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L’ÉTOFFE DES SENTIMENTS
LE NOUVEAU FILM de Maryam Touzani prend son temps pour nous faire découvrir les gestes des derniers artisans de la médina de Salé : ceux qui savent tailler et broder les plus belles étoffes pour fabriquer les caftans traditionnels. La cinéaste marocaine avait filmé dans son premier long-métrage (Adam, 2019) la fabrication des pâtisseries dans une autre médina, celle de Casablanca. Un décor pétri d’authenticité dans les deux cas, pour mettre en valeur des personnages pris dans les mailles d’un conservatisme pesant.
On retrouve ici la même actrice, formidable Lubna Azabal, dans un rôle difficile : après avoir été une veuve particulièrement revêche face à la jeune mère célibataire qui frappait à sa porte dans Adam, la voici malade d’un cancer aux côtés d’un mari tailleur qui lutte contre sa nature homosexuelle (Saleh Bakri). L’irruption d’un jeune apprenti va alors bousculer le couple. L’épouse refuse de se soigner, mais protège un peu trop son mari, torturé par ses contradictions. Tout à sa pratique religieuse très rigoureuse, elle va pourtant l’aider à s’accepter… Cette situation difficile semble pousser vers le mélodrame, mais le film évite les écueils, chacun déjouant les prévisions : l’époux, d’une belle douceur, recèle une grande force, la femme dépasse ses douleurs physiques et morales, et l’apprenti, dont les intentions sont floues, reste à distance… Au-delà des lenteurs du film – qui s’étirent parfois un peu trop sur deux heures –, les tensions au sein du trio tiennent solidement l’histoire. Et les qualités de l’image et de la lumière ajoutent de la sensualité aux rapports amoureux – très pudiques – et au travail des étoffes que l’on a l’impression de pouvoir toucher. Une ode à l’amour, quelle que soit son orientation, dans un contexte compliqué au Maghreb. Maryam Touzani l’explique elle-même avec conviction : « Malheureusement, au Maroc, l’homosexualité est punie par l’article 489 du Code pénal. La peine peut aller de 6 mois à 3 ans de prison. L’homosexualité est non seulement un tabou, mais elle est considérée comme un crime ! Cette loi est affligeante, et je pense qu’il faut s’insurger pour qu’elle soit abolie, au Maroc, et dans d’autres pays, il faut dire les choses et ne pas avoir peur. » La réalisatrice réussit là un beau film courageux. ■ J.-M.C. LE BLEU DU CAFTAN (Maroc),de Maryam Touzani. Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui. En
Djarabane : Au petit marché des amours perdues, Delcourt, 192 pages, 23,95 €.