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influencesSoft Power Africa

Pour exister, il faut séduire ! Quels sont les pays du continent qui projettent de la « puissance douce », qui s’adressent le mieux au monde, qui génèrent une image positive, attractive, ou qui se positionnent comme des acteurs incontournables ?

Voici notre liste, certes subjective et évolutive, des « 15 meilleurs ». dossier dirigé par Zyad Limam

Le « soft power » ! C’est ce que l’on appellerait en français la « puissance douce ». Le concept a été défini par le géopolitologue américain Joseph Nye en 1990, comme étant la capacité d’une nation, d’un État à séduire ou à attirer, à exercer une influence autre que par le « hard power », le « pouvoir dur ». La capacité à influencer le monde extérieur autrement que par la force, la contrainte, le bras de fer… Ce soft power se construit largement sur les valeurs, la culture, la diplomatie. Il permet de projeter une image attractive à travers le monde, une image d’autant plus nécessaire qu’elle contribue à attirer les énergies, la créativité, les investissements, les touristes… Ce soft power, ce nation branding (le renforcement des « marquespays ») ne sont pas forcément en contradiction avec le hard power. Les États-Unis, par exemple, sont capables de projeter sans complexe de la puissance dure (militaire, économique, stratégique…), mais aussi une formidable puissance douce ( Hollywood, l’American way of life, le mythe de l’immigrant…). Tout comme la France avec son tourisme, sa gastronomie, ses vins, ses auteurs, la formidable richesse de son patrimoine historique… Dans une économie globalisée et ultra-compétitive, avec un système où les canaux de communication se sont démultipliés (télévision, réseaux sociaux, Internet…), le concept prend en tous les cas une valeur stratégique. Pour exister, il faut séduire ! En Afrique, nos pays sont fragiles, mais la nécessité d’exercer ce soft power, de le renforcer est tout aussi nécessaire que pour les grandes puissances. La « séduction » sous toutes ses formes est devenue l’une d’une clé du développement. Afrique Magazine a donc voulu établir son propre classement du soft power africain. Quels sont les pays qui projettent de l’attraction ou de l’influence, qui « dépassent leurs frontières », ou qui se positionnent au moins comme des acteurs incontournables ? Voici donc notre liste des « 15 relativement meilleurs », forcément subjective et évolutive. Certaines absences pourront surprendre, d’autres pays pourraient rapidement prétendre entrer dans ce top 15, rien n’est figé et vos réactions sont espérées. En attendant la prochaine édition de Soft Power Africa !

C’est le premier pays africain à atteindre la demi-finale d’un Mondial.

1 MAROC Sur tous les terrains !

LA COUPE DU MONDE de football au Qatar (en décembre 2022) aura eu un impact majeur sur l’image globale du royaume. En étant le premier pays africain à se qualifier pour les demi-finales de la compétition, en montrant l’image d’une équipe courageuse et talentueuse, en éliminant quelques grosses pointures (comme l’Espagne ou le Portugal), l’épopée lumineuse du onze chérifien aura entraîné dans son sillage une formidable couverture médiatique. En Afrique et dans le monde arabe, évidemment, en France, en Europe, mais aussi aux États-Unis, en Amérique latine, jusqu’en Australie, au Japon, bref aux quatre coins du monde… Pour être en tête de notre classement des pays africains à la plus forte « puissance douce », il ne suffit évidemment pas de bien jouer au football. Le Maroc a d’autres avantages. Casablanca est une grande capitale économique, l’un des hubs d’entrée vers le continent africain. Le royaume est également un pays majeur du tourisme, et des villes comme Marrakech, Fès ou Essaouira attirent des visiteurs et des VIP du monde entier. Le calendrier des festivals est particulièrement dense. La politique muséale animée par le tourbillonnant Mehdi Qotbi a permis de générer de nombreuses connexions entre les musées du Maroc (avec comme figure de proue, le MM6, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain) et les grandes institutions internationales. La diaspora est particulièrement active, impliquée, tissant des liens entre la mère patrie et l’extérieur. On pense aux écrivains

Leïla Slimani, Tahar Ben Jelloun, aux comédiens Jamel

Debbouze, Gad Elmaleh, au bourgmestre de Rotterdam Ahmed Aboutaleb… Sur le plan plus diplomatique, l’influence est réelle, mais elle va avec ses contraintes. En entrant dans le cadre des accords d’Abraham, le pays a solidifié sa position vis-à-vis des États-Unis, mais aussi d’Israël et des diasporas juives, en particulier d’origine marocaine. Il est devenu incontournable. Mais cette « centralité » s’accompagne d’une prise de « visibilité », qui peut provoquer des tensions réelles, comme l’a montrée l’affaire du Parlement européen ou les récents échanges musclés avec la France, entre autres. ■ Zyad Limam

Un monument en barres d’acier en l’honneur de Nelson Mandela, près de Durban.

2 Rwanda

Le modèle autoritaire

MOINS DE TRENTE ANS après le génocide, la « terre des mille collines » est partout ou presque. Y compris sur les maillots des clubs d’Arsenal et du PSG, floqués du slogan « Visit Rwanda ». Carrément, pourrait-on dire ! Un modèle de communication et de développement avec finalement assez peu de moyens. Sous la poigne de Paul Kagame, ex-chef militaire du Front patriotique rwandais, ce pays minuscule et surpeuplé (13,5 millions d’habitants, pour 26 300 km2) est devenu le hub régional de la tech en attirant investisseurs, entrepreneurs et start-up par des incitations administratives et fiscales, encadrées par des plans quinquennaux.

3 Afrique Du Sud

La nation arc-en-ciel dans la tourmente

« Travailler dur jusqu’à ce que cela fasse mal, car la pauvreté fait beaucoup plus mal », aime dire le président. En interdisant les sacs en plastique, Kigali s’est même imposée comme l’une des villes les plus propres au monde. Avec une note de 31,4/100 dans le Global Soft Power Index 2022, le Rwanda est classé 6e pays du continent en matière de soft power. Et sa résurrection a de quoi fasciner d’autres États africains ou non ayant subi une guerre civile. Reste que cette modernisation à marche forcée a pour revers une glaciation politique. Ce phœnix est paradoxal : la propreté de la capitale se fait au prix de travaux communautaires (obligatoires sous peine d’amende). Et le Centre pour la quatrième révolution industrielle, lancé l’an dernier à Kigali avec le soutien du Forum économique mondial, affiche sa volonté de bâtir une « intelligence artificielle éthique et inclusive », alors que la liberté d’expression fait défaut. Sans compter que son hard power exaspère ses voisins : sa brouille avec l’Ouganda de Yoweri Museveni bloque les projets d’intégration régionale. Et la République démocratique du Congo (RDC) l’accuse de piller ses richesses minières via le soutien à divers groupes armés, notamment le M23. Au risque d’une guerre ouverte. ■ Cédric Gouverneur

En interdisant les sacs en plastique, Kigali s’est imposée comme l’une des villes les plus propres au monde.

TROIS DÉCENNIES après la fin de l’apartheid, le système est en crise profonde : coupures d’électricité, scandales de corruption, mal gouvernance, criminalité… Et pourtant. Le Congrès national africain (ANC), quasiment assuré de s’éterniser au pouvoir du fait de la démographie et de l’éclatement de l’opposition, semble incapable de se renouveler. Son appareil politico-administratif n’arrive pas à surmonter les défis qu’affronte le poids lourd industriel du continent : sécheresse et inondations (le changement climatique les aggrave), mal-logement, chômage, xénophobie anti-immigrés, crise énergétique (ses centrales à charbon sont inefficaces et polluent), concentration agraire (les deux tiers des terres appartiennent à quelques milliers de descendants de colons). Reste que l’Afrique du Sud incarne toujours la lutte, universelle, contre le racisme et pour la dignité humaine, personnifiée par l’intégrité de Nelson Mandela (libéré après vingt-sept années d’injuste détention, sans jamais avoir exprimé une once de haine). Envers et contre tout, l’aura de la nation arc-en-ciel rêvée par Madiba perdure. L’Afrique du Sud continue d’attirer investisseurs, touristes, talents, étudiants et congrès internationaux. Et demeure le 2e pays africain (derrière Maurice) dans le domaine de l’innovation, selon le Global Innovation Index 2022. C’est un leader global en matière de recherche scientifique (on l’a vu pendant la pandémie de Covid-19). Sur le plan géopolitique, la nation cherche à préserver son indépendance, tout en restant fidèle à ses vieux alliés de la lutte anti-apartheid, n’en déplaise aux Occidentaux : soutien indéfectible au peuple palestinien, ou encore proximité avec Moscou (refus de condamner l’invasion de l’Ukraine, manœuvres navales conjointes avec la Russie et la Chine)… ■ C.G.

4 SÉNÉGAL Teranga concept

AVEC SA CAPITALE baignée par l’océan, la douceur de son climat et sa convivialité, c'est une terre de teranga, d’accueil, ouverte sur le monde. Le Sénégal bénéficie d’un formidable pouvoir de séduction historique et culturelle. Il y a l’île de Gorée et le souvenir poignant, universel, de l’esclavage. Il y a eu les années Senghor, l’homme politique, mais aussi le poète et écrivain. Une exposition au musée du quai Branly, à Paris, évoque d'ailleurs actuellement son rapport à l’art, avec notamment l’organisation à Dakar du premier festival mondial des arts nègres en 1966. Même si le secteur est en crise, le pays attire les touristes, lesquels rapportent chez eux des suweer (peintures sous verre) ou des pièces de pagne bleu. Mais ils peuvent aussi s’immerger dans une scène contemporaine très active, de la peinture à la musique, en passant par les contributions d’intellectuels remarqués, comme Felwine Sarr ou le prix Goncourt 2021 Mohamed Mbougar Sarr. Dakar, c’est encore la ville qu’a choisie Chanel en décembre dernier pour organiser son premier défilé sur le continent. Épargné à ce jour par l’insécurité, peut-être grâce aux confréries puissantes locales qui feraient barrage à l’extrémisme, le Sénégal cherche à se développer avec un effort massif en matière d’infrastructures. L’aéroport international Blaise Diagne, fleuron de la nouvelle ville Diamniadio, s’est imposé comme un hub incontournable. Au-delà de l’empreinte culturelle et du rayonnement de sa diaspora, de sa diplomatie active, le pays est en passe de devenir un acteur africain de poids dans le domaine du gaz et du pétrole, après la découverte de gisements prometteurs qui entrent en exploitation. Reste à relever le défi d’une vie politique qui se durcit, dans l’un des pays africains précurseurs de la démocratie. Avec la perspective d’une élection présidentielle complexe début 2024. Macky Sall serat-il candidat pour un troisième mandat ? ■ Emmanuelle Pontié

DÉMOCRATIE VIVANTE, puissance tech et touristique, diplomatie active… Il s’agit de s’imposer, tel Djibouti [voir p. 40], comme un espace de stabilité dans une région tourmentée, en adoptant une politique de bon voisinage, sans aucun conflit armé majeur depuis l’indépendance. Cette approche de « puissance douce » s’est récemment exprimée à travers les médiations successives dans l’est de la République démocratique du Congo et dans le conflit du Tigré. Des Casques bleus kényans ont ainsi participé à plusieurs opérations de maintien de la paix des Nations unies. Malgré ce rôle actif, le pays reste menacé par sa frontière nord avec la Somalie et l’activisme des shebabs, ainsi que par l’extension de la sphère du djihadisme en Afrique de l’Est. Les équilibres internes et ethniques sont toujours sous tension, mais la démocratie, très british dans son décorum, progresse, comme on l’a vu lors de l’élection du président William Ruto, en septembre 2022. Malgré ces incertitudes, le Kenya s’impose comme l’une des économies les plus dynamiques du continent. Les innovations attirent les géants mondiaux de la tech. Nairobi, malgré les risques de violences urbaines, est devenue l’un des centres du digital world. Et M-Pesa l’un des symboles de la réussite du secteur : ce système de paiement mobile lancé par Safaricom en 2007 est à la source de la révolution du mobile banking en Afrique. Enfin, il y a le tourisme. On attend pour cette année près de 2,5 millions de visiteurs attirés par la cinquantaine de parcs et de réserves naturelles reconnus du pays – un voyage dans l’un des « berceaux de l’humanité ». Et puis, évidemment, c’est tout de même le pays d’origine de Barack Obama, premier président noir des États-Unis… ■ Thibaut Cabrera

6 ÉGYPTE Face aux défis

LE DOUBLE HÉRITAGE est résumé sur ses billets de banque : une mosquée sur une face, et un monument de l’Égypte antique sur l’autre. Depuis un millénaire, Le Caire est l’une des villes phares du monde arabe, notamment grâce à l’université al-Azhar. Héritage pharaonique, Oum El Dounia, « mère du monde », l’Égypte reste, malgré les questions sécuritaires, une grande destination touristique (plus de 10 millions de visiteurs en 2022). Cette terre dominée par les pyramides a su faire de sa singularité historique un outil de puissance douce, en mobilisant au besoin ses ancêtres momifiés : en 2020, lors des tensions autour du barrage éthiopien sur le Nil, les Égyptiens citaient volontiers les pharaons et leurs armées, protecteurs du fleuve, source de vie… Le pays montre parfois la voie : en nationalisant le canal de Suez en 1956, le colonel Nasser remporte une victoire emblématique au nom du « tiers-monde ». Pendant ce temps, Oum Kalthoum et le cinéma égyptien partent à la conquête culturelle de l’arabité. Viendront les romans d’un Naguib Mahfouz ou d’un Alaa El Aswany, qui s’imposent et interpellent. Incontournable, le pays négocie ses alliances : après l’URSS, il devient, à la suite des accords de Camp David, en 1978, l’allié des États-Unis, ouvre une ambassade en Israël, et renforce depuis ses liens avec les riches des Émirats arabes unis. En février 2011, galvanisée par l’exemple tunisien, la rue renverse Hosni Moubarak. Mais le régime du maréchal al-Sissi, en place depuis 2013 après une parenthèse islamiste, s’avère plus répressif encore… Et les défis auxquels doit faire face la nation sont sidérants : démographie (109 millions d’habitants pour une surface viable comparable au Togo), changement climatique, crise économique, djihadisme… ■ C.G.

7 NIGERIA Le futur s’écrit ici aussi

AVEC 219 MILLIONS d’habitants, c’est le pays le plus peuplé d’Afrique. Et la première puissance économique en volume, juste devant l’Afrique du Sud et l’Égypte. C’est le deuxième producteur de pétrole du continent. 36 États, 250 ethnies, des richesses infinies dans le sous-sol… La nation des Green Eagles s’impose comme un géant incontournable, avec un potentiel immense, un marché hors normes. Mais le Nigeria vit également au rythme du chaos permanent, des pénuries de billets ou d’essence. Une nation aux inégalités sociales criardes, avec des citoyens immensément riches, et d’autres, les deux tiers, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les trafiquants multiples et inventifs qui sévissent sur Internet participent à la dégradation de l’image globale. La situation sécuritaire est particulièrement fragile avec des attentats réguliers. Le nouveau président Bola Tinubu, ancien gouverneur de Lagos, fraîchement élu le 1er mars dernier (et déjà contesté), aura la lourde tâche de redresser une barre bien compromise. Et pourtant ! Le Nigeria fascine, la démesure attire. Les aventuriers du business remplissent les classes affaires en provenance de Londres, de New York ou Paris. Et la puissance culturelle du pays s’étend aux quatre coins du monde. Il y a bien sûr l’industrie cinématographique, Nollywood, qui tourne à plein régime. Il y a le son, Fela Kuti, son fils Femi, les nouvelles stars de l’afrobeat, comme Burna Boy ou Wizkid. Il y a cette littérature foisonnante, de Wole Soyinka à Chimamanda Ngozi Adichie, traduite en de multiples langues. Et puis, l’art contemporain (foire Art X Lagos, Ben Enwonwu ou Ade Adekola), la photo (Obi Somto ou TY Bello), la mode… Une partie du futur s’écrit définitivement ici. ■ E.P.

8 CÔTE D’IVOIRE Revendiquer son rang

TOUT COMMENCE par Abidjan. L’une des rares cités afro-globales du continent, creuset de cultures différentes, ivoiriennes, africaines, mais aussi métissée par des immigrations plus lointaines, européennes, orientales, asiatiques… Abidjan préfigure (comme Lagos) cette urbanité contemporaine de l’Afrique et son influence sur le monde. Ici, apparaissent des mouvements, des sons, des musiques, qui vont aller loin. Le coupé décalé et le zouglou sont nés sur les bords de la lagune Ébrié, le nouchi est devenu un français à part, les slameurs réinventent la langue de Molière [voir pp. 44-51]

Les enfants d’Anoumabo, les Magic System, font « bouger, bouger » aux quatre coins de la planète. Petit à petit se crée un marché de l’art, porté par des galeries ambitieuses et des artistes reconnus dans le monde entier : Jean Servais Somian, Ouattara Watts, Ernest Dükü, Aboudia, François-Xavier Gbré… Abidjan et la Côte d’Ivoire, c’est aussi l’image d’une ville et d’un pays en plein boom économique. Depuis 2011, sous la présidence d’Alassane Ouattara, le pays a plus que doublé son PIB, pour atteindre les 60 milliards de dollars. Et compte toucher les 100 milliards en 2030. À Abidjan se trouvent le siège de la Banque africaine de développement (BAD), mais aussi celui de l’International Cocoa Organization (témoignage du statut de premier producteur mondial de cacao du pays). Ce sentiment de dynamisme soutenu (malgré la situation au Sahel, l’impact du Covid et de la guerre en Ukraine) entraîne l’intérêt des grands groupes mondiaux à la recherche d’une plate-forme stable en Afrique. Étonnamment, ce soft power culturel, économique, sociétal, bien réel, reste comme insuffisamment exploité. Il y a comme une recherche du mode d’emploi pour développer cette visibilité. Les chantiers sont nombreux : diasporas, tourisme, événements, médias, créativité muséale… ■ Z.L.

Le chef d’État ivoirien Alassane Ouattara.

Le groupe Jecoke, à Lubumbashi, qui s’inscrit dans la tradition des sapeurs congolais.

9 RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Une ligne de crête

C’EST LE

Deuxi Me Pays

Une grande nation, un État sans État, au potentiel insolent, et qui cultive le paradoxe.

le plus vaste du continent, et le plus peuplé du monde francophone. Souvent qualifié de scandale géologique tant son sol regorge de minerais précieux insuffisamment ou mal exploités, le géant géographique absorbe à lui tout seul la plus grande partie du bassin du Congo, deuxième poumon vert mondial après l’Amazonie, et compte 160 millions d’hectares de forêt encore capables d’absorber le carbone. À la veille de chaque COP, les scientifiques et chefs de projets occidentaux ont les yeux rivés sur celle qui représente l’avenir de la planète. La République démocratique du Congo (RDC), c’est également une histoire de musique, berceau de la rumba congolaise, vénérée aux quatre coins du continent et bien plus loin, à travers les premières chansons de Wendo Kolosoy dans les années 1930, puis Grand Kallé et son African Jazz, Papa Wemba, Koffi Olomidé, et, plus récemment, les Fally Ipupa et Ferre Gola. C’est aussi une histoire de sapeurs, de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (SAPE), dont les tenues chics et excentriques ont été photographiées par le monde entier. La RDC, c’est enfin une histoire tout court, avec ses figures emblématiques comme Patrice Lumumba et son funeste destin en 1960, ou encore le match de boxe légendaire à Kin entre Mohamed Ali et George Foreman en 1974. Mais cette grande nation au potentiel insolent cultive le paradoxe. C’est un État sans État, où l’insécurité et l’anarchie administrative règnent, rendant pratiquement impossible l’obtention d’un passeport ou d’un visa pour y entrer. La guerre fait rage aussi dans l’est du pays depuis 2004, avec une succession de conflits armés. Les forces régulières combattent le mouvement rebelle M23 dans le Nord-Kivu, soutenu par le Rwanda. Sur fond d’enrôlement électoral optimiste pour la présidentielle prévue en décembre prochain… ■ E.P.

10 DJIBOUTI Sur la carte du monde

IL N’Y A PAS DE PÉTROLE, peu

d’eau aussi, voilà un espace de roches et de sable, de paysages immémoriaux qui remontent à la nuit des temps. Nous sommes à Djibouti, « petit » pays (23 000 km2), quarante-cinq ans d’indépendance, que le destin a placé à l’entrée du détroit de Bab el-Mendeb, un carrefour stratégique, sur l’une des routes commerciales les plus importantes au monde. En s’appuyant sur cette géographie, Djibouti a su construire en un peu plus de deux décennies un outil portuaire et logistique majeur. Et un lieu de transit incontournable entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Ici, c’est la porte d’accès à l’immense Éthiopie, mais aussi un chemin vers le Somaliland, la Somalie, le Sud-Soudan (et ses richesses pétrolières), et l’Afrique centrale… Avec si peu de hard power, le pays s’est inscrit comme un îlot de stabilité dans une région particulièrement tourmentée. Sur le plan stratégique, le pays s’impose comme un pivot entre la Chine (qui y a beaucoup investi) et le reste du monde. Djibouti sait maintenir sa position d’équilibre entre Washington et Beijing au moment où la rivalité entre les deux géants se durcit. Sa diplomatie habile a permis de faire cohabiter sur son territoire une grande base chinoise, une grande base américaine, une grande base française, mais aussi des forces de l’Union européenne contre la piraterie (opération Atalante), des éléments japonais, allemands… Djibouti s’est également imposé comme un centre logistique en matière d’aide humanitaire pour la région. Et on parle demain peut-être d’un site de lancement de satellite… Le pays peut s’appuyer sur une diaspora particulièrement dynamique, en connexion aussi avec toutes les populations de langue somalie du monde, qui voit en Djibouti un lieu de rassemblement et de dialogue idéal. Selon le langage onusien, c’est une « small nation », il faut gérer un contexte régional et économique complexe, faire face aux aléas du changement climatique. Mais le pays compte sur la carte du monde. ■ Z.L.

11 Thiopie

L’émergence contrariée

C’EST LE SEUL PAYS AFRICAIN à avoir échappé au colonialisme, une terre « libre », à la très longue histoire, qui peut afficher l’une des plus anciennes continuités étatiques au monde. Jusqu’au dernier (Hailé Sélassié, renversé en 1974), les négus se voyaient comme les descendants du roi David, figure de la Bible (ce qui leur a valu d’être divinisés par les rastafaris). Ce prestige et cette continuité historique ont permis à l’Éthiopie d’entretenir une certaine aura, non seulement en Afrique subsaharienne, mais également aux Caraïbes et jusque chez les Afro-Américains. C’est presque de là finalement que viennent le reggae, les chansons de Bob Marley et des autres stars du genre… C’est donc assez naturellement qu’Addis-Abeba accueille, en 1963, le siège de l’Organisation de l’unité africaine (devenue depuis Union africaine). Après un quart de siècle de marxisme étatique, le pays s’est investi à partir des années 2000 dans une formidable course à la croissance pour lutter contre la pauvreté de masse. En 2019, l’attribution du prix Nobel de la paix à Abiy Ahmed aurait dû consacrer la renaissance de la nation. Les sages d’Oslo entendaient récompenser le jeune et dynamique Premier ministre pour avoir amorcé la démocratisation, après plus d’un quart de siècle de fédéralisme à poigne, et sa politique de réconciliation ethnique. Le Grand barrage de la renaissance (GERD), le développement industriel, le train Addis-Abeba-Djibouti, ainsi que la success-story de la compagnie aérienne nationale Ethiopian Airlines (véritable pont aérien entre l’Afrique et le monde) devaient sceller la transition industrielle du géant, deuxième pays le plus peuplé du continent (120 millions d’habitants). La guerre, pourtant, est venue rappeler tragiquement les fragilités de la nation. Entre novembre 2020 et novembre 2022, le conflit du Tigré – dont les élites ont longtemps dominé les instances politiques –, accompagné de son cortège d’atrocités et d’une alliance de revers avec l’Érythrée du sulfureux Issayas Afeworki, a bloqué l’essor de l’Éthiopie. ■ C.G.

Le chef d’État Mohamed Bazoum, élu en avril 2021.

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