de mots et d’expressions idiomatiques. « J’ai compris qu’on peut faire de la littérature avec n’importe quel registre, me libérant d’une vision balzacienne de purifier la langue. Comme en cuisine, ce n’est pas tant les ingrédients qui importent, mais la recette, et notre touche personnelle. » Parmi ses autres lectures fondatrices : Soundjata ou l’épopée mandingue, de Djibril Tamsir Niane, et des œuvres de Césaire, Senghor, Le Duel des grands-mères, Léon-Gontran Damas, Mariama Bâ, David Diop, Yambo Ouologuem, Seydou Badian JC Lattès, 224 pages, 19 €. Kouyaté, Amadou Hampâté Bâ, Céline… « L’origine de mon rapport au monde, c’est la lecture. » Adolescent, il confie ses états d’âme à un journal intime, mais ne se rêve pas encore écrivain, intimidé par le sacré auréolant certains livres : « On m’a appris qu’il n’y avait plus rien après le Coran, ni après nos classiques. » Le déclic se produit plus tard lorsque, établi en France, il publie en 2019 un premier recueil de poèmes, Les Tresses royales. « Écrire me permet de supporter le réel. » Interprète au sein d’une association d’aide aux personnes migrantes, Diadié Dembélé intègre le master Création littéraire de l’université Paris 8. On lui enseigne à démystifier l’inspiration, aléatoire, au profit de la discipline, de la régularité, afin de produire du texte. Il apprend à soumettre ses écrits au regard des autres, à entendre leurs retours, parfois contradictoires. « À un certain moment, le texte ne nous appartient plus. Il faut accepter de l’abandonner. Ce n’est plus une question de vie ou de mort. » ■


MAURINE TRIC

«L’origine de mon rapport au monde, c’est la lecture.»



C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

DOM

C’EST DÉJÀ TROP TARD ! Je sais, c’est un sujet récurrent ici. Mais c’est volontaire. Et l’actualité l’exige. En effet, le second volet du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de sortir. Alors, certes, entre les menaces djihadistes, les coups d’État et les transitions incertaines en Afrique, la guerre en Europe et, hier, le Covid-19 pour tous, la question de l’urgence climatique passe régulièrement à la trappe. Pourtant, nous allons tous payer l’addition. Et pas demain, mais dès maintenant. António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, à sa lecture, a fait une déclaration qui se passe de commentaire : « Un recueil de la souffrance humaine et la preuve de l’abdication criminelle des dirigeants mondiaux. » C’est exactement ça. De COP en COP, rien n’avance. Les fonds promis à l’Afrique ne sont toujours pas débloqués. Et si la prise de conscience des populations est réelle, face aux effets visibles des vagues de chaleurs démesurées, des précipitations en abondance délirante ou de l’élévation vertigineuse du niveau de la mer, je ne suis pas sûre que les États, riches ou pauvres, aient pris le taureau par les cornes. La politique politicienne gère le présent, c’est connu. Pas le futur. Alors, que faire ? Selon ce nouveau rapport, fruit des analyses de 270 chercheurs du monde entier sur 34 000 études disponibles depuis 2014, notre inactivité nous a menés à un point de non-retour sur la plupart des dégradations de notre planète. À tel point que l’urgence est moins de les enrayer (elles sont déjà là) que de s’y adapter. Parmi les pistes : repenser les villes, en limitant les îlots de chaleur et en facilitant l’évacuation des eaux. Pas gagné en Afrique où « isoler la chaleur », ça ne va pas être simple. Pire : la plupart des routes du continent ont été conçues sans évacuation ! Il ressort que ce genre de chantiers, longs et onéreux, prendra tellement de temps que… la sécheresse et les inondations mettront en péril la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau, la santé. Quels que soient les programmes, ceci ou cela lancé par les gouvernements. S’il ne tape pas du poing sur la table côté financements et ne met pas le climat en tête des priorités, le continent risque de sombrer. Corps et biens. Car, en effet, si l’Afrique pollue très peu en comparaison du reste du monde, elle est la plus fragile et la première impactée. Donc, faut bouger là ! ■ AFRIQUE MAGAZINE

I

426 – MARS 2022

29


AM vous a offert les premières pages de notre parution de mars

Profitez de nos offres d'abonnements pour accéder à la totalité de nos magazines et bien plus encore


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.