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L’UKRAINE, LA RUSSIE ET NOUS
Le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine. Une « opération spéciale », prévue pour durer quelques semaines tout au plus. La guerre totale, pourtant, s’est installée depuis plus d’un an, avec son cortège de tragédies. Le conflit a bouleversé le désordre établi du monde. L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a resserré les rangs, les États-Unis et l’Europe soutiennent Kiev, avec des moyens sans limites. Les sanctions se sont abattues sur une Russie, brutalement coupée du marché global, mais toujours aussi menaçante.
Moscou joue la carte de la contre-hégémonie. Il s’agirait de résister à l’impérialisme, à la domination, à l’arrogance de Washington et de ses alliés. On s’appuie sur la tradition anticoloniale de la défunte URSS. Se dessinerait, dit-on, une nouvelle séquence de l’histoire, avec l’émergence d’un « camp du refus » se structurant autour de Moscou, Beijing, New Delhi, Brasília, et d’autres… L’Afrique serait alors l’un des enjeux stratégiques de cette bataille entre l’Occident et la « rébellion des nouveaux mondes ». Le continent serait sommé de choisir son camp. Le résultat des votes successifs aux Nations unies, le nombre d’abstentions lorsqu’il s’agit de condamner la Russie, montre l’ampleur de l’embarras continental.
Pour de nombreux Africains, ce conflit n’est pas le leur, ils ne veulent pas être sommés de s’aligner, de prendre parti dans une « bataille lointaine », à des milliers de kilomètres, qui n’entre pas dans leur intimité géographique ni stratégique. Les conséquences économiques pour des pays fragiles sont particulièrement lourdes, et personne non plus dans le « camp du bien » n’est véritablement venu les soutenir… Certains, enfin, ont des relations anciennes avec la Russie. Et la plupart ne se retrouvent pas dans les arguments de principe sur la souveraineté et la liberté défendus par l’Occident.
L’époque coloniale n’est pas si lointaine, avec son cortège d’humiliations et de spoliations. Les grands discours n’ont pas empêché les Occidentaux de soutenir des régimes infréquentables. La souveraineté des nations n’a pas pesé lourd lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak en 2003, en accumulant les mensonges. Imposant des embargos qui ont affamé des millions de civils. Déclenchant des conséquences désastreuses (dont la naissance de Daesh…). En Afrique, on n’oublie pas non plus la « liquidation » de la Jamahiriya arabe libyenne en 2011, perçue comme étant l’une des causes – sinon « la » cause – de la déstabilisation de tout le Sahel.
Certains conflits seraient plus importants que d’autres. On parle de l’Ukraine, en évoquant à peine ce qui s’est passé au Tigré (600 000 morts, 2 millions de déplacés) ou pendant les innombrables guerres du Congo. On dépense sans compter des dizaines de milliards de dollars pour soutenir Kiev, mais chaque million qui devrait être alloué à la sécurité sur le continent fait l’objet d’âpres discussions… Sans parler évidemment des budgets d’aide au développement faméliques. Ou des fonds promis pour lutter contre le réchauffement climatique…
Le monde est injuste, mais rien n’empêche pourtant l’Afrique de prendre position. Rien n’empêche l’Afrique de se libérer des tutelles occidentales, d’adhérer pleinement à la stratégie de construction d’un monde multipolaire. Rien n’empêche de maintenir pour certains un dialogue avec Moscou (la France a bien tenté de le faire). Mais il faut reconnaître la situation telle qu’elle est. Et mesurer le cynisme de l’approche de Vladimir Poutine, « défenseur des victimes de l’impérialisme », tout en menant une politique de conquête, de mise sous tutelle d’un pays voisin. Rien n’empêche de constater que la Russie alimente par ailleurs une véritable campagne de grande ampleur informationnelle et digitale pour manipuler les opinions publiques, en Afrique et ailleurs… Que la force Wagner est avant tout une milice, qui se charge certes de la protection des régimes, mais surtout du pillage de leurs richesses.
On pourrait simplifier plus encore le raisonnement. La guerre d’Ukraine est une « mauvaise » guerre, aberrante, « illégitime » et coûteuse. Comme le fut l’invasion de l’Irak en 2003. L’une ne justifie pas l’autre, et une Afrique libre et souveraine doit pouvoir condamner ce qui doit l’être. ■
N°438 MARS 2023
TEMPS FORTS
30 Soft Power Africa par Zyad Limam, Thibault Cabrera, Cédric Gouverneur et Emmanuelle Pontié
44 Ça slame à « Babi » par Philippe Di Nacera
54 Mamadou Diouf : « La culture doit guider le politique » par Astrid Krivian
60 Mounia Meddour : « J’aime le cinéma utile » par Astrid Krivian
66 Kaouther Adimi : « La fiction permet tout » par Astrid Krivian
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