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POUTINE POUT INE, A GUERRE LA ETT NOUS

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine implique forcément l’Afrique. Par ses immenses conséquences politiques et économiques. Mais aussi par ce que cela implique sur notre conception du monde, de la multipolarité, des des nouveaux impérialismes.

REPORTAGE L’EXCEPTION MAURITANIE ARCHITECTURE DIÉBÉDO FRANCIS KÉRÉ OU LE FORMIDABLE TALENT DURABLE ÉMANCIPATION PAP NDIAYE ET LA LONGUE LUTTE DES NOIRS AMÉRICAINS INTERVIEW FELWINE SARR « LA FICTION N’EST PAS UN REPORTAGE » FASHION NADIA DHOUIB, L’AUTRE FIGURE DE LA MODE PARISIENNE N °4 2 7 - A V R I L 2 0 2 2 France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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©Photograph: Laurent Ballesta/Gombessa Project

COLLE CT ION

Fifty Fathoms


édito PAR ZYAD LIMAM

LE POUVOIR PAR LA FORCE Tout début avril 2022. C’est la guerre en Europe. L’Ukraine combat héroïquement. La « technoguérilla » de ses combattants est redoutable, face à la rigidité toute soviétique des bataillons russes. Le pays a survécu plus d’un mois, et, en soi, c’est déjà comme une première victoire. Mais la terre d’Ukraine est dévastée par les bombes. Des villes sont sous siège, rayées de la carte, comme Marioupol devenue cité martyre. Des millions de réfugiés. Des hommes et des femmes, des civils, abattus dans la rue. Un carnage et une tragédie humaine sans nom. On évoque des crimes de guerre. Vladimir Poutine et son état-major politicomilitaire ont décidé de régler la « question ukrainienne » de la pire des manières, par l’invasion et la « découpe ». Pourtant, ce qui ne devait durer que quelques jours tourne à la guerre d’attrition. L’armée russe prend des coups, perd beaucoup d’hommes, elle piétine, elle enrage. L’« opération militaire spéciale » vire au semi-fiasco. Elle provoque une réaction quasi unanime de l’Occident, de l’OTAN, de ces pays « décadents et irrésolus ». Avec un régime de sanctions comme rarement vu dans l’histoire. La répression s’abat sur la Russie, les journaux indépendants ferment, seule la vérité officielle doit s’imposer. On essaie de comprendre les motivations réelles, profondes d’une telle stratégie… Le renforcement du poutinisme (le chef et ses alliés) ? Couper court à l’expérience démocratique aux frontières du Kremlin (comme en Biélorussie) ? Certainement, et repousser l’OTAN, faire une démonstration de force vis-à-vis de l’« Ouest ». Surtout réintégrer dans la mère patrie l’Ukraine, « État illégitime », cette « fiction » issue du démembrement de l’URSS. Une décision, une guerre donc fondamentalement impérialiste et coloniale. Le monde occidental regarde, effaré, à juste titre, ces images moyenâgeuses de violence et de destruction, de massacre de civils. Le monde occidental a la mémoire courte aussi. La déstabilisation de l’ordre global, la « dérégulation de la force » pour reprendre l’expression de Ghassan Salamé, est venue par la guerre d’Irak, en 1991 – une invasion AFRIQUE MAGAZINE

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américaine, construite sur un mensonge immense, avec un coût humain et politique stupéfiant. Ce n’est pas une nouvelle guerre froide qui commence, avec un alignement des blocs, mais comme un éclatement du monde. Avec, aux portes de l’Europe, une Russie isolée, instable, explosive. Pour Moscou, « ne pas gagner », c’est déjà « perdre ». Et la Russie ne peut pas « perdre ». Ce serait l’effondrement possible, l’affaire deviendrait existentielle… Les ÉtatsUnis, qu’on le veuille ou non, resteront la plus grande puissance (financière, militaire, politique, culturelle) de la planète. Et l’Europe, le continent le plus riche. La Chine jouera son jeu, à la fois prudente et audacieuse, utilisant au mieux ce conflit pour contester la prédominance de l’Occident. Cet Occident qui ne sera plus l’alpha et l’oméga de la construction internationale. Des puissances moyennes ou régionales ont déjà pris de l’autonomie. Elles privilégient leurs intérêts propres. Tout en ménageant les vrais centres de décision. Pour les plus habiles, y compris en Afrique, il y aura des espaces de liberté, une sorte de nouveau non-alignement, plus prosaïque, moins idéologique. Et puis, en toile de fond de ces fracas, il y a aura le choix. La question essentielle de la démocratie contre l’autoritarisme. La guerre en Ukraine, c’est aussi l’influence d’un seul homme, un « strong man », Vladimir Poutine, sur son pays. La Chine aussi est aux mains d’un « homme fort », Xi Jinping, qui a pris tout le pouvoir. En Inde, Narendra Modi s’appuie sur le populisme et l’islamophobie pour asseoir sa puissance. Cela aurait pu être le cas aux États-Unis, situation absolument stupéfiante, si les manœuvres postélectorales de Donald Trump avaient abouti… Les démocraties dites illibérales prospèrent (en Turquie, en Hongrie, en Afrique aussi), et c’est aussi le retour des militaires et des coups d’État. Ce pouvoir par la force, qui chaque jour s’accentue un peu plus aux quatre coins du monde, qui s’alimente du populisme, des identités, du nationalisme, est au cœur des conflits et des guerres à venir. Ce pouvoir par la force, toxique, n’apporte rien pour résoudre les complexités du monde. ■ 3


N °4 2 7 AV R I L 2 0 2 2

ÉDITO Le pouvoir par la force

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par Zyad Limam

ON EN PARLE

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C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

Abd el-Kader, l’homme aux mille vies PARCOURS Omar Mahfoudi

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par Cédric Gouverneur et Hussein Ba

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par Emmanuelle Pontié

PORTFOLIO World Press Photo 2022 : Dans l’œil des cyclones VINGT QUESTIONS À… Maïmouna Coulibaly par Astrid Krivian

Pap Ndiaye, le récit puissant de l’émancipation par Astrid Krivian

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Nadia Dhouib, une autre idée du style

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Diébédo Francis Kéré, le talent durable

par Zyad Limam

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Felwine Sarr : « La fiction n’est pas un reportage » par Astrid Krivian

C’EST COMMENT ? Bas les masques !

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La méthode Nouakchott par Pierre Coudurier

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par Fouzia Marouf

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TEMPS FORTS Poutine, la guerre et nous

par Frida Dahmani

par Luisa Nannipieri

P.06

P.40 POUTINE INE,, LA GUERRE ET NOUS

REPORTAGE L’EXCEPTION MAURITANIE ARCHITECTURE DIÉBÉDO FRANCIS KÉRÉ OU LE FORMIDABLE TALENT DURABLE ÉMANCIPATION PAP NDIAYE ET LA LONGUE LUTTE DES NOIRS AMÉRICAINS INTERVIEW FELWINE SARR « LA FICTION N’EST PAS UN REPORTAGE » FASHION NADIA DHOUIB, L’AUTRE FIGURE DE LA MODE PARISIENNE N °4 2 7 - A V R I L 2 0 2 2 France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

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AFRIQUE MAGAZINE

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HERVÉ LEWANDOWSKI/RMN/GRAND PALAIS - SHUTTERSTOCK

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine implique forcément l’Afrique. Par ses immenses conséquences politiques et économiques. Mais aussi par ce que cela implique sur notre conception du monde, de la multipolarité, des des nouveaux impérialismes.


FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin

llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com

P.52

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Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Hussein Ba, Jean-Marie Chazeau, Pierre Coudurier, Frida Dahmani, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

VENTES

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EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

BUSINESS

Le blé, une urgence africaine Diane Mordacq : « Nous allons assister à un retour du protectionnisme » La hausse des métaux bouleverse la donne Le conflit en Europe nuit au tourisme

P.64

par Cédric Gouverneur

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VIVRE MIEUX Mal de dos : Bouger est le meilleur traitement ! Bien hydrater son visage Un appareil dentaire n’est pas qu’esthétique ! Douleurs : Quand la chaleur ou le froid fait du bien par Annick Beaucousin et Julie Gilles

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ABONNEMENTS

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Com&Com/Afrique Magazine 18-20, av. Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : avril 2022. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022.

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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

ABD EL-KADER, l’homme aux mille vies H O M M AG E

Embarquement d’Abd el-Kader à Bordeaux, Stanislas Gorin, 1850.

CHEF DE GUERRE ARABE, leader spirituel soufi, père de la nation algérienne, cet émir combattant (1808-1883) est considéré comme l’une des icônes les plus marquantes de l’histoire du pays. Si le chef nationaliste, proclamé « sultan des Arabes » par les tribus de l’Oranie en 1832, défie les armées françaises de 1832 à 1847, avant de créer les bases d’un premier État national, il est aussi un homme d’une grande tolérance religieuse, qui sauve des milliers de chrétiens d’Orient d’un massacre certain. Sa personnalité se démarque dans le monde musulman du XIXe siècle et lui vaut un très grand prestige 6

en France, où il est autant redouté qu’admiré, inspirant d’illustres auteurs, tels que Victor Hugo, Arthur Rimbaud ou encore Gustave Flaubert. C’est l’un des grands esprits de son temps, que l’on découvre à travers 250 œuvres et documents issus de collections prestigieuses, publiques et privées. Et un homme aux multiples facettes, sans cesse en mouvement, qui, spirituellement et dans son érudition, n’a jamais cessé d’apprendre ni d’évoluer. ■ Catherine Faye « ABD EL-KADER », Musée des civilisations

de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille (France), jusqu’au 22 août 2022. mucem.org AFRIQUE MAGAZINE

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RMN-GRAND PALAIS/A. DANVERS

D’une richesse exceptionnelle, le parcours de l’ÉMIR COMBATTANT, fondateur de la nation algérienne, est mis à l’honneur au Mucem de Marseille.


RMN-GRAND PALAIS (CHÂTEAU DE VERSAILLES)/HERVÉ LEWANDOWSKI

Abd el-Kader, en pied, Jean-Baptiste-Ange Tissier, 1853.

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ON EN PARLE

Dans son quatrième album, L’ARTISTE ENGAGÉE revisite ses racines haïtiennes avec un bagage musical occidental. Brillant !

NOUS L’AVIONS QUITTÉE sur la poésie folk anglo-créole de Radyo Siwèl, en 2018. On la retrouve aujourd’hui avec un quatrième album studio tout aussi exigeant : Mama Forgot Her Name Was Miracle. Et confectionné dans sa ville d’adoption, Paris, choisie après des années passées au Canada, où ses parents haïtiens avaient trouvé refuge. C’est une affirmation musicale qu’elle signe ici, en tant que femme, noire, humaine perdue dans un monde toujours patriarcal et violent. En guide d’antidotes, des berceuses, des contes, mais aussi des mythologies ancestrales – en témoigne « Lilith ». Sont convoquées Audre Lorde, Jackie Shane, Ana Mendieta, Alice Walker ou encore Faith Ringgold. Difficile de ne pas se laisser porter par le groove et la spiritualité de « Papessa », la sensibilité vaporeuse de « Tears » ou la pop percussive de « Faith Meets Ana ». Toujours nourrie de son énergie punk, la musicienne s’est en outre entourée de la crème des réalisateurs, invitant au micro November Ultra, Dope Saint Jude et Oxmo Puccino. Gloire à Mélissa ! ■ Sophie Rosemont

MÉLISSA LAVEAUX, Mama Forgot Her Name Was Miracle,

SOUNDS

À écouter maintenant !

❶ Corneille

Encre rose, Wlab Déjà le neuvième album pour Cornelius Nyungura, né en Allemagne et miraculeux rescapé du génocide des T Tutsis, id d i découvert avec « Parce qu’on vient de loin » au début des années 2000. Aujourd’hui, Corneille a 44 ans et a eu envie de retourner aux sources de la musique entraînante et groovy qu’il écoutait enfant, la pop et le R’n’B des années 1980. Dont cet Encre rose qui porte bien son nom, en ces temps moroses.

❷ Ibibio Sound Machine

Electrocity, Merge Records Depuis le milieu des années 2010, on suit avec beaucoup d’intérêt ce formidable groupe londonien, doté d’une chanteuse en or, l’Anglo-Nigériane Eno Williams. Pour ce nouvel album qui profite de la production d’une référence de la scène électro-brit, Hot Chip, l’afrofuturisme est toujours de mise, se nourrissant de jazz comme de disco. Funky, onirique, nourri de synthés comme de korego. Électrique, oui, et très bien troussé !

❸ Ÿuma

Hannet Lekloub, Ada/Warner Après les déjà très réussis Chura et Poussières d’étoiles, Hannet Lekloub réussit le virage crucial du troisième album. Et devrait confirmer pour de bon l’alchimie qui règne entre la chanteuse Sabrine Jenhani et le guitariste Ramy Zoghlami. Deux esprits libres de Tunis, passés par l’électro ou le rock, et qui ont décidé de chanter toutes les possibilités créatives de leur terre natale, quelque part entre folk et électro. Superbe. ■ S.R.

Twanet/ADA.

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DR - ADELINE RAPON - DR (3)

FOLK

MÉLISSA LAVEAUX Contes féministes


De gauche à droite, l’actrice Khanyi Mbau et la rappeuse Nadia Nakai, toutes deux sud-africaines.

TÊTES À CLASHES

SÉRIE

MOSA HLOPHE/NETFLIX - DR

La première TÉLÉ-RÉALITÉ AFRICAINE DE NETFLIX se vautre dans le luxe au cœur de Johannesbourg. Des stars des réseaux sociaux rivalisent d’extravagances sur fond de querelles bien artificielles… KIM KARDASHIAN n’a qu’à bien se tenir ! Netflix a fait appel à des people panafricains particulièrement bling-bling, aux tenues délirantes, pour sa première télé-réalité tournée sur le continent ! Dans un déluge de champagne, entre deux jets privés, se recevant pour des soirées thématiques sur les rooftops de Johannesbourg, ce petit groupe apprend à se connaître en sept épisodes, entre amitiés, flirts et disputes futiles. Le spectacle est surtout assuré par les femmes, car les hommes, qui jonglent avec épouses et enfants et ne savent pas toujours quelle grosse cylindrée choisir, semblent bien éteints face à des businesswomen sûres d’elles, riches et autonomes. En tête d’affiche : la rappeuse sud-africaine Nadia Nakai, l’entrepreneuse ougandaise Zari Hassan, l’actrice nigériane (les sous-titres français parlent systématiquement de « nigérienne »…) Annie Macaulay-Idibia. Sans oublier l’impériale Khanyi Mbau, actrice sud-africaine aux décolletés échancrés d’où manque à chaque instant de s’échapper un sein refait, et dont les cils sont aussi longs que ses faux ongles. Côtés messieurs : le présentateur télé sud-africain Andile Ncube, tiré à quatre épingles et très peu monogame, le rappeur tanzanien Diamond Platnumz (qui ose la coiffure à double chignon), le chanteur nigérian 2Baba, ainsi que le styliste haut en couleur AFRIQUE MAGAZINE

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Swanky Jerry, nigérian lui aussi, qui habille avec beaucoup d’inventivité chanteuses et premières dames, sans omettre de soigner ses propres looks. La parité règne car, comme le dit Khanyi Mbau, « nos comptes en banque ont le même niveau ». « Je suis milliardaire, je n’ai pas besoin d’un homme », renchérit Zari Hassan, dite The Boss Lady… La promesse du titre, Young, Famous & African, est presque tenue : plus vraiment jeunes (les principaux personnages ont entre 30 et 46 ans), mais célèbres car suivis par des millions de followers sur Instagram. Une Afrique d’hôtels de luxe et d’appartements immenses, que l’on quitte pour une escapade à Soweto expédiée en trois plans, ou un safari nocturne au plus près des lions qui effraient l’une des participantes : « Je n’aime pas ces trucs de Blancs ! » L’argent n’est définitivement pas un problème, la pauvreté non plus car le propos se veut radical : « Il est temps pour nous, jeunes Africains noirs, de s’unir et de dire au monde : on n’est pas le tiers-monde que vous imaginez. » De là à copier sans recul les pires travers de la société de consommation… ■ Jean-Marie Chazeau YOUNG, FAMOUS & AFRICAN (Afrique du Sud), de Martin Asare Amankwa et Peace Hyde. Avec Khanyi Mbau, Nadia Nakai, Diamond Platnumz. Sur Netfl ix. 9


ON EN PARLE

Ci-contre, le batteur américain Marque Gilmore.

RY T H M E S

Ci-dessous, le claviériste malien Cheick Tidiane Seck.

BLACK LIVES POWER TO THE PEOPLE

Le slameur américain Sharrif Simmons.

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CHEICK TIDIANE SECK AU MICRO et aux claviers, David et Marque Gilmore à la guitare et à la batterie, Immanuel Wilkins et Jacques Schwarz-Bart au saxo, Grégory Privat au piano, Reggie Washington à la basse, Yul aux percussions, mais aussi la mezzo-soprano Alicia Hall Moran au chant… Au total, ce sont 25 artistes qui se fédèrent autour de 20 morceaux autant réussis les uns que les autres pour lutter contre le racisme. Et quoi de mieux que la musique, dans ce qu’elle a de plus riche et hybride ? Entre mélopées traditionnelles africaines, jazz, blues et spoken word, ces artistes racontent la diaspora africaine en remontant jusqu’à la déportation de celles et ceux qui devinrent esclaves loin de chez eux. Parmi les influences, James Brown, Fela Kuti ou encore Abbey Lincoln et Max Roach. Si le rythme prend aux tripes, les paroles aussi, l’émotion se faufile ici et là et renforce d’autant plus le message de ce disque, qui reste crucial aujourd’hui. ■ S.R. BLACK LIVES, FROM GENERATION TO GENERATION,

Jammin’colorS/L’Autre Distribution.

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DAREM BOUCHENTOUF - DR (3)

Au service d’un message antiraciste, ce COLLECTIF DE MUSICIENS de haut vol propose des compositions aussi mélodiques que poétiques.


L I T T É R AT U R E

ORHAN PAMUK

Le magicien des mots

LEA CRESPI/PASCO - DR

Le PRIX NOBEL TURC signe une fresque onirique où s’amorce la chute de l’empire ottoman, confronté aux ravages d’une épidémie. AU CŒUR DE CE ROMAN, il y a une île imaginaire, Mingher, « perle de la Méditerranée orientale ». Nous sommes en 1901, et la peste s’y est déclarée. Sur cette île multiculturelle, où musulmans et orthodoxes tentent de cohabiter, la maladie agit comme un accélérateur des tensions. Dès lors, ce microcosme, situé au large de Rhodes, sur la route d’Alexandrie, devient le théâtre d’une crise sanitaire et communautaire sans précédent. Si ce texte romanesque, où se mêlent fiction et réalité, semble coller à l’actualité, le démarrage de son écriture remonte pourtant à 2016, bien avant que ne débute la pandémie. Ce n’est qu’au moment où l’auteur, connu pour son engagement intellectuel et politique, terminait de rédiger les dernières pages, que le Covid-19 a fait son apparition. Le sentiment de peur éprouvé lui faisant ainsi clore son récit dans l’émotion et l’urgence. En réalité, cela fait quarante ans que l’auteur turc le plus lu au monde s’intéresse aux épidémies. Des personnages spécialistes de la peste étaient déjà au centre de deux de ses livres, La Maison du silence et Le Château blanc. Pour l’élaboration de ce roman d’amour, policier et historique, l’éthique existentialiste et notamment La Peste, d’Albert Camus, ont été ses premières inspirations. Ainsi que les théories du Palestino-Américain Edward Saïd, pionnier du post-colonialisme, l’orientalisme et la lecture erronée que l’Ouest a de l’Est lorsqu’il lui attribue un fatalisme inné. Si Pamuk pensait au départ faire de Mingher une Turquie miniature, son envie de réalisme est venue l’amender. Il s’est donc inspiré de la Crète et de l’île de Kastellórizo, le point le plus oriental de la Grèce actuelle. Dans un subtil mélange de références, chaque détail, chaque personnage, chaque mouvement a été pensé, travaillé, examiné. Ce récit nous entraînant ainsi dans un tourbillon. Celui du sort hasardeux de l’humanité. ■ C.F.

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ORHAN PAMUK, Les Nuits de la peste,

Gallimard, 688 pages, 25 €.

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ON EN PARLE

LA FEMME DU FOSSOYEUR (Finlande-AllemagneFrance), de Khadar Ayderus Ahmed. Avec Omar Abdi, Yasmin Warsame, Kadar Abdoul-Aziz Ibrahim. En salles.

DRAME

CREUSER SA TOMBE

ÉTALON D’OR DE YENNENGA au Fespaco 2021, ce film somalien, tourné à Djibouti, raconte une émouvante histoire d’amour entre cimetière et désert… GULED EST FOSSOYEUR, il attend pelle à la main, aux portes de l’hôpital, que soient livrés des cadavres. Nasra, son épouse, atteinte d’une maladie mortelle, cuisine, allongée près de leur jeune fils, Mahad. Pour soigner sa femme, Guled doit trouver l’équivalent d’un an de salaire… Les sacrifices seront douloureux pour y arriver. Il lui faudra revenir dans son village natal et vendre un troupeau qui lui appartient, mais jalousement gardé par sa famille qui voulait le marier à une autre et refuse de le revoir. Cette course contre la montre dans le désert est sobrement racontée, baignée de mélancolie mais aussi parfois de joie et de couleurs, comme lorsque le couple, avant la maladie, s’invite dans un riche mariage grâce à… une chèvre.

Toute l’énergie du film est portée par cet amour pour une femme forte mais diminuée et par l’urgence à pouvoir la guérir. Jusqu’où aller pour y parvenir ? Dans le rôle de la souffrante magnifique, la top-modèle canadienne d’origine somalienne, Yasmin Warsame, que le réalisateur finlandais, lui-même d’origine somalienne, avait remarqué dans une campagne publicitaire pour H&M sur les murs d’Helsinki. Même si le récit illustre l’absence d’accès aux soins de bien des Africains, on n’est pas dans un documentaire sur le Djibouti d’aujourd’hui. D’ailleurs, les chansons de la bande originale sont sénégalaises, et aucun aspect moderne de ce pays n’apparaît à l’écran. Comme pour mieux rendre intemporel ce conte pourtant ancré dans une terrible réalité sociale… ■ J.-M.C.

PAT R I M O I N E

L’art du divin

CALEBASSE PERLÉE MULTICOLORE, trône royal décoré de cauris, masques, ou encore sculptures sur bois, les 300 œuvres présentées – dont 260 trésors précieusement conservés par des chefs traditionnels – célèbrent l’art des communautés des hauts plateaux des Grassfields, à l’ouest du Cameroun. Ponctuées d’œuvres d’artistes contemporains camerounais qui ont puisé dans leurs techniques traditionnelles, elles illustrent l’influence culturelle des chefferies, piliers sociaux, économiques et politiques dès le XVIe siècle, et leur dimension vivante. Considérées comme des contre-pouvoirs et investies de pouvoirs quasi divins, ces congrégations assurent encore aujourd’hui le lien entre le monde des vivants et celui des ancêtres, et veillent au respect des traditions et de la culture bamiléké. Plus encore, elles invitent à un dialogue de l’humain avec tout ce qui l’entoure, au sein d’un système dans lequel politique, religion et organisation sociale sont intrinsèquement liées. ■ C.F. « SUR LA ROUTE DES CHEFFERIES DU CAMEROUN : DU VISIBLE À L’INVISIBLE »,

Musée du quai Branly, Paris (France), jusqu’au 17 juillet 2022. quaibranly.fr 12

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ARTTU PELTOMAA - DR (2)

Un parcours conçu comme une plongée au cœur de la société bamiléké, au quai Branly.


Ci-contre, Mémoriel Sétif Guelma Kherrata, Kamel Yahiaoui, 1995. Œuvre réalisée en hommage aux victimes des massacres du 8 mai 1945.

DR - CNAC/MNAM DIST. RMN-ADAM RZEPKA - PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS

Ci-dessus, La Kahena, Jean Atlan, 1958. Ci-dessous, Cité des Sablons (composée de 620 appartements), Patrick Zachmann, 1989.

EXPO

AMOURS ET DÉSAMOURS

Voyage dans les méandres de l’histoire des relations entre JUIFS ET MUSULMANS DE FRANCE. C’EST UNE RÉFLEXION et une présentation passionnantes que proposent les historiens Mathias Dreyfuss, Karima Dirèche et Benjamin Stora, également commissaire général de l’exposition, à travers plus de 100 œuvres d’art historiques et contemporaines et de nombreux documents et archives. Un regard neuf sur les unions et les désunions des juifs et des musulmans dans l’Hexagone, ainsi que sur le rôle essentiel du pays et de l’État dans la transformation de ces rapports, tant en Afrique du Nord qu’en France métropolitaine. Elle est aujourd’hui le pays d’Europe qui compte les populations juive et musulmane les plus AFRIQUE MAGAZINE

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importantes du continent. Si leurs relations apparaissent aujourd’hui plus distendues et dégradées que jamais, il n’en a pas toujours été ainsi. Des deux côtés de la Méditerranée, une histoire commune relie ces deux communautés, qui tirent leur force de traditions et de savoirs partagés. Comment alors réinventer cette relation historique malgré les mémoires douloureuses et les chaos de l’actualité ? ■ C.F. « JUIFS ET MUSULMANS DE LA FRANCE COLONIALE À NOS JOURS », Musée national

de l’histoire de l’immigration, Paris (France), jusqu’au 17 juillet 2022. histoire-immigration.fr

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ON EN PARLE

Son film, Les rêves n’ont pas de titre, sera exposé jusqu’au 27 novembre.

ZINEB SEDIRA, LA FRANCE À VENISE ART

L’artiste visuelle franco-algérienne proposera une expérience humaniste immersive à la 59E BIENNALE.

DR - THIERRY BAL ET ZINEB SEDIRA (2)

L’ARTISTE INVESTIRA le pavillon français à la 59e Biennale internationale d’art contemporain de Venise, qui ouvre ses portes le 23 avril. Née en France de parents algériens, Zineb Sedira travaille entre Paris, Londres et Alger, où elle soutient le développement de la scène contemporaine. Son installation cinématographique pour le pavillon français, Les rêves n’ont pas de titre, est une expérience humaniste immersive qui brouille les frontières entre fiction et réalité : elle y mêle éléments biographiques et scènes de films emblématiques qui rappellent l’élan militant, culturel et politique des cinémas français, italien et algérien des années 1960 et 1970. Un hommage à l’influence du septième art sur le désir d’émancipation post-colonial. On y retrouve tous les thèmes chers à l’artiste, comme la lutte contre le racisme, la liberté, la solidarité, l’identité ou encore la famille. ■ Luisa Nannipieri labiennale.org

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MUSIQUE

PONGO

La nouvelle diva du kuduro

AXEL JOSEPH - DR

Avec son premier album qui convoque les sonorités d’aujourd’hui mais aussi ses origines, la CHANTEUSE ANGOLAISE fait monter la température.

CETTE ANNÉE, Pongo fête ses 30 ans avec un premier album qui synthétise son passé et ses désirs avec une rare énergie. Née en Angola, exilée à Lisbonne, cette danseuse et chanteuse a été bercée par une diversité de musiques assez épatante, se ressentant aujourd’hui dans sa musique, et qu’elle a distillé au gré de plusieurs singles et EP, dont le remarqué UWA. Entre rythmiques brésiliennes, zouk antillais et mélopées ancestrales angolaises, elle a trouvé un ton qui n’appartient qu’à elle. Ayant fait ses armes au sein du groupe Denon Squad, où, non contente de danser, elle s’empare du micro, Pongo découvre l’ivresse de la scène aux côtés du groupe Buraka Som Sistema. Une décennie plus tard, elle est devenue une référence du kuduro portugais et n’hésite pas à clamer haut et fort ses convictions antiracistes et universalistes. Lesquelles se ressentent tout au long de Sakidila, où sa passion pour l’afrobeat et le funk se laisse également sentir. Polyglotte, optimiste mais lucide, Pongo fait entendre sa voix affirmée et son sens viscéral du groove, sans manières ni postures. Irrésistible. ■ S.R. AFRIQUE MAGAZINE

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PONGO, Sakidila,

Virgin/Universal. 15


ON EN PARLE ESSAI

SOULEYMANE BACHIR DIAGNE, De langue à langue : L’Hospitalité de la traduction, Albin Michel, 180 pages, 19,90 €.

EXPLORATION DE LA LANGUE La question de la traduction, de l’universel et du pluriel par le philosophe Souleymane Bachir Diagne.

Juste une illusion

Le photographe franco-marocain donne une DIMENSION ABSTRAITE à ses œuvres. VÉRITABLE PASSEUR D’ART, Ibn El Farouk incarne un entre-deux, à la croisée de la France et du royaume chérifien. Né en 1964, cet artiste qui a étudié la philosophie est considéré comme le fer de lance de la photographie expérimentale au Maroc. Avec son exposition « Informe », il allie esthétique et amplitude de la matière à travers l’expression de la couleur. Au cours de sa déambulation, le visiteur s’interroge tant l’art d’Ibn El Farouk oscille entre l’éclat de la photographie et la tonalité de la peinture, imprimant une autre dimension à ses œuvres. Lancée en premier lieu à Bois-Colombes (en région parisienne) depuis le 29 mars, l’exposition s’inscrit à la lisière de l’Europe et de l’Afrique pour un dialogue fécond, fédérateur et novateur. Ce solo show fera ensuite halte à Casablanca à partir du 26 mai et sera présenté au sein de l’emblématique galerie Shart, sous la houlette du directeur Hassan Sefrioui, indéniable défricheur de talents. Le huitième art permet à l’artiste de développer une plastique abstraite tout en parlant au plus grand nombre. ■ Fouzia Marouf «INFORME», Salle Jean Renoir, Bois-Colombes (France),

jusqu’au 8 mai. Puis à la galerie Shart, Casablanca (Maroc), du 26 mai au 26 juin. galerie-shart.ma 16

et leur interprétation, leur transposition. Fort de sa triple culture – africaine, française et américaine –, il se fait le chantre de la traduction, comme décentrage et source de dialogue. Un espace de rencontre et d’éthique, où l’interprète, de simple auxiliaire, devient un médiateur culturel. Et où, en faisant que de langue à langue l’on se parle et se comprenne, la traduction puisse assumer un rôle humaniste, en créant une relation d’équivalence et de réciprocité entre les identités. ■ C.F.

T É M O I G N AG E

JEAN ODOUTAN, Le Réalisateur nègre, 45rdlc, 268 pages, 19,90 €.

LEÇON DE VIE L’acteur et réalisateur béninois Jean Odoutan se souvient de la création de son premier film. IL A LES DENTS du bonheur. Ces fameuses incisives du haut écartées, qualifiées ainsi au temps des guerres napoléoniennes chez les soldats qui étaient dans l’incapacité de les utiliser pour recharger leur arme, si lourde qu’il fallait la tenir à deux mains : un sésame pour échapper au pire. Et une chance. Comme celle que le réalisateur de BarbecuePejo (1999), l’histoire d’un cultivateur de maïs qui use de mille et un stratagèmes pour sortir de la misère, a su saisir malgré un parcours jonché de galères. Il nous narre dans

ce témoignage plein de dérision l’accouchement difficile de ce premier film et ses débuts d’autodidacte dans le septième art. Presque un making-of, ourdi de rebondissements et de poésie. Le récit d’un tournant de vie décisif, à la fois majeur et burlesque, pour celui dont plusieurs films ont été primés dans des festivals internationaux, et dont le prochain s’intitule Grand Frère Tambour-Tam-Tam. Un créateur polyvalent, à la joie de vivre communicative. ■ C.F.

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IBN EL FAROUK

E XP O S ITI O N

« POUR COMPRENDRE l’autre, il ne faut pas se l’annexer mais devenir son hôte. » En mettant en exergue une citation de Louis Massignon, l’un des plus grands savants du XXe siècle, pionnier du dialogue islamo-chrétien, le non moins brillant philosophe et professeur à l’université Columbia, à New York, où il dirige également l’Institut d’études africaines, s’inscrit dans le sillage engagé de ce passeur. Son sujet ici : explorer la langue et ses voyages ; les langues, dominantes et dominées,


CINÉMA

UN VILLAGE ARABE

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Des comédiens palestiniens sont dirigés par un réalisateur israélien dans un film mélangeant ABSURDE ET POLITIQUE. ERAN KOLIRIN avait raconté avec succès la tournée en Israël d’un orchestre égyptien (La Visite de la fanfare, 2007). Ici, tous ses comédiens sont des Palestiniens qui incarnent les habitants d’un village arabe soudainement encerclé par l’armée israélienne, sans aucune raison officielle. Problème : un couple et leur fils, venus de Jérusalem pour un mariage, se retrouvent prisonniers et ne peuvent plus rentrer ni prévenir personne, coincés dans la vaste maison familiale en construction. Checkpoint, scellés… même les téléphones portables ne passent plus. Cet enfermement dans une habitation en chantier et un bourg aux abois va créer bien des tensions. C’est également l’occasion de scènes cocasses ou absurdes, qui font penser au cinéma du Palestinien Elia Suleiman (Intervention divine, 2002). Voulant embrasser plusieurs thèmes dans ce quasi-huis clos, le film peine parfois à décoller, tels ces colombes qui refusent de s’envoler lors du mariage. Mais porté par des comédiens impeccables, il illustre parfaitement une situation politique plus que jamais au point mort. ■ J.-M.C. AFRIQUE MAGAZINE

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Les habitants d’un petit bourg se retrouvent encerclés par l’armée israélienne.

ET IL Y EUT UN MATIN (France-Israël), d’Eran Kolirin. Avec Alex Bachri, Juna Suleiman, Salim Daw. En salles.

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ON EN PARLE

MODE

MOSSI

De la douceur avec du caractère

CELA FAIT DÉJÀ QUELQUES ANNÉES que le nom de Mossi Traoré a intégré le calendrier officiel de la Fashion Week parisienne, la créativité de ses collections séduisant un public toujours plus large. Adepte d’une mode architecturale, épurée et linéaire, le designer d’origine malienne, élevé en banlieue parisienne, dans une cité de Villiers-sur-Marne, enchaîne les collaborations artistiques pour donner vie à des lignes exclusives. Depuis le lancement de son label éponyme, en 2018, il a travaillé avec la sculptrice sur textile française Simone Pheulpin, le calligraphe irakien Hassan Massoudy, l’artiste sud-coréen Lee Bae ou encore le peintre malien Ibrahim Ballo. Des artistes qu’il expose à côté de ses créations au cœur du Carrousel du Louvre, où il a installé sa galerie. Pour sa collection automne-hiver 2022-2023, il s’est associé à la sculptrice française Angélique Lefèvre, dont les œuvres deviennent alors des motifs imprimés sur des vêtements fonctionnels et adaptables. Pour l’occasion, 18

Le styliste Mossi Traoré.

elle a peint des aquarelles, qui ont ensuite été scannées puis fixées aux tissus. Avec leurs nuances de bleu, comme le bleu nuit, elles enrichissent la palette de couleurs du styliste, qui travaille d’habitude le noir et le blanc. La coupe évasée des jupes en biais, déjà esquissée dans des collections précédentes, s’associe à un élément nouveau dans le catalogue de la marque : la doudoune. Travaillée en matelassage, elle apporte du relief et de la douceur à des créations qui jouent avec les volumes. À côté de ces survêtements sculpturaux, Mossi propose également des hauts tout en délicatesse : des chemises et des robes réalisées en coton, laine tissée et fibre de lait (une matière durable et innovante), avec des pans de tissus, que l’on peut adapter à son style ou son humeur. Pouvoir exprimer sa personnalité à travers ses vêtements, sans renoncer au confort, est l’un des principes créatifs du trentenaire, qui invite à superposer les éléments pour habiller des silhouettes floues et volumineuses. ■ L.N. mossi.fr AFRIQUE MAGAZINE

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Détails et volumes originaux donnent vie à une collection sculpturale qui associe ÉLÉGANCE ET CONFORT.


DESIGN

OHIRI, BIJOUX MYSTIQUES Des ACCESSOIRES CONTEMPORAINS ivoiriens inspirés par l’esthétique et l’art du peuple akan.

des bracelets – réalisés artisanalement en Côte d’Ivoire et au Kenya – se dégage la silhouette, majestueuse, à moitié submergée du crocodile. Un animal qui, dans la culture animiste akan, a une signification complexe et mystérieuse. La collection est aussi un hommage à la capitale ivoirienne Yamoussoukro, où le président Félix Houphouët-Boigny avait créé un lac pour accueillir ces grands reptiles au charme envoûtant. ■ L.N. ohiristudio.com

MATTOS BERGER

POUR LA CRÉATRICE franco-ivoirienne Akébéhi Kpolo, les bijoux ne sont pas de simples ornements mais de véritables objets d’art. En créant Ohiri en 2012, elle a réussi à donner corps à une passion d’enfance tout en célébrant le savoir-faire et la culture du peuple akan à travers des pièces uniques, voire avant-gardistes. Ses trois dernières collections explorent et réinterprètent dans un style contemporain l’esthétique et le symbolisme des bijoux en pays akan (notamment au Ghana et en Côte d’Ivoire). Après avoir évoqué les techniques et les formes utilisées par les orfèvres dans « Lines » et avoir mis en avant la matière la plus utilisée par le passé avec la ligne « Sika » (qui signifie « or »), elle aborde désormais la symbolique des ornements dans le dernier volet de cette trilogie, « Outlines ». Du collier d’épaule comme

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ON EN PARLE Au mur sont accrochées des images du Sénégal, dans un décor d’inspiration wax.

DES NOUVELLES TABLES À COTONOU

Si vous êtes de passage au Bénin, voici DEUX ADRESSES à tester sans délai. OUVERT À L’AUTOMNE dernier par le Béninois d’origine ivoirienne Assad Alao dans le quartier sénégalais Scoa Gbeto, Chez Tantie est une cantine de qualité à des tarifs abordables, au cadre chaleureux et confortable. Assis sur la terrasse en bois ou dans la salle à la déco d’inspiration wax, en regardant les images du Sénégal accrochées au mur et bercés par du bon jazz, on y goûte des classiques comme le thiéboudiène (rouge, blanc ou diaga), le mafé ou le yassa. Mention spéciale pour le foutou de Tantie, à la sauce graine au bœuf, et le poulet kédjénou. Et pour le Sodabi arrangé, une liqueur béninoise de palmier, disponible au shot ou au mètre. UNE AUTRE ADRESSE de la ville fait, elle, la part belle au poisson. Mi-restaurant, mi-poissonnier, La Pirogue sert depuis juin 2021 des produits de la mer frais et responsables en plein cœur de Cotonou. Les clients peuvent choisir parmi les arrivages du jour, rigoureusement pêchés avec des méthodes artisanales le long des côtes du Bénin, en respectant les périodes de reproduction. Ici, on ne trouve 20

La Pirogue est à la fois un restaurant et un poissonnier.

par exemple pas de moules sénégalaises, mais à la bonne période, on goûte aux huîtres locales. Une fois son poisson choisi, on peut l’emporter ou le déguster sur place avec sauce et accompagnement : poêlé, frit, en papillote ou au barbecue, entier ou en filet, à vous de choisir ! La carte propose aussi des salades et des sandwiches fast good, un simple fish and chips ou des snacks savoureux. À tester, selon les jours, les plats Mama Africa : du monyo (une spécialité du sud du Bénin) au thiéb sénégalais, en passant par l’attiéké ivoirien à base de poisson. ■ L.N. restaurant-la-pirogue.com AFRIQUE MAGAZINE

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SPOTS

Chez Tantie, on propose du Sodabi arrangé, une liqueur de palmier, disponible au shot ou au mètre.


ARCHI

Célébrer la grande pyramide de Gizeh Avec l’Observatoire L’OBSERVATOIRE DE KHÉOPS est une résidence d’artistes nichée dans le village préservé de Nazlet El-Samman, un site égyptien fondé au VII siècle par des tribus de Khéops, du désert fascinées par les pyramides de Gizeh. Construit dans l’axe de la seule le STUDIO MALKA merveille du monde à avoir survécu depuis l’Antiquité, le bâtiment est orienté a construit une est-ouest, ce qui permet de contempler les phénomènes célestes dans toute leur Le jardin, la piscine, les chambres, et même le mobilier sont disposés de résidence d’artistes ampleur. façon à offrir une vue optimale sur la pyramide de Khéops. La salle du temps, un au pied de la lieu d’observation méditative, est recouverte par un toit textile qui se plie et se déplie première merveille très rapidement, en prise directe avec son environnement. Et la charpente à forme pyramidale, conçue sans poinçon central, crée presque un portail tridimensionnel, du monde. qui cadre la grande pyramide et lui fait écho au sein de l’habitat. Dans un souci e

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d’engagement socio-environnemental, le projet intègre les techniques de construction locales, le savoir-faire ancestral ainsi que l’artisanat des villageois. La philosophie de l’architecte et ancien graffeur Stéphane Malka, connu pour ses recherches sur le renouveau urbain, se retrouve jusque dans les façades, composées d’une accumulation de briques de terre crue, de fenêtres et de volets traditionnels recyclés, strictement issus de l’économie circulaire du village. Un hommage à l’architecture informelle, qui ajoute une touche onirique et décalée à ce belvédère habité. ■ L.N. stephanemalka.com AFRIQUE MAGAZINE

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ON EN PARLE

GA L A

Africa is the future

AU NOM DES FEMMES ET DES ENFANTS par Emmanuelle Pontié

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e 8e dîner de gala de la fondation Children of Africa (COA), plusieurs fois repoussé pour cause de pandémie, était très attendu. Près de 900 convives étaient au rendez-vous de la Première dame Dominique Ouattara, ce vendredi 11 mars au Palais des congrès du Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire. À l’image des éditions précédentes, autour du couple présidentiel de Côte d’Ivoire, de nombreuses stars internationales et locales avaient répondu présent, comme les comédiennes Emmanuelle Béart ou Aure Atika, la top-model Adriana Karembeu, les acteurs Samuel AFRIQUE MAGAZINE

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La 8e édition de la soirée de bienfaisance de la FONDATION CHILDREN OF AFRICA s’est tenue le 11 mars à Abidjan. Près de 900 invités et généreux donateurs ont répondu présent à l’invitation de sa fondatrice, la Première dame ivoirienne Dominique Ouattara.


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Accueil au groupe scolaire COA d’Abobo, avec, au centre, Madame Dominique Ouattara et la princesse Ira de Fürstenberg, marraine de la fondation.

Le Bihan, Tomer Sisley, Gary Dourdan ou Isaach de Bankolé, la réalisatrice Yamina Benguigui, et les artistes Alpha Blondy, Youssou N’Dour, Singuila, Magic System, Michel Gohou, Vegedream, Kaaris, Toumani et Sidiki Diabaté, Charlotte Dipanda, MC Solaar, Kamel Ouali ou encore Fally Ipupa. Côté sport, on peut citer Didier Drogba, Murielle Ahouré, Cheikh Cissé… Et bien d’autres, dont le président français Nicolas Sarkozy en invité surprise ou encore le professeur Marc Gentilini, soutien de la première heure de la fondation. Le but du gala de charité cette année : récolter 6 millions d’euros pour financer, entre autres, la construction d’un centre d’accueil pour femmes victimes de violences dans la ville d’Adiaké en bordure de lagune, à 94 kilomètres d’Abidjan. « Il sera bâti sur une superficie de 1,6 hectare, et sa capacité d’accueil sera de 80 places. Ce centre offrira à des pensionnaires et leurs enfants toutes les commodités nécessaires à leur prise en charge holistique et à leur bien-être », a annoncé Madame Dominique Ouattara sur scène. Une partie de la somme permettra aussi de rénover et d’agrandir la Case des enfants, le foyer d’accueil de la fondation qui a recueilli des milliers de petits en difficulté AFRIQUE MAGAZINE

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Ci-contre, la jeune présidente des élèves, qui a fait un discours de remerciements.

depuis sa création il y a vingt-quatre ans. Grâce aux généreux donateurs et amis du monde du business, dont Pierre Fakhoury, Cyrille Bolloré ou Martin Bouygues, la somme a pu être réunie dans sa totalité. En partie grâce à la vente traditionnelle, où des objets luxueux sont mis aux enchères. Comme cette parure bracelet et boucles d’oreilles en or et diamants d’une valeur de 53 000 euros offerte par le maître joaillier Edouard Nahum ou encore une œuvre de l’artiste Aboudia, emportée pour 280 millions de francs CFA (426 000 euros). Une soirée haute en couleur, avec un menu savoureux concocté par les chefs Yannick Alléno et Prisca Gilbert et un spectacle de qualité, des tableaux créés par le chorégraphe Georges Momboye aux prestations de Magic System ou d’Alpha Blondy. Le thème de la soirée : Africa is the future. Le matin, l’ensemble des invités de la Première dame s’était rendu au groupe scolaire d’excellence Children of Africa d’Abobo, financé grâce aux recettes du gala précédent, 23


ON EN PARLE qui s’était tenu en 2018. Située dans l’une des communes les plus peuplées du district d’Abidjan, l’école accueille 700 élèves, dont 100 à la maternelle et 600 au primaire. Elle est dotée d’équipements modernes, d’une cantine, d’une bibliothèque, d’une aire de jeu pour les plus petits et d’un grand terrain de sport. Ce groupe scolaire est entièrement gratuit pour les élèves, y compris les tenues, les fournitures et la cantine. La Première dame, le ministre-gouverneur du district autonome d’Abidjan Robert Beugré Mambé et plusieurs membres du gouvernement de Côte d’Ivoire, dont la ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation Mariatou Koné, ont été accueillis par les danses et les chants des élèves. Depuis sa création en 1998, la fondation Children of Africa a construit l’Hopital mère-enfant Dominique Ouattara de Bingerville, et a fait de l’éducation des enfants son premier cheval de bataille. Elle distribue à chaque rentrée des classes des kits scolaires aux enfants défavorisés, équipe les écoles et les cantines à travers tout le pays et a, entre autres, construit un lycée dans la ville de Kong, dans le nord du pays. ■

Le président de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara et son épouse, Dominique.

Une soirée haute en couleur. La table présidentielle du dîner de gala, au Palais des congrès du Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire.

Nicolas Sarkozy et Dominique Besnehard, avec Dominique Ouattara.

Loïc Folloroux et Claire Guena. Le professeur Marc Gentilini.

Alpha Blondy sur scène.

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Le couple présidentiel entouré, de gauche à droite, par Mamadou Diagna Ndiaye, Martin Bouygues, Mireille Fakhoury, Nathalie Delapalme et Pierre Fakhoury.

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Marc Socquet et son épouse, Nathalie Folloroux.

Youssou N’Dour et Nadine Sangaré. Selfie de Fally Ipupa avec Dominique Ouattara.

Le Premier ministre Patrick Achi et son épouse, Florence.

MC Solaar.

Didier Drogda et Gabrielle Lemaire.

Elisabeth Gandon et Yannick Alléno. Danielle Ben Yahmed, Cyrille Bolloré et Aure Atika.

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La Première dame entourée de Masséré Touré et de Bruno Koné.

Le couple présidentiel entouré, de gauche à droite, par Amira Cazar, Emmanuelle Béart, Yamina Benguigui, Samuel Le Bihan, Aure Atika, Tomer Sisley et Sandra Zeitoun.

Martin Bouygues et Adriana Karembeu.

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PARCOURS

Omar Mahfoudi COLORISTE, CET ENFANT DE TANGER

ravive la nature dans son œuvre poétique. Il participe en avril à la foire d’art contemporain africain 1-54, à Paris, pour la galerie Afikaris, qui promeut les artistes émergents du continent. par Fouzia Marouf

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ourire en bannière, il se promène entre les colonnes ivoire de la galerie parisienne Afikaris. Omar Mahfoudi allie la singularité du dessin à l’effusion de la couleur : ses silhouettes singulières, auréolées de doré, ses reliefs pastel sont autant de signes qui constellent ses toiles monumentales de la série Golden Painting et le connectent à sa mémoire ancestrale et à sa ville natale, Tanger, terre de brassage, d’errance et d’exil. Né en 1981 dans la mythique cité du détroit, il grandit entouré du souvenir vivace de la Beat Generation : « La maison de mes parents se trouvait en face de celle de Barbara Hutton, près de celle de Paul Bowles. Et comme nombre de Marocains, j’ai été profondément marqué par Mohamed Choukri, avec lequel je discutais souvent, adolescent. Tanger était une ville internationale qui nous fascinait tous. J’y ai fait d’incroyables rencontres artistiques, ne connaissant pas l’Europe », se souvient-il. Enfant touche-à-tout, habile de ses mains, il transforme tous les objets en jouets. « J’ai grandi dans la kasbah, en passant mon temps à dessiner, à faire le portrait de mes amis. À l’époque, nous avions une chaîne de télé espagnole en plus de la chaîne marocaine nationale. Influencé par la culture manga, je reproduisais mes héros de dessins animés sur du carton que je peignais. » Son destin semble tout tracé. Passionné, curieux, il incarne la nouvelle école et participe activement à l’efflorescence de la jeune scène du Nord marocain, où nombre de plasticiens se sont succédé, en quête de la bonne lumière à Asilah ou à Tétouan, qui abrite l’emblématique Institut national des beaux-arts. Omar Mahfoudi se consacre définitivement à son art : « J’avais conscience d’être au cœur d’un lieu emblématique, où avaient vécu Matisse, Bacon. Je passais d’atelier en atelier, avant le boom économique, nourri par une mixité et un héritage culturels très présents. Je peignais au contact d’une vitalité et d’une émulation constantes », indique-t-il. Rebelle, revêche, la région est ainsi aux prises avec les mouvements de contestation depuis 2011. En 2015, il participe au group show Désordre, présenté à la galerie Delacroix, à l’Institut français de Tanger. Dans sa série de grands formats consacrés à des figures militaires, il dépeint la chute de dictateurs vieillissants : « Je me suis inspiré de Moubarak et de Kadhafi afin de dénoncer la symbolique de la répression. C’était aussi un prétexte pour aborder l’abstrait, qui traverse encore mon œuvre aujourd’hui. » En quête d’un ailleurs, l’âme voyageuse, en 2012, il passe par les États-Unis : « Cela m’a mené au septième art. New York me fascinait pour le Nouvel Hollywood, mais la ville était trop froide et urbaine, j’étais heureux de retourner au Maroc », confie-t-il. Arrivé à Paris en 2016, il intègre la galerie Afikaris en y exposant en 2020 un travail renvoyant à l’après-confinement, « Quitter la ville » : « J’ai découvert cet espace à 1-54 Marrakech, en 2019. Nous grandissons ensemble, entre écoute et observation. » Depuis, il a présenté en 2021, à la foire 1-54 London, des œuvres de son exposition « El Dorado », inspirée par la peinture italienne du Moyen-Âge. Et en 2023, il exposera à la galerie L’Atelier 21, à Casablanca, dans un solo show. Ses nouveaux travaux, qui font écho à la poésie de la nature, et leurs variations et explosions de couleurs seront exposés du 7 au 10 avril à 1-54 Paris, avec la galerie Afikaris. ■ 1-54.com / afikaris.com

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AMMAR ABD RABBO

«J’ai grandi dans la kasbah, en passant mon temps à dessiner, à faire le portrait de mes amis.»


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C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

DOM

BAS LES MASQUES ! Le 26 mars dernier, un événement – car c’en est un – est un peu passé inaperçu. Un masque en bois du peuple Fang, spécimen rarissime de la société secrète des justiciers du Ngil, s’est envolé à 5,25 millions d’euros lors d’une vente aux enchères à Montpellier, dans le sud de la France. Un record qui talonne de peu celui de 2006 pour un autre masque de la même ethnie, qui avait été adjugé à 5,9 millions d’euros, à Paris. À Montpellier, dans la salle, un membre de la communauté gabonaise locale s’est exclamé : « Le voleur doit être pris avec l’objet volé. Ne vous inquiétez pas, on va porter plainte. On va récupérer cet objet, c’est un bien mal acquis colonial. » Dans ce cas précis, et selon le commissaire-priseur, ce masque a été collecté vers 1917 par un gouverneur français en poste à Dakar, et a dormi dans un grenier durant plus de cent ans. Alors oui, c’est probablement un vol. Mais la vente s’est faite en toute légalité. À l’heure où certains pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Bénin ou le Nigeria, demandent (et ont commencé à obtenir) la restitution de leurs œuvres d’art pillées, la réaction de l’agitateur gabonais est bien entendu légitime. Pour autant, ce fait divers ouvre un débat assez compliqué. Sur le plan du droit, d’abord. Comment prouver que ces pièces aient été offertes ou pillées ? La plupart du temps, plus aucun témoin n’est là pour en attester. Comment changer le droit à la propriété ? Par ailleurs, dans le cas de l’Afrique centrale, il semble qu’aucune nation n’ait à ce jour montré une velléité très prononcée pour récupérer son patrimoine. Elle n’a pas construit de musée d’envergure, sécurisé, capable d’accueillir des pièces aussi exceptionnelles. Alors, certes, la plupart de ces œuvres ont été volées et devraient être restituées à leur propriétaire ou à leur pays. Et le mouvement ayant été lancé, on peut supposer qu’il va se poursuivre. On le souhaite en tout cas. Mais ce que l’on souhaite aussi, c’est que l’Afrique en général montre un peu plus de passion pour son art ancien. Que les milliardaires du continent s’y intéressent davantage, par exemple. À ce jour, les vrais collectionneurs africains se comptent sur les doigts d’une main, et souvent, ils sont plutôt séduits par l’art contemporain. Quant aux peuples, l’art ancien n’est pas non plus une priorité pour eux. Loin de là. C’est dommage, car il faudrait peut-être commencer par là. Afin de faire pression et de favoriser des retours, privés ou publics, plus massifs. Un peu plus passionnés, quoi ! ■ AFRIQUE MAGAZINE

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