4 minute read

Recycler le plastique, le rocher de Sisyphe

Malgré les mesures prises par de plus en plus de pays africains et l’inventivité de nombreuses start-up, l’accumulation des sacs et des bouteilles depuis des décennies fait suffoquer les villes et les rivières. par Cédric

Gouverneur

En interdisant les sacs en plastique en 2008, le Rwanda fut le premier à montrer la voie. Désormais, selon un récent décompte de Greenpeace, 34 pays africains sur 54 restreignent l’usage de cette matière. Malgré ces efforts, il faudra des décennies pour résorber les dégâts, car le continent suffoque sous les déchets en plastique : selon un rapport de 2018 de la Banque mondiale, en moyenne « 70 % des déchets sont déversés à ciel ouvert, et 7 % seulement sont recyclés ». L’interdiction croissante des sacs à usage unique n’a en effet qu’un impact limité sur la pollution, dont les premiers coupables sont les polyéthylènes téréphtalates (utilisés pour les bouteilles d’eau) et les polyéthylènes à haute densité (employés pour les flacons de shampooing et de produits ménagers). Dans les villes, des cours d’eau se transforment en cloaques à cause de l’accumulation des contenants. En dessous, l’opacité et la pollution ont étouffé toute vie aquatique. Dans l’eau croupie prolifèrent des larves de moustiques (sources de dengue et de paludisme), du plomb ou encore des dioxines. En Mauritanie, l’ingestion de sachets serait responsable de 70 % des décès prématurés du bétail. Et en janvier 2018, à Kinshasa, la pollution plastique a aggravé les inondations, en bouchant les drains et les canaux, ce qui a provoqué une cinquantaine de morts.

D’ici 2050, la population urbaine africaine devrait tripler, tout comme la quantité de déchets. À noter que le volume de détritus par personne sur le continent est moindre qu’ailleurs : 0,46 kg par jour et par habitant en Afrique subsaharienne et 0,81 kg en Afrique du Nord, contre 1,18 kg en Europe et 2,21 kg en Amérique du Nord. Les villes touristiques génèrent en revanche davantage de déchets que la moyenne ! Mais « la gestion ne parvient pas à suivre », déplore la Plate-forme africaine des villes propres (ACCP). Créé en 2017, ce laboratoire d’idées regroupe 65 cités de 37 pays, d’Alexandrie à Kinshasa, avec le soutien de l’ONU-Habitat, du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), de l’Agence japonaise de coopération internationale, et de la ville de Yokohama. « Le défi des déchets survient à une vitesse qui dépasse celle des processus de transformations sociales », analyse l’ACCP. Pour expliquer les dépôts sauvages, elle évoque le « syndrome de la vitre cassée » : à l’exemple d’une vitre cassée qui incite à briser celle d’à côté, des déchets jetés n’importe où incitent à l’incivilité. À l’inverse, la propreté d’une rue invite à la préserver en l’état. Et bien évidemment, cette gestion, dans un quartier, est corrélée à son niveau de vie : à Johannesbourg, le township d’Alexandra et ses décharges à ciel ouvert côtoient le reluisant quartier d’affaires de Sandton… Partout sur le continent, citoyens, collectivités et entrepreneurs se retroussent les manches, malgré l’ampleur dantesque de la tâche. Au Rwanda, les autorités font respecter la stricte interdiction des sacs en plastique ainsi que, depuis 2019, de tous les plastiques à usage unique – dont les fameuses bouteilles et flacons qui tuent les cours d’eau. Et le dernier samedi de chaque mois, c’est l’umuganda, le travail communautaire obligatoire : les habitants doivent nettoyer leur quartier, sous peine d’amende. Sur ce modèle, mais sur la base du volontariat, le Sénégal a mis en place le Cleaning Day, avec des résultats plus mitigés, en 2020.

Des start-up ont bien compris que les ordures sont un marché. « Recycler, réparer, réutiliser : la transition vers l’économie circulaire est une opportunité à 1 milliard de dollars pour l’Afrique », estime le Forum économique mondial. À Lagos, en 2012, une diplômée du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), Bilikiss Adebiyi, a fondé Wecyclers, qui sensibilise la population et permet à des dizaines de milliers de partenaires de gagner un peu d’argent en récoltant les plastiques, revendus à des industriels. Dans un contexte d’inflation des prix des matériaux, recycler cette matière peut constituer une alternative : à Douala, la société NAMé Recycling récolte des tonnes de plastique dans les cours d’eau et les décharges sauvages, pour ensuite les transformer en granules dans son usine. Et la société Amabo en fait des tuiles, bien moins chères que celles de terre cuite importées. Au Caire, les pêcheurs sont rémunérés par l’entreprise Bassita, avec l’appui du ministère de l’Environnement, afin de ramasser l’armada de bouteilles dérivant sur le Nil, et dont des tonnes finissent chaque jour en mer, puis dans les estomacs de la faune marine. À Zanzibar, des artisans fabriquent des souvenirs, vendus aux touristes, avec du plastique recyclé. À Lomé, la société Africa Global Recycling réemploie les déchets et, via son ONG Moi Jeu Tri, fait des écoliers les ambassadeurs du recyclage [lire pages suivantes l’interview de son fondateur, Edem d’Almeida]

Récolte de bouteilles sur le front de mer de la ville de Zanzibar. Des artisans les réutilisent ensuite pour fabriquer des souvenirs, vendus aux touristes.

Autre initiative, la start-up norvégienne Othalo, avec l’appui de l’ONU-Habitat, veut « résoudre le problème en apportant une réponse à un autre problème : recycler les déchets en plastique pour répondre à la pénurie de logements », nous explique son fondateur, Frank Cato

Lahti. Joint par téléphone, il travaille à l’envoi de maisons éco-durables aux sinistrés du séisme en Turquie et en Syrie de février dernier : « Le modèle de 43,2 m2 utilise 6 tonnes de plastique recyclé, et celui de 60 m2 8 tonnes. Nous comptons ouvrir notre première usine africaine en 2025 à Nairobi. » Et ajoute : « Le projet est en cours, nous sommes en train de rassembler les investisseurs et les financements d’institutions. L’idée est de construire 2 800 maisons par an avec cette usine, puis de franchiser des partenaires locaux pour accroître la production. » La capitale kenyane rejette 2 400 tonnes de déchets par jour, dont seulement 60 % sont collectés et 10 % recyclés, alors que le pays manque de 2 millions d’habitats bon marché. Le recyclage montre cependant ses limites. Dans un rapport paru en octobre, Greenpeace conclut à un « échec » face à la surabondance du plastique : environ 1 million de bouteilles sont vendues chaque seconde à travers le globe. Rien qu’aux États-Unis, sur les 51 millions de tonnes de déchets en plastique produits en 2021, seulement 2,4 millions ont été recyclés : 21 % des polyéthylènes téréphtalates, 10 % des polyéthylènes à haute densité, 5 % pour les cinq autres catégories de plastique. Le reste s’agglutine aux millions de tonnes non recyclées des années précédentes… L’ONG de protection de l’environnement critique également le comportement des industriels, qui contestent parfois en justice l’interdiction des sacs (comme au Malawi, en 2015), mais s’associent à des entreprises de recyclage pour leur image de marque. Seule solution pérenne aux yeux de Greenpeace : l’arrêt total de la production de plastique. ■

This article is from: