Le Journal des Rencontres AKAA 2019

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ESSAI

PAR / BY VIOLAINE BINET

Cheick Diallo

JOURNAL DES RENCONTRES - AKAA PARIS 2019

Made in Mali

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FIGURE INCONTOURNABLE DU DESIGN AFRICAIN, CHEICK DIALLO FAIT PARTIE DE CETTE GÉNÉRATION DE CRÉATEURS FORMÉS À L’ÉTRANGER QUI A CHOISI DE REVENIR SUR LE CONTINENT POUR DÉVELOPPER ET PROMOUVOIR SON TRAVAIL. DIPLÔMÉ DE L’ÉCOLE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE ROUEN ET DE L’ENSCI PARIS EN 1994, IL REÇOIT PAR DEUX FOIS LE PREMIER PRIX DU MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS POUR SA LAMPE IFEN ET SA CHAISE RIVALE, AVANT D’OUVRIR SON STUDIO À BAMAKO, OÙ IL CONÇOIT, PRODUIT ET CONSEILLE.

C’est dans le creuset de la ville africaine que Cheick Diallo trouve matière à création. La rue est son terrain de chasse, le marché est son poste de guet. Mêlé à la foule, dans une abondance de sons, couleurs, odeurs, il observe. Le mouvement, le partage, la rencontre, tout ce qui passe et fuit sur le bitume et la terre battue, le designer l’attrape au vol. Ceux qui animent la scène lui racontent une façon de concevoir la vie. « En Afrique, rappelle-t-il, on travaille, on mange, on danse, on fait la fête dans la rue ». Avec une intarissable curiosité, Cheick Diallo déchiffre ainsi l’environnement urbain. Il analyse les attitudes, les postures. « Tout part de l’attention portée au comportement des gens, dit-il. C’est l’essence du métier. Le design consiste à traduire ce comportement en objets et en aménagement d’espace adaptés. » Depuis vingt ans, ce fils d’architecte, né à Bamako, lui-même architecte DPLG, formé au design à l’ENSCI à Paris, conduit ses projets au cœur de l’agglomération malienne, mêlée intimement à son processus de production. La rue est pour lui « un laboratoire de tous les possibles. » Le « made in Mali » s’impose à lui comme une éthique. A ses débuts, dans les années 90, le challenge ressemble à un pari fou. Le premier, il expérimente la réalisation d’objets et de mobilier d’excellente facture à partir de matériaux que l’on considère « pauvres ». Il se passe de technologie sophistiquée. Il se refuse à utiliser des matériaux importés. Sa ligne, inamovible, est la suivante : « on fait sur place, avec ce qu’on trouve ». Il s’agit de promouvoir un savoir-faire endogène, l’excellence d’artisans « qui ont de l’or entre les mains ». « Sinon, un pan de la culture du Continent disparaîtra. » Il veut démontrer qu’avec peu de moyens, on peut innover, créer des objets plastiquement intéressants, de structure cohérente, homogène, et au langage universel. Le métal manque au Mali ? Tant pis. Des boîtes de conserves soudées, peintes et vernies, font office de structure dans des bibliothèques. Des canettes de soda écrasées sous les roues des voitures s’avèrent assez solides pour réaliser l’ossature de chaises et de tables baptisées « Poto-Poto ». « Poto-Poto », qui, en bambara, signifie « mélange de boue et de déchets ». Ne confondons pas sa démarche avec la « récupération », vocable qui réduit la création au bricolage brut des résidus de la société de consommation. Les critères d’esthétique et de bien-être dominent dans son ambition. Le respect qu’il nourrit pour les artisans de la communauté fait jaillir son inventivité. C’est la foi dans leurs techniques anciennes qui alimente son imagination. Ainsi, détourne-t-il l’usage des fils de nylon destinés aux filets de pêche. Associé à une armature en fer à béton, le tressage, si bien maîtrisé, lui permet de concevoir chaises et fauteuils aux formes ondulantes, dans des coloris éclatants. Enrobé autour de tiges d’acier, le fil devient dentelle pour des meubles sculptures- canapés, tabourets, fauteuils, tables- aériens en même temps que spectaculaires. L’innovation ne va pas sans casser certaines règles. A cet égard, la ville, encore, inspire à Cheick Diallo la liberté qu’il s’autorise de briser des tabous. « Chez soi on se protège, dans la rue on s’expose. La rue invite à se réinventer. Elle se fait le miroir du besoin de changer nos habitudes. » A son image, Cheick Diallo crée l’événement. Il décloisonne des professions que la tradition structure en corporations. Dans l’atelier, ce chef d’orchestre réunit forgerons, bijoutiers, tisserands.., qui jouent chacun leur partition. Chacun développe des compétences nouvelles tandis que le projet commun ressuscite l’harmonie du « vivre ensemble ». Enseigner est essentiel pour Cheick Diallo. Pendant trente-cinq ans, il a résidé à Rouen, naviguant en de constants allers-retours entre l’Europe et l’Afrique, sans oublier les


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