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RCA : le pari risqué du bitcoin
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RCA : le pari risqué du bitcoin
La République centrafricaine est le deuxième État à avoir adopté la fameuse cryptomonnaie. Problème : son cours est en chute libre. Mais malgré les doutes, le président Faustin-Archange Touadéra affiche de grandes ambitions virtuelles. par Cédric Gouverneur
En l’espace de sept mois, le cours du bitcoin a été divisé par 3,5 : de près de 70 000 dollars en novembre 2021 à 20 000 mi-juin. « Mais sur un intervalle de trois ans, cette monnaie n’a pas perdu de valeur », rétorque Sébastien Gouspillou, fondateur de la société de minage BigBlock DataCenter. Cet entrepreneur français, fervent promoteur du bitcoin, conseille les autorités du Salvador et de la République centrafricaine (RCA), les deux premiers États à lui donner cours légal : « C’est beaucoup plus fiable que la monnaie locale ou des dollars cachés sous le matelas », insiste-t-il. Pourtant, la chute du cours s’apparente à un crash. Des entreprises américaines de minage, Marathon Digital et Riot Blockchain, voient leur valeur divisée par 10 ou 12. À Singapour, le fonds spéculatif Three Arrows Capital est proche de la faillite. « Nous entrons dans une récession », a admis Brian Armstrong, fondateur de la plate-forme Coinbase. « Un hiver crypto » s’annonce, peutêtre « pour une période prolongée ».
Dans un tel contexte, le virage pris par la RCA interroge, puisqu’en avril, elle adoptait le bitcoin, aux côtés du franc CFA. Fin mai, le président Faustin-Archange Touadéra (ex-professeur de mathématiques) annonçait le projet Sango, devant « transformer l’économie de la RCA ». Baptisé du nom de la principale langue du pays, celui-ci comportera un « crypto hub », afin d’attirer les « crypto investisseurs » grâce à une « fiscalité nulle », une « banque nationale digitale », et une « île crypto » (sur le modèle de la « plage bitcoin » du Salvador), où feront affaire les bitcoiners.
Premier hic : Bangui n’a pas pris la peine d’alerter le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale. « Imaginez-vous la France, membre de la zone euro, adopter le bitcoin sans prévenir l’Europe ! » s’étonne Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (Genève). L’économiste a signé en décembre, avec Nicolas Dufrêne [lire son interview pages suivantes], une tribune dans Le Monde, dénonçant le « danger » que représente à leurs yeux le bitcoin. « La RCA est un État souverain, elle fait ce qu’elle veut ! s’agace Sébastien Gouspillou. Ce pays étouffe, il n’y a pas assez de billets en circulation, les commerçants ont du mal à vous rendre la monnaie. Son président a
Le chef d’État centrafricain Faustin-Archange Touadéra, en campagne à Bangui, le 12 décembre 2020.
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En avril dernier, le pays décidait de s’ouvrir à la célèbre cryptomonnaie.
trouvé une bonne solution pour aider son peuple. Généraliser l’usage du bitcoin permettra de régler le problème des échanges. » Une illusion, estime Jean-Michel Servet : « Les adeptes du bitcoin se projettent dans un avenir qui n’existe pas. Car la population ne l’utilise pas ! Ce qui se passe au Salvador est révélateur… »
Dans ce petit État d’Amérique centrale, le président Nayib Bukele a donné cours légal au bitcoin il y a un an. En 2001, le Salvador avait dû abandonner le colon, la monnaie nationale, pour adopter le dollar. Le pays connaissant une forte émigration vers les États-Unis, 22 % de son PIB provient des transferts de cash de la diaspora. « Le bitcoin permet ainsi d’effectuer des envois quasiment sans frais », là où Western Union et ses concurrents prennent une belle commission, se félicite Sébastien Gouspillou. « Il est désormais possible de transférer de toutes petites sommes à ses proches. »
Reste que les Salvadoriens boudent Autre point délicat : l’opacité la monnaie virtuelle. Les autorités de la cryptomonnaie, qui séduit avaient pourtant offert à tout volontaire les protagonistes de l’économie un portefeuille électronique, le Chivo, souterraine (trafics en tout genre, garni de l’équivalent de 30 dollars. arnaques, blanchiment…). Ainsi, Mais la plupart se sont contentés les ransomwares – des logiciels d’en empocher le contenu, puis de le malveillants qui paralysent des convertir en billets verts… Et seulement ordinateurs, puis exigent une rançon une entreprise sur cinq et un pour les débloquer – commerce sur vingt utilisent extorquent des bitcoins le bitcoin. Fin mai, le journal à leurs victimes. allemand Süddeutsche Sébastien Gouspilllou balaie Zeitung a constaté que, ces critiques : « C’est une même en plein centre- vaste blague ! Cela soulève ville de la capitale, des des inquiétudes chez ceux commerçants le refusaient. qui n’y connaissent rien : Quant aux ruraux, ils les transactions sont sous n’ont pour la plupart pas pseudo, mais elles sont de connexion Internet… Sur le plan évidemment traçables. » Les économistes macroéconomique, le Salvador risque le Servet et Dufrêne soulignent cependant défaut de paiement. Mais il en faudrait que cette traçabilité exige non plus pour doucher l’enthousiasme de seulement des enquêtes policières son président : Nayib Bukele a en effet complexes, mais aussi la volonté dévoilé sur Twitter les plans de Bitcoin des autorités pour diligenter les City, la ville futuriste de 7 500 hectares investigations. Or, le Salvador est rongé qu’il rêve d’offrir à son pays. par le crime organisé – les tristement
célèbres maras, des gangs armés qui font de ce pays l’un des plus violents au monde ! Quant à la RCA, elle fait la part belle aux mercenaires de la société militaire privée russe Wagner, proche du Kremlin. Mi-juin, une délégation officielle centrafricaine s’est d’ailleurs rendue au sommet économique de Saint-Pétersbourg. Un journaliste de RFI y a remarqué la présence d’Émile Parfait Simb , un entrepreneur camerounais qui fait l’objet d’enquêtes dans son pays pour escroquerie. Détenteur d’un passeport diplomatique centrafricain, il est considéré comme l’un des inspirateurs du projet Sango.
Peu de Centrafricains ont accès à l’électricité et à Internet. Mais « c’est un terreau suffisant », estime Sébastien Gouspillou. « La situation n’est pas figée. On envisage une solution de paiement par le réseau téléphonique mobile, c’est tout à fait faisable. » Le continent a en effet été le pionnier du paiement sur mobile avec M-Pesa, au Kenya, il y a quinze ans déjà. « C’est trop facile à pirater, réplique Jean-Michel Servet. On parle là de deux pays où les gens manquent de tout, mais où l’électricité va être monopolisée pour miner du bitcoin ! C’est une illusion de croire que créer une monnaie créera des richesses. » Selon l’économiste, l’alternative pourrait être le lancement d’une monnaie digitale adossée à la Banque centrale, « à l’exemple de la monnaie électronique chinoise, le yuan numérique ». Expérimenté depuis janvier, le e-yuan (ou e-CNY) est destiné à remplacer pièces et billets : les Chinois peuvent en télécharger sur leur smartphone pour régler leurs achats. À noter que, dans le même temps, l’Empire du milieu – qui, vers 1000 après J.-C., a révolutionné les échanges en inventant le billet de banque – a interdit sur son sol le minage de bitcoin… ■
LES CHIFFRES
5660 KM
C’EST LA LONGUEUR DU FUTUR GAZODUC ENTRE LE NIGERIA ET LE MAROC. UN VIEUX PROJET QUI SE CONCRÉTISE PUISQUE LA NIGERIAN NATIONAL PETROLEUM CORPORATION VIENT DE SIGNER UN PROTOCOLE D’ACCORD AVEC LA CÉDÉAO.
66,3 %
C’est le taux de reprise du trafic passagers sur le continent par rapport au niveau d’avant-pandémie, selon l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA).
Le siège de la BCEAO à Dakar, au Sénégal.
6,8% fin avril (contre 6,6 % fin mars) : c’est le taux d’inflation dans la zone CFA, selon la BCEAO, du fait de la hausse des cours. Il grimpe à deux chiffres dans plusieurs pays hors CFA, comme le Ghana, le Nigeria ou encore la Guinée.
25 POINTS
Soit le relèvement des taux directeurs de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, qui passent de 2 à 2,25 % dans l’espoir de juguler l’inflation.