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BUSINESS La bataille contre les plastiques PORTFOLIO ABBAS POUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ÇA SLAME À ABIDJAN! RYTHMES MOUNIA MEDDOUR INTERVIEWS+ KAOUTHER ADIMI MAMADOU DIOUF France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0 L 13888 - 438 H - F: 4,90 € - RD N°438 - MARS 2023 Soft Power Africa NOTRE CLASSEMENT EXCLUSIF des 15 pays du continent qui projettent de la « puissance douce », qui s’adressent le mieux au monde, qui se positionnent comme des « influenceurs » incontournables.

L’UKRAINE, LA RUSSIE ET NOUS

Le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine. Une « opération spéciale », prévue pour durer quelques semaines tout au plus. La guerre totale, pourtant, s’est installée depuis plus d’un an, avec son cortège de tragédies. Le conflit a bouleversé le désordre établi du monde. L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a resserré les rangs, les États-Unis et l’Europe soutiennent Kiev, avec des moyens sans limites. Les sanctions se sont abattues sur une Russie, brutalement coupée du marché global, mais toujours aussi menaçante.

Moscou joue la carte de la contre-hégémonie. Il s’agirait de résister à l’impérialisme, à la domination, à l’arrogance de Washington et de ses alliés. On s’appuie sur la tradition anticoloniale de la défunte URSS. Se dessinerait, dit-on, une nouvelle séquence de l’histoire, avec l’émergence d’un « camp du refus » se structurant autour de Moscou, Beijing, New Delhi, Brasília, et d’autres… L’Afrique serait alors l’un des enjeux stratégiques de cette bataille entre l’Occident et la « rébellion des nouveaux mondes ». Le continent serait sommé de choisir son camp. Le résultat des votes successifs aux Nations unies, le nombre d’abstentions lorsqu’il s’agit de condamner la Russie, montre l’ampleur de l’embarras continental.

Pour de nombreux Africains, ce conflit n’est pas le leur, ils ne veulent pas être sommés de s’aligner, de prendre parti dans une « bataille lointaine », à des milliers de kilomètres, qui n’entre pas dans leur intimité géographique ni stratégique. Les conséquences économiques pour des pays fragiles sont particulièrement lourdes, et personne non plus dans le « camp du bien » n’est véritablement venu les soutenir… Certains, enfin, ont des relations anciennes avec la Russie. Et la plupart ne se retrouvent pas dans les arguments de principe sur la souveraineté et la liberté défendus par l’Occident.

L’époque coloniale n’est pas si lointaine, avec son cortège d’humiliations et de spoliations. Les grands discours n’ont pas empêché les Occidentaux de soutenir des régimes infréquentables. La souveraineté des nations n’a pas pesé lourd lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak en 2003, en accumulant les

mensonges. Imposant des embargos qui ont affamé des millions de civils. Déclenchant des conséquences désastreuses (dont la naissance de Daesh…). En Afrique, on n’oublie pas non plus la « liquidation » de la Jamahiriya arabe libyenne en 2011, perçue comme étant l’une des causes – sinon « la » cause – de la déstabilisation de tout le Sahel.

Certains conflits seraient plus importants que d’autres. On parle de l’Ukraine, en évoquant à peine ce qui s’est passé au Tigré (600 000 morts, 2 millions de déplacés) ou pendant les innombrables guerres du Congo. On dépense sans compter des dizaines de milliards de dollars pour soutenir Kiev, mais chaque million qui devrait être alloué à la sécurité sur le continent fait l’objet d’âpres discussions… Sans parler évidemment des budgets d’aide au développement faméliques. Ou des fonds promis pour lutter contre le réchauffement climatique…

Le monde est injuste, mais rien n’empêche pourtant l’Afrique de prendre position. Rien n’empêche l’Afrique de se libérer des tutelles occidentales, d’adhérer pleinement à la stratégie de construction d’un monde multipolaire. Rien n’empêche de maintenir pour certains un dialogue avec Moscou (la France a bien tenté de le faire). Mais il faut reconnaître la situation telle qu’elle est. Et mesurer le cynisme de l’approche de Vladimir Poutine, « défenseur des victimes de l’impérialisme », tout en menant une politique de conquête, de mise sous tutelle d’un pays voisin. Rien n’empêche de constater que la Russie alimente par ailleurs une véritable campagne de grande ampleur informationnelle et digitale pour manipuler les opinions publiques, en Afrique et ailleurs… Que la force Wagner est avant tout une milice, qui se charge certes de la protection des régimes, mais surtout du pillage de leurs richesses.

On pourrait simplifier plus encore le raisonnement. La guerre d’Ukraine est une « mauvaise » guerre, aberrante, « illégitime » et coûteuse. Comme le fut l’invasion de l’Irak en 2003. L’une ne justifie pas l’autre, et une Afrique libre et souveraine doit pouvoir condamner ce qui doit l’être. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023 3
édito
PAR ZYAD LIMAM

N°438 MARS 2023

TEMPS FORTS

30 Soft Power Africa par Zyad Limam, Thibault Cabrera, Cédric Gouverneur et Emmanuelle Pontié

44 Ça slame à « Babi » par Philippe Di Nacera

54 Mamadou Diouf : « La culture doit guider le politique » par Astrid Krivian

60 Mounia Meddour : « J’aime le cinéma utile » par Astrid Krivian

66 Kaouther Adimi : « La fiction permet tout » par Astrid Krivian

P.08

Soft Power Africa

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps

Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

6 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
DRAYMAN AREF/NUR PHOTOS/AFP
BUSINESS La bataille contre les plastiques PORTFOLIO ABBAS POUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ÇA SLAME À ABIDJAN! RYTHMES MOUNIA MEDDOUR INTERVIEWS+ KAOUTHER ADIMI MAMADOU DIOUF – – –4,90
P.30
NOTRE CLASSEMENT EXCLUSIF des 15 pays du continent qui projettent de la «puissance douce», qui s’adressent le mieux au monde, qui se positionnent comme des influenceurs» incontournables PHOTOS DE COUVERTURE : JIHANE ZORKOT - ABBAS/FONDS ABBAS PHOTOS/ MAGNUM PHOTOS - SHUTTERSTOCK - PATRICE NORMAND/LE SEUIL - COADIC GUIREC/BESTIMAGETHIBAUT CHAPOTOT/MUSÉE DU QUAI BRANLYJACQUES CHIRAC - SHUTTERSTOCK
3 ÉDITO
et nous
Limam 8 ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Ramsès superstar 26 PARCOURS Amina Richard par Astrid Krivian 29 C’EST COMMENT ? Hydratez le continent ! par Emmanuelle Pontié 52 CE QUE J’AI APPRIS Yasmine Chouaki par Astrid Krivian 70 PORTFOLIO Abbas : Pour la liberté par Emmanuelle Pontié 88 VIVRE MIEUX Douleurs articulaires : comment mieux les contrer ? par Annick Beaucousin 90 VINGT QUESTIONS À… Ablaye Cissoko par Astrid Krivian
L’Ukraine, la Russie
par Zyad

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AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023 7 76 Recycler le plastique, le rocher de Sisyphe 80 Edem d’Almeida : « Il faut distiller un autre regard » 82 Les assureurs du continent veulent convaincre 83 Une nouvelle cimenterie pour Dangote au Nigeria 84 Mounir Laggoune : « C’est le Far West » 86 EACOP : bras de fer entre des ONG et TotalEnergies 87 Un gazoduc Algérie-Italie sans la Tunisie par Cédric Gouverneur
JIHANE ZORKOTABBAS/FONDS ABBAS PHOTOS/MAGNUM PHOTOSSHUTTERSTOCK
BUSINESS
P.44 P.70 P.76

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

8 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023 DR

ÉVÉNEMENT

RAMSÈS SUPERSTAR

Une exposition qui célèbre le PLUS GRAND DES PHARAONS et présente d’incroyables trésors,

APRÈS AVOIR accueilli la grande expo sur Toutânkhamon en 2019, Paris se remettra à l’heure de l’Égypte antique en avril prochain. Avec « Ramsès & l’or des pharaons », c’est cette fois-ci l’un de ses rois les plus connus qui est mis à l’honneur : Ramsès II. Entre son intronisation en 1279 av. J.-C., à l’âge de 25 ans, et sa mort, à 91 ans, le guerrier et grand bâtisseur a marqué à jamais la civilisation égyptienne. L’empire, qui vivait son apogée, était submergé de richesses, comme le témoignent de nombreux trésors en or, argent, lapis-lazuli, obsidienne, et bien d’autres matériaux précieux. Des objets de plus de 3 000 ans seront mis en valeur dans un décor somptueux : les visiteurs pourront admirer des bijoux exceptionnels, comme un collier d’or de plus de 8 kg, ou encore un colosse en calcaire à l’effigie de Ramsès – exposé pour la première fois hors d’Égypte – et son précieux

cercueil en bois de cèdre. Ces chefs-d’œuvre complètent un parcours ponctué de présentations multimédia uniques et enrichi par des ateliers, un escape game, ainsi qu’une expérience de réalité virtuelle dans le temple d’Abou Simbel et le tombeau de la reine Néfertari. ■ Luisa Nannipieri

« RAMSÈS & L’OR DES PHARAONS », Grande Halle de la Villette, Paris (France), du 7 avril au 6 septembre. expo-ramses.com

Des chefs-d’œuvre de plus de 3 000 ans, à l’image de l’amulette de la déesse Bastet et l’obélisque, ci-contre, et du buste en granit de Mérenptah (fils de Ramsès), à gauche.

AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023 9
dont certains pour la première fois hors d’Égypte.
DRSANDRO VANNINI (2)

SUPPLÉMENT

LES BONUS DE BLACK PANTHER II

La sortie TRÈS ATTENDUE en DVD de

la suite du blockbuster Marvel.

ALORS QUE la successeure du roi T’chala tente de s’imposer à la tête du Wakanda, un royaume sous-marin mystérieux menace de s’allier aux puissances ennemies qui convoitent les ressources en vibranium du pays africain high-tech. Letitia Wright remplace Chadwick Boseman, mais l’acteur ivoirien Isaach de Bankolé joue toujours le chef de la tribu de la rivière. Pour ceux qui l’auraient déjà vu au cinéma, la sortie en DVD de ce deuxième épisode permet de prolonger le plaisir en le revisionnant avec le commentaire du réalisateur. Autres suppléments : un (court) bêtisier, quatre scènes coupées (dont une dans les toilettes de la NSA, l’Agence nationale de la sécurité américaine…), ainsi que deux reportages sur le tournage qui racontent les coulisses de la conception du royaume sous-marin Talokan et expliquent l’évolution, d’un épisode à l’autre, des costumes et des décors, inspirés de toute l’Afrique. ■ Jean-Marie Chazeau

BLACK PANTHER: WAKANDA FOREVER (États-Unis), de Ryan Coogler. Avec Letitia Wright, Angela Bassett, Danai Gurira. En Blu-ray et DVD.

SOUNDS

À écouter maintenant !

Merve Dasdemir est toujours au micro, entourée de musiciens tous plus doués les uns que les autres. Entre les bazars d’Istanbul et les errances psyché seventies, on ne sait plus où donner de la tête. Pour cet excellent cinquième album, le groupe néerlandais préserve son inspiration et son énergie électrique. Coup de cœur pour la version perchée de « Rakıya Su Katamam », de l’écrivain turc Mustafa Öztürk.

Nouveau projet enthousiasmant pour le roi du tambour ka, batteur et compositeur antillais Sonny Troupé : la musique de film ! Séduit par 2 semaines krono, du réalisateur guyanais Stéphane Floricien, il a proposé à ce dernier que ses protagonistes soient incarnés par des instruments, chacun doté de sa mélodie. Ce qui fait de Romance un écrin de morceaux instrumentaux expressifs.

YellowStraps

Tentacle, Haliblue Records/Universal Music France

C’est à Bruxelles que les frères Yvan et Alban Murenzi, nés au Rwanda et élevés en Ouganda, férus de soul et de hip-hop, ont lancé YellowStraps. Aujourd’hui, le duo est devenu solo, et Yvan propose le réussi Tentacle, dans lequel il façonne un mélange de R’n’B et d’electronica doté d’une belle ambition pop. En bonus, deux featurings avec Sofiane Pamart et Roméo Elvis. ■ Sophie Rosemont

10 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
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ELI ADÉ/2022 MARVELDR (4)

RYTHMES

LE KOLOGO POWER DE KING AYISOBA

« JE SUIS LE ROI DU KOLOGO. Notre musique, c’est le kologo power ! Nous préservons notre musique, nos instruments, nos chansons, nos vêtements et nos danses. Quand on joue en Europe, nous semblons différents des autres, mais chez nous, nous sommes comme tout le monde. » Ainsi parle King Ayisoba, dont le formidable nouvel album, Work Hard, se veut fédérateur, accessible, mais sans compromis. En guise de fils rouges, l’universalité, le gurenne (langue parlée entre autres dans le Haut Ghana oriental), et le kologo donc, cette fameuse guitare à deux cordes. Ainsi, les neuf morceaux se déroulent avec une énergie contagieuse : « Quand les Européens dansent sur notre musique, ils en font partie intégrante. Oui, j’ai mon propre style, mais quand je joue, tous les humains s’assemblent. »

L’album a été en grande partie enregistré à Bongo Soe (près de la frontière du Burkina Faso), le foyer de King Ayisoba et le chef-lieu du studio Top Link, appartenant au producteur et batteur émérite Francis Ayamga.

« Je lui ai enseigné la musique, commente l’artiste. Francis m’a accompagné en tournée, s’est familiarisé avec le corpus du Ghana et d’Europe. Il a travaillé avec Zea [du groupe The Ex, ndlr] aux Pays-Bas, avec Adrian Sherwood au Royaume-Uni. Quand on voyage, la règle, c’est d’apprendre. Aujourd’hui, ce studio est devenu très important, car il sait comment mixer les mélodies traditionnelles aux sonorités internationales actuelles. » Et il en offre une belle démonstration ici.

Or, si l’on est emportés par une énergie volontiers joyeuse, King Ayisoba n’oublie pas ses convictions : « Je ne peux pas chanter sur l’amour ou le sexe : nous sommes censés montrer le bien ou le mal. Aujourd’hui, je dis aux gens qu’ils doivent enseigner à leurs enfants leur langue locale. Je dis aux dirigeants de notre pays et du monde entier qu’ils ne doivent pas abuser de leur pouvoir et ne pas céder à la corruption. Je dis aux gens qu’au lieu de trop parler, ils devraient agir et travailler dur. » En écoutant le bien nommé Work Hard ! ■ S.R.

AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023 11
Le Ghanéen revient avec un ALBUM CHATOYANT, fort de multiples expériences sonores…
NICK HELDERMANDR
KING AYISOBA, Work Hard, Glitterbeat/ Modulor.

LITTÉRATURE

AKWAEKE EMEZI Être ou ne pas être

Une exploration du genre, par l’une des VOIX SINGULIÈRES DE LA LITTÉRATURE NIGÉRIANE.

DÈS LES PREMIERS MOTS, les dés sont jetés. Vivek Oji est mort. Cette disparition devenant la clé de voûte du dispositif littéraire d’un récit polyphonique troublant. Où passé, présent, réalité et au-delà s’entremêlent. Dès le départ, la dépouille du héros suscite mille interrogations. Et invite à une exploration de l’intime, de l’identité et du genre. Autant de questions sensibles, touchant à l’individu comme à la société nigériane, et auxquelles la personnalité mystérieuse et poignante de Vivek, fauché en pleine jeunesse, donne chair. « Je ne suis pas ce qu’on croit. Je ne l’ai jamais été », confesse au lecteur celui qui n’a pas pu vivre ouvertement ce qu’il a toujours voulu être : un jeune adulte en quête de lui-même, aimant s’habiller en femme, avec une attirance pour les hommes. Mais comment se faire accepter au sein d’une société où chacun essaie de faire de sa réalité une réalité dominante ?

C’est dans cet écartèlement, entre désaveu et tolérance, entre violence et reconnaissance, que ce roman, encensé par la presse anglo-saxonne lors de sa sortie aux États-Unis en 2020, s’inscrit.

Comme en écho au parcours pugnace et singulier d’Akwaeke Emezi, 35 ans, qui se définit comme non-binaire (personne ne se sentant ni homme ni femme), transgenre, se vit comme étant plusieurs. Né-e à Umuahia d’un père nigérian et d’une mère malaisienne, l’artiste et vidéaste habite aujourd’hui New York. De cette mosaïque identitaire, Akwaeke Emezi tire les fils des frontières réelles ou irréelles entre les genres et les cultures, tisse une œuvre texturée et profondément émouvante. Si son précédent roman, partiellement autobiographique, Eau douce, paru en 2018, s’intéressait aux ogbanje (des esprits qui habitent des âmes humaines dans la culture des Igbos, au sud-est du Nigeria), ce nouvel ouvrage pose un regard profond et tendre sur une famille qui s’effondre après la perte tragique et précoce d’un fils incompris. S’inspirant du réalisme magique de Toni Morrison et de Gabriel Garcia Márquez, ou des mondes étranges d’Helen Oyeyemi, Akwaeke Emezi n’a pas fini de nous surprendre. ■ Catherine Faye

AKWAEKE EMEZI

La Mort de Vivek Oji, Gallimard, 288 pages, 22 €.

ON EN PARLE 12 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
DR
FRANCES F. DENNY/THE NEW YORK TIMES/REDUX-RÉA

SÉRIE

EN PLACE (France),de Jean-Pascal Zadi. Avec lui-même, Éric Judor, Benoît Poelvoorde. Sur Netfl ix.

MÉMOIRE VIVE

Un émouvant hommage, tout en dessins subtils, aux victimes du NAUFRAGE DU JOOLA.

CAP SUR L’ÉLYSÉE !

Un éducateur de banlieue en lice pour devenir le premier présidentnoir de la République française ?

« MANGEZ BIEN, PAYEZ RIEN » ! C’est le slogan laborieux (pour du bio et du local à la portée des plus pauvres) trouvé par l’outsider d’une campagne présidentielle, à la recherche d’une idée pour se faire élire. Stéphane Blé, Français de parents ivoiriens, marié à une Sénégalaise, s’occupe des jeunes de sa cité, qui le poussent à se présenter pour mieux les défendre. Chacun des six épisodes raconte son improbable montée dans les sondages et voit fuser gags et bons mots qui n’épargnent personne, à commencer par le personnage incarné par Jean-Pascal Zadi avec sa bonhomie et son autodérision habituelles. Les rebondissements – plus ou moins attendus – sont portés par des seconds rôles de luxe, d’Éric Judor à Benoît Poelvoorde, en passant par Marina Foïs, et un impayable Sylvestre Amoussou en père du candidat débarquant d’Abidjan. La campagne électorale se déroule jusqu’en Corrèze, « à la rencontre des babtous dans les endroits pauvres » ! Pas besoin de connaître les arcanes de la politique française pour rire de cette satire des mœurs démocratiques, parfois bien dévoyées… ■ J.-M.C.

C’ESTL’HISTOIRE d’un bateau chaviré dans les eaux territoriales gambiennes, devenu le plus grand drame de l’histoire nationale du Sénégal. Le 26 septembre 2002, Le Joola, ferry assurant la navette entre Dakar, Karabane et Ziguinchor, vétuste et surchargé de plus de trois fois la jauge maximale de voyageurs, se retourne en moins de 10 minutes. Selon le bilan officiel, 1 863 personnes meurent, noyées ou écrasées sous le poids des autres passagers. Faisant ainsi plus de morts que le naufrage du Titanic Une tragédie qui aurait pu être évitée, et que la bande dessinée de l’auteur et illustrateur suisse Stefano Boroni transforme en une fable onirique inventive, en donnant la parole aux disparus, depuis un monde subaquatique imaginaire. Des vignettes dessinées à l’encre de Chine aux illustrations intermédiaires colorées, en passant par l’expressivité des visages des personnages, tout concourt à redonner une voix sensible, et plus que jamais vivante, à chacune des victimes. ■ C.F.

ON EN PARLE 14 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
BD
STEFANO BORONI, Que la mer vous soit légère, L’Harmattan, 144 pages, 20 €.
UNE
SATIRE POLITIQUE et drolatique !
DR

ANIMATION

EN TERRAIN MINÉ

Le traumatisme d’une guerre oubliée, sur trois générations de femmes… Un DESSIN ANIMÉ D’UNE GRANDE PUISSANCE.

COMMENT RACONTER une guerre qui a duré plus d’un quart de siècle, tué plus de 1 million de personnes, et laissé des millions de mines antipersonnel, qui continuent à exploser chaque année ? Une pièce de théâtre, deux voyages en Angola, cinq ans de recherches et de rencontres plus tard, voici le résultat proposé par José Miguel Ribeiro, sous la forme détonante d’un dessin animé aux couleurs puissantes, tirant sur le noir et l’hémoglobine… mais laissant entrevoir une certaine poésie et de superbes paysages. On suit trois personnages : d’abord une jeune femme à la recherche de son mari disparu dans la guerre civile qui déchire son pays, au lendemain d’une guerre d’indépendance déjà sanglante. Elle se retrouve plongée au cœur des combats, tour à tour prisonnière et meurtrière malgré elle, jusque dans le désert du Namib. Vingt ans plus tard, on découvre sa fille, rappeuse à la langue bien pendue, dans la Luanda à peine pacifiée des années 2010, ainsi que sa mère, fataliste et devenue obèse, comme pour amortir les coups du sort. Trois générations d’une même famille, trois regards de femmes qui permettent de s’immerger dans les traumas de la violence d’une guerre oubliée, et dont la portée universelle résonne aujourd’hui, de l’Ukraine au Nord-Kivu, du Yémen au Soudan du Sud… La richesse esthétique du film est soulignée par la musique angolaise, de David Zé à Bonga et son tube « Sodade », mythique chanson de l’Afrique lusophone, popularisée vingt-cinq ans avant Cesaria Evora. Avec toute la tristesse de la séparation qui suinte de ce court mot portugais… ■ J.-M.C.

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NAYOLA (Portugal-BelgiqueFrance),de José Miguel Ribeiro. En salles.
DR
Ce film poétique aux couleurs profondes est esthétiquement très riche.

LE PLUS BEL ORNEMENT

À la kasbah des Oudayas, à Rabat, un NOUVEAU MUSÉE dédié aux bijoux du royaume chérifien.

DIADÈME EN OR, pierres précieuses et perles, poignards de type Koummya en argent, cuivre, verroterie et émail, ou encore caftan en velours et fils d’or… Chaque pièce présentée dans le nouveau Musée national de la Parure (qui a ouvert en janvier) rend compte non seulement de l’identité régionale et culturelle du pays, mais également de la diversité des techniques de fabrication. Confectionnés à la main en utilisant les savoir-faire ancestraux, les 800 objets exposés, dont plus de la moitié provient de la collection personnelle de bijoux amazighs du roi Mohammed VI, rendent hommage au travail ingénieux des maâlems et des artisans marocains. La scénographie, quant à elle, situe les grands centres de production dans le pays : Essaouira, Marrakech, Fès et Tétouan pour les bijoux citadins, principalement réalisés en or ; Ighrem, Tiznit, Ida et Nadif pour les ruraux, exclusivement produits en argent. Le musée s’inscrivant dans un écrin historique, l’ancien palais du sultan Moulay Ismail, datant du XVIIe siècle, et son jardin andalou, inspiré de l’Alhambra, entièrement restaurés. ■ C.F. MUSÉE NATIONAL DE LA PARURE, kasbah des Oudayas, Rabat (Maroc).

ON EN PARLE 16 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
OUVERTURE DR
Plus de 800 objets rendent hommage au travail ingénieux des artisans du royaume.

COLLAB

MSAKI

& TUBATSI, DUO DE RÊVE

Les SUD-AFRICAINS s’allient au violoncelliste Clément Petit pour une PROPOSITION CHATOYANTE, entre organique et synthétique.

C’EST LE RAPPORT à l’autre, un thème ô combien universel, mais qui résonne particulièrement en Afrique du Sud, qu’explorent ici Msaki et Tubatsi Mpho Moloi. La première s’est déjà illustrée par l’hybridité de son corpus, de l’électro au folk, et la variété de ses collaborations, de Diplo à Prince Kaybee. En 2022, son album Platinumb Heart Open lui a valu deux prix aux South African Music Awards. Membre du quatuor

Urban Village et du collectif Keleketla, basé à Soweto, Tubatsi Mpho Moloi cultive également différents jardins sonores, du mbaqanga au rock. Sur ce premier album confectionné ensemble, le duo est guidé par les mélodies du violoncelliste et arrangeur français Clément Petit. Et c’est superbe. En témoigne le fervent « Zibonakalise » ou le cathartique « Hearteries ». ■ S.R.

MSAKI & TUBATSI, Synthetic Hearts, Nø Førmat.

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DR

L’ÉTOFFE DES SENTIMENTS

LE NOUVEAU FILM de Maryam Touzani prend son temps pour nous faire découvrir les gestes des derniers artisans de la médina de Salé : ceux qui savent tailler et broder les plus belles étoffes pour fabriquer les caftans traditionnels. La cinéaste marocaine avait filmé dans son premier long-métrage (Adam, 2019) la fabrication des pâtisseries dans une autre médina, celle de Casablanca. Un décor pétri d’authenticité dans les deux cas, pour mettre en valeur des personnages pris dans les mailles d’un conservatisme pesant.

On retrouve ici la même actrice, formidable Lubna Azabal, dans un rôle difficile : après avoir été une veuve particulièrement revêche face à la jeune mère célibataire qui frappait à sa porte dans Adam, la voici malade d’un cancer aux côtés d’un mari tailleur qui lutte contre sa nature homosexuelle (Saleh Bakri). L’irruption d’un jeune apprenti va alors bousculer le couple. L’épouse refuse de se soigner, mais protège un peu trop son mari, torturé par ses contradictions. Tout à sa pratique religieuse très rigoureuse, elle va pourtant l’aider à s’accepter… Cette situation difficile semble pousser vers le mélodrame, mais le film évite les écueils, chacun déjouant les prévisions :

l’époux, d’une belle douceur, recèle une grande force, la femme dépasse ses douleurs physiques et morales, et l’apprenti, dont les intentions sont floues, reste à distance… Au-delà des lenteurs du film – qui s’étirent parfois un peu trop sur deux heures –, les tensions au sein du trio tiennent solidement l’histoire. Et les qualités de l’image et de la lumière ajoutent de la sensualité aux rapports amoureux – très pudiques – et au travail des étoffes que l’on a l’impression de pouvoir toucher. Une ode à l’amour, quelle que soit son orientation, dans un contexte compliqué au Maghreb. Maryam Touzani l’explique elle-même avec conviction : « Malheureusement, au Maroc, l’homosexualité est punie par l’article 489 du Code pénal. La peine peut aller de 6 mois à 3 ans de prison. L’homosexualité est non seulement un tabou, mais elle est considérée comme un crime ! Cette loi est affligeante, et je pense qu’il faut s’insurger pour qu’elle soit abolie, au Maroc, et dans d’autres pays, il faut dire les choses et ne pas avoir peur. » La réalisatrice réussit là un beau film courageux. ■ J.-M.C. LE BLEU DU CAFTAN (Maroc),de Maryam Touzani. Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui. En

ON EN PARLE 18 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
salles.
DRAME DRLES FILMS DU NOUVEAU MONDE/ALI N’ PRODUCTIONS/VELVET FILM/SNOWGLOBE
Derrière le drapé des derniers caftansfabriqués à la main au Maroc, un éloge de l’AMOUR ARC-EN-CIEL.
Lubna Azabal est formidable dans le rôle d’une femme atteinte d’un cancer, dont le mari tailleur, Saleh Bakri (à droite), tait son homosexualité. L’irruption d’un jeune apprenti (Ayoub Missioui) va bousculer le couple…

Djarabane : Au petit marché des amours perdues, Delcourt, 192 pages, 23,95 €.

TROIS QUESTIONS À…

ADJIM DANNGAR

Le dessinateur et auteur tchadien signe la SUPERBE

BD Djarabane : l’histoire d’un artiste débutant dans un pays en guerre, sous la dictature.

AM : Que raconte le tome 1 de votre bande dessinée ?

Adjim Danngar : « Djarabane » signifie « Que faire ? » en sara. Le premier tome narre le parcours de Kandji, qui rêve de devenir artiste peintre, de son enfance à Sarh, dans le sud du Tchad, jusqu’à son adolescence à N’Djamena. L’histoire débute en 1984 : en guerre contre la Libye, le pays est dirigé par Hissène Habré. Son règne, qui a duré huit ans, a été marqué par la terreur, des répressions, des crimes de masse, des enlèvements… Il sera condamné pour crimes contre l’humanité en 2016. Mon personnage traverse, ressent ce contexte politique, social, historique, économique. Malgré cette violence et les difficultés, il s’accroche à ses rêves, se construit, s’émerveille devant la beauté des tableaux de peinture. Il résiste. J’ai puisé dans mes souvenirs, insufflé des éléments autobiographiques, mais Djarabane est une fiction. De quelle façon êtes-vous devenu dessinateur ?

Autodidacte, je dessine depuis l’enfance. Je recopiais les vignettes des bandes dessinées : Tintin, Astérix, Lucky Luke… Et croquais ma famille. Au collège, j’ai imaginé l’histoire d’un superhéros africain qui vainquait les dictateurs. À 17 ans, j’ai intégré L’Atelier Bulles du Chari, où j’y ai appris le b.a.-ba du scénario. Je publiais dans la presse des dessins satiriques pleins de colère – j’exècre la politique de mon pays – et voulais soulever des montagnes. Je suis arrivé en France en 2004, où je vis désormais. Comment travaillez-vous ?

Il faut trouver l’équilibre entre le dessin et le texte, qui se complètent, influent l’un sur l’autre. Ma joie est de chercher la beauté graphique. Mon synopsis de départ évolue, rien n’est définitif. J’effectue les dessins à l’encre de Chine, les zones colorées aux crayons et à l’aquarelle, et les séquences de rêves avec des papiers découpés. Je voyage avec plaisir entre ces différentes techniques. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian

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DR (4) -
CHLOÉ VOLLMER-LO

MALIKA ZARRA DE VELOURS ET DE VOYAGE

Une belle BALADE ENTRE LES CONTINENTS pour ce nouvel opus de la chanteuse marocaine.

SI SES MÉLODIES brillent par leur fluidité, que les cuivres se mêlent avec grâce aux cordes et que le groove est toujours subtil, servant le superbe timbre de Malika Zarra, les racines de RWA (The Essence) sont beaucoup plus sombres : elles se situent entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe, telle la toile d’araignée dans laquelle étaient capturés les esclaves jadis kidnappés et déportés. S’ouvrant sur le magnifique « Feen », ce nouvel album solo profite de la production millimétrée du bassiste surdoué sénégalais Aluna Wade, et refuse la fatalité individualiste en s’aventurant dans différents territoires sonores, entre folk traditionnel africain et jazz d’obédience anglo-saxonne. La musique adoucit les âmes, et c’est encore plus vrai avec Malika Zarra… ■ S.R. MALIKA ZARRA, RWA (The Essence), DZL/L’Autre Distribution.

RÉFLEXION

La clé des songes

Un roman choral, porté par une langue imagée et des questionnements sur le temps et la mémoire. HISHÂM est marchand de livres anciens au Caire. Solitaire et tourmenté, il est obsédé par un rêve récurrent et poétique, dans lequel des anges descendent du ciel pour cueillir tout le jasmin des jardins de Basra (l’actuelle Bassorah en Irak). À la poursuite du sens de ce songe, il finit par se convaincre qu’il y aurait vécu dans une vie antérieure, au VIIIe siècle, et fréquenté d’illustres théologiens. Au fil des pages de ce récit de l’auteure égyptienne

RÉCIT

Cœur de femme

Un court roman sur la mère qui se retire. Et la genèse d’une vocation d’écrivain.

LA MAGIE suscite-t-elle un regard modifié qui fait naître l’extraordinaire de l’ordinaire ? Pour Kossi Efoui, dramaturge et romancier togolais exilé en France depuis 1992, cette magie pourrait être la parole, signe incontestable de la liberté et de ce qui fonde l’humanité. Une parole portée par la force mystérieuse de l’écriture et la puissance orale du théâtre. Son sixième roman, rythmé par une langue énergique et spontanée, aborde cette fois-ci les rivages du lien filial, de l’exil et de l’enracinement littéraire. Une tresse existentielle au

MANSOURA EZ-ELDIN, Les Jardins de Basra, Actes Sud, 224 pages, 22,80 €.

Mansoura Ez-Eldin, dont le précédent, Le Mont Émeraude, a obtenu le prix du roman du Salon du livre de Sharjae 2014, on croise des figures majeures de la pensée islamique. Telles que Hasan al-Basri, Abu Amr Ibn al-Ala, ou encore Ibn al-Rawandi. Seulement, un jour, en feuilletant Le Grand Livre de l’interprétation des rêves, de l’imam Muhammad Ibn Sirin, Hishâm tombe sur son propre rêve. Celui-ci serait le signe prémonitoire de la disparition de tous les penseurs de la ville… ■ C.F.

fil de laquelle, à l’approche de la mort de sa mère, il se souvient. D’une femme illettrée et aimante, d’un monde d’absolu dénuement, d’un spleen adolescent, de lectures, d’une conscience politique, d’un dessein : « C’était elle qui m’avait un jour révélé comme dans une vision ce que j’étais appelé à écrire : “Tu écriras sur le mensonge.” » D’un coup de baguette magique. ■ C.F.

ON EN PARLE 20 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
MUSIQUE
GABRIELA CAIS BURDMANNDR (3)
KOSSI EFOUI, Une magie ordinaire, Seuil, 160 pages, 17,50 €.

JOE CHAMBERS En grande forme

Le

IL A TRAVAILLÉ avec Max Roach, Charles Mingus ou encore Archie Shepp, et a enregistré pour la première fois chez Blue Note en 1963… Soixante ans plus tard, le compositeur, batteur, percussionniste et vibraphoniste Joe Chambers revient en grande forme (à 80 ans !) avec ce superbe Dance Kobina, enregistré entre New York et Montréal. La suite logique de Samba De Maracatu, paru en 2021 – sorti plus de vingt ans après un premier effort, Mirrors –, s’ouvre sur un sémillant et bien nommé « This Is New ». L’artiste reprend du Kurt Weill ou du Joe Henderson, mais brille aussi par ses propres compositions. L’objectif : danser, « kobina », comme on dit en lingala. Ainsi, il s’entoure de la crème de la crème, d’Andrés Vial à Ira Coleman, en passant par le percussionniste congolais Elli Miller Maboungou. ■ S.R. JOE

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VÉTÉRAN AMÉRICAIN revient avec un album aussi chaleureux que vibrant, et remarquablement interprété par des musiciens hors pair.
RANDY
DR
JAZZ
COLE

SARA CHRAIBI, DE RABAT À PARIS

C’EST

UN VÉRITABLE

travail d’orfèvre que les artisans de la Maison Sara Chraibi ont présenté pour la première fois sur les passerelles de la Fashion Week Haute Couture de Paris, en janvier dernier, captivant le public et les critiques. La marque marocaine, réputée pour ses minutieuses broderies, a travaillé pendant plus de six mois sur la collection « L’étoffe des songes » : elle reprend des techniques signature de la directrice artistique et fondatrice, mais donne un nouvel élan à la marque. Sara Chraibi, arrivée à la mode après une formation d’architecte, a gardé son esthétique « kaléidoscopique » : les structures des robes, des vestes et des tailleurs rassemblent à des projets architecturaux équilibrés et élégants, construits avec une main de maître à partir d’un travail sur le tissage et les textures. Tout participe à créer du volume, avec discrétion : les motifs étoilés brodés avec des fils d’or, les tops ajourés en fils de perles, qui rappellent les tenues des mariées marocaines, les jeux de franges et de cordes, ou encore

les capes, très graphiques, fabriquées selon une technique traditionnelle de tissage des caftans en soie et velours. Un exemple parfait de la capacité de la styliste de déconstruire les vêtements et les pratiques, qui ont fait l’histoire de la mode au Maroc, pour en faire quelque chose d’innovant. Et un mélange cosmopolite artisanal, entre Orient et Occident, qui célèbre les femmes contemporaines et sensuelles. Remarquables aussi, les sacs à main assortis aux robes. Et les bijoux en cuir de python et cristaux de la marque Azaly Private, sur dessin de Sara Chraibi. Cette dernière, seule styliste marocaine invitée à la Semaine de la haute couture, a réalisé un rêve d’enfance. Ce défilé parisien est un succès personnel pour celle qui a cousu ici ses premières créations en 2011, avant de rentrer à Rabat et de cultiver une clientèle de socialites d’Afrique du Nord et de princesses moyen-orientales. Mais confirme aussi que la mode du royaume a toute sa place – et son mot à dire – dans l’univers très select des grands couturiers. ■

ON EN PARLE 22 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023
L.N.
MODE
Lors de sa PREMIÈRE FASHION WEEK française, la styliste marocaine a présenté une collection pleine d’élégance.
DOMINIQUE MAITRE
« L’étoffe des songes » propose des silhouettes fluides, avec des volumes discrets.
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Sara Chraibi.

TheUrbanative

Créer un héritage culturel

COMMENT

CRÉER du mobilier qui mélange fonctionnalité, design et héritage culturel ? C’est pour répondre à cette question que l’ex-ingénieure métallurgiste sud-africaine Mpho Vackier a lancé TheUrbanative, en 2016. La marque est née alors qu’elle souhaitait créer pour son fils, afroeuropéen, un héritage familial sous la forme de meubles marquants. Des objets du quotidien qui témoignent de la connexion qui existe entre les humains, mais également des multiples histoires et savoir-faire du continent. « Dessiner du mobilier, c’est aussi créer une atmosphère et inspirer des changements », avance celle qui a déjà réalisé cinq

collections, inspirées des tambours tama (« Dondo ») ou des magnifiques chevelures africaines (« African Crowns »). « Homecoming », créée après le confinement avec des céramistes, ciriers et experts du textile et du perlage, évoque quant à elle le confort et la chaleur qui font d’un habitat un « chez-soi ». Ce sentiment de bien-être, un brin nostalgique, se dégage aussi de la dernière capsule pour extérieur, dont fait partie la chaise cocon Wambo Outdoor Pod. Un clin d’œil aux meubles des années 1980 et aux étés d’enfance en famille dans les jardins. theurbanative.com

DR
Avec ses meubles modernes, simples et sophistiqués à la fois, cette MARQUE SUD-AFRICAINE raconte les savoir-faire du continent.
DESIGN
La chaise cocon Wambo Outdoor Pod.

RÉINVENTER LE TERROIR

Au Rwanda et à Madagascar,

À KIGALI, en 2020, a ouvert Nyurah dans le but de « redéfinir le paysage culinaire africain. » Le groupe des écoles hôtelières Vatel, qui est derrière le projet, a finement décoré le restaurant avec du mobilier et des œuvres d’art 100 % rwandais, et confié aux chefs Fidel Nshimiyimana et Odette Nyiranubaha la création d’une carte locale ouverte sur le monde. Avec des étudiants talentueux, ils manient les meilleurs ingrédients du pays, comme les petites écrevisses de lac des montagnes des Virunga en entrée, délicieuses, assaisonnées au citron vert puis cuites dans un bouillon d’herbes et d’épices. Que l’on soit plus filet de bœuf avec kaunga (polenta rwandaise) ou poisson tilapia sur lit de sauce à la citronnelle et tomates séchées, chocolat et fruits rouges s’imposent en dessert. nyurah.com

Autre adresse où l’on valorise les produits du terroir : le luxueux et contemporain Marais Restaurant, né en 2019 à Antananarivo, d’une idée du chef Lalaina Ravelomanana et des producteurs de caviar malgache Rova et Kasnodar. Ici, on met en avant la brède mafane (des fleurs à la saveur poivrée piquante), la vanille, les crevettes, le chocolat et, bien sûr, le caviar. Les deux se mélangent d’ailleurs pour créer un dessert inédit. Une curiosité qui ne laisse personne indifférent ! Parmi les plats signature, on retrouve des propositions plus exotiques, comme la Bible du chef : un carpaccio de noix de Saint-Jacques lustré au caramel, avec crème de poireau et éclats de fèves de cacao, le tout servi dans une bible en bois, d’où sort une fumée intrigante. Une véritable expérience pour tous les sens. marais-restaurant.com ■ L.N.

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Le luxueux Marais Restaurant, à Antananarivo, valorise les produits malgaches.
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Le Nyurah, à Kigali, a ouvert en 2020. SPOTS
deux ADRESSES CONTEMPORAINES cherchent à redéfinir la gastronomie locale.

La fondation Guest Artist Space s’installe à Lagos

LA FONDATION Guest Artist Space, de l’artiste britannico-nigérian Yinka Shonibare, a récemment inauguré son centre à Lagos. Un bâtiment inspiré par l’architecture yoruba et le style brutaliste (populaire dans les années 1950-1970), un lieu de création artistique et culturelle qui se veut également centre d’agrégation et d’expérimentation. Dessinée par l’architecte britannique d’origine ghanéenne Elsie Owusu et la Nigériane Nihinlola Shonibare, laquelle a dirigé les travaux et conçu les intérieurs, la résidence s’élève sur trois niveaux construits autour d’une cour centrale, et surmontés d’un toit-terrasse végétalisé et d’une piscine en surplomb. Le bâtiment est en béton, une matière dont Yinka Shonibare apprécie l’aspect neutre, qui n’interfère pas avec le travail des invités. L’opération très délicate du bétonnage a fait partie des défis techniques du projet et a été menée à bien par le personnel local, qui a réalisé 80 % des travaux. Un point fondamental pour l’artiste, qui est partiellement paralysé, est l’installation d’une rampe centrale reliant l’appartement familial au deuxième étage, les trois chambres des résidents au premier et le rez-de-chaussée. Accessible au public, cet espace comprend une cuisine, une salle d’exposition et deux chambres sur cour. Comme de coutume chez les Yorubas, celle-ci est le cœur battant de la maison et une agora culturelle ouverte sur la ville. guestartistsspace.com ■ L.N.

ARCHI
Cette nouvelle RÉSIDENCE D’ARTISTES s’élève autour d’une cour centrale traditionnelle, afin de mieux partager créativité et savoirs.
DR

Amina Richard

SON PREMIER ROMAN RACONTE LA QUÊTE

d’une jeune métisse française sur les traces de son père au Sénégal. Avec finesse, l’écrivaine suit le cheminement identitaire, ausculte la complexité de la psyché, sonde les abysses du manque. par

Comment réparer une carence d’amour paternel qui vous alourdit « du fardeau de la faute », d’un sentiment d’illégitimité ? Peut-on assouvir ce « besoin d’amour sans fond, terrifiant, vorace (...), dont nous voulons croire que l’autre pourrait le combler » ? Comment se réconcilier avec sa couleur de peau quand on grandit dans un pays où les Noirs sont dévalorisés ? Premier roman d’Amina Richard irrigué de son histoire personnelle, Dans un royaume lointain explore ces questions complexes. Élevée par une mère blanche dans les années 1970 en France, la narratrice, une jeune femme métisse, part au Sénégal à la recherche de son père, poussée par Ndiolé, sa voix interne, son enfant intérieur. Bercée par les mythologies des contes, cette petite fille attend d’être reconnue par lui : « Ndiolé est dans un élan de vitalité. Pénible car capricieuse, elle est aussi le moteur de la quête. Elle est cet enfant en nous qui ne meurt jamais, pour le meilleur et pour le pire », analyse l’autrice qui, gamine, passait des après-midi entiers à écouter des disques de littérature enfantine.

Convoquer le conte, c’est aussi inscrire ce roman dans le langage d’une quête universelle : « Au-delà de celle du père, c’est également une quête de soi, et plus largement une quête métaphysique. Toute vie est initiatique. On a tous nos différences, nos abandons à porter. » Par le regard des autres porté sur elle, son héroïne a appris à haïr sa couleur de peau : « Elle subit toute son enfance cette violence, ce paradoxe insupportable à vivre. C’est un phénomène sociohistorique ; on est nombreux à avoir été coupés de nos racines africaines. » Et lorsqu’elle pose le pied en terre sénégalaise, la tête pleine d’images d’Épinal, la narratrice vit un choc des cultures et des représentations. La réparation s’effectuera autrement de ce qu’elle avait espéré, après la rencontre avec son père. En sondant ses ressentis personnels, en travaillant ce matériau autobiographique pour le métaboliser en fiction, Amina Richard a trouvé un apaisement. Une appropriation de soi par l’écriture, par la langue, et qui mène à « dépasser cette problématique de l’identité, laquelle n’est pas si importante ».

Dès son enfance à Nancy, dans l’est de la France, elle se rêve autrice, écrit des poèmes. Après des études de lettres, puis en sciences de l’information, elle travaille dans le secteur de la communication à Paris. Tour à tour secrétaire de rédaction, journaliste d’entreprise, elle développe des « réflexes d’efficacité » dans l’écriture, pratique l’art de la synthèse. Mue par un désir de changer d’air comme de transmettre sa passion de la littérature, elle déménage dans le Sud, passe le Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) pour devenir professeure documentaliste dans un lycée. En parallèle de son métier, elle s’attelle à l’écriture de ce roman chaque jour, de façon à s’immerger pleinement, pour que « l’inconscient travaille, établisse des liens ». Ses voyages successifs au Sénégal sur les traces paternelles, à l’instar de son héroïne, lui ont permis de tourner la page et de se réapproprier sa couleur de peau. Mais sa curiosité pour le pays de la Teranga a été asséchée : là-bas, sa famille ne l’attendait pas, et personne ne lui a transmis cette culture : « Entre le Sénégal et moi, c’est un rendez-vous manqué. » ■

Dans un royaume lointain, Stock, 234 pages, 19,50 €.

26 AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023 PARCOURS
DR
ASTRID DI CROLLALANZA
«Toute vie est initiatique. On a tous nos différences, nos abandons à porter.»

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HYDRATEZ LE CONTINENT !

La question alarmante de l’eau semble enfin surgir en tête des priorités, à en croire le nombre de conférences, rencontres et assises qui se succèdent en ce début d’année sur le sujet. Le 22 mars, à l’occasion de la journée mondiale qui lui est consacrée, c’est à la tribune des Nations unies, à New York, que le stress hydrique sera débattu, dans le cadre d’une large conférence de trois jours. De terribles chiffres circulent : en 2019, plus de 60 % des populations subsahariennes n’avaient pas un accès minimal à l’eau, et en 2022, 400 millions de personnes n’avaient pas accès à l’eau potable. Une litanie de raisons explique cela : croissance démographique galopante, mauvaise gestion des points d’approvisionnement, coût élevé des branchements, vétusté des infrastructures, etc.

Les 26 et 27 janvier, au cours du colloque international sur la viabilité financière des sociétés d’eau en Afrique, qui se tenait à Yaoundé, il a été révélé, au travers d’une étude de la Banque mondiale, que 16 milliards de m3 d’eau (sur les 32 milliards fournis aux clients sur le continent) ne sont pas facturés, pour cause de fraude. Un manque à gagner qui vient encore affaiblir les sociétés locales en charge du secteur. Et surtout, le réchauffement de la planète qui frappe de plein fouet l’Afrique exacerbe le manque d’eau au quotidien.

Face à cette réalité, de jeunes professionnels ont proposé des solutions innovantes et urgentes à Abidjan, fin février, lors du 21e congrès de l’Association africaine de l’eau. Comme la sensibilisation à la gestion des déchets au Mali, qui ont un impact direct sur les ressources en eau. Les unités et usines de dessalement pilotes se multiplient aussi, dans le but d’augmenter le volume de la matière première. L’enjeu de cette bataille s’avère majeur pour la mise en place des politiques de développement durable.

Bien au-delà de son évidente nécessité pour la santé des personnes, elle est indispensable à l’autosuffisance alimentaire, la modernisation des sociétés, l’industrialisation, etc. À la veille de la conférence de New York, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, prévient : « Nos progrès sur les objectifs et les cibles liés à l’eau restent alarmants. » Autrement dit, au-delà des programmes internationaux et financements du secteur qui en découlent, les gouvernements doivent également prendre le problème à bras-le-corps, en multipliant les initiatives locales, utiles, intelligentes, rapides, adaptées à leur terrain. Car il y a urgence. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 438 – MARS 2023 29
C’EST COMMENT
DOM
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
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