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Spatialisation d’une « dés-intégration » sociale
CHAPITRE 1 SPATIALISATION D’UNE « DÉS-INTÉGRATION » SOCIALE
«Peu à peu, le logement social apparaît aux gens comme un lieu de résidence forcé où ne vont vivre durablement que ceux qui n’ont pas de place ailleurs. C’était le contexte du plein emploi et la mobilité des individus qui rendaient le hlm appréciable. Alors que tout se cristallisait sur un modèle de l’ascenseur social et des espoirs d’intégration, on semble alors succomber à celui de la relégation spatiale et du désespoir d’insertion.»1
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Lorsque Cyprien Avenel aborde la question du « problème des banlieues » françaises, il expose la situation paradoxale des quartiers de grands ensembles qui, construits dans l’objectif de permettre l’intégration sociale en garantissant de meilleures conditions de vie notamment par l’offre à des logements modernes, revêtissent aujourd’hui la figure opposée, celle d’une «relégation spatiale et du désespoir d’intégration»2. Le chapitre qui suit vise, au travers de l’analyse des deux quartiers montpelliérains retenus, à comprendre les facteurs de cette spatialisation des inégalités de la société qui semble générer discriminations et exclusion des habi-
tant·e·s.
Inscription spatiale des inégalités sociales : une réalité multiforme
Les photographies aériennes de 1963 (figure 1) montrent que l’urbanisme de Saint-Martin précède à celui de La Paillade, et tandis que le premier vient s’appuyer sur un tissu préexistant pour le compléter, le second s’implante sur une zone rurale non urbanisée, «page vierge» à l’extérieur de la ville.
À Montpellier, les premiers grands ensembles se sont, dans un premier temps, construits autour de la ville, dans une logique d’expansion urbaine. Le quartier Saint Martin était dans
1 AVENEL, Cyprien. La construction du « problème des banlieues » entre ségrégation et stigmatisation. Journal français de psychia- trie, 2009, vol. 34, pp.36-44. 2 Ibid.,
Photographie aérienne de Saint-Martin, 1963 Source : portail IGN, « remonter le temps »
Photographie aérienne de La Paillade, 1963 Source : portail IGN, « remonter le temps » Photographie aérienne de Saint-Martin, 2018 Source : portail IGN, « remonter le temps »
Photographie aérienne de La Paillade, 2018 Source : portail IGN, « remonter le temps »
Fig. 1 : Photographies aériennes de l’évolution des quartiers Saint-Martin et La Paillade
les années cinquante constitué d’un tissu pavillonnaire et d’un parcellaire rural, majoritairement au sud de la rue Maréchal Leclerc. Dans un contexte national de construction massive
de logements, les terres libres de bâtis ont été récupérées pour construire des tours et des barres, modifiant la densité, le paysage et l’échelle du quartier.
En 1961, en parallèle à l’urbanisation déjà lancée de Saint Martin, François Delmas déclare le territoire agricole de La Paillade comme Zone à Urbaniser en Priorité. Le maire a l’ambition de créer une « cité satellite » sur cette zone rurale, encore peu habitée et enclavée par les hautes garrigues à l’Ouest. Ce projet est celui d’une ville autonome, isolée du reste de la métropole par des exploitations agricoles, qui disposerait de ses propres activités et équipements1. Au terme d’un concours, l’urbanisme de la cité est confié à l’architecte Edouard Gallix. L’esquisse du projet proposé en 1962 propose des grands ensembles comme motif principal de la ville et des méga-structures sur dalles pour créer de nouvelles centralités urbaines.
« La vie s’organise, ce qui n’était qu’un chantier devient une vraie ville avec ses rues, son centre commercial, ses avenues. »2
Dans son livre « La banlieue, un projet social », Kenny Cuppers parle de « mantra de l’intégration » dans l’urbanisme de ces villes indépendantes, dans le sens où la « philosophie qui sous-entend ces initiatives repose sur la conviction que l’intégration des équipements collectifs contribuerait à l’épanouissement individuel comme au développement communautaire. »3. Si dans les années soixante, La Paillade apparaît comme synonyme de confort et de « ruralité urbaine » par sa proximité avec la campagne montpelliéraine et la pluralité des activités qu’elle offre, les entretiens avec les habitant·e·s ont permis de révéler une nostalgie face à la dégradation du quartier ces dernières années :
« Depuis 10 ans ça s’est bien dégradé, on n’a plus de cafés, plus de lieu qui fait du lien. Avant il y en avait cinq et ils ont tous fermé. On trouve plus que des
1 CHÉDIAC, Sophie. Montpellier, la ville inventée, Résidentialisation de la Mosson. Plate-forme d’Observation des Projets de Stra- tégies Urbaines. 2008, http://www.popsu.archi.fr/sites/default/files/nodes/document/766/files/montpellier-residentialisation-mos- son.pdf. Consulté le 20 juillet 2019. 2 Devenir de la ZUP de la Paillade, [Vidéo]. Archives INA, 22 mars 1972. 3 CUPERS, Kenny. Op. cit., page 301.
épiceries à La Paillade. »1
« C’est un endroit où il fait bon vivre, c’est dommage que ce se soit autant dégradé par rapport aux poubelles et au manque de civisme des gens. [...] Et ils vont nous enlever le stade alors que les matchs font partis des seuls moments où des gens de l’extérieur viennent à La Paillade, et ça, ça me fait beaucoup de peine. Encore une fois on nous confine, on nous pénalise et nous sommes vus comme les parias. »2
Manque d’attractivité, disparition des commerces de proximité, saleté, dégradation des es-
paces publics ou encore obsolescence des équipements et des logements sont autant de critiques qui revenaient de manière récurrente dans les discours des personnes rencontrées à l’égard d’un quartier qui semble se refermer sur lui-même. Afin de modifier l’image très stigmatisée du quartier, la Mairie de Montpellier, présidée par George Frêche, renomme le
quartier en 2001 « Mosson ». La décision est cependant discutée par les habitant·e·s qui y voient davantage une volonté de camouflage qu’une réelle dynamique de changement :
« Les vrais pailladins diront toujours La Paillade. Ils ont changé le nom pour redorer l’image du quartier et pourtant nous, nous aimerions bien la retrouver, La Paillade. »3
Cet extrait traduit une nostalgie plus générale de ce qu’était le quartier et un regret de sa dégradation qui ne semble pas se résorber aux yeux des palladin·ne·s ou des habitant·e·s des
autres quartiers.
Si a priori Saint-Martin n’apparaît pas comme un quartier enclavé au même titre que La Paillade, de par sa proximité au centre-ville et son tissu urbain plus mixte, entre maisons pavil-
lonnaires et grands ensembles, les discussions avec les habitants et membres des associations
1 Entretien avec M. Benard (anonymisé), habitant résidence Jupiter, 25 janvier 2019, La Paillade, Montpellier.
2 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante et membre du collectif habitant·e·s de la résidence HLM Mercure. 16 sep- tembre 2019, La Paillade, Montpellier.
3 Entretien avec Mme Zerrour (anonymisée), habitante de la résidence Jupiter. 06 janvier 2019. La Paillade, Montpellier.
ont permis de révéler une certaine fracture à l’intérieur du quartier. En effet, l’axe Maréchal Leclerc sépare l’ancien tissu pavillonnaire et logements collectifs de moyennes hauteurs du cœur de la «cité Saint Martin», constituées des tours et barres de très grandes hauteurs héritées des années 1960. Cette scission entre le quartier nord et le quartier sud, m’est apparue de manière d’autant plus claire par la rencontre d’habitant·e·s des deux « rives » : leurs percep-
tions et pratiques du quartier semblaient distinctes.
Tout d’abord la définition géographique du quartier Saint-Martin différait selon les espaces qu’ils fréquentaient. Aussi, selon un membre de l’association « City citoyen »1 le quartier Saint-Martin ne se définit que par la partie comprenant des grands ensembles, tandis que la limite géographique définie par l’agglomération s’étend bien au-delà (figure 2). Il parlait alors d’une population relativement homogène, pour la plupart issue de l’immigration, d’un manque de mixité sociale et d’âge, sans prendre en compte les habitant·e·s des maisons pa-
villonnaires qui ne pratiquent pas ce qui pour lui était le « cœur du quartier Saint-Martin ».
Et effectivement, en discutant avec une habitante extérieure à la « cité Saint-Martin », sur l’avenue Palavas, il est apparu qu’elle préférait aller à la Poste et faire ses courses dans le centre de Montpellier, étant donné l’état de détérioration du centre de la cité qui la rendait « un peu hostile ».
« Au-dessus de l’axe Maréchal Leclerc c’est Versailles à côté de la cité. »
Cependant, bien que toutes les personnes interviewées à Saint-Martin s’accordaient pour va-
loriser le calme du quartier, les nombreux équipements et la bienveillance des habitant·e·s,
les critiques correspondaient à celles entendues à la Paillade : un soucis de mixité, la présence d’un trafic de drogue, la disparition des commerces de proximité ou encore un manque d’entretien des espaces publics et des logements.
1 Association implantée depuis 2005 à Saint Martin, a pour objectif d’encourager la mixité sociale et les relations intergénération- nelles autour de quatre axes : loisir, éducation, services et formation. Entretien réalisé le 14 septembre 2019.
Avenue Maréchal Leclerc
Tour Saint-Martin
Logements individuels R+0 | R+1 Logements collectifs R+2 |R+4 Logements collectifs R+5 | R+18
Fig. 2 : Cartographie du quartier Saint Martin. Réalisation personnelle.
Homogénéisation des populations & stigmatisations
Cette dégradation progressive des quartiers, notamment induite par la détérioration généralisée des grands ensembles, « vieillissement accéléré des matériaux, nombreuses défectuosités, fissures, infiltrations, absence d’équipements, mauvaises implantations urbaines »1, ainsi que la montée des soulèvements populaires et de la délinquance qui accroissent le sentiment d’insécurité, provoque dès les années soixante-dix le départ de nombreux foyers. Jacques Donzelot2 parle de « sécession » de la population aisée qui désire se soustraire de la solidarité avec les pauvres et fuit ces quartiers pour habiter un « ensemble homogène ». Remplacées par des familles plus pauvres – touchées par la montée du chômage, les emplois précaires et l’insé-
1 TOUBON, Jean-Claude et TANTER, Annick. Les grands ensembles et l’évolution de l’intervention publique. Hommes & Migrations, 1991, vol. 1147, no 1, pp. 6-18.
2 DONZELOT, Jacques et JAILLET, Marie-Christine. Fragmentation urbaine et zones défavorisées : le risque de désolidarisation. Hommes et Migrations. La ville désintégrée ?, 1999, n°1217, pp. 5-17., (page 14).
curité sociale – ou immigrées, cette fuite des personnes qui en ont les moyens renforce l’isolement social des quartiers. Si la question du chômage apparaît comme un premier facteur d’exclusion dans notre société où le modèle socio-économique dominant valorise la productivité des individu·e·s, l’intégration semble alors d’autant plus compliquée pour les familles immigrées auxquelles s’ajoute la question ethnique.
« Moi je sens que la mixité elle a beaucoup diminuée, et qu’ils ont beaucoup confiné la Paillade pour les maghrébins. Rien qu’à la tour d’Assas il y avait vingt-deux nationalités dans les années quatre-vingt. […] La mixité sociale apportait tellement de richesse à la Paillade. »1
Pour Cyprien Avenel, c’est la mise à distance du marché du travail des « jeunes des cités », amplifiée par la discrimination raciste qui fabrique « une personnalité agressive ». Sentiment d’abandon, racisme et violences policières subies2 engendrant une colère qui se traduit par des violences urbaines, un rejet des institutions et une montée de la délinquance. Cette image généralisée du « jeune des cités » largement relayée par les médias, participe à la stigmatisation des quartiers comme des lieux risqués. L’auteur insiste sur les conséquences de cette stigmatisation sur la construction identitaire de ses habitant·e·s qui finissent par endosser le rôle dans lequel ils et elles sont catégorisé·e·s :
« Ils peuvent ainsi jouer à l’intimidation en renvoyant l’image des « mauvais garçons », et incarner de façon presque caricaturale le rôle qu’ils croient que l’on attend d’eux. Ensuite, ils développent souvent l’attitude inverse en se positionnant comme des victimes d’une image négative véhiculée par les médias. »3
1 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante résidence Mercure. Entretien du 16 septembre 2019, La Paillade, Montpellier.
2 Je pense notamment à Zyed Benna et Bouna Traoré, morts dans l’enceinte d’un poste électrique en voulant échapper à un contrôle policier. Évènement déclencheur des soulèvements de 2005. Je pense aussi à la période du confinement durant laquelle les habi- tant·e·s des cités ont dénoncé de nombreux abus : contrôles abusifs, propos racistes, insultes dégradantes, violences physiques etc.
3 AVENEL, Cyprien. La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto : Débats sociologiques. Revue économique, 2016, vol. 67, pp.415-441. (page 431).
Cette tension, entre stigmatisation et construction de soi, se retrouve aussi dans le documentaire « Village vertical », de Laure Pradal1. Les habitant·e·s évoquent l’importance et la difficulté, notamment induite par le racisme, à s’ancrer et se sentir appartenir à un lieu. En effet, l’utilisation courante de termes péjoratifs tels que «ghettos» ou «communautarisme» dans les discours politiques et médiatiques, qui entendent le regroupement de personnes issues d’un milieu social, culturel et ethnique proche, accentue le sentiment d’exclusion des habitant·e·s, tout en compliquant leur quête identitaire. Ainsi peut-on par exemple entendre dans ce documentaire: «En France je suis perçu comme marocain, au Maroc je suis perçu comme français.» ou encore: «C’est le fait de se sentir jugé ici, pas «à sa place» qui donne le besoin d’aller au Maroc. Je suis née en France et pourtant j’ai besoin d’aller chercher quelque chose au Maroc. Aller chercher mes racines ailleurs ». Il apparaît au cours du documentaire, qu’un réseau de solidarité et des liens de socialisation forts sont établis dans la tour d’Assas. Les habitant·e·s parlent d’un « village vertical » dans lequel tout le monde se connaît et s’entraide, un sentiment d’appartenance en opposition à l’exclusion renforcée par les stigmates dont ils et elles sont victimes : « Il y a de la solidarité, comme une grande famille. Les jours de fête comme le ramadan il y a une ambiance qu’on sait qu’on ne retrouvera pas ailleurs. » La tour apparaît comme un « cocon » qui joue une fonction de sécurité identitaire, en même temps qu’elle enferme par la ségrégation dont sont victimes les habitant·e·s.
La stigmatisation particulièrement prononcée à l’égard du quartier de la Mosson, se ressentait jusqu’à Saint-Martin, où le désir de non-affiliation à ce quartier était clairement exprimé par les habitant·e·s :
« À la Paillade, le phénomène de ghettoïsation y est installé. Ici, il faut lutter contre ça. »2
« Certes, on ressent un manque de mixité, peu de personnes viennent finalement à Saint-Martin, mais ça va encore, on n’est pas à la Paillade. »3
1 PRADAL, Laure. Le Village vertical [Film]. Pages & Images, 2009. 52 min. 2 Entretien avec Ahmed (anonymisé), City citoyen. Entretien du14 septembre 2019, Saint Martin, Montpellier.
3 Entretien Jérémie (anonymisée), avec Maison Pour Tous. Entretien du 05 septembre 2019, Saint Martin, Montpellier.
« A La Paillade moi je ne me sens pas en sécurité. Tu sens qu’on te regarde, que tu n’es pas du quartier. A Saint-Martin ça va déjà mieux. »1
Attachement au quartier
Bien que dans les deux quartiers les habitant·e·s attestaient des problèmes réels qui im-
pactent leurs conditions de vie, telles que les dégradations des logements, « On vit dans des passoires : on chauffe en hiver et on a froid, alors qu’en été il fait beaucoup trop chaud. »2, des problèmes de drogues, « Il y a des seringues qui traînent dans le parc de jeux, ce n’est pas possible d’emmener nos enfants là-bas !»3, ou encore des soucis de voisinage «Les gens ne respectent rien. La cage d’escalier c’est un dépotoir. »4, la majorité valorisait davantage les aspects positifs de leur quartier, témoignant parfois jusqu’à un profond attachement à celui-ci :
« Pour les enfants on a la piscine, un terrain de tennis, le stade… Et depuis l’arrivée du tramway on est à quinze minutes du centre de Montpellier. On est bien. »5
« La Paillade n’est pas une cité comme les autres, il y a beaucoup d’associations qui participent au bien vivre de la Paillade ! »6
« Comparé à d’autres quartiers, on a des équipements publics de qualité et on ne peut pas dire qu’on en manque. On a un tissu institutionnel et associatif qui fait qu’on se sent bien dans le quartier. Regardez à 10h du matin, vous ne
1 Entretien avec Nathalie Ravinal, architecte. Entretien du 20 novembre 2019, Saint Roch, Montpellier.
2 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante et membre du collectif habitant·e·s de la résidence HLM Mercure. 16 sep- tembre 2019, La Paillade, Montpellier.
3 Entretien avec Nadjia (anonymisée), Jasmin d’Orient. 04 novembre 2019. Saint Martin, Montpellier.
4 Entretien avec Mme López. Op. cit.
5 Entretien avec Mme Zerrour, (anonymisée) habitante résidence Jupiter. Entretien du 26 janvier 2019, La Paillade, Montpellier.
devinerez pas que vous êtes dans un quartier prioritaire ! »1
« J’habite plus à la tour, j’ai voulu partir, mais je ne veux pas tout couper à 100%, je ne pourrais pas. Je continue à la voir quand je suis au travail, je vois les gens quand je vais acheter du pain. »2
De la même manière que Laure Pradal permet aux habitant·e·s de la tour d’Assas de parler de leur habitat, Radio Clapas, une radio locale et Point d’Informations Jeunesse, a réalisé une série de podcast intitulée « 33 tours et un micro ». Ces podcasts, qui présentent sous forme de portraits audios les habitant·e·s de la tour Saint-Martin, ont pour objectif de «donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas ». La comparaison des propos au sujet des deux tours, a permis de voir que la figure pourtant dévalorisée du grand ensemble, « dégât du progrès » (Daniel Pinson)3, apparaît comme un élément structurant du paysage habité des résident·e·s. La dimension symbolique et affective se retrouvait dans les discours des habitant·e·s notamment au travers l’utilisation d’allégories telles que le « phare » (Tour Saint-Martin) ou le « village vertical » (Tour d’Assas). L’image du phare ne va pas sans évoquer ce point de repère dans le quartier qui permet d’identifier le lieu habité : « J’ai deux bons souvenirs : quand on part en vacances et qu’on voit la tour qui est derrière, puis, quand on rentre de nuit et que la tour elle est devant nous avec toutes ces lumières ».4
La pluralité des entretiens a permis de rendre visible certaines contradictions dans les dis-
cours. Parfois, les habitant·e·s allaient dénoncer avec vigueur les conditions de vie dans leur habitat, « Je suis souvent amenée à faire des réflexions aux gens parce qu’ils ne respectent pas le travail de la femme de ménage. Il n’y a pas de respect. Les gens ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont. »5, pour aussitôt après évoquer la crainte de devoir potentiellement quitter le quar-
1 Entretien avec Jérémie (anonymisé). Op cit.
2 PRADAL, Laure. Op. cit.
3 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178 (page 4).
4 PRADAL, Laure. Op. cit.
5 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante et membre du collectif habitant·e·s de la résidence HLM Mercure. 16 sep- tembre 2019, La Paillade, Montpellier.
tier, suite aux opérations de démolitions prévues par l’ANRU : « C’est un endroit que je vais beaucoup regretter. Parce qu’on est bien desservi, il y a pas mal d’organismes qui aident les habitants et c’est un endroit où il fait bon vivre, c’est très agréable. […] La Paillade est perçue comme un lieu où il ne faut pas aller. Alors qu’il y a plus dangereux et pire qu’à La Paillade. »1. Entre stigmatisa-
tion des autres habitants et valorisation du quartier, cet extrait illustre ce que Cyprien Avenel décrit comme la « double face d’une même réalité » :
« […] stigmatiser, parfois avec affabulation, les conditions de vie rendues pénibles par les dégradations, le sentiment d’insécurité et les conflits de la cohabitation ; et se distinguer, dès lors, sans grande difficulté, d’un environnement qui semble si peu honorable socialement, conformément aux stratégies de détournement et de retournement du stigmate. Mais la pesanteur de cet effort à se démarquer symboliquement de l’entourage ne signifie pas que les relations de voisinage sont inexistantes. Au contraire, chacun laisse entrevoir indirectement son insertion active dans des liens sociaux et conviviaux. En fait, les habitants dénoncent bien plus leur quartier parce qu’il les stigmatise que parce qu’ils n’aiment pas y vivre. »2
Bien que les cas de La Mosson et de Saint-Martin semblent revêtir un enclavement à des niveaux différents – l’un vis-à-vis de la ville de Montpellier, l’autre à l’intérieur même du quartier – les deux situations présentent une problématique similaire : celle d’une fragmentation sociale, renforcée par une image négative projetée par les habitant·e·s extérieur·e·s au cœur des grands ensembles. Stigmatisation qui accentue le malaise social et la difficulté d’intégra-
tion de ses habitant·e·s. Cependant, la parole habitante a également permis de révéler un vif attachement, des liens sociaux renforcés par de forts réseaux associatifs, qui offrent un contrepoint à l’exclusion. Il s’agit maintenant d’interroger les actions mises en place par les politiques de la ville et associations en vue d’améliorer la situation des quartiers prioritaires.
1 Ibid.,