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Une commande publique astreignante
CHAPITRE 1 UNE COMMANDE PUBLIQUE ASTREIGNANTE
25 août 2020, Saint-Palais-sur-mer. Je suis en pleine rédaction du mémoire quand Tom, 14 ans, jeune habitant en région parisienne, m’interrompt : « C’est sur quoi ton mémoire ? - Ça traite des logements sociaux en France. - Ah ouais, les tours là ? »
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L’assimilation spontanée que fait Tom, un ami de mon petit cousin, quand je lui parle de logements sociaux à la figure de la tour révèle que l’architecture des grands ensembles reste aujourd’hui une représentation commune, y compris pour les plus jeunes. Mais lorsqu’au cours de mes entretiens avec Jean-Michel Miramond, Julien Prieur ou Nathalie Ravinal, je posais la question de ce qui pour elle et eux était un logement social « qualitatif », la réponse était à chaque fois unanime : un logement social de qualité est un logement dont on ne peut pas deviner qu’il s’agit d’un HLM.
« Depuis qu’on fait du logement social, le challenge est toujours le même. C’est que, une fois le logement terminé, on ne doit pas pouvoir distinguer le logement social. Il doit se fondre réellement dans une lecture positive et identique et très comparable à tout ce qui se trouve autour. Ça, c’est la volonté de tous les maîtres d’ouvrage publics. De tous les bailleurs sociaux. »1
Dans son texte « Les grands ensembles comme paysage »2, Daniel Pinson explique que, par leur gigantisme, la tour et la barre inversent le rapport d’échelle traditionnel de la ville occidentale : historiquement, les habitations sont de dimensions inférieures aux constructions ayant un rôle politique ou symbolique, telles que l’église, l’hôtel de ville ou bien un siège de banque. Selon l’auteur, la monumentalité des grands ensembles servirait davantage à symboliser
1 Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent. 2 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178.
« l’entreprise publique du logement » que l’habitant·e qui se retrouve « noyé dans une immensité répétitive de fenêtres ». Nous en trouvons l’exemple à Saint Martin dont la paroisse, en plus d’être encadrée par des barres de deux fois sa hauteur, est dominée par la tour dont les dixhuit étages s’installent sur un socle un mètre au-dessus le niveau de la rue (figure4). Daniel Pinson émet l’hypothèse que le grand ensemble, en bouleversant le rapport d’échelle des villes traditionnelles, a des conséquences sur la perception que se fait la société sur les bénéficiaires du logement social :
« Comme traduction de l'œuvre grandiose de l'État-providence, elle [la tour comme la barre] projette sur l'habitant une image d'assisté qui se traduit dans certains comportements de honte, lorsqu'il s'agit de dire à autrui où l'on habite, et a fortiori lorsqu'il s'agira d'aller jusqu'à l'invitation : le grand ensemble est devenu un paysage matériel qui produit rétroactivement une représentation de soi et pour les autres négatives. »1
Fig. 2 : Schéma illustrant les rapports de hauteurs de bâtis à Saint Martin. Réalisation personnelle.
1 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178, (page 7).
La volonté des architectes et des bailleurs sociaux apparaît être aujourd’hui de se détacher de la figure architecturale du grand ensemble qui, associée à l’image de « l’État bâtisseur », favorise la discrimination à l’adresse. En réalisant des logements sociaux d’apparence similaires aux logements privés, l’idée semble être de ne pas catégoriser son habitant·e comme bénéficiaire des aides publiques, statut dénigré par le terme assez répandu d’« assisté ».
« Contrairement aux idées préconçues sur le logement social, nos réalisations répondent à des critères de qualité environnementale et architecturale aussi élevés que ceux exigés dans la promotion privée. »1
Cependant, bien qu’architectes et bailleurs s’entendent sur ce point, nous pouvons nous interroger sur ce qu’est un logement qualitatif, qu’il soit social ou non. En débutant ce mémoire, j’avais une vision très négative des projets de logements collectifs qui naissent à La Paillade ou Saint-Martin. J’y voyais des immeubles aux façades colorées sans grande identité architecturale, un « patchwork » de projets déconnectés du paysage. Pour moi, ces logements étaient réalisés dans un objectif de rentabilité plus que de qualité architecturale et paysagère : face à la défiscalisation du logement, j’avais pour idée que les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux percevaient davantage le logement comme un bien marchand qu’en sa qualité d’habitat.
Représentation graphique
Au cours de mes recherches, je me suis étonnée de la difficulté à trouver les noms des architectes réalisant les chantiers de logements collectifs « courants » dans la région de Montpellier. Je me rendais sur les sites de promoteurs et ne trouvais que très peu d’informations sur ces logements tels que la superficie, la localisation ou des éléments de programmation, soit, des renseignements utiles à la vente. Dans le rapport PUCA* « Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010) », datant de 2012 et dirigé par la sociologue Monique Eleb et l’architecte Philippe Simon, nous pouvons lire que :
1 ACM habitat. Tisser les liens de la vie. https://www.acmhabitat.fr/propos-dacm-habitat/ notre-patrimoine/nos-realisations. Consulté le 10 aout 2020.
« De nombreux promoteurs ne souhaitaient pas divulguer le nom de leurs architectes car ils estimaient être autant « auteur » que les architectes qu’ils ne convoquaient que pour « emballer » des plans qu’ils avaient mis au point et qu’ils estimaient « bons puisque tout était vendu », comme ils nous l’ont souvent affirmé. »1
Ce qui tend à valider l’hypothèse selon laquelle d’une part, la qualité du logement est jugée par sa valeur marchande et que, d’autre part, la marge de manœuvre de l’architecte face à la question de la conception du logement tend à s’amenuiser : il apparaît comme le «designer de façade » d’un projet pré-conçu.
En consultant le site du bailleur social ACM habitat, peu d’informations supplémentaires étaient indiquées. En effet, tous les projets apparaissent dans une forme d’uniformité : une image de synthèse présentant la façade extérieure (figure 2 et 3) ainsi qu’un tableau précisant l’architecte, le quartier, le nombre de logements et la date de livraison. Heureuse de trouver le nom des « concepteurs », je me suis rendue sur différents sites internet d’agences et le constat était toujours le même : absence de plans des projets ou de photographies post-livraison des bâtiments. À nouveau, les seuls documents présentés étaient majoritairement des perspectives qui montraient l’extérieur des bâtis et parfois un plan masse. S’il était possible de trouver des informations techniques, telles que la maîtrise d’ouvrage, la localisation, le coût ou la superficie du projet, rares étaient les architectes qui décrivaient leurs intentions et partis pris architecturaux.
La question de la représentation en architecture ne me paraît pas neutre : par les éléments produits et présentés, l'architecte affiche une certaine posture et approche du projet. Or l’absence de plans et éléments techniques permettant la lecture du projet, ainsi que la similitude dans les modes de représentations graphiques des images produites, poussent à se demander si les projets sont aussi uniformes qu’ils le paraissent.
1 ELEB, Monique et SIMON, Philippe. Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). PUCA Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer. 2012, 172 p. (page 26).
Fig. 2 : Images de synthèse. Réhabilitation résidence Céres, Montpellier. Lebunetel Architectes Urbanistes (architectes), ACM (maîtrise d’ouvrage).
Fig. 3 : Images de synthèse. Réhabilitation résidence Les Gémeaux, Montpellier. Caremoli-Miramond (architectes), ACM (maîtrise d’ouvrage).
La rencontre avec Jean-Michel Miramond, architecte travaillant sur des projets de logements sociaux et privés, neufs et en réhabilitation, dont à la Paillade, a été l’occasion d’aborder la question des conditions dans lesquelles sont montés ces projets. Cela m'a permis de prendre plus grande mesure de la réalité des contraintes de production, conception et réalisation du logement collectif qui façonnent le métier d’architecte.
Le principal problème évoqué dans la question du logement collectif, qu’il soit privé ou so-
cial, semble être lié au manque de foncier. La demande de logements étant beaucoup plus forte que l’offre, l’architecte affirmait que les promoteurs aujourd’hui parviennent à vendre tous leurs logements, « qu’ils soient mal placés ou qu’ils aient eu du mal à le vendre par le passé, aujourd’hui tout part». Ainsi, dès qu’un terrain se libère, la première mission de l’architecte va être de réaliser une étude de faisabilité afin de déterminer la surface de projet envisageable, celui-ci étant généralement alloué à « celui qui arrive à trouver des astuces pour faire le plus de surface possible». Cette crise du foncier et recherche de rentabilité entravent généralement la qualité du projet :
« On arrive parfois à des aberrations avec des immeubles qui se compliquent pour trouver des excroissances à droite, à gauche (…), tout ça pour perdre le moins de m2 et faire la meilleure offre possible. »1
A cette problématique de manque de foncier s’ajoutent celles des normes abondantes dans le sujet du logement (thermiques, sécuritaires, d’accessibilité, environnementales, etc.). Afin de répondre à la multiplicité de ces normes, il s’avère que la maîtrise d’ouvrage fait appel à des bureaux d’études spécialisés – acoustiques, environnementaux, économistes, maîtrise d’exécution, etc. – multipliant le nombre d’acteurs en charge du projet, répartissant les missions traditionnellement allouées à l’architecte et réduisant par conséquent sa maîtrise du projet :
« On est privés de chantiers les architectes depuis pas mal de temps maintenant, on a perdu la confiance des opérateurs, or les bailleurs sociaux avec qui ça reste systématiques, et ils confient la maîtrise d’œuvre d’exécution à des bureaux d’étude qui se sont spécialisés là-dedans. »2
1 Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent. 2 Ibid.,
Jean-Michel Miramond évoquait l’image de l’architecte dans le monde professionnel du bâtiment qui est fortement dénigré·e, perçu·e comme un·e «poète·sse», déconnecté·e des réalités du chantier. Depuis les trente ans qu’il exerce le métier, il a vu les responsabilités offertes aux architectes autour du projet diminuer.
« Le rôle des architectes tend à s’amenuiser en ce qui concerne les usages dans les cahiers de prescriptions ou les documents programmes, certains maîtres d’ouvrage produisent souvent une suite de restrictions censées élever la qualité. Ces prescriptions s’ajoutent à la stratification des normes du logement qui s’imposent à l’architecte et finissent par produire un logement qui en est directement issu, donc un « logement réglementaire », adapté à on ne sait plus à quel mode de vie, ligoté par des injonctions liées le plus souvent à des questions financières et constructives. »1
Si dans les années soixante l’architecte semblait avoir une place centrale dans la conception de l’urbanisme et des logements de l’époque, le logement semble se définir comme un bien remis aux mains des investisseurs économiques. La place de l’architecte dans la conception des logements collectifs apparaît comme minime, contrainte par une demande de « rentabilité » et des normes très restrictives. Dans ce contexte, la production de logements sociaux et privés semble en pâtir, comme en témoigne la forte homogénéité architecturale. Le contexte de production actuel du logement semble privilégier une conception standardisée et pré-programmée pour des raisons économiques, reléguant en second plan l’habitant·e, soit la maîtrise d’usage, ainsi que la maîtrise d’œuvre.
« On a trois facteurs dans l’acte de bâtir : l’architecture, la technicité et l’économie. Quand on fait des projets d’État comme la grande Arche, là c’était architecture, technicité, et puis l'économie c’était je ne dirais pas secondaire, mais bien qu’on ait dans ce cas tenu l’objectif financier c’est arrivé sur d’autres grands projets qu’il soit dépassé. A l’inverse de ça, dans le logement social aujourd’hui c’est économie, architecture, et technicité. Architecture, OK restons sobre ! Et la technicité du logement social elle se réduit à Castorama, ou
Leroy-Merlin. Il n’y a pas de grande technicité. »1
Du dessin à sa construction
« On bosse bien. Et on a cette réputation sur la place de Marseille (...).[...] Nous notre qualité d’architectes, en-dehors du côté créatif qui n’est d’ailleurs pas souvent apprécié, c’est de donner les chantiers en temps et en heure et des dossiers bien ficelés sur lesquels les entreprises n’ont pas trop de variantes, de faire des chantiers qui se passent bien, dans des conditions de respect du prix. On n’est pas que des artistes dans le mauvais sens du terme, on est aussi des techniciens." (architecte, Marseille). »2
Lors de l’entretien réalisé avec Jean-Michel Miramond, ce dernier mettait l’accent sur les composantes économiques, constructives et programmatiques du projet. À aucun moment n’a été abordé la question d’ « écriture architecturale », ou de « concept », au contraire, il regrettait l’image de l’architecte « poète », répandue dans le secteur du bâtiment, qui tend à décrédibiliser la profession. Les enjeux du projet qui ont été évoqués étaient de répondre aux contraintes posées (normatives, programmatiques, géographiques, etc.), tout en assurant le
bon déroulement des travaux dans un temps et un budget imparti. Une approche pragmatique de l’architecture, qui vise à répondre à la commande de la maîtrise d’ouvrage. De cette manière, l’architecte se profile comme un·e bon·ne technicien·ne et coordinateur·ice qui se démarque par son professionnalisme, son savoir-faire sur le chantier et sa capacité à entretenir de bons rapports avec les différent·e·s acteur·ice·s du projet.
Dans le rapport « Enjeux, critères et moyens de qualité dans les opérations de logements » réalisé par Véronique Biau et François Lautier3, sont présentés des outils que développent des architectes, afin de « tenir le projet » jusqu’à sa livraison. Tel que le « descriptif » qui vise à « tout représenter » :
1 Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent. 2 BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Enjeux, critères et moyens de la qualité dans les opérations de logement. 2004, 118 p. (page 65)
« Maîtriser le projet dans son déroulement, s’assurer de sa rigueur, passe donc bien par la qualité de ce descriptif, nécessaire pour une plus fine appréciation des coûts, et donc pour des économies ou des marges possibles. En ce sens, elle devient un élément de la qualité du projet. »1
Dans l’agence Avenier Cornejo2, ce descriptif se retrouve sous la forme d’un «carnet de détails». Il s’agit d’un document, à destination des entreprises, dans lequel chaque pièce du projet est représentée par des éléments techniques légendés (plan de sols et de plafonds, coupes, élévations, axonométries, vues montrant la matérialité, couleurs et ambiances), ainsi qu’une fiche récapitulative détaillant la totalité des prestations (marques, modèles, teintes, finitions des matériaux, luminaires et autres éléments décoratifs). Cette précision vise à réduire au minimum la marge d’erreur possible entre le dessin et la réalisation du projet. L’enjeu étant de parvenir à mener un projet qui une fois construit correspondra à l’image projetée par les architectes.
L’agence Avenier Cornejo, particulièrement attachée à la recherche d’une « écriture architecturale » accorde beaucoup d’importance au travail de la façade, à la qualité des matériaux et prestations choisis, à la cohérence des plans, au détail des finitions. Le projet participe à dessiner le paysage de la ville et du quotidien de ses habitant·e·s, ainsi l’aspect esthétique n’est pas considéré comme superficiel. Il participe à créer une atmosphère propice au bien-être pour celles et ceux qui le pratiqueront, et fait donc gage de qualité architecturale.
Ce stage a permis d'amener le constat que la maîtrise d’ouvrage est généralement plus ouverte à la négociation pour les sujets relatifs à la façade, soit l’image visible du bâtiment. Ainsi, la principale bataille des architectes réside dans la transposition de cette qualité dans les es-
paces habités et cachés.
Le cas de la réhabilitation
L'une des hypothèses préalables à ce mémoire était que, contrairement à la construction de
1 BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Op.cit. (page 65) 2 Agence dans laquelle j'ai effectué un stage de septembre 2020 à janvier 2021.
logements sociaux neufs dont il est difficile, selon les procédures d’attribution des logements, de connaître les futurs locataires, la réhabilitation était un moyen de s’intéresser à la maîtrise d’usage dans la conception des projets. Pourtant les entretiens ont révélé que le processus de réhabilitation ne semble pas échapper à cette standardisation du logement.
En effet, les travaux effectués lors de réhabilitations servent généralement à remettre aux normes et sécuriser le bâti ainsi qu'à améliorer son aspect extérieur. Les mises aux normes thermiques, les réfections des peintures et des cages d’escaliers, parfois les réaménagement des espaces extérieurs améliorent certes le cadre de vie de l’habitant·e mais semblent aussi, et surtout, permettre de donner une image positive du « produit » et du bailleur. Il s’agit donc d’une réhabilitation plutôt superficielle toujours dans une volonté de ressemblance à la production des logements privés, qui n’interroge pas les usages des espaces intérieurs :
« On intervient parfois essentiellement sur l’extérieur, parfois uniquement sur l’extérieur et le plus souvent ça s’accompagne malgré tout d’interventions sur la qualité de confort des logements notamment sur la qualité des pièces humides, revêtements de sol, assez rarement mais ça arrive, mais c’est surtout réfection, remplacement de chaudières, de salles d’eau, d’éviers enfin voilà. Puis amélioration et mise en sécurité aussi de tout ce qui est électrique. »1
La réhabilitation apparaît davantage comme une rénovation thermique et sécuritaire qui, de
prime abord, ne prend pas en considération les pratiques habitantes et leurs expériences des lieux. Limiter la réhabilitation à un ravalement de façade me semble insuffisant : là où les grands ensembles ont été au cœur d’une expérimentation architecturale et techniques, telle que la préfabrication ou la systématisation, aujourd’hui la réponse donnée pour répondre à leur état de dégradation est une application stricte de la norme. Rares sont les projets qui interrogent l’évolution des modes d’habiter au travers de l’usage fait de ces lieux.
Une plus grande liberté dans secteur du logement social que privé
S'il apparaît que la recherche de rentabilité de la maîtrise d'ouvrage semble être une contrainte
1 BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Enjeux, critères et moyens de la qualité dans les opérations de logement. 2004, 118 p. (page 24).
qui peut entraver la qualité architecturale des projets de logements, Jean-Michel Miramond avait pourtant un discours positif à l’égard des bailleurs sociaux. Bien que certains d’entre eux semblent chercher cette économie de moyen, tant Nathalie Ravinal que Jean-Michel Miramond s’accordaient pour dire que la majorité était ouverte aux propositions. En effet, selon Jean-Michel Miramond, de nombreux bailleurs commencent à comprendre que choisir des matériaux pour leur esthétique et qualité, bien qu’ils soient fragiles, était possible dans le logement social : il s’agit d’une marque de confiance donnée aux habitant·e·s qui généralement en prennent du coup plus soin.
« Depuis quelques années, le logement social se développe d’une autre manière. Ce sont des opérateurs privés qui réalisent et vendent au bailleur. Là, par contre, on a de toutes les approches. Les bailleurs eux avaient vraiment pour ambition de tirer vers le haut là où d’autres cherchent à tout calculer au minimum. On est arrivé à faire des logements sociaux avec plus de moyens que des logements privés. »1
Au cours du stage chez Avenier-Cornejo, agence parisienne réalisant principalement des projets de logements avec des opérateurs privés et publics2, l’un de mes collègue architecte DE depuis cinq ans, évoquait régulièrement ses difficultés à travailler avec des maîtrises d’ouvrage privées qui «se passeraient bien de l’architecte». De son point de vue, l’architecte apparaît comme la personne qui, par la recherche de la maîtrise totale et de perfectionnement du projet, ralentit le chantier lorsqu’il est chargé de la maîtrise d’exécution. Cela entre ainsi en conflit avec les intérêts du promoteur qui sont de clôturer au plus vite le chantier dans un objectif de rentabilité.
Le bailleur social semble pour les architectes, beaucoup plus concerné par le bien-être de ses habitant·e·s et donc à la recherche d’une plus grande qualité que dans le cas des opérateurs privés. Là où le bailleur social, en tant que propriétaire, va chercher une qualité pérenne, beaucoup de promoteurs semblent davantage essayer d’accroître la marge entre le prix de construction et le prix d’achat. Le promoteur vendant les logements n’a pas d’intérêt à faire
1 Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent. 2 Agence Avenier Cornejo, stage de septembre 2020 à janvier 2021.
des économies sur la durée (en termes de consommation, du choix des matériaux, etc.). Ces
observations ont permis de déconstruire le regard que je pouvais porter sur la construction du logement social en débutant ce mémoire : là où le logement social me paraissait être une
construction «low-cost» du logement privé, il se trouve que la recherche de rentabilité exces-
sivement présente dans le secteur privé tend à rendre ce dernier parfois plus bas de gamme
que les logements HLM.
« La promotion privée tend à considérer le logement comme un produit, ce qui renvoie à des notions de consommation immédiate et sans durabilité, mise à part la garantie décennale obligatoire. »1
Dans ce contexte de standardisation du logement, le défi de l’architecte semble être de se détacher de ce statut «d’exécutant», de sortir des carcans des projets généralisés pour proposer de nouveaux modèles d’habitats aux bailleurs, tout en respectant les contraintes économiques et financières du sujet.
CADRE DU PFE VERSUS CONTRAINTES DU SUJET
La problématique économique du projet Saint Martin a longtemps posé question : comment se positionner, en tant qu'étudiante, face au sujet de la réhabilitation d'une copropriété pauvre dégradée ?
Bien qu'il m'ait été confirmé par Véronique Meneux, coordinatrice du quartier Près d'Arènes, que la tour Saint Martin serait probablement éligible aux aides de l'État proposées par l'ANAH ou le PUCA, celles-ci ne suffiraient probablement pas à financer le projet tel que dessiné.
Dans le cadre d'un projet réel, le travail d'estimation des travaux aurait été réalisé avec des bureaux d'études spécialisés. C'est pourquoi il m'a paru injouable, dans le temps et avec les moyens impartis, de prétendre proposer un projet viable économiquement.
Si certaines propositions tentent de répondre à une économie de projet, notamment par l'utilisation d'un principe constructif systématisé, le caractère fictif de l'exercice et l'absence de la totalité des acteur·ice·s m'a donc permis de me détacher de certaines contraintes présentées dans le chapitre précédent, afin de m'attarder sur la recherche d'un espace qualitatif pour ses habitant·e·s.