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Afrique Méditerranée A M B LE MAGAZINE DES ÉCONOMIES ET DES ENTREPRISES ÉMERGENTES

EXCLUSIF RD CONGO

MATATA PONYO MAPON :

TUNISIE À L’HEURE DES COMPTES ET DES CHOIX

CONSO & MARCHÉS LE GRAND BOOM DU LUXE

MAROC LES MÉANDRES DU TRAIN À GRANDE VITESSE

« LE CHEF DOIT DONNER L’EXEMPLE »

PÉTROLE

2016 OCTOBRE

(AFRICA INTERNET GROUP)

SÉLECTION

Afrique Méditerranée

No 1 5

SEPTEMBRE

INTERVIEWS

COUP DE CHAUD À L’EST

SACHA POIGNONNEC YACINE BA SALL (BDA) ANTOINE GUEGO (ACCORHOTELS)

LES EXPERTS DE LA BEAUTÉ

ENTREPRISES

OBJECTIF AFRIQUE ! ELLES S’INSCRIVENT DANS UNE STRATÉGIE CONTINENTALE, CRÉENT DES FILIALES, INTÈGRENT DES CULTURES DIFFÉRENTES. UNE ENQUÊTE INÉDITE AVEC NOTRE PREMIER CLASSEMENT DE CES SOCIÉTÉS RÉELLEMENT « PANAFRICAINES ». N° 15 SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016 France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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POUR COMMENCER par Zyad Limam

UN FUTUR ASIATIQUE

C’est un continent si vaste qu’il est souvent difficile d’en fixer les frontières : Asie du Sud, Asie orientale, Asie mineure… Mais c’est certainement ici, et plus particulièrement dans la partie « sud-est », de Mumbai à Tokyo en passant par Shanghai et Singapour, que se joue l’avenir économique et technologique du monde. Cette humanité dans l’humanité représente plus de 30 % de l’économie globale (cinq pays dans le top 20 : Inde, Chine, Japon, Indonésie, Corée du Sud). Avec une présence dans tous les secteurs : industrie, transports, services, finances, etc. Le tiers des exportations mondiales et 40 % du trafic des conteneurs transitent par ses eaux et ses ports. Les États-Unis l’ont compris et c’est l’un des points majeurs des deux mandats de Barack Obama : une réorientation rapide de l’énergie, de l’intelligence, des moyens américains vers ces nouveaux centres de croissance et de créativité. Le Pacifique s’impose comme la grande sphère de demain aux dépens de l’Atlantique. Évidemment, les défis sont multiples et stupéfiants : démographique (premier foyer de peuplement de la planète avec près de 4 milliards d’habitants), transition urbaine massive (avec des mégalopoles dignes de films de science-fiction), enjeux écologiques, sociaux, démocratiques… Pour faire partie du futur, il faudra prendre les chemins de l’Orient.

LA CHINE EN QUESTIONS

Dans une période de marasme et d’incertitudes générales, on compte sur l’empire du Milieu pour sauver la croissance mondiale. Pourtant, la machine chinoise aura bien du mal à jouer ce rôle. Le ralentissement (en langage diplomatique on parle d’atterrissage plus ou moins en douceur) couplé à la baisse des prix des matières premières s’est déjà montré particulièrement dévastateur pour un certain nombre d’émergents. Sur le plan interne, le maintien du rythme de croissance aux alentours de 6 % par an n’a été rendu possible que par un recours massif au crédit. La dette (hors secteur financier) représente déjà plus de 120 % du PIB. Des quantités d’entreprises d’État, en particulier dans le secteur industriel (en surcapacité

massive), sont virtuellement en faillite, surnommées par les spécialistes « entreprises zombies ». Des centaines de milliers d’emplois, des millions certainement, sont menacés. Il faut trouver un nouveau souffle à un système arrivé à saturation. Investir plus encore dans les infrastructures ? C’est possible, mais beaucoup a déjà été fait. Doper la consommation ? Cela induirait une politique de salaire plus élevé, au détriment de la compétitivité et des exportations. Muter vers une économie de service ? Il faudrait alors parier sur une libéralisation générale de la société, aux antipodes de l’approche des dirigeants du Parti communiste, préoccupés plus que jamais par la possibilité d’une vaste agitation sociale. Selon les spécialistes, le débat au sommet du pouvoir est particulièrement vif entre partisans d’une économie de marché plus efficiente et ceux qui prônent un retour à davantage de dirigisme. Même si sa capacité de gestion des crises est toujours intacte, la Chine n’est plus tout à fait une exception. Ça tangue sec ici, comme partout ailleurs. La mutation aura lieu et elle aura un impact, finalement et évidemment global.

ET L’AFRIQUE ?

Oui, bien sûr, le XXIe siècle

passera aussi par le continent africain. Ne serait-ce qu’en raison de son poids démographique, de ses richesses en matières premières, en terres, en eau… Il fera partie de l’avenir parce qu’il change aussi, que de nouvelles générations arrivent, plus ambitieuses, décomplexées, prêtes à entreprendre. Mais, nous sommes loin, très loin des performances asiatiques. Nous sommes encore à la périphérie du monde économique (y compris physiquement, à l’écart des grandes routes commerciales), en lointaine banlieue. Il nous faut nous rapprocher petit à petit du centre. Apprendre de l’Asie. De sa capacité à entreprendre, à construire, à créer. Allons les voir. Nous avons aussi beaucoup à échanger au sens propre, capitalistique du terme. Des intérêts communs. Construisons un vrai partenariat afro-asiatique, un véritable pont sud-sud, qui pourrait dans les années à venir contrebalancer le poids et la puissance de l’Occident. Et nous tracter à notre tour sur les chemins du futur. ❐

SEPTEMBRE- OCTOBRE 2016

Afrique Méditerranée Business

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Afrique Méditerranée N° 15 / SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016

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Afrique Méditerranée

Pou r com menc er

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PERSPECTIVES

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Par Zyad Limam

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CONSO & MARCHÉS LE GRAND BOOM DU LUXE

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MAROC LES MÉANDRES DU TRAIN À GRANDE VITESSE

Marrakech : Une COP de l’action ?

« LE CHEF DOIT DONNER L’EXEMPLE » PÉTROLE COUP DE CHAUD À L’EST

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SACHA POIGNONNEC (AFRICA INTERNET GROUP)

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ENTREPRISES

OBJECTIF AFRIQUE ! ELLES S’INSCRIVENT DANS UNE STRATÉGIE CONTINENTALE, CRÉENT DES FILIALES, INTÈGRENT DES CULTURES DIFFÉRENTES. UNE ENQUÊTE INÉDITE AVEC NOTRE PREMIER CLASSEMENT DE CES SOCIÉTÉS RÉELLEMENT « PANAFRICAINES ». N° 15 SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016 France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € – Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0

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Tri bune Par Hakim Ben Hammouda Parol e d’e xpert Par Paul Derreumaux RENCONTRES & REPORTAGES

Tunisie

PHOTOS DE COUVERTURE : GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR JA SHUTTERSTOCK

L’heure des comptes et des choix

Matata Ponyo Mapon « Le chef doit donner l’exemple » 34 Mar oc Une si lente LGV

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Simandou La fin du rêve Le r endez-vous

Emmanuelle Pontié rencontre Venkataramani Srivathsan (Olam) Pétr ol e Coup de chaud en Afrique de l’Est Yacine Ba Sall « La vente de données, c’est l’avenir » Émergent Le modèle turc à l’épreuve

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Port r ait Christine Lagarde

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Anto ine Guego

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40 Une dat e, une hist oi r e Alger, 1er avril 1964 : le dinar entre en scène 42 Sach a Poignonnec « Nous sommes sur un marché naissant »

Mines

« Les grands acteurs se concentrent sur le tourisme d’affaires » 80

Cons ommat ion Le boom du luxe

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Parol e d’e xpert Par Guillaume Valette-Valla

p. 54

HAMMI/SIPA - DR

p. 18

4 Afrique Méditerranée Business S E P T E M B R E - O C T O B R E 2 0 1 6 ●


Afrique Méditerranée BIMESTRIEL FONDÉ EN 2013 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 fax : (33) 1 53 84 41 93 RÉDACTION DIRECTEUR GÉNÉRAL, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

Zyad Limam zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Nadia Malouli nmalouli@afriquemagazine.com DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

Emmanuelle Pontié epontie@afriquemagazine.com RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE

Estelle Maussion emaussion@afriquemagazine.com DIRECTRICE ARTISTIQUE Isabella Meomartini

imeomartini@afriquemagazine.com SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

Éléonore Quesnel sr@afriquemagazine.com

p. 80

PHOTO Amanda Rougier arougier@afriquemagazine.com

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Aldo de Silva CONSEILLER ARTISTIQUE

BUSINESS REPORT

St r at égie

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Saïd Aït-Hatrit, François Bambou, Aram Belhadj, Akram Belkaïd, Paul Derreumaux, Hakim Ben Hammouda, Sabine Cessou, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Hedi Dahmani, Alexia Eychenne, Antoine Galindo, Gaël Grilhot, Alexis Hache, Abdeslam Kadiri, Camille Lafrance, Emmanuelle Landais, Baudelaire Mieu, Thomas Monnerais, Luisa Nannipieri, Thomas Nicolon, Coralie Pierret, Olivier Piot, Guillaume Valette-Valla, Julien Wagner, Marion Zipfel.

Objectif Afrique ! 103 Interview Radhi Meddeb, PDG de Comete Engineering 105 Interview Pathé Dione, fondateur du groupe Sunu Assurances 106 Interview Dhafer Saïdane, docteur en économie, expert auprès des Nations unies

VENTES EXPORT Arnaud Desperbasque tél. : (33) 5 59 22 35 75 FRANCE Destination Media 66 rue des Cévennes 75015 Paris Tél. : (33) 1 56 82 12 00 ABONNEMENTS COM&COM/AFRIQUE MAGAZINE

18-20, avenue Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson tél. : (33) 1 40 94 22 22 – fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

108 LA SÉLECTION

Les visa ges de l a beau t é Leur rayon, ce sont les cosmétiques PER-ANDERS PETTERSSON/COSMOS - GONZALO AZUMENDI/LAIF-REA

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Lectur es Haro sur les requins de la finance

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ AMC AFRIQUE MÉDITERRANÉE CONSEIL

31, rue Poussin – 75016 Paris tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93

p. 121

GÉRANT ZYAD LIMAM DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE EMMANUELLE PONTIÉ

AMB, Afrique Méditerranée Business, est un magazine bimestriel édité par

APRÈS L’HEURE 121 124 126 128

Départ Singapour, l’âge de raison Vivr e Seychelles : un jardin d’Éden sablé Voyager Numérique : Skyscanner débarque sur Messenger Dépenser Mode : une rentrée stylée

31, rue Poussin, 75016 Paris Président-directeur général et directeur de la publication ZYAD LIMAM

Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0718 K 91909 Dépôt légal : septembre 2016.

130 Mo t s et Tendanc es

par Akram Belkaïd

ANNONCEURS OCP p. 2 – Djibouti p. 120 – Banque Atlantique internationale p. 131 - BGFI p. 132 Un encart INVESTIR de 4 pages sur la Côte d’Ivoire est inséré entre les pages 13 et 16. Un encart BUSINESS PROMO de 8 pages sur le Cameroun est inséré entre les pages 87 et 94.

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Méditerranée Business est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Méditerranée Business 2016.

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PERSPECTIVES

MARRAKECH

CE SERA UN ÉVÉNEMENT marocain, africain et mondial. La Conférence des parties (COP) 22, prévue du 7 au 18 novembre à Marrakech, est l’occasion pour le royaume de faire avancer la cause de l’Afrique tout en faisant la preuve de sa capacité à organiser une réunion d’une ampleur internationale. Pour l’heure, les préparatifs s’intensifient sous des températures caniculaires. Comme pour souligner l’urgence, 2016 – après 2014 et 2015 – pourrait bien constituer un nouveau record de chaleur. Selon David Salas y Mélia, climatologue au Centre national de recherches météorologiques de Météo France, la température devrait être cette année supérieure de 0,92 °C à 1,14 °C à la moyenne du XXe siècle. La réduction des émissions de gaz à effet de serre permettra-t-elle de limiter l’élévation des températures à 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ? C’est l’objectif fixé par l’accord de Paris, signé à l’issue de la COP21 en novembre 2015. Or, pour l’atteindre, il faut avant tout s’assurer que les textes entrent en vigueur.

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Le 3 septembre, les États-Unis et la Chine, les plus grands pollueurs de la planète, ont rejoint la vingtaine de pays à les avoir ratifiés. Il s’agit d’une immense avancée. Mais, même devenu contraignant, cet accord n’atteindra jamais son but s’il reste en l’état : de belles intentions. Tout le défi du Maroc sera donc d’amener les États à se mettre d’accord sur des règles concrètes sans laisser les discussions s’enliser dans les détails. Conscient de l’enjeu, Salaheddine Mezouar, ministre marocain des Affaires étrangères et futur président de la COP, l’a placée sous le signe de l’action. En tant qu’organisateur, il peut décider des sujets qui seront discutés en priorité et il a choisi trois questions proprement africaines : le financement climatique, l’adaptation de l’agriculture au réchauffement et la préservation des zones oasiennes. Rien n’est encore gagné. Les discussions à Bonn, en mai 2016, lors de l’unique réunion préparatoire de la COP22, ont buté pendant une longue semaine sur la simple intégration de la question

SEPTEMBRE- OCTOBRE 2016

4,7 % du produit national brut africain : la perte de richesses qu’engendrerait une hausse de la température de 2°C.

PAUL LANGROCK/ZENIT-LAIF-REA

Une COP de l’action ?

Le Maroc s’est fixé comme objectif d’utiliser 42 % d’énergies renouvelables en 2020. Ici, le parc éolien de Haouma, entre Tanger et Tétouan.


de l’adaptation au changement climatique à l’agenda des négociations. Visiblement, les pays développés rechignent encore à discuter de leur responsabilité et de ses conséquences financières. Alors que le continent contribue seulement pour 3,8 % des émissions totales de gaz à effet de serre, « une augmentation de température de 2 °C d’ici 2050 pourrait donner lieu à une perte de 4,7 % du Produit national brut (PNB), dont l’essentiel serait dû à la dégradation du secteur agricole », rappelle la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Un exemple parmi d’autres, la culture du café, essentielle aux économies de l’Éthiopie, de la Tanzanie et du Burundi, pourrait devenir impossible sous les effets des changements climatiques, selon l’ONG Climate Institute. En dépit de ces alarmes, les engagements des États, réunis dans leurs « contributions » volontaires, ne permettent pas encore d’atteindre une hausse limitée à 2 °C. L’agriculture continentale n’a donc d’autre choix que de s’adapter à ce qui l’attend, mais encore faut-il qu’elle en ait les moyens. Pour pousser les pays développés à préciser leur promesse d’accorder 100 milliards de dollars aux États en développement, le Maroc veut créer un « mécanisme de financement accéléré ». À Marrakech, les pays donateurs sont déjà censés présenter une feuille de route détaillant les modalités de financement. S’il est peu probable qu’ils acceptent d’augmenter immédiatement le montant de leur contribution, ils pourraient déterminer la part consacrée à l’adaptation – qui intéresse majoritairement les pays en développement – et celle qui ira à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Jusqu’en 2015, l’Afrique n’avait reçu que 4 % des fonds mondiaux pour le changement climatique et la plus grande partie concernait le second point. Selon la Banque africaine de développement (BAD), les besoins du continent liés à l’adaptation s’élèvent pourtant à près de 11 milliards de dollars d’ici à 2020, soit 2,2 milliards par an contre 516 millions, aujourd’hui, en moyenne. ❐ Julie Chaudier

LES MOTS « Notre continent a du mal à rattraper le train du développement. Nous en sommes les principaux responsables. » PATRICE TALON, PRÉSIDENT DU BÉNIN

« Nous devons complètement repenser notre approche du libre-échange. Les bénéfices promis ne sont pas au rendez-vous. […] Les entreprises ont peut-être gagné. Mais nombre de travailleurs ont perdu. » HILLARY CLINTON, CANDIDATE DÉMOCRATE À LA PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE

« Nous sommes en train de passer d’une économie centrée sur les matières premières à une économie de la connaissance et de l’entreprenariat. Cela ne bouscule pas seulement le Nigeria mais l’Afrique tout entière. » MARK ZUCKERBERG, FONDATEUR ET PRÉSIDENT DE FACEBOOK

« Nous disposons de bien plus de diplômés des grandes écoles et universités que de postes disponibles pour les occuper. En revanche, nous souffrons d’un manque patent de techniciens véritablement qualifiés et valorisés. » MOHAMMED AGOUMI, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE BMCE BANK OF AFRICA, EN CHARGE DE L’INTERNATIONAL

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PERSPECTIVES

MOZAMBIQUE

LA FIN DE L’ELDORADO

En 2015, le revenu moyen des Mozambicains (ici à Maputo) était de 580 dollars.

la fin de l’année. L’arrivée d’Exxon dans les deux projets, prévue cet automne, pourrait donner un coup d’accélérateur. Ce serait enfin une bonne nouvelle pour le gouvernement mozambicain. Ce dernier s’est mis à dos tous les bailleurs de fonds en dissimulant 2,2 milliards de dollars de dettes depuis 2013, alors que sa monnaie a perdu 40 % de sa valeur face au dollar depuis un an à cause de ce scandale et de la conjoncture. ❐ Adrien Barbier

MANAGEMENT

LES FEMMES DANS LES ENTREPRISES

DURE VIE DE PATRONNE

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Afrique

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Source : Women Matter Africa, McKinsey, août 2016.

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Président directeur général (PDG) Membre du comité de direction Membre du conseil d’administration

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4,5 % c’est la croissance du PAYS prévue pour 2016, contre 6,6 % l’an dernier.

Les femmes africaines prennent le pouvoir… mais doucement. Elles ne sont que 5 % à être PDG et 14 % à siéger dans les conseils d’administration. C’est le résultat d’une étude du cabinet McKinsey portant sur 210 entreprises cotées dans 14 bourses du continent. S’il reste encore beaucoup à faire, ce dernier n’a pas à rougir en regardant le reste du monde, à commencer par l’Asie (respectivement 4 % et 10 %) et l’Amérique latine (2 % et 6 %). L’Europe le bat sur les conseils d’administration mais pas aux plus hautes responsabilités. Seuls les Etats-Unis font mieux avec des résultats de 5 % et 17 %.

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SVEN TORFINN/PANOS REA

AVEC 5,2 TRILLIONS de m3 de gaz découverts depuis 2010, le Mozambique était promis à un destin d’eldorado. La croissance de son Produit intérieur brut (PIB) devait être propulsée à 24 % à l’horizon 2025. Mais, la baisse du cours des hydrocarbures, le ralentissement de l’économie chinoise et le gonflement de l’offre sont en train de doucher ces beaux espoirs. Ils retardent le démarrage des mégaprojets qui doivent transfigurer ce pays d’Afrique australe, 14e pays le plus pauvre au monde en 2015 selon le Fonds monétaire international (FMI). Depuis deux ans, l’Italien ENI (Ente Nazionale Idrocarburi) et l’Américain Anadarko repoussent chaque trimestre leur décision finale d’investissement. Le début de l’exportation est désormais prévu pour 2021… La visite du président Filipe Nyusi dans la capitale pétrolière américaine, Houston, le 15 septembre, pourrait débloquer le projet du groupe texan. De son côté, ENI, qui a décroché les dernières autorisations en juin, annonce une décision d’ici


3 QUESTIONS À…

Mario Pezzini « D’ICI 2050, UN HOMME SUR QUATRE SERA AFRICAIN »

CROWDSHIPPING

DR - MARCO ILLUMINATI

L’ENVOI DU FUTUR PLUS RAPIDE que La Poste, moins cher que DHL ou FedEx. Telle est la devise de Jwebi, une nouvelle plateforme collaborative dédiée à l’envoi de colis (crowdshipping). Conçue sur le modèle d’Airbnb, du Bon Coin et de Blablacar, elle met en relation des personnes souhaitant envoyer un courrier à l’étranger avec des voyageurs ayant de la place dans leurs valises. Les deux parties entrent en contact sur le site, se mettent d’accord sur un tarif puis sur un lieu pour prendre en charge et récupérer le colis. Créé par la Franco-Tunisienne Asma Ben Jemaa et son associé Bayrem Foudhaili, le système fonctionne dans huit pays, en France, au Maghreb, à Madagascar, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Mali. « Avec 230 millions d’expatriés entre l’Europe et l’Afrique, on estime qu’il y a plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires potentiel, souligne Asma Ben Jemaa. Aujourd’hui, les membres de la diaspora utilisent à 90 % des moyens informels pour faire parvenir des documents à leur famille. Nous proposons un système attractif et fiable. » Pour un colis de 3 kg entre la France et le Cameroun, on trouve des offres à partir de 8 euros contre 180 pour les transporteurs classiques. Jwebi, qui vérifie l’identité des voyageurs, s’assure que le bien est arrivé à bon port et utilise une plateforme de paiement sécurisée. Il touche une commission moyenne de 26 %, partagée entre le voyageur et l’envoyeur. Depuis son lancement en 2015, elle a permis quelque 30 000 expéditions. À l’avenir, elle veut s’étendre à toute la zone subsaharienne et à d’autres pays européens. Et propose déjà un nouveau service, le crowdshopping, dans lequel le colis ou courrier est remplacé par un achat. ❐ E. M.

Directeur du Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) égal. Une partie importante des AMB : Vous dites que l’évolution débats porte aussi sur la cohérence démographique africaine est entre les mesures d’aide et les préoccupante. Pourquoi ? politiques nationales menées par les Mario Pezzini : L’augmentation donateurs eux-mêmes. Elles ne vont de la population sera rapide et sans pas toujours dans le même sens ! précédent, avec des conséquences On peut soutenir des États d’un pour le monde entier : un scénario côté, tout en créant de l’autre côté médian des Nations unies prévoit 440 millions de Nigérians d’ici 2050. de sérieux obstacles à leur essor… À cet horizon, il y aura sur la planète Un exemple bien connu : l’Union européenne (UE) accorde des aides plus de Nigérians que d’Américains pour développer les zones rurales et un homme sur quatre sera en Afrique mais ne permet pas africain. Il va falloir garantir aux produits agricoles de ces zones la cohésion sociale d’avoir accès à son marché. et la création d’emploi, « On peut Comment améliorer tout en gérant les flux soutenir l’action des gouvernements migratoires. Il y a donc des États africains ? un intérêt commun à d’un côté, Il faut établir des accompagner les États tout en priorités et un calendrier, africains en vue de bâtir créant des obstacles c’est un point crucial. leur nouveau rôle sur à leur essor Ensuite, les progrès ne la scène internationale. de l’autre… » peuvent pas être uniquement Construire des murs ne sectoriels – par exemple résoudra rien… dans l’éducation, la santé, l’accès Les pays développés réalisent-ils aux infrastructures de base. Il l’urgence de la situation ? faut coordonner les différentes Quelquefois, j’ai l’impression interventions et les insérer dans des qu’ils n’ont pas une pleine stratégies plus globales. Lorsqu’on conscience de l’importance de évoque l’activité informelle, la ce phénomène et qu’ils sont plutôt pauvreté, les inégalités, on parle concernés par des questions plus de phénomènes transversaux qui immédiates, comme la crise des appellent une réponse de même réfugiés. Celle-ci est certes grave type. L’OCDE fait sa part du travail, mais néanmoins passagère. On en expérimentant depuis quatre ans sait que le succès de la coopération des examens multidimensionnels repose sur la qualité des politiques en Birmanie, Côte d’Ivoire et publiques mises en œuvre par Uruguay, où il n’est pas seulement les gouvernements eux-mêmes. question de croissance mais aussi Nous travaillons à l’OCDE sur des de bien-être, par exemple. ❐ échanges d’expériences auxquels tout le monde participe d’égal à Propos recueillis par Sabine Cessou

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PERSPECTIVES

NUMÉRIQUE

BTP

SIKA ÉTEND SON RÉSEAU

Spécialisé dans les matériaux de construction et d’imperméabilisation, le groupe suisse (5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015) vient d’ouvrir deux nouvelles filiales africaines, l’une à Douala et l’autre à Djibouti. La première pour se positionner sur les grands travaux au Cameroun, comme les infrastructures portuaires de Kribi. La seconde afin de renforcer sa présence dans la Corne de l’Afrique, près de l’immense marché éthiopien. Arrivé sur le continent en 1947, Sika y dispose désormais de 18 implantations, dont 10 ouvertes depuis 2012. L’an dernier, il avait inauguré des unités de production au Nigeria et en Côte d’Ivoire. 10

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AG R I C U LT U R E

URBAN FARMERS DEPUIS DES ANNÉES, les rapports dénonçant l’accaparement des terres africaines se multiplient. On connaît l’ampleur du phénomène : le continent, qui possède 60 % des terres arables non cultivées dans le monde, concentre plus de 40 % des transactions foncières. Les multinationales, les États-Unis, la Chine, mais aussi l’Inde, l’Arabie saoudite et le Brésil sont régulièrement pointés du doigt pour leur soif d’hectares. Sauf que des recherches universitaires viennent nuancer ce constat. D’après les travaux du professeur américain Thomas Jayne (cité par l’hebdomadaire The Economist), les exploitations agricoles appartiennent de plus en plus à une « classe moyenne » de « fermiers », possédant entre 5 et 100 hectares, soit bien plus que la moyenne de 2 hectares en zone subsaharienne. En Tanzanie, les chercheurs ont démontré qu’un tiers des exploitations appartiennent à des citadins, un chiffre qui a bondi de 12 % en dix ans. Le profil type du nouvel agriculteur est un fonctionnaire d’âge mûr, soulignent-ils. « S’il existe un accaparement, il provient des Africains des villes », explique Isaac Minde, de l’université d’Agriculture de Morogoro en Tanzanie. En Zambie, au Ghana, au Kenya et au Malawi, les fermes de taille moyenne, majoritairement détenues par une population de plus en plus urbaine, représentent d’ores et déjà plus de surface que les grandes exploitations (plus de 100 hectares). L’urbanisation croissante du continent n’a encore pas révélé toutes ses surprises. ❐ Julien Wagner

CAPTURE D’ÉCRAN - ALFREDO BINI/COSMOS

ABIDJAN REINE DE L’INNOVATION Un an après Universal Music, c’est la plateforme de partage de vidéos Dailymotion qui s’installe dans la capitale ivoirienne. Une première incursion en Afrique à la recherche de nouveaux talents du web. Propriétaire des deux sociétés, le groupe Vivendi n’est pas le seul à avoir choisi la Côte d’Ivoire. En début d’année, le Congolais Vangsy Goma y a lancé Africab, entreprise de voitures de transport avec chauffeur (VTC), qui arrivera au Bénin en novembre.


SINGAPOUR

DES DISCUSSIONS ET DU BUSINESS

DR (2)

QUELQUE 450 DÉLÉGUÉS et hommes d’affaires (peu ou pas de femmes !) se sont retrouvés à Singapour les 24 et 25 août derniers pour le 4e Africa Singapore Business Forum (ASBF). L’événement, organisé depuis 2010 par l’agence gouvernementale International Enterprise (IE) Singapore, réunit tous les deux ans des entreprises privées, petites, moyennes ou grandes, autour de panels et discussions B to B. Objectif : développer les relations économiques entre la très dynamique cité-État asiatique et l’Afrique. Proximité culturelle oblige, les acteurs anglo-saxons venus du Nigeria, d’Afrique du Sud ou du Ghana ont occupé le devant de la scène. Ainsi, Singapour a signé trois accords bilatéraux avec le Nigeria, le Mozambique et l’Éthiopie, afin de fluidifier davantage les échanges et de développer le commerce. En outre, après ses deux premiers bureaux « outre-mer » ouverts en Afrique du Sud et au Ghana, l’agence IE inaugurera une antenne au Kenya en 2017. L’Afrique francophone était, elle, peu représentée. Seuls le Gabon, à travers la représentation librevilloise du géant de l’agrobusiness Olam, et la Côte d’Ivoire, grâce à l’exposé plutôt attractif de son Centre de promotion des investissements (Cepici), se sont exprimés. ❐ Emmanuelle Pontié

LES CHIFFRES

60%

DES BARRAGES CONSTRUITS EN AFRIQUE SONT CHINOIS

C’est un des résultats d’une récente étude de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Pékin est responsable de 30 % des nouvelles capacités électriques générées en zone subsaharienne, soit plus de 200 projets entre 2010 et 2020. En excluant l’Afrique du Sud, ce dernier chiffre monte à 46 %.

69,8

MILLIARDS DE DOLLARS Le montant des fraudes aux exportations de pétrole du Nigeria vers les ÉtatsUnis entre 1996 et 2014, soit 24,9 % des envois de brut outre-Atlantique. Une estimation réalisée par les Nations unies, qui appellent à lutter contre toutes les fraudes aux exports (sous-facturation, contrebande, évasion fiscale…).

–28 %

LA BAISSE DU PRIX DU FER

108 MILLIONS

en 2016, selon la dernière édition du rapport Cyclope sur les matières premières. En chute libre aussi, le tourteau de soja (–26 %) et le pétrole Brent (–20 %). Les seules hausses : le cacao (+2 %) et le coton (+1 %).

Le nombre de clients d’Orange en Afrique et au Moyen-Orient, soit plus de 57 % du total mondial. Reste que cette région n’assure que 12,5 % du chiffre d’affaires du groupe.

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La somme que la Banque mondiale et le Fonds MILLIARDS D’EUROS de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme veulent investir dans les cinq ans sur le continent pour développer les systèmes de soins de santé. SEPTEMBRE- OCTOBRE 2016

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TRIBUNE par HAKIM BEN HAMMOUDA

ÉCHAPPER AU  BACK TO NORMAL 

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

L ’

économie mondiale a connu une rupture majeure après la crise de 2008-2009 avec l’avènement des puissances émergentes comme principales locomotives de croissance. Ce sont ces dernières, avec un essor annuel moyen de 5,6 % contre 0,2 % pour les pays développés, qui allaient sauver le monde de la récession et du spectre de la déflation des années 1930. Cette évolution s’est traduite par d’importants développements institutionnels avec l’apparition du G20, qui a grignoté le terrain occupé jusque-là par le G8. L’Afrique a également bénéficié de ce changement de rapport de forces. Au début des années 2000, elle a affiché une croissance moyenne de 5,5 %, nettement supérieure à celle du monde développé (2,8 %) et de l’économie globale (3,2 %), redressant sa situation macroéconomique avec un compte courant positif à 2,1 % du PIB entre 2004 et 2008. Pendant cette même période, le taux d’investissement s’est situé à 19,9 % et le taux d’épargne à 22,1 %. Mieux encore, les différents plans de restructuration ont permis de réduire de manière radicale l’endettement public, qui se situait à 33,7 % du PIB, de quoi faire pâlir un grand nombre de pays européens. Cette dynamique ne va pas s’interrompre au moment du krach, démentant les prévisions de nombre d’experts qui s’attendaient à ce qu’il soit fatal au continent. Faisant la preuve de sa résilience, ce dernier a poursuivi son développement avec un

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Alors que l’amélioration de la situation économique et sociale avait battu en brèche cette idée, Écrivain, économiste, l’atmosphère a changé dernièrement. ancien ministre tunisien Depuis quelques mois, l’air du temps des Finances (2014-2015). n’est plus à l’éloge. Il faut dire que hakimbenhammouda. les performances africaines se sont typepad.com beaucoup détériorées. La croissance du PIB n’a été que de 3,6 % en 2015 et elle ne sera guère meilleure cette essor moyen de 4,2 % durant année, selon les prévisions. Les grands les années 2008-2011. Il est devenu équilibres macroéconomiques se sont le nouvel eldorado du début du siècle, nettement creusés avec un déficit attirant investisseurs et grandes firmes budgétaire de –4,1 % en 2015 internationales. Il s’agit d’un tournant et de –4,6 % pour l’année en cours, pour l’Afrique et d’une autre rupture et un déficit de la balance courante dans l’économie mondiale. Ce retour en de –5,9 % et –6,2 % pour ces mêmes force a remis en cause écrits, analyses années. Sans oublier l’accroissement et discours sur un continent à la dérive. de la dette publique, qui devrait Depuis la crise de la dette du début atteindre 37,2 % du PIB en 2016. des années 1980 et les programmes Ce recul témoigne d’une fragilité. d’ajustement concoctés par le Fonds Sommes-nous pour autant back monétaire international (FMI) et to normal, c’est-à-dire la Banque mondiale, ce L’air du temps dernier était considéré n’est plus à l’éloge. à une situation identique comme une zone sans espoir Les performances à celle des années 1990 ? Nous ne le croyons pas. (hopeless). On se rappellera du continent se Mais, pour retrouver les unes de grandes sont beaucoup sa marche en avant, publications internationales, détériorées. Sa croissance le continent doit relever notamment The Economist, n’a été que de nombreux défis, soulignant l’accumulation de 3,6 % en 2015 notamment accélérer de catastrophes, guerres, et elle ne sera sa diversification grandes épidémies, cohorte guère meilleure économique pour réduire de réfugiés et migrants. Des cette année. sa dépendance aux publications académiques matières premières, améliorer sa avaient, elles, parlé d’aid fatigue productivité, ses infrastructures et pour exprimer la lassitude de sa fourniture d’énergie, renforcer les la communauté internationale devant réformes économiques. Ces actions un chaos sans fin. Progressivement, sont nécessaires pour relancer les images négatives, de corruption et la dynamique de développement, de désespoir étaient devenues le visage redonner de l’espoir et éviter d’une région en proie au désarroi, à tout prix le back to normal. ❐ ou le « normal » de l’Afrique.

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investir in nv en COTE

D’IVOIRE

Abidjan, pont Henri Konan Bédié, sous l’échangeur de Marcory.

S. KAMBOU/AFP

Cap sur la compétitivité !

Réformes des textes, renforcement des structures d’appui, création de tribunaux de commerce, engagement sur le programme américain Millenium... Le pays s’est lancé dans une ambitieuse mise à niveau en faveur de la croissance.


investir en COTE D’IVOIRE

Le 28 avril dernier, le président Alassane Ouattara et son Premier ministre Daniel Kablan Duncan (à sa gauche) posent avec une délégation du Medef et son président Pierre Gattaz (à droite) reçue à Abidjan.

Une approche globale pour favoriser l’investissement

D

ès 2012, la Côte d’Ivoire a amorcé un cycle de forte croissance avec l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara. Une tendance confirmée en 2014 par une croissance estimée à 8,3 % et qui devrait rester robuste au-delà de 2016. Pour expliquer ces bonnes performances, il faut mettre en avant un certain nombre de mesures et de réformes instaurées pour améliorer l’environnement des affaires et accélérer les transformations de l’économie. Ces réformes courageuses ont permis de faire de la Côte d’Ivoire l’une des dix économies les plus compétitives du continent et d’être désignée comme pays le plus attractif d’Afrique subsaharienne pour l’investissement. Entre 2012 et 2015, la Côte d’Ivoire a fait un bond de trente-cinq places dans le classement Doing Business de la Banque mondiale, qui mesure l’environnement des affaires dans le monde. On note également une progression de vingt-quatre places en matière de compétitivité globale des économies (Rapport sur la compétitivité du Forum économique mondial, 2015). La Côte d’Ivoire a mis en place plusieurs codes sectoriels afin de rendre les investissements attractifs : code général des investissements, code des télécoms, code minier, code immobilier, code du pétrole, code de l’électricité… Autant de cadres propices aux investisseurs internationaux. Les réformes engagées par le gouvernement ont également porté sur la mise en place du Guichet unique de création d’entreprise (Guce) à travers le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). Avec des mesures tangibles : publication de l’avis de constitution d’entreprise en ligne sur le site du Cepici ; levée de l’exigence de capital minimum pour les sociétés de type SARL ; réduction significative des coûts administratifs de création d’entreprise pour les sociétés commerciales au capital

N. ZORKOT - I. SANOGO/AFP

LE PAYS A AMORCÉ UN CYCLE DE FORTE CROISSANCE. UNE TENDANCE APPELÉE À S’INCRIRE DANS LA DURÉE ET QUI NÉCESSITE UN AMÉNAGEMENT PERMANENT DU CADRE LÉGAL.


Cap sur la compétitivité !

VERS UNE JUSTICE TRANSPARENTE de 10 millions de FCFA maximum ; suppression du passage chez le notaire pour la constitution de toute société commerciale, sauf pour les SA et SAS ; réduction du délai de création d’entreprise au guichet unique du Cepici, de 30 jours en 2011 à 24 heures en 2014. Les incitations et réformes ont aussi porté sur l’exonération des impôts et taxes sur le bénéfice ; la baisse des taux sur les cotisations sociales ; l’exonération des frais douaniers liés aux importations de biens d’équipement ; le remboursement partiel ou total de la TVA ; le bénéfice de garantie de l’investissement réalisé en cas de troubles socio-économiques ; la liberté d’association et du choix du gérant ; la libre transférabilité des capitaux et des bénéfices issus des investissements ; le bénéfice des avantages sur cinq à quinze ans selon le lieu d’implantation. En parallèle, les délais de passation de marché ont été réduits, passant d’un an à moins de soixante jours. Dans ce cadre, le gouvernement prévoit à terme la dématérialisation des opérations de passation de marché. Enfin, de nouvelles zones industrielles ont été créées à Abidjan et dans d’autres grandes villes du pays. Et ce n’est pas fini puisqu’une quarantaine de réformes sont inscrites à l’agenda 2016 pour améliorer encore l’environnement des affaires. ●

Entre 2012 et 2015, la Côte d’Ivoire

a fait un bond de 35 places dans le classement Doing Business

SHUTTERSTOCK - N. ZORKOT

LES DÉFIS DU MILLENIUM CHALLENGE ACCOUNT De 2012 à 2015, la Côte d’Ivoire a franchi treize des vingt indicateurs du tableau de bord Millennium Challenge Account (MCA), un programme conduit par le Millennium Challenge Corporation (MCC), agence indépendante créée en 2004 par le Congrès américain. Son objectif est de soutenir financièrement les pays en développement faisant preuve de bonne gouvernance et investissant dans le capital humain.

Les laboratoires de l’usine pharmaceutique ivoirienne Cipharm.

Le chef de l’État, Alassane Ouattara, a fait de l’éligibilité de la Côte d’Ivoire une priorité pour pouvoir bénéficier d’un financement estimé à 500 millions de dollars d’ici à quatre ans. Ont ainsi été déjà franchies les étapes

du commerce et des affaires Élément essentiel de la transparence économique, une juridiction commerciale destinée à régler les litiges de la vie économique a été mise en place. C’est le tribunal de commerce d’Abidjan qui en assure la charge. Cette juridiction de première instance compte en son sein quinze juges professionnels et plusieurs dizaines de juges dits consulaires issus des milieux d’affaires. Depuis 2015, le gouvernement a engagé des actions qui concourent à l’amélioration du fonctionnement des tribunaux par une restructuration du corps des auxiliaires de justice, notamment les greffiers, et un renforcement du contrôle de l’éthique des magistrats. La mise en place du tribunal d’Abidjan a réglé le problème des longs délais de jugement des litiges commerciaux. Désormais, le juge a l’obligation de rendre une décision dans les trente jours pour les litiges dont l’intérêt n’excède pas 2,5 millions de FCFA. La réforme du tribunal de commerce oblige les parties en conflit à tenter un règlement à l’amiable de leurs différends avant toute saisine. À noter également, la réduction des coûts de justice à un droit de timbre de 15 000 FCFA, la non-obligation de recours à un avocat ou à un huissier de justice, l’utilisation d’un formulaire disponible sur le site du tribunal de commerce. Le gouvernement prévoit de créer de tels tribunaux dans la plupart des régions du pays. ●

transitoires du MCC, notamment les programmes « Threshold » et « Compact » qui matérialisent l’engagement et la détermination du pays à optimiser sa politique économique.

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investir en COTE D’IVOIRE ▶▶ Les défis qui s’imposent au gouvernement

sont la poursuite et l’intensification des réformes tendant à améliorer le cadre macro-économique et l’environnement des affaires en général. Le capital humain n’est pas en reste et figure au cœur du dispositif des investissements efficients dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Enjeu : doter la Côte d’Ivoire d’une maind’œuvre de haute qualité et productive. ● L’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan.

Le capital humain n’est pas en reste et figure

au cœur des dispositifs de soutien.

DES STRUCTURES FORTES POUR ACCOMPAGNER LE SECTEUR PRIVÉ Autre axe d’intervention du gouvernement : la redynamisation des principales structures d’appui, dont le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici), afin

Le site de l’Agence emploi jeunes (AEJ).

de coordonner et de fédérer l’ensemble des initiatives en matière de promotion des investissements. Parmi elles, l’Association pour la promotion des exportations de Côte d’Ivoire (ApexCI), chargée de favoriser la croissance soutenue des exportations ; la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (CCI-CI), qui représente les intérêts des entreprises commerciales, industrielles et de services ; le Comité de concertation Étatsecteur privé (CCESP) en vue de renforcer la confiance mutuelle entre ces deux parties ; l’Agence emploi jeunes (AEJ) visant à fédérer les initiatives gouvernementales en faveur de l’emploi des jeunes, et le Guichet unique du commerce extérieur (Guce) pour centraliser et harmoniser les procédures pour le commerce entre la Côte d’Ivoire et le reste du monde.

N. ZORKOT - CAPTURE D’ÉCRAN - DR

Avril 2015, le Cepici accueille le Réseau international des agences francophones de promotion des investissements.


PAROLE D’EXPERT par PAUL DERREUMAUX

FACE AUX PÉRILS

DR

L

’Afrique subsaharienne connaîtra-t-elle sa pire année depuis une décennie ? Sur le plan économique, les prévisions de croissance du produit intérieur brut (PIB) ont déjà été abaissées à trois reprises et s’établissent maintenant à 1,6 %. Au niveau politique, les élections présidentielles de 2016 ne paraissent pas briller dans l’ensemble par leur transparence. Dans le domaine de la sécurité, malgré les discours, la lutte contre le terrorisme marque le pas à l’Est, et surtout, à l’Ouest. La guerre n’a cessé au Soudan du Sud que pour mieux reprendre. Boko Haram garde une partie de ses capacités de nuisance au nord-est du Nigeria, tandis que les attentats se poursuivent au Mali. Conséquence directe de ces déceptions, l’attrait du continent s’est réduit auprès des investisseurs. Ces indicateurs déprimants ne peuvent surprendre. Les réformes appelées de longue date – plus d’intégration régionale, plus de créations d’emplois, une croissance plus inclusive, une agriculture plus productive, des autorités plus exemplaires – ne se réalisent qu’au compte-gouttes. Leur caractère indispensable est pourtant reconnu. En outre, l’essor soutenu du PIB depuis une quinzaine d’années apporte des moyens accrus pour mettre en place ces changements, malgré les sacrifices qu’ils peuvent imposer. L’urgence ne semble pas avoir été réellement perçue, au-delà

à relayer les efforts publics, notamment pour la transformation locale des produits agricoles. Le Rwanda, l’Éthiopie, la Tanzanie paraissent engagés sur un chemin Fondateur de Bank of similaire en suivant les mêmes Africa, auteur de Ombres recettes. Le risque de voir se et lumières d’Afrique constituer une Afrique à deux vitesses (Nouvelles éditions est donc devenu élevé : d’un côté, ivoiriennes, juin 2016). quelques nations, les plus attentives www.paul-derreumaux.com aux exigences du développement et à un effort collectif ; de l’autre, des discours électoraux. Dans les pays hélas, une majorité de pays englués pétroliers et miniers, la diversification dans des contraintes liées à l’absence des économies pour une réduction de d’une vision stratégique et à la faiblesse leur dépendance est restée au second de leur leadership étatique. plan face à l’exploitation maximale La frontière entre les deux et souvent inefficace des rentes. groupes restera cependant poreuse. Les actes posés pour une coopération Dans les États les mieux placés, régionale plus poussée sont mis le fléau de la corruption et la rapacité en application avec lenteur dans d’intérêts particuliers peuvent les unions qui fonctionnent « bien ». ralentir, voire inverser, les évolutions Ailleurs, comme en Afrique positives. Au sein des pays plus centrale, les ego nationaux bloquent fragiles, les forces du tout progrès significatif, Le fléau de la changement restent à l’œuvre aggravant les difficultés corruption et acquerront inévitablement économiques. Dans la et la rapacité un poids décisif : l’explosion plupart des pays, le poids d’intérêts démographique, qui va grossir de l’industrie est en recul particuliers et la révolution agricole peuvent ralentir, la foule des déshérités si les créations d’emplois ne suivent se fait attendre. voire inverser, pas ; les aspirations impatientes Le potentiel reste toutefois les évolutions de la jeunesse, dont la voix sera réel. En Côte d’Ivoire, positives. majoritaire ; le rôle grandissant par exemple, cohérence d’un secteur privé riche d’initiatives de la vision économique, fermeté et d’innovations, mais aussi exigeant de la volonté gouvernementale de nouveaux cadres de fonctionnement. et priorité donnée à l’action À plus ou moins long terme, ces forces se conjuguent pour porter de premiers s’exprimeront, fût-ce, si nécessaire, fruits : la croissance se maintient d’une manière violente. L’Afrique, déjà au-delà de 8 % par an (8,5 % en 2016 si handicapée, pourra-t-elle faire selon la Banque mondiale) et les l’économie d’une telle révolution ? ❐ investissements privés commencent

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RENCONTRES & REPORTAGES

Tunisie

Croissance atone, chômage, inégalités, tensions sociales, contexte sécuritaire… Le pays se retrouve au pied du mur. Conséquence de ce marasme persistant : la dette s’envole.

L’heure des comptes et des choix Par Akram Belkaïd

Le ministère des Finances, place de la Kasbah, à Tunis.

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NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

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RENCONTRES & REPORTAGES

L

e gouvernement tunisien sera-t-il obligé de frapper à la porte du Club de Paris d’ici début 2017 ? Officiellement, l’hypothèse d’un passage devant ce groupe informel d’États créanciers n’est pas évoquée. Pas plus que dans les nombreux articles et points de vue publiés par la presse locale. Pour l’heure, le nouveau gouvernement dirigé par Youssef Chahed poursuit les « discussions » engagés par ses prédécesseurs avec le Fonds monétaire international (FMI). Dans la balance, un mécanisme élargi de crédit d’un montant de 2,9 milliards de dollars. Une bouffée d’oxygène en contrepartie d’un certain nombre de réformes que le grand argentier juge indispensables pour relancer l’économie d’un pays en manque de croissance (à peine 0,7 % de hausse du Produit intérieur brut (PIB) prévu en 2016 selon un panel d’économistes interrogés par l’agence Bloomberg, 1,8 % selon la Banque mondiale) et confronté à la fois à d’importantes tensions sociales, à une menace terroriste récurrente et à une incertitude sur l’évolution du paysage politique intérieur. Une situation délicate qu’illustre bien le dévissage continu du dinar vis-à-vis des grandes devises dont l’euro. Les années passent et le panorama ne change guère. Le chômage reste élevé, autour de 15 % et jusqu’au double à l’intérieur du pays. L’économie informelle pénalise la production nationale en raison des importations de contrebande. Le secteur bancaire n’a toujours pas été réformé ni assaini tandis que les économistes s’interrogent sur ce que pourrait bien être le nouveau modèle tunisien dans un contexte où le pays n’attire plus les délocalisations. Mais, cette fois-ci, la donne semble encore plus grave. « L’année 2017 sera critique », prédit ainsi Taoufik Baccar, ancien ministre des Finances et ex-gouverneur de la Banque centrale. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, c’est le service de la dette extérieure qui risque de provoquer une crise grave, le gouvernement n’ayant plus les coudées franches pour relancer l’économie et répondre aux attentes sociales. De fait, le pays devra débourser plus de 8 milliards d’euros entre cette année et 2019 : 2 milliards en 2016, 2,4 milliards en 2017, 2 milliards en 2018 et 1,8 milliard en 2019. Autrement dit, c’est plus du tiers des recettes extérieures qui seront consacrées à la dette. « Avec les niveaux de croissance actuels et la baisse conjuguée des recettes pétrolières, touristiques et des ventes de phosphates, l’équation sera impossible à résoudre », résume un haut fonctionnaire tunisien à la retraite qui a fait partie de l’équipe ayant négocié avec

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Tunisie

le FMI le plan d’ajustement structurel de 1986. « À l’époque, l’économie était en moins mauvaise santé, le tourisme se portait mieux et la pression sociale et démographique était moins importante, rappelle-t-il. Il ne fait nul doute qu’il va falloir négocier un report des échéances de remboursement. » La Tunisie va ainsi payer les conséquences de la prodigalité des précédents gouvernements de transition, lesquels se sont endettés à court terme pour atténuer les tensions sociales et répondre (en partie) aux revendications nées de la révolution. En 2011, le ratio dette extérieure rapportée au PIB était de 41,5 %. Il a atteint 54 % en 2015, devrait dépasser 62 % en 2016 et même aller jusqu’à 70 % en 2018. Des taux que les économistes jugent insoutenables quelle que soit la conjoncture. « Dans l’hypothèse d’une amélioration, cela empêche un redémarrage pérenne de l’économie en créant une tension sur les investissements publics et sur les financements des importations. Et si jamais la crise persiste, l’endettement et le manque de ressources ne feront que creuser le déficit », explique l’économiste et consultant installé à Sfax, Hadi Chakker. Certes, le terme « rééchelonnement » n’est pas encore employé et, dans de rares cas, on lui préfère celui, plus neutre, de « reprofilage ». Le mécanisme reste toutefois le même. Si la Tunisie demande à renégocier ses remboursements, ce sera au FMI d’imposer ses conditions via un plan d’ajustement structurel. « Il ne sera pas forcément appelé ainsi mais le contenu restera le même. Ce qui ne constitue pour l’instant que des demandes, des souhaits ou des suggestions du Fonds deviendra alors des exigences incontournables qu’il faudra remplir pour obtenir une plus grande aisance financière », confie un expert de l’institution de Bretton Woods ayant participé aux négociations avec la Grèce. Et, qui dit plan d’ajustement structurel, dit austérité… COMPTE-GOUTTES C’est ce qu’a d’ailleurs déjà évoqué le Premier ministre Youssef Chahed en annonçant une baisse des dépenses publiques, notamment dans le secteur de la santé, et une hausse des impôts. Est-ce pour préparer les Tunisiens à plus de sacrifices et à une thérapie encore plus dure ? Retraites, dépenses sociales, subventions aux produits de base seraient toutes concernées par un accord plus conséquent avec le FMI. Autrement dit, un scénario « à l’africaine » comme on le disait il y a vingt ans, et que l’on désigne désormais par l’appellation « à la grecque ». Le parallèle entre les deux pays est d’ailleurs régulièrement établi même si, comme le relève Taoufik Baccar, « Athènes, malgré tous les sacrifices consentis, a au moins

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Le nouveau Premier ministre Youssef Chahed, nommé le 3 août, doit faire face aux attentes.

RIADH DRIDI/AP/SIPA

bénéficié des avantages propres à tout membre de l’Union européenne ». La Tunisie, elle, est seule. Passé les premiers temps d’enthousiasme provoqués par la chute du régime de Ben Ali, les promesses d’aide massive se sont évanouies. L’UE multiplie les encouragements verbaux mais ne délivre les crédits qu’au compte-gouttes. Et il n’est pas question pour Bruxelles de financer les déficits tunisiens, pas plus que d’encourager un processus d’annulation de dette. On aurait pu penser que l’instabilité libyenne et l’incertitude algérienne pousseraient les Européens à agir plus activement pour aider la Tunisie. Il n’en est rien. Comme l’explique un diplomate européen en poste à Tunis, « l’UE regarde vers l’est de la Méditerranée où elle entretient des rapports de plus en plus compliqués avec la Turquie. Et il manque à la Tunisie un héraut capable de mobiliser les pays les plus riches ». PEUPLE FATIGUÉ De leur côté, les pays du Golfe, même s’ils semblent plus enclins à accepter un report de remboursement, doivent gérer les conséquences de la chute des cours du pétrole. Leur « générosité » risque donc d’être limitée, comme en témoigne le fait

que Tunis n’a pu obtenir cette année de financements majeurs en provenance de cette région. Quant au voisin algérien, très parcimonieux dans son aide au cours des cinq dernières années, il voit lui aussi ses réserves de change baisser alors que ses initiatives diplomatiques sont pratiquement à l’arrêt. Reste donc à savoir quelle sera la conséquence de l’austérité annoncée, qu’elle soit menée volontairement par le gouvernement ou imposée par le FMI. En 1986, le choc induit avait provoqué une ébullition sociale et, in fine, la déposition du président Bourguiba par Zine el-Abidine Ben Ali. Aujourd’hui, le peuple tunisien est fatigué après cinq années d’instabilité. Les promesses de la révolution n’ont guère été tenues, du moins en ce qui concerne l’emploi et le mieux-être économique. Néanmoins, l’austérité et les réformes annoncées pourraient provoquer une nouvelle lame de fond. Le gouvernement Chahed pourra-t-il alors mener à la fois un assainissement des comptes extérieurs et le lancement d’un plan de développement (dont il n’a pas précisé le financement) ? Cinq ans après l’élection d’une Assemblée constituante qui fit entrer la Tunisie dans l’ère post-dictatoriale, le pays se retrouve à l’heure des choix qui ne peuvent plus être différés. ❐

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RENCONTRES & REPORTAGES

Tunisie

Ce qu’ils en pensent

(

Elyès Jouini

« Le pays mérite d’être soutenu » Économiste de renom, il a été ministre des Réformes économiques et sociales du gouvernement Ghannouchi de janvier à mars 2011, avant de démissionner. Mathématicien de formation, il est vice-président de l’université Paris-Dauphine.

AMB : Vous réclamez à nouveau un « plan Marshall » pour la Tunisie, cinq ans après un premier appel en ce sens. Pourquoi ?

En 2011, le pays n’a pas voulu en entendre parler par peur de devenir dépendante des bailleurs étrangers. Elle a préféré acheter la paix sociale en recrutant massivement dans la fonction publique et en laissant filer les salaires, ce qui s’est soldé par de l’inflation et de l’endettement. En continuant comme cela, on risque de s’attirer des recommandations sévères du FMI qui obligeront à aller vers des politiques d’austérité. Si rien n’est fait pour relancer l’économie, le service de la dette va effectivement nous pénaliser de plus en plus, sans que cet endettement soit productif.

Sur plusieurs points, nous sommes dans une bien meilleure situation. Les taux d’endettement ne sont pas comparables. La Tunisie garde la souveraineté sur sa monnaie, qui a été dévaluée ces derniers mois. Cela ne plaît pas aux citoyens, mais c’est un moyen efficace de relancer les exportations. La dépendance de la Tunisie aux bailleurs de fonds est aussi moins forte que celle de la Grèce.

Comment qualifiez-vous la situation ? L’état de l’économie est préoccupant mais pas catastrophique, encore moins désespéré. La croissance est trop faible, c’est vrai. Il faut atteindre 4 à 5 % pour enrayer le chômage, 7 à 8 % pour le résorber. Sauf que rien n’est insurmontable. Le taux d’endettement est supérieur à celui de 2011, mais encore acceptable comparé aux moyennes internationales. Concernant le tourisme, aujourd’hui à l’arrêt, si le gouvernement poursuit ses efforts pour renforcer la sécurité, la reprise pourrait être rapide. Même choses pour les investissements : une politique économique volontariste peut relancer la machine. Le taux d’exécution des projets publics, comme les autoroutes, ne dépasse pas 30 % ! Cela veut dire que des financements sont disponibles, mais que l’on n’arrive pas à les déployer parce que les procédures juridiques et administratives sont trop lourdes. Quant aux tensions sociales et aux grèves qui plombent des

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secteurs comme la production de phosphate, elles peuvent aussi s’apaiser rapidement avec la mobilisation de tous les acteurs.

N’êtes-vous pas très optimiste ? Depuis la révolution, le pays a connu une longue transition politique qui s’est plutôt bien déroulée. Des plans d’investissement sont là, prêts à l’emploi. Mais il manque la volonté d’avancer à marche forcée. La construction constitutionnelle a imposé un exercice d’équilibrisme politique tel que chaque projet a été débattu à l’infini au Parlement. Résultat, le chômage et l’inflation continuent à grimper. Il y a un risque d’explosion sociale. Il est donc impératif de renouer avec une croissance stable et équilibrée. Il faut des partenaires internationaux pour injecter une dose d’adrénaline supplémentaire : je l’estime à 20 milliards d’euros sur cinq ans.

Comment convaincre la communauté internationale ? Ce plan ne sera pas un chèque en blanc. Les projets devront être concertés et leur mise en œuvre, rapide. Le nouveau gouvernement planche d’ailleurs déjà sur une réforme du code des investissements et de la fiscalité. Il s’est aussi dit prêt à prendre des mesures pour lever les freins administratifs qui paralysent le pays. Malgré le contexte, la Tunisie reste une lueur d’espoir au milieu de printemps arabes qui s’enlisent et elle pourrait devenir un modèle. Elle mérite donc d’être soutenue. L’enjeu n’est pas que national. On ne réglera pas le problème du djihadisme ou la crise des réfugiés sans stabiliser les économies de toute la région. ❐ Propos recueillis par Alexia Eychenne

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DR

Certains acteurs n’hésitent pas à comparer la Tunisie à la Grèce…

« Il manque la volonté d’avancer à marche forcée »


L’heure des comptes et des choix

(

Donia Hedda Ellouze

« Il faut se remettre au travail » Cette avocate d’affaires, qui a fondé son cabinet en 1986, s’est spécialisée dans l’accompagnement des investisseurs étrangers et les privatisations.

AMB : Avant le soulèvement de 2011, la Tunisie était considérée comme le petit dragon de l’Afrique. Aujourd’hui, elle en est bien loin… Certes, mais nous disposons encore d’une bonne partie des atouts qui ont fait notre force. Nous avons un code des investissements qui reste attractif. Notre réglementation des changes permet le transfert des bénéfices réalisés, ce qui constitue une solide garantie pour les investisseurs. Nous sommes aussi le seul pays de la région à proposer aux entreprises exportatrices le statut de société non résidente, pouvant être détenue à plus de 66 % par des capitaux étrangers. Nous avons pour nous la proximité avec l’Europe, un bon niveau d’éducation de notre population, une société moderne qui protège les droits des femmes, autant de facteurs qui permettent de parier sur l’avenir.

étrangers, il faut également assouplir la réglementation des changes.

Le climat des affaires reste toutefois mauvais…

Sur quels secteurs mettre l’accent ?

C’est en effet l’environnement qui a changé. Aujourd’hui, l’image de la Tunisie est détruite, au point que le pays a disparu des radars des investisseurs comme des touristes. Certaines peurs sont justifiées, d’autres non et en partie fabriquées par les médias. C’est cette perception erronée qu’il faut changer. La révolution a fait naître le sentiment que l’on pouvait tout revendiquer. Et, comme toutes les demandes ont été satisfaites dans un premier temps, cela a conduit à la surenchère et au non-respect de la loi avec des grèves et des occupations d’usine illégales. Or, le Code pénal est très clair sur l’entrave au travail. Pourtant, aucune sanction n’a été prise et le phénomène s’est banalisé. Il faut donc rétablir un climat serein en faisant respecter la loi et en remettant les Tunisiens au travail. Il faut leur rappeler leurs droits mais aussi leurs devoirs.

Nous voulons créer de l’emploi et engranger des devises, donc il faut choisir des domaines où nous avons déjà des compétences et où nous pouvons être opérationnels rapidement. L’automobile, la production agricole et les services répondent à ces critères.

ONS ABID

Comment procéder ?

« Nous avons pour nous la proximité avec l’Europe, le bon niveau d’éducation de notre population, une société moderne »

Il faut oser faire les vraies réformes sur l’investissement. Ouvrir la Tunisie en levant les freins existants tels que les agréments et des démarches administratives obsolètes, l’obligation d’avoir un associé tunisien à 50 % dans les secteurs du transport et de la logistique, à 34 % pour ce qui est de l’exploitation agricole. Bien entendu, cela n’empêche pas de protéger certaines filières en parallèle. Pour rassurer les investisseurs

Comment garantir qu’un investissement uniquement étranger soit bénéfique au pays ?

En premier lieu, il crée de l’emploi, ce qui n’est pas négligeable actuellement. Ensuite, il va susciter une synergie en faisant travailler des soustraitants locaux et en générant un transfert de technologie ou de savoir-faire. En outre, il va se traduire par une amélioration de la balance des devises. Enfin, au niveau social, il va permettre de fixer les populations sur place, limitant la tentation de l’immigration clandestine ou le risque d’embrigadement extrémiste. L’installation de deux ou trois grands acteurs économiques aurait aussi un effet locomotive, encourageant d’autres groupes à suivre le mouvement.

De quels pays, africains ou non, la Tunisie devrait-elle s’inspirer ? L’Afrique du Sud, le Maroc ainsi que Madagascar et l’île Maurice ont su revoir leur législation pour réussir leur ouverture à l’investissement. ❐ Propos recueillis par Frida Dahmani

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RENCONTRES & REPORTAGES

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Tunisie

Aziz Krichen

« Adopter une politique de rupture » Sociologue et auteur d’essais, figure de la gauche tunisienne, il a été le conseiller politique du président Moncef Marzouki entre 2012 et 2014, avant de démissioner. En mars, il a publié un ouvrage revenant sur la révolution de 2011 (La Promesse du printemps, Script Éditions).

AMB : Que pensez-vous des politiques économiques menées depuis la révolution ?

Certains comparent la Tunisie à la Grèce. Qu’en pensez-vous ?

« Le libéralisme, c’est d’abord lever les freins à l’initiative nationale »

Il y a des similitudes, notamment sur la question de la dette et du surnombre des fonctionnaires. Cela dit, la Grèce est intégrée à un environnement plus vaste, l’Union européenne, tandis que la Tunisie est seule. Cette différence de contexte induit des sorties de crises distinctes. Pour rappel, il a suffi d’une bonne campagne oléicole pour équilibrer la balance commerciale tunisienne en 2015. Commençons donc par mettre de l’ordre dans le désordre, ce qui veut dire en finir avec le secteur informel. Il faut aussi de nouvelles politiques salariales et des mesures encourageant l’initiative privée et les PME. Les crédits et la fiscalité doivent servir le développement collectif et non les intérêts d’une oligarchie affairiste. En outre, les programmes présentés ne prévoient rien à destination du monde rural, dans lequel l’agitation se poursuit. Il n’y a pas non plus de dispositif visant à encourager l’épargne, à son plus bas niveau depuis soixante ans. Or, pour le moment, ces sujets ne sont pas abordés.

La rigueur que préconise le nouveau gouvernement n’est pas la solution ? On nous annonce l’austérité mais en fait nous bradons, sous la pression des bailleurs de fonds, nos ressources en acceptant de lever ce qui reste de barrières douanières, en

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démantelant les terres domaniales, en effectuant des privatisations. Le libéralisme, c’est d’abord lever les freins à l’initiative nationale et non pas supprimer les obstacles pour les étrangers. Notre classe dirigeante manque de patriotisme.

Que faire concrètement ?

Si on veut véritablement changer les choses, il faut se donner deux objectifs : réduire les fractures socio- économiques et mettre hors d’état de nuire la nébuleuse mafieuse qui se déploie sans rencontrer d’obstacles et qui trouve des soutiens dans certaines structures de l’État. C’est la seule manière de relancer l’économie, de remettre les gens au travail, de faire revenir l’investissement. Mais cela suppose d’adopter une politique de rupture, ce qui n’est le cas d’aucun gouvernement jusqu’à présent.

Et ensuite ? Il faut engager des réformes structurelles en ciblant la lutte contre le chômage pour créer de l’espérance et une mobilisation. Il conviendrait de lancer une politique de grands chantiers nationaux à même de mobiliser une main-d’œuvre importante pour intervenir sur les problèmes d’infrastructures, d’eau, de pollution, d’énergie, de déforestation, d’avancée du désert.

Les entreprises crient à l’aide depuis plusieurs années, en vain… Imaginer que les partis de la troïka avaient un plan, ce serait leur prêter un savoir-faire qu’ils n’ont pas. Au sein des états-majors, aucun des chefs n’est un homme politique dans le sens moderne du terme. Tous fonctionnent suivant un registre de lutte pour le pouvoir, estimant que l’économie équivaut à l’intendance. Ils n’ont pas compris qu’elle est au cœur de la politique. ❐ Propos recueillis par Frida Dahmani

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DR

Jusqu’à fin 2014, l’économie a été gérée au coup par coup en suivant les mêmes logiques que sous Ben Ali. Concernant la fonction publique, il y a même eu davantage d’irresponsabilité avec l’intégration de plus de 200 000 employés supplémentaires entre 2012 et 2014. Recrutements, baisse de l’investissement et de l’épargne, augmentation du chômage et du coût de la vie et, surtout, des dérives mafieuses ont jalonné cette période. Avec les élections et la mise en place d’un nouveau régime, on aurait dû s’attaquer aux problèmes concrets du pays, liés à l’insurrection de 2010-2011 et portés par le monde rural, les quartiers périphériques, la Tunisie des petits salaires mais aussi le monde de l’entreprise. Or, ces revendications de fond attendent toujours d’être satisfaites.


L’heure des comptes et des choix

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Ezzeddine Saidane

« Éviter le tour de vis brutal » Ancien vice-président de la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat) et ex-directeur général de la filiale de l’Arab Banking Corporation, cet économiste a créé son cabinet de conseil, Directway Consulting.

AMB : Pourquoi la Tunisie se trouve-t-elle dans une telle impasse ? En raison de l’extrême mauvaise gestion des affaires financières et publiques. Autorisé à recruter 25 000 personnes en 2012, le gouvernement en a employé 100 000. Et la même chose s’est reproduite durant les exercices suivants. Conséquence, la masse salariale est passée de 6,5 milliards de dinars en 2010 à 14 milliards cette année, ce qui représente 45 % du budget de l’État. Sur le reste des dépenses, 37 % servent au remboursement de la dette et 18 % vont aux investissements, dont le taux de réalisation n’atteint pas 40 %. En outre, depuis 2011, les gouvernements ont systématiquement recours à une loi de finances complémentaire sans revoir à la baisse le budget de l’État, preuve d’un manque de crédibilité et d’une absence de projection. Sans oublier que la politique monétaire a été sans effet sur le taux de change du dinar et que les balances commerciales et de paiement sont largement déficitaires.

« Prendre des mesures contre l’économie informelle, qui représente 53 % du PIB »

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Les ressources pour les dépenses programmées en 2016 et 2017 ne sont pas disponibles. La dette publique, dont les deux tiers sont contractés sur le marché international, a franchi la barre des 60 % du PIB, en atteignant les 62 % en juin. On se demande donc comment le pays va pouvoir faire face à ses engagements. En 2017, il devra débourser plus de 8,4 milliards de dinars au service de la dette. Or, il n’en a pas les moyens, à moins d’envisager un rééchelonnement. Cela n’a jamais été fait dans la mesure où ce facteur intervient dans la notation souveraine et risquerait de la dégrader fortement. Autre preuve des difficultés, le règlement de deux crédits contractés auprès des Qataris en 2012 pour un montant d’un milliard de dollars a dû être reporté.

DR

Peut-on parler de la Tunisie comme d’une nouvelle Grèce ? Pas du tout. Notre pays n’est pas dans l’Union européenne et ne bénéficie pas du même statut que la Grèce. L’Europe s’est mobilisée pour cette dernière, en agissant auprès des bailleurs de fonds comme le FMI. Autre différence de poids, la Tunisie n’est pas dans la zone euro et décide donc de sa politique monétaire, là où la Banque centrale européenne de

Francfort décide pour Athènes. J’ajoute que le niveau d’endettement grec est beaucoup plus inquiétant que le tunisien puisqu’il avoisine les 171 % du PIB contre 55 %. Le seul point commun est à chercher dans les causes de la crise, à savoir le recrutement massif de fonctionnaires, le déficit des finances publiques et la publication de statistiques erronées, notamment sur le taux d’endettement réel, ce qui a valu à la Tunisie d’être épinglée par le FMI.

La cure d’austérité est-elle la bonne solution ? Le nouveau gouvernement a annoncé des mesures d’économies avec une rationalisation des dépenses publiques, le licenciement d’agents de l’État, la réduction des dépenses d’infrastructures et une augmentation du taux d’imposition. Cela va se solder par une baisse de la consommation et des exportations, qui vont affecter en premier lieu les classes moyennes avec, à la clé, un risque de crise sociale. Il vaudrait mieux, comme en 1986, sortir de la récession avec un plan d’ajustement structurel sur 18 à 24 mois, c’est-à-dire éviter le tour de vis brutal et lui préférer des réformes structurelles. Autrement dit, engager une révision du système fiscal, bancaire et économique, ainsi que de la justice et de l’enseignement.

Comment relancer l’investissement ? Il y a des étapes à suivre dans un ordre précis : il faut commencer par mettre l’accent sur secteur public, puis passer au privé national et, enfin, faire appel aux investissements directs étrangers. C’est ainsi que l’on donne des gages de sérieux et que l’on renoue avec la confiance des investisseurs. Le code des investissements est indispensable dans ce processus. Des mesures contre l’économie hors la loi, qui représente 53 % du PIB selon le gouvernement, doivent également être prises. C’est la seule façon d’améliorer nos indicateurs, de démontrer notre sens des responsabilités et notre capacité à remonter la pente. ❐ Propos recueillis par Frida Dahmani

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GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR JA

RENCONTRES & REPORTAGES

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Matata Ponyo Mapon PREMIER MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO (RDC)

« Le chef doit donner l’exemple » À la tête du gouvernement depuis quatre ans, il défend son bilan, soulignant les progrès macroéconomiques réalisés. Il appelle aussi à un changement de mentalités. Quitte à heurter certaines « élites ». Propos recueillis par Sabine Cessou, à Kinshasa

I

l faut passer trois sas de sécurité, de lourdes portes vitrées qui font penser à celles d’une banque, avant de parvenir au bureau de Matata Ponyo Mapon, à l’étage du bâtiment de la Primature, dans le quartier de la Gombe. Les photos de ses nombreux prédécesseurs sont alignées dans un salon, au rez-de-chaussée, dont un portrait saisissant de Patrice Lumumba, l’un des pères de l’indépendance. À l’étage, une salle de réunion donne sur des jardins au bord du fleuve Congo, que le Premier ministre a ouverts au public et où des couples de jeunes mariés viennent immortaliser leur union les week-ends. Matata Ponyo Mapon, 52 ans, un homme de moyenne stature qui frappe par son abord très sérieux et des sourires qui viennent ■ ■ ■

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RENCONTRES & REPORTAGES

PARCOURS

1964

Il naît à Kindu, dans la province du Maniema.

1988

Licencié en économie de l’Université de Kinshasa, il débute sa carrière à la Banque centrale du Congo (BCC).

2001

Il devient conseiller économique au ministère des Finances, avant de prendre la tête, en 2003, du Bureau central de coordination (BCECO).

2010

Il est nommé ministre des Finances.

2012

Il est promu Premier ministre et forme un gouvernement restreint de 36 technocrates.

2014

Il est reconduit à son poste mais avec une équipe plus politique.

Matata Ponyo Mapon

■ ■ ■ plus tard au fil de la conversation, occupe les lieux depuis avril 2012. Un record de longévité en RDC. Cet ancien ministre des Finances, membre de la mouvance présidentielle, se fixe un destin de technocrate, sans ambition politique particulière. Il n’en est pas peu fier : il a remis sur les rails une économie dévastée par des années de guerre et de mauvaise gouvernance. Avec 7 % de croissance depuis 2010, une inflation maîtrisée et un taux de change stabilisé, les indicateurs macroéconomiques sont passés au vert – à la stupéfaction des bailleurs de fonds. Le Premier ministre restera sans doute dans les annales comme celui qui a bancarisé le million de fonctionnaires du pays. Un travail qui a permis de radier les employés fictifs et d’en finir avec de longues années de corruption, tout en faisant reculer la pauvreté – des milliers d’enseignants, impayés depuis 1984, pouvant enfin toucher leurs salaires. La population congolaise, 75 millions de personnes, reste toutefois parmi les plus pauvres du monde avec un PIB d’à peine 485 dollars par an et par habitant. Aujourd’hui, Matata Ponyo Mapon aimerait voir son œuvre « consolidée, quels que soient les prochains aléas politiques », comme il l’écrit avec diplomatie dans son récent livre Pour un Congo émergent*. Pourtant, les progrès faits en RDC sont d’ores et déjà compromis par la crise politique qui se profile. L’activité a en effet ralenti en 2016, dans un contexte de chute des cours du cuivre et d’incertitude des investisseurs. L’élection présidentielle n’aura pas lieu en novembre comme prévu, faute de fichier électoral prêt à temps. La fin du second mandat de Joseph Kabila, fixée par la Constitution au 19 décembre, risque par ailleurs de voir le rapport de force entre pouvoir et opposition se matérialiser dans la rue, avec des manifestations de masse et l’intervention prévisible de l’armée.

En puisant dans ses atouts et en appliquant les principes de politique monétaire et budgétaire, tout simplement ! Quand j’ai été nommé ministre des Finances en février 2010, le Fonds monétaire international (FMI) se montrait sceptique sur mon intention de stabiliser la monnaie comme l’inflation et de parvenir en quatre mois au point d’achèvement de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE). Un Américain bien placé dans l’institution m’avait dit à Washington : « Monsieur le ministre, vous êtes très optimiste, je vous félicite, mais vous savez que tout cela est impossible ! » Or, en juin 2010, nous avons effacé 10 milliards de dollars de dette extérieure. Un accomplissement exceptionnel, dans la mesure où cet objectif était recherché depuis six ans. L’inflation est passée de 55 % en 2009 à moins de 15 % dès 2010, puis à 2 % en moyenne aujourd’hui. Depuis décembre 2010, le taux de change s’est maintenu à 923 francs congolais contre un dollar. Une cassure totale s’est faite avec la gestion du passé.

J’ai RÉUSSI à colmater de nombreuses FUITES par lesquelles se produisait une HÉMORRAGIE financière.

AMB : Que pensez-vous du fait que la RDC soit souvent décrite comme un « scandale géologique » ? Cette expression ne signifie rien pour un pays qui figure parmi les moins nantis du monde, même si la précarité a régressé. À mon sens, il faut dépasser le discours qui présente la RDC comme immensément riche et s’attaquer aux vrais enjeux de son développement durable.

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Par où commencer, quand on doit gérer un État réputé ingouvernable comme le vôtre ?

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Pourquoi avez-vous rencontré un tel scepticisme ?

Dans le cas de la RDC, l’idée qui prévalait était celle-ci : « Si c’est un Blanc qui gère, ça pourrait encore aller, mais si c’est un Congolais, il fera comme tous les autres… ». En substance, se servir sans penser à l’intérêt général. Je suis d’autant plus fier de mes résultats que j’ai étudié dans mon pays et non à Paris ou Bruxelles. En outre, j’ai été nommé ministre des Finances contre toute attente, n’étant pas chef de parti. J’ai ensuite étendu mes méthodes à l’ensemble du gouvernement, en tant que Premier ministre.

Comment avez-vous obtenu qu’on adhère à votre vision ? Il faut reconnaître que ma gestion a été largement perçue comme un mystère ! L’ancienne ministre des Finances de la France, Christine Lagarde, lorsqu’elle faisait campagne pour la direction du FMI, m’a demandé quelle était ma recette. La réponse est claire : c’est d’abord une question de leadership et de gouvernance. Le chef doit donner l’exemple. Moi-même, je commence ma journée à 5 heures du matin pour la termi-


« Le chef doit donner l’exemple »

ner vers 20 heures. Tous les courriers qui me sont adressés font l’objet d’une réponse. Les gens ont été étonnés de recevoir des lettres, preuve que la machine tourne ! Avant mon arrivée, le bâtiment de la Primature abritait 120 personnes et on pouvait voir des animaux dans la cour. Aujourd’hui, mon équipe est composée de sept personnes et il est très difficile d’arriver jusqu’à mon bureau si vous n’êtes pas attendu. Même les policiers qui me sont affectés se comportent différemment car ils savent qu’ils seront sanctionnés s’ils s’écartent de la ligne de conduite qui leur a été fixée. Il leur est interdit de demander un franc à quelqu’un ou de tracasser des visiteurs.

GWENN DUBOURTHOUMIEU

Quid du problème des ressources humaines ? Dans la gestion macroéconomique, nous n’avons pas de déficit de compétences. La petite équipe gouvernementale de 36 personnes que j’ai dirigée de 2012 à fin 2014, axée sur le développement, avait une efficacité supérieure à l’actuelle, qui est plus grande, avec 49 personnes, et composée pour l’essentiel de chefs de partis [le gouvernement dit de cohésion nationale, recommandé par les concertations d’octobre 2013 et qui compte

des membres de l’opposition, NDLR]. Ces derniers sont pour certains tournés vers la mauvaise gouvernance, le folklore, le cinéma politique. Des responsables le disent d’ailleurs ouvertement : ils ne sont pas venus en politique pour construire des écoles mais pour faire de l’argent !

Comment avez-vous lutté contre la corruption ? Par ma détermination à gérer rationnellement les fonds publics, avec une vraie passion et la capacité de résister aux demandes de l’oligarchie de ma propre famille politique [le Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD), de Joseph Kabila, NDLR] ! À cet égard, le soutien direct du président de la République a joué de manière cruciale. Quand vous faites des réformes, vous vous attaquez à des groupes de pression habitués à se nourrir aux mamelles des finances publiques. La déviation de ces fonds passe par mille méthodes. « Je vous fais nommer à tel poste, mais voilà ce qu’il faudra me verser mensuellement », entendait-on par le passé. J’ai réussi à colmater de nombreuses fuites par lesquelles se produisait une véritable hémorragie financière.

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Le pays est le 5e producteur mondial de cuivre, principalement exploité dans la région du Katanga, comme ici à Lubumbashi.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Matata Ponyo Mapon

De quel ordre étaient ces pertes ? Avec la mise en place de la bancarisation des fonctionnaires en 2011, nous économisons à présent près de 10 millions de dollars tous les trois mois pour une masse salariale de 140 millions de dollars par mois. Je suis haï dans certaines familles ! Des épouses de comptables ou d’officiers, qui détournaient une partie des salaires versés en cash, disent que j’ai « cassé leur mariage ». J’ai même reçu des menaces de mort… Le taux de pression fiscale ne dépasse pas 11 % à 13 % en RDC, contre une moyenne de 25 % en Afrique subsaharienne. Cela donne une idée de l’ampleur de l’évasion fiscale ! Pour assurer la bonne gouvernance, il faut s’occuper des 0,1 % de la population qui gèrent 99,9 % des flux financiers, plutôt que l’inverse. Mais cette minorité qui compte appartient souvent à l’oligarchie. Il s’agit de 200 ou 300 personnes ayant des relations dans l’armée, les partis politiques et les réseaux de pouvoir. Sans cesse, il faut s’attendre à recevoir des coups de téléphone : « Telle personne, il faut la laisser. Tel contrat, il faut le signer. » Je suis devenu sourd et aveugle face à ce type de pression.

Nous avons encore beaucoup d’EFFORTS à faire, mais nous avons gagné en LIBERTÉ d’expression et redressé le REVENU par habitant.

Faut-il être fort psychologiquement ? Et même physiquement ! J’ai reçu des menaces de mort lors de la bancarisation des fonctionnaires…

L’État central peut-il contrôler tous les postes de douanes dans un pays aussi vaste que la RDC ?

En trois ans, j’ai fait doubler les recettes fiscales en termes réels. On m’a traité de tous les noms, mais le budget de l’État est passé de 300 millions de dollars en 2001 à 8 milliards aujourd’hui.

Est-il possible de financer de manière autonome le développement ? Aucun pays ne l’a fait par l’endettement. Un tel cas n’existe pas. Les ressources sont toujours internes. Tout part de l’épargne publique. Le reste vient en appoint. Avec un budget devenu excédentaire, nous avons pu commencer à élaborer des projets de construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux, de barrages. Nous avons relancé la société de transport public, Transco, et créé la compagnie aérienne Congo Airways – alors que mes compatriotes ne pouvaient plus croire que nous en aurions une à nouveau. Lorsque j’ai annoncé ces projets, les députés n’y croyaient pas non plus et m’ont accusé de démagogie…

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S’agit-il pour vous d’enclencher des cercles vertueux ? Exactement. Nous formons des petits îlots de bonne gouvernance,comme au sein de Congo Airways, dont le directeur général donne l’exemple et génère un effet multiplicateur. Autrefois, l’aéroport international de N’Djili offrait un spectacle désolant. Aujourd’hui, ce nouveau bâtiment modulaire est propre et fonctionnel !

Comment analysez-vous la dollarisation de l’économie ? C’est un signe de faiblesse : notre monnaie n’inspirant plus confiance, en raison de l’hyperinflation, les gens préfèraient se rabattre sur une devise plus stable afin de préserver leur pouvoir d’achat. Nous avons cependant rétabli la stabilité du franc congolais et nous sommes dans un processus graduel de « dédollarisation ».

Vos résultats doivent-ils beaucoup au fait que la RDC dispose d’un fort potentiel ? Non, je ne le pense pas. Beaucoup de pays, y compris en Europe, ne sont pas riches mais bien gérés. J’ai eu la chance à mes différents postes de circuler sur tout le territoire national. Chaque fois que je passe dans un village, mon regard est attiré par les quelques maisons propres qui s’y trouvent. Leurs propriétaires ne vivent pas dans un espace différent… Ils font partie du village ! La RDC dispose certes d’un fort potentiel, mais toutes ses réserves minières, pétrolières, gazières, hydrauliques et agricoles ne l’ont pas empêchée d’être classée parmi les plus pauvres du monde, alors que des nations désertiques figurent parmi les dix pays les plus riches du continent.

Le Rwanda passe pour le grand modèle africain de réformes et de bonne gouvernance… Cela vous gêne-t-il ? Non, car ses performances se reflètent de manière chiffrée dans des indicateurs qui ne peuvent pas être occultés. Pourquoi ne pas les accepter ? Le Rwanda nous a certes posé des problèmes de sécurité – un fait également documenté par les Nations unies – afin de poursuivre le pillage des ressources naturelles de l’Est de la RDC et d’assurer le progrès de son PIB. Mais c’est un autre volet. En tant que chef du gouvernement, les performances du Rwanda alimentent ma réflexion pour faire en sorte que la RDC soit également citée comme modèle économique, mais aussi politique – y compris sur le plan de la démocratie, ce qui n’est pas le cas du Rwanda. La liberté de parole qui prévaut en RDC peut même paraître parfois excessive. Au Parlement,


« Le chef doit donner l’exemple »

Depuis que je suis en fonction, j’ai défendu toutes les lois de Finances avec des discours chiffrés et précis. Tel a encore été le cas cette année pour présenter la loi rectificative 2016 afin de réduire de 25 % les dépenses publiques, du fait de la baisse des recettes provoquée par la chute des cours des matières premières. J’ai alors indiqué que le taux d’exécution était de 64 % pour les recettes et de 65 % pour les dépenses pour l’exercice 2015. Nous sommes sur la même tendance en 2016. Ensuite, que la politique politicienne finisse par triompher, je ne peux que le déplorer !

Quel rôle le secteur privé congolais doit-il jouer ? À l’évidence, il doit être le moteur de notre économie, ce qui n’est pas suffisamment le cas. Nous manquons encore d’exemples de réussites dans le secteur formel. Il suffit d’observer les dirigeants de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Les expatriés et étrangers y sont majoritaires !

Certains affirment que les puissances étrangères ont intérêt à maintenir le chaos en RDC pour mieux la piller… Ces conceptions erronées permettent surtout de rejeter la faute sur autrui. Si vous vous organisez pour empêcher la fraude, personne ne viendra piller chez vous… C’est trop facile de dire que les Occidentaux nous veulent du mal. Dans le même ordre d’idées, comment concevoir que le petit Rwanda puisse créer de l’insécurité dans la grande RDC ? Quand j’étais jeune, il était de notoriété publique qu’un seul commando des Forces armées zaïroises (FAZ) pouvait semer la panique au Rwanda. À l’époque, notre armée était parmi les plus fortes de la sous-région. Rappelons-le aussi, les Angolais qui sont venus à notre rescousse sur le plan militaire sont des Africains comme nous !

Que gardez-vous comme souvenir de votre jeunesse sous Mobutu ? Je suis issu d’une famille très pauvre, qui a vécu sans eau et sans électricité. Quand Mobutu a quitté le pouvoir en 1997, le revenu par tête ne dépassait pas 140 dollars par an, contre 600 dollars dans les années 1960. Très peu de choses ont été faites pour améliorer les condi-

10 8 6 4 2 0 -2 -4

01 02 003 04 05 006 07 008 09 2 20 20 20 2 2 20 20

20

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20 15

Que répondez-vous à l’opposition, qui vous reproche de ne pas exécuter le budget dans son intégralité ?

TAUX DE CROISSANCE DU PIB (EN %)

20 10

il arrive que je sois traité comme un moins que rien ! Si je dois comparer avec des pays voisins, nous sommes en avance ! Ici, le président et le Premier ministre se font insulter tous les jours…

Après la crise mondiale de 2008, l’économie congolaise a effectué un impressionnant rattrapage. Depuis 2010, le produit intérieur brut a augmenté de plus de 7 % en moyenne chaque année. Mais la chute du cours des matières premières freine cet élan. Le gouvernement ne prévoit que 5,3 % de croissance en 2016.

Source : Banque mondiale

tions de vie durant son règne, marqué par la mauvaise gouvernance et la dictature. Nous avons encore beaucoup d’efforts à faire, mais nous avons gagné en liberté d’expression et redressé le revenu par habitant. L’un des Espérance drames du régime Mobutu, c’est qu’il a de vie détruit la recherche de la norme en termes de qualité. À tel point qu’un gouverneur Taux de mortalité peut très bien dire aujourd’hui : « Puisque infantile le Kinois est habitué à la saleté, nous n’avons pas à œuvrer pour la propreté. »

51,5 ANS 88,6 ‰

L’un des meilleurs atouts du Congo ne tient-il pas à son fort sentiment national ? Absolument ! Prenez le cas d’un pays comme Israël, qui s’est construit sur un désert. Le patriotisme est la meilleure arme d’une nation… Au Congo, le discours nationaliste doit se transformer en travail. Mobutu, reconnaissons-lui ce point positif, a cimenté l’unité nationale, en envoyant par exemple dans les provinces des administrateurs politiques et militaires qui n’en étaient pas originaires.

Comment êtes-vous perçu chez vous ? Il me faut paraphraser la journaliste belge Colette Braeckman, une passionnée de la RDC, qui a titré un article en disant que je suis « vénéré par le bas, contesté par le haut ». Aller vers les réformes et la bonne gouvernance n’arrange pas tout le monde. Mais les investissements privés reviennent, grâce à la confiance qu’inspire notre gestion.

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IDH 1990 0,35 IDH 2011 0,41 IDH 2014 0,43 Le pays se situe au 176e rang mondial et en dessous de la moyenne en Afrique centrale (0,50) en 2014, selon l’Indice de développement humain des Nations unies.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Tous vos efforts risquent-ils d’être compromis par une crise politique en RDC ?

progresser sur la voie de la diversification pour structurer une économie plus inclusive.

L’économie n’aime pas le bruit des bottes ni des fusils.

Le Congo dont vous rêvez est-il celui qu’avait imaginé Patrice Lumumba ?

Comment voyez-vous l’avenir du pays ?

Lumumba avait un rêve magnifique, passionnant et mobilisateur. J’ai le privilège exceptionnel de travailler dans le bâtiment où, alors Premier ministre, il travaillait et dormait avec sa famille. Je m’inscris dans la lignée de ce rêve patriotique, avec une dose de réalisme politique. Le rêve de Lumumba était tellement fort qu’il s’est fait beaucoup d’ennemis et il est mort très tôt, en 1961. J’essaie d’avoir les deux pieds sur terre et de me protéger. Sinon, je risque de perdre la vie. ❐

Dette

22,9 % du PIB en 2015 Inflation

1,7 % en 2016

Matata Ponyo Mapon

Il peut être radieux, compte tenu de l’élan économique remarquable des dernières années. Il faut cependant des préalables tels que la stabilité politique, la paix et la sécurité.

Quels sont les grands chantiers qui restentà mener ?

Ils sont énormes et portent sur les infrastructures de transport, dans un pays de 2,3 millions de km2, mais aussi sur l’éducation et la santé. Nous devons également

* Éditions Privé, Paris, 2016.

Conjoncture L’immense paradoxe

La République démocratique du Congo (RDC) concentre à la fois des richesses exceptionnelles et une population parmi les plus pauvres au monde. La crise des matières premières et l’incertitude politique nuisent au climat des affaires comme au développement.

PAR THOMAS NICOLON, À KINSHASA

L

es 4x4 flambant neufs aux vitres teintées se faufilent dans les bidonvilles, empruntant des rues jonchées d’ornières et passant au milieu de ceux qui ont à peine de quoi se vêtir. Bienvenue à Kinshasa, la capitale de la RDC. Ce pays-continent de 2,3 millions de km2, grand comme un cinquième de l’Europe, est une terre de contrastes extrêmes, un immense paradoxe. Son sous-sol est exceptionnellement riche (en cuivre, cobalt, or, diamants, charbon…), son fleuve Congo représente l’un des plus importants potentiels hydroélectriques du monde, sa population est très jeune, près de 45 % des quelque 80 millions d’habitants ont moins de 15 ans. Autant d’atouts qui pourraient en faire un leader continental. Sauf que, dans le même temps, la RDC affiche de piètres indicateurs de développement. Plus de 85 % des Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté d’1,25 dollar par jour quand la mortalité infantile atteint un niveau de 88,6 ‰ face à une moyenne mondiale de 35‰ et africaine de 59 ‰. Le pays pointe à la 176e place sur 188 dans le classement de l’Indice de développement humain (IDH) des Nations unis et à la 184e position dans celui sur le climat des affaires (« Doing Business »). Ou l’histoire d’un immense espoir déçu. Ces dernières années, des progrès indéniables ont été réalisés, portés par la forte croissance du produit intérieur brut (PIB). En hausse de plus de 7 % en moyenne depuis 2010, il devrait encore croître de 5,3 % cette année selon les dernières estimations du gouvernement (seulement 4,9 % d’après le Fonds

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monétaire international, FMI). Le secteur minier est le principal responsable de cet essor. En 2014, la production de cuivre a dépassé la barre du million de tonnes, après cinq années consécutives de hausse. Et, malgré le retournement de la conjoncture, elle a réussi à se maintenir à plus de 995 000 tonnes en 2015. La RDC est également le premier producteur mondial de cobalt, un minerai indispensable à toutes les industries de pointe et vendu pour la moitié de sa production à la Chine. Autre réussite, l’exploitation d’or, encore quasi nulle en 2011, a été relancée. Un même élan est intervenu dans le domaine bancaire avec une hausse du nombre d’établissements, d’une dizaine dans les années 2000 à une vingtaine aujourd’hui, et le développement de la bancarisation, plus de 5 millions de comptes ouverts actuellement contre moins de 50 000 il y a quinze ans. L’arrivée d’investisseurs étrangers et le lancement de grands projets ont également créé du dynamisme. PÉKIN, PREMIER PARTENAIRE COMMERCIAL Les défis restent toutefois immenses. D’autant que la chute du prix des matières premières depuis mi-2015 vient compliquer la donne. En 2011, le cours du cuivre était de 10 000 dollars la tonne, il se situe aujourd’hui en deçà des 5 000 dollars, souligne le Congo Research Group. Une dégringolade qui s’applique aussi au pétrole, deux richesses qui représentent entre 20 % et 25 % des revenus du pays. À cela s’ajoute le tassement de la croissance de Pékin, premier partenaire commercial de la

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GWENN DUBOURTHOUMIEU

« Le chef doit donner l’exemple » RDC, synonyme de baisse des investissements et des échanges. Conséquence, les députés ont revu à la baisse le budget 2016, passé de 8 à 6 milliards de dollars. Le secteur minier a lui aussi accusé le coup. Au Katanga, la grande région d’exploitation du sud-est du pays, la Fédération des entreprises du Congo (FEC) a dénombré plus de 13 000 emplois perdus en quelques mois. Quant aux groupes miniers privés, ils pressent le gouvernement de leur payer plus de 700 millions de dollars de remboursement de crédits de TVA, dont le versement est suspendu depuis fin 2015. Plus globalement, la raréfaction des ressources génère inflation, problèmes d’approvisionnement et difficultés croissantes pour la population. Elle ravive de douloureux souvenirs, notamment dans les années 1990, quand le pays avait sombré dans une spirale d’hyperinflation avec un pic de 9 000 % en 1994. « Nous avons besoin de la production, nous avons besoin des revenus, nous avons besoin de sauvegarder les emplois » a résumé le ministre de l’Économie, Modeste Bahati Lukwebo, à la télévision publique en juillet. « Les lacunes dans le domaine des infrastructures sont également considérables, affirme Éric Mboma, directeur général de Standard Bank RDC. En dehors du grand fleuve, les voies fluviales ne sont pas toujours navigables et rarement entretenues. » Des investissements conséquents sont aussi nécessaires pour rénover un réseau routier en piteux état. Sans oublier l’augmentation de la production d’électricité dans un pays où les coupures sont quotidiennes et compromettent la viabilité des projets industriels. Comme ailleurs sur le continent, la clé du développement réside dans la diversification de l’économie et l’essor d’un secteur privé compétitif. Le potentiel existe dans les transports, mais aussi les télécommunications, le commerce et l’agriculture. « La richesse du sous-sol congolais est inutile s’il n’y a pas une population active et éduquée pour la mettre en valeur » avance l’économiste Michel Nsomue, ancien directeur à la Banque centrale du Congo, plaidant pour une modernisation du système éducatif. Toutes ces réformes seront vaines si elles ne s’accompagnent pas d’une amélioration du climat des affaires, pointent de nombreux observateurs, appelant à lutter contre le secteur informel, la bureaucratie et la corruption. « Regardez au Rwanda, au Cameroun ou même au Nigeria, plaide Ernest Mpararo, de la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (Licoco). Ils ont fait ce qu’il fallait pour réduire le phénomène de manière spectaculaire. Il faut s’inspirer d’eux ! » Cette période délicate sur le plan économique se double d’un contexte politique tendu. L’élection présidentielle, qui devait avoir lieu en novembre, semble vouée au report à durée indéterminée, un « glissement » que ne cesse de dénoncer l’opposition au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) du président Joseph Kabila. Ce dernier, arrivé au pouvoir après la mort de son père Laurent-Désiré en 2001, a été

réélu en 2011 au terme d’un scrutin entaché de fraudes. Depuis, les tensions sont croissantes avec les partis de l’opposition mais aussi au sein de la population, qui réclame de meilleures conditions de vie. Nombre d’observateurs craignent qu’éclatent des violences alors que tout le monde, locaux comme expatriés, garde en mémoire les pillages de 1991 et 1993. À l’est du pays, une région distante de plus de 1 000 kilomètres de la capitale, la situation est tout aussi compliquée. Les affrontements entre plusieurs milices, dont les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), des groupes d’autodéfense et des bandits de grand chemin déstabilisent la région, malgré la présence depuis presque vingt ans de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et un relatif réchauffement des relations entre Joseph Kabila et son homologue rwandais, Paul Kagamé. Beaucoup de Congolais estiment que Kabila, malgré son bilan décevant, a eu le mérite de maintenir la paix. « Avec lui, au moins, on ne prend pas de risques, c’est la sécurité, entendon dans les rues de Kinshasa. Qui sait ce qu’il adviendra si l’on change de président ? » À l’opposé, une partie de la popula-

Le boulevard du 30-Juin dans la capitale Kinshasa.

tion, notamment parmi les jeunes, affirme qu’il doit quitter le pouvoir et respecter les règles de la démocratie, seul moyen de mettre véritablement le pays sur de bons rails. Pour l’heure, le principal intéressé semble décidé à se maintenir au pouvoir au-delà même des limites constitutionnelles. Mais, comment réagira la communauté internationale ainsi que ses alliés régionaux, l’Angola et l’Afrique du Sud ? L’opposition, elle, n’abandonne pas l’idée de le « chasser » dès le 19 décembre, date de la fin de son mandat. « À terme, l’économie congolaise devrait rester soumise à des vents contraires, notamment la lenteur de la croissance dans les pays avancés et émergents, le durcissement de la situation financière internationale et les incertitudes pesant sur la situation intérieure », soulignait le FMI après une visite en juin, regrettant que le pays n’ait pas profité de la période de croissance pour réduire les inégalités. Un dur constat qui reste valable, Kabila ou pas. ❐

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XAVIER LÉOTY/AFP

RENCONTRES & REPORTAGES

Chargement des rames Alstom au port de La Rochelle avant leur expédition vers Tanger, en juin 2015.

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Maroc

Née d’une entente entre Nicolas Sarkozy et Mohammed VI, la ligne à grande vitesse Tanger-Kénitra a été l’objet de multiples critiques, de difficultés de financement, de retards… Une histoire passionnante, emblématique aussi des grands chantiers du royaume.

Une si lente LGV Par Julie Chaudier, à Casablanca

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RENCONTRES & REPORTAGES

Maroc

A

sue de leur rencontre. Au fil des ans, l’idée mûrit dans l’esprit des autorités marocaines, si bien qu’en 2006, Systra remet au ministère le « schéma directeur de la grande vitesse » avec vec trois ans de retard, la 1 500 km de lignes à l’horizon 2030-2035. première ligne à grande Sans le vouloir, c’est l’aérien qui va donner un coup de vitesse (LGV) du Maroc pouce décisif au ferroviaire. Depuis 2005, le Maroc envisage n’a même pas encore été d’acquérir des avions de chasse en réponse à l’achat de pluouverte entre Tanger et sieurs dizaines d’appareils russes par sa grande rivale, l’Algérie. Kénitra, que l’Office natioCôté français, on y voit l’occasion de placer le dernier-né de nal des chemins de fer (ONCF) envisage déjà de nouvelles Dassault, qui peine à se vendre. C’est compter sans les diffidessertes, Marrakech et Agadir. Objet de fierté, la LGV est l’un cultés de l’industriel, du ministre des Finances et de celui de de ces mégaprojets que le royaume aime à s’offrir. 320 km/h l’Armement à se mettre d’accord. Fin juillet 2007, une offre sur 200 km, plus de 20 milliards de dirhams pour être le prepour 18 rafales est finalement présentée, mais elle arrive trop mier pays africain et arabe à profiter de la grande vitesse. Un tard. Un peu plus tôt, les Américains ont fait une proposition bijou un peu trop cher ? Tout, du choix de la grande vitesse, bien plus intéressante pour 24 avions F16. Mohammed VI au coût des travaux, jusqu’à la conclusion de l’accord entre tranche : ce sera les F16. Le président français nouvellement Nicolas Sarkozy et Mohammed VI, a fait polémique. Pourtant, élu, Nicolas Sarkozy, est furieux, lui qui croyait tenir là son preen temps normal, rares sont les projets royaux à être contestés. mier grand coup commercial. Le nouSi celui-ci a suscité autant de débats, veau tandem Sarkozy-Mohammed VI c’est sans doute que dès sa naissance PARIS ET MADRID prend un très mauvais départ. Le – sans appel d’offres –, il a laissé un train refait alors surface. « Après le drôle de goût dans la bouche des AU COUDE-À-COUDE refus du roi d’acheter l’avion de comMarocains. i la France reste encore le premier bat de Dassault, Rabat négocie avec Tout commence en 2002, quand investisseur au Maroc avec 32 % l’Élysée la fourniture du TGV. Le geste les premières études sont commandes investissements directs à royal permettrait de maintenir la dées à Systra, cabinet d’ingénierie l’étranger (IDE) contre 4 % seulement visite fin octobre, de Nicolas Sarkozy et de conseil de la Société nationale pour l’Espagne, elle a perdu depuis au Maroc », écrit le 3 octobre 2007 le de chemin de fer française (SNCF). 2013 son statut de premier partenaire quotidien économique français La TriL’axe Casablanca-Marrakech-Agadir commercial au profit de Madrid. bune, bientôt repris par toute la presse est alors prioritaire car le nombre de En 2014, pour la première fois, la hexagonale. voyageurs sur cette liaison ne cesse France a même cessé d’être le premier d’augmenter. À l’époque, le jeune roi client du Maroc et ne représente ALSTOM UNIQUE FOURNISSEUR Mohammed VI, installé sur le trône plus que 20,5 % de ses exportations. Deux semaines plus tard, lors de depuis trois ans à peine, entend faire Surtout, depuis 2012, elle n’est plus la venue du président Sarkozy, c’est entrer son pays dans la modernité. Il son premier fournisseur. Cependant, la consécration. Le royaume annonce lance tous azimuts les grands chan- elle ne cesse depuis de réduire l’écart la construction d’une double voie de tiers de son règne : réforme agricole, qui la sépare de l’Espagne et pourrait 200 km dédiée à la grande vitesse émergence industrielle, tourisme… retrouver sa place dans les prochaines entre Kénitra et Tanger. Elle mettra la Le train, bien que plus discret, pour- années si la tendance se confirme. ville du détroit à 2h10 de Casablanca rait en faire partie ; Karim Ghellab, contre 4h45 auparavant. Le protocole d’accord signé compte ministre des Transports, en est convaincu. L’idée séduit tant, un point important : il n’y aura pas d’appel d’offres et le Maroc que le 9 avril 2005, le premier ministre Driss Jettou, en visite s’engage à acheter tout le matériel roulant au seul industriel en France, relie Paris et Poitiers… en TGV. « Je suis très heutricolore Alstom. (La construction des voies ayant, elle, été reux de pouvoir engager le gouvernement français, à côté du confiée par appel d’offres à plusieurs sociétés, en majorité gouvernement marocain, dans un travail d’étude sur un grand marocaines.) « Ce projet jouera le rôle d’une vitrine du TGV projet ferroviaire à l’horizon 2015, avec notamment des liaifrançais et de modèle de coopération technologique », souligne sons rapides Casablanca-Marrakech et Marrakech-Agadir », le document. À l’époque, ce n’est pas tant le choix du TGV, ni déclare Jean-Pierre Raffarin, son homologue français, à l’is-

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Une si lente LGV Tanger Nador Oujda Kénitra

Rabat Casablanca

Sidi Kacem

Fès Meknès

El Jadida Mohammed V Safi

Bouarfa

Oued Zem

Marrakech

Agadir

Les ANNÉES passent, plus aucune nouvelle du projet. Le PROBLÈME : il faut trouver plus de 20 milliards de dirhams, soit 1,8 milliard d’euros.

Réseau ferré actuel Tracé initial de la ligne à grande vitesse

DR

LGV en construction

de Tanger au lieu de Marrakech (un changement sans doute lié à l’émergence du port de Tanger Med), qui fait débat que la façon dont a été octroyé un contrat de plusieurs dizaines de milliards de dirhams. « Si nous étions partis dans une logique d’appel d’offres, il y aurait eu de fortes chances que les Français l’emportent. Mais, dans ce cas, nous n’aurions eu ni les financements exceptionnels, ni le transfert technologique », se défend le ministre des Transports, Karim Ghellab. Les années passent, plus aucune nouvelle de la LGV. Le problème : il faut trouver plus de 20 milliards de dirhams, soit environ 1,8 milliard d’euros. À l’automne 2010, les premières annonces tombent. L’une d’entre elles crée la polémique : la Banque européenne d’investissement (BEI) refuse au Maroc un prêt de 400 millions d’euros. L’Allemagne est immédiatement pointée du doigt, soupçonnée d’avoir mis son veto. Elle n’aurait pas apprécié de voir son fleuron national, Siemens, écarté du marché. Absentes également, les grandes institutions financières internationales. La Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale sont pourtant habituellement de tous les projets du royaume, petits et grands. Plusieurs banques françaises, qui s’étaient engagées à prêter 275 millions d’euros, vont elles aussi abandonner. La Réserve pays émergents du Trésor français, qui avait déjà promis 350 millions d’euros, doit compenser ces désistements alors que l’Agence française de développement (AFD) et le Fonds d’étude et d’aide au secteur privé (Fasep) sont aussi mis à contribution. À lui seul, l’État français finance la moitié de l’investissement dans des

L’axe de départ Casablanca-Agadir a été abandonné au profit de la liaison Kénitra-Tanger, qui devrait être mise en service en 2018.

conditions très avantageuses (une partie du prêt est accordé avec un taux d’intérêt de 1,2 %). Le Maroc, qui avait prévu d’apporter 300 millions d’euros, mobilise in fine 500 millions. Pourtant, le compte n’y est toujours pas. L’Arabie saoudite, Abu Dhabi, le Koweit et le Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades), moins regardants sur le mode de passation des marchés publics, fournissent les 380 millions d’euros manquants. LE DÉBAT EST LANCÉ Le 10 décembre 2010, dans le soulagement général, les conventions de financement sont enfin paraphées. Rabat peut donc signer dans la foulée un contrat de 400 millions d’euros pour l’achat de 14 rames de TGV Duplex à Alstom. « C’est un très beau contrat pour un début », commente alors Philippe Mellier, président d’Alstom Transport. « Il montre la capacité du Maroc à se doter d’équipements d’un très haut niveau technologique », reprend-il, soulignant que le pays est « le premier d’Afrique à se lancer dans la grande vitesse ferroviaire ». Les appels d’offres pour le génie civil suivent puis les travaux sont lancés le 29 septembre 2011. Nicolas Sarkozy fait le déplacement. Après un revers aux élections cantonales de mars et juste avant le début de la campagne pour la présidentielle de 2012, c’est l’occasion de rappeler aux électeurs le succès de sa politique commerciale offensive. Pour le Maroc, cette visite d’État, aussi brève soit-elle, est la bienvenue. Depuis février, le royaume fait face à un mouvement de contestation dans le

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RENCONTRES & REPORTAGES sillage des révolutions arabes. La cérémonie doit être l’occasion de célébrer la fierté et l’union nationales. C’est tout le contraire qui se produit : elle déclenche un débat qui dure plusieurs mois. L’homme d’affaires Karim Tazi, le « patron rouge » à la tête du pôle international du groupe Richbond, dénonce la démesure du projet par rapport à la taille et aux moyens du pays. Le fantôme des éléphants blancs, déjà trop fréquents en Afrique, refait surface. Le sujet met aussi mal à l’aise les islamistes du Parti de la justice et du développement, arrivés au pouvoir après les élections législatives anticipées de

LES AUTRES MÉGAPROJETS Centrale solaire de Ouarzazate

Noor I, la première partie de la centrale solaire de Ouarzazate, d’une puissance de 160 MW, a été inaugurée début 2016. Pour ce faire, le Maroc a adopté un partenariat public-privé. Masen, l’agence marocaine pour l’énergie solaire, a confié par appel d’offres la réalisation totale de Noor I, II et III au Saoudien Acwa Power. Il est propriétaire de chaque centrale et vend l’énergie à Masen, qui la revend à l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), propriétaire du réseau électrique. À terme, Noor disposera d’une capacité de 580 MW, sur un objectif de plus de 2 000 MW d’ici 2020, selon le Plan solaire lancé en 2009 par le roi. Le port Tanger Med

Construit en plusieurs phases, il a été inauguré en 2007 et poursuit son extension. Si dans le secteur énergétique la gestion, voire la propriété des centrales, est confiée au privé par appel d’offres, le cas de Tanger Med est un peu différent. En 2002, sur décision royale, une nouvelle entreprise publique a été créée : l’Agence spéciale Tanger-Méditerranée. Elle va gérer la construction puis le fonctionnement du futur port avec un certain succès. L’infrastructure a réussi à détourner une partie du flux de containers qui transitait par Algésiras, au nord du détroit en Espagne. Autoroute de l’eau nord-sud

C’est un véritable serpent de mer. L’idée est de détourner les eaux excédentaires du Rif, au nord, vers Marrakech, au sud, moyennant plus de 30 milliards de dirhams d’investissement. Depuis avril 2014, des études ont été lancées par le ministère de l’Équipement et du Transport. Les travaux pourraient commencer dans deux ans, si le projet est définitivement acté. Une convention a été signée dans ce sens avec l’entreprise China Harbour Engineering, lors du dernier voyage de Mohammed VI en Chine, en mai dernier. Mais depuis, plus rien. ❐ j. c.

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Maroc novembre 2011. Lahcen Daoudi, pressenti pour être ministre des Transports, le qualifie spontanément de « catastrophique », avant de se raviser : « mais nous n’allons pas remettre en cause un projet avancé ». La fronde prend de l’ampleur et, en février 2012, plusieurs associations, dont Attac Maroc (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne), Cap Démocratie Maroc et Transparency Maroc, lancent le mouvement « Stop TGV ». Il se fait connaître en publiant une infographie choc : sur un tableau noir d’école, il dessine autant d’hôpitaux, d’usines et de médiathèques que le pays aurait pu s’offrir avec la même somme. Au royaume de Mohammed VI, la LGV renvoie dos à dos le « Maroc utile », les zones urbaines situées sur la côte Atlantique, déjà largement développées, et le « Maroc inutile », les territoires enclavés ruraux et montagneux de l’Atlas. Pour le premier, le gouvernement n’hésite pas à investir afin d’améliorer sa compétitivité et de l’intégrer à des échanges mondialisés. Tandis que dans le second, des femmes meurent encore en couches faute d’avoir atteint l’hôpital le plus proche à temps. Construire le TGV n’empêche pas de travailler au désenclavement des régions les plus isolées, répliquent les autorités. En avril 2012, un débat est prévu entre le ministre de l’Équipement et du Transport, Aziz Rabbah, et les membres de Stop TGV mais, au dernier moment, le ministre fait marche arrière, excédé par un article affiché à l’entrée de la salle qui qualifie le TGV de « vol ». Peu importe, les discussions se poursuivent dans la presse et au Parlement. La rentabilité de la future ligne inquiète. Officiellement, le TGV doit transporter au moins 6 millions de voyageurs par an grâce à une fréquence élevée – un départ par heure – et à la capacité importante des rames (de 532 à 1 064 places). Dans ces conditions, le prix du billet sera à peine plus élevé que le tarif sur une ligne classique, tout en générant des profits, assurent les autorités. Impossible, estiment les détracteurs du projet, sans jamais obtenir gain de cause. MOBILISATION DU FONCIER Alors que les travaux, commencés fin 2011, se poursuivent, il devient vite clair que le projet ne sera pas livré à temps. Dans une interview à L’Économiste publiée début février 2015 – année supposée de l’inauguration de la LGV – le ministre Aziz Rabbah explique : « La révision de la date prévisionnelle de la mise en service de la ligne à grande vitesse Tanger-Casablanca tient entre autres à la mobilisation du foncier et aux procédures d’expropriation des terrains beaucoup plus longues et difficiles que prévu. » Depuis lors, le pays vit au rythme des petites annonces sur l’avancement du chantier. En avril, une visite de presse est organisée. Il s’agit de rappeler les performances du nouveau tracé, dont 2 km de viaduc, le plus grand d’Afrique, assure-t-on. Les premières images des trains circulent durant l’été, quand le Maroc reçoit ses deux premières rames, sur les 14 attendues. En septembre 2015, François Hollande, qui a succédé à Nicolas Sarkozy en 2012, vient inaugurer le centre de maintenance du futur TGV, accompagné d’une délégation de patrons du CAC40.

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ALAIN JOCARD/AFP

En septembre 2015, François Hollande inaugure le centre de maintenance de Tanger en compagnie du roi Mohammed VI, du directeur général de l’ONCF, Mohamed Rabie Khlie, et du prince héritier Moulay Hassan. Les travaux des gares de Rabat Agdal et Kénitra sont lancés en mars 2016. Entre-temps, en juillet 2015, Mohamed Rabie Khlie, le directeur général de l’ONCF, déclare que le TGV ne devrait être opérationnel qu’en 2018. Ce retard représentera nécessairement un coût supplémentaire, inconnu pour l’heure, qui conduit l’ONCF à lancer un nouvel emprunt obligataire. « Le coût global de la réalisation du projet LGV s’élève à 22,9 milliards de dirhams à fin décembre 2014, soit un ajustement du coût initial de 2,9 milliards […]. Le financement de ce dépassement est en cours de structuration avec les autorités et les bailleurs de fonds », indique-t-il dans sa note d’information. Les États du Golfe remettent donc la main à la poche. En mai 2016, la Banque islamique de développement accorde une rallonge de 101,5 millions de dollars au TGV marocain. Serviront-ils à éponger le retard de la première ligne ou à réaliser les suivantes ? Si le gouvernement islamiste était réticent en 2011, il a aujourd’hui remis sur la table le schéma directeur de la grande vitesse. « On est en train d’exproprier tous les couloirs qui vont servir au passage du TGV dans les prochaines années […]. La décision d’expropriation des terres est prise de manière anticipative, explique Aziz Rabbah à l’hebdomadaire Telquel, en octobre 2015, pour éviter les blocages au niveau du foncier. » La construction de la première ligne avait été précipitée par les liens entre le Maroc et la France. Mais, les deux pays n’ont plus les mêmes rapports. L’Hexagone a perdu sa position de premier partenaire commercial au profit de l’Espagne et plusieurs crises diplomatiques ont jalonné le mandat de François Hollande à la présidence. Le prochain gouvernement marocain, issu des législatives d’octobre 2016, attendra sûrement de voir fonctionner le TGV entre Tanger et Kénitra, avant de lancer les nouvelles lignes. La rentabilité socio-économique de cette première liaison et les finances du pays devraient décider de l’avenir du projet, à moins que le Palais royal ne tranche une

La BANQUE islamique de développement accorde une RALLONGE de 101,5 millions de dollars. Serviront-ils à ÉPONGER le retard de la première ligne ou à RÉALISER les suivantes ? nouvelle fois selon ses propres critères. « Le projet de la LGV est un exemple emblématique de la façon dont certains grands chantiers sont lancés au Maroc. La décision a été prise instantanément, sans débat, sans appel d’offres. Dès lors qu’il a été “adoubé” par le roi, plus personne ne veut le remettre en cause », résume Omar Balafrej, membre de Stop TGV, président de la pépinière d’entreprises Technopark et du mouvement politique de gauche Clarté Ambition Courage. Depuis, si les grands projets comme la centrale solaire de Ouarzazate, confiée au Saoudien Acwa Power, ou le parc éolien de Tarfaya, remporté par Nareva, filiale de la holding royale SNI, ont respecté la procédure régulière d’appel d’offres, la main du Palais n’a pas disparu. Quand le roi annonce des réalisations ou lance des travaux, ils restent difficilement critiquables. Majoritairement tournés vers les énergies vertes, les projets récents n’ont plus jamais suscité de débats comme a pu le faire la LGV. Mais, de la même manière, ils sont révélateurs des nouvelles alliances du royaume avec la Russie, la Chine et l’Inde. « Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix, a rappelé Mohammed VI lors d’un voyage en Arabie saoudite en avril 2016, et il n’est la chasse gardée d’aucun pays. » ❐

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UNE DATE, UNE HISTOIRE par Akram Belkaïd

alger, 1er avril 1964

Le dinar entre en scène

La jeune Algérie montre la voie en devenant le premier pays africain à imprimer ses propres billets.

U Pour les responsables politiques algériens, l’indépendance ne veut rien dire si la monnaie reste contrôlée par l’ancienne puissance coloniale. 40

n an et demi après l’indépendance, en décembre 1963, les relations entre l’Algérie et la France sont tendues. À Paris, on ne supporte plus les diatribes anticoloniales récurrentes du président Ahmed Ben Bella, lequel accueille tout ce que la planète compte comme leader révolutionnaire. À Alger, on ne pardonne pas au gouvernement français d’avoir soutenu le Maroc dans le bref conflit militaire frontalier de la Guerre des sables. Pour signifier à l’ancienne métropole que son pays a définitivement « recouvré sa souveraineté », Ben Bella décide qu’il faut frapper un grand coup. Comme le fit en son temps l’émir Abdelkader, figure historique de la lutte indépendantiste au XIXe siècle, l’Algérie doit battre sa propre monnaie et donc sortir de la « zone franc », en vigueur depuis 1848. Les fonctionnaires du ministère des Finances ainsi que les responsables de la toute nouvelle Banque centrale sont très réticents. Après huit années de guerre, le pays est exsangue. De plus, le climat politique reste incertain, même si le président Ben Bella et son allié, le colonel Houari Boumédiène, ministre de la Défense, ont pris l’ascendant sur leurs rivaux. « Nous

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manquions de cadres et d’expertise. C’était un défi immense que de créer une monnaie ex nihilo », se souvient Abderrahmane Ammour, ancien directeur de l’Hôtel des monnaies (19642009). Les coopérants français, qui aident le jeune État à s’organiser, mettent en garde contre une initiative qu’ils jugent prématurée. Mais les responsables politiques algériens n’en ont cure. Pour eux, l’indépendance ne veut rien dire si la monnaie, l’un des attributs de la souveraineté d’un pays, reste contrôlée par l’ancienne puissance coloniale. La décision est prise. Au printemps 1964, l’Algérie disposera de sa propre devise. Reste à faire un choix entre les trois principaux noms de monnaie dans le monde arabe : dinar, rial et dirham. Ce sera le premier, qui permet notamment de se distinguer du voisin marocain. Des artistes comme le miniaturiste Omar Racim sont convoqués pour dessiner les premiers billets et des négociations sont engagées avec Paris pour une assistance technique. Les autorités françaises acceptent de soutenir l’initiative mais posent une condition majeure : une fois autonomes sur le plan monétaire, les Algériens doivent s’engager à ne pas inciter ni aider leurs homologues africains de la zone CFA à suivre leurs pas… Sur le plan logistique, Alger dispose d’un atout


CGB NUMISMATIQUE PARIS

majeur avec l’existence sur son sol d’un établissement monétaire créé en 1925 pour imprimer le franc. Il suffit de changer les plaques pour émettre les premiers dinars. Grâce à cela, l’Algérie devient le premier pays arabe – et africain – à imprimer ses propres billets. Le 1er avril 1964, c’est la sortie officielle de la zone franc. La population est appelée à échanger ses pièces et billets contre la nouvelle devise. La parité retenue est d’un franc pour un dinar. Elle restera en vigueur jusqu’au début des années 1970, avant de s’engager dans un déséquilibre permanent au détriment de la devise algérienne. Prudentes, les autorités ont refusé qu’elle soit convertible (on peut changer ses francs en dinars mais pas l’inverse) et la Banque centrale applique un contrôle des changes très tatillon, qui ira en se durcissant. Passé le moment de fierté, les limites de la monnaie apparaissent au grand jour. Les nationalisations, l’étatisation des circuits commerciaux, les restrictions d’importations de produits courants provoquent des pénuries qui obligent les ménages à faire leurs emplettes à l’étranger. Ne pouvant acheter de francs ni d’autres devises fortes auprès de leur banque, les Algériens se tournent vers le marché parallèle. Ce dernier devient très vite un excellent

indicateur de l’état de santé de l’économie. Il est notamment alimenté par les compatriotes qui résident en France et achètent des dinars pour construire « au bled » ou pour aider leurs familles restées sur place. Des filières organisées voient le jour. Des « banquiers » installés dans les périphéries des grandes villes de l’Hexagone brassent des millions de francs puis d’euros, dont la contrepartie en dinars est versée en Algérie. Le beau symbole a perdu de son lustre. Avec la récente chute des cours du pétrole et les difficultés économiques associées, la devise algérienne est en pleine dégringolade. Elle a perdu près d’un quart de sa valeur depuis un an. Mais elle demeure l’unique monnaie des transactions nationales – contrairement à certains pays arabes où règnent d’autres devises comme £le dollar – avec 2 000 milliards de dinars en circulation en 2015. Reste qu’il faut près de 110 dinars pour acheter un dollar et 125 pour un euro (160 sur le marché parallèle). Malgré ces parités défavorables, le Fonds monétaire international (FMI) juge que l’Algérie doit procéder à de nouvelles dévaluations. Si cela se réalise, les prix des produits importés augmenteront encore (+30 % depuis 2014) et les Algériens continueront à délaisser leur monnaie pour placer leur épargne en euros. ❐

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Hommage au monde rural avec les vautours de l’Atlas et une ferme sur le billet de 5 dinars. Vue du port et de la ville d’Alger sur celui de 100.

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RENCONTRES & REPORTAGES

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Sacha Poignonnec CODIRECTEUR GÉNÉRAL D’AFRICA INTERNET GROUP

« Nous sommes sur un marché naissant » E-commerce, réservation d’hôtels, livraison de repas… L’ « Amazon de l’Afrique » vient de rassembler toutes ses activités sous la bannière de sa marque la plus emblématique, Jumia. Soutenu par Axa ou encore Orange, le groupe a doublé son chiffre d’affaires en 2015 et levé 375 millions d’euros depuis le début de l’année. Le début d’une success-story ? Propos recueillis à Paris par Julien Wagner

C

’est l’histoire d’une ascension phénoménale. Créé en 2012, Africa Internet Group (AIG) revendique aujourd’hui près de 3 millions de clients, 10 millions de commandes et un chiffre d’affaires proche de 300 millions d’euros. Le leader africain du commerce en ligne (filiale de l’entreprise allemande Rocket Internet, fondée en 2007 par les frères Samwer) est connu sur le continent à travers ses différents sites : Jumia, Jovago, Kaymu, Lamudi, Carmundi ou encore Hello Food. Fin juin, ils ont tous été rassemblés sous un seul drapeau, celui de la marque phare du groupe, Jumia. Ainsi, Kaymu est devenu Jumia Market, Hello Food s’appelle désormais Jumia Food, Jovago se transforme en Jumia Travel… Au total, neuf services sont disponibles dans 23 pays africains. Jumia, dont le siège social est à Lagos (Nigeria), a développé des antennes à Casablanca, Nairobi et au Cap, ainsi qu’un centre de recherche et de marke-

ting à Paris. Son succès a été soutenu par des actionnaires puissants, notamment l’opérateur de téléphonie sud-africain MTN (Mobile Telecommunication Networks), qui détient 40 % du capital. Il est aussi le fruit du talent des deux cofondateurs du groupe, Jérémy Hodara et Sacha Poignonnec. Purs produits des grandes écoles françaises, ils affichent un appétit entrepreneurial tout anglo-saxon. Le rebranding qui vient d’avoir lieu doit permettre au groupe d’« unifier ses services pour améliorer et simplifier l’expérience client », explique Sacha Poignonnec. Un geste de consolidation « défensif » pour certains analystes, compte tenu du contexte économique défavorable, notamment au Nigeria, marché crucial pour Jumia. Malgré sa croissance soutenue, le groupe enregistre d’importantes pertes, avec un Ebitda (Earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization, soit les revenus d’une entreprise avant intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobi- ■ ■ ■

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Sacha Poignonnec

lisations) à −110 millions d’euros en 2015 contre −49 millions en 2014. Cela n’entache pas l’enthousiasme de Sacha Poignonnec, ambitieux dirigeant de 36 ans, qui nous a reçus entre deux call conferences. ■■■

AMB : Depuis le début de l’année, vous avez levé 375 millions d’euros auprès d’anciens et de nouveaux actionnaires, dont MTN, Axa, Orange et Goldman Sachs. Qu’allez-vous en faire ?

Pourquoi la plateforme Jumia, qui représente près des deux tiers du chiffre d’affaires 2015 d’AIG, se distingue-t-elle autant des autres sites ? La marque a été créée avant les autres, en 2012. Son site a bénéficié d’une phase de maturation bien plus longue et a été lancé dans des pays importants, comme le Nigeria. Il ne faut pas oublier non plus que le potentiel du marché de la vente en ligne est bien plus conséquent que celui de la livraison de repas ou de la réservation d’hôtels. Jumia se positionne sur la colonne vertébrale du e-commerce, le segment qui forme le plus gros du marché. Sa prééminence est donc naturelle. Nos autres services ont aussi un énorme potentiel. Pour la plupart, ils ont une croissance à trois chiffres.

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matière de formation sont très importants et requièrent du temps comme un investissement conséquent. Bref, c’est un secteur qui exige beaucoup de ressources alors qu’il existe un taxi à quasiment chaque coin de rue sur le continent.

C’est un échec ? Non. C’est juste la réalité du business. Dix pas en avant, un pas en arrière. Ce sont des choses qui arrivent. Ce n’est d’ailleurs pas notre première difficulté. Dès le départ, nous avons fait des erreurs. Par exemple, nous avons bien pensé à sensibiliser nos clients, mais pas assez à former nos collaborateurs. Nous faisons constamment des erreurs, elles nous aident à acquérir de l’expérience.

Pouvez-vous donner d’autres exemples ? Notre stratégie consiste à connecter des marchés à des consommateurs pour que des transactions puissent avoir lieu. C’est notre métier. Pour réussir, il faut trois choses : l’offre, la demande et que les conditions soient réunies pour que les deux se rencontrent. En Zambie, nous avons lancé Kaymu (devenu Jumia Market) et cela n’a pas marché : l’offre n’a pas rencontré la demande car les Zambiens ont l’habitude d’acheter en Afrique du Sud.

Pourquoi avoir abandonné Easy Taxi, votre service de réservation de taxi ?

Quel était votre modèle d’affaires ? Celui-ci a-t-il évolué ?

C’est un business dans lequel nous croyons mais qui va mettre longtemps à se développer en Afrique. Les gens aisés ont des chauffeurs et n’utilisent pas ou peu le taxi. Les besoins en

Au tout début, nous nous sommes dit : “le e-commerce a marché partout dans le monde, pourquoi ne marcherait-il pas en Afrique ? ”. Bien sûr, nous avons trouvé plein d’arguments

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CAPTURE D’ÉCRAN

Nous allons l’utiliser pour financer le développement de la société. Concrètement, cela veut dire investir dans la marque et dans le marketing. Nous avons besoin de communiquer pour présenter nos nouveaux services. Une autre partie des fonds sera dédiée à l’amélioration de nos sites Internet. Chacun de nos services fonctionne grâce à quatre plateformes : le desktop, le site mobile, les applications iPhone et Android. C’est beaucoup. Sans compter que s’ajoute à chaque fois une interface spécifique dédiée au vendeur. Or, nous avons aujourd’hui plus de 500 000 partenaires qui utilisent nos plateformes. Tout cela exige énormément de ressources. Pour finir, des équipes de commerciaux iront former nos vendeurs, nos livreurs, éduquer nos clients.


« Nous sommes sur un marché naissant »

contraires : la rareté des cartes de paiement, les difficultés d’accès à Internet, de transport, l’absence d’un marché de vente par correspondance préalable et d’un réseau de distribution structuré… Mais, on s’est aussi dit que l’Afrique était passée de rien au smartphone très rapidement. Et que depuis les aéroports de Roissy à Paris ou d’Heathrow à Londres, des milliers d’Africains rentraient chaque année avec des kilos de bagages pour échanger ou vendre des produits. Il y avait forcément un marché. Il fallait essayer. On a ciblé les quatre points cardinaux, le Maroc, l’Égypte, le Nigeria et l’Afrique du Sud, puis on s’est lancé.

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Comment avez-vous fait concrètement ? Jérémy Hodara et moi, nous sommes d’abord allés à Casablanca, au Maroc. Nous avons recruté quelques commerciaux, créé une entité juridique et loué un bureau. Les commerciaux ont pris rendez-vous avec des marques et leur ont proposé nos services. Nous avons aussi mis en place un customer service pour répondre aux clients, puis une petite équipe logistique. Ça a fonctionné et nous avons appliqué la même méthode dans les autres pays. Sur les premiers mois, plusieurs centaines de milliers d’euros ont été investis, principalement dans les trois piliers indispensables à une expérience client satisfaisante : un site avec une gamme de produits suffisante, un service après-vente et la logistique. Une fois que les trois piliers étaient solides, nous avons investi dans le marketing pour apporter du trafic aux sites.

Votre chiffre d’affaires a été multiplié par cinq en deux ans. Votre développement futur ne risque-t-il pas d’être entravé par des questions logistiques comme l’accès à l’électricité ou à Internet ? Pour l’instant, on en est encore assez loin. Selon moi, le premier goulet d’étranglement sera plutôt du côté de l’offre. Allez sur le site de Jumia en Côte d’Ivoire, vous trouverez tous les produits existants dans le pays. Mais cela reste insuffisant. Si vous cherchez des jouets éducatifs pour des enfants de 5 ans, vous n’obtiendrez que trois références contre des milliers sur Amazon. Pour surmonter ce problème, il faut que l’importateur de Disney, de Mattel ou d’autres marques comprennent qu’un marché existe en Côte d’Ivoire. Et cela peut prendre du temps.

En 2015, 1,6 million de commandes ont été passées sur Jumia. Ci-dessus, le centre de marketing et de « business intelligence », à Paris.

Vous essayez de convaincre les importateurs alors ? Oui. Mais surtout, nous encourageons autant que possible les Africains à produire localement. L’offre et la demande ne se rencontrent pas de

Il faut que l’importateur de Disney, Mattel ou d’autres MARQUES comprennent qu’un MARCHÉ existe sur le continent. Et cela peut prendre du TEMPS. SEPTEMBRE- OCTOBRE 2015

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Sacha Poignonnec

façon parfaite sur le continent. La demande est principalement servie par des produits conçus et fabriqués à l’étranger. Or, nous pensons que ce qui est produit sur place correspond a priori mieux au marché local. C’est ce que nous mettons en avant dans nos campagnes marketing. C’est pourquoi nous insistons auprès de nos vendeurs pour qu’ils produisent davantage. Nous les aidons aussi à identifier les besoins mal satisfaits en leur communiquant les mots clés inscrits par les clients dans nos barres de recherche.

Vos clients se trouvent-ils principalement dans les grands centres urbains ?

E-COMMMERCE EN AFRIQUE

2 %

du marché mondial avec un chiffre d’affaires de

8 milliards de dollars en 2013.

Potentiel de

50 milliards de dollars d’ici 2018. Source : Deloitte.

Pas forcément. Nous avons appris à ne pas négliger les villes secondaires. En Algérie, Alger ne représente que 20 % de nos commandes. En Côte d’Ivoire, un tiers des commandes ne provient ni d’Abidjan, ni de Yamoussoukro. Au Nigeria, Lagos représente moins de 50 % de nos ventes. Tout est question de déconnexion entre offre et demande. Faire un achat à Lagos, ce n’est pas si facile. Il faut savoir où aller, se rendre dans un marché par 40 °C, garer sa voiture puis négocier… Mais pour celui qui vit à 200 km de la grande ville, c’est mission impossible. Ce problème est résolu par le e-commerce. D’une certaine façon, nous participons au désenclavement des territoires.

Comment avez-vous réussi à toucher ce public rural ? De trois manières. La première, en ligne, via le téléphone mobile. La deuxième, avec des publicités à la télévision, la radio, pour démocratiser la marque et qu’elle inspire confiance. Enfin, nous avons développé une « Jumia force ». Des agents un peu partout dans le pays qui vont prêcher la bonne parole auprès d’amis et connaissances.

Vous êtes présents dans 23 pays d’Afrique à travers différentes marques. Allez-vous vous lancer ailleurs ? Tous nos services ne sont pas encore présents partout. Nous voulons d’abord les étendre dans tous ces pays, engager un travail de consolidation. Nous sommes par exemple implantés en Tunisie via Jumia Market et Jumia House mais pas avec Jumia Food. Nous travaillons à y remédier dès l’an prochain. Dans les ouvertures, nous lancerons bientôt nos activités en République démocratique du Congo.

C’est un pays réputé difficile… Nous irons bien équipés. Avec quatre ans de connaissances accumulées. Quatre ans d’expérience font la différence.

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Carrefour, Casino et la Fnac investissent en Afrique, physiquement mais aussi sur Internet. Comment voyez-vous cette concurrence ? Nous sommes sur un marché naissant. Tout ce qui contribue à sa croissance va dans le bon sens. De grands groupes, comme Casino avec Cdiscount, sont déjà présents sur Internet dans certains pays du continent. Ces nouveaux entrants peuvent accélérer la création des conditions nécessaires au développement du e-commerce.

Il émerge de petits concurrents africains, comme Wandashop au Cameroun… Parmi les acteurs locaux, beaucoup vendent sur nos sites. De la même manière que sur Cdiscount ou Amazon, un grand nombre de vendeurs sont eux-mêmes des e-commerçants. Chacun bénéficie de l’écosystème. Quand nous faisons de la publicité, les clients vont d’abord aller sur Jumia, puis ils navigueront ailleurs. Si ces sites ont fait un bon travail en amont, ils bénéficieront forcément des efforts fournis par des entreprises comme la nôtre.

Amazon ou Ali Baba constituent-ils une menace pour vous ? S’ils décidaient de s’installer en Afrique, leur force de frappe serait considérable… Jusqu’à il y a deux ou trois ans, Amazon n’était présent que dans 13 pays dans le monde, surtout en Amérique du Nord et en Europe. Le groupe vient d’annoncer un investissement de trois milliards de dollars en Inde. Mais, je ne crois pas que l’Afrique arrive bien haut dans sa liste de priorités. Quant à Ali Baba, c’est un peu pareil. Il vient seulement de mettre les pieds hors de Chine. L’Afrique semble loin. Ces entreprises n’ont aucune connaissance du continent et peu d’expérience en dehors de leur propre marché. L’apprentissage peut être long.

Une partie de vos bureaux est à Paris et la majorité de vos actionnaires sont occidentaux. Qu’est-ce qui est africain dans AIG ? Tout le reste. Je rappelle que notre plus gros actionnaire est la multinationale sud-africaine MTN (Mobile Telecommunication Networks). Paris est notre centre de marketing online et de business intelligence. Nous avons été contraints de l’installer ici parce que, malheureusement, nous n’avons pas trouvé pour l’instant 150 ingénieurs dans ce domaine en Afrique. Il fallait bien que nous possédions ces compétences en interne pour être capables de servir nos clients.


Le groupe a opté pour une organisation décentralisée, chaque site disposant de ses propres entrepôts et stocks (ici au Nigeria).

Vous espérez pouvoir le délocaliser sur le continent à terme. Où ? Cela se jouera entre le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, le Nigeria et le Kenya. Mais il faut auparavant que les compétences sur place se créent. Nous apportons notre pierre à l’édifice : les personnes que nous embauchons au Nigeria ou ailleurs et qui viennent travailler à Paris, rentreront un jour diffuser le savoir acquis.

Vos actionnaires, c’est vous qui les avez choisis ou l’inverse ? L’Afrique intéresse beaucoup, comme notre projet. Nous recherchons des actionnaires qui apportent de la valeur, pas seulement de l’argent. Dès le départ, par conséquent, nous avons engagé des discussions avec les investisseurs qui nous intéressaient.

Que MTN, l’actionnaire majoritaire, et Orange, un nouvel entrant, soient concurrents, ne pose pas de problème ? Non, ils savent qu’ils ont intérêt à s’engager sur le long terme avec nous. Ils comprennent qu’ils n’ont pas besoin de tout contrôler seuls. Enfin, ils ne sont concurrents que sur certains marchés.

DR

Quel est l’apport d’Axa ? Ce qu’ils savent faire, tout simplement. La pénétration de l’assurance en Afrique est encore très faible. Parce que les produits ne sont pas adaptés et parce que les Africains n’ont pas encore vraiment compris l’intérêt de se protéger contre un risque. Nous allons donc travailler ensemble pour distribuer des produits d’assurance en ligne. Cela nous permettra, par exemple, d’offrir à un client qui achète une télévision une garantie de cinq ans au lieu de deux. Axa va élaborer ce service avec son savoir-faire, en signant les

Nous avons appris à ne pas négliger les VILLES SECONDAIRES. En Algérie, la capitale ne représente que 20 % de nos commandes. contrats adaptés avec les bons réparateurs. Pour nous, c’est un revenu additionnel. Pour eux, un moyen de développer leur business. C’est un bon mariage, de besoins et d’opportunités.

Jumia a perdu plus de 60 millions de dollars en 2015. Vos actionnaires vous mettent-ils la pression ? Bien sûr. Mais cette pression est aussi exercée par tous les salariés de Jumia et d’AIG, par moi, par Jérémy… Tout le monde est conscient que nous sommes une entreprise et, qu’un jour, nous devrons gagner de l’argent. Si nous en perdons aujourd’hui, c’est parce que nous sommes en phase d’investissements. Nous sommes en train de mettre en place les conditions pour générer les bénéfices futurs.

Quand atteindrez-vous la rentabilité ? Quand cela aura du sens. Amazon a mis quinze ou seize ans à accoucher de son premier trimestre rentable. Mais il a démontré qu’il fallait continuer à investir pour faire grossir le groupe et atteindre l’objectif. C’est pareil pour nous. Sans que cela nous dispense pour autant de regarder la profitabilité de notre business au niveau unitaire. Chaque jour, nous nous assurons que chaque commande est rentable. Si nous ne le faisions pas, nous resterions juste une belle idée. Une autre parmi toutes celles qui n’ont pas marché. ❐

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Mines

Deux ans après la signature de l’accord cadre avec l’État guinéen, le géant Rio Tinto renonce à exploiter l’un des plus importants gisements de fer au monde. Ce projet à 18 milliards de dollars devait pourtant amorcer le développement du pays. C’était compter sans la chute du cours des matières premières.

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MIKE ABRAHAMS

Construction d’une route en 2011, en vue de l’exploitation du gisement guinéen.

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Simandou

La fin du rêve

Par Coralie Pierret, à Conakry

E

st-ce la fin d’un feuilleton économicopolitique qui dure depuis plus de vingt ans ? Début juillet, l’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre, reprise en boucle sur les radios, réseaux sociaux et dans les journaux télévisés. « Les coûts du projet Simandou sont trop élevés au regard du marché du minerai de fer qui souffre d’une énorme surcapacité », déclare dans le quotidien britannique The Times Jean-Sébastien Jacques, le nouveau président-directeur général de Rio Tinto, le jour même de sa prise de fonction. Même si la nou-

velle a provoqué le dépit de nombreux Guinéens, dans les cercles initiés, elle n’a guère surpris. « Des tractations pour les licenciements et les départs volontaires se jouaient depuis des semaines en sousmain. Les dirigeants ont égrainé les informations ici ou là pour alimenter la chronique et préparer les esprits, avant l’annonce officielle du patron », raconte Boubacar Sanso Barry, spécialiste du dossier et journaliste à ledjely.com, site d’information guinéen. Rio Tinto ne donne ni dates ni chiffres, mais selon plusieurs sources, d’ici décembre 2016, les effectifs devraient être considérablement ■ ■ ■

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RENCONTRES & REPORTAGES ■■■ réduits en Guinée. Déjà, à près d’un millier de kilomètres de la capitale, l’activité autour du mont Simandou est à l’arrêt. « Les centaines de 4x4 de l’entreprise sont garés dans la zone de Beyla et de Kérouané [préfectures sur lesquelles s’étend la chaîne montagneuse, NDLR]. Les machines ne fonctionnent plus », affirme Youssouf Sylla Sidibé de l’Association pour le développement et le soutien de la vérité en Guinée (ADSVG). Le caractère exceptionnel du site, l’un des plus importants gisements du monde, avec une estimation de 100 millions de tonnes à produire sur quarante ans, n’y a rien fait.

COUP D’ARRÊT À ce jour, les deux tiers des fonds nécessaires au développement du projet manquent à l’appel. Surtout, le torchon brûle entre l’État et le géant minier. Principal point de blocage : qui doit attirer les investisseurs ? Chaque partie se renvoie la balle. Rio Tinto « investira seulement dans la mine [à hauteur de 6 milliards de dollars, NDLR] et, par conséquent, pas dans le consortium pour les infrastructures », peut-on lire sur le site Internet du groupe. « La société demeure liée par ses engagements pris au sein de Simfer S.A. [un consortium créé entre Rio Tinto, Aluminium Corporation of China Limited (Chinalco), la Société financière internationale (SFI) et l’État guinéen, NDLR] », réplique le ministre des Mines et de la Géologie, Abdoulaye Magassouba. Quant au président guinéen, Alpha Condé, il n’a fait aucun commentaire après l’annonce officielle du retrait de Rio Tinto. Mais, quelques jours auparavant, le Premier ministre, Mamady Youla, dévoilait en conférence de presse que Alan Davies, vice-président du groupe minier, n’avait finalement pas été reçu par le chef de l’État lors de sa visite à Conakry. Actuellement, Rio Tinto est le principal actionnaire de la mine (à hauteur de 46,6 %), suivi de Chinalco (41,3 %), de l’État guinéen (7,7 %) et de la SFI (4,6 %). « L’Anglo-Australien pourrait tout de même garder des intérêts dans le projet, à hauteur de 5 % par exemple. C’est le souhait de Chinalco, le deuxième actionnaire de Simfer S.A. », affirme Aboubacar Akoumba Diallo, directeur du centre de recherche Bureau minerais et stratégies. Reste que l’État guinéen doit trouver un repreneur. « Pour le moment, personne ne se bouscule, reprend Aboubacar Akoumba Diallo. Or, le temps presse. Fin 2016, Rio Tinto va publier son bilan annuel dans lequel, logiquement, le projet sera dévalué. Cela n’incitera pas les investisseurs à reprendre le flambeau. » Le spécialiste minier n’exclut pas non plus des suites judiciaires à cette affaire, l’État pouvant décider de poursuivre Rio Tinto devant les tribunaux… et vice-versa ! « Le groupe privé pourrait exiger le remboursement des 700 millions de dollars payés dans le cadre d’un accord transactionnel

Mines conclu en 2011. À cela s’ajouteraient les investissements de Rio Tinto sur le projet, chiffrés à environ 1,5 milliard de dollars. Or, dans l’hypothèse où les parties s’engageraient sur cette voie, elle serait très risquée pour l’État, qui n’a pas les moyens de débourser de tels montants. » La reculade de Rio Tinto est le résultat de perspectives mondiales mauvaises. En 2016, le cours du fer s’est effondré et avoisine actuellement les 50 dollars – alors qu’il valait plus du triple cinq ans plus tôt. Le marché des métaux est malade de la surproduction. Les géants miniers continuent à l’approvisionner alors même que la demande chute depuis trois ans. En 2015, 40 % des exportations se sont faites à perte, estiment les experts du cabinet d’analyse et de conseil londonien CRU Group. Ce recul s’explique en grande partie par le ralentissement de la croissance chinoise qui réduit mécaniquement son appétit pour le fer. Sans oublier que la Guinée est un terrain d’investissement particulièrement difficile, en raison de son instabilité politique et de son manque de transparence, rappelle le rapport du think tank canadien Fraser Institute. Dans la dernière édition du classement de la Banque mondiale sur le climat des affaires (« Doing Business »), Conakry pointe à la 165e position sur 189. Qu’il soit temporaire ou définitif, ce coup d’arrêt interrompt une longue histoire du fer en Guinée. Dans le village de basse montagne de Moribadou, au cœur de la forêt, Djiba Condé feuillette un album photo jauni. Il y a plus de vingt ans, il était guide pour les premiers explorateurs. « Nous avons marché à travers les collines pendant des jours à la recherche du gisement. Puis, nous avons planté les tentes du premier camp à Canga Est », se souvient le vieux monsieur courbé en boubou blanc. Au milieu des années 1990, une effervescence s’empare alors du pays qui se lance tout entier dans une ruée vers le minerai. Des travailleurs affluent par milliers, des Guinéens mais aussi des voisins libériens et ivoiriens. « À l’époque, nous avions grand espoir pour la région forestière mais aussi pour toute la zone, se souvient Djiba Camara, le président des jeunes du hameau. On nous avait promis des formations, des emplois, des infrastructures modernes. De partout en Afrique, les gens venaient pour trouver du travail. » Les géants internationaux du secteur, la société Beny Steinmetz Group Resources (BSGR), la compagnie brésilienne Vale, Rio Tinto et leur sous-traitant Chinalco se livrent une bataille féroce. À l’époque, l’affaire défraie la chronique (voir AMB no 6). Après de longues années de prospection et de lobbying auprès des autorités, le géant BSGR du milliardaire Beny Steinmetz signe en 2006 un contrat de concession minière pour exploiter une partie du gisement de Simandou avec le gouvernement. Un contrat rompu en avril 2014, après la publication d’un

Le marché des métaux est MALADE de la surproduction. Les GÉANTS continuent à le fournir alors même que la demande CHUTE depuis trois ans.

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Simandou La fin du rêve Rien ne va plus entre le président guinéen Alpha Condé (ci-contre) et Rio Tinto, dont le nouveau PDG, le Français JeanSébastien Jacques (ci-dessous), a annoncé son retrait de Simandou.

FABRICE COFFRINI/AFP - PAUL HACKETT/REUTERS

rapport du Comité technique de revue des titres et conventions miniers (CTRTCM), organe public chargé de contrôler la transparence du secteur. « Le contrat a été obtenu en échange d’une importante somme d’argent », pointe l’organisme, qui soupçonne BSGR d’avoir corrompu certains cadres guinéens. Une brèche s’ouvre alors pour les Anglo-Australiens de Rio Tinto qui réussissent à tirer leur épingle du jeu en signant avec les autorités un contrat d’exploitation le mois suivant. La phase exploratoire est à l’époque déjà bien avancée. « À partir de 2008, Rio souhaitait que l’exploitation aboutisse à tout prix », insiste une source proche de l’entreprise. HABITANTS DÉSABUSÉS Des engins sont transportés par paquebot, puis acheminés dans des camions jusqu’à la mine. Les premiers travaux consistent à bâtir des pistes et à importer de l’eau et de l’électricité dans la zone pour faire fonctionner les machines. Une tâche titanesque dans cette région enclavée. Une vingtaine de foreuses fonctionnent 24 heures sur 24. « Nous avions un budget de fonctionnement d’un million de dollars par jour. Nous avons sûrement brûlé certaines étapes, mais il fallait faire vite », poursuit la même source qui souhaite rester anonyme. Car à cette époque, les cours s’envolent : en 2011, le fer dépasse les 180 dollars la tonne. En juin 2014, c’est la consécration pour Rio Tinto. La convention est ratifiée par l’Assemblée nationale. « À terme, cela doublera le produit intérieur brut (PIB) du pays », insistait, en juillet 2015, le président de la République Alpha Condé. Les ambitions sont pharaoniques : l’édification d’une ligne de chemin de fer multi-usages et multi-usagers de

650 kilomètres et un port en eau profonde au sud de Conakry sont prévus. Du jamais vu sur le continent. Durant ces années fastes, l’économie locale change. Les ouvriers remplacent les cultivateurs, les toits de tôle ceux de paille. « Nous avons développé la pépinière d’entreprises de Beyla, rafraîchi l’hôpital et la préfecture, construit un centre de formation professionnelle et un stade à Kérouané », souligne le groupe anglo-australien, estimant avoir rempli sa part du contrat. Depuis 2012, il finance également la construction de l’axe routier Beyla-N’zérékoré, qui relie deux importantes préfectures de la région et devait faciliter l’exploitation de la mine. Les camions et travailleurs de l’entreprise de travaux publics Sogea-Satom s’affairent encore alors que les opérations doivent se terminer à la fin de l’année. Dans toute la commune de Beyla (50 000 habitants), des pancartes rappellent les actions de responsabilité sociale de la multinationale. Cela n’empêche pas la population d’être amère. Les villageois sont bien conscients des richesses qui les entourent. « Mais, on se demande si la solution pour le développement se trouve entre les mains des miniers », explique Lamine Traoré, membre du collectif local du mouvement international Publiez ce que vous payez. « En région forestière, d’autres mines sont convoitées depuis l’indépendance, au mont Nimba notamment. Mais c’est toujours le même scénario, poursuit-il. Les entreprises débarquent en faisant de grandes promesses, puis repartent une fois que les conditions du marché ne sont plus favorables. Ce sont des engagements trop instables sur lesquels nous ne pouvons pas compter. » Pour Djiba Camara, le président de la jeunesse de Moribadou, « le mieux serait que le gouvernement arrête d’essayer de négocier avec les grandes compagnies ». « Rien ne progresse, lâche-t-il et, au contraire, nos modes de vie sont bouleversés. » ❐

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LE RENDEZ-VOUS par Emmanuelle Pontié

Venkataramani Srivathsan Directeur général d’Olam pour l’Afrique et le Moyen-Orient

I 1988 Il débute sa carrière au sein du groupe industriel Sanmar, en Inde.

1993 Recruté par Olam, il s’installe à Lagos au Nigeria comme contrôleur financier.

1998 Il devient directeur régional du groupe pour six pays africains.

2011 Il rejoint la direction centrale à Singapour, en charge du continent et du Moyen-Orient.

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l est midi à Singapour en cette fin août. Au Grand Copthorne Waterfront Hotel, la 4e édition du Africa Singapore Business Forum (ASBF), qui encourage les relations économiques entre le continent et la cité-État, bat son plein. Parmi les entreprises participantes, et tête de pont des sociétés installées sur le marché africain, Olam, le géant singapourien de l’agrobusiness. Les liens entre le continent et le groupe ne datent pas d’hier. Ce dernier a démarré il y a 26 ans au Nigeria, où il expédiait des noix de cajou vers l’Inde afin de les transformer avant de les réexporter. Entre deux ateliers, Venkataramani Srivathsan, son directeur général pour l’Afrique et le Moyen-Orient, nous rejoint au Tempo Bar. Très pro, souriant, regardant un peu sa montre, cet homme de 51 ans se souvient. Il est né à Chennai dans le Sud de l’Inde et a grandi entouré de deux sœurs et d’un frère. Son père travaille pour une société de transport, sa mère est femme au foyer. En 1988, il obtient son Certified Public Accountant (CPA) en comptabilité publique, l’équivalent d’un Master of Business Administration (MBA), et intègre dans la foulée le groupe industriel Sanmar dont le siège se situe dans sa ville d’origine. Il a 23 ans, un travail, une situation mais il s’ennuie… « J’avais toujours rêvé d’un peu plus d’aventure, de nouveauté, confie-t-il. Et

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dans mon enfance, je passais souvent mes vacances dans les champs de ma grand-mère et de mon père, issus d’un milieu rural. Les études d’agriculture n’étaient pas très valorisées à l’époque en Inde, c’est pourquoi j’avais opté pour les chiffres. Mais j’ai vite senti que ce n’était pas vraiment ma voie. » En 1991, il se marie. L’année suivante, Olam, en plein développement, passe une annonce dans un journal indien pour un poste en Afrique. Sa proposition attire l’attention du jeune comptable. Fin 1993, après une longue série d’entretiens, il part en poste à Lagos, comme contrôleur financier. « Mon entourage me prenait pour un fou. Mais moi, j’étais ravi de partir à l’inconnu, au moment où Olam se lançait dans de nouveaux secteurs en Afrique », se souvient-il. En 1995, il s’envole pour le Ghana en tant que directeur général. Entre-temps, monsieur Srivathsan a eu un fils et sa petite famille l’accompagne partout. Trois ans plus tard, retour à Lagos, comme directeur général puis directeur régional pour le Cameroun, le Bénin, le Togo, le Ghana et le Gabon. Un poste qu’il occupe jusqu’en 2010. Entre-temps, Olam a grandi. Le géant asiatique opère désormais dans 70 pays, dont 25 sur le continent. En 1996, il a déménagé son siège de Londres à Singapour, plaque tournante des échanges entre l’Afrique et l’Asie. Et c’est en 2011 que Venkataramani y rejoint la direction centrale, en charge de l’Afrique et du Moyen


IE SINGAPORE

Orient. « Je vais sur le terrain tous les mois. J’y séjourne en moyenne 2 à 3 jours, pour les “petits pays” d’activité, comme l’Ouganda ou la Tanzanie, et jusqu’à 5 jours dans les plus grands, tels que le Nigeria ou le Gabon, explique-t-il. Mais, compte tenu de l’éloignement, et du manque de connexions, mes séjours durent en réalité entre une semaine et dix jours. » Lorsqu’on lui demande ce qu’il aime et ce qui lui déplaît en Afrique, il répond, direct : « Ce que j’adore, c’est la chaleur exceptionnelle des gens, leur fidélité en amitié. Ce qui m’agace ? Les liaisons aériennes entre les pays sont pratiquement inexistantes. C’est un vrai frein au business panafricain. » Il se trouve que monsieur Srivathsan est aussi le président du comité consultatif de l’ASBF, Olam étant l’un des sponsors les plus actifs du forum depuis sa première édition en 2010. Singapour, son développement et son modèle économique, sont souvent cités en exemple dans les pays africains. « L’archipel est parti de rien. Mais le travail, la détermination et l’imagination expliquent ce que l’on est devenu aujourd’hui et ce que l’on peut offrir aux jeunes générations, souligne-t-il. L’Afrique compte 54 pays et autant d’histoires, de cultures et de modes de développement différents. Pourtant, je pense

que certains États pourraient s’inspirer de la réussite de Singapour. Prenez l’exemple du Rwanda : depuis une dizaine d’années, ses plans d’urbanisme et de business semblent très influencés par les nôtres. Après avoir vécu et voyagé vingt-cinq ans sur ce continent, je constate des évolutions énormes. Prenez Lagos en 1993 et aujourd’hui, c’est le jour et la nuit ! » Parmi les pays francophones, il cite la Côte d’Ivoire, « grand producteur de cacao, de noix de cajou, de caoutchouc ». Et d’ajouter, plein d’espoir : « Toutes les conditions y sont réunies pour une vraie réussite. Il faut juste être patient et sincère dans la volonté de s’en sortir. » L’optimisme de Venkataramani Srivathsan est aussi celui de son groupe, qui a massivement investi ces dernières années sur le continent. « L’Afrique est un immense marché, composé d’une population jeune. Il représente un vivier de consommateurs de graines, de café et de cacao. L’agriculture est un vrai levier de développement. » Monsieur Srivathsan parlerait des heures de son expérience, de ses espoirs et des avancées de son groupe, mais on vient le chercher pour faire une allocution durant le forum. Il doit remonter en salle plénière. Il n’aura pris qu’un café. Business style. ❐

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CAFÉ AU TEMPO BAR,

Grand Copthorne Waterfront Hotel, Singapour.

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Pétrole

Après des mois de tractations, l’Ouganda a tranché. Le pays exportera son or noir via la Tanzanie et non le Kenya. Une décision soutenue de longue date par le géant français Total. Un choix industriel et politique qui entraîne d’importantes conséquences diplomatiques.

Coup de chaud en Afrique de l’Est Par Gaël Grilhot, à Kampala

De vastes réserves pétrolières ont été découvertes sur les rives du lac Albert (ici, la zone de Kingfischer).

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C

e n’est pas un hasard si le Fonds monétaire international (FMI) a choisi la capitale de l’Ouganda, Kampala, pour présenter ses dernières « Perspectives économiques régionales » en mai. Intitulé « Afrique subsaharienne : un changement de cap s’impose », le rapport se penche principalement sur les conséquences de la chute du prix du pétrole au sein des États producteurs, les plus affectés par la crise. « D’importateur d’hydrocarbures, l’Ouganda s’apprête à devenir un pays largement exportateur, explique Antoinette Sayeh, directrice du pôle Afrique de l’institution. Il a par conséquent la chance de pouvoir se préparer afin d’être plus résilient face aux chocs pétroliers. » Les relations diplomatiques de cet État d’Afrique de l’Est peuplé de 38 millions d’habitants et gouverné d’une main ferme depuis plus de trente ans par Yoweri Museveni risquent fort d’être bouleversées dans les prochaines années. En 2006, plusieurs compagnies pétrolières ont découvert d’importantes réserves de pétrole sur les rives nord du lac Albert, dans les champs dits de l’Albertine Graben. En 2012, ces réserves ont été estimées à 3,5 milliards de barils, un chiffre revu à la hausse en 2014, pour être porté à 6,5 milliards de barils, dont 1,7 récupérables (exploitables en fonction des technologies disponibles et dans les conditions économiques actuelles). Selon les prévisions du gouvernement, le pays devrait pouvoir exporter ses premiers barils d’ici à 2020. Prévue pour être exploitée à parts égales par des compagnies française (Total), britannique (Tullow) et chinoise (Cnooc) (réunies dans un consortium), l’huile du lac Albert doit consolider le décollage de Kampala qui connaît déjà une dynamique intéressante. La croissance du PIB ougandais est en effet estiPatrick mée à 5,8 % pour l’année fiscale 2015-2016, Pouyanné, soit 0,5 % de plus que l’année précédente, en PDG raison d’une forte croissance des investissede Total. ments publics, liés à de vastes projets d’infrastructures (routes, barrages, etc.). Mais l’Ouganda est enclavé, sans accès à l’océan Indien. Après la conclusion de l’accord sur l’extraction, s’est donc rapidement posée la question de l’exportation des quelque 200 000 barils qui sortiront chaque jour de ces champs onshore. Le Kenya, voisin de l’est, qui dispose d’une large façade sur l’océan, s’est présenté comme le débouché logique. D’autant que son président Uhuru Kenyatta entretient d’excellentes relations avec son homologue ougandais. Un accord bilatéral a donc été conclu en août 2015, prévoyant la construction d’un oléoduc

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Pétrole

Mais l’Ouganda est ENCLAVÉ, sans accès à l’océan Indien. Après la conclusion de l’accord sur l’EXTRACTION, s’est donc rapidement posée la question de l’EXPORTATION des quelque 200 000 barils qui sortiront chaque jour de ces champs onshore. de 1 300 km entre Hoima, à l’est du lac Albert, et Lamu, sur la côte kényane, à plus de 350 km au nord de Mombassa. Le plan s’intégrait parfaitement à l’initiative de développement économique Lapsset (Lamu Port Southern Sudan-Ethiopia Transport, un axe de transport comprenant des routes, des lignes de chemin de fer, des liaisons par voie d’eau et des oléoducs), ou corridor Nord, largement portée par Nairobi et qui vise à développer les infrastructures à travers une meilleure coopération entre certains États de la région (Kenya, Rwanda, Soudan du Sud, Ouganda). L’oléoduc provenant d’Hoima aurait par ailleurs rejoint le bassin du Turkana, au Kenya, où des réserves de pétrole ont également été découvertes. Mais en quelques mois, ce joli scénario tombe à l’eau. À partir de mars 2016, les rumeurs se multiplient, faisant état d’un revirement total de position de la part de Kampala, qui miserait désormais sur la voie tanzanienne. La décision de choisir cette route sera actée en avril 2016, lors du 13e sommet des pays concernés par le corridor Nord, dans la capitale ougandaise. LE PROBLÈME SOMALIEN Comment expliquer ce revirement de situation ? Pourquoi l’Ouganda a finalement choisi une autre route ? Interrogée sur le sujet, Irene Muloni, la ministre de l’Énergie et des Minéraux du pays, se contente de déclarer : « L’Ouganda, en tant que pays souverain, a pensé que nous avions besoin d’explorer les principales routes pour accéder au marché international. » Avant d’ajouter : « Notre intérêt était de maximiser les bénéfices de ces ressources. » Officiellement, ce sont les autorités ougandaises, seules, qui ont décidé d’opter pour cette solution, après avoir confié à une équipe technique le soin d’analyser les différents scénarios. Mais ce changement de cap est avant tout « le résultat d’un intense travail de lobbying de Total »,

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STEPHAN GLADIEU

RENCONTRES & REPORTAGES


L’Afrique de l’Est pourrait devenir la future grande zone pétrolière du continent (ci-dessus à Nyang’oma Kogelo, au Kenya).

THOMAS MUKOYA/REUTERS - AFP

Le projet retenu, qui passe par la Tanzanie, est estimé à 3,5 milliards de dollars, contre 4,2 pour la route initiale à travers le Kenya. souligne une source diplomatique proche du dossier. Le scénario kényan, si séduisant soit-il, n’a, en effet, pas résisté longtemps à la contre-expertise du groupe français. « Total a privilégié une approche purement industrielle, se focalisant sur l’étude des avantages comparatifs techniques et économiques des différents tracés », explique un porte-parole du géant français, qui préfère que son nom ne soit pas cité. Le fait que le tracé initial passe à proximité de la frontière sud de la Somalie, où sévit le groupe islamique Shebab, a clairement suscité les craintes des responsables de la compagnie. Et cela malgré les assurances données par le Kenya, qui a subi plusieurs attaques ces derniers mois. Outre le massacre de l’université de Garissa, qui a fait 152 victimes le 2 avril 2015, plusieurs autres attentats ou agressions visant des touristes occidentaux ou des villages isolés ont été rapportés, principalement dans le nord-est du pays. Dans ce contexte, Patrick Pouyanné, le directeur général de Total, a fait le déplacement jusqu’aux sources du Nil, dans la résidence d’État de Jinja, pour rencontrer Yoweri Museveni fin décembre 2015. Son objectif : convaincre le dirigeant ougandais d’adopter un plan B, moins dangereux, moins onéreux et plus rapide à développer. À l’issue de cette discrète réunion, un communiqué de Total a été diffusé, stipulant que les deux hommes « ont estimé que l’export du pétrole brut devait être basé sur des critères économiques […] et sur la viabilité et la sécurité des opérations. Dans cette perspective, Patrick Pouyanné a confirmé que Total était en faveur du transport du

brut par la Tanzanie ». En clair, pour exporter son pétrole, le « Mzee » (le « vieux » en swahili, surnom de Museveni) devait regarder vers le Sud et choisir la route tanzanienne au détriment de la voie kényane. Sur le plan pratique, la solution choisie est la suivante : 1 400 km d’oléoduc, pour relier Hoima au port tanzanien de Tanga, en contournant le lac Victoria, pour un coût estimé à 3,5 milliards de dollars, contre 4,2 pour la route kényane. Plus long, mais sur une surface plus plane, ce projet présentait moins d’obstacles techniques, ce qui allégeait son coût. Mais l’avantage topographique n’était pas le seul. « Nous avions beaucoup d’arguments, explique Justin Ntalikwa William, secrétaire permanent au ministère de l’Énergie tanzanien. Le premier d’entre eux est que Tanga est déjà un port opérationnel, offrant un emplacement naturellement abrité pour que les tankers puissent s’amarrer et une hauteur d’eau suffisante, de 33 m. Deuxième point fort, il donne accès à de nom- ■ ■ ■

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RENCONTRES & REPORTAGES

3 questions à… FRANCIS PERRIN Directeur de la publication de Pétrole et gaz arabes

« Utiliser ces fonds dans l’intérêt national » AMB : L’Afrique de l’Est est-elle le nouvel eldorado des hydrocarbures ? Il y a deux zones majeures d’exploitation sur le continent, l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Nous sommes en train d’assister à l’émergence d’une troisième, la zone orientale. Il y a un potentiel prouvé de pétrole en Ouganda et au Kenya. La Tanzanie est un futur exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL). Le Soudan du Sud et le Soudan sont déjà producteurs de pétrole. Le Mozambique sera l’un des plus gros exportateurs mondiaux de GNL dans la prochaine décennie. Sans oublier le potentiel pétrolier significatif de la Somalie.

Cette région africaine risque-t-elle aussi de basculer dans la « malédiction des matières premières » ? L’économie de l’Afrique de l’Est ne se réduit pas et ne doit pas se réduire aux hydrocarbures. Pour la Tanzanie comme pour l’Ouganda, l’un des grands défis sera la gestion et la redistribution de la rente. Or, cette mission est redoutable. Le pétrole, c’est de l’argent, souvent beaucoup d’argent. Mais, ce qui est capital, c’est la capacité d’un État à utiliser ces fonds dans l’intérêt national. Ce pari est loin d’être gagné, en Afrique de l’Est comme ailleurs.

Les majors maintiennent nombre de projets rojets malgré le contexte difficile. Pourquoi ? Le plus important n’est pas le niveau de prix du pétrole pendant deux années, mais la moyenne oyenne sur toute la durée de vie du projet. Ensuite, les prix de l’or noir ont quasiment doublé depuis le début 2016. Il existe de bonnes raisons de penser quee le plus dur est passé : baisse de la production pétrolière ière des ÉtatsUnis, de celle des pays non-OPEP cette année, nnée, et la chute vertigineuse du nombre d’appareils ls de forage en activité. Il est donc probable, mais jamaiss sûr, que les prix du pétrole remonteront progressivement ment à partir de la fin 2016 ou de 2017. Cela dit, il y aura d’autres phases de baisse à l’avenir. Ce qui compte, e, c’est bien la qualité du projet, sa bonne gestion, le contrôle des coûts et le niveau moyen des prix sur l’ensemble nsemble de la durée de production. ❐ Propos recueilliss par G. G.

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Pétrole ■ ■ ■ breuses infrastructures : routes, chemin de fer, entre autres. » La question foncière a également joué un rôle crucial. « Sur cet aspect, précise-t-on chez Total, la voie tanzanienne présente des atouts importants du fait de la très faible densité de population tout au long du tracé et de l’existence d’un processus d’acquisition foncière à l’efficacité démontrée. » Ce qui est loin d’être le cas au Kenya, où les terrains concernés avaient fait l’objet d’une spéculation importante, notamment par des proches du pouvoir. « Il aurait fallu dédommager des dizaines de milliers de personnes, dont certaines de façon beaucoup plus importante que pour de simples paysans », confirme Chris Musiime, rédacteur en chef du magazine spécialisé Oil in Uganda. La Tanzanie se serait également engagée à exonérer l’Ouganda de droits d’utilisation pour un certain temps. Une annonce non négligeable, pour la ministre de l’Énergie, qui espère même « qu’après optimisation du tracé, ce tarif maximum de passage annoncé à 12,20 dollars par baril sera revu à la baisse ».

TULLOW, GRAND PERDANT « La question du calendrier a été primordiale », précise aussi Chris Musiime. La nécessité d’engager d’importants travaux dans le port kényan de Lamu risquait de reculer d’autant la date début de production, ce qui aurait contrarié les impératifs politiques du président Museveni. Ce dernier s’est servi du développement du secteur pétrolier pour donner des gages à la population en matière d’emploi et de formation des travailleurs. « Le projet dans son ensemble implique un volet très important de renforcement des capacités pour impliquer les nationaux dans le processus », insiste la ministre ougandaise Irene Muloni. Ils doivent pouvoir profiter pleinement du processus de développement, nous y serons très attentifs. » Selon les autorités tanzaniennes, la construction du pipeline devrait permettre la création de 15 000 emplois au total, de part et d’autre de la frontière. Mais l’argument le plus fort, une nouvelle fois, est venu de Total. Selon la p presse régionale, groupe g , le g p français ç s’est déclaré prêt à mettre largement la main à la poche, à hauteur de près de 4 milliards de dollars pour financer l’oléoduc et des infrastructures manquantes. Interrogé sur ce point, le géant français nuance, expliquant que « les membres du consortium s’engageront à parts égales à financer l’investissement ». Le prix bas de

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Yoweri Museveni, président de l’Ouganda.


JIRO OSE/REDUX-RÉA (PAGE DE GAUCHE) - RAINER UNKEL/RÉA - AFP

Coup de chaud en Afrique de l’Est affecté avec une perte sèche de 12,6 % d’affluence entre 2014 l’or noir n’a pas dissuadé le groupe français de débloquer des et 2015. « Avec l’accord pétrolier, poursuit le spécialiste, fonds. Ses responsables estiment même que « la période est Kenyatta projetait de relancer son économie mais, maintenant, plutôt propice à une politique d’investissements, à condition c’est la Tanzanie qui va en profiter. » Forte de ses 7 % de croisqu’ils soient sélectifs ». Avant de préciser : « Investir quand les sance par an (contre 5,6 % pour le Kenya), la Tanzanie concurcours sont bas permet de bénéficier de coûts plus faibles et ainsi rence désormais son voisin dans de nombreux secteurs, dont le de mener plus facilement à bien les projets. » En outre, l’acier, domaine très en vogue du transfert d’argent par mobile. Cette nécessaire à la construction de l’oléoduc, a connu une forte dynamique est soutenue par les secteurs de la construction et baisse de ses cours depuis le début de la crise pétrolière. des services et s’est accentuée avec l’élection, fin octobre 2015, Reste maintenant à voir la réaction des partenaires de Total. du nouveau président, John Magufuli, très Le Chinois Cnooc ne s’oppose pas au projet, populaire, au-delà même des frontières de jouant plutôt un rôle attentiste. Du côté de son pays. Engagé dans un vaste programme Tullow, on se contente d’affirmer, par voie de lutte contre la corruption, « le bulldode communiqué, que la compagnie « va zer », comme il est surnommé, a engagé travailler avec le gouvernement et [ses] dès le début de son mandat de profondes partenaires pour le développement de ces réformes, bousculant l’élite politique et ressources significatives, à travers l’oléoduc économique installée. Son style détonne, passant par la Tanzanie ». Il faut dire que comme lorsqu’il réalise des visites surprises la société britannique est l’un des grands et médiatisées dans des administrations perdants du changement de stratégie. Elle pour en dénoncer les défaillances. est la seule des trois compagnies à projeter Le Kenya, de son côté, tente de garder d’exploiter le pétrole du Turkana, au Kenya, la face. Andrew Kamau, secrétaire généet le projet d’oléoduc passant par ce pays Uhuru Kenyatta, président ral au pétrole du ministère de l’Énergie, a lui aurait permis de faire des économies kényan, et John Magufuli, affirmé que son pays n’était « pas affecté d’échelle non négligeables. « J’attends de président tanzanien. du tout par le retrait de l’Ouganda du pipesavoir comment Tullow va réagir, confirme line » et prévoyait même une augmentation le rédacteur en chef d’Oil in Uganda. Parce substantielle des investissements étrangers que ces quatre dernières années, on la susdirects en 2016, en raison notamment des pectait de vouloir quitter l’Ouganda pour autres infrastructures liées au dévelopse concentrer sur le Kenya. » Le groupe pement du corridor Nord (chemin de fer britannique, très lourdement touché par la transnational, réseau électrique intégré, crise et obligé de couper dans ses dépenses etc.). Le secrétaire d’État Kamau demeure pour se maintenir à flot, va maintenant également optimiste quant au développedevoir négocier seul avec le Kenya, ce qui ment de l’oléoduc national : « Nous allons risque de faire gonfler la facture du projet maintenant aller de l’avant avec les plans Turkana. La compagnie veut toutefois resévoqués en 2012, qui devraient voir le Souter optimiste : elle attend les résultats d’une p dan du Sud se connecter à notre pipeline. » prochaine étude exploratoire, qui devra explorat Mais déjà, certaines voix se font entendre, à déterminer si les réserves kényanes, évaDjouba, pour remettre en cause ce scénario. luées à 750 millions de b barils, pourraient La jeune nation, qui cherchait une solution être portées à un milliard. pour exporter son pétrole brut, envisageait en effet une jonction au niveau du bassin du NAIROBI GARDE LA FACE FAC Turkana. Selon le journal kényan The East Au niveau diplomatique, diplomatiqu la décision de African, le choix de la voie tanzanienne passer par la Tanzanie n’est n’e pas non plus changerait la donne et le Soudan du Sud sans conséquence. Elle constitue un revers con pourrait lui aussi être tenté de rejoindre le pipeline à Hoima, cinglant pour le Kenya, autre victime collatérale du revirea sachant que son or noir est aussi exploité par le Français Total. ment ougandais. Certes, un u oléoduc kényan sera tout de même Sur le sujet, la ministre ougandaise de l’Énergie commente avec construit pour relier Lokic Lokichar, dans le bassin du Turkana, au un sourire sibyllin : « C’est une décision qui leur appartient. Ils port de Lamu. Mais, « ave avec la décision qui a été prise, avance sont libres de choisir quelle route aura le coût le moins élevé Chris Musiime, Nairobi pourrait avoir plus de difficultés pour po pour exporter leur pétrole. » Une telle solution permettrait lever des fonds ». Selon lui, lu cette affaire est emblématique de éventuellement à l’Ouganda de toucher lui-même des royall’évolution des rapports d de force dans la région. « Le Kenya ties. Si une bataille a été gagnée par la Tanzanie, la guerre des a beaucoup perdu en influence en raison de la menace terinfl oléoducs dans la région est loin d’être terminée. ❐ roriste », affirme le journ journaliste. Le tourisme a été clairement

La construction du PIPELINE devrait permettre la CRÉATION de 15000 emplois.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Yacine Ba Sall FONDATRICE DE BDA, INSTITUT DE SONDAGE

« La vente de données, c’est l’avenir » Elle a créé le premier bureau d’études de marché au Sénégal il y a presque 25 ans. Depuis, cette entrepreneuse s’est forgé une connaissance unique du marché ouest-africain. Elle revient sur son parcours et les mutations de son secteur.

Propos recueillis par Sabine Cessou

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lle a lancé son entreprise comme on se jette à l’eau, à 26 ans. C’était en 1992, à Dakar. Son employeur BVA Afrique, filiale de l’institut de sondage français Brulé Ville & Associé, venait de mettre la clé sous la porte, au bout de deux années d’activité. Une semaine plus tard, Yacine Ba Sall fondait BDA (Ba Djibril & associés), son propre institut, conçu comme une structure légère mais capable de reprendre la clientèle de BVA – des grands comptes comme Total, Nestlé, Colgate et les magasins Score. Outre les études de marché ou d’audience pour les médias, BDA (qui devrait devenir Base de données et analyses) réalise des sondages, remarqués pour leur précision, avant chaque présidentielle. Fille de Babacar Ba, ministre des Finances du temps de Senghor, cette femme de caractère préfère rester dans les coulisses plutôt que s’exposer. Aujourd’hui, elle mène une équipe de douze permanents, installés dans ses bureaux du quartier de Sacré-Cœur. Et s’apprête à ouvrir son capital pour assurer sa croissance, en vue d’une expansion sous-régionale.

AMB : Quel est le poids des sondages d’opinion politiques dans votre activité ? Ils nous ont été commandés à partir de 1998, deux ans avant l’alternance. Depuis, nous n’avons cessé d’en faire, mais

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ils ne représentent pas notre cœur de métier. Les chefs de parti ne cherchent pas à mesurer leur cote de popularité entre deux élections, seulement au moment des scrutins pour estimer les intentions de vote. En 2000, un groupe de presse nous avait commandé un sondage et nous avions prédit l’alternance de manière très exacte. La justesse de nos résultats s’est confirmée en 2007. Alors qu’Abdoulaye Wade était donné perdant, nous avons été le seul institut à entrevoir qu’il serait gagnant au premier tour. En mars 2012, nos enquêtes ont à nouveau vu juste en anticipant la victoire de Macky Sall au second tour. Malgré tout, les sondages politiques restent une vitrine pour l’institut, qui vit essentiellement des études de marché.

Vous opérez dans une société démocratique qui a vu les médias proliférer… Est-ce l’un des principaux atouts du Sénégal ? Non, l’essor de la presse indépendante n’a pas été si déterminant. Nous tirons une bonne notoriété de nos mesures d’audience pour les médias, mais sans plus. Le principal point fort du pays, ce sont ses bases de données fiables, solides et récentes, qui nous permettent de dresser des échantillons représentatifs. L’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) réalise un travail remarquable. Second

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SIAKA TRAORÉ

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Yacine Ba Sall

atout, la teranga, notre culture d’hospitalité, qui nous facilite la tâche. Les enquêteurs sont bien accueillis par les sondés, avec un faible taux de non-réponses – contrairement à ce que l’on observe en Occident. Sous réserve que le questionnaire soit bien conçu, on peut se fier aux réponses données. Des déclarations incohérentes peuvent se produire, mais les Sénégalais aiment être sondés et sont très prompts à se livrer. On a même l’impression que les sondages sont une tribune ! Très souvent, nos enquêteurs nous racontent qu’ils ont du mal à terminer les entretiens parce qu’ils tournent au débat. Dernier point : le marché est jeune et plein d’avenir… Notre matière, l’opinion, s’avère inépuisable. Les sujets ne manquent pas !

Cette liberté de parole se retrouve-t-elle ailleurs dans la sous-région ?

12 pays seulement ont des statistiques conformes aux standards internationaux sur le continent. Un frein pour les instituts de sondage comme pour les investisseurs. Source : Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.

Nous ne sentons pas la même spontanéité dans les réponses des sondés des autres pays d’Afrique de l’Ouest où nous travaillons – c’est-àdire partout, sauf au Nigeria et en Sierra Leone. Par ailleurs, les données ne sont pas toujours aussi fiables qu’au Sénégal. En Guinée, par exemple, nous ne savons pas sur quel pied danser. Le dernier recensement de la population, en 2014, a suscité beaucoup de polémiques entre opposition et pouvoir. La croissance de la population, les disparités d’une région à l’autre ont prêté à controverse. Pour les prochaines enquêtes, nous serons contraints de supposer que les chiffres disponibles sont les bons.

Le Sénégal est-il trop petit pour générer un chiffre d’affaires substantiel ? Non, pas du tout. En vingt-quatre ans d’existence, nous n’avons pas fait le tour de la demande potentielle. Plusieurs secteurs d’activité restent à démarcher… Cela étant, une ouverture à la sousrégion changerait complètement la donne. Elle paraît aujourd’hui nécessaire, pour atteindre une taille critique. Pour des raisons stratégiques, nous souhaitons cependant garder ces projets confidentiels, ainsi que le montant de notre chiffre d’affaires – d’autant que nous ne connaissons pas celui de nos concurrents…

Comment votre activité a-t-elle évolué ? Au départ, nous faisions surtout des études de marché pour des multinationales. Or la demande provient de moins en moins de grands groupes, qui ont tendance à faire leurs études en interne depuis la crise financière de 2008. En revanche, de plus en plus de PME et d’entreprises locales nous sollicitent. À nos débuts, l’industrie agroalimentaire représentait 80 % de notre acti-

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vité et les services 20 %. Ce rapport s’est inversé. Aujourd’hui, nous comptons parmi nos clients des entreprises publiques comme la Sénégalaise des eaux (SDE) et la Loterie nationale sénégalaise (Lonase), les multinationales Total, Sanofi Aventis et Lactalis, des organismes internationaux tels que l’Unicef et la Banque mondiale, ainsi que des banques, avec la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA) et Ecobank, entre autres.

À quel moment BDA a-t-il vraiment décollé ? Dans les années 2000, avec des travaux d’envergure tels que les recensements, plus coûteux que les études de marché. Par exemple, l’inventaire des points de vente de cigarettes à Dakar, que nous a commandé le groupe Philip Morris, a nécessité le déploiement de 200 personnes sur deux mois. Nous avons noté un léger fléchissement en 2009, à la suite de la crise financière internationale. Mais, en parallèle, beaucoup de sondages politiques nous ont été confiés, avec des pics en 2011 et 2012, avant une présidentielle très suivie, puis en 2014 avec les municipales. Depuis, l’activité s’est tassée. La baisse globale de la demande a affecté tous les instituts de sondage… Nous avons dû faire preuve d’inventivité, chercher de nouveaux concepts et nous repositionner. Nous espérons que la reprise va se faire de manière plus marquée avec une ouverture de capital. Nous aimerions attirer un fonds d’investissement qui cible les PME.

Quels sont ces nouveaux concepts ? Depuis 2012, nous proposons l’achat d’informations au détail, issues des données qui sont notre propriété, par exemple la consommation de lait sur une période donnée. Chaque enquête qui nous est commandée reste la propriété du client, mais nous menons nos propres études sur des sujets que nous jugeons opportuns et pertinents. Par exemple, BDA a recensé et géolocalisé tous les points de vente de produits de grande consommation dans la région de Dakar, de même que les points de transfert d’argent, les bureaux de poste, les guichets spécialisés et les institutions de microfinance. C’est l’avenir : la vente de données correspond mieux aux budgets des clients. La formule est plus souple que l’organisation d’enquêtes spécifiques.

Quelles mutations du marché avez-vous observé ? La vente au « microdétail » représente la tendance lourde des vingt dernières années. Les industriels de l’agroalimentaire se sont adaptés aux petits budgets et à la logique de la « dépense quotidienne » de la clientèle. Ils ont proposé de

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« La vente de données, c’est l’avenir » très petits formats de lait ou de café, suivis par les lessiviers et la téléphonie mobile avec la recharge par carte. Autre mutation majeure : la révolution numérique, qui a bouleversé nos méthodes. Nos enquêteurs ne travaillent plus sur des formulaires papier, mais avec leurs smartphones. Nous avons gagné en temps, en sécurité et en efficacité.

Qui sont vos concurrents ? Moins de dix instituts de sondage existent au Sénégal. Tous ne sont pas structurés de la même manière. Nous avons un positionnement de spécialistes, centrés sur le sondage et l’étude de marché. D’autres font également du conseil en marketing ou de la veille concurrentielle.

À quels obstacles vous heurtez-vous ? À la contrainte financière, en premier lieu. Seules les multinationales, les banques et les agences internationales se montrent prêtes à payer le prix pour un sondage, en ayant conscience de la valeur de l’information. La plus petite enquête chez nous coûte 160 000 francs CFA (244 euros) et la plus importante se chiffre en dizaines de millions. Les PME et les hommes d’affaires sénégalais sont moins enclins à payer ce prix ou ils n’ont pas le budget. Certains concurrents tirent par ailleurs le marché vers le bas, avec des tarifs dérisoires, sur lesquels on ne peut pas s’aligner. L’autre écueil tient à l’absence de ressources humaines prêtes à l’emploi. Nous trouvons des statisticiens d’un côté et des spécialistes du marketing de l’autre, mais peu de personnes alliant les deux compétences. Or, c’est pour nous le profil idéal car il ne suffit pas de savoir collecter les données, il faut aussi pouvoir les analyser. De façon systématique, nous devons former toutes nos recrues. Ce qui implique un coût, mais aussi du temps et de l’énergie.

Que pensez-vous de l’afro-optimisme ? L’Afrique est le continent de l’avenir, sans aucun doute. Malgré une conjoncture difficile au Sénégal, on note un certain dynamisme avec des efforts de diversification et, ces derniers mois, un vrai bouillonnement d’idées. Un grand nombre de particuliers, porteurs de projets divers, nous sollicitent depuis le début de l’année. Ils sont issus de la diaspora ou déjà installés depuis un moment dans le pays. C’est un phénomène nouveau.

Être une femme PDG, est-ce occuper un statut spécial ? Non, je n’ai pas ce sentiment. Je n’ai pas eu à me battre plus qu’un homme. J’ai plutôt ressenti une certaine admiration de la part de mes interlocuteurs parce que j’étais jeune et femme à la fois.

La vente au microdétail représente la TENDANCE lourde des vingt dernières années. Les INDUSTRIELS de l’agroalimentaire se sont adaptés aux PETITS BUDGETS et à la logique de la « DÉPENSE quotidienne ». Quelle est votre philosophie en matière de gestion des ressources humaines ? La participation active : que chacun connaisse les objectifs, y adhère et apporte sa pierre. Mon souhait est que tous soient vraiment fiers de travailler chez BDA. Le partage des idées m’importe beaucoup. Les collaborateurs sont consultés et je profite de leur jeunesse pour avoir des idées fraîches. Nous sommes dans le culte de l’excellence, mais je me suis faite à l’idée que personne n’est parfait et que le salarié modèle n’existe pas. J’essaie d’inculquer que la réussite est au bout d’un effort constant. La délicatesse de notre travail nous commande d’avoir le sens du détail et le courage de recommencer lorsque l’on se trompe. Nous faisons de l’orfèvrerie avec les chiffres, nous devons donc avoir la minutie des artisans.

Quelles leçons tirez-vous de l’expérience entrepreneuriale avec BDA ? Travailler à son compte est un vrai bonheur. On s’exprime mieux, on est plus généreux dans l’effort et l’on apprend aussi que les difficultés sont faites pour être surmontées. Cette course d’obstacles perpétuelle rend inventif et créatif. Elle fait grandir et change la manière d’être. Cette expérience m’amène à dire que réussir sa vie, c’est parvenir à surmonter les difficultés et à composer. Résilience, sens de l’écoute et de l’observation : voilà les trois grandes leçons que j’ai tirées à la tête de BDA.

Qui sont vos modèles en affaires, si vous en avez ? Michel-Édouard Leclerc, pour la place forte qu’il donne à l’innovation dans son approche de la grande distribution – bijoux, voyages, parapharmacie, souci de la protection de l’environnement, de la solidarité et de la culture… C’est un entrepreneur accompli, inspiré, qui sait être dans l’air du temps. Un cours donné à Dauphine quand j’y étudiais où il parlait du concept du discount comme une réponse à la vie chère, m’a vraiment marquée. ❐

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Enjambant le détroit du Bosphore, le pont Yavuz Sultan Selim a été inauguré fin août.

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Émergent

Secoué par un putsch manqué et de multiples attentats, le pouvoir islamo-conservateur du président Erdogan ne « flanche » pas sur le terrain politique. Cela suffira-t-il à préserver la croissance et à maintenir le flux crucial des investissements ?

Le modèle turc à l’épreuve Par Camille Lafrance, à Istanbul quie est entrée dans une zone de turbulences, après des attentats à répétition et une tentative de coup d’État mi-juillet. Face à ces événements, le président Erdogan réplique avec la plus grande fermeté. Il mène de grandes purges contre les partisans de la confrérie Gülen, ancienne alliée devenue ennemie numéro 1 et accusée d’être à l’origine du putsch raté. Il renforce la lutte antiterroriste, allant jusqu’à intervenir en Syrie pour repousser Daesh et en Irak contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). En parallèle, les autorités multiplient les déclarations optimistes afin de rassurer investisseurs, institutions internationales et partenaires commerciaux, notamment l’Union européenne (UE). Mais l’avenir, politique ■ ■ ■

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MURAD SEZER/REUTERS

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’était à la toute fin août, dans la capitale économique turque. Le président Recep Tayyip Erdogan inaugurait le pont Yavuz Sultan Selim, qui enjambe le détroit du Bosphore. Un ouvrage aux caractéristiques spectaculaires : 323 mètres de haut, 1 408 de portée entre ses deux pylônes – la plus longue du monde –, un coût de 800 millions d’euros. Avec cette réalisation, dans la lignée des grands travaux menés tambour battant par le chef d’État, le pouvoir turc faisait passer un message. Malgré le contexte plus que difficile, il tient bon et entend bien poursuivre le développement du pays, jusqu’à présent loué pour son dynamisme et sa stabilité. Sauf que ces derniers mois, la Tur-


RENCONTRES & REPORTAGES ■■■ comme économique, reste très incertain. Ankara saurat-il résister à cette période de crise ? La situation politico-sécuritaire a porté un coup sérieux à la locomotive turque. La croissance du produit intérieur brut (PIB), de 4 % en 2015, devrait se limiter à 3,8 % (selon le FMI) ou 3,9 % (d’après l’OCDE), bien loin des 9 % atteints en 2010. Diversifiée, l’économie est toutefois très dépendante des capitaux étrangers, et en premier lieu ceux venant de l’UE, son premier partenaire commercial. Or, l’association des exportateurs de Turquie a déploré une baisse de 18,7 % des exportations en juillet 2016 par rapport au même mois l’an passé. À cela s’ajoute la perte de marchés avec l’Irak et la Syrie, mais aussi la crise diplomatique avec la Russie, grande pourvoyeuse de touristes, depuis novembre 2015. Autre indicateur dans le rouge, la fréquentation touristique, en chute de 40 % sur un an pour ce qui concerne les visiteurs étrangers. Ce qui va se traduire par un important manque à gagner dans un secteur qui représenterait près de 4 % du PIB. Conséquence, l’agence de notation Standard & Poor’s a abaissé la note turque de BB+ à BB, quand sa concurrente Fitch a octroyé une perspective négative à sa notation souveraine (à BBB-). La Turquie a aussi chuté de la 51e à la 55e position dans le classement « Doing business » de la Banque mondiale entre 2015 et 2016.

Émergent stable et les chiffres des exportations et de la croissance n’ont pas été révisés, a affirmé Bülent Tüfenkci , le ministre du Commerce, au lendemain du putsch raté. Dès le 17 juillet, la Banque centrale a pris des mesures pour « limiter les mouvements des marchés financiers et garantir la disponibilité des liquidités ». Estimant que l’inflation ne devrait pas dépasser les 8,4 % cette année, son but est d’arriver à 5 % fin 2018. La consommation, principal moteur de la croissance, a augmenté en 2015 à la faveur de la baisse des prix du pétrole et de la dépréciation de la livre. En début d’année, le salaire de quelque 8 millions de travailleurs, parmi les plus précaires, avait été augmenté de 30 %. En parallèle, autorités et organisations patronales s’évertuent à rassurer. L’Association des exportateurs de textile et de confection d’Istanbul (IHKIB) a ainsi affirmé que les exportations du secteur auraient augmenté de 3,4 % durant les sept premiers mois de l’année (dont 70 % vers l’UE), une tendance « continue » durant les 15 premiers jours d’août. La Tusiad a elle fait campagne dans les journaux internationaux pour mettre en exergue « la discipline budgétaire et la solidité du secteur bancaire, fondements de la stabilité économique ». De son côté, le gouvernement promet que le pays sortira renforcé de cette épreuve. « La capacité d’adaptation des Turcs et leur réactivité face à un environnement difficile sont assez exceptionnelles et méritent d’être soulignées », insiste la Chambre de commerce et d’industrie française en Turquie (CCIFT). Déjà passé au travers de la crise mondiale de 2008-2009, le pays a des atouts pour résister à cette période chaotique. Et la CCIFT de mettre en avant sa population jeune (moyenne d’âge de 30 ans), son dense tissu de PME, son vaste marché intérieur avec ses 78 millions d’habitants. Pont entre deux continents, le pays est une porte d’entrée vers l’Europe orientale, l’Asie, l’Afrique du Nord et le MoyenOrient. Le gouvernement turc a aussi bénéficié de la levée des sanctions internationales contre l’Iran en janvier, qui aurait permis une augmentation de 30 % des échanges bilatéraux. Ankara s’est également réconcilié avec Israël après six ans de brouille et envisage l’exploitation commune de gisements de gaz en Méditerranée. Cette résilience est également le résultat de réformes engagées ces dernières années pour consolider le système fiscal et bancaire ainsi qu’attirer les investissements directs étrangers (IDE). « On peut constituer une société en Turquie en une dizaine de jours, le Code du commerce permet le vote et les réunions d’assemblées générales par voie électronique. Il y a aussi de nombreuses conventions de non double imposition, aucun frein juridique ni administratif », souligne Ozgur Asik, avocat d’affaires franco-turc, qui reconnaît néan-

Cette RÉSILIENCE est également le résultat de réformes ENGAGÉES ces dernières années pour consolider le SYSTÈME financier et attirer les investissements directs ÉTRANGERS.

LES PURGES CONTINUENT « Ce n’est pas le coup d’État en luimême mais le contrecoup qui sème la panique et crée une ambiance de suspicion généralisée, avoue un patron européen souhaitant garder l’anonymat. Les banques ne prêtent plus. Nous allons sûrement devoir renoncer à des partenariats. » Même son de cloche de la part d’un expert, qui préfère lui aussi rester discret : « Du jour au lendemain, vous pouvez voir débarquer un mandataire judiciaire dans vos bureaux, ce n’est pas rassurant. » Les purges, visant principalement la confrérie de Fethullah Gülen (exilé aux États-Unis) et commencées juste après le 15 juillet, se sont intensifiées. Des dizaines de milliers de personnes ont été interpellées, suspendues ou licenciées. Près de 200 mandats d’arrêt ont visé des sociétés accusées de financer les réseaux Gülen, jusqu’au président de la confédération patronale Tüskon (qui regroupe 55 000 membres). La banque Asya, spécialisée dans la finance islamique et étiquetée « güléniste », s’est également vu retirer sa licence. « Les entreprises se trouvent en position de défense, paralysées, il faut éviter les excès dans ce genre d’opérations », met en garde Bahadir Kaleagasi, représentant de l’Association des industries et des entreprises de Turquie auprès de l’UE (Tusiad). En dépit de ces difficultés, l’économie ne s’est pas effondrée. Le taux de change de la livre turque est resté relativement

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Le modèle turc à l’épreuve

La fréquentation des touristes étrangers (ici au célèbre Grand Bazar stambouliote) a baissé de 40 % sur un an.

CAN KADIR/SIPA

moins six ruptures de négociations depuis le début de l’année. Les discussions liées au processus d’adhésion à l’UE, l’entrée du pays dans l’union douanière européenne (en 1996) et le Code du commerce de 2012 ont également permis des mises aux normes et dynamisé les échanges. LE PIÈGE DU REVENU MOYEN Reste que le président Erdogan et son camp doivent résoudre un certain nombre de problèmes de fond. « La Turquie doit retrouver son agenda du G20 concernant l’industrie 4.0 [production avec des usines « intelligentes » et connectées, NDLR], le digital, les technologies de l’énergie propre, l’économie inclusive pour la jeunesse et les PME », espère le représentant de la Tusiad, Bahadir Kaleagasi. De nombreuses voix appellent à encourager la production à plus forte valeur ajoutée, pour sortir du middle income trap (piège du revenu moyen, ou la stagnation économique des pays qui

connaissaient jusque-là une croissance rapide) et des secteurs où la Turquie brille traditionnellement, comme la construction, l’automobile, le textile ou l’électroménager. Concernant le BTP, véritable colonne vertébrale de l’émergence turque, nombre d’observateurs mettent en garde contre la création d’une bulle immobilière, nourrie par des projets pharaoniques et la spéculation. En réponse, le gouvernement promet des réformes structurelles et s’est fixé des objectifs plus qu’ambitieux pour le centenaire de la République en 2023, comptant faire de la Turquie la dixième puissance économique mondiale (actuellement 18e), et atteindre un PIB annuel de 2 000 milliards de dollars (contre 720 milliards en 2015). Les institutions internationales préconisent d’améliorer le taux de travail des femmes et de renforcer la lutte contre l’informel, mais aussi de simplifier les règles d’entrée et de sortie des entreprises et de mettre en place de nouvelles politiques commerciales pour stimuler les IDE. Un projet de loi soumis à l’assemblée propose

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RENCONTRES & REPORTAGES d’ores et déjà des mesures incitatives : exonération de droits de douane et de l’impôt sur les sociétés pour améliorer la compétitivité face à d’autres pays émergents. Une simplification du droit du travail des étrangers est également très attendue. Se pose enfin la question de la gouvernance politique, un facteur déterminant de l’évolution du climat des affaires. L’opposition ne cesse de dénoncer l’autoritarisme croissant du président Erdogan, critiquant également la corruption des cercles de pouvoir. Fin 2013, un scandale a mis en cause des cadres de l’AKP et Necmettin Bilal Erdogan, le fils du président, à l’époque Premier ministre. Alors que Standard & Poor’s s’est inquiétée de l’affaiblissement « des contre-pouvoirs institution-

Émergent nels », de nombreux acteurs plaident pour une plus grande liberté du secteur privé. « La solution, c’est une banque centrale indépendante, alors qu’elle fait aujourd’hui face à beaucoup de pression pour stimuler la demande », note l’économiste Selva Demiralp. De son côté, Bahadir Kaleagasi appelle à l’ouverture des chapitres 23 et 24 des négociations d’adhésion à l’UE, concernant le pouvoir judiciaire, car « sans droits de l’homme ni démocratie, pas de progrès sociaux et économiques ». « Si vous voulez installer un business, vous devez pouvoir vous tourner vers la justice de manière transparente, reprend Selva Demiralp. Sauf qu’aujourd’hui, on se pose des questions sur la solidité de l’État de droit et sur la transparence. » ❐

Afrique-Turquie La belle percée Depuis la fin des années 1990, les relations commerciales bilatérales sont en plein essor. Les projets se multiplient dans des domaines aussi divers que l’agriculture, l’énergie ou encore la défense. Après le Maghreb, la zone subsaharienne concentre toute l’attention.

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n 2002, à l’arrivée du parti islamo-conservateur AKP au pouvoir, Turkish Airlines ne comptait que quatre lignes africaines. Aujourd’hui, elle couvre 48 villes du continent dans 31 pays. Un développement éclair, révélateur des ambitions d’Ankara. Depuis 2003, les échanges commerciaux bilatéraux ont triplé pour atteindre 16 milliards d’euros l’an passé, dont un quart pour la zone subsaharienne, selon le ministère turc des Affaires étrangères. Les exportations vers l’Afrique avoisinent les 12,4 milliards d’euros quand les importations en provenance du continent comptent pour 8,7 milliards, soit respectivement six fois plus et deux fois plus qu’en 2003. Fin 2014, les investissements directs turcs atteignaient les 5,4 milliards d’euros. Plusieurs étapes ont favorisé cet essor. Après le lancement du premier plan d’action africain en 1998, le parti islamo-conservateur AKP (au pouvoir depuis 2002) a organisé deux sommets de coopération : à Istanbul en 2008 et en Guinée équatoriale en 2014. Le troisième devrait avoir lieu en 2019. Autres signaux forts : 2005 a été déclarée « année de l’Afrique » par le gouvernement turc. Trois ans plus tard, il devenait partenaire stratégique de l’Union africaine. Enfin, en 2013, il intégrait le Fonds de développement africain et la Banque africaine de développement. Ces derniers temps, l’offensive s’est encore accélérée, portée par une intense activité diplomatique. Le président Erdogan a multiplié les visites officielles. Il s’est rendu dans trois pays d’Afrique de l’Est fin mai (Ouganda, Kenya et Somalie), après une tournée à l’ouest en mars (Abidjan, Accra, Lagos, Conakry), accompagné à chaque fois de près de 200 entrepreneurs. Résultat, le pays est passé de 12 à 39 ambassades entre 2008 et aujourd’hui. Et Erdogan n’entend pas s’arrêter là : « Notre but est d’avoir 54 ambassades dans les 54 pays africains », a-t-il annoncé en juin.

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Partenaire historique, l’Afrique du Nord, Algérie en tête, représente 19 % du volume d’affaires international des entreprises turques, contre 3 % pour la région subsaharienne. Des groupes se sont également illustrés en Tunisie mais aujourd’hui « le niveau de commerce ne reflète pas le potentiel », reconnaît Ugur Dogan, président du Conseil d’affaires Turquie-Tunisie. L’écueil est double : un contexte sécuritaire difficile et l’absence de législations pour simplifier et fluidifier les échanges. Au Maroc, un accord de libre-échange a récemment relancé les investissements. Ankara mise aussi toujours sur la Libye et compte être la première à rouvrir sa représentation diplomatique à Tripoli, fermée en 2014 pour des raisons de sécurité. En attendant, les investisseurs s’impatientent. « Nous avons laissé de nombreux projets à l’abandon là-bas, nous n’avons pas été payés, il nous faut y retourner pour les terminer », explique Ugur Dogan, dont le groupe, Nurol, avait commencé la construction d’une route et d’une cité universitaire. CENTRALES FLOTTANTES Reste que les entreprises turques regardent de plus en plus vers le sud, et notamment vers les poids lourds que sont le Nigeria et l’Afrique du Sud. L’Éthiopie, le Kenya et le Sénégal sont également en première ligne, avec des activités plus diversifiées : biens manufacturés, métaux, produits alimentaires, textile, ciment, plastique, industrie… Si les exportations vers les pays subsahariens restent bien inférieures à celles à destination du Maghreb (respectivement 2,7 % et 6,6 % du total), elles ont toutefois connu une hausse de 4,7 % durant les quatre premiers mois de 2016. Dans le même temps, les importations en provenance de l’Afrique subsaharienne (coton, huile, minéraux, or, pierres précieuses) aug-

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Le modèle turc à l’épreuve

Le président Erdogan en pleine « opération séduction » en mars dernier dans la capitale nigériane, Abuja. mentent en valeur mais pas en volume. Les investissements directs étrangers sont aussi en expansion. Illustration avec le groupe Karadeniz, champion de l’exportation d’électricité, actif en Irak et au Liban, qui réalise actuellement des centrales flottantes en Zambie et au Ghana. Dans ce dernier pays, le projet, appelé « L’énergie de l’amitié pour le Ghana », doit permettre de couvrir 22 % des besoins nationaux. Fondée par l’un des principaux entrepreneurs turcs, Orhan Remzi Karadeniz, la société éponyme est aussi présente dans la finance, l’immobilier, le tourisme et emploie 1 300 personnes. Les petites et moyennes entreprises ne sont pas en reste, dans des domaines aussi variés que l’agriculture, l’hôtellerie, les technologies de l’information et de la communication ou encore la défense. Dernier rouage de la percée turque, l’aide humanitaire. « C’est un complément important pour renforcer les intérêts politiques et économiques du pays », met en avant l’institut Chatham House. « Cela fait partie de la stratégie de soft power », confirme Mehmet Ozkan, spécialiste des relations turco-africaines. Cette aide transite via le Croissant rouge turc ou encore l’ONG Insani Yardim Vakfi (IHH), « fondation pour l’aide humanitaire », qui opère dans 35 pays subsahariens. L’Agence turque de coopération et de coordination (TIKA), organisme rattaché au gouvernement, possède, elle, 15 bureaux sur le continent. Elle est active dans le domaine de la formation, de la santé, des services sociaux et des équipements. Dans ce cadre, Ankara s’intéresse tout particulièrement à la Somalie, dont elle est l’un de ses principaux bailleurs de fonds. Le président

Erdogan y a d’ailleurs inauguré en juin l’une des plus grandes représentations diplomatiques à l’étranger. Cette politique « douce » repose aussi sur un volet éducatif : 4 500 jeunes Africains bénéficient de bourses pour venir étudier dans les universités turques quand de nombreuses écoles primaires et secondaires voient le jour sur le continent grâce à des fonds d’Ankara. Seul bémol, elles appartiennent bien souvent à la confrérie de l’imam Fethullah Gülen, ancienne alliée de l’AKP désormais considérée comme une organisation terroriste et accusée d’être derrière la tentative de coup d’État de juillet.

AFOLABI SOTUNDE/REUTERS

Quelque 4500 JEUNES bénéficient de bourses pour venir ÉTUDIER dans les UNIVERSITÉS turques.

NOMBREUX OBSTACLES « La Turquie n’a pas de volonté de domination, c’est une nouvelle vision de la coopération avec l’Afrique, qui a malheureusement souffert des siècles de colonisation occidentale. Nous pourrons faire la différence », souligne Eren Paykal, coordinateur régional pour l’Afrique au sein du Conseil des relations économiques étrangères de la Turquie (Deik). Ainsi, les autorités n’hésitent pas à multiplier les critiques contre les investisseurs européens, proposant à la place un partenariat « gagnant-gagnant ». Les Turcs offrent aussi un « rapport qualité-prix satisfaisant en comparaison avec d’autres pays comme la Chine », ajoute Eren Paykal. Les obstacles sont toutefois nombreux, en particulier le manque de connaissance du terrain et la barrière de la langue. « Il faudrait davantage de visites d’exploration pour mieux comprendre la mentalité africaine », conclut le responsable de Deik. ❐ C. L.

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PORTRAIT par Sabine Cessou

Christine Lagarde Ministre de l’Économie pendant la crise de 2008, elle a joué un rôle clé durant cette période de turbulences. Aujourd’hui, alors qu’elle entame son second mandat à la tête du Fonds monétaire international (FMI), elle est mise en examen pour « négligence » dans le cadre de l’affaire Tapie.

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■ 1er janvier 1956

Naissance à Paris. 1981 Elle débute sa carrière au bureau parisien du cabinet d’avocats Baker & McKenzie, dont elle finit par devenir présidente du comité exécutif en 1999.

■ 2005

Nommée ministre déléguée au Commerce extérieur de Jacques Chirac, puis, en 2007, ministre de l’Économie et des Finances de Nicolas Sarkozy.

■ 2011

Désignée directrice générale du Fonds monétaire international, où elle est reconduite en février 2016 pour cinq ans.

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remière femme à avoir intégré à 51 ans, en 2007, le club fermé et cravaté des ministres des Finances du G7, elle a succédé, en 2011, à dix hommes, dont quatre Français, à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Négociatrice hors pair, Christine Lagarde est réputée pour son sang-froid dans les situations de crise. Derrière son sourire, ses bons mots et ses bonnes manières, cette forte tête à la silhouette élancée n’affectionne guère la langue de bois et le côté « étriqué » de la classe politique française. « J’ai avalé beaucoup de couleuvres », lâche-t-elle en quittant Bercy en juin 2011. Douée d’un sens de l’humour qui va jusqu’à l’autodérision, elle collectionnait dans son bureau de ministre les caricatures se moquant d’elle. Avec un faible pour un dessin de Plantu la montrant en bas résille, en train de fouetter un banquier. Surnommée « Madame Lagaffe » à ses débuts ministériels, parce qu’elle a commis l’erreur de suggérer une réforme du droit du travail français, elle a bien vite rectifié le tir. Elle ne s’est plus risquée à briser ce tabou avant son accession au FMI, où elle a renoué avec une parole plus libre sur son pays. Son look classique, Chanel et Ventilo, la fait passer pour la grande bourgeoise qu’elle n’est pas. Fille de professeurs du Havre, elle a réussi à force de volonté et de compétences. Avant

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la mort de son père, qu’elle a perdu à 16 ans, elle avait promis à cet enseignant d’anglais à l’université qu’elle irait étudier aux États-Unis. En 1975, après son baccalauréat, elle passe un an à Washington dans une école pour jeunes filles. Elle revient faire Science Po à Aix-en-Provence, puis un troisième cycle de droit social à Nanterre et une maîtrise d’anglais. Recrutée à l’âge de 25 ans pour créer à Paris le département de droit social du prestigieux cabinet d’avocats américain Baker & McKenzie, elle en devient associée en 1987, puis associée gérante de l’antenne parisienne en 1991 – avant d’être intégrée au comité international de la firme à Chicago en 1995, puis d’en finir présidente en 1999, avec des émoluments de 800 000 dollars par an. Cela lui vaut d’être classée cinquième femme d’affaires européenne de l’année 2002 par le Wall Street Journal. PROFIL INHABITUEL Repérée par le Premier ministre de droite, Jean-Pierre Raffarin, elle reçoit un coup de fil de Paris en 2005 pour lui demander d’être ministre déléguée au Commerce extérieur. Elle accepte de manière impulsive, au risque d’un choc culturel… De ses années à Chicago, elle a en effet gardé une approche résolument positive, loin du « négativisme de l’intelligentsia française », critiquera-t-elle plus tard. Elle fait ses preuves à Bercy, où elle est nommée en 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Elle est


PATRICK GHERDOUSSI/DIVERGENCE-IMAGES.COM

Travailleuse acharnée, cette avocate de profession s’est rapidement imposée grâce à son action à Bercy lors de la crise de 2008.

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PORTRAIT

« Que se serait-il passé si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters ? », répète-t-elle depuis la faillite de la banque américaine en septembre 2008, plaidant pour un plus grand nombre de femmes au pouvoir.

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un temps pressentie pour remplacer François Fillon au poste de Premier ministre en 2010, avant que celui-ci ne soit finalement reconduit. Son action visant à stabiliser l’économie française, lors de la tourmente de la fin 2008, lui vaut une reconnaissance internationale. Elle est sacrée par le Financial Times meilleure ministre des Finances de la zone euro en 2009. Arrivée à Bercy alors qu’elle a raté deux fois le concours de l’ENA (École nationale d’administration) et fait carrière dans le secteur privé, elle passe en 2011 à la direction du FMI sans être docteur en économie. Christine Lagarde offre un profil inhabituel, mais elle est soutenue par le couple franco-allemand pour son expérience, par les États-Unis pour sa gestion libérale et le fait qu’elle soit une femme. Là voilà appelée à remplacer Dominique Strauss-Kahn, après « l’affaire du Sofitel ». Lors de son entretien d’embauche, les 24 administrateurs du FMI la mettent sur le gril durant trois heures. « Face à ces 24 hommes, je me suis dit que ce serait bien que les choses changent un peu », dira-t-elle plus tard, se gardant bien de tout commentaire sur les frasques de son prédécesseur. Elle envisageait déjà son service à l’État comme un « sacerdoce », notait son frère Olivier, baryton et chanteur d’opéra, peu après sa nomination à Bercy. On comprend alors pourquoi elle préfère la rigueur, l’agenda surchargé et les lourdes responsabilités du FMI, plutôt qu’une retraite dorée ou la direction plus amusante du Forum de Davos. Mariée et divorcée, elle a gardé le patronyme de son ex-époux, délaissant son nom de jeune fille, Lallouette. Elle suit de près le parcours de ses deux fils, Pierre-Henri et Thomas, nés en 1986 et 1988, dont l’un étudie l’architecture aux États-Unis et l’autre s’est lancé dans l’entrepreneuriat à Paris. Et partage depuis 2007 sa vie avec l’homme d’affaires corse Xavier Giocanti. Cette végétarienne pratique le yoga et s’arrange pour faire des longueurs de piscine aussi souvent que possible. Elle se montre volontiers féministe, en paroles comme en actes

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– insistant pour rencontrer des femmes lors de ses déplacements officiels. « Que se serait-il passé si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters ? », répète-t-elle depuis la faillite de la banque américaine en septembre 2008, plaidant pour davantage de femmes au pouvoir. Un gage d’une gestion plus participative et plus prudente, à l’en croire. « Les femmes injectent moins de libido et de testostérone que les hommes en affaires », souligne-t-elle, critique sur le temps perdu en salamalecs lors des réunions avec ses pairs masculins, qu’elle trouve trop occupés à « marquer leur territoire ». DANSE DU VENTRE Au FMI, où elle a barré la route aux BRICS qui en revendiquent la direction, elle a commencé par sonner l’alerte et pousser à la recapitalisation des banques européennes. Puis, elle s’est attaquée à la dette ukrainienne et grecque, militant pour un allégement de cette dernière, dans un bras de fer contre les Allemands. Finalement, c’est une sévère cure d’austérité qui est imposée à Athènes, déclenchant les critiques de toute la gauche européenne. Cette dernière dénonce ce qui ressemble fortement à un plan d’ajustement structurel. L’un de ceux qui ont terni la réputation de l’institution de Bretton Woods en Afrique dans les années 1990, avec baisses des dépenses publiques et privatisations à tous crins. Alors que DSK avait travaillé à donner une autre image du FMI, ce dernier est de nouveau perçu comme un champion des potions amères pour les pauvres… En parallèle, Christine Lagarde se déclare prête en 2014 à faire « une danse du ventre » pour convaincre les parlementaires américains de ratifier une réforme conçue en 2010 sous DSK pour donner plus de poids aux marchés émergents au sein de l’institution. C’est chose faite en 2015 : le Congrès américain entérine enfin le texte, qui va permettre à la Chine, deuxième puissance économique mondiale, de peser plus lourd que l’Italie au sein du conseil d’administration du FMI. Le Fonds


HANDOUT/REUTERS

voit ses moyens doubler, passant de 330 à 659 milliards de dollars, pour assurer la stabilité financière du monde. Et ce, alors que la conjoncture internationale, marquée par le ralentissement de la croissance chinoise et la baisse des cours des matières premières, retourne à un fort niveau de volatilité financière. C’est bien joué : Christine Lagarde obtient le soutien sans faille de Pékin et Washington, au moment de rempiler pour un second mandat. Tant et si bien qu’elle est l’unique candidate à sa succession en février 2016, malgré le procès qui l’attend en France… L’actuelle directrice du FMI doit en effet répondre devant la justice française d’un arbitrage donné lorsqu’elle était ministre des Finances, dans le cadre de « l’affaire Bernard Tapie ». Celui-ci a vendu Adidas au Crédit lyonnais en 1993 pour 315 millions d’euros. Moins de deux ans plus tard, la banque publique, en quasi-faillite, revend Adidas 700 millions d’euros. Du coup, l’homme d’affaires, qui se sent floué, attaque le Consortium de réalisation (CDR), la structure

publique qui doit régler le passif du Crédit lyonnais. La ministre Christine Lagarde opte pour l’arbitrage, une solution rapide et peu coûteuse explique-t-elle, afin de régler le contentieux. En 2008, un tribunal d’arbitrage condamne le CDR à verser 404 millions d’euros à Bernard Tapie pour compenser son manque à gagner. Mais, en 2015, la Cour d’appel de Paris annule cette décision pour « fraude », en raison des liens personnels entre l’homme d’affaires et l’un des trois juges arbitraux, Pierre Estoup. Décision ensuite validée par la Cour de Cassation, qui a refusé, le 22 juillet dernier, le recours de l’ancienne ministre visant à éviter une comparution devant la Cour de justice de la République (CJR). Le procès aura bien lieu et la patronne du FMI devra y répondre de « négligence », délit passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Même si elle assure avoir « bonne conscience », Christine Lagarde est aux prises avec un effet boomerang des plus made in France : sa qualité de médiatrice, reconnue surtout chez les AngloSaxons, pourrait se retourner contre elle. ❐

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Prise pendant une visite officielle au Cameroun, en janvier 2016, cette photo de Christine Lagarde dansant avec des enfants orphelins a fait le tour du monde.

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ARRÊT SUR IMAGE

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Antoine Guego

DIRECTEUR AFRIQUE ET OCÉAN INDIEN D’ACCORHOTELS

« Les grands acteurs se concentrent sur le tourisme d’affaires » Sixième opérateur hôtelier mondial, le groupe français veut renforcer sa présence sur le continent. Leader en zone francophone, il vise maintenant les marchés anglophones. Objectif : atteindre 200 établissements à l’horizon 2020, contre un peu moins d’une centaine actuellement. Propos recueillis à Paris par Julien Wagner

S

ur le marché de l’hôtellerie, l’heure est à la concentration. Après le rachat de Starwood Hotels par Marriott pour donner naissance au numéro 1 mondial du secteur (une opération à 12,2 milliards de dollars), le Français AccorHotels, leader en Europe, en Asie et en Amérique du Sud, est aussi passé à l’action. Il s’est offert le Canadien Fairmont Raffles Hotel International (FRHI), déboursant 2,67 milliards d’euros, la plus grosse acquisition de son histoire. Avec cette opération, le groupe, qui comptait 3 873 hôtels (soit 511 517 chambres) dans le monde fin 2015, affiche une double intention : mettre un pied en Amérique du Nord et augmenter ses positions dans le luxe, « marché qui progresse le plus » selon son PDG, Sébastien Bazin. En parallèle, le géant hôtelier entend développer ses activités sur le continent, où il gère 95 établissements sous ses marques

Sofitel, Pullman, Novotel, Mercure et Ibis. Leader dans la région ouest-africaine et très présent au Maghreb, il ambitionne de s’étendre à l’est et au sud afin de construire un réseau continental et de profiter d’un secteur en plein essor. Pour financer cette expansion, AccorHotels, plus de 5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015, va ouvrir le capital d’HotelInvest, la foncière qui détient en propre ou en location les murs de 1 288 de ses hôtels. L’idée est de se concentrer sur le métier d’opérateur-franchiseur, en délaissant celui de propriétaire-investisseur. Sur le terrain africain et depuis ses bureaux de Casablanca, c’est Antoine Guego, globe-trotter de 57 ans, qui est à la manoeuvre. Fort d’une expérience dans une dizaine de pays sur quatre continents, ce Français dirige un pôle (Afrique et océan Indien) qui assure 6 % du chiffre d’affaires ■■■ global d’Accor.

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Antoine Guego

RENCONTRES & REPORTAGES

AMB : Conjoncture difficile, problèmes sécuritaires, activités en baisse… Vous continuez à penser que l’hôtellerie va se développer en Afrique ?

■■■

43,6

milliards de dollars de recettes engrangées en 2014 sur le continent.

8,1 %

du PIB, c’est la contribution du secteur à l’économie.

20

millions de personnes employées directement ou indirectement, soit 7,1 % du total des emplois.

4 %

Le poids de l’Afrique dans le tourisme mondial. Elle représente 5,8 % des arrivées et 3,5 % des recettes produites. Source : Banque africaine de développement et World Travel & Tourism Council.

Comment parvenir à votre objectif de tripler votre implantation d’ici 2025 ?

Notre ambition est avant tout d’atteindre les 200 hôtels en 2020, puis, si possible, 300 d’ici 2025, contre un peu moins d’une centaine à l’heure actuelle. Cela représente un effort considérable. Dans cette optique, nous avons ouvert un bureau à Johannesburg en début d’année qui doit nous permettre de pénétrer rapidement en Afrique de l’Est et australe puis d’y asseoir notre présence. Nous espérons y rencontrer le même succès qu’à l’ouest, où nous sommes les leaders incontestables et incontestés depuis longtemps.

Où projetez-vous des ouvertures ? Nous ciblons des villes plutôt que des pays. Addis-Abeba, Nairobi, Kampala, Kigali, Dar es Salaam et Maputo sont sur notre liste. Mais aussi Johannesburg, Le Cap et Luanda, où nous avons signé l’année dernière un contrat de gestion portant sur 50 hôtels. Un Pullman ouvrira à Nairobi en début d’année prochaine. Des Sofitel, Pullman, Novotel, Mercure et Ibis devraient ouvrir à AddisAbeba en 2017 et 2018. Le Pullman, le Mercure et le Novotel sont déjà en cours de construction.

C’est un secret professionnel. Il faut comprendre qu’en termes de prix, nous nous battons au point, et même au demi-point avec la concurrence. De manière générale, nous ne sommes pas les moins chers mais nous offrons le meil-

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En excluant les États-Unis, nous sommes le numéro un mondial, car leaders en Amérique du Sud, en Europe et en Asie. Cette position nous confère le plus grand réservoir de clientèle possible. En rejoignant notre groupe, les propriétaires d’hôtels bénéficient de ce vaste réseau. Nos comptes internationaux, plus de 500 contrats de partenariat avec notamment IBM, Total, Siemens, Airbus ou encore General Electric, et notre club de fidélité sont des atouts indéniables.

Vous devez tout de même faire face au succès des sites de réservation en ligne, qui démocratisent l’accès au marché ?

Notre PLAN numérique est mis en œuvre en MÊME temps dans le monde entier et le continent sera parfois PILOTE.

Sur vos 95 établissements africains, près de 80 % font l’objet d’un contrat de gestion. Quel est le montant moyen d’un contrat de ce type ?

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C’est-à-dire ?

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Tous les ans, de nouveaux acteurs investissent le secteur. Des intermédiaires, des outils de recherche, des comparateurs de prix, des agences de voyages, etc. Chacun prend sa commission et lorsque vous faites l’addition, la somme est considérable. De notre côté, nous avons la capacité d’attirer une clientèle de manière plus directe, à travers nos propres canaux, ce qui revient bien moins cher que les agences en ligne. C’est la grande bataille de ce premier quart de siècle : donner un accès direct aux établissements. C’est pour cette raison que nous avons acheté fastbooking.com et que nous allons investir 250 millions d’euros dans un plan digital sur cinq ans.

L’Afrique fait-elle partie de ce plan ? Oui, elle n’est pas séparée du reste du monde et ne l’a jamais été. S’il existait encore des barrières, les nouvelles technologies sont en train de les faire tomber. Le taux de couverture mobile y est colossal. Des solutions monétiques, comme Orange Money, s’y développent avant même de fonctionner en Europe. Notre plan numérique va se dérouler dans le monde entier à la même vitesse et le continent sera même parfois pilote.

Qui sont vos clients ? Il y a deux catégories, le voyage de loisirs et le déplacement d’affaires. Concernant le premier, l’Afrique a un potentiel infini mais son industrie reste balbutiante. Il y a des crises politiques, sécu-

SHUTTERSTOCK

CHIFFRES DU TOURISME

Le continent est l’aventure du XXIe siècle. C’est lui qui offre le plus fort potentiel de croissance. Nous sommes là pour accompagner cet essor. L’investissement commence pratiquement toujours par de la prospection, qui, elle, nécessite de l’hébergement. Or, offrir des logements de qualité dans les endroits où il n’y en a pas encore, c’est notre vocation. Lorsque nous construisons un hôtel, nous nous engageons sur la durée de son cycle de vie, soit une bonne trentaine d’années, dans une logique de long terme.

leur accès possible au marché. C’est ce qui fait la différence pour nos propriétaires.


« Les grands acteurs se concentrent sur le tourisme d’affaires »

DR

Un des établissements phares du groupe, le Sofitel Ivoire à Abidjan.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Antoine Guego

ritaires et sanitaires qui font qu’il est compliqué d’avoir une vision de long terme sur ce segment. Il ne représente d’ailleurs que 30 % de notre chiffre d’affaires, contre près de 70 % pour le tourisme d’affaires. C’est sur lui que les grands acteurs, dont nous faisons partie, se concentrent.

Comment ce tourisme d’affaires évolue-t-il ? La dynamique la plus notable, ce sont les flux intra-africains qui ne cessent de croître. Ils représentent plus de la moitié de notre clientèle. Nos visiteurs sont de plus de plus africains et c’est un phénomène de fond. L’autre moitié, ce sont des Européens, surtout des Français et des Anglais, dans une moindre mesure des Moyen-Orientaux et des Asiatiques, assez peu de Nord-Américains.

Comment satisfaire tout le monde ? D’une part, nous essayons d’adapter notre établissement et nos services à la culture locale. Cela permet de séduire le premier type de clientèle. Ensuite, lorsqu’une nationalité autre prend de l’importance, nous mettons en place une offre dédiée. Par exemple, si nous avons beaucoup de Chinois dans un hôtel, nous leur proposons un petit-déjeuner spécifique.

La concurrence est rude… Nous sommes en compétition avec de nombreux hôteliers locaux, les quelques grands groupes internationaux habituels mais aussi de plus petits opérateurs privés chinois. Nous remarquons que certains ont tendance à copier nos stratégies. D’autres se développent simplement par opportunisme, pour avoir du volume et dire qu’ils sont présents. En ce qui nous concerne,

Top 5 de la fréquentation touristique Nombre de visiteurs internationaux en 2015 (en millions)

10,1 Maroc

9 Égypte Source : gouvernements et ministères du Tourisme.

8,9

Afrique du Sud

6

notre plan d’action est clairement défini par le potentiel de développement à long terme des villes que nous avons sélectionnées.

Revenons sur le contrat de gestion de 50 hôtels signé l’an dernier en Angola. Sur le papier, cela vous permet d’augmenter de 50 % de votre présence sur le continent… Nous avons rencontré un partenaire exceptionnel, la société angolaise AAA Activos, dont le propriétaire veut développer le tourisme dans son pays. Au départ, son ambition était de créer sa propre chaîne. Mais, il s’est rendu compte que l’hôtellerie était un métier spécifique. Il a donc fait appel à nous pour gérer son parc. Sur les 50 hôtels prévus, 39 sont d’ores et déjà achevés. La majorité constitue un maillage sur le territoire de type Ibis, notre marque économique, à destination des Angolais en premier lieu.

Vu les difficultés économiques du pays, deuxième producteur de pétrole du continent, le projet ne vous semble pas démesuré ? Certes, la situation économique actuelle est délicate, mais chaque hôtel pris individuellement, de 60 à 180 chambres, est viable. Ce qui demande beaucoup d’efforts, c’est la base, à savoir la formation des équipes.

Le capital humain est une problématique continentale. Les postes les plus qualifiés sont toujours occupés par des personnes venant de l’étranger ? Oui et c’est normal. Lorsque l’on débute, on a besoin d’expérience et celle-ci s’est construite ailleurs. Au départ, l’encadrement vient forcément de l’extérieur. Mais, cette contrainte a été intégrée par notre partenaire angolais. Elle faisait même partie de sa vision. Dans le contrat de formation signé, nous avons pour obligation de former des managers nationaux sur chaque poste dans une période de trois ans. À partir d’une situation où il n’y a quasiment aucun professionnel dans le pays, nous allons former entre 200 et 300 managers compétents en dix ans. C’est considérable. De façon générale, le capital humain est essentiel pour nous. Nous venons d’ailleurs de connaître notre première vague de nomination de directeurs issus de la formation interne. Vous avez déjà vu des responsables d’hôtel marocains sur

Tunisie

1,8

Zimbabwe


« Les grands acteurs se concentrent sur le tourisme d’affaires » le continent, vous allez maintenant rencontrer des Camerounais, des Gabonais, des Ivoiriens, des Sénégalais… La seconde phase du succès, ce sera quand des Africains s’expatrieront vers le reste du monde. À titre d’exemple, le directeur de nos hôtels à Tokyo est un Marocain.

Ces derniers mois, les problèmes sécuritaires se sont multipliés, que ce soit en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Mali. Que faire ? Je tiens à saluer nos équipes en Tunisie et en Côte d’Ivoire, qui ont été directement touchées, que ce soit récemment ou il y a quelques années. Je rappelle qu’en 2011, lors de la crise ivoirienne, l’un de nos directeurs d’hôtel [du Novotel d’Abidjan, NDLR] a été tué. Nous avons tout fait pour ne pas fermer l’établissement et préserver les emplois, avec succès. Ensuite, nous avons augmenté la sécurité d’un cran, y compris là où il n’y a pas eu d’instabilité ni d’attentats. Les mesures de protection renforcées que nous appliquions déjà au Nigeria, notamment, vont être étendues à la Côte d’Ivoire et au Sénégal. Cela signifie la mise en place de portiques de sécurité et de scanners à bagages.

Avez-vous constaté une baisse de la fréquentation ? Pas tant que cela. Le touriste d’affaires est moins sensible à ces phénomènes que le voyageur de loisirs. Il a une approche plus rationnelle, plus raisonnée. Et puis, généralement, il n’a pas le choix. Notre engagement, c’est la meilleure sécurité possible. Prendre toutes les dispositions possibles sachant que, malheureusement, le risque zéro n’existe pas.

En République démocratique du Congo (RDC), vous venez de prendre en gestion un hôtel à Kinshasa, en pleine crise institutionnelle, puis un autre à Lubumbashi, dont le secteur minier rencontre des difficultés… La RDC est un pays complexe, mais Kinshasa est une capitale d’affaires régionale extrêmement importante. Il n’y a rien de plus logique que nous gérions un hôtel (Pullman) sur place. Il se trouve que l’un des propriétaires de cet établissement historique détient également une structure à Lubumbashi, dont il voulait nous confier la gestion. Nous n’ouvrons pas au meilleur moment mais, là encore, il faut viser le long terme.

Votre rachat de Fairmont Raffles Hotel International (FRHI) fin 2015 a été présenté comme une volonté de renforcer votre positionnement dans le luxe.

Cela se ressentira-t-il en Afrique ? L’hôtellerie haut de gamme est un segment essentiel en termes de rayonnement, de potentiel de développement et de rentabilité. C’est aussi une niche. Le très grand luxe, c’est seulement une quinzaine d’hôtels en Afrique, dont huit Sofitel au Maroc. La question que l’on doit se poser est de savoir quel type d’hébergement correspond aux besoins des voyageurs qui viennent dans une ville donnée. Et quel est le prix moyen qu’ils sont prêts à payer. Il nous arrive fréquemment de déconseiller à nos propriétaires de construire un Sofitel là où il n’y a pas de marché correspondant.

Qu’attendez-vous des gouvernements africains ?

Les mesures de PROTECTION renforcées que nous appliquions déjà au Nigeria, notamment, vont être ÉTENDUES à la Côte d’Ivoire et au Sénégal.

De bonnes infrastructures et, bien sûr, un « open sky ». C’est-à-dire une plus grande concurrence commerciale en matière de trafic aérien. C’est quelque chose que nous appelons de nos vœux depuis très longtemps. Une ouverture du ciel constituerait une véritable délivrance pour l’Afrique. Plus que la fréquence des liaisons, c’est le coût qui pose problème. Il est souvent rédhibitoire pour le tourisme de loisirs. Nous avons besoin de concurrence pour faire baisser les prix et générer un tourisme de masse.

Sur quels autres points attendez-vous des avancées ? Les politiques de visas mériteraient d’être assouplies. Beaucoup de pays sont encore trop rigides en la matière. Ils devraient imiter le Sénégal qui vient d’abandonner la pratique de visas. Ou encore le Rwanda, l’Ouganda et le Kenya, qui ont signé ensemble un accord de libre circulation en vigueur depuis 2014. Ces initiatives sont excellentes et ne peuvent qu’accélérer l’essor. De façon générale, le tourisme aurait besoin de simplifications administratives, d’un environnement juridique sécurisé et d’une plus grande indépendance de la justice. Un contrat commercial signé avec des arbitrages internationaux ne doit pas être repris en main par la justice locale, par exemple. Or, cela arrive encore. Les acteurs privés doivent pouvoir compter sur un environnement légal, fiscal et administratif stable et fiable. C’est un outil indispensable au développement à long terme. ❐

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Consommation

L’une des cibles de ce marché VIP, la jeunesse dorée marocaine (ici dans la station balnéaire d’El Jadida).

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CAPUCINE BAILLY/COSMOS

RENCONTRES & REPORTAGES


RENCONTRES & LeREPORTAGES boom du luxe

Consommation

Les frontières bougent dans la géographie du haut de gamme. Après la Chine et la Russie durant la décennie 1990, c’est au tour de l’Afrique d’incarner le nouvel eldorado pour les marques de prestige du monde entier.

Le boom du luxe Par Olivier Piot

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RENCONTRES & REPORTAGES

Consommation

E

n 2015, les 5 millions de bouteilles de champagne vendues en Afrique ne représentaient que la consommation annuelle de la… Suisse. Il n’empêche, une dynamique est à l’œuvre : en quinze ans, la consommation de la boisson à bulles y a affiché une croissance spectaculaire de 150 %. « C’est clairement la zone où nos ventes connaissent actuellement la plus forte expansion et où les années à venir sont très prometteuses, avec un marché qui représente déjà près de 100 millions d’euros par an, soit cinq fois plus qu’en 2000 », s’enthousiasme Thibaut Le Mailloux, directeur de la communication du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC). Spiritueux mais aussi voitures rutilantes, parfums de renom, montres de prestige et robes haute couture, la demande est bien là. La vie nocturne et truculente de la jeunesse dorée du Nigeria illustre une frénésie qui s’étend dorénavant à (presque) toutes les grandes villes africaines. Au point que, de Lagos à Casablanca, d’Abidjan à Johannesburg, en passant par Accra et Luanda, tous les acteurs de l’industrie du luxe, produits comme services, ont les yeux braqués sur les classes dominantes du continent, et sur l’évolution de leurs modes de vie et de consommation. Certes, il faut d’emblée relativiser cette effervescence. À l’échelle mondiale, le marché du haut de gamme, tous pro-

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duits confondus (mode, bijoux, voitures, spiritueux, parfums, cosmétiques, etc.) reste largement dominé par les mégalopoles occidentales, les pays du Golfe et la Chine. Selon une récente étude du cabinet Bloomberg Intelligence, la valeur globale du marché était de 351 milliards de dollars l’an passé, dont seulement 4 milliards de dollars pour l’Afrique1. Mais, dans les prévisions de croissance entre 2014 et 2019, cette dernière est la région du monde où la croissance annuelle de la consommation (+5,6 %) sera la plus forte. Pour toutes les grandes marques, le continent est donc devenu une zone stratégique. « La plupart des maisons du luxe vendent partout les mêmes gammes de produits et n’ont pas une approche sectorielle en fonction des pays, souligne Thibaud de La Rivière, directeur de l’Institut supérieur de marketing de luxe de Paris. En revanche, certains groupes ajustent d’ores et déjà leurs stratégies en matière d’investissement. » L’ORÉAL À JOHANNESBURG C’est notamment le cas de L’Oréal, qui a inauguré en juillet un nouveau centre de recherche et d’innovation en Afrique du Sud, à Johannesburg, dédié aux spécificités de la peau et du cheveu africains. « La zone subsaharienne est une des régions en forte croissance pour notre groupe. Cette infrastructure va nous permettre d’intensifier nos efforts pour créer les produits

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PER-ANDERNS PETTERSSON/COSMOS

La haute couture locale se développe, notamment au Nigeria. Ici, lors de la Lagos Fashion Week, en 2014.


Le boom du luxe

Les marques occidentales multiplient les investissements. Ici, un concessionnaire de voitures de luxe à Johannesburg (Afrique du Sud).

BAHRAM MARK SOBHANI/ZUMA/RÉA

À POUVOIR d’achat équivalent, les hommes africains CONSOMMENT plus de cosmétiques et de vêtements CHICS que leurs homologues européens ou ASIATIQUES. de beauté du futur destinés à nos consommateurs africains, tout en puisant notre inspiration dans les rituels traditionnels et les besoins très variés de nos clients », a expliqué Alexandre Popoff, directeur général Europe de l’Est, Afrique et MoyenOrient, lors de l’inauguration du centre, le septième du groupe dans le monde, comptant 20 salariés. En 2015, le leader mondial des cosmétiques (32 marques au total) a réalisé un chiffre d’affaires de 727,9 millions d’euros dans la région Afrique et Moyen-Orient, en hausse de 28,1 % à rapport à 2014, ce qui en faisait la zone à plus forte croissance du groupe. Mais L’Oréal est loin d’être le seul à réagir. Fin 2015, Hublot, la marque suisse de montres, a lancé sa première campagne de publicité exclusivement destinée au Moyen-Orient et à l’Afrique, avec pour égérie la présentatrice de télévision libano-australienne Daniella Rahme. Dans le même temps, Mercedes a accéléré la production de sa nouvelle Classe C dans son usine sud-africaine d’East London, avec un chiffre de 50 000 voitures produites par an par quelque 2 700 salariés. La mode n’est pas non plus en reste. Alors que le groupe Hermès a déjà lancé sa série de châles en soie aux motifs (plantes et animaux) de peintures zou- ■ ■ ■

LE CASSE-TÊTE DU SHOPPING À L’ÉTRANGER

T

outes les études sur le luxe sont confrontées à la même difficulté : comment répertorier des achats faits aux quatre coins de la planète ? Par exemple, imaginez qu’un Nigérian s’offre une bouteille de champagne à l’aéroport de Dubai ou dans une boutique de Paris ou Londres. Elle sera comptabilisée soit dans la catégorie duty free des marques, soit dans le segment France ou Grande-Bretagne ou encore « sortie des caves » en tant qu’exportation par les maisons de champagne. Autrement dit, cet achat d’un Africain ne sera pas identifié sur le continent. Idem pour les montres et tout autre objet de mode ou accessoire. Pour les voitures, en revanche, ou encore certains articles de bijouterie très haut de gamme, la nationalité du client est souvent consignée. « Cette consommation abroad (en dehors du pays) est une donnée importante car beaucoup d’Africains achètent des produits de luxe à l’occasion d’un déplacement à l’étranger », souligne la consultante Maryanne Njeri Maina. À l’image de ce qui se passe pour les consommateurs chinois (25 % du marché mondial du luxe, dont 7 % consommés en Chine et 18 % à l’étranger, selon Bain & Company), la plupart des experts estiment qu’environ 70 % des achats de luxe des Africains se font toujours en dehors du continent. Mais la tendance pourrait s’inverser avec l’ouverture de boutiques locales. ❐ O.P.

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RENCONTRES & REPORTAGES

Consommation loues, Louis Vuitton a présenté fin juin, à Paris, les collections printemps-été 2017 de sa mode masculine : un safari que son directeur artistique, Kim Jones, a placé sous le signe de ses propres souvenirs d’enfance au Kenya et au Botswana, avec des couleurs et des imprimés typiquement africains. La physionomie du marché du luxe sur le continent reflète les bonnes performances des économies depuis 2005. Selon les dernières études du cabinet Bain & Company, qui a vu le secteur du luxe bondir de 300 % depuis 1995, « l’Afrique a le potentiel d’être une nouvelle vedette dans les années à venir »2, avec des pays phares comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc et l’Égypte, suivis de près par d’autres grandes capitales comme Luanda, Accra ou Addis-Abeba. Ce développement s’explique notamment par la hausse du nombre des grandes fortunes. Le classement 2016 du magazine américain Forbes sur les milliardaires et la dernière livraison du World Wealth Report de Capgemini et RBC le montrent : le nombre d’« ultra-riches » (ceux qui peuvent investir au moins un million de dollars américains) est passé de 80 000 à 200 000 entre 2006 et 2015, soit une fortune cumulée d’environ 1 400 milliards de dollars l’an passé, en croissance de 55 % depuis 2006 (contre +34 % en Europe, sur la même période). Mieux, toujours selon Capgemini et RBC, la fortune cumulée de ces très privilégiés devrait croître de 80,7 % d’ici à 2025 (contre +46,2 % en Europe et +54 % en Amérique du Nord, sur la même période). Ce qui donne une idée du potentiel de croissance du secteur. ■■■

THIBAUT DE LA RIVIÈRE Directeur de l’Institut supérieur de marketing de luxe de Paris

« L’acheteur reste très attaché aux marques » AMB : Existe-t-il une particularité propre à la clientèle haut de gamme du continent ? Issue des couches sociales supérieures, d’abord, puis élargie aux classes moyennes, elle partage beaucoup de points communs avec les autres clients du luxe dans le monde. Toutefois, l’acheteur africain est très attaché à l’identité des enseignes, à leur univers et à leur image, contrairement au consommateur chinois, qui fréquente volontiers des lieux de vente multimarques. Sur le continent, on voit donc s’implanter de nombreuses boutiques, comme les concessions Bentley ou Ferrari à Lagos, par exemple. C’est une tendance qui existait déjà en Afrique du Nord et dans les pays arabes. Elle va sans doute se généraliser à l’ensemble du continent dans les années à venir.

Les grandes marques ont-elles une démarche publicitaire spécifiquement africaine ? Les magazines spécialisés dans le luxe, en mode notamment, restent essentiellement occidentaux. Même chose pour les sites Internet : leur langage est mondial. À de rares exceptions près, les grandes maisons ne cherchent pas à adapter leur communication à tel ou tel pays. Ce que les clients viennent chercher, c’est l’image de ces marques. Ils sont séduits par leurs identités et ces enseignes n’ont donc pas intérêt à les changer.

TOURISME MÉDICAL PREMIUM Mais le succès du haut de gamme en Afrique n’est pas l’apanage des seules grandes fortunes. Le développement des classes moyennes, dont le mode de consommation s’inspire en grande partie des pratiques des « ultra-riches », fortifie aussi ce marché. « L’évolution des modes de vie des classes urbaines intermédiaires joue aussi un rôle clé dans le succès du luxe, indique la Kényane Maryanne Njeri Maina, consultante diplômée de HEC Paris. En gagnant mieux leur vie, ces personnes se mettent à voyager et à consommer des marques de prestige. » À Abidjan, Lagos, Casablanca, Johannesburg ou au Caire, « cette évolution se traduit par l’implantation de boutiques et centres commerciaux qui offrent une gamme de plus en plus

100

Qu’en est-il de leur approche stratégique ? Dans ce domaine, chaque marché a ses spécificités et les grandes maisons le savent. Les Japonais, par exemple, pour des raisons culturelles, ne sont pas des consommateurs de parfums. En Afrique, le goût du beau est très développé, notamment dans les vêtements et les accessoires. Comme Yves Saint Laurent le fit en son temps, des marques de haute couture s’inspirent de cet univers graphique. Quant aux cosmétiques, les enseignes s’adaptent aux goûts et particularités des peaux et cheveux de leur clientèle subsaharienne. ❐ Propos recueillis par O. P.

millions d’euros

TOP 6 DES ACHETEURS DE CHAMPAGNE

(en nombre de bouteilles en 2015)

702 000 624 000 266 000 249 000 235 000 198 000

AFRIQUE DU SUD NIGERIA CÔTE D’IVOIRE ANGOLA MAROC RÉPUBLIQUE DU CONGO

Source : Comité interprofessionnel du vin de Champagne.

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La valeur des dépenses de la boisson à bulles sur le continent en 2015.

STÉPHANE OLIVIER/ARTEPHOTO.COM

3 questions à…


Le boom du luxe large de ces produits ». Autres caractéristiques : « À pouvoir d’achat équivalent, les hommes africains consomment plus de cosmétiques et de vêtements chics que leurs homologues européens ou asiatiques, souligne la consultante. Enfin, les femmes du continent ont dorénavant accès aux responsabilités dans les milieux d’affaires et cela se répercute dans leurs achats. » Qu’est-ce qui attire en priorité ces clients ? Côté grandes fortunes, on retrouve sans surprise les produits très haut de gamme : voitures (Mercedes, Porsche, etc.), bijoux et griffes de grands couturiers, sans oublier l’art et le design ou les alcools de renom (whisky, cognac, gin, etc.). Selon Diageo, le leader mondial de la distribution de spiritueux, les ventes de sa gamme de luxe Reserve ont crû de 40 % en 2015, notamment dans des villes comme Le Cap, Durban, Lagos, Nairobi et Accra. Avec une mention toute particulière pour le champagne, dont les grandes cuvées font fureur en Afrique du Sud et au Nigeria (voir l’infographie ci-dessous à gauche). Au Maroc, la station Luxe Radio illustre bien ce nouvel appétit de

« goût et raffinement » (voir l’encadré ci-dessous). Mais ce segment de la population est aussi friand d’un luxe dit « expérientiel », décliné en services : voyages (hôtels cinq étoiles, première classe en avion) et tourisme d’exception, un segment en hausse en Afrique, selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme), mais également les séjours premium en hôpitaux occidentaux avec des étages entiers réservés à des personnes fortunées. ESSOR DES ENSEIGNES LOCALES Du côté des classes moyennes, ce sont les catégories d’entrée de gamme qui plaisent. Parfums, cosmétiques, accessoires, vêtements, avec notamment deux nouvelles tendances fortes, qui viennent s’ajouter à l’importance de l’achat à l’étranger (voir l’encadré p. 83) : la multiplication du nombre de boutiques concept stores dans les grandes villes et le fort développement des ventes en ligne. Selon l’agence Zenith, filiale du groupe Publicis, le numérique sera le premier médium du marché ■ ■ ■

RADIO LUXE, UNE STATION POUR LES CSP+ MAROCAINS

S

150 % La hausse de la consommation en quinze ans en Afrique.

SHUTTERSTOCK

23e

Le rang occupé par le Nigeria au sein des importateurs mondiaux de champagne.

Le nombre d’« ULTRARICHES » est passé de 80 000 à 200 000 entre 2006 et 2015.

igne des temps, et sans doute aussi preuve d’une certaine maturité du marché, il existe au Maroc une radio entièrement consacrée à l’univers du haut de gamme. Fondée en 2010 par l’homme d’affaires marocain Abdessamad Aboulghali, Luxe Radio (LR) compte aujourd’hui une trentaine de collaborateurs et diffuse dans près de 25 villes du Maroc et sur Internet. Son identité éditoriale ? LR « cultive la différence et s’adresse aux urbains à hauts revenus, ouverts au changement et à l’influence du monde extérieur, et sensibles aux valeurs du goût, de l’élégance et du raffinement ». Elle propose différents programmes sur des produits et tendances mais aussi des débats. En 2012, la marque, dont le logo est un œuf stylisé, a lancé une galerie d’art contemporain ambulante baptisée Luxe Radio Mobile Art. Depuis l’automne 2015, LR, que certains Marocains appellent « le papier glacé de la radio », a récupéré le prestigieux site du Pré Vinci de Casablanca (11 000 m2 dans le quartier cossu de Californie) pour le transformer en un club culturel. Appelé Les Salons, le lieu est consacré « à la haute cuisine, à la musique et au cigare », sans oublier l’organisation d’événements VIP. La façade est l’œuvre de l’architecte français François Viseux et la décoration intérieure, celle du designer belge Geert Buelens. Réseaux sociaux obligent, l’endroit vient de lancer sa page Facebook. On peut y lire : « Sociabilité raffinée de femmes et d’hommes de lettres et de goût revendiquant l’héritage des salons londoniens du XVIIIe siècle ». ❐ O.P.

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■ ■ ■ publicitaire du luxe au niveau mondial en 2017, avec une part de 32,1 %, contre 28,6 % pour la presse écrite. En Afrique, cette suprématie d’Internet est très nette, et de plus en plus de marques proposent des pages à paiements sécurisés avec des délais de livraison optimisés. « Le digital sera sans doute l’une des particularités du luxe en Afrique, souligne Thibaut de La Rivière. Ces populations, qui sont passées plus vite que d’autres à l’utilisation des téléphones portables et aux réseaux sociaux, hésitent moins que nous à faire leurs achats en ligne. » Si jusqu’en 2010, le luxe africain était très largement dominé par les grandes marques occidentales, ce marché a aujourd’hui atteint une première maturité qui se traduit par l’émergence d’enseignes locales très haut de gamme. « Si l’on compare avec l’Asie ou même la Russie, c’est une caractéristique propre au continent de voir de nombreux créateurs garder la trace de leur culture et la valoriser en développant les marques authen-

LE TEMPLE BRANCHÉ DU NIGERIA

D

ébut 2015, la boutique Alára a ouvert ses portes dans le très prisé quartier de Victoria Island, à Lagos. Œuvre d’un architecte de renom – le Britannique d’origine ghanéenne David Adjaye, concepteur du Musée national de l’histoire de la culture africo-américaine de Washington –, investi par les plus grands couturiers africains et le chef sénégalais Pierre Thiam, ce lieu a été imaginé par la femme d’affaires nigériane Reni Folawiyo, épouse de l’un des onze Nigérians les plus riches, selon le palmarès 2014 de Forbes. Véritable reine des soirées mondaines de Lagos, cette avocate et designer a fixé un objectif à son concept store : offrir aux privilégiés locaux le nec plus ultra de la mode, du design et des arts africains et occidentaux, une structure qui ne doit rien envier aux boutiques les plus chics de Paris, Londres ou New York. Sur les trois niveaux d’un bâtiment rouge au style moderne et épuré, robes Lanvin et chaussures Yves Saint Laurent côtoient tissus wax et bijoux touaregs ainsi que les créations de l’Ivoirienne Loza Maléombho ou du Nigérian Duro Olowu. Dans le patio, un bar en fer forgé (œuvre du Sénégalais Baay Xaaly Sene) s’est transformé en quelques mois en un espace jet-set qui a déjà accueilli nombre de célébrités africaines et mondiales. ❐ O.P.

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Consommation tiquement africaines », analyse la consultante Maryanne Njeri Maina. C’est le cas notamment dans l’hôtellerie, avec des établissements cinq étoiles financés par des investisseurs locaux, comme le Majlis Resort de l’île de Manda, dans l’archipel de Lamu, au large de la côte nord du Kenya. Plage privée, piscines, villas en pierres blanches en bord de mer : l’établissement de rêve n’a rien à envier au luxe des Sheraton et autres Hyatt. Cette empreinte locale se retrouve également dans la création de lieux de vente conçus comme des concept stores. Alára, un lieu unique situé en plein cœur de Lagos, la très branchée capitale nigériane, illustre bien cette tendance (voir l’encadré ci-contre). MICHELLE OBAMA COMME CLIENTE Mais c’est surtout dans la mode et le design que ce luxe made in Africa a ses plus illustres représentants. Contrairement à la Chine et à la Russie, deux pays qui ont connu de longues périodes de ruptures culturelles au XXe siècle, les notions de l’esthétique et du beau en Afrique – que l’on retrouve par exemple dans la mouvance vestimentaire des sapeurs –, prolonge une vieille tradition. Couleurs, formes, matériaux : alors que les Chinois ont longtemps imité la culture occidentale pour ne créer que depuis peu leurs propres marques et enseignes, Dans ce concept store, le continent s’impose d’emblée la mode, l’art et le design dans la cour des grands de côtoient la nouvelle la création. Avec des artistes cuisine africaine. de renom comme le Nigérian Duro Olowu, qui a notamment comme cliente Michelle Obama, ou sa compatriote Zainab Ashadu, la fondatrice de la marque de sacs Zashadu, ou encore l’entrepreneuse sénégalaise Magatte Wade, installée aux ÉtatsUnis mais travaillant avec des matières premières de son pays, sans oublier la styliste polonaise basée en Afrique du Sud Kat van Duinen, spécialisée dans les objets en cuir fabriqués à partir de peaux d’autruche, de python et de crocodile. Leurs ventes sont encore limitées mais elles gagnent peu à peu en notoriété, y compris en dehors du continent. À Nairobi, Aprelle Duany incarne bien cette nouvelle vague. Formée à New York, elle est retournée vivre au Kenya où elle a lancé, en 2004, une marque de sacs à son nom, aux couleurs et formes innovantes. « Les rêves de luxe des Africains sont les mêmes que ceux qui animent les consommateurs des autres parties du monde, souligne-t-elle. Mais en Afrique, le luxe doit aussi affirmer les identités particulières de nos histoires et nos cultures, avec leur perception unique du beau et du raffiné. » ❐ 1. « Africa luxury goods market. Full of untapped promise », Bloomberg Intelligence, novembre 2015. 2. Étude sur le marché des produits de luxe Bain & Company, mai 2016.

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EMMANUEL AREWA/AFP

RENCONTRES & REPORTAGES


CAMEROUN

© ZACHARIE NGNOGUE

En route !

QUARTIER RÉSIDENTIEL BONANJO-DOUALA.

Un plan ambitieux de remise à niveau des voiries urbaines et de construction de nouveaux axes bitumés dans chaque région a été lancé. Objectif : accentuer les échanges et la fluidité commerciale.


ADVERTORIAL

Plan d'urgence Accélérer le désenclavement

OUVRAGE DE RÉHABILITATION DE LA VOIRIE.

En plus des programmes de développement du réseau inscrits au budget, le président Biya a lancé un plan d urgence.

uartier Mvog Atangana Mballa, au cœur de Yaoundé. Bulldozers, pelleteuses, niveleuses et autres compacteurs offrent le spectacle d un manège permanent. Leur mission : reconfigurer les lieux avec des voies fonctionnelles et plus larges, ainsi que des sens giratoires pour une meilleure fluidité dans cette zone très fréquentée de la capitale. Il s agit là de l une des concrétisations du Plan d urgence triennal pour l accélération de la croissance (Planut) mis en place par Paul Biya fin 2014 et qui comporte un volet consacré à la remise à niveau des voiries urbaines de Douala et Yaoundé pour 100 milliards de francs CFA, ainsi qu à la création de deux nouveaux axes routiers bitumés dans chaque région. Dans ce cadre, près de 650 km de routes sont déjà en cours de construction afin de désenclaver les bassins de production agropastoraux et les sites touristiques, réhabiliter les routes péri-urbaines, assurer l accès vers les zones à risque et garantir la fluidité commerciale et la circulation des personnes dans les zones frontalières.

Vision ambitieuse À travers ce programme spécial, le Président entend répondre à un besoin exprimé par les citoyens de tout le pays durant les consultations préalables à l adoption du Document de stratégie pour la croissance et l emploi. Concernant les infrastructures routières, les populations ont surtout demandé au gouvernement de mettre en place une véritable politique de désenclavement basée sur l entretien routier, le bitumage des axes prioritaires, la réhabilitation des ouvrages d art et l ouverture de routes supplémentaires. Au-delà du plan d urgence, le gouvernement a dans ce domaine une vision ambitieuse. Il s agit, explique le Premier ministre, Philémon Yang, « de relier les collectivités décentralisées aux capitales des régions, les capitales des régions à la capitale économique, d assurer l évacuation des denrées agricoles et l éclosion des activités commerciales, d œuvrer à l essor et au développement équilibré du territoire, d assurer des liens économiques entre pôles. Bref, il


s agit de répondre à l une des attentes légitimes de nos populations, qui est de leur garantir en tout temps et en toute circonstance de pouvoir accéder à l ensemble du territoire, partout où pourrait les conduire le destin ». Globalement, les objectifs stratégiques consistent à faire passer, à l horizon 2020, la fraction des routes bitumées à 17 % et celle des routes en bon état à 55 % à travers l entretien et

encore les pénétrantes est et ouest

la protection du réseau existant.

grâce à sa production agro-pastorale

de Douala, la capitale économique, principal pôle industriel et d importexport du pays, jusque-là engorgé par le trafic de camions en partance pour l intérieur du Cameroun ou vers les États voisins enclavés. Sur ce dernier point, le président de la République peut déjà estimer que l essentiel est fait. En effet, à ce jour, le Cameroun, grenier de la sous-région

Congo. Au total, quelque 400 km de routes sont construits chaque année, et près de 10 000 km de voies, bitumées ou non, font l objet de travaux de maintenance. Au 31 décembre 2015, le ministère des Travaux publics dénombrait environ 410 contrats d entretien routier actifs sur l ensemble du territoire camerounais. du territoire camerounais dans l objectif de préserver le patrimoine existant.

exportée dans toute la Communauté

Relier tous les territoires Le gouvernement consacre également des ressources importantes à la construction de routes, comme l axe Batchenga-NtuiYoko-Tibati-Ngaoundéré de 560 km de long qui permettra enfin de relier le sud au nord du pays par une voie terrestre de qualité et plus courte. Ou

économique et monétaire de l Afrique centrale (Cemac), peut se targuer d être connecté à ses six voisins par des axes routiers fonctionnels. Le dernier chantier en date est la route reliant Bamenda à Enugu (Nigeria), qui permettra de développer les échanges commerciaux entre les deux pays, mais aussi la route Sangmelima Djoum-frontière du

JUILLET 2016, TRAVAUX DE CONSTRUCTION DE L AUTOROUTE YAOUNDÉ-DOUALA.

410 CONTRATS D ENTRETIEN ACTIFS SUR L ENSEMBLE DU TERRITOIRE


ADVERTORIAL

AU RÉSE

Un patrimoine à préserver Avec ses 123 000 km, l infrastructure d axes routiers camerounaise est la plus dense d Afrique centrale. Mais seuls 6 200 km étaient bitumés en 2014…

lobalement, le réseau principal, qui prend en compte les chaussées revêtues et celles en terre, représente environ 23 000 km, le réseau rural s étirant, lui, sur un peu plus de 100 000 km. Grâce à ce réseau qui traverse le pays de part en part, tous les arrondissements sont connectés aux chefs-lieux de département, et ces derniers aux capitales régionales, elles-mêmes reliées à la capitale par des routes dites nationales. Un patrimoine précieux dont il faut préserver la viabilité, estime le ministre des Travaux publics. « Plus qu une simple infrastructure, la route est devenue

G

un élément essentiel de nos activités quotidiennes et du développement de la nation. En la considérant comme patrimoine , nous sommes tous conscients de l impérieuse nécessité de la conserver. Le réseau national supporte près de 85 % des échanges intérieurs et la presque totalité du transport de transit dans la sous-région Cemac. Ceci suppose que l état de la route préoccupe et interpelle toute la communauté nationale, en particulier les opérateurs économiques, les agriculteurs, les touristes, les usagers et les riverains », indique Emmanuel Nganou Djoumessi, qui organise chaque année

L AXE LOURD DOUALA-YAOUNDÉ ET SA REMISE À NIVEAU.

une Journée nationale de protection du patrimoine routier. Dans cet objectif de préservation, le Cameroun a mis en place depuis une vingtaine d années un dispositif constitué aujourd hui de vingt et une stations de pesage opérationnelles et efficaces. L État a également acquis des pèse-essieux mobiles alimentés par les rayons solaires, et raccordé les stations de pesage à une centrale via la fibre optique. De plus, la réhabilitation et l amélioration de la gestion des barrières de pluie sur les voies en terre permettent de limiter leur détérioration, notamment par des poids lourds en surcharge.


PROJET DE L AUTOROUTE DE YAOUNDÉ-NSIMALEN (SECTION DITE « RASE CAMPAGNE », AVEC SON ÉCHANGEUR).

ES T U O R AUTO

Sur la bonne voie LÉtat passe à la vitesse supérieure en multipliant les chantiers afin d ouvrir à la population et aux entreprises de grands axes structurants, sûrs et rapides.

la mi-juillet 2016, le chantier de l autoroute Nsimalen-Yaoundé affiche une activité aussi intense que prometteuse. Sur les 10,8 km de la section en rase campagne, les ingénieurs et engins de la China Communications Construction Company Limited (CCCC) sont déjà parvenus à aménager la plate-forme autoroutière (30 m de large avec 2 x 3 voies) qui n attend plus que la coulée du bitume et la construction des caniveaux. Ce tronçon viendra se connecter à la section urbaine à Ahala, à l entrée de Yaoundé, et traversera la ville sur 10 km jusqu à la sous-préfecture de Tsinga. « Ce projet d infrastructure moderne, qui va améliorer la mobilité des usagers dans la capitale, entre

À

dans le cadre des projets de seconde génération annoncés par le Président », assure le ministre de l Habitat et du Développement urbain, JeanClaude Mbwentchou, en charge de ce programme.

Délais tenus Si les revendications des populations riveraines non encore indemnisées ont un temps retardé la construction de l autoroute Yaoundé-Douala, tout est désormais rentré dans l ordre. Fin juin 2016, le taux d avancement des travaux de la première phase, longue de 80 km sur les 215 km du tracé

global, était évalué à 30 %, et la China First Highway Engineering, attributaire du marché, assure pouvoir tenir les délais. Quant à la seconde phase, elle est en cours d attribution. La mise en place de cette infrastructure entre les deux villes les plus peuplées du pays permettra la réalisation d autres bretelles autoroutières vers Bafoussam, Limbé et Kribi. D ores et déjà, en plus de la voie construite pour desservir le port flambant neuf de Kribi, les travaux de l autoroute devant connecter le site portuaire au reste du pays, via l axe rapide Yaoundé-Douala, ont déjà débuté, et devraient être livrés l an prochain.

CAMEROUN

En route !


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ES L A R RU S E I VO

BATIÉ, DANS LA RÉGION DE L OUEST. LES CHAUSSÉES FRAGILES SONT ENTRETENUES AVEC DES PRODUITS INNOVANTS.

Des produits innovants sont désormais utilisés afin d améliorer l entretien et la bonne tenue des milliers de kilomètres de routes de campagne du pays.

e 20 avril 2016, le Premier ministre signait un décret révolutionnaire pour l entretien des routes en terre. Il instaurait le recours à des produits innovants pour la stabilisation des sols ou le revêtement à froid, à la place du compactage latéritique qui était d usage depuis les indépendances mais se dégradait très vite au gré des pluies. Selon le ministère des Travaux publics, « l utilisation de produits innovants permettra de rendre les voies praticables en toute saison, de maintenir un niveau de service satisfaisant et permanent pendant au moins trois ans, de préserver la latérite, qui devient de plus en plus rare et dont le coût d exploitation devient élevé du fait de l éloignement des zones d emprunt. On pourra aussi créer des emplois par les techniques

L

Privilégier les axes en terre

à haute intensité de main-d œuvre (Himo), et ainsi réduire le coût de construction et d entretien des routes ». Pour les autorités, il s agit de garantir la viabilité permanente des routes en terre, qui constituent plus de 90 % du réseau national et desservent les zones les plus reculées, permettant ainsi la continuité des activités socioéconomiques. « Avec les produits innovants, il n y aura plus besoin de transporter les matériaux latéritiques d une carrière parfois éloignée vers les chantiers. On remue le sol et on y applique simplement le produit innovant qui compacte la terre et la rend imperméable, comme si on y avait coulé du béton. » La voie ainsi traitée peut tenir jusqu à cinq ans avant une nouvelle intervention. Dès cette année, les entreprises adjudicataires de contrats d entretien de ces chaussées fragiles ont été invitées à employer ces produits que sont le Con-Aid/CBR Plus, fabriqué en Afrique du Sud, le Rocamix de la firme chinoise Beijing Medicines & Healt Products IMP, les produits du System Consolid, fabriqués par une firme espagnole, le Pavement Composite Technology, fabriqué aux États-Unis par Integrated Traffic Systems Inc., et le Carboncor, produit sud-africain utilisé pour le revêtement à froid de la chaussée.

Conventions de partenariat Pour faciliter le maintien de ces routes dans un état praticable, et surtout abaisser les coûts, l État a fait le choix de former des techniciens communaux et quelques jeunes des collectivités territoriales décentralisées de la région du centre aux techniques et approches à haute intensité de main-d œuvre. Dans le cadre de la décentralisation, le transfert de 5,2 milliards de FCFA aux communes a permis l entretien de 2 000 kilomètres de routes par les populations. Lautre nouveauté a consisté pour le gouvernement à impliquer les acteurs économiques majeurs des zones reculées dans le maintien en l état des routes en terre, via des conventions de partenariat dans le domaine de l entretien et de la réhabilitation des chaussées. Lobjectif est, selon le ministère des Travaux publics, de réduire le coût des interventions de l État grâce à l implication des acteurs locaux de développement, mais aussi de permettre aux populations bénéficiaires de profiter pleinement des avantages de l implantation de sociétés de développement dans leur environnement immédiat.


entretien courant des routes étant effectué par de petites et moyennes entreprises locales, les autorités ont décidé d instituer un système souple de règlement de leurs factures. C est ainsi qu est né le Fonds routier, qui assure le financement de programmes d entretien du réseau et apporte des ressources décisives aux opérations de réhabilitation et d aménagement. Pour en renforcer l efficacité, le gouvernement a mis en place un dispositif innovant d allocation des ressources dans ses guichets « Entretien » et « Investissements ». Les ressources du premier guichet proviennent de la redevance d usage de la route (RUR), du droit de péage routier, du produit des taxes à l essieu et de transit, des amendes, ainsi que des dotations financières des ministères. Quant au second guichet, il est alimenté par des dons, legs, subventions et aides diverses apportées par les partenaires financiers du Cameroun et de dotations

L

Chargé d assurer le financement des travaux, cet organisme va connaître une réforme profonde afin de le rendre encore plus performant.

budgétaires des ministères (BIT). Preuve de son efficacité, rien qu en 2014, le Fonds routier a enregistré en engagement 442 contrats (marchés, ordre de service de démarrage de tranches conditionnelles et avenants), soit 54 % de plus par rapport à 2013.

Deuxième génération Tirant avantage de cette réussite, le Premier ministre, Philémon Yang, a pris la résolution de mettre sur pied un fonds de seconde génération, assez outillé pour collecter lui-même ses ressources, jusqu ici perçues par le Trésor public. « Lévolution vers un Fonds routier de deuxième génération reste une nécessité, indiquent ses responsables. Elle permettra le relèvement du niveau de ses ressources, notamment celles affectées aux communes dans le cadre de la décentralisation de l entretien routier afin qu elles prennent en charge le réseau communal. » Les études sont en cours de finalisation pour cette migration qui devrait donner un nouvel élan et encore plus de résultats.

IER T U O SR D N O F

Un puissant bras financier

PHILÉMON YANG, PREMIER MINISTRE.

Cameroun! En route


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RS E I T N CHA

Vers une meilleure efficacité

EMMANUEL NGANOU DJOUMESSI, MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS.

«S

uite au constat de défaillance observé sur certains tronçons du réseau national, il a été procédé, le 15 avril 2016, à la résiliation de certains contrats passés avec des entreprises opérant dans le secteur de l entretien routier. » C est par cette annonce que le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi, a mis un terme aux mauvaises pratiques en cours. En

quelques jours, quatorze entreprises ont été sanctionnées, leurs contrats résiliés et leurs promoteurs menacés de poursuites judiciaires. Dans le même temps, le ministre mettait en demeure une dizaine d autres sociétés attributaires de contrats d entretien routier et en retard sur les délais de « produire, sous huitaine, un chronogramme précis d exécution des prestations restantes, en vue du parachèvement des travaux de leurs contrats ».

Mise à niveau Désormais, les entreprises doivent exécuter les travaux dans les délais impartis, mais aussi respecter rigoureusement le cahier des charges. « Tout partira de la sélection des

entreprises contractantes », indique le ministre, qui a prévenu les acteurs du secteur routier lors d une large concertation tenue en début d année. « Au bout de l exercice, nous allons engager des opérations de mise à niveau. Les entreprises qui seront retenues pour la prochaine fois feront l objet d une inspection. Il ne sera plus question de se contenter des documents produits. Et s il s avère qu elles ont fait des déclarations mensongères, les autorités judiciaires seront saisies », a-t-il indiqué. Lenjeu de cette remise en ordre est important car, rien qu en 2016, ce sont près de 100 milliards de FCFA qui ont été affectés aux travaux d entretien de 17 000 kilomètres de routes, bitumées ou non.

PONT DE SANTCHOU SUR LA ROUTE MELON DCHANG.

CAMEROUN

En route !

AMB/DF - PHOTOS : © JEAN-PIERRE KEPSEU SAUF MENTION.

Le gouvernement prend des mesures pour obliger les entreprises à respecter leurs cahiers des charges et mener à bien les chantiers qui leur sont confiés.


PAROLE D’EXPERT par GUILLAUME VALETTE-VALLA

BONNE GOUVERNANCE : LA MARCHE EN AVANT

NIKO

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e président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, a rappelé, lors des assemblées générales de l’institution en mai dernier à Lusaka (Zambie), que la corruption coûte chaque année près de 150 milliards de dollars aux pays du continent. Pour le Fonds monétaire international (FMI), la bonne gouvernance est la principale « clé de la réussite économique » en Afrique. Elle constitue également un critère important pour la mise en place des programmes de développement depuis les accords de Cotonou du 23 juin 2000 entre l’Union européenne et les États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP). Dans ce contexte, plusieurs pays africains ont récemment entrepris des réformes de leur système politique dans le sens d’une plus grande transparence. De nombreuses instances chargées de lutter contre la corruption ont par exemple été créées. C’est le cas en Côte d’Ivoire, où le président de la République, Alassane Ouattara, a confié à la Haute Autorité pour la bonne gouvernance (HABG) des prérogatives et des moyens dont peu d’entités en Europe se trouvent dotées. Il ne s’agit pas d’une simple mise en conformité avec les attentes des bailleurs internationaux, mais bien d’un changement de fond. Toutefois, pour que ces initiatives conduisent rapidement à des améliorations concrètes, les États

des institutions nationales de lutte contre la corruption établi en 2010 par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Des échanges bilatéraux, comme ceux qui ont lieu entre Secrétaire général la HABG ivoirienne et la HATVP de la Haute Autorité française (Haute Autorité pour pour la transparence la transparence de la vie publique), de la vie publique en France permettent en outre de mener (HATVP). dans la durée des projets spécifiques, www.hatvp.fr comme l’amélioration des modalités par lesquelles les responsables publics déclarent leur patrimoine. Au-delà, la participation des pays africains doivent pouvoir compter, africains aux initiatives s’ils le souhaitent, sur l’engagement internationales doit être saluée. de leurs partenaires. Cela passe Le Partenariat pour un gouvernement naturellement par des programmes ouvert (PGO) en est un exemple. de l’ampleur de la Millennium Lancé en 2011 par huit membres Challenge Corporation, fonds fondateurs (Afrique du Sud, Brésil, de développement américain doté États-Unis, Indonésie, de 5 milliards de dollars, Mexique, Norvège, mais aussi, plus Philippines et Royaumegénéralement, Uni), il promeut par le partage d’expérience milliards de dollars : la transparence de l’action et d’expertise technique. le coût estimé publique et apparaît donc Cet accompagnement de la corruption comme un moyen pour est parfois nécessaire pour le approfondir les réformes en amont, lorsqu’il s’agit continent, en cours. Si l’Afrique d’aider à la rédaction selon la Banque du Sud a été précurseur, de la législation ad hoc. africaine de À cet égard, le travail mené développement. seuls huit autres États du continent en sont par le Programme actuellement membres. des Nations unies pour Parmi ces derniers, la Côte d’Ivoire le développement (PNUD) est le premier pays francophone en Tunisie, par exemple, d’Afrique subsaharienne à avoir commence déjà à porter ses fruits. rejoint cette initiative en 2015. En aval, la coopération entre Il faut souhaiter que la tenue institutions aide à parfaire la mise à Paris du sommet annuel du PGO en œuvre des dispositifs adoptés en décembre 2016 génère un vaste par les gouvernements. Sur le plan mouvement d’adhésion. ❐ multilatéral, on peut citer le réseau

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BUSINESS REPORT

Stratégie Elles pensent leur expansion

à l’échelle de plusieurs pays. Elles créent des filiales, intègrent des cultures différentes. Ce sont les entreprises panafricaines.

Objectif

Afrique ! NOUS AVONS VOULU mettre en avant un nouveau type d’acteurs économiques qui pensent à l’échelle africaine ou régionale. C’est ce que nous appelons les entreprises panafricaines. Pour les identifier, nous sommes partis du classement annuel réalisé par l’hebdomadaire Jeune Afrique sur les 500 plus importantes sociétés du continent. Nous nous sommes concentrés sur les 200 premières au sein desquelles nous avons isolé les 50 qui présentent la plus large empreinte territoriale. Ce sont celles qui ont une présence effective et active à travers l’ouverture de filiales, de bureaux, de succursales. Ce sont aussi parfois des sociétés qui se distinguent par l’ampleur de leur réseau commercial via des

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Afrique Méditerranée Business

activités de distribution ou d’export. Nous publions le résultat de cette recherche dans la double page suivante. Bien évidemment, un tel exercice présente des limites. La première tient à la surreprésentation des entreprises sud-africaines, qui s’explique par leur omniprésence dans le classement de départ, réalisé en fonction des résultats financiers. La seconde limite réside dans le fait d’avoir restreint la sélection initiale à 200 acteurs. Ce choix implique que nous laissons de côté un certain nombre d’entités, plus modestes par leur chiffre d’affaires mais qui ont été pionniers dans le développement continental ou qui mettent en œuvre une véritable stratégie panafricaine.

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C’est pour cette raison que nous donnons aussi la parole à trois témoins, le PDG du bureau d’études Comete en Tunisie, Radhi Meddeb, le fondateur de la compagnie d’assurances ouest-africaine Sunu, Pathé Dione, et l’économiste spécialiste du secteur bancaire, Dhafer Saïdane. Leur éclairage, empirique et personnel, permet de revenir sur l’émergence de géants africains et de questionner l’avenir de leur modèle. Il était enfin impossible d’ignorer un autre type d’acteur : les « non africains » fortement impliqués sur le continent. Comme pour les locaux, nous les présentons en fonction du nombre de pays dans lesquels ils sont actifs. Le résultat se trouve page 100. ❐ E.M.

Par Saïd Aït-Hatrit

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as un mois ne passe sans qu’une entreprise, sud-africaine, marocaine, nigériane, kényane, tanzanienne, sénégalaise, ivoirienne, camerounaise, entre autres, n’annonce un plan d’expansion de ses activités vers tout ou partie du continent. Rares sont les pays qui échappent à cette logique, à l’œuvre dans tous les secteurs d’activité, de la distribution aux banques, en passant par l’assurance, la logistique, les télécoms, le BTP ou encore l’agroalimentaire. Certes, les promesses ne sont pas toujours suivies d’effets. Mais les champions nationaux identifient désormais clairement leurs voisins comme des marchés stratégiques pour des investissements directs ou l’exportation de produits manufacturés et de services. « Aller en Afrique

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BUSINESS REPORT

Stratégie

était auparavant la chasse gardée des Européens, il n’y avait pas de développement sud-sud », souligne Karim Bernoussi, le patron de la société marocaine Intelcia, spécialisée dans l’externalisation de la relation client, présente en France, au Cameroun et bientôt au Sénégal. « Depuis peu, le développement de notre continent est plus homogène et l’on voit des entreprises locales développer des stratégies multipays, en allant d’abord sur un marché, puis vers un second si la première expérience est concluante », reprend l’entrepreneur. S’il ne doute pas de la réalité du phénomène, Didier Acouetey, le fondateur du cabinet de recrutement AfricSearch, ajoute que « l’Afrique est aussi devenue un produit marketing à la mode », qui permet parfois de faire de l’affichage à peu de frais.

Qui sont ces acteurs panafricains ? Sans surprise, les groupes sud-africains, dont les sites Internet ne se privent pas d’exposer leur african footprint, leur « empreinte sur le continent », dominent notre tableau. Ils confirment l’avance de l’Afrique du Sud en termes de développement et d’industrialisation, même si le géant austral traverse aujourd’hui une période difficile avec la chute des cours des matières premières. Les concurrents marocains suivent immédiatement, sous l’impulsion donnée depuis une quinzaine d’années par le roi Mohammed VI. Celui-ci a mis en œuvre une politique qui a vu les banques, puis les opérateurs des télécommunications, des assurances, de l’industrie minière et de construction aller au sud du Sahara en rachetant, le plus souvent, des actifs

LES 50 CHAMPIONS PANAFRICAINS Outre la domination sud-africaine, on remarque l’omniprésence des banques, quatre dans le top 5. Les assurances, télécoms, la logistique et la construction sont aussi très représentés. Pour chaque société, nous n’avons retenu que les implantations donnant lieu à une activité sur place, en fonction des informations disponibles sur les sites Internet et dans les rapports annuels. Cela explique par exemple que Tiger Brands, qui distribue des produits alimentaires dans plus de 30 pays mais ne possède d’usines que dans six, figure en bas du classement.

98

SOCIÉTÉS

SIÈGE

DOMAINES D’ACTIVITÉ

PAYS DE PRÉSENCE

Ecobank

Togo

Banque

36

Groupe Saham

Maroc

Assurances, santé, immobilier, offshoring

23

The Arab Contractors

Égypte

Distribution

21

Standard Bank

Afrique du Sud

Banque

19

United Bank for Africa

Nigeria

Banque

19

BMCE-Bank of Africa

Maroc

Banque

19

MTN Group

Afrique du Sud

Télécoms

19

Grindrod

Afrique du Sud

Transport maritime

19

Aveng

Afrique du Sud

Construction, eau, énergie

18

Omnia Holdings

Afrique du Sud

Agriculture, mines

18

Remgro

Afrique du Sud

Groupe diversifié

16

Liberty Group

Afrique du Sud

Assurances

16

Shoprite Holdings

Afrique du Sud

Grande distribution

15

Dangote

Nigeria

Construction, export, logistique

14

BSIC

Libye

Banque

14

Attijariwafa Bank

Maroc

Banque

13

Imperial Holdings

Afrique du Sud

Logistique, automobile

13

Aurecon Heritage Companies

Afrique du Sud

Ingéniérie

13 12

Vodacom Group

Afrique du Sud

Télécommunications

Massmart Holdings

Afrique du Sud

Grande distribution

12

Barloworld

Afrique du Sud

Logistique, équipement, énergie

12

Stefanutti Stocks

Afrique du Sud

Travaux publics

12

Datatec

Afrique du Sud

Informatique, bureautique

11

Woolworths Holdings

Afrique du Sud

Commerce de détail

11

Afrique Méditerranée Business

SEPTEMBRE– OCTOBRE 2016


ECOBANK C’est clairement le premier réseau bancaire existants. La stratégie marocaine a d’ailleurs consisté davantage à investir dans ces secteurs clés plutôt qu’à vendre des produits manufacturés. En 2014, le pays n’exportait que 5,2 % de sa production sur le continent, essentiellement au sud du Sahara, mais, son stock d’investissements y était orienté à près de 50 % (46,7 % en 2012, derniers chiffres disponibles). Les entreprises de grande distribution restent tout de même loin derrière les mastodontes sud-africains (Tiger Brands, Shoprite, Massmart…), bien qu’elles nourrissent de fortes ambitions. Les autres entreprises offrent souvent un profil régional. « Mis à part Ecobank, qui est partout, mon impression est qu’un grand nombre de sociétés sont en réalité concentrées sur leurs sous-régions, note Amaury de Féligonde, fondateur associé du cabinet de conseil Okan, créé à Paris par des anciens de McKinsey et dédié à l’Afrique. Les Marocains sont au Maghreb, en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, l’homme d’affaires nigérian Aliko Dangote est d’abord dans la zone occidentale, les entreprises de l’est du continent ont tendance à y rester, alors que les Sud-Africains ont du mal à se développer en dehors du sud du continent. » L’idée est de profiter des avantages réglementaires et culturels offerts par la proximité et le fait d’intervenir dans une zone connue. Mais ces

SOCIÉTÉS

SIÈGE

panafricain. Et la première entreprise de notre classement. Crises, gestion complexe des filiales, conflits avec d’anciens dirigeants, restructuration du capital, la banque a connu une forte période d’instabilité. En mai 2016, Amin Manekia, banquier pakistanais et ancien de Citigroup, a été nommé pour remettre de l’ordre dans la maison.

OCP L’Office chérifien des phosphates (OCP), l’un des leaders mondiaux, n’apparaît pas encore dans notre classement, faute de filiales installées. Le géant marocain a fait de l’Afrique subsaharienne l’un de ses axes prioritaires de développement. Dans ce cadre, le groupe a lancé OCP Africa cette année. Objectif : multiplier les ventes d’engrais par cinq d’ici 2025.

sociétés manquent aussi souvent « d’une gouvernance et des moyens financiers qui leur permettraient d’avoir du poids hors de leurs régions », estime un analyste financier ne souhaitant pas être cité. En septembre 2014, Ecobank a laissé la Qatar National Bank devenir son premier actionnaire avec 23,5 % de participation, alors que la Sud-Africaine Standard Bank, la plus grande banque d’Afrique, a fait de même dès 2007 avec Industrial and Commercial Bank of China. Quant à Arab ■ ■ ■

DOMAINES D’ACTIVITÉ

PAYS DE PRÉSENCE

Groupe BCP-Banque Atlantique

Maroc

Banque

11

Group Five

Afrique du Sud

BTP

11 11

MeTL

Tanzanie

Industrie, agriculture, infrastructures

Econet Wireless

Zimbabwe

Télécommunications

11

El Sewedy Electric

Égypte

Câbles

11

Groupe Maroc Telecom

Maroc

Télécommunications

10

Innscor Africa

Zimbabwe

Distribution, tourisme

10

Steinhoff Africa Holdings

Afrique du Sud

Ameublement, distribution

10

BGFI

Gabon

Banque

10

The Bidvest Group

Afrique du Sud

Services, commerce, distribution

9

Afriland First Bank

Cameroun

Banque

9 9

Naspers

Afrique du Sud

Médias, télécommunications

Pick'n Pay Stores Holdings

Afrique du Sud

Distribution

9

Super Group

Afrique du Sud

Construction automobile

8

Telkom

Afrique du Sud

Télécoms

8

Pretoria Portland Cement

Afrique du Sud

Matériaux de construction

7

Addoha

Maroc

Immobilier

6 6

Oando

Nigeria

Prospection pétrolière

Kenolkobil

Kenya

Hydrocarbures, distribution

6

Tsogo Sun Holdings

Afrique du Sud

Tourisme, hôtellerie

6

GML

Île Maurice

Groupe diversifié

6

Powertech

Afrique du Sud

Appareils électriques

6 6

Tiger Brands

Afrique du Sud

Agroalimentaire, distribution

Aspen Pharmacare

Afrique du Sud

Pharmacie

5

SIFCA

Côte d’Ivoire

Agroalimentaire

5

Murray & Roberts Holdings

Afrique du Sud

BTP

4

SEPTEMBRE– OCTOBRE 2016

Afrique Méditerranée Business

99


BUSINESS REPORT

Stratégie

LES ACTEURS « NON AFRICAINS » Les multinationales sont également très actives sur le continent, que ce soit dans le domaine du transport, de l’énergie ou de la logistique. Les groupes français occupent sept des dix premières places, uniquement concurrencés par Turkish Airlines, Brussels Airlines et Nestlé. À noter l’absence des géants chinois, comme Sinopec ou CNPC, et du Brésilien Vale en raison de la non-disponibilité de données détaillant spécifiquement leur activité africaine.

100

SOCIÉTÉS

SIÈGE

DOMAINES D'ACTIVITÉ

PAYS DE PRÉSENCE

Bolloré

France

Logistique

43

Air France-KLM

France / Pays-Bas

Transport aérien

43

Total

France

Pétrole

41

Groupe Vinci

France

BTP

37

CFAO

France

Distribution

34

Turkish Airlines

Turquie

Transport aérien

27

Necotrans

France

Logistique

25

Brussels Airlines

Belgique

Transport aérien

22

Nestlé

Suisse

Agrobusiness

20

Orange

France

Télécoms

19

Olam

Singapour

Agrobusiness

19

Emirates

Émirats arabes unis

Transport aérien

18

Société générale

France

Banque

18

British Airways

Royaume-Uni

Transport aérien

16

SABMiller

Royaume-Uni

Boissons

16

Airtel

Inde

Télécoms

16

Lafarge

France

Ciment

16

Citi Group

USA

Banque

16

Standard Chartered

Grande-Bretagne

Banque

16

Shell (Vivo Energy en distribution)

Pays-Bas

Pétrole

15

Castel

France

Boissons

15

Willmar International

Singapour

Agrobusiness

14

Barclays

Royaume-Uni

Banque

13

Diageo

Royaume-Uni

Boissons

13

Lufthansa

Allemagne

Transport aérien

13

Bouygues

France

Télécoms

13

Etisalat

Émirats arabes unis

Télécoms

13

Glencore

Suisse

Négoce, matières premières

11

Heineken

Pays-Bas

Boissons

10

BNP Paribas

France

Banque

10

Vodafone

Royaume-Uni

Télécoms

9

Old Mutual

Royaume-Uni

Assurances

8

Exxonmobil

Etats-Unis

Pétrole

8

ENI

Italie

Pétrole

8

General Electric

Etats-Unis

Groupe diversifié

8

HeidelbergCement

Allemagne

Ciment

8

Statoil

Norvège

Pétrole

7

Tullow Oil

Royaume-Uni

Pétrole

7

Trafigura

Suisse

Négoce

6

Advens

France

Agrobusiness, Logistique, Négoce

6

Afrique Méditerranée Business

SEPTEMBRE– OCTOBRE 2016


■■■ Contractors, cela fait des décennies que le géant du bâtiment égyptien noue des partenariats avec des multinationales du BTP pour réaliser des chantiers d’envergure. Pour Amaury de Féligonde, « une multinationale comme Orange peut parfaitement se considérer comme panafricaine ». Il souligne que l’opérateur français, présent dans 19 pays, est aussi actionnaire principal de Sonatel, au Sénégal, entreprise qui s’est à son tour étendue en Afrique de l’Ouest. Que dire du groupe singapourien Olam, qui a démarré au Nigeria dans le marché de la noix de cajou avant de devenir un géant continental, actif dans 19 pays également ? C’est pour cette raison que nous avons également réalisé un classement mettant en avant les implantations des groupes étrangers sur le continent (voir ci-contre). « Le business respecte partout les mêmes règles et les gens travaillent avec le plus professionnel, pas avec le plus africain », commente le consultant. Sur la dernière décennie, Maroc Telecom a investi quatre marchés africains sous la houlette de son principal actionnaire de l’époque, le groupe français Vivendi, avant que ce dernier ne vende ses parts en 2014 à l’émirati Etisalat. Quelles que soient leurs caractéristiques – 100 % africaines, partiellement ou totalement étrangères –, toutes ces entreprises surfent sur le potentiel du continent. L’essor économique permet en effet depuis une dizaine d’années l’accroisETHIOPIAN sement d’une classe moyenne AIRLINES solvable. « La consommation privée et l’in-

SAHAM Le grand groupe finance-services-assurance fondé par l’entrepreneur marocain Moulay Hafid Elalamy a connu une formidable croissance externe depuis 2005. Présent dans 26 pays, Saham assurances doit désormais intégrer des équipes et des process différents d’un pays à l’autre. Et gérer un pool d’actionnaires particulièrement puissants (SFI, Abraj Capital, Wendel...) TIGER BRANDS Les entreprises sud-africaines sont des acteurs majeurs et méconnus. Poussées par la taille de leurs marché domestique, elles peuvent explorer le continent. Exemple avec Tiger Brands, leader dans l’export de produits alimentaires avec une distribution dans près de 35 pays. La société est présente directement au Cameroun ( Chocopam) au Nigeria, en Éthiopie, au Kenya et au Zimbabwe.

vestissement sont les principaux moteurs de la croissance », soulignait la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) dans son rapport 2015. L’amélioration de l’environnement des affaires, et en particulier des conditions du commerce transfrontalier, en est un autre. Quant aux banques, elles ont su se structurer pour mieux répondre aux besoins des économies. Malgré ces progrès, il reste encore beaucoup à faire. Il y a de nombreux freins à lever, notamment en termes de facilités administratives, d’obtention de visas, d’harmonisation des codes juridiques et de lutte contre la corruption. Même chose au niveau des infrastructures énergétiques et de transport. À titre d’exemple, sans l’autoroute inaugurée en mars dernier en République du Congo, entre Brazzaville et Pointe-Noire, Aliko Dangote ne se serait pas lancé dans la construction d’une KENYA unité de production de ciment d’une capacité de 1,5 million ROYAL AIRWAYS de tonnes par an dans la région AIR MAROC de Bouenza, située entre les deux villes distantes de 535 kilomètres. Si des ARIK ASKY SOUTH AIR tycoons comme le milliardaire AFRICAN nigérian se lancent hors de leurs AIRWAYS frontières, c’est aussi parce qu’ils sont à la recherche de nouveaux débouchés, après avoir dominé leur marché TUNISAIR AIR AIR CÔTE national. Ce fut le cas pour de ALGÉRIE D’IVOIRE nombreuses entreprises maroTAAG caines. On observera peut-être bientôt le même processus chez AIR le voisin algérien, dont les sociétés MAURITIUS se concentrent pour le moment sur la ECAIR LES demande intérieure. « Beaucoup d’acteurs TRANSPORTEURS réalisent que la croissance n’est plus au PANAFRICAINS nord, où les marchés sont saturés, quand, à (nombre de pays desservis l’opposé, il y a tant à faire en Afrique », note par les compagnies, CAMAIR-CO Karim Bernoussi, ajoutant que la présence d’un lieu de leur siège exclu) bassin d’emplois offrant compétence et coût attractif a EGYPTAIR été déterminante dans l’installation de son groupe au Cameroun et au Sénégal.

33

23

26

20

11

19

9

10

17

12

SHUTTERSTOCK

7

7

7

5

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Afrique Méditerranée Business

101


BUSINESS REPORT

Stratégie

Dans ce contexte, entreprises étrangères et africaines Cette dynamique n’est pas seulement bénéfique pour le sont à la fois partenaires et concurrentes. En 2013, le Boston secteur privé. Elle est également synonyme de gain collectif Consulting Group (BCG) publiait une étude sur les 100 global à l’échelle du continent. « Le commerce intra-africain (qui ne challengers, ces entreprises des pays en croissance qui rivareprésente que 13 % du commerce total) est plus diversifié lisent voire dépassent les multinationales établies. Six sociéet industrialisé que les échanges du continent avec le reste tés africaines y étaient répertoriées, dont Naspers (Afrique du monde », analyse la CEA, toujours dans son rapport 2015. du Sud, médias), Bidvest (Afrique du Sud, distribution), El Autrement dit, il génère davantage de valeur ajoutée. C’est Sewedy Electric (Égypte, câblage), MTN (Afrique du Sud, télépourquoi l’institution onusienne conseille aux États d’amécoms) et Aspen Pharmacare (Afrique liorer leurs politiques économiques du Sud, pharmacie), qui apparaissent en travaillant plus étroitement avec dans notre classement. « Cette noules entreprises afin, par exemple, de BGFI En une décennie, cette banque velle donne offre de belles perspecmettre sur pied des chaînes d’approgabonaise s’est muée en un groupe tives aux multinationales, à travers visionnement interconnectées. Trois financier présent dans 11 pays. Une des stratégies d’alliance d’égal à égal organisations régionales ont déjà révolution opérée sous la direction fortement créatrices de valeur », estiadopté des plans allant dans ce sens : d’Henri-Claude Oyima. Pour lui, la diversification géographique et des mait alors Tenbite Ermias, coauteur la Communauté d’Afrique de l’Est métiers permet de réduire les risques. et directeur du bureau du BCG en (CAE), la Communauté de dévelopAfrique du Sud. En termes de parpement de l’Afrique australe (SADC) BARCLAYS AFRICA Cotée à tenariats nord-sud, le Maroc semble et la Communauté économique des la bourse de Johannesburg, la filiale de la banque britannique est présente vouloir montrer l’exemple. La Société États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sur le continent depuis près d’un siècle. nationale d’investissement (SNI), l’un qui a lancé, dès 2010, une politique Elle compte 12 millions de clients des outils de l’expansion royale maroindustrielle commune de l’Afrique de et 44 000 salariés dans 13 pays. caine en Afrique, s’est transformée l’Ouest (Picao). Le développement Alors que la maison-mère souhaite depuis 2015 en fonds d’investissede ces zones économiques, et surtout se retirer, de nombreuses questions se posent sur son avenir. ment panafricain à long terme. Elle l’ouverture progressive des frontières s’est alliée en juillet au géant euroen leur sein, ont participé et contriDANGOTE C’est une figure péen du ciment LafargeHolcim pour bueront encore à l’essor des acteurs du business panafricain et un homme créer LafargeHolcim Maroc Afrique continentaux. de réseaux. Le milliardaire Aliko Dangote s’appuie sur un empire et aller à la conquête du continent. De Ces derniers, s’ils cherchent en diversifié au Nigeria (sucre, farine, son côté, Nareva Holding, une autre premier lieu le profit, sont souvent port, acier, ciment) pour conquérir filiale de la SNI, productrice indéanimés de valeurs ou d’ambitions à les marchés voisins à travers pendante d’énergie électrique, s’est rapprocher du panafricanisme polil’implantation de cimenteries. Des rapprochée du Français Engie pour tique. Cette doctrine née à la fin projets sont en cours dans 14 pays. développer des projets de production. du XVIIIe siècle met en avant l’unité SIFCA Avec seulement Comment ces alliances et groupes culturelle africaine et promeut l’inté5 implantations, le groupe ivoirien vont-ils évoluer ? S’achemine-tgration entre les différents États. Un propose un modèle intéressant. on vers un mouvement massif de positionnement que l’on retrouve, Il associe la famille Billon, Alassane fusions pour créer des mastodontes ? entre autres, chez Ecobank, AttijaDoumbia et les Singapouriens Wilmar et Olam. Ancien leader du cacao, il est Certains seront-ils capables à terme riwafa Bank ou Dangote, des groupes devenu l’un des poids lourds de l’huile de s’installer sur d’autres marchés ? qui sont dans « une démarche engade palme et du caoutchouc. « Nous en sommes encore loin et, surgée, afin de contribuer au développetout, pourquoi vouloir aller ailleurs, ment de leur région », estime Didier interroge Paul Derreumaux, préAcouetey. Le recruteur remarque par sident d’honneur de Bank of Africa, ailleurs que nombre de diplômés ne économiste et consultant. La première étape, c’est déjà de s’intéressent plus seulement aux performances des multinatiodevenir leader sur le continent, un ensemble de 2 milliards nales mais aussi à leurs engagements sociaux, estimant qu’il de consommateurs, qui aura la plus forte croissance démoest temps pour elles de partager une partie de ce qu’elles ont graphique et, peut-être, le plus important essor économique gagné depuis des décennies en Afrique. Le professeur en écodu monde à l’avenir. » Pour ce faire, les acteurs devront concinomie Dhafer Saïdane va, lui, encore plus loin et distingue le lier expansion et gestion du risque sur des marchés fortement travail réalisé par les banques continentales depuis une dizaine exposés aux variations des cours des matières premières et, d’années pour bancariser la population, bien loin du comporpour certains, instables. Les possibilités sont immenses, mais tement des groupes européens, uniquement occupés à faire les défis à relever aussi. ❐ fructifier leurs marchés de niche (voir interview).

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Afrique Méditerranée Business

SEPTEMBRE– OCTOBRE 2016


Radhi Meddeb « Penser local en permanence »

PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE COMETE ENGINEERING

Sa société d’études a été l’une des premières en Tunisie à investir en zone subsaharienne. Aujourd’hui, elle intervient dans une vingtaine de pays, générant un chiffre d’affaires de 9 millions d’euros. Pour son patron, les acteurs africains doivent prendre la mondialisation mais aussi le développement à bras-le-corps.

L

PROPOS RECUEILLIS PAR FRIDA DAHMANI, À TUNIS

a revue des dépenses agricoles en Algérie, le plan directeur de zones industrielles en Côte d’Ivoire, des projets d’électrification rurale au Sénégal et au Kenya. Ce sont quelques-unes des réalisations du cabinet d’ingénierie Comete Engineering. Fondé en 1987 par le Tunisien Radhi Meddeb, il dispose de bureaux en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Libye et en Côte d’Ivoire. Polytechnicien et ingénieur des Mines de Paris, son patron, âgé de 62 ans, a commencé sa carrière à la Compagnie des Phosphates de Gafsa puis à la Société tuniso-saoudienne d’investissement et de développement (devenue Stusid Bank), avant de créer son entreprise. Depuis 2011, il conduit également l’association Action et Développement solidaire (ADS), qui milite pour une croissance plus inclusive.

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM

AMB : D’où vient votre prisme panafricain ? Dès le départ, Comete a été créée dans l’idée d’en faire un bureau d’études continental. C’était à la fin des années 1980. La Tunisie était sous ajustement structurel et ne présentait pas de grandes opportunités pour un nouvel intervenant dans le domaine des études connexes aux investissements. L’Afrique, elle, avait d’énormes besoins en matière d’infrastructures, ce qui en faisait un marché intéressant. Nous avons donc profité de notre situation géographique, à la croisée de plusieurs ensembles géopolitiques – le monde arabe, l’Afrique, la Méditerranée – pour accéder à de multiples financements destinés aux pays relevant de ces zones.

La majorité des entreprises tunisiennes ont tardé à vous emboîter le pas. Pourquoi ? Il y a d’abord chez de nombreux groupes une méconnaissance de la zone, longtemps assimilée à une région à risques, voire de non-droit. Peu nombreux sont les opérateurs qui disposent d’ailleurs d’une vraie stratégie de développement, s’ins-

crivant dans le long terme, identifiant les besoins des marchés et adaptant leur production pour y répondre.

Aujourd’hui, nombre d’entre elles ont réussi à s’imposer, dans votre secteur d’activité mais aussi dans d’autres domaines. Comment expliquer cette réussite ? La Tunisie, sous l’impulsion de Bourguiba, a bénéficié au lendemain de son indépendance de politiques publiques de promotion de ses ressources humaines. Elle en recueille actuellement les bienfaits, en disposant de cadres et techniciens dans tous les services à valeur ajoutée. Il faut adjoindre le mouvement de libéralisation dans les années 1970 et la collaboration très tôt entre secteurs privé et public. Tout cela a favorisé l’émergence de capacités d’études et de conseil qui sont précieuses et recherchées sur le marché africain. À notre niveau, nous nous appuyons sur des ressources humaines de grande qualité : 120 collaborateurs et consultants permanents, dont plus des deux tiers sont diplômés de l’enseignement supérieur avec une participation significative des femmes, 35 % de nos effectifs, dont certaines à des postes clés de direction.

Quelles sont les qualités indispensables pour travailler à l’échelle du continent ? La dimension culturelle est essentielle. Toute la difficulté pour un opérateur économique est de penser local en permanence. C’est pour cela que nous déployons une couverture géographique de proximité afin d’apporter à nos clients, en temps réel, des conseils adaptés. Je rappelle les nombreuses succursales créées ces dernières années : Alger, Tripoli, Casablanca, Abidjan, Nouakchott… Et nous allons renforcer cette présence. Pour moi, un bureau d’études africain est mieux placé qu’un acteur international. Son expérience sur son propre marché national le prédispose à la recherche systématique de partenariats équilibrés. Le risque du lost in translation est moins fort.

SEPTEMBRE– OCTOBRE 2016

Afrique Méditerranée Business

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BUSINESS REPORT

Stratégie

Par ailleurs, il faut prendre en compte la diversité linguistique du continent et réaliser que l’obstacle de la langue peut être rédhibitoire. Or, les gisements de croissance sont aujourd’hui plutôt dans les zones anglophones. Les sociétés de services qui ambitionnent de jouer un rôle significatif sur le continent doivent donc, a minima, se doter d’équipes parfaitement bilingues, capables d’évoluer indifféremment en français et en anglais. À titre d’exemple, notre prochaine implantation sera à Yaoundé et Kigali devrait suivre. Mais, nous regardons aussi du côté des pays anglophones, Kenya et Nigeria, notamment.

Les acteurs tunisiens peuvent-ils faire face à la concurrence des opérateurs chinois, turcs, égyptiens, marocains et européens, entre autres ? Il est clair qu’ils ne disposent ni de la taille ni de l’appui politique, financier et stratégique dont peuvent bénéficier les groupes issus des pays que vous citez. Toutefois, nous avons des atouts à faire valoir et il ne faut pas nécessairement attendre un soutien politique ou diplomatique pour se lancer.

Qu’en est-il de l’offensive marocaine ? Est-elle durable ? Le Maroc a défini une véritable stratégie de conquête, portée par une forte politique publique d’accompagnement. Jusqu’à présent, elle a produit des résultats remarquables en favorisant l’implantation de plusieurs opérateurs économiques. Le marché africain est en expansion, avec une classe moyenne en plein essor, même si la crise des matières premières freine quelque peu le mouvement aujourd’hui. Il y aura de la place pour tout le monde, Maroc, Tunisie, Côte d’Ivoire, mais aussi d’autres pays africains. Cela ne dépend que la volonté d’agir dans la durée, la proximité et le partenariat.

Est-ce cela la clé pour réussir ?

Afrique Méditerranée Business

Nos implantations se font systématiquement sur la base du partenariat, la filiale et la maison-mère travaillent main dans la main. Les effectifs détachés du siège sont limités au strict minimum et mobilisés sur une période donnée. Notre objectif est de préparer la relève locale, en utilisant toutes les ressources disponibles sur place. Au fil du temps, nous avons bâti un réseau de partenaires dans près d’une cinquantaine de pays au niveau mondial, dont une trentaine sur le continent. Il s’agit de structures locales mais aussi internationales qui partagent notre culture et nos valeurs. Nous parions sur une démarche de codéveloppement dans une vision de long terme, donc avec un souci de pérennisation de nos structures.

Ces dernières années, on a assisté à une multiplication des entreprises panafricaines… Elles sont de plus en plus nombreuses et couvrent des secteurs de plus en plus diversifiés. Cela va de la banque, à l’assurance, aux télécommunications, au transport et à l’industrie. Ils font la preuve de leur capacité à se structurer, à affronter sans complexes la concurrence internationale. Ce sont des acteurs confirmés de la globalisation. Cette concurrence accrue est une bonne chose : elle permet d’améliorer la qualité des prestations et de tirer le marché vers le haut.

Peu nombreux sont les OPÉRATEURS Quel avenir leur prédisez-vous ? qui disposent La mondialisation exige un certain niveau d’une vraie de performance. Elle est souvent synonyme de stratégie de taille et de moyens. La pérennité des grands groupes africains passera de plus en plus par développement internationalisation. Ils seront et sont déjà s’inscrivant dans leur amenés à jouer dans la cour des grands et à le LONG TERME, chercher les gisements de croissance au-delà de leurs frontières d’origine. Inéluctablement, identifiant ils iront investir et se développer sur d’autres les besoins continents. Dans ce cadre, l’Europe peut présendes marchés. ter des opportunités intéressantes. Elle pourrait

Le marché africain est concurrentiel, ouvert à toutes les ingénieries internationales. Nous sommes convaincus que la seule manière de s’y imposer, dans la durée, c’est d’être dans l’écoute, la qualité et la performance. Nous avons donc, très tôt, mis en place une veille commerciale sur nos différents marchés cibles et nous nous sommes entourés des compétences capables de garantir une qualité de prestation conforme aux meilleurs standards internationaux. L’Afrique n’est pas à la portée de n’importe qui. Dans un contexte aussi concurrentiel, croire que l’avantage compétitif « coût » est suffisant est un leurre. Il y a une forte exigence de qualité et de compétence qui conditionne le succès. Nous misons aussi sur l’innovation et nous souhaitons nous lancer dans de nouveaux métiers pour offrir une palette de plus en plus large de services. Nous pensons d’ores et déjà aux métiers de l’énergie (électrification rurale, pétrole et gaz), de l’environnement et tout ce qui est lié à la réalisation de partenariats public-privé.

104

Concrètement, comment cela se passe-t-il sur le terrain ?

leur permettre d’accéder au savoir-faire et aux bonnes pratiques. De leur côté, les locaux pourraient apporter la jeunesse, le dynamisme et les marchés de consommateurs. Leurs difficultés ne sont pas toujours liées aux aspects financiers, mais bien plus à la volonté de se battre et à la capacité de s’acclimater.

Faut-il se revendiquer africain pour réussir ? Je ne crois pas qu’il faille raisonner de manière exclusive. Il faut tout simplement prendre en considération le contexte, nous vivons dans un monde globalisé, et accepter la compétition. Cela dit, au sein de notre groupe, nous pensons africain en termes de marché (même si nous n’excluons pas d’investir ailleurs le moment venu), et panafricain concernant notre mission et nos valeurs. Nous sommes d’abord et avant tout un acteur du développement. Pour moi, l’Afrique ne peut pas se satisfaire d’investisseurs opportunistes ou, pire, prédateurs. ❐

SEPTEMBRE– OCTOBRE 2016


Pathé Dione « Vouloir couvrir tout le continent est une illusion »

PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL ET FONDATEUR DU GROUPE SUNU ASSURANCES

Leader dans la zone de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima), son groupe est actif dans 14 pays. Après les marchés francophones, il vise désormais le monde anglophone et lusophone, mais sans précipitation.

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PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN WAGNER ur un marché en plein essor, où près de 50 milliards de dollars de primes ont été collectés l’année dernière, le groupe fondé par Pathé Dione, 74 ans, continue sa progression. En incluant ses nouvelles acquisitions au Nigeria, au Liberia et au Ghana, Sunu Assurances a réalisé en 2015 un chiffre d’affaires de près de 100 milliards de francs CFA (plus de 150 millions d’euros) et compte désormais plus de 1 700 employés. Précurseur dans les années 1990, il s’est développé en zone francophone – son siège est à Abidjan (Côte d’Ivoire) –, et lorgne maintenant les marchés anglophones et lusophones. Hier comme aujourd’hui, son patron adopte une stratégie d’expansion des petits pas.

AMB : Est-ce seulement la question de la langue qui vous a conduit à débuter en zone francophone ? Il existe depuis 1992 une zone appelée Cima (Conférence interafricaine des marchés d’assurances), il est présent dans 14 pays à travers 22 compagnies et une institution de microfinance, qui regroupe 14 pays d’Afrique parlant le français, dans laquelle sont partagés de nombreux pouvoirs généralement dévolus à un organe de supervision national des assurances. Par exemple, l’agrément des compagnies d’assurances et de leurs dirigeants, le contrôle de solvabilité ou les pouvoirs d’injonction et de sanction sont du ressort d’un organe régulateur qui se trouve à Libreville (Gabon), et qui s’appelle la CRCA (Commission régionale de contrôle des assurances). C’est une construction très cohérente. Une spécificité africaine, qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Hors de cette zone, il faut un agrément pour chaque pays, ce qui peut être plus ou moins long et plus ou moins ardu à obtenir.

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Vous n’avez donc jamais abordé l’Afrique comme un tout ? Chaque pays, chaque marché a ses spécificités avec une pénétration des assurances vie et non-vie différente d’un

endroit à un autre. Cela n’a pas de sens de parler d’Afrique en général en matière d’assurances, même si l’on peut trouver des points communs. Pour simplifier, on peut dire que ce sont tous des marchés naissants, d’à peine une trentaine d’années, où l’épargne et le taux de pénétration de l’assurance sont faibles, voire très faibles.

Vous êtes implanté dans près d’une quinzaine de pays. Avez-vous atteint la taille critique ou allez-vous encore étendre votre réseau ? Je pourrais vous dire que nous voulons couvrir l’ensemble du continent, que c’est notre objectif à long terme, mais ce serait une illusion. Nous nous développons au gré des opportunités, en fonction des marchés que nous identifions, de nos capacités financières et humaines.

Comment se prend la décision d’investir concrètement ? Nous observons les marchés un à un puis nous décidons au cas par cas. Lorsqu’un pays est à fort potentiel, nous regardons de plus près si une société peut nous y intéresser et, quand c’est le cas, nous y envoyons une équipe pour faire une due diligence. Dans le cas où aucune société ne convient, nous sommes aussi capables de créer une compagnie ex nihilo.

Il y a vingt ans, quand vous vous êtes lancé, le secteur était quasi inexistant en Afrique. Quelle a été votre stratégie pour le développer ? Je travaillais au sein de l’Union des assurances de Paris (UAP) et, en 1997, le groupe Axa, numéro 2 de l’assurance dans le monde, nous a absorbés. En 1998, son PDG, Claude Bébéar, m’a donné la possibilité de créer ma propre société sur le continent, car il considérait ce marché comme encore trop petit pour eux. J’ai saisi cette opportunité. À partir de là, je n’ai rien fait de plus que ce que je ne faisais déjà auparavant en Europe. J’ai utilisé les mêmes standards, fait appel aux mêmes équipes. Le reste s’est fait en grande partie par acquisition. ❐

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BUSINESS REPORT

Stratégie

Dhafer Saïdane « Il faut que les régulateurs s’affirment davantage »

DOCTEUR EN ÉCONOMIE, EXPERT AUPRÈS DES NATIONS UNIES

Cet économiste rappelle que les établissements continentaux se sont construits en s’affranchissant du système européen. Un mouvement qui a permis d’innover mais n’exonère pas d’une gestion rigoureuse des risques.

PROPOS RECUEILLIS PAR SAÏD AÏT-HATRIT

AMB : Comment les banques sont-elles devenues panafricaines ? La situation actuelle est l’aboutissement d’un processus qui a connu plusieurs phases. La première date de l’après-indépendance. À cette époque, les établissements ont poursuivi la culture qui leur avait été inculquée par les puissances coloniales, à savoir un système de comptoirs locaux rattachés à

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une maison-mère en métropole. Une deuxième phase est intervenue avec les restructurations engagées sous l’impulsion du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, à travers les plans d’ajustements structurels et des réformes financières. Il s’agissait d’une organisation importée, fondée sur l’intermédiation européenne, et imposée à un environnement auquel ils n’étaient pas adaptés. La troisième séquence, apparue à la fin des années 1990 et toujours d’actualité, résulte de ce que nous avons appelé, Alain Lenoir et moi, la « grande bataille africaine » : c’est le modèle affranchi.

Comment s’est-il construit ? Il est passé par une phase de consolidation domestique, avec des fusions-acquisitions et autres rachats, mais a suivi, dès le départ, une logique de régionalisation, avant de passer au stade du panafricanisme. C’est un mouvement naturel car il y a une forte propension des pays africains à échanger, travailler, commercer entre eux, une caractéristique qui avait été étouffée par les frontières issues de la colonisation. Aujourd’hui, ce modèle est dans une phase d’expansion extraordinaire qui suit l’émergence de l’économie réelle. Je suis convaincu que l’intégration continentale ne se fait pas top-down, du haut vers le bas, mais

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xpert auprès des Nations unies, il a coécrit avec le conseiller du président du Club des dirigeants des banques et établissements de crédit d’Afrique, Alain Le Noir, Banque et finance en Afrique, les acteurs de l’émergence*. L’ouvrage, publié en début d’année, propose une synthèse du rôle des établissements bancaires, passé, présent et à venir, dans le financement et le développement du continent. Dhafer Saïdane est professeur d’économie à l’université Lille-III et à la Skema Business School, dans cette même ville. Il revient sur l’avènement du panafricanisme financier : une réaction aux diktats imposés par l’Occident avant de devenir une philosophie à part entière. Malgré tout, les groupes actuels doivent encore relever de nombreux défis avant de pouvoir partir à la conquête de marchés au niveau international.


bien bottom-up, du terrain vers les sphères dirigeantes, grâce au travail des acteurs privés. J’admire également le fait que ces banques soient parvenues à s’affranchir du schéma européen et à innover, avec rigueur, en investissant dans les ressources humaines et cela, malgré les difficultés du contexte historique – quel Africain ne sait pas ce qu’est une caisse de compensation ou un plan d’ajustement ?

Quelles sont les limites d’un tel processus ? Il suffit d’écouter le discours des dirigeants continentaux, pour la plupart jeunes, pour comprendre que leur ambition est énorme. Les banquiers ne souhaitent pas se limiter à l’Afrique, ni même à l’Europe. Ils veulent aller vers l’Asie. Or, je me demande si nous avons les moyens de cette politique. Nos banques sont ambitieuses et c’est tant mieux, mais je crains que nous ne passions d’un excès – une situation où les initiatives étaient bridées – à un autre, avec des risques systémiques à la clé. Cela d’autant plus que le régulateur africain, qu’il soit national ou sous-régional comme la Commission bancaire de l’Union monétaire ouest-africaine, qui dépend de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), est mutique. Il ne prend pas position sur la stratégie de croissance des banques privées. C’est inquiétant car le pilotage automatique a des limites. Il y a un risque d’assister à des indigestions de la part d’établissements engagés dans une stratégie de croissance tous azimuts, avec rachats de réseaux, créations ad hoc… Or, si une banque installée dans 20 pays subit un contrecoup, celui-ci aura des conséquences sur l’ensemble de ses implantations. C’est pourquoi j’aimerais que le régulateur s’affirme davantage, en assurant la structuration du système financier dans la phase d’émergence, riche mais aussi dangereuse, que nous vivons.

caines. Je reconnais qu’il y a un écart entre leurs discours et la réalité sur le terrain, ce qui s’explique par la distance culturelle. Mais, pour moi, la compatibilité est plus grande que les difficultés. Les structures du royaume ont aussi provoqué un effet de démonstration, en générant un niveau de management supérieur à celui qui existait sur place. Plus globalement, la caractéristique des établissements du continent est d’aller chercher tous les clients, à l’inverse des banques européennes. Ces dernières ont révélé leur jeu en se positionnant uniquement sur des niches rentables. Elles ont adopté une stratégie de flexibilité hit and run, qui consiste à entrer sur un marché et à en sortir, à chaque fois sans coût, car l’ensemble du marché ne les intéresse pas.

Depuis quelques années, elles proposent tout de même des offres pour aller chercher des clients non bancarisés, en suivant l’exemple de leurs concurrentes africaines. Ne leur accordez-vous pas de crédit ?

La présence d’actionnaires ÉTRANGERS ne change pas le fait que pour RÉUSSIR en Afrique, il faut adopter sa culture. C’est le TICKET D’ENTRÉE.

Des événements récents, comme la crise survenue en 2013 à Ecobank, avec des accusations de mauvaise gouvernance portées en interne contre le directeur général de l’établissement, ou la mauvaise gestion de filiales de BGFI (Banque gabonaise et française internationale) la même année, vous ont-ils inquiété ? Non, ces problèmes sont pour le moment des épiphénomènes, liés à des erreurs de gestion. Le cœur du réacteur, c’est le bilan des banques, c’est-à-dire l’incapacité éventuelle à collecter des dépôts et à se faire rembourser des crédits. C’est donc le risque de liquidité et de défaut, mais nous n’en sommes pas encore là.

Vous affirmez que les établissements africains respectent davantage les cultures locales, une position qui ne fait pas l’unanimité… Oui, mais je maintiens mon point de vue. On taxe souvent les banques marocaines d’arrogance, notamment vis-à-vis des ressources humaines. Il n’empêche qu’elles sont avant tout afri-

Certes, mais elles ne visent qu’un segment de la population avec ces offres. Et elles sont intéressées par un return on equity [rentablité des capitaux propres, ndlr] supérieur à la moyenne avec un risque inférieur à la moyenne. Leur objectif est de faire du business et de satisfaire leurs actionnaires en profitant de la croissance rapide des marchés émergents. Elles ne sont pas là pour faire de l’accompagnement au développement, comme l’affirment les déclarations officielles.

Pour revenir sur les groupes du continent, risquent-ils de perdre leur caractère africain avec des actionnaires majoritaires parfois venus d’ailleurs, comme chez Ecobank ? Je ne crois pas. La présence d’actionnaires étrangers ne change pas le fait que pour réussir en Afrique, il faut adopter sa culture, une certaine culture. C’est le ticket d’entrée. Si vous ne le faites pas, vous ne pouvez pas bénéficier de l’émergence.

Est-ce à dire que les établissements gèrent mieux l’octroi de crédits ? Cela reste un gros problème. Au sein des banques du continent, il y a un souci au passif, avec le grand chantier de la bancarisation, ainsi qu’à l’actif, avec une offre de prêts rationnée. Des deux côtés, une première contrainte est en train d’être levée grâce à la croissance et à l’émergence de foyers à revenus moyens, un futur public à bancariser. Reste qu’il faut aussi une nouvelle classe d’entrepreneurs plus vigilants, qui savent ce que sont le risque et le business. Ces derniers sont en train de sortir des grandes écoles. Ensuite, il faut que les banques continuent à développer des outils spécifiques aux marchés et innovants. Le processus va prendre du temps mais il est en cours. ❐ * Paru chez RB Édition.

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LA SÉLECTION

Les visages de la beauté

Leur rayon, ce sont les cosmétiques. Ces entrepreneurs les fabriquent, les vendent et les exportent. Sur le continent et ailleurs.

Dossier réalisé par Saïd Aït-Hatrit, François Bambou, Julie Chaudier, Frida Dahmani, Abdeslam Kadiri, Emmanuelle Landais, Luisa Nannipieri et Julien Wagner

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oin traditionnel, maquillage bio, parapharmacie de luxe… Avec l’essor des classes moyennes, la consommation de produits de beauté explose. Ces femmes et hommes d’affaires ont flairé le potentiel depuis longtemps. Combinant savoir-faire ancestraux et marketing moderne, ils offrent une gamme afro-mondialisée.

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FRONESIS

Kenza Bennis La « digital touch »

la société Fronesis qui lance Blooming Box, un site d’e-commerce dédié aux cosmétiques. Contre une souscription ◗ ARRIVÉE EN FRANCE à l’âge de 150 dirhams (13,80 euros) par mois, de 11 ans, cette Marocaine se constitue les clientes reçoivent à domicile un joli kit un solide cursus universitaire à l’École de management de Lyon puis en Chine, où bleu rempli d’échantillons, des nouveautés des grandes marques ou des produits elle suit un MBA à l’université Jiao-tong. faisant le buzz. Il faut plus d’un an pour De retour au Maroc, elle travaille dans le capital-investissement avant de dresser que l’affaire décolle mais, aujourd’hui, le site commercialise près de 300 articles, un constat : le marché de la beauté grand format, dont sa propre marque est sous-exploité dans le monde arabe, éco-chic, nommée Kenzi. À 31 ans, où l’offre, brouillonne, ne répond pas la working girl est aussi très active sur à la demande. En octobre 2011, avec les réseaux sociaux via ses pages YouTube, 91 000 dirhams en poche (8 400 euros), Facebook et son compte Twitter. ❐ A.K. la jeune femme crée à Casablanca

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Les visages de la beauté

LA SÉLECTION

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Fayçal el-Aouni La Méditerranée pour horizon

Suzie Wokabi Créative avant tout ◗ ELLE N’AURAIT JAMAIS IMAGINÉ fonder la première marque de produits de beauté du Kenya. Dès l’obtention de sa licence en affaires internationales aux États-Unis, Suzie Wokabi se tourne vers la mode. S’intéressant plus à la création des produits qu’au management, elle apprend les bases chez MAC Cosmetics puis à l’Award Makeup School de Los Angeles, avant de partir travailler à New York en 2001. De retour à Nairobi, sa ville natale, en 2007, elle découvre que les produits dont elle se sert habituellement sont hors de prix ou, pire, des contrefaçons. Sans oublier que peu de soins sont adaptés aux peaux et conditions climatiques africaines. Après trois années intenses, entre l’élaboration de nouvelles formules et la recherche de financements, elle crée, en décembre 2011, SuzieBeauty. Le succès est fulgurant : en moins de quatre ans, la marque conquiert le Kenya et ouvre des magasins en Côte d’Ivoire, en Ouganda et en Éthiopie. Les prix compétitifs et la qualité des cosmétiques ne charment pas que le public. Fin 2015, la puissante holding Flame Tree Group, basée à Nairobi, rachète l’entreprise. À 40 ans, Suzie hérite du poste de ses rêves, directrice de la création et ambassadrice de la marque. ❐ L.N.

◗ DEPUIS DIX ANS, il était en charge du développement à l’export (Maghreb, Moyen-Orient, Afrique et Amérique latine) de la marque française pharmaceutique et cosmétique Gattefossé. À 42 ans, Fayçal el-Aouni prend la tête de sa nouvelle filiale qui va se concentrer sur le Maghreb et le Moyen-Orient. Spécialiste du secteur, ce Tunisien, originaire de la capitale, s’est formé en France, à Rouen et Paris. Titulaire d’un DEA de sciences pharmaceutiques et d’un mastère en marketing, il débute sa carrière au sein du groupe Pfizer, avant de rejoindre Phadia AB, laboratoire francilien d’analyses médicales, dont il devient le responsable pour la région Rhône-Alpes. Fort de cette expérience, il entre, en 2006, chez Gattefossé, un groupe présent dans soixante pays et employant 250 personnes. Aujourd’hui, aux commandes d’une équipe de cinq personnes, il entend faire de la branche méditerranéenne de la marque un tremplin pour consolider la présence du groupe dans le monde arabe. ❐ F.D.

◗ NÉE À M’BOUR AU SÉNÉGAL et formée en gestion en France, elle s’installe aux États-Unis. En 2004, à San Francisco, elle cofonde (avec Greg Steltenpohl et Dominique Leveuf) Adina World Beat Beverages, qui commercialise des boissons saines utilisant des produits provenant de petits exploitants. Quelques années plus tard, la société réalise 3,2 millions de dollars de chiffre d’affaires et emploie 25 personnes. Mais Magatte Wade, aînée d’une famille de quatre enfants, ne se reconnaît plus dans le projet. En 2011, elle lance Tiossan (« origines » en wolof), une entreprise de cosmétiques à base d’ingrédients naturels sénégalais. Il faut quatre ans pour mettre au point les huiles et onguents, fabriqués aux États-Unis et vendus dans le réseau Nordstrom. Aujourd’hui, elle veut transférer la production sur le continent. ❐ E.L.

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Magatte Wade La précurseur


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LA SÉLECTION

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Zeze Oriaikhi-Sao Futur « L’Oréal africain » ?

Kamel Moula L’éclat algérien ◗ IL EST LE LEADER du marché des produits de toilette en Algérie. À 39 ans, Kamel Moula dirige Vénus, qui revendique une croissance annuelle de 10 % ces dernières années. Créée en 1984, en pleine économie « socialiste », par Mourad Moula, le père de Kamel, l’entreprise a survécu à la libéralisation. Elle est aujourd’hui l’une des marques préférées de shampooing, gel douche et crème de soin des Algériens. La recette du succès ? La qualité plutôt que la quantité, mais aussi des dépenses de communication et des marges inférieures à celles de la concurrence étrangère qui « se gave », affirme Kamel, également président du Club des entrepreneurs et industriels de la Mitidja (Ceimi). Vénus a récemment lancé sa propre ligne de production d’emballages et crée des soins avec l’entreprise française Sofia Cosmétiques. Le groupe algérien, qui exporte au Maroc, au Mali et à Madagascar, ambitionne de multiplier par dix son chiffre d’affaires à l’étranger. En attendant, il a lancé plusieurs filières à l’université de Blida, dont une en chimie avec option cosmétologie, afin de pouvoir y recruter et contribuer au développement du secteur. ❐ S.A-H.

Mohamed Azbane Le père fondateur ◗ LA LÉGENDE RACONTE qu’il a quitté la ville de Taroudant à tout juste 13 ans pour trouver un emploi à Marrakech, auprès d’une petite marque de parfumerie. Résultat, Mohamed Azbane a créé la première enseigne marocaine de cosmétiques, les laboratoires Azbane. Lancée en 1976, la société a commercialisé un premier parfum baptisé Khalida, du nom de la fille de l’entrepreneur. Sous sa direction, les laboratoires sont passés de l’importation de produits semi-finis à une production de ses propres cosmétiques. En 1990, le patriarche passe la main à sa fille, Khalida Azbane Belkady. Depuis, cette dernière et son frère, Saïd Azbane, innovent pour conquérir un marché international très concurrentiel. Le groupe recense aujourd’hui près de 400 employés et réalise environ 100 millions de dirhams (9,2 millions d’euros) de chiffre d’affaires. En 2015, Saïd et sa sœur ont lancé une nouvelle gamme de soins pour la barbe à base d’huile d’argan. Arbre endémique au Maroc, l’arganier pousse justement dans la région d’origine du père fondateur. ❐ J.C.

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◗ APRÈS PLUS DE DIX ANS à Londres et une formation à l’École de management de Grenoble, en France, Zeze Oriaikhi-Sao, née au Nigeria, retourne sur le continent pour s’installer en Afrique du Sud, à Johannesburg. Temps sec, soleil agressif, son épiderme souffre. « Ma peau se déshydratait chaque jour un peu plus et je ne trouvais pas de soins adaptés, raconte la femme d’affaires. Alors, fin 2009, j’ai décidé de créer Malée. » Grâce à sa famille et à ses amis, elle collecte « un petit pécule pour démarrer ». Un mal pour un bien car « avoir peu d’argent force à être créatif », souligne-t-elle. Le positionnement de sa marque est double : 100 % naturel et 100 % africain. Résultat, 200 % d’augmentation des ventes (directes et à de grandes chaînes d’hôtellerie de luxe) chaque année depuis six ans. Et en 2016, Malée Cosmetics, qui distribue 58 produits pour le corps et quatre parfums, est devenu l’un des leaders de l’industrie cosmétique sud-africaine. Zeze, qui entend devenir le « L’Oréal du continent », se fixe pour objectif « d’être présente dans une dizaine de pays d’ici cinq ans ». Avec huit employés à temps plein, dont cinq dans son usine de Pretoria, elle espère aussi distribuer sa marque en Europe et aux États-Unis. Elle s’est d’ailleurs implantée au Royaume-Uni en début d’année. ❐ J.W.


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Christian Ngan Vive l’export !

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SARAH TJEGA

◗ À 33 ANS, LE CRÉATEUR de la marque Madlyn Cazalis est un entrepreneur-né. Quand il rentre à Yaoundé au Cameroun (où il est toujours installé), après dix années dans le capitalinvestissement en France, il a sa petite idée en tête : des cosmétiques haut de gamme adaptés aux peaux africaines. Lancée en 2012 avec 2 500 dollars de fonds personnels, Madlyn Cazalis a depuis multiplié son chiffre d’affaires par 20 et récolté une quinzaine de prix. L’entreprise, qui compte six salariés et une centaine de commerciaux, vend en France, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et même, depuis juillet, à Hongkong. Ses projets sont multiples : une usine de fabrication de produits cosmétiques pour 200 000 dollars à Yaoundé, un partenariat avec une compagnie aérienne européenne, la diversification de l’offre à l’export… « Nous sommes en train de nous réorganiser, se réjouit Christian Ngan. De petite start-up, nous devenons une entreprise exportatrice. » ❐ J.W.

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Tara Fela-Durotoye Le pouvoir par le maquillage

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◗ NÉE À LAGOS EN 1977 et formée en droit, elle exerce sa passion pendant son temps libre, en proposant ses services de maquilleuse pour les mariages. Son talent est vite repéré et les clientes se bousculent. En 1998, alors âgée de 21 ans, Tara Fela-Durotoye ouvre un petit cabinet, qu’elle appelle House of Tara, et fait enfin de sa passion son métier. Presque vingt ans après, House of Tara International est une entreprise de renommée continentale. Elle compte 3 000 représentants au Nigeria, rassemble 21 instituts de maquillage professionnel en Afrique de l’Ouest et dispose de sa ligne de produits de beauté dédiée aux femmes africaines. En 2004, Tara ouvre la première académie de maquillage d’Afrique de l’Ouest afin de former une génération de femmes nigérianes indépendantes, capables de tracer leur propre route en tant que maquilleuses et entrepreneuses. Nommée parmi les vingt jeunes Africaines de pouvoir en 2013 par le magazine américain Forbes, elle est fière d’avoir un impact sur la société et d’avoir appris aux femmes à se faire confiance. ❐ L.N.

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Mouna Abbassy À la conquête des Émirats ◗ CETTE MAROCAINE DE 34 ANS a créé à Dubai sa société de cosmétiques à base d’huile d’argan, Izil Beauty. Les produits, naturels et certifiés Ecocert, sont conçus au Maroc par des femmes berbères de l’Atlas avant d’être acheminés aux Émirats et vendus aux clients arabes et asiatiques. Outre ses quatre boutiques à Dubai et Abu Dhabi, Izil Beauty souhaite se lancer dans la vente en ligne. Née à Demnate, dans la région de Béni Mellal-Khénifra, Mouna Abbassy a grandi à Salé. Diplômée de l’Institut des hautes études de management (Ihem) marocain, elle poursuit sa formation à Londres. En 2005, elle s’installe avec son mari à Dubai, où elle fait ses armes au sein de multinationales telles que Kraft Foods et L’Oréal. En 2013, elle crée en association avec son frère et son mari sa société, récompensée en 2015 par le prix Mena de la Cartier Women’s Initiative, un concours international de création d’entreprise pour les femmes. Un sacré coup de pouce : 20 000 dollars, un an de conseils personnalisés et un réseau d’affaires international. ❐ A.K.

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Mohamed Samir Le rêve américain ◗ À 49 ANS, CET ÉGYPTIEN est président des opérations commerciales et marketing de la zone Inde, Moyen-Orient et Afrique pour l’un des leaders mondiaux de l’hygiène et de la beauté, Procter & Gamble (Head & Shoulders, Pantene, Gillette…). Sa nomination en 2014 a récompensé un parcours de vingt-cinq ans, principalement centré sur les marchés Europe et Moyen-Orient, au sein de la multinationale. À ce nouveau poste, Mohamed Samir, diplômé de l’université américaine du Caire, dirige une région qui représente plus de 8 % du chiffre d’affaires du géant de Cincinnati (Ohio, États-Unis), soit plus de 6 milliards de dollars. Depuis ses bureaux situés à Genève, en Suisse, il se dit « tourné vers l’Afrique » non pas pour « sa croissance potentielle » mais pour « les progrès qu’il s’y produit en ce moment même ». Malgré un chiffre d’affaires monde en diminution de 5 % par rapport à 2014, il affirme que son groupe continuera à être présent sur le continent pour « favoriser l’innovation et protéger les investissements déjà effectués ». ❐ J.W.

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◗ ISSUE D’UNE FAMILLE SFAXIENNE, fine connaisseuse des plantes médicinales, elle a fait du patrimoine végétal tunisien son métier. Mais, avant cela, Faouzia Boulila-Ellouz, infirmière de formation, a débuté à l’hôpital comme surveillante générale dans un service de psychiatrie. En parallèle, elle tombe gravement malade, atteinte d’une affection chronique qui l’oblige à prendre un important traitement médicamenteux. Fatiguée des effets indésirables, elle cherche une solution dans les plantes. Puisant dans les ressources de la médecine traditionnelle et de la botanique, elle met au point décoctions et onguents. Puis, en 2000, elle crée, avec son époux ergothérapeute, Herbioart, une société qui propose une gamme de produits naturels, tisanes, huiles, savons, crèmes et shampooings. À 66 ans, elle dispense désormais son savoir lors de conférences aux côtés d’experts internationaux et d’émissions de télévision sur la chaîne tunisienne Al Wataniya 1. ❐ F.D.

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Faouzia Boulila-Ellouz L’experte des plantes


FERNAND KUISSU POUR JA

Francis Nana Djomou Le magnat du charme ◗ CE FILS DE GENDARME, originaire de Bangou, dans l’ouest du Cameroun, est devenu en quelques années le roi des cosmétiques en Afrique centrale et de l’Ouest. Formé à la Sorbonne à Paris (master en management et gestion des entreprises et DESS en communication des échanges), Francis Nana Djomou rentre au pays et fait ses débuts dans la distribution et la maintenance informatique. Puis, il passe à l’importation de produits de beauté et représente les marques Pierre Fabre, Vegebom et Continental, destinées à une clientèle aisée. En 2001, il lance son propre laboratoire, Biopharma, qui propose des soins à la portée de la majorité des Camerounais et dispose d’un site de vente en partenariat avec Jumia. En quelques années, il devient le leader du marché national, avant d’investir dans les pays voisins. Après l’hygiène corporelle et la parfumerie, il s’attaque au segment des produits capillaires. Avec une trentaine de marques et plus de 80 références, il exporte dans 22 pays du continent. De quoi concurrencer les multinationales et se lancer à la conquête d’autres domaines, l’agroalimentaire et le tourisme notamment. ❐ F.B.

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LECTURES Rassemblées par la rédaction

Haro sur les requins de la finance

À

lire l’ouvrage du journaliste d’investigation néerlandais Joris Luyendijk, on se dit qu’il y a quelque chose d’irrécupérable dans la nature humaine. Anthropologue de formation, l’auteur a tenu de 2011 à 2013 un blog consacré à la finance, fruit d’une immersion dans la City londonienne et de 200 entretiens avec des acteurs du secteur. On y découvre, sans surprise, un univers où, in fine, seul le profit compte. Dans cette Babel financière – 40 % des banquiers qui y travaillent sont nés hors du RoyaumeUni – il faut que l’argent amène l’argent. L’éthique ? « C’est de bien faire son travail et de tenir les objectifs fixés par la banque. » Ce qui peut vouloir dire vendre n’importe quoi au client, comme on pouvait déjà le voir dans le film Margin Call de Jeffrey C. Chandor, sorti en 2011. L’une des personnes interrogées par Luyendijk résume la situation de la sorte : en Bourse, c’est à celui qui achète d’être vigilant… Faisant écho au Bûcher des vanités du romancier Tom Wolfe ou au Poker menteur de l’ancien trader Michael Lewis, le livre décrit un monde régi par deux constantes : la dureté, pour ne pas dire la violence, des rapports entre collègues (on pense notamment aux humiliations subies lors de l’embauche) et l’impérieuse nécessité de respecter

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PLONGÉE EN EAU TROUBLE : ENQUÊTE EXPLOSIVE CHEZ LES BANQUIERS,

Joris Luyendijk Rifkin, Plon.

certaines règles, c’est-à-dire le poids du système. On ne court-circuite pas la hiérarchie derrière laquelle il faut toujours s’abriter et à laquelle on doit constamment faire allégeance. Le financier ou le banquier d’investissement n’est donc pas un être autonome. Il doit prouver son engagement total pour son employeur. Il le fait en travaillant jusqu’à 80 heures par semaine, voire plus, et cela, quitte à perdre tout lien social et à ne vivre qu’avec ses pairs dans une bulle où il n’est plus question que de deals et de bonus. Mais l’engagement se traduit aussi de manière plus subtile

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puisque l’employé se doit d’afficher un train de vie à la hauteur de sa position. En dépensant plus, pour l’école de ses enfants, pour ses sorties ou ses voitures de luxe, le trader démontre qu’il a toujours besoin de gagner de l’argent. Autrement dit, qu’il a toujours « faim », au grand bénéfice de son employeur. L’autre grand enseignement de ce livre, qui aurait pu s’intituler « Les Tribus de la City », c’est que la crise de 2008 n’a absolument rien changé au système. Pour Joris Luyendijk, un autre krach est d’ailleurs inévitable car les mentalités ainsi que les modes de fonctionnement sont restés les mêmes qu’avant le choc des subprimes. Des produits financiers auxquels personne ne comprend rien, si ce n’est leurs concepteurs, continuent d’être échangés en masse, parfois sans régulation, tandis que les modélisations de marché produites par des mathématiciens surdiplômés atteignent des niveaux records d’abstraction. Certes, la machine tourne encore, mais les intéressés eux-mêmes conviennent du risque grandissant d’implosion. Pour eux, comme seul le court terme compte, il faut engranger le maximum de cash pendant qu’il est encore temps. On reste encore plus songeur en apprenant que certains traders stockent des vivres et de l’eau dans la perspective d’un effondrement du secteur, comme il a failli se produire après la chute de Lehman Brothers en 2008. ❑ Akram Belkaïd

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Cette enquête édifiante sur le monde des traders à Londres montre que rien n’a changé depuis la crise mondiale de 2008. Attention à la rechute…


ET AUSSI

PROGRÈS

HÂTE-TOI LENTEMENT :

Pourquoi une avancée, industrielle, matérielle, médicale ou scientifique, s’accompagne-t-elle d’un accroissement des inégalités ? Ces dernières peuvent-elles être source de progrès ? Telles sont les principales questions posées par le prix Nobel d’économie 2015 Angus Deaton, spécialiste de la consommation et de la pauvreté. Cet Écossais, enseignant aux États-Unis, démontre, à grand renfort de statistiques, qu’à l’échelle du monde « la vie est aujourd’hui meilleure qu’à aucune autre époque de l’histoire », même si des inégalités persistent. Pour l’auteur, c’est un impératif de les réduire. Il plaide pour une redéfinition de l’aide au développement, un investissement croissant dans l’éducation, mais aussi davantage de migrations des pays pauvres vers les pays riches. ❑ Thomas Monnerais

SOMMES-NOUS

LA GRANDE ÉVASION :

MENACES MORTELLES

PROGRAMMÉS POUR

SANTÉ, RICHESSE ET

SUR L’ENTREPRISE

LA VITESSE DU MONDE

ORIGINE DES INÉGALITÉS,

FRANÇAISE, Olivier Hassid

NUMÉRIQUE ?, Lamberto

Angus Deaton, Puf.

et Lucien Lagarde, Nouveau Monde éditions.

RALENTIR

CAPTURE D’ÉCRAN

Dans un monde surconnecté où la vitesse des échanges et des transports ne cesse de croître, la lenteur fait figure de refuge. Dans son essai, le spécialiste des neurosciences Lamberto Maffei, propose de réhabiliter la « pensée lente » et de résister à l’effet d’entraînement des courriels, SMS et autres messages instantanés. À l’action immédiate, suggère-t-il, mieux vaut substituer le temps prudent de la réflexion. L’ouvrage démonte ainsi quelques dogmes de l’entreprise comme celui qui consiste à parer de toutes les vertus celui ou celle « qui décide vite ». ❑ A. B.

Maffei, Fyp éditions.

ÉCLAIRANT

ESPIONNAGES Ce livre pointe l’un des effets pervers de la mondialisation, qui conduit de nombreux pays à utiliser tous les moyens, notamment leurs services de renseignement, pour aider leurs entreprises à s’imposer. Et à ce jeu, la France est très en retard. Olivier Hassid, directeur au sein cabinet PwC (PricewaterhouseCoopers), expert en cybersécurité, et Lucien Lagarde, doctorant en droit, montrent que l’Hexagone pourrait perdre nombre de ses fleurons et que même ses consommateurs ne sont pas à l’abri d’une dépendance à l’égard de multinationales anglo-saxonnes ou asiatiques. ❑ A. B.

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Le journaliste financier Olivier Demeulenaere propose un regard sans concession, parfois provocateur, sur les grands dossiers économiques du moment, sans oublier l’actualité géopolitique, comme les conflits en Syrie et au Yémen. À l’aune de ses publications régulières, on note également son intérêt pour le secteur bancaire : qu’il s’agisse des politiques des banques centrales ou des stratégies des grands établissements privés, il en décrypte les enjeux en mettant en avant l’analyse d’experts. Sans surprise, les menaces pesant sur le système financier mondial, créances douteuses, banques surendettées, entre autres, font l’objet de plusieurs publications. ❑ A. B. olivierdemeulenaere. wordpress.com

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Au carrefour de l’Afrique, du monde arabe et de l’Asie

Un environnement propice à l’innovation. Économie diversifiée. Réseau bancaire dense et fiable. Hub régional de transports et de télécommunications.

DIFCOM © : V. FOURNIER /JA - DR

Infrastructures modernes.

DJIBOUTI AU SERVICE DES INVESTISSEURS


Après l’heure Découvrir, partir, voyager, prendre le temps de vivre

Symbole de la ville, le Merlion, une statue mi-lion mi-poisson aux portes du quartier d’affaires.

DÉPART

SINGAPOUR, L’ÂGE DE RAISON

GONZALO AZUMENDI/LAIF-RÉA

C

onfetti situé à la pointe de la Malaisie, elle incarne l’une des réussites économiques les plus spectaculaires du XX e siècle. Depuis son indépendance en 1965, la cité-État s’est hissée au rang de championne de la croissance en Asie, tout en raflant les premières places des classements mondiaux sur l’attractivité, les investissements, la facilité à faire des affaires. Un essor souvent qualifié de « miracle » pour ce petit territoire de 5,5 millions d’habitants dépourvu de ressources. Sa réussite, Singapour la doit avant tout à son emplacement géographique stratégique, au carrefour entre l’Orient et l’Occident. Cet atout n’a pas échappé au Britannique Sir Stamford Raffles lorsqu’il y installe, en 1819, le comptoir de la Compagnie des Indes orientales et y développe les activités portuaires. Un dynamisme qui attire alors les immigrés chinois, indiens, malais, indonésiens, autant de pièces participant à la construction du puzzle ethnique qu’est la cité-État. ■ ■ ■

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VIVRE Un jardin d’Éden sablé VOYAGER Skyscanner débarque sur Messenger DÉPENSER Une rentrée stylée

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Après l’heure

DÉPART

PAR MARION ZIPFEL

La cité-État mise sur les services et le tourisme (ci-dessus dans le quartier Little India) alors qu’elle est aussi le deuxième port mondial de conteneurs (ci-dessous).

■ ■ ■ Depuis, ce secteur n’a cessé de se développer et Singapour est devenue le deuxième port mondial de conteneurs juste derrière Shanghai. Jadis route des épices, le détroit de Malacca est l’une des plus importantes zones d’échanges internationaux de matières premières, notamment de pétrole, dont Singapour est le troisième raffineur mondial. Hub maritime, la cité est aussi une plateforme aérienne grâce à son complexe de Changi. Régulièrement élu meilleur aéroport du monde, celui-ci a vu passer plus de 55 millions de passagers en 2015. Le sort de l’île est également déterminé par un homme : Lee Kuan Yew, Premier ministre sans interruption de 1959 à 1990. Lorsque la « cité du lion » (traduction de « Singapura » en sanskrit) devient indépendante le 9 août 1965, après l’échec du projet de fédération avec la Malaisie, le dirigeant est hanté par la question de la survie de son pays. Comment un si petit État pourra-t-il s’en sortir tout seul ? D’une main de fer, il va le mettre sur les rails du développement. Celui-ci passe, dans un premier temps, par l’attraction des investissements

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étrangers en créant un environnement économique favorable à l’implantation de grandes entreprises occidentales ou japonaises, en quête d’une maind’œuvre peu onéreuse. L’industrialisation commence donc avec des activités à forte intensité de travail et à faible valeur ajoutée, comme le raffinage, la construction navale et le BTP, avant de se poursuivre, dans les années 1970, avec l’électronique grâce à l’arrivée de géants comme Philips ou Texas Instruments. Au fil des années, Singapour a misé sur la montée en gamme de son industrie, tout en développant le secteur des services, en particulier financiers, ce qui en fait aujourd’hui la première place de l’Asso-

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ciation des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). Son économie repose sur trois piliers : l’industrie manufacturière et la construction (28,9 % du PIB en 2015), le commerce, la logistique et la communication (25,6 %), les activités financières et services aux entreprises (37,5 %). Parmi les géants singapouriens : la banque DBS, CapitalLand, l’un des plus grands groupes immobiliers d’Asie, le conglomérat Keppel Corp, présent dans l’offshore maritime, la construction et l’énergie, l’opérateur télécoms Singtel, la compagnie aérienne Singapore Airlines. Ce modèle économique très ouvert – les échanges extérieurs représentent trois fois le PIB – a une limite. Il est

FOTOLIA - GONZALO AZUMENDI/LAIF-RÉA - SHUTTERSTOCK

Gardens by the Bay, le poumon vert futuriste de la ville, avec ses immenses serres et ses arbres géants.


SHUTTERSTOCK - GONZALO AZUMENDI/LAIF-RÉA - DR

vulnérable au ralentissement mondial, et plus particulièrement chinois. Les prévisions de croissance pour 2016 se situent entre 1 et 3 %, bien loin des 5 % auxquels était habitué le champion ces dernières années. Par ailleurs, le développement a longtemps reposé sur le recours à une main-d’œuvre étrangère, qui représente 25 % de la population. Or, une poussée anti-immigration au sein de l’opinion publique remet ce modèle en cause. En réaction, le gouvernement a fait le choix de limiter l’afflux d’étrangers, adoptant une politique restrictive en matière d’octroi des visas. Pour rester dans la course, l’archipel doit rebondir. Il entend mettre l’accent sur l’innovation afin de devenir une « smart nation ». Début 2016, les autorités ont dévoilé leur nouveau plan quinquennal de 12,2 milliards d’euros. En hausse de 18 %, il doit doper la R&D en lui consacrant près de 1 % du PIB. Les entreprises sont aussi incitées à aller chercher la croissance à l’étranger. Si l’Asie du Sud-Est et la Chine sont des destinations naturelles, l’horizon s’étend désormais jusqu’en Afrique. En 2014, les investissements singapouriens sur le continent se sont élevés à 14 milliards d’euros, en hausse de 10 % par an depuis 2008. Depuis 2010, le Africa Singapore Business Forum, dont la dernière édition vient de se tenir fin août, est organisé tous les deux ans. L’agence de promotion des entreprises singapouriennes à l’international (IE Singapore) a ouvert deux bureaux de représentation, l’un à Accra, au Ghana, l’autre à Johannesburg, en Afrique du Sud, son principal partenaire dans la zone. Industrie pétrolière, développement urbain, logistique et éducation, il y a actuellement soixante sociétés actives sur le continent. Mais ce n’est qu’un début. ❐

LES VRAIES ADRESSES Trois lieux pour goûter aux multiples influences qui font le charme du champion asiatique. Plein les yeux, National Gallery. Inaugurée en 2015, elle présente la plus grande collection d’art moderne d’Asie du Sud-Est, plus de 8 000 œuvres réparties sur une surface équivalente à celle du musée d’Orsay à Paris. L’architecte français Jean-François Milou a subtilement réuni deux anciens édifices coloniaux, la Cour suprême et le City Hall, par un voile d’acier et de verre. Superbe. nationalgallery.sg Explosion de saveurs, Lau Pa Sat. Impossible de passer à Singapour sans déjeuner ou dîner dans un « food-court », aussi appelé « hawker centre », institution culinaire incontournable. Situé en plein cœur du centre des affaires, Lau Pa Sat ou Telok Ayer Market, réunit sous un même toit des stands proposant toutes les cuisines d’Asie. Sous une voûte en fer forgé importée de Glasgow en 1894, on se régale à des prix imbattables. laupasat.biz

Somptueux, Raffles Hotel. Comme Rudyard Kipling ou Joseph Conrad en leur temps, descendez au « Raffles ». Bien plus qu’un hôtel, c’est une légende, le symbole assumé du passé colonial. Construit par les frères Sarkies en 1887, l’établissement compte 103 suites au parquet sombre et au mobilier en bois. À l’ombre des frangipaniers et arbres du voyageur, il faut siroter un Singapore Sling, le cocktail emblématique de la maison. Et faire sienne la phrase de Somerset Maugham : « Raffles est synonyme de toutes les fables de l’Orient exotique ». raffles.com

À SAVOIR La ville a aussi son circuit de Formule 1 pour accueillir le Grand Prix, prévu le 18 septembre cette année. Sa particularité : il se court de nuit.

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VIVRE

PAR ALEXIS HACHE

S E YC H E L L E S

Un jardin d’Éden sablé piscine à débordement et jacuzzi privés, ou l’une des trois maisons d’un complexe appelé Banyan Hill avec personnel attitré et vue plongeante sur le reste de l’île. Dîner les pieds dans l’eau, perché dans les branches d’un vieux banian ou entouré des fruits et légumes bio de la plantation, tout est possible. Sans oublier des séances de plongée diurne et nocturne dans l’océan Indien ou encore des soins personnalisés dans le spa. Un lieu d’exception dans un cadre idyllique. À partir de 3 100 euros la nuit. ❐ fregate.com

L’hôtel est installé sur l’une des 115 îles de l’archipel et offre l’une des plus belles plages du monde.

Boutiques de charme L’esprit princier EN SWAHILI, Nihahsah signifie « princesse noire ». Depuis 2013, c’est sous cette marque que la créatrice Erika Duparc rend hommage aux figures féminines africaines légendaires, Néfertiti, la reine de Saba ou encore Ashanti. Cette Ivoirienne d’origine franco-guinéenne, appelée «Princesse Peuhl», propose des accessoires de luxe et de caractère. Foulards et écharpes en soie, paréos multicolores, bougies parfumées au cognac ou à la fleur de litchi... À découvrir à l’hôtel Sofitel d’Abidjan en Côte d’Ivoire (ci-contre), à la boutique BChic de l’hôtel Kempiski Fleuve Congo de Kinshasa en République démocratique du Congo, à la Maison verte de Dakar au Sénégal et sur son site Internet. ❐ nihahsah-luxe.com

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JOCHEN MANZ - DR (2) - JOCHEN MANZ - DR

S

ept plages plongeant dans des eaux turquoise, des tortues géantes d’Aldabra comme voisines : bienvenue sur l’île paradisiaque de Fregate Island. Unique hôtel de cet îlot situé à quinze minutes de vol de Mahé, le Fregate Island Private a des allures de jardin d’Éden. L’une de ses plages est d’ailleurs régulièrement élue comme la plus belle du monde. Dans cet environnement préservé s’épanouissent une faune et une flore uniques, comme la pie chanteuse des Seychelles. Pour l’hébergement, c’est au choix, l’une des seize villas avec terrasse,


A Ambiance moderne m aau Sofitel (ci-contre) et plus (c traditionnelle tr aau Banyan Tree (ci-dessous). (c

MAROC

LE GÉANT américain prévoit de doubler le nombre de ses établissements sur le continent pour le porter à 76 d’ici cinq ans. Hilton Worldwide possède, en plus des célèbres Hilton, les Conrad et Waldorf Astoria. Cette année, il a ouvert le Hilton N’Djamena au Tchad, l’Alexandria King’s Ranch en Égypte et le Hilton Garden Inn dans le centre-ville de Tanger au Maroc.

Protea Ouverture au Botswana

Tamouda Bay a le vent en poupe

L’ENSEIGNE du groupe Marriott va, pour la première fois, s’installer au Botswana, dans le quartier des affaires de Gaborone, la capitale. Doté de 160 chambres, d’un centre d’affaires et d’une piscine extérieure, l’hôtel ouvrira ses portes en 2018. Protea Hotels est déjà présent dans huit autres pays africains, dont l’Afrique du Sud, la Namibie et le Ghana.

S DR (2)

Hilton Suite de l’offensive

ituée à quarante kilomètres à l’est de Tanger, tout près de l’aéroport de Tétouan, avec la Méditerranée comme horizon et les sommets du Rif en arrière-plan, cette baie est en pleine effervescence. Deux groupes hôteliers ont décidé de s’y installer. Sofitel a ouvert à M’diq un hôtel cinq-étoiles mêlant chambres, suites, bungalows et villas. Installé sur plus de 38 000 m2, le complexe propose restaurant, bar, spa et accès au superbe golf 18 trous de Cabo Negro. Douze kilomètres plus au nord, c’est Banyan Tree, le groupe Singapourien, qui a élu domicile. Il mise sur le romantisme en offrant 92 villas, chacune avec piscine individuelle, et un service de spa « à domicile », dans votre chambre. À partir de 147 euros la nuit pour le premier, 349 euros pour le second. ❐

Carlson Rezidor Renforcement au Mozambique LE RADISSON BLU HOTEL de Maputo s’agrandit. Ce sont 117 appartements qui ont été construits dans un nouveau bâtiment du complexe hôtelier, premier cinq-étoiles ouvert dans le pays en 2013. Situé sur la baie de Maputo, en face de l’océan Indien, il propose 54 studios et 53 appartements avec salle de fitness, restaurant, bar et piscine.

sofitel.com et banyantree.com

RENDEZ-VOUS Du 14 au 16 octobre, la ville d’Essaouira, connue pour son festival Gnaoua, organise un nouvel événement, consacré à la musique électronique. Il a été baptisé Moga, en référence à l’ancien nom de la ville, Mogador.

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VOYAGER

PAR ALEXIS HACHE

LA RAM a signé un accord pour intégrer le programme de fidélité Avios du groupe IAG, maison mère des compagnies British Airways, Vueling, Aer Lingus et Iberia. Autre nouveauté, le royaume fait désormais partie d’Eurocontrol, l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne. Cela signifie qu’il va bénéficier de la gestion harmonisée des flux, synonyme de réduction des coûts et des délais pour la RAM. Aujourd’hui, 850 vols relient quotidiennement le Maroc à l’Europe.

Mauritanie Nouvel aéroport international INAUGURÉ FIN JUIN, il a une capacité annuelle de 2 millions de voyageurs et peut accueillir les gros avions, Airbus 380 et Boeing 780. Située à 20 kilomètres au nord-ouest de la capitale, la nouvelle infrastructure dispose d’un terminal passager de 30 000 m2, bien plus vaste que celui de l’ancien aéroport, installé en centre-ville.

Nouvelair Vol Tunis-Alger LE TRANSPORTEUR tunisien dessert une nouvelle destination depuis mi-juillet, la capitale algérienne. Les trois liaisons hebdomadaires se font en Airbus A320, les mardis, jeudis et samedis. Une nouvelle concurrence pour Air Algérie et Tunisair.

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NUMÉRIQUE

Skyscanner débarque sur Messenger

Air France Paris-Oran L’AVIONNEUR français déploie un peu plus ses ailes en Algérie. Air France propose depuis le 27 juillet trois vols par semaine en Airbus A320 au départ de Paris CDG et à destination d’Oran, deuxième ville du d pays. Les vols décollent lle mercredi, le vendredi eet le dimanche. À terme, lle nombre de vols devrait passer à quatre, puis p lla liaison devrait devenir quotidienne. q

A Mauritius Air D Destination G Guangzhou

R

endre la recherche de vols ols encore plus simple : c’est dans ce but que le comparateur de vols Skyscanner a intégré Facebook Messenger. Il y a lancé son « bot », un système de conversation automatique qui permet de trouver rapidement des informations sur un vol ou des tarifs. Pour cela, il suffit de poser sa question (en anglais) dans la boîte de dialogue. En croisant les résultats des recherches préalables et les informations disponibles en ligne, l’application répond avec une liste de propositions. Elle peut même suggérer des idées de destinations. ❐ m.me/Skyscanner

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A MAURITIUS développe AIR un peu plus son offre u à destination de la Chine. La compagnie mauricienne L propose depuis le 12 juillet p un vol hebdomadaire pour Guangzhou en Airbus A340, avec une capacité de 288 passagers, dont 24 en classe affaires. C’est la cinquième liaison vers la Chine pour la compagnie après Pékin, Shanghai, Chengdu et Hongkong.

Tunisair Décollage pour Niamey LA COMPAGNIE tunisienne a lancé le 6 juillet une liaison entre Tunis et la capitale du Niger. Elle s’effectue deux fois par semaine, les mercredis et samedis en Airbus A320. Le vol se fait avec escale à Abidjan au départ de Tunis le mercredi, et au départ de Niamey le samedi. Les deux autres liaisons sont directes.

SHUTTERSTOCK - DR

Royal Air Maroc Fidélité et sécurité


Le transporteur a reçu fin juin le premier des quatorze Airbus A350-900 qu’il a commandés pour étendre et moderniser sa flotte.

AÉRIEN

Ethiopian Airlines poursuit son ascension

A

lors qu’elle fête cette année ses 70 ans, la compagnie éthiopienne est sur tous les fronts. Après New York, Tokyo ou encore Manille, elle poursuit son expansion à l’international. L’hiver prochain, trois vols par semaine relieront ainsi Addis-Abeba à Istanbul en Boeing 737. Parallèlement, elle accroît son offre à destination de l’Inde en ouvrant une liaison avec Chennai, alors qu’elle dessert déjà quotidiennement Mumbai et Delhi. Sur le continent, elle a ouvert début juillet un vol Addis-

Abeba-Lagos en Airbus A350. Ces offres s’inscrivent dans sa stratégie exposée dans le plan « Vision 2025 » qui doit lui permettre de devenir le premier groupe aérien en Afrique. Ce qu’elle est déjà en termes de chiffre d’affaires, puisqu’elle a dégagé pour 2014-2015 un bénéfice net record de 165,4 millions de dollars, soit une augmentation de 12 % par rapport au précédent exercice. Forte d’une flotte de plus de 70 appareils et de 112 destinations desservies à travers le monde, dont 71 sur le continent, elle a été récom-

pensée deux fois en mai dernier, en étant élue « Meilleure compagnie aérienne de l’année 2016 » par African Aviation et en obtenant un certificat d’excellence de l’Organisation de l’aviation civile internationale pour son centre de formation. Mais la concurrence est bel et bien là. Dans le prestigieux classement annuel des meilleures compagnies du monde établi par Skytrax, Ethiopian n’apparaît cette année qu’au 4e rang en Afrique derrière South African Airways, Air Seychelles et Air Mauritius. ❐

Bon plan

DR - CAPTURES D’ÉCRAN

Une chambre en un clic QUI N’A PAS EU de mauvaises expériences en réservant un hôtel en ligne sur le continent ? Parfois, il est même impossible de « booker » par Internet. C’est parce qu’elle a eu ces problèmes en partant en vacances avec ses parents que la jeune Grace Noa a décidé de lancer myhotelafrica.com. Avec l’aide d’un associé, Stephen, elle a créé cette plate-forme de réservation qui simplifie la vie des touristes comme des hommes d’affaires. Entièrement dédié aux hébergements africains, le site recense chambres d’hôtes à petits prix, hôtels de luxe ou villas spacieuses. Le choix est large, la sélection sérieuse et l’interface très simple d’utilisation. ❐ myhotelafrica.com

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Après l’heure

DÉPENSER

PAR LUISA NANNIPIERI

MODE

Une rentrée stylée METTEZ-VOUS AU XHOSA Inspirés des motifs traditionnels, les vêtements et accessoires proposés par le Sud-Africain Laduma Ngxokolo s’adressent aux femmes comme aux hommes. Ils allient modernité, qualité et originalité, à l’instar de cet ensemble graphique ou d’un châle qui peut se porter de seize façons différentes. Réalisés en laine mérinos, mohair et autres matières d’Afrique du Sud, tous ces modèles sont fabriqués par des artisans locaux pour la marque MaXhosa. À partir de 150 euros. www.maxhosa.co.za

FRAGRANCE SUR MESURE Guerlain réinvente le concept de parfumerie de quartier. Dans sa boutique de la rue Saint-Honoré, la maison fondée en 1828 a constitué une bibliothèque qui regroupe les 105 essences qui ont fait son histoire. Elle propose un blind-test pour choisir son parfum. Autre solution, s’offrir un flacon Abeille personnalisé, avec un large choix de couleurs et la possibilité de le faire graver. 392, rue Saint-Honoré, Paris. Entre 140 euros et 290 euros pour un flacon personnalisé.

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MONTRE DE CHAMPION Créée à l’origine pour les personnes malvoyantes, la Bradley Element de la marque américaine Eone a été baptisée du nom de Bradley Snyder, un officier qui a perdu la vue en Afghanistan en 2011 avant de remporter trois médailles lors des Jeux paralympiques de Londres en 2012. Le cadran en céramique, orné de formes géométriques en relief, cache un aimant qui fait tourner deux billes, l’une pour les heures, l’autre pour les minutes. Pour savoir d’un simple geste, et en toute discrétion, quelle heure il est. À partir de 399 euros. eone-time.com

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SOUS TOUTES LES COUTURES Publié en marge de l’exposition Fashion Cities Africa (au Brighton Museum de Londres jusqu’au 8 janvier 2017), cet ouvrage présente les stylistes les plus en vue du continent. La sélection a été faite par la spécialiste de la mode et journaliste au Guardian, l’Érythréenne Hannah Azieb Pool. Elle proposee une lecture complexe et pétillante de la création africaine, à partir de photos exclusives prises dans les rues de Nairobi, Lagos, Casablanca et Johannesburg. Quatre villes qui dictent les nouvelles tendances. Disponible sur Amazon. brightonmuseums.org.uk


Buffet Rubia et table de chevet Magabi, tous deux en chêne massif.

DESIGN

En toute simplicité

C

’est une étoile montante en Tunisie. Chacha Atallah a créé pour Slow, une jeune maison d’édition de mobilier et d’objets contemporains, des pièces aux lignes claires et épurées. Réalisée sur place, la collection, en édition limitée, comprend une bibliothèque en chêne massif à la composition graphique, une petite table de chevet aérienne qui s’appuie sur un seul pied conique ou encore un buffet en bois japonisant avec des panneaux ajourés. Un travail à découvrir à la Paris Design Week et à la London Design Biennale en septembre. ❐ slowedition.com

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Audio La douce musique de la 3D LA MARQUE JAPONAISE Final Audio Design n’a pas hésité à se servir de la technologie d’impression 3D pour concevoir ses nouveaux écouteurs très haut de gamme (LAB II). Cette technique a permis de créer une structure interne complexe, idéale pour égaliser le son, tout en assurant des finitions exemplaires. Imprimés en titanium, les LAB II sont hyper légers et dotés de haut-parleurs dynamiques. Un produit d’exception disponible en édition limitée à partir de 4 000 euros. ❐ final-audio-design.com

12000 euros, c’est le prix du smartphone Solarin de Sirin Labs. Utilisant un système emprunté à l’armée, il assure le cryptage de tous les appels et les SMS ainsi que la protection contre les virus. Avec des performances irréprochables.

EXPO Akaa, pour Also known as Africa, la première foire d’art contemporain et du design sur l’Afrique s’installe au Carreau du Temple, à Paris, du 11 au 13 novembre. Vingt-cinq galeries internationales seront au rendez-vous.

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MOTS ET TENDANCES par Akram Belkaïd

Vous venez de rentrer de vacances à l’autre bout du monde mais vous avez l’impression de ne pas avoir quitté votre bureau ? Bienvenue dans le nouvel univers du blurring, celui où l’ordinateur et le smartphone empêchent toute séparation entre vie professionnelle et privée (en anglais, to blur signifie « effacer », « flouter »). Cette disparition d’une frontière, longtemps hermétique, est due au développement spectaculaire des nouvelles technologies de l’information et à l’extension croissante des réseaux Internet haut débit. L’exemple du col blanc qui passe plusieurs heures à lire et à répondre à ses courriels de travail alors qu’il est au bord d’une plage est emblématique de cette tendance de fond. En Europe de l’Ouest et aux États-Unis, 80 % des cadres reconnaissent que la notion de temps libre n’existe plus pour eux. Mais cela vaut aussi pour d’autres métiers, notamment dans les services, où les employés peuvent être mobilisés à tout instant, y compris via les messageries des réseaux sociaux. OutreAtlantique, les médias ont relevé que le volume de courriels professionnels n’observe une accalmie qu’entre 2 heures et 6 heures du matin et du samedi 16 heures au dimanche fin d’après-midi, moment auquel les salariés et les managers reprennent le chemin virtuel de leurs bureaux. La situation est telle que les syndicats revendiquent désormais le « droit à la déconnexion » afin que les employeurs ne puissent plus reprocher à leurs employés de ne pas être joignables en dehors des horaires de bureau.

FINTECH

Autrement dit, la combinaison entre services financiers et nouvelles technologies. Ce secteur, encore balbutiant au début des années 2000, est désormais en pleine expansion avec un total d’investissements de 38 milliards de dollars en 2015, contre 18 milliards en 2014. Chaque jour ou presque des start-up apparaissent avec la ferme intention de prendre des parts de marché aux acteurs classiques, tels que les banques ou les sociétés d’assurance. Parmi ces jeunes pousses, celles qui se spécialisent dans le crowdfunding, c’est-à-dire le financement participatif, ont le vent en poupe. Le principe est simple : plutôt que de s’adresser à son banquier, le promoteur d’un projet s’adresse à la communauté des internautes pour le financer.

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Les dons passent par un établissement en ligne qui se rémunère en prélevant une commission sur les sommes recueillies (de 6 à 15 % en moyenne). La FinTech permet ainsi à des milliers d’entreprises mais aussi de particuliers de se passer de prêts bancaires. Exemple, aux États-Unis, qui concentrent 50 % du marché de la FinTech, le crowdfunding donne aux journaux locaux la possibilité de se développer grâce à la mobilisation de leurs lecteurs (on y a aussi vu une jeune femme recueillir 23 000 dollars pour rembourser son prêt étudiant et quitter la vie active afin de devenir nonne). Les autres activités liées à cette convergence entre finance et innovation sont le paiement mobile et en ligne par prélèvement, l’usage de crypto-monnaies et le conseil automatisé en matière de gestion d’épargne.

PÉTAFLOPS

C’est l’unité utilisée pour mesurer la puissance et la vitesse de calcul des superordinateurs. Flops signifie floating-point operation per second, c’est-à-dire « opération à virgule flottante par seconde » Le suffixe « péta » vaut, quant à lui, 1 milliard de milliards (10 puissance 15). Dans ce domaine du traitement vertigineux des données, la Chine est désormais la première puissance mondiale, devant son rival américain. Selon le classement biannuel du cabinet Top500, Pékin arrive en effet en tête pour le nombre de supercalculateurs (167 contre 165 pour les États-Unis) et pour la puissance globale de calcul (tous ordinateurs confondus). La mise en service, à la fin du printemps dernier, du Sunway TaihuLight a symbolisé cette suprématie naissante. Véritable monstre, cette machine, équipée de 40 000 processeurs exclusivement chinois, a une capacité de 93 pétaflops, soit trois fois plus que son prédécesseur, le Tianhe-2, et cinq fois plus que le premier superordinateur américain, Titan. Loin d’être anecdotique, cette course aux flops permet à la Chine de développer sa recherche spatiale, météorologique, biologique, climatique et industrielle. Elle offre aussi la possibilité de réduire le nombre d’essais nucléaires en les remplaçant par des simulations à large échelle. Et la rivalité entre les deux géants n’est pas près de s’apaiser puisqu’ils sont tous deux engagés dans la course pour construire le premier superordinateur susceptible d’atteindre l’exaflops (1 000 milliards de milliards de flops, ou 10 puissance 19). ❐

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DR

BLURRING



Groupe BGFIBank

ans

au service du financement DES ÉCONOMIES AFRICAINES Meilleure banque africaine de l'année AFRICA CEO FORUM 2016

Meilleure banque régionale d’Afrique centrale TROPHEES AFRICAN BANKER 2016

Bénin - Cameroun - Congo - Côte d’Ivoire - France -Gabon - Guinée Équatoriale Madagascar - République Démocratique du Congo - Sao Tomé et Principe - Sénégal

www.bgfi.com


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