JUIN 2006 = N°145
Les mots de la Psychiatrie
REVUE DE RECHERCHE ET D’ÉCHANGES
AFPEP 141, rue de Charenton - 75012 Paris Tel. 01 43 46 25 55 - Fax. 01 43 46 25 56 ISSN : 0301-0287
Les mots de la Psychiatrie Glissements sémantiques, remaniements de la clinique
JUIN 2006 = N°145
Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé 28 €
REVUE DE RECHERCHE ET D’ÉCHANGES
Les mots de la Psychiatrie Glissements sémantiques, remaniements de la clinique
Juin 2006 = N°145
Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé
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PSYCHIATRIES N°145 JUIN 2006
AFPEP-SNPP
L'Association Française des Psychiatres d'Exercice Privé (A.F.P.E.P.), fondée en juillet 1970, a promu une recherche théorico-pratique pluridisciplinaire sur la psychiatrie, son objet, son exercice, ses limites, en s'appuyant de façon plus particulière sur l'expérience de la pratique privée. Société scientifique de l'Association mondiale de psychiatrie (W.P.A.), affiliée à l'UNAFORMEC en tant qu'organisme de formation continue, l'A.F.P.E.P. anime de multiples cadres de travail nationaux ou décentralisés, prioritairement à l'intention et avec le concours des psychiatres privés, mais enrichis d'une très large participation nationale et internationale de cliniciens, chercheurs et théoriciens concernés par la psyché, dans toute la diversité de leurs orientations. Scandés par la tenue annuelle des “Journées nationales de la psychiatrie privée”, les travaux de l'A.F.P.E.P. s'articulent autour de sessions d'étude et de séminaires thématiques, régionaux ou nationaux. Productrice de modules de formation, elle accrédite et coordonne par ailleurs les activités de formation d'associations locales ou régionales de psychiatres privés. L'A.F.P.E.P. a élaboré en 1980 la “Charte de la psychiatrie” autour des références éthiques garantes de l'indépendance des praticiens ainsi que du respect des patients. L'A.F.P.E.P., association scientifique, à travers sa réflexion et ses recherches, donne socle à l'action du Syndicat National des Psychiatres Privés (S.N.P.P.) fondé en 1974. L'A.F.P.E.P.-S.N.P.P. a publié en 1995 le “Manifeste de la Psychiatrie”, synthèse des principes d'efficience d'une pratique confrontée aux risques contemporains de réduction bureaucratique et comptable de l'activité soignante des psychiatres privés.
AFPEP-SNPP 141, rue de Charenton - 75012 Paris - France Tél. : (33)1 43 46 25 55 - Fax : (33)1 43 46 25 56 E-mail : info@afpep-snpp.org - Site Internet : http://www.afpep-snpp.org
PUBLICATION DE L’AFPEP JUIN 2006 - N°145 Secrétariat de la Rédaction 141, rue de Charenton 75012 Paris tél. : 01 43 46 25 55 fax : 01 43 46 25 56 psychiatries@afpep-snpp.org
Fondateur Gérard BLES Directeur de la Publication Jean-Jacques LABOUTIÈRE Directeur de la Rédaction Olivier SCHMITT Rédactrices en Chef Dominique JEANPIERRE Anne ROSENBERG Comité de Rédaction Jacques BARBIER, Antoine BESSE Hervé BOKOBZA, Pascal BOURJAC Martine BURDET-DUBUC, Patrice CHARBIT Pierre COËRCHON, Chantal COORNAERT Anne DESVIGNES, Claude GERNEZ Marie-Lise LACAS, Jacques LOUYS Marc MAXIMIN, Patrick STOESSEL Jean-Jacques XAMBO Traduction en anglais Steven JARON Conception Graphique Marie CARETTE / Gréta Réseau Graphique Impression Imprimerie Nouvelle Sté Angevin - Niort ISSN 0301-0287 Dépôt légal : 2ème trimestre 2006 28 €
SOMMAIRE Éditorial Économie et nouvelles formes cliniques. Jean-Louis Place : Occupation des mots, résistance de la pensée. . . . . . p. 11 Bernard Maris : Les mots de l’économie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 23 Discussion.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 29 Stéphanie Palazzi : Le coaching, du stress à l’angoisse ? . . . . . . . . . . . . p. 35 Hélène Baudoin : glissements sémantiques, remaniements de la pratique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 41
Valeurs du XXIe siècle et retour sur l’histoire. Dany-Robert Dufour : La fabrique d’un nouvel homme ? . . . . . . . . . . . . . p. 47 Jean-Pierre Lebrun : Un retournement anthropologique. . . . . . . . . . . . . . p. 57 Discussion.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 79 Françoise Cointot : Pédopsychiatrie, évaluation et expertise. . . . . . . . . . p. 89 Gérard Neyrand : Reconfiguration des savoirs sur la famille et procès de médiatisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 101 Patrice Charbit : La psychothérapie ou la désaliénation du psychiatre du XIXe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 109 Jacques Félician : De la servitude. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 117
L’humanité de l’homme ? Jean-Claude Guillebaud : Qu’est-ce que l’humanité de l’homme ? . . . . . p. 125 Laura Bossi : L’éclipse de l’âme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 133 Thierry Delcourt : Résonance magnétique des mots. . . . . . . . . . . . . . . . . p. 145 Gonzague Mottet : Dessine-moi la confiance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 155 Alain Sarembaud : Aspects de la consultation homéopathique, complémentarité avec la psychiatrie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 165
SOMMAIRE
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Modèles et modernité Jean-Jacques Xambo : Modernité et métaphore. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 177 Guy Dana : L’inconscient et la conquête de l’espace, une théorie de la pratique orientée par la psychose. . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 189 Michel Botbol : Les modèles en psychiatrie.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 203 Discussion.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 215 Andrée Ortéga : De l’opportunité et des conséquences du choix des termes « psychose maniaco-dépressive » ou « troubles de l’humeur ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 223 Imed Regaied : Les mots au psychiatre face aux maux des individus et de la société. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 229 Gilbert Letuffe : L’angoisse au quotidien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 235
Vignettes cliniques Annie Stammler : La cure de Bertrand, une rencontre. . . . . . . . . . . . . . . . p. 241 Hervé Hubert : Le transfert, obstacle et moteur dans la psychothérapie des psychoses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 249
Désirs de livres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 259 Anciens numéros Liste de tous les numéros de PSYCHIATRIES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 271
Bulletin d’adhésion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 275
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Les textes contenus dans ce numéro correspondent : aux interventions des Journées Nationales de l’AFPEP qui se sont déroulées à Paris en octobre 2004, dont la coordination a été assurée par Martine B. Dubuc, et à celles du séminaire de printemps 2005 organisé à Marseille par l’AFPEP sous la houlette de Marc Maximin.
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Nos maux, exposés au cours de ces journées, s’ils concernent essentiellement les rapports humains, ne s’appliquent-ils pas aussi à d’autres champs ? Les mots qui surgissent, égarés parfois dans un charabia de signes, néologismes, mots des SMS, mots des statistiques, mots instruments de pouvoirs obscurs, ne sont-ils pas vecteurs d’assujettissement aux oreilles de celui qui les entend ? Or nous savons par la fable d’Ésope que “La langue est la pire et la meilleure chose qui soit au monde”… Souhaitons donc que nos Journées Nationales, nous permettent encore de travailler dans une écoute mutuelle, résistance de taille au manque de sens et terrain fertile pour d’autres paroles ! Martine B. Dubuc
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ÉDITORIAL La psychiatrie, prise dans la folie pragmatique contemporaine, se débat pour survivre dans un monde où l’acte prévaut sur la pensée, l’immédiateté sur l’après coup, où l’on est contraint à une efficacité instantanée. La novlangue envahit aussi notre champ, nous prenant dans les rets du discours marchand et scientiste. Ainsi le tragique de l’angoisse se rétrécit-il au banal du stress (Stéphanie Palazzi, Gilbert Letuffe). La démétaphorisation du monde menace la vie psychique d’une transparence déshumanisante (Jean-Jacques Xambo). La perte du singulier ouvre à l’uniformité. Parallèlement à la disparition des récits sotériologiques et des grandes idéologies, l’effacement du sujet critique kantien et du sujet névrosé freudien fait place à un sujet marchandisé et mondialisé (Dany- Robert Dufour). La condition humaine change, un nouvel homme est en fabrique : hystérologique, pervers ou schizoïde ? Ces mutations infiltrent notre pratique, tant en pédopsychiatrie où les différentes instances, scolaires, juridiques, sociétales pèsent sur le thérapeutique (Françoise Cointot) qu’avec les nouvelles obligations d’évaluation des pratiques qui, après avoir touché le secteur institutionnel (Jean-Louis Place) s’imposent dans nos cabinets. Pourtant, si l’on se réfère à l’évolution historique, le psychiatre a conquis sa place lorsque, s’introduisant dans les tribunaux, il a fait sortir le malade mental des prisons, rivalisant avec le charlatan et le curé au moment où la république libérait un espace de parole (Patrice Charbit).
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Tirons la sonnette d’alarme. Où est passée l’humanité de l’homme (Jean-Claude Guillebaud), comment l’âme s’est-elle éclipsée (Laura Bossi), comment échapper à une servitude volontaire (Jacques Félician) et à la tyrannie du discours économique (Bernard Maris) ? Les pathologies changent à l’instar des changements sociétaux (Jean-Pierre Lebrun) et de discours (Hélène Baudoin, Gérard Neyrand). Examinons nos modèles (Michel Botbol), nos cadres thérapeutiques, notamment celui du secteur (Guy Dana) et nos pratiques (Hervé Hubert, Annie Stammler, Alain Sarembaud). Sauvegardons la confiance (Gonzague Mottet), notre savoir clinique (Imed Regaied) et nosographique (Andrée Ortéga). Contre la novlangue qui engourdit la pensée, nous pouvons introduire des jalons de résistance : d’abord ne pas céder sur les mots, comme le conseillait Sigmund Freud*, et sur ses traces, « faire l’Indien, ne pas fuir car chaque pouce cédé à une nappe de mots vides nous rapproche du destin des oiseaux mazoutés… Les mots sont nos ombres et pourtant ils éclairent le monde ». (Thierry Delcourt).
Dominique Jeanpierre et Anne Rosenberg
*Bon anniversaire, Sigmund !
ÉCONOMIE ET NOUVELLES FORMES CLINIQUES
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ÉCONOMIE ET NOUVELLES FORMES CLINIQUES
ÉCONOMIE ET NOUVELLES FORMES CLINIQUES
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OCCUPATION DES MOTS, RÉSISTANCE DE LA PENSÉE Jean-Louis Place*
e thème choisi pour les XXXIIIe Journées de notre association est peut-être au cœur de l’actualité de la psychiatrie, mais sa dimension abstraite peut nous faire dériver vers des considérations vertigineuses et érudites risquant de nous éloigner de notre pratique au quotidien. C’est le lieu d’origine du texte plus que l’adresse qu’il nous faut prendre en compte : au psychiatre de parler de psychiatrie et aux autres intervenants en sciences humaines d’élargir le débat aux phénomènes de société auxquels ce thème convoque. Je vous livre tout de suite ma conclusion : Les psychiatres sont des techniciens de la parole. Les mots que nous entendons, utilisons, n’ont pas la trivialité de ceux du langage courant. Certains mots perturbent notre travail, nous imposent des directions de pensées dommageables pour les plans de soins. Les mots, qu’ils aient qualité de concept ou de notion, s’articulent et renvoient à des univers de discours à l’ouverture variable, qui équivalent ou non à des enfermements. Dans nos actes de parole, nos processus de pensée, il nous faut tenir une position dialectique qui consiste à laisser ouvert un champ de discours en utilisant des outils conceptuels qui évoluent dans des espaces fermés. Il nous faut repérer les signes d’une pathologie, penser un diagnostic, évaluer la dynamique d’une instance dans une topologie analytique, et maintenir avec l’autre, le patient, une relation de non assujettissement qui ne soit pas expurgée de la dissymétrie, de l’équivocité, du malentendu, ces « défauts » de la parole qui sont en réalité constitutifs de toute parole réelle.
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*Psychiatre, médecin directeur de la clinique de la Chesnaie, Chailles (Loir et Cher).
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LES MOTS DE L’ÉCONOMIE Bernard Maris*
a présentation de vos journées annuelles m’a intéressé parce que vous m’avez parlé d’économie, de mesures objectives, de valeur, de rendement (mot piège), de darwinisme social, vous m’avez aussi parlé d’immatériel. Tout cela fait partie des mots de l’économie, c’est le titre que vous avez choisi pour mon intervention d’aujourd’hui. Bien entendu sur les mots/maux d’économie, il y a déjà un jeu de mots, qui n’est pas pour moi qui suis du Sud. Je prononce « mot » et « maux » de la même manière. Mais peut-être qu’avec les gens du Nord de la Loire il y a une légère différence de prononciation qui fait que l’on peut distinguer à l’oreille les « mots » et les « maux ». Je parlerai des mots/maux de l’économie, en me plaçant en tant qu’économiste, pour parler de la légitimation de l’économie. Aujourd’hui vous êtes sommés, commis de parler « économie ». Dans votre profession pourtant si humaine, on vous impose désormais de faire appel à des notions aussi sinistres que celle de rendement et bien d’autres encore… !
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En guise d’introduction, je vous dirai seulement qu’aujourd’hui l’économiste est roi. Dans les discours actuels, celui de l’économiste apparaît de plus en plus. « Qui t’a fait roi, économiste, et pourquoi es-tu le roi ? ». En conclusion j’aborderai les rapports étroits qu’entretiennent entre eux les économistes et les psychologues, rapports secrets certes, mais qui existent bel et bien. L’un des plus grands lecteurs de Freud fut l’économiste Keynes, patron d’un journal dans les années 30, il avait fait paraître un numéro spécial sur Freud. « Mais qui t’a fait roi ? », question posée à Hugues Capet par un grand feudataire, « capé » lui aussi est parce qu’il porte une cape, c’est un prêtre. *Professeur d’Économie, rédacteur en chef adjoint de Charlie Hebdo.
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DISCUSSION
Émile Rogé Je vais poser trois questions. Première question : Monsieur Maris voit-il un rapport, qui pour moi est évident, entre la monnaie et l’identité, rapport, par exemple, entre l’écu ou le franc et le délitement de l’identité à travers une monnaie collective comme l’euro qu’on pourrait même appeler l’eurodollar ? Deuxième question : voit-il dans l’évolution de l’économie une évolution religieuse inconsciente où l’on passe d’un catholicisme, en quelque sorte sûr de lui et très identitaire, à un protestantisme qui nie ou qui annule, qui supprime la royauté en faveur d’une scission ou d’un hiatus entre la bible et le commerce ? Troisième question, très brève : que pense-t-il de la phrase : « la plus belle fille du monde ne peut offrir que ce qu’elle a » ? Bernard Maris Ces questions mériteraient des développements intéressants. Sur la première, concernant le rapport entre monnaie et identité, je vous rappelle d’abord la phrase de Charles de Gaulle : « le franc, c’est la France ». C’est ce qu’avait dit également Antoine Pinet en effectuant la conversion du franc léger au franc lourd : « à travers toutes les souffrances de notre monnaie, redonner à la monnaie toute sa force. ». C’est comme si l’on disait qu’un kilo de plumes est plus léger qu’un kilo de plomb. C’est vrai que la monnaie est tout à fait identitaire. Vous, les psychiatres, avec la psychanalyse, vous nous avez apporté
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LE COACHING, DU STRESS À L’ANGOISSE ? Stéphanie Palazzi*
sychiatre en CMP et consultant en milieu professionnel, je pourrais dire, pour paraphraser une expression qui n’est pas sans signifier un certain malaise, « j’ai la pratique entre deux mots. » L’angoisse en CMP, le stress en entreprise. Si les patients parlent volontiers de leur angoisse, le mot stress désigne ce qui fait évènement mais aussi les effets somatiques et psychiques qui s’y rapportent. Ceux que je rencontre sur leur lieu de travail l’évoquent à propos des conditions de travail ou de la confrontation au collectif mais parlent peu d’eux-mêmes. D’autres le font pour eux, médecins, consultants, sociologues, journalistes. Le stress est un mot du collectif, l’angoisse est un mot du singulier, Quant les collectifs de travail se délitent au moment d’un plan social par exemple, c’est l’angoisse qui est évoquée face à la violence subie, la peur de l’inconnu et la solitude. Je crois que les plans sociaux sont les seuls moments où j’ai entendu les dirigeants parler de leur angoisse. L’angoisse en entreprise est la même que celle dont on nous parle en consultation. Le stress, lui, ressemble à une construction, il appartient aux scientifiques et plus spécifiquement aux cognitivistes qui en donnent une définition précise mais il appartient aussi à tout le monde sans que personne ne puisse vraiment dire de quoi on parle. Le stress des médecins est celui des cognitivistes, le stress de tout le monde est un mot fourre-tout qui désignerait tout ce qui fait problème. Le stress et la mondialisation résumeraient notre condition humaine du XXIe siècle, avec ceci de rassurant que nous sommes tous à la même enseigne. Mais ce qui reste rassurant pour certains l’est beaucoup moins pour d’autres car cette uniformisation rend toute situation, qu’elle soit
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*Médecin Psychiatre, responsable de CMP et consultant en entreprise.
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GLISSEMENTS SÉMANTIQUES, REMANIEMENTS DE LA CLINIQUE Hélène Baudoin*
n pourrait dire du travail du psychiatre qu’il consiste à être particulièrement vigilant à tout signe de glissement. Encadrer, contenir, soutenir, donner du O sens. Par sa présence, ses mots, ses regards, ses gestes, le psychiatre va tenter de permettre à l’autre de ne pas glisser vers l’angoisse, la dépression, voire le délire, la maladie, la mort. Dans mon cheminement personnel, j’ai appris à aiguiser ma perception de ces glissements de l’âme et à rechercher grâce à la pensée et au cœur un pouvoir de la ramener dans son humanité. Pour cela, il est besoin de temps et d’espace. Être entendu n’a rien d’immédiat. Voilà tout un travail, pour le thérapeute, pour le patient : le travail de la mise en relation, qui articule les données intrapsychiques avec la dimension de l’autre. Il est impossible de concevoir que ce temps et cet espace du travail thérapeutique ne trouvent pas leur place à l’intérieur de l’espace-temps social. Ce qui m’a attirée ici aujourd’hui, c’est d’ajouter à tout ce qui va être dit le témoignage de mon inquiétude. Car il me semble que l’évolution du social laisse entrevoir une grave menace sur la relation thérapeutique à travers les modifications de son propre espace-temps, modifications induites pour une lourde part par les instances de la consommation. Il m’apparaît que nous sommes deux entités autour d’une même réalité : le désir, et qu’il se joue une guerre de conquête. Il est question de nous « évincer ». « Nous », c’est-à-dire tous ceux pour qui tout n’est pas à vendre. Là où pour le psychiatre formé par la culture des siècles passés, le désir doit s’ancrer dans la profondeur de l’ tre avant d’émerger dans une relation vraie à *Psychiatre, membre du Centre international de Psychosomatique.
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LA FABRIQUE D’UN NOUVEL HOMME ? Dany-Robert Dufour*
omme philosophe, je vais essayer de vous dire pourquoi je suis extrêmement intéressé par les travaux et les discours que vous, psychiatres, pouvez C produire. C’est que vous vous trouvez en tant que cliniciens au chevet des populations pour traduire en symptômes les souffrances psychiques qui les affectent. Vous êtes en quelque sorte en première ligne pour voir les effets cliniques suscités par ce que j’appellerais le déroulement de l’aventure historiale de l’homme, c’est-à-dire par la marche de la civilisation, marche malaisée pour le dire en termes freudiens. Fort de ce regard direct, au moins deux attitudes sont possibles. La première va dans le sens du courant dominant et tente de mettre en relation tel symptôme avec son supposé remède, c’est-à-dire telle ou telle molécule qui s’invente tous les jours dans les laboratoires des grandes firmes. Dans ce cas, la maladie mentale et la souffrance psychique relèvent de ce qu’il faut bien appeler un marché puisqu’il s’agit d’introduire un type très particulier de marchandise, mais marchandise quand même, dans la relation thérapeutique : si je vous exhibe tel symptôme, vous me conseillez d’acheter et de consommer telle molécule. Il est d’ailleurs possible que ça marche, ce n’est pas cet aspect de l’évaluation des traitements chimiques que je veux aborder ici, je n’ai d’ailleurs aucun titre à la faire. Je veux aborder le point de savoir si cette réponse épuise vraiment la question devant laquelle vous vous trouvez. Je pense, et vous aussi je le suppose, que cette réponse n’épuise nullement la question. D’abord, c’est une réponse uniquement utilitaire, je pourrais même dire que c’est une réponse acéphale dans la mesure où, dès qu’on la fait sienne, il n’y a plus besoin de penser en dehors de l’établissement du rapport entre tel *Philosophe, professeur en sciences de l’éducation, Université Paris VIII.
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UN RETOURNEMENT ANTHROPOLOGIQUE . Jean-Pierre Lebrun*
ous partirons de la célèbre formulation de Freud lorsqu’il avance dans Moïse et le monothéisme, que le passage de la mère au père caractérise une victoire de la vie de l’esprit sur la vie sensorielle, donc un progrès de la civilisation car la maternité est attestée par le témoignage des sens tandis que la paternité est une conjecture, est édifiée sur une déduction et sur un postulat.
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Charles Melman dans « L’homme sans gravité » commente ainsi cette formule : Il nous faut cependant bien saisir d’abord la différence entre ces deux régimes (...) On est passé d’un régime fondé sur l’évidence et la positivité à cet autre régime où ce qui importe et l’emporte est de l’ordre de la foi et renvoie à ce que nous, analystes, appelons le pacte symbolique. Le (premier régime) règle en effet la question de la cause, la mère est la cause de l’enfant, et s’établit dès lors un régime où la mère en tant que présente dans le champ de la réalité, c’est-àdire en tant que ne se fondant d’aucun mystère mais de son propre pouvoir, de sa propre autorité, se retrouve investie de cette puissance qui est pour tous les êtres humains la puissance suprême c’est-à-dire la référence phallique. La mère devient ainsi l’incarnation du phallus. (...) Ce qui ne veut pas dire que le père, l’un des deux géniteurs n’ait servi à rien mais sa fonction paraît accessoire, nullement nécessaire. Mère et enfant suffisent donc à assurer la continuité d’une chaîne des générations qui a ainsi l’avantage, d’être sans mystère. Nous avons grâce à ce régime le bonheur de participer à un monde qu’il faut bien dire positif, un monde simple où le mot, renvoie directement à la chose, n’a pas d’autre signifié que la chose elle-même. Et où la fonction de l’antécédent résume ce qu’il en est de la causalité, ce qui est avant est la cause de ce qui vient après. *Psychiatre psychanalyste, Namur (Belgique).
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DISCUSSION
Dany-Robert Dufour Il y aurait beaucoup à dire sur l’exposé de Jean-Pierre, mais je veux simplement me concentrer sur une question qui me fait un peu problème, même si mon adhésion à ce que dit Jean-Pierre Lebrun est très forte. C’est un point qui a à voir avec l’établissement des deux régimes indiqués : le matriarcat et le patriarcat. La sortie du régime du patriarcat se fait non pas sous l’influence de la lutte directe contre cette forme imbue de domination, mais pour reprendre un terme à la Deleuze, par la déterritorialisation opérée par la marchandise. Ce patriarcat s’effondre, non parce qu’il est visé par un certain nombre de luttes qui proposeraient d’autres modes de fonctionnements symboliques mais parce que quelque chose d’autre déterritorialise, c’est-à-dire retire le territoire paternel. Or, je crois que cette déterritorialisation opérée par la marchandise obère la possibilité même de places et de fonctions différentes. Je m’interroge sur le principe des deux régimes, et me demande s’il n’y a pas une indifférenciation de tous les régimes qui fait que l’on ne reconnaît plus un certain nombre de fonctions instituant des différences et des relations d’autorité, comme par exemple les différences homme - femme, parent - enfant, voire même animal humain et d’autres différences fondamentales. Je rappelle simplement que si ces différentes fonctions s’effacent, on va se retrouver dans un espace assez indifférencié. J’ai des interrogations sur une perversion qui réussirait à jouer avec ça, le pervers va souvent voir là où d’autres n’osent pas. On a beaucoup d’exemples en littérature, Genet ou Bataille, un certain nombre d’indications qui indiquent qu’ils vont voir là où les névrosés ordinaires n’osent pas s’aventurer.
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PÉDOPSYCHIATRIE, ÉVALUATION ET EXPERTISE Françoise Cointot*
édopsychiatrie et éducation, pédopsychiatrie et expertise, le sujet de ce séminaire s’avère très parlant dans l’exercice quotidien de notre pratique. Les P demandes adressées au pédopsychiatre tendent de plus en plus et trop à confondre la re-connaissance des figures de l’autre, de l’hétérogène - le migrant, la femme, l’enfant, l’adolescent - fond de notre travail, avec l’attestation de cette différence, de cette altérité, à travers une tiercéité par le recours à l’expertise, dans des interfaces aussi variées que le pédagogique, l’éducatif, le médical, ou le judiciaire. Domaines qui nous interpellent à leur tour, dans des demandes d’expertises, symptomatiques de questionnement sur leurs propres cadres. Triste bouillie, cadrant la pensée d’une option sécuritaire, là ou elle devrait au contraire s’appuyer sur l’observation clinique et la responsabilité du passage, véritable cadre d’humanisation de notre travail. Je veux parler des adultes tout venant en charge de donner non seulement un contenant au sens bionnien du terme mais aussi une conflictualité au travail de l’être en devenir de nos puînés que sont les enfants, adultes que nous sommes, mis à mal dans la crise des valeurs du monde. Pédopsychiatres en demeure de prévoir le devenir évolutif d’un enfant selon les modifications de son entourage, demande de prévention dans l’avant coup, avant presque la naissance du symptôme, pédagogues sollicités pour redonner le désir et la curiosité d’apprendre en priorité à la perception du manque et à la transmission des connaissances, éducateurs attendus pour ramener les enfants et adolescents dans les cadres, à l’opposé du sens étymologique d’éduquer : conduire vers l’extérieur. Dramatique veulerie où le savoir passe de façon de plus en plus fréquente par le carcan expertal de professionnels déliés de leur filiation représentative et de *Pédopsychiatre, Saint-Malo.
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RECONFIGURATION DES SAVOIRS SUR LA FAMILLE ET PROCÈS DE MÉDIATISATION Gérard Neyrand* i les analyses éclatées des divers représentants des sciences humaines s’accordent sur une chose, c’est que nous vivons un temps de mutations sociales et familiales sans précédent, s’accompagnant d’une reconfiguration des discours et des savoirs sur le fait familial. Les moyens de communication de masse ne sont pas sans être partie prenante de ce processus, eux qui mettent en relation les connaissances produites par les sciences humaines sur les acteurs sociaux et leurs fonctionnements collectifs et individuels avec ces acteurs eux-mêmes, d’une façon toutefois quelque peu schématique et caricaturale. Se trouve définie ainsi ce que le sociologue anglais Anthony Giddens considère comme une des caractéristiques majeures de la vie sociale moderne, c’est-à-dire sa réflexivité. Réflexivité définie comme « l’examen et la révision constants des pratiques sociales, à la lumière des informations nouvelles concernant ces pratiques mêmes, ce qui altère ainsi constitutivement leur caractère. Toutes les formes de la vie sociale sont partiellement constituées par la connaissance qu’en ont ses acteurs. » A tel point, ajoute-t-il que « le mariage et la famille ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui, s’ils n’étaient complètement « sociologisés » et « psychologisés. »1 »
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Mais cette sociologisation et cette psychologisation ne s’effectuent pas au hasard d’une diffusion aléatoire des discours sociaux, elles participent de deux logiques qui se combinent : - Celle, interne au champ des sciences humaines, de reconfiguration de leurs savoirs sur leurs objets d’étude en pleine transformation – logique, à la fois épistémologique et sociale - ; *Sociologue, professeur à l’Université Toulouse 3, directeur du Centre Interdisciplinaire Méditerranéen d’Études et Recherches en Sciences Sociales (CIMERSS Bouc-Bel-Air).
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LA PSYCHOTHÉRAPIE OU LA DÉSALIÉNATION DU PSYCHIATRE DU XIXe SIÈCLE Patrice Charbit*
evenir aux origines n’est pas une simple manie de psy ou une élégance étymologique mais un fondement de notre démarche, une exigence quasi éthique découlant de notre expérience clinique. Les origines sont, en effet, les bases d’une logique en cours et y revenir nous permet de les identifier autant que de réaliser leurs occurrences actuelles. C’est pourquoi revenir aux origines de la psychiatrie française peut être une expérience fertile, voire même nous livrer certaines clefs nécessaires lors des conflits que nous pourrions avoir à assumer.
R
La psychiatrie devint incontournable en France au sein de la société civile, depuis les années 1890, à l’aide d’une technique appelée « psychothérapie ». Mais le mot « psychiatrie » n’existe que depuis 1842 alors que le mot « psychiatre » est apparu en 1802. Que faisaient donc les psychiatres pendant ces 40 années s’ils ne pratiquaient la psychiatrie ? Eh bien, ils étaient engagés dans leur professionnalisation et l’étude de ce processus nous permettra de saisir la place de la psychothérapie à la fin du XIX° siècle. Faisons donc un peu d’histoire afin d’observer dans quels sabots nous avons toujours les deux pieds. Les origines remontent au phénomène révolutionnaire de 1789 et à la professionnalisation des psychiatres, soit à l’établissement d’un corpus théorique inédit allié à une lutte d’influence avec les institutions qui occupaient déjà le champ de la pathologie mentale, conséquence de la philosophie des lumières qui n’entendait pas abandonner le spirituel, domaine dont elle connaissait les retombées politiques. *Psychiatre psychanalyste, Paris.
VALEURS DU XXIe SIÈCLE ET RETOUR SUR L’HISTOIRE
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DE LA SERVITUDE Jacques Félician*
« Comment se peut-il que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire ? » 1 Cette question, que La Boétie posait en 1548 à l’âge de 18 ans, scella dit-on, son amitié avec Montaigne. Sa force est de prendre le sens commun à rebours : ce n’est pas le maître qui s’impose à l’esclave mais l’esclave qui se donne un maître et se voue à lui. S’il la déplie dans « Le discours de la servitude volontaire » en de multiples directions, il ne lui donne pas de réponse. On ne peut en effet tenir pour réponse sa description de la chaîne de la tyrannie sur laquelle s’achève son texte et où il dit en trouver le ressort. Que des esclaves forment une chaîne ininterrompue pour soutenir ceux qui les oppriment en opprimant ceux qui sont en dessous d’eux, est un constat qui ne fait que celer plus profondément l’énigme de la servitude : elle est au cœur de chacun. Si, cependant, ce texte a fasciné tant de commentateurs au cours des siècles, n’est-ce pas qu’il vise le point le plus énigmatique de la condition humaine ? Il y a eu des commentateurs pressés, en hâte de proposer une solution dont l’histoire a démontré la vanité, d’autres plus prudents, soucieux de l’envisager comme une œuvre ouverte, c’est-à-dire ouverte à un questionnement sur l’essence du politique. Tous en effet, et sans exception à ma connaissance, l’ont considéré comme un texte politique. Ce qu’il est, mais pas seulement. Il noue le politique à l’inconscient en ouvrant sur une éthique du désir. *Psychiatre, psychanalyste, Marseille.
L’HUMANITÉ DE L’HOMME ?
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QU’EST-CE QUE L’HUMANITÉ DE L’HOMME ? Jean-Claude Guillebaud*
ous vivons aujourd’hui une rupture anthropologique radicale. Ces immenses N changements nous renvoient à des périodes historiques aussi capitales que l’effondrement de l’Empire romain, la Renaissance, les Lumières ou la Révolution industrielle, périodes qui ont toutes accouché d’un monde nouveau. Mais nous avons du mal, pour l’instant, à saisir le sens du tourbillon qui nous entraîne cette fois-ci. Il est proprement vertigineux. Ainsi fait-il naître en nous plus de craintes obscures que d’espérances articulées, plus de peur que de confiance. Qu’on y songe ! La mondialisation de l’économie désagrège les anciennes régulations, nationales et sociales ; le triomphe du numérique et de la cyberculture nous précipite dans un univers virtuel plus étrange encore (et plus inconnu) que ne pouvait l’être jadis l’Amérique des découvreurs du nouveau monde ; plus radicalement encore, la révolution génétique – qui ne fait que commencer – bouleverse les rapports que l’homme entretenait avec lui-même. C’est sur sa propre identité désormais, sur l’espèce et sur ce qu’il y a d’humain en chacun qu’il peut intervenir. Pour le moment, ni les politiques, ni les philosophes, ni les intellectuels ne paraissent plus en mesure de penser véritablement ces changements. Ni, a fortiori, de les piloter. Ils vont trop vite, plus vite que la pensée elle-même. Peu à peu, l’idée s’est installée en nous que nous vivions dorénavant (provisoirement ?) dans un monde impensé (au sens strict) et immaîtrisé. C’est cette énigme qu’il faut tenter de dissiper. En tâchant de reprendre posément, sans volonté polémique, les différents aspects de ce changement. En réalité, ce que nous sommes en train de vivre, ce sont trois révolutions immenses et simultanées. Toutes trois sont radicales. Leurs effets non seulement s’ajoutent mais se conjuguent. *Essayiste, éditeur à Paris.
L’HUMANITÉ DE L’HOMME ?
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ÉCLIPSE DE L’ÂME Laura Bossi*
on intérêt pour l’âme, cette grande disparue des dictionnaires actuels, date M d’une bonne dizaine d’années. Auparavant, en ma qualité de neurologue, je m’étais surtout attaché à étudier et éventuellement soigner son organe, le 1
cerveau. Mais ce fut en 1993 que j’eus la possibilité de participer à la grande exposition « L’âme au corps » 2 qui eut lieu au Grand Palais pour célébrer le bicentenaire de la création de ce grand Musée des arts, des sciences et des techniques qui réunissait le Louvre, le Muséum des Sciences Naturelles et le Musée des Arts et Métiers. Ma contribution, « L’âme électrique », montrait comment l’électricité choisit le Siècle des Lumières pour dévoiler ses merveilles. Toute l’Europe et même les colonies s’électrisent, au propre comme au figuré. Franklin découvre le paratonnerre et Galvani croit, avec ses grenouilles, avoir trouvé dans l’électricité animale le principe de la vie et de la pensée. L’âme électrique dominera ainsi notre imaginaire, de la momie ressuscitée par Poe, à Frankenstein animé par une pile électrique, de l’« Ève future » de Villiers de L’Isle Adam jusqu’aux neurosciences du début du 20° siècle lorsque Berger invente l’électroencéphalogramme pour expliquer la télépathie et « cartographier » l’âme. Ce premier essai me poussa à entreprendre une recherche sur les différents « modèles » que les philosophes et les scientifiques ont élaborés au cours des siècles pour se représenter l’âme : l’âme atomique (de Démocrite aux molécules organiques de Buffon et même la panspermie de Darwin), l’âme cellulaire de Haeckel et des Naturphilosophen, les trois âmes nichées dans le cerveau, le cœur, le foie, chez Platon, Galien, Saint Thomas et jusqu’à leurs avatars modernes, l’âme et l’œuf, l’âme et les gènes, l’âme cybernétique, etc. *Neurologue, Président directeur général Elistem Biopharmaceuticals SAS, Paris.
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RÉSONANCE MAGNÉTIQUE DES MOTS Thierry Delcourt*
Les mots sont nos ombres, et pourtant ils éclairent le monde. A mon tour, je voudrais être un ramasseur d’ombre. Tout aurait commencé par la trace : Le premier chasseur suit la trace comme une indication posée là par l’autre, sa proie mais aussi l’objet de sa pulsion : poignée de poils, déjection, empreinte. Lui-même, à son tour, y laisse une trace, insigne de son passage, pour ceux qui le suivent ou pour retrouver son chemin. Le signe protège de l’égarement… La trace laissée devient signifiante. Et puis, cela se complique : Revenu à la grotte, l’un d’eux éprouve le besoin de tracer, à distance de l’événement… Trace invocante, sacrée, qui traverse le temps jusqu’à nous. Était-ce le secret espoir du traceur ? Dans un espace qu’il crée, à distance temporelle et spatiale de l’événement, il écrit à dessein, par son dessin, que ce bison, objet de sa convoitise, mais qui peut lui échapper, a conquis un statut sacré. L’humain respecte alors ce qu’il convoite et qui lui échappe. Le désir, passant par les rets de l’Autre, peut et doit se dire. L’écriture fait Loi. D’ailleurs, elle dira la Loi : Pierre de Rosette, Pierre noire du code d’Hammourabi : exécutives et palpables. Tables bibliques : fondatrices et mythiques. Chaque civilisation écrit ses tables et s’y adosse en s’y conformant. *Psychiatre, Reims.
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DESSINE-MOI LA CONFIANCE Gonzague Mottet*
La définition du Petit Prince Je pense que vous vous souvenez tous de la première rencontre entre Antoine de Saint-Exupéry et le Petit Prince ; « dessine-moi un mouton » dit le Petit Prince à Saint-Exupéry, et après quelques essais peu concluants Saint-Exupéry lui dessine la caisse dans laquelle le Petit Prince pourra ramener sur sa planète son fameux mouton. La confiance me paraît être de la même veine : deux personnes veulent tisser des liens, ou s’apprivoiser comme le dit si justement Saint-Exupéry, et échangent un truc bizarre que l’on appelle confiance. Vu de l’extérieur, cet échange paraît un marché de dupes ; le Petit Prince semble bien naïf de se réjouir de la compagnie du mouton de ses rêves endormi dans sa caisse, alors que Saint-Exupéry ne l’avait pas du tout convaincu en lui dessinant d’abord un mouton malade, puis un mouton à cornes et enfin un mouton trop vieux ; Saint-Exupéry a lui d’autres soucis en tête (le moteur de son avion en panne) mais ne peut envoyer balader ce nouvel ami, et faute de comprendre réellement sa demande bricole un fourre-tout dans lequel le Petit Prince pourra y ranger son désir. La confiance serait-elle donc du domaine de l’illusion ? Saint-Exupéry l’envisage comme le partage de deux imaginaires d’enfants : puisque le Petit Prince est capable de reconnaître dans le premier dessin de Saint-Exupéry l’éléphant dans le ventre du boa et non un vulgaire chapeau comme la majorité des adultes, alors un truc est partageable entre eux, un truc incompréhensible pour la majorité des gens car perçu comme pure fantasmagorie, mais un truc bien réel car faisant sens pour chacun des deux protagonistes. *Psychiatre, Romans sur Isère.
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ASPECTS DE LA CONSULTATION HOMÉOPATHIQUE, COMPLÉMENTARITÉ AVEC LA PSYCHIATRIE Alain Sarembaud* « Ce qui est simple est faux, ce qui est complexe est inutilisable » Paul Valéry 1. En guise de préambule Au moment où les pouvoirs publics arguent de la rigueur budgétaire pour s’immiscer dans la relation thérapeutique, les mots de la psychiatrie sont devenus des vocables quotidiens et indispensables de la pratique médicale. La proposition homéopathique, issue de la réflexion d’un homme du dixneuvième siècle, Samuel Hahnemann, s’appuie sur la collecte des symptômes, de tous les symptômes autant physiques que mentaux. Cette écoute inédite, originale le conduit, notamment d’une part à dénoncer le traitement carcéral des malades atteints de troubles mentaux et d’autre part à noter le discours du patient tel quel… Ses successeurs ont développé cette propension d’une consultation médicale autant appliquée à l’examen physique qu’à la réalité psychique du patient. C’est peut-être pour cela que l’homéopathie est devenue ou considérée comme une thérapeutique psychosomatique, d’autant plus que beaucoup de médecins homéopathes sont intéressés par la psychanalyse. Certains d’entre eux ont développé des connexions entre ces deux approches : Jacques Algazi, Robert Allendy (1889-1942), Jacqueline Barbancey (1920-1995), Didier Grandgeorge, etc. Pour la clarté de notre dialogue, nous donnerons une définition de l’homéopathie et de cette similitude, sa pierre angulaire. Ensuite nous exposerons les corollaires de ce principe, puis certains éléments spécifiques de la consultation. Enfin, nous aboutirons à quelques exemples de traitements homéopathiques, supplétifs pour la spécialité psychiatrique. *Secrétaire général de la Fédération nationale des Sociétés médicales homéopathiques de France, administrateur de la Société française d’homéopathie, du Syndicat national des médecins homéopathes français et de la Confédération des syndicats médicaux de France du Val-de-Marne.
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LES MOTS DE LA PSYCHIATRIE Jean-Jacques Xambo*
de la psychiatrie recoupe celle de ses concepts, et son vocabulaire LLes’histoire révèle ses implicites sociaux et théoriques. conceptions des psychiatres, si elles sont appuyées sur l’avancée des technosciences, et encore éclairées par les sciences humaines, répondent aussi à l’actualité de la demande sociale. Le vocabulaire de la psychiatrie, comme d’autres figures culturelles est pris dans l’imaginaire social contemporain et ses idéaux. Décrypter sa novlangue actuelle c’est aussi penser l’imaginaire de nos outils conceptuels, tissé d’idéologique muet. Comment imaginer restituer de la liberté psychique à nos patients, si nous ne nous astreignions pas au même exercice de liberté en pensant notre pratique. « Cause toujours ! » nous proposent la démocratie et les médias. « Tu causes, tu causes c’est tout ce que tu sais faire ! ». Bref les mots c’est du vent ! Mais, parlons-en, des mots ! Avec son roman autobiographique « Les Mots », Jean-Paul Sartre signe dit-il son « adieu à la littérature » et son livre le plus littéraire, mais se désigne aussi comme écrivain par une rencontre avec les mots : « les souvenirs touffus et la douce déraison des enfances paysannes, en vain les chercherais-je en moi, je n’ai jamais quêté des nids ni fait la chasse aux oiseaux, mais les mots étaient mon étable et ma campagne, c’était le monde pris dans un miroir. » C’est par cette rencontre avec la lecture puis l’écriture que le sujet se définit là comme écrivain, construisant la fiction existentielle créatrice de son être subjectif. Mais aujourd’hui, une exigence sociale « politiquement correcte » tend à désodoriser le langage. Critiquant le projet de Loi du 4 mars 2004, Raoul Vaneighem rappelle que « la liberté d’expression est une valeur humaine dans *Psychiatre, psychanalyste, Montpellier.
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L’INCONSCIENT ET LA CONQUÊTE DE L’ESPACE UNE THÉORIE DE LA PRATIQUE ORIENTÉE PAR LA PSYCHOSE Guy Dana* Une subversion préalable. Si, dans toutes ses finalités, le travail analytique cherche à accentuer la liberté de penser, il est clair que l’espace praticable de la névrose n’est pas équivalent à celui de la psychose. Oui, mais de quel espace s’agit-il ? En laissant entendre que la spatialité pourrait résulter d’une projection en extension de l’appareil psychique, Freud accentue une parenté entre spatialité et appareil psychique, parenté qu’il n’a cessé d’évoquer de façon le plus souvent métaphorique, par exemple avec l’idée de scène. Or, cette parenté repérable chez Freud comme chez Lacan avec l’éclairage qu’apporte la topologie, contient me semble-t-il un enseignement sur les modalités pratiques d’un travail avec la psychose. C’est cette question que je souhaite développer. L’apragmatisme et, d’une façon générale, la grande inertie des patients psychotiques, indique que la spatialité est atteinte à partir des catégories qui permettent de la penser, l’Imaginaire autant que le Symbolique ; et ces catégories rendent solidaire l’espace ambiant, géographique, celui que le sujet peut ou non arpenter, comme l’espace psychique ; en définitive l’espace, comme le souligne Lacan, semble bien faire partie de l’inconscient, structuré comme un langage 1. Revenons à la distinction entre névrose et psychose : pour la névrose et d’une façon générale pour ce qui est du symptôme, il s’agit de savoir où on est empêtré, définition qui, chez Lacan, reste assez allusive, mais qui rejoint la notion de contrainte ; le sujet, pourrait-on dire, colle à l’Autre au sens où il lui donne raison et n’arrive à aucune subversion ni déconstruction. Cette forme *Psychiatre et psychanalyste, responsable du secteur de Longjumeau.
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LES MODÈLES EN PSYCHIATRIE Michel Botbol*
ans doute plus que dans toute autre discipline médicale, la question des modèles de référence théorique et pratique est cruciale en psychiatrie. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’il s’agit là d’une des principales spécificités de notre discipline, ce qui de l’extérieur en constitue peut-être l’une des faiblesses les plus flagrantes (les psychiatres ne sont jamais d’accord entre eux), mais qui peut apparaître aussi comme l’une de ses forces et même une condition nécessaire pour lui permettre de rendre compte de l’ensemble de son champ de pertinence, «de la molécule au comportement». Cette place particulière paraît donc relever des spécificités du champ de la discipline et de sa proximité avec d’autres disciplines non médicales ; elle recouvre en tout cas le fait qu’en psychiatrie les modèles sont multiples et hétérogènes voire difficilement compatibles entre eux sauf à faire un effort particulier pour les intégrer dans des « méta modèles » communs. De ceci découle également la relativité de ces modèles en fonction des contextes, des objectifs ou des priorités ; elle recouvre enfin des incertitudes particulièrement vives en ce qui concerne les méthodes de validation de ces modèles et plus encore celles de leur intégration. À ceci s’ajoute le fait que pour traiter la question des modèles en psychiatrie, il nous faut évoquer deux séries de questions : 1) Les différentes références théoriques explicites qui sont utilisées en psychiatrie pour définir les approches employées. 2) Les théories qui sont implicitement mobilisées par les pratiques psychiatriques, en deçà ou au-delà des références qui sont ouvertement revendiquées.
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*Psychiatre des Hôpitaux, Neuilly sur Seine.
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DISCUSSION
Hervé Bokobza Une question que j’ai envie de poser immédiatement à Jean-Jacques Xambo, mais je ne lui demande pas d’y répondre tout de suite : que penses-tu des métas modèles que nous propose Michel Botbol ? Maintenant je crois que nous avons là deux communications qui vont nous permettre de débattre tranquillement. Jacques Barbier C’est indirectement une question par rapport au premier tableau. Si l’on considère le tableau de l’écolier : science, adaptation sociale, j’en arrive à la même conclusion « adaptation sociale » mais pour une autre prémisse qui est celle de certains penseurs américains qui croient en Dieu et à ce qu’il y a écrit dans la Bible, à savoir : la création a voulu être comme ceci, Dieu a voulu que ce soit comme cela et vouloir le changer c’est déjà un scandale en soi. Finalement c’est un commandement de Dieu de s’adapter. Les moyens pour le faire, l’assurance personnelle va l’amener faute de mieux. Georges Federmann Un robot parle au robot. C’est la communication de Madame Bossi qui m’inspire ça. Ce que m’inspirent les deux travaux, ce sont une réflexion et une blague. La réflexion : Michel, tu as beaucoup travaillé sur la pathologie de la fraternité de Maison Dieu. En tout cas, tu l’as évoqué un moment dans ton rapport sur la prise en charge des SDF. Il me semble que ce dont nous souffrons, et ce dont souffrent
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DE L’OPPORTUNITÉ ET DES CONSÉQUENCES DU CHOIX DES TERMES « PSYCHOSE MANIACO-DÉPRESSIVE » OU « TROUBLE DE L’HUMEUR » Andrée Ortega Mon interrogation à ce sujet a fait suite à une réflexion sur certaines de mes erreurs diagnostiques. Dans les premières années de ma pratique, je posais insuffisamment le diagnostic de psychose maniaco-dépressive ou de trouble de l’humeur dans des tableaux cliniques peu avérés. Le manquement au diagnostic de psychose ou de psychose maniaco-dépressive serait-il plus fréquent ou non, selon que le praticien utilise la clinique psychiatrique d’Henri Ey, donc le terme de « psychose maniaco-dépressive », ou le DSM qui utilise les termes de « trouble de l’humeur » et de « trouble bipolaire » ? Dans les années mêmes où je réalisais que j’étais passée à côté du diagnostic de psychose maniaco-dépressive chez des patients que j’avais à tort considérés comme névrotiques, les laboratoires pharmaceutiques commercialisant des normothymiques tentaient de sensibiliser les prescripteurs sur le retard apporté au diagnostic des troubles bipolaires. Leurs délégués nous conseillaient de rechercher la dysthymie ou un épisode hypomaniaque chez tout patient présentant un épisode dépressif majeur. Ces laboratoires avançaient, chiffres généralement confirmés aujourd’hui, que les troubles bipolaires n’étaient en moyenne diagnostiqués que dix ans après l’apparition des premiers symptômes. Je constatais en même temps, en observant la pratique de confrères psychiatres, psychologues ou psychanalystes, que ce diagnostic de psychose était bien souvent négligé pour des patients présentant une apparence de névrosés.
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LES MOTS AU PSYCHIATRE FACE AU MAUX DES INDIVIDUS ET DE LA SOCIÉTÉ Imed Régaieg* ’évolution galopante de la médecine, voire aussi de la psychiatrie, nous laisse parfois hébétés ou perplexes en voyant nos certitudes et l’enseignement que nous avons reçu, complètement transformés. Les textes de passage des concours de résidanat ou d’assistanat paraissent parfois ridicules ou dépassés surtout pour la nouvelle génération de psychiatres (les termes de névrose phobique, d’hystérie, de névrose obsessionnelle ont quasiment disparu, on ne s’attarde plus sur la psychopathologie, et on ne distingue pas les concepts de base psychanalytiques). S’y ajoutent les bouleversements sociaux et mondiaux du début de ce XXIe siècle, l’insécurité sociale, la marchandisation de la santé, le sentiment d’inefficacité dans un monde de plus en plus compétitif, la folie et la pression de l’économie. Tout ceci ayant amené dans nos cabinets de nouvelles demandes et des pathologies aussi diverses qu’excentriques et bizarres ; le rôle du psychiatre n’est plus limité à creuser l’origine du symptôme et à s’occuper de la singularité du patient, il est à la fois prescripteur, psychothérapeute, expert… Il devient surtout dans notre société un observateur et un acteur placé à l’articulation des trois champs : médical, psychologique et social. Ainsi, répondre aux diverses demandes émanant de ces différents champs exige de nous une haute présence intellectuelle et une adaptation continue de nos connaissances car, peut-être, ce qui fait un bon médecin serait plus sa capacité stratégique à adapter l’ensemble de ses connaissances générales à une situation particulière que son aptitude à appliquer un « prêt-à-soigner » quelle que soit la rigueur de son élaboration.
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*Psychiatre de libre pratique, Tunisie.
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L’ANGOISSE AU QUOTIDIEN Gilbert Letuffe*
l est vrai que nos contemporains parlent plus volontiers de « stress » que « d’angoisse » qui apparaît comme un mot désuet avec des connotations à Ibannir. « Stress » comme d’ailleurs « résilience » sont des termes qui proviennent de la physique et il est curieux me semble t-il, que ce genre de terme utilisé par une science moderne qui voudrait écrire le réel en petites lettres, formules mathématiques, énoncés désubjectivés, soit utilisé au plus haut point par toutes sortes de gens les plus intentionnés. Que voudrait dire ce glissement de terminologie à nous en faire des gorges chaudes ? S’agit-il là encore de nous déresponsabiliser ? Car si ces « éléments stressants » viennent de l’extérieur, comment moi, sujet-citoyen pourrais les prendre en compte et me sentir responsable de ce qui m’arrive ? Ainsi à mon sens, cette terminologie substitutive n’est faite que pour masquer le réel de l’inconscient. Les dites neurosciences, le comportementalisme, les thérapies cognitives, s’en font des gorges chaudes comme nous l’entendons. Le sujet divisé par le signifiant langagier est forclos et réapparaît bien sûr, dans le réel pour toutes ces disciplines. La psychanalyse ne vaudrait pour elles qu’à être bannie du champ d’étude psychologico – psychiatrico – médical : C’est une vieille dame désuète, ridée qui va bientôt se taire ; ce n’est plus une référence obligée de la recherche psychologique car l’I.R.M nous montre le cerveau dans sa transparence sans cette part obscure de nous-mêmes : L’inconscient ! Autrement dit tel un slogan publicitaire, c’est vu à « l’I.R.M ». L’angoisse, se voit-elle à l’I.R.M ? Sans doute, du fait des perturbations neurophysiologiques qu’elle entraîne ! Mais qu’est-ce qui la cause ? That is the question ! La peur, nous dit-on habituellement a un objet que l’angoisse n’aurait pas. *Psychiatre, psychanalyste, Chambery.
VIGNETTES CLINIQUES
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LA CURE DE BERTRAND, UNE RENCONTRE… Annie Stammler*
es mots de la psychiatrie et ceux de la psychanalyse à propos de cet enfant, qui maintenant est un jeune adulte, (il va avoir 23 ans), pourraient être « hypomanie, angoisse, relation transférentielle, mise en place du fantasme, avènement du sujet, place retrouvée dans sa filiation ». J’ai suivi Bertrand (prénom d’emprunt) à raison d’une séance hebdomadaire pendant quatre ans. D’abord, et pendant deux ans, dans un IMP de l’Essonne où j’occupais un poste de psychiatre à mi-temps, puis à mon cabinet lorsqu’il a été déplacé, à l’âge de huit ans, vers une institution parisienne recevant des enfants porteurs de handicaps moteurs, et dotée d’une scolarité interne. Bertrand avait une maladie d’Apert* avec acrocéphalie, fente palatine (opérée), syndactylie. Il n’avait pas, en fait, de problèmes moteurs mais il s’était «engouffré» dans le langage et avait été antérieurement scolarisé par son éducateur dans une école maternelle du village. Il était devenu, à l’IMP accueillant des enfants gravement polyhandicapés, l’enfant d’exception… Cas exceptionnel, enfant exceptionnel, une position intenable, il ne pouvait rester en ce lieu. Il a été l’un des très rares enfants ayant quitté l’IMP ; en vingt ans, je n’en ai connu que deux. Le problème, pour lui, a résidé en la rupture des liens noués avec, non seulement certains adultes, véritables substituts parentaux, mais aussi avec les enfants de son dortoir, eux restés sans langage. Ces enfants, il en parlait en séance, et il les définissait «comme ceux qui font des bêtises» : c’était sa définition de la «débilité». Dans sa deuxième institution, il ne cessait de faire des bêtises, mais il n’a pas pour autant été reconduit à l’IMP… Sa destructivité en fait a eu pour résultat son orientation vers un autre établissement ; il a été hospitalisé (en 1991) afin d’être réorienté. Il a été alors
L
*Psychiatre, psychanalyste, Paris.
VIGNETTES CLINIQUES
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LE TRANSFERT, MOTEUR ET OBSTACLE DANS LA PSYCHOTHÉRAPIE DES PSYCHOSES Hervé Hubert*
transfert est le concept fondamental de l’approche psychothérapique. Il est Ll’oneégalement inhérent à toute pratique psychiatrique et à la clinique même. Si oppose régulièrement la clinique du médicament à la clinique du transfert, la première est pour autant comprise parfois à l’insu du thérapeute dans la seconde. Un élément nouveau concernant le transfert est certainement le développement de l’approche psychothérapique des psychoses. L’enseignement freudien Ce qui s’est transmis de l’enseignement freudien a été régulièrement martelé : la psychose est une contre-indication au traitement psychothérapique. Les arguments déployés se situent du côté de l’indifférence voire de l’hostilité, du maniement impossible du transfert du fait du repli de la libido sur le moi. Cela a sa source dans Freud. Ainsi en 1916 dans son introduction à la psychanalyse, il est catégorique : « L’observation montre que les malades atteints de névrose narcissique (la psychose de l’époque), ne possèdent pas la faculté du transfert, ou n’en présentent que des restes insignifiants. Ils repoussent le médecin, non avec hostilité mais avec indifférence, c’est pourquoi ils ne sont pas accessibles à son influence, tout ce qu’il dit les laisse froids, ne les impressionne en aucune façon. Aussi ce mécanisme de la guérison, si efficace chez les autres (donc les névrosés), et qui consiste à ranimer le conflit pathogène et à surmonter la résistance opposée par le refoulement ne se laissera pas établir chez eux. » Le pessimisme est important. « Ils restent ce qu’ils sont, ils ont déjà fait de leur propre initiative des tentatives de redressement de la situation mais ces tentatives n’ont abouti qu’à des effets pathologiques, nous ne pouvons rien y changer. »1 Freud ouvre pourtant dans le même texte une brèche dans ce qui *Psychiatre, Paris.
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ANCIENS NUMÉROS
Liste des anciens numéros 02 03 04 05 06 07 08 10 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Libre choix. Temps partiel (en voie d’épuisement). Pédo-psychiatrie. Où, quand, comment ? (en voie d’épuisement). La psychiatrie autonome et l’institution. Le secret. La demande. Etc. Hospitalisation. Secteur. Demande de soins, demande de psychanalyse. Le secret. L’avenir de la psychiatrie libérale (en voie d’épuisement). Le retour du/au corps (II) (en voie d’épuisement). Exercice de groupe, exercice d’équipe (I) - Pédopsychiatrie. Exercice de groupe, exercice d’équipe (II). Rééducation psycho-motrice. Le psychiatre et la société (II) (en voie d’épuisement). Vivre en professionnel - Pédopsychiatrie (salariés). Limites et fonction de la psychiatrie. L’argent. L’installation.
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PSYCHIATRIES N°145 JUIN 2006
Expériences - Psychopathologie. L’hospitalisation psychiatrique (I) - Problèmes généraux. Les Journées Nationales de la Psychiatrie Privée (C.R. intégraux) : “La psychiatrie… à qui ? Le psychiatre… pour quoi faire ?” La psychose en pratique privée : textes introductifs. Psychose et institution. Loi d’orientation en faveur des personnes handicapées. Textes officiels et documents critiques. Loi d’orientation en faveur des personnes handicapées. Les débats parlementaires (en voie d’épuisement). La psychose en pratique privée : compte rendu des Ves Journées Nationales de la Psychiatrie Privée. Du côté de l’organique - La psychiatrie ailleurs. Expériences de la clinique. Symptômes et structures. Honolulu ou le combat pour la liberté (en voie d’épuisement). Pratiques en question (en voie d’épuisement). La psychiatrie et la santé. Thérapies familiales. Trentenaire de l’Élan. Psychiatrie et cultures. Numéro spécial SZONDI. Horizons thérapeutiques. L’écoute.... musicale. La psychiatrie et les contrôles. L’efficacité thérapeutique en psychiatrie. Le chemin parcouru. Sélection de textes publiés entre 1972 et 1975. L’intégration scolaire. La paranoïa aujourd’hui. Première partie. La paranoïa aujourd’hui. Deuxième partie. Médecine et psychanalyse. Clinique de la souffrance. Psychothérapie et/ou psychanalyse institutionnelles. Transsexualisme - Totalitarisme. La solitude. Psychiatries en institutions d’enfants. Médecine et psychanalyse. La difficulté de guérir. Éthologie de la sexualité.
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À d’autres.... Jeu, psychodrame et psychose. Du rêve. Du rêve : Deuxième partie. Chronobiologie. Autour de l’hystérie. Psychiatres en institutions d’enfants. Coûts en psychiatrie. Psychiatre, psychanalyse et feuilles de soins. Psychiatres, charlatans et magiciens. Le supposé clivage inconscient/biologique (I, II et III). Urgence et patience. Julien Bigras. Hospitalisation privée. Autour de Henry Ey - De quelques “réalités”. Le délire, espoir ou désespoir (I). Le délire, espoir ou désespoir (II). Autour des psychothérapies. Du père. Épidémiologie psychiatrique. La dépression dans tous ses états. Psychosomatique. Le psychiatre, le malade, l’état. Rencontres. Peurs. Psychothérapies. Corps et thérapies. Le Temps. Les états de Dépendance L’impossible à vivre. Souffrance psychique.... La limite des névroses. L’enfant et la consultation. Le psychiatre et la loi. L’enfant et la consultation. Les psychoses. Adolescence, des liens en souffrance. XXVe Anniversaire de la Psychiatrie Privée. Les Psychoses. L’Enfance. Psychiatrie et prévention, liaison dangereuse ? (Journées Nationales de l’A.F.P.E.P. 1996) Souffrir de la peau. Peau et psyché, approche.
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PSYCHIATRIES N°145 JUIN 2006
Le psychiatre, la médecine et la psychanalyse. Le Secret. Psycho-somatique 97. (Journées Nationales de l’A.F.P.E.P. 1997) Suicide : d’une violence, l’autre. La consultation. (Journées Nationales de l’A.F.P.E.P. 1998) La responsabilité maltraitée (Séminaire A.F.P.E.P. 1999) Filiations - Dimension clinique (Journées Nationales de l’A.F.P.E.P., Marseille, 1999) La psychiatrie est-elle une science ? Filiation et société (Journées Nationales de l’A.F.P.E.P., Marseille, 1999) Nouvelles Filiations (Journées Nationales de l’A.F.P.E.P., Marseille, 1999) Filiations culturelles, Filiations spirituelles (Journées Nationales de l’A.F.P.E.P., Marseille, 1999) Traversée culturelle francophone à la découverte des pratiques ambulatoires de la psychiatrie. (Premières rencontres FRANCOPSIES). L’intime et l’argent. Le métier de psychiatre Le psychiatre et la psychothérapie Les cachets de la folie
BULLETIN D’ADHÉSION
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ASSOCIATION FRANÇAISE DES PSYCHIATRES D’EXERCICE PRIVÉ SYNDICAT NATIONAL DES PSYCHIATRES PRIVÉS Cotisation 2007
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JUIN 2006 = N°145
Les mots de la Psychiatrie
REVUE DE RECHERCHE ET D’ÉCHANGES
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JUIN 2006 = N°145
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