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La dette menace l’Afrique

Souvent libellé en dollars, pâtissant de la hausse du billet vert, des politiques anti-inflationnistes américaines et des contrecoups de la guerre en Ukraine, le stock d’endettement explose, menaçant l’équilibre social de nombreux pays. La zone CFA résiste mieux. par Cédric Gouverneur

Avec une dette se montant désormais à 80 % de son PIB, le Ghana se trouve confronté à sa pire crise économique depuis des décennies. Malgré des mesures de restructuration début décembre 2022 et l’octroi par le Fonds monétaire international (FMI) d’un programme de financement de 3 milliards de dollars, les autorités de ce pays anglophone ouest-africain ont dû se résoudre, le 19 décembre dernier, à annoncer la « suspension » du paiement d’une partie de sa dette extérieure. En d’autres termes, le Ghana se trouve en défaut de paiement… L’envoyée spéciale de RFI à Accra témoignait, le 2 janvier, d’« effets de la crise visibles partout dans la capitale » : le trafic routier est étonnamment fluide faute de véhicules, les marchés et les boutiques sont déserts faute de clients. Concrètement, les habitants sautent des repas et se résignent à marcher, afin d’économiser sur le coût de transports. En Tunisie, la dette avoisine 100 % du PIB, contre 40 % en 2011. Sucre, beurre… Les pénuries alimentaires se multiplient et les rayons des supermarchés se vident, l’État, endetté, manquant de devises pour constituer des stocks. En octobre dernier, Tunis avait obtenu du FMI un crédit de 1,9 milliard de dollars, en deçà du montant espéré. Mais la réunion prévue en décembre entre les autorités et l’institution financière internationale a depuis été reportée sine die…

L’IMPLACABLE MÉCANISME

La dette extérieure du continent s’élève à environ 1 000 milliards de dollars, dont 700 pour l’Afrique subsaharienne. De nombreux pays se trouvent dans une situation critique vis-à-vis de leur dette : Tunisie, Égypte, Zambie, Angola, Éthiopie, Kenya… Et le FMI estime que la moitié connaît un risque de surendettement. « La dette publique s’est élevée à environ 60 % des PIB, des niveaux qui n’avaient pas été atteints depuis le début du millénaire », souligne sur son blog le directeur Afrique de l’institution, l’Éthiopien Abebe Aemro Sélassié. Les deux années de pandémie ont sabré les finances publiques en tarissant les flux de devises. En faisant bondir le prix de l’énergie et des céréales, la guerre en Ukraine (qui entrera, le 24 de ce mois, dans sa deuxième année) s’est traduite, entre autres maux, par une inflation galopante qui rogne la croissance économique. Car afin de juguler la hausse des prix aux États-Unis, la Réserve fédérale (Fed) tire ses taux d’intérêt, au plus haut depuis quinze ans. Cela fait mécaniquement grimper le billet vert par rapport aux monnaies africaines, renchérissant les dettes libellées en dollars. Au Ghana, la devise nationale, le cedi (un mot dérivé de « cauri », le coquillage qui servait jadis de monnaie dans la région), a ainsi perdu en un an la moitié de sa valeur face au dollar ! À tel point que l’ancienne Gold Coast envisage de payer ses importations de carburant en lingots d’or… Toutes les monnaies nationales subissent la même dépréciation : -70 % pour la livre égyptienne, -30 % pour le naira (Nigeria), -20 % pour le shilling kényan… En outre, l’écart – parfois quasiment du simple au double –entre le taux de change officiel et le taux de change du marché parallèle favorise l’évasion fiscale. Depuis mi-décembre, le Nigeria remplace ses billets de banque dans l’espoir de purger son système monétaire et de freiner l’inflation.

Au Ghana, la monnaie nationale a perdu en un an la moitié de sa valeur face au dollar. Le pays envisage de payer ses importations de carburant en lingots d’or.

La zone CFA – dont le franc est arrimé à l’euro avec une parité fixe – résiste un peu mieux, malgré une monnaie européenne à son plus bas niveau depuis sa mise en circulation en janvier 2002. Après avoir dominé le dollar les subissent la même dépréciation : -70 % pour la livre égyptienne, -30 % pour le naira (Nigeria), -20 % pour le shilling kényan… pendant deux décennies (parfois 1 euro pour 1,5 dollar), les devises européenne et américaine se trouvent, depuis un an, pratiquement à égalité (environ 1 euro pour 1 dollar, et même 0,98 euro pour 1 dollar en juillet). Résultat : les dettes publiques de la zone CFA ont elles aussi augmenté. Au Cameroun, le directeur général de la Caisse autonome d’amortissement (CAA), Richard Evina Obam, a reconnu, en novembre, une hausse de la dette du pays de 11,2 % en un an. Le ralentissement de l’inflation outre-Atlantique (7,1 % en novembre, contre 7,7 % en octobre) a néanmoins conduit, mi-décembre, la Fed à amoindrir sa dernière hausse (0,5 %, contre 0,75 % pour les augmentations précédentes). Son président, Jerome Powell, table désormais sur une inflation de 3,1 % en 2023, contre 5,6 % en 2022. Et la mauvaise nouvelle pour les économies des pays émergents est que ce dernier entend réduire l’inflation américaine à 2 % ! Or, atteindre cet ambitieux objectif implique, pour le grand argentier de Washington, de nouvelles hausses des taux…

Qualifié de « vautour » par ses détracteurs, le fonds américain BlackRock est le plus grand gestionnaire d’actif au monde.

Le Bouc Missaire Chinois

L’ONG britannique Debt Justice déplore que ces « hausses de taux d’intérêt en réponse au pic global d’inflation » s’effectuent dans les pays riches « sans considération pour leurs débordements sur les pays en développement », « empirant une situation qui était déjà dramatique », en « accroissant le volume relatif des dettes ».

Debt Justice relativise par ailleurs le rôle de Pékin, décrié par les Occidentaux pour avoir prêté abondamment au continent dans les années 2000 et 2010, décennies de la « Chinafrique », notamment pour la construction d’infrastructures : lors de sa première visite sur le continent, en 2021, le secrétaire d’État américain Antony Blinken avait ainsi accusé l’empire du Milieu, sans le nommer, de « piéger » l’Afrique avec ses prêts. La Chine a annoncé en août dernier renoncer à « 23 prêts arrivés à échéance auprès de 17 pays africains », sans entrer dans les détails. « Le G7 devrait s’attaquer aux prêteurs privés plutôt que de blâmer la Chine », estime Tim Jones, de l’ONG britannique, dans une étude publiée en octobre. Chiffres à l’appui, celui-ci pointe le fait que les créances chinoises ne représentent que 12 % de la dette des pays pauvres et émergents, tandis que 47 % sont dues à des créanciers privés, 27 % à des institutions multilatérales (FMI, Banque mondiale), et 14 % à d’autres États que la Chine. Debt Justice dénonce par ailleurs les agissements du fonds d’investissement américain BlackRock, qualifié de « vautour » par ses détracteurs : l’ONG a en effet calculé que, si la Zambie remboursait intégralement ce qu’elle doit au fonds new-yorkais, celui-ci réaliserait un profit de 110 % ! Une véritable « culbute » que d’aucuns trouveront quelque peu indécente, sachant que l’État zambien a dû amputer de 20 % les budgets des Affaires sociales et de la Santé ces deux dernières années… Une centaine d’économistes et d’universitaires ont appelé à l’annulation d’une part substantielle de la dette zambienne, « économiquement inefficace et moralement mauvaise ». ■

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