LE CHOC URBAIN
◗ D’ici 2050,undemi-milliard d’Africainsvivront dansles villes.
Une véritablerévolution démographique, sociale et culturelle.
◗ Notresélection de dix« cities »différentesetincontournables.
◗ Voyage danslefutur :entre AbidjanetLagos, la plus grande mégalopole du monde est en train de naître.
DANS L’OBSCURITÉ…
On parle souvent d’émergence, de futur, de croissance… Malgré ce flot de bonnes paroles et d’espérances (légitimes), quelques vérités devraient pour tant s’imposer comme un préalable. Exemple : l’Afrique est un conti nent sa ns énergi e. Au se ns propre co mm e au sens figuré. Nous consommons autour de 5 % de l’ én ergi e pr im aire mo ndi al e, alor s qu e no us re prése ntons 20 % de la popu la tion Aujourd’hu i, mal gré les rattrapages et les investissements, près de 60 % du continent n’ont pas accès à l’électricité, soit plus de 60 0 millio ns de pe rsonnes, dont la très, très g rand e majorité en Afrique subsaharienne Les trois quar ts des Africains n’ont toujours pas accès à des moyens de cuisson propres La puissance globale installée est aux alentours de 20 0 GW, 131,5 GW pour l’Afrique subsaharienne – et 68,25 GW si l’on ne prend pas en compte l’Af riqu e du Su d. La France, à elle seu le, re prése nte 15 0 GW L’Inde, dont la population est quasi équivalente à celle de l’Afrique et où la situation énergétique reste fragile, produit près de 430 GW On mesure notre immense retard.
Cette obscurité permanente pèse dramatiquement sur le développement, la croissance, la qualité de vie des gens, en par ticulier des plus démunis Les coupures de courant, qui durent parfois plusieurs jours, sont une réalité dans la plupart des grandes villes, perturb ant les comm erces, les usines, les hôpitaux , toute la chaîne d’activités. On pense avec tristesse à ces images d’enfants se regroupant avec leurs livres et cahi ers sous les lamp adaires pub lics (pour ceux qui sont allumés…). Comment industrialiser, comment investir, comment produire plus et mieux si l’énergie est absente ou si elle est l’une des plus chères au monde ? Comment favoriser le développement des nouvelles technologies, des data centers, de l’intelligence ar tificielle, par ticulièrement gourmands en énergie ?
Nous sommes comme un géan t sans force, dévitalisé. La population d’ici 2040 devrait at teindre 2,1 milliards de personnes, tandis que l’exode rural et l’évolution conduiraient un demi -milliard d’habitants à s’installer en zones urbaines La demande énergétique et électrique va croî tre d’au moins 60 % d’ici 2030
Et il faudrait près de 30 milliards de dollars d’investissements chaque année dans la production, les réseaux, les solutions hors réseau pour réduire drastiquement la précarité énergétique. Le défi est phénoménal.
Nou s ne sommes pas san s sol ut ion s. Comme d a ns d’autr es se cteu rs , l’Afr ique es t po tenti el lement riche. Riche d’au moins 125 milliards de barils de réserves de pétrole et 18 trillions de mètres cubes de gaz naturel. On connaî t le débat actuel sur la question des combustibles fossiles et l’impact sur le chang ement climatique. Il est légitime. Mais il doit être adapté à nos réalités et à nos urgences Nous produisons peu de gaz à ef fet de serre, et nous sommes déjà les premières victimes de phénomènes générés par d’autres (Américains, Chinois, Canadiens, Européens…). On ne peut pas empêcher un continent entier de s’appuyer, au moins transitoirement, sur ses ressources fossiles
Les deux objectifs – accroître l’accès à l’énergie, tout en atténuant les changements climatiques –devraient être considérés comme complémentaires plutôt que contradictoires . Pa rc e qu e l’Af ri qu e est aussi propriétaire, à terme, d’une par t conséquente du potentiel énergétique renouvelable mondial (10 TW de solaire, 35 GW d’hydroélectricité, 110 GW d’éolien et 15 GW de géothermie). Le continent pourrait produire 5 000 még aton ne s d’hyd ro gè ne par an, se lon l’AI E (Agence internationale de l’ énergie) Nous sommes aussi propriétaire de 40 % des minéraux stratégiques nécessaires à la décarbonation Malgré nos limites, nous sommes déjà engagés sur ce chemin, et nous sommes engagés à quintupler notre production renouvelable d’ici 2030
Les clés d’un tel changement systémique sont connues. L’Afrique a besoin de financements massifs et de transfer ts de technologies accélérés Les pays riches et pollueurs doivent assumer totalement leurs responsabilités, au -delà des belles déclarations d’intention Les États africains doivent assumer leurs obligations en planifiant et développant, dans la mesure de leurs moyens, leur puissance installée. En proposant des projets viables. En assurant la bonne gouvernance et la transparence. ■
3 ÉDITO
Da ns l’obscurité parZyadLimam
6 ON EN PARLE
C’ESTDEL’A RT,DELACULTU RE , DE LA MODE ET DU DESIGN
Le modernisme tropical s’invite àLondres
24 PA RCOURS
Marc Johnson parAstridKrivian
27 C’ESTCOM MENT ?
DirectionK igali… parE mmanuelle Pontié
50 CE QU EJ’AIA PPRIS OUM
parAstridKrivian
80 LE DOCUMENT
Au cœur
desser vices secrets parE mmanuelle Pontié
TEMPS FORTS
28 Le city choc parZyadLimam, Emmanuelle Pontié,RémyDar ra s et Cédr ic Gouver neur
36 Abidjan-Lagos: Naissancede la plus grande mégalopole dumonde ? parRémy Darras
42 AfriqueduSud : Dans l’attente du grandchangement parCédricGouverneur
52 Marc Terr isse :Estevanico, prem ierexplorateur afr icain du Nouveau Monde parAstridKrivian
58 L’incroyableprésence d’IbnK haldou n parFrida Dahmani
96 VI VR EMIEUX
LE CHOC URBAIN
PHOTOSDECOUVERTURE:
Protégez vosyeu x parAnnickBeaucousin
98 VI NGTQUEST IONS À… Mamane
parAstridKrivian
64 DorcyRugam ba : «À traversses ar ts, le Rwanda retrouve sonâme » parAstridKrivian
70 Yasm ineBen kiran: «J’avais envied’u nsou ffe romanesq ue » parAstridKrivian
76 Babatu ndeApalowo : «Raconterles sentiments impossibles» parJean-Mar ie Chazeau
AfriqueMagazine estinterd it de diffusion en Algériedepuismai 2018.Une décisionsansaucunejustifcation.Cet te grande nation africaineest la seuleducontinent(et de toutenot re zone de lect ure) àexercer unemesuredecensu re d’un autretemps Le maintien de cettei nterdictionpénalise noslecteursalgér iens avanttout, au moment où le pays s’engage dans un gra nd mouvement derenouvellement. Nosa misalgér iens peuvent nous retrouversur notresiteI nter net : www.afriquemagazine.com
84 Cacao : s’adapter à l’explosion des cours
88 John Kwame Gyan : « On peut s’attend re à une augmentation du rable des pr ix »
90 Au Ghana, les OGM de la discorde
91 Le dollar US casse le Zimbabwe Gold (ZiG) par Cédr ic Gouver neur
92 Tahirou Barr y : « Grâce au Groupe MSC, nous allons êt re au cœur des transfor mations de l’Afrique » par Emmanuelle Pont ié
94 Cobalt : Kinshasa envisage des quotas d’exportation
95 Le cours du thé s’envole par Cédr ic Gouver neur
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ON EN PA RL E
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
Ph oto graphi e de pla te au re présenta nt la Mfants ipim Scho ol , à Ca pe Coa st, au G hana
LE MODERNISME TROPICAL S’INVITE À LONDRES
Aujourd’
hu i à la mode sous
l’appellat
ion CONCRE
TE JU NGLE
, ce st yle arch itectu ra l
su r une long ue histoi re, entre colonial isme et décolonisation, qu i mérite le détour.
repose
LE SUCCÈS de l’exposition sur le modernisme tropical en Afrique de l’Ouest présentée par le Victoria and Albert Museum à la dernière Biennale de Venise a poussé le musée à la reproposer cette année dans ses locaux de Londres, en version étendue et augmentée. Installée dans des pièces séparées par des cloisons aux couleurs vives et des murs à persiennes qui font écho aux motifs du courant architectural, elle explore son histoire avant et après les indépendances, en Inde et en Afrique, notamment au Ghana. À travers des photos d’époque, des maquettes, des plans, des croquis et de captivantes vidéos documentaires et d’archives, le visiteur découv re le travail des Britanniques Jane Drew et Maxwell Fr y, les premiers à plaider pour l’adaptation du design des bâtiments au climat des colonies africaines Mais aussi la façon dont les architectes locaux se réapproprient le modernisme, détournant ses racines Bauhaus à la faveur de traditions locales. Et comment les Premiers ministres de l’époque postcoloniale,
tels que Kwame Nk rumah, en font un outil au serv ice de la construction de la nation et un sy mbole pour un avenir de puissance, de liberté et de progrès, en rupture avec le passé. ■ Luisa Nannipieri
Ma xwell Fr y dans ses bu re au x de Lo ndres, au x côté s de l’archite cte si er ra -l éo nai s Joh n No ah
« TROPICAL MODERNISM: ARCHITECTURE AND INDEPENDENCE », V&A South Kensington, Londres (Royaume-Uni), jusqu’au 22 septembre vam.ac.uk
PALACE EN COULISSES
LESFEM MESDECHA MBRE d’un grandhôtel de lu xe pa risien se rebiffent pour de meilleu rs sa la ires et cond it ions de travail.Uncasting af ro-européenréjou issa nt !
PLUSIEURS MOUVEMENTS de grève dans des hôtels ces dernières années ontinspiré le réalisateur Nessim Chikhaoui, qui s’est aussi souvenu de ses tantesfemmesdechambres, venues de Tunisie en France, et desmèresdeses copains.L’action se situe dans un palaceparisien, etpour incarner cesinvisibles quipréparent leslitsetnettoientles salles de bains après les clients, il achoisi des comédiennes au caractère bien trempé. La doyenneest une Française «desouche »incarnée par une CorinneMasieroàcontreemploi, revêche et réac (« arrête avec tes trucs de gauchiste», dit-elle àune jeune collègue), àl’opposé de ses prises de position publiques et de son personnage de capitaine Marleau !Autour d’elle,les Ivoiriennes SalimataKamate et Marie-Sohna Condé font le job avec panache,entre exubéranceetrésilience, tout comme la flamboyante Franco-Sénégalaise Maïmouna Gueye. De l’autre côté, Mariama Gueye incarne unegouvernante (presque) sans pitié pourles employées, au nom de l’amour du travail bien fait et de la bonnemarche de l’entreprise: une afro-descendante dans la hiérarchie, ça ajoute de la nuance au propos politique, qui dénonceavanttoutleproblème de la sous-traitance, rendant malléable unemain-d’œuvre tributaire du renouvellement de ses papiers… Même le syndicalistenejoue pas les grandes gueules et cadre les manifestantessansleur voler lavedette: c’est Kool Shen, l’ex-rappeur de NTM. Dommage que le scénario etla mise enscèneinvisibilisent le restedeladirection etles clients, qu’on ne croise jamais dans les couloirs… ■ Jean-Marie Chazeau
SO UN DS
Àécouter maintenant !
Iman iAssuman i Décibel,MoyoP roduct ions.
ÉlevéenBelgiquepar desparents congolais, instrumentiste et producteur de talent, cofondateurdulabel Moyo,dénicheur de talents de Kinshasa, ImaniA ssumani témoignedetoute la beauté de sontimbresur ce premier EP d’unegrandesensibilité, auxtextesciselés,oùle groove ne choisitpas entreorganique et sy nthétique. Àsavourer d’urgence!
Blue La bBeats
Bl ue Ecli pse,Blue Note
Si AngéliqueK idjo afaitappel àeux, ce n’estpas pour rien.NamaliKwaten et DavidMrakpor formentl’undes duos londoniensles plus en vogue, sans douteparce qu’ils ne s’interdisent aucune audace sonore,jonglant entrejazzetR’n’B,sansoublier la musiquedeleurs origines africaines. Pour preuve: cetalbum exigeant, mais aussifestif et fédérateur
BlackLives
Pe ople of Eart h, Ja mm in’Colors
Rassembléautour du bassisteReggie Washington,ce collectifàgéométrievariable mais àcœurfidèleconvoque lessonorités résiduellesdeses 26 différents membres,originaires aussibiendes États-Unis que desCaraï bes, d’Europe,etbiensûr du continentafricain. C’estjazz, mais aussisoul, hip-hop ou gospel, ultra-accessible et d’uneénergie contagieuse. ■ Sophie Rosemont
PETITESMAINS (France),deNessi mChik haou i. Avec LucieCha rles-A lf red,Marie-SohnaCondé, Sa limataKamate. En sa lles DR (5)
Le ta pi s rouge cann ois accue ill e chaq ue anné e de nom breu x ta le nt s du gran d écran
CANNES SANS PALME AFRICAINE
Aucu n fi lm du cont inent ne concou rt pour le prestigieu x pr ix, cette an née. Ma is la 77e éd it ion du célèbre fest ival RÉSERV E QU ELQU ES SU RPRISES…
PAS DE FILM AFRICA IN EN LICE pour la Palme d’or 2024 – désignée par Omar Sy. Après une édition riche pour le continent l’an dernier, de rares productions subsahariennes se sont glissées dans les autres sélections cannoises : pour la première fois, un film somali (The Village Ne xt to Paradise, de Mo Harawe) et un film zambo-guinéen (On Becoming a Guinea Fowl, de Rungano Nyoni) sont dans la section bis « Un certain regard », dont le jury est coprésidé par la franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré, aux côtés de Xavier Dolan. Mais les films arabes sont au rendez-vous, même si ce n’est pas pour la récompense suprême, à commencer par la première mondiale du nouveau Nabil Ayouch : Ever ybody Loves Touda, avec Nisrin Erradi (v ue dans Reines, de Yasmine Benkiran). Le long-métrage d’un autre Marocain est présenté à la Semaine de la critique : La Mer au loin, de Saïd Hamich Benlarbi. Deux films ég yptiens, un film saoudien et un documentaire sur une personne transgenre palestinienne, La Belle de Gaza (en salles en France le 29 mai), sont également au programme. À noter, enfin, que le cinéaste
Nisr in E rrad i dans Eve rybody Love s Toud a, de Nabil Ayou ch
haïtien Raoul Peck présente un documentaire sur le premier photographe noir sud-africain au temps de l’apartheid, Ernest Cole, que le cinéaste de la diaspora congolaise, Baloji, copréside le jury de la Caméra d’or avec Emmanuelle Béart, et que le comédien américano-mauritanien Mamoudou Athie, natif de Nouakchott, joue dans Kind s of Kindness, de Yorgos Lanthimos, aux côtés d’Emma Stone et Willem Dafoe, un film qui est, lui, en compétition pour la Palme. ■ J.-M.C 77E FESTIVAL DE CANNES, du 14 au 25 mai.
MDOU MOCTAR, Funeral for Justice, Matador.
RY TH ME S
MDOU MOCTAR Électrique politique
FU NE RA
L FOR JUST
ICE, second al bu m hautement inf la mmable, affi rme les conv ictions du groupe toua reg, acti f depuis 2008.
LES GUITARES s’entrechoquent, optent pour un crescendo, avant de laisser place aux mélopées ty piquement touareg, entrecoupées de riffs et de ruptures rythmiques. C’est d’une beauté lancinante, et ça vous plonge sans préavis dans le nouvel album de Mdou Moctar. Parce que la musique est ici aussi électrique que poétique, Funeral for Ju stice met ses cordes au serv ice d’une dénonciation, celle de pays occidentaux, souvent anciennement colonisateurs, tant aveugles que sourds au quotidien du continent africain À commencer par celui, éprouvant, de la communauté touareg au Niger, le pays d’origine du quatuor mené par le chanteur et guitariste Mahamadou Souley mane, alias Mdou Moctar, encore sous le choc du coup d’état de 2023 Pour témoin, la chanson « Sousoume Tamacheq », qui rappelle l’oppression dont sont victimes les Touareg, aussi bien au Niger et au Mali qu’en Algérie. « Au-delà du manque d’unité, l’ignorance est le troisième enjeu », déplore Mahamadou Souley mane, entouré de ses compatriotes Ahmoudou Madassane, choriste et guitariste ry thmique, et l’énergique batteur Souley mane Ibrahim. Après la révélation fracassante d’Af rique Victime, album d’un rock déjà très affirmé, celui-ci ne fait pas de quartier : neuf pistes renfermées dans un écrin teinté d’un blues du désert brûlant et volontiers psychédélique, de « Imouhar » à « Tchinta », parfois traversé d’accalmies mélodiques (« Takoba ») Produit par le bassiste Mikey Coltun, qui a rejoint Mdou Moctar il y a quelques années, le bien nommé Funeral for Ju stice assortit ses sonorités à son engagement politique, anticapitaliste et anticolonialiste. En atteste le titre « Oh France », qui dénonce la cruauté des stratégies politiques françaises sur la terre nigérienne. Lorsque la ballade (hautement ry thmée) de « Modern Slaves » ferme Funeral for Ju stice, le désir de liberté de Mdou Moctar a fait effet, avec tout ce qu’il implique d’utopique, certes, mais aussi de tangible ■ S.R.
T
FACETTES MULTIPLES
Un regarda ig uisé su rlacondition DESFEM MES en Tu nisie.
Fr un en L 51
e vie révolutions, a Découverte, 2 pages, 28 €
L’EXTRAORDINAIRE DESTIN DE FRANTZ FANON
Adam Shatzret race lesM ILLE ET UN EV IESdupsych iatreetessay iste ma rt in iq ua is,deson pays d’or ig ineà l’Af riq ue noire, en passantpar l’Algérie.
LA BIOGRA PHIE politiqueetintellectuelledurédacteur en chef pour lesÉtats-Unisdela London Review of Book s pose un regard neuf surlapensée de l’auteur des Damnés de la terre (1961).Une pensée quientre en résonanceavecles questionnementscontemporains lesplusbrûlants, tout en témoignant desbouleversements politiques et intellectuelsdu XXe siècle.L’itinérairerévolutionnaire de Frantz Fanon, hautefiguredelalutte contre lesaliénations et lesdominations,selit commeunthrillerdeladécolonisationetdela guerre froide. On redécouvredanscetexte tout en minutie l’homme, ses interrogations,son combat pour la libération de la France, son exerciceauseinduser vice de psychiatriedel’hôpitaldeBlida, en Algérie, puis sonengagementpourl’indépendancealgérienne auxcôtésduFLN.Surtout connue pour sesessaissur la colonisation, et surles catastrophes psychologiquesetpsychiatriques engendrées parcette dernière,cette étoilefilante resteà jamais,endépit d’unev ie brève, uneicône de la liberté. ■ Catherine Faye
OÙ EN SONT leslibertésféminines surl’île de Djerba qui, malgré le tourisme,est connue pour sonconservatisme ?C’est àcette question quedoitrépondreEmna, avocate tunisienne, la quarantaine, lors d’unemission consacrée auxfemmesrurales de Tezdaïne, afin d’évaluerleurdegré d’autonomie,de soumission et leurs relationsavecleur conjoint: «Mon travail doit préparer la mise en placedecentres d’aide àtravers toutel’île.» Pourtant,peu àpeu,ses convictionsetses certitudes de femmeémancipée se disloquent. La confiance, durementgagnée, libère la parole,les rires, lesconfessions, parfois étonnantes,comme surlasexualité.
Le bonheur, lesidéaux, lesdroits… Au-delà de la condition féminine, de l’acceptable ou non, d’autres réf lexionsémergent. «Jenecrois plus auxrévolutions. Mais il suffitparfois d’un changement minusculepourque lesêtres prennent un nouveaudépart. »Unmanifeste efficace et tout en nuances. ■ C.F.
AZZA FILA LI, Malentendues, Elyzad,344 pages, 23 €.
À PORTÉE DE MAIN
Une plongée en 3D au cœur de l’Ég ypte antique : ses divi nités, ses PH AR AONS LÉGENDAI RES et ses chefsd’œuvre ar t istiques.
PIONNIER des expositions digitales, l’Atelier des Lumières invite à un voyage dans le quotidien d’une civilisation my thique, bâtisseuse de py ramides et artisane de génie, qui a dédié son art à la gloire des pharaons, et sa vie aux divinités, dans l’espoir d’accéder à l’au-delà. Projeté sur les structures d’une ancienne fonderie datant de 1835, le spectacle tridimensionnel remonte le temps et s’immerge dans l’opulence et la démesure de trois mille ans d’histoire, à travers des bas-reliefs, des fresques, des sculptures et des architectures monumentales, ou encore des tombeaux reconstitués L’écriture du parcours puise son inspiration dans les récits my thologiques, dans l’esthétique véhiculée par le cinéma et la dramaturgie de l’opéra, tout en s’appuyant sur une bande-son contemporaine, où Philip Glass, Peter Gabriel et Massive Attack créent un lien intemporel entre les
« L’ÉGYPTE DES PHARAONS DE KHÉOPS À RAMSÈS II », Atelier des Lu mières, Paris (France), jusqu’au 5 janvier 2025 atelier- lumieres.com
forces sacrées des dieux et l’humanité Sans compter que le numérique permet de rassembler, par l’illusion du spectacle visuel, des œuvres exposées du Louvre au MET, du British Museum à l’Ermitage, en passant bien sûr par le Grand Musée ég yptien du Caire. Une expérience hors norme. ■ C. F.
EMEL, MRA, Yotanka.
EMEL RÉVOLUTION AU FÉMININ
La figu re de proue DE LA RÉVOLU TION
TU NISI EN NE revient avec MR A, un superbe nouvel al bu m, où l’on da nse auta nt que l’on revend iq ue son fémi nisme.
POUR ET PA R LES FEMMES : c’est ainsi qu’Emel Mathlouthi a envisagé ce disque, pour lequel elle s’entoure d’artistes telles que la chanteuse malienne Ami Yerewolo (sur l’abrasif « Nar »), les rappeuses Justina et Alyona, respectivement iranienne et uk rainienne, ou encore la chanteuse française Camélia Jordana, sur le très réussi « Mazel ». Parce que le discours féministe ne peut pas être qu’une posture, la chanteuse tunisienne le défend à travers douze titres intenses et aux titres évocateurs, de « Massive Will » à « Pride », à l’indéniable inventiv ité sonore Si le terreau est mélodique, organique, les arrangements puisent dans l’électronique sous toutes ses formes, et les textes, eux, se partagent entre arabe, français et anglais. Aux armes, citoyennes du monde ! ■ S.R
AL BU ML’un e de s pi èce s text il es d’Enam Gb ewonyo.
e ins ta
Na Ch ainkua Reindor f ré inte rprète la tradi ti on du cos tu me de ca rnava l.
RÉCITS D’UNE AUTRE HISTOIRE
À Anta na na rivo, 22 ar tistes ex plorent la mémoi re pa na fr icai ne, son pouvoi r na rrat if et sa capacité à QU ESTION NER NOTR E VISION DU MON DE.
LA MÉMOIR E collective se compose de récits et d’expériences éparpillés dans les mémoires individuelles. C’est à partir de ce constat, et face au risque de voir disparaître cette my riade de paroles plurielles, que Nadine Hounkpatin et Céline Seror ont conçu l’exposition panafricaine « Memoria : récits d’une autre Histoire ». Présentée à Bordeaux lors de la Saison Africa2020, puis à Abidjan et à Yaoundé, avec une liste d’œuv res et d’artistes repensée à chaque fois, elle s’installe à la Fondation H d’Antananarivo pour une quatrième itinérance entièrement développée dans et pour le contexte local. Sur les 22 artistes invitées, de Selly Raby Kane à Mary Sibande, en passant par Enam Gbewonyo ou Na Chainkua Reindorf, cinq sont basées à Madagascar et trois autres sont issues de la diaspora malgache À travers une multiplicité de médiums et de perspectives, leurs œuvres interrogent le pouvoir de dénonciation de la mémoire, notamment sur les questions de genre, de postcolonialisme, de la représentation du corps noir ou de l’exploitation des ressources. Et explorent la possibilité de donner vie à un futur créatif, décomplexé, fort d’une mémoire assumée et célébrée. ■ L. N. « MEMORIA : RÉCITS D’UNE AUTRE HISTOIRE ».
Fondation H, Antananarivo (Madagascar), jusqu’au 28 février 2025 fondation -h.com
ÉCHAPPÉE BELLE
Trois femmes da ns un poids lourd, et UN E COURSE-POU RSUI TE
À
TR AV ERS L’AT LAS, la police au x trousses ! Plus du re sera la chute…
UNE MÈR E DE FA MIL LE S’ÉVADE de la pr ison de Casablanca pour rester avec sa fille, et braque un vieu x camion, forçant une jeune et frêle apprentie mécano à prendre le volant ! C’est part i pour un road-movie en darija, qui mult iplie les clins d’œil à la cult ure populaire marocaine : la reine des djin ns, Aïcha Kandisha, obsède la fillet te, qui vérifie que les pieds des femmes qu’elle croise n’ont pas la forme de ceux d’une chèv re comme la sorcière des contes… Présenté à la Most ra de Venise en 2022 et pr imé dans de nombreu x festivals, ce premier film de Yasmine Ben kiran est sorti au Maroc l’an dernier, avant d’ar river ce mois-ci dans les sa lles françaises. Son ancrage très local est loin d’êt re un handicap, et la réalisat rice mult iplie les clins d’œil au film de genre hollywoodien, avec quelques adaptations à sa sauce, très féministe : l’auto -stoppeur de Thelma et Loui se (1991), de Ridley Scot t, incarné par un jeune Brad Pitt toxique, est remplacé par un gentil et beau villageois des montag nes, qui n’a rien du drag ueur lourdingue. Et la petite Inès embarquée de force dans les superbes paysages de l’At las fait penser au petit
garçon en levé par un hors-la-loi dans Un monde parfait (1993), de Clint East wood, à travers les paysages sublimés du sud des États-Unis. Mais on est bien au Maroc, dans un vieu x Berliet de quinze tonnes comme il en circule encore sur les routes du royaume, transpor tant des paraboles pour satellite, avec un improbable trio féminin derr ière le pare-brise ! Non contente de jouer avec tous les genres du cinéma, et de donner ses rôles pr incipaux au x femmes, la cinéaste maroco-française s’amuse avec ses personnages secondaires, comme cet improbable duo composé d’un vieu x flic cy nique et tendre, et de sa collèg ue mutique et appliquée. Le résultat est réjouissant, emporté par l’énerg ie de Nisr in Er radi dans le rôle de Zineb, cette mère en cavale, insolente et solaire. On peut simplement regret ter le côté parfois trop prév isible du scénar io, lors de l’évasion ou pendant la scène finale Quoi qu’il en soit, le cont rat d’un film d’aventures populaire et moderne est rempli ! ■ J.- M.C. REIN ES (Maroc-France), de Yasm ine Benk iran. Avec Nisr in Er radi, Nisr ine Bencha ra, Rayhan Guaran En sa lles
QUE LE MEILLEUR GAGNE !
Une TR AV ERSÉE MU LT IPLE, des prem iers Jeux olympiques d’At hènes 1896 au x Jeux olympiques et pa ra ly mpiq ues de Pa ris 2024.
D’ABOR D, il y a ces destins incroyables. Celui de Jesse Owens à Berlin, en 1936, quatre médailles d’or, piétinant les thèses racistes du régime nazi Ou encore celui de Tommie Smith, de John Carlos et de Peter Norman, poings levés gantés de noir, dénonçant la ségrégation aux États-Unis à Mexico, en 1968. Comment oublier Nadia Comaneci, en 1976, sy mbole de la stratégie sportive des pays de l’Est, ou Cathy Freeman, drapeaux australien et aborigène sur les épaules, lors de sa victoire aux Jeux de Sydney, en 2000 ?
Avec près de six cents œuvres, documents, films d’archives, objets, articles de presse et photographies, l’exposition fait ainsi dialoguer figures sportives, événements historiques et grands témoins de cette épopée humaine et athlétique. Telle une histoire globale, traversée par des conf lits internationaux majeurs et des combats multiples, venant retracer cent trente ans d’évolutions géopolitiques, politiques, sociales et culturelles, depuis la création des Jeux olympiques : l’événement sportif international le plus médiatisé au monde. ■ C. F.
« OLYMPISME, UNE HISTOIRE DU MONDE, » Palais de la Porte-Dorée, Paris (France), jusqu’au 8 septembre 2024. palais- portedoree.fr
ZINEB MEKOUA R, Souviens-toi des abeilles, Ga lli ma rd, 176 pages, 19 €
DE SOLEIL ET DE MIEL
Après La Poule et son Cumin, fi na liste du Goncou rt du prem ier roma n 2022, Zi neb Mekoua r revient avec UN TEXT E SENSUEL ET
ÉLOQUENT.
DA NS SON PR EMIER ROMA N, elle proposait une fresque où le destin des héroïnes épouse les clivages sociopolitiques du Maroc contemporain Deux trajectoires s’éloignant inexorablement. Cette fois, elle distille une histoire intime et universelle, entremêlant amour maternel et enfance, scintillement du miel et silence, nature brute et secrets enfouis. Le va-et-vient des abeilles raconte « des odeurs de lavande, de menthe, des parcelles cultivées maladroitement, des tomates, des enfants, une mosquée, des vieux qui jouent aux cartes sous l’arganier centenaire ». Le propos se nourrit de passions, de combats, d’un engagement et d’un militantisme prégnants. L’onirisme vient ainsi servir plus d’une cause : la transmission, le lien, le respect de la planète, la quête de justice, de solidarité L’espoir Ce n’est pas un hasard si le récit s’ancre dans le Haut Atlas. Là, s’étire le rucher collectif d’Inzerki, le plus grand et sans doute le plus ancien au monde, où des millions d’abeilles produisent un miel d’exception. Ce trésor du patrimoine amazigh, préser vé à l’aide de savoir-faire ancestraux, est aujourd’hui menacé à cause du manque d’eau. Dans cet environnement soumis aux ravages du réchauffement climatique, l’écrivaine a puisé son inspiration et mis au monde Anir, son protagoniste, à l’écoute des légendes, des savoirs, des traditions et de la nature. Il apprend à s’occuper des abeilles et à aimer la terre rouge et aride du sud. Et le miel ne cesse jamais d’agir comme un baume aux pouvoirs sy mboliques. ■ C. F.
STYLE AFROPOLITAIN
i & Ki mi ré cu père le s ti ssus de s maiso ns de lu xe, le s associe à de s matiè re s et moti fs af ricains, et propose un st yl e poi nt u.
La bel basé à Pa ris, ma is ANCR É DA NS LE MONDE, IMI & KIM I s’ inspire du cont inent et des diasporas : à su iv re et porter sa ns modération !
HENR I PHILIPPE MAÏDOU, le créatif derrière le label parisien Imi & Kimi, est un vrai cosmopolite Fils d’un diplomate de la République centrafricaine, il grandit en voyageant d’un bout à l’autre du monde. Passionné par le basket, il devient joueur professionnel à l’adolescence et entame une carrière en France et aux États-Unis Puis il se réinvente en entrepreneur touche-à-tout : de l’import-export à la restauration dans sa Centrafrique d’origine. Quand il se retrouve vendeur dans une boutique parisienne de tissus de luxe, où il côtoie ceux d’Armani ou Hermès, il se découvre un talent pour la haute couture et lance son premier label de vêtements sport-chic Mais c’est la rencontre avec un grand tailleur
guinéen, le père de Sadio Bee, qui lui fait comprendre l’importance de la demi-mesure, des proportions, de l’équilibre et du tombé impeccable Tant de techniques qui participent à la réussite d’Imi & Kimi – un nom en hommage à ses filles Imani et Kimora. Le label transculturel qu’il crée en 2016 pour habiller ceux qui, comme lui, ont les pieds sur plusieurs continents : des Afropolitains élégants et sportifs, qui aiment célébrer leurs racines, comme le basketteur Victor Wembanyama, les chanteurs Fally Ipupa et Burna Boy, ou le mannequin Florence Baitio Pour confectionner ses drops (il en a déjà sorti huit), Maïdou travaille toujours à partir de restes de productions de maisons de luxe, qu’il mélange avec du bazin, du bogolan, des broderies marocaines ou des motifs masaï. Ses dernières silhouettes, presque entièrement en denim, jouent avec des boutons en métal et des coupes croisées audacieuses et espiègles Et si les élégants trenchs double face rembourrés, crème et kaki, semblent s’éloigner du st yle bariolé de certaines collections précédentes, l’amour pour les volumes et le dessin des épaules est toujours le même, inscrit dans l’ADN de la marque En ce moment, le designer apporte les dernières touches à sa nouvelle ligne, « Black Summer », inspirée par les étés passés à Bangui Et on l’attend avec impatience ! imiandkimi.fr ■ L.N.
Le bronze des hommes intègres
À la fois st ud io de design et atel ier collecti f, Ma ison Intègre préser ve fièrement un savoir-fai re ancest ra l et assu re de NOU VELLES PERSPECT IV ES.
FA BR IQUER des pièces en bronze avec la technique de la cire perdue est une tradition ancestrale au Burkina Faso, où le secteur s’est organisé autour de micro-ateliers. Un monde dans lequel chaque corps de métier travaille de son côté, et où le projet lancé en 2017 par Ambre Jarno a été une petite révolution. Ancienne employée de Canal+, elle arrive à Ouagadougou à 24 ans et tombe sous le charme du pays et du savoir-faire de ses artisans. Elle s’y installe définitivement quelques années plus tard pour créer Maison Intègre, dans le but de préser ver l’artisanat du bronze, tout en le faisant évoluer. En 2022, le studio inaugure sa propre fonderie et, avec le soutien de quelques bronziers français, organise un atelier commun qui accueille une dizaine de personnes : maîtres bronziers, mouleurs, soudeurs, redresseurs ou encore finisseurs Cette cheffe d’orchestre de talent est heureuse de donner vie à des pièces uniques et à des séries originales à partir de matières locales – depuis la cire d’abeilles du Nord pour le modèle à la terre de Ouaga pour le moulage en terre cuite, en passant par le bronze recyclé pour la coulée. Seuls les dernières finitions, réalisées en France, et les dessins des pièces ne sont pas burkinabè – pour l’instant ! Mais cela n’empêche pas les designers partenaires d’honorer l’univers des peuples Kassena ou Lobi, et de reprendre les objets du quotidien et traditionnels, rendant hommage à la richesse culturelle de la région maisonintegre.com ■ L.N.
La l amp e Za ka a été conçue pa r l’ateli er en ma ti ères loca le s.
ON EN PA RL E
Le gas tro ré cemment pri mé, at ypiq ue et ac cu ei l la nt propose un e car te mu lti cu ltu re ll e.
SE RÉGALER
À OUAGA
Entre un nouveau resto GAST RONOMIQU E at ypiq ue et les verres or ig inau x du ROOFTOP le plus cool de la vi lle, la capita le du Bu rk ina a beaucoup à offr ir.
PA RMI LES INCONTOURNA BLES de Ouagadougou, primé lors de la dernière Restaurant Week pour le concept original, figure l’Atelier by Diacfa On découv re un restaurant gastronomique à l’étage du showroom du concessionnaire haut de gamme, avec vue sur les bolides. Lieu at ypique, mais accueillant, avec une déco inspirée par l’histoire de l’automobile, l’Atelier a ouvert à l’automne dernier sous l’impulsion de la direction, avec deux chefs d’exception aux fourneaux. L’un d’entre eux a même été désigné ambassadeur de la gastronomie internationale au Burk ina Faso La carte est multiculturelle, avec quelques clins d’œil à l’Afrique : du brisket de bœuf fumé 12 heures aux ravioles maison au foie gras, en passant par le risotto soumbala au poulet fumé et le filet de capitaine aux agrumes et shiitake
Le S unset est th e pla ce to be, pour dég us te r de s cock ta il s en mu si qu e.
Pour siroter des cocktails, le roof top incontournable de la ville est le Sunset. Ouvert il y a deux ans par le Martiniquais Grégory Larcher, un peu par hasard, il a eu un succès retentissant. Cette terrasse décontractée attire aujourd’hui une clientèle mélangée, qui vient se relaxer en écoutant le meilleur DJ du pays Les boissons sont sans alcool, comme l’Amazone – gingembre, caramel, jus d’ananas et menthe –, ou avec Les jus ici sont frais et faits maison, mais la vraie star, c’est le rhum Il arrive tout droit de Martinique et on peut le boire seul (il y en a toujours sept ou huit différents à la carte) ou dans des cocktails classiques et signature, comme le Bling Bling – rhum blanc, vanille, poiv re et anis étoilé – ou le Golden Parachute, avec rhum vieux et champagne. @latelierouagadiacfa/@sunsetouaga ■ L.N.
Versatile et visionnaire
AU RWAN DA, la flex ibilité du Komera
Leadersh ip Center allie au ma intien du lien social en zone ru ra le le combat pour l’émancipat ion des jeunes fi lles.
LE MOT RWANDA IS « komera » (en langue kinyar wanda) signifie avoir du courage. C’est aussi le nom d’une ONG engagée pour l’émancipation des jeunes filles basée à Rwinkwav u, un village à deux heures de Kigali, à proximité de la frontière tanzanienne Et du remarquable centre communautaire et éducatif que l’ONG a construit avec le cabinet BE _Design, fondé en 2016 par l’architecte Bruce Engel, pour implémenter ses programmes de santé, d’éducation et de mentorat Conçu comme un lieu ouvert à la communauté rurale, il se trouve sur la route principale, en face du terrain de foot, et s’articule autour d’un corps central modulable doté de
grands panneaux translucides Fermés, ils créent trois salles de classe. Ouverts à 90°, ils délimitent une grande salle de réunion, et à 270°, ils transforment radicalement l’espace pour accueillir spectacles et cérémonies. Un grand toit et des brise-soleil en eucaly ptus tressé relient le bâtiment principal aux toilettes, à la cuisine, aux bureaux et aux cabinets de consultations dédiés aux filles, créant une multitude d’espaces interconnectés et abrités. Les géométries du centre, de la forme du toit aux motifs des murs en briques, s’inspirent de l’art traditionnel décoratif de l’Imigongo et témoignent de l’implication des habitants dans la construction. ■ L.N.
Les in gé nieu x vo lum es du ce nt re s’adapte nt au x be soi ns , et re nd ent hom mage à l’ar t de l’Imig on go
Marc Johnson
Les TAPISSERIES PUISSANTES ET ONIRIQUES
de l’artiste franco-béninois s’inspirent du poème de Derek Walcott, The Sea Is Histor y. L’histoire, son récit et la cohabitation des règnes du vivant sont au cœur de sa pratique. propos re cueillis par Astrid Krivian
I« Th e Se a Is Hi stor y (After De re k Wa lc ot t) », Ma rc Joh nson, Gal er ie M it te rrand, Pa ri s (Franc e), ju squ’a u 16 ma i 2024.
l a conçu des tapisseries inspirées du poème The Sea Is Histor y, du Caribéen d’expression anglaise Derek Walcott, prix Nobel de littérature « L’océan est ici une allégorie de la nature, mais aussi un organisme vivant qui conser ve l’histoire de la circulation des corps et des marchandises, un trauma lié à l’esclavage », analyse l’artiste franco-béninois Marc Johnson. Ses puissants tableaux convoquent le my the, le fantastique, le rêve, la fable, évoquant des créatures mi-humaines, mi-végétales, des figures de métamorphose, une exploration onirique des profondeurs marines, du cosmos aussi. Hommages mystiques aux âmes ancestrales disparues en mer, comme à celles qui périssent aujourd’hui sur le chemin de l’exil, ces œuvres textiles aux couleurs irisées incarnent la cohabitation et l’interconnexion entre les différents éléments du vivant. Ne sont-elles pas tissées avec du coton, de la laine et du polyester, issus des règnes végétal, animal et minéral ? « J’aime penser ces œuvres comme des êtres, dont émane une vibration. » Le plasticien a utilisé le métier à tisser Jacquard, mis au point au XIXe siècle, référence « à l’industrie textile, au labeur ouvrier », fils entrecroisant des « histoires d’exploitation et de résistance ». La mémoire collective irrigue sa démarche : comment ces peuples aux traditions orales ont-ils transmis leur histoire ? Quelles archives, écritures, peut-on retracer ? Et pour quel héritage ? Les médiums de prédilection de cet artiste visuel et cinéaste, né en France en 1986, sont l’image en mouvement, la photo, le dessin, le livre d’artiste. Diplômé des Beaux-Arts de Paris et de l’école nationale supérieure d’architecture ParisMalaquais, il expose aujourd’hui ses œuvres dans le monde entier S’il se réclame de l’art conceptuel, il cultive un rapport de continuité avec l’histoire de l’art, au-delà du moderne. Un corpus d’inspirations mêlant la révolution surréaliste, la my thologie grecque, le fantastique, mais aussi la magie, le vaudou, l’animisme. Curieux de comprendre le monde et son articulation, il effectue un important travail de recherche, à la découverte d’autres langages et géographies, croisant les disciplines, collaborant avec des experts Il sonde notamment les traces omniprésentes du colonialisme « On ne peut l’éviter ; c’est le retour du refoulé. Mon père est né au Bénin, mon grand-père était du Congo, ma grand-mère du Togo ; je m’y intéresse forcément, en me déplaçant dans d’autres contextes qui éclairent le mien » Réalisés à la Biennale de Vancouver en 2019, sa série de photographies et ses entretiens filmés d’artistes, de commissaires d’expositions, retranscrits dans le livre Parley, s’intéressent aux dy namiques entre les Premières Nations et les musées canadiens. « Le Canada est l’un des rares pays où les œuvres des musées peuvent être reprises par les peuples autochtones pour être réactivées dans des rituels, des cérémonies. Les objets magiques de ces cosmologies restent ainsi accessibles, pour y réinscrire d’autres my thes, d’autres lectures, se les réapproprier » Ces réflexions sur les récits historiques, sur « la poétique-politique de l’archive », nourrissent son travail de doctorat d’artiste, qu’il mène actuellement dans la très sélective Université des arts de Stockholm. ■
«L’océan conserve l’histoire de la circulation des corps et des marchandises, un trauma lié à l’esclavage.»
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É
DIRECTION KIGALI…
On en parlait depuis des semaines. Et déjà, ce projet avait déclenché une levée de boucliers parmi les instances internationales. Dans la nuit du 22 au 23 avril, la loi imaginée par Rishi Sunak, Premier ministre conservateur britannique, a été adoptée Dorénavant, les immigrés clandestins débarquant dans le pays seront reroutés vers le Rwanda, où Paul Kagame a déjà commencé à construire des infrastructures d’accueil Les premiers vols groupés sont programmés pour juillet En bref, pour ces pauvres gens qui fuient la guerre ou l’ex trême pauvreté, embarquant sur des bateaux de fortune au péril de leur vie, c’est « retour à l’envoyeur ».
À Lond res , ce ux qu i so uti en ne nt l’idé e pa ri ent su r le fa it qu e ce tt e no uvel le mes ur e découragera les candidats à l’exil. Peut- être. Sûrement Il n’empêche que cette loi est considérée par l’ONU et la plupar t des associations pour les droits de l’Homme internationales comme une at teinte majeure aux droits humains. A minima. On peut aussi, pour l’anecdote, souligner que l’inventeur du projet est hindou, avec un père né au Kenya et une mère au Tanganyika, l’actuelle Tanzanie. Des origines d’immigrés, non ?
Au -d el à de la gros se ta che que lai ss er a ce tt e dé ci si on su r la ré pu ta ti on mora le du Royaume -Uni, on ne peut s’empêcher ici de pointer encore et encore l’incroyable inef ficacité des forces de police et autres contre les passeurs, qui continuent à spolier des migrants en les envoyant à la mor t, s’engraissant en toute impunité sur leur triste sort Et les premiers responsables sont aussi les pays pour voyeurs, qui devraient avoir honte de voir leurs ressor tissants quit ter dans de telles conditions, déplorables, une terre invivable Si elle est invivable, c’est à cause de politiques défaillantes et du mépris global des populations, des jeunes générations laissées à l’abandon, sans perspectives décentes Sinon, on peut supposer aisément que ces dernières préféreraient travailler et se construire une vie chez elles, là où elles ont des racines et de la famille. Il est évident que la « bonne idée » britannique sert exclusivement les intérêts de Londres et ne résoudra en aucun cas la question des migrants dans sa globalité. La responsabilité est collective. Il est urgent de s’at taquer aux racines du mal, et de faire en sorte qu’il n’y ait plus de candidats à l’errance. Parce que l’ailleurs ne fera plus tristement rêver. ■
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