6 minute read
HABITER UN QUARTIER DE GRANDS ENSEMBLES
PARTIE 1.
HABITER UN QUARTIER DE GRANDS ENSEMBLES
Advertisement
«[…] quartiers «ghettos», «défavorisés», «pauvres», «sensibles», «en difficulté» etc. Non seulement ces termes sont vagues mais ils sont tous négatifs. On ne définit les quartiers que par les problèmes qu’ils posent. Cette question est d’autant plus importante que les mots ne sont pas neutres et qu’ils assignent aux situations et aux populations une identité et une signification.»1
Dans son article « La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto : Débats sociologiques. », le sociologue Cyprien Avenel interroge l’utilisation du terme de « ghetto » pour qualifier la situation des quartiers en France. Bien que l’auteur admette la situation de crise dans laquelle se trouvent les banlieues françaises, (contexte de détérioration matérielle de certains quartiers, racisme, exclusion économique, « émeutes », etc.), il développe l’idée selon laquelle la définition de ghetto comme « concentration de l’exclusion, dans laquelle vit une population ethniquement homogène, fonctionnant comme une microsociété, et publiquement discréditée »2 pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout. En effet, pour lui, elle « ne parvient pas à définir la population autrement qu’à travers un langage invalidant qui redouble la stigmatisation collective des quartiers et masque une réalité multiforme »3. L’ambiguïté du terme semble alors se trouver dans son utilisation qui pourrait, au mieux, attirer l’attention sur une concentration spatiale de pauvreté subie par la population, au pire, accentuer son exclusion en rejetant sur elle la responsabilité des problèmes.
En procédant par une analyse comparative de deux quartiers prioritaires de la ville (QPV) de Montpellier, mon objectif était de me rapprocher de cette « réalité multiforme » pour mieux cerner les spécificités des réalités et celles qui semblent symptomatiques à la question des quartiers de grands ensembles.
Le premier quartier vers lequel je me suis tournée a été celui de La Mosson, aussi connu sous le nom de « La Paillade ». Alors que j’ai emménagé à Montpellier en 2014, je me suis rendue pour la première fois dans ce quartier en janvier 2019, dans le cadre du workshop « Une Ha-
1 AVENEL, Cyprien. La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto: Débats sociologiques. Revue économique, 2016, vol. 67, pp.415-441, (page 417).
2 Ibid., (page 425).
bitation en Loyer Modéré » organisé par Marion Devillers, enseignante à l’École d’architecture de Montpellier.
L’objectif du workshop était de réaliser des entretiens avec les habitant·e·s de la résidence Jupiter, HLM géré par le bailleur social ACM Habitat, en vue de produire leurs portraits sous forme de récits et de gravures. Ces entretiens ont été complétés par la suite avec celui d’une habitante de la résidence Mercure1, puis de Julien Prieur, Directeur des politiques de la ville chez ACM habitat, et enfin de l’architecte Jean-Michel Miramond, de l’agence « Caremoli-Miramond », qui travaille actuellement dans le quartier sur des projets de logements neufs et en réhabilitation avec ACM habitat2. Si je n’étais jamais allée à La Paillade, les échos que j’en avais eu m’en donnaient l’image d’un quartier constitué de grands ensembles vétustes, lieu de trafic de drogue, où il ne vaut mieux pas se promener seule sans en être habitante. Bien que consciente que ma vision était construite par un discours médiatique et ne reflétait probablement pas la réalité, au cours de ma première expérience dans le quartier j’ai spontanément adopté des mécanismes « d’auto-préservation » qui m’accompagnent lorsque je me sens en insécurité : trajet de jour, pantalon, smartphone rangé au fond de mon sac et évitement des trottoirs avec des attroupements masculins. Déjà, mon comportement m’interrogeait: étaitce une prudence légitime ou était-elle seulement fondée sur des aprioris ?
En septembre 2019, par le biais du semestre 9, je me suis retrouvée à travailler sur un second QPV de Montpellier : le quartier Saint-Martin. Contrairement à la Mosson, ce dernier est considéré par ses habitant·e·s comme n’ayant « pas de bonne ou de mauvaise réputation » soit « un quartier sans grande identité »3. Saint-Martin semblait se distinguer de la Mosson par son tissu plus hétérogène, entre maisons pavillonnaires et grands ensembles, qui de prime abord paraît engranger une mixité sociale plus importante à l’échelle du quartier. Mon enquête s’est faite au travers de la réalisation d’entretiens avec les membres de nombreuses associations du quartier, telles que la « Maison Pour Tous », « Jasmin d’Orient », « City Citoyen », ou encore « Radio Clapas », puis celui de l’architecte Nathalie Ravinal qui travaillait alors
1 Résidence HLM située à la Paillade Montpellier appartenant au bailleur social ACM habitat dont l’ANRU2 prévoit une destruction partielle.
2 Ces trois entretiens ont été réalisés à quelques jours d’intervalles en septembre 2019. 3 Entretien avec Lucie (anonymisée), journaliste de radio Clapas et membre du point information jeunesse (PIJ). 12 septembre 2019, Saint-Martin, Montpellier.
sur une démarche de diagnostic urbain participatif dans le quartier, diagnostic intitulé « les marches exploratoires des femmes », ainsi que la rencontre de plusieurs habitant·e·s. Au cours de ces entretiens, j’ai pu constater que la référence au quartier de la Mosson était fréquente, la comparaison de leur situation à celle d’un quartier « pire » que le leur permettant d’atténuer les difficultés rencontrées. Des propos tels que « Certes, on ressent un manque de mixité, peu de personnes viennent finalement à Saint-Martin, mais ça va encore, on n’est pas à la Paillade. »1 m’interrogeaient sur la manière dont les quartiers se définissent et le poids induit par l’image projetée sur eux. Ainsi, l’analyse comparative entre un quartier prioritaire fortement stigmatisé et un autre à l’image plus neutre visait à vérifier l’hypothèse selon laquelle les termes utilisés dans les discours politiques et médiatiques affectent la construction identitaire des habitant·e·s et contribuent à renforcer un sentiment d’exclusion. Par la confrontation de la représentation de ces quartiers à la manière dont ils sont vécus par ses habitant·e·s, ce premier chapitre vise à mieux appréhender le « problème social » des quartiers et à comprendre
les attentes des habitant·e·s en termes de politiques de la ville.
Enfin, outre que d’être deux quartiers prioritaires de la ville de Montpellier comprenant des grands ensembles, ils ont en commun d’être actuellement sujets à des projets de renouvellement urbain. Près d’Arènes, par l’arrivée de la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) de la Restanque ; projet piloté par l’architecte Emmanuel Nebout2 qui devrait accueillir 7 500 logements, dont 30 % de logements sociaux3 sur une superficie de 126 hectares. La Mosson est quant à elle soumise au Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), au nom évocateur d’ « Ensemble pour la Paillade », qui prévoit notamment certaines des-
tructions / reconstructions de logements et pôles éducatifs, la réhabilitation énergétique de grands ensembles dégradés, la requalification d’espaces publics et le développement écono-
1 Entretien avec Jérémie (anonymisé), membre de la Maison Pour Tous « L’Escoutaire ». 05 septembre 2019, Saint Martin, Montpel- lier.
2 Architecte DPLG, enseignant à l’ENSAM. 3 Montpellier Méditerranée Métropole. La ZAC de la Restanque : première application du manifeste de Montpellier. 2019, https:// www.montpellier3m.fr/actualite/la-zac-de-la-restanque-premiereapplication-du-manifeste-de-montpellier. Consulté le 31 juillet 2020.
mique par l’implantation de nouvelles activités1. Dans le cadre de ce contexte d’urbanisation, initié par les politiques de la ville qui promeuvent la « concertation habitante », il s’agissait dans un second temps d’analyser les apports et limites des projets politiques et actions locales mises en place au sein de ces quartiers, afin de remédier aux problématiques socio-spatiales repérées.
1 Site de Montpellier. Retour sur la réunion d’information ANRU 2. 2019, https://www.montpellier.fr/evenement/23653/3624-retour- sur-la-reunion-d-information-anru-2-quartier-mosson-04-04-2019. htm. Consulté le 30 juillet 2020.