Le Journal des Rencontres AKAA 2019

Page 10

ESSAI

PAR / BY ARMELLE MALVOISIN

Houston Maludi Un Africain dans la ville

JOURNAL DES RENCONTRES - AKAA PARIS 2019

SUR L’INVITATION D’AKAA, L’ARTISTE CONGOLAIS HOUSTON MALUDI,

10

REPRÉSENTÉ PAR LA GALERIE PARISIENNE MAGNIN-A, PROPOSE UNE INSTALLATION IMMERSIVE SUR LE THÈME DE LA VILLE, DANS LA NEF CENTRALE DU CARREAU DU TEMPLE. UNE JUBILATION POUR CE PEINTRE URBANISTE QUI NOUS EMMÈNE DANS L’UNIVERS INFINI DE L’ORDRE ET LE CHAOS.

Dans l’entrée de la foire, se présente une architecture s’étendant sur 34 m2 au sol, avec des volumes variables de 2,5 à 4 mètres de hauteur, qui appelle le visiteur à déambuler dans et autour de ses structures confiées au peintre Houston Maludi. Couvrant partiellement l’installation intitulée L’Ordre et le Chaos, deux papiers peints (noir sur fond blanc et blanc sur fond noir) reproduisent à une échelle légèrement supérieure les paysages urbains de l’artiste congolais, tandis que de grandes toiles dessinées à l’encre de Chine, placées le long des cimaises, font figure de fresques. « Poser mes toiles dans cette structure est une suite logique dans ma démarche urbanistique. Chacune de mes œuvres se présente comme un quartier d’une ville ». La ville est en effet au cœur du travail Houston Maludi. D’abord sa ville de naissance, Kinshasa, mégalopole où l’artiste vit, qui ne cesse de croître hors de tout contrôle. « J’aime voir les choses de façon globale, sous la forme de panoramas. Alors que normalement pour un peintre, son modèle c’est l’individu, mon modèle à moi c’est la ville, avec sa somme d’individus et de constructions en tout genre ». Issu de « l’école de la ligne » enseignée par son maître kinois Kamba Luesa, Houston Maludi a développé, après des années de recherches formelles expérimentales, ce qu’il appelle le « Cubisme Monochrome Symbiotique Quantique » qui s’inspire à la fois du cubisme de Picasso et de la physique quantique qui veut que toute matière peut être préparée de telle manière qu’elle se trouve dans plusieurs états superposés susceptibles d’interférer avec eux-mêmes. En 2006, avant de trouver son propre style, l’artiste avait souhaité faire une pause avec la peinture. Il s’est alors rendu à Kasangulu dans la région Bas-Congo pour pratiquer l’agriculture « qui m’a appris la patience pour bien faire les choses ». À son retour à Kinshasa en 2008, il trouve enfin sa voie. Les couleurs progressivement disparaissent de ses toiles pour laisser place à une bichromie (une seule couleur sur fond blanc ou noir). C’est une étape nécessaire qui lui permet de mieux se concentrer sur la ligne et de pratiquer une analyse et une dissection de la forme qu’il appelle son « cubisme ». Se référant à la théorie de la superposition des états que décrit Max Planck dans ses travaux sur la mécanique quantique, il peut ainsi plus aisément mettre en place un processus qu’il nomme la « symbiotique » où les formes se mélangent entre elles. Cherchant à atteindre une unité parfaite et discrète des éléments, les lignes continues et sinueuses de Houston Maludi parcourent ses toiles, traçant l’épaule d’un personnage, la toiture d’une maison et le châssis d’une voiture d’un seul et même trait. Ses vibrants paysages urbains d’une densité graphique inouïe foisonnent de personnages, d’architectures, d’arbres, de routes et de véhicules qui semblent se superposer sur différents niveaux de lecture. « En Afrique, l’ordre de distribution de la matière dans l’espace urbain se fait de manière chaotique, dans le sens où tout se construit de manière aléatoire, rapporte l’artiste. L’Afrique moderne se construit par superposition avec l’ancienne Afrique ». Son enchevêtrement chaotique de fines lignes qui nous immergent au cœur des mégalopoles africaines encombrées, traduit aussi pour Houston Maludi, le dynamisme et la richesse de la jeunesse africaine, ainsi que l’espoir d’un peuple qui s’épanouit de façon improbable, sans l’aide des politiques,

« dans le secteur informel ce qu’on appelle en Afrique (selon une expression congolaise) « l’article 15 », autrement dit l’art de la débrouille ». Si la palette colorée, volontairement limitée, accentue la qualité graphique du travail d’Houston Maludi, l’on observe dans ses derniers travaux une sorte de retour à la couleur, par touches. Signe d’une plus grande maîtrise et d’une certaine maturité ? « Je me concentre toujours essentiellement sur la forme, mais aujourd’hui la couleur réapparait dans mes œuvres, par tempérament, comme un caméléon ». Remplies avec une sorte d’horror vacui, ses compositions ont atteint un tel niveau de densification qu’un nouveau phénomène semble se produire : « comme la matière qui s’effondre dans un trou noir, le vide gagne certaines zones de mes toiles pour les décompresser». Ainsi Houton Maludi nous fait voir l’infini de l’univers et au-delà.

Houston Maludi Liberté, 2018 Encre de chine sur toile © Courtesy MAGNIN-A


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.