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Un film emblématique
Dans le dernier roman de Kaouther Adimi, l’un des héros, Tarek, participe au tournage de La Bataille d’Alger, en 1965, réalisé par l’Italien Gillo Pontecorvo. Son scénario s’inspire des mémoires de Yacef Saâdi, ancien chef de la zone autonome d’Alger pour le Front de libération nationale (FLN) et coproducteur du film, dans lequel il incarne son propre rôle. Le long-métrage retrace principalement l’histoire d’Ali Ammar, dit Ali La Pointe, et de sa lutte pour le contrôle du quartier de la Casbah en 1957, entre les militants du FLN et les parachutistes français du Général Massu. Gillo Pontecorvo prend le parti de recruter des techniciens et des acteurs non professionnels, dont la majorité a vécu la vraie bataille d’Alger. Pendant le tournage, le colonel Boumédiène, alors ministre de la Défense, renverse le président Ahmed Ben Balla : témoins de l’arrivée des chars autour de la capitale, des Algérois pensent qu’il s’agit de répétitions pour le film ! Montrant notamment l’emploi de la torture par l’armée française, le long-métrage obtient le Lion d’or à la Mostra de Venise 1966, provoquant un tollé au sein de la délégation française, et est nommé pour l’Oscar du meilleur film étranger 1967. Programmé deux fois par an à la télévision algérienne lors des fêtes nationales, il n’obtient son visa d’exploitation pour la France qu’en 1970. Des exploitants de salles reçoivent alors des menaces : lors d’une projection en 1981, le Studio Saint-Séverin, à Paris, est la cible d’un saccage par des groupuscules d’extrême droite. Devenu un classique, il a inspiré des mouvements révolutionnaires dans le monde entier (Afrique, États-Unis, Amérique latine…). Des cinéastes ont réalisé des documentaires sur son histoire, notamment Malek Bensmaïl (La Bataille d’Alger, un film dans l’histoire, 2017) et Cheikh Djemaï (La Bataille d’Alger, l’empreinte, 2018). ■
Un passage du roman se déroule pendant le tournage de La Bataille d’Alger. Pourquoi ce film et sa réception (en Algérie comme en France) vous ont-ils intéressée ?
C’est un film très puissant et l’histoire de son tournage est extraordinaire. Malek Bensmaïl tout comme Salim Aggar ont réalisé de formidables documentaires autour du tournage mythique de ce film qui a eu lieu à peine quelques années après l’indépendance de l’Algérie, dans les lieux mêmes de la bataille d’Alger, quasiment sans aucun acteur professionnel. C’est un film à voir (ou à revoir).
Face à ce véritable roman inspiré par la vie de vos ancêtres, vous vous interrogez sur votre vocation d’écrivaine : est-elle une revanche pour votre grand-père ? Ou une étrange filiation ?
Peut-être un peu des deux !
Vous rapportez que l’on pouvait lire cette phrase sur un mur d’Alger pendant la décennie noire : « Ceux qui combattent par la plume périront par la lame. »
Que peut la littérature face à la violence, le terrorisme ?
Absolument rien, et en même temps beaucoup. Il faut accepter que l’art puisse sembler dérisoire face aux grandes tragédies. Qu’est-ce qu’un roman, même le meilleur, face au massacre de Bentalha [qui a fait 200 à 400 morts en 1997, ndlr] ? Et en même temps, la littérature nous sauve, nous ébranle, nous émeut, nous rappelle notre humanité. Vous avez écrit ce livre à la Villa Médicis, à Rome. Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre manière d’écrire, votre approche ?
Pour vos précédents ouvrages, le fait d’écrire depuis la France a-t-il déclenché des questionnements ?
Ou est-ce que le lieu et la distance importent peu ?
J’ai rédigé mon premier roman à Alger, les trois qui ont suivi à Paris, Au vent mauvais à Rome, et le prochain en partie à New York. Cela ne change rien. Une table de travail est une table de travail. Mais il n’y a pas un livre que j’ai pu écrire – entièrement écrire, j’entends – sans être allée à Alger. Ce n’est pas un pèlerinage, Alger n’est pas un lieu figé, un souvenir, c’est un endroit en mouvement perpétuel, c’est un chez-moi, et y retourner, c’est me préparer à écrire.
Quelle serait votre bibliothèque idéale ?
Je garde une affection toute particulière pour celle laissée chez mes parents. Elle est toute petite, la plupart des livres ont été achetés chez des bouquinistes d’Alger. Il y a de tout : du très bon, de l’excellent, du médiocre que je ne me résous pas à jeter, il y a des post-it qui débordent. Oui, c’est sans doute cela une bibliothèque idéale : des livres qui me rappellent qui je suis. ■