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NUMÉRO 407-408 ! EN VENTE DEUX MOIS

DÉCOUVERTE

DOCUMENT

D’IVOIRE Aux entreprises, CÔTE UNE GRANDE AMBITION CITOYENS ! POUR DEMAIN

Spécial de 32 pages

La Tour F, un projet futuriste pour Abidjan.

Tunisie

La révolution selon Hella Feki

POSITIVE AFRICA!

15 IDÉES POUR UNE AFRIQUE FORTE Résilience, innovation économique, éducation, métissage, laïcité, soft power culturel, pouvoir au féminin, leadership… Toutes les pistes d’un futur (proche)

SOCIÉTÉ

Maboula Soumahoro : assumer le « je », femme et noire N° 407-408 - AOÛT-SEPTEMBRE 2020

L 13888 - 407 H - F: 5,90 € - RD

INTERVIEW

Yasmina Khadra

« Certains esprits sont encore dans la nuit »

Histoire CHARLES DE FOUCAULD ET LES TOUAREGS :

AMI OU TRAÎTRE ?

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ G rèce 6 , 9 0 € – Italie 6, 9 0 € – Luxembourg 6, 9 0 € – Maroc 39 DH – Pays- Bas 6, 9 0 € – Por tugal cont . 6, 9 0 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0



édito PAR ZYAD LIMAM

BESOIN D’AMÉRIQUE Tout début août, aux États-Unis, pays le plus puissant de la Terre. À 90 jours d’une élection présidentielle qui s’annonce cruciale, pour le monde entier. L’épidémie de Covid-19 est hors de contrôle, avec près de 160 000 décès et 4,7 millions de contaminations au 3 août. Les États-Unis sont devenus le pays le plus touché au monde. Victimes des errements cyclothymiques de leur président, de la politisation de la crise, d’un mille-feuille institutionnel paralysant. Et de la mentalité de cow-boys d’une grande partie de la population. Pour beaucoup d’Américains, le business et le travail passent avant la santé, mourir est une liberté, et la Covid-19 pratiquement un complot de ces élites libérales qui veulent détruire le modèle « In God We Trust ». Il est pratiquement impossible de s’y rendre. Et les Américains eux-mêmes ne peuvent voyager à peu près nulle part. Ils sont comme bannis. Le choc humain et économique est historique, mais les États-Unis ont (encore) ce privilège de pouvoir tirer des chèques sans limites sur l’avenir… Cette grande démocratie est gangrenée par les violences raciales et policières. Les images du meurtre de George Floyd (« I can’t breathe ») ont fait le tour du monde, comme celles de ces émeutes au cœur de ce qui fut, il n’y a pas si longtemps, d’orgueilleuses villes-mondes. Des millions de gens se sont levés pacifiquement en scandant « Black Lives Matter ». Une partie de l’Amérique blanche se sent sous siège, pendant que de jeunes militants, des étudiants, prônent la révolution. Des forces paramilitaires fédérales investissent les grandes villes pour « ramener l’ordre ». Donald Trump, 74 ans, et dont on ne se sait finalement pas grand-chose de la santé, allume une à une les mèches d’une véritable guerre civile culturelle. Le milliardaire-président, l’homme le plus puissant du monde, au profil psychologique instable (et élu par une minorité du vote populaire), alimente en permanence une rhétorique inflammable du « eux » contre AFRIQUE MAGAZINE

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« nous », multipliant les attaques contre la presse, l’establishment, les juges, etc. Dans les États républicains, on redécoupe les districts et légifère pour limiter le droit de vote. De véritables coups de boutoir contre une démocratie qui n’en sortira pas intacte. Le 45e président des États-Unis a même évoqué la possibilité de reporter les élections (décision hors de ses prérogatives). Dans un tel chaos, l’élection du 3 novembre prochain apparaît comme explosive. L’ordre constitutionnel pourrait-il survivre à un vote fortement perturbé par l’épidémie, à un scrutin serré, ou à un président sortant qui refuserait de reconnaître les résultats du vote ? Sans parler des risques possibles d’ici-là… Que se passerait-il si Trump tombait malade de la Covid ? Et si son concurrent démocrate aussi ? À l’heure où ces lignes sont écrites, l’espoir demeure porté par Joe Biden, un vieil homme de 77 ans, héritier de Barack Obama. Le sénateur s’appuie sur le programme démocrate le plus réformiste depuis Franklin Roosevelt : immigration, santé, éducation, droits civiques. Il devrait choisir une femme noire pour être sa vice-présidente. Un choix symbolique, évidemment, mais aussi très politique, compte tenu de sa santé fragile et de son âge. Le vice-président, comme l’on dit aux États-Unis, « is just one breath away from power » (« est juste à un souffle du pouvoir »)… Cette histoire peut vous paraître lointaine. Mais dans cette période si sombre de notre histoire humaine, nous avons tous besoin d’une Amérique relativement apaisée, d’une Amérique au centre du monde, fonctionnelle, capable de jouer son rôle dans la mobilisation générale. Ce n’est pas un point de vue « romantique », américanophile… Nous sommes à un carrefour, sur une « ligne de crête ». Covid, épuisement des modèles, crise et réorganisation économique, urgence climatique, impératif d’un nouveau dialogue géostratégique global (avec la Chine, entre autres), les défis sont immenses. Et l’Amérique, une nécessité. ■

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N °4 07- 4 0 8 AO Û T- S E P T E M B R E 2 0 2 0

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ÉDITO BESOIN D’AMÉRIQUE

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par Zyad Limam

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ON EN PARLE

par Cédric Gouverneur, Zyad Limam et Emmanuelle Pontié

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

Libertés d’expression

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PARCOURS Nawel Ben Kraïem C’EST COMMENT ? Déconnexions…

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Hella Feki À quel moment un peuple se soulève-t-il ?

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Maïmouna Doucouré : « Un film à hauteur d’enfants »

94

Yasmina Khadra : « C’est encore la nuit dans certains esprits »

par Emmanuelle Pontié

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L’ermite, l’empire et le sabre de l’histoire par Cédric Gouverneur

par Astrid Krivian

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TEMPS FORTS POSITIVE AFRICA 15 idées pour une Afrique forte

LE DOCUMENT Aux entreprises, citoyens ! par Emmanuelle Pontié

par Astrid Krivian

104 CE QUE J’AI APPRIS Mo Laudi

par Astrid Krivian

par Astrid Krivian

122 VINGT QUESTIONS À… Soro Solo par Astrid Krivian

P.22

par Fouzia Marouf

100 Maboula Soumahoro : « Assumer le “je”, femme et noire »

P.38

par Astrid Krivian

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

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AFRIQUE MAGAZINE

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ROGER-VIOLLET - LAURIE-SALOMÉ CUBAYNES - TAGAZA DJIBO/REUTERS

P.26


FONDÉ EN 1983 (36e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

DÉCOUVERTE 55 Côte d’Ivoire : une grande ambition pour demain

Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com

par Zyad Limam

56 Croire en l’avenir ! 60 L’impératif de l’unité nationale 62 L’exigence d’une croissance soutenue 64 Abidjan, en attente 66 L’agriculture met le cap sur sa transformation 68 L’énergie se renouvelle 70 Le défi du capital humain 74 Nouveaux paradigmes, nouvelles opportunités 76 Climat, forêt et green development : la mission d’une génération 78 Portfolio : c’est déjà demain 86 Un scrutin ouvert et décisif

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NABIL ZORKOT - GIANCARLO GORASSINI/BESTIMAGE

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llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

P.55

Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Virginie Gazon, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

BUSINESS

Le Nigeria vent debout contre l’eco Deux géants de l’aérien en bout de piste Akon City, du rêve à la réalité Opération survie pour les PME L’OCP bousculé sur son pré carré La dette en question Asta Rosa Cissé : « Nos équipes ont continué à travailler 7 jours sur 7 » par Jean-Michel Meyer et Emmanuelle Pontié

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Assisté de Laurence Limousin

VIVRE MIEUX Quels progrès pour notre santé ? Point de côté : comment reprendre son souffle ? Les aliments fragiles, et ceux qui durent Soleil et peau : les bienfaits et les pièges à connaître par Annick Beaucousin et Julie Gilles

AFRIQUE MAGAZINE

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avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

VENTES EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

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ABONNEMENTS

Com&Com/Afrique Magazine 18-20, av. Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

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NUMÉRO 407-408 ! EN VENTE DEUX MOIS

DÉCOUVERTE

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D’IVOIRE Aux entreprises, CÔTE UNE GRANDE AMBITION CITOYENS ! POUR DEMAIN

AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

Spécial de 32 pages

31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam.

La Tour F, un projet futuriste pour Abidjan.

Tunisie

La révolution selon Hella Feki

POSITIVE AFRICA!

15 IDÉES POUR UNE AFRIQUE FORTE Résilience, innovation économique, éducation, métissage, laïcité, soft power culturel, pouvoir au féminin, leadership… Toutes les pistes d’un futur (proche)

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Yasmina Khadra

« Certains esprits sont encore dans la nuit »

Histoire CHARLES DE FOUCAULD ET LES TOUAREGS :

AMI OU TRAÎTRE ?

France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ G rèce 6 , 9 0 € – Italie 6, 9 0 € – Luxembourg 6, 9 0 € – Maroc 39 DH – Pays- Bas 6, 9 0 € – Por tugal cont . 6, 9 0 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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PHOTOS DE COUVERTURE : OLIVIER ROLLER - DR - BRUNO ARBESU/REA

407-408 – AOÛT-SEPTEMBRE 2020

03/08/2020 18:11

Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : août 2020. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2020.

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ON EN PARLE

NARCISO CONTRERAS

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

Avec ce cliché, Narciso Contreras témoigne des conditions de rétention des migrants clandestins à Garabuli, en Libye.

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LIBERTÉS D’EXPRESSION PHOTOS

LA FONDATION CARMIGNIAC, espace d’art à part, célèbre la force de l’image pour dire le monde et ses maux.

Le projet « Congo in Conversation » est exposé sur un ancien terrain de tennis.

ARLETTE BASHIZI - MOSES SAWASAWA

AU BOUT DE L’ALLÉE, face à l’entrée, l’Alicastre, monstre draconique du plasticien Miquel Barceló, veille. Rien d’hostile. Mais un clin d’œil à la légende du fort de la Licastre, édifié du temps de Richelieu à Porquerolles. C’est sur cette même île que la fondation Carmignac abrite une collection d’art contemporain de plus de 300 œuvres d’artistes de renommée internationale. Plus encore, la fondation, qui se visite pieds nus, a créé en 2009 le Prix Carmignac du photojournalisme et soutient chaque année la production d’un reportage d’investigation sur les violations des droits humains dans le monde et les enjeux environnementaux et géostratégiques qui y sont liés. L’exposition en cours est consacrée aux travaux des 11 lauréats. Notamment, les séries de Tommaso Protti au Zimbabwe et de Narciso Contreras en Libye. Ou encore le reportage collaboratif en ligne de Finbarr O’Reilly, « Congo in Conversation », avec la coopération de journalistes et de photographes congolais. Une première. ■ Catherine Faye PRIX CARMIGNAC DU PHOTOJOURNALISME 10 ANS DE REPORTAGES,

Fondation Carmignac, Porquerolles (France), jusqu’au 1er novembre 2020. //congoinconversation.fondationcarmignac.com

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ON EN PARLE

Boncana Maïga sur le Malecòn.

Boncana Maïga, à gauche, et ses chanteurs.

RETOUR À LA HAVANE DOCU

EN 1999, un producteur français de musique en escale à Bamako découvre par hasard l’étonnante histoire de Las Maravillas de Mali : de jeunes étudiants maliens invités en 1964 par le régime castriste à suivre une formation musicale à La Havane… Ils y trouveront les moyens techniques et l’assistance de musiciens chevronnés pour créer un groupe de musique afro-cubaine et enregistrer un disque qui aura un retentissement dans toute l’Afrique, avec leur tube « Rendezvous chez Fatimata ». Mais en 35 ans, le souvenir de ce succès intercontinental s’était bien estompé, et les membres du groupe avaient suivi chacun leur voie avec plus ou moins de bonheur. Richard Minier décide alors de les retrouver, et de filmer leurs interviews dans le cadre d’un projet à venir. 20 ans plus tard, il utilise ces vieilles images VHS pour remonter le fil d’une histoire, qui est aussi une enquête passionnante, avec le projet fou de reformer ce groupe et de retourner à Cuba… Une sorte de Buena Vista Social Club à l’envers, où de vieux musiciens cubains retrouvaient le succès et les scènes du monde entier grâce au documentaire de Wim Wenders. La partie est plus 8

Le groupe mythique Las Maravillas de Mali.

AFRICA MIA (France), documentaire de Richard Minier et Édouard Salier. Africa Mia, Las Maravillas de Mali, CD avec enregistrements d’époque et nouvelles versions (Decca Records).

ardue pour ces musiciens maliens, qui meurent les uns après les autres… Jusqu’au dernier survivant, Boncana Maïga, longtemps exilé en Côte d’Ivoire, le seul à pouvoir effectuer ce retour à La Havane plus d’un demi-siècle plus tard… Un film qui permet de croiser Salif Keita, Cheick Tidiane ou feu Mory Kanté, avec un éclairage bienvenu sur la politique culturelle et la censure au Mali à la fin des années 1960. 18 ans de tournage pour un résultat passionnant : on est embarqué par l’enquête et l’entêtement du réalisateur, qui s’est associé à son confrère Édouard Salier, familier de l’île et auteur de clips pour Massive Attack ou Justice. On est aussi ému par les rencontres, embarqué par la musique, et fasciné par cette remontée dans le temps : un puzzle se reconstitue sous nos yeux et nous plonge à une époque où une certaine idée de la fraternité pouvait faire bouger les lignes… et danser les gens. ■ Jean-Marie Chazeau

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Une enquête passionnante nous ramène à une époque où Cuba invitait chez elle les musiciens des « PAYS FRÈRES » à venir étudier et enseigner la musique.


Au pays des pharaons ART

Cap sur une CIVILISATION multimillénaire et pionnière.

« SOLDATS, songez que du haut de ces pyramides, 40 siècles vous contemplent. » Au mois de mai 1798, Napoléon Bonaparte, général en chef de l’armée d’Orient, part à la conquête de l’Égypte. Dès lors, la plupart des découvertes s’exportent vers l’Europe. Moins de trois siècles plus tard, sculptures, papyrus et amulettes funéraires y sont plus que jamais à l’honneur. À Aix-en-Provence, l’exceptionnel fonds égyptien ancien du Musée Granet provient essentiellement des collections des XVIIIe et XIXe siècles. Quelque 150 objets sont exposés dont deux basreliefs contemporains de la pyramide de Khéops, plusieurs stèles, un sarcophage et sa momie ou la singulière momie de varan du Nil. Le musée du Louvre s’associe à l’événement avec plus d’une quarantaine de chefs-d’œuvre prêtés pour l’occasion, tels un colosse de pharaon de 2 m en granite rose, de la lignée des Ramessides, et le Livre des Morts de la dame Tabaakhet, de l’époque ptolémaïque, de 18 m de long. Plus de 300 m2 d’exposition où sont abordés la thématique de l’écriture et des hiéroglyphes, l’étonnante zoolâtrie du Ier millénaire av. J.-C., l’ésotérisme ou encore la place singulière de la femme de pouvoir et d’influence. ■ C.F. « PHARAON, OSIRIS ET LA MOMIE », HERVÉ LEWANDOWSKI

Musée Granet, Aix-en-Provence, du 19 septembre 2020 au 14 février 2021. Stèle d’Âha-Sehemèt-Iset-em-di-nakht, du VIIe siècle av. J.-C.

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ON EN PARLE

AFEL BOCOUM

MUSIQUE

pour attendre des jours meilleurs D’une élégance rare, le NOUVEL ALBUM du chanteur et guitariste malien impose un regard tendre sur un monde brutal. 10

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CHRISTIAN JASPARS - DR

SON PÈRE était un célèbre joueur de njarka mais ne souhaitait guère que son fils suive ses pas dans la musique… Heureusement, Afel ne l’a pas écouté et, dès le plus jeune âge, reçoit l’enseignement d’Ali Farka Touré tout en écoutant l’appel de la guitare et de ce qui l’entoure, les tambours du Gumbé comme les flûtes des Fulani. Devenu membre du groupe de Touré, il fait ses armes sur scène dans les années 1980, gagnant sa vie en tant qu’agent gouvernemental de l’agriculture tropicale et animateur culturel pour le ministère de la Jeunesse. Il organise des concerts, fonde le festival Alkibar… En 1999, il sort enfin son premier album, Alkibar, où l’on entend chanter en bambara, en tamasheq et en sonrhaï, la langue des Peuls du Mali. Il y raconte l’Afrique, la liberté, le partage des cultures, la solidarité. Trois ans plus tard, Damon Albarn et Toumani Diabaté lui demandent de participer à Mali Music.


BD

L’ODYSSÉE S’ACHÈVE

FABIEN TOULMÉ - DR

Des liens se tissent et, depuis, Bocoum joue régulièrement lors des concerts d’Africa Express. Le meneur de Blur et de Gorillaz est d’ailleurs coproducteur exécutif de Lindé, aux côtés de Nick Gold du label World Circuit. L’album tient son nom d’une étendue sauvage située près de Niafunké, ville natale de Bocoum, dans la région de Tombouctou. L’eau y est très présente, et sa transparence se retrouve dans les entrelacs mélodiques et la douceur rythmiques de Lindé, où se mêlent kora, calebasse, guitares, percussions et n’goni. Fidèle à la tradition mais inspiré par les sons occidentaux, Afel Bocoum y chante son amour pour le Mali, son désir de paix face aux profondes blessures de la guerre civile, sa volonté de dialoguer avec les terroristes – sans oublier la joie d’être au monde. Autour de lui, une fine équipe de musiciens : feus Tony Allen et Hama Sankaré (ce dernier a été tué lors d’un attentat en mars dans le nord du Mali), la rockeuse Joan Wasser, Vin Gordon (qu’on a vu chez Bob Marley and the Skatelites), Garba Touré de Songhoy Blues, Madou Sidiki Diabaté… Tous apportent leur chaleur humaine à un disque qu’il faut écouter en boucle, longtemps, pour en saisir la magie et attendre sagement des jours meilleurs. ■ Sophie Rosemont AFEL BOCOUM, Lindé, WorldCircuit/

BMG, sortie le 4 septembre.

Suite et fin de la trilogie acclamée par la critique et basée sur le témoignage d’un réfugié syrien. FUIR, TRAVERSER LES FRONTIÈRES, résister… comme le parcours de Hakim et son fils. Après avoir survécu à la traversée de la Méditerranée, les voilà sur le territoire européen. Ce troisième tome est une course contre la xénophobie et la violence. Le dénouement d’une trilogie de près de 900 pages inspirée de l’histoire d’un homme pour qui tout bascule avec la vague du Printemps arabe, lorsque le régime syrien se durcit et opprime. À l’origine de ce roman graphique, il y a la volonté d’utiliser la bande dessinée comme outil de sensibilisation à la crise des migrants. Donner à voir pour mieux comprendre l’enchaînement, sans répit, des événements. Se mettre à la place d’un homme qui endure un voyage chaotique, avec un enfant qui sait à peine marcher. L’exil pour subsister et renaître. Fabien Toulmé est un passeur d’histoires. Pour qui la résilience n’est pas un vain mot. ■ C.F.

FABIEN TOULMÉ, L’Odyssée d’Hakim, D De lla M Macédoine éd i à la France (tome 3), Delcourt, 280 pages, 24,95 €.

ROMAN

DES MOTS POUR LE DIRE Avec sa gouaille légendaire et beaucoup d’autodérision, le parolier du groupe Zebda raconte ses années de jeunesse. CELUI qui obtint difficilement la nationalité française en raison de son militantisme examine l’autre versant de lui-même, sa part de Sarrasin, l’un des noms donnés durant l’époque médiévale en Europe aux musulmans. Quatre ans après le succès de Ma part du Gaulois, Magyd Cherfi s’intéresse cette fois-ci aux jeunes années rock pré-Zebda. Un récit de jeunesse, où le racisme des années 1980, les malentendus, la violence et le désir tissent l’écheveau de la personnalité de cet esprit libre. Mais, pour le Toulousain d’origine kabyle, l’exploration de soi passe d’abord par le malaxage des mots et par la langue. « Le rholoto, c’était moi, c’est ainsi que l’Arabe traite le sale Arabe. Rholoto, c’est le “bougnoule” de l’entre-soi et je refusais de faire partie du troupeau Tacchini, Nike ou Reebok à tête frisée », peut-on l’entendre scander. Entre colère et espérance, le poète-chanteur ouvre une nouvelle page et fait chanter les mots. ■ C.F. MAGYD CHERFI, La Part du Sarrasin, Actes Sud, 432 pages, 22 €.

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ON EN PARLE

DESIGN

SOMIAN, LE MOBILIER PAR JEAN SERVAIS COCOTIER, BOIS PRÉCIEUX OU PLASTIQUE… : « Je me dois de révéler les matières que nous avons » DESIGNER, ÉBÉNISTE, sculpteur et formateur. Jean Servais Somian est un nom incontournable de l’univers du mobilier africain contemporain et un point de repère pour les nouvelles générations. Ses œuvres naissent entre son atelier-habitation à Grand-Bassam et le laboratoire d’ébénisterie à Abidjan, où chaque pièce sculptée sur la côte est assemblée par des mains savantes. Artisan éclectique, il raffole de matériaux de récup qu’il revalorise. Comme les tongs qui, découpées et tressées, se transforment en tapis colorés. Ou les vieilles pirogues dont la belle ligne lui a inspiré ses fameuses banquettes. Toute matière est noble, rien ne se perd. Un concept qui colle bien au cocotier, son bois signature. En cette version, son Mobile Bar a été élu meilleur objet à la Beirut Design Fair en septembre 2019. Le cocotier est aussi le pilier des nouveaux décors, rêveurs, du luxueux hôtel La Baie des sirènes, à Grand-Béréby. Et de sa prochaine collection, reprise et améliorée pendant la pandémie. L’occasion d’ailleurs d’envisager un nouveau projet : créer un événement ivoirien du design, où se révéleront des jeunes pousses, aux côtés de designers confirmés. ■ Luisa Nannipieri somiandesign.com

DR

Chaises en métal, commode ornée d’éclats de miroir ou chevets en bois : les pièces de Jean Servais Somian sont à la limite de la sculpture.

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C R É AT E U R

ANDREA IYAMAH Pour une mode en formes

DR - WILLIAM UKOK - WILLY VERSE

La designer nigériane travaille entre ses deux villes de cœur, LAGOS et Toronto.

Zane, Aisha et Kanem (de g. à dr.) sont quelques-uns des modèles phares de la créatrice Dumebi Iyamah (ci-dessous).

LANCÉE EN 2013 par la designer nigériane Dumebi Iyamah, cette marque a tout pour plaire aux esprits libres qui aiment les tenuess légères et colorées. Andrea Iyamah est un label réputé pour ses collections de maillots de bain, aux coupes uniques et inclassables es et aux graphismes inspirés par les différentes cultures du continent. ent. Les créations de la jeune femme, qui a commencé son entreprisee quand elle n’avait que 17 ans, séduisent pour leurs dessins vibrants nts et leurs formes. Un mélange de modernité, avec des modèles soitt très échancrés, soit aux lignes fines épousant les silhouettes féminines, es, ou encore au charme rétro. Dans la dernière collection printempspsété, on retrouve par exemple des maillots deux-pièces avec culotte taille haute, comme le Motuka ou le Kanem, assortis de ceintures à l’allure vintage. Certaines pièces affichent l’une des signatures de la marque : les finitions en forme de feuille. Pour les filles espiègles, qui aiment se faire remarquer sur la plage, les bikinis Arifa ou Wasuki, ou le une-pièce Zaria, sont des incontournables. Leurs couleurs brillantes attirent les regards et la disposition des lignes autour de la taille, des hanches ou des épaules donne vie à des illusions optiques pensées pour mettre en valeur les formes, à l’intérieur et en dehors de l’eau. Mais chez Andrea Iyamah, il n’y a pas que des maillots de bain : robes vaporeuses pour la plage, tenues de ville ou pantalons casual-chic mais aussi robes de mariée tendances et sur commande. Tout étant rigoureusement produit entre Lagos et Toronto, les deux villes de cœur de la designer. ■ L.N. andreaiyamah.com

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ON EN PARLE SOUNDS

À écouter maintenant !

❶ Cory Seznec et

Amadou Diagne

Touki, Right of Passage, Captain Pouch Records/ Inouïe

VOTEZ POUR ELLE L’Arabie saoudite change, et les FEMMES N’Y SONT PAS POUR RIEN…

IL Y A HUIT ANS, Haifaa Al-Mansour réalisait le premier film de cinéma produit en Arabie saoudite. Wadjda, du nom de cette ado qui bravait les interdits en faisant du vélo, a rencontré un succès international, et depuis les choses ont commencé à changer pour les femmes de ce pays. Ce nouveau film commence d’ailleurs avec une femme au volant d’une voiture, ce qui n’était pas imaginable jusqu’à tout récemment. La cinéaste a choisi d’encourager ce mouvement, en racontant comment une femme médecin, plutôt conservatrice, se lance malgré elle en politique… On pénètre ainsi dans l’intimité d’une famille, bousculée par cette soudaine ambition car les deux sœurs de la candidate sont un peu effrayées des conséquences possibles sur leur quotidien… La campagne électorale va se heurter aux fortes réticences des hommes… mais aussi de bien des femmes. Dommage qu’on ne voie jamais ce qui se passe dans le camp d’en face, le combat politique en devient un peu abstrait. Lorsque la cinéaste sort du huis clos de la maison familiale, des mariages (avec hommes et femmes toujours séparés) et des réunions politiques assez limitées, c’est pour montrer le père des trois jeunes femmes, musicien en tournée avec son orchestre, malgré les menaces terroristes. Mais c’est aussi un autre combat contre l’obscurantisme, et la relation père-fille prend alors tout son sens politique autant qu’affectif. ■ J.-M.C. THE PERFECT CANDIDATE (Arabie saoudite), de Haifaa Al-Mansour. Avec Mila Alzahrani, Dae Al Hilali, Khalid Abdulrhim. 14

❷ JGrrey

Ain’t So, The Orchad. La scène soul britannique est toujours aussi prolifique… En témoigne l’arrivée de cette jeune chanteuse, Jennifer Clarke pour l’état civil, qui chantait dans sa chambre avant d’être repérée par le producteur Nana Rogues (Drake, Skepta). Sur son CV, les premières parties de Billie Eilish et le remarqué EP « Ugh ». Avec le groove de Ain’t So, le monde peut désormais lui appartenir.

❸ Ray Lema

On entre KO, on sort KO, One Drop/ L’Autre distribution

Avec son groupe OK Jazz, Franco Luambo (1938-1989) aura incarné et exporté la rumba congolaise comme peu d’autres ont réussi à le faire. Il est aujourd’hui honoré par un disque hommage, celui du pianiste et guitariste congolais Ray Lema, qui revisite ses classiques comme ses pépites moins connues. L’énergie est live, puissante, et l’enthousiasme a bel et bien traversé les générations. ■ S.R.

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CINÉ

On ne présente plus le Sénégalais Amadou Diagne, célébrissime joueur de kora, descendant d’une longue lignée de griots percussionnistes et féru de rencontres. Comme celle avec le multi-instrumentiste franco-américain Cory Seznec, il y a plus de dix ans, qui donne aujourd’hui à entendre 13 morceaux hybrides mêlant kora, banjo et guitare. Le résultat s’appelle Touki, « voyage » en wolof. Et c’est beau !


LIVRE

Fiston Mwanza Mujila

À corps perdu Encore une fois, l’auteur de l’inénarrable TRAM 83, premier roman couronné de prix prestigieux, nous emmène dans un univers bouillonnant, où chacun danse sa survie. « DES GAMINS, des gamins/ils dansent et dansent/la merveilleuse danse du vilain. » Dans le poème qui clôt son récit, toute l’absurdité du monde nous saisit au garrot. Comme nul autre, Fiston Mwanza Mujila dépeint le déraillement des êtres sous la dictature par petites touches. Tel un peintre. Mêlant la violence à la poésie, la déglingue à la joie. Les 54 chapitres, bercés par le jazz sud-africain et la rumba zaïroise, sont peuplés de personnages inattendus, le plus souvent retors : le mystérieux Monsieur Guillaume et sa police secrète, le jeune archevêque Molakisi, le patron du Mambo. Nous sommes à l’heure du régime de Mobutu, de la guerre civile, de l’immigration des Zaïrois en Angola, de l’occupation des places publiques par les enfants. Des enfants comme Sanza ou le petit sorcier Ngungi, qui rejoignent le Parvis de la Poste, où vivent d’autres gamins du dehors. Lubumbashi est en plein chaos. Tout est bon pour s’en sortir. Surtout pour s’encanailler. « Ce qui est rocambolesque avec le monde c’est que dans la même heure, minute, seconde, plus de 500 milliards de gestes sont posés en même temps : les gens s’envoient en l’air, coupent des bières, allument la radio, fomentent des coups d’État, lisent Bofane, Mabanckou ou Musil », écrit l’auteur de ce maelstrom poétique et singulier. Une fresque quasi cinématographique, que l’on voit se dérouler au fil d’une lecture endiablée, portée par une langue inimitable. ■ C.F.

JURGEN FUCHS/ÉDITIONS MÉTAILIÉ

FISTON MWANZA MUJILA, La Danse du Vilain, Métailié,

272 pages, 17 €.

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ON EN PARLE I M AG E S

Loin des clichés

En 2018, Claude et France Lemand ont fait don à l’Institut du monde arabe d’une exceptionnelle collection D’ART CONTEMPORAIN. SI, À PARTIR DES ANNÉES 1880, la photographie a contribué à construire des images souvent fantasmées du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, au cours des trois dernières décennies, les artistes du monde arabe se la sont appropriée en déconstruisant les clichés. La collection d’art moderne et contemporain de Claude et France Lemand, léguée à l’IMA en 2018, témoigne de ce regard, nostalgique, lourd des conflits et des crises qui jalonnent l’histoire du monde arabe contemporain. Les artistes exposés, tels le Tunisien Ridha Zili ou la Franco-Algérienne Halida Boughriet, explorent la mémoire, l’exil, les relations humaines à travers des images, des vidéos ou des installations. Un nouveau langage, au carrefour des préoccupations esthétique, sociale et politique. ■ C.F. « LES COLLECTIONS VIVANTES DE L’IMA. MÉMOIRES PARTAGÉES »,

Institut du monde arabe, Paris, jusqu’au 3 janvier 2021.

DR (X2)

Parmi les photographes exposés : Halida Boughriet et Ridha Zili.

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ARCHI

LA VILLA Z, D’ARK ARCHITECTURE

BILEL KHEMAKHEM

L’AGENCE tunisienne offre un regard ultra-contemporain sur le pays du jasmin.

FLUIDE, MODULAIRE, transparente, une architecture qui vit de la lumière de la Méditerranée et adapte les codes du monde arabo-musulman aux besoins d’aujourd’hui. Avec ses projets, Bilel Khemakhem, à la tête du cabinet ARK-Architecture depuis 2011, espère « introduire une ligne contemporaine » en Tunisie. Une vision qui lui a valu d’être nominé à l’Arab Architects Awards 2018 et au prix des Journées Architecturales de Carthage 2019. Villa Z, 450 m² sur trois niveaux dans une zone résidentielle de Tunis, applique sa philosophie à l’habitat familial. Côté rue, une façade épurée préserve l’intimité du foyer. Côté cour, des larges ouvertures offrent une vue panoramique sur la piscine à débordement et inondent l’intérieur de lumière naturelle. Le salon en double hauteur est un lieu de vie et de partage ouvert sur la cuisine et la terrasse. Une passerelle vitrée, décorée d’un brise-soleil en moucharabieh, distribue l’étage et donne accès à la chambre parentale surplombant la piscine. L’escalier, en bois sans contremarche, découpe et exalte les volumes, participant du jeu subtil de contrastes qui fait le charme de cette villa. ■ L.N. AFRIQUE MAGAZINE

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ON EN PARLE

DRAME

CAS DE CONSCIENCE

OMAR SY embarque un réfugié pour une reconduite à la frontière. Un film intimiste et BIEN-PENSANT… TROIS POLICIERS PARISIENS doivent raccompagner à la frontière un immigré clandestin, alors que ce n’est pas dans leurs attributions habituelles. Le migrant, originaire d’Europe de l’Est, reste mutique tout le long du parcours, mais son dossier montre qu’il risque la mort en rentrant dans son pays. Est-il un terroriste potentiel ou la victime d’une dictature ? Les trois flics (deux hommes, une femme) n’ont pas la même vision des choses, même si la vie d’un individu est finalement entre leurs mains. Leur confrontation dans la voiture en direction de Roissy

est ponctuée de flash-back qui éclairent la personnalité de chacun et le difficile quotidien d’un commissariat parisien. Les comédiens sont remarquables de nuances et de sensibilité, Omar Sy montre une nouvelle fois qu’il est à l’aise dans ce registre, mais ce drame intimiste peine parfois à dépasser la simple démonstration bien-pensante, et la route entre le centre de Paris et l’aéroport Roissy-Charlesde-Gaulle semble par moments bien longue… ■ J.-M.C. POLICE (France), d’Anne Fontaine. Avec Omar Sy, Virginie Efira, Grégory Gadebois.

PROCHAINEMENT

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OSS 117 EN FRANÇAFRIQUE!

Alerte rouge en Afrique noire : le nouvel opus de la série franchouillarde (et pleine d’autodérision) OSS 117 est au montage. Jean Dujardin incarne toujours un agent des services secrets français à côté de la plaque, mais on quittera les années 1950 et 1960 pour les années 1980. Et après Rio et Le Caire, ce sera… la Françafrique, même si ce troisième volet a été tourné au Kenya, juste à temps avant la pandémie de Covid-19. Misogynie et néocolonialisme vont en prendre pour leur grade, avec Nicolas Bedos à la réalisation, son antiracisme en bandoulière et la volonté d’aller loin en ces temps de politiquement correct très surveillés. Jean Dujardin partagera le haut de l’affiche avec Pierre Niney, et à leurs côtés, en position de force : Fatou N’Diaye et Ricky Tribord. Sortie programmée le 3 février 2021. ■ J.-M.C.


MUSIQUE

Fantastic Negrito, sans contraintes De retour avec son afroblues hybride, le songwriter d’Oakland d’origine malienne affirme sa liberté dans l’Amérique de TRUMP.

AERICK NEAL XXXXXXXX

IL SUFFIT d’entendre les premières notes de « Chocolate Samourai » pour comprendre qu’on est de retour dans l’antre électrique et survoltée de Fantastic Negrito – qui a vécu suffisamment d’existences pour en nourrir sa musique, mix de blues, de soul, de hip-hop et de funk. Né en 1968, élevé à Oakland au sein d’une famille nombreuse d’origine malienne, Xavier Dphrepaulezz devient très vite dealer, se fait repérer en jouant de la guitare dans la rue, sort un premier album, The X Factor, en 1996. Peu après, un accident de voiture le plonge dans le coma durant trois semaines… dont il sort abîmé, décidé à ne plus faire de musique. Ouf, Dphrepaulezz revient au milieu des années 2010 sous le nom de Fantastic Negrito et, depuis, brûle la scène. Sur ce nouvel album, des titres tels « How Long », « Shigamabu Blues » ou encore « Justice in America » ne s’embarrassent guère de fioritures et, s’ils chantent la joie d’être au monde, ils en dénoncent également les failles les plus sombres. ■ S.R. FANTASTIC NEGRITO, Have You Lost Your Mind Yet ? Cooking Vinyl, sortie le 14 août. AFRIQUE MAGAZINE

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ON EN PARLE

PANTELLERIA, ENTRE DEUX MONDES D É PA R T

LES TOITS BLANCS des dammusi brillent au soleil, en contraste avec les pierres noires des murs, du sol et des routes. Ces constructions typiques ponctuent toute l’île de Pantelleria, territoire italien perdu au milieu de la mer, à moins de 70 km des côtes tunisiennes. Après le bétonnage de l’après-guerre, qui a défiguré le port homonyme, où se trouvent aujourd’hui les principaux hôtels, une loi empêche toute nouvelle construction sur l’île volcanique. Afin de préserver le paysage lunaire, les coulées de lave anciennes, les falaises rocheuses et les vieux murets de pierre sèche qui délimitent champs, vignobles et hameaux où la vie coule paisiblement, seule la remise en état des maisons traditionnelles est autorisée. Même le camping est interdit, pour prévenir le tourisme de masse. Particuliers et opérateurs touristiques s’adaptent en revitalisant les structures abandonnées, à partir des vieilles citernes souterraines : sur l’île il n’y a aucune source d’eau potable et la pluie, convoyée via les toits courbés, est un bien précieux. Il faut impérativement veiller à ses réserves avant de se lancer sur l’un des nombreux 20

chemins qui traversent le parc national. À pied ou à vélo, les itinéraires touristiques mènent vers le cratère éteint du Mont Gibèle et une petite grotte dans les bois : un sauna naturel où se poser avant de poursuivre la montée. Sur le flanc nord de la Montagne Grande, 836 m, les favare des Cuddie laissent filtrer du sol la vapeur volcanique qui enveloppe en un air mystique la forêt. Le souffle de la terre devient majestueux sur le flanc sud, dans la favara grande, où des geysers propulsent l’eau à 100 °C vers le ciel. À l’opposé, côté mer, la caldera du volcan est désormais un lac, le Miroir de Vénus, entouré de sources souterraines et flaques de boues thermales en libre accès. Traditionnellement, la vie insulaire se concentre à l’intérieur, sur les flancs des montagnes, dans les vallées ou sur le plateau de Mueggen. Dans le vignoble de Zibibbo, on produit un muscat d’Alexandrie d’appellation protégée. On cultive aussi le câprier, véritable fierté de l’île. Mais Pantelleria est aussi un paradis marin. Par contre, pas de plage, ici tout est rocheux ! L’eau transparente laisse entrevoir les fonds

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La PERLE NOIRE DE LA MÉDITERRANÉE, à mi-chemin entre Afrique et Italie.


LES BONNES ADRESSES Da Bice : Un micro-resto qui ne paie pas de mine dans un coin du port de Pantelleria, fréquenté par les habitués et les habitants mais aussi quelques V.I.P. À la carte, choisissez les pâtes aux sardines et le vin Passito maison.

Francesco Marrone : Une pizza à Scauri, en terrasse avec vue sur l’Afrique.

Cantina Basile : À Bukkuram (« roi de la vigne » en arabe), on trouve l’un des meilleurs vins de l’île. Sikelia : Le plus chic des dammusi. sikeliapantelleria.com

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Le luxueux hôtel Sikelia, pour une expérience unique.

marins d’obsidienne où se nichent une faune surprenante, des épaves et des reliques puniques et romaines. Un tour en bateau assure la meilleure vue sur les criques de lave, les falaises de la côte sud et la nature sauvage de celle que les Arabes avaient appelée, à raison, Bent El Riah, la fille des vents. ■ L.N. AFRIQUE MAGAZINE

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Casa Spagnola : Situé Cala Tramontana, ce dammuso, entièrement restauré par l’architecte catalan Oscar Tusquets, est un excellent exemple de l’hospitalité à Pantelleria. Musée en plein air Attilio Rappa : Le meilleur de l’art contemporain sous le ciel de Pantelleria (gratuit).

Capperaia Pietro Bonomo : Un incroyable amphithéâtre naturel destiné à la culture des câpres, à Serragghia.

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PARCOURS

Nawel Ben Kraïem LA CHANTEUSE-AUTEURE-COMPOSITRICE,

qui a appris à faire de la singularité de son timbre une force, revient avec un album plus intime, Délivrance. propos recueillis par Astrid Krivian

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nfant, sa belle voix grave, éraillée, ce timbre rare se distingue lorsqu’on lui fait chanter à l’école des musiques arabo-andalouses comme le malouf. « Mon grain n’était pas commun ni valorisé. On me faisait sans cesse remarquer qu’il ne collait pas avec mon physique. » confie Nawel Ben Kraïem. Née en 1988, elle grandit à Denden, dans la banlieue de Tunis. Sa mère française et son père tunisien la prénomment Nawel en hommage à l’écrivaine féministe égyptienne Nawal el-Saadawi. Militants communistes, ils lui inculquent une conscience aiguë des inégalités sociales, des revendications de justice. Éprouvant très tôt le « feu sacré pour la scène », elle fait du théâtre, « langage de l’intime, l’art des émotions ». Puis, férue de poésie (de Bukowski à Mahmoud Darwich), elle noircit les pages de ses carnets, déclame des poèmes en musique : « Le mot amenait la mélodie. » À 16 ans, elle déménage en famille en France, à Toulouse puis Paris. Après son bac, elle intègre une prépa littéraire – « milieu très élitiste, où j’étais la seule maghrébine » –, s’inscrit dans un Conservatoire d’art dramatique. Très vite, l’amour de la musique prend le dessus : elle court les scènes ouvertes, les tremplins, monte un groupe, Cirrus, chante en français, en arabe, en anglais. Leur premier album Mama Please, croisant sonorités orientales, balkaniques et rock, reçoit le prix RMC Découverte à Alexandrie en 2009. Ensuite, elle part en tournée avec Orange Blossom, participe à l’album collectif Méditerranéennes de Julie Zenatti, signe un premier EP très remarqué Navigue en 2015, puis Par mon nom en 2018. Au cinéma, elle apparaît dans Indignados de Tony Gatlif (2012), L’amour des hommes de Mehdi Ben Attia (2018). Elle compose la chanson « D’habitude » pour le film Tu mérites un amour (2019) d’Hafsia Herzi, remixée par le collectif londonien Transglobal Underground sur son nouvel album. Pour ce premier disque physique, enfin distribué dans les bacs, elle a tout l’espace pour déployer pleinement sa plume poétique, écriture intime, parfois reliée au politique. « Sur mon précédent EP, mon regard était très tourné sur le monde, les questions d’identité. Ici, le point de départ est plus intime, plus mélancolique, souterrain, introspectif. » Son esthétique musicale explore ses influences éclectiques, du hip-hop au mezwed, du rock aux riffs gnawis, de l’électro aux sons organiques des cordes de son fidèle acolyte Nassim Kouti (guitare, oud, mandole, guembri). Son titre Délivrance se réfère à ce roman de l’écrivaine Toni Morrison, hommage Délivrance, Nawel Ben Kraïem sortie à ces « auteures qui m’ont grandie, nourrie, elles sont mes stars. » Il évoque également le 25 septembre 2020, cette nouvelle liberté, l’affranchissement d’un format court, d’un style aussi. « J’ai ce Now Naw Records/Pias plaisir de la chansonnière, à écrire des refrains, mais aussi celui du hors format et de la texture. » Dans « Neuf mois », cette jeune maman d’un petit Shems (« soleil »), né en 2019, exprime l’ambivalence ressentie dans la maternité. « Cette joie intense et l’angoisse, le vertige. On ne s’attend pas à être si vulnérable. » Le titre « Révolution des figuiers » convoque la révolution tunisienne et le hirak algérien. « J’avais vécu l’émotion collective de la “révolution de jasmin”, puis ses désillusions. Ce soulèvement du peuple algérien montre que la jeunesse veut changer les choses. L’espoir gagne toujours. » ■

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LAURIE-SALOMÉ CUBAYNES

«Ici, le point de départ est plus

mélancolique, souterrain,

introspectif.» AFRIQUE MAGAZINE

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C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

DOM

DÉCONNEXIONS… À ce jour, près de la moitié de la population mondiale est présente sur les réseaux sociaux. Et durant les douze derniers mois, en partie du fait de la pandémie de Covid-19, le nombre d’utilisateurs a augmenté d’environ 10 %, soit de 12 nouveaux utilisateurs par seconde. Super ! Les divers confinements ont poussé les habitants de la planète entière à communiquer différemment, les télétravailleurs à bosser à distance, arborant souvent un visage déformé sur un petit écran, les élèves à se connecter pour ne pas perdre pied dans leur cursus. Bref, l’utilisation des applis et autres solutions high-tech ont le vent en poupe. En Afrique aussi, la dématérialisation et les visioconférences se retrouvent partout à l’ordre du jour. Dans les entreprises, dans les ministères, dans les organisations panafricaines. Et sur les derniers mois, la plupart des pays ont assisté à une montée en charge sur les réseaux Internet fixe et mobile des opérateurs de télécommunications, ainsi qu’à une surconsommation de la bande passante. Pourtant, sur le continent, l’accès aux nouvelles technologies, pour une kyrielle de raisons, reste faible et constitue un véritable casse-tête. Le matériel est cher et inaccessible pour la plupart, les connexions lentes, les délestages en chaîne… Résultat, des pans entiers des populations restent sur le carreau. Notamment les écoliers, abandonnés chez eux après la fermeture des établissements scolaires, qui ne rouvriront qu’à la rentrée à Kinshasa, à Dakar… Et ce dans le meilleur des scénarios. Pourtant, les gouvernements communiquent à longueur d’année sur tel bout de fibre optique tout neuf, sur telle nouvelle couverture réseau exceptionnelle, ou encore sur telle possibilité de connexion révolutionnaire… Les programmes ambitieux se multiplient, sans pour autant porter leurs fruits, ou en tout cas pas assez rapidement. Et c’est un vrai souci, surtout à l’heure d’un monde connecté où les nouvelles technologies s’imposent accessoirement comme une arme majeure contre les effets d’une pandémie mondiale. Pour continuer à apprendre, à faire du commerce, à échanger, à travailler, à créer de la richesse, à vivre, quoi ! Alors espérons que cette sale période aura dopé nos dirigeants en matière de high-tech ! L’une de leur priorité doit devenir l’accès à Internet pour tous. Et vite… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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