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CHINE

La révolution Xi ÉDITO Après la France-Afrique par Zyad Limam

WAGNER

Le retour des mercenaires ? BUSINESS Algérie-Maroc Un très coûteux divorce PORTFOLIO Les audaces d’Omar Victor Diop DÉCOUVERTE Côte d’Ivoire Le secteur privé à l’avant-garde

TUNISIE

KAIS SAIED LE NOUVEAU RAIS

Il a pris les pleins pouvoirs, bien décidé à changer le cours de la révolution. Un chemin solitaire, assumé et risqué dans un pays à la recherche d’un nouvel équilibre. Et en proie à d’immenses difficultés économiques.

France 4 , 90 € – Afrique du Sud 49, 95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6, 90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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édito PAR ZYAD LIMAM

APRÈS LA FRANCE-AFRIQUE À Montpellier, le 8 octobre, dans ce « sommet » qui n’en sera pas vraiment un (aucun chef d’État n’est attendu dans le sud de la France), on parlera de refonder la relation France-Afrique, de la réinventer… On évoquera le renouvellement générationnel, la culture, les imaginaires communs. On cherchera surtout à se dire la vérité en face, sans la présence des chefs justement (qui seraient certainement les protecteurs du statu quo…). Achille Mbembe a recueilli et synthétisé le produit de plus de 66 débats préparatoires dans 12 pays africains. Il semblerait que ce soit musclé. Et l’écrivain camerounais s’apprête à les restituer, sans censure, face au président français. Emmanuel Macron aime ce type d’échange « frontal ». Il pense que cela fait bouger les lignes. Le format de ce sommet original et ambitieux est à l’image de ce président de 43 ans. Un « produit » postcolonial, plus encore que Nicolas Sarkozy et François Hollande. Il est né en… 1977. Il ne porte pas le poids de l’histoire. Il n’est pas le prisonnier d’un appareil politique emberlificoté dans les méandres plus ou moins acceptables de la vieille Françafrique. Il a fait son stage pour l’ENA (École nationale d’administration) à l’ambassade de France à Abuja, et, pour l’avoir suivi, sur place, lors de son voyage à Lagos (juillet 2018), on peut témoigner de son absence de préjugés, de son empathie et de son ouverture à l’Afrique. Macron cherche à échapper au modèle du passé, à dynamiser les échanges économiques, les partenariats, en traçant court, hors des « traditions » et des réseaux. Son univers précédant, celui des banques d’affaires, le pousse à trouver les solutions, les financements, à innover. La réforme du franc CFA est en cours. Les prêts et les crédits sont en constante augmentation. La France a ouvert ses horizons et cherche à nouer des alliances en Afrique anglophone, lusophone. Le président a multiplié la création d’organismes plus ou moins efficaces (plutôt moins que plus d’ailleurs) pour doper l’échange : Choose Africa, Digital Africa, le conseil présidentiel pour l’Afrique… AFRIQUE MAGAZINE

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Emmanuel Macron veut aussi solder les comptes du passé, comme avec l’Algérie ou le Rwanda. Il s’est lancé dans une politique de restitution des œuvres d’art. Et lors des derniers mois, la France a vécu au rythme de la Saison Africa2020. Plusieurs fois au cours de son quinquennat, Macron aura également évoqué le français comme une langue multiculturelle, commune à près de 700 millions de locuteurs, enrichie d’apports multiples. Comme souvent avec le président français, il cherche à construire des relations personnelles (comme celles avec Alassane Ouattara, Mohamed Bazoum, Cyril Ramaphosa, et plus surprenante encore avec Paul Kagame) pour appuyer sa politique. Comme souvent avec le président français, il cherche à parler franc, parfois trop franc, sur la responsabilité, sur la démographie, plus récemment sur le Mali ou l’Algérie, provoquant de sérieuses crises diplomatiques. On retrouve toute cette philosophie africaine dans le discours fondateur de Ouagadougou (novembre 2017). Il va séduire des étudiants remontés, par un mélange de provocation et de parler vrai : « Je considère que l’Afrique est tout simplement le continent central, global, incontournable, car c’est ici que se télescopent tous les défis contemporains. » Puis : « Je ne vous donne pas de leçon, je vous dis quelle sera ma part, je vous dis aussi avec beaucoup de franchise, quelle sera la vôtre. » Séquence conclue par le fameux : « Mais moi, je ne veux pas m’occuper de l’électricité dans les universités au Burkina Faso ! C’est le travail du président [Kaboré, ndlr] ! » Pourtant, malgré cette politique de rupture à la fois sur le fond et sur la forme, l’image de la France se dégrade, et tout particulièrement en Afrique francophone. La relation franco-africaine est dense, ancienne. Marquée aux traumatismes de l’histoire qui l’ont fondée. Elle ne peut échapper au souvenir de l’esclavage (et qui a fait la fortune de grandes villes comme Bordeaux ou Nantes). Elle ne peut échapper à l’immense chapitre colonial (de 1830 à 1960), à la 3


Le président français Emmanuel Macron lors de l’inauguration d’une centrale solaire à Zagtouli, près de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 29 novembre 2017.

décolonisation plus ou moins brutale, au postcolonialisme qui nourrira fantasmes et réalités sur la fameuse Françafrique. La France s’est longtemps enrichie grâce à l’empire, et les luttes pour la libération ont été marquées par la violence, la répression. La France a « invité » sur son sol des centaines de milliers de travailleurs africains indépendants pour venir faire tourner ses usines. Des travailleurs qui n’ont pas eu la gratitude de la nation… Il y a évidemment la personnalité du président Macron, cette manière de se mettre en scène, ce parler franc clivant. Cette manière également de choisir luimême ses interlocuteurs. Il y a la présence des troupes, les bases militaires. La guerre au Sahel, la lutte contre les djihadismes. Il y a « l’interventionnisme » français, reflet souvent, comme au Mali, de l’effondrement de l’État et des institutions locales. Il y a aussi évidemment l’instrumentalisation de « la France », de son rôle, de son importance par des forces populistes africaines, à la recherche d’un ennemi bien utile pour le peuple… Il y a aussi le message implicite que renvoie la France des Lumières, via les télévisions, les réseaux sociaux, Internet. L’image du pays des droits de l’homme, de l’universalisme, minée en réalité par les discours lepéniste, zemmouriste, par le racisme ambiant et l’obsession identitaire. Et le repli. Il y a enfin la question de l’immigration, de ces visas impossibles à obtenir, de ces études impossibles à poursuivre, et même de ces simples voyages d’agrément ou de tourisme impossibles à effectuer… Cette France-là, pourtant, attire toujours autant tous ceux qui, à Alger, à Casa, à Tunis, à Dakar, à Abidjan, ailleurs, sont prêts à affronter le désert et la mer pour changer de vie, se donner une chance. Et cette immigration chaotique, ininterrompue, ne fait que souligner l’incapacité de l’Afrique à garder ses propres enfants. Les mythes sont tenaces. On parle encore de cette France superpuissance africaine, opérant comme bon lui semble et en particulier dans sa zone linguistique, son pré carré. La réalité économique est nettement plus contrastée. Les parts de marché des entreprises françaises en Afrique ont été divisées par deux depuis vingt ans. Les exportations françaises ont certes doublé, mais le marché a quadruplé. Paris a perdu son statut de premier fournisseur mondial de l’Afrique depuis 2007 au profit de la Chine. Et plus surprenant encore, son statut de premier fournisseur européen est remis en cause par… l’Allemagne. Mais aussi par les États-Unis, par les Pays-Bas, par la Turquie, et même par une puissance continentale, l’Afrique du Sud. 4

MONTANT DES EXPORTATIONS VERS L’AFRIQUE (en dollars) CHINE : 111 milliards, soit 27,75 % FRANCE : 29,4 milliards, soit 7,35 % ALLEMAGNE : 26,3 milliards, soit 6,57 % ÉTATS-UNIS : 26 milliards, soit 6,5 % AFRIQUE DU SUD : 24,3 milliards, soit 6,07 % PAYS-BAS : 17,8 milliards, soit 4,45 % TURQUIE : 17,4 milliards, soit 4,35 % Sources : Observatoire de la complexité économique, recherches DW, 2019.

Le « décalage de réalité » est encore plus perceptible en matière de volume. La France est le cinquième exportateur mondial de biens et services (chiffre 2019, période pré-Covid-19). Elle exporte pour plus de 500 milliards d’euros par an. Le continent africain ne représente que 5,3 % de ce volume. Et les 15 pays de la zone franc, moins de 1 %. Les principaux pays partenaires sont le Maroc (18,9 % des exports), l’Algérie (18,4 %), la Tunisie (15,2 %), le Nigeria (8,5 %) et l’Afrique du Sud (5,8 %). Le premier pays de la zone franc, la Côte d’Ivoire, se situe à la neuvième position avec 3,8 % devant le Sénégal. Les investisseurs tricolores ne se bousculent pas non plus sur AFRIQUE MAGAZINE

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LUDOVIC MARIN/POOL/REUTERS

le continent. En 2019, l’Afrique n’accueillait que 4 % des IDE (investissements directs étrangers) français. Bien loin des pays de l’UE (67 %), de l’Amérique du Nord (17 %), de l’Asie (8 %), mais aussi de l’Amérique latine (5 %). Ces chiffres permettent de mettre en perspective la réalité du couple France-Afrique. Pourtant, les champs d’évolution sont tangibles. Les années Macron auront permis de poser un premier changement de paradigme. De réorienter l’énergie et les débats vers l’investissement et les projets. Et pour peu que les entreprises et les décideurs « franco-africains » s’adaptent, qu’ils décident de s’impliquer dans des collaborations réellement communes, les options sont multiples, « co-profitables » : changement climatique, développement durable, gestion des cités, eau, co-investissement dans l’industrie, dans la transformation des produits africains, dans la production de vaccins, dans la lutte contre le Covid-19, dans la préparation aux prochaines pandémies… La langue et la culture, ce socle issu d’une très longue histoire partagée (Saint Louis meurt en faisant le siège de Tunis, le 25 août 1270…), participent fortement à la création d’un espace commun, à défaut d’un « imaginaire commun ». La proximité est réelle. Le double miroir joue son rôle. On se regarde, on échange, on s’interpelle, AFRIQUE MAGAZINE

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on se métisse. On est loin de l’approche chinoise, centralisatrice, utilitariste et « sans curiosité » selon l’expression d’Achille Mbembe, ou de l’approche purement mercantile du monde anglo-saxon. À Montpellier, les échanges seront donc certainement riches et motivants. Pourtant, on se dit aussi que ce débat est lui-même dépassé. Que les exigences du siècle et de l’avenir vont au-delà du cadre finalement étroit de la relation France-Afrique. Que l’on devrait penser stratégiquement, « dépasser Paris », imposer cette idée d’une boucle vertueuse entre l’Europe et l’Afrique, d’une alliance gagnant-gagnant de deux continents pour faire face aux nombreux défis. Et pour contribuer à la balance du monde. Et que dans cette perspective, la France a son rôle à jouer, celui d’un pont pour favoriser ce lien. Et l’Afrique, une immense responsabilité. Celle d’exister par ellemême, de faire valoir son poids stratégique, d’accentuer son autonomie, son intégration, de se développer plus rapidement, de créer les 450 millions d’emplois dont elle aura besoin d’ici à 2050, De libérer les énergies et les opportunités pour sa jeunesse. De réaliser pas à pas, mais de manière décisive, son potentiel. Et donc, de mieux se gouverner. ■ 5


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ÉDITO Après la France-Afrique par Zyad Limam

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La révolution Xi

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Wagner, le business en treillis

Un voyage dans le temps

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C’EST COMMENT ? Après coups… par Emmanuelle Pontié

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CE QUE J’AI APPRIS Malika Zarra par Astrid Krivian

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PORTFOLIO Omar Victor Diop : Sur tous les fronts par Fouzia Marouf

114 VINGT QUESTIONS À… Nuru Kane par Astrid Krivian

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60 64

par Cédric Gouverneur

par Jean-Michel Meyer

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Derrière le « miracle » du Botswana par Cédric Gouverneur

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Nabil Ayouch : « L’avenir passe par la transmission » par Astrid Krivian

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DÉCOUVERTE Côte d’Ivoire : La méthode privé

par Zyad Limam, Emmanuelle Pontié, Francine Yao, et Jihane Zorkot

par Frida Dahmani et Zyad Limam

ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

TEMPS FORTS Kaïs Saïed, le nouveau raïs

66

68

Made in Ivory Coast Madina Yankalbé Alliali : « Les atouts de la Côte d’Ivoire sont indéniables » Youssouf Carius : « Pouvoir exploiter autrement nos opportunités » PME : priorité au financement

Lina et Zinedine Soualem, recomposer le puzzle par Astrid Krivian

P.52

P.08

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

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AFRIQUE MAGAZINE

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ZANELE MUHOLI - SHUTTERSTOCK

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FONDÉ EN 1983 (37e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin

llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

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Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com

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Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

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Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Carine Renard, Sophie Rosemont, Francine Yao, Jihane Zorkot.

Marina Nobout : « Des bâtiments écologiques pour le logement» Jean Kobenan Djohou : « Disposer d’un écosystème entrepreneurial diversifié » Emmanuel Yéo : « Viser l’efficacité énergétique » Les jeunes passent à l’action

VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

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Algérie-Maroc, un très coûteux divorce De l’or noir en Côte d’Ivoire NDA prend son envol C’est par où la sortie de crise ? OPay, nouvelle perle de la finance Le miracle de l’impression 3D par Jean-Michel Meyer

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CHINE

La révolution Xi ÉDITO Après la France-Afrique

ÉDITO APRÈS LA FRANCE-AFRIQUE

par Zyad Limam

par Zyad Limam

WAGNER

TUNISIE

Le retour des mercenaires ?

DÉCOUVERTE CÔTE D’IVOIRE LE SECTEUR PRIVÉ À L’AVANT-GARDE

PORTFOLIO Les audaces d’Omar Victor Diop DÉCOUVERTE Côte d’Ivoire Le secteur privé à l’avant-garde

MIRACLE BOTSWANA : LE PAYS LE PLUS DÉVELOPPÉ D’AFRIQUE ?

TUNISIE

KAIS SAIED LE NOUVEAU RAIS

Il a pris les pleins pouvoirs, bien décidé à changer le cours de la révolution. Un chemin solitaire, assumé et risqué dans un pays à la recherche d’un nouvel équilibre. Et en proie à d’immenses difficultés économiques.

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Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

KAÏS SAÏED, LE NOUVEAU RAÏS

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PHOTOS DE COUVERTURE : MAGHREB/INTERNATIONAL : NICOLAS FAUQUE/IMAGES DE TUNISIE/ABACAPRESS.COM AFRIQUE : LINTAO ZHANG/GETTY IMAGES ASIAPAC/GETTY IMAGES VIA AFP - FLORENT VERGNES/AFP

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Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : octobre 2021. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2021.

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ON EN PARLE

B E AU L I V R E

UN VOYAGE DANS LE TEMPS Un très bel ouvrage qui nous projette sur le parcours de 300 ARTISTES du continent depuis… 1882.

DÈS L’INTRODUCTION, Chika Okeke-Agulu, artiste et professeur à Princeton, répond à la question que l’on se pose d’emblée : comment délimiter le territoire africain dans ce répertoire de personnalités créatives, qui ont en commun ce seul et même continent fait de multitudes de singularités ? « Alors que le champ de l’art africain en général a été essentiellement limité à l’Afrique noire et subsaharienne – en grande partie à cause de l’ethnographie coloniale et de l’anthropologie culturelle –, l’histoire de l’art africain moderne et contemporain qui a émergé à la fin du XXe siècle est à l’échelle du continent : il englobe l’art et les artistes florissants de l’Afrique du Sud à l’Égypte, du Sénégal à l’Éthiopie. » Les choses étant dites, on peut se plonger, par ordre alphabétique, dans les portraits de 300 peintres, photographes, sculpteurs et autres plasticiens, de Hamed Abdalla à Portia Zvavahera. Certains de ces noms sont très connus : Leila Alaoui, Rachid Koraïchi, Chéri Samba, Omar Victor Diop, ou encore les légendaires Malick Sidibé et Seydou Keïta. D’autres le sont peut-être un peu moins, mais ont été exposés par de grandes 8

institutions hors frontières : Keyezua, Mohamed Bourouissa, Cassi Namoda, Cinga Samson, Marcia Kure… Chacun est présenté dans un court texte accompagné d’images emblématiques de leur corpus. Et comme le souligne Chika Okeke-Agulu, tous « restent imprégnés d’une certaine idée de l’Afrique, conscients des liens complexes qu’elle entretient avec le reste du monde ». Plus de 30 conseillers et 50 auteurs se sont investis dans ce travail quasi encyclopédique, dont l’objectif est d’ouvrir des fenêtres nouvelles sur les créateurs cités. Ce beau livre offre un panorama d’une rare richesse éclectique, revenant sur ce qui a créé l’art contemporain : un hier marqué des traumas, stigmates et combats cruciaux des années 1960. En cela, il permet de coucher sur papier des noms défendus par des centres artistiques qui ne cessent de prendre de l’ampleur à Abidjan, Rabat ou encore Lagos. Enfin, un précieux glossaire définissant l’afrofuturisme, le Black Arts Movement, le kente, le Mbari Club ou encore l’école de Khartoum complète cet ouvrage dont la fragmentation n’entame guère la belle densité des œuvres abordées. ■ Sophie Rosemont AFRIQUE MAGAZINE

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VERTIGO SEA © JOHN AKOMFRAH / © SMOKING DOGS FILMS. AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE SMOKING DOGS FILMS ET LISSON GALLERY

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage


Ci-contre, Bhekezakhe, Parktown, Zanele Muholi, 2016.

ZANELE MUHOLI. STEVENSON, AMSTERDAM, LE CAP ET JOHANNESBURG, ET YANCEY RICHARDSON, NEW YORK

Page de gauche, Vertigo Sea, John Akomfrah, 2015.

Artistes africains, de 1882 à nos jours,

Phaidon, 352 pages, 59,95 €.

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FREDA (HaïtiFrance-Bénin), de Gessica Généus. Avec Néhémie Bastien, Fabiola Rémy, Djanaïna François. En salles.

QUAND LES HOMMES DISPARAISSENT

Une formidable immersion dans le HAÏTI D’AUJOURD’HUI, en coproduction avec le Bénin. PARTIR OU RESTER… Alors que Haïti sombre dans la violence politique, la question se pose plus que jamais pour deux jeunes femmes qui vivent dans la petite épicerie familiale d’un quartier populaire de Port-au-Prince. Freda, fière de ses origines africaines, va à l’université et veut croire à l’avenir de son pays (parmi les plus pauvres de la planète), mais son petit ami doit se réfugier en République dominicaine… Sa sœur Esther, qui se blanchit la peau, veut sortir de sa condition en épousant un homme de la bourgeoisie mulâtre. Pour leur frère, le choix est fait, appuyé par leur mère : partir à l’étranger dès que possible pour étudier. « Les hommes disparaissent et ont le droit d’aller ailleurs, d’exister ailleurs. Alors que les femmes

sont comme dans des étaux et doivent vivre là », explique la réalisatrice haïtienne, autrice jusque-là de documentaires reconnus. Gessica Généus fait la part belle à ces femmes qui font bouillir la marmite, à l’écart des manifestations violentes, et sous pression d’une église évangélique qui remplace l’État déliquescent et se dresse contre les croyances vaudoues. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si un producteur béninois, Faissol Gnonlonfin (Merveilles Production) s’est embarqué dans ce projet. Résultat : une fiction (en créole) ancrée dans la réalité d’un pays peu vu au cinéma, servie par des actrices dont c’est le premier film et qui insufflent une émotion authentique dans ce récit d’une énergie folle. ■ Jean-Marie Chazeau

F E S T I VA L S

Ouaga et Carthage, le retour

Deux rendez-vous incontournables de la cinéphilie mondiale se succèdent ce mois-ci. LA PANDÉMIE DE COVID-19 continue à bousculer le calendrier des grands événements de cinéma : le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) n’avait pu se tenir au début de l’année, mais la 27e édition aura bien lieu du 16 au 23 octobre (sauf aggravation de la situation sanitaire ou sécuritaire), avec pour thème « Cinémas d’Afrique et de la diaspora : nouveaux regards, nouveaux défis », le Sénégal en invité d’honneur, et le Mauritanien Abderrahmane Sissako en président du jury. En Tunisie, les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) avaient tenu bon en 2020, mais sans compétition officielle : la course au Tanit d’or doit ainsi reprendre pour la 32e édition, du 30 octobre au 6 novembre. Avec un colloque qui pose la question « Quel avenir pour notre cinéma dans le monde des plates-formes ? », une invitation aux cinéastes libyens et une sélection de films de pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie – dont le 18e sommet se déroulera à Djerba en novembre. ■ J.-M.C. Programmes complets : fespaco.org et jcctunisie.org. 10

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DR

DRAME

ON EN PARLE


PORTRAIT

ORNELLA CINDY EBOKO L’animation au service du continent

Cette jeune Camerounaise a créé Frikakidz TV, une chaîne de DESSINS ANIMÉS qui valorise les histoires et cultures africaines.

DR

PASSIONNÉE PAR LE DESSIN et diplômée en Business Economics à l’université de Bangor au Royaume-Uni, Ornella Cindy Eboko est la fondatrice de Frikakidz TV, une chaîne YouTube qui promeut les valeurs et les traditions du continent à travers des dessins animés éducatifs. Palliant le manque de représentation de héros africains dans ce domaine, Frikakidz TV entend nourrir les imaginaires et permettre à tous les enfants de s’identifier et de développer l’estime de soi. On suit ainsi les aventures de deux personnages – Foufoulou, la fillette, et Jojo, le garçon –, qui font par exemple le tour de l’Afrique en chansons, ou découvrent l’origine du nom du Cameroun, l’histoire de son hymne ou celle du monument de la Réunification… Ces programmes sensibilisent également à l’écologie, l’hygiène, la santé et aux valeurs de solidarité, de tolérance et d’égalité, déconstruisant le sexisme ou le racisme. Déjà disponibles en français et en anglais, ils seront bientôt proposés en ewondo, fulfudé, lingala, swahili et wolof. Actuellement en production, un long-métrage Les Miroirs de Kama (en référence à l’ancienne appellation d’une partie du continent) promet un voyage féerique, entre afrofuturisme et royaumes ancestraux. ■ Astrid Krivian frikakidz.com

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RÉCIT

DE FIL EN AIGUILLE En lice pour plusieurs grands prix littéraires de cette rentrée, ce roman cosmopolite explore les méandres du pouvoir de la littérature. ENQUÊTE, roman initiatique ou encore maelstrom inventif, cette intrigue fait écho à l’affaire du Malien Yambo Ouologuem, prix Renaudot en 1968 pour Le Devoir de violence, qui fut accusé de plagiat. Dans une mise en abîme fascinante, le héros, un jeune écrivain sénégalais, part sur les traces d’un certain T.C. Elimane, mystérieux auteur d’un livre mythique, Le Labyrinthe de l’inhumain : qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », l’homme s’est volatilisé depuis le scandale déclenché à la parution de son texte, en 1938. Dans sa quête, le narrateur nous mène de Dakar à Amsterdam, de Paris à Buenos Aires. On y croise les jeux de miroirs de Borges, l’exil de Gombrowicz, l’existentialisme de Sábato, mais aussi les grandes tragédies que furent le colonialisme et la Shoah. Onirique et intemporel, le cheminement se fait philosophique, critique, parfois singulier. Tortueux, il nous entraîne dans les replis de la création littéraire et les contrariétés de l’écrivain. ■ Catherine Faye MOHAMED MBOUGAR SARR, La Plus Secrète Mémoire des hommes, Philippe Rey, 448 pages, 22 €.

RELIGION

NOUVELLE DONNE

Qualifiés de califes « bien guidés » par la tradition apologétique, les quatre premiers successeurs du prophète Muhammad n’auraient en réalité cessé de s’entre-déchirer. C’EST UNE VÉRITABLE TRAGÉDIE grecque qui se noue dans le triptyque des Califes maudits. Plus encore, Hela Ouardi y déconstruit la version mythique d’un âge d’or de l’islam. Après La Déchirure et À l’ombre des sabres, parus en 2019, où la chercheuse tunisienne, spécialiste de littérature française et de l’islam, nous faisait revivre l’élection mouvementée du premier calife, Abou Bakr, et sa guerre totale contre les tribus arabes révoltées, ce troisième tome nous plonge dans une affaire politico-religieuse captivante, avec l’assassinat en pleine mosquée du deuxième calife, ‘Umar, devant des dizaines de témoins. En confrontant les sources chiites et les sources sunnites, celle qui déclare devoir « dresser le savoir comme un rempart face à la peur » révèle une tout autre réalité des textes de la tradition musulmane. Son éclairage pourrait bien s’avérer décisif pour l’histoire de l’islam jusqu’à nos jours. ■ C.F. HELA OUARDI, Les Califes maudits : Meurtre à la mosquée, volume 3, Albin Michel, 368 pages, 20 €. 11


ON EN PARLE

INTE RVIEW

OBI

« Je rêve éveillé »

Ce demandeur d’asile en France de 35 ans commence une NOUVELLE VIE : avec son premier album Black Prayers, il conjure la tragédie du destin sur une trame mêlant électro, folk, rap et afrobeat.

AM : Pourquoi ce titre d’album ? Obi : Quand je suis arrivé en France,

c’était terrible : j’ai vécu dans un squat, nous pouvions être entassés jusqu’à 20 dans une seule pièce. Il se passait parfois une semaine sans que je puisse prendre de douche. Tout ce que l’on entend dans mes chansons, c’est moi : mes luttes, mon parcours, ma vie, que je ne peux pas mener sans prières. C’est grâce à elles que je vais de l’avant. Dieu, c’est tout pour moi. En quoi la musique est-elle une thérapie ?

Sans elle, je ne sais pas ce que je deviendrai. Personne ne peut m’aider à être heureux, à part moi-même et les chansons, dans lesquelles je raconte 12

ce que je vois. Ce que je vois est ce que je vis, et ce que je vis est ce en quoi je veux croire. Si je partage autant mes sentiments, c’est parce que je veux que cela soit une thérapie pour d’autres. Tout devient possible. Comment ces chansons ont-elles pu se frayer un chemin du squat jusqu’au public ?

J’ai eu la chance de rencontrer, par hasard, le musicien Cédric de La Chapelle, à qui j’ai fait écouter mes maquettes produites sur un ordinateur portable acheté grâce à des petits boulots quand j’étais en prison. Une fois encore, Dieu m’a beaucoup aidé car Cédric a adoré ce qu’il a entendu. Il m’a accompagné pour tout mettre en forme, et, bien que ce soit difficile pour moi d’accorder ma confiance à qui que ce soit, j’ai su que j’étais bien entouré. Quelle est votre relation aujourd’hui avec le Nigeria, et en quoi compte-t-il dans votre musique ?

Je suis né là-bas, mais ça ne veut pas dire que j’en viens. Je suis d’Abakaliki, au sud-est. Ma famille est igbo, du Biafra, pas du Nigeria, et nous ne souhaitons pas en faire partie. Je suis

OBI, Black Prayers,

Un plan simple/Sony Music. passé par Lagos pendant quelque temps, mais je n’ai pas l’attitude nigériane. Mon père était activiste, il a été empoisonné lorsque j’avais 13 ans. Sans vouloir être comme lui, je sais que la vie est un combat et que la musique peut être un moyen de s’exprimer. Mon objectif, c’est de transmettre un message aux gens, sinon cela n’a aucun intérêt. Un rêve à réaliser ?

Je rêve déjà chaque jour. Je n’ai pas besoin de dormir : je rêve éveillé ! Mais désormais, il est temps de vivre la réalité. ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont

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AYANT FUI LE NIGERIA à 23 ans, Obi a connu ce que la plupart des migrants subissent : la précarité ultime, la peur, la faim, la soif, les foyers, la rue, les prisons… Lui qui écrivait, ado, des morceaux de rap sous influence de 2Pac voit aujourd’hui réaliser son souhait le plus fou, livrant un premier album d’une grande puissance narrative et rythmique.


FRANK LORIOU

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ON EN PARLE

L’ARGENT DU SANG Un PÉRIPLE ÉPIQUE contre l’indifférence.

DEPUIS VINGT ANS au nord-est de la RDC, des femmes et des hommes se battent pour que leur soient versées les réparations promises après la guerre des six jours à Kisangani. Un conflit éclair oublié (4 000 morts, 3 000 blessés) qui les a laissés handicapés à vie. Le nouveau documentaire du Congolais Dieudo Hamadi, natif de la ville, est un spectaculaire appel à la justice. Ces invalides, vus comme des parias, ont transcendé leurs souffrances via le théâtre, mettant en scène leurs corps amputés (« Il faut qu’on impressionne »). Quand ils décident de s’embarquer sur le fleuve Congo à bord d’une barge surpeuplée et surchargée vers Kinshasa, pour aller interpeller les politiques, la caméra les suit pour une longue séquence épique qui vaut à elle seule le visionnage de ce film d’une grande beauté formelle. ■ J.-M.C.

EN ROUTE POUR LE MILLIARD (France-RDC), de Dieudo Hamadi. En salles.

I N AU G U R AT I O N

D’un continent à l’autre

Figure du monde de l’art américain, Mariane Ibrahim ouvre une nouvelle galerie à Paris. PRÈS DE DIX ANS après avoir fondé sa galerie d’art contemporain à Seattle, puis deux ans après s’être installée à Chicago, la Franco-Somalienne Mariane Ibrahim revient aux sources et crée un nouvel espace sur la très convoitée avenue Matignon. Si elle a réussi son pari de donner de la visibilité aux artistes afro-américains tels que Ayana V. Jackson, la galeriste ouvre désormais son influence à ceux de la diaspora africaine, comme le Ghanéen Amoako Boafo, star montante, dont le prix des grands formats a dès lors plus que décuplé. Pour l’inauguration de sa galerie parisienne, elle a demandé à chacun des 15 poulains de son écurie de produire deux œuvres, en référence aux « deux amours » de la chanson de Joséphine Baker. En leur donnant la voix, elle soigne son ambition : créer des ponts et mettre en lumière. ■ C.F. « J’AI DEUX AMOURS », Galerie Mariane Ibrahim, Paris (France), jusqu’au 13 octobre. marianeibrahim.com 14

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DR (3) - FABRICE GOUSSET/COURTESY OF MARIANE IBRAHIM

DOCU

En RDC, des femmes et des hommes handicapés se battent pour obtenir réparation après la guerre des six jours à Kisangani.


La coréalisatrice Siam Marley (à gauche) dirige Dialika Haile Sané (à droite).

SÉRIE

LE PAYS D’OÙ L’ON VIENT

DR

Une Dakaroise plonge malgré elle dans sa culture d’origine, celle des MANJAKS, en Guinée-Bissau : c’est le nouveau show vitrine de Canal+ Afrique. AVEC SA PERRUQUE de cheveux lisses et ses talons aiguilles, Jella est une jeune femme d’affaires moderne au cœur de Dakar. Mais alors qu’elle a bien du mal à digérer son divorce et à décrocher un nouveau contrat, son père réapparaît après vingt-cinq ans d’absence. Et sa mère l’encourage à rentrer avec lui au village des ancêtres, en Guinée-Bissau… Mais voilà, ses parents, séparés, ne lui ont jamais transmis leur culture, celle de la communauté manjak. Éleveurs, cultivateurs de noix de cajou et tisserands réputés, ils vivent toujours dans un monde qui fait la part belle à la magie et au mysticisme, dans un environnement de forêts préservées. La plongée dans cette ruralité pleine de mystères ne va pas être simple pour la jeune citadine… La grande qualité de cette nouvelle variation sur le thème du retour aux sources est de nous faire approcher une culture méconnue et riche, notamment sur le plan visuel : les Manjaks ont un vrai talent dans la fabrication des pagnes, une grande attention est apportée aux couleurs AFRIQUE MAGAZINE

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et aux motifs, jusqu’à la malfaisante jeteuse de sorts du village qui arbore une tenue magnifique et un maquillage à faire pâlir d’envie les producteurs de Black Panther ! Le suspens repose sur les non-dits et les conflits familiaux et avance avec fluidité. Les réalisateurs Hubert Laba Ndao et Siam Marley se sont partagé le tournage des épisodes, qui s’est déroulé en grande partie en Casamance, mais la série est portée par sa créatrice, Anna Gomis, la coordinatrice artistique et littéraire de la série à succès Sakho et Mangane, repérée par Netflix. Native de la région parisienne mais originaire de cette communauté, elle réussit avec d’excellents interprètes (dont un ex-Mister Sénégal) à nous faire partager l’âme manjak et ce message universel qui veut que pour mieux se connaître et savoir où aller, il faut parfois savoir rentrer quelque temps au pays… ■ J.-M.C. MANJAK (Sénégal-Guinée-Bissau), d’Anna Gomis. Avec Dialika Haile Sané, Aminata Mbaye, Pape Boubou Ndiaye. 6 épisodes sur Canal+ Afrique. 15


ON EN PARLE

Flowers VII, Lady Bird, Owanto, 2018.

SOUNDS

À écouter maintenant !

❶ Ayra Starr

19 & Dangerous, Mavin Records.

AMBIVALENCE DES REGARDS

Une mise en abyme de L’ENGAGEMENT des artistes à travers les décennies, où prise de position anticolonialiste des Surréalistes et œuvres contemporaines dialoguent ensemble. C’EST L’UN DES ÉVÉNEMENTS de la Saison Africa2020. Un tête-à-tête entre des œuvres d’artistes surréalistes européens des collections du Musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis, et celles de 13 artistes contemporaines d’Afrique et de ses diasporas. Les premiers interrogent la politique coloniale française et s’y opposent. Les secondes questionnent le fait colonial et postcolonial. L’enjeu de l’exposition est de montrer à quel point le continent a inspiré tout au long de l’histoire. On y comprend toute l’ambiguïté constitutive de l’appartenance des Surréalistes au mouvement primitiviste. Si les objets « sauvages », autrement dit les artefacts de l’art dit « primitif », en provenance d’Océanie, d’Afrique ou d’Amérique du Nord, prennent une place centrale dans leur esthétique, leur engagement et leurs collections, il n’en reste pas moins que les préjugés et les clichés de l’époque les ont empreints. À travers différents points de vue, l’exposition explore les multiples facettes d’un élan commun. ■ C.F. « UN.E AIR.E DE FAMILLE », Musée d’art et d’histoire

Paul Éluard, Saint-Denis (France), jusqu’au 8 novembre.

❷ MK Isacco

On s’amuse, MK Production.

Originaire du Rwanda, ce jeune artiste basé en France a de l’énergie à revendre. En témoigne son premier album, fort de titres comme « Cheza » ou « Uramp », sous influence R’n’B, dancehall et afrobeat. Affrontant complications financières et sanitaires, MK Isacco a tenu bon pour ce premier album, s’entourant d’artistes comme le Guinéen Lil Saako, qui intervient sur le dansant « Zunguza » (« Bouge ton corps »).

❸ King Kofi

Primary Colours, King Kofi.

Très élégant, habité d’une voix de velours, le hip-hop de King Kofi se confirme dans ce nouveau disque particulièrement réussi, Primary Colours. En 2016, il était révélé par sa mixtape Just A Dude In Need Of A Chance. Et en 2018, il sortait un premier album remarqué, Summer With the Wolves. Originaire du nord de Londres, ce jeune rappeur talentueux voit son flow porter jusqu’aux États-Unis, et notamment l’une de ses idoles, Kanye West. ■ S.R.

musee-saint-denis.com

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OWANTO - DR (3)

S A I S O N A F R I CA 2 0 2 0

Le R’n’B et l’afropop habillent le timbre déjà affirmé de cette très jeune chanteuse d’à peine 20 ans. Élevée entre Cotonou et Lagos dans une famille d’artistes, au son du gospel (comme Rihanna…), Ayra Starr a toujours su que la musique était inscrite dans son ADN. Avec son frère, elle partage une guitare et l’écriture de morceaux groovy imparables, à savourer grâce à ce premier album.


MUSIQUE

Esinam

CROISER LES GENRES

MAËL G. LAGADEC - DR

Basée à Bruxelles, cette chanteuse et musicienne accomplie livre un PREMIER ALBUM à la richesse hybride et hypnotique. Le disque incontournable de l’automne. QUAND ON LUI DEMANDE pourquoi elle a choisi de baptiser, fort joliment d’ailleurs, son premier disque Shapes in Twilights of Infinity, Esinam Dogbatse répond que « c’est une manière poétique et symbolique de le nommer » : « Chaque morceau est une part de l’album. Je souhaitais que son titre incite à la rêverie, aux horizons infinis, là où de nouveaux espoirs, de nouveaux cycles se créent, là où tout est possible. De la musique, et pas de frontières entre les genres et les styles. Des émotions, des mélodies, du rythme et des grooves cycliques qui vous entraînent dans mon univers éclectique. » Bien résumé. Cet éclectisme, cette brillante multi-instrumentiste belgo-ghanéenne le cultive depuis l’enfance. Après avoir découvert le piano, elle n’a cessé de questionner d’autres pratiques. « J’ai commencé la musique assez jeune, à ma demande, raconte-t-elle. D’abord, en apprenant le solfège à l’école de musique. Je voyais cela comme un jeu. Puis, j’ai pratiqué le piano classique durant dix années, c’était un moyen d’expression. J’ai appris les percussions au fil des rencontres et des voyages, et la flûte traversière plutôt de manière AFRIQUE MAGAZINE

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autodidacte. » D’où un « background musical assez large », qui lui permet de se faire une place à part sur la scène jazz non seulement belge mais aussi internationale. En 11 titres, Esinam explore nombre de pistes sonores : jazz, pop, trip-hop, blues, hip-hop, soul, funk, afrobeat… sans oublier la bande-son de ses origines africaines. Si elle imagine, compose, écrit et chante, elle aime néanmoins s’entourer. Ainsi, outre son groupe (le guitariste Pablo Casella, le bassiste Axel Gilain et le batteur Martin Méreau), on entend aussi bien la voix du poète anglais Nadeem Din-Gabisi que celle du Sud-Africain Sibusile Xaba. « J’aime croiser les genres, explique Esinam, cela fait partie de mon identité : mixte, multi-instrumentiste… J’avais envie que mon premier album découle

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ESINAM, Shapes in Twilights of Infinity, W.E.R.F Records. de ces mélanges et inspirations très larges. Si mon son et mes couleurs sonores me sont propres, j’espère qu’en l’écoutant, certaines personnes seront touchées et emmenées vers une ouverture d’écoute. » ■ S.R. 17


ON EN PARLE Figures 1928, Airline routes and distances, Malala Andrialavidrazana, 2018.

Untitled, Sabah Naim, 2020.

Première foire internationale dédiée à l’art contemporain d’Afrique et de sa diaspora, 1-54 est DE RETOUR à Londres.

LEADER DANS LE DOMAINE du marché de l’art africain, l’événement est devenu incontournable. Lancée en 2013 par la Marocaine Touria El Glaoui, et déclinée chaque année à Londres, Marrakech et New York, la foire s’installe à nouveau pour quatre jours dans la capitale britannique qui l’a vue naître. Pour cette 9e édition, la néoclassique Somerset House accueille 48 galeries internationales de premier plan, dont 20 venues d’Afrique (de l’Angola, de Côte d’Ivoire ou encore du Kenya) – un nombre record – et 150 artistes émergents ou déjà renommés. Avec des choix de plus en plus pointus, l’exposition présente une grande variété de médiums et d’horizons géographiques : représentations abstraites de la nature de la photographe sud-africaine Hazel Mphande, sculptures arachnéennes de l’Ougandais Donald Wasswa, portraits flashy du Zimbabwéen Tafadzwa Tega… Toutes les œuvres seront disponibles à l’achat et à la visualisation sur Artsy (artsy.net) du 14 au 31 octobre 2021. ■ C.F. 1-54 CONTEMPORARY AFRICAN ART FAIR,

Somerset House, Londres (Royaume-Uni), du 14 au 17 octobre. 1-54.com/london

Men of Influence, Zemba Luzamba, 2021.

The Throne of the Living, Gonçalo Mabunda, 2020.

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GALERIE DOMINIQUE FIAT - MASHRABIA GALLERY OF CONTEMPORARY ART - EBONY CURATED - JACK BELL

ÉVÉNEMENT

L’ŒIL DES MAÎTRES


L I T T É R AT U R E

TA-NEHISI COATES

De l’ombre à la lumière Premier roman très attendu de l’un des auteurs les plus marquants de la scène américaine, La Danse de l’eau interroge l’héritage des QUESTIONS RACIALES, à travers l’affranchissement prodigieux d’un enfant né dans les fers.

RENAUD MONFOURNY/OPALE LEEXTRA - DR

« TOUTE MA VIE, j’avais voulu m’enfuir. Je n’avais rien d’exceptionnel à cet égard – tous les Asservis désiraient la même chose. À ceci près que moi, qui étais différent d’eux, différent de tout Lockless, j’en avais les moyens. » Dès les premières pages, par ces quelques mots sibyllins, le narrateur nous convie à une odyssée inattendue. Un périple aux multiples rebondissements. Et une quête initiatique. L’histoire se situe juste à la veille de la guerre de Sécession, dans une plantation de tabac esclavagiste menée d’une main de fer par un propriétaire implacable. Le héros, Hiram Walker, porte le même nom que son maître. Il est son fils et celui d’une esclave, vendue à un autre exploitant du Sud. Mais ce jeune orphelin découvre peu à peu qu’il est doué d’un pouvoir magique. Il a une mémoire prodigieuse et est capable de se déplacer et de faire déplacer les autres par la simple magie du souvenir. Grâce à ce don, il prend la fuite, s’enrôle dans la guerre clandestine qui oppose les maîtres et les esclaves, vole vers la liberté. En flirtant avec le réalisme magique, l’auteur d’Une colère noire, couronné par le National Book Award en 2015, nous livre un texte jubilatoire, à la fois ancré dans une réalité historique tragique et animé d’une énergie positive. Cette fois-ci, l’éminent penseur et essayiste nord-américain – à tel point que Toni Morrison disait de lui qu’il avait comblé le vide intellectuel laissé par James Baldwin – place sa foi de romancier dans l’inexplicable et l’imagination. C’est une surprise. Et une réussite. Car en aspirant son lecteur dans un grand roman d’aventures, hybride et très documenté, il entre en résonance avec le monde actuel, et parle, de manière générale, de notre héritage à chacun. Avec, en toile de fond, une ode au pouvoir du roman pour échapper à sa condition. ■ C.F. TA-NEHISI COATES, La Danse de l’eau,

Fayard, 480 pages, 23 €. AFRIQUE MAGAZINE

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ON EN PARLE RAP

CHEU-B

Viser le ciel

LES RACINES DU MAL Ce PLAIDOYER contre l’intolérance est sélectionné pour le prix Goncourt.

9-1-1. A PRIORI, trois chiffres insignifiants. Pourtant, c’est en composant le numéro d’urgence pour un billet de banque suspect que le gérant pakistanais d’une supérette d’un quartier de Milwaukee provoque l’irréparable. Un appel qu’il regrettera toute sa vie. Bientôt, Emmett (un nom en écho à Emmett Till, un adolescent lynché et torturé à mort par des racistes du Sud en 1955) mourra étouffé sous le genou d’un policier blanc. Bien sûr, le meurtre de George Floyd en 2020 sourd dans ce texte poignant. Au fil des pages, le portrait de ce protagoniste se dessine à travers les voix de ceux qui l’ont connu, de son ancienne maîtresse d’école à sa mère, en passant par son coach sportif. C’est l’histoire d’un homme ordinaire, promis à une carrière de footballeur américain, pour lequel, après un accident, rien ne se passe comme prévu. C’est l’histoire d’un martyr devenu un héros par disgrâce. Et un hommage à toutes les victimes de violence et de racisme. ■ C.F. LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT, Milwaukee Blues, Sabine Wespieser,

288 pages, 21 €. 20 2 0

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FIFOU - DR (2)

C’EST DANS LE 17E ARRONDISSEMENT de Paris qu’il a grandi, en écoutant le reggae et le zouglou plébiscités par ses parents, en faisant du foot avec les copains, et en freestylant, l’adolescence arrivée, avec d’autres graines de rappeur du quartier. Remarqué au sein du groupe XV Barbar, il se distingue et son premier rapidement avec la mixtape Welcome to Skyland Sk change tout : allier flow et album Icône. Son truc qui ch chant, mélodies et beats iincisifs, et s’amuser du famille, tout le monde est synthétique. Dans sa fam musicien, Cheu-B a donc don grandi dans un environnement très riche du point de vue sonore. Ce qui s’enten s’entend sur ce WTSKL, Vol. II (« Welcome to Skylan Skyland II »). Précisons que la Skylanderie est l’un des surnoms donnés par le aussi fidèle que l rappeur à sa fanbase, fanb solide. Peu d’invités (Da Uzi, Leto, son petit frère Kepler), mais mai une énergie distillée à travers trav moult pistes invitant à danser dan comme à rêver à des jours jou meilleurs, malgré un quotidien morose. ■ S.R. qu CHEU-B, WTSKL, C Vol. V II, Big Sky Entertainment. E

ROMAN CHOR AL

Avec son nouvel album, le jeune Français d’origine ivoirienne prouve qu’il a, en plus d’un FLOW INNÉ, des ambitions pop dignes de ce nom.


Jupe en cuir de la fin du XIXe siècle, peuple Bella, Mali.

Statuette nkisi de la seconde moitié du XIXe siècle, peuple Vili, Congo.

EXPO

DERRIÈRE LES OBJETS

OLIVIER GARCIN - MATHIAS BENGUIGUI - DR

Collectées aux quatre coins du globe et envoyées en Europe par les missionnaires, des centaines de PIÈCES EMBLÉMATIQUES s’exposent à Lyon.

ON DIT QUE DANS CHAQUE OBJET se cache une histoire. Ceux présentés dans cette exposition au Musée des confluences en racontent plusieurs. Ce sont des pièces emblématiques, parfois rarissimes, que les missionnaires catholiques ont ramenées depuis les quatre coins du monde : Afrique, Asie, Océanie et Amériques. Des instruments de musique à des vêtements, en passant par des objets rituels et des commandes d’œuvres qui dépeignaient la vie et la culture de ces peuples, la centaine d’objets exposés photographie un monde disparu. Et permet également de mieux comprendre la façon dont les missionnaires voyaient leurs lieux de mission, les liens profonds qu’ils entretenaient avec les locaux, et les points en commun, ou de fort désaccord, avec les colonisateurs. Remarquables, dans la section africaine : un siège tanzanien à figuration féminine, des objets rituels et musicaux, une jupe en cuir de Tombouctou, ainsi qu’un curieux groupe sculpté, probablement modifié en prévision de son envoi en Europe. ■ Luisa Nannipieri AFRIQUE MAGAZINE

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« JUSQU’AU BOUT DU MONDE, REGARDS MISSIONNAIRES »,

Musée des confluences de Lyon, Lyon (France), jusqu’au 8 mai 2022. museedesconfluences.fr

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ON EN PARLE

Trois questions à… ISMAËL EL IRAKI De rock et d’amour

AM : Comment est né Burning Casablanca ? Ismaël El Iraki :

Ce film est un incendie. Un désir qui a fait feu de tout ce qu’il trouvait en moi : mon amour pour Casablanca, ville libre, pour la musique et le cinéma des années 1970, la pellicule et le CinémaScope, les acteurs, pour qui j’ai écrit ces personnages qui portent leur prénom… Mais aussi ma haine pour Casa, ville violente, et mes souvenirs et cauchemars liés au stress posttraumatique d’être un survivant de l’attentat du 13 novembre au Bataclan. Comment la chanteuse Khansa Batma, voix emblématique et star au Maroc, a-t-elle accueilli ce projet ?

Le film a été très long à financer, je l’ai porté pendant plus de dix ans. Je réécrivais souvent pour qu’il reste proche de moi. J’ai écrit le personnage de Rajae pour Khansa : il n’y a jamais eu de doute sur le fait qu’elle porte ce film, bien qu’on ait tenté de me pousser à caster une actrice connue du public européen. Il était inimaginable sans elle : elle lui apporte sa puissance, sa gouaille casaouie, et surtout la liberté de mettre en scène des séquences musicales grâce à la beauté et la maîtrise de

sa voix. Le chant s’y mélange au jeu, à la narration, on mêle cinéma et musique de façon organique. La métropole casablancaise est rock, underground, mais votre court-métrage détonnant H’Rash y dénonçait la corruption, l’hogra des riches parvenus sur les pauvres…

Dans un pays qui est comme une vieille dame, avec ses traditions et son inertie, Casablanca est une adolescente Tous les Casaouis l’aiment et la détestent : c’est la ville des grands écarts, des très riches et des très pauvres, des clashs permanents, à la fois laide et belle, avec une beauté qui naît de ses imperfections, et qui change constamment. Violente, polluée, agressive. Et quel espace de liberté ! L’imaginaire et l’esprit subversifs, très rock, de cette ville ont inspiré les habitants : Nass El Ghiwane, Fadoul ou Don Bigg n’auraient pas pu venir d’autre part ! ■ Propos recueillis par Fouzia Marouf

BURNING CASABLANCA (FranceMaroc), d’Ismaël El Iraki. Avec Khansa Batma, Ahmed Hammoud, Saïd Bey. En salles le 3 novembre.

ONIPA

ENTRE LE GHANA ET LONDRES

La collaboration entre K.O.G et TOM EXCELL s’avère toujours aussi fructueuse dans ce second opus.

LA DOUCE FRÉNÉSIE de « Porridge », le groove insidieux de « Waist », le percussif ultra-galactique de « Tami », la force d’un interlude spoken word tel que « Poem »… Voici l’alléchant programme du nouvel opus d’Onipa, formé par deux musiciens enthousiasmants – et enthousiastes. D’un côté, le Ghanéen Kweku Sackey, alias K.O.G (pour Kweku of Ghana), jusqu’ici officiant dans son groupe The Zongo Brigade. De l’autre, le Londonien Tom Excell, à la tête du collectif Nubiyan Twist. Leur objectif avec Onipa ? Allier les rythmiques occidentales et africaines avec un sens du contemporain, sans oublier les plus belles traditions. Après We No Be Machine, Excell et Sackey livrent l’excellent Tapes of Utopia, clin d’œil aux cassettes audio vendues sur les stands des marchés africains, en ville ou en zone rurale. ■ S.R. ONIPA, Tapes of Utopia,

Boomerang Records.

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ÉLECTRO

APRÈS H’RASH, court-métrage tarantinesque, le Franco-Marocain signe son premier long : road-movie endiablé, Burning Casablanca est une ode à la vie et à la musique au nom de la liberté.


DESIGN

Lunettes pour tous !

La marque Reframd propose des MONTURES HI-TECH s’adaptant aux visages qui ne sont pas forcément « caucasiens ». Alors que les producteurs habituels ne proposent que des modèles adaptés aux traits caucasiens, le label permet de se créer des montures sur-mesure, qui sont ensuite imprimées en 3D.

ARNE ZACHER (4)

« JE N’AI PAS UN VISAGE À LUNETTES, je ne trouverai jamais la paire qui me va. » Pendant des années, le designer sud-africain Ackeem Ngwenya et l’aspirant startuppeur néerlandais d’origine sud-américaine Shariff Vreugd se sont dit cette phrase, pensant avoir un défaut au nez ou au visage qui les empêchait de porter des lunettes aussi bien que les autres. Puis, ils ont compris que le problème venait plutôt des producteurs, qui ne proposaient que des modèles adaptés aux traits caucasiens. C’est de cette frustration et d’une rencontre à Berlin en 2019 qu’est née l’idée de Reframd : créer des montures pour tous les visages à un prix (plutôt) abordable. Le duo lance alors un crowdfunding qui lui permet de lever très rapidement 43 000 euros et reçoit des commandes du monde entier. En même temps, le projet évolue : au lieu de proposer quelques modèles de base, pour des arcades nasales basses, ils poussent le développement technologique jusqu’au bout et programment une application qui permet de scanner le visage du client et de créer des montures numérisées uniques qui seront imprimées en 3D, en Belgique. Du sur-mesure hi-tech, pour l’instant axé sur les lunettes de soleil de haute qualité, à moins de 200 euros. ■ L.N. reframd.com

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DEUX ARRÊTS SUR LA LIGNE PARIS-LONDRES

Le Britannico-Nigérian Aji Akokomi (ci-dessous) a ouvert Akoko fin 2020.

Une brasserie panafricaine et un nouveau restaurant afro qui pourrait se faire une place dans le prochain Michelin sont nos ADRESSES À SUIVRE. À SON OUVERTURE en 2012 à Paris, O’Maki s’est fait connaître comme simple fast-food à l’africaine. Mais depuis quatre ans, il s’est transformé en véritable brasserie, où retrouver toutes les saveurs du continent. Les snacks, tels l’attiéké ou l’alocos, sont toujours à la carte, mais le menu propose aussi un savoureux Dibi N’Taba (de l’agneau braisé avec ses épices) ou de délicieuses brochettes de poulet et de bœuf, également braisées et épicées. Parfait point de chute pour les carnivores, O’Maki a aussi de quoi satisfaire les végétariens et, depuis quelque temps, les fans de cocktails. Concoctés à partir de jus de gingembre ou de bissap, ces derniers sont à savourer en regardant une expo ou en écoutant l’un des DJ venus mettre l’ambiance. On prend la direction de Londres, et plus précisément de l’un de ses nouveaux spots afro-gastronomiques de 24

choix, en lice pour une étoile Michelin : Akoko. Inauguré fin 2020, il est né de la volonté du Britannico-Nigérian Aji Akokomi de secouer la scène locale avec une version progressiste de la cuisine d’Afrique de l’Ouest. L’ambiance minimaliste pousse à se concentrer sur la dégustation, ouverte par une entrée d’exception comme l’Huître à la gambienne – une huître braisée avec son ragoût d’huîtres typique de Gambie – et à la suite, du pain malté à la Guinness avec du beurre yassa, du riz jollof avec terrine de carottes et une sauce d’aubergines ivoirienne, sans oublier des glaces au baobab, à l’hibiscus ou encore à l’irù, ce haricot également connu sous le nom d’afitin. ■ L.N. www.omakiparis.com / akoko.co.uk

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JULIETTE AVICE - TOM ASTERIADES - FOOD STORIES MEDIA

SPOTS

Situé porte de Clignancourt, O’Maki est un parfait point de chute pour les carnivores, mais saura aussi satisfaire les végétariens.


ARCHI

Saota

AUX QUATRE COINS DE LA PLANÈTE

Dirigé par des professionnels dynamiques, ce CABINET SUD-AFRICAIN sait jongler avec les styles et les usages. BASÉ AU CAP, le cabinet Saota est codirigé par une équipe de six architectes : Stefan Antoni, Philip Olmesdahl, Greg Truen, Phillippe Fouché, Mark Bullivant et Logen Gordon. Ce combo dynamique permet à la firme de gérer des projets de tailles et de styles assez disparates aux quatre coins de la Terre. Parmi leurs réalisations les plus récentes, on retrouve par exemple la tour Kingsway, à Lagos, et la ferme de charme Buffelsdrift, en Afrique du Sud. Deux projets aux antipodes l’un de l’autre. Le premier bâtiment, terminé en 2019, a tout pour devenir un point de repère dans la plus grande ville du Nigeria. Avec ses 15 étages de bureaux et de commerces, la forme de la tour rappelle celle des traditionnels voiliers qui sillonnent la lagune. Même le motif iconique de la façade vise à reproduire l’effet de la brise sur les voiles carrées, en rendant hommage au climat de Lagos tout en maximisant la performance thermique de la structure. Le second, un projet de rénovation d’une ferme historique dans la région aride du Klein Karoo, entre le Cap et Port Elizabeth, est en revanche un exemple de préservation adaptative. Le chantier, terminé en 2020, a permis de moderniser le design des espaces intérieurs et d’intégrer des détails contemporains dans les structures, soigneusement restaurées. Une nouvelle station de pompage a aussi vu le jour, édifiée avec un dessin moderne mais à partir de matériaux et de techniques traditionnels. Un travail impeccable, récompensé par la médaille d’or du prix international Domus de la restauration et de la conservation. ■ L.N. saota.com

La ferme Buffelsdrift, en Afrique du Sud.

DR

La tour Kingsway, à Lagos.

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ON EN PARLE

Emmanuel Okoro (au centre) est le vainqueur de la première édition de cet événement.

MODE

Le styliste présentait la collection printemps-été 2022 de sa marque, Emmy Kasbit (ci-dessous et à droite).

COULEURS CONTINENTALES

À PARIS

LA RENTRÉE DE L’UNIVERS fashion parisien a été marquée par un événement très spécial : Africa Fashion Up (AFUP). Le 17 septembre, l’association Share Africa a organisé cette grande manifestation consacrée à la mode contemporaine du continent, qui a réuni de jeunes talents dans les salons de l’historique Hôtel Salomon de Rothschild, à Paris. La soirée a été l’occasion pour cinq lauréats sélectionnés par un jury de montrer leurs créations lors d’un défilé en bonne et due forme. Le petit groupe, regroupant les Ivoiriens Zak Koné et Guy Fabrice Sullivan, le couple sénégalais formé par Laure Tarot et Baay Sooley, le duo sud-africain Carina Louw et Natasha Jaume, la Tanzanienne Anjali Borkhataria et le Nigérian Emmanuel Okoro, a été accueilli et formé par des pros de la haute couture. Les lauréats ont aussi échangé avec cinq grands designers africains (Imane Ayissi, Éric Raisina, Karim Tassi, Martial Tapolo et Soraya da Piedade), qui ont présenté leurs dernières collections en deuxième partie de soirée, avant la remise du prix au grand gagnant de l’événement : Emmanuel Okoro. 26

Comme les autres lauréats, le Nigérian est peu connu de ce côté de la Méditerranée. Mais il a fait ses preuves sur le continent en lançant sa propre marque, Emmy Kasbit, en 2014, sur un marché national en pleine expansion, se démarquant avec des créations aux coupes architecturales et des lignes épurées et non conventionnelles, inspirées par les cultures et les traditions de son pays. Le défilé AFUP lui a permis de dévoiler, devant un parterre d’exception, sa neuvième collection, « Ozoemena » (« que cela ne se reproduise pas »), qui explore délicatement le sujet de la guerre civile du Biafra. Voici donc apparaître les silhouettes du drapeau des indépendantistes ou les barreaux en métal des murs du bunker d’Ojukwu – devenu un musée – transformés en motifs décoratifs sur des habits aux formes tranchantes, tissés à la main et confectionnés au Nigeria. Même les couleurs, du jaune beurre au vert citron, sont symboliques et évocatrices d’une cicatrice que beaucoup voudraient oublier, mais qui pour d’autres demeurent un souvenir indélébile. ■ L.N. africafashionup.com AFRIQUE MAGAZINE

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BRUNO LÉVY - -AMANDA ROUGIER

Lors du défilé AFRICA FASHION UP, dédié aux designers émergents, le Nigérian Emmanuel Okoro s’est démarqué avec une ligne puissante.


À gauche et ci-dessous, des créations de Zak Koné et du duo Natasha Jaume et Carina Louw, qui faisaient partie des lauréats.

AMANDA ROUGIER

Les jeunes talents ont pu échanger avec de grands designers, dont Martial Topolo, qui a montré ses derniers modèles (ci-dessous).

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A PARAÎTRE EN LIBRAIRIE

LE 3 NOVEMBRE 2021 ISBN : 978-2-268-106 18-2

rocher éditions du


C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

DOM

APRÈS COUPS… Août 2020, le président malien est renversé par un coup d’État militaire. Avril 2021, le fils du dirigeant tchadien, tué au combat, s’empare du pouvoir. Septembre 2021, c’est au tour d’Alpha Condé, en Guinée, d’être contraint de céder sa place, au profit de son chef du Groupement des forces spéciales… Voici donc revenu le temps, que certains pensaient révolu, des coups militaires ou constitutionnels, et des transitions africaines. Avec même des « coups » dans les « coups », comme au Mali, où un autre militaire a renversé le premier putschiste en mai dernier. Évidemment, chaque histoire est particulière. Mais globalement, les pouvoirs inamovibles au bilan mitigé sont sanctionnés. Et la tentation du népotisme, atavique, culturel, comme au Tchad, est bien ancrée. Localement, en général, deux courants d’opinion se distinguent : ceux qui condamnent la méthode et s’inquiètent pour l’avenir ; et les autres, appartenant à des couches souvent plus populaires, qui se réjouissent de voir le pouvoir en place dégager, lui qui n’a jamais résolu les rudes soucis du quotidien. Certes, on peut dire, comme ces derniers, qu’une page se tourne et que demain sera peut-être plus rose. Pourtant, rien n’est plus incertain. Dans ces pays, frappés de plein fouet par un changement brutal, hors scrutin, le réveil est souvent amer. Les chefs de transition, comme le nom l’indique, ne feront certainement pas des miracles durant leur passage. Et la tentation de reculer les échéances démocratiques une fois que l’on a goûté aux ors du pouvoir est grande. Durant ces périodes d’instabilité, placées plus ou moins sous sanctions internationales lorsqu’elles s’éternisent, les investissements, les grands travaux, les projets sont stoppés. Et le développement, plus ou moins engagé de-ci et de-là, frappé en plein vol. Pour peu que l’insécurité et les djihadistes s’invitent dans le décor, comme au Mali ou au Tchad, l’enjeu est encore plus grand. Bref, ce grand retour en arrière qu’incarne le coup d’État est une bien mauvaise nouvelle pour le continent. Pour le contrer ou l’éviter, il faut absolument renforcer les institutions, sécuriser les scrutins et installer un vrai suffrage universel, où chaque vote « contre » comptera. Il n’y a pas d’autre solution pour sanctionner un pouvoir qui ne convaincrait plus ses électeurs. C’est au citoyen de décider de son sort, et certainement pas à un homme en treillis autoproclamé président de le faire à sa place. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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