Mémoire DSA - Le rôle des SIG dans l'intégration des dynamiques naturelles dans le projet urbain

Mémoire MSP - DSA d’architecte-urbaniste 2020 – 2021

Le rôle des SIG dans l’intégration des dynamiques naturelles dans le projet urbain

Andrei Alexandru Corbet-Nits sous la direction de Clara Loukkal

École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est

Le rôle des SIG dans l’intégration des dynamiques naturelles dans le projet urbain Étudiant Andrei Alexandru Corbet-Nits Structures d’accueil Agence Les Marneurs Atelier Parisien d’Urbanisme - Apur Enseignant encadrant Clara Loukkal

Memoire de mise en situation professionnelle du DSA d’architecte-urbaniste 2020 – 2021 École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est

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Préambule 5 Introduction 11 I. L’avènement des SIG 1. Chronologie de la cartographie antique au SIG contemporain 2. Les SIG, la planification et la gestion des territoires 3. Du géoréférencement des données statiques à celui des données dynamiques

19 29 39

II. Les dynamiques naturelles géolocalisées dans le projet urbain et territorial 1. La redécouverte des territoires par leurs dynamiques naturelles 2. L’analyse des dynamiques naturelles pour mieux (se) projeter et (se) protéger

52

III. Limites et opportunités des SIG pour les concepteurs 1. L’abandon du dessin (et de tout ce que cela implique) ?

2. Nouvelles et anciennes possibilités, un choix ouvert aux concepteurs

69 75

47

Conclusion 83 Bibliographie 84

3

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Préambule

Une mise en situation professionnelle en deux agences L’imprévisibilité est le mot le plus adéquat pour synthétiser les événements des deux dernières années, ayant eu un rôle déterminant dans les décisions de tous. Ne faisant pas exception, ma trajectoire professionnelle est telle qu’aujourd’hui je peux être fier de l’opportunité d’avoir été accueilli par deux structures très différentes pour ma mise en situation professionnelle de DSA d’architecte-urbaniste. Ces agences m’ont permis de participer à des projets et études couvrant un large spectre d’échelles et d’étapes conceptuelles, chacune porteuse de riches enseignements.

Ces deux expériences ont pris la forme d’un stage d’environ trois mois dans l’agence d’architecture, urbanisme et paysage Les Marneurs suivi d’un contrat de six mois en qualité d’assistant chargé d’études à l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR).

Les Marneurs Fondée par trois anciens étudiants du DSA d’architecte-urbaniste de l’ENSAVT (Antonin Amiot, Geoffrey Clamour et Julien Romane), Les Marneurs est une jeune agence d’architecture, urbanisme et paysage dont les projets en cours traitent des échelles de réflexion variant de la microarchitecture au grand territoire. Dans le cadre de cette agence j’ai principalement participé à deux projets : le futur parc agricole urbain de Zavelenberg (phase concours, en partenariat avec l’agence Fabriques Architectures Paysages) et un espace public doté d’un skate-park (phases PRO et DCE) associé à la future Recyclerie d’Anderlecht, les deux sites se trouvant à Bruxelles.

Parc agricole de Zavelenberg Le sujet de ce concours lancé par Bruxelles Environnement est la création d’un parc naturel productif et d’une ferme avec espaces d’accueil sur le site de l’enclave agricole de Zavelenberg dans le nord-ouest de la capitale belge1. Sur le site utilisé actuellement comme pâture, le programme prévoit la diversification des activités agricoles (agroforesterie, maraîchage, fruiticulture), la création de nouveaux cheminements de promenade et la construction d’un bâtiment agricole à faible impact environnemental et 1 https://environnement.brussels/fiche/zavelenberg-0

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à vocation de recevoir ponctuellement du public. Pour la proposition de l’équipe formée autour des agences d’architecture, urbanisme et paysage Les Marneurs et Fabriques, j’ai notamment contribué à l’élaboration des plans d’ensemble ainsi qu’à la trame des cheminements accompagnés d’un traitement hydrologique et paysager.

Skatepark d’Anderlecht En qualité de paysagiste mandataire, l’agence Les Marneurs est responsable de l’aménagement de la partie accessible au public du centre de recyclage d’Anderlecht à Bruxelles, conçu par l’agence 51N4E2. La proposition d’associer un skatepark à un système de noues collectrices des eaux pluviales de la recyclerie afin de créer une forme de « coulée verte » sportive en serpentin a permis aux Marneurs d’emporter le concours organisé par la maitrise d’ouvrage Bruxelles Propreté3.

Ma contribution principale pour ce projet concerne l’affinage des plans de nivellement (aspect déterminant pour assurer à la fois l’écoulement naturel des eaux sur un site relativement plat et empêcher leur débordement sur les aires dédiées au skate), l’élaboration des pièces graphiques en phases PRO et DCE, la conception d’éléments de mobilier urbain, ainsi que la réalisation d’un dossier de stratégies de réemploi des matériaux disponibles sur site.

APUR, l’atelier parisien d’urbanisme L’APUR est une association loi 1901, créée en 1967. Son statut juridique est similaire à l’ensemble des 50 agences d’urbanisme françaises de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU). Contrairement aux services ou directions internes à la mairie d’une ville, les agences de la FNAU ont accès à des fonds de sources multiples et produisent des études dont l’intérêt dépasse les limites administratives d’une seule ville, ce qui constitue un avantage pour le développement de l’activité et la création de nouveaux partenariats. Dans le cas de l’Apur, l’association est constituée de membres de droits (ville de Paris, Métropole du Grand Paris - MGP, Société du Grand Paris, Forum métropolitain du Grand Paris, la CCI de Paris, la RATP, des ministères de l’Etat et le préfet de police de Paris) et de membres adhérents (communes, EPCI, collectivités territoriales et autres organismes publics), chacun étant admis par décision de l’assemblée générale.

Les décisions, la gestion administrative et financière sont effectuées par un conseil d’administration où la représentation des membres de l’association est proportionnelle à leur cotisation. Ce conseil, présidé par l’adjoint à l‘urbanisme de la Mairie de Paris et qui réunit des élus de la MGP, vote le programme de travail partenarial annuel4.

2 https://www.51n4e.com/projects/recypark 3 https://lesmarneurs.cargo.site/Recypark 4 APUR, Statuts de l’atelier parisien d’urbanisme au 1er juillet 2019.

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L’Apur effectue de nos jours des travaux de recherche, de prospective, d’expertise, de conseil et réalise des études d’urbanisme et de territoire au service des collectivités franciliennes ou étrangères (Phnom Penh, Buenos Aires, Brazzaville et Bethleem en 2021). Ainsi, l’Apur fournit régulièrement une documentation mise à jour de la réalité du monde urbain de la métropole, accompagne les politiques publiques dans la conception et l’évaluation des projets, tout en anticipant les mutations futures des villes. Ses missions font régulièrement l’objet de publications disponibles en libre accès5.

Les Ateliers Seine A la suite de la publication par l’APUR du Livre Blanc6 de 2019, en 2021 le périmètre d’étude de l’Atelier Seine s’est élargi au-delà des limites de Paris pour inclure l’ensemble des berges du fleuve traversant la Métropole du Grand Paris. Ces ateliers assurent un cadre de dialogue inter-institutionnel, dont l’intérêt stratégique et opérationnel devra se traduire dans l’amélioration du cadre de vie le long du fleuve, sa reconquête par les modes de déplacement doux et des nouveaux aménagements (notamment des sites de baignade7), ainsi que par le développement du transport public et de la logistique fluviale urbaine8. C’est dans ce contexte que j’ai participé à la reprise de l’Atelier coordonné par Amélie Noury, architecte cheffe de projet et Patricia Pelloux, ingénieure et directrice adjointe de l'Apur.

Dans un premier temps, la mission consistait à élaborer un fond de plan / base de données représentant et rassemblant les problématiques et enjeux du fleuve (gouvernance, usages, mobilités, accessibilité, environnement, végétalisation des berges, logistique fluviale, projets prévus au court et moyen terme). L’objectif de ce travail était d’arriver à l’élaboration d'un plan support à l’échelle de la Métropole du Grand Paris pour accompagner l’APUR dans la poursuite des ateliers Seine et des études que l’APUR mène sur ce site. Les documents produits serviront à la prise de décisions concernant la mise à jour des réglementations urbaines concernant le territoire traversé par le fleuve ; le Cahier des prescriptions architecturales, paysagères et environnementales (CPAPE) des berges de la Seine dans Paris, qui remplacera à l’horizon 2022 le CPAP9 de 1999, en sera un.

5 APUR, Programme de travail 2021-2022 voté par l’assemblée générale du 14 décembre 2020.

6

Dominique Alba [dir], Amélie Noury, Patricia Pelloux, Atelier Seine - livre blanc. Evolution du site de la Seine dans Paris, Apur, mars 2020.

7 APUR, Sites de baignade en Seine et en Marne, héritage JO Paris 2024. Présentation des sites issus de la manifestation d’intérêt, octobre 2018.

8

Ville de Paris, Rapport de la Mission d’information et d’évaluation pour la Seine, mai 2021.

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Mise en valeur des berges de la Seine dans Paris. Cahier des prescriptions architecturales et paysagères, approuvé par le Conseil d’Administration du Port Autonome de Paris le 23 juin 1999.

7

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Port de l’Hotel de Ville

Port des Célestins Square Barye Port Henri IV

Bassin de l’Arsenal

e-Dame Place Mazas

Jean XXIII

Montebello Port de la Rapée Port de la Tournelle

Jardin Tino Rossi Port Saint Bernard

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Jardin des Plantes

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Port de Bercy-Aval

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Gare d’Austerlitz

Parc de Bercy

Port d’Austerlitz Hotel logistique Magasins Généraux

Port de Bercy-Amont ZAC Bercy-Charenton

Port de la Gare

Port de Tolbiac ZAC Charenton-Bercy

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Jardin des Grands Moulins

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Barges & Berges sur Seine

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Projet Urban Ivry

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ZAC Ivry Confluence

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Extrait du plan de synthèse des berges de la Seine dans Paris à l’horizon 2030, réalisé pour les Ateliers Seine de l'Apur L’ensemble des informations présentes sur cette carte sont renseignées en SIG permettant leur exploitation a toutes les échelles de projet, ainsi que leur confrontation. Figurent ici les projets urbains et de transports, les fonctions portuaires, la répartition spatiale des bateaux selon l’usage, les accès aux quais, les activités sportives et de loisirs, ainsi que les discontinuités dans les cheminements piétons.

Source : Apur, document de travail

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Les premiers plans de synthèse produits concernent des territoires dont les mutations et enjeux sont conséquents par la multitude des projets, l’ampleur des opérations en cours ou à l’étude, ainsi que leur intérêt actuel au regard de la nécessité de prises de décisions politiques. Il s’agit ici de Paris intramuros avec ses nombreux projets de réhabilitation et transformation de sites patrimoniaux remarquables, de la confluence de la Marne et de la Seine avec les ZAC d’Ivry, de Bercy et de Charenton ayant différents niveaux de définition, ainsi que du secteur compris entre Saint-Ouen et l’écluse du canal de Saint-Denis, impacté par le projet olympique, le nouveau métro et la densification en général10. Pour ce dernier, l’urgence d’autant plus évidente, avec le démarrage des grands travaux du village olympique prévu cet été11.

Ce travail impliquait des nombreux allers-retours entre recherche, recueil, sélection, systématisation et représentation de données issues de sources très diverses et nécessitant une harmonisation graphique afin d’établir une base SIG exploitable, à la fois pour produire les pièces graphiques nécessaires à l’Atelier Seine, mais aussi pour être compatible avec les autres études en cours et à venir de l’Apur.

Un sujet transversal L’enchaînement de ces deux expériences, chacune marquée par des questionnements liés à la pratique des architectes-urbanistes et à l’évolution des territoires contemporains, m’a incité à choisir, pour ce mémoire de mise en situation professionnelle, un sujet d’étude qui recoupe des préoccupations communes aux deux structures qui m’ont accueilli. Dans les deux cas, l’utilisation des SIG (systèmes d’information géographique) fait partie du quotidien. Les Marneurs et l’Apur créent des cartes et des plans à l'échelle des territoires, à l’état actuel ou projeté, afin de révéler les caractéristiques des sites.

En même temps, les deux structures s’intéressent aux dynamiques naturelles pour leur influence sur l’aménagement des territoires. Il m’a donc semblé opportun de centrer les recherches pour ce mémoire autour du rôle des SIG dans l'analyse des dynamiques naturelles au service du projet.

10 Lucie Romano, « Etudes urbaines à venir sur des sites communs à Saint-Ouen et Paris » in Cadre de ville, 4 mai 2021, URL https://www.cadredeville.com/announces/2021/05/04/saint-ouen 11 Gabrielle Trottmann, « JOP 2024 : un nouvel accord-cadre sur la ZAC du Village olympique et paralympique » in Cadre de ville, 25 mars 2021, URL https://www.cadredeville.com/ announces/2021/03/25/un-urbaniste-pour-la-zac-du-village-olymique-et-paralympique

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Introduction

Un accès croissant aux données quantifiables et géoréférencées En anticipation d’une démarche de conception dans le cadre d’un projet d’aménagement urbain ou territorial, la réflexion doit se fonder sur une connaissance factuelle des réalités du site. Pour cette raison, l’analyse et la compréhension non-superficielle du lieu, en vue d’établir un diagnostic pertinent, deviennent les fondements nécessaires du projet. Ainsi, la validité des décisions projetuelles dépend donc en grande mesure de la qualité de l’étude du site, autant que du programme.

Les données brutes sont recueillies, sélectionnées, interprétées et représentées afin de devenir des outils d’information efficaces. Ce raffinement de la donnée brute est traditionnellement une étape pénible des démarches d’analyse ; cependant, force est de constater que l’accès aux données devient globalement plus rapide et facile grâce à la mise à disposition d’outils informatiques puissants conçus pour générer des représentations visuelles à partir de quantités toujours plus grandes de données brutes.

La topographie, les zones impactées par les crues ou les comptages de trafic routier constituent des exemples classiques de données utilisées dans le cadre du projet territorial. Avec la photographie aérienne ou satellitaire, on a pu obtenir des représentations comparatives permettant d’évaluer le taux de déforestation, le retrait des glaciers, l’érosion du littoral, l’extension des tissus urbains etc. La thermographie aérienne a permis de réaliser des cartes d’îlots de chaleur montrant, à l’échelle des quartiers et des bâtiments, à la fois les lieux prédisposés à la surchauffe et les défauts d’isolation des constructions. Encore plus récemment, la collecte de données par les dispositifs électroniques permet, entre autres, d’obtenir des informations en temps réel et en déduire des récurrences ou des variations, comme la congestion dans les transports ou la fréquentation d’un lieu.

La demande pour des représentations des dynamiques révélées par le traitement des données brutes atteint aujourd’hui un seuil où elle devient même l’objet d’activité d’agences spécialisées. L’agence de design et cartographie Stamen, par exemple, est aujourd’hui réputée pour ses projets de data visualization, ayant fabriqué des cartes telles que celle de l’évolution de l’aire des zones climatiques propices pour certaines espèces animales projetée jusqu’en 2080, celle de l’impact sur la santé de la pollution

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Captures d’écran de la plateforme développée par Stamen pour l’organisation d’ornithologie américaine National Audubon Society A partir des données scientifiques et des observations de terrain recueillies et traitées par l’organisation, l’agence de data visualization a crée une plateforme sur laquelle l’utilisateur peut voir, pour chacune des espèces d’oiseaux répertoriées, le changement géographique de l’habitat (été/hiver) selon trois scénarios d’augmentation de température moyenne annuelle, avec une précision de l’ordre du kilomètre carre.

L’extrait du bas représente la variation de l’habitat estival du colin californien selon un scénario d’augmentation de la température de 3oC, tandis que celui du haut illustre les changements de l’habitat hivernal de la merle d’Amérique dans le cas d’une augmentation de 2oC. Source :stamen.com/work/audubon-survival-by-degrees/

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en Californie, ou encore une carte de la fréquentation des taxis superposée à celle de la criminalité à San Francisco. En général, ce sont les dynamiques humaines et sociétales, à long terme puis pour des durées réactualisées de plus en plus fréquemment et donc se rapprochant du temps réel, qui ont bénéficié d’une mise en forme graphique grâce à l’existence des statistiques publiques ou privées concernant les diverses activités humaines. En revanche, la nature échappant au contrôle humain, une représentation graphique précise des phénomènes physiques d’origine naturelle n’a pu apparaître avant l’invention relativement récente de dispositifs de mesure spécialisés.

Les dynamiques naturelles, nouveaux intrants dans la démarche de conception architecturale et urbaine La prise en compte des dynamiques naturelles dans des projets ou études d’aménagement urbain et territorial est relativement récente et nous pouvons l'interpréter comme une conséquence de plusieurs facteurs concomitants.

Les dernières trois décennies ont connu une certaine hausse de la fréquence des catastrophes naturelles d’origine climatique dans le monde : pour prendre le seul exemple du mois de juillet 2021, sur le continent européen ont été dépassés aussi bien des records de pluie entraînant des glissements de terrains et des inondations, que des records de température, rendant d’autant plus grave les incendies de végétation saisonniers, favorisés par la sécheresse. L’impact direct ou indirect de ces désastres se mesure en pertes de vies, en valeur socio-économique tangible (dont on peut estimer la valeur monétaire) et intangible (que l’on ne peut pas évaluer économiquement, comme la dégradation des milieux naturels ou la destruction du patrimoine). En conséquence, se multiplient les actions de prévention des situations d’urgence, ainsi que les instruments de secours et de protection des populations et de l’environnement1. Il devient donc obligatoire dans l’aménagement du territoire de tenir compte de ces dispositifs.

En France, la loi du 22 juillet 1987 relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l’incendie et à la prévision des risques majeurs affirmait le droit des citoyens à être informés sur les risques auxquels ils étaient confrontés : par conséquent, l’information en matière de prévention a connu un développement exceptionnel simultanément avec la hausse de sa demande auprès des organismes publics, civils ou professionnels. Cependant, afin de pouvoir s’en servir pour établir des directives pour la prévention des sinistres, il est nécessaire de comprendre, analyser et traiter les données disponibles2. Les outils (numériques) permettant la manipulation scientifique et efficace de ces informations n’ont cessé de se développer depuis, tandis que les attentes en termes de maîtrise du risque des commanditaires des projets d’aménagement territorial et urbain sont devenues de plus en plus précises.

1

Hicham Hajji, Gestion des risques naturels : une approche fondée sur l’intégration des données, Thèse de doctorat, INSA Lyon, 2005, pp.10-11.

2

Hicham Hajji, Op. cit., p.9.

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Toujours en 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l'ONU, présidée par Gro Harlem Brundtland, a publié le rapport « Notre avenir à tous », qui introduit la notion de développement durable3 dans l'agenda politique international.

Plus récemment, l’architecte et enseignant suisse Philippe Rahm, auteur d’une « histoire naturelle de l’architecture », soutient que le réchauffement climatique directement influencé par la consommation d’énergies fossiles impose d’urgence la diminution de la consommation d’énergie et la prise en compte des conditions naturelles après des décennies où l’architecture en a largement fait abstraction. Il faudrait donc intégrer au projet architectural et urbain les potentialités du site (à présent quantifiables et représentables grâce aux outils numériques et aux données disponibles) au regard du confort des usagers afin de faire des bâtiments moins énergivores et des espaces publics plus confortables4. Philippe Rahm met l’accent sur le confort des usagers en attirant l’attention sur l’engouement des gens pour les centres commerciaux climatisés au détriment des sorties extérieures en ville, faute d’espaces suffisamment protégés face au soleil en été ou face au vent en hiver. Au même titre que la connaissance des dynamiques naturelles est nécessaire dans les démarches de protection de l’environnement, elle l’est aussi dans la création d’un cadre de vie confortable dans la perspective de la dégradation des conditions d’habitabilité des villes à cause du réchauffement climatique.

Un changement de paradigme dans le mécanisme de projet ?

Les SIG, à l’origine des outils de spatialisation des données au service de la gestion du territoire par des organismes publics, sont aujourd’hui devenus aussi des outils de conception. Si une partie des concepteurs en soulignent les avantages (par exemple l’augmentation de l’efficacité et de la précision du travail), d’autres en craignent les conséquences, en invoquant une dégradation de la qualité des projets. La remise en cause de principes anciens, à la base de la démarche de projet (comme redessiner manuellement les éléments existants afin d'en avoir une meilleure connaissance), par le recours aux logiciels informatiques ne fait pas actuellement l’objet d’un consensus.

Une maitrise spatio-temporelle des dynamiques naturelles au service du projet ?

Les réflexions dans le cadre de cette étude concernent la problématique suivante : comment l’amélioration de l’accès à la donnée géoréférencée facilite la prise en compte des dynamiques naturelles dans le processus de fabrication du projet urbain contemporain ? Afin de pouvoir proposer une tentative de réponse à la question, il semble utile de commencer par une chronologie sélective de la cartographie moderne et des systèmes d’information géographique, suivie d’un rappel des étapes 3

Le rapport définit le développement durable comme un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

4

Philippe François Rahm, vidéoconférence soutenue le 17 décembre 2020 pour le DSA d’ArchitecteUrbaniste de l’EAVT Paris-Est dans le cadre de la semaine thématique « Paysage, territoire, environnement » animée par Sébastien Marot

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décisives de l’appropriation des SIG par les acteurs de la planification territoriale et de l’intérêt pour la représentation cartographique des données dynamiques. Ensuite, nous étudierons plus en détail comment les dynamiques naturelles géoréférencées nourrissent la recherche et la conception, en exposant des cas représentatifs. Enfin, nous tenterons de déterminer les limites de cette démarche, en confrontant des opinions divergentes de spécialistes.

Une tendance qui se manifeste à toutes les échelles de l’aménagement, de l’architecture d’intérieur au projet de territoire Au-delà de l'illustration et de l'analyse des évolutions générales, cette étude se base également sur des documents graphiques, notamment des plans et cartes, issus de travaux d’architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, bureaux d’études, institutions publiques, voire agences de design spécialisées dans la cartographie et la data visualization. Ce choix de corpus, d’origine française ou étrangère, est généralement de date récente, ce qui s’explique par la relative nouveauté (à l’échelle de l’histoire de la cartographie et de la planification) de l’usage des SIG et surtout de la représentation des dynamiques naturelles géolocalisées à l’aide des outils numériques. Seront présentés des cas d’usage allant de l’échelle du grand territoire à celle de l’architecture d’intérieur, en passant bien sûr par l’échelle du tissu urbain. En outre, seront évoqués des textes qui proposent des visions parfois très différentes sur les enjeux de l’utilisation des SIG dans la conception.

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I. L’avènement des SIG

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L’avènement du SIG

1. Chronologie de la cartographie antique au SIG contemporain De la carte empirique dessinée à la carte scientifique imprimée Les premières cartes ont été produites par les civilisations de l’Antiquité pour servir à des fins purement pragmatiques : pour délimiter des propriétés, ainsi que pour s’orienter et se repérer dans l’espace (sur terre ou en mer). Les découvertes archéologiques de plans cadastraux mésopotamiens de 2500 av. J.-C. et de la carte de Peutinger respectivement, datant du IIe siècle, témoignent de ces rôles essentiels de la cartographie1.

La Renaissance marque un nombre de progrès dans la quantité et la qualité de la production cartographique : impression des cartes à partir de 1472, nouvelles méthodes de relevé planimétrique, développement de nouveaux systèmes de projection (Mercator et Ortelius au XVIe siècle), invention de la méthode de triangulation par Frisius en 1533, conception d’instruments d’optique par Galilée permettant l’exécution de pointes précises pour les mesures sur le terrain au XVIIe siècle2. Jusqu’à cette époque, le rôle des cartes est de localiser des positions, sans renseigner des informations sur les qualités des objets représentés. Cela change vers le milieu du XVIIe siècle avec la naissance de la cartographie thématique, qui s’intéresse « au contenu des lieux, à leur description, et non seulement aux faits observables, visibles directement ». Apparaissent ainsi les cartes à but spécifique3.

Le passage « de la représentation du vu à celle du connu de l’objet » constitue les prémisses à l’abstractisation de la représentation des cartes. Le code graphique de la carte devient autonome (car elle ne doit plus imiter l’apparence du lieu) et la discipline évolue de la représentation illustrative à un système de signes complet et indépendant.

Se développent ainsi de nouveaux procédés d’expression et de représentation, en parallèle avec les progrès de la statistique4.

1

Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Cartographie thématique 1 – une nouvelle démarche, Lavoisier, 2007, p.31.

2

Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Op. cit., p.33.

3

Op. cit., pp.35-36.

4

Op. cit., p.36.

19

Fragment de prise de vue aérienne de l’IGN de 1933, illustrant les lotissements de Gournay-sur-Marne, ainsi que le village de Champs-sur-Marne et son château.

En 1922, le chercheur américain Willis T. Lee annonce le rôle fondamental des prises de vues aériennes dans la cartographie.

Source : IGN

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Au XIXe siècle des séries de cartes polychromes sont produites mécaniquement grâce au perfectionnement de la lithographie (inventée en 1796), tandis que la photographie, inventée par Niepce en 1822, devient quelques décennies plus tard un outil de cartographie. La pratique de la photographie aérienne, expérimentée par le photographe Nadar dès 1858, se répand à partir de la Première Guerre Mondiale. Le rôle fondamental des prises de vues aériennes dans la cartographie contemporaine est annoncé aussi tôt que 1922 par le chercheur américain Willis T. Lee ; deux ans plus tard, le géographe Emmanuel de Martonne présente dans la presse scientifique française les propos de Lee, en soulignant l’importance du processus de recollement des photographies afin d’arriver à des résultats cartographiquement exploitables5.

Les premières écoles de cartographie sont créées en Europe dans l’entre-deux-guerres et en Amérique de Nord après la Deuxième Guerre Mondiale. La cartographie n’atteint officiellement le statut de science qu’en 1975 lors du Colloque de Vienne, alors que son statut d’art - « une carte doit être agréable à regarder et attractive6 » - est aujourd’hui plus ou moins partagé. En revanche, une carte reflète l’esprit de son époque et de la culture de son auteur par le choix des informations incluses ou omises et ne peut donc être « considérée comme une représentation objective de la réalité7 ». Le cartographe américain A.H. Robinson soutenait dans son livre de 1952, « The look of maps », que la fonction première d’une carte est la communication, associant ainsi la cartographie à la théorie de l’information8. La cartographie du quart de siècle qui a suivi s’est renouvelé du point de vue « de la conception graphique, du langage et de la perception des signes ainsi que de la fonction de la carte. Désormais, on prend conscience que la carte transmet la conception du monde du cartographe à son lecteur9 […]. » La cartographie à l’aube de l’ère numérique La seconde moitié du XXe siècle marque la transition de la carte unique imprimée à la carte électronique, éphémère, variable et évolutive. Comme tous les domaines scientifiques, la cartographie a été révolutionnée par les nouveaux outils et techniques

5

Emmanuel de Martonne, « La photographie d’avion au service de la géographie en Suisse et aux EtatsUnis [compte-rendu] », in Annales de géographie no 185, 1924, pp.484-488. URL https://www.persee.fr/ doc/geo_0003-4010_1924_num_33_185_9439

6

Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Op.cit, p.45. A noter cependant que la « carte comme objet d’art » est une notion ancienne, fait démontré par l’existence de la Gallérie des cartes du Musée du Vatican, réalisée entre 1580-1583. Plus récemment et avec l'aide des SIG, l'agence de design et data visualization californienne Stamen a aussi produit des cartes digitales qui font actuellement partie des collections du MoMA et du Smithsonian.

7

Idem.

8

Arthur Howard Robinson, The Look of Maps: An Examination of Cartographic Design, University of Wisconsin Press, 1986 [1952].

9

Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Op.cit, p.42.

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Cabspotting - une visualisation des déplacements des taxis a San Francisco grâce aux données GPS en temps réel Une des premières applications visuelles des données en temps réel disponible sur internet, Cabspotting a été présentée par l'agence californienne de design et data visualization Stamen au MoMA de New York en 2008 lors de l'exposition Design and the Elastic Mind. Cette carte digitale et éphémère fait actuellement partie de la collection permanente du musée.

Source : stamen.com

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de l’époque. Les premières productions cartographiques par ordinateur datent des années 1960 et ont largement bénéficié de la photographie aérienne et de l’invention de la télédétection10.

L’impact de l’informatique en cartographie peut être apprécié sur trois plans. Du point de vue technique, certains procédés traditionnellement effectués manuellement ont été automatisés, avec des effets évidents en termes de rapidité et de qualité de l’exécution.

Sur le plan méthodique, des méthodes connues mais non-réalisables à la main ont pu désormais être implémentées dans la production de nouveaux documents, notamment grâce à la télédétection11. Enfin, conceptuellement l’informatique a représenté un grand bond en avant par l’introduction de nouveautés complètes, possibles uniquement avec l’application d’algorithmes dédiés12.

Les images satellites et les progrès dans la manipulation des informations avec l’invention des systèmes de gestion des bases de données (SGBD), qui permettent de combiner, de croiser des données avec une aisance qui révolutionne la représentation, constituent les évolutions marquantes des années 1970-1980. Désormais en cartographie s’opère la dissociation complète entre stockage et représentation des données : par conséquent, la précision de l’information n’est pas impactée par son mode de représentation sur une carte. En voici un exemple : dans un plan imprimé à l’échelle 1/5000e du jardin d’un château, tous les arbres sont représentés par des cercles d’une même taille. Là où les arbres sont plus densément plantés, la distance entre le centre de deux cercles est inférieure à leur diamètre et donc les cercles se superposent partiellement. Ainsi, un bosquet peut devenir une masse compacte, sans donner plus d’information sur le nombre exact d’arbres qui le composent. Si nous voulons ensuite réaliser le plan du même parc à l’échelle 1/1000e, nous sommes en incapacité de placer correctement les arbres désormais indépendants qui formaient le bosquet : en revanche, en disposant d’une base de données indépendante de la carte imprimée, nous gardons les coordonnées (X,Y) de chaque centre de cercle et pouvons donc placer correctement les arbres à n’importe quelle échelle.

10 La télédétection correspond aux techniques utilisées pour la détection à distance des variations spatiales, spectrales ou temporelles du rayonnement émis ou réfléchi par la surface terrestre à l’aide de capteurs (portés par des satellites, avions, drones, etc.) afin de fournir des informations sous forme d’images par rayonnement électromagnétique. L’énergie du rayonnement capté par télédétection passive est naturelle (solaire), tandis que celle enregistrée par télédétection active est artificielle (RADAR, LIDAR) (d’après Cauvin, Escobar, Serradj, Op.cit., p.154).

11 Nous listons ici les principaux avantages de la télédétection par rapport aux méthodes de recueil d’information géographique préexistantes (d’après Cauvin, Escobar, Serradj, Op.cit., pp.157-158) : la couverture globale et périodique de la surface de la terre a cartographier ; l’homogénéité des caractéristiques de saisie des données ; la saisie simultanée des informations de localisation et des caractéristiques thématiques ; la diversification des informations, notamment celles non-visibles pour l’œil humain (végétation différenciée en fonction de son degré d’humidité ou de son état chlorophyllien, températures de surface extraites à l’aide de l’infrarouge thermique, etc.). S’ajoutent aussi les caractéristiques des documents numériques en général (facilité de stockage, mise à jour, diffusion) et de type raster en particulier : la forme matricielle facilite les calculs automatisés.

12 Op. cit., p.43.

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Cartes monochromatiques des caractéristiques du sol au centre de Staten Island réalisées par Ian Mc Harg Afin d’établir des cartes d’aptitude des sols, Ian Mc Harg représentait chaque thème sur un calque distinct et hachurait les zones ne répondant pas aux conditions posées (noir - pas du tout satisfaisant, blanc - complètement satisfaisant), afin que la superposition des cartes (ci-contre) fasse ressortir les portions non-marquées correspondant aux secteurs acceptables selon l’ensemble des paramètres.

Par exemple, le blanc correspond dans la carte en haut à gauche aux terrains les plus plats et, dans la carte en bas à gauche, aux meilleurs conditions de fondation par la présence de roches dures à faible profondeur. La portion restant blanche dans la superposition des cartes sera donc la plus propice à l'urbanisation.

Source : Ian Mc Harg, Design with Nature, 1969, pp.36-37

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L’avènement des SIG pour la planification des territoires Selon les auteurs du traité de cartographie thématique publié par l’éditeur Lavoisier en 2008, un système d’information géographique (SIG) est, conceptuellement, un système de gestion des bases de données (SGBD) qui bénéficie de possibilités de dessin assisté par ordinateur (DAO) et de cartographie assistée par l’ordinateur (CAO13).

SIG = SGBD + DAO + CAO (d’après C. Cauvin, 2008) Peter A. Burrough, un des pionniers des SIG, les définissait en 1986 comme « un ensemble puissant d’outils permettant de stocker, sauvegarder, transformer et afficher des données spatiales, issues du monde observé, dans des buts particuliers14. » Dans les années 1980-1990, les SIG prennent le relai des logiciels de cartographie en renforçant leurs capacités grâce à l’amélioration du traitement mathématique et visuel de données plus diverses. Le passage du format papier au format digital, de la carte permanente à la carte temporaire, entraine le changement du dessin, de la symbologie et de la diffusion des cartes, pouvant être créées à la demande.

L’idée d’un système cartographique se servant de couches thématisées activées sur demande existait depuis le début du XXe siècle et a été clairement formulée et décrite en 1950 par l’urbaniste britannique Jaqueline Tyrwhitt : « une carte des caractéristiques du terrain par combinaison de quatre cartes superposées [qui] sont dressées manuellement à la même échelle sur un support transparent15 ». Plus tard, en 1969, l’architecte paysagiste Ian Mc Harg, afin d’établir des cartes d’aptitude des sols, représentait chaque thème sur un calque distinct et hachurait les zones ne répondant pas aux conditions posées, afin que la superposition des cartes fasse ressortir les portions non-marquées correspondant aux secteurs acceptables selon l’ensemble des paramètres. Ainsi, dans le cadre d’une étude sur Staten Island à New York, les informations étaient regroupées en trois cartes (zones de potentielle urbanisation, aires de loisirs, zones de conservation), à partir desquelles l’auteur dégageait les zones destinées à être protégées16.

La spécialiste en arts et technologies interactives Alissa Antle et le géographe Brian Klinkenberg considèrent que l’engouement pour la (géo)visualisation scientifique en défaveur de la cartographie traditionnelle reflète le changement de direction, entre 1970-1980, de la recherche de la carte optimale vers la compréhension de la manière dont les gens utilisent les cartes. La géovisualisation (visualisation scientifique 13 Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Cartographie thématique 5 – des voies nouvelles à explorer, Lavoisier, 2008, p.28.

14 Peter A. Burrough, Principles of Geographical Information Systems for Land Resources Assessment, Clarendon Press, Oxford, 1986.

15 Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Op. cit., p.27.

16 Ian Mc Harg, Design with Nature, Doubleday/Natural History Press, 1971 [1969], pp.36-41.

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Couverture de l’ouvrage de Roger F. Tomlinson de 1967, première publication à contenir la syntagme GIS En qualité de data processing coordinator pour la Canada Land Inventory, le géographe et géologue anglais R. F. Tomlinson dirige la mise en place du premier système d’information géographique numérique.

Source : esri.com

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géoréférencée) fait appel à des représentations visuelles pour révéler les contextes et les problèmes spatiaux, pour « aboutir à des cartes performantes et non plus optimales ».

On sait désormais que la « meilleure carte » n’existe pas, donc on cherche à générer des cartes en fonction de l’usage que l’on veut en faire17.

L’avènement des SIG a bénéficié à la fois des progrès de la statistique, de la gestion des bases de données et de la cartographie, ainsi que d’un accroissement des besoins opérationnels constatés dans les domaines liés à la gestion et la planification des territoires18. Grâce à leur composante de décision spatiale (permettre l’exploration, l’analyse, le traitement, la présentation et la communication de données localisées), il n’est donc pas surprenant que les premiers SIG numériques aient été exploités par des organismes publics « en réponse à la prise de conscience des questions environnementales et de la réduction des ressources naturelles19 ». Le premier SIG numérique est lancé en 1962 sous la direction du géographe et géologue anglais Roger Tomlinson : le CGIS (Canada Geographic Information System) automatisait le traitement des données collectées par le Canada Land Inventory et la production de statistiques servant à la gestion et planification des zones rurales du pays. Sept ans plus tard, l’urbaniste et paysagiste californien Jack Dangermond fondait, avec son épouse, Laura Dangermond, l’Environmental Systems Research Institute (ESRI), compagnie privée spécialisée dans le développement et la commercialisation de logiciels SIG. Depuis les années 1980, ESRI est le principal développeur de logiciels SIG mondial.

Diversification et démocratisation des usages des SIG La popularisation du PC comme outil commun des institutions, entreprises et particuliers à partir des années 1980 a influencé, parmi de nombreux autres champs, la cartographie et en particulier les SIG dont les usages ont connu une grande diversification. Après l’aménagement (planification et gestion du territoire), c’est dans la gestion des crises (inondations, incendies de forêt, séismes) que les SIG ont prouvé leur utilité, grâce à la vitesse d’acquisition des données, de réponse aux requêtes émises par les opérateurs et de la production de cartes nécessaires20. La carte virtuelle n’est plus « un produit définitif, un document achevé », mais un produit manipulable, transformable et utile à un moment précis – « l’image devient temporaire, dynamique et évolutive21 ».

17 Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Cartographie thématique 1 – une nouvelle démarche, Lavoisier, 2007, pp.47-48.

18 Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Cartographie thématique 5 – des voies nouvelles à explorer, Lavoisier, 2008, p.27.

19 Op. cit., p.29.

20 Idem.

21 Op. cit., p.31.

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Carte de la concentration atmosphérique de dioxyde de soufre présent dans un nuage de fumée et de cendres couvrant le sud du sous-continent indien. Le déplacement de ce nuage, issu de l’éruption du volcan Pinatubo début juin 1991, a été suivi par la NASA a l’aide des satellites météorologiques Nimbus.

Après l’aménagement, c’est dans la météorologie, la prévention des risques et la gestion des crises (inondations, incendies de forêt, séismes) que les SIG ont prouvé leur utilité, grâce à la vitesse d’acquisition des données, de réponse aux requêtes émises par les opérateurs et de la production de cartes nécessaires.

Source : ikcest.org

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Les chercheurs Colette Cauvin, Francisco Escobar et Aziz Serradj nomment une série de facteurs déterminants pour l’évolution des usages des SIG à l’approche de l’an 200022.

Les interactions entre cartographe – carte / base de données – utilisateur particulier, professionnel ou institutionnel sont devenues plus aisées grâce à « la baisse des coûts du matériel et des logiciels, l’accessibilité améliorée et généralisée à des bases de données spatio-temporelles, la convivialité croissante et la diversité des outils informatiques » qui sont devenus plus « flexibles, adaptables, dynamiques, diversifiés (en particulier pour la représentation des données) et accessibles à un grand nombre d’usagers ».

De plus, sur le plan technique, la collecte de données par GPS, stations totales et télédétection rend moins onéreuse l’acquisition d’informations spatialisées précises et fiables. Ces informations peuvent être ensuite traitées et mises à jour régulièrement en employant les logiciels de SIG qui, grâce à leur développement commercial, sont devenus plus polyvalents et performants, tout en bénéficiant, comme la majorité des logiciels professionnels de l’époque, d’une interface utilisateur améliorée23.

En revanche, selon les mêmes auteurs, les causes ayant fait de l’usage des SIG une réelle nécessité seraient « le changement global, les problèmes environnementaux de plus en plus complexes, l’insuffisance de la sécurité internationale, l’impératif d’un développement durable et les pratiques de bonne gouvernance qui doivent l’accompagner ainsi que l’accès des citoyens à la participation dans les prises de décision ». La carte devient outil d’exploration et de communication des données à un public moins restreint, tandis que le public participe à la production des cartes via les nouvelles technologies (notamment l’accès généralisé à l’internet, la révolution multimédia et de la sémiotique et les avancées en géovisualisation) : « usager et cartographe sont confondus24 ».

Nous avons vu comment la cartographie traditionnelle a évolué vers les SIG sous l’impulsion de spécialistes cherchant un outil efficace pour la gestion et l’aménagement des territoires. Nous verrons dans la partie suivante comment s’est cristallisé le besoin pour cet outil et quel usage des SIG on peut faire dans des cas concrets.

2. Les SIG, la planification et la gestion des territoires Nous avons vu que le développement des SIG a d’abord intéressé les acteurs de l’aménagement – leur histoire est liée à des noms d’urbanistes et paysagistes et à des entités publiques cherchant davantage de compétence et connaissance dans la maîtrise de leur territoire. Selon l’urbaniste et paysagiste français Philippe Thébaud, les modèles numériques des territoires « apportent une nouvelle culture du projet

22 Op. cit., p.16.

23 Op. cit., p.17.

24 Op. cit., pp.16-18.

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Fragment de la carte du Schéma Directeur d’Aménagement et Urbanisme de la Région Parisienne de 1965 Cette carte, élaborée par l'Institut d’aménagement et d'urbanisme de la région parisienne (l'actuel Institut Paris Région), synthétise les principales orientations de développement de la métropole, en présentant notamment les emprises des futures villes nouvelles. Elle est représentative du graphisme et du niveau de détail des cartes de type SDAU de l’époque.

Source : institutparisregion.fr

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d’aménagement permettant aux élus, aux maitres d’ouvrage, aux maîtres d’œuvre et au grand public d’en comprendre les enjeux comme les aspects les plus techniques grâce aux représentations visuelles et au partage d’informations sur le territoire25 ».

Des attentes proportionnelles aux moyens disponibles ?

Cauvin, Escobar et Serradj ont expliqué comment la demande pour l’exploitation des SIG a augmenté simultanément avec la démocratisation des logiciels dédiés et la facilitation de l’accès aux bases de données exploitables26. Selon ces auteurs, le SIG est aujourd’hui un outil nécessaire pour répondre à la gestion efficace des risques et aux attentes toujours plus précises des commanditaires, justifiées par la bonne gouvernance, l’intérêt pour le développement durable et la participation citoyenne dans la prise de décisions (en phase de consultation citoyenne par exemple, en proposant une carte interactive en ligne du projet d’aménagement, que chaque habitant intéressé peut consulter avant d’émettre ses remarques auprès du maître d’ouvrage).

L’architecte-urbaniste Michel Chiaperro notait dans un ouvrage dédié au dessin d’urbanisme qu’à partir des années 1980, les politiques publiques ont amplement influencé toutes les échelles de dessin d’urbanisme. Les raisons de ce développement seraient, selon l’auteur, la complexification des projets et la diversification des acteurs concernés, pour lesquels la mise en place d’un langage graphique commun et compréhensible par tous devient un prérequis à la constitution des partenariats d’aménagements27. Par exemple, lors des concertations, les représentants des habitants ne sont pas nécessairement habitués à lire des plans trop techniques, ce qui oblige à adapter les documents pour un public non-spécialiste. Les plans et cartes doivent désormais être moins abstraits, plus riches en information et graphiquement plus ergonomiques, tout en devenant plus précis.

L’exemple du projet d’urbanisme en France, 1960-1990 M. Chiaperro corrèle le développement du dessin d’urbanisme en France avec le contexte politique et socioculturel et, plus récemment, la prise de conscience environnementale.

Il décrit comment, à l’époque de la Reconstruction, la forte centralisation du pouvoir étatique se reflétait dans la standardisation des projets d’aménagement du territoire28 :

25 Philippe Thébaud, « Ville numérique et maquettes 3D » in Le moniteur des travaux publics et du bâtiment no 5711 – Cahier pratique no 2, 10 mai 2013, p.13.

26 Voir p.29.

27 Michel Chiappero, Le dessin d’urbanisme. De la carte au schéma-concept, construire les projets de villes et de territoires. Manuel à l’usage des urbanistes, Certu, 2002, p.44.

28 Savoir en quelle mesure la standardisation de la représentation, en plus d’imposer des échelles de réflexion fixes, a induit une forme d’homogénéisation formelle des projets constitue un sujet à part entière qui ne sera pas traité ici.

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un décret de 1958 fixait trois échelles de réflexion (SDAU, POS et ZAC29), avec pour chacun des cas une légende graphique imposée30 et une présentation des plans par paires (état actuel et projeté, à l’horizon allant jusqu’à 30 ans – preuve de la certitude liée au développement économique caractéristique de l’époque)31. Les modes de représentation ne connaissent pas de réelle diversification avant les années 1980, quand la logique d’aménagement est remise en cause, entre autres suite à la crise économique de 1973 et aux lois de la décentralisation de 1982. La prise en compte de nouvelles informations donne lieu à une certaine innovation qui cependant est limitée aux documents de prospective. Pendant longtemps, les documents traduisant le mieux les intentions spatiales des projets d’aménagement, et notamment des ZUP, étaient les plan-masse. Cependant, la substitution du dispositif légal des ZUP par celui des ZAC en 1967 se traduit par une plus grande liberté accordée aux concepteurs.

En revanche, les POS continuent d’être soumis à une convention rigide assimilée au statut de norme juridique jusqu’aux années 199032. La loi paysage de 1993 marque une évolution positive du fait de l’obligation de répertorier et cartographier dans les POS les éléments de paysage, marquant ainsi leur protection et mise en valeur33.

Le SIG au service de la région parisienne. Le cas de l’Apur34 Lorsque l’Atelier Parisien d’Urbanisme implémente un SIG à l’échelle de la ville de Paris il y a presque 30 ans, il bénéficie déjà d’une vaste collection de données collectées à partir 1967 et d’une certaine expérience en gestion de bases de données. Par exemple, l’Apur et ses partenaires institutionnels ont mis en place dès 1973 la « Banque de données urbaines » (BDU). Il s’agissait d’une première base de données numérisée regroupant un ensemble d’informations recueillies par diverses institutions et concernant la population, le foncier, l’immobilier, les établissements, les permis de construire et autres caractéristiques relevant des dynamiques dans la ville. Cependant, ces informations n’étaient pas géolocalisées, les adresses renseignées ne renvoyant vers 29 SDAU – Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme ; POS – Plan d’occupation des sols ; ZAC – Zone d’aménagement concerté.

30 Il est intéressant de rappeler ici que lors du quatrième Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM 4), organisé en 1933 et ayant comme thème « la ville fonctionnelle », Le Corbusier, Cornelis van Eesteren et Sigfried Giedion ont proposé une démarche d’analyse et de cartographie comparative appliquée à 34 villes. Ces villes étaient représentées avec des codes graphiques similaires et aux mêmes échelles afin de faciliter leur analyse selon les critères du CIAM et leur comparaison « objective ». Pour en savoir plus à ce sujet : Gregor Harbusch, Kees Somer, Daniel Weiss, Evelien van Es, Muriel Perez, Atlas of the Functional City. CIAM 4 and the Comparative Urban Analysis, Thoth, 2014.

31 Michel Chiappero, Op. cit., p.12.

32 Op. cit., pp.14-18.

33 Op. cit., p.29.

34 Les informations présentées dans cette partie sont disponibles sur le site de l’exposition des 50 ans de l’Apur, marqués en 2017 : https://50ans.apur.org/. Le site propose également des liens vers des archives et publications d’époque présentant en détail les expériences pionnières de l’Apur en termes de SIG.

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aucune pièce cartographique, la mise en relation se faisant encore manuellement. Suite à la digitalisation du cadastre parisien entre 1973 et 1986, les premières applications SIG de l’Apur ont été expérimentées, avec des stations de travail graphique reliées à un serveur, entre 1988-1989. Il a fallu attendre 1992 pour lancer le premier SIG à l’échelle de Paris, avec informations renseignées à la parcelle, à l’îlot, aux IRIS (îlots regroupés pour information statistique de l’INSEE) et à l’arrondissement. La BDU est progressivement spatialisée en SIG, mise à jour et enrichie de nouvelles informations.

Un rapport de 2004, intitulé « Base de données géographique à l’îlot de l’agglomération francilienne », présentant les données disponibles à l’échelle de l’îlot pour Paris et les départements limitrophes, illustre bien l’hétérogénéité de la transition vers le numérique dans les institutions locales franciliennes : 10% des communes ne disposaient pas encore des « cinq premières données géographiques numériques de référence » (limites communales, parcelles cadastrales, bâti, équipements, îlots) et 50% manquaient de version numérisée des voies, trottoirs, arbres d’alignement, adresses, unités foncières et IRIS. L’harmonisation des données n’a toujours pas été atteinte pour la région concernée, avec Paris et quelques communes gardant jusqu’à présent leur avance en termes de digitalisation.

En 2015 l’Apur publie son « Catalogue des données géographiques de la métropole parisienne » : les données listées dans ce catalogue sont la base (régulièrement mise à jour) des éléments géoréférencés disponibles aujourd’hui à l’échelle de la Métropole du Grand Paris. La décennie qui a suivi le rapport de 2004 a vu quelques progrès notoires : la représentation visuelle innovante de données auparavant disponibles uniquement en format alphanumérique (par exemple la carte des commerces de Paris), l’inclusion de données environnementales grâce aux progrès de la télédétection (thermographie d’été et d’hiver, hauteur de la végétation) ou bien la mise au point de la base de données des projets (l’ensemble des projets urbains et de transport visibles sur une même carte avec un graphisme uniforme). Les fichiers sont disponibles soit à l’échelle de la Ville de Paris ou de la MGP et une partie a été rendue accessible au public en open data.

En plus de venir à l’appui de l’intégralité des études publiées par l’Apur, les bases de données en open data peuvent servir à toute personne maîtrisant un logiciel de SIG et qui a besoin de réaliser une carte thématisée concernant un fragment du territoire de la MGP. La liste des données librement accessibles doit être enrichie dans les années à venir, suivant une tendance partagée avec d’autres institutions publiques métropolitaines, en France ou ailleurs (le cas de Bruxelles étant ici exemplaire par la mise à disposition gratuite de données graphiques exploitables même à une échelle architecturale, en 2D aussi bien qu’en 3D).

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Carte des plans d’îlots Vasserot (1810-1836) assemblés par ALPAGE et zoom sur un fragment L’equipe ALPAGE a relevé le défi de reconstituer en SIG le plus ancien atlas de plans parcellaires de Paris. Le résultat de cette mission d’une grande complexité constitue un outil précieux pour tout chercheur s’intéressant à l’histoire urbaine du Paris pré-haussmannien.

Source : books.openedition.org

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Le SIG et la BDU de l’Apur au service de la recherche historique Entre 2006 et 2010, la base de données urbaines (BDU) géoréférencées de l’Apur a servi à un projet de recherche ambitieux portant le nom ALPAGE35 : une équipe pluridisciplinaire, sous la direction des historiens Hélène Noizet et Boris Bove et de l’archéologue-topographe Laurent Costa, a relevé le défi de reconstituer en SIG le plus ancien atlas de plans parcellaires de Paris (plans Vasserot 1810-1836). Afin de compenser le maximum des défauts inhérents à la cartographie historique (hétérogénéité des échelles, des orientations et des modes de représentation des planches illustrant chacune un îlot ou un ensemble d’îlots extrapolés, défauts de relevé et autres incohérences), cette mission d’une grande complexité technique et méthodologique nécessitait l’accès à l’ensemble des repères topologiques précis que le SIG développé à l’Apur pouvait fournir : bâti, parcelles, îlots, voirie, adresses cadastrales, etc. Si l’idée d’obtenir par recollement une carte unique du Paris du début du XIXe siècle n’était pas neuve (Bruno Fortier ayant fait cet exercice avec des étudiants architectes36), cette démarche-ci s’est caractérisée par un soin exceptionnel pour la précision (la méthodologie employée ayant fait l’objet de publications scientifiques) et pour le soin de rester fidèle au graphisme original de l’atlas Vasserot.

Le résultat de ce travail, désormais disponible sous forme de carte consultable sur internet37, peut être critiquable pour son caractère artificiel, la préservation du graphisme original ne cachant pas un certain détournement du travail de Vasserot (les plans d’îlots, représentés comme des coupes horizontales à environ 1 mètre audessus du sol, n’ayant pas été dessinés à l’origine pour être vus simultanément38).

Néanmoins, il constitue un outil précieux pour tout chercheur s’intéressant à l’histoire urbaine du Paris pré-haussmannien car, même s’il représente l’état de la ville pendant la Restauration, à cette époque-là subsistaient encore dans la morphologie urbaine de très nombreuses traces de la ville médiévale qui sont aujourd’hui disparues. Ainsi, l’emprise des enceintes médiévales s’est précisée, tandis que des liens de causalité ont pu être établis et l’origine de certains tracés, limites et implantations déchiffrée. De plus, l’automatisation d’un nombre d’analyses morphologiques a pu faire ressortir des informations autrement difficiles à cerner. Par exemple, des requêtes sur les similitudes de taille et de forme de parcelles longeant une voirie ont permis la découverte de lotissements ou d’extensions planifiées39).

35 ALPAGE : AnaLyse diachronique de l’espace urbain PArisien : approche GEomatique 36 Bruno Fortier, La Metropole imaginaire. Un atlas de Paris, Mardaga, 1989.

37 http://mapd.sig.huma-num.fr/alpage_public/flash/ 38 Jean-François Cabestan, "Le plan « ALPAGE-Vasserot »", in Helene Noizet [dir], Paris de parcelles en pixels, Presses universitaires de Vincennes, 2013, pp.293-295.

39 Hélène Noizet [dir], Paris de parcelles en pixels, Presses universitaires de Vincennes, 2013, p.214.

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Le SIG et l’open data au service du rattrapage technologique Dans les états ayant une longue tradition cartographique, comme c’est le cas de la France, l’avènement des SIG a représenté une transposition du savoir-faire lié à la production de cartes imprimées vers le medium numérique, avec une transition plutôt longue et régie par un cadre institutionnel. La numérisation de cartes imprimées, commencée avant que les PC ne soient disponibles à un large public, par des professionnels employés des instituts géographiques nationaux, témoigne à la fois de la volonté d’être à jour » technologiquement, existante durant les dernières décennies du siècle dernier, et d’une disponibilité politique d’allouer des ressources humaines, techniques et financières pour soutenir la démarche de numérisation des informations accumulées.

Dans le cas des pays ne disposant pas d’une tradition cartographique aussi riche, les premiers SIG ont été implémentés plus tardivement et souvent à l’initiative d’entités extérieures aux services de ces états, avec un financement international. Les causes de ce retard historique peuvent varier : absence d’institutions de formation à la cartographie et de structures publiques ayant comme objet la production de cartes, ce qui est parfois le cas de pays ayant récemment acquis leur indépendance ; sous-financement des dites structures et donc absence de perspectives de développement, souvent à cause d’un manque d’intérêt au niveau des décideurs politiques ; situation de crise, de guerre, ou autres sources d’instabilité qui rendent la résolution d’autres problèmes plus urgente.

L’intérêt d’implémenter des SIG dans ces pays tient surtout de la possibilité de « brûler les étapes » de la production cartographique traditionnelle grâce aux progrès technologiques majeurs des dernières décennies. A condition d’assurer les ressources financières pour la formation d’une première génération de professionnels maîtrisant les nouveaux outils numériques et pour le recueil des données, ces pays peuvent potentiellement rattraper leur retard et implémenter des SIG fiables en répondant aux nécessités locales contemporaines. Le cartographe français Bernard Lortic, suite à son expérience d’enseignant de SIG et de télédétection à l’Ethiopian Civil Service College entre 2005 et 2008, a publié un manuel proposant une méthode de cartographie rapide et adaptable en ayant peu de données ou de moyens techniques et financiers à disposition. Selon l’auteur, la mise en place d’un SIG, même relativement peu complexe, permet de moderniser la gestion du territoire40. Il en souligne la nécessité en constatant l’expansion rapide et désordonnée des villes et l’obsolescence des supports cartographiques utilisés par les services publics en Ethiopie.

Bernard Lortic liste les progrès majeurs des années 2000 ayant profondément facilité la production de cartes. D’un côté, il énumère les développements technologiques ayant permis l’essor de l’orthophotographie : la photographie numérique grand public, la baisse des prix des mémoires des ordinateurs personnels permettant de stocker, gérer et traiter des quantités énormes d’images, le développement des logiciels de traitement d’image, de photogrammétrie et de 3D en général et la possibilité d’acquisition d’images 40 Bernard Lortic, Dominic Couret, Manuel de cartographie rapide, de l’échelle de la région à celle du mobilier urbain, Institut de recherche pour le développement, Marseille, 2011

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satellite avec des pixels de plus en plus petits qui permettent souvent de remplacer la prise de vue aérienne. Ensuite, c’est l’évolution des logiciels de SIG qui facilite l’emploi de bases de données locales, nationales ou mondiales et qui, grâce à la connaissance actuelle, à quelques millimètres près, de la mesure de la terre, permet d’accéder à une référence géographique unique et extrêmement précise. Enfin, c’est surtout l’accès, via l’internet, à des sites géographiques, institutionnels ou commerciaux, riches et faciles à utiliser, qui mettent à disposition des données en accès libre.

L’open data, ou les données dont l’accès, l’usage (singulier ou répété) et la diffusion sont gratuites et permises à tous, s’est historiquement développé au sein des milieux scientifiques à partir du principe que la restriction du partage des informations serait contraire au bien commun. Plus récemment, des organismes non-profit et des institutions publiques et privées ont commencé des démarches de partage public d’un éventail de données auparavant non-publiées. Toutefois, les cas d’accès restreint à l’information restent fréquents et persisteront encore probablement longtemps, pour des causes nombreuses et complexes, listées ici de manière synthétique : les données produites ou recueillies par des entités privées sont protégées par le droit d’auteur ; pour certains organismes, la diffusion d’informations constitue un apport financier important et la mise en libre accès des données impacterait négativement leur bilan financier41 ; protection des données personnelles42 ; absence de bénéfices directs ou indirects pour l’effort investi dans le recueillement et la publication des données ; volonté politique de limiter l’accès à la donnée pour raisons dites de sécurité43 ; etc.

Néanmoins, la statistique et la cartographie faisant parti des domaines qui bénéficient massivement de l’essor de l’open data, l’usage des SIG continue de devenir de plus en plus accessible, au service des particuliers aussi bien que des institutions.

41 En Roumanie, par exemple, les propriétaires peuvent obtenir une attestation de propriété (un « extrait de charte foncière ») en payant une taxe. Le document ayant une valabilité légale de dix jours ouvrés, au-delà de cette date le propriétaire doit payer à nouveau pour avoir l’attestation. Cependant, seulement les topographes enregistrés ont accès aux données de l’ensemble des propriétés.

42 Les lois très strictes de protection des données personnelles sont la raison pour laquelle le service Google Street View n’offre que très peu d’images des rues en Allemagne en comparaison aux autres pays.

43 En Chine, certaines informations cartographiques ne peuvent être légalement diffusées au public sans censure ou altération. Un exemple notoire est le décalage intentionnel de plusieurs centaines de mètres des cartes par rapport à la réalité sur Google Maps, ce qui les rend partiellement inexploitables.

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Variations locales du nombre d’usagers de Facebook - et de la population totale par extrapolation en Inde lors du premier confinement du au Covid-19 Cette carte, produite à l’aide des données de géolocalisation des utilisateurs de l’application Facebook, est un exemple d’usage non-commercial des données collectées par internet depuis les smartphones avec GPS incorporé.

Source : Atlas des mondes urbains, p.67

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3. Du géoréférencement des données statiques à celui des données dynamiques Nouvelles possibilités technologiques, nouvelles thématiques des cartes.

Les dernières années ont été marquées par la généralisation, à l’échelle globale et avec peu d’exceptions, de l’usage presque ininterrompu de l’internet, notamment grâce à l’informatique embarquée. L’exemple venant le plus vite à l’esprit est le smartphone44.

Si, depuis une dizaine d’années, nous sommes capables de suivre des directions peu importe notre moyen de déplacement, il va de même que les fournisseurs des services peuvent suivre nos choix d’orientation tout le temps que nos dispositifs fonctionnent.

En corrélant le fait que le nombre d’applications et services qui recueillent des données de localisation est en croissance et que nous y sommes devenus graduellement dépendants, nous constatons qu’aujourd’hui nous générons presque continuellement des informations géoréférencées.

Le débat sur la nécessité, la moralité et la pertinence du recueil de données de déplacement des consommateurs ne sera pas présenté ici, car il constitue un thème d’actualité très vaste avec des implications complexes. Ce que nous voulons retenir, en revanche, est que l’utilisation pour la production cartographique thématique de ces données, à des fins non-commerciales de recherche ou de sensibilisation du public, peut révéler des situations autrement inaperçues.

L’Atelier de Cartographie de Sciences-Po L’institut d’études politiques de Paris produit et diffuse, à travers son Atelier de Cartographie fondé en 1995, « des savoirs qui éclairent les enjeux contemporains et alimentent le débat public45 ». En plus des fonctions pédagogiques et scientifiques, l’atelier se remarque par l’expérimentation de dispositifs graphiques pour représenter des données géolocalisées auparavant disponibles, dans le meilleur des cas, sous forme de grands tableurs. En 2020, sous la direction du géographe et urbaniste Éric Verdeil, l’atelier a contribué à « l’Atlas des mondes urbains » qui illustre, à travers des graphiques et cartes thématisées, les nombreuses réflexions actuelles portant sur les enjeux des villes contemporaines. Les cas d’études, exposés sur une double page chacun, sont des villes de tailles variables, des régions ou des pays du monde. Nous avons choisi d’en présenter ici deux d’entre-elles, portant sur des dynamiques humaines.

44 Si le premier téléphone multifonctionnel a été inventé en 1992, ce n’est qu’à la fin de la décennie que des modèles sans fil ont été commercialisés. C’est à ce moment aussi que le premier smartphone avec GPS intégré est apparu, avec le lancement du modèle de téléphone d’urgences Esc! de Benefon en 1999. Avec l’augmentation du débit internet disponible et la miniaturisation et baisse de prix des composantes électroniques, les capteurs GPS sont devenus, vers la fin des années 2000, un équipement standard de smartphone, à un moment où la plupart des consommateurs connaissaient la technologie par les appareils destinés au guidage des chauffeurs.

45 https://www.sciencespo.fr/cartographie/

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Carte de l’insécurité dans la ville de Delhi, selon Safetipin Safetipin est une application pour smartphone développée pour que les habitants de Delhi puissent renseigner les lieux qui leur semblent présenter des risques (rouge correspond aux lieux perçus comme dangereux, tandis que les zones bleues sont considérées comme les plus sures). Même si le résultat traduit la subjectivité des contributeurs (essentiellement des habitantes des quartiers aisés), il présente une utilisation d’intérêt social des données géolocalisées collectées par les usagers d’une application de smartphone.

Source : Atlas des mondes urbains, p.69

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Le premier cas d’études, « Le temps précipité des villes46 », analyse les effets des confinements sur les rythmes urbains en comparant l’impact sur le trafic dans sept pays et treize métropoles représentatives, ainsi que l’exode urbain déclenché en Inde suite à la mise en œuvre du confinement national du 25 mars au 3 mai 2020. Pour ce dernier, une carte produite à l’aide des données de géolocalisation des utilisateurs de l’application Facebook illustre comment les villes se sont systématiquement vidées en faveur des campagnes environnantes. L’utilisation du big data a servi ici à dresser une carte qui prouve ce que de nombreux experts en urbanisme ont anticipé l’année dernière : les grandes villes denses, surtout pour les populations les moins aisées, sont inadaptées à la vie sous conditions de crise sanitaire.

Le deuxième cas d’études est présenté sous le titre « Urbanité du genre47 » : des statistiques sur l’intensité du risque pour les femmes dans les espaces publics de 22 villes du monde, selon le type d’agression, ont été établies par l’ONG « Plan International » en 2018. Des enquêtes similaires ont également été effectuées en interrogeant des experts en droit de l’enfant, de la femme ou en sécurité urbaine. Cependant il est difficile de dresser une cartographie précise des zones à risque sans recourir à des nouvelles méthodes.

Des applications pour smartphone ont été développées pour que les utilisateurs de certaines villes puissent renseigner les lieux qui leur semblent présenter des risques.

Safetipin en est une dédiée aux habitants de Delhi, et le fonctionnement est similaire à celui des application GPS destinées aux automobilistes : plus il y a d’utilisateurs, plus il y a de chance que les renseignements concernant un danger ou un évènement dans un lieu précis soient d’actualité. Ainsi, une campagne de sillonage des rues de la capitale indienne par des contributeurs en avril-mai 2018 a permis la réalisation d’une carte de la sécurité perçue sur la plupart des artères, avec des variants comme le ressenti sur l’éclairage, la présence d’agents de sécurité ou la tranquillité dans les rues et les transports en commun. Le résultat confirme une proportionnalité du danger perçu avec la pauvreté d’un quartier, en sachant que la majorité des utilisateurs de l’application sont des jeunes femmes avec un haut niveau d’éducation et issues de milieux relativement aisés, vivant dans des quartiers catalogués comme « surs ». Même si ce type de carte peut être contestable par sa subjectivité, il traduit néanmoins la ségrégation sociale liée au système traditionnel des castes.

Stamen, le civisme et les cartes dynamiques renseignées par les utilisateurs Comme précisé précédemment, l’agence de design et cartographie Stamen de San Francisco est aujourd’hui réputée pour ces projets de data visualization. Elle est à l’origine de plusieurs innovations dans l’usage des SIG et de l’open data. En 2004, l’agence devenait pionnière en matière de cartes-support de social media, en disposant les photographies des utilisateurs de la plateforme Flickr sur une carte digitale à l’aide des

46 Éric Verdeil [dir], Atlas des mondes urbains, Les presses SciencesPo, Paris, 2020, pp. 66-67.

47 Éric Verdeil [dir], Op. cit., pp. 68-69.

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métadonnées (tags48). En 2008, Stamen exposait une des premières cartes dynamiques se servant des données en temps réel recueillies par les taxis de San Francisco, qui permettait de voir les variations des flux des yellow cabs à travers la journée et de discerner les itinéraires les plus empruntes49. En 2009, les données des procès-verbaux établis chaque jour par la police de San Francisco ont permis la création d’une carte en ligne de la criminalité : les usagers pouvaient voir à toute heure de la journée quels délits récents et de quelle nature ont eu lieu dans les quartiers qui les intéressent50. Si à l’époque le contenu de la plateforme San Francisco Crimespotting était révolutionnaire, aujourd’hui, ce type de civic data est plus accessible que jamais : le rôle de la carte de Stamen a été repris, à l’échelle de tous les Etats-Unis, par CrimeMapping.com ; de plus, se développent actuellement des applications similaires, en utilisant les données des municipalités, pour informer les habitants sur des évènements d’intérêt général comme les travaux d’entretien de l’espace public, les fermetures du trafic, les traitements contre les nuisibles etc.

La généralisation de l’usage des smartphones a produit plus récemment une nouvelle catégorie de données : celles que les usagers renseignent eux-mêmes manuellement (par opposition aux données collectées automatiquement par les applications, dont les utilisateurs sont rarement conscients), par civisme et volonté d’aider leurs concitoyens.

Stamen est, dans ce secteur aussi, un précurseur, avec des projets comme Pretty Maps, basés sur la plateforme à base de contributions volontaires Open Street Map. Certaines villes proposent actuellement des plateformes où chaque citoyen peut signaler et géolocaliser une contravention (voiture mal garée), un danger (risque d’effondrement d’un arbre ou d’une façade mal entretenue), ou un appel au secours (présence de personnes vulnérables) afin d’intervenir rapidement là où la nécessité l’impose51.

La cartographie 3D et l’étude des données dynamiques Si jusqu’ici nous avons présenté des applications des SIG à l’échelle urbaine, territoriale voire continentale, il faut pourtant constater que depuis quelques années, en parallèle de l’augmentation en puissance des ordinateurs personnels et du débit internet, nous pouvons nous en servir aussi à des échelles encore plus détaillées. Actuellement certains logiciels SIG permettent le travail fin avec le bâti, à condition de disposer de modèles 3D du tissu urbain.

Nous avons mentionné plus haut que la ville de Bruxelles, dans une démarche d’open data, propose le téléchargement gratuit des plans et modèles 3D de ses quartiers, rendus dans des formats et ayant une précision exploitables à l’échelle architecturale. Plus que 48 https://stamen.com/work/mappr/ 49 https://stamen.com/work/cabspotting/ 50 https://stamen.com/work/crimespotting/ 51 Par exemple, la mairie de Bucarest a lancé en 2019 une application d’alerte sociale (Social Alert Bucuresti) et une autre dédiée aux contraventions dans le trafic (Trafic Alert Bucuresti).

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servir de fond de plan aux concepteurs travaillant sur des projets bruxellois, une fois géoréférencées, ces documents deviennent des maquettes numériques d’étude pour les choix urbains et plans masse. En plus des études d’ensoleillement et d’ombres portées, que certains logiciels de DAO intègrent depuis quelques versions déjà, la maquette numérique géoréférencée sert aussi de base de travail pour des études acoustiques, aérauliques (cartographie 2D et 3D des vents, carte de confort au vent, potentiel d’un site pour l’implantation d’éoliennes…), hydrauliques (simulation de remplissage ou de vidange des bassins, simulation de crues d’eaux libres), voire des simulations d’éclairage artificiel, etc52.

Nous savons que les dynamiques naturelles intéressent les concepteurs architectes et urbanistes depuis bien plus longtemps que l’existence des SIG, qui en ont facilité l’étude notamment pour la prévention de risques. Mais ce n’est que relativement récemment que les concepteurs ont fait appel aux SIG pour analyser l’impact de ces dynamiques sur les aménagements proposés. Il est possible que cette évolution soit due à la fois à l’amélioration des logiciels qui offrent plus de précision et à la volonté des maîtrises d’œuvre et maîtrises d’ouvrage d’évaluer des scénarios de manière plus réaliste. Savoir si, dans ce cas, l’offre a anticipé la demande ou, au contraire, elle s’est adaptée à la demande, requiert une étude approfondie.

52

Philippe Thébaud, Op. cit., p.30.

43

44

II. Les dynamiques naturelles géolocalisées dans le projet urbain et territorial

45

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II. Les dynamiques naturelles géolocalisées dans le projet urbain et territorial 1. La redécouverte des territoires par leurs dynamiques naturelles Cette partie est consacrée aux exemples de représentation graphique des dynamiques naturelles géoréférencées et de l’importance que cette démarche peut avoir, qu’il s’agisse de recherche d’intérêt restreint à un faible nombre de spécialistes ou au grand public, ou du projet d’aménagement à une diversité d’échelles. Les premiers cas d’étude sont des cartes révélatrices d’aspects soit oubliés, soit insuffisamment connus des territoires concernés : elles sont produites afin d’apporter un nouveau regard réaliste et dépassionné sur des questions parfois polémiques. Ensuite seront présentés des plans produits pour des raisons prospectives ou opérationnelles, permettant d’établir des rapports entre les dynamiques naturelles et l’aménagement, ce dernier devant soit s’adapter aux conditions imposées par la nature afin de survivre (ou d’en tirer profit), soit au contraire la contrecarrer afin d’offrir plus de confort et de sécurité aux usagers. De ce point de vue, les stratégies des concepteurs peuvent être exceptionnellement diverses.

La révélation d’une végétation urbaine insuffisamment connue L’Atlas des mondes urbains, réalisé par l’Atelier de Cartographie de l’Institut d’études politiques de Paris, nous propose, en plus des cartes révélatrices des dynamiques humaines et sociétales évoquées en Partie I, aussi des plans mettant en lumière les évolutions du cadre naturel francilien. Le premier que nous évoquons est celui intitulé « Espèces d’espaces végétaux1 ». La thématique de cette double page est de révéler la capacité de la végétation urbaine à structurer l’espace des villes. L’auteur s’appuie ici sur une carte à l’échelle du Grand Paris réalisée avec des données de l’Apur et de l’Institut Paris Région, inspirée d’une production similaire de Michel Lussault dans « l’Atlas du Grand Paris 2013. Une géographie paradoxale ».

Cette carte est surprenante à plusieurs points de vue. D’abord, parce que le lecteur de la carte reconnait tout de suite la capitale française en ne regardant que la végétation et l’hydrographie – en effet, les seules couches utilisées sont les plans d’eau (dont les plus visibles sont les boucles de la Seine), les limites communales et les surfaces végétalisées, représentées ici avec 3 couleurs correspondant à des seuils de hauteur recensés en 2015 (0-1, 1-10 et supérieur à 10m). Ensuite, contrairement aux 1

Éric Verdeil [dir], Op. cit., pp. 42-43.

47

Dix ans d’évolution de la végétation du bois de Vincennes La comparaison de ces deux cartes de hauteur de végétation révèle l’effet dans le temps des efforts de plantation d’arbres, notamment suite a la tempête Lothar de 1999.

Source : apur.org

48

représentations conventionnelles de la végétation par des aplats verts, typique des plans d’occupation des sols, celle issue du traitement informatique des prises de vue aériennes est beaucoup plus fidèle à la réalité. Elle est donc plus facile à déchiffrer par le lecteur car non seulement elle prend en compte la végétation sur les parcelles privées (majoritaire en banlieue et qui ne peut être correctement estimée autrement car elle échappe à la planification2), mais offre également des informations sur la hauteur et le volume des houppiers des arbres, en plus de leur superficie. Ce deuxième aspect révèle le dessin distinct des pelouses des parcs, des allées traversant les bois, des quadrillages d’arbres structurant les cimetières ou des alignements correspondant aux avenues plantées. Enfin, le passage d’une représentation administrative des espaces verts à une représentation mécanique automatisée révèle l’importance des friches dans le total de la surface verte : végétation arbustive ou herbacée spontanée des talus des autoroutes et des chemins de fer, ripisylves en bord de Seine en banlieue, ainsi que d’autres parcelles abandonnées.

La végétalisation en milieu urbain, un pari sur l’avenir Les images raster de hauteur de la végétation élaborées par l’Apur et utilisées dans l’exemple présenté antérieurement deviennent d’autant plus intéressantes quand elles sont comparées avec leurs versions précédentes : pour Paris et la petite couronne, l’Apur met à jour ces plans environ tous les 5 ans. Dans un numéro de Paris Projet dédié aux réflexions en cours sur les bois de Vincennes et de Boulogne, pour chacun des deux parcs sont représentées en parallèle les plans de hauteur de couverture végétale de 2005 et de 2015, avec le même cadrage et à la même échelle3. Le lecteur peut ainsi appréhender, d’un seul regard, dix ans d’évolution de la végétation dans les plus grands parcs parisiens.

Ces paires de plans révèlent plusieurs aspects. D’abord, les résultats des efforts de plantations se font voir seulement des décennies plus tard. Les deux bois ont été fortement impactés par la tempête Lothar de 1999, avec des dégâts localement supérieurs à 70% de la surface des massifs forestiers. Grace à une gestion efficace, des nouveaux arbres ont aussitôt été plantés à la place de ceux abattus par le vent, nous permettant de redécouvrir deux décennies plus tard un aspect similaire des massifs boisés avant 1999. Ensuite, en regardant surtout le blanc des cartes, nous observons les changements de la perméabilité des sols : la disparition, entre 2005 et 2015, de portions vertes remplacées par du blanc indique soit l’existence de nouveaux aménagements ayant imperméabilisé le sol, soit une dégradation accentuée de la végétation à ces endroits, parfois trop lente pour être perçue au quotidien par les habitants.

2

Même si les informations sur l'occupation du sol des parcelles privées existent (permis de construire, relevés de géomètres, etc.), elles deviennent rapidement obsolètes à cause des modifications mineures fréquentes et nombreuses (réaménagements de jardins, petites constructions, imperméabilisation, défrichage, voire apparition de nouvelles friches).

3

Dominique Alba [dir], Patricia Pelloux, Frédéric Bertrand et al., Paris Projet #45, Les bois de Boulogne et de Vincennes, 1840 hectares de nature à revisiter, Apur, 2020.

49

Carte des remaniements du sol urbain à Paris et en Île-de-France Illustrant les variations de hauteur du sol entre 1800 et 2016, cette carte révèle les vastes mouvements de matière qui ont altéré la topographie des sols de la capitale et de sa banlieue proche, mais aussi des campagnes environnantes qui servent de carrières d’extraction et de dépotoirs de déchets inertes ou pollués.

Source : Atlas des mondes urbains, p.81

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A l’échelle de la ville de Paris, les différences entre les cartes de végétation de 2005 et 2015 sont plus difficilement perceptibles à cause de la fragmentation et la taille réduite des surfaces végétalisées. Cependant, en cherchant les secteurs ayant fait l’objet d’une reconfiguration de l’espace public au début des années 2000 (introduction d’arbres d’alignement dans des rues auparavant complètement minérales, création de terrepleins plantés, etc.), la carte de 2015 fait connaître le réel développement végétal récent.

Le niveau variable du sol dit « naturel » S’il est évident d’accepter le caractère évolutif de la végétation, l’évolution de la topographie est bien moins flagrante, car beaucoup plus lente. Fait souvent mieux connu par les archéologues que les architectes, la physionomie du sol est évolutive aussi : surtout en milieu urbain, l’activité humaine – dépose de déchets, extraction de matières, constructions, démolitions, etc. – s’est ajoutée aux causes naturelles de transformation de la topographie (dépôt d’alluvions, érosion, glissements de terrain…), en devenant majoritaire dans les villes les plus anciennes. L’Atlas des Mondes urbains se propose d’éclairer aussi cet aspect, avec une étude du cas francilien.

La carte des remaniements du sol urbain à Paris et en Île-de-France, illustrant les variations de hauteur du sol entre 1800 et 2016, révèle les vastes mouvements de matière qui ont altéré la topographie des sols des grandes villes, mais aussi des campagnes environnantes qui servent de carrières d’extraction et de dépotoirs de déchets inertes ou pollués. La multiplication et l’extension des chantiers, ainsi que l’augmentation de la capacité technique, ont accéléré les déplacements de matières à partir de la révolution industrielle4. Aujourd’hui, même si le transport, le traitement et le stockage des matières deviennent plus complexes et coûteux à cause de l’extension de la ville et de l’accumulation des polluants dans le sol, il reste néanmoins difficile d’envisager un équilibrage local des déblais et remblais. Si la région parisienne est excédentaire en déblais dû actuellement aux travaux du Grand Paris Express, d’autres métropoles, surtout côtières, doivent recourir à l’importation de remblais pour l’extension foncière sur la mer (à voir le cas des Pays Bas et de la Belgique qui valorisent des terres excavées françaises qui, sur le territoire national, ne peuvent pas être valorisées facilement à cause d’une législation trop contraignante sur les sols5 ; ou le cas du Singapour qui doit acheter du sable de pays de plus en plus éloignés, suite aux restrictions imposées par l’Indonésie et la Malaisie). De plus, si avant la révolution industrielle les villes étaient construites exclusivement avec des matériaux naturels présents dans le territoire, les villes contemporaines sont construites essentiellement avec des matériaux transformés, difficilement réintégrables dans le circuit naturel lorsqu’ils deviennent des déchets : bitumes, enrobés, plastiques, métaux et surtout le béton. Cette altération

4

Éric Verdeil [dir], Op. cit., pp. 80-81.

5

Hervé Montaclair, « Terres excavées/terres traitées : quand pourrons-nous parler d’économie circulaire ? » in UPDSMAG, no 5, novembre 2018, URL https://upds.org/wp-content/uploads/2018/12/ TEX_UPDS_Mag5_novembre2018.pdf

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durable et étendue de la lithosphère a déterminé nombre de scientifiques de déclarer l’anthropocène comme l’ère géologique marquée par la transformation de la croûte terrestre par l’action humaine.

Pour les concepteurs et aménageurs, l’appréhension de la réalité que cette carte montre peut remettre en question le rapport des projets urbains au sol dit « naturel ». Dans les écoles d’architecture, le respect de la topographie et du « sol naturel » apparait comme un leitmotiv. Dans la pratique, c’est plutôt le coût des nivellements et des terrassements qui pèse dans le choix de la solution à retenir. En tout cas, dans un contexte d’opération d’aménagement sur un site ayant connu à travers l’histoire d’innombrables mouvements de terrain, il n’y ait plus raison de sacrifier une solution architecturale ou urbaine afin de préserver une topographie préexistante, autre que pour des raisons patrimoniales, paysagères, financières ou de bilan environnemental. Le cas de la ZAC Paris Rive Gauche est assez emblématique de ce point de vue : la solution développée par Paul Andreu pour la construction au-dessus des lignes SNCF de l’Avenue de France et son raccord aux rues existantes et futures, même si retenue pour sa capacité à désenclaver la vaste friche située entre la Seine et les rails, a été amplement critiquée dans la presse de l’époque par des parisiens n’acceptant pas, entre autres, la restructuration totale de deux rues emblématiques de l’ancien quartier industriel, Tolbiac et Watt6.

2. L’analyse des dynamiques naturelles pour mieux (se) projeter et (se) protéger Le rôle des SIG dans la gestion des risques naturels Nous avons déjà évoqué en première partie les conditions ayant permis l’usage des SIG, outils conçus d’abord pour l’aménagement et la gestion « courante » des territoires, ensuite dans la gestion des risques naturels : généralisation de l’usage des PC, acquisition plus rapide des données (principalement concernant des dynamiques naturelles) grâce aux progrès dans la télécommunication, au développement des logiciels permettant de répondre plus rapidement aux requêtes et de produire des cartes plus vite. Avant de détailler comment les urbanistes, paysagistes et architectes peuvent se servir des SIG afin de participer à la gestion des risques naturels, il serait nécessaire de rappeler ce que cette notion implique et quel est ici l’intérêt des outils numériques de traitement des informations géolocalisées.

Pour expliquer la gestion des risques naturels, nous proposons la définition utilisée par le topographe, informaticien et enseignant Hajji Hicham dans sa thèse de doctorat sur le sujet. Il s’agit donc de « l’ensemble des dispositions visant à réduire les impacts d’un phénomène naturel : la connaissance des aléas, la réglementation de l’occupation des sols, les mesures actives et passives de protection, l’information préventive, les

6

Soline Nivet [dir], Paris Rive Gauche : documents 1981-2016, Éditions du Pavillon de l’arsenal, 2016.

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prévisions, les alertes, les plans de secours etc.7 » Le même auteur décrit l’approche PPRR (prévention, préparation, réponse, réhabilitation) qui constitue le modèle générique de traitement des risques. Même s’il n’est pas toujours évident d’établir une limite claire entre les étapes de cette approche, car certaines actions peuvent correspondre à plus d’une étape PPRR, elles indiquent pourtant un ordre structuré des mesures8. La prévention (ou mitigation) concerne les activités qui éliminent ou réduisent la probabilité d’un désastre et qui réduisent les effets des désastres inévitables. La préparation vise les activités complémentaires quand celles de prévention ne suffisent pas pour contenir le désastre et qui consistent en la planification des opérations de secours afin de minimiser les pertes humaines et matérielles. La réponse regarde les efforts post-catastrophe cherchant à fournir aux victimes des secours d’urgence et à stabiliser la situation afin de réduire la probabilité de dommages secondaires. Enfin, la réhabilitation porte sur les démarches de rétablissement en vue du retour à la normale du système, à court terme (fonctions vitales) et à long terme (amélioration de la vie des sinistrés post-catastrophe)9.

L’efficacité de la gestion des risques naturels dépend de comment elle répond aux objectifs de protection de la vie, de la propriété et de l’environnement. Afin de dimensionner correctement les programmes de gestion des risques, il est nécessaire de collecter, organiser et afficher convenablement les données considérées comme utiles10 : la plupart d’entre-elles sont géolocalisables et représentables sur une carte dite « de vulnérabilité », qui s’obtient en évaluant les zones de superposition de la carte des aléas (phénomènes) et de la carte des enjeux (éléments exposés au risque).

Les zones vulnérables, qui nécessitent donc l’établissement de mesures de secours spécifiques et l’évaluation des pertes potentielles, sont celles de superposition entre la couche carte des aléas et la couche carte des enjeux11.

Hajji Hicham défend, dans sa thèse, l’utilité des systèmes d’information géographique dans la gestion des risques naturels : s’agissant de phénomènes trans-scalaires, il apparait que l’usage des SIG peut avoir un réel intérêt en ce qui concerne leur maîtrise à l’échelle du territoire, et ceci à toutes les étapes d’une approche PPRR12. Si certains phénomènes peuvent être étudiés aussi en s’appuyant sur des cartes traditionnelles (comme certains glissements de terrain ou crues), car leur manifestation dépend principalement d’éléments statiques comme le relief, la géologie ou la végétation, d’autres nécessitent des capacités de modélisation plus complexes : les tempêtes, le 7

Hicham Hajji, Gestion des risques naturels : Une approche fondée sur l’intégration des données, Thèse de doctorat en informatique, INSA Lyon, 2005, p.16.

8

Op. cit., p.30.

9

Op. cit., pp.18-20.

10 Idem.

11 Op. cit., p.38.

12 Op. cit., p.17.

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vent ou les tremblements de terre sont des phénomènes dynamiques dont l’évolution spatio-temporelle ne peut pas être évaluée sur une carte imprimée et demande donc le recours aux SIG13.

Ensuite, l’auteur souligne l’avantage financier de l’usage des SIG dans la gestion des risques. Pouvant produire des simulations plus précises que la cartographie traditionnelle, ils permettent de raffiner l’évaluation du risque et donc de mieux évaluer les mesures de protection et donc aussi leur coût. En plus, les SIG aident à révéler les endroits où l’information géographique est insuffisante, afin d’orienter l’acquisition de nouvelles données et la réalisation d’enquêtes de terrain en vue d’atteindre un niveau de précision homogène sur le territoire14.

Enfin, Hajji Hicham rappelle un argument utilisé aussi par Cauvin, Escobar et Serradj dans leur traité de cartographie thématique – le SIG comme base commune de partage d’information entre des acteurs de formation hétérogène : « la diversité des acteurs présents dans la procédure de gestion des risques ne pose pas un problème uniquement au niveau de la visualisation des résultats, mais aussi au niveau de la diversité des concepts et des termes utilisés. Cette confusion entre les concepts utilisés par différents groupes d’utilisateurs présente un premier niveau d’hétérogénéité, et la construction d’un vocabulaire unifié peut s’avérer importante. » Afin d’établir une réponse rapide et efficace face au risque en période de crise, il apparait donc comme essentiel de disposer d’un système regroupant de manière unifiée et uniformisée l’ensemble des données disponibles et vérifiées15.

S’attendre au pire ? L’aménagement des zones côtières Nous avons vu que les concepteurs responsables des aménagements urbains et territoriaux ont un rôle stratégique dans la gestion des risques naturels, agissant notamment (mais pas seulement) dans la prévention. L’agence d’architecture, urbanisme et paysage Les Marneurs, qui mène plusieurs études urbaines et paysagères sur la côte Atlantique en France, établit des stratégies de transformation des territoires afin de les rendre résilients dans un contexte de forte incertitude au regard des évolutions climatiques. De manière prévisible, la submersion marine représente le principal risque dans cette zone côtière ; le développement urbain peu maîtrisé des dernières décennies, ainsi que l’augmentation en fréquence et violence des tempêtes, ont amplifié les dégâts au point qu’aujourd’hui les stratégies d’aménagement de ces lieux mettent l’accent sur la gestion du risque. Les plans de prévention des risques inondation (PPRI), établis par l’état, sont aujourd’hui des documents cartographiques et réglementaires déterminants dans la prévention des risques, en impactant directement les projets d’aménagement par les mesures d’interdiction de construction en zone inondable.

13 Op. cit., pp.30-32.

14 Op. cit., p.37.

15 Op. cit., p.13.

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En termes de prévention, les projets littoraux de l’agence Les Marneurs associent couramment la mise hors d’eau de tout local actif à venir (échelle urbaine et architecturale) avec un travail sur la perméabilité des sols inondables (action à l'échelle territoriale, par la transformation des pratiques agricoles, ostréicoles, sylvicoles ou l'entretien des plages). Cependant, en acceptant la possibilité que les scénarios actuels de remonté des eaux peuvent devenir obsolètes, les concepteurs évaluent aussi des cas plus pénalisants que ceux prévus par les PPRI. Par exemple, construire encore plus haut, voire sur pilotis, risque de produire un espace public peu désirable et marqué par des rez-de-chaussée inactifs ; produire une architecture « amphibie » (caractérisée par des mesures conservatoires de type menuiseries anti-submersion, isolation intérieure au rez-de-chaussée) semble plus intéressant pour garder de l’activité au niveau du sol. Nous considérons cette solution comme une mesure de préparation. La réflexion va plus loin : et si l’eau continue de monter et les menuiseries et façades n’arrivent plus à faire face ?

La prescription de planchers-refuge dans chaque bâtiment, servant à mettre à l’abri tout objet ou équipement sensible, devient une mesure de réponse face à un risque « inévitable ». Enfin, la recommandation de rendre traversantes les plus importantes pièces des RDC, s’inscrit dans la famille des mesures de réhabilitation : un espace traversant, donc naturellement ventilé, sèche plus vite qu’un espace mono-orienté.

Bien évidement, chaque type de territoire présente des risques spécifiques : le séisme, l'incendie de végétation dans les forêts, la sécheresse prolongée dans les régions méridionales, l'avalanche en haute montagne, la crue dans les vallées, etc. Dans la catégorie des projets où la logique de « l’attente du pire » favorise la résilience, les SIG deviennent des outils performants pour visionner les risques potentiels. Les cartes digitales deviennent support de travail, d’échange et de communication entre concepteurs, bureaux d’études et organismes publics. Les plans-guides élaborés par l’agence Les Marneurs et validés par les commanditaires sont également transposés en SIG par obligation de compatibilité avec l’ensemble des ressources de données géolocalisées concernant les territoires en question ou documents réglementaires (par exemple plans locaux d’urbanisme). L’outil cartographique digital suit ainsi l’ensemble des étapes du projet.

Tirer profit des dynamiques naturelles – le rôle du soleil dans le futur PLU bioclimatique de Paris Bien évidemment, les dynamiques naturelles n’intéressent pas les concepteurs seulement pour proposer des dispositifs spatiaux de protection contre les aléas. Elles constituent des sources d’énergie que les hommes ont cherché à capter depuis la préhistoire : les cours d’eau et le vent ont été mis au service de l’agriculture très tôt, tandis que la technologie du XXe siècle a permis de capter, stocker et transformer en électricité l’énergie lumineuse.

Les cellules photovoltaïques sont devenues des éléments architecturaux à partir des années 1970 et leur production a connu un développement exponentiel entre 2000 et 2010. Si aux débuts ces dispositifs avaient un rendement relativement faible, favorisant leur usage surtout dans des régions arides et ensoleillées, au XXIe siècle les cellules PV sont devenues des alternatives aux sources conventionnelles d’énergie aussi dans des

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Extrait du cadastre solaire de Paris de 2011, réalisé par l'Apur Une gamme de couleurs variant du bleu fonce (0 KWh/m2/an) au rouge (1200 KWh/m2/an) représentent le taux d’ensoleillement des surfaces de toiture des bâtiments parisiens, préalablement modélisés en 3D Source : Paris Projet #41/42 – pp.32-33

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régions dont le climat est caractérisé par une plus forte nébulosité. Les pays européens ont donc commencé à encourager et stimuler financièrement l’installation de panneaux PV à usage principalement domestique. En revanche, dans les pays ou cela est permis, des opérateurs privés ont lancé la construction sur des vastes surfaces agricoles de champs de panneaux PV, la vente d’énergie se révélant particulièrement rentable.

Dans un article de la publication Paris Projet de 201316, André-Marie Bourlon, ancien directeur adjoint de l’Apur, plaide pour une « optimisation énergétique de la métropole » parisienne. En rappelant le paradoxe que la région Île de France produit 10% de ce qu’elle consomme en énergie, alors qu’elle dispose d’un gisement impressionnant de ressources inexploitées, il annonce dès lors la nécessité d’élaborer à moyen terme un PLU thermique de la capitale17. En listant les ressources disponibles naturelles (géothermie profonde ou de surface, biomasse, solaire) ou anthropiques (incinération ou méthanisation des ordures ménagères, récupération de la chaleur des eaux usées ou de l’air vicié, voire des data centers etc.), il évoque pour chacune les avantages et inconvénients : l’objectif du futur PLU thermique (renommé aujourd’hui « bioclimatique ») sera de préconiser, à l’échelle urbaine, les solutions de gestion énergétique les plus adaptées pour chaque type de tissu urbain et en fonction des ressources disponibles localement.

En ce qui concerne l’énergie solaire, l’Apur et la Ville de Paris ont cartographié en 2011 le potentiel énergétique des toitures parisiennes18. Le résultat de ce travail est une carte du « cadastre solaire19 », ou des couleurs variant du bleu foncé (0 KWh/m2/ an) au rouge (1200 KWh/m2/an) représentent le taux d’ensoleillement des surfaces de toiture des bâtiments parisiens, préalablement modélisés en 3D20. La première conclusion que l’on peut tirer de cette carte est le grand potentiel des toitures-terrasses d’immeubles collectifs et des bâtiments industriels ou commerciaux : en l’absence de constructions voisines hautes projetant de l’ombre sur ces surfaces, le taux d’ensoleillement moyen annuel de ces toitures dépasse 900 KWh/m2/an, les rendant les plus propices à la production d’eau chaude sanitaire (dont la rentabilité est assurée) ainsi qu’à la génération d’électricité avec panneaux PV (dont la rentabilité dépend, en revanche, du tarif de rachat de l’électricité lorsque la production est supérieure à la consommation). En outre, le solaire est également intéressant en tissu pavillonnaire (pour un usage à la parcelle), car la densité faible du bâti minimise les ombres portées d’une maison sur l’autre.

16 André-Marie Bourlon, « La journée gros pull » in Dominique Alba [dir], Paris Projet #41/42 – Ville visible ressources cachées, Apur, 2013, pp.28-37.

17 L’Apur est actuellement engagé dans l’élaboration du PLU bioclimatique de la ville de Paris, dont la finalisation est estimée à environ une décennie après la publication de l’article d’André-Marie Bourlon.

18 Ce travail a été réalisé dans le cadre du programme de coopération européen POLIS destiné à promouvoir la prise en compte des apports énergétiques solaires dans la planification urbaine.

19 Dominique Alba [dir], Paris Projet #41/42 – Ville visible ressources cachées, Apur, 2013, pp.32-33.

20 https://capgeo.sig.paris.fr/Apps/CadastreSolaire

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Plan de Central Park Taichung, Taiwan - relation entre direction du vent et disposition des arbres L'image de gauche est une simulation de la vitesse du vent du nord à travers le parc dans le scénario de la construction du futur quartier en accord avec le plan d'urbanisme valide. L'image centrale représente les variations de température dans le parc induites par le vent. L'image de droite indique les zones de plantation de groupes d'arbres choisis pour l'ombre dense de leurs canopées : la double action du vent et de l'ombre génère des zones au microclimat propice pour se réfugier de la chaleur tropicale de la ville. Localement, des grands brumisateurs complètent le dispositif, contribuant a la sensation de fraîcheur à l'aide de l'eau froide. Ces aires de fraicheur sont complémentaires aux zones plus chaudes et ensoleillées disposées à travers le parc.

Source : Conférence de Philippe Rahm pour le DSA EAVT Paris-Est, 17.12.2021

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L’urbanisme climatique « high tech » de Philippe Rahm Dans la catégorie des concepteurs qui font travailler les dynamiques naturelles au service de leurs projets, un cas à part est représenté par l’architecte et urbaniste Philippe Rahm. La plupart des architectes et urbanistes, quand ils doivent assurer le confort hygrothermique des usagers d’un espace, procèdent à une forme d’uniformisation des ambiances (rendre plus frais les espaces prédisposés à la surchauffe et chauffer davantage ceux qui inclinent naturellement vers le froid). Les réflexes appris en écoles d’architecture vont dans ce sens : trouver des solutions spatiales pour ombrer les lieux très ensoleillés (des brisesoleils sur les façades, des arbres dans les rues…) ou réduire la sensation de froid dans les lieux moins ensoleillés (abris coupe-vent, matériaux isolants…). Les bureaux d’études thermiques proposent des solutions mécaniques pour compenser ce que les dispositifs architecturaux n’arrivent pas à atteindre en termes de neutralisation des ambiances.

Nous connaissons tous au moins un exemple d’aéroport, centre commercial ou autre grand équipement public dont la ventilation est exclusivement mécanique, où l’on ressent exactement la même ambiance hygrothermique devant une immense baie vitrée ensoleillée que dans les salles éloignées des façades, éclairées artificiellement.

Les projets de l’agence parisienne Philippe Rahm cherchent exactement le contraire, c’est-à-dire renforcer les tendances préexistantes au lieu de les atténuer, afin de créer des ambiances complémentaires. Cette approche originale est systématique dans les projets de l’agence, allant de l’aménagement intérieur d’un appartement aux plans de parcs et de quartiers entiers. Pour cela, tous les moyens technologiques disponibles sont envisagés.

Philippe Rahm justifie cette approche par l’urgence climatique, en défendant la nécessité de composer avec les dynamiques naturelles plutôt que de dépenser des quantités importantes d’énergie pour les contrecarrer : dans ses projets, l’utilisateur d’un espace a le choix entre plusieurs ambiances et a la liberté de se déplacer en fonction de ce qu’il a besoin de ressentir en termes de température ou d’humidité. Dans son « Histoire naturelle de l’architecture21 », l’architecte propose une vision de l’histoire du cadre bâti par le spectre du confort hygrothermique – selon lui, l’origine de l’architecture est la volonté de l’homme à se protéger de l’eau, de la surchauffe et du froid par la constitution d’un microclimat habitable. L’abri est perçu comme une enveloppe supplémentaire aux habits. En outre, il considère que l’explication culturelle conventionnelle (sociale, politique, religieuse…) de l’apparition de certaines formes et de l’usage de certains matériaux dans la construction n’est plus suffisante ; le livre prend la forme d’un parcours chronologique de l’histoire de l’architecture en avançant pour de nombreux aspects une explication alternative de leurs origines, avec un point de vue axé sur « la nature homéotherme de l’homme ». Il reproche à la ville moderne et postmoderne l’abandon des solutions passives en accord avec le climat local, remplacées par l’abondance des dispositifs énergiphages, avec comme conséquence une contribution majeure au dérèglement climatique. Désormais, à l’échelle urbaine, il devient obligatoire de limiter 21 Pavillon de l’Arsenal, visite guidée de l’exposition « Histoire naturelle de l’architecture » avec Philippe Rahm, commissaire scientifique et David Abittan, URL https://www.pavillon-arsenal.com/fr/arsenal-tv/ expositions/histoire-naturelle-de-larchitecture/11915-visite-guidee-en-video.html

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Plan du rez-de-chaussée de la Maison de la Radio et de la Musique à Paris, avec l’agora (partie concernée par le projet lauréat porté par Philippe Rahm architectes) en noir.

Source : atelier-fcs.com

Perspective du café de l’agora. Le bois et la laine, matériaux à basse effusivité, sont utilisés dans les parties les plus ensoleillées de l’espace aménagé.

Source : atelier-fcs.com

Modélisation du taux annuel moyen d’ensoleillement de l’agora de la Maison de la Radio (du bleu foncé - toujours ombré, au rouge - toujours ensoleillé).

Source : Conférence de Philippe Rahm pour le DSA EAVT ParisEst, 17.12.2021

Plan de répartition des matériaux du projet en fonction de leur effusivité (bleu - très haute effusivité, rouge - très basse effusivité). Les zones bleues suivent l’ombre, tandis que le rouge se superpose aux zones plus ensoleillées.

Source : Conférence de Philippe Rahm pour le DSA EAVT ParisEst, 17.12.2021

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les îlots de chaleur, gérer le surplus d’eau lors des inondations, réduire la pollution de particules fines (PM 2.5) et de préserver la biodiversité. Autre que la perspective et les alignements, les urbanistes doivent dorénavant planifier avec le vent, l’eau et la végétation. L’albédo, l’effusivité et l’émissivité sont des valeurs matérielles aussi importantes que la couleur ou la texture. La convection et l’évaporation sont des principes de composition autant que la symétrie et l’alignement22.

Afin de transposer la théorie dans les projets, l’agence Philippe Rahm s’appuie systématiquement sur des modélisations des dynamiques naturelles agissant sur chaque site étudié : sans les logiciels de simulation de phénomènes géoréférencées et en interaction avec une topographie réelle et une modélisation 3D du tissu urbain existant, cette démarche conceptuelle serait approximative et relèverait plutôt du discours que d’une réelle stratégie. Pour cela, nous considérons que les projets urbains de Philippe Rahm sont évocateurs de comment l’intégration en SIG des dynamiques naturelles peut activement contribuer à une démarche conceptuelle originale.

Actuellement, le projet le plus vaste de l’agence est Central Park Taichung au Taïwan (avec Catherine Mosbach paysagiste et Ricky Liu architecte), pièce principale d’une vaste opération de renouvellement urbain sur le site d’un ancien aéroport. En partant du constat que les parcs, naturellement soumis aux caprices du temps, sont aujourd’hui concurrencés par les centres commerciaux qui offrent aux promeneurs des rues et places intérieures climatisées, l’équipe a conçu un parc composé d’une série de séquences générant chacune un microclimat. Ces microclimats se jouxtent et se superposent partiellement, offrant aux usagers du parc un éventail d’atmosphères distinctes pour leurs activités récréatives. Par exemple, les jeux pour enfants sont situés dans les endroits les moins polluées et les plus calmes ; les lieux de loisirs et détente dans les parties fraîches, tandis que les aires de sport occupent les zones ouvertes et dégagées. Une application pour smartphone dédiée aux usagers du parc montre en temps réel la « météo » de chaque secteur.

La disposition spatiale de ces aires au microclimat spécifique découle principalement du raisonnement conformément auquel il faut accentuer les potentialités préexistantes : Central Park Taichung est occupé par de nombreux dispositifs techniques (appelés climatic devices) qui rafraîchissent, dépolluent et déshumidifient l’air (tous fonctionnant à base d’énergie captée par panneaux photovoltaïques couvrant bâtiments, jardins et parkings dans le parc). Pour déterminer les limites optimales de ces aires, les concepteurs se sont basés sur l’analyse des modèles de simulation des vents (avec prise en compte des futurs volumes bâtis autours du parc, afin de renforcer les endroits avec plus de vent en plantant des arbres avec feuillage dense), des courants d’air qui emportent les particules fines depuis les grandes routes autour du parc (pour placer des espèces

22 Philippe François Rahm, vidéoconférence soutenue le 17 décembre 2020 pour le DSA d’ArchitecteUrbaniste de l’EAVT Paris-Est dans le cadre de la semaine thématique « Paysage, territoire, environnement » animée par Sébastien Marot.

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Simulation du taux moyen d’intensité lumineuse (éclairage naturel uniquement), entre Juillet et Septembre, à l’intérieur de la halle dite Mécanique Générale de la Fondation LUMA à Arles : de 0 lux (bleu) à 200 lux (jaune).

Source : Conférence de Philippe Rahm pour le DSA EAVT ParisEst, 17.12.2021

Répartition spatiale des ambiances projetées pour l’exposition de photographie (chaque ambiance correspondant à un type de climat) en fonction de l’intensité lumineuse. Philippe Rahm dispose des matériaux clairs et réfléchissants dans les lieux lumineux et rend les surfaces sombres et mates là où l’ombre est la plus profonde.

Source : Conférence de Philippe Rahm pour le DSA EAVT ParisEst, 17.12.2021

Photo de l’exposition de photographie Systematically open? à la Fondation LUMA, illustrant le concept scenographique Luminance de Philippe Rahm architectes.

Source : Conférence de Philippe Rahm pour le DSA EAVT Paris-Est, 17.12.2021

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d’arbres dont le feuillage fixe la poussière), du bruit (pour les barrières végétales de protection acoustique) et enfin de l’hydrographie : la gestion des eaux pluviales du futur quartier est assurée par les bassins de rétention du parc.

Ce projet combine des solutions passives et actives de gestion et de transformation des dynamiques naturelles, dans un ensemble finement étudié et qui dénote une approche pédagogique de transformation d’un site. Il peut aussi être encadré dans la série des grands parcs construits sur friche et qui n’évoquent rien de l’histoire du site ; cependant, le prix de vente du foncier voisinant le parc est perçu comme une appréciation du projet, renforçant la validité de cette démarche de projet guidé par l’analyse fine et la mise en valeur des dynamiques naturelles. L’agence Philippe Rahm a appliqué des solutions similaires dans d’autres projets comme les parcs Farini et San Cristoforo à Milan (en partenariat avec OMA), le parc sur l’ancien port de Basra en Irak, ou le parc Tuchkov Buyan à Saint Saint-Pétersbourg. La principale crainte de l’architecte concernant le parc de Taichung, finalisé en 2016, reste la dégradation dans le temps : la trop grande complexité technique du parc, ainsi que l’entretien des éléments naturels actifs (par exemple des dispositifs de traitement des eaux par phytorémédiation) risque de poser problème aux gérants du parc, insuffisamment formés dans ce sens.

Les dynamiques naturelles à l’échelle du bâti : une approche littérale de l’architecture bioclimatique ?

Dans ses projets architecturaux, tout comme dans ses projets urbains, Philippe Rahm cherche à exacerber les variations de température et de luminosité dans les espaces intérieurs : stratégie surprenante, dans un contexte où de nombreux architectes cherchent au contraire à mettre en place des dispositifs coûteux dans le but d’uniformiser les ambiances et le microclimat intérieur. Même à l’échelle d’un petit appartement, la variation thermique du sol au plafond a inspiré l’architecte à placer les meubles et les installations à des hauteurs différentes, adaptées à chaque usage : cela entraînerait une réduction de l’énergie consommée pour le chauffage ou la climatisation.

Le projet d’aménagement de « l’Agora » de la Maison de la Radio et de la Musique à Paris (avec Nicolas Dorval Bory Architectes), gagné par concours en 2017, est conceptuellement basé sur l’effusivité. Le choix et la disposition des matériaux du projet de cet espace public avec librairie et café dans la cour de la Maison de la Radio est fait en fonction de leurs propriétés thermiques : le bois et la laine, matériaux à basse effusivité, sont utilisés dans les parties les plus ensoleillées, tandis que le granit et le métal, à haute effusivité, caractérisent les espaces plus sombres. Comme dans le projet du parc, l’enjeu est d’accentuer des atmosphères naturellement présentes. Le plan de répartition des matériaux est directement inspiré du plan issu de la modélisation du taux moyen d’ensoleillement, les isolignes devenant les limites physiques entre matériaux.

Le concept scénographique « Luminance », appliqué à la halle dite Mécanique Générale de la Fondation LUMA à Arles en 2016, repose en revanche sur le phénomène de radiation. En contraste avec les aménagements scénographiques neutres, souvent

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entièrement blancs, « Luminance » crée des ambiances lumineuses contrastées, toujours sur le principe de l’intensification des qualités existantes (dont le but est l’économie d’énergie pour l’éclairage artificiel). Sur la base du plan du taux moyen d’intensité lumineuse à l’intérieur de la halle, des isolignes délimitent des zones d’ambiance homogène, caractérisant des « types de climat ». Pour chaque zone existe un traitement du sol spécifique : très blanc et réfléchissant là où l’on veut de la lumière jusqu’à très sombre et opaque pour assurer l’obscurité. La gradation du dispositif crée une diversité d’atmosphères dans l’espace, y compris des variations de température (chaud dans les zones les plus claires, comme dans une clairière, et atmosphère fraiche, de milieu de forêt, dans les zones sombres).

Cette transposition littérale des phénomènes naturels dans les formes du projet architectural et urbain ne signifie pas un manque d’originalité. Elle montre cependant, dans la pratique de cette agence, une volonté de s’appuyer davantage sur des données précises et moins sur des intuitions, même si de nombreux projets affichant une volonté bioclimatique, réalisés par des architectes, urbanistes et paysagistes au XXe siècle principalement sur des bases empiriques, sont toujours aussi pertinents. Il est possible que le remplacement de l’intuition du concepteur par un arsenal d’outils informatiques capables de modéliser finement des dynamiques naturelles traduise à la fois des exigences plus élevées de la part des commanditaires23 et la condition d’une concurrence globalisée. De plus en plus d’agences développent une pratique internationale et les concepteurs ne peuvent pas avoir une fine connaissance et expérience de territoires qu’ils n’ont jamais visité. L’information factuelle permet de compenser la méconnaissance des lieux et protège contre la prolifération de projets excessivement génériques.

Un nouveau partenaire de la maîtrise d’œuvre : le bureau d’études environnement Nous avons exposé comment le passage du dessin précis et spatialement référencé du cadre naturel statique à celui des phénomènes naturels évolutifs a induit des nouvelles réflexions à toutes les échelles de projet. Cependant, actuellement la plupart des agences d’architecture, urbanisme ou paysage ne disposent pas en interne des compétences nécessaires à une fine analyse de l’ensemble des phénomènes naturels : fait compréhensible, car les formations universitaires portent surtout sur l’acquisition des compétences spécifiques à chaque profession et moins sur des connaissances transdisciplinaires. Il faut également rappeler que les préoccupations environnementales sont de date relativement récente et leur intégration dans les formations des concepteurs (surtout architectes) se fait de manière progressive. Nous avons également mentionné les nouvelles exigences des maîtrises d’ouvrages, surtout publiques, concernant la relation des projets à l’environnement et au confort des usagers. La tendance reste cependant l’externalisation des parties de mission qui échappent à la maîtrise du concepteur mandataire : à l’image des bureaux d’études structure et thermique, suivis par les bureaux d’études acoustique et éclairage, les dernières décennies ont vu le développement des bureaux d’études environnement.

23 Voir p.31.

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Les bureaux d’études environnement, de tailles très diverses en France – comme les agences d’architecture, urbanisme ou paysage d’ailleurs – accomplissent plusieurs missions auprès de la maîtrise d’ouvrage (assistance, conseil, programmation) ou au sein de la maîtrise d’œuvre (participation à la conception, accompagnement du projet, suivi de chantier et de fonctionnement, aide au commissionnement, animation d’ateliers, certification). Ils sont polyvalents ou spécialisés dans des domaines spécifiques (comme l’hydrologie urbaine, l’écologie ou le réemploi), dans ce dernier cas formant des partenariats, renouvelés pour chaque projet, avec des spécialistes dans des domaines complémentaires. En parallèle, les bureaux d’études environnement peuvent également s’investir dans la recherche et le développement ou dans la diffusion des savoirs afin de contribuer à la prise de conscience environnementale24.

Les outils de travail actuels des bureaux d’études environnement sont en grande mesure des logiciels, polyvalents ou spécialisés de simulation des dynamiques naturelles. Sans les citer, car ils sont nombreux, ils permettent d’effectuer des études aérauliques, solaires, acoustiques, d’éclairage, de qualité de l’air, etc. ou des calculs spécifiés par les réglementations thermiques et environnementales en vigueur en France. Les nombreuses simulations servent de base d’analyse et permettent d’évaluer la pertinence des solutions proposées par les concepteurs, qui seront validées, redimensionnées/ reconfigurées ou abandonnées selon le cas.

Habituellement, les concepteurs mandataires des projets ou les maîtres d’ouvrage ayant fait appel à l’expertise d’un bureau d’études environnement ne détiennent pas l’ensemble de ces outils : il revient donc au bureau d’études de synthétiser ses observations dans un format partageable et manipulable par ses partenaires. Souvent, il s’agit d’un dossier de pièces écrites et graphiques, mais le développement du BIM en architecture crée l’opportunité d’intégrer des informations élaborées dans un logiciel vers un autre, facilitant l’appropriation des données tout en encourageant le dialogue entre acteurs du projet. En revanche, à l’échelle des projets urbains et territoriaux, les logiciels de SIG servent de plateforme d’échange entre bureaux d’études, maîtres d’œuvre et commanditaires.

Nous avons exposé, dans cette deuxième partie, comment une analyse objective et fine des dynamiques naturelles peut produire des nouvelles réflexions et façons d’aborder le projet. L’usage des SIG par les concepteurs se multiplient, par propre initiative ou par nécessité dans le contexte de l’apparition de nouvelles attentes en matière de gestion de l’environnement de la part des commanditaires et de nouveaux spécialistes partenaires de projet. Pourtant, cette prise en mains des SIG par les concepteurs est de nature à créer des inquiétudes dans la profession. La troisième partie de cette étude est dédiée au débat sur l’influence, positive ou négative, des SIG sur l’organisation et la conception des architectes, urbanistes et paysagistes.

24 Florian Dupont, vidéoconférence soutenue le 2 avril 2020 pour le DSA d’Architecte-Urbaniste de l’EAVT Paris-Est dans le cadre de la semaine thématique « Ecologie urbaine » animée par Thibault Barbier.

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III. Limites et opportunités des SIG pour les concepteurs

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III. Limites et opportunités du SIG pour les concepteurs 1. L’abandon du dessin (et de tout ce que cela implique) ?

SIG vs dessin : le combat qui n’a pas lieu Le paysagiste, enseignant et chercheur français Denis Delbaere a publié en 2013 une critique du projet de paysage « sans le dessin » et exclusivement basé sur le traitement informatique des données brutes, sans filtre critique1. Son propos oppose le dessin « traditionnel » à l’usage du SIG dans les projets de paysage.

Prenant la forme d’un manifeste fictif publié dans une revue internationale prestigieuse du futur, le texte se présente comme une critique acerbe de l’enseignement du paysage « à la française ». L’auteur, qui prend le rôle d’un paysagiste célèbre de la seconde moitié du XXIe siècle et le ton catégorique rappelant un jeune Le Corbusier, s’attaque principalement aux enseignements de Michel Corajoud, en démontant les leçons de sa « Lettre aux étudiants2 », considérées comme ringardes à l’âge du SIG et de la donnée cartographique digitalisée et disponible pour tous. En revanche, l’auteur satirique encourage une nouvelle façon de faire le projet de paysage, exclusivement avec les outils informatiques. S’agissant d’un faux manifeste, il apparait clair que l’intention réelle est de démontrer le ridicule d’une telle approche : Denis Delbaere joue le rôle de l’avocat du diable afin d’illustrer une vision de la profession dans le cas de l’abandon des règles de l’art traditionnelles.

Si on veut synthétiser les principales critiques apportées par Denis Delbaere au recours excessif aux outils informatiques dans la conception, il faut interpréter cette satire en retenant l’inverse de ce qui est écrit. Essentiellement, il défend l’idée que le remplacement, au début de tous les projets, de l’étape du dessin couche par couche des caractéristiques du site, par l’extraction brute des couches SIG (ou pire, par une ortophoto de type Google Earth), ne permet pas au concepteur d’appréhender réellement la spécificité du lieu, ni de se former un regard critique sur le territoire en question. Autrement dit, l’analyse superficielle du site, même si très précisément et exhaustivement documentée, ne peut 1

Denis Delbaere, « Le paysage sans le dessin ! » in Les carnets du paysage, no 24/2013, pp.65-77.

2

Michel Corajoud, « Le projet de paysage : lettre aux étudiants » in Jean Luc Brisson [dir.], Le jardinier, l’artiste et l’ingénieur, collection jardins et paysages, Éditions de l’Imprimeur, 2000, pp.37-50.

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pas produire une carte problématisée. En outre, l’automatisation de la production des fonds de plan et l’élaboration abstraite d’un projet « collé » sur le site ne peut avoir autre résultat qu’une intervention brutale et inadaptée au territoire. Ce genre de projet, qui évacue toute question de souci formel en plan ou en coupe, ne peut gagner des concours autrement qu’à l’aide des perspectives enrichies en Photoshop correspondant aux quelques points de vue « flatteurs » restants. Enfin, Delbaere critique l’abandon du travail avec des allers-retours entre plans, vues et coupes, respectivement entre des échelles différentes : le fait que dans les environnements de conception 3D on peut travailler à toutes les échelles et sortir toutes les vues possibles, il n’existe plus d’échelles, ni de vues de référence, et donc il devient difficile de structurer le projet, de discerner les problèmes de détails ou de principe.

Même si l’intention de l’auteur semble être de la ridiculiser, nous devons néanmoins accepter que cette façon de penser le projet, inconsciente ou au contraire, assumée par les concepteurs, est loin d’être marginale. Elle est majoritaire dans les pays où le développement économique est trop rapide pour accorder davantage de temps à la conception négociée avec le site : c’était le cas au XIXe siècle des villes américaines développées sur la grille jeffersonienne projetée sur le territoire en faisant abstraction de la topographie3 et c’est le cas de nombreux pays asiatiques4 et africains aujourd’hui.

D’ailleurs, l’utilisation des outils informatiques n’est pas à l’origine de cette manière de faire du projet – elle l’a seulement accélérée. Dans une vision pragmatique, l’efficacité de la démarche présentée est incontestable. Reste à savoir où s’arrêter dans l’automatisation et la standardisation des réponses et surtout comment placer les outils informatiques à leur juste place, c’est-à-dire au service du projet et non pas comme déterminants du projet.

Le SIG : un outil, pas une solution Contrairement au propos catégorique et relativement provocateur de Denis Delbaere, d’autres spécialistes ne voient pas d’antithèse entre le dessin traditionnel des cartes et l’usage des SIG. Le géodésien et géomaticien franco-suisse Michel Kasser considère que l’importance de la sélection, du tri des données et le travail sur les choix de représentation reste tout aussi essentiel dans la production digitalisée des cartes. Voici ce que l’ancien directeur de l’ENSG écrivait en 2011 à propos de l’avènement des SIG : « Mais paradoxalement, tout ceci n’a pas changé grand-chose pour le cartographe. Certes celui-ci bénéficie d’un accès très facile à des montagnes d’informations, et il a dû devenir un virtuose de l’extraction de données pertinentes. Mais, en dernier lieu, il doit toujours

3

Florence Lipsky, San Francisco. La grille sur les collines, Parenthèses, 1999.

4

Voir l’exemple de Singapour dans Rem Koolhaas, « Singapour Songlines. Portrait d’une métropole Potemkine… ou trente ans de tabula rasa » in Études sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, Manuels Payot, 2017.

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développer, à côté de son expertise technique, tout son sens graphique et même artistique pour rendre facile à comprendre les données acquises. S’il est devenu très facile de faire une mauvaise carte, il est toujours aussi délicat d’en faire une bonne5… » Cauvin, Escobar et Serradj, dès les premières pages de leur traité « Cartographie Thématique », défendent aussi l’obligation de sélectionner les informations à représenter et d’élaborer un graphisme efficace et élégant afin de produire des documents pertinents : « On vit dans un monde, dans une société de cartes. Mais, pour autant, l’utilisation correcte d’une carte, sa fabrication, ses possibilités sont-elles connues ? [Dans les médias on trouve] aussi bien des cartes très soignées, très complexes, mais illisibles, que des documents très schématisés aux traits grossiers et inexacts, partiellement attractifs mais désinformateurs. […] Face à cette prolifération de cartes, à l’abondance, aux dangers et à la diversité des possibilités techniques, il est urgent d’effectuer un tri pour se frayer un chemin pertinent, afin de replacer la cartographie dans un cadre plus strict, plus rigoureux pour aboutir à la production d’un document fiable. […] La multiplication des programmes informatiques de cartographie ou des systèmes d’information géographique demande une mise en cohérence des outils et une identification de leur réelle qualité innovante6. » Cependant, la paysagiste française Sonia Keravel, auteure d’une analyse des différentes stratégies de conception paysagère en fonction de la réception des projets par les usagers, s’appuie sur les préceptes de Michel Corajoud : « Dessiner un territoire oblige à faire des choix, à extraire l’essentiel, à hiérarchiser, car on ne peut pas tout représenter. A travers le cadrage et la sélection des éléments surgissent une prise de position et des décisions intuitives, car la description paysagiste est très empirique, elle se fait par allers-retours incessants entre pratique et pensée. En dessinant, en cartographiant, la main sélectionne, extrait des éléments, elle ordonnance intuitivement et nourrit ainsi la pensée qui, à son tour, impulse un nouveau dessin7. » Même si, dans ce cas, elle se réfère à la manière traditionnelle de faire le projet de paysage, le propos semble tout à fait applicable à la conception à l’aide des logiciels de SIG, qu’il s’agisse de projets de paysage, d’urbanisme ou d’architecture. Nous ne nions pas que les programmes en question n’incitent pas autant le concepteur de faire des choix intuitifs, mais ils ne l’empêchent surtout pas de le faire8. Selon nous, la crainte de Delbaere, que le recours exclusif aux logiciels dans la conception condamne à l’oubli les précieuses leçons de Corajoud, n’est pas justifiée.

Le travail empirique ne disparaît pas à cause de l’usage des logiciels, de même que 5

Michel Kasser in Bernard Lortic, Dominique Couret, Manuel de cartographie rapide de l’échelle de la région à celle du mobilier urbain, Institut de recherche pour le développement, 2011, p.7.

6

Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Cartographie thématique 1 – une nouvelle démarche, Lavoisier, 2007, pp.23-29.

7

Sonia Keravel, Passeurs de paysage. Le projet de paysage comme art relationnel, MetisPresses, 2015, p.17.

8

Lors du passage du dessin du territoire à la main à la production du plan en SIG s’opère un renversement de méthode. Le dessin manuel se base sur un raisonnement « additif » (partir de la feuille blanche et sélectionner les éléments à retenir), tandis que la réalisation d’un plan problématisé en SIG suppose une logique « soustractive » (en partant d’une représentation exhaustive, choisir les éléments à supprimer de l’image afin d’arriver à l’essentiel).

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Google Maps

Yandex Maps

Stamen watercolor map

Trois plateformes de cartes en libre accès sur internet, dont une caractéristique commune est l’adaptation automatique du graphisme et du niveau de détail en fonction de l’échelle d’affichage à l’écran. Ces extraits illustrent comment en passant de l’échelle de la France métropolitaine à celle de Paris, puis à celle de l’Île de la Cité, les renseignements et le détail se précisent sur chaque carte.

A noter que la carte en couleurs aquarelle de l’agence Stamen, contrairement aux cartes Google et Yandex à but essentiellement utilitaire, a été conçue plutôt comme un exercice de design : elle est incluse depuis le 18 mai dernier de la collection de design Cooper Hewitt du Smithsonian.

Sources : Google maps ; Yandex maps ; maps.stamen.com/watercolor 72

l’abondance de données ne fait pas le projet, le choix subjectif restant une constante de toute démarche de conception et la hiérarchisation des informations graphiques, une nécessité.

Le zoom infini et le dessin sans échelle ?

Dans son article « contre le dessin », Denis Delbaere explique que la conséquence de l’espace de travail digital vectoriel caractéristique des logiciels de DAO et de SIG – plus précisément de son corollaire qui est la capacité de zoomer entre l’infiniment petit et l’infiniment grand – serait l’annulation des notions d’ensemble et de détail et donc l’incapacité d’établir dans cet espace « trop ouvert » un système formel pour le projet9.

En effet, ceci n’est vrai que lorsque la question d’échelle de représentation finale des livrables (plans, cartes, sur papier ou à l’écran) ne se pose pas préalablement et le résultat subie les conséquences du manque de prise de décision.

Dans la pratique, l’échelle de représentation est choisie en fonction du livrable que les usagers des plans et cartes nécessiteront, car elle permet à la fois d’établir très tôt les conventions graphiques (légende, épaisseurs et styles de traits, styles d’aplats, gammes chromatiques, etc.), le choix des éléments à représenter et aussi le niveau de précision du dessin (pour éviter la perte de temps que constitue le dessin d’éléments trop petits et donc invisibles à l’échelle de sortie retenue). De la même manière que les architectes doivent savoir quoi et comment représenter dans un détail de façade et dans un plan masse, les urbanistes, paysagistes et cartographes, utilisant des logiciels de SIG ou pas, doivent s’établir des conventions graphiques différentes entre un plan échelle 1/5000e et une autre échelle 1/50000e par exemple. De plus, en ce qui concerne les cartes digitales interactives, conçues pour une consultation sur écran et laissant à l’usager le choix de l’échelle, le problème se pose exactement pareil, avec mention que le changement de style de représentation s’opère automatiquement selon des instructions préétablies.

Les concepteurs des cartes définissent des intervalles correspondants chacun à un code graphique et un niveau de précision : dès que l’usager quitte la fourchette de départ, la carte se régénère avec des préréglages différents. La fiabilité actuelle des cartes en ligne de type Google Maps est le résultat d’années de perfectionnement et s’appuie sur les recherches de scientifiques de domaines diverses (informaticiens, mathématiciens, cartographes, géomaticiens, etc.).

L’influence de l’échelle et de la précision des données sur le raffinement de la représentation Nous constatons que l’échelle d’affichage d’une carte numérique détermine la précision avec laquelle les objets seront rendus graphiquement, de la même manière que l’échelle retenue détermine le dessin d’une carte traditionnelle. La principale différence réside dans ce cas dans l’automatisation possible des transformations morphologiques des objets lors du changement de l’échelle d’affichage : en zoomant dans la carte digitale, les contours se précisent (les polygones et polylignes présentent plus de segments 9

Denis Delbaere, Op. cit., p.74.

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distincts), des objets trop petits pour l’échelle précédente apparaissent sur la carte, voire des agglomérations d’objets se séparent en entités plus petites, etc. A l’inverse, en dézoomant la géométrie se simplifie, les objets trop petits disparaissent ou sont regroupés afin d’en créer des agrégations représentables10. En outre, le recours aux logiciels facilite substantiellement la réalisation de cartes au dessin très fin ; il s’agirait ainsi de la continuation d’une démarche qui remonte à la renaissance – le raffinement de la représentation cartographique.

Il existe cependant une limite importante pour les cartes produites avec l’aide des SIG que Bernard Lortic rappelle dans son manuel de cartographie : l’échelle de représentation des objets constitutifs de la carte doit être choisie en fonction de la précision des données accessibles. Les logiciels de SIG ne permettent pas « l’embellissement » manuel par l’ajout d’informations approximatives qui renforceraient visuellement la véridicité de la carte.

C’est d’ailleurs l’abandon de cette pratique d’origine artistique qui rend, selon certains, les cartes digitales plus pauvres visuellement que les cartes dessinées manuellement, sur papier ou à l’ordinateur. Il en résulte que l’échelle d’une carte produite à l’aide des SIG dépend de la quantité et la qualité des données que nous pouvons mobiliser et ce choix est souvent difficile, car souvent l’information disponible n’est pas homogène du point de vue de sa précision11. Par exemple, nous avons accès à un calque du bâti d’une précision adaptée pour l’échelle 1/500e, mais ne disposons pas du calque des arbres ponctuels. Nous avons en revanche un raster de végétation exploitable à des échelles au-delà du 1/10000e. Si nous voulons représenter sur notre carte à la fois le bâti et la végétation, nous sommes contraints d’exporter à l’échelle du 1/10000e, même si certaines constructions très petites ne seront plus visibles.

Philippe Thébaud va plus loin en intégrant aussi la dimension conceptuelle et la communication parmi les facteurs qui influencent le choix de l’échelle des cartes ; selon lui, il est nécessaire de calibrer les exigences en fonction de l’usage que l’on fait du document : « Le niveau de détail choisi doit être en cohérence avec la précision de la donnée, l’état d’avancement d’un projet d’aménagement et le contexte de communication.

La démarche peut être progressive et accompagner l’évolution d’un territoire […] en augmentant le niveau de détail et le réalisme dans le cas de projets plus avancés et au fur et à mesure des besoins : les capacités d’abstraction de l’observateur lui permettent de comprendre immédiatement qu’on a transcrit en détail ce dont on est sûr12 ! ». Ces observations sont cependant valables à la fois pour la cartographie traditionnelle et celle numérique, relevant du processus de conception.

10 Bernard Lortic, Op. cit., p.19.

11 Idem, p.20.

12 Philippe Thébaud, Op. cit., p.10.

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Pas d’outil miraculeux Nous avons tenté de nuancer le propos de Denis Delbaere en présentant des arguments en faveur d’un usage mesuré et critique des logiciels de dessin, conception et surtout de SIG. Comme tous les logiciels, des plus rudimentaires aux plus sophistiqués, ils constituent des outils conçus pour perfectionner ou faciliter le travail de ceux qui apprennent à s’en servir. Les SIG sont aujourd’hui utilisés par de nombreuses professions agissant dans l’aménagement du territoire et sont adoptés, voire adaptés par des disciplines nouvelles.

Les concepteurs urbanistes, architectes et paysagistes n’abandonnent pas les principes appris lors de leur formation au projet par le dessin traditionnel. Les relations entre le niveau de définition du projet, l’échelle de représentation, le langage graphique, le niveau de détail, l’usage que l’on fait de l’image et la disponibilité des informations restent en essence inchangées. De même que le passage au numérique implique pour le concepteur autant des avantages (notamment en termes de rapidité et de précision) que des inconvénients (obligation à une rigueur contraignante, perte de flexibilité…).

Enfin, en ce qui concerne la perte de la capacité d’appréhender le site d’un projet à cause de l’abandon de l’étape du dessin manuel, nous rappelons que la réalisation d’un plan en SIG demande aussi à faire de très nombreux choix et allers-retours (y compris en passant par des logiciels de CAO, DAO ou de graphisme, voire par l'esquisse à la main si besoin) jusqu’à arriver à des plans problématisés, des plans qui « parlent » du projet13.

Des mauvais projets, sans rapport au site (voire en contradiction avec leur site), dysfonctionnels et simplement pas réussis existaient bien avant que les concepteurs s’emparent des logiciels informatiques. Ce n’est pas que l’outil qui détermine la qualité de l’œuvre ; c’est surtout celui qui manipule l’outil qui saura s’en servir au mieux pour réaliser son projet.

2. Nouvelles et anciennes possibilités, un choix ouvert aux concepteurs Nouveaux outils, nouvelle organisation du travail. Parallèles entre BIM et SIG Il nous semble intéressant de faire un rapprochement entre l’usage des SIG en agences d’urbanisme et de paysage et l’usage du BIM en agences d’architecture. En comparant ces deux phénomènes, nous découvrons quelques similitudes en qui concerne leur rapport à l’organisation du travail : une réticence encore présente chez certains concepteurs qui hésitent à adopter le nouvel outil ; une période relativement longue de cohabitation des outils anciens et nouveaux due à leur lente acceptation par l’ensemble 13 Comme précisé dans la note de bas de page no 7, il s’opère un changement de raisonnement entre le dessin traditionnel et celui en SIG dont le concepteur doit avoir conscience. En outre, c'est dans son intérêt d'utiliser les méthodes et logiciels les plus adaptés dans son processus de travail, n’étant pas limité à l'usage exclusif des SIG.

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des concepteurs ; une prise en mains plus rapide par des grandes et très grandes agences et plus lente par des entreprise petites et moyennes ; enfin, une certaine reconfiguration de la distribution des rôles au sein de l’agence comme conséquence de l’adoption du nouvel outil.

L’experte en numérique, chercheuse et enseignante Aurélie de Boissieu, de formation architecte, analyse dans un article récent la transformation de l’organisation interne des agences d’architecture suite à l’introduction des outils BIM, en s’appuyant sur des cas concrets en France et au Royaume-Uni. En partant du constat que l’emploi de nouveaux outils numériques dans les agences est soutenu par des individus ou groupes aux rôles et fonctions diverses, elle propose un système de classement de ces personnes afin de dresser des catégories et des scénarios récurrents d’adoption du BIM par les architectes.

Parmi les constats de l’auteure, nous présentons ceux qui nous ont retenu l’attention par rapport au sujet qui nous intéresse.

Les agences de plus grande taille ont tendance à regrouper les spécialistes du BIM au sein d’un pôle dédié, qui collabore avec l’ensemble des équipes de projet. Dans certains pays comme la France, le métier de coordinateur BIM jouit d’une reconnaissance officielle. En plus d’avoir la responsabilité de la gestion de projet BIM, ce pôle contribue également à la formation du personnel de l’agence et lui met à disposition des outils, méthodes, bibliothèques d’objets, gabarits et autres documents afin de faciliter et améliorer la conception14. Cependant, l’auteure indique la possibilité que les rôles dédiés au BIM disparaissent lorsque l’agence dans son ensemble atteint un niveau de compétence suffisant : le rôle de BIM manager seraient donc transitoire, à l’image de celui de CAD manager. Il est cependant peu probable que cette projection se concrétise au court terme, sachant que la majorité des agences ayant un haut niveau de maturité BIM ne songent pas actuellement renoncer à ce pôle15.

L’introduction du BIM en agences s’opère de façons diverses. Elle peut être imposée par les dirigeants, qui choisissent entre le financement de la formation des équipes de projet (suivi du recrutement de nouvelles personnes déjà formées) ou la création d’un pôle dédié. Elle peut aussi s’opérer de manière « sauvage » par des employés ayant la volonté d’augmenter leur productivité et qui essayent de convaincre leurs collègues de les suivre dans cette démarche, ou au moins les aider ponctuellement. Dans ce cas de figure, la direction peut soit reconnaitre, officialiser et pérenniser le rôle de ces employés, soit les laisser continuer d’agir sur leur propre investissement en temps et énergie, au risque de perdre leur apport dès qu’ils quittent l’agence16.

14 Aurélie de Boissieu, « Super-utilisateurs ou super-spécialistes ? Cartographie des catalyseurs de la transformation numérique en agence d’architecture », in Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère, 9 octobre 2020, p.7.

15 Aurélie de Boissieu, Op. cit., p.8.

16 Idem, pp.8-11.

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Qu’il s’agisse de concentrer l’expertise BIM dans un pôle dédié ou d’assurer la présence du personnel compétent au sein de chaque équipe de projet, il est important pour l’entreprise d’accumuler l’expérience acquise et de la pérenniser afin de s’en servir dans les projets à venir. Si ces compétences ne sont pas partagées, l’agence risque de les perdre au gré des mouvements de personnel. En outre, dans la perspective du recours au BIM toujours plus fréquent suite aux demandes des maîtrises d’ouvrage et des institutions publiques17, la sous-traitance des missions BIM risque de devenir moins rentable au long terme que l’investissement dans les logiciels et la formation du personnel.

En conclusion de son article, Aurélie de Boissieu attire l’attention sur la nécessité de pouvoir s’adapter et la résilience comme enjeux actuels du monde en général et des architectes en particulier. En constatant que les agences changent difficilement leur organisation et leur mode opératoire, elle défend l’usage du BIM et son enseignement en écoles : il serait donc crucial « d’amener les architectes et futurs architectes à être acteurs et non victimes de ces changements ».

Théorisés et implémentés globalement à partir de la même époque (années 1970-80), le BIM et les SIG ont eu une évolution similaire (d’outils complexes et chers à des logiciels plus abordables, standardisés et faciles à utiliser) et ont marqué chacun la conception, à l’échelle architecturale et territoriale respectivement. Nous observons que les constats d’Aurélie de Boissieu pour le BIM peuvent être aisément extrapolés aux SIG. Les agences d’urbanisme de taille similaire à l’APUR emploient des géomaticiens (on pourrait dire des « SIG managers ») au sein d’un pôle dédié et qui ont des rôles comparables aux BIM managers en ce qui concerne la gestion et l’interface avec les équipes de projet.

Dans les agences plus petites, les logiciels de SIG pénètrent plus lentement, et leur maitrise est assurée par du personnel non-specialisé qui croit dans leur intérêt au regard de l’amélioration de la production. Les réticences existent aussi, avec des arguments similaires – une certaine perte de flexibilité et de liberté d’expression graphique. De plus, si le prix encore élevé des logiciels de BIM peut décourager certaines agences d’architecture, il en est pareil avec ceux de SIG pour les urbanistes (et même quand un logiciel gratuit est choisi, l’accès aux données nécessaires peut rester complexe). Enfin, dans un souci de précision et de compatibilité avec l’ensemble de leurs ressources, les institutions publiques demandent toujours plus que les informations figurant dans les plans produits soient géolocalisées. La conclusion d’Aurélie de Boissieu est donc parfaitement applicable aussi dans ce cas : pour les urbanistes, il est préférable de s’approprier l’utilisation de SIG plutôt que de le subir18.

17 Idem, p.12.

18 Actuellement, les maîtrises d’ouvrage demandant des rendus en BIM sont beaucoup plus fréquentes en France que celles qui sollicitent des restitutions en SIG, car la simple géolocalisation du projet est possible aussi avec certains logiciels de CAO. Cependant, les évolutions récentes indiquent une augmentation de demande des rendus en SIG, certains commanditaires ayant compris l’intérêt d’utiliser une plateforme commune pour tous les documents graphiques concernant les territoires à administrer.

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Vers une nouvelle étape de l’ère numérique ?

L’approche du demi-siècle d’histoire de l’usage d’outils informatiques dans la conception et l’aménagement, ainsi que les innombrables innovations récentes ou à venir, indiquent bien qu’il s’agit d’une « ère du numérique » et non pas d’une phase expérimentale passagère dans la profession. Ce constat est d’autant plus évident quand on prend en compte le recours déjà systématique aux outils informatiques dans tous les domaines de la vie. En ce qui concerne les concepteurs des bâtiments et des territoires, l’évolution récente de leurs outils est spectaculaire : tandis que les logiciels de dessin assisté par ordinateur, jusqu’à un temps pas si lointain, servaient principalement à produire de manière rapide et efficace la documentation papier pour les projets, les nouvelles générations de logiciels de conception assistée par ordinateur, alliant dessin tridimensionnel et information physique, servent à simuler avec haute précision les propriétés de projets virtuels et transposables en matière réelle – et encore il est connu que le BIM n’est actuellement pas utilisé à son potentiel en termes de plateforme commune de travail entre partenaires de projet. Aujourd’hui, le BIM et les SIG ont en commun l’attribution d’informations à des entités spatialement référencées, mais à des échelles de travail différentes. Leur rapprochement est un sujet de grand intérêt, aussi bien pour les maîtrises d’ouvrage que pour les maîtres d’œuvre. Ce rapprochement dans la pratique n’est pourtant pas dépourvu d’obstacles : informations non-harmonisées entre l’échelle de travail en BIM et celle en SIG, difficultés de conversion de format contenant de l’information entre BIM et SIG, et autres incompatibilités d’usage. Les fournisseurs de logiciels constituent aujourd’hui des partenariats afin de faciliter les échanges entre différentes plateformes de travail19.

Les possibilités créatives et techniques du parametric design, autre évolution récente, ont déjà été démontrées en architecture. Certains bâtiments des dernières trois décennies, à cause de leur complexité géométrique, n’auront pu être ni dessinés, ni construits avec l’arsenal habituel d’outils de DAO/CAO, et encore moins à l’époque des plans dessines à la main. Cependant, la conception paramétrique à l’échelle urbaine, pour laquelle un certain intérêt a pris forme au début des années 2010, reste encore aujourd’hui expérimentale, à cause des mêmes obstacles que pour le BIM : l’incompatibilité des formats de représentation des données d’un type de logiciel à un autre20.

Probablement l’évolution dont les concepteurs-utilisateurs des SIG ont bénéficié le plus est la digitalisation et la création de toujours plus de nouvelles données. Grâce à l’open data21, les architectes, urbanistes et paysagistes peuvent constituer, pour leurs projets, des fonds d’analyse rigoureux, précis et exhaustifs avec un gain de temps considérable, grâce aux organismes publics, parapublics ou privés mettant à la disposition de tous 19 Chris Andrews, GIS and BIM Integration Leads to Smart Communities, ESRI, 2018, URL https://www.esri. com/about/newsroom/arcuser/gis-and-bim-integration-leads-to-smart-communities/.

20 Patrick Janssen, Rudi Stouffs, Akshata Mohanty, Elvira Tan, Ruize Li, Parametric Modelling with GIS, 34e Conference eCAADe, Oulu, Finlande, 2016.

21 Voir page 37.

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des ensembles de données classées, uniformisées et mises à jour. De ce point de vue, l’engagement dans la démarche open data de l’Apur22 et de l’Institut Paris Région en région parisienne, mérite une diffusion accrue auprès des concepteurs.

Enfin, une dernière évolution que nous tenons à mentionner, et pas des moins polémiques, représente le tandem big data/intelligence artificielle. Le concept d’intelligence artificielle23 (AI) désigne une suite d’enchaînements et d’enchevêtrements de différentes méthodes algorithmiques. L’algorithmie classique est basée sur des moteurs de règles (appelés aussi « système expert »), qui répondent « oui » ou « non » à chaque étape et question du problème à résoudre ; un système expert « flou » est capable d’évaluer plus subtilement (si la réponse est plus ou moins « oui » ou « non »). En revanche, le fonctionnement de l’algorithmie apprenante (dite aussi machine learning) est globalement le suivant : le programmateur établit à la fois des catégories d’analyse et des critères selon lesquels l’algorithme va séparer, grouper et traiter l’information, respectivement des méthodes de reconnaissance optimisée de l’information par comparaison aux données déjà traitées. Le machine learning devient ainsi plus fiable au fur et à mesure qu’il traite de la donnée24. Enfin, l’algorithmie d’apprentissage profond (deep learning) utilise la technique des réseaux de neurones afin de pouvoir déterminer des catégories et solutions sans structuration préalable de la donnée, mais demande en revanche un volume beaucoup plus important d’informations à traiter afin de devenir fonctionnel : d’où l’enjeu de disposer de big data, informations collectées de sources nombreuses et diverses (bases de données, questionnaires, applications mobiles, statistiques d’utilisation des sites internet, objets connectés de type smart TV, véhicules…).

Les controverses concernant le big data et l’IA tiennent principalement de l’acquisition des données et de l’usage que l’on en fait. L’utilisation des données collectées par certains moteurs de recherche ou plateformes de réseaux sociaux afin de cibler les utilisateurs avec du contenu publicitaire personnalisé est déjà un fait connu et de facto accepté par une grande partie de la société. Toutefois, la prise de conscience du fait que les capacités d’acquisition involontaire des données personnelles, par des entités qui peuvent potentiellement s’en servir pour des causes mettant en péril la sécurité ou le bien-être des personnes, a généré un renforcement du cadre législatif dans de nombreux pays, ainsi qu’un mouvement de contestation de ces technologies.

22 Apur, « Jeux de données SIG, usages et Open Data », vidéoconférence soutenue le 29 septembre 2020 dans le cadre du cycle Apur’café, URL https://www.apur.org/fr/nos-travaux/apur-cafe-6-jeux-donneessig-usages-open-data.

23 Apur, « Enjeux et perspectives du Big Data et de l’intelligence artificielle dans les problématiques urbaines », vidéoconférence soutenue le 22 juin 2021 dans le cadre des Ateliers Big Data & IA. 24 Il existe de nombreux exemples de recours au machine learning au service de l’analyse et de la gestion territoriale et urbaine. Cette méthode a permis à l’Apur d’approximer le nombre et l’emplacement des pieds d’arbres dans la MGP à partir du raster de hauteur de végétation, mais aussi de cibler les constructions neuves apparues dans un intervalle donné, en comparant le plan du bâti avec une orthophotographie récente. L’entreprise Magellium a développé un outil similaire pour détecter les nouvelles constructions à Montpellier, afin de réduire considérablement les frais de photointerprétation.

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Dans la mesure permise par les lois françaises et européennes de protection des données personnelles, les opérateurs économiques aussi bien que les institutions publiques responsables de l’aménagement des territoires se servent de ces outils afin d’établir des statistiques de haute précision et constamment mises à jour. Quand elle ne collecte pas les données, la Ville de Paris les acquiert de la part de prestataires spécialisés25 dans le traitement du big data ; une partie de ces informations sont analysées et mises en forme cartographique par l’Apur, un exemple récent étant l’utilisation des factures de consommation d’eau pour étudier les fluctuations dans l’occupation des bâtiments parisiens lors des confinements successifs dus à la pandémie. Toujours à Paris, Velib’Métropole utilise les données de localisation des personnes afin d’optimiser la répartition des vélos en libre-service entre différentes stations de recharge en fonction des jours et heures d’affluence. Sans entrer dans le débat de l’impact environnemental de la collecte des données, il semble important de retenir le potentiel encore à découvrir de son usage dans l’analyse et la conception urbaine et territoriale contemporaine.

Le projet d’aménagement sans SIG ?

Pouvons-nous faire, en 2021, du projet d’aménagement urbain et territorial sans SIG ? Une réponse prudente serait de dire que cela dépend de l’échelle du projet : plus le territoire d’étude est grand, plus il serait difficile de se passer de cet outil. Bien sûr, l’histoire démontre qu’il était tout à fait possible de projeter le territoire avant le développement des SIG, mais nous avons constaté que cela correspondait à une vision souvent plus radicale des projets, plus ou moins corrélée avec un certain manque de finesse ou de précision caractérisant les cartes des planificateurs d’antan. L’arpentage du terrain et toute autre moyen de familiarisation avec le site de projet devenait une étape essentielle du projet, bien plus qu’une compensation des sources d’information limitées de l’époque26. La pratique actuelle des concepteurs de certaines agences d’architecture, urbanisme et paysage, qui participent à des concours d’urbanisme à travers le monde sans avoir visité les sites en question, n’aurait pas été possible sans l’ensemble des nouveaux outils numériques de CAO et de SIG. L’utilisation d’une plateforme commune facilite sensiblement l’échange de données géolocalisées entre bureaux d’études, maître d’œuvre et maître d’ouvrage. Pour le concepteur, ne pas intégrer un logiciel SIG dans le processus de projet suppose d’allouer plus de temps à la représentation et l’analyse de l’existant, ce qui peut devenir pénalisant dans un contexte concurrentiel et contraignant du point de vue du planning de projet. Le DSA d’Architecte-Urbaniste de l’Ecole d’architecture Paris-Est, ainsi que d’autres programmes d’enseignement supérieur centrés sur le projet urbain et territorial,

25 Un exemple de prestataire extérieur pour le traitement des données GPS collectées auprès des parisiens est l’entreprise Kisio : https://kisio.com/visiopulse/.

26 Voir pages 32, 33, 74.

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incluent une formation obligatoire aux SIG ; depuis plus d’une dizaine d’années, après les écoles de géographie et d’urbanisme, ce sont celles de paysage et d’architecture qui promeuvent cet outil27.

27 Contrairement aux logiciels de BIM, dont aucun n’est gratuit hors version étudiante, il existe aujourd’hui des programmes de SIG gratuits dont les capacités sont comparables aux versions payantes. Ainsi, le coût n’est pas un facteur dans la décision de l’adoption de cet outil de travail.

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Conclusions

De l’échelle de l’architecture d’intérieure à celle du grand territoire, des phénomènes naturels allant du plus violent au presque imperceptible, du plus familier au plus inattendu, dynamisent l’espace et influent sur notre façon de se l’approprier.

Récemment, la révolution technologique qui a transformé tous les aspects de nos vies a rendu possible, à l’aide de nouveaux instruments et logiciels, la visualisation de ces dynamiques qui échappent largement au contrôle humain. Dans le contexte actuel de dérèglement climatique, la cartographie bénéficie de l’ensemble de ces progrès et nous permet d’observer l’instabilité présente et à venir qui caractérise les phénomènes naturels. Mais nous savons que rester dans le rôle de l’observateur qui constate comment les établissements humains, les sociétés et leurs cadres de vies sont menacés par une disparition dont l’homme est le premier responsable, ne peut être la bonne voie. Bénéficier de ces nouvelles connaissances nous oblige à repenser en profondeur notre relation à l’environnement : les concepteurs ont une place de premier rang dans ce changement et ont la responsabilité morale de défendre des projets qui, a minima, résistent durablement aux aléas et, a maxima, rétablissent un équilibre naturel auparavant perdu.

Les logiciels de SIG sont, pour les architectes, paysagistes et urbanistes, des instruments leur permettant d’établir des analyses fines et précises des caractéristiques des territoires d’étude. Ils ne remplacent pas une tradition de savoir-faire de concepteur, ni l’ensemble des outils traditionnellement utilisés dans la profession. Il s’agit de nouveaux outils venant compléter l’arsenal du projeteur, qui bien sûr demandent une maîtrise responsable. Toutefois, nous considérons qu’au fur et à mesure que la digitalisation et le géoréférencement des données dont disposent les collectivités progresse, le recours aux SIG deviendra plus fréquent et plus spontané dans le flux opérationnel des concepteurs, qui auront accès à une quantité d’information difficilement traitable par des moyens traditionnels.

Enfin, la profusion de données géolocalisées collectées ou acquises par les différents acteurs de l’aménagement, afin d’être exploitable au-delà de la statistique, demande la mise en place d’une plateforme d’échange et de communication partageable et facile à mettre à jour. Les SIG deviennent ainsi le support des échanges entre cartographe, bénéficiaire particulier, professionnel ou institutionnel, concepteur, bureaux d’études et toute autre partie intéressée par les projets.

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Bibliographie Ouvrages Sonia Keravel, Passeurs de paysage. Le projet de paysage comme art relationnel, MetisPresses, 2015 Philippe Thébaud, « Ville numérique et maquettes 3D » in Le moniteur des travaux publics et du bâtiment no 5711 – Cahier pratique no 2, 10 mai 2013 Bernard Lortic, Dominique Couret, Manuel de cartographie rapide de l’échelle de la région à celle du mobilier urbain, Institut de recherche pour le développement, 2011 Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Cartographie thématique 1 – une nouvelle démarche, Lavoisier, 2007 Colette Cauvin, Francisco Escobar, Aziz Serradj, Cartographie thématique 5 – des voies nouvelles à explorer, Lavoisier, 2008 Michel Chiappero, Le dessin d’urbanisme. De la carte au schéma-concept, construire les projets de villes et de territoires. Manuel à l’usage des urbanistes, Certu, 2002 Hélène Noizet, Boris Bove, Laurent Costa [dir], Paris de parcelles en pixels, Presses universitaires de Vincennes, 2013 Éric Verdeil [dir], Atlas des mondes urbains, Les presses SciencesPo, 2020 Francis Rol-Tanguy [dir], Paris Projet #40 – Paris, métropole sur Seine, Apur, 2010 Dominique Alba [dir], Paris Projet #41/42 – Ville visible ressources cachées, Apur, 2013 Dominique Alba [dir], Patricia Pelloux, Frédéric Bertrand et al., Paris Projet #45 – Les bois de Boulogne et de Vincennes, 1840 hectares de nature à revisiter, Apur, 2020 Arthur Howard Robinson, The Look of Maps: An Examination of Cartographic Design, University of Wisconsin Press, 1986 [1952] Peter A. Burrough, Principles of Geographical Information Systems for Land Resources Assessment, Clarendon Press, Oxford, 1986 Ian Mc Harg, Design with Nature, Doubleday/Natural History Press, 1971 [1969] Gregor Harbusch, Kees Somer, Daniel Weiss, Evelien van Es, Muriel Perez, Atlas of the Functional City. CIAM 4 and the Comparative Urban Analysis, Thoth, 2014

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Conférences Philippe François Rahm, vidéoconférence soutenue le 17 décembre 2020 pour le DSA d’Architecte-Urbaniste de l’EAVT Paris-Est dans le cadre de la semaine thématique « Paysage, territoire, environnement » animée par Sébastien Marot Florian Dupont, vidéoconférence soutenue le 2 avril 2020 pour le DSA d’ArchitecteUrbaniste de l’EAVT Paris-Est dans le cadre de la semaine thématique « Ecologie urbaine » animée par Thibault Barbier Pavillon de l’Arsenal, visite guidée de l’exposition « Histoire naturelle de l’architecture » avec Philippe Rahm, commissaire scientifique et David Abittan, URL https://www.pavillon-arsenal.com/fr/arsenal-tv/expositions/histoire-naturelle-delarchitecture/11915-visite-guidee-en-video.html Apur, « Jeux de données SIG, usages et Open Data », vidéoconférence soutenue le 29 septembre 2020 dans le cadre du cycle Apur’café, URL https://www.apur.org/fr/nostravaux/apur-cafe-6-jeux-donnees-sig-usages-open-data Apur, « Enjeux et perspectives du Big Data et de l’intelligence artificielle dans les problématiques urbaines », vidéoconférence soutenue le 22 juin 2021 dans le cadre des Ateliers Big Data & IA Articles scientifiques Denis Delbaere, « Le paysage sans le dessin ! » in Les carnets du paysage, no 24/2013, pp.65-77.

Aurélie de Boissieu, « Super-utilisateurs ou super-spécialistes ? Cartographie des catalyseurs de la transformation numérique en agence d’architecture » in Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère, 9 octobre 2020, URL http:// journals.openedition.org/craup/5551 Patrick Janssen, Rudi Stouffs, Akshata Mohanty, Elvira Tan, Ruize Li, Parametric Modelling with GIS, 34e Conférence eCAADe, Oulu, Finlande, 2016 Thèse Hicham Hajji, Gestion des risques naturels : une approche fondée sur l’intégration des données, Thèse de doctorat en informatique, INSA Lyon, 2005

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Articles de presse Jean-Philippe Pichevin, Jack Dangermond, « Développer l’information géographique est un signe de plus grande démocratie », in Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 9 novembre 2001 Lucie Romano, « Etudes urbaines à venir sur des sites communs à Saint-Ouen et Paris » in Cadre de ville, 4 mai 2021, URL https://www.cadredeville.com/ announces/2021/05/04/saint-ouen Gabrielle Trottmann, « JOP 2024 : un nouvel accord-cadre sur la ZAC du Village olympique et paralympique » in Cadre de ville, 25 mars 2021, URL https://www. cadredeville.com/announces/2021/03/25/un-urbaniste-pour-la-zac-du-villageolymique-et-paralympique Hervé Montaclair, « Terres excavées/terres traitées : quand pourrons-nous parler d’économie circulaire ? » in UPDSMAG, no 5, novembre 2018, URL https://upds.org/ wp-content/uploads/2018/12/TEX_UPDS_Mag5_novembre2018.pdf Chris Andrews, GIS and BIM Integration Leads to Smart Communities, ESRI, 2018, URL https://www.esri.com/about/newsroom/arcuser/gis-and-bim-integration-leads-tosmart-communities/ Ressources cartographiques digitales Cadastre solaire de Paris, URL https://capgeo.sig.paris.fr/Apps/CadastreSolaire Cartes thématiques de l’agence de design et data visualization Stamen : https:// stamen.com/work/ Plan ALPAGE-Vasserot, URL http://mapd.sig.huma-num.fr/alpage_public/flash/ Cartes Apur, URL https://opendata.apur.org

Liste des mots-clés Système d’informatique géographique (SIG), open data, informatique embarquée, données géoréférencées, cartographie, data visualization, dynamiques naturelles, aménagement, urbanisme, architecture, végétation, environnement, climat, énergie, développement durable.

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Remerciements Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers les personnes suivantes, qui m’ont permis d’avoir une mise en situation professionnelle enrichissante et des idées pour le présent mémoire : Julien Romane, Geoffrey Clamour et Antonin Amiot de l’agence Les Marneurs, Amelie Noury et Patricia Pelloux de l’APUR. Pour la rédaction du présent mémoire et la constitution de la bibliographie, je remercie Clara Loukkal, qui a encadré ce travail, ainsi que le service documentation de l’APUR. Un grand merci également à mes collègues de l’agence Les Marneurs et de l’Apur pour leurs encouragements.

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Le role des SIG dans l'integration des dynamiques naturelles dans le projet urbain Mémoire de mise en situation professionnelle Diplôme de spécialisation et d’approfondissement (DSA) d’architecte-urbaniste École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est Étudiant Andrei Alexandru Corbet-Nits Structures d’accueil Agence Les Marneurs Atelier Parisien d’Urbanisme - Apur Enseignant encadrant Clara Loukkal

École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est 12 avenue Blaise Pascal, Champs-sur-Marne 77447 Marne-la-Vallée Cedex 2 paris-est.archi.fr

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Le rôle des SIG dans l’intégration des dynamiques naturelles dans le projet urbain En anticipation d’une démarche de conception dans le cadre d’un projet d’aménagement urbain ou territorial, la réflexion doit se fonder sur une fine connaissance des réalités du site. Pour cette raison, l’analyse et la compréhension non-superficielle du lieu, en vue d’établir un diagnostic pertinent, deviennent les fondements nécessaires du projet. Ainsi, la validité des décisions conceptuelles dépend donc en grande mesure de la qualité de l’étude du site, autant que du programme. Cependant, la prise en compte des dynamiques naturelles dans des projets ou études d’aménagement urbain et territorial est de date relativement récente et peut être interprétée comme une conséquence de plusieurs facteurs concomitants.

Les SIG, à l’origine des outils de spatialisation des données au service de la gestion du territoire par des organismes publics, sont aujourd’hui devenus aussi des outils de conception. Si une partie des concepteurs en soulignent les avantages (par exemple l’augmentation de l’efficacité et de la précision du travail), d’autres en craignent les conséquences, en invoquant une dégradation de la qualité des projets. Les réflexions dans le cadre de cette étude concernent la problématique suivante : comment l’amélioration de l’accès à la donnée géoréférencée facilite la prise en compte des dynamiques naturelles dans le processus de fabrication du projet urbain contemporain ?

Autre qu’illustrer et analyser des évolutions générales, cette étude se base également sur des documents graphiques, notamment des plans et cartes, issus de travaux d’architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, bureaux d’études, institutions publiques, voire agences de design spécialisées dans la cartographie et la data visualization. Seront présentés des cas d’usage allant de l’échelle du territoire à celle de l’architecture d’intérieur, en passant bien sûr par l’échelle du tissu urbain. En outre, seront évoqués des textes qui proposent des visions parfois très différentes sur les enjeux de l’utilisation des SIG dans la conception.

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