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Réhabiliter l'architecture – Valorisation du bâti
CHAPITRE 2 RÉHABILITER L’ARCHITECTURE – VALORISATION DU BÂTI
« Dans les décisions de démolition, on démolit tout, on revient à zéro. Or c’est impossible de penser qu’il n’y a 0 valeur dans une situation. Souvent on voit l’extérieur, on se dit que cet extérieur est en mauvais état, de mauvaise qualité, personne ne l’aime, souvent il y a des problèmes d’électricité, des problèmes de bruits, de salles de bain, dans les cuisines, des choses comme ça. Mais il y a aussi la vie des gens qui sont là depuis vingt ou trente ans, qui ont produit jour après jour des qualités d’intérieurs, et ça représente une richesse incroyable donc on ne peut pas faire abstraction de ça. »1
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Dans le cas de réhabilitations de grands ensembles, l’architecte intervient dans un lieu qui a une histoire, marqué par des pratiques habitantes avec lesquelles il doit, selon Jean-Philippe
Vassal, composer. L'aspect extérieur dégradé et l'image stigmatisante qui en est faite, tend à faire oublier que ces bâtiments ont des qualités architecturales (qu’elles soient typologique, de surface, de lumière, etc.), issues de leur conception initiale ou des adaptations qui ont été faites par leurs habitant·e·s.
La problématique posée par le sujet de la réhabilitation d'un grand ensemble habité semble alors être : comment prendre en considération les pratiques habitantes pour améliorer et
valoriser le cadre dans lequel elles et eux habitent ?
Si Patrick Bouchain, s’inscrit clairement selon moi dans un engagement politique contre les procédures institutionnalisées en mettant l’individu·e au cœur de sa pratique, rares sont les architectes qui ont les moyens intellectuels ou matériels de faire de même. Ce type de processus de participation actif requiert un investissement conséquent en temps pour les architectes et les habitant·e·s, et dépend d’une logistique complexe.
De manière différenciée, les architectes de l'agence Lacaton & Vassal ne mettent pas en place de processus à proprement dit « participatif » (l'habitant·e n'a pas de pouvoir décisionnel lors
des phases de conception). Pourtant, leur architecture traduit une sincère prise en compte des pratiques habitantes et offre de réelles qualités d’espaces et d’usages. Le parti pris des architectes est d’améliorer le cadre de vie de l’habitant·e en faisant «acte d’architecture»1, soit
par la démonstration de leur capacité à produire des espaces nobles, esthétiques et généreux à partir de l’existant.
Le passage au projet m'a poussé à prendre position face à la manière dont je souhaitais aborder le sujet de la réhabilitation et quant à la place que je souhaitais – et pouvait, en vertu des contraintes que pose le cadre du PFE – accorder à l'habitant·e dans le projet.
Ainsi le chapitre qui suit vise à interroger le rapport qu'entretien l'architecte avec le bâtiment « à réparer »" et ses habitant·e·s.
L’habitant·e dans son logement
« C’est absolument scandaleux ce qu’il s’est passé en France avec ces démolitions. La démolition on accepte ça en temps de guerre mais c’est d’une violence inouïe. »
L’engagement des architectes Lacaton & Vassal contre la démolition des grands ensembles vise à défendre l’histoire et le tissu social existant de ces quartiers. L’un de leurs objectifs était également de s’assurer auprès des bailleurs sociaux que les loyers resteraient inchangés, la promesse de leur projet étant d’améliorer les conditions de logement des locataires sans qu’ils et elles subissent un appauvrissement de leurs ressources, ou soient contraint·e·s de déménager par manque de moyens, comme c’est très souvent le cas à la suite d’un projet de réhabilitation architecturale.
Lorsque nous avons abordé la manière dont était perçu le projet par l'habitant·e au cours du processus, Jean-Philippe Vassal expliquait qu’avaient été mises en place quelques réunions de concertation, qui visaient à expliquer la procédure et les objectifs de l’intervention. La plus grande difficulté abordée était d’aider les habitant·e·s à se projeter. Habitué·e·s aux dé-
ceptions et désillusions face aux interventions faites dans leur quartier, l’un des premiers enjeux formulé par Jean-Philippe Vassal était d’apporter une « lisibilité » de ce à quoi allait
ressembler leur habitat.
Dans le cadre du projet de la Tour-du-Bois-le-Prêtre, première « transformation» réalisée par l’agence, il est apparu que les outils de représentation généralement utilisés par les architectes, tels que les plans, coupes ou élévations, étaient difficilement compréhensibles pour des personnes non-initiées. L’agence a donc réalisé un appartement témoin, pratique répandu dans les projets de grande envergure, afin de faciliter la projection des locataires qui pouvaient visiter un logement «type». Pour le projet de Bordeaux, rénovation d'une barre de 530 logements, l’agence d’architecture avait organisé une visite des appartements de la Tour-duBois-le-Prêtre, afin que les habitant·e·s puissent aussi échanger avec celles et ceux qui avaient expérimenté ce premier projet. Ces rencontres, au-delà du retour positif des usager·e·s a permis de rassurer les habitant·e·s qui exprimaient une certaine méfiance et réticence, et de pouvoir, par la suite, composer dans de bonnes conditions le projet.
« Dans toute démarche de participation, je pense qu’il est important de sortir des contraintes pré-existantes, car finalement ces contraintes elles sont extrêmement délicates, difficiles, et c’est difficile de discuter dans ces conditions-là. Il y a donc un premier travail qui consiste à améliorer la situation initiale afin de redonner une forme d’espoir, de lisibilité, de clarté d’un futur qui peut être beaucoup plus positif. Une fois cette capacité supplémentaire est posée, on peut vraiment travailler au niveau de la participation avec les gens. »
Dans le cadre de la réhabilitation d'un grand ensemble, sujet particulièrement complexe par sa densité ou les problématiques sociales et économiques qu'il soulève, il est pour les archi-
tectes nécessaire de réaliser un diagnostic de l'existant et d'avoir une idée préalable de la nature des travaux envisageables, avant de s'adresser aux habitant·e·s. En effet, nous avons pu voir dans la première partie que les habitant·e·s des quartiers prioritaires sont déjà très sollicité·e·s par les politiques urbaines, et que le manque de résultats entraîne une désillusion et un manque de confiance croissant envers les institutions. Ainsi une participation mal amenée peut s'avérer plus dommageable qu'un projet bien construit en amont.
Si la démarche de Lacaton & Vassal n’entre pas dans le cadre de l’architecture participative, une phase de recherche préalable au projet architectural vise à observer les pratiques habitantes afin d’offrir des espaces en adéquation à leurs besoins. Ainsi les architectes ont le soucis d’intégrer dans leur architecture des dispositifs qui permettent l’appropriation de l'habitat. Je pense notamment au principe du « jardin d’hiver », pièce « en plus » qui permet une liberté d'usages et un agrandissement considérable des appartements.
Cependant la particularité des dispositifs proposés par les architectes nécessite de donner
des consignes sur comment bien utiliser leur architecture : fonctionnement du rideau thermique, ventilation naturelle, etc. Les réhabilitations traditionnelles, dont l'enjeu consiste à «mettre aux normes» thermiques les bâtiments, ont tendance à sur-isoler sans prendre en compte les pratiques des habitant·e·s. Il s'agit donc ici d'un accompagnement qui d'une part, sensibilise les habitant·e·s aux enjeux environnementaux, et d'autre part permet de répondre aux besoins d'économies énergétiques de manière plus écologique.
La recherche de Lacaton & Vassal est également alimentée par des suivis post-livraisons afin d’avoir des retours sur comment sont vécus les habitats par les locataires, il s’agit d’un moyen de vérifier les hypothèses émises au cours de la conception du projet, et d’évaluer la qualité de leur architecture dans le but d'améliorer leurs futurs projets :
« Avoir le retour des habitants et voir comment ils s’emparent de l’espace est pour nous la meilleure façon de juger le succès d’un projet. Nous sommes toujours surpris, c’est toujours plus que ce que nous imaginions. La plupart des espaces doivent pouvoir être appropriés, nous essayons de faire des interviews des habitants pour comprendre leur utilisation. Les gens sont très créatifs, ont beaucoup d’idées et c’est toujours très satisfaisant à voir. […] Pour en revenir aux logements sociaux que nous avons réhabilités, nous voyons que la requalification des espaces a changé leur vie. Pour la plupart, maintenant, ils se sentent mieux, plus relaxés. »
Les architectes documentent leur site internet avec une grande quantité de photographies prises après l’aménagement des habitant·e·s. Dans le cadre des réhabilitations, cette docu-
ÉVOLUTION DE LA DÉFINITION DU PROJET
Si à l'amorce du semestre de S10 je portais des ambitions quant à la mise en place d'un processus intégrant les habitant·e·s – présentation de l'avancement à différentes étapes de la conception – celles-ci ont été remises en question au cours du projet.
Le diagnostic effectué par un entretien croisé au relevé architectural, le relevé des meubles et usages attribués aux pièces, a permis de définir les intentions de projets. Par la suite, la priorité a été donnée à la conception architecturale étant donné le laps de temps restreint du semestre. Le parti pris de projet n’est donc pas l’élaboration d’un processus, notamment participatif, mais une proposition de réponse architecturale à des problématiques observées et soulevées par les habitant·e·s. Il s’agit presque ici d’une troisième façons de faire, par rapport à celle des pratiques architecturales précédemment étudiées.
mentation, composée de photographies avant/après projet, permet de valider l’hypothèse d’une architecture appropriable pour ses habitant·e·s. En présentant l’architecture telle qu’elle est vécue par les locataires – leurs objets, leur désordre du quotidien – on comprend un attachement à la valoriser comme un espace qu’ils qualifient d’ « extra-ordinaires ».
Ainsi, il apparaît que la participation n’est pas la seule méthode permettant d’articuler ques-
tion sociale et architecturale : une réhabilitation de qualité, qui prend en considération les pratiques habitantes d’une part, et qui offre d'autre part des qualités typologiques, de lumière, de matériaux et d’orientation, à un impact sur le bien-être de ses habitant·e·s.
«De droite à gauche, de bas en haut, l’empilement des «cellules» redit cette «ration» de logement qu’est le logement de masse administrativement attribué des années 1950, alors que la plus modeste baraque des mal lotis portait l’infime message d’une identité toujours digne dans son dénuement.»1
Lorsque Daniel Pinson évoque le grand ensemble comme « cellules » empilées, il émet la cri-
tique selon laquelle cette architecture, ne prend pas en compte la diversité des familles qui l’habitent. Les familles semblent donc se retrouver noyées sous une immensité répétitive de fenêtres, qui est « un tableau avant d’être un espace habité »2 .
En réponse à cette même critique, les architectes Lucien et Simone Kroll soutiennent dans leur travail l’idée selon laquelle il faut permettre aux habitant·e·s une liberté d’appropriation. Selon eux, par la juxtaposition de désirs individuels, le grand ensemble peut trouver une échelle de dimension « humaine » (figure 11) dont on maîtrise la construction mais pas l'objet. Une éloge d'une architecture de « désordre vivant » pleine de « contradictions, hésitations, superpositions, piratages, atavismes, non-sens, juxtaposions, inégalités et même maladresses »3 à
1 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178. (page 166)
2 Ibid., (page 161)
3 ODOS, Valérie. Lucien et Simone Kroll : construire pour que les gens soient bien. France télévision, 22/06/2015.
Fig. 11 : Lucien Kroll, Enfin chez soi… Réhabilitation de préfabriqués, Berlin-Hellersdorf, Allemagne, 1994 Source : https://www.amc-archi.com/
SUPPORT | APPORT Notice de projet page 84.
Cette question de la liberté de choix est un sujet qui revenait au cours du processus de réhabilitation, d’autant plus justifié étant donné le statut de copropriété de la tour Saint Martin où une partie des occupant·e·s est propriétaire des lieux : doit-on donner une cohérence à l'ensemble ou à l'inverse laisser une liberté totale d’appropriation ?
Les deux points de vue me paraissant défendables. Pour ce projet, le parti pris a été de proposer une architecture modulaire sur un système de « support-apport » : travailler une trame de poteaux et de dalles qui définit l’enveloppe du bâti, support à des extensions apportées selon les besoins et désirs de chacun·e. Cette appropriation encadrée permet de casser le systématisme et l'homogénéité de la façade.
Fig. 12 : LAN (architectes) Projet de rénovation urbaine, 2009-2015 Source : https://www.lan-paris.com/
l'encontre de « l’alignement disciplinaire »1 hérité du dogme fonctionnaliste.
Cette posture diffère de la pratique de Lacaton & Vassal, ou encore de la proposition de l'agence Lan quant à un projet de réhabilitation de tours à Lormont (figure 12). Ces deux projets proposent un système constructif généralisé sur l'ensemble des bâtiments, qui redéfinit la façadela façade, lui donnant une identité forte, marquée par le geste de l'architecte : celui-ci en valorisant l'aspect esthétique extérieur du bâti, donne une nouvelle valeur au bâtiment déprécié.
Le sujet de la tour, et sa visibilité dans la ville, pose la question de la façade que l'on offre à voir: comment celle-ci s'inscrit dans un paysage et dans un contexte urbain ? Doit-elle découler d'une multitude d'individualités, au risque de compromettre son esthétique, ou doit-elle avoir une écriture contrôlée par l'architecte ?
La problématique de l’inscription de la tour dans le paysage est abordée par l’architecte Audrey Courbebaisse dans l’article : «La réhabilitation de la tour en grand ensemble, de l’unité à la rupture Le cas de la tour des Mazades (1958-2020)»2. Elle y aborde l’étude de cas d’une tour de Toulouse qui a fait l’objet de plusieurs réhabilitations ces dernières années (figure 13).
La tour, qui a été conçue par l’architecte Jean Montier en 1958, s’inscrivait dans une logique compositionnelle et esthétique d’ensemble, avec les mêmes caractéristiques que les barres alentours ( « ossature poteaux-dalles apparente en façade, le quatrième niveau est marqué par l’interruption des balcons continus sur les immeubles barres en petits balcons et l’apparition de balcons sur la tour qui n’en possède pas sur les autres niveaux, structure apparente et jeu des balcons soulignés par l’utilisation de deux couleurs d’enduits»3). Or il s’agit du seul bâtiment à avoir fait l’objet du projet de réhabilitation. L’auteure s’avère critique envers le parti pris des architectes, Axel Letellier et Louise Fouillant, qui a été de traiter la tour comme élément signal dans la ville en la transformant en objet architectural, désolidarisé des autres bâtiments :
« L’histoire du projet de l’architecte concepteur et ce qui en fait la singularité
1 Ibid.,
2 COURBEBAISSE, Audrey. La réhabilitation de la tour en grand ensemble, de l’unité à la rupture Le cas de la tour des Mazades (1958-2020). Docomo, Hermann, 2020, les immeubles de grande hauteur en France. Un héritage moderne, 1945-1975, pp158-169.
Fig. 13 :Façade ouest de la tour en 1963, à gauche (Terra STU01453 B). La tour en cours de réhabilitation,à droite (Audrey Courbebaisse, septembre 2019).
sont ignorés et ne semblent pas pouvoir faire le poids face à l’urgence des mises en conformité et de l’amélioration énergétique. L’intégration dans l’environnement est davantage synonyme de résolution des problèmes d’occupation des rez-de-chaussée et d’une attractivité dont la nouvelle image pourrait être le dépositaire. »1
Audrey Courbebaisse soulève donc la problématique liée à la réhabilitation des grands ensembles qui tend à nier les qualités architecturales et patrimoniales existantes afin de créer un nouvel « objet ». De cette manière se pose le sujet de l’intégration de la réhabilitation du cas dans une lecture d’ensemble.
De l'intérieur vers l'extérieur
Le processus de projet développé par Lacaton & Vassal se caractérise également par leur traitement « de l’intérieur » vers « l’extérieur ». En intervenant d'abord depuis la cellule du logement, les architectes réparent le bâti, cherchent à en améliorer les qualités d’espaces et d’usages afin de permettre aux habitant·e·s de disposer d’un lieu agréable à vivre. Cette approche se distingue de la pratique généralisée dans les projets de réhabilitation de logements types grands ensembles qui se résume, d’abord et surtout, à des travaux de mises en conformité et de réfection de façade.
La transformation de la façade dans les projets de Lacaton & Vassal (figures 9 et 10) est une résultante des agrandissements apportés aux logements. L’aspect extérieur, bien qu’esthé-
tique, est déterminé par des partis pris constructifs et le choix de matériaux économiques qui servent au projet architectural, et non un «habillement» de la façade dans le but d’en faire une architecture « objet ».
Par ce parti pris, les architectes parviennent à atteindre un double objectif : réhabiliter l’architecture en lui rendant les qualités d’un habitat esthétique, spacieux et lumineux, et réhabiliter l’habitant·e de son droit à un logement digne et non stigmatisant.
Cette intervention architecturale répond également à la problématique sociale soulevée par Mona Chollet, vue au début de ce mémoire : Comment attendre d’une personne qu’elle apporte une «contribution à la vie collective» si elle ne dispose pas d’un «territoire propre» qui lui permet d’exister ?1 En effet, Lacaton & Vassal font la démonstration par leur savoir-faire que l'intégration de l'architecture dans le paysage urbain est possible, y compris lorsque l'esthétique de sa façade découle de l'amélioration intérieure des habitats.
Ainsi, en choisissant pour sujet la tour Saint-Martin, élément paysager fort de la ville de Montpellier, l'objectif était de faire dialoguer ce double rapport qu'entretien l'habitat avec son environnement : Comment valoriser un élément du paysage urbain déprécié par les montpelliérain·e·s, et comment investir cet espace habité qui offre un regard sur la ville ?
1 CHOLLET, Mona. Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique. La découverte poche, 2016, 356 p., (page 11).
Fig. 9 : Transformation de 530 logements, quartier du Grand Parc – Lacaton & Vassal, Druot, Hutin Façade avant travaux Crédit : Frédéric Ruault Source : https://www.lacatonvassal.com/
Fig. 10 : Transformation de 530 logements, quartier du Grand Parc – Lacaton & Vassal, Druot, Hutin Façade après travaux Crédit : Frédéric Ruault Source : https://www.lacatonvassal.com/
CONCLUSION
À l’amorce de ce mémoire j’affirmais que, pour moi, le rôle de l’architecte, plus que de lutter pour le droit au logement pour tou·te·s, était de lutter pour le droit à un habitat qualitatif pour chacun·e. Lorsque Cyprien Avenel aborde la notion de construction d’une «personnalité agressive » que finissent par adopter des « jeunes de cités » en réponse aux stigmates dont ils sont sujets1, il met en lumière les conséquences sociales que peut avoir une représentation péjorative sur les individus. Ainsi, nous pouvons nous demander si une revalorisation des grands ensembles aujourd’hui mal perçus, ne permettrait pas de montrer de la considération pour ses habitant·e·s (et leurs espaces habités) et de favoriser leur intégration sociale.
Par ailleurs, le travail d’enquête sur le terrain, puis la rencontre des habitant·e·s de la tour Saint-Martin lors du passage au projet, ont permis de révéler de nombreuses qualités dans ces quartiers pourtant très critiqués : diversités d’activités et d’événements, commerces, réseaux de solidarité, richesse en termes d’équipements, dynamisme associatif, etc. Il est apparu que les habitant·e·s étaient généralement attaché·e·s à leur quartier et ne souhaitaient pas en changer. Le diagnostic de la tour Saint-Martin a également permis d’attester des nombreuses qualités typologiques de cet héritage des années soixante malgré son état de détérioration. Constats qui tendent à vouloir promouvoir une réhabilitation du cadre bâti plutôt qu’une politique de démolition | reconstruction, d’autant plus dans le contexte de construction du logement contemporain, où la commande publique apparaît très contrainte par des normes et une recherche de rentabilité qui peut se faire au détriment de la qualité des habitats.
Cependant il est nécessaire de souligner que des leviers sont possibles, notamment au travers de nombreuses aides proposées par l’État. En effet, des organismes interministériels se mobilisent (tels que le PUCA, l’ANRU, l’ANAH, etc.) en finançant des projets et recherches sur l’innovation dans le logement, en neuf comme en réhabilitation.
L'étude menée dans le cadre de cette recherche sur des architectes aux pratiques diverses a montré que tous et toutes s’efforçaient de produire des logements sociaux dits «qualitatifs». Chacun·e se distingue par les critères de qualité mis en avant dans ses projets : ils et elles s’inscrivent de fait dans un rapport ambivalent entre positionnement face à la commande
1 AVENEL, Cyprien. La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto : Débats sociologiques. Revue économique, 2016, vol. 67, pp.415-441. (page 431).
publique (contraintes normatives, économiques, temporelles, programmatiques, etc.), ap-
proche de la conception architecturale (usages, esthétiques,
Néanmoins, la commande publique reste conçue comme une procédure « descendante » qui laisse finalement peu de possibilités à l’habitant·e de s’exprimer pour devenir acteur·ice de l’amélioration de son «cadre de vie». En effet, nous avons pu observer que, dans les processus de concertation proposés dans le cadre institutionnel de l’ANRU comme dans les processus de conception de projets (neuf et réhabilitation), le pouvoir décisionnel de l’habitant·e reste faible.
« Journaliste : En quoi le petit nourrit le grand, c’est-à dire la vision de ce que l’on pourrait faire sur le territoire français ?
Bouchain : Je pense que le cas est un moyen de travailler sur l’ensemble (...) on ne peut pas parler à la masse, on ne peut parler qu’à l’individu et voir si l’individu se rattache à l’ensemble. Donc je ne veux pas entendre cette critique de dire qu’il y a des petites choses et des grandes choses, si on travaille sur l’Homme, il n’y a que des grandes choses, c’est la grande échelle de l’humanité.»1
Lorsque Patrick Bouchain parle du « cas » comme « moyen de travailler sur l’ensemble »2, l’architecte émet une critique envers la commande publique du logement social qui ne rend pas compte de l’hétérogénéité des situations dans lesquelles elle intervient. La démarche de l'architecte reste cependant peu répandue, en partie à cause des moyens matériels et immatériels qu'elle requiert.
L’exercice du projet a été assez révélateur de ces difficultés (en termes de moyens, de logistique et de temporalité) : le cadre temporel court dans lequel s’inscrit le projet de fin d’études,
1 MASBOUNGI, Ariella. Interview de Patrick Bouchain, Grand Prix de l’urbanisme 2019. [Interview]. batinfo.com, 13 janvier 2020, 30min. Disponible sur: https://batinfo.com/video/interview-de-patrick-bouchain-grand-prix-de-lurbanisme-2019_14491. Consulté le 14 juin 2020. 2 Ibid.,
ajouté au contexte de restrictions posé par la crise sanitaire, a limité les échanges possibles avec les habitant·e·s. Si j’avais envisagé une démarche plus proche du terrain, ces contraintes ont cependant permis d’aborder le projet sous un nouvel angle en m’intéressant à la pratique d’architectes, tels que Lacaton & Vassal ou Sophie Delhay, qui intègrent l'usager·e dans leur architecture sans pour autant les solliciter lors du processus de conception.
Ainsi ce travail croisé de recherche et d’architecture a permis d’alimenter une réflexion réciproque et non-figée à travers cet effort constant de va-et-vient entre considérations théoriques, politiques, sociales et enjeux architecturaux techniques et opérationnels. Ce mémoire et le projet présenté sont une restitution en l’état d’un objet de recherche qui m'a nourrie au long de ces études et qui continuera de s'approfondir, de se mettre en doute et de s'affirmer au fil de prochaines expériences et rencontres.
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ment-attribution-acteurs. Consulté le 10 aout 2020.
Films
EPSTEIN, Jean. Les bâtisseurs. [Film], Ciné-Liberté, 1938. 48 min.
MENJOULET, Jeanne. Filmer les grands ensembles. [Film]. Films du CHS, 2014-2015. 43min.
PRADAL, Laure. Le Village vertical.[Film]. Pages & Images, 2009. 52 min.
Vidéos
Devenir de la ZUP de la Paillade, [Vidéo] Archives INA, 22 mars 1972.
MASBOUNGI, Ariella. Interview de Patrick Bouchain, Grand Prix de l’urbanisme 2019. [Interview]. batinfo.com, 13 janvier 2020, 30min. Disponible sur: https://batinfo.com/video/interview-de-patrick-bouchain-grand-prix-de-lurbanisme-2019_14491. Consulté le 14 juin 2020.
École Spéciale d’Architecture. Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. [Conférence].
Champs Critiques, 11 mars 2019, 1h05min. Disponible sur: https://vimeo.com/342531910.
Podcasts
ABITTAN, David. Sophie Delhay : «Je ne suis pas seulement architecte, je suis aussi habitante». [Podcast]. Tema archi, 20 janvier 2020, 1h. Disponible sur: http://podcast.archi/articles/ hors-concours-podcast-interview-sophie-delhay-architecte. Consulté le 23 juillet 2020.
ANNEXES
PRÉSENTATION DES ASSOCIATIONS
Dans le cadre du projet du semestre 9, en septembre 2019, ont eu lieu les premières rencontres du réseau associatif de Saint-Martin. Les pages suivantes présentent une brève restitution de ces échanges informels.
Repérage des lieux où on été rencontrées les associations de Saint-Martin, Septembre 2019.
Crèche familiale, septembre 2019.
La Maison Pour Tous, septembre 2019.
City citoyen, septembre 2019.
Radio Clapas | Point Information Jeunesse, septembre 2019.
Propos relevés.
Propos relevés.
CHRONOLOGIE DES ENTRETIENS
NOM FONCTION
M. Bernard Anonymisé Habitant de la résidence Jupiter, La Paillade
Mme Zerrour Anonymisée Habitante de la résidence Jupieter, La Paillade
Jean-Michel Miramond Architecte
Jérémie Anonymisé Membre de la Maison Pour Tous
Julien Prieur Directeur des politiques de la ville chez ACM habitat (bailleur social)
Mme Petit Anonymisée Assistante maternelle à Saint-Martin et habitante dans une maison pavillonnaire du quartier
Lucie Anonymisée Mme López Anonymisée Journaliste chez Radio Clapas
Habitante de la résidence Mercure, La Paillade
Jean-Philippe Vassal Architecte
Nathalie Ravinal Architecte et responsables des "marches explotoires des femmes" de Saint-Martin
Emna et sa famille Anonymisée Habitante de la tour Saint-Martin
Véronique Meneux Coordinatrice du quartier Près d'Arènes
Mme Descombles Anonymisée Et famille Ly Anonymisée Agente immobilière Habitant·e·s de la tour Saint-Martin
LIEU DATE CONTEXTE
La Paillade
25/01/2019 Entretien dans le cadre du workshop "Une Habitation à Loyer modérée", dirigé par Marion Devillers, ENSAM La Paillade 26/01/2019 Entretien dans le cadre du workshop "Une Habitation à Loyer modérée", dirigé par Marion Devillers, ENSAM La Croix d'Argent 03/09/2019 Entretien
Saint-Martin, sur le parvis de la Maison Pour Tous 05/09/2019 Discussion informelle
Aiguerelles, dans les locaux d'ACM habitat
Saint-Martin, dans un jardin partagé Saint-Martin, dans les locaux de la radio
Écusson 09/09/2019 Entretien
12/09/2019 Discussion informalle
12/09/2019 Discussion informelle
16/09/2019 Entretien
Skype 04/11/2019 Entretien
Centre d'art "La Fenêtre", Saint-Roch
Au pied de la tour SaintMartin puis chez-elle
Téléphone 20/11/2019 Entretien
24/01/201 et 30/01/2021 Entretien puis relevé chez-elle
17/02/2021 Entretien
Tour Saint-Martin 04/04/2021 Visite d'un appartement venduloué
29.06.2021 ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE MONTPELLIER