ÉDITO
La Tunisie en transition permanente
Biennale
DAK’ART EST UNE FÊTE !
par Zyad Limam
Soldats de la coloniale
Des combattants déjeunent dans leur tranchée, en 1915.
Le destin héroïque et tragique des tirailleurs
LA CRISE QUI VIENT
Ukraine, énergie, inflation, sécurité alimentaire, dette… L’Afrique face à la tempête.
HISTOIRE L’odyssée des rois de Napata, pharaons noirs
N Ndèye Fatou Kane « Ce m monde est fait pour p les hommes h »
INTERVIEW
France 4 , 9 0 € – Afrique du Sud 49, 95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6, 9 0 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0
+Découverte DJIBOUTI
CÉLÈBRE SES 45 ANS!
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édito LA TUNISIE EN TRANSITION PERMANENTE
PAR ZYAD LIMAM
Fin mai 2022, voyage à Tunis, avec les sensations, les différences et les convergences entre ce que l’on lit et l’on entend à l’extérieur et ce que l’on ressent sur place. Cette magnifique baie de Tunis tout d’abord, la mer Méditerranée, lorsque l’on atterrit. Le premier contact avec l’aéroport, Tunis-Carthage, qui semble tel un vieux navire amiral, saturé et épuisé. Cette sensation d’activité, de fourmillement, avec les embouteillages, les immeubles flambant neufs, tous ces nouveaux quartiers, qui encerclent de plus en plus l’ancien centre-ville, ces autoroutes urbaines, ces embouteillages permanents, ces gens, nombreux, qui conduisent comme de véritables dingues, des dangers publics pour eux-mêmes et pour les autres. Il y a ces restaurants pleins, ces marchés animés, ces boutiques achalandées. Et cette impression pourtant que tout coûte cher, horriblement cher. Il y a ces grands bateaux que l’on voit dans la rade du port, au large, et dont un spécialiste me dit qu’il s’agit de cargaisons de blé qui attendent un paiement avant de débarquer… Il y a ces hôtels complets, un peu partout de Tunis à Djerba, avec les touristes qui reviennent en masse. Il y a eu le pèlerinage de la Ghriba, un véritable succès avec des centaines de fidèles venus se recueillir et festoyer dans l’une des plus anciennes synagogues du monde arabe. Avec les sempiternelles polémiques stériles sur les relations entre la Tunisie, sa diaspora juive et les passeports qu’elle détient… Une dame évoque une urgence médicale, un séjour dans une clinique privée, avec des médecins et des équipements dignes de l’Europe, de la médecine du premier monde. Et puis, il y a ces hôpitaux publics qui faisaient autrefois la gloire de la Tunisie et qui luttent, se déglinguent, malgré le dévouement et la qualité des équipes. Un peu comme l’école et les universités. Il y a cette Tunisie fonctionnelle, dans son siècle, celle des gens aisés, qui semble surfer sans AFRIQUE MAGAZINE
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trop de problèmes sur la vague des incertitudes. Cette autre Tunisie, celle des classes moyennes et des gens modestes, fragilisés, qui voient l’inflation et la paralysie économique rogner les revenus et les salaires. Cette autre encore, celle du bled, ou des banlieues pauvres, ou des régions déshéritées, et qui semble comme prostrée. Cette Tunisie enfin qui vit de l’économie informelle, du cash et des dinars qui passent de main en main, une Tunisie pas franchement légale, mais qui sert probablement de matelas ou d’amortisseurs à toutes les autres. Il y a ces discussions passionnantes avec une jeunesse toujours mobilisée, ces acteurs de la société civile, ces artistes qui cherchent toujours plus d’espaces de liberté. Il y a ces sportifs émérites comme la tenniswoman Ons Jabeur (qui est entrée dans le top 5 mondial) ou le nageur Ahmed Hafnaoui (médaille d’or sur 400 mètres nage libre aux JO de Tokyo 2021). On inaugure une rue de La Goulette du nom de Claudia Cardinale, et la star italienne, 84 ans, était présente, là, dans la ville où elle est née, témoignage émouvant sur les origines multiples de la tunisianité. Il y a ces entrepreneurs qui cherchent à investir, malgré la crise, à ouvrir les marchés de l’avenir (santé, digital, services…). Et puis, il y a aussi ces chiffres désespérants, ceux de l’émigration, ces hommes, femmes et enfants, pauvres ou fortunés, qui s’échappent, pour aller vivre ailleurs. Il y a ces villes, ces campagnes, qui donnent une nette sensation de laisser-aller, cette impression que tout cela n’est pas très propre et que tout le monde s’en fiche, cet espace du bien commun qui paraît comme délaissé et abandonné. Comme si les Tunisiens se refermaient sur leur « sphère privée », sur leur vie, leur chez-soi, leur business, tout en délaissant une sphère « publique » jugée épuisante, dysfonctionnelle, sans espoir… En ce fin mai-début juin, tous les écrans sont occupés par le président de la République, Kaïs 3
Saïed. Près d’un an après avoir dissous le Parlement et pris de lui-même les pleins pouvoirs (c’était le 25 juillet 2021), le président accélère, fonce même… Il n’a pas froid aux yeux, il a un plan qu’il veut imposer, il le dit depuis des mois, voire des années. Kaïs Saïed veut transformer, refonder la Tunisie, balayer les structures héritées de l’avantrévolution et de l’après-révolution. Il veut faire naître une nouvelle république, aux contours plus ou moins définis, qui serait réellement révolutionnaire. Où le peuple et le président se partageraient la légitimité et la souveraineté, balayant au passage tous les corps intermédiaires, partis, institutions, justice… Il veut lutter contre la corruption, perçue comme systémique. Pour le huitième président de la République (après Habib Bourguiba, Zine el-Abidine Ben Ali, l’intérim de Mohamed Ghannouchi, Fouad Mebazaa, Moncef Marzouki, Béji Caïd Essebsi, et l’intérim de Mohamed Ennaceur), le système est clairement pourri, à l’agonie. Il faut tout refaire. Et on verra plus tard pour le business, l’économie, les investissements, secteurs de toute façon hautement suspects qu’il faudra réorienter vers le développement « vrai » du pays… Le président a exclu du dialogue national, annoncé début mai, les partis politiques. La puissante centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a refusé, elle, d’y participer, comme d’autres aussi. Il a modifié de lui-même la composition de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), qui avait pourtant assuré le déroulement relativement satisfaisant des consultations depuis 2011. Kaïs Saïed « trace » malgré les objections des partenaires historiques, États-Unis, France, Union européenne, ou les messages surprenants en forme de leçons de démocratie du voisin algérien… Il invoque la souveraineté nationale, il tance les membres de la Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles, les somme de quitter la Tunisie… Le président veut faire voter sa nouvelle constitution le 25 juillet prochain. Mais à la date où ces lignes sont écrites, tout début juin, personne ou presque n’a encore vu le projet de nouvelle loi fondamentale. Même le mode de scrutin semble mystérieux. Par ailleurs, dans la nuit du 1er au 2 juin, le président a révoqué 57 juges pour incompétence, corruption, voire complicité avec les terroristes… 57 juges qui vont passer du prétoire au banc des accusés. Kaïs Saïed aura été sous-estimé. Lors de sa campagne électorale de 2019, au début de sa présidence, sous-estimé aussi lors de sa prise du pouvoir du 25 juillet 2021. Sous-estimé depuis, dans sa marche méthodique, 4
envers et contre tous, vers une nouvelle architecture institutionnelle. L’ancien professeur de droit au discours emphatique est devenu un « politique » qui a conquis la Tunisie sans coup férir… Une bonne partie de l’appareil d’État, des institutions sécuritaires, des forces de l’ordre appliquent ses ordres, font tourner comme ils le peuvent la machine. Il y a une cheffe du gouvernement, Najla Bouden, et des ministres. Le président bénéficie de l’onction du suffrage populaire. Il a été élu. Son discours sur « la corruption » et « la probité » a touché les plus fragiles et les plus jeunes. Il est soutenu également par tous ceux, et ils sont nombreux, dont le premier objectif était de se débarrasser des islamistes, d’Ennahdha, de Rached Ghannouchi, de cette fameuse théorie du « consensus » qui a prévalu depuis la chute de Ben Ali. Il est soutenu, même passivement, par une partie de l’opinion, épuisée par les errements, l’immobilisme et les divisions de la dernière décennie, les blocages politiques, la pandémie de Covid-19… Kaïs Saïed n’est peut-être pas aussi populaire qu’en 2019, mais il n’est pas globalement impopulaire en ce début d’été 2022. AFRIQUE MAGAZINE
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CHOKRI/ZUMA/REA
Lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président tunisien Kaïs Saïed, le 23 octobre 2019.
Cela étant dit, la Tunisie, comme les autres pays, ne peut pas, ne peut plus être gouvernée par un seul homme. Le chef de l’État ne peut pas être également juge et législateur, définir les lois, les procédures et les juridictions. On ne peut pas effacer tous les acquis de la révolution, tout particulièrement en matière de démocratie. Le pays a besoin évidemment d’un pouvoir organisé, mais aussi d’institutions fédératrices pour fonctionner. Et de contre-pouvoirs pour éviter l’arbitraire. La Constitution est le reflet d’une volonté de vivre ensemble, le reflet d’un pacte national, d’une évolution longue. La Tunisie est en outre un pays fragile, modeste, endetté, qui a besoin d’alliances, de soutien, d’équilibres subtils dans sa relation au monde extérieur. Elle ne peut pas s’aliéner ses voisins, s’éloigner de l’Europe, des États-Unis, de ses marchés et de ses partenaires. Elle se doit d’être ouverte justement pour se financer, se restructurer, et donc protéger sa souveraineté. La réalité, c’est que sans économie, sans développement, sans croissance, sans marge de manœuvre financière, les « institutions » et les constitutions ne peuvent rien. La Tunisie est un pays avant tout de comAFRIQUE MAGAZINE
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merçants, d’agriculteurs, d’entrepreneurs. Toutes les tentatives d’économie « administrée » ou « centralisée », ou « collectiviste », ont échoué. La corruption existe, mais ce n’est pas pire (ni mieux) qu’ailleurs. Il faut d’abord de la croissance, des emplois, des opportunités, réformer, moderniser. Au fond, l’histoire de la révolution continue à s’écrire. Depuis 2011, la Tunisie est en transition, en mutation. Elle cherche à nouveau son équilibre dans un contexte particulièrement explosif, avec la guerre en Ukraine, ses conséquences, la crise qui menace [voir pp. 30-39], l’inflation, le coût des céréales et du pétrole, les risques d’éruptions sociales. Elle fait face, à nouveau, à un véritable choix de société, de modèle qui engage son avenir. Et ce choix ne peut être celui d’un seul homme. Ou d’un seul parti. De gauche, de droite, ou qui se réclame de Dieu. La Tunisie est un pays carrefour, complexe, aux identités et aux cultures multiples. C’est également un pays somme toute « gérable », idéalement placé au cœur de la Méditerranée, avec un acquis, des citoyens, créatifs, motivés. Le crash est possible. Mais le rebond aussi. ■ 5
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ÉDITO La Tunisie en transition permanente
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TEMPS FORTS 30
par Zyad Limam
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ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
Africa Fashion prend ses quartiers à Londres
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PARCOURS Walid Hajar Rachedi par Astrid Krivian
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C’EST COMMENT ? Mauvaise note par Emmanuelle Pontié
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CE QUE J’AI APPRIS Imed Alibi par Astrid Krivian
106 VINGT QUESTIONS À… Lucibela par Astrid Krivian
ÉDITO
La Tunisie en transition permanente
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LA CRISE QUI VIENT par Cédric Gouverneur
Akram Belkaïd : « La faim est une menace à moyen terme » Carlos Lopes : « S’organiser pour obtenir davantage » Données et perspectives sur une rupture multifactorielle
Anthony Guyon : Des hommes considérés comme des soldats nés par Cédric Gouverneur
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L’odyssée des rois de Napata
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Dak’art est une fête
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Ndèye Fatou Kane : « Ce monde est fait pour les hommes »
par Alexine Jelkic par Luisa Nannipieri
par Astrid Krivian
P.10 P.30
Biennale
DAK’ART EST UNE FÊTE !
par Zyad Limam
Soldats de la coloniale
Le destin héroïque et tragique des tirailleurs
LA CRISE QUI VIENT
Ukraine, énergie, inflation, sécurité alimentaire, dette… L’Afrique face à la tempête.
HISTOIRE L’odyssée des rois de Napata, pharaons noirs
Ndèye N Fatou Kane « Ce m monde est fait pour les p hommes » h
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Des combattants déjeunent dans leur tranchée, en 1915.
DÉCOUVERTE Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation
FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com
Le président Ismaïl Omar Guelleh.
Assisté de Laurence Limousin
llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com
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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA
DJIBOUTI 45 ANS!
Le pays fête le 21 juin 2022 l’anniversaire de son indépendance. Une date fortement symbolique. Retour vers un passé si proche, aux origines de la nation. Et voyage vers le futur et le projet de développement.
DOSSIER RÉALISÉ PAR THIBAUT CABRERA
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Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com
DÉCOUVERTE 47 Djibouti : 45 ans !
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par Thibaut Cabrera
48 Le chemin vers la liberté 53 La paix, seconde indépendance 56 D’hier à maintenant : Les 10 chiffres 60 Les enjeux de demain VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA (2) - MUSÉE JACQUEMARD ANDRÉ/INSTITUT DE FRANCE/STUDIO SÉBERT - DR
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Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Alexine Jelkic, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Oscar Pemba, Carine Renard, Sophie Rosemont.
VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
BUSINESS 90 Le gaz africain, nouvelle alternative 94 Rabia Ferroukhi : « La transition énergétique est une vaste opportunité » 96 Lacina Koné : « Nous devons davantage investir en nous-mêmes » 98 Gandoul et la connectivité Orange en Afrique 100 Le BTP turc à l’assaut du continent 101 Un étonnant modèle de coopération sud-sud
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EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00
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VIVRE MIEUX L’andropause, la ménopause au masculin Des crampes en marchant ? Des plantes contre l’arthrose Se blanchir les dents, mais pas n’importe comment par Annick Beaucousin et Julie Gilles
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Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : juin 2022.
P.78
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022.
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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
AFRICA FASHION prend ses quartiers à Londres
MODE
Une exposition événement au Victoria and Albert Museum pour célébrer une SCÈNE ÉCLECTIQUE ET COSMOPOLITE, toujours en ébullition.
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La pionnière nigériane Shade Thomas Fahm, à Lagos, fin des années 1960.
présentées pour la première fois dans un musée londonien. Elles seront montrées au cœur de la section « L’avant-garde », avec les silhouettes de la pionnière marocaine Naïma Bennis. Mais l’exposition met aussi en avant les créateurs contemporains. Comme le Camerounais Imane Ayissi, dont un ensemble associant soie scintillante et couches exubérantes
de raphia accueille les visiteurs, soufflant l’idée que les modes africaines sont indéfinissables et que chaque artiste choisit son propre chemin. Parmi la nouvelle génération, on retrouve le label marocain MaisonArtC avec des pièces réalisées pour l’occasion, les Sud-Africains Thebe Magugu et Sindiso Khumalo, la marque nigériane Iamisigo et la rwandaise minimaliste Moshions. Avec des sections dédiées à la Renaissance culturelle africaine et au rôle politique des garde-robes dans le contexte des indépendances, l’exposition rappelle que la mode se développe avant tout dans la société et la rue. Un concept que l’on retrouve chez la Sénégalaise Selly Raby Kane ou dans les bijoux de la Kenyane Ami Doshi Shah, qui soulignent le rapport entre mode, matière et nature. ■ Luisa Nannipieri « AFRICA FASHION », Victoria
and Albert Museum, Londres (Royaume-Uni), du 2 juillet 2022 au 16 avril 2023. vam.ac.uk
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MÊME AU ROYAUME-UNI, c’est une première. L’exposition « Africa Fashion », organisée par le Victoria and Albert Museum, à Londres, qui ouvrira en juillet prochain, s’annonce comme la plus importante exhibition dédiée à la mode africaine jamais réalisée outre-Manche. Les conservateurs ont sélectionné 45 créateurs de plus de 20 pays à travers le continent et ont créé un parcours avec plus de 250 objets emblématiques pour célébrer l’histoire et l’impact mondial de la mode africaine contemporaine. Croquis, reportages, photographies, films et séquences de défilés alternent avec vêtements et accessoires sortis tout droit des archives personnelles des stylistes les plus iconiques de la seconde moitié du XXe siècle. Les créations de la première fashion designeuse du Nigeria Shade Thomas-Fahm, du maître du bogolan Chris Seydou, de l’« enfant terrible » de la mode ghanéenne Kofi Ansah et du « magicien du désert » Alphadi seront
MAGANGA MWAGOGO
Collection automne-hiver 2020 de la marque kenyane Iamsigo.
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VIEUX FARKA TOURÉ
SOUNDS
À écouter maintenant !
❶ Emeli Sandé
AUX SOURCES MALIENNES Le fils d’Ali Farka Touré rend HOMMAGE À SES ORIGINES et à l’instrument transmis par son père : la guitare. Virtuose. IL SUFFIT DE FERMER LES YEUX et de monter le son sur « Ngala Kaourene ». C’est alors que tout le potentiel hypnotique de la musique de Vieux Farka Touré prend son sens. Le guitariste malien sait tirer le meilleur de son instrument comme de sa voix, fort d’un héritage paternel qu’il célèbre aujourd’hui avec le bien nommé Les Racines, qui cultive les sonorités songhaï rendues célèbres par Ali Farka Touré – dont il a su s’émanciper durant de longues années. Qu’est-ce qu’être malien ? Comment faire face aux difficultés socio-économiques d’un pays à la culture pourtant ancestrale ? C’est pendant le confinement qu’il a tenté de répondre à ces questions. « Racines », le morceau-titre instrumental, est aussi poétique que virtuose. On retrouve en invité sur l’album, enregistré à Bamako, Amadou Bagayoko, du duo Amadou & Mariam. ■ Sophie Rosemont
Let’s Say For Instance, Chrysalis/Pias
Avec plus de 6 millions d’albums écoulés à ce jour, et forte de dix ans de carrière, Emeli Sandé pourrait se reposer sur ses lauriers. Que nenni, son nouvel album Let’s Say For Instance, signé chez un label indépendant, explore les thématiques de la résilience et de l’invention de soi-même avec un sens de la pop et du groove bien trempé. Avec, toujours, son timbre épatant… Parfait pour amorcer l’été.
❷ Sly Johnson 55.4, BBE Music
Devenu célèbre grâce au Saïan Supa Crew, le chanteur et beatboxer Silvère « Sly » Johnson s’est très vite émancipé avec son projet solo, dès le début des années 2010. Son signe distinctif ? Un mix réussi de soul, de rap et de funk, avec ce qu’il faut d’émotion et d’énergie, toutes deux contagieuses. Ce qui se retrouve dans ce quatrième album écrit, incarné et produit par Sly lui-même. Bien joué !
❸ Thaïs Lona VIEUX FARKA TOURÉ, Les Racines,
World Circuit Records.
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Cube, Mister Ibé
La dernière fois que l’on avait parlé ici de cette jeune chanteuse au joli potentiel, elle sortait seulement quelques titres et n’avait pas encore eu l’occasion de s’illustrer sur scène. C’est chose faite. Après des prestations remarquées en première partie de Kimberose, IAM ou encore Ibrahim Maalouf – qui l’a signée sur son label Mister Ibé –, Thaïs Lona s’affirme avec un premier album de R’n’B bien senti. ■ S.R.
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KISS DIOUARA - DR (4)
RY T H M E S
ON EN PARLE
Impulsé par le très populaire comédien, Tirailleurs s’attaque à un chapitre de la colonisation française peu traité au cinéma.
PHÉNOMÈNE
OMAR SY SUR TOUS LES FRONTS
MARIE-CLEMENCE DAVID/LIGHT MOTIV - DR
Entre deux tournages pour Netflix et un blockbuster à Hollywood, le héros star de Lupin REVIENT À SES SOURCES SÉNÉGALAISES dans un rôle historique en langue peule… « ON N’A PAS LA MÊME MÉMOIRE, mais on a la même histoire. » C’est avec ces mots qu’Omar Sy a présenté au Festival de Cannes en avant-première un long-métrage sur les tirailleurs sénégalais. Trente-quatre ans après Ousmane Sembène (Camp de Thiaroye), c’est sous la bannière de la Gaumont que cette coproduction franco-sénégalaise impulsée par le très populaire comédien s’attaque à un chapitre de l’histoire coloniale française peu traité au cinéma [voir pp. 42-46]. L’essentiel de cette immersion dans la boucherie qu’a été la Première Guerre mondiale se passe à l’écran dans les tranchées de Verdun, mais plusieurs séquences ont été tournées au Sénégal en janvier dernier. L’acteur interprète avec sobriété un éleveur du FoutaToro qui, en 1917, essaye en vain d’empêcher son fils de 17 ans d’être enrôlé par les Français pour aller défendre « la maman patrie », comme le dit un recruteur. Il le suivra jusque là-bas. Amour filial, sens de l’histoire et complexités des rapports raciaux, soit autant de thèmes chers au comédien qui, pour ce rôle, s’exprime uniquement en peul. Réalisé et coécrit (avec AFRIQUE MAGAZINE
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Olivier Demangel, coscénariste d’Atlantique, de Mati Diop) par Mathieu Vadepied, Tirailleurs sera en salles à l’automne en France… et les dernières images pourraient faire polémique à quelques jours de la célébration de l’armistice du 11 novembre. Omar Sy acteur et producteur, ce n’est pas qu’au cinéma : le contrat qu’il a signé avec Netflix court toujours, sur la lancée de Lupin. La troisième saison de la série française au succès planétaire vient d’être tournée, et c’est directement sur la plate-forme qu’est sortie en mai Loin du périph – la suite, dix ans après, d’un autre gros succès, De l’autre côté du périph, toujours en duo avec Laurent Lafitte. Il renoue aussi avec ses rêves d’enfants à Hollywood : après avoir joué un petit rôle dans X-Men: Days of Future Past, pour Marvel, en 2014, et dans le premier Jurassic World, le revoici en éleveur de vélociraptors dans le troisième épisode de la saga dinosauresque (Jurassic World : Le Monde d’après). Avant d’atteindre enfin le haut de l’affiche d’une production américaine dans Shadow Force, avec Kerry Washington, annoncé pour 2023… ■ Jean-Marie Chazeau 13
ON EN PARLE
S H OW
La bande emmenée par Donald Glover (au centre) part en tournée en Europe…
LE REGARD NOIR
ATLANTA, saison 3 (États-Unis), de Donald Glover. Avec Brian Tyree Henry, Lakeith Stanfield, Zazie Beetz. Sur OCS.
Le racisme et les travers du POLITIQUEMENT CORRECT dynamités… avec subtilité par une série US toujours aussi surprenante dans sa saison 3. IL AURA FALLU ATTENDRE QUATRE ANS, pour cause de pandémie, avant qu’une troisième saison de la remarquable série de Donald Glover arrive sur les écrans. Avec un ton unique pour souligner le racisme qui sous-tend les sociétés occidentales, le comédien et producteur américain poursuit les aventures du héros qu’il interprète, Earn, manager de son cousin rappeur à Atlanta. Dans ces 10 nouveaux chapitres, il part en tournée en Europe avec Alfred (dit Paper boi), le colocataire de ce dernier, Darius, et son ex, Vanessa, et c’est parfois le choc des cultures : prison trois étoiles et cérémonie pour une euthanasie à Amsterdam, soirée londonienne chez un riche mécène qui va se terminer à la tronçonneuse… Mais occasionnellement, un
épisode abandonne le trio et se recentre sur les États-Unis : un employé de bureau se voit réclamer des millions de dollars par une descendante d’esclaves africains au titre des réparations pour l’esclavage pratiqué par ses ancêtres, le petit garçon d’un couple de bourgeois new-yorkais blanc assiste aux obsèques de sa nounou antillaise qui était plus maternelle que sa propre mère… Des situations au bord du malaise, un regard acéré des Noirs sur les Blancs, dans des petits bijoux de 30 minutes qui n’hésitent pas à bousculer les travers du politiquement correct, mais aussi les comportements de la communauté noire. À noter : dans la version française, Donald Glover est doublé par le comédien malien Diouc Koma. ■ J.-M.C.
B E AU L I V R E
QUAND ELLES NE SONT PAS TRANSFORMÉES EN BERGERIES ou éventrées, les salles du Maroc sont conservées dans leur splendeur d’antan. Le royaume abrite en effet une étonnante variété de ces palais dédiés au septième art, construits depuis 1913, et qui n’ont pas tous été détruits ou transformés en multiplexes comme en Europe. Témoins architecturaux mais aussi d’une époque où les Marocains se retrouvaient en masse dans les salles obscures, ces lieux racontent l’histoire d’un pays, comme le révèlent les splendides photos de François Beaurain. Ce beau livre, désormais disponible hors du royaume, nous FRANÇOIS BEAURAIN, Cinémas du Maroc : Lumière sur les salles permet d’en rencontrer les exploitants et les projectionnistes, gardiens de temples somptueux obscures du Maroc, La Croisée menacés de disparition. À voir également, le compte @cinemagrhib sur Instagram, où des chemins, 392 pages, 80 €. le photographe français, installé à Rabat, distille quelques-uns de ces trésors. ■ J.-M.C. 14
AFRIQUE MAGAZINE
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FX NETWORKS - DR (2)
Les derniers palais du cinéma
L I T T É R AT U R E
DJAÏLI AMADOU AMAL La force des mots
Un nouveau roman sur la condition des femmes au Sahel, par la militante que la presse camerounaise surnomme « LA VOIX DES SANS-VOIX ».
CÉLINE NIESZAWER/LEEXTRA/OPALE
FINALISTE DU GONCOURT, puis lauréate du prix Goncourt des lycéens 2020 pour son roman Les Impatientes, l’écrivaine camerounaise se sert de l’écriture comme d’un instrument de combat contre les violences faites aux femmes. À 47 ans, cette militante féministe n’a en effet de cesse de dénoncer les problèmes sociaux et religieux causés par les traditions dans son pays, notamment les discriminations quotidiennes. Après avoir traité de la condition des femmes de la haute société musulmane et peule, c’est maintenant les vicissitudes de la vie de leurs domestiques chrétiennes qu’elle révèle. Son nouveau roman met en scène la jeune Faydé, partie dans la ville la plus proche, au nord, pour y devenir servante d’une riche famille, et ainsi aider sa famille à vivre. Un macrocosme où deux mondes se côtoient, mais ne se mélangent jamais. Deux mondes en proie aux répercussions du changement climatique et des attaques de Boko Haram. Un texte coup de poing, renforcé par un vrai travail d’enquête et le propre parcours de l’autrice, qui a elle-même subi les affres de la polygamie et de la violence masculine. Et une histoire d’acceptation de l’autre, de tolérance et d’interculturalité, où les jeunes filles luttent pour survivre et se construire un avenir, malgré les viols, les mauvais traitements, le mépris de classe… « Dans toutes les larmes s’attarde un espoir », écrit Simone de Beauvoir, que Djaïli Amadou Amal cite en exergue. Si son précédent roman a entraîné une prise de conscience au Cameroun – le gouvernement a décidé de l’inscrire au programme des classes de terminale –, Cœur du Sahel confirme son exhortation à résister et à restituer aux femmes le droit à disposer de leur corps. Un sujet primordial pour l’écrivaine, dans son œuvre comme dans les activités qu’elle mène en tant qu’ambassadrice de l’Unicef ou au sein de son association Femmes du Sahel, laquelle œuvre pour l’éducation des filles. Plus que jamais, les mots puisent leur force dans l’action. ■ Catherine Faye DJAÏLI AMADOU AMAL, Cœur du Sahel,
Emmanuelle Collas, 364 pages, 19 €.
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ON EN PARLE
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MUSIQUE
JESHI, RAP IN UK
LE « UNIVERSAL CREDIT » est une prestation sociale versée par le gouvernement du Royaume-Uni pour venir en aide aux foyers aux (très) faibles revenus. C’est aussi le nom du premier album d’un rappeur de 27 ans, Londonien d’origine jamaïcaine, qui fait beaucoup parler de lui sur la scène britannique, et pas seulement. Le son est old school, sans être nostalgique, le propos militant, et l’interprète charismatique. Ses armes, il les a faites dans l’appartement partagé avec sa mère et ses sœurs, à l’aide du micro USB d’un jeu de karaoké sur Nintendo ! Depuis, ayant collaboré avec des artistes comme le Nigérian Obongjayar (sur les super efficaces « Violence » et « Protein ») ou la chanteuse soul britannique Celeste, il a construit un langage engagé mais groovy, auquel il est bien difficile de résister. ■ S.R. 16
JESHI, Universal Credit,
Because Music.
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À la fois authentique et longuement façonné, le premier emier album de cette NOUVELLE SENSATION fait mouche. À suivre de près.
Plat à vanner le riz.
R E P R É S E N TAT I O N
NOUVEAUX MONDES
Femmes capitaines du peuple Saramaca, au Suriname, Nicola Lo Calzo, 2014.
Aujourd’hui comme hier, de l’autre côté de l’Atlantique, l’ART MARRON rend hommage à la liberté. La guérisseuse Ma Atema, à Mana, en Guyane, Karl Joseph, 2019.
TELS DES ÎLOTS DE RÉSISTANCE, les créations artistiques des sociétés marronnes, qu’il s’agisse de sculptures, de gravures, de broderies ou de photographies, mettent en évidence la continuité historique et l’inventivité des témoins du temps de l’esclavage et de leurs descendants. Une culture originale, issue de la transmission et du prolongement de ces nouvelles sociétés, aux Amériques, aux Antilles ou dans les Mascareignes. Une fois libérés de leurs chaînes, les « marrons », nom donné aux esclaves ayant fui la propriété de leur maître, ont en effet su sauvegarder et transmettre leurs modes de vie africains, et même partiellement leurs langues d’origine. Plus encore, ils ont déployé une fibre créative d’une grande vitalité. Un art d’émancipation, mais aussi un art social qui célèbre les rencontres et l’altruisme. Des Guyanais Wani Amoedang et Franky Amete au peintre haïtien Hervé Télémaque, parrain de l’exposition, deux générations d’artistes peuvent enfin se présenter elles-mêmes et exprimer leur propre vision des arts marrons, notamment via le catalogue d’exposition (publié aux éditions Loco), préfacé par Christiane Taubira. ■ C.F.
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« MARRONAGE : L’ART DE BRISER SES CHAÎNES », Photographie de Jean Hurault, 1970.
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Maison de l’Amérique latine, Paris (France), jusqu’au 24 septembre. mal217.org 17
ON EN PARLE ROMAN
CHASSEUR D’HISTOIRES Figure majeure de la littérature tunisienne, Habib Selmi aborde ici les questions de l’immigration, de l’acculturation, des dissemblances.
PASSI PAS SI MÂLE !
Le PREMIER RÔLE sur grand écran du rappeur fondateur du collectif Bisso Na Bisso. MONIKA, quadragénaire célibataire, dirige une galerie d’art contemporain à Francfort, où elle rencontre par hasard Joseph, venu de Kinshasa, qui trafique des diamants avec les diasporas congolaises et angolaises. Une histoire d’amour naît, se heurtant à plusieurs obstacles qui révèlent surtout les caractères de l’un et de l’autre : les pressions de leurs entourages respectifs sont sous-jacentes et poussent à la méfiance, quand il ne s’agit pas d’intolérance ou de racisme. On est en Allemagne, pas d’effusions sentimentales, pas de dramatisation à outrance. Ce n’est pas non plus la description clinique d’une histoire d’amour compliquée, les personnages sont incarnés avec justesse par les deux comédiens principaux, dont Passi : à bientôt 50 ans, pour son premier rôle au cinéma, le rappeur de Ministère A.M.E.R. incarne un personnage sexy, à la fois déterminé et fragile, sans jamais élever la voix mais en quête de respect : « Mon père a été colonisé. Pas moi. » Et on s’immerge avec lui dans les cafés congolais de la capitale financière de l’Europe ! ■ J.-M.C. LE PRINCE (Allemagne), de Lisa Bierwirth. Avec Ursula Strauss, Passi Balende, Nsumbo Tango Samuel. En salles. 18
Actes Sud, 208 pages, 21,50 €. VOYAG E
PAR-DELÀ LES CIMES Un récit à la frontière de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, qui interroge les motifs des hommes à se confronter aux aléas de la montagne. « NYRAGONGO, Noël 1967. Tentez d’imaginer l’Origine de l’Eau. Imaginez une eau parfaite, une eau primitive qui mouillerait le monde pour la première fois. Cette eau originelle existe. Les volcanologues l’appellent “l’eau juvénile”. » Cet extrait des carnets d’expéditions d’un ancien compagnon de cordée de l’auteur préfigure le voyage d’un jeune couple d’alpinistes explorateurs, vingt ans plus tard. Un voyage initiatique, à l’assaut de l’ascension du mont Stanley, à plus de 5 000 mètres d’altitude, dans le massif du Ruwenzori, communément appelé « montagnes de la Lune ». C’est ici que naissent les sources du Nil Blanc. Entre les glaces tourmentées et les forêts de nuages, l’ascension se fait parfois éprouvante, malgré l’intensité de l’aventure. La quête et la détermination, plus que jamais moteurs. Le périple est relaté par le cinéaste, écrivain et alpiniste français Bernard Germain. Comme s’il en avait été. ■ C.F. BERNARD GERMAIN, La Montagne de la lune,
Paulsen, 272 pages, 15 €.
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CINÉMA
Une love story inattendue entre une galeriste allemande et un diamantaire congolais.
IL ÉCRIT TOUJOURS sur des sujets qui l’ont marqué. Des instantanés de la vie quotidienne, auxquels il parvient à donner une densité sensible, en explorant méticuleusement la singularité de l’humain. Des extraits de tous les jours, à la fois banals et uniques, comme en écho au va-et-vient du quotidien. S’il a longtemps enseigné la langue et la littérature arabes dans un lycée parisien, cet agrégé tunisien, auteur d’une dizaine de romans, ne peut écrire que dans sa langue maternelle, car son rapport à la langue arabe est viscéral. Une langue épurée, où la simplicité donne à voir différentes strates de la société tunisienne, en quête permanente. Dans ce roman plein d’humour, nommé pour le Prix international du roman arabe, il nous narre la rencontre inattendue à Paris entre Kamal, un sexagénaire bourgeois, et Zohra, que la plupart des habitants de l’immeuble appellent « la femme de ménage » ou « la Tunisienne ». Une histoire de hasard et de cœur. ■ C.F. HABIB SELMI, La Voisine du cinquième,
MOKTAR GANIA & GNAWA SOUL, Gnawa Soul, Universal.
CORDES
MOKTAR GANIA & GNAWA SOUL
ANASS DOU
Inspiration gnaouie
Le JOUEUR DE GUEMBRI natif d’Essaouira revient avec 11 nouvelles chansons enregistrées entre ciel et désert. AFRIQUE MAGAZINE
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FILS DU GRAND MAÂLEM Boubker et petit-fils de Ba Massoud, icône de la musique gnaouie marocaine, le chanteur et joueur de guembri Moktar Gania revient avec un nouvel album enregistré aux côtés de ses musiciens, réunis à Essaouira sous le nom de Gnawa Soul. Et c’est vrai qu’il y a beaucoup d’âme dans ces ritournelles aux cordes entrelacées, comme en témoignent « Rabi Laafou » ou « Moussoyo ». Il y a aussi du groove audacieux sur « Lala Mulati » ou « Al Walidine ». Le son est de plus parfait, ayant bénéficié d’un mixage à Austin par Chris Shaw, lequel a travaillé avec Bob Dylan, Public Enemy ou encore Weezer, ainsi que d’un master aux studios londoniens Metropolis, signé Tony Cousins (Adele, Fatoumata Diawara, George Michael, Seal…). Oui, c’est chic, mais sans occulter la sincérité du chant de Moktar Gania. ■ S.R. 19
ON EN PARLE An Impenetrable Shield, Khadim Haydar, 1965.
PEINTURE
EFFET MIROIR
La Glace au-dessus de la cheminée ?, Pablo Picasso, 1916-1917.
C’EST UN VA-ET-VIENT idéologique et créatif fascinant entre le maître espagnol et les artistes arabes que cette exposition interroge, au-delà de l’influence reconnaissable du cubisme et de l’abstraction. Un voyage au cœur de thèmes tels que l’émancipation, l’anticolonialisme et le pacifisme. Picasso n’a pourtant jamais visité le Moyen-Orient, mais il a indéniablement été influencé par l’art du monde entier, notamment du continent africain. Apollinaire, dès 1905, le décrit d’ailleurs comme « arabe rythmiquement », offrant la promesse d’un art universel sans hiérarchie géographique (Orient/Occident), temporelle (passé/présent) ou stylistique (art naïf/art savant). Cette attraction est présente chez nombre de pères de la modernité irakienne, libanaise, syrienne, algérienne ou égyptienne, comme Jewad Selim, Aref El Rayess, Idham Ismaïl, Mohammed Khadda ou encore Samir Rafi. Parmi les 32 artistes exposés, certains d’entre eux ont même croisé la route de Pablo Picasso. L’un des principaux points focaux de ce dialogue artistique est incontestablement sa peinture épique, Guernica (1937) : une fresque universelle refusant toutes les formes de violence contre les civils, qu’aucune idéologie ni aucun régime ne peuvent justifier. ■ C.F. « PICASSO ET LES AVANT-GARDES ARABES »,
Institut du monde arabe, Tourcoing (France), jusqu’au 10 juillet. ima-tourcoing.fr 20
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DR - M.D. - RACHEL PRAT
À travers quelque 70 œuvres, un dialogue quasi fraternel et une fascination mutuelle entre PICASSO et les artistes MODERNES ARABES.
DESIGN
RÉVÉLATIONS, OU L’AFRIQUE CRÉATIVE EN VEDETTE La biennale internationale des métiers d’art et de la création met à l’honneur LES SAVOIR-FAIRE du continent. POUR SON RETOUR au Grand Palais éphémère, du 9 au 12 juin, la biennale « Révélations » accueille artistes et artisans du continent. Ils dévoileront leurs créations sur des stands individuels et seront au centre du programme culturel Hors les murs, notamment avec l’exposition-vente « Exceptions d’Afrique », installée dans le concept store parisien Empreintes du 19 mai au 18 juin. Réalisée sous p p j le commissariat de Nelly Wandji, la sélection comprend Un masque de la communauté Mbunda, en Zambie.
L’œuvre textile M.O.M.S.002 de la Marocaine Ghizlane Sahli.
des œuvres uniques d’ébénistes, de forgerons, bronziers, céramistes, vanniers et damasquineurs, issus d’une dizaine de pays comme Madagascar, le Burkina Faso ou l’Afrique du Sud. Dans les allées du salon, la dinanderie marocaine, le tissage traditionnel sénégalais revisité ou les métiers d’arts togolais offriront aux visiteurs un tour d’horizon du continent et de ses talents. Au Banquet, l’exposition internationale construite autour de 10 espaces scénographiés, on retrouvera les étonnants travaux textiles de la Marocaine Ghizlane Sahli, les sculptures en bronze et bois du Nigérian Alimi Adewale, ou encore la sélection de Claire Chan et Paula Sachar-Phiri de la Gallery 37d. Celles-ci présenteront les majestueux masques réalisés par la communauté Mbunda, à la lisière de la Zambie et de l’Angola. ■ L.N. Une sculpture du Nigérian Alimi Adewale.
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« RÉVÉLATIONS », Grand Palais éphémère,
Paris (France), du 9 au 12 juin. revelations-grandpalais.com ndpalais.com
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CRÉATION LUDIQUE
Ci-contre, « Sans titre », série La Salle de classe, Hicham Benohoud, 1994-2002.
Une exploration de la thématique du JEU DANS L’ART. Et plus encore… SOUVENIRS D’ENFANCE, quête d’identité, vertige, extase… Avec plus de 80 œuvres de 64 artistes contemporains, la transgression et le divertissement deviennent dans cette exposition du Musée d’art contemporain africain Al Maaden (MACAAL), à Marrakech, les instruments de la représentation, notamment picturale. Et la création, une variation entre pratiques ludique et artistique. Psychanalytique aussi. La théorie du jeu, nous la devons à Donald W. Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique, qui définit le jeu comme une mise en scène des tensions psychiques et un moyen thérapeutique. Quelque chose qui, dans son observation, s’apparenterait à l’interprétation des rêves. C’est ce que font, à leur manière, loin des certitudes, Mariam Abouzid Souali, Joy Labinjo, GaHee Park ou encore Mohamed El Baz. Passeurs d’idées et de désirs, ces artistes interrogent eux aussi l’inconscient, individuel et collectif. En jouant avec les signes, les significations, les matières, les techniques et les technologies, ils proposent un autre regard, libre, parfois subversif. Un autre rapport à soi. Et au monde. Un monde décomplexé, onirique, souvent joyeux et frisant l’absurde. Peut-être plus authentique. ■ C.F. 22
Ci-dessous, « Berouita (Brouette) », série Rule Of Game, Mariam Abouzid Souali, 2017
« L’ART, UN JEU SÉRIEUX », Musée d’art contemporain africain Al Maaden, Marrakech (Maroc), jusqu’au 17 juillet. macaal.org AFRIQUE MAGAZINE
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ON EN PARLE
SOUL
IRMA
ENTRE DOUALA ET PARIS
JUNE MACHIA
Son nouvel EP fait le PONT ENTRE DEUX CONTINENTS et de multiples genres musicaux. Frais et chic à la fois. CHANSON, FOLK, afro-pop, et ce léger swing qui n’appartient qu’à elle : entourée de musiciens de Bangangté, Douala, Londres et Paris, la chanteuse camerounaise s’essaye au registre francophone. Et c’est réussi. Découverte au tout début des années 2000 avec le single « I Know », Irma est née de scientifiques mélomanes qui l’ont bercée au son d’Ella Fitzgerald ou de Fela Kuti. À l’adolescence, elle part faire de brillantes études à Paris, mais la musique l’appelle et, très vite, elle apprend à mixer et produire ses propres morceaux. Aujourd’hui, après trois albums dans la langue de Shakespeare, s’ouvre un nouveau chapitre : « Une étape qui me rapproche encore plus de moi-même, confie-t-elle, même AFRIQUE MAGAZINE
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était une source de conflit intérieur et de quête d’identité, est au fil des années devenue ma plus grande force. De là est née l’envie de parler de cette réconciliation culturelle si cette quête ne sera et identitaire. » Ce qui s’entend jamais véritablement IRMA, Douala Paris, au fil de Douala Paris, au travers terminée ! » En effet, Irma Pany, sous licence de morceaux contrastés les huit chansons exclusive Saraswati/ comme « Va-t’en », « Mes failles » de cet EP sont nées Sony Music. ou encore « Danse ». Irma pendant le premier s’y dévoile plus que jamais auparavant, confinement, et, comme son nom sur ses amours ou ses doutes l’indique, entre Douala et Paris. existentiels, tout en renouant des liens « C’est un moment où tout s’est arrêté forts avec sa ville natale : « Je suis fière d’un coup, et il a été pour moi l’occasion de montrer que le Cameroun regorge de d’une introspection à travers mes talents et d’un savoir-faire incroyables, différentes identités, mes différentes qui résonnent dans le monde entier. Et cultures, se souvient la chanteuse. puis, tout simplement, j’étais heureuse Comme chez beaucoup de gens, il de tourner pour la première fois chez a éveillé la nécessité d’un retour aux moi, là où j’ai grandi. Et de montrer la racines. Je suis une Africaine d’Occident beauté, la richesse des paysages comme ou une Occidentale d’Afrique. Cette de la culture camerounaise. » ■ S.R. dualité qui, lorsque j’étais plus jeune,
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ENTRE INNOVATION ET TRADITION Des fusions made in Lagos à l’héritage marocain mis à l’honneur à Marrakech, L’EXCELLENCE se décline de mille façons.
Le bar du Nok by Alara, à Lagos, a été décoré par le plasticien Victor Ehikhamenor.
La Maison arabe est un riad à Marrakech, qui propose une expérience gastronomique raffinée.
● OUVERT PAR L’ENTREPRENEUSE Reni Folawiyo, déjà
● Si à Lagos on innove, à Marrakech on fait de la tradition
derrière le concept store Alara, le restaurant panafricain Nok by Alara est l’une des tables les plus connues de Lagos. On y vient pour dîner dans un cadre intimiste, un œil sur les œuvres d’art et de design venues de tout le continent. Ou pour se relaxer dans l’élégant jardin entouré de bambous et prendre un cocktail maison au bar décoré par l’artiste nigérian Victor Ehikhamenor. Mais surtout pour y déguster les classiques de la cuisine africaine revisités par les chefs : du misir wat de lentilles rouges éthiopien au dibi d’agneau sénégalais, en passant par le délicieux braai sud-africain ou le poulet suya, il y en a pour tous les goûts. On y trouve aussi l’un des meilleurs riz jollof de la ville, servi avec du bœuf dambu-nama, une spécialité du nord du pays.
une force. Chez La Maison arabe, un riad de luxe au cœur de la médina, on célèbre la finesse de la cuisine marocaine depuis 1946. Ouvert seulement le soir, Le Restaurant offre une expérience gastronomique raffinée en proposant en entrées des salades, des pastillas variées ou des briouates, mais aussi des plats, comme des couscous, des tajines et d’autres recettes classiques exécutées à la perfection, tels l’épaule d’agneau aux dattes ou le poulet au citron confit et au safran de Taliouine. Certains de ces plats sont à retrouver également dans l’autre restaurant de la maison, Les Trois Saveurs, ouvert, lui, à midi et doté d’une terrasse avec vue imprenable sur la piscine et les jardins. ■ L.N.
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nokbyalara.com / cenizaro.com
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SPOTS
ON EN PARLE
ARCHI
Sèmè One, un smart building à Cotonou
Une intervention ingénieuse du CABINET COBLOC a transformé un vieux bâtiment délabré en un campus innovant et écoresponsable.
MAYEUL AKPOVI
LE PREMIER CAMPUS de Sèmè City, espace dédié à l’innovation et au savoir, a pris ses quartiers fin 2020 dans un bâtiment multifonctionnel baptisé « Sèmè One ». Le projet a été magistralement réalisé par le cabinet franco-béninois Cobloc, dirigé par Ola Olayimika Faladé et Clarisse Krause, qui a rénové la structure délabrée préexistante avec une série d’interventions simples et efficaces. Le corps principal, un bloc de plus de 100 mètres de long, est plein et massif. Les murs ont été doublés pour réduire les écarts thermiques et garantir un climat stable, jour et nuit. Sur les trois côtés les plus exposés au soleil, ce système a permis de créer des fenêtres en retrait, naturellement ombragées. Avec une série de lamelles colorées, elles participent à un jeu de volumes qui anime la longue façade en terre rouge, cassant son horizontalité. Côté nord en revanche, de larges encadrements captent et diffusent le maximum de lumière à l’intérieur du campus. Ici, c’est par la couleur que se dessinent les différents espaces, et les murs cachent un système d’assistance smart building à l’avant-garde : le bâtiment est équipé pour transmettre et stocker des données sur son état et son utilisation. Une innovation qui permet au gestionnaire de la structure d’adapter l’éclairage, la climatisation, le réseau informatique ainsi que d’autres paramètres en fonction des besoins réels des usagers. ■ L.N. cobloc.archi AFRIQUE MAGAZINE
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PARCOURS
Walid Hajar Rachedi L’ÉCRIVAIN D’ORIGINE ALGÉRIENNE SIGNE
un premier roman sensible, en lice pour le prix Orange du livre. De Kaboul à Tanger, de Londres à Oran, il y fait le récit initiatique d’un jeune héros travaillé par des questions métaphysiques. par Astrid Krivian
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e voyage, c’est aller de soi à soi en passant par les autres. » Ce proverbe touareg résume bien le cheminement du héros de Qu’est-ce que j’irais faire au paradis ? Français d’origine algérienne, Malek, la vingtaine au début des années 2000, souffre d’être assigné à une identité « arabe, musulmane » associée à l’obscurantisme, au déclassement. « Les attentats du 11 septembre ont bouleversé les représentations et débats dans la société française. Auparavant appelés “Arabes”, “immigrés”, les Français d’origine maghrébine sont devenus des “musulmans”. Et certains pratiquants étaient soupçonnés de radicalité », regrette Walid Hajar Rachedi. Après sa rencontre marquante avec un jeune exilé afghan, Malek se lance sur les routes du monde arabe, en vue de se libérer des carcans, de trouver du sens. Un voyage initiatique, une quête spirituelle, existentielle, pour découvrir les richesses culturelles de l’Andalousie au Caire, en passant par Tanger, Oran… Se confrontant aux autres, au réel, il crève l’écran de fantasmes posé entre lui et le monde. Avec pour boussole, sa foi en l’islam. « Mon roman est un thriller métaphysique. Souvent, les personnages issus de l’immigration sont sauvés par les lettres et la République. Le mien trouve sa force et sa transcendance autrement, incarnant une figure positive. » Malek tombe amoureux de Kathleen, jeune Londonienne dont le père, humanitaire en Afghanistan, a disparu. Dans ce portrait tout en nuances d’une génération Y mondialisée, l’auteur tisse avec finesse la toile de son intrigue haletante et entrelace les destins, entre Londres, Kaboul, Paris… Avec une puissance d’évocation, il trempe sa plume dans les drames contemporains comme dans les blessures intimes, les rêves et désillusions de ses héros. S’ils sont hantés par des questions semblables – amour, identité… –, les événements géopolitiques les affectent et les forgent différemment. Poursuivre les horizons, c’est aussi le moteur de cet écrivain. Né en 1981 à Créteil, enfant rêveur et solitaire, il s’évade à travers les livres. Il attrape le virus de l’écriture Qu’est-ce que j’irais faire au paradis ?, grâce à Sourires de loup, de Zadie Smith, et aux rappeurs des années 1990, maîtres Emmanuelle Collas, du storytelling. Diplômé d’informatique puis d’une école de commerce, il est le 304 pages, 18 €. cofondateur du média en ligne Frictions. Ses expériences professionnelles (consultant digital, journaliste, enseignant…) lui font poser ses valises au Mexique, aux États-Unis, au Brésil pendant six ans. Globe-trotteur infatigable, la soif de liberté et la curiosité en bandoulière, ce polyglotte, désormais établi à Lisbonne, a traversé l’Amérique latine du Brésil à Cuba, en se demandant : l’identité latino-américaine existe-t-elle ? Le voyage l’« autorise à être ébloui », défie ses valeurs, ses perceptions sur les sociétés. Et le libère de cette double conscience, avancée par le sociologue américain W.E.B. Du Bois, ce poids des représentations raciales, ce regard de l’autre qui enferme, et que le sujet intériorise. « Pour forcer un peu le trait, à l’étranger, je suis en mode béret-baguette ! J’ai réalisé à quel point j’étais français – mes goûts culturels, la conscience sociale pour l’égalité, l’esprit critique, l’intérêt pour l’actualité, la curiosité… L’identité française existe, mais elle mérite un débat apaisé. » ■
ANNIE GOZARD
«L’identité française existe, mais elle mérite un débat apaisé.»
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ENQUÊTE
VOYAGE DANS L’EXTRÊME DROITE Avec les interviews de Fatou Diome et d’Ugo Palheta CHANGEMENT CLIMATIQUE POUR L’AFRIQUE, IL EST ENCORE TEMPS SÉNÉGAL LA DÉMOCRATIE ZOOM LIBERTÉS CARICATURISTES, USEZ DE VOS CRAYONS ! DOCUMENT MOBUTU, LE MACHIAVEL DU GRAND FLEUVE
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PAR EMMANUELLE PONTIÉ
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MAUVAISE NOTE Le 16 juin sera célébrée la journée internationale de l’enfant africain, instaurée depuis 1991. Triste commémoration annuelle des jeunes tués lors du soulèvement estudiantin de 1976 à Soweto, en Afrique du Sud. À cette occasion, de nombreux bilans et études sont publiés, rappelant la situation précaire de l’enfance face notamment à l’éducation, première étape de la formation pour un accès à un travail et une intégration optimale dans le monde de demain. Les chiffres de l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) brocardent sempiternellement l’Afrique subsaharienne. Parmi toutes les régions du monde, c’est en effet ici que l’on relève le plus fort taux d’exclusion de l’éducation : plus d’un cinquième des enfants âgés de 6 à 11 ans n’est pas scolarisé, suivi par un tiers des 12-14 ans et près de deux tiers des 15-17 ans. Bien sûr, chez les filles, les indicateurs s’aggravent. Pour des raisons bien connues de pauvreté qui pousse les familles à « investir » sur l’éducation d’un seul garçon ou à rechigner à envoyer leur fille loin du foyer, ou pour des raisons culturelles ou d’attachement au mariage précoce, qui les entraînent à ne pas voir l’intérêt de l’envoyer à l’école. D’autres soucis viennent compliquer encore l’accès à la scolarité, comme la pénurie de professeurs formés, la précarité des classes, sans eau courante ni électricité, parfois sans bancs, aux effectifs pléthoriques d’élèves… Et bien entendu, les zones de conflits génèrent année blanche sur année blanche. Alors certes, les politiques d’éducation s’améliorent, on construit des classes, on forme des profs, on lance des campagnes de sensibilisation à l’intention des parents retors, etc. Et les mentalités évoluent. Surtout en ville. Pourtant, la démographie galopante de ces régions, qui affichent un taux de natalité très élevé, inquiète les spécialistes. Comment absorber demain et après- demain le nombre exponentiel d’enfants et de jeunes en demande d’éducation avec un système déjà totalement dépassé ? Et les projections du dernier Rapport mondial de suivi sur l’éducation de l’UNESCO ne sont pas très optimistes. Il en ressort, entre autres, que la proportion d’enseignants formés en Afrique subsaharienne est en baisse depuis 2000. On prévoit aussi qu’en 2030, 20 % des jeunes et 30 % des adultes ne sauront toujours pas lire… De quoi interroger les pouvoirs publics, qui doivent urgemment revoir leur copie. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LA CRISE QUI VIENT
Conséquences de la guerre en Ukraine, contrecoups de la pandémie de Covid-19, dette, impacts du changement climatique… les menaces s’accumulent. Explications et ébauches de solutions. par Cédric Gouverneur 30
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Afrique du Fonds monétaire international (FMI), sur le blog de l’institution, « alors même que la croissance redémarrait et que les dirigeants commençaient à répondre aux conséquences socio-économiques du Covid. Les impacts de la guerre auront de profondes conséquences, érodant le niveau de vie et aggravant les indices macroéconomiques. Nous nous attendons désormais à une croissance de 3,8 % » en Afrique pour 2022, contre 4,5 % pronostiqués avant l’invasion russe. « Trop peu pour rattraper le terrain perdu pendant la pandémie », s’alarme l’économiste. Le renchérissement des prix alimentaires fragilise encore davantage des populations appauvries par les confinements successifs : « En mars, les prix alimentaires au Nigeria étaient déjà 48 % plus élevés qu’à la fin de 2019 », juste avant l’irruption du Covid-19, relève l’institut Oxford Economics dans une étude publiée en mai. Parallèlement, le taux de chômage dans AFRIQUE MAGAZINE
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TOM SAATER/THE NEW YORK TIMES
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e secrétaire général des Nations unies ne cache pas son inquiétude : « La guerre en Ukraine est en train de nourrir une crise tridimensionnelle – alimentaire, énergétique et financière – avec des impacts dévastateurs sur les pays, les économies et les populations les plus vulnérables du globe », alerte António Guterres dans la préface d’un rapport de l’ONU sur les crises alimentaires, rendu public en mai. Le changement climatique, les séquelles de la pandémie de Covid-19 et les combats qui mettent aux prises deux des principaux greniers à blé de la planète s’agglutinent pour former « une triple combinaison toxique », analyse les Nations unies. Le conflit en Ukraine, « cet ultime revers, n’aurait pu survenir à un pire moment », résume l’Éthiopien Abebe Aemro Sélassié, directeur du département
Un marché de Douala, au Cameroun, le 10 mai dernier. L’inflation se fait fortement ressentir.
MIKHAIL KLIMENTYEV/KREMLIN POOL/SPUTNIK
Macky Sall avec Vladimir Poutine à Sotchi, le 3 juin 2022. Le président du Sénégal, et président en exercice de l’Union africaine, a souligné la situation extrêmement difficile du continent, victime du conflit en Ukraine, en particulier sur le plan de la sécurité alimentaire.
le pays le plus peuplé du continent a grimpé « de 23,4 % en 2019 à 32 % en 2021 ». Idem en Afrique du Sud, où une inflation de 14,2 % en mars 2022 par rapport à 2019 se greffe à un chômage qui est passé de 28,7 % à 34,3 % durant la même période. Oxford Economics rappelle que les ménages du continent consacrent entre un quart et plus de la moitié de leur budget à l’alimentation (contre 15 % dans les pays riches). Le FMI estime que l’inflation en Afrique subsaharienne dépassera les 12 % cette année, et jusqu’à 34,5 % en Éthiopie, plombée par la guerre civile et une sécheresse empirée par le réchauffement climatique. Dans la Corne de l’Afrique, les 20 millions de personnes victimes de la sécheresse se trouvent dorénavant, à cause d’un conflit en Europe, en danger de mort. Directeur du Programme alimentaire mondial (PAM), David Beasley évoque une situation « au-delà de tout ce que l’on a vu depuis la Seconde Guerre mondiale » : la moitié des grains utilisés pour nourrir AFRIQUE MAGAZINE
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Les ménages du continent consacrent entre un quart et plus de la moitié de leur budget à l’alimentation. 33
URGENCES
DES ÉTATS DÉJÀ ÉTRANGLÉS PAR LES EMPRUNTS
Les sanctions occidentales contre la Russie renchérissent également les prix de l’énergie. « Les pays africains importateurs de pétrole vont voir leur facture grimper de 19 milliards de dollars », estime Abebe Aemro Sélassié sur le blog du FMI, ce qui va « plomber la balance des paiements et augmenter les coûts de transport ». Et, pendant ce temps, en Chine, l’impitoyable politique de confinement « zéro Covid » paralyse l’économie. Aux États-Unis, les décisions prises afin de juguler l’inflation qui frappe les ménages pourraient nuire aux investissements en Afrique : la hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale, la Fed, risque d’inciter les investisseurs à délaisser les pays à moyen et bas revenus, plus risqués, pour se focaliser sur ceux industrialisés, plus sûrs, alertait le New York Times le 17 mai. En faisant grimper le dollar et en affaiblissant les monnaies nationales, les décisions de la Fed vont aussi renchérir le poids de la dette. Or, l’initiative de suspension du service de la dette, octroyée par les créanciers internationaux pendant la pandémie, a expiré en décembre. Début avril, le FMI et la Banque mondiale ont donc appelé à une « action décisive » concernant l’endettement, rappelant que 23 États du continent étaient déjà étranglés par les emprunts (contractés ces dix dernières années, souvent auprès de la Chine, afin notamment de financer des mégaprojets d’infrastructures). « Le G20 devrait mieux définir son processus de restructuration de la dette, préconise Abebe Aemro Sélassié. Le règlement du service de la dette devrait être suspendu jusqu’à ce qu’un accord soit conclu. » La situation politique et sociale pourrait devenir explosive dans de nombreux pays : Égypte, Tunisie, Maroc, Ghana, Afrique du Sud… « Ce sont les mêmes conditions qui avaient conduit aux Printemps arabes », remarque David McNair. Il y a dix ans, « la hausse du coût de la vie avait aggravé le mécontentement et catalysé une large révolte sociale ». ■ 34
AKRAM BELKAÏD « La faim est une menace à moyen terme » Pour le journaliste et essayiste algérien, le système financier international est devenu « insoutenable », suscitant même des remises en question au forum de Davos, jadis véritable citadelle de l’orthodoxie néolibérale. AM : Un danger multiforme menace l’Afrique : impacts de la pandémie de Covid, du conflit en Ukraine, du réchauffement climatique, de la dette… Une telle conjoncture s’est-elle déjà produite depuis les indépendances ? Akram Belkaïd : C’est effectivement inédit en matière
de gravité et d’étendue. On peut faire le parallèle avec le début des années 1980, lorsque la crise de la dette a poussé nombre de pays africains à faire appel au FMI. Mais dans le cas présent, la conjonction de plusieurs facteurs est impressionnante. Cela mériterait une réponse de grande ampleur. Cependant, l’Union africaine semble totalement dépassée, encore une fois. La croissance macroéconomique africaine a été boostée par l’envolée du cours des matières premières, mais le développement humain n’a pas suivi… Ce contexte, débuté avec l’épidémie de Covid il y a deux ans, peut-il constituer l’occasion de repenser les rapports économiques ?
En théorie, oui. Mais rien ne montre que l’on va dans cette direction. Pire encore, le relèvement des taux d’intérêt dans les pays riches, afin de lutter contre l’inflation, va alourdir le fardeau de la dette, notamment africaine. Cela promet des jours difficiles pour les pays dont la AFRIQUE MAGAZINE
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PATRICK GELY
les 125 millions de personnes dépendantes du PAM venait d’Ukraine. Ses propos devant le Conseil de sécurité des Nations unies glacent le sang : « La dernière chose que nous voulons faire est de priver de nourriture des enfants affamés pour nourrir des enfants mourant de faim ! » 20 millions de tonnes de blé et de maïs ukrainiens sont bloquées dans les ports de la mer Noire, souligne dans un communiqué David McNair, directeur de l’association humanitaire ONE (cofondée par Bono, le chanteur de U2). L’Unicef prévient que, en raison du renchérissement des noisettes et de l’huile de tournesol, le coût de la pâte nutritive thérapeutique prête à l’emploi (utilisée pour sauver les enfants souffrant de malnutrition sévère) a grimpé de 16 %. Et la situation ne va pas s’améliorer à court terme : le conflit s’enlise, et Russes et Ukrainiens ne font même plus semblant de parlementer. Soucieux pour leurs propres populations, d’autres États exportateurs de nourriture se replient sur eux-mêmes : l’Inde a interdit en mai l’exportation de blé, comme l’avait fait l’Indonésie en avril avec l’huile de palme.
balance des paiements est déficitaire. Pourtant, des pistes existent. Par exemple, le Forum économique mondial, à Davos – qui est tout sauf un repère de gauchistes –, a réfléchi cette année à l’économie « solidaire et sociale ». Des pays tentent de promouvoir cette approche, qui se veut indépendante des exigences de rentabilité, mais il faut pour cela une volonté économique globale. Le vrai problème est le caractère insoutenable du capitalisme financier tel qu’il existe aujourd’hui. Cependant, une fois la chose dite, quelles politiques, quelles doctrines peuvent émerger ? Ces dernières années, la construction d’infrastructures sur le continent s’est faite au prix d’un endettement massif, en particulier envers la Chine. Comment sortir du piège éternel de la dette ?
C’est une question sans réponse satisfaisante. Les pays ont des besoins, il faut qu’ils se développent, qu’ils aient des infrastructures. Comment faire quand les moyens sont faibles ? La dette est une calamité, parce qu’elle entrave un pays sur plusieurs générations. De manière régulière, on appelle à son annulation pour les pays les moins avancés, mais lorsque cela arrive, une décennie suffit pour que le processus soit de nouveau relancé. L’utopie serait des financements gratuits, au nom de la solidarité internationale, mais il ne faut pas rêver… Les banques et les financiers ne l’accepteront jamais. Lutter contre la corruption permettrait déjà d’atténuer le fardeau de la dette, mais ce qui est certain, c’est que cette question est liée à celle du modèle de développement économique. Répéter à l’envi que « le marché réglera tout », comme le font certains économistes africains, est criminel. Cela pousse le continent vers moins de solidarité et – surtout – vers moins d’autonomie.
ARND WIEGMANN/REUTERS
En parlant d’autonomie, avec une dépendance excessive à quelques greniers à blé, des pénuries aggravées par la spéculation et de fortes sécheresses, faut-il s’attendre à un retour durable de la faim ?
La question est bien plus structurelle qu’on ne le croit. La faim est une menace à moyen terme. Quel sera l’état des terres agricoles pour une planète de 10 milliards d’habitants ? À court terme, pour nombre de pays africains, c’est la question du modèle alimentaire qui se pose. Pourquoi importer – au prix fort – des céréales d’Europe, d’Australie ou encore d’Argentine, alors que l’on dispose de modes de culture traditionnels et qu’il est souhaitable de généraliser une agriculture moins AFRIQUE MAGAZINE
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intensive ? Actuellement, on assiste à la mise en coupes réglées des terres du continent, même par des ONG occidentales, qui plaident pour une agriculture intensive, à l’image de ce qu’a fait l’Inde dans les années 1950 et 1960. Or, l’Afrique est aussi un berceau de l’agriculture, qui a ses traditions, ses propres cultures : c’est le moment de réhabiliter cela, en explorant d’autres voies que l’approche intensive, qui pollue et épuise les sols. Le conflit en Ukraine signe le retour de la guerre froide. Chaque pays du continent va-t-il devoir choisir un « camp » ? Ou jouer sur les rivalités ?
La tentation serait de miser sur un camp contre l’autre. Or, l’Afrique a besoin du multilatéralisme, seul atout dont disposent les pays les moins puissants. Se jeter dans les bras des Russes, après avoir longtemps tiré des bénéfices de la Françafrique, est une erreur. De nombreux pays jouent la prudence, et ils ont raison. Ce conflit doit leur parler, car il remet en cause le caractère indéniable de
Au Forum économique et mondial, le 26 mai, à Davos, en Suisse. On y a réfléchi pour la première fois au thème de l’économie « solidaire et sociale ».
la frontière. Aussi est-il important de défendre la légalité internationale, même si cette dernière est régulièrement foulée aux pieds par ceux qui, aujourd’hui, la revendiquent. Ce n’est pas parce que les Américains ont envahi l’Irak en 2003 sans respecter le droit international qu’il faudrait accepter que la Russie en fasse autant aujourd’hui en Ukraine. Mais il est tout aussi important pour les pays africains de montrer leur indépendance et de ne plus accepter que les Occidentaux – la France en tête – les considèrent juste comme des réserves dociles de voix à l’ONU. ■ 35
URGENCES
CARLOS LOPES « S’organiser pour obtenir davantage »
L’économiste bissau-guinéen, professeur à l’université du Cap et ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), nous livre ses réflexions sur la situation actuelle. AM : La guerre en Ukraine venant s’ajouter aux retombées de la pandémie, l’Afrique se trouve confrontée à une crise brutale. Quelles mesures prendre en urgence ? Carlos Lopes : Lorsque l’on soulève la question d’aider
l’Afrique, on est tout d’un coup moins crédible aux yeux de la communauté internationale : les réponses face à la pandémie et aux atteintes climatiques se sont avérées totalement inadéquates, vu l’urgence. Ainsi, le nombre de pays qui ont pu bénéficier de l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) s’est révélé en définitive ridiculement bas, du fait notamment de la complexité du dispositif et des menaces de mesures de rétorsion de la part des agences de notation. Le conflit en Ukraine et ses répercussions sur l’inflation, la logistique et les approvisionnements alimentaires entraînent les mêmes comportements égoïstes que lors de la pandémie : les pays qui disposent de moyens économiques suffisants se préparent à affronter des conséquences désastreuses. Les autres font la queue pour les quelques miettes qui leur seront laissées. C’est, semble-t-il, ce qui va se passer pour l’achalandage alimentaire – dont l’Afrique est hautement dépendante –, comme pour l’inflation, qui va durement toucher les États importateurs de pétrole, avec toutes les retombées prévisibles.
Des budgets promis à l’Afrique vont être redirigés afin de subvenir aux besoins de l’Ukraine.
On atteint là les limites du saupoudrage : une semaine avant l’invasion russe en Ukraine, en février, s’était déroulé le sommet Union africaine-Union européenne, où 150 milliards d’euros avaient été promis à l’Afrique. Mais ces budgets vont être redirigés afin de subvenir aux besoins de l’Ukraine [Kiev évalue déjà le total des dommages subis à 500 milliards de dollars, ndlr]. Nous assistons au même phénomène qu’avec les vaccins lors de la pandémie : un décalage entre les promesses et 36
La dépendance de nombreux pays du continent au blé ukrainien et russe montre les limites du système : comment accroître leur production agricole ?
Le problème principal de l’agriculture africaine est son rendement. Elle pâtit d’un déficit d’irrigation, mais aussi d’une déperdition. On estime que, chaque année, environ 30 % de la production agricole est perdue, du fait de problèmes de stockage, de transport et de commercialisation. Il faut investir beaucoup plus, notamment dans les infrastructures, afin de mettre en valeur ce qui est déjà produit et de réduire au maximum cette déperdition. Sur le globe, 60 % des terres arables non utilisées sont situées sur le continent. Au Sahel, le problème de l’accès à l’eau crée de nombreux conflits, résultats de la difficile intégration du pastoralisme dans la production moderne. En comparaison, d’importants investissements ont été réalisés dans les industries extractives, dans la continuité du modèle colonial, et sans véritablement se soucier de la qualité de vie des populations. Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, considère que les agences de notation surestiment
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VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE
Comment la communauté internationale peut-elle aider le continent à traverser cette période ?
la réalité. Il faudrait profiter de cette crise pour repenser le système financier international, comme l’envisage la secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen, qui plaide pour un nouveau Bretton Woods [accords qui, en 1944, ont abouti à la création du FMI et de la Banque mondiale, ndlr]. Ce serait bienvenu si une telle démarche mettait fin à la distorsion et à l’asymétrie actuelles. Le constat général est que ce système ne fonctionne plus. Le continent demeure un acteur marginal sur la scène internationale : les États africains doivent s’organiser afin d’obtenir davantage, un allègement de la dette afin de pouvoir financer les budgets sociaux, et une amélioration de leur accès au capital par la mise en place de mécanismes multilatéraux.
le risque d’investir sur le continent, et appelle à la création d’une agence africaine.
Certaines existent déjà, mais elles sont rachetées par des concurrentes américaines [Moody’s a racheté début février la majorité des parts de l’agence panafricaine Global Credit Rating, ndlr]. Ce domaine d’activité est soumis aux règles du marché et le restera tant qu’il n’y aura pas de décision politique. Il faudrait modérer le comportement de ces cabinets de notation, marqué par le cynisme et la subjectivité. Comment s’extraire enfin du piège de la dette ?
Tant que l’on ne régulera pas l’accès au capital des économies africaines, le problème sera récurrent. La taille de ces dernières a doublé durant les vingt dernières années en raison de la croissance démographique : ce qui est désormais disponible ne répond plus aux besoins. Le continent n’a pas le même accès au capital et endure les taux d’intérêt le plus élevés au monde. C’est une injustice systémique qui se révèle lorsque se produit un choc externe, comme la pandémie, la guerre en Ukraine ou, de manière plus diffuse, le réchauffement climatique. À noter que les pays industriels ont une dette carbone conséquente vis-à-vis du continent, qui est celui qui émet le moins de CO2 et qui subit le plus de dégâts. Lui apporter les financements proportionnés à cette dette carbone afin qu’il puisse affronter les impacts du réchauffement serait une question de cohérence. Il faudrait que les pays occidentaux commencent par tenir leurs promesses, cela compenserait largement cette dette. L’Afrique jouit d’une faible assiette fiscale : comment accroître ses revenus ?
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Ces deux dernières décennies, il a beaucoup diversifié ses sources de financement. Les sanctions occidentales contre la Russie et la rupture des chaînes d’approvisionnement en raison de la pandémie et de la guerre en Ukraine constituent un moment de vérité : cela lui donne la possibilité d’en profiter pour se concentrer sur la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui permet de constituer un marché plus appétissant pour les investisseurs et de pouvoir enfin négocier d’un seul bloc. Cette crise peut donc constituer une occasion si les réformes nécessaires sont faites : se sortir du modèle extractif issu du colonialisme, consolider la Zlecaf, et ainsi négocier en un bloc continental face aux autres puissances. Ces réformes sont-elles en bonne voie ?
Je reste sur mes gardes. J’exprime le souhait de les voir se réaliser, mais tout dépendra de la volonté politique. Il faut cesser de négocier unilatéralement, État africain par État africain avec l’Union européenne ou la Chine. La Zlecaf doit désormais servir à négocier au nom de tout le continent pour chaque secteur d’activité, chaque technologie, chaque chaîne de valeur. La spéculation joue un rôle considérable dans l’envolée du prix des produits alimentaires. Comment y mettre fin ?
Ce n’est pas différent de ce qu’il s’est passé lors de la pandémie, sur des produits tels que les masques, les respirateurs, puis les vaccins. C’est la loi sauvage du marché, qui s’applique même sur des biens communs et stratégiques, devenus objets de spéculation. Ce que les économistes libéraux du XIXe siècle nommaient « la main invisible » du marché. Je ne crois pas qu’il existe une véritable volonté de remettre en question la mondialisation telle qu’on la connaît (avec pour règle de base de produire là où c’est le moins cher, sans la moindre considération éthique, sociale ou environnementale, aux dépens, par exemple, des ouvrières du textile du Bangladesh). Depuis la crise sanitaire, la priorité des États est de ne plus dépendre d’un seul pays pour un même produit (comme les masques fabriqués en Chine) : c’est une considération différente, qui implique un autre type de mondialisation. Cette évolution peut bénéficier aux Africains, à condition qu’ils développent et rentabilisent la Zlecaf, en établissant des chaînes de valeurs nationales et régionales puis en les intégrant aux chaînes de valeurs globales. ■
Les États sont pris entre une économie informelle et une économie de rente qui ne bénéficie qu’aux élites.
En effet, son taux de pression fiscale est le plus bas au monde : 16 % en moyenne, contre 35 % sur le reste du globe. Les responsables doivent transformer structurellement l’économie, qui doit enfin sortir de l’informel. Pour cela, elle ne doit plus dépendre de la rente : dans certains pays, comme le Nigeria, jusqu’à 80 % des exportations concernent les matières premières non transformées. Cela ne diffère guère de la configuration durant la période coloniale. Cette situation enferme certains États dans une dépendance aux relations extérieures, car ils ne disposent que de peu de revenus, ils sont pris entre une économie informelle, en roue libre, et une économie de rente qui ne bénéficie qu’aux élites et à leur reproduction sociale. C’est un problème majeur. Je classerais les pays africains entre les réformateurs et les rentiers. Hélas, la plupart des États producteurs de pétrole continuent de vivre de la rente, malgré quelques ajustements réalisés pour qu’ils soient crédibles vis-à-vis de leurs créanciers. AFRIQUE MAGAZINE
Depuis février se dessine une « seconde guerre froide » : comment le continent peut-il se positionner sur cette nouvelle carte du monde ?
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URGENCES
Données et perspectives sur une rupture multifactorielle Inflation, pénurie, baisse des investissements risquent de stopper net la croissance continentale. Mais à terme, les pays aux économies diversifiées auront davantage d’atouts pour sortir de l’ornière.
La spéculation dope l’envolée des prix
Pénurie dans un supermarché du Zimbabwe.
C’est le taux que devrait atteindre l’inflation en Afrique en 2022, contre 13 % en 2021 et 10,8 % en 2020, du fait de la flambée des prix de l’énergie et de l’alimentation. 38
+72,5 %
L’urgence climatique toujours sous-financée LE CONTINENT connaît à la fois « la plus grande vulnérabilité » aux impacts du réchauffement climatique et « la plus faible préparation à l’adaptation aux chocs climatiques », souligne la Banque africaine de développement (BAD), qui évoque une « menace existentielle ». Et pourtant, la planète regarde ailleurs : il faudrait qu’il reçoive « 10 fois le financement mondial climatique annuel reçu de 2016 à 2019 » afin de pouvoir assurer sa transition énergétique, c’est-à-dire « entre 118 et 145 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 ».
POUR LE PRIX DU BLÉ EN UN AN
EN AVRIL 2022, LES PRIX MONDIAUX DU BLÉ ET DU MAÏS AVAIENT RESPECTIVEMENT AUGMENTÉ DE 72,5 % ET DE 21,9 % PAR RAPPORT À CEUX D’AVRIL 2021. LA RUSSIE ET L’UKRAINE COMPTANT PARMI LES PRINCIPAUX GRENIERS À BLÉ, LA GUERRE ET LES SANCTIONS PARALYSENT LEURS EXPORTATIONS.
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FELIPE TRUEBA/REPORT DIGITAL/RÉA - SHUTTERSTOCK
13,5 %
LA GUERRE n’est pas la seule responsable de la hausse des prix alimentaires : la spéculation boursière joue, depuis deux ans, un rôle mortifère. « En avril 2022, la spéculation était responsable de 72 % des achats sur le marché des céréales de la Bourse de Paris », contre « 25 % avant la pandémie », estime Lighthouse Reports, plate-forme internationale de journalistes d’investigation basée aux Pays-Bas, qui accuse les fonds d’investissement « d’exploiter le chaos pour faire grimper les prix ».
Le siège de la Banque africaine de développement, à Abidjan.
UNE CROISSANCE DIVISÉE PAR DEUX « Le PIB réel devrait croître de seulement 4,1 % en 2022 », soit moitié moins que prévu, et « nettement inférieur au 7 % de 2021 », souligne la BAD dans son rapport Perspectives économiques en Afrique. La guerre en Ukraine a éclaté alors que l’économie était « sur la voie de la reprise » après la pandémie de Covid-19. En 2023, la croissance devrait stagner à 4 %. La Banque africaine de développement redoute que le continent « plonge dans la stagflation, combinaison de croissance lente et d’inflation élevée ».
Répit illusoire pour les pays pétroliers Les exportateurs de pétrole profitent de la hausse des cours. Mais le répit sera bref : « Ce sont les pays importateurs qui progresseront le plus en 2023 », remarque la Banque africaine de développement, du fait de « la diversification de leurs sources de croissance ».
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Un endettement qui a doublé en dix ans
Face à la pandémie, les États ont dû emprunter : le ratio dette/PIB dépasse désormais les 65 % (33 % en 2010). La moitié des pays du continent sont surendettés. AFRIQUE MAGAZINE
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LE JOUG DE LA DÉPENDANCE AGRICOLE 15 pays africains importent plus de la moitié de leur blé de Russie et d’Ukraine, souligne la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement : Égypte, Soudan, Nigeria, Tanzanie, Algérie, Kenya et Afrique du Sud sont les plus dépendants. « Les tensions pourraient déborder et provoquer de violentes protestations », notamment en cas de contexte électoral, alerte l’économiste en chef du Programme des Nations unies pour le développement, le Sierra-Léonais Raymond Gilpin. 39
CE QUE J’AI APPRIS
Imed Alibi
LE PERCUSSIONNISTE TUNISIEN PUISE
dans les musiques du monde entier pour nourrir son groove unique. Rencontre des rythmes nord-africains et de l’électro, son nouvel album est une ode à la migration et au continent. propos recueillis par Astrid Krivian Né à Meknassy, j’ai commencé à jouer des percussions à 12 ans. J’ai été imprégné par les rythmes, très présents au quotidien. C’était un apprentissage en autodidacte, oral, sur le terrain. Ensuite, j’ai mené des recherches auprès de maîtres de percussions en Turquie, au Kurdistan, avec patience et curiosité. À 22 ans, j’ai eu la chance de partir étudier la littérature anglaise à Montpellier. J’ai alors exploré le métissage, la fusion. Le melting-pot en France m’a permis de côtoyer des musiciens sénégalais, cubains…
J’ai travaillé avec des artistes d’horizons très divers : le groupe de rock Les Boukakes, Emel Mathlouthi, Rachid Taha, Natacha Atlas, Kel Assouf, le groupe réunionnais Ziskakan, Justin Adams… Dans le rythme, il ne faut pas être puritain, mais rester ouvert. On n’est jamais arrivé, l’apprentissage est infini ! J’adore le jeu persan, indien, cubain. Chaque culture a ses techniques, ses styles. Dans chaque pays où je voyage, je m’achète une percussion locale et la mélange avec bonheur à mon set. J’ai été nommé chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture français en 2021. Après deux ans de pandémie, de multiples annulations de concerts et reports de festival, c’était une bonne surprise ! Cette distinction m’a rappelé que j’avais accompli pas mal de choses dans mon parcours de percussionniste, de compositeur. Mais aussi en tant qu’acteur culturel, investi à créer des liens entre la France et la Tunisie, le Liban, le Maroc… J’ai notamment dirigé les Journées musicales de Carthage en 2019, dédiées à l’accompagnement des jeunes talents. Puis, j’ai été directeur du Festival international de Carthage. Les musiciens ont tendance à se démoraliser facilement. On a parfois besoin de ce genre de reconnaissance.
Pendant longtemps, les musiques populaires du pays étaient rejetées au niveau institutionnel. Pourtant, elles font vibrer la rue, les mariages, les scènes du quotidien. La reconnaissance officielle se limitait aux musiques ottomanes ou arabo-andalouses, tel le malouf. Une nouvelle vague artistique apparue après la révolution s’est réapproprié ce patrimoine populaire : le stambeli (équivalent du gnawa marocain), le mezwed (sorte de cornemuse), les musiques berbères du Sud, le bendir (percussion)… Certaines rythment désormais les soirées en boîte de nuit.
Frigya, Imed Alibi et Khalil Epi, Nashwa.
Conçu avec Khalil Epi, Frigya puise dans des rythmes traditionnels nord-africains, tunisiens en particulier. Notre approche contemporaine fusionne le son authentique des percussions avec l’électronique. Le titre de l'album renvoie au nom d'une région du nord-ouest de la Tunisie, où les gens du Sud migraient afin de trouver de l’eau pour leur cheptel. Un carrefour de rencontres entre musiques du Nord et du Sud. de l’africanité fait partie des changements majeurs post-révolution. Avant, dû à des appartenances politiques – les mouvements panarabistes des années 1950-1960 –, l’Afrique était perçue comme exotique, tel un autre continent. Or, la Tunisie est profondément africaine et méditerranéenne. Une grande partie de nos rythmes sont africains, jusque dans les techniques de frappe. ■ En concert le 10 juin à Marseille et le 21 juin à Tunis. 40
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Ce nom signifie aussi « Afrique », en derja. Menée essentiellement par les jeunes, la recherche
CEDRIC MATET
«On n’est
jamais arrivé, l’apprentissage est infini!»
histoire
ANTHONY GUYON DES HOMMES CONSIDÉRÉS COMME DES SOLDATS NÉS
Des centaines de milliers d’Africains ont combattu pour les intérêts de la France coloniale, du xixe siècle aux indépendances. Dans un livre passionnant, l’historien retrace leur destin. propos recueillis par Cédric Gouverneur
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AM : Vous expliquez que beaucoup de tirailleurs, au départ, sont d’anciens esclaves affranchis en 1848, mais maintenus de facto en servitude. Pendant un siècle, ils se trouvent donc dans une position de soumission ? Anthony Guyon : La création du premier batail-
lon de tirailleurs sénégalais coïncide en effet avec l’abolition de l’esclavage. Certains des premiers tirailleurs sont donc d’anciens esclaves, dont le quotidien est d’être soumis, d’exécuter des corvées. Le général Faidherbe décide de les séparer des soldats européens afin d’en faire de vrais combattants, plus uniquement assujettis aux basses tâches. Lors des premières campagnes militaires menées par les tirailleurs pour conquérir l’intérieur des terres, ceux-ci capturent même des esclaves dans les villages, qui font partie du butin. Le rapport de soumission se manifeste également dans le vocabulaire sommaire utilisé pour donner des ordres, en « petit nègre » comme on disait à l’époque, sous prétexte que les tirailleurs ne parlent pas bien
Les Tirailleurs sénégalais : De l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours, Perrin, 380 pages, 22 €. Ci-contre, des soldats entre deux assauts, pendant la bataille du Chemin des dames, dans l’Aisne (France), en 1917.
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résenté au dernier Festival de Cannes dans la sélection Un certain regard, le film Tirailleurs, de Mathieu Vadepied, est coproduit par la France et le Sénégal, et tourné en peul. Omar Sy – également producteur du long-métrage – y incarne un Sénégalais qui, en 1917, s’engage dans l’armée française afin de veiller sur son fils de 17 ans (joué par Alassane Diong), recruté de force. Les deux hommes se trouvent plongés dans l’enfer des tranchées, au cœur d’un conflit qui n’est pas le leur. Cette histoire est celle des centaines de milliers de tirailleurs dits « sénégalais » – mais en réalité issus de tous les pays d’Afrique colonisés par la France – qui, entre le XIXe siècle et le temps des indépendances, ont combattu pour les intérêts de l’Hexagone, pour le meilleur et pour le pire. Rencontre avec l’historien Anthony Guyon, qui vient de publier un ouvrage sur le sujet.
COLL. O. CALONGE/ADOC-PHOTOS
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HISTOIRE
Des combattants déjeunent dans leur tranchée, en 1915.
La différence est par ailleurs ténue entre un tirailleur volontaire et un enrôlé de force…
Il existe des volontaires pleins et entiers, et même des dynasties de tirailleurs (comme les Sy), qui croient aux valeurs de la France. Le recrutement brutal se raréfie après la guerre du Bani-Volta, près de Ouagadougou, où les villages s’étaient révoltés, en 1915. Pour les chefs de village, le recrutement peut être le moyen d’écarter des rivaux et des gêneurs. Les jeunes hommes susceptibles d’être recrutés se cachent dans la brousse, pendant que la commission de recrutement se trouve au village. Parmi ceux qui restent, la plupart n’ont pas la condition physique nécessaire, donc on arrive à des taux d’inaptitude de 75 % ! En 1919 est institué le recrutement par tirage au sort. Dans certains villages, les chefs sont plutôt satisfaits de ce changement, car le choix des tirailleurs ne repose plus sur eux. Pendant l’entre-deux-guerres, les autorités commencent la tournée de recrutement dans l’intérieur des terres, en Haute-Volta (Burkina Faso), au Soudan français (Mali), et la terminent au Sénégal, afin de contenter les autorités locales. Si toutes les puissances coloniales utilisent des supplétifs pour soumettre par la force l’intérieur
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du continent, la France est la seule à utiliser des soldats noirs en Europe. Pourquoi cette exception ?
À partir de 1908, les tirailleurs font leurs preuves dans la campagne du Maroc. Le lieutenant-colonel Charles Mangin plaide alors pour une « force noire » – c’est le titre de son livre – afin de contrebalancer l’avantage démographique de l’Allemagne et d’utiliser des hommes qu’il considère comme des soldats nés. Ces arguments vont faire leur chemin, et on trouve des tirailleurs engagés sur le front dès septembre 1914. Ce sera très mal perçu par les autres pays, alliés comme ennemis. Vous expliquez que le pourcentage de pertes pour les tirailleurs pendant la guerre de 14-18 est le même que celui des soldats de métropole (20 %), ce qui montre que les combattants africains n’ont pas été plus sacrifiés que les autres (malgré une déclaration abjecte du général Nivelle, qui voulait « économiser le sang blanc »).
Les chiffres sont en effet globalement les mêmes ; les historiens Marc Michel et Jacques Frémeaux parviennent à des conclusions identiques. Mais cela ne change évidemment rien au ressenti des descendants des tirailleurs, à savoir que cette guerre n’était nullement la leur et que leurs pères n’avaient rien à y faire. L’image du tirailleur, en 1914-1918, fait l’objet d’une double propagande : les Français l’utilisent pour terrifier les Allemands, et les seconds s’en servent
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français. Notons que plusieurs ont par la suite écrit leur autobiographie dans un français parfait, et que d’autres, ayant passé le concours des sous-officiers, ont obtenu des notes aux dictées témoignant de leur maîtrise de la langue de Molière.
Des tirailleurs algériens prisonniers en Allemagne, pendant la Grande Guerre, en train de jouer aux cartes.
COLLECTION NBL/KHARBINE TAPABOR
pour décrédibiliser les premiers. Vous rappelez en outre l’usage d’iconographies dégradantes (comme celle liée au slogan « Y’a bon Banania », utilisé jusqu’en 2011). On a ainsi le sentiment que les tirailleurs n’ont jamais pu contrôler leur image…
L’image du sauvage est utilisée des deux côtés. Berlin accuse Paris d’employer des Africains contre la « civilisation » européenne ; les Français amplifient sciemment des rumeurs de colliers d’oreilles et de décapitations au coupe-coupe, afin de semer la terreur chez les troupes adverses. Mais les autorités françaises se rendent vite compte des limites de cette propagande : l’Hexagone est censé avoir colonisé l’Afrique au nom d’une mission civilisatrice, or, si après quarante ans de présence, l’Africain demeure un « sauvage », c’est bien que cette mission a échoué ! L’image véhiculée glisse donc vers le « grand enfant », domestiqué afin qu’il combatte le « Hun » allemand… À aucun moment, les tirailleurs n’ont donc été maîtres de leur image. Après la Première Guerre mondiale, alors que la France occupe la Rhénanie, des accusations de viols, véhiculées par les presses germaniques et anglo-saxonnes, alimentent la propagande nazie : « la honte noire », dont parle Hitler dans Mein Kampf. Les conséquences en sont terribles : lors de la débâcle française en juin 1940, les soldats allemands massacrent entre 1 500 et 3 000 tirailleurs prisonniers, avec l’approbation de leur hiérarchie. AFRIQUE MAGAZINE
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« Comme le pensent leurs descendants, cette guerre n’était nullement la leur et ils n’avaient rien à y faire. » Lors de la Première Guerre mondiale, on les retire du front entre octobre et avril, le climat étant jugé trop rigoureux. Ils sont alors logés dans des « camps d’hivernage » dans le Var, sur la Côte d’Azur. Quels sont leurs rapports avec la population locale ?
Il n’y a eu pas moins de 13 camps à Fréjus et à Saint-Raphaël. Les tirailleurs nouent des liens avec la population, malgré les consignes de prudence données par les autorités, qui recommandent de ne pas approcher ces hommes « à la sexualité débridée » ! Des amitiés et des idylles se créent. La peintre Lucie Cousturier (1876-1925) sympathise avec certains, leur donne 45
HISTOIRE
des cours de français, puis, après la guerre, leur rend visite en Afrique. Elle en tirera plusieurs livres (comme Des inconnus chez moi, 1920). À Fréjus sont construites la mosquée Al-Missiri, pour les soldats musulmans, et la pagode Hông Hiên Tu, pour les bouddhistes indochinois. Parmi les donateurs qui ont financé leur construction, on trouve des hôteliers et des restaurateurs, sans doute en remerciement de l’action décisive de tirailleurs lors d’un feu de forêt à Valescure, qui a permis de sauver leurs établissements. Vous expliquez la crainte constante des autorités qu’ils ne se retournent contre l’ordre colonial.
Le fossé est flagrant entre les valeurs véhiculées par la France et la réalité coloniale. À l’école des sous-officiers de Fréjus, les tirailleurs reçoivent de l’instruction, des cours d’histoire sur l’Afrique (dans lesquels on leur raconte que l’Hexagone a apporté la prospérité et la paix…) et un enseignement moral (où la «liberté» et l’«égalité» ont une place de choix) ! Dès les années 1930, des tirailleurs commencent à mettre la France face à ses contradictions. L’exemple de Lamine Senghor (1889-1927) est éloquent : alors qu’il vit en métropole car il a épousé une Française (justement rencontrée à SaintRaphaël), il va devenir après la Première Guerre mondiale un militant communiste et anticolonialiste et lutter contre la guerre du Rif. Il meurt prématurément, hélas, de séquelles du gaz moutarde inhalé dans les tranchées.
au marché, ce qui provoque leur colère. Ils retiennent alors prisonnier le général Dagnan, venu négocier. Les troupes finissent par ouvrir le feu. On a longtemps parlé de 35 morts, mais François Hollande a admis en 2014 le chiffre de 70, qui comptabilise ceux qui sont décédés des suites de leurs blessures. Selon l’historien Martin Mourre, le bilan exact ne sera jamais connu si l’on n’entreprend pas de fouilles archéologiques. Après la Seconde Guerre mondiale, on les retrouve déployés en Syrie, au Maroc, à Madagascar, en Indochine, où ils participent à la répression des indépendantistes… Quelle a été leur image en Afrique après les indépendances ?
Ils se retrouvent en effet à lutter contre les indépendantistes. Au Maroc, à Madagascar, la figure du tirailleur sera détestée pour son absence de solidarité avec les colonisés révoltés. Ils sont toutefois plus employés en Indochine qu’en Algérie, les autorités françaises redoutant une solidarité entre musulmans. À l’indépendance de la Guinée, en 1958, la population s’en prend à ces anciens combattants, considérés comme des collaborateurs. Certains vont devenir officiers dans les armées nationales des nouveaux États indépendants. Sur 14 pays d’Afrique-Occidentale française (AOF) et d’Afrique-Équatoriale française (AEF), pas moins de sept ont été dirigés par d’anciens tirailleurs : Moussa Traoré (Mali), Étienne Gnassingbé Eyadéma (Togo) ou encore Jean-Bedel Bokassa (République centrafricaine).
« Le bilan exact du massacre de Thiaroye ne sera jamais connu si l’on n’entreprend pas de fouilles archéologiques. »
Vous racontez un fait extrêmement choquant : le « blanchiment » des libérateurs en 1944-1945 ! De Gaulle le justifie dans ses Mémoires en prétextant des raisons climatiques, peu crédibles…
Ce blanchiment intervient avant même la libération de l’Alsace en décembre 1944. Au fur et à mesure que l’armée française monte vers le nord, après le débarquement de Provence (15 août 1944), on souhaite présenter à la population libérée des troupes blanches. Des soldats africains, qui ont mené des campagnes emblématiques sur le continent, comme Bir Hakeim, doivent se dévêtir de leurs uniformes pour les donner à des maquisards ! Ils ont vécu extrêmement mal, on le comprend, cette injustice. Ce manque de respect sera l’une des causes de la révolte de Thiaroye. Le fameux massacre de tirailleurs par l’armée française à Thiaroye, en décembre 1944… Comment comprendre ce qu’il s’est passé ?
En 1944, les hommes demandent ce qui leur est dû, leur solde. Il leur est proposé des taux de change inférieurs 46
En novembre 2018 à Reims, les présidents français et malien ont inauguré la restauration d’un monument dédié à ces combattants, qui avait été détruit par les nazis en 1940. Le sujet de leur mémoire, en France comme sur le continent, vous paraît-il apaisé aujourd’hui ?
Oui, j’ai le sentiment que l’on a bien avancé sur cette question : il existe une journée du tirailleur au Sénégal [le 23 août, en commémoration de cette journée de 1944, où ils entrèrent les premiers dans Toulon, ndlr]. Dans le sud de la France, où je vis, il y a un monument sur la plage de Fréjus, un carré réservé dans le cimetière de Menton… Des films ont été réalisés sur le sujet : Indigènes (2006), Nos patriotes (2017) – sur le résistant Addi Bâ, qui a participé à fonder le premier maquis dans les Vosges –, et Tirailleurs aujourd’hui. Les présidents français Nicolas Sarkozy, François Hollande, puis Emmanuel Macron ont accompli des gestes certains pour les réhabiliter. Même s’ils ont évidemment été tardifs, et qu’ils s’adressaient à des hommes déjà très âgés… En 2017, Hollande a, par exemple, naturalisé 28 tirailleurs. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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DÉCOUVERTE Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation
Le président Ismaïl Omar Guelleh.
VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA
DJIBOUTI 45 ANS!
Le pays fête le 21 juin 2022 l’anniversaire de son indépendance. Une date fortement symbolique. Retour vers un passé si proche, aux origines de la nation. Et voyage vers le futur et le projet de développement.
DOSSIER RÉALISÉ PAR THIBAUT CABRERA
DÉCOUVERTE/Djibouti
Le chemin vers la liberté Le récit national, des premières implantations sur le golfe de Tadjourah, vers le XVIe siècle, en passant par la colonisation française, jusqu’au référendum du 8 mai 1977.
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e territoire de Djibouti a toujours été un carrefour d’échanges commerciaux. Il est le point de passage obligé entre l’Asie et l’Afrique, au croisement des principales routes maritimes mondiales. Situé au sud du bloc Danakil, un massif montagneux qui délimite la partie ouest du détroit de Bab el-Mandeb, il est aussi une escale incontournable pour le ravitaillement des navires. Sur leur chemin vers l’encens et la myrrhe, les marins de l’Égypte pharaonique y transitaient. Ces caractéristiques expliquent pourquoi cette région a toujours été considérée comme stratégique par les puissances régionales et internationales. L’histoire qui précède le XIXe siècle reste peu connue. L’apparition de la ville de Tadjourah aux alentours du XVIe siècle semble constituer le début d’une activité permanente dans la région. Située sur le golfe de Tadjourah au nord de la Corne de l’Afrique, elle est entourée de territoires arides et désertiques sillonnés par des pasteurs transhumants qui vivent au rythme des pâturages. Parmi ces groupes de nomades, deux grandes communautés y cohabitent pacifiquement : les Issas, une tribu somalie répartie sur une large zone chevauchant Djibouti, l’Éthiopie et le Somaliland ; et les Afars, se répartissant en sultanats sur le même espace. Ces deux communautés partagent une histoire commune ainsi qu’une même religion, l’islam sunnite. Sous le contrôle de l’Abyssinie pendant la Renaissance, l’attractivité de Tadjourah et de son port est décuplée sous l’effet du commerce de caféine et de la traite négrière. Vue aérienne Les dominations successives des troupes égyptiennes du quartier européen de à la fin du XIXe siècle et des puissances européennes la capitale, colonisatrices, notamment la France, vont renforcer le prise le caractère stratégique de ce territoire, tout en dégradant 26 décembre 1938. progressivement la cohabitation pacifique entre Issas et Afars.
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La longue marche vers la souveraineté
Des pêcheurs dans le port de Djibouti, en mai 1977.
Sous le joug de la France, les nomades se sédentarisent progressivement et s’installent dans les bidonvilles entourant Djibouti-ville, dont le centre est occupé par les colons et les militaires français. Le développement de l’activité portuaire favorise la puissance coloniale à tel point que le port deviendra, dans les années 1960, le troisième de France (derrière Le Havre et Marseille). Cependant, il n’a aucun impact sur les populations locales qui vivent en grande partie dans la pauvreté. L’écaillement des relations entre Issas et Afars atteint son paroxysme pendant la présence française. En favorisant tour à tour une communauté au détriment de l’autre, l’administration coloniale crée une fracture entre elles. Les Français nourrissent le conflit ethnique pour l’utiliser comme arme de domination. En 1949, des affrontements entre quartiers populaires provoquent des centaines de morts. Certaines franges de la population
En favorisant
tour à tour une communauté au détriment d’une autre, l’administration
coloniale
crée des fractures profondes et durables.
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JEAN-CLAUDE FRANCOLON/GAMMA
Du premier traité entre le ministre de Napoléon III Édouard Thouvenel et le sultanat afar de Tadjourah en 1862, jusqu’au traité additif avec la chefferie de la communauté issa en 1917, plusieurs accords déterminants pour le tracé des futures frontières sont signés avec la France. Dans le territoire colonial qui devient la Côte française des Somalis (CFS) en 1896, celle-ci construit un port en eaux profondes sur la rive sud du golfe de Tadjourah, dans le village de Djibouti. Pour l’administration française, il sert notamment de port d’escale vers l’Indochine et Madagascar. Il permet aussi de rattraper le retard pris sur les autres puissances coloniales de la région – les Britanniques contrôlent les ports de Zeila (actuel Somaliland) et Aden (Yémen), les Italiens le port d’Assab (Érythrée). En 1917, l’inauguration du chemin de fer le reliant à Addis-Abeba fait du port de Djibouti l’un des débouchés majeurs de l’Éthiopie. Le port et le chemin de fer sont les actes fondateurs de la future République de Djibouti.
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Le référendum de mars 1967 donne lieu à des manifestations violemment réprimées par l’armée française.
DR - KEYSTONE PRESS/ALAMY STOCK PHOTO
La population célèbre l’annonce de l’indépendance en mai 1977.
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prennent alors conscience du jeu malsain de l’administration coloniale. L’élite locale se regroupe alors au sein d’une organisation bicommunautaire qui annonce les prémices de la future élite politique unitaire de Djibouti. Deux hommes incarnent cette tendance : Hassan Gouled Aptidon, homme politique issa, et Ahmed Dini Ahmed, leader de la communauté afar. Au milieu des années 1950, les figures politiques locales occupent tous les postes de représentants du territoire dans les institutions de la IVe République. Ainsi apparaissent les premières velléités indépendantistes. Mahmoud Harbi – premier député autochtone 51
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Ce pays
qui vient de naître, produit d’une longue histoire et d’une diversité ethnique, paraît bien fragile. Une nation est à construire.
provenant d’une tribu issa à l’Assemblée nationale française – est aussi le premier à exprimer le vœu de voir Djibouti indépendant, tout en prônant un discours pan-somali. Celui-ci se caractérise par la volonté de rejoindre le projet de Great Somalia préconisé par les Britanniques. Cependant, les Afars et la majorité des Issas redoutent le rapprochement avec Mogadiscio. Dès lors, le résultat du premier référendum sur le maintien de l’administration coloniale en 1958 est clair : le « Oui » l’emporte largement avec 75 %. Les désirs d’indépendance grandissants des Issas, notamment à travers Mahmoud Harbi, poussent l’administration coloniale à prendre des décisions qui opposent les deux communautés historiques. Elle réprime l’élite politique issa, expulse des milliers de familles somalies et licencie les travailleurs du port issus de cette communauté pour les remplacer par des Afars. Les deux groupes sombrent dans une haine mutuelle, mais n’oublient pas leur intérêt commun : la souveraineté. Cet intérêt est renforcé par les événements du 25 août 1966, quand la police coloniale réprime sauvagement la foule venue manifester son mécontentement lors de la visite du général de Gaulle, faisant officiellement 6 morts et 70 blessés. Le nouveau référendum de mars 1967 voit les élites des deux communautés faire campagne pour l’indépendance. Mais par crainte du rattachement à l’empire éthiopien ou du chaos, les électeurs choisissent le maintien de l’administration coloniale. Une majorité approuve néanmoins le changement de dénomination de la colonie qui devient le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI).
Un projet commun Deux groupes aux visions différentes s’opposent chez les Issas : les premiers veulent en finir avec la France et prônent la lutte armée. Ils créent le Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS). Les seconds craignent d’être annexés par Mogadiscio et 52
militent pour une indépendance par la voie pacifique. Il s’agit notamment de l’élite politique issa et de leur leader, Hassan Gouled. Ce dernier tente d’apaiser les tensions interethniques et de rassembler les deux communautés autour d’un projet commun devant mener à l’indépendance du pays. Le binôme qui l’associe avec le leader afar Ahmed Dini devient le moteur de cette ambition. En février 1972, ils scellent un pacte et fusionnent leurs deux partis pour créer la Ligue populaire africaine (LPA). Trois ans plus tard, de nouveaux partis politiques rejoignent la formation, qui est baptisée Ligue populaire africaine pour l’indépendance (LPAI).
Vive la République ! L’élan indépendantiste s’empare enfin des populations et dépasse les clivages ethniques. Les deux leaders de la LPAI sont rejoints par un jeune partisan qui s’impose dans la haute hiérarchie du parti : Ismaïl Omar Guelleh (IOG). Ce proche d’Hassan Gouled est l’une des figures de la lutte pour l’émancipation du pays. Chargé des affaires sécuritaires et de renseignement du parti, il est le directeur du journal Djibouti aujourd’hui, organe central de la LPAI. Un nouveau référendum est organisé le 8 mai 1977. Issas et Afars votent à l’unisson, le score est sans appel : les partisans de l’indépendance obtiennent plus de 99 % des suffrages exprimés. Le 27 juin 1977, la jeune République de Djibouti est née. Hassan Gouled est élu président, Ahmed Dini nommé Premier ministre, et le palais du gouverneur devient palais présidentiel. Bien qu’uni dans son combat pour la souveraineté, le peuple djiboutien se divise aussitôt sur fond d’oppositions tribales. Produit d’une longue histoire et d’une diversité ethnique, Djibouti paraît bien fragile au lendemain de l’indépendance. Alors que l’exigence de développement est urgente pour ce nouveau pays très pauvre, les tensions régionales et la situation au sein de la jeune République n’aident pas à consolider l’État. Une nation est à construire. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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La paix, seconde indépendance Pour engager la lutte pour le développement, il faut tout d’abord créer les conditions de l’unité intérieure. C’est la mission d’Ismaïl Omar Guelleh, à partir des années 1990.
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En 1977, le président Hassan Gouled, à droite, et son Premier ministre, Ahmed Dini, à gauche. Au second plan (en chemise blanche), Idriss Omar Guelleh, le frère aîné d’IOG.
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’indépendance de Djibouti ne s’accomplit pas dans un esprit de pacification des esprits. Sept mois après la proclamation de l’indépendance, le binôme GouledDini implose. Le second refuse de dénoncer publiquement les agissements du Mouvement populaire de libération (MPL), un groupuscule marxiste-léniniste animé par de jeunes Afars. Il est limogé de son poste de Premier ministre, alors qu’Hassan Gouled s’apprête à vivre un mandat compliqué, rythmé par les conflits interethniques, l’instabilité régionale et les besoins immenses en développement. La Corne de l’Afrique est en proie à des tensions constantes. Ce qui participe à la déstabilisation de Djibouti. Les conflits successifs entre les deux grands voisins, l’Éthiopie et la Somalie, mettent à mal la neutralité que s’est imposée la jeune République et bouleversent son fragile équilibre. En Éthiopie, la révolution renverse la monarchie et met fin à l’empire en 1974. Face à ces convulsions internes, le président somalien Siad Barré décide d’envahir l’Ogaden, région de l’est de l’Éthiopie, en 1977. Lorsque l’armée somalienne occupe Diré Dawa la même année, elle empêche le trafic du chemin de fer relié au port, coupant ainsi une grande partie des revenus de l’État djiboutien. En effet, le port de Djibouti, principale source de revenus du pays, a pour unique client l’Éthiopie. En 1991, la Somalie s’effondre à la suite du renversement de son président. Les conséquences pour Djibouti sont avant tout humaines : les réfugiés représentent désormais le quart de la population, soit environ 200 000 personnes. 53
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Guerre civile,
tensions régionales, pauvreté persistante marquent les premières années. Il faut d’urgence rétablir l’unité pour enclencher un cercle vertueux.
Car les Somaliens en exil rejoignent une population d’expatriés yéménites qui, à la suite du conflit inter-yéménite en 1979, a trouvé refuge à Djibouti. Sur le plan interne, la situation du pays devient irrespirable. Créé en 1991 par Mohamed Adoyta Youssouf et dirigé par l’ancien Premier ministre Ahmed Dini, le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD) prend les armes contre la République. L’offensive lancée le 12 novembre 1991 inflige des pertes considérables à la modeste armée nationale (2 500 hommes, soutenus par la milice afar Ougougoumo, composée de 18 000 hommes). Une guerre civile longue de près de dix ans débute. Ses effets sont catastrophiques pour le jeune État, qui voit le chômage s’aggraver, l’extrême pauvreté se généraliser et les perspectives de développement s’éloigner. L’avancée du FRUD coupe le pays en deux, et la défense représente plus de la moitié de son budget. La dernière décennie du XXe siècle est éprouvante pour le président Hassan Gouled et pour son pays. Malgré l’apport de fonds saoudiens et koweïtiens, l’économie locale reste très fragile. La situation géopolitique incertaine et les tensions ethniques exacerbées font de l’élection présidentielle d’avril 1999 un enjeu de taille.
L’apaisement Au sein du clan d’Hassan Gouled, un homme se démarque : Ismaïl Omar Guelleh. Ancien policier et inspecteur adjoint de la sûreté du territoire sous l’autorité française, IOG s’engage auprès de la LPAI d’Hassan Gouled après sa radiation de la police, en 1974 – l’administration coloniale n’appréciant guère l’activisme indépendantiste de sa famille. Lorsqu’il prend la direction de la rédaction de l’organe central de la LPAI, Djibouti aujourd’hui, IOG s’approprie une place fondamentale. Grâce à ses compétences dans la sécurité, le renseignement et la communication, il devient rapidement indispensable au président, qu’il accompagne à Paris lors des négociations 54
pour l’indépendance. Nommé chef de cabinet, chargé de la sécurité et de la communication, il gère des dossiers complexes et épineux. Notamment celui de la rébellion afar aux côtés du Premier ministre Barkat Gourad Hamadou. Ils réussissent à inverser le rapport de force dans ce conflit à partir de 1993. Cependant, les revers militaires subis par le FRUD ne tendent pas à renforcer la cohésion nationale. Au contraire, un conflit larvé pourrait avoir des conséquences irréversibles sur la coexistence communautaire. Pour IOG et le Premier ministre, il faut négocier avec les rebelles, les convaincre de déposer les armes. Dans la plus grande discrétion, le duo entame de longues discussions avec Ougoureh Kifleh Ahmed, chef de l’aile militaire du FRUD. La proposition finale, à l’initiative d’IOG, va dans le sens de l’apaisement et de la pacification. Elle a pour but de transformer la rébellion en parti politique et d’associer ses dirigeants à la gestion des affaires publiques. Cette manœuvre a un double objectif : permettre au FRUD de sortir la tête haute du conflit, et l’empêcher de spéculer sur la chute du régime en place. Le 26 décembre 1994, le gouvernement et le FRUD signent l’accord de paix d’Aba’a. Accompagnée d’une centaine d’hommes, une partie de la direction politique du FRUD, dont Ahmed Dini, décide de poursuivre la lutte à travers le FRUD-armé. Mais l’impact de ce dernier sur l’opinion nationale est relativement faible. En 1998, Hassan Gouled, dont l’âge officiel est de 82 ans, est diminué par la maladie. Il est persuadé que son chef de cabinet a l’étoffe d’un président. Il décide de se retirer et de laisser le champ libre à Ismaïl Omar Guelleh, qui est investi par le Rassemblement populaire pour le progrès (RPP) dans le cadre de l’élection présidentielle d’avril 1999. Issu des Mamassans, un clan de la tribu Eleye’ chez les Issas, IOG succède au père de la nation en obtenant près de 75 % des suffrages. Président de la République, il se concentre sur sa première mission : aboutir à une paix véritable, condition indispensable pour le développement. En négociant un AFRIQUE MAGAZINE
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Ismaïl Omar Guelleh dépose son bulletin dans l’urne, le jour de son élection, le 9 avril 1999.
Ahmed Dini abandonne
ALEXANDER JOE/AFP
la lutte armée en février 2001. Le multipartisme est instauré l’année suivante. Le pays peut se tourner alors vers une politique ambitieuse de développement.
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nouvel accord avec Ahmed Dini, qui signe l’abandon de la lutte armée en février 2001, le président IOG concrétise son engagement : « La paix d’abord. » Au sortir de la guerre civile, en 2001, Djibouti est un pays pauvre, dont 75 % de la population active est au chômage. Les salaires de la fonction publique comptent six mois d’arriérés, et 60 % du budget de l’État dépend de l’aide internationale. Vingt ans plus tard, c’est devenu un pays émergent doté d’une infrastructure logistique et portuaire de pointe. L’émergence économique du pays est le résultat de la stratégie d’IOG, qui a fait de l’unité nationale et de la paix intérieure la base du projet national de développement. Le président va inventer un modèle djiboutien, qui se traduit rapidement par des actions sur les plans économique et diplomatique. En 2002, il abroge une limitation constitutionnelle, instaurant le multipartisme intégral et faisant du pluralisme politique une réalité. En nommant une femme dans son premier gouvernement, en réformant la loi électorale, qui impose désormais une présence féminine dans les listes législatives, il adopte une vision progressiste pour améliorer le statut des femmes. Et poursuit cette démarche en faisant voter, en janvier 2002, la Stratégie nationale pour l’intégration de la femme (SNIF), qui impose un quota dans les fonctions électives. Grâce à plusieurs réformes, IOG réussit à améliorer la compétitivité du pays, et les investissements directs à l’étranger (IDE) passent de 5 millions de dollars en 2000 à 234 millions en 2005. Les bienfaits de la stratégie de développement économique commencent à porter leurs fruits lors de son deuxième mandat (2005-2011), avec une croissance se situant entre 4,5 % et 5 %. 429 – JUIN 2022
Avec son projet de développement Vision 2035, IOG mène le pays vers une croissance durable et inclusive. L’activité logistique et portuaire se développe, et Djibouti devient un hub régional. Le travail autour des infrastructures portuaires est immense. La mise sur pied du terminal pétrolier Horizon, en 2006, est suivie de l’ouverture du terminal à conteneurs de Doraleh, en 2008. En 2017, trois nouveaux terminaux sont inaugurés : deux terminaux minéraliers et le port polyvalent de Doraleh (DMP), symbole de croissance et de développement. Sur le plan international, la politique menée par IOG marque une rupture avec la neutralité passive de son prédécesseur. Il adopte une position de neutralité active, cherchant à garantir la stabilité et la sécurité du pays ainsi que son indépendance d’action. De par sa position géostratégique, Djibouti maintient l’équilibre entre les grandes puissances régionales, en proie à une instabilité chronique depuis la seconde moitié du XXe siècle. Le chef de l’État participe à d’importantes médiations internationales. En janvier 2000, IOG réunit les différentes parties en conflit en Somalie. À huis clos, pendant huit mois, d’intenses négociations débouchent sur la conférence de paix d’Arta et sur l’élection d’un président et d’un gouvernement de transition, en août 2000. Dans le cadre de sa diplomatie militaire, Djibouti accueille également différentes bases étrangères sur son territoire. En 2017, la Chine y inaugure sa première base logistique militaire à l’étranger. Depuis 2018, elle dispose également d’une base militaire navale à Doraleh. Elle a ainsi rejoint la France, les États-Unis ou encore l’Italie dans la liste des puissances étrangères disposant de contingents à Djibouti. L’action diplomatique menée par IOG et son gouvernement ont fait du pays un interlocuteur privilégié auquel on reconnaît le rôle de médiateur de conflits. Dépourvu de richesses naturelles et économiquement dévasté au début du XXe siècle, Djibouti a su tirer parti de sa situation géostratégique pour concrétiser son ambition de développement. ■ 55
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D’hier à maintenant : les 10 chiffres Le pays connaît une croissance soutenue depuis deux décennies. En pariant sur sa position géographique. Et en s’imposant progressivement comme un hub portuaire et logistique incontournable.
À
partir du début des années 2000, avec l’arrivée récente au pouvoir d’Ismaïl Omar Guelleh, en 1999, le pays entre dans une ère de développement soutenu. La transformation est manifeste et touche tous les secteurs, des infrastructures au logement, de l’éducation à la santé. Le processus d’émergence s’appuie sur la position géostratégique du pays. Après avoir acté et ancré la paix dans les esprits, le développement d’un hub portuaire et logistique et des services associés est devenu prioritaire. À la création de deux terminaux pétroliers dans la première décennie du XXIe siècle (terminal pétrolier Horizon, en 2004, terminal à conteneurs de Doraleh, en 2008), s’ajoute la création d’une nouvelle ligne de chemin de fer, entamée en 2013 et inaugurée début 2017. Cette dernière fluidifie et densifie la connectivité avec le voisin éthiopien. Avec la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ), lancée en mars 2016, le pays devrait bénéficier également de la plus grande zone franche 56
d’Afrique. En 2017, la création de trois nouveaux terminaux, notamment le port polyvalent de Doraleh, est annoncée. L’année suivante, le terminal de Doraleh, désormais appelé Société de gestion du terminal à conteneurs de Doraleh (SGTD), voit sa performance nettement s’améliorer à la suite de sa nationalisation. Tout cela a pour conséquence d’accroître l’attrait des investisseurs, qui peuvent également compter sur l’ambition numérique du pays. Depuis 1999, les conditions de vie de la population se sont substantiellement améliorées. Explications en 10 chiffres.
3,384 MILLIARDS
DE DOLLARS
PIB en 2020 DEPUIS DEUX DÉCENNIES, la croissance de Djibouti est spectaculaire. Entre 1999 et 2012, le PIB a presque triplé, passant de 536 millions de dollars à 1,35 milliard de dollars. Sur les huit années qui ont suivi, l’indicateur a été multiplié par 2,5.
Comme toutes les économies mondiales, le pays a souffert de la crise due à la pandémie de Covid-19. Cependant, la croissance est restée positive en 2020 (0,5 %), et les perspectives économiques à moyen terme le sont également (5,5 % attendus en 2022 et 6,2 % en 2023).
3 425 DOLLARS PIB par habitant en 2020
EN 1999, LA POPULATION était estimée à 700 000. En 2021, elle a atteint 1 million. Dans le même temps, le PIB par habitant a enregistré une hausse considérable de plus de 350 %, passant de 757 dollars à 3 425 dollars. Djibouti se place ainsi dans la première moitié des nations africaines comptant le plus haut PIB par habitant. Une performance notable pour un pays dénué de ressources naturelles et dont la situation économique à son indépendance était extrêmement précaire. Il reste dorénavant à relever le défi d’une croissance plus inclusive.
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10,4 MILLIONS DE TONNES Quantité de marchandises traitées par le port en 2019 AVEC LE DÉVELOPPEMENT de son port, le pays a réussi à tirer le meilleur parti de sa position géostratégique. Il est devenu un hub logistique et portuaire dont l’activité ne cesse de croître. Djibouti est le premier port à conteneurs d’Afrique en matière d’efficacité technique, selon le Container Port Performance Index, publié par la Banque mondiale et IHS Markit. Le volume de marchandises traité est passé de 3,78 millions de tonnes en 1999 à plus de 10 millions en 2019. Il est ainsi le principal débouché maritime de l’Éthiopie. Une grande partie de ce volume est donc consacrée au commerce extérieur de cette dernière. Situé sur l’une des voies maritimes les plus empruntées de la planète, Djibouti a également développé ses capacités de transbordements vers l’Afrique de l’Est au sud, et vers le canal de Suez au nord.
69 COLLÈGES ET 35 LYCÉES
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Nombre d’établissements secondaires en 2019 LE PAYS CONSACRE près de 20 % de ses dépenses courantes à des secteurs considérés prioritaires : l’éducation et la formation professionnelle. En 1999, Djibouti ne comptait que quatre collèges et deux lycées… Et entre 1999 et 2019, le nombre d’écoles primaires est passé de 67 à 194. Ces efforts ont permis au pays d’améliorer le maillage du territoire et d’adopter une approche plus inclusive de l’éducation. AFRIQUE MAGAZINE
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Les capacités conteneurs du port de Doraleh, un atout considérable.
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Le logement, une autre priorité de l’État.
6 000
Unités de logement construites entre 1999 et 2019
Nombre d’étudiants en 2019
67 ANS
AU DÉBUT DU XXIE SIÈCLE, la vie universitaire n’existait pas à Djibouti. En 2000, IOG lance la création du premier pôle d’enseignement supérieur du pays, qui accueille un nombre modeste d’étudiants. Transformé en université (l’université de Djibouti) en 2006, le campus accueille chaque année de plus en plus de jeunes répartis sur 40 filières de formations supérieures.
ENTRE 1999 ET 2020, l’espérance de vie d’un Djiboutien à la naissance a augmenté de 10 ans, passant de 57 à 67 ans. Dans le même temps, l’espérance de vie mondiale est passée de 67 à 73 ans. Cette hausse considérable est notamment due à la baisse de la mortalité infantile, qui a été divisée par deux pendant cette période.
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Espérance de vie en 2020
605 MÉGAWATTS
Quantité d’électricité produite en 2019 EN DEUX DÉCENNIES, la production d’électricité a triplé, passant de 192 MW en 1999 à 605 MW en 2019. Cette hausse répond à une demande en énergie toujours plus grande. L’accès AFRIQUE MAGAZINE
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10 750
Cérémonie d’inauguration du campus de l’université de Djibouti, en février 2018.
À L’ÉCHELLE d’un pays comme Djibouti, cela équivaut à la construction de quatre nouvelles villes. Parmi les logements bâtis, on compte 5 000 logements sociaux réalisés par l’État et destinés aux foyers à faible et moyen revenus. En parallèle, celui-ci souhaite assurer, à travers le Programme zéro bidonville, la mise à niveau des quartiers précaires de la capitale. 33,7 millions de dollars y ont déjà été alloués.
à l’électricité a nettement augmenté, comme l’attestent les chiffres des abonnés d’Électricité de Djibouti (environ 27 000 en 1999, contre plus de 65 000 en 2019). L’entrée en production des unités industrielles du projet Damerjog, à la mi-2020, réclame 1 000 mégawatts supplémentaires. Un chiffre qui pourrait être comblé par le potentiel géothermique du pays.
21,1 MILLIONS DE M
La ligne reliant Addis-Abeba à Djibouti atteint les 120 km/h.
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Quantité d’eau produite en 2019
LA PRODUCTION D’EAU a également augmenté dans le pays, où les villages et les lieux isolés sont désormais mieux desservis. C’est notamment dû au système de citernes et de fontaines publiques. En 2017, l’inauguration d’un aqueduc transfrontalier depuis l’Éthiopie a permis de couvrir plus de territoire. Les pertes d’eau sur le réseau sont passées de 42,3 % en 1999 à 26 % en 2019, ce qui a également aidé à compenser l’augmentation de la consommation, ayant doublé en vingt ans.
756 KILOMÈTRES
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Longueur de la ligne Addis-Abeba-Djibouti LA LIGNE LA PLUS RAPIDE de l’histoire ferroviaire du pays a été inaugurée côté djiboutien en janvier 2017. Atteignant 120 km/h, elle a réduit de 7 heures le trajet jusqu’à Addis-Abeba. Cette ligne reliant les deux capitales est un symbole de l’intégration régionale et de la complémentarité des deux économies. L’énorme projet a mobilisé des investissements de l’ordre de 4 milliards de dollars au total. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Les es enjeux de demain PATRICK ROBERT
Djibouti entre dans la seconde phase de son projet de croissance, en s’appuyant sur sa stratégie de long terme, la Vision 2035. Objectifs : accentuer la compétitivité, s’adapter aux données du développement durable et favoriser l’inclusivité.
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Le terminal pétrolier de Doraleh, une extension du port international de Djibouti.
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La première phase de la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ) a été inaugurée en juillet 2018.
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choisie par IOG pour entrer dans une phase de diversification de l’offre portuaire, avec la construction de deux terminaux minéraliers et d’un port polyvalent. Le port autonome de Ghoubet est utilisé dans le cadre de l’exportation du sel du lac Assal, ressource quasi inépuisable. Le port de Tadjourah est prolongé d’un corridor permettant de mieux desservir l’Éthiopie, principalement en charbon, en acier et en gaz liquide. Enfin, le port polyvalent de Doraleh offre des capacités de stockage importantes et regroupe des installations à la pointe de la modernité. À travers son complexe portuaire, Djibouti fait preuve d’innovation et de modernité. En mai 2022, le Djibouti Port Community Systems a été reconnu comme l’une des solutions numériques portuaires les plus AFRIQUE MAGAZINE
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vec plus de 30 000 navires l’empruntant chaque année, la voie maritime reliant le détroit de Bab el-Mandeb au canal de Suez est l’une des routes commerciales les plus fréquentées au monde. L’éclosion successive de cinq terminaux entre 2004 et 2017 à Djibouti n’est pas due au hasard. IOG a perçu l’immense opportunité qui découlait de la position géostratégique de son pays, et la nécessité de le doter d’un hub portuaire. Rapidement, ces infrastructures se sont avérées rentables : le terminal à conteneurs de Doraleh, créé en 2006, dont le coût de réalisation s’élevait à 397 millions de dollars, a été remboursé en seulement huit ans. 2017 est l’année des 40 ans de l’indépendance de la République. C’est également l’année
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Le système portuaire
a été reconnu comme offrant une véritable expertise numérique et logistique par la Banque mondiale. Le complexe pétrolier de Doraleh a notamment la possibilité d’accueillir des navires ayant un tirant d’eau de 20 mètres.
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performantes au monde par la Banque mondiale. À cette offre s’ajoute la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ), qui tend à devenir la plus grande zone franche d’Afrique, et dont la première phase a été inaugurée en juillet 2018. Le complexe apparaît comme le premier jalon de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zeclaf). Les efforts consentis dans le développement des infrastructures portuaires entrent dans le cadre de la Vision 2035, du président IOG. Djibouti ne doit pas juste être un point de transit de marchandises. Sa stabilité, son poids dans le commerce maritime mondial et ses performances économiques peuvent en faire un pays émergent. C’est l’objectif d’IOG, qui souhaite le voir devenir « la Singapour de l’Afrique », un carrefour incontournable du commerce et des services. Pour cela, les infrastructures et la productivité sont au cœur de sa conception. Deux immenses projets sont en cours de réalisation : le réaménagement du port historique en quartier d’affaires et l’expansion des ports et des zones franches, le Djibouti Damerjog Industrial Development. La première phase de ce dernier a démarré en septembre 2020, et son coût atteindra 3,8 milliards de dollars. Il consiste en la conception d’un parc de 30 km2, dont les deux tiers sont gagnés sur la mer. Réalisé sur une période de quinze ans (2020-2035), le parc accueillera deux raffineries, la jetée du terminal pétrolier et les premières unités d’industries lourdes du pays telles qu’une cimenterie et une usine de dessalement d’eau de mer. Un chantier de réparation navale devrait également être livré en 2023. En parallèle de ce projet à dimension locale, le réaménagement du port historique est d’une ampleur plus internationale, en se consacrant notamment à l’innovation, à la fintech et aux télécoms. La réalisation de ces objectifs devrait permettre d’atteindre une ambition cruciale : la création de 200 000 emplois, pour ramener le taux de chômage à 10 % de la population active, contre 45 % en 2019. AFRIQUE MAGAZINE
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Le projet de la zone industrielle de Damerjog, situé à 30 km au sud-est de la capitale.
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La Salaam Tower, siège de la Salaam African Bank.
Les investisseurs
bénéficient d’un cadre financier stable, avec en particulier une monnaie librement convertible dont la parité avec le dollar est garantie.
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Un hub à quatre dimensions Depuis le début du XXIe siècle, Djibouti s’inscrit dans une logique de libéralisation de l’économie. En créant un cadre financier attractif et en assainissant le climat des affaires, IOG souhaite que le pays soit davantage ciblé par les investisseurs. La stabilité monétaire est l’un des réels atouts du pays : le franc Djibouti (DJF) bénéficie d’une libre convertibilité et d’une parité fixe avec le dollar (USD). En effet, la convertibilité en devises est sans limite, et, depuis l’indépendance, le taux de change avec le dollar est resté inchangé (1 USD = 177,721 DJF). Le pays cherche à devenir une place financière régionale reconnue. Les efforts du gouvernement et de la Banque centrale de Djibouti ont renforcé sa crédibilité. Deux des plus grandes banques chinoises s’y sont installées, Exim Bank of China et Silkroad International
Bank. Un chantier de modernisation de l’infrastructure financière nationale a été lancé, soutenu par la Banque mondiale. Avec l’arrivée de la dématérialisation des transactions et de l’automatisation des services, Djibouti veut favoriser le développement de la fintech. La création du business district a pour vocation d’en devenir le pôle principal et de bénéficier à toute la région, en particulier à la Somalie. Grâce au développement d’une infrastructure numérique nationale, le pays répond au besoin de modernité, malgré un marché intérieur restreint. L’opérateur public, Djibouti Télécom, est leader sur le marché régional. En se dotant du centre de données le plus performant de la Corne de l’Afrique, celui-ci a attiré l’attention des grandes entreprises du numérique. L’annonce de sa privatisation partielle, en 2021, s’inscrit dans un plan de modernisation de l’économie nationale. Ce processus intervient alors que l’opérateur a les capacités de connecter AFRIQUE MAGAZINE
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Des techniciens travaillant sur une antenne relais de Djibouti Télécom, leader sur le marché régional.
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la sous-région et le continent. Djibouti mise sur sa position centrale dans les systèmes de télécommunications mondiaux en investissant dans ses stations d’atterrissage. Neuf câbles sous-marins reliant trois continents y passent. Plus de 150 millions de dollars ont été investis dans cette couche physique indispensable pour la transmission des données. En février 2020, l’atterrissement du Djibouti Africa Régional Express (DARE1) a permis de relier les deux plus grands points d’accès télécoms de la région : Djibouti et Mombasa (Kenya). Ce projet est le fruit d’un travail avec l’opérateur national, qui a financé 65 des 80 millions de dollars de ce câble de plus de 5 000 kilomètres. D’ici à 2024, Djibouti sera l’un des points d’atterrissage du câble sous-marin le plus long du monde. 68
Avec 135 jours d’ensoleillement par an, le pays investit dans le photovoltaïque.
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Un parc éolien, dont la capacité sera de 60 MW, verra bientôt le jour à Ghoubet.
En effet, en mai, le pays a conclu un accord avec Meta (anciennement Facebook) pour héberger le câble 2Africa, reliant l’Afrique, l’Asie et l’Europe, d’une longueur de 45 000 kilomètres. L’attitude proactive de l’État dans le secteur et le dynamisme de son opérateur principal œuvrent à révolutionner la connectivité africaine.
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Un futur durable
La densité du développement djiboutien s’accompagne de nouveaux besoins énergétiques. Selon les estimations, plus de 1 000 mégawatts (MW) seront nécessaires d’ici à 2024 pour mener à bien les grands projets industriels. L’offre actuelle, d’environ 605 MW, est insuffisante, d’autant que le pays est de plus en plus énergivore. Pour combler AFRIQUE MAGAZINE
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ce manque, le président IOG souhaite couvrir 85 % de ses besoins énergétiques avec les énergies renouvelables. Bien que le pays soit dénué de ressources naturelles, ses sols arides offrent un immense potentiel géothermique. La production de cette source inépuisable d’énergie pourrait atteindre plus de 1 000 MW d’ici à 2024. Un financement de la Banque mondiale, à hauteur de 6 millions de dollars (sur un coût total de 31 millions), a permis d’enclencher les premiers forages. Djibouti recourt également aux énergies éolienne et solaire, conforté par un ensoleillement de 135 jours par an. Deux projets matérialiseront ses avancées dans ces domaines : la construction de la centrale solaire de Grand Bara, sur la base d’un partenariat public-privé avec le groupe français Engie ; ainsi
Le territoire regorge d’extraordinaires sites naturels. comme la banquise de sel du lac Assal.
Les énergies propres,
le tourisme responsable, les infrastructures vertes constituent les axes prioritaires du projet de développement durable.
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que le projet de parc éolien de Ghoubet, dont la capacité sera de 60 MW. De la banquise de sel du lac Assal aux cheminées de calcaire dans le lac Abbé en passant par la forêt millénaire du Day, Djibouti regorge d’extraordinaires sites naturels. Situé au nord-ouest, Abourma, l’un des plus importants sites d’art rupestre d’Afrique de l’Est, illustre l’étendue du patrimoine archéologique et culturel du pays. On peut y apercevoir des gravures datant du paléolithique.
Le tourisme responsable Face à la richesse environnementale du territoire, IOG a fait de la durabilité l’une des composantes de la Vision 2035. Cela se caractérise d’abord par la promotion du tourisme responsable, au cœur duquel la préservation des sites naturels est prioritaire. Les projets d’urbanisme durable entamés dans la capitale vont aussi dans ce sens. Au cœur du business district, le pays a entamé la construction d’un immense océanorium, dont les besoins énergétiques seront majoritairement produits par des capteurs solaires installés sur sa toiture. Avec une cinquantaine d’aquariums, il mettra en avant toute la richesse des fonds marins de Djibouti. Enfin, de par son climat et sa position proche de l’Équateur, les conséquences du changement climatique sont importantes dans le pays. Les inondations et les épisodes de sécheresse étant de plus en plus fréquents, celui-ci a décidé d’investir dans des moyens innovants pour s’adapter à ces phénomènes. Les autorités associent les infrastructures « vertes », inspirées de systèmes naturels, aux infrastructures « grises », comme les digues, pour s’assurer de l’impact positif sur l’environnement à long terme. À Tadjourah, une digue de 2 kilomètres a ainsi été construite pour protéger des inondations. En entrant dans une phase de développement soutenue, Djibouti souhaite renforcer son statut de hub à quatre dimensions : logistique, commerciale, numérique et financière. ■ 70
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Les amateurs de plongée sont comblés par les fonds marins, réputés pour leur richesse et leur beauté.
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Le luxueux hôtel Kempinski offre une vue unique sur le golfe de Tadjourah.
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L’ODYSSÉE DES ROIS DE NAPATA Venus de Nubie, au viii siècle avant notre ère, ils conquirent l’Égypte des pharaons et fondèrent ainsi la 25e dynastie. Un moment de l’histoire peu connu, une étonnante rencontre entre deux cultures qui fait l’objet d’une exposition majeure au musée du Louvre, à Paris.
CHRISTIAN DÉCAMPS/MUSÉE DU LOUVRE
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par Alexine Jelkic
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’est l’une des expositions phénomènes de l’année. Et de l’égyptologie contemporaine. Depuis le 28 avril jusqu’au 25 juillet, le musée du Louvre nous entraîne à l’époque où l’Égypte antique fut conquise puis gouvernée par des « pharaons noirs », venus du royaume de Koush (également appelé royaume de Napata ou Nubie à cette période), situé dans le nord de l’actuel Soudan. C’est l’histoire de la 25e dynastie, dont les terres s’étendaient du Nil Blanc et du Nil Bleu jusqu’au delta du fleuve. Une épopée courte, d’à peine cinquante ans, entre 712 et 663 avant J.-C., mais particulièrement florissante sur les plans culturel et artistique. Et surtout méconnue. L’exposition met en lumière toute la richesse des cultures nubiennes et du royaume de Napata, ses liens avec l’Égypte, à travers les fusions de leurs traditions et de leur culture. Une manière de redécouvrir l’africanité de l’Égypte et la grande histoire des peuples au sud du Nil. La Nubie est conquise par l’Égypte dès le XV e siècle avant notre ère. Le pouvoir des pharaons, militaire, économique, culturel et religieux, façonne ces nouvelles provinces du Sud. Mais au VIIIe siècle avant J.-C., la grande Égypte, celle des Ramsès, des
LE ROI TAHARQA ET LE FAUCON HÉMEN 25E DYNASTIE, MUSÉE DU LOUVRE En position d’offrande, Taharqa présente des vases à vin au dieu faucon.
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Les successeurs de Piânkhy fondent la 25e dynastie, un « royaume des Deux Terres » unifiant l’Égypte et le royaume de Koush. 74
détruire l’héritage de cette période afin qu’elle soit oubliée de l’histoire, et poursuivent les rois de Napata jusque dans leur capitale. Mais la ville ne disparaît pas pour autant, ouvrant la voie à la naissance du fameux royaume de Méroé… Le Suisse Charles Bonnet, sommité de l’archéologie européenne, fouille le nord du Soudan depuis des décennies. En 2003, il fit une découverte à Doukki Gel. Intrigué par la présence de feuilles d’or dans une zone près du site de Kerma, il creusa avec précaution. Trois mètres plus bas, il découvrit sept statues du royaume de Napata, dont celles de Taharqa, Anlamani, Tanouétamani, Senkamanisken et Aspelta. La 25e dynastie revient dans la lumière. Les statues exposées au Louvre ont été reconstituées par le biais de la 3D. Grâce râce à cette exposition, l’un des règnes gnes les plus méconnus de l’Égypte pte antique – et l’un des premiers iers grands royaumes africains ins – retrouve sa place dans la grande histoire de l’humanité. umanité. ■
STATUE ATUE ASSISE DE MONTOUEMHAT ONTOUEMHAT FIN 25E-DÉBUT DÉBUT 26E DYNASTIE, MUSÉE ÉGYPTIEN DE BERLIN Montouemhat, emhat, gouverneur de Thèbes èbes sous le règne de Taharqa arqa (25e dynastie), est un personnage important tant : il est influent à travers ers son importance politique, ue, mais endosse aussi ssi des charges religieuses euses en tant que quatrième trième prophète d’Amon. mon. Il conserve certaines es de ses fonctions lors de l’invasion des Assyriens, iens, puis sous le règne de Psammétique II 26 e dynastie). (26 SANDRA STEISS/RMN-GP
Thoutmôsis, des Toutânkhamon, est désormais un empire mourant, divisé, fragilisé, constamment menacé par la puissance assyrienne, venue de Mésopotamie. Les dynasties, épuisées, perdent progressivement leur emprise sur les territoires du Sud. Piânkhy, roi de Koush, descend le Nil depuis sa capitale, Napata, et conquiert, ville après ville, toute la vallée jusqu’à Memphis, à l’entrée du delta. Sa stèle, exposée au Louvre, témoigne de cette aventure. Persuadé qu’il est personnellement investi par le dieu égyptien Amon-Rê, il s’attribue la responsabilité de rétablir l’ordre divin à travers de nombreuses offrandes. Ses successeurs suivront cette logique d’appropriation de la culture égyptienne. Ils fondent ainsi la 25e dynastie, un « royaume des Deux Terres » unifiant l’Égypte et le royaume de Koush. Taharqa, troisième pharaon, est sans doute le plus remarquable, avec un règne de vingt-cinq ans. Respectant la ligne de ses prédécesseurs, il fait construire de nombreux temples en Égypte et au royaume de Koush. L’exposition présente une figurine le représentant en position d’offrande devant le dieu faucon Hémen. Il possède des critères stylistiques et symboliques qui permettent de reconnaître les pharaons noirs : un visage plutôt rond, souvent doté d’une coiffe koushite (couronne) ornée au front de deux cobras symbolisant les Deux Terres. L’hégémonie de la dynastie prend fin en 663 avant J.-C., les pharaons noirs abdiquant face aux armées assyriennes, alliées aux roitelets renaissants du delta. Les vainqueurs veulent
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ÉTUI DE CHÉPÉNOUPET 25E DYNASTIE, MUSÉE DU LOUVRE Cet objet énigmatique contient une plaque en ivoire d’éléphant, aujourd’hui illisible. L’étui est dédié à Chépénoupet II, fille de Piânkhy et sœur de Taharqa. Elle porte le titre de divine adoratrice d’Amon pendant plusieurs décennies.
PSAMMÉTIQUE II 26E DYNASTIE, MUSÉE JACQUEMART-ANDRÉ Ce pharaon de la nouvelle dynastie mène une expédition militaire contre Napata vers 593 avant J.-C. Les statues royales sont brisées sous ses ordres, et les restes regroupés avant d’être enterrés probablement par le roi victime de l’attaque, Aspelta (cinquième successeur de Taharqa).
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GROUPE DE STATUES DÉCOUVERTES À DOUKKI GEL 25E DYNASTIE, MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE KERMA (SOUDAN)
SPHINX DE CHÉPÉNOUP CHÉPÉNOUPET II 25E DYNASTIE, MUS MUSÉE ÉGYPTIEN DE BERLIN BERL Cette statue a été trouvée tro dans le lac sacré du temple t d’Amon à Karnak. Elle représente re Chépénoupet II sous lla forme enveloppant d’un sphinx envelop utilisé un vase nemset, ut lors des libations. libation
THOMAS BURÖ/ TRIGONART - JÜRGEN LIEPE/RMN-GP
Les sept statues représentent sept rois, dont Taharqa (la plus grande). Le musée du Louvre en expose une impression 3D, telles qu’elles étaient avant leur destruction.
CHRISTIAN DÉCAMPS/MUSÉE DU LOUVRE - HERVE LEWANDOWSKI/MUSÉE DU LOUVRE
L’un des premiers royaumes africains importants retrouve sa place dans la grande histoire de l’humanité.
ÉGIDE EN BRONZE AU NOM DU ROI TANOUTAMON 25E DYNASTIE, MUSÉE DU LOUVRE
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STÈLE D’OUSERSATET 18E DYNASTIE, MUSÉE DU LOUVRE La stèle représente à droite le roi Aménophis II, qui donne en offrande du vin à plusieurs divinités égyptiennes en lien avec les territoires soudanais : de gauche à droite, Anoukis, Satis et Khnoum, à la tête de bélier.
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REPORTAGE
Le festival Off propose presque 500 événements dispersés dans tout le pays.
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La céramiste nigérienne Ngozi-Omeje Ezema crée des installations immersives avec des fragments de terre cuite.
One Way Vision, du Ghanéen Kwasi Darko.
reportage
Ci-dessus, le ministre sénégalais de la Culture et de la Communication Abdoulaye Diop visite l’exposition avec le directeur artistique El Hadji Malik Ndiaye.
LUISA NANNIPIERI - IBRA KHALIL TRAORÉ
DAK’ART EST UNE FÊTE Escapade, en « in » et « off », dans les allées d’une biennale d’art contemporain longtemps attendue. Un rendez-vous éclectique, dynamique, et à la portée quasi mondiale ! par Luisa Nannipieri, envoyée spéciale AFRIQUE MAGAZINE
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’habitude, le jeudi soir, une certaine jeunesse dakaroise aime se retrouver sur la terrasse de l’espace Trames. Cette fourmilière artistique et culturelle, ouverte en 2018 sur la place de l’Indépendance, est connue pour accueillir des soirées DJ ou le festival ElectrAfrique. Mais en ce soir de mi-mai, la population est différente : on peut croiser sur le dancefloor la coordinatrice culturelle de l’Institut français de Saint-Louis et spécialiste de l’art contemporain africain Marie-Ann Yemsi, au bar l’envoyée d’une importante maison de vente aux enchères comme Sotheby’s, une Flag à la main, à côté d’un grand collectionneur nigérian, ou encore un groupe de jeunes passionnés d’art se partageant les bons plans pour voir des expos le lendemain. La 14e édition de la Biennale d’art contemporain de Dakar donne son coup d’envoi. Pendant plus de trente jours, du 19 mai au 21 juin, « le monde de l’art s’est donné rendez-vous ici ! », comme on l’entendra beaucoup autour de nous. Une phrase souvent prononcée avec fierté.
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REPORTAGE
Au centre, le gagnant du Grand prix Léopold Sédar Senghor, l’Éthiopien Tegene Kunbi Senbeto, devant l’une de ses créations. Il est entouré de la secrétaire générale de la biennale Marième Ba (deuxième à gauche), de la délégation diplomatique éthiopienne et d’une galeriste.
Depuis sa naissance en 1990, la Biennale de Dakar joue un rôle prédominant sur le continent en matière d’art contemporain, et est devenue l’un de ses événements majeurs à l’échelle internationale. « D’un point de vue économique, d’autres pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou la Côte d’Ivoire s’en sortent sans doute mieux. Le Sénégal est un petit pays, et pourtant, il a su se tailler ce statut sur le plan culturel que les autres n’ont pas », indique un artiste togolais croisé à un vernissage. Est-ce dû à sa stabilité politique ? Ou à l’héritage de Léopold Sédar Senghor – qui donne son nom au grand prix ? En tout cas, pour ce pays qui exporte peu, la culture est devenue une valeur sûre. Lorsque Macky Sall a remis le grand prix à l’Éthiopien Tegene Kunbi Senbeto devant un parterre d’invités de marque au Grand Théâtre lors de la soirée d’ouverture, le président a rappelé que l’édition de 2018 avait donné lieu à des transactions évaluées à 8 milliards de francs CFA (plus de 12 millions d’euros). De quoi justifier la hausse du budget de l’État pour l’événement, L’astrophysicienne de formation sénégalaise Caroline Gueye s’est inspirée de la physique quantique pour sa création époustouflante à l’effet tunnel, Quantum Tunneling.
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qui a atteint 1,5 milliard de francs CFA. L’engouement que l’on ressent dans la rue, les galeries et les musées pour cette « fête de l’art et de l’esprit », comme on aime à la définir, est en partie la conséquence des quatre ans d’absence depuis 2018, l’édition de 2020 ayant été annulée à cause de la pandémie. « Normalement, à Dakar, on compte les activités culturelles sur les doigts d’une main. Même entre artistes sénégalais, on a du mal à se rencontrer », explique un cinéaste, installé dans une banlieue de la capitale. Aux côtés d’un graffeur, d’un artiste plasticien et d’un scénariste, il sirote un soda dans le jardin de la maison de la culture Douta Seck : « Après le Covid-19, on avait encore plus besoin que les choses bougent, de se voir, et là on a un mois entièrement dédié à la culture. On croise des personnes de qualité, et on se reconnecte entre nous. On a l’impression de souffler ! » Cet espace de 15 000 m2 au cœur de la Médina, entièrement rénové par Black Rock Senegal – l’équipe fondée et dirigée par Kehinde Wiley –, rejoint la dizaine de lieux culturels qui a ouvert à Dakar ces quatre dernières années. LES GRANDES NOUVEAUTÉS DE L’ÉDITION
Tous se sont affairés pour préparer un festival Off record : on compte presque 500 événements à Dakar, à Saint-Louis, et dans d’autres régions du pays. « Que le Off prenne une telle ampleur est un signe de vitalité de la biennale », sourit le sculpteur burkinabé Siriki Ky, devant l’une des œuvres de son ami et maître, le Malien Abdoulaye Konaté. Pour lui, qui fait partie des « anciens » de Dak’Art et a été l’un des premiers plasticiens du Burkina Faso à suivre une formation académique, la biennale, « c’est une grande famille ». Il ajoute : « Venir ici est l’occasion de revoir les vieux copains, de montrer mes derniers travaux… Ce n’est pas une question de visibilité, c’est surtout le plaisir des retrouvailles et du partage. » Parmi les grandes nouveautés de cette édition, citons le Marché international de l’art africain de Dakar (MIAD). Une plateforme de vente et d’exposition installée au pied du Monument de la Renaissance africaine, qui accueille également des rencontres professionnelles sur des sujets comme le financement de l’art sur le continent ou les droits de propriété intellectuelle : « Nous AFRIQUE MAGAZINE
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L’événement rend hommage au travail du maître malien Abdoulaye Konaté, 69 ans, qui expose ses œuvres dans l’ancienne salle d’audience de la Cour suprême.
A Salted Intermission, l’installation sur le lac Rose du Jamaïcain Yrneh Gabon Brown interroge sur les effets du réchauffement climatique et l’utilisation du sel sur les deux continents.
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L’engouement que l’on ressent dans la rue, les galeries et les musées est en partie la conséquence des quatre ans d’absence à cause de la pandémie. devons nous engager pour la professionnalisation de tous les acteurs du secteur », explique le plasticien sénégalais Kalidou Kassé, à l’initiative de la plate-forme. Le projet Doxantu (« promenade » en wolof), auquel participe Siriki Ky avec 16 autres artistes, est également remarquable : El Hadji Malick Ndiaye, le nouveau directeur artistique de la biennale, a souhaité installer pour la première fois 17 œuvres géantes tout le long de la Corniche ouest, ainsi qu’à l’intérieur de l’université Cheikh Anta Diop. Le Suisse-Sénégalais Ousmane Dia a voulu y placer ses créations, afin d’instaurer un dialogue avec les étudiants : Ni Barça Ni Barsak, construite sur place, interpelle AFRIQUE MAGAZINE
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La Franco-Camerounaise Beya Gille Gacha travaille également sur la thématique du changement climatique en mettant en scène ses sculptures perlées. Ici, L’Autre royaume.
L’Ivoirien Roméo Mivekannin questionne la place des Noirs dans l’iconographie occidentale à travers ses autoportraits décalés, comme dans La Famille royale, Hollande ci-dessus.
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REPORTAGE
Pour beaucoup d’artistes, c’est l’occasion de se rencontrer et d’échanger dans une ambiance décontractée et effervescente.
« IL N’Y A PAS DE IN SANS OFF, ET INVERSEMENT »
Théoricien, historien de l’art et conservateur du musée Théodore Monod entre autres, El Hadji Malick Ndiaye n’a pas la renommée internationale de son prédécesseur, Simon Njami, mais il jouit d’une très bonne réputation dans le milieu : celle de quelqu’un de curieux, vif, avec qui échanger est un plaisir. « Il est conscient de ses défauts et a su s’entourer d’une super équipe, dynamique et jeune, pour pallier ses manques », observe un photographe. Sa première biennale – qui est également la première à porter un titre en sérère, « Indaffa » (« forger ») – suscite donc naturellement beaucoup de curiosité et d’attentes. Et le retour des visiteurs est enthousiaste. Galeristes, critiques d’art, artistes et amateurs ont pris d’assaut les locaux de l’ancien palais de justice : ce magnifique bâtiment des années 1950, longtemps abandonné, qui trône au bout de l’avenue Pasteur, au Cap Manuel, accueille depuis 2016 la sélection officielle de la biennale. Sous les hauts plafonds du grand hall, autour du patio arboré ou dans 82
Ni Barça Ni Barsak, d’Ousmane Dia, a été installée à deux pas de la bibliothèque universitaire de Cheikh Anta Diop.
les anciennes salles d’audience, on trouve des œuvres minimalistes, des travaux démesurés ou des installations interactives. Les tableaux du Sénégalais Omar Ba ont particulièrement frappé les collectionneurs. Pour sa première biennale, il présente de grandes toiles où des personnages mi-hommes mi-animaux, métaphores de la nature humaine, incarnent les traumatismes du colonialisme et les inégalités Nord-Sud. D’autres, avec des têtes en forme de trophée, symbolisent une Afrique qui sait être protagoniste de sa réussite. Engagé mais optimiste, il glorifie et rend hommage à la culture noire à travers le fond de ses toiles, rigoureusement noir. L’ancienne salle de la Cour suprême abrite un hommage à la carrière d’Abdoulaye Konaté, ce grand artiste qui travaille les tissus pour composer des œuvres au symbolisme puissant. Des créations qui suscitent toujours autant d’émerveillement que de vénération. Les 59 artistes ou collectifs sélectionnés pour cette édition – en grande partie issus de la diaspora – ont travaillé nuit et jour pour terminer leurs travaux à temps. L’astrophysicienne de formation sénégalaise Caroline Gueye, qui a remporté le prix CEDEAO de l’intégration avec Quantum Tunneling, à l’effet tunnel époustouflant, a même dormi dans son installation pour transformer la pièce en œuvre d’art. Être passionné par son travail est indispensable si l’on veut réussir à faire face aux petits et grands problèmes techniques durant la biennale : œuvres bloquées à la douane, outils non adaptés au projet initial, manque de coopération entre les équipes qui travaillent sur le site, chacune ayant ses propres priorités… Certains artistes déplorent aussi que leur séjour ne soit pris en charge par les organisateurs que durant les deux jours qui suivent le lancement de l’organisation. AFRIQUE MAGAZINE
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particulièrement les jeunes Sénégalais, qui n’ont pas hésité à échanger avec l’artiste pendant son assemblage. Représentant une pirogue qui sombre dans la mer en emportant sa cargaison de vies humaines, la sculpture en métal dénonce les dangers de l’émigration clandestine, tout en pointant les responsabilités des dirigeants européens et africains qui ne font pas assez pour retenir la jeunesse sur le continent. Une œuvre très engagée qui résume bien les objectifs du projet Doxantu : « vulgariser les valeurs de la biennale », explique son directeur artistique : « C’est une façon de mettre en avant les valeurs de l’art, de créer la surprise, une rencontre subite. En installant des messages dans l’espace urbain, on interpelle les spectateurs dans la rue. Si l’on reste entre quatre murs, on ne change pas la société, alors que l’art peut contribuer au changement. Il ne change rien à lui seul, mais il aide à alerter le public, et à le rendre heureux aussi. » Une perspective intéressante quand on sait que le festival In est souvent considéré un brin trop institutionnel et élitiste.
Dans ses œuvres, le Français Emmanuel Tussore s’intéresse à la nature et à sa soumission par l’humain, mais également à notre rapport à l’étranger. Ici, De Cruce.
Tous les artistes ont travaillé nuit et jour pour terminer leurs travaux à temps.
DR - COOPER INVEEN/REUTERS
Le travail du Sénégalais Omar Ba est très prisé des collectionneurs.
« Chaque œuvre du projet Doxantu a été financée à hauteur de 4 000 euros. J’ai donc dû trouver des sponsors pour terminer ma création, qui en a coûté 50 000 », regrette Ousmane Dia. Ce qui ne l’a pas empêché, comme les autres artistes, de se donner corps et âme pour cet événement. Pour beaucoup d’artistes, être dans le In est une fierté, mais c’est également l’occasion de se confronter à des collègues venus de toute l’Afrique et d’ailleurs, et de trouver des sources d’inspiration pour la suite. « De toute façon, les problèmes finissent toujours par se résoudre », assure le céramiste italien Mauro Petroni, qui a contribué à faire naître le Off en 2002. Depuis vingt ans, il en assure l’organisation en coulisse, un travail énorme mais fondamental : « Il n’y a pas de In sans Off, et viceAFRIQUE MAGAZINE
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versa », aime-t-on répéter dans le milieu. Les passerelles entre les deux événements sont multiples, avec des artistes locaux ou étrangers qui commencent par le Off pour finir dans le In, ou qui participent aux deux. Mais l’ambiance décontractée du premier, où les collectionneurs et institutions viennent volontiers faire des achats en bloc, est aussi ce qui rend la biennale « si différente de celle de Venise ou d’ailleurs », explique la directrice de la foire du Cap, Laura Vincenti. Un point attractif également pour Zoé : comme tant d’autres, cette passionnée d’art d’origine africaine a fait le déplacement pour « s’immerger dans une autre atmosphère, voir un autre type d’art, loin des schémas occidentaux ». Elle trouvera certainement de quoi régaler ses yeux. ■ 83
interview
NDÈYE FATOU KANE
Chercheuse sur le genre, l’autrice sénégalaise a signé l’essai Vous avez dit féministe ? En remettant en cause le patriarcat, elle bouscule les normes sociétales et s’empare de sujets encore tabous, comme les violences faites aux femmes.
« CE MONDE EST FAIT POUR LES HOMMES » propos recueillis par Astrid Krivian
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unettes cerclées noires qui lui mangent le visage, T-shirt rose à message d’empowerment, Ndèye Fatou Kane déroule sa pensée féministe tout en sirotant son jus de fraise dans un café parisien. Révoltée par les injustices et les inégalités dont souffrent toujours les femmes, la jeune autrice de 35 ans, née à Dakar, se réjouit par ailleurs de voir qu’une nouvelle génération de féministes sénégalaises se mobilise. Partageant sa vie entre la France et son pays natal, la militante vit pleinement son « aventure 84
ambiguë », pour citer le titre d’un des ouvrages de son grand-père, l’illustre Cheikh Hamidou Kane. Après un premier roman en 2014, Le Malheur de vivre, et deux nouvelles, elle a publié l’essai Vous avez dit féministe ? en 2018, dans lequel elle analyse les discours de quatre penseuses féministes : la philosophe française Simone de Beauvoir, l’écrivaine sénégalaise Mariama Bâ, la romancière nigériane Chimamanda Ngozi Adichie et l’anthropologue sénégalaise Awa Thiam. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales, cette doctorante poursuit ses recherches sur le genre, s’intéressant à la construction des masculinités médiatiques dans son pays. AFRIQUE MAGAZINE
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INTERVIEW
AM : Comment êtes-vous devenue féministe ? Ndèye Fatou Kane : Ma première expérience profession-
nelle, à mon retour au Sénégal, a provoqué un déclic. Après mes études en France, j’avais changé, mais mon pays était resté le même. J’ai intégré un grand groupe de transport et de logistique – un domaine majoritairement masculin, misogyne. En interagissant au quotidien avec ces collègues – la moyenne d’âge était de 50 ans –, j’ai été confrontée à la réalité sociétale. J’étais la cible d’incessantes remarques liées à mon genre et à mon âge. Ça a été le point de départ de mon militantisme féministe. Au bout d’un an, j’ai démissionné. J’ai ensuite écrit en 2018 mon essai, Vous avez dit féministe ?, qui a coïncidé avec la déferlante du e-militantisme féministe, l’affaire Weinstein, les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc. La jeunesse féministe a pris la parole au Sénégal, beaucoup de livres ont été écrits, des chaînes YouTube et des espaces de discussions ont été créés… Dans le sillage de #MeToo, vous avez lancé le hashtag #BalanceTonSaïSaï au Sénégal. Quel écho a-t-il eu ?
Le mot « féministe » est-il encore une insulte aujourd’hui ? Désigne-t-il toujours une femme acariâtre, en guerre contre les hommes, et suiviste de l’Occident ?
C’est un mot encore chargé de connotation négative. Dans la psyché collective, être féministe signifie être une femme occidentalisée, proche des Français, dans la droite ligne de Simone de Beauvoir. Pourtant, les féministes au Sénégal se sont distanciées de ce modèle. La première « vague » dans les années 1960-1970 (Fatou Sow, Marie-Angélique Savané…) a décolonisé les savoirs féministes. Elles ont été les premières à étudier à l’université, à être diplômées. Et la jeune génération est en train de prendre un nouvel élan. Le féminisme serait en porte-à-faux avec la culture sénégalaise, mais peut-on porter une idéologie sans une certaine radicalité ? La société évolue, le féminisme aussi. Sur les réseaux sociaux, sur la Toile, beaucoup de jeunes femmes et jeunes hommes débattent entre eux, souvent à couteaux tirés. Nous avons besoin de ça pour renouveler cette idéologie. 86
Qu’est-ce qui caractérise cette nouvelle génération de militantes ?
Comme nos aînées, nous luttons contre le patriarcat. Avant, les revendications s’effectuaient par le biais de marches, c’est toujours le cas, mais il y a eu l’avènement des réseaux sociaux. On est à Dakar, mais on est ouvertes sur le monde. Et puis, il faut sortir du cliché de la pauvre femme africaine excisée, infibulée, qu’il faudrait sauver, qui n’aurait pas de liberté, qui se trouve en situation de polygamie, etc. À l’ère de la globalisation, nous pensons d’un point de vue mondial, mais en prenant en compte nos réalités. Nous prenons la parole dans la sphère publique au Sénégal comme à l’étranger. Nous vivons cette « aventure ambiguë », la dualité entre local et global, en veillant à ce que l’un ne prenne pas le pas sur l’autre. Le regard occidental condescendant, misérabiliste, sur les femmes africaines vous irrite ?
Oui. Par exemple, je n’aime pas le terme « autonomisation », très ONG, qui consiste à trouver des financements pour les femmes. Cela prouve qu’elles sont toujours infantilisées. Cette sémantique reste tenace dans les esprits. Des ONG mettent souvent en avant un certain type de femme, des leadeuses, une représentation qui tend vers le masculin… Alors que des Sénégalaises, surtout en Casamance et dans le Sine Saloum, pratiquent depuis longtemps la riziculture et ainsi font vivre leur famille. Pour moi, elles sont féministes ! Certes, elles ne connaissent pas les théories, l’intersectionnalité, etc., mais elles ont atteint un certain degré d’indépendance. Ce serait intéressant d’inclure ces femmes dans le féminisme du pays. AFRIQUE MAGAZINE
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PIERRE BOULAT/COSMOS
J’ai voulu contextualiser ce mouvement de libération de la parole. Nous, les Africaines, et particulièrement les Sénégalaises, étions incubées dans cet élan de revendication mondiale. J’ai eu l’idée d’un slogan marquant les esprits, « saï-saï » étant un terme qui signifie « pervers » en wolof. Mais paradoxalement, même si le Sénégal a été précurseur dans les mouvements féministes dans les années 1960, la libération des femmes et de leur parole est aujourd’hui en régression. L’accueil de #BalanceTonSaïSaï a donc été mitigé. On me reprochait d’avoir perdu ma « sénégalité », que je n’étais plus au fait des réalités. Mais les cas de violences sexuelles sont pourtant bien connus, et depuis longtemps. Il n’y a qu’à lire la colonne des faits divers.
ISABELLA DE MADDALENA/OPALE.PHOTO - FACEBOOK MAIRAMA BÂ - AMCS
Vous vous êtes exprimée sur Seneweb au sujet de l’affaire Ousmane Sonko : principal opposant politique au président Macky Sall, il a été accusé en février 2021 de viols et de menaces de mort par Adji Sarr, une employée d’un salon de beauté. De quoi cette affaire et sa réception dans le pays sont-elles le symptôme ?
À la suite de cet entretien dans Seneweb, on m’a insultée sur les réseaux, donc j’ai décidé de ne plus en parler ! Une révolution comporte toujours son lot de haine, je l’accepte. Cette affaire fait écho à une autre, survenue en 2012, quand le journaliste Cheikh Yérim Seck a été accusé de viol par une jeune fille. Ce sont à chaque fois des hommes au capital social élevé, jouissant d’une très bonne assise médiatique. Même si on le nie, la société sénégalaise est très violente avec les femmes. Si une femme est violée, même si elle le prouve, on lui demandera toujours comment elle était habillée ou quel comportement elle avait adopté. Le fameux « Elle l’a bien cherché »…
Oui. La société sénégalaise défend un certain type d’hommes, médiatisés, et les femmes seraient celles par qui le AFRIQUE MAGAZINE
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De gauche à droite, la philosophe Simone de Beauvoir et les autrices Chimamanda Ngozi Adichie et Mariama Bâ, toutes trois penseuses féministes. Ci-contre, Adji Sarr, la jeune femme qui accuse l’homme politique Ousmane Sonko de viols et de menaces de mort.
mal arrive. Elles subissent des violences physiques, psychologiques, sexuelles, des féminicides. Et ne gagnent jamais. Cette affaire prouve que la misogynie est très tenace. Un nouveau palier a été franchi dans le recul des libertés féminines. La presse nationale a encore du mal à s’emparer de ces sujets. Pourquoi ne pas faire entendre la voix d’Adji Sarr, la victime ? En mars 2021, le pays a traversé une vague d’émeutes et de manifestations, il était à feu et à sang après l’emprisonnement d’Ousmane Sonko. La question du viol est passée à la trappe, et l’hypothétique complot politique a occupé le devant de la scène. Le corps de cette jeune fille a été objectifié. Après la vague d’indignation et les insultes proférées envers Adji Sarr, je crains que les jeunes femmes aient encore plus peur de prendre la parole. C’est le « sutura », la loi du silence ?
Oui. C’est la propension à tout cacher, montrer que tout va bien, toujours faire bonne figure. Selon le modèle de la parfaite femme sénégalaise « à marier », elle doit faire sutura en toutes circonstances. Même si son mari est un infidèle notoire, 87
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polygame avéré, elle ne doit jamais en parler. Le socle familial repose sur ses épaules (l’éducation des enfants, l’univers du ménage…), et elle ne doit pas outrepasser ce cadre. J’observe les jeunes femmes avec qui j’ai grandi. On peut s’exprimer à l’extérieur, mais une fois dans le pays, on doit rentrer dans le rang et incarner cette sacro-sainte femme sénégalaise. Alors que pour la génération de ma mère, les femmes de 60-70 ans, la polygamie était un sujet interdit, aujourd’hui, des études montrent qu’elle est en plein boom : les femmes de 30-40 ans se mettent dans des ménages polygames, prétextant que cela leur convient, qu’elles auront ainsi du temps pour elles les autres jours de la semaine. Mais au fond, c’est la société qui les pousse à agir ainsi. Après 35 ans, une Sénégalaise doit penser à se marier. Le célibat est très mal vu. Cela renvoie toujours à la domination masculine. Une femme est vouée à être dominée, à rentrer dans un carcan, à avoir un chaperon masculin qui la fait rentrer dans le rang. Trop d’égalité, ce n’est pas très féminin ! Le viol a été criminalisé en décembre 2019. Une avancée majeure…
Après soixante ans de combats, le viol est enfin considéré comme un crime, et non plus comme un délit. Cela restera dans les mémoires. Les cas de viol médiatisés se sont multipliés depuis. Cette loi doit être mise en pratique dans les tribunaux, les familles… car dans les faits, les procès ne vont pas jusqu’au bout. L’Association des juristes sénégalaises effectue pourtant un remarquable accompagnement juridique auprès des familles. Il faut faire entrer dans les mentalités qu’un homme qui viole une femme ira en prison. Et ne plus mettre en doute la parole des femmes.
tion, il mériterait d’être réédité pour que les jeunes générations s’en emparent. Quant à Chimamanda Ngozi Adichie, son essai Nous sommes des féministes fut une révélation : oui, on peut être féministe, porter ses idées, et vouloir être belle. Certains ont reproché à cette dernière d’être égérie d’une marque de cosmétiques, arguant que c’était le signe d’une soumission au regard masculin, à l’injonction de plaire, et que c’était donc contraire à son discours féministe. Qu’en pensez-vous ?
On peut porter un combat avec des atouts féminins. Les deux ne sont pas antinomiques. Une féministe « féminine » contredit l’image des féministes en Afrique : acariâtres, pas maquillées, pas apprêtées… Le corps et l’apparence des femmes doivent être sans cesse contrôlés, dominés, donc quand celles-ci s’émancipent, on cherche à les en empêcher. Dans les mentalités, le féminisme serait figé, alors qu’il évolue. Notre cause commune est la lutte contre le patriarcat, mais les postures, les manières de lutter, les discours sont pluriels. Il s’agit de se plaire à soi-même avant tout. Être une femme bien dans sa peau, dans sa tête. Comme la poétesse africaine-américaine Audre Lorde, j’estime que prendre soin de soi n’est pas un geste égocentrique mais politique. Face à un adversaire, je serais apprêtée, au maximum de ma flamboyance, pour le regarder droit dans les yeux et démonter son discours avec mes arguments. L’expression corporelle, la démarche contribuent à construire un personnage et distillent la confiance en soi. On irradie et on capte ainsi l’écoute des autres.
L’objectification du corps féminin traverse les époques, les ères culturelles, les continents.
Dans votre essai Vous avez dit féministe ?, vous vous référez à Simone de Beauvoir, Mariama Bâ, Awa Thiam et Chimamanda Ngozi Adichie. En quoi ont-elles nourri votre pensée ?
Ces penseuses nous ont légué des modèles de société. On ne peut pas parler de féminisme sans se référer à Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe est un livre fondateur. Mariama Bâ est une romancière sociale : Une si longue lettre (1979) traverse les générations, les Sénégalaises vivent encore les oppressions, les réalités qu’elle y décrit. Awa Thiam, cofondatrice de la Coordination des femmes noires en 1976, est une chercheuse et anthropologue qui parlait d’intersectionnalité avant que celle-ci ne soit théorisée : La Parole aux négresses (1978) est une enquête dans laquelle elle recueille la parole des femmes d’Afrique francophone. Quarante-quatre ans après sa publica88
Que vous inspire le débat sur le port du voile chez les féministes en France ? Pour certaines, c’est le signe visible d’une soumission aux hommes, alors que, pour d’autres, cela relève du libre choix des femmes.
La question du voile, et plus largement celle du culte religieux, est problématique en France. Le Sénégal est un pays laïc, avec 95 % de musulmans et 5 % de chrétiens qui cohabitent. Chacun pratique sa religion comme il l’entend, dans le respect des croyances et des libertés. Un certain féminisme blanc doit décentrer le regard vers la marge, et sortir du slogan misérabiliste. Nous n’avons pas attendu que les féministes occidentales viennent nous sauver. Ce regard condescendant est problématique. Je note d’ailleurs que l’archétype de la femme musulmane en France est arabe. Les Noires sont invisibilisées, alors que nous sommes également musulmanes. Trop couvert avec le burkini, trop découvert avec la minijupe, le corps des femmes cristallise
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les enjeux politiques et fait l’objet de multiples injonctions…
L’objectification du corps féminin traverse les époques, les ères culturelles, les continents. Ce monde est fait pour les hommes, nous cohabitons juste avec eux. Les lois, les discours sont faits par et pour eux. En Europe, il y a eu beaucoup d’avancées, mais la mainmise masculine demeure. Par exemple, les écarts de salaire entre les femmes cadres et les hommes cadres, surtout dans les entreprises du CAC 40, sont criants. À compétences égales, une femme devra toujours se battre, en faire plus que les hommes, pour gagner moins. Et on ne demandera jamais à un homme comment il arrive à concilier vie professionnelle et vie familiale. Le socle familial repose sur les épaules de la mère. Concernant les droits des femmes, le Sénégal fait preuve d’une grande rigidité dans de nombreux domaines. Sur le plan politique, la loi sur la parité a été votée à l’Assemblée nationale en 2010, mais pourquoi cette parité n’est-elle pas visible dans d’autres secteurs ? Deux femmes ont été cheffes de gouvernement, mais pour des durées très limitées. Cela envoie le message qu’une femme peut diriger, mais qu’un homme viendra tôt ou tard prendre sa place. La clé pour faire évoluer les mentalités, c’est l’éducation ?
ment médicalisé est un combat porté par plusieurs associations. Des voix d’imams se sont élevées pour dire que celles-ci étaient contre la religion, mais une femme a le droit de disposer de son corps librement. Dans son dernier ouvrage, Réinventer l’amour, l’essayiste Mona Chollet s’interroge : comment vivre une histoire d’amour tout en étant féministe ? Ces questions vous travaillent-elles ?
Oui. L’intime est politique. Selon mon groupe ethnique, les Peuls, je suis trop moderne : à 35 ans, je ne suis pas mariée, je n’ai pas d’enfant, j’ai fait trop d’études ! Seul un mari me fera rentrer dans le rang, m’assène-t-on. Nous avons besoin d’un modèle d’homme sénégalais « déconstruit ». Les hommes ont du mal à s’approprier les enjeux féministes, pourtant ils sont concernés ! Plutôt que de leur faire de la pédagogie, car ils se braquent, dans un débat caricatural impossible, il faudrait qu’ils en prennent conscience par eux-mêmes. Beaucoup prennent appui sur la religion pour perpétuer le patriarcat. Qu’en pensez-vous ?
Il s’agit d’une mauvaise interprétation des textes religieux. Le Coran a honoré les femmes dans plusieurs sourates. Ce serait intéressant que les jeunes femmes s’y réfèrent et démontent les argumentaires religieux masculins.
Oui, l’instruction à l’école et l’éducation à la maison. Souvent, dans les ménages Sur quoi portent vos recherches sénégalais, l’éducation est différenciée : dédiées au genre ? les filles sont élevées dans l’optique de Mon mémoire de master 2 étudiait la devenir plus tard des femmes à tout faire construction des masculinités, d’un point de – savoir cuisiner, tenir une maison, et servue politique et religieux. Car on n’interroge vir, servir, toujours servir les hommes de jamais les hommes, le point de vue du domila famille. Les garçons, eux, sont éduqués nant ! Nous, les femmes, dans la recherche et pour être de futurs chefs de famille. C’est le militantisme, nous nous posons en domitrès mal vu qu’un homme sache cuisiner, nées. Le politique et le religieux forment un on dira qu’il a peur de son épouse. Ce sont cocktail de domination. Surtout au Sénégal, des tâches dévolues aux femmes. Quant où nous sommes en retrait au sein des confréVous avez dit féministe ?, à la scolarisation, elle est en hausse : les ries. Maintenant, je commence une thèse sur L’Harmattan, 110 pages, 13 euros. filles font de plus en plus d’études scientiles masculinités médiatiques : quelles figures fiques, d’ingénieur, des grandes écoles… mais l’éducation à la d’homme sont mises en avant, comment les médias participent maison doit suivre aussi. Car une femme qui accède à un haut à réifier un certain type d’homme, en quoi les masculinités sont poste mais qui reste dominée dans son espace intime, c’est un un système de socialisation… problème. Vous évoluez entre le Sénégal et la France, comment
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Un homme qui multiplie les conquêtes valorise sa virilité, alors qu’une femme qui fera de même sera perçue comme une femme « de mauvaise vie ». Que vous inspire cette idée très ancrée dans les esprits ?
Elle rejoint la question de la virginité, un enjeu central dans nos sociétés africaines – d’où ces mutilations génitales pour contrôler les corps. Lutter contre le contrôle des corps des femmes doit devenir un enjeu central du féminisme aujourd’hui. On a encore peur d’en parler. Le droit à l’avorteAFRIQUE MAGAZINE
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vivez-vous votre « aventure ambiguë », pour reprendre le titre du roman de votre grand-père ?
Je la vis très bien. Au Sénégal, je parle en peul avec ma mère, je suis dans mon terroir, je n’ai pas à performer une africanité. En France, on me renvoie toujours à mes origines. Tout Africain évoluant hors de son pays natal est en proie à une aventure ambiguë : qu’est-ce que je prends de la modernité, qu’est-ce que je conserve de mon bagage sociétal, de mon éducation ? Chacun porte en lui deux civilisations. ■ 89
BUSINESS Interview Rabia Ferroukhi
Lacina Koné
« Nous devons davantage investir en nous-mêmes »
Gandoul
et la connectivité Orange en Afrique
Le BTP turc à l’assaut du continent
Le gaz africain,
nouvelle alternative
L’offre du continent, en pleine croissance, rencontre au moment opportun la demande européenne, justement à la recherche de sources d’approvisionnement alternatives à la Russie, mise en quarantaine. Reste à mettre les infrastructures au diapason. par Cédric Gouverneur
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epuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février, l’Union européenne (UE) multiplie les sanctions contre le régime de Vladimir Poutine afin de frapper au portefeuille son économie de guerre. Dépendante à 45 % du gaz naturel de son remuant voisin, l’UE veut s’en affranchir totalement d’ici 2027 et recherche donc des alternatives. Dès février, l’Allemagne a ainsi suspendu le gazoduc Nord Stream 2, tout juste achevé, grâce auquel le géant russe Gazprom aurait dû doubler sa capacité de livraison. En représailles, Moscou ferme le robinet aux clients européens qui n’agissent pas à sa guise : fin avril, Gazprom a cessé ses livraisons à la Bulgarie et à la Pologne – anciens pays satellites de l’Union soviétique devenus membres de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique 90
nord (OTAN) – parce qu’elles refusaient de régler leurs factures en roubles… « L’Allemagne et l’Europe doivent désormais vite accomplir ce qu’ils ont raté ces vingt dernières années », a amèrement résumé Stefan Liebing. Le président de l’Association économique germano-africaine (Afrika-Verein) a, dès mars, conseillé au ministre écologiste de l’Économie et du Climat, Robert Habeck, de faire la tournée des pays africains producteurs de gaz, rapporte la radio internationale allemande Deutsche Welle (DW). L’Afrique pourrait, théoriquement, se substituer à la Russie. « Près de la moitié des 55 pays du continent dispose de réserves prouvées de gaz naturel », résumait, en juillet dernier, la plate-forme d’investissements Energy Capital & Power, basée au Cap. « À travers le continent, les réserves
totales dépassent 800 000 milliards de pieds cubes » (soit environ 22 650 milliards de m3). Avant même le conflit en Ukraine et l’accroissement de la demande européenne, la compagnie britannique BP estimait déjà que la production de gaz naturel sur le continent pourrait s’accroître « de 80 % d’ici 2035 ». Selon Energy Capital & Power, les principaux producteurs seraient alors, par ordre décroissant : - le Nigeria (environ 5 660 milliards de m3), - l’Algérie (4 500), - le Sénégal (3 400), - le Mozambique (2 830), - l’Égypte (2 180), - la Tanzanie (1 600), - la Libye (1 500), - l’Angola (380), - la République du Congo (280), - la Guinée équatoriale (140), - le Cameroun (135).
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« Les réserves totales du continent dépassent 800 000 milliards de pieds cubes. »
J.F. ROLLINGER/ONLYWORLD.NET
Le site gazier de Rhourde Nouss, en Algérie, développé par la Sonatrach.
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BUSINESS Le continent n’a évidemment pas attendu le conflit ukrainien pour doper sa production de gaz. Dès 2017, la Société nationale des hydrocarbures (SNH), confrontée à l’épuisement tendanciel des ressources pétrolières du Cameroun (69 000 barils par jour en 2018, contre 185 000 en 1985), a investi dans une usine flottante de liquéfaction de gaz, à Kribi. Au Nigeria, en 2020, le président Muhammadu Buhari a décrété que la décennie à venir serait « celle du gaz ». Et le ministre des Ressources pétrolières, Timipre Sylva, ne cache pas les grandes ambitions de son pays dans ce secteur : « Il est temps de réveiller le géant, a-t-il déclaré début mars aux médias locaux. L’Afrique occidentale peut devenir autosuffisante en énergie » grâce à la « révolution gazière nigériane ». Même optimisme en Tanzanie, où la cheffe d’État Samia Suluhu Hassan, au pouvoir depuis mars 2021, entend faire de la production gazière la « priorité » de son mandat. Elle n’a pas caché que le conflit russo-ukranien pouvait constituer
s’est déroulé au Qatar – hasard du « une opportunité ». Avec les sociétés calendrier – fin février, les participants Shell et Equinor, le pays développe n’ont pas caché qu’ils ne pourraient ainsi un projet d’extraction off-shore se substituer immédiatement à la de 30 milliards de dollars au large Russie, soulignant, rapporte la chaîne de Lindi. Le Sénégal et la Mauritanie qatarienne Al Jazeera, le besoin développent quant à eux leur gisement d’« investissements offshore conjoint de Outre le manque significatifs dans les Grand Tortue Ahmeyin infrastructures gazières », (GTA) : son exploitation de fonds, le comme la nécessité de pourrait démarrer Trans-Saharan « contrats à long terme » dès 2023. BP, qui pilote Gas-Pipeline avec les Européens. l’opération, estime les Le continent doit réserves à 1 400 milliards doit faire face compléter son réseau de m3, pouvant générer à des menaces de gazoducs. Or, ceux-ci jusqu’à 90 milliards de sécuritaires. sont rarement achevés. dollars de recettes sur En 2016, le Maroc et le Nigeria ont vingt ans pour les deux États. Les signé un projet de gazoduc côtier, qui défenseurs de l’environnement sont prolongerait celui reliant le Nigeria moins enthousiastes : afin d’atteindre au Ghana, au Bénin et au Togo. la poche de gaz, à 65 km de la côte, le Mais le géant africain manque de GTA a nécessité une douzaine de puits fonds… Pareillement, une semaine d’extraction, perforés à 2 700 mètres avant l’offensive russe, ce dernier, sous la mer, et la construction le Niger et l’Algérie ont signé à d’un brise-lames artificiel, constitué Niamey, en marge du 3e Forum des de milliers de tonnes de béton… Quoi qu’il en soit, lors du Forum mines et du pétrole de la Communauté des pays exportateurs de gaz qui économique des États de l’Afrique
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Le 6 e Forum des pays exportateurs de gaz s’est déroulé au Qatar le 22 février dernier.
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de l’Ouest (CEDEAO), une « feuille de route » pour enfin parachever la construction du gazoduc Trans-Saharan Gas-Pipeline (TSGP, dit aussi NIGAL), dans les cartons depuis 2009. La mise en service de cet ouvrage de plus de 4 000 kilomètres, qui pourrait acheminer 30 milliards de m3 par an depuis le golfe de Guinée jusqu’aux consommateurs européens est prévue en… 2027. Outre le manque de fonds, celui-ci doit faire face à des menaces sécuritaires : insurgés du delta du Niger, djihadistes du Sahel… À cause du péril terroriste, Total a dû abandonner en 2021 un prometteur projet gazier à Cabo Delgado, dans le nord-est du Mozambique. Et il n’y a pas qu’en Europe que la dépendance au gaz peut servir de moyen de pression géopolitique : en froid avec Rabat sur la question du Sahara occidental, l’Algérie esquive dorénavant le Maroc pour approvisionner l’Espagne… La seule alternative aux chantiers titanesques de la construction de gazoducs consiste à liquéfier le gaz : la liquéfaction, qui permet de transformer 600 kilos de gaz en 1 kilo de gaz naturel liquéfié (GNL), tout aussi calorifique mais bien moins encombrant, nécessite d’atteindre une température de -160 °C ! Le GNL est ensuite transporté par cargos. Il en résulte toutefois une débauche énergétique qui émet deux fois plus de C02 que le transport de gaz brut par gazoduc, guère compatible avec la nécessaire transition énergétique. À noter que, même si l’Europe parvient à remplacer le gaz russe par l’africain, l’œil du Kremlin risque fort de demeurer présent dans l’équation. Évoquant le projet de gazoduc côtier reliant le Nigeria au Maroc, le ministre Timipre Sylva s’est en effet réjoui : « Les Russes sont très désireux d’y investir. » Pas sûr que les Européens partagent son enthousiasme ! ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LES CHIFFRES 1,7 %
C’est le pourcentage d’Africains qui vivront dans l’extrême pauvreté en 2065, contre 35 % aujourd’hui, estime l’Union africaine.
70 TONNES D’OR LE NOMBRE DE TOURISTES SUR LE CONTINENT A GRIMPÉ DE ENTRE JANVIER 2021 ET JANVIER 2022.
51 %
seront exportées par le Burkina Faso cette année, soit 4 tonnes de plus qu’en 2021. L’or est le premier produit d’exportation du pays.
Le Rwanda a attiré un record de 3,7 milliards de
dollars d’investissements
directs étrangers en 2021.
51, soit le nombre de destinations desservies par Turkish Airlines sur le continent. La ligne Istanbul-Djouba (Soudan du Sud) a été inaugurée le 1er juin.
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Rabia Ferroukhi
DIRECTRICE POUR LA RECHERCHE, LES POLITIQUES ÉNERGÉTIQUES ET LES FINANCES CHEZ L’AGENCE INTERNATIONALE POUR LES ÉNERGIES RENOUVELABLES (IRENA)
« La transition énergétique est une vaste opportunité »
propos recueillis par Cédric Gouverneur 94
AM : Seulement 2 % des investissements dans les énergies renouvelables ont été effectués en Afrique, malgré son énorme potentiel dans l’éolien, et surtout le solaire. Pourquoi ? Rabia Ferroukhi : Être doté de
ressources énergétiques renouvelables est une condition nécessaire, mais non suffisante. De nombreux autres aspects jouent un rôle dans l’orientation des investissements vers les énergies renouvelables. Ainsi, une dépendance économique structurelle à une matière première limite l’accès à un développement industriel efficace. Surmonter ces obstacles nécessite une amélioration significative de la collaboration internationale, afin de combler les lacunes accumulées par le passé.
soit près du double ! Au contraire, stimuler les investissements et aider à la réallocation et à la création d’emplois et de services dans d’autres secteurs économiques aidera les producteurs de combustibles fossiles à tirer parti, eux aussi, de la transition énergétique. En Afrique, notre scénario de 1,5 °C (dans lequel le monde atteint ses objectifs climatiques dans le cadre de l’accord de Paris) prévoit 3,5 % d’emplois supplémentaires sur la période 2021-2050. Autre point critique : les subventions aux carburants. Comment les supprimer sans impacter les plus vulnérables (une simple hausse
Les producteurs d’énergies fossiles se trouvent à la croisée des chemins : la demande de pétrole va baisser, des millions d’emplois sont en jeu. Comment peuvent-ils assumer la transition vers les énergies vertes ?
L’IRENA estime que, dans un scénario limitant le réchauffement à 2 °C, la valeur des actifs bloqués dans le secteur des combustibles fossiles totaliserait 3 300 milliards de dollars d’ici 2050… Retarder l’action pourrait faire grimper cette valeur à 6 500 milliards de dollars,
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Lutter contre le réchauffement climatique implique de basculer dans un monde décarboné. Pour les États africains producteurs de pétrole, cette transformation ne se fera pas sans douleur. Mais le dernier rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) estime que le continent a tout à y gagner, en matière de création d’emplois et de développement notamment. Explications avec Rabia Ferroukhi.
des prix des tickets de bus pouvant nuire au niveau de vie de dizaines de milliers de personnes) ?
Celles-ci jouent un rôle essentiel dans la distorsion des marchés de l’énergie chez de nombreux pays africains. Et les ménages à faible revenu consacrent, proportionnellement, une part beaucoup plus importante de leurs ressources pour leurs dépenses énergétiques. La transition doit s’accompagner de mesures pour la rendre plus juste et plus équitable. Cela comprend des subventions afin d’aider à l’accès aux équipements en énergie renouvelable et des politiques spécifiques pour la distribution de ces énergies. Personne ne doit être laissé de côté.
Le continent offre un énorme potentiel dans le solaire. Ici, au Zimbabwe.
changements sociétaux importants. La modélisation socio-économique des scénarios de l’IRENA montre que, dans l’ensemble, le solde d’emplois est positif en faveur de la transition énergétique, car les nouveaux emplois dépassent largement ceux perdus dans les combustibles fossiles. Les producteurs d’équipement se trouvent surtout dans quatre pays : les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne. Comment promouvoir la fabrication de systèmes solaires et éoliens sur le continent ?
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Certains modèles cités dans votre rapport Renewable Energy Market Analysis*, publié en janvier dernier, estiment que les énergies renouvelables créent en moyenne trois fois plus d’emplois que les fossiles ! Comment expliquer prévoit un tel écart ?
Certains pays africains sont dotés en minéraux essentiels On utiles aux éoliennes un PIB ou aux batteries électriques (notamment La modélisation de Heidi en Afrique le manganèse, Garrett-Peltier révèle en effet plus élevé que le cuivre, le lithium, que l’investissement dans celui réalisé le cobalt, le chrome et les énergies renouvelables dans le cadre le platine…). L’ampleur crée – pour chaque million à laquelle l’Afrique de dollars de dépenses – près de l’actuel tirera avantage de la de trois fois plus d’emplois que statu quo. transition énergétique dans les combustibles fossiles. dépendra fortement de la capacité Le caractère « distributif » des énergies des pays producteurs de matières renouvelables [c’est-à-dire leur accès premières à investir et développer à tous les secteurs de la société, ndlr] les capacités de transformation plus contribue à la création d’emplois de en amont de la chaîne de valeur. Ce qualité. Mais l’effet net sur l’emploi du n’est que lorsque l’activité économique déploiement de la transition énergétique passera de la simple exportation de dépend de davantage de facteurs que matières premières à celle de produits la simple demande de main-d’œuvre à plus forte valeur ajoutée que ces pays pour produire ces technologies. pourront s’emparer d’une plus grande L’ampleur de la transformation joue part des emplois liés à la transition. un rôle important : l’électrification Ceux-ci ne sont pas tous dans liée à la transition introduit des AFRIQUE MAGAZINE
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l’industrie, il existe également un énorme potentiel dans les services. Le continent n’a que faiblement contribué au réchauffement climatique, mais désormais les Africains sont appelés à s’adapter à la transition énergétique… Comment convaincre la population des bénéfices de cette dernière ?
Nous devons nous débarrasser de l’idée que la transition énergétique exige des sacrifices, et comprendre que cette transition vers un système énergétique durable représente, en réalité, une vaste opportunité. Notre modélisation révèle que, malgré l’abandon difficile des sources d’énergie à forte intensité de carbone, la transition énergétique s’avère extrêmement prometteuse pour l’Afrique. En moyenne, sur la période de transition, on prévoit un PIB en Afrique plus élevé que celui réalisé dans le cadre de l’actuel statu quo. Mais c’est en matière de bien-être qu’elle offre les avantages les plus prononcés : notre indice de bien-être de la transition énergétique (qui intègre des composantes sociales, économiques, environnementales, etc.) s’améliore de plus de 25 % par rapport au statu quo. La transition apporte d’importants avantages structurels pour l’Afrique, notamment une économie diversifiée, innovante, l’accès à l’énergie et de profonds avantages pour l’environnement, tous essentiels à un développement socio-économique plus équitable. ■ *Disponible sur irena.org/publications.
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Lacina Koné
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ALLIANCE SMART AFRICA
« Nous devons davantage investir en nous-mêmes » Le continent a encore de nombreux défis à relever avant de pouvoir pleinement profiter de l’opportunité technologique et digitale. Si l’Afrique a connu de récents progrès en matière de développement, elle doit faire attention à une « nouvelle forme de colonisation ». Rencontre avec l’Ivoirien Lacina Koné, patron de Smart Africa.
par Oscar Pemba 96
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n tant que directeur général de l’alliance Smart Africa, une institution réunissant des acteurs privés et publics de l’économie africaine, Lacina Koné passe la plupart de son temps sur la route. Avant Barcelone, où il a assisté fin février au Mobile World Congress, le plus grand rassemblement au monde pour l’industrie du mobile, il s’est rendu en Estonie, pays leader en matière d’administration électronique et de numérisation. Ces déplacements lui permettent d’appréhender de nouvelles solutions digitales pour le continent et de tirer profit du partage de connaissance : « En Estonie, je ne voulais pas seulement comprendre comment les Estoniens faisaient ce qu’ils faisaient, mais ce qu’ils faisaient différemment. » Cet entrepreneur acharné essaye tant bien que mal de responsabiliser les professionnels qui l’entourent. Malgré les progrès réalisés en matière d’investissements, particulièrement dans le secteur technologique, Lacina Koné déplore la part toujours faible portée par le continent : « L’Afrique est le troisième plus grand continent du monde et ne représente pourtant que 1 % des investissements mondiaux dans la technologie. Nous avons une population de 1,3 milliard d’habitants, mais ne comptons que sept licornes. » Plus tôt dans l’année, Lacina Koné a rencontré
Davit Sahakyan, vice-ministre arménien de l’Industrie de haute technologie : « L’Arménie compte 2,5 millions d’habitants, et elle a pourtant constitué un fonds national de capital-risque et ambitionne de créer 10 licornes dans les cinq ans ! » s’exclame le directeur de Smart Africa. Il s’inquiète en outre du fait qu’une grande partie des investissements actuels sont des capitaux étrangers. « Nous devons promouvoir l’idée du capital-risque sur notre propre terrain. C’est ainsi que la Silicon Valley a été créée, avec des capitaux locaux. Pour l’instant, seul l’opérationnel est en Afrique. L’argent est étranger. Les sociétés sont enregistrées en dehors du continent et, par conséquent, la valeur ira ailleurs. À long terme, ce n’est pas dans notre intérêt. » La question de la souveraineté revient régulièrement sur le tapis. Lacina Koné est persuadé que l’Afrique a le talent et le savoir-faire pour tirer parti de toutes ses opportunités, mais reste néanmoins réaliste. Deux types de partenariat définissent les relations entre les acteurs étrangers et africains, selon lui : « un partenariat dur » en matière d’apport de matériel de l’étranger, et « un partenariat doux et intelligent », où les Africains fournissent les idées et l’expertise pour appliquer la technologie sur le continent. Lacina Koné porte aussi beaucoup d’intérêt à la question du stockage
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des données. Aujourd’hui, l’Afrique en contrôle seulement 1,5 %, quand les États-Unis sont à 70 %, et la Chine à environ 22 %. « Nous sommes peut-être des retardataires, mais nous devons apprendre des erreurs des autres ; c’est l’avantage d’être en décalage ! C’est aussi une question de souveraineté. Les données africaines doivent être sur notre sol. C’est la raison pour laquelle nous faisons pression pour créer des centres de données locaux ainsi qu’un cloud africain. » En prenant exemple sur l’Estonie, il espère faire comprendre aux entrepreneurs africains l’importance de l’identification numérique : « C’est une pierre angulaire. Sans elle, on ne peut rien faire. Si nous voulons l’inclusion numérique, l’administration en ligne doit être en mesure d’effectuer des contrôles KYC [Know Your Customer, ndlr] ». Il considère cette situation comme étant un « scandale invisible ». « À l’heure actuelle, tous les KYC effectués par les start-up et le secteur privé sont basés sur les numéros de téléphone mobile. »
échelle. L’homme se dit impatient car Pour sortir de cette impasse il sait que les progrès peuvent être plus et attirer les investissements, Lacina rapides, mais s’inquiète d’une éventuelle Koné tente de réunir politiciens et fuite des cerveaux – notamment businessmen autour du sujet de l’accès les ingénieurs logiciels – et appelle à Internet. Selon lui, le partenariat à une refonte complète du entre les secteurs privé et système éducatif. « N’est-ce public est la seule solution pas Dell qui affirme que viable : « La couverture 85 % des emplois en 2030 de 94 % de la population Il nous faut n’ont pas encore été mondiale est assurée par promouvoir créés ? » Il juge que l’Afrique la combinaison de câbles n’a pas raté le coche et sous-marins, de câbles l’idée du à fibres optiques et de capital-risque qu’elle a tout à y gagner. « Où est Nokia aujourd’hui ? satellites. Mais comment se sur notre La seule constante est fait-il que l’Afrique présente propre terrain. que les choses changent toujours une connectivité de plus en plus vite. inférieure à 40 %, alors Nous sommes devenus un continent que le monde, selon les données de de la téléphonie mobile d’abord. » l’Organisation de coopération et de En 2021, le continent représentait 60 % développement économiques (OCDE), des transactions mondiales d’argent est connecté en moyenne à 54 % ? » via mobile. « Chacun avance à son Le dirigeant de Smart Africa se rythme, ce qui est compréhensible, déplace régulièrement sur le continent mais il y a un consensus sur le fait que pour convaincre les gouvernements sans un secteur informatique puissant, à penser de façon stratégique et on est des laissés laissés-pour-compte. harmoniséee en matière de cadres pour compte. » ■ législatif et réglementaire, de protection des données, es, et à des questions telles que la capacité acité d’un cloud à grande
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Une institution panafricaine SOUTENUE PAR L’UNION AFRICAINE et imaginée par Paul Kagame, président du Rwanda, Smart Africa a été conçue pour améliorer le paysage numérique sur le continent. L’institution travaille à la fois avec le secteur privé et les gouvernements. Son conseil d’administration étant composé de représentants du secteur privé, l’ordre du jour est déterminé à la fois par ce dernier et le secteur public, ce qui en fait une structure unique. Ses attributions sont vastes, allant de la collaboration avec les décideurs politiques pour améliorer l’environnement réglementaire à l’harmonisation de la réglementation sur le continent, en passant par la collaboration avec les gouvernements et les opérateurs pour déterminer la meilleure façon de réduire le coût des données. En résumé, il s’agit de faire preuve d’intelligence pour tirer réellement parti des possibilités offertes par la technologie et de créer un environnement propice à la réussite des entrepreneurs. De son côté, Lacina Koné a été formé aux États-Unis. Il a été le conseiller d’Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, sur les questions relatives aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Avant cela, il avait passé de nombreuses années outre-Atlantique au sein de la société de conseil internationale Booz Allen Hamilton, toujours dans le domaine des TIC. ■
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Gandoul et la connectivité Orange en Afrique
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e 17 mai, journée internationale des télécommunications, la petite localité de Gandoul, située à 50 kilomètres à l’est de Dakar, est à la fête. Elle procède à une double cérémonie. Tout d’abord, la commémoration du cinquantenaire du site historique de la première station terrienne des télécommunications par satellite implantée en Afrique, inaugurée le 5 avril 1972 par le président Léopold Sédar Senghor, et qui a rendu possibles les premières communications par satellite au Sénégal et en Afrique. Un mémorial sera érigé autour du périmètre de l’ancienne grande antenne de 50 mètres de haut, qui pèse 350 tonnes. Le village de Gandoul bénéficiera aussi du Projet village de la fondation Sonatel, soutenu par les fondations Orange et Société européenne des satellites (SES), avec notamment la construction d’infrastructures de santé et d’éducation. L’ancien ministre d’État Alassane Dialy Ndiaye, premier Africain spécialisé dans les communications spatiales, ingénieur et chef du projet de construction de la station de Gandoul, a partagé ses souvenirs devant les applaudissements de l’assemblée réunie pour l’occasion. Mais la journée devait aussi marquer le lancement d’une nouvelle ère 98
pour le téléport : le déploiement du premier gateway 03b mPower en Afrique, fruit d’un partenariat entre les sociétés Orange, SES et Sonatel. En plus clair : le Sénégal deviendra la porte d’entrée du continent pour une constellation initiale de 11 satellites de haute performance, mobiles et situés en moyenne orbite, à 8 000 kilomètres de la Terre. En accueillant l’une des huit stations de ce type existant dans le monde, le Sénégal garde sa position de leader dans le domaine. Christel Heydemann dirige L’Afrique bénéficiera ainsi d’un accès le groupe Orange depuis le 4 avril. facilité à des services de connectivité à des débits de plusieurs gigabits meilleur parti des possibilités offertes par seconde. Dans son discours, par la 5G, l’intelligence artificielle, le ministre de l’Économie numérique l’Internet des objets, l’informatique et des Télécommunications, Yankhoba en nuages, la santé numérique et Diatara, a souligné, d’autres technologies ». célébrant entre autres À la manœuvre, la société le thème de la 53e édition française Orange a pour Nous projet de se connecter aux de la journée internationale investissons constellations satellites des télécommunications, afin de couvrir l’ensemble « l’amélioration de la massivement vie des personnes âgées pour le mobile des zones blanches. Avec une couverture et de leurs familles par et en faveur mobile de 99 % de la l’accessibilité et l’inclusivité du réseau fixe population sénégalaise numériques. […] L’enjeu et un service 4G offert est de faire en sorte qu’elles entre les pays. à 90 % des habitants, puissent avoir accès à ces elle lancera les premiers tests 5G cette technologies et d’éviter une fracture année. Selon Jérôme Barré, CEO numérique qui ne les prendrait pas d’Orange Wholesale & International en compte. C’est un devoir pour nous, Networks : « Le trafic international notre responsabilité morale, de tirer le AFRIQUE MAGAZINE
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NICOLAS GOUHIER
Il y a cinquante ans, les communications par satellite sur le continent passaient par le Sénégal. C’est naturellement que ce pays accueille le portail d’accès vers une constellation satellitaire d’envergure, une avancée historique. par Emmanuelle Pontié
Ci-dessus, de gauche à droite (en costume) : Jérôme Barré, CEO d’Orange Wholesale & International Networks ; Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux et des services internationaux d’Orange ; Sékou Dramé, DG de Sonatel ; et Yankhoba Diatara, ministre de l’Économie numérique et des Télécommunications.
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La fameuse antenne de Gandoul, érigée en 1972 sous Léopold Sédar Senghor. Haute de 50 mètres, elle pèse 350 tonnes.
en gigaoctets augmente de 35 % chaque année. Un groupe comme le nôtre a pour enjeu d’accompagner les besoins en connectivité de plus en plus forts que connaît l’Afrique. C’est pourquoi nous investissons massivement sur le continent, à hauteur de 1 milliard par an, pour le mobile, AFRIQUE MAGAZINE
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mais aussi en faveur du réseau fixe et de l’interconnectivité entre les pays, à travers trois axes. Tout d’abord, le câble sous-marin, afin d’accéder à des contenus éloignés, comme les géants du Web. L’Afrique doit être raccordée en sécurité, avec deux ou trois câbles, comme au Sénégal. Nous essayons ainsi de mailler tous les pays côtiers.
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En ce qui concerne le terrestre, le réseau Djoliba dessert huit États d’Afrique de l’Ouest : le Sénégal, le Ghana, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Guinée, le Mali et le Nigeria. C’est le premier réseau totalement interconnecté, avec un seul interlocuteur, technique, commercial, etc. Et enfin, le satellite, qui est une solution de connexion directe. Nous pouvons y accéder avec un portable lambda. » Avec une triple solution de connectivité, enrichie par le nouveau téléport de Gandoul, qui devrait être opérationnel d’ici à la fin de cette année, l’Afrique devrait bénéficier d’une réelle amélioration de son accès aux communications et aux nouvelles technologies. Grâce, en partie, au rôle de pionnier historique du Sénégal. ■ 99
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Le BTP à l’assaut du continent
Le palais des sports Dakar Arena a été érigé par la société Summa.
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nauguré en février, le stade olympique de Diamniadio – la fameuse ville nouvelle près de la capitale sénégalaise – est l’œuvre d’une entreprise de bâtiment et travaux publics (BTP) turque, Summa, qui a bâti cette enceinte de 50 000 places en dix-huit mois. Elle a aussi érigé le palais des sports Dakar Arena ainsi que le centre des expositions de Dakar. La société est par ailleurs co-actionnaire – avec son compatriote, 100
le groupe cimentier Limak – de l’aéroport international Blaise Diagne. Son carnet de commandes africain ne désemplit pas : des aéroports au Niger, en Guinée-Bissau, en Sierra Leone, un stade au Rwanda, ou encore des centres d’exposition en République démocratique du Congo et en Guinée équatoriale… Depuis 2015, Summa prospecte aussi l’or au Niger. « Il y a dix ans, nous n’avions aucun projet en Afrique en dehors de la Libye,
aujourd’hui, cela concerne 99 % de nos activités », a résumé Selim Bora, PDG de la société, début mai à The Economist. La plupart des groupes de BTP turcs sont dans le même cas : désormais, 17 % de leurs chantiers à l’étranger sont situés en Afrique subsaharienne… contre seulement 0,3 % en 2008 ! Quarante des plus importantes entreprises de construction du globe sont turques. Le secteur du BTP est le troisième le plus important au monde,
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SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA
Les entreprises de construction du pays sont de plus en plus présentes dans un contexte de recul de la « Chinafrique ».
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après la Chine et les États-Unis. Très présents en Afrique du Nord, ces groupes se sont tournés vers le sud du Sahara après la chute du colonel Kadhafi en 2011, le chaos libyen les incitant à diversifier leurs activités. Leur réputation les y avait précédés : « Beaucoup de dirigeants africains qui avaient visité la Libye et apprécié les ouvrages turcs étaient impatients de travailler avec eux », souligne The Economist. Ces sociétés ont en effet la réputation de travailler plus vite que leurs concurrents chinois, pour un rendu de qualité. Surtout, leurs chantiers sur le continent font majoritairement appel à des ouvriers et des sous-traitants africains, alors que les Chinois ont tendance à faire venir leur propre main-d’œuvre. Signe des temps, le groupe Yapi Merkezi a remporté fin décembre, face à des concurrents chinois, l’appel d’offres pour la construction de la ligne de chemin de fer reliant Dar Es Salam au lac Victoria en Tanzanie, pays pourtant partenaire historique de Pékin. L’essor du made in Türkiye (le pays ne souhaite plus être appelé « Turkey » en anglais, qui signifie aussi « dinde »…) est concomitant du reflux de la Chinafrique : selon le Boston University Global Development Policy Center, après deux décennies de domination et un pic en 2016, les prêts chinois ont chuté de 78 % l’an dernier, pour un montant inférieur à 2 milliards de dollars, soit leur plus bas niveau en Afrique depuis 2004 ! Le Covid-19 est passé par là : affecté par une récession en 2020, le continent est plus regardant envers les prêts de l’Empire du Milieu, son premier créancier. La crise a aussi affecté la capacité de prêt de la Chine. La nature ayant horreur du vide, ses challengers, notamment turcs, prennent donc le relais. ■ C.G. AFRIQUE MAGAZINE
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Le président rwandais Paul Kagamé a été accueilli par son homologue congolais Denis Sassou-Nguesso le 13 avril dernier.
Un étonnant modèle de coopération sud-sud
La République du Congo va concéder 12 000 hectares de maraîchages au Rwanda.
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’annonce a été faite à l’occasion de la visite du président rwandais Paul Kagamé à son homologue congolais Denis Sassou-Nguesso (DSN), mi-avril : la République du Congo va céder 12 000 hectares de terres agricoles au Rwanda. Les parcelles, concédées par Brazzaville à Kigali pour une période de vingt-cinq ans, sont constituées de maraîchages situés au bord du fleuve Congo. Il y sera principalement cultivé du ricin, plante avec laquelle est produite de l’huile, susceptible d’être exportée. Les deux pays d’Afrique centrale – qui n’ont pas de frontière commune – ont en effet chacun des besoins que l’autre peut satisfaire : le Congo (342 000 km2 pour 5,5 millions d’habitants) compte
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10 à 12 millions de terres arables, dont 5 % seulement sont exploitées. Inversement, le pays des mille collines, douze fois moins vaste mais presque trois fois plus peuplé (26 000 km2 pour 13 millions d’habitants), souffre d’un manque chronique de terres, ce qui entraîne des litiges fonciers et des tensions sociales. DSN et Kagamé entendent ainsi démontrer le potentiel de la coopération sud-sud au service du développement du continent. Certains à Brazzaville redoutent cependant que le Rwanda profite de ce deal davantage que son partenaire : « Il y aura le made in Congo, mais les ressources financières vont atterrir dans une banque de Kigali », a estimé le 3 mai l’analyse économique Alphonse Ndongo à nos confrères de RFI. ■ C.G. 101
VIVRE MIEUX Pages dirigées par Danielle Ben Yahmed, avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
L’ANDROPAUSE, LA MÉNOPAUSE AU MASCULIN ON ASSIMILE l’andropause chez les hommes à la ménopause chez les femmes. Il s’agit dans les deux cas d’une histoire d’hormones avec des différences. Chez les femmes, la ménopause correspond à la fin de la sécrétion des hormones estrogènes et progestérone, elle marque la fin de la fertilité. Chez les hommes, il n’y a pas d’arrêt de production des hormones masculines, mais une baisse de la sécrétion de testostérone (principale hormone masculine, essentiellement produite dans les testicules). On parle alors d’andropause, ou de déficit androgénique lié à l’âge, lorsque cette baisse s’accompagne de symptômes. La production de spermatozoïdes n’est pas stoppée, et l’homme peut toujours procréer. 102
Toutes les femmes sont concernées par la ménopause, même si elles n’en subissent pas forcément les désagréments avec la même intensité. En revanche, l’andropause n’est pas systématique : il y a des hommes qui gardent toute leur vie un taux assez élevé de testostérone, tandis que d’autres souffrent d’un franc déficit. En fait, l’andropause ne touche qu’une petite partie des hommes (aux alentours de 25 à 30 % après 60 ans), même si la baisse de la testostérone, progressive, se produit chez tous : à partir de 30 ans, le taux diminue déjà d’environ 1 % par an, étant un phénomène naturel lié au vieillissement. Mais la majorité en conserve tout de même assez pour ne pas avoir de symptômes, et donc ne pas s’en rendre compte. Les normes AFRIQUE MAGAZINE
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LES HOMMES CONNAISSENT MAL CE PHÉNOMÈNE. ILS EN SOUFFRENT POURTANT TOUS, MAIS À DES DEGRÉS DIVERS.
de testostérone varient selon les tranches d’âge, et le dosage se fait par analyse de sang à deux reprises, à un mois d’intervalle, pour confirmation du diagnostic. Quand elle se manifeste, l’andropause peut aussi bien survenir à 50 ans qu’à 60 ou 65 ans – voire encore plus tard. La testostérone régulant la fonction sexuelle masculine, les symptômes les plus courants sont la diminution du désir, des érections moins fréquentes et moins fermes. Il y a également disparition des érections spontanées nocturnes ou matinales. L’andropause peut provoquer d’autres symptômes : fatigue, état dépressif, irritabilité, prise de graisse au niveau abdominal, diminution de la force et de la masse musculaire, de la densité osseuse ou encore de la pilosité. Une sudation importante (des bouffées de chaleur) ou des troubles de la mémoire ou du sommeil peuvent aussi être constatés.
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LIMITER LES SYMPTÔMES
Le surpoids augmente le risque de souffrir d’andropause, le tissu graisseux entraînant une réduction des hormones masculines. Tout ce qui permet de perdre de la graisse, comme une alimentation adaptée et de l’exercice physique, est ainsi bénéfique pour la testostérone : cela aide à préserver son taux ou à diminuer les symptômes de l’andropause. Une consommation excessive d’alcool peut aussi affecter la production hormonale masculine, de même que, selon certaines données, le fait de dormir moins de 6 heures par nuit sur le long terme. Pour limiter les symptômes, on peut prendre un traitement hormonal substitutif au long cours. La testostérone peut être prescrite sous forme de comprimés, de patchs, de gels à appliquer quotidiennement sur la peau ou sous forme injectable (avec une administration à plusieurs semaines d’intervalle). Son action peut être variable, mais en principe, il permet de réduire les symptômes gênants, de redonner un coup de fouet à la libido, d’améliorer la force musculaire et de diminuer la masse grasse. Avant sa prescription, un bilan est indispensable car diverses affections sont contre-indiquées (comme un cancer du sein – possible chez l’homme –, de la prostate…), la testostérone pouvant favoriser le développement d’un cancer débutant. En revanche, contrairement à une crainte, ce traitement ne favorise pas le déclenchement d’un cancer de la prostate. Si le traitement hormonal est contre-indiqué ou non voulu, une prescription de médicaments de la dysfonction érectile, une perte de poids ou encore une activité physique plus soutenue peuvent permettre de retrouver une meilleure qualité de vie. ■ Julie Gilles AFRIQUE MAGAZINE
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DES CRAMPES EN MARCHANT ? PERÇUES COMME BANALES, ELLES PEUVENT AUSSI ÊTRE LE SIGNE D’UNE ARTÉRITE. SOUVENT, on s’inquiète peu de ces crampes : on les attribue à un manque de magnésium, à une fatigue musculaire… Et puis, lorsqu’on s’arrête de marcher quelques minutes, le mal disparaît, donc on ne s’inquiète pas. Or, le fait d’avoir des crampes qui se répètent lors de la marche doit faire penser à un problème d’artères : celles des jambes irriguant les muscles, sont encrassées par des plaques de graisses et peuvent finir par se boucher. Tabagisme, diabète, excès de cholestérol ou encore hypertension favorisent cette maladie appelée « artériopathie oblitérante des membres inférieurs », ou communément « artérite ». Il est capital de consulter son médecin afin d’éviter une aggravation (difficultés de marche, puis douleurs au repos). Il existe des traitements efficaces, mais il faut arrêter de fumer et continuer à marcher régulièrement (30 minutes trois fois par semaine). Consulter permet en parallèle de rechercher le même problème d’artères obstruées au niveau du cœur ou du cerveau : un traitement peut ainsi permettre d’éviter un infarctus ou un AVC. ■ Annick Beaucousin 103
VIVRE MIEUX
DES PLANTES
Les baies et les feuilles de cassis ont des propriétés anti-oxydantes et anti-inflammatoires.
CONTRE L’ARTHROSE L’ARTHROSE EST UNE ATTEINTE du cartilage : lésé, il se dégrade peu à peu, d’où le mal. Le réflexe est alors de se tourner vers des médicaments antidouleur et anti-inflammatoires, mais tout miser sur eux ne suffit pas. Avant tout, deux points sont essentiels. En premier lieu, il faut continuer à bouger (sauf poussée très douloureuse) : une activité physique douce régulière entraîne la sécrétion d’endorphines qui contrôlent la douleur, améliore la mobilité des articulations et diminue l’inflammation qui les agresse. Par pression sur le cartilage, le mouvement améliore ainsi sa nutrition et stimule sa reconstruction. Au besoin, de la kinésithérapie est recommandée. Le second point capital est de batailler contre le surpoids : les kilos en trop augmentent en effet la pression sur les articulations et les cartilages des membres inférieurs, les surmenant. Mais ce n’est pas tout, le tissu graisseux sécrète des substances inflammatoires néfastes sur toutes les articulations, y compris celles des mains. La phytothérapie est en outre très intéressante pour combattre le mal. L’harpagophytum est souvent la première plante préconisée, des études ayant montré qu’elle diminue bel et bien les douleurs. Elle peut ainsi permettre de réduire la consommation de médicaments. 104
Il est conseillé de la prendre en gélules afin d’absorber une bonne teneur en principes actifs (2 à 4 g par jour). Mais il faut savoir que l’efficacité n’est pas immédiate : cela nécessite plusieurs semaines pour avoir des résultats. Autre plante intéressante, le cassis (baies et feuilles) : ses propriétés anti-oxydantes et anti-inflammatoires, grâce à ses flavonoïdes, soulagent les douleurs articulaires. On le prend en tisane (40 g pour ½ litre d’eau), à plusieurs reprises dans la journée, en cures de trois semaines espacées d’une semaine d’arrêt. Pendant une crise très douloureuse, on peut également boire trois à cinq tasses par jour de cette tisane à l’effet « aspirine naturelle » : un mélange de fleurs de reine-des-prés et d’écorce de saule blanc, à raison de 3 g de chaque dans 25 cl d’eau. Enfin, on pense aux huiles essentielles pour une douleur localisée sur une articulation peu profonde (mains, genoux…). Celles de gaulthérie et de gingembre notamment ont des propriétés antidouleur et anti-inflammatoires : on mélange trois gouttes de chaque dans une demi-cuillerée d’huile végétale, et on se masse en douceur. Dans tous les cas, il faut demander conseil à son médecin ou son pharmacien pour s’assurer de l’absence de contre-indication aux plantes. ■ A.B. AFRIQUE MAGAZINE
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UNE OPTION NATURELLE À NE PAS NÉGLIGER POUR ÉLOIGNER LES DOULEURS.
En bref Le pouvoir dans votre assiette
SE BLANCHIR LES DENTS, MAIS PAS N’IMPORTE COMMENT
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AVOIR UN SOURIRE ÉCLATANT EST UN RÊVE POUR BEAUCOUP. IL FAUT NÉANMOINS ÊTRE PRUDENT. QUAND ON SOUHAITE blanchir ses dents, le risque est d’utiliser des produits agressifs qui vont attaquer l’émail, cette couche dure recouvrant les dents et leur donnant leur teinte brillante. Avec plusieurs conséquences possibles : une sensibilité au brossage, au contact du chaud et/ou du froid, d’aliments acides ou sucrés… L’émail peut aussi être en quelque sorte abrasé, plus fin, et devenir une porte ouverte aux attaques microbiennes. Il peut également laisser apparaître la dentine en dessous, dentine qui a toujours une couleur jaune… allant bien sûr à l’encontre du résultat escompté ! Et malheureusement, une fois l’émail abîmé, c’est définitif, il ne se régénère jamais. Il faut donc être prudent. Utiliser des dentifrices blancheur ou blanchissants n’est pas très risqué : ils vont surtout aider à limiter les colorations sur les dents, dues par exemple aux boissons contenant des tanins (thé, café, vin), au tabac… En revanche, il faut se méfier d’autres méthodes, même « naturelles ». Ainsi, mettre du citron sur sa brosse à dents pour éliminer des taches est une fort mauvaise idée ! Le citron battant des records d’acidité, plus on en met, plus on abîme ses dents avec une déminéralisation de l’émail, et plus on les jaunit ! Utiliser du charbon peut avoir les mêmes conséquences, avec AFRIQUE MAGAZINE
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un amincissement de l’émail. Et cela vaut aussi pour la poudre de bicarbonate. Des « bars à sourire » se sont ouverts un peu partout. Mais le blanchiment, peu cher, n’y est pas effectué par des professionnels de santé, les produits employés sont peu concentrés en actifs, et l’effet blanchiment ne dure pas longtemps. Certes, il y a peu de risques, cependant un contrôle au préalable chez son dentiste est conseillé : un problème de carie ou d’inflammation des gencives pourrait être aggravé par l’acte. Un blanchiment en cabinet dentaire est d’ailleurs la meilleure solution, car réalisé dans les règles de l’art et durable. Les dentistes utilisent des gels à base de peroxyde d’hydrogène très concentrés et réalisent des gouttières sur mesure pour y déposer le produit. Attention, les produits à base de peroxyde d’hydrogène fortement concentrés que l’on trouve sur Internet ne doivent pas être employés à la maison sous peine d’ennuis : hypersensibilité, douleurs, résultat inadapté ou encore dents abîmées… Enfin, c’est à savoir : le blanchiment n’agit que sur les dents naturelles. Donc, en cas de couronne en céramique ou de dent comblée avec un composite, il faudra souvent la refaire si l’on veut arriver à la même teinte. ■ J.G.
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L’avocat bon L’avocat, pour le cœur ● On le savait déjà plein
de bienfaits, mais une étude, publiée dans le Journal of the American Heart Association, menée durant trente ans sur plus de 100 000 personnes confirme son atout pour le cœur. Ainsi, en mangeant un avocat par semaine, on a un risque de maladies cardiovasculaire et coronarienne inférieur de 16 et 21 % par rapport à quelqu’un qui n’en mange rarement ou jamais.
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Avant, j’étais prodigue. Mais après de nombreuses difficultés, je suis devenue plus économe.
10 De jour ou de nuit ? De nuit, assurément. Je ne suis pas du genre à aller en boîte, mais j’aime sortir, me promener, être avec des amis.
11 Twitter, Facebook, e-mail,
coup de fil ou lettre ?
Lucibela
Nouvelle ambassadrice des musiques du Cap-Vert, la chanteuse signe son deuxième album. VIBRANTE DE SAUDADE, sa voix raconte les joies, les peines, les défis des femmes de son « petit pays ». propos recueillis par Astrid Krivian 1 Votre objet fétiche ? Mon téléphone portable ! Il rassemble mon travail, mes appels, mes loisirs. Je ne peux pas vivre sans.
2 Votre voyage favori ? L’Australie. C’était un rêve ! J’ai adoré Sydney. Maintenant, j’aimerais découvrir le Japon ou la Corée du Sud.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ? En France à Albi, pour un concert hommage à Césaria Evora.
4 Ce que vous emportez toujours
avec vous ?
Pendant longtemps, « Your Song », d’Elton John, était une obsession.
8 Votre mot favori ? « Musique ». 106
13 Votre extravagance favorite ? Passer une journée entière dans les magasins à acheter des vêtements.
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Économiste. Ce n’était pas vraiment un rêve, mais autour de moi, on disait que c’était un bon travail. Maintenant, si je n’étais pas chanteuse, j’aimerais être massothérapeute.
15 La dernière rencontre qui vous
a marquée ?
Un rendez-vous amoureux ? Ça fait longtemps que je n’ai pas eu de rencontre inoubliable…
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?
La première fois que j’ai vu le visage de ma fille, à la maternité. J’ai parfois l’impression que son parfum est resté le même. Amdjer, Lucibela/Sony.
L’Alchimiste, de Paulo Coelho. Enfant, je n’étais pas encouragée à la lecture. Maintenant, je me mets doucement à lire des ouvrages recommandés par des proches. Pretty Woman. Je ne m’en lasse pas !
Écouter de la musique. Je peux penser, réfléchir, mais aussi oublier le monde extérieur avec des écouteurs sur les oreilles.
17 Votre plus beau souvenir ?
6 Un livre sur une île déserte ?
7 Un film inoubliable ?
12 Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ?
La bonne cuisine !
Un porte-clés réalisé par ma fille de 9 ans. Et mes peignes afro : un dans mon sac à main et un dans mon bagage en soute !
5 Un morceau de musique ?
Coup de fil. Je ne suis pas aussi moderne que les gens de ma génération [rires] !
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ? Au Portugal, où je vis. Je m’y sens bien.
19 Votre plus belle déclaration d’amour ? Je n’ai jamais eu de déclarations d’amour comme dans les films [rires] ! C’est plutôt des « Je t’aime », je ressens de l’amour, de l’affection, de l’attention, de l’amitié.
20 Ce que vous aimeriez que l’on retienne
de vous au siècle prochain ?
Que je communiquais de bonnes énergies aux gens, réchauffais leur cœur, leur apportais de la joie avec ma voix. Que je perpétuais la musique traditionnelle du Cap-Vert, et la diffusais partout où j’allais. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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ALEX TOME - DR
LES 20 QUESTIONS
9 Prodigue ou économe ?
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C’est mon talent qui dessine mon avenir. SC BTL-09/21 - Crédits photos : © Patrick Sordoillet.
PATRICIA AHOURO RESPONSABLE DU CUSTOMER SERVICE
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