2 minute read
QUE J’AI Yasmine Chouaki
DANS EN SOL MAJEUR, CETTE FEMME DE RADIO explore la dimension plurielle d’un être partagé entre l’ici et l’ailleurs. Contre les discours identitaires étriqués, elle donne la parole à des personnalités de double culture, recueillant leur histoire, leurs espoirs, leurs combats.
propos recueillis par Astrid Krivian
Née d’une mère française et d’un père musulman algérien, j’ai deux prénoms : Christine et Yasmine. En France, on m’appelait Christine – j’ai été baptisée à l’église. À mes 12 ans, j’ai demandé à mon père de m’emmener en Algérie. J’y ai rencontré ma famille. Durant toute mon adolescence, j’étais Christine en France, et Yasmine en Algérie. À 17 ans, j’ai décidé qu’il faudrait désormais m’appeler uniquement Yasmine. C’était non négociable !
J’ai grandi dans une famille où la culture n’avait pas sa place. Mon père voulait que je devienne avocate ou médecin. Or, je rêvais de musique, je chantais du matin au soir, je me nourrissais de livres, de théâtre. À 17 ans, un producteur a demandé à mon père de travailler avec moi. Celui-ci s’y est opposé fermement. En conflit avec lui, j’ai claqué la porte. Sur les conseils d’une amie, j’ai tenté ma chance à la Radio suisse romande, à Genève, en 1981. Une nouvelle station, Couleur 3, s’ouvrait alors. C’est là qu’a débuté la grande histoire de ma vie. La radio a pansé mes plaies et mes frustrations musicales, vocales.
J’ai appris sur le tas toutes les facettes de ce métier pluriel : écriture, interprétation, réalisation, programmation, reportage de terrain, interview. Couleur 3 était une école de la personnalité : comment la débusquer, la travailler, à travers la voix, l’écriture. Je suis une femme de radio plutôt qu’une journaliste. Je conçois des émissions avec une architecture de la tête et du corps, en intégrant la dimension du son, en tant que canal d’information. La mise en ondes est proche de la mise en scène.
J’ai vécu cinq ans en Algérie, des années cruciales dans mon parcours. Je faisais de la radio à Alger Chaîne 3, en parallèle de mes études de lettres. J’ai rencontré mon mari, l’écrivain Aziz Chouaki. Sa grande sensibilité, son regard à la fois littéraire et populaire sur le pays m’ont ouvert un autre horizon.
Et j’ai appris à vivre « à l’algérienne », à composer avec les problèmes du quotidien. Je faisais le ramadan pour vivre au diapason avec mes copines de fac. En matière de partage, j’ai vécu des choses que je ne connaîtrai jamais dans un pays individualiste comme la France. Cette école extraordinaire me sert encore aujourd’hui. J’ai vu les derniers feux du bel Alger. Puis, quand le Front islamique du salut a remporté les élections municipales en 1991, nous avons dû quitter le pays. Mon époux, dont les écrits s’inspiraient du contexte politique d’alors, était sur la liste des intellectuels à abattre par les islamistes. J’ai appris plus tard que j’avais aussi un dossier à la sécurité militaire. Je suis retournée en Algérie en 2013 ; j’ai trouvé un pays effondré. En réaction au projet du président français Nicolas Sarkozy, en 2007, de fonder un ministère de l’Identité nationale, j’ai créé mon émission, En sol majeur, pour donner la parole à des personnalités partagées entre plusieurs cultures. Quand la France regarde les enfants d’immigrés d’Afrique en se demandant d’où ils viennent, est-elle dans l’amnésie, dans l’insulte historique ? Avec ce programme, on se raconte nous-mêmes, plutôt que d’écouter nos histoires narrées par les autres. C’est comme écrire à mille mains une mosaïque du multiple. ■ En sol majeur est à écouter le samedi et le dimanche sur RFI.
C’est comme écrire à mille mains une mosaïque du multiple.» rencontre