Emile andré extrait

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Hervé Doucet Préface de

François Loyer

Emile André Art nouveau et modernités

Photographies

Emmanuel Bénard

Honoré Clair éditions


Remerciements L’élaboration et la rédaction d’une thèse de doctorat constituent un travail long qui nécessite du temps et de la persévérance. Il n’aurait pu aboutir sans les personnes qui m’ont entouré, aidé et encouragé pendant ces longues années. Ces proches, ces professionnels, ces passionnés ont contribué, chacun à leur manière, à façonner mon discours. Le présent ouvrage, qui est issu de cette thèse soutenue en 2004 à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, doit beaucoup à ces personnes et je tiens à les en remercier. Parmi elles, je veux exprimer toute ma gratitude et mon amitié à M. Jean-Luc André qui, tout au long des recherches menées dans le cadre de ma thèse puis tout au long de l’aventure qu’a constitué cette publication, a toujours été d’une aide et d’un soutien sans faille. Grâce à Jean-Luc André, ce sont tous les descendants d’Emile André qui ont participé à cette recherche et à cette publication. Que chaque membre de la famille reçoive mes remerciements sincères. J’ai également une pensée amicale pour les collaborateurs de l’agence d’architecture André, qui ont suivi pas à pas mes recherches dans les archives qui étaient encore conservées dans leur lieu de travail. Cette publication est également pour moi l’occasion d’exprimer toute ma gratitude à mon Maître, François Loyer, qui m’a initié à l’histoire de l’architecture contemporaine alors que je débutais mes études à l’école du Louvre et qui, quelques années plus tard, a accepté de diriger ma thèse de doctorat. Le travail publié ici doit beaucoup à ses conseils toujours pertinents et à son sympathique soutien. Je remercie chaleureusement Mmes Valérie Thomas, conservatrice en chef du musée de l’Ecole de Nancy, et Hélène Say, directrice des archives départementales de Meurthe-et-Moselle, pour l’immense apport à cet ouvrage qu’a représenté la reproduction des documents issus du fonds André que leurs deux institutions conservent aujourd’hui. C’est également grâce à l’appui de Valérie Thomas qu’ont eu lieu, en 2004, les deux premières expositions entièrement consacrées à l’œuvre d’Emile André. Pour cela aussi, je tiens à la remercier particulièrement. Merci à M. Jean-Pierre Puton, directeur du Centre régional de l’image, qui a en charge la conservation de la collection de plaques de verre réalisées par Emile André lors de ses différents voyages et qui a accepté de procéder à leur numérisation à l’occasion de cette exposition. Merci également à Blandine Otter, documentaliste au musée de l’Ecole de Nancy, pour sa contribution efficace, rapide et sympathique au regroupement d’une grande partie des illustrations reproduites ici et à Jérôme Leclerc qui s’est chargé de la numérisation des documents conservés aux archives départementales reproduites ici. Je suis également reconnaissant à M. et Mme Thomas de Nancy, ainsi qu’à M. et Mme David, Mmes Merat-Viriot et Prudhomme de Flirey de m’avoir autorisé à visiter leur maison, des documents qu’ils ont mis à ma disposition et des illustrations de cet ouvrage que je leur dois. Je tiens également à exprimer mes plus vifs remerciements à mes amies Florence Allorent et Annick Le Bail pour leur relecture attentive du texte remanié de ma thèse qui est ici publié. Vos conseils m’ont aidé et votre amitié m’est très précieuse. Sans doute n’aurais-je pas pu venir à bout du traitement de l’immense fonds André sans le concours fondamental de mon ami Sébastien Idoux. L’informatique est un domaine (un peu) moins mystérieux pour moi grâce à lui. Bien entendu, je veux dire à Mathilde Béjanin et Hubert Naudeix des Editions Honoré Clair combien je leur suis reconnaissant d’avoir cru en ce projet de publication et d’avoir permis que cet ouvrage richement illustré voie le jour. Merci à vous deux pour cette aventure qui – je le crois sincèrement – a été une collaboration aussi fructueuse qu’agréable ! Même si c’est un lieu commun, je tiens à dire mon amour à mes parents qui ont su me soutenir dans une voie qui leur était étrangère. Votre confiance, votre soutien constant et votre indéfectible amour m’ont permis de parcourir tout ce chemin parfois semé d’embûches… A toi qui partage ma vie depuis sept ans maintenant !

Sommaire PRéFACE, François Loyer

p. 10

INTRODUCTION

p. 14

PREMIèRE PARTIE : UNE FORMATION VAGABONDE APPRENDRE L’ARCHITECTURE Une formation sur le tas L’Ecole des beaux-arts de Paris LES VOYAGES Le (très) grand Tour Un goût prononcé pour l’Orient PREMIERS PAS DANS LE MONDE DE L’ART L’œuvre graphique L’œuvre d’historien

p. 25 p. 26

DEUXIèME PARTIE : UN ARCHITECTE DE SON TEMPS UN ARTISTE DE L’éCOLE DE NANCY DE LA FRANCE à L’EUROPE L’Art nouveau européen L’art pour tous L’ART DANS TOUT Emile André, un architecte créateur de meubles Vers l’œuvre d’art totale

p. 89 p. 91 p. 110

p. 44

p. 72

p. 140

TROISIèME PARTIE : VERS UN NOUVEAU MéTIER p. 205 UN ARCHITECTE IMPLIQUé DANS LA CITé p. 206 Réflexions urbaines Emile André, membre du conseil municipal de Nancy UN ARCHITECTE CHEF D’ENTREPRISE p. 232 Une nouvelle appréhension du métier d’architecte L’exemple de la reconstruction à LA RECHERCHE D’UN STYLE p. 268 Le régionalisme international Des souvenirs « exotiques » CONCLUSION

p. 290

ANNEXES Biographie sommaire Liste chronologique des œuvres Bibliographie Index

p. 295 p. 297 p. 299 p. 305 p. 314


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Emile André, Art nouveau et modernités

Une formation vagabonde

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Les Voyages

De 1894 à 1900, Emile André passa le plus clair de son temps à voyager. A peine admis en seconde classe à l’Ecole des beaux-arts de Paris, il décida de découvrir le Maghreb. Durant près de six années, il parcourut le monde, découvrant des pays aux traditions toujours plus éloignées de la culture européenne. Cela eut des conséquences sur son cursus aux beaux-arts puisqu’il ne fut admis en première classe que le 29 mars 1898 – soit cinq ans presque jour pour jour après avoir intégré la seconde classe. Lorsqu’il revint de Perse en 1900, il avait 29 ans et était sans doute trop « âgé » ou trop expérimenté pour mener à leur terme ses études dans l’atelier Laloux1. A l’évidence ce temps passé loin de France influença durablement la vie du jeune nancéien. Une aussi longue période passée à voyager et à glaner de nombreux documents, qu’Emile André rapporta et conserva avec grand soin, prouve également l’importance que cette époque de sa vie revêtait à ses yeux. Quantité de croquis, aquarelles et relevés, un grand nombre de tirages photographiques et presque autant de plaques de verre, ainsi qu’une kyrielle d’objets – antiquités et œuvres d’artisanat – acquis dans des lieux les plus variés renseignent sur les différents séjours d’Emile André à l’étranger. Les carnets rédigés dans chacun des pays qu’il visita sont tout aussi essentiels2. Leur lecture approfondie laisse entrevoir certains des traits de caractère de leur auteur. Ainsi, le carnet rédigé en Egypte comporte un grand nombre d’anecdotes savoureuses3. Le choix même de ses destinations permet une meilleure appréhension de la personnalité d’Emile André. Issu d’une famille bourgeoise, vraisemblablement aisée, André eut la liberté de se rendre où sa curiosité le menait. Son long périple serait cependant mal interprété s’il était comparé à ceux entrepris à la même période par nombre de jeunes

1  Lettre manuscrite à l’en-tête du ministère de l’Instruction publique, Etudes beaux-arts. Signée d’Emile André le 12 avril 1898. (Archives nationales, AJ/52./400.) 2  Au sujet de la littérature de voyage, voir BRILLI, Attilio. Quand voyager était un art. Le roman du grand Tour. Paris, Gérard Monfort éditeur, 2001. 3  Voir notamment Carnet de voyage en Egypte. Carnet manuscrit, fonds André, 31 décembre 1896, pp. 11 et 12.

Page de gauche Intérieur d’un temple de Philae avec personnage Aquarelle et crayon sur papier H. 48 cm ; l. 32 cm « E. André / Ile de Philae / 1897 » Coll. part.

Extrait de carnet de voyage en Egypte Coll. part.


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Les Voyages

De 1894 à 1900, Emile André passa le plus clair de son temps à voyager. A peine admis en seconde classe à l’Ecole des beaux-arts de Paris, il décida de découvrir le Maghreb. Durant près de six années, il parcourut le monde, découvrant des pays aux traditions toujours plus éloignées de la culture européenne. Cela eut des conséquences sur son cursus aux beaux-arts puisqu’il ne fut admis en première classe que le 29 mars 1898 – soit cinq ans presque jour pour jour après avoir intégré la seconde classe. Lorsqu’il revint de Perse en 1900, il avait 29 ans et était sans doute trop « âgé » ou trop expérimenté pour mener à leur terme ses études dans l’atelier Laloux1. A l’évidence ce temps passé loin de France influença durablement la vie du jeune nancéien. Une aussi longue période passée à voyager et à glaner de nombreux documents, qu’Emile André rapporta et conserva avec grand soin, prouve également l’importance que cette époque de sa vie revêtait à ses yeux. Quantité de croquis, aquarelles et relevés, un grand nombre de tirages photographiques et presque autant de plaques de verre, ainsi qu’une kyrielle d’objets – antiquités et œuvres d’artisanat – acquis dans des lieux les plus variés renseignent sur les différents séjours d’Emile André à l’étranger. Les carnets rédigés dans chacun des pays qu’il visita sont tout aussi essentiels2. Leur lecture approfondie laisse entrevoir certains des traits de caractère de leur auteur. Ainsi, le carnet rédigé en Egypte comporte un grand nombre d’anecdotes savoureuses3. Le choix même de ses destinations permet une meilleure appréhension de la personnalité d’Emile André. Issu d’une famille bourgeoise, vraisemblablement aisée, André eut la liberté de se rendre où sa curiosité le menait. Son long périple serait cependant mal interprété s’il était comparé à ceux entrepris à la même période par nombre de jeunes

1  Lettre manuscrite à l’en-tête du ministère de l’Instruction publique, Etudes beaux-arts. Signée d’Emile André le 12 avril 1898. (Archives nationales, AJ/52./400.) 2  Au sujet de la littérature de voyage, voir BRILLI, Attilio. Quand voyager était un art. Le roman du grand Tour. Paris, Gérard Monfort éditeur, 2001. 3  Voir notamment Carnet de voyage en Egypte. Carnet manuscrit, fonds André, 31 décembre 1896, pp. 11 et 12.

Page de gauche Intérieur d’un temple de Philae avec personnage Aquarelle et crayon sur papier H. 48 cm ; l. 32 cm « E. André / Ile de Philae / 1897 » Coll. part.

Extrait de carnet de voyage en Egypte Coll. part.


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Vue du Caire Tirage photographique sur papier H. 27,6 cm ; l. 37,6 cm Coll. part.

L’île de Ceylan et l’Inde

Vue du Mausolée de l’Emir Khairbah au Caire (1502-1520) Aquarelle et crayon sur papier H. 43,5 cm ; l. 30 cm Coll. part.

populaire contemporaine. Ainsi, à Minieh, déplora-t-il de trouver chez les marchands locaux « les horreurs que l’industrie européenne y avait apportées », se plaignant de devoir « faire un effort sérieux pour trouver les coins où le sale pinceau du peintre en bâtiment ou le profil en bois de l’immonde plâtrier n’était pas venu souiller les maisons de briques si belles sans enduit (…) ». C’est parce que la ville d’Akhmîm « n’[était] pas gâtée par les Européens » qu’elle lui donna une impression merveilleuse1.

1  ANDRé, Emile. Carnet de voyage en Egypte, Ibid.

Grâce à la bourse de voyage qu’il obtint au Salon de 1898, Emile André quitta Marseille le 28 août 1898 pour l’île de Ceylan. Parce qu’il avait emprunté le canal de Suez, il put débarquer à Colombo dès le 14 septembre 1898. Il reprit ensuite le bateau pour aborder le territoire indien. De Madurai jusqu’à Calcutta, il suivit la côte est de l’Inde en s’arrêtant à Trichinopoly, Villipuram, Pondichéry et Madras. Puis il pénétra dans les terres et visita Darjeeling, Bénarès, Agra, Fatipur Cikri, Jaipur, Amber, Delhi, Gwalior et Bombay. Tout au long de son séjour, le jeune architecte eut le souci de voir un échantillon représentatif de chacune des formes artistiques du patrimoine indien. Il se rendit sur des sites d’art bouddhique, hindouiste, djaïn, brahmanique et musulman pour avoir une image aussi complète que possible de la variété culturelle du pays. Il fut frappé par les charpentes de certains bâtiments de Kandy ; notamment celle d’un petit temple bouddhiste doté « d’un grand caractère de mystère religieux ». De Bénarès, il conserva le souvenir des rives du Gange « peuplée[s] de grands parasols de palmes tressées, chaque parasol abrit[ant] son saint homme1 ». Selon ses propres termes, « Fatipur Cikri [fut] la chose la plus belle au point de vue architecture qu’[il vit] aux Indes ». Il considéra que « le palais complet va[lait] à lui seul le voyage2 ». A Agra, il découvrit le Taj Mahal dont le charme réside « tout entier dans sa simplicité blanche et dans son cadre composé avec un soin jaloux par un architecte savant3 ». Pendant ce long parcours, André découvrit des paysages dont la variété et la luxuriance le fascinèrent. Comme ce fut le cas pour ses voyages précédents, il eut à cœur d’approcher la culture des peuples qu’il côtoyait et assista à Madras à une représentation d’un théâtre parsi. Afin de conserver le souvenir de certains objets d’artisanat qu’il vit au musée de Calcutta, il acquit quelques pièces de cachemire et des petits bibelots. Le 10 novembre 1897, juste avant de quitter « cette affreuse ville4 » de Bombay, il expédia en France ces objets.

1  2  3  4

ANDRé, Emile. Carnet de voyage à Ceylan, en Inde et en Perse, p. 20. Ibid., p. 22. Ibid., p. 21. Ibid., p. 24.

Vue du temple indien de Bénarès Aquarelle et encre sur papier, 1898 H. 48 cm ; l. 35 cm « Candy Ceylan / E. André / 1898 » Coll. part. Idem Tirage moderne d’après plaque de verre photographique H. 8 cm ; l. 9 cm Conservatoire régional de l’image André décrivit ainsi le temple de Kandy qui, selon la légende, conserve une des dents de Bouddha : « Dans une cour entourée de portiques, le temple rectangulaire tout coloré, tout ruisselant de soleil, ceint d’une gracieuse colonnade de pierre dorée, s’abrite sous son toit de tuiles bien saillant. Entre deux chimères de porphyre et deux dents d’éléphant ciselées, trois marches curieusement sculptées conduisent de la cour à un rideau de brocart dans l’axe du petit côté. (…) Un air chaud me frappe au visage, je suis étourdi de parfums, et me trouve face à face avec la grande figure hiératique d’un bouddha aux yeux d’émail. (…) La mystérieuse dent est à côté de lui sous une petite cloche d’or. Devant la statue du Dieu s’avance une table d’offrande où tous les matins les fidèles viennent déposer en rosaces des fleurs fraîchement coupées. Sur les murs de la cella, des peintures fantasques, des ornements étranges, des cabochons d’argent ciselé accrochent au passage les lueurs vacillantes des petites lampes de cuivre. » (ANDRé, Emile. Lettre des Indes, Notes d’art indien. Bagdad, octobre 1899, Mémoire dactylographié, Fonds André, collection particulière.) Vue de Bénarès Plaque de verre H. 9 cm ; l. 8 cm Conservatoire régional de l’image


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Vue du Caire Tirage photographique sur papier H. 27,6 cm ; l. 37,6 cm Coll. part.

L’île de Ceylan et l’Inde

Vue du Mausolée de l’Emir Khairbah au Caire (1502-1520) Aquarelle et crayon sur papier H. 43,5 cm ; l. 30 cm Coll. part.

populaire contemporaine. Ainsi, à Minieh, déplora-t-il de trouver chez les marchands locaux « les horreurs que l’industrie européenne y avait apportées », se plaignant de devoir « faire un effort sérieux pour trouver les coins où le sale pinceau du peintre en bâtiment ou le profil en bois de l’immonde plâtrier n’était pas venu souiller les maisons de briques si belles sans enduit (…) ». C’est parce que la ville d’Akhmîm « n’[était] pas gâtée par les Européens » qu’elle lui donna une impression merveilleuse1.

1  ANDRé, Emile. Carnet de voyage en Egypte, Ibid.

Grâce à la bourse de voyage qu’il obtint au Salon de 1898, Emile André quitta Marseille le 28 août 1898 pour l’île de Ceylan. Parce qu’il avait emprunté le canal de Suez, il put débarquer à Colombo dès le 14 septembre 1898. Il reprit ensuite le bateau pour aborder le territoire indien. De Madurai jusqu’à Calcutta, il suivit la côte est de l’Inde en s’arrêtant à Trichinopoly, Villipuram, Pondichéry et Madras. Puis il pénétra dans les terres et visita Darjeeling, Bénarès, Agra, Fatipur Cikri, Jaipur, Amber, Delhi, Gwalior et Bombay. Tout au long de son séjour, le jeune architecte eut le souci de voir un échantillon représentatif de chacune des formes artistiques du patrimoine indien. Il se rendit sur des sites d’art bouddhique, hindouiste, djaïn, brahmanique et musulman pour avoir une image aussi complète que possible de la variété culturelle du pays. Il fut frappé par les charpentes de certains bâtiments de Kandy ; notamment celle d’un petit temple bouddhiste doté « d’un grand caractère de mystère religieux ». De Bénarès, il conserva le souvenir des rives du Gange « peuplée[s] de grands parasols de palmes tressées, chaque parasol abrit[ant] son saint homme1 ». Selon ses propres termes, « Fatipur Cikri [fut] la chose la plus belle au point de vue architecture qu’[il vit] aux Indes ». Il considéra que « le palais complet va[lait] à lui seul le voyage2 ». A Agra, il découvrit le Taj Mahal dont le charme réside « tout entier dans sa simplicité blanche et dans son cadre composé avec un soin jaloux par un architecte savant3 ». Pendant ce long parcours, André découvrit des paysages dont la variété et la luxuriance le fascinèrent. Comme ce fut le cas pour ses voyages précédents, il eut à cœur d’approcher la culture des peuples qu’il côtoyait et assista à Madras à une représentation d’un théâtre parsi. Afin de conserver le souvenir de certains objets d’artisanat qu’il vit au musée de Calcutta, il acquit quelques pièces de cachemire et des petits bibelots. Le 10 novembre 1897, juste avant de quitter « cette affreuse ville4 » de Bombay, il expédia en France ces objets.

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ANDRé, Emile. Carnet de voyage à Ceylan, en Inde et en Perse, p. 20. Ibid., p. 22. Ibid., p. 21. Ibid., p. 24.

Vue du temple indien de Bénarès Aquarelle et encre sur papier, 1898 H. 48 cm ; l. 35 cm « Candy Ceylan / E. André / 1898 » Coll. part. Idem Tirage moderne d’après plaque de verre photographique H. 8 cm ; l. 9 cm Conservatoire régional de l’image André décrivit ainsi le temple de Kandy qui, selon la légende, conserve une des dents de Bouddha : « Dans une cour entourée de portiques, le temple rectangulaire tout coloré, tout ruisselant de soleil, ceint d’une gracieuse colonnade de pierre dorée, s’abrite sous son toit de tuiles bien saillant. Entre deux chimères de porphyre et deux dents d’éléphant ciselées, trois marches curieusement sculptées conduisent de la cour à un rideau de brocart dans l’axe du petit côté. (…) Un air chaud me frappe au visage, je suis étourdi de parfums, et me trouve face à face avec la grande figure hiératique d’un bouddha aux yeux d’émail. (…) La mystérieuse dent est à côté de lui sous une petite cloche d’or. Devant la statue du Dieu s’avance une table d’offrande où tous les matins les fidèles viennent déposer en rosaces des fleurs fraîchement coupées. Sur les murs de la cella, des peintures fantasques, des ornements étranges, des cabochons d’argent ciselé accrochent au passage les lueurs vacillantes des petites lampes de cuivre. » (ANDRé, Emile. Lettre des Indes, Notes d’art indien. Bagdad, octobre 1899, Mémoire dactylographié, Fonds André, collection particulière.) Vue de Bénarès Plaque de verre H. 9 cm ; l. 8 cm Conservatoire régional de l’image


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Emile André, Art nouveau et modernités

Vues du temple de Kom Ombo Tirage photographique sur papier Nancy, MEN inv. 004. Photographie publiée dans La Lorraine Nancy, MEN inv. 004.

Reconstitution du temple de Kom Ombo Aquarelle sur papier, 1898 H. 68,5 cm ; l. 159,5 cm « E. André / Paris / 1898 » Coll. part.

Une formation vagabonde

Afin de conserver un souvenir aussi précis que possible de l’édifice qui devait lui servir de modèle pour concevoir la restitution de Kom Ombo, André prit un grand nombre de photographies du temple d’Edfou. Cette documentation est révélatrice de la manière dont il mena son étude : il procéda par analogie. Sa restitution de Kom Ombo doit beaucoup plus aux observations minutieuses qu’il fit sur le site d’Edfou qu’à des fouilles archéologiques sur le site même de Kom Ombo pour lesquelles le temps, les moyens et les compétences lui faisaient défaut. D’autre part, il faut insister sur le rôle essentiel qu’André accordait à la photographie ; il s’agissait d’un support fiable, efficace, qui remplaçait idéalement tout croquis laborieusement dressé sur le motif. De ce point de vue, force est de constater la place centrale que tient la photographie dans la pratique d’Emile André. Elle fut utilisée exactement de la même manière dans la mise au point de son étude archéologique et dans la conception de nombre de ses aquarelles et gravures. La documentation qu’il avait rassemblée à des fins pratiques trouva donc très rapidement une multitude d’applications. Aussi peu scientifique que puisse apparaître aujourd’hui la méthode suivie pour établir la reconstitution du temple de Kom Ombo, le travail d’André fut jugé excellent. L’Immeuble et la construction dans l’Est reproduisit un article très élogieux dans lequel on pouvait lire que sa « découverte mettait en joie le monde des archéologues ». Emile André y est vu comme « un architecte très avisé et très savant », comme un chercheur qui « passe ses jours, debout, penché sur ses plans », comme un égyptologue averti, capable d’expliquer « à bâtons rompus » que « le temple fut commencé sous Ptolémée Epiphane

Vue du temple de Kom Ombo H. 10,2 cm ; l. 22 cm « Temple de Kom Ombos » « Etat actuel » Coll. part.

et terminé sous le douzième Ptolémée (116 ans avant notre ère). Il est divisé en deux parties symétriques, chacune ayant son sanctuaire. Cette disposition tenait au double culte qui y était rendu simultanément aux deux principes opposés, l’un la lumière, l’autre les ténèbres1 ». Ses recherches étaient considérées comme une étape dans la

1  ANONYME. « Ecole nationale des beaux-arts », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 12e année, n° 16, dimanche 15 août 1897, p. 125.

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Vues du temple de Kom Ombo Tirage photographique sur papier Nancy, MEN inv. 004. Photographie publiée dans La Lorraine Nancy, MEN inv. 004.

Reconstitution du temple de Kom Ombo Aquarelle sur papier, 1898 H. 68,5 cm ; l. 159,5 cm « E. André / Paris / 1898 » Coll. part.

Une formation vagabonde

Afin de conserver un souvenir aussi précis que possible de l’édifice qui devait lui servir de modèle pour concevoir la restitution de Kom Ombo, André prit un grand nombre de photographies du temple d’Edfou. Cette documentation est révélatrice de la manière dont il mena son étude : il procéda par analogie. Sa restitution de Kom Ombo doit beaucoup plus aux observations minutieuses qu’il fit sur le site d’Edfou qu’à des fouilles archéologiques sur le site même de Kom Ombo pour lesquelles le temps, les moyens et les compétences lui faisaient défaut. D’autre part, il faut insister sur le rôle essentiel qu’André accordait à la photographie ; il s’agissait d’un support fiable, efficace, qui remplaçait idéalement tout croquis laborieusement dressé sur le motif. De ce point de vue, force est de constater la place centrale que tient la photographie dans la pratique d’Emile André. Elle fut utilisée exactement de la même manière dans la mise au point de son étude archéologique et dans la conception de nombre de ses aquarelles et gravures. La documentation qu’il avait rassemblée à des fins pratiques trouva donc très rapidement une multitude d’applications. Aussi peu scientifique que puisse apparaître aujourd’hui la méthode suivie pour établir la reconstitution du temple de Kom Ombo, le travail d’André fut jugé excellent. L’Immeuble et la construction dans l’Est reproduisit un article très élogieux dans lequel on pouvait lire que sa « découverte mettait en joie le monde des archéologues ». Emile André y est vu comme « un architecte très avisé et très savant », comme un chercheur qui « passe ses jours, debout, penché sur ses plans », comme un égyptologue averti, capable d’expliquer « à bâtons rompus » que « le temple fut commencé sous Ptolémée Epiphane

Vue du temple de Kom Ombo H. 10,2 cm ; l. 22 cm « Temple de Kom Ombos » « Etat actuel » Coll. part.

et terminé sous le douzième Ptolémée (116 ans avant notre ère). Il est divisé en deux parties symétriques, chacune ayant son sanctuaire. Cette disposition tenait au double culte qui y était rendu simultanément aux deux principes opposés, l’un la lumière, l’autre les ténèbres1 ». Ses recherches étaient considérées comme une étape dans la

1  ANONYME. « Ecole nationale des beaux-arts », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 12e année, n° 16, dimanche 15 août 1897, p. 125.

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émile André, Art nouveau et modernités

Page de droite Temple pharaonique avec Emile André effectuant un relevé d’estampage Tirage moderne d’après plaque de verre photographique H. 13 cm ; l. 18 cm Conservatoire régional de l’image

connaissance de la civilisation égyptienne. Certains même allèrent jusqu’à associer son nom à celui des plus grands archéologues de l’époque. Ainsi, le journal parisien Cloche du 1er juin 1898, après avoir souligné que les travaux d’André étaient « du plus haut intérêt pour l’histoire de l’art », affirma que « nos grands égyptologues Bunsen, Lepsius, Brugsch, Mariette et Maspéro (…) [avaient] besoin des études des architectonographes afin de rendre plus intéressante encore pour les profanes cette recherche des grands précurseurs de l’art1 ». Si toutes les critiques ne s’appesantirent pas pareillement sur la valeur scientifique de la reconstitution d’André, un consensus se dégagea sur la qualité artistique des dessins qu’il présenta au Salon des Champs-Elysées. Parfois, les articles associèrent aux œuvres d’André celles présentées par son ami et compagnon de voyage Gaston Munier. Dans la Revue de l’art, on signala que les deux jeunes Nancéiens se faisaient remarquer par « des relevés et de curieuses peintures de l’Egypte et de ses temples2 ». Paule Vigneron céda à la tentation de faire un parallèle avec l’art contemporain : « C’est par analogie avec cet art vibrant que les curieuses reproductions d’art égyptien apportées par MM. Munier et André (…) paraissent plus actuelles que beaucoup de choses très modernes3. » Nombreux furent ceux qui soulignèrent la valeur strictement picturale des aquarelles d’André comme dans L’Est républicain du 22 juin 1898 : « C’est en citant l’œuvre des paysagistes qu’il aurait fallu décrire une aquarelle délicate, lumineuse et vaporeuse de M. E. André : Le Nil » et, un peu plus loin : « La restauration du temple de Korn Cimbos (sic) et la reproduction de son état actuel attestent que ce coloriste n’est pas moins bon observateur en chefs-d’œuvre de l’art que des spectacles de la nature4. » Le Bâtiment consacra un très long article aux œuvres présentées par André et remarqua que, pour la façade reconstituée du temple de Kom Ombo, « M. André a[vait] essayé un procédé de petites touches les unes au bout des autres, qui donn[ai]ent assez justement l’impression de papillotage de l’atmosphère que l’on remarque dans les pays chauds5 ». Enfin, dernier hommage, mais non des moindres, le très fameux critique d’art Arsène Alexandre écrivit dans Le Figaro : « Une nouvelle et plus attentive promenade à l’Architecture ne nous a pas fait revenir de notre première impression. (…) nous ne retrouvons dans nos notes, à signaler, outre ce que nous avons cité le premier jour, que ces belles études de temples égyptiens de M. E. André (…)6. » Bien entendu, lorsque le conseil supérieur des Beaux-Arts octroya, le 27 mai 1898, une bourse de voyage au jeune étudiant nancéien pour ses œuvres rapportées d’Egypte, la presse nationale et régionale diffusa largement l’information7.

1  ANONYME. « Les récompenses à la Société des artistes français. Les bourses de voyage (suite), Cloche. 1er juin 1898. 2  PASCAL. Revue de l’art.10 mai 1897. 3  VIGNERON, Paule. Fronde. 20 mai 1897. 4  ROPS. L’Est républicain. 22 juin 1898. Cet article est conservé dans le fonds André sous la forme d’une coupure de presse envoyée par l’Argus de la presse, situé 14 rue Drouot à Paris. 5  Cet article est illustré par une reproduction d’un dessin d’André. ANONYME. Bâtiment. 8 mai 1898. 6  ALEXANDRE, Arsène. Le Figaro. 17 mai 1898. (Article conservé dans le fonds André sous la forme d’une coupure de presse envoyée par l’Argus de la presse, situé 14 rue Drouot à Paris.) 7  Citons pêle-mêle Le Soleil du 28 mai 1898, Le Soir du 1er juin 1898, La Cloche du 1er juin 1898, L’Evènement du 10 juin 1898, Le Matin du 28 mai 1898 et, enfin, Le Figaro du 28 mai 1898. Toutes ces coupures de presse sont conservées dans le fonds André.


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émile André, Art nouveau et modernités

Page de droite Temple pharaonique avec Emile André effectuant un relevé d’estampage Tirage moderne d’après plaque de verre photographique H. 13 cm ; l. 18 cm Conservatoire régional de l’image

connaissance de la civilisation égyptienne. Certains même allèrent jusqu’à associer son nom à celui des plus grands archéologues de l’époque. Ainsi, le journal parisien Cloche du 1er juin 1898, après avoir souligné que les travaux d’André étaient « du plus haut intérêt pour l’histoire de l’art », affirma que « nos grands égyptologues Bunsen, Lepsius, Brugsch, Mariette et Maspéro (…) [avaient] besoin des études des architectonographes afin de rendre plus intéressante encore pour les profanes cette recherche des grands précurseurs de l’art1 ». Si toutes les critiques ne s’appesantirent pas pareillement sur la valeur scientifique de la reconstitution d’André, un consensus se dégagea sur la qualité artistique des dessins qu’il présenta au Salon des Champs-Elysées. Parfois, les articles associèrent aux œuvres d’André celles présentées par son ami et compagnon de voyage Gaston Munier. Dans la Revue de l’art, on signala que les deux jeunes Nancéiens se faisaient remarquer par « des relevés et de curieuses peintures de l’Egypte et de ses temples2 ». Paule Vigneron céda à la tentation de faire un parallèle avec l’art contemporain : « C’est par analogie avec cet art vibrant que les curieuses reproductions d’art égyptien apportées par MM. Munier et André (…) paraissent plus actuelles que beaucoup de choses très modernes3. » Nombreux furent ceux qui soulignèrent la valeur strictement picturale des aquarelles d’André comme dans L’Est républicain du 22 juin 1898 : « C’est en citant l’œuvre des paysagistes qu’il aurait fallu décrire une aquarelle délicate, lumineuse et vaporeuse de M. E. André : Le Nil » et, un peu plus loin : « La restauration du temple de Korn Cimbos (sic) et la reproduction de son état actuel attestent que ce coloriste n’est pas moins bon observateur en chefs-d’œuvre de l’art que des spectacles de la nature4. » Le Bâtiment consacra un très long article aux œuvres présentées par André et remarqua que, pour la façade reconstituée du temple de Kom Ombo, « M. André a[vait] essayé un procédé de petites touches les unes au bout des autres, qui donn[ai]ent assez justement l’impression de papillotage de l’atmosphère que l’on remarque dans les pays chauds5 ». Enfin, dernier hommage, mais non des moindres, le très fameux critique d’art Arsène Alexandre écrivit dans Le Figaro : « Une nouvelle et plus attentive promenade à l’Architecture ne nous a pas fait revenir de notre première impression. (…) nous ne retrouvons dans nos notes, à signaler, outre ce que nous avons cité le premier jour, que ces belles études de temples égyptiens de M. E. André (…)6. » Bien entendu, lorsque le conseil supérieur des Beaux-Arts octroya, le 27 mai 1898, une bourse de voyage au jeune étudiant nancéien pour ses œuvres rapportées d’Egypte, la presse nationale et régionale diffusa largement l’information7.

1  ANONYME. « Les récompenses à la Société des artistes français. Les bourses de voyage (suite), Cloche. 1er juin 1898. 2  PASCAL. Revue de l’art.10 mai 1897. 3  VIGNERON, Paule. Fronde. 20 mai 1897. 4  ROPS. L’Est républicain. 22 juin 1898. Cet article est conservé dans le fonds André sous la forme d’une coupure de presse envoyée par l’Argus de la presse, situé 14 rue Drouot à Paris. 5  Cet article est illustré par une reproduction d’un dessin d’André. ANONYME. Bâtiment. 8 mai 1898. 6  ALEXANDRE, Arsène. Le Figaro. 17 mai 1898. (Article conservé dans le fonds André sous la forme d’une coupure de presse envoyée par l’Argus de la presse, situé 14 rue Drouot à Paris.) 7  Citons pêle-mêle Le Soleil du 28 mai 1898, Le Soir du 1er juin 1898, La Cloche du 1er juin 1898, L’Evènement du 10 juin 1898, Le Matin du 28 mai 1898 et, enfin, Le Figaro du 28 mai 1898. Toutes ces coupures de presse sont conservées dans le fonds André.


Un architecte de son temps

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un artiste de l’ecole de Nancy

« J’abandonne les projets de vie extérieure, je renonce au désert et [à] l’Orient charmeur, à la vie de sauvage. Je vais plus loin dans mes sacrifices. (Sacrifice est inexact, c’est une façon de parler.) (…) il n’y a pas de plus beau cadre que le petit coin où on est venu au monde, (…) mon horizon sera désormais barré par la côte de Malzéville, Champigneule, les faubourgs de Nancy. (…) Je vais préférer le vin lorrain au thé et au Raki de dattes, (…) au lieu de vivre en bohémien, en casse cou, en don Quichotte, je vais vivre sagement (je n’ai pas dit bourgeoisement). (…) Je vais gagner de l’argent au lieu d’en dépenser. (…) Et allez, si l’architecture ne va pas, je me fais forgeron ou maçon ou serrurier armurier, pourvu que mes mains travaillent du crayon, du rabot, de la lime ou du marteau ou de tous ensembles1. » A 29 ans et aussi passionnantes qu’aient pu être ses années de formation, Emile André devait se montrer raisonnable et faire enfin son entrée dans le milieu architectural nancéien. A peine installé à Nancy, Emile André se consacra au métier pour lequel il avait été formé. Fidèle à son désir de devenir un artiste total, le premier projet qu’il signa fut celui d’un meuble pour le magasin de Jules Génin. Le marchand de grains, installé à l’angle des rues Saint-Jean et Bénit, au cœur même du centre commerçant de Nancy, fit reconstruire l’immeuble qu’il possédait par l’ingénieur-architecte Henri Gutton et son neveu HenryBarthélémy Gutton qui avait obtenu son diplôme d’architecte en 1898. Tous deux réalisèrent sur une étroite parcelle un étonnant immeuble à la structure métallique apparente. Visiblement inspiré de Viollet-le-Duc, l’immeuble surprend par son bow-window d’angle et par la profusion de motifs décoratifs issus de la nature qui en font l’un des tout premiers exemples d’architecture Art nouveau à Nancy. Avant même l’achèvement des travaux, Emile André se trouva associé à ce chantier novateur puisque lui fut confiée la conception de certaines pièces de mobilier. Il dressa un projet pour le comptoir du magasin, daté du 15 décembre 1900, soit moins de deux mois après son installation à Nancy. Les ferronneries qui ornent l’immeuble – comme les grilles des baies du rez-dechaussée et du premier étage et le garde-corps du balcon du deuxième étage du bowwindow – sont d’un dessin qui, au regard de certaines œuvres qu’André signa plus tard

Plaque de l’agence d’architecture d’Emile André Laiton H. 35 cm ; l. 31 cm Coll. part.

Etude d’un comptoir Encre noire sur papier calque H. 21,8 cm ; l. 30,3 cm « Mr Génin Louis / Comptoir du magasin (chêne) » Nancy, MEN inv 002.6.75.2

1  Brouillon d’une lettre écrite à Paris par Emile André et adressée à son père, datée du 29 août 1900. Fonds André, collection particulière.

Page de gauche Nancy, immeuble de M. Jules Génin (1900-1901), détail du bow-window Henri Gutton et Henry-Barthélémy Gutton Etat en 2010


Un architecte de son temps

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un artiste de l’ecole de Nancy

« J’abandonne les projets de vie extérieure, je renonce au désert et [à] l’Orient charmeur, à la vie de sauvage. Je vais plus loin dans mes sacrifices. (Sacrifice est inexact, c’est une façon de parler.) (…) il n’y a pas de plus beau cadre que le petit coin où on est venu au monde, (…) mon horizon sera désormais barré par la côte de Malzéville, Champigneule, les faubourgs de Nancy. (…) Je vais préférer le vin lorrain au thé et au Raki de dattes, (…) au lieu de vivre en bohémien, en casse cou, en don Quichotte, je vais vivre sagement (je n’ai pas dit bourgeoisement). (…) Je vais gagner de l’argent au lieu d’en dépenser. (…) Et allez, si l’architecture ne va pas, je me fais forgeron ou maçon ou serrurier armurier, pourvu que mes mains travaillent du crayon, du rabot, de la lime ou du marteau ou de tous ensembles1. » A 29 ans et aussi passionnantes qu’aient pu être ses années de formation, Emile André devait se montrer raisonnable et faire enfin son entrée dans le milieu architectural nancéien. A peine installé à Nancy, Emile André se consacra au métier pour lequel il avait été formé. Fidèle à son désir de devenir un artiste total, le premier projet qu’il signa fut celui d’un meuble pour le magasin de Jules Génin. Le marchand de grains, installé à l’angle des rues Saint-Jean et Bénit, au cœur même du centre commerçant de Nancy, fit reconstruire l’immeuble qu’il possédait par l’ingénieur-architecte Henri Gutton et son neveu HenryBarthélémy Gutton qui avait obtenu son diplôme d’architecte en 1898. Tous deux réalisèrent sur une étroite parcelle un étonnant immeuble à la structure métallique apparente. Visiblement inspiré de Viollet-le-Duc, l’immeuble surprend par son bow-window d’angle et par la profusion de motifs décoratifs issus de la nature qui en font l’un des tout premiers exemples d’architecture Art nouveau à Nancy. Avant même l’achèvement des travaux, Emile André se trouva associé à ce chantier novateur puisque lui fut confiée la conception de certaines pièces de mobilier. Il dressa un projet pour le comptoir du magasin, daté du 15 décembre 1900, soit moins de deux mois après son installation à Nancy. Les ferronneries qui ornent l’immeuble – comme les grilles des baies du rez-dechaussée et du premier étage et le garde-corps du balcon du deuxième étage du bowwindow – sont d’un dessin qui, au regard de certaines œuvres qu’André signa plus tard

Plaque de l’agence d’architecture d’Emile André Laiton H. 35 cm ; l. 31 cm Coll. part.

Etude d’un comptoir Encre noire sur papier calque H. 21,8 cm ; l. 30,3 cm « Mr Génin Louis / Comptoir du magasin (chêne) » Nancy, MEN inv 002.6.75.2

1  Brouillon d’une lettre écrite à Paris par Emile André et adressée à son père, datée du 29 août 1900. Fonds André, collection particulière.

Page de gauche Nancy, immeuble de M. Jules Génin (1900-1901), détail du bow-window Henri Gutton et Henry-Barthélémy Gutton Etat en 2010


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émile André, Art nouveau et modernités

Page de droite Nancy, maison de M. Huot (1903), quai Claude-le-Lorrain Etat en 2011

Maison Huot, élévation de la façade sur le jardin Encre sur papier calque, 7 mai 1903 H. 62 cm ; l. 50 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 1877 (01) Maison de M. Huot Illustration extraite de La Revue lorraine illustrée, n° 1, 1908 « Emile André – Maison moderne » Coll. part. Une phototypie de la maison fut publiée à plusieurs reprises en 1908 ; d’abord dans le 1er numéro de la revue La Lorraine illustrée, puis dans Nouvelles constructions de Nancy. Recueil de façades de style moderne édifiées à Nancy. Paris, Librairie générale d’architecture et des arts décoratifs, Charles Schmid éditeur, 1908. Aujourd’hui disparu, le détail du dessin géométrique formé par les tuiles, visible sur cette photographie ancienne plusieurs fois publiées, est également connu grâce à un dessin de façade.

La maison Huot, symbole de l’architecture de l’Ecole de Nancy Les quelques motifs végétaux qui ornent la façade de la maison qu’André construisit en 1903 pour Frédéric Huot, quai Claude-le-Lorrain, ne suffisent pas à expliquer la célébrité de cette œuvre considérée aujourd’hui comme le symbole de l’architecture de l’Ecole de Nancy. Cette maison bénéficia très tôt d’une grande publicité. Ce qui plut à l’époque, c’est sans doute le caractère très pittoresque de sa façade. La multitude de matériaux utilisés (pierre meulière pour le soubassement, pierre d’Euville, brique rouge pour les arcs des soupiraux, brique vernissée bleue de la fenêtre outrepassée du rezde-chaussée, bois du balcon et des aisseliers, ferronnerie de la porte à deux ventaux, vitraux…) donna naissance à une façade polychrome que parachevait l’utilisation de tuiles colorées disposées selon un dessin géométrique. La variété de formes et de taille des percements renforçait encore au pittoresque de la demeure. Parce que seule sa façade fut reproduite dans la presse, elle concentra rapidement les critiques des ennemis de l’Art nouveau. Celles-ci contribuèrent, dès les années 1910,


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émile André, Art nouveau et modernités

Page de droite Nancy, maison de M. Huot (1903), quai Claude-le-Lorrain Etat en 2011

Maison Huot, élévation de la façade sur le jardin Encre sur papier calque, 7 mai 1903 H. 62 cm ; l. 50 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 1877 (01) Maison de M. Huot Illustration extraite de La Revue lorraine illustrée, n° 1, 1908 « Emile André – Maison moderne » Coll. part. Une phototypie de la maison fut publiée à plusieurs reprises en 1908 ; d’abord dans le 1er numéro de la revue La Lorraine illustrée, puis dans Nouvelles constructions de Nancy. Recueil de façades de style moderne édifiées à Nancy. Paris, Librairie générale d’architecture et des arts décoratifs, Charles Schmid éditeur, 1908. Aujourd’hui disparu, le détail du dessin géométrique formé par les tuiles, visible sur cette photographie ancienne plusieurs fois publiées, est également connu grâce à un dessin de façade.

La maison Huot, symbole de l’architecture de l’Ecole de Nancy Les quelques motifs végétaux qui ornent la façade de la maison qu’André construisit en 1903 pour Frédéric Huot, quai Claude-le-Lorrain, ne suffisent pas à expliquer la célébrité de cette œuvre considérée aujourd’hui comme le symbole de l’architecture de l’Ecole de Nancy. Cette maison bénéficia très tôt d’une grande publicité. Ce qui plut à l’époque, c’est sans doute le caractère très pittoresque de sa façade. La multitude de matériaux utilisés (pierre meulière pour le soubassement, pierre d’Euville, brique rouge pour les arcs des soupiraux, brique vernissée bleue de la fenêtre outrepassée du rezde-chaussée, bois du balcon et des aisseliers, ferronnerie de la porte à deux ventaux, vitraux…) donna naissance à une façade polychrome que parachevait l’utilisation de tuiles colorées disposées selon un dessin géométrique. La variété de formes et de taille des percements renforçait encore au pittoresque de la demeure. Parce que seule sa façade fut reproduite dans la presse, elle concentra rapidement les critiques des ennemis de l’Art nouveau. Celles-ci contribuèrent, dès les années 1910,


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à forger une image caricaturale de la production architecturale nancéienne. Les critiques rejetèrent le caractère décoratif de la maison Huot et accusèrent l’architecte de n’avoir tenu aucun compte des dispositions intérieures pour composer sa façade1. L’étude des plans d’André permet de relativiser ce jugement un peu hâtif. Derrière les deux plus grandes baies du rez-de-chaussée se développent les salons de la maison. A l’étage, les deux balcons sont placés au-devant des chambres principales. Considérer le programme particulier auquel l’architecte avait eu à se soumettre autorise une lecture encore plus fine de la façade. La maison a pour particularité d’être une maison double. Le propriétaire, Frédéric Huot, habitait l’un des deux logements et louait le second, ce qui lui permettait de financer l’ensemble de la construction. Bien que formant un tout cohérent, la façade reflète bien cette bipartition interne : c’est sur sa moitié gauche que se concentrent les recherches décoratives. Alors que la taille importante des deux fenêtres centrales du rez-de-chaussée signale à l’extérieur la présence d’une pièce de réception, la forme en fer à cheval de celle de gauche ainsi que les éléments décoratifs qui s’y accumulent permettent d’identifier ce logement comme celui du propriétaire de la maison.

Maison de M. Huot, détail de la porte d’entrée Tirage photographique sur papier Coll. part.

1  STOREZ, Maurice. « A propos de l’Ecole de Nancy. Correspondance », La Grande Revue. Décembre 1915, p. 377. Cité par GUéNé, Hélène. « L’Ecole de Nancy vue par les premiers modernes », LOYER, François (dir.). L’Ecole de Nancy et les arts décoratifs en Europe. Metz, Editions Serpenoise, 2000, p. 37.

Page de gauche Nancy, maison de M. Huot, détail de la fenêtre du rez-de-chaussée et du balcon Etat en 2010

Maison de M. Huot, détail de la porte d’entrée Etat en 2010


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à forger une image caricaturale de la production architecturale nancéienne. Les critiques rejetèrent le caractère décoratif de la maison Huot et accusèrent l’architecte de n’avoir tenu aucun compte des dispositions intérieures pour composer sa façade1. L’étude des plans d’André permet de relativiser ce jugement un peu hâtif. Derrière les deux plus grandes baies du rez-de-chaussée se développent les salons de la maison. A l’étage, les deux balcons sont placés au-devant des chambres principales. Considérer le programme particulier auquel l’architecte avait eu à se soumettre autorise une lecture encore plus fine de la façade. La maison a pour particularité d’être une maison double. Le propriétaire, Frédéric Huot, habitait l’un des deux logements et louait le second, ce qui lui permettait de financer l’ensemble de la construction. Bien que formant un tout cohérent, la façade reflète bien cette bipartition interne : c’est sur sa moitié gauche que se concentrent les recherches décoratives. Alors que la taille importante des deux fenêtres centrales du rez-de-chaussée signale à l’extérieur la présence d’une pièce de réception, la forme en fer à cheval de celle de gauche ainsi que les éléments décoratifs qui s’y accumulent permettent d’identifier ce logement comme celui du propriétaire de la maison.

Maison de M. Huot, détail de la porte d’entrée Tirage photographique sur papier Coll. part.

1  STOREZ, Maurice. « A propos de l’Ecole de Nancy. Correspondance », La Grande Revue. Décembre 1915, p. 377. Cité par GUéNé, Hélène. « L’Ecole de Nancy vue par les premiers modernes », LOYER, François (dir.). L’Ecole de Nancy et les arts décoratifs en Europe. Metz, Editions Serpenoise, 2000, p. 37.

Page de gauche Nancy, maison de M. Huot, détail de la fenêtre du rez-de-chaussée et du balcon Etat en 2010

Maison de M. Huot, détail de la porte d’entrée Etat en 2010


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Emile André, Art nouveau et modernités

Un architecte de son temps

Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de 1909, élévation de la façade principale Encre noire sur papier calque, 15 janvier 1908 Emile André et Gaston Munier H. 62,2 cm ; l. 65,7 cm Nancy, MEN inv AJM77.K.1 Bien que les dessins relatifs à ce projet qui sont conservés au musée de l’Ecole de Nancy aient été paraphés par les deux architectes, Emile André peut être considéré comme leur auteur principal. André et Munier renoncèrent finalement à l’élaboration du Pavillon de l’Ecole de Nancy au début du mois d’août 1908. Le 20 août 1908, ils adressèrent une facture de 1 500 francs correspondant aux honoraires dûs pour le projet d’exécution du Pavillon de l’Ecole de Nancy. Plus d’un an plus tard, le 6 octobre 1909, ils n’étaient toujours pas payés et firent parvenir au maire de Nancy une nouvelle facture du même montant. (Voir les documents conservés aux archives municipales de Nancy, (K) R2-19.)

à la verrerie, une autre à la reliure et une troisième à la broderie. L’espace central de la galerie qui prolongeait la « maison type » bénéficiait d’un éclairage zénithal idéal pour la présentation de peintures décoratives.

Page de droite Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de 1909, élévation de la façade latérale ouest Encre noire sur papier calque, 15 février 1908 Emile André et Gaston Munier H. 56,2 cm ; l. 91,6 cm Nancy, MEN inv AJM77.K.3 Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de 1909, élévation de la façade latérale est Encre noire sur papier calque, 15 janvier 1908 Emile André et Gaston Munier H. 57,6 cm ; l. 92 cm Nancy, MEN inv AJM77.K.2

De nouvelles difficultés, financières notamment, amenèrent André à retravailler son projet. Toutes différentes, les ultimes façades qu’il dessina montrent sa volonté de faire du Pavillon une sorte de rétrospective de ses œuvres antérieures – et désignent par là même André comme leur seul auteur. Le sobre appareillage de la façade est un souvenir de la villa Les Glycines du parc de Saurupt. Outre le grand pignon de la façade principale qui est repris de la maison Huot, on retrouve un type de grande lucarne rentrante déjà utilisé pour la maison du docteur Grosjean, rue Félix-Faure, en 1905. La porte d’entrée principale, elle, est directement inspirée de celle mise au point pour le concours de la nouvelle Ecole des beaux-arts en 1906… En accumulant ainsi les citations de ses propres œuvres pour créer le pavillon de l’Ecole de Nancy, André élevait sa production au rang de modèle architectural de l’Art nouveau nancéien. Malheureusement, les plans dressés par André ne furent jamais réalisés. Quelles qu’aient pu être ses qualités, le Pavillon qui fut finalement élevé sur les plans d’Eugène Vallin ne reflète en rien la production architecturale nancéienne. Sous couvert d’employer le béton armé – matériau emblématique de l’architecture du xxe siècle –, Vallin, incapable de dépasser sa pratique, réalisa une architecture avant tout plastique. Pour les dispositions intérieures, le grand ébéniste renonça également à l’une des ambitions les plus intéressantes d’André : chaque artiste ou industriel y exposa dans le cadre d’un stand qui lui était exclusivement réservé. L’idéal du groupe d’artistes ne résistait pas aux réalités commerciales ; l’Exposition internationale de l’Est de la France fut la dernière manifestation à laquelle prit part l’Alliance provinciale des industries d’art.

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Un architecte de son temps

Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de 1909, élévation de la façade principale Encre noire sur papier calque, 15 janvier 1908 Emile André et Gaston Munier H. 62,2 cm ; l. 65,7 cm Nancy, MEN inv AJM77.K.1 Bien que les dessins relatifs à ce projet qui sont conservés au musée de l’Ecole de Nancy aient été paraphés par les deux architectes, Emile André peut être considéré comme leur auteur principal. André et Munier renoncèrent finalement à l’élaboration du Pavillon de l’Ecole de Nancy au début du mois d’août 1908. Le 20 août 1908, ils adressèrent une facture de 1 500 francs correspondant aux honoraires dûs pour le projet d’exécution du Pavillon de l’Ecole de Nancy. Plus d’un an plus tard, le 6 octobre 1909, ils n’étaient toujours pas payés et firent parvenir au maire de Nancy une nouvelle facture du même montant. (Voir les documents conservés aux archives municipales de Nancy, (K) R2-19.)

à la verrerie, une autre à la reliure et une troisième à la broderie. L’espace central de la galerie qui prolongeait la « maison type » bénéficiait d’un éclairage zénithal idéal pour la présentation de peintures décoratives.

Page de droite Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de 1909, élévation de la façade latérale ouest Encre noire sur papier calque, 15 février 1908 Emile André et Gaston Munier H. 56,2 cm ; l. 91,6 cm Nancy, MEN inv AJM77.K.3 Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de 1909, élévation de la façade latérale est Encre noire sur papier calque, 15 janvier 1908 Emile André et Gaston Munier H. 57,6 cm ; l. 92 cm Nancy, MEN inv AJM77.K.2

De nouvelles difficultés, financières notamment, amenèrent André à retravailler son projet. Toutes différentes, les ultimes façades qu’il dessina montrent sa volonté de faire du Pavillon une sorte de rétrospective de ses œuvres antérieures – et désignent par là même André comme leur seul auteur. Le sobre appareillage de la façade est un souvenir de la villa Les Glycines du parc de Saurupt. Outre le grand pignon de la façade principale qui est repris de la maison Huot, on retrouve un type de grande lucarne rentrante déjà utilisé pour la maison du docteur Grosjean, rue Félix-Faure, en 1905. La porte d’entrée principale, elle, est directement inspirée de celle mise au point pour le concours de la nouvelle Ecole des beaux-arts en 1906… En accumulant ainsi les citations de ses propres œuvres pour créer le pavillon de l’Ecole de Nancy, André élevait sa production au rang de modèle architectural de l’Art nouveau nancéien. Malheureusement, les plans dressés par André ne furent jamais réalisés. Quelles qu’aient pu être ses qualités, le Pavillon qui fut finalement élevé sur les plans d’Eugène Vallin ne reflète en rien la production architecturale nancéienne. Sous couvert d’employer le béton armé – matériau emblématique de l’architecture du xxe siècle –, Vallin, incapable de dépasser sa pratique, réalisa une architecture avant tout plastique. Pour les dispositions intérieures, le grand ébéniste renonça également à l’une des ambitions les plus intéressantes d’André : chaque artiste ou industriel y exposa dans le cadre d’un stand qui lui était exclusivement réservé. L’idéal du groupe d’artistes ne résistait pas aux réalités commerciales ; l’Exposition internationale de l’Est de la France fut la dernière manifestation à laquelle prit part l’Alliance provinciale des industries d’art.

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émile André, Art nouveau et modernités magasin de confection à Bruxelles, François Vaxelaire a pu encourager Emile André à s’intéresser à l’œuvre d’Hankar dont la réputation s’était en partie bâtie sur les nombreuses boutiques qu’il réalisa en Belgique. On peut penser que Vaxelaire, lorsqu’il fit appel à André pour concevoir les vitrines de son nouveau magasin nancéien, demanda à son architecte de lui réaliser une devanture dans le genre moderne de celles qui se multipliaient à Bruxelles. Ernest Solvay renvoie, lui, à Victor Horta, l’architecte de son hôtel particulier de Bruxelles. Ernest Solvay – ou plus exactement son usine de Dombasle – fit également appel à Emile André à partir de 1905 pour la construction de maisons ouvrières. Epris d’Art nouveau, l’industriel belge est peut-être l’intermédiaire qui permit à Emile André de visiter la propriété du Baron de Wangen, seule œuvre d’Horta réalisée sur le territoire français. Gendre d’Ernest Solvay, le baron de Wangen fit bâtir, entre 1897 et 1899, un château sur les plans de Victor Horta à Chambley. Malheureusement non datés, deux dessins, qui représentent un épi de faîtage et un détail du manteau de la cheminée de la salle à manger, établis par André prouvent qu’il visita l’œuvre lorraine du grand architecte belge avant qu’il ne soit détruit pendant la Première Guerre mondiale.

Une architecture sous influence Pour des œuvres architecturales, il n’est pas toujours aisé de déterminer avec certitude les modèles précis qui ont pu inspirer tel ou tel détail. Certains projets d’André, très largement documentés, permettent de retracer son processus créatif. Le portique dessiné pour la section de l’Ecole de Nancy à l’Exposition des arts décoratifs de Turin est de ceux-là. A côté de la séduisante solution d’un grand portique composé de deux brassées de chardons hors d’échelle, d’autres dessins ne laissent aucun doute quant à la source de son inspiration. Ils sont si semblables aux portiques réalisés par Paul Hankar pour l’exposition de Tervueren de 1897 que cela ne peut être fortuit. Les photographies présentant les aménagements d’Hankar furent souvent reproduites dans la presse internationale. Les projets d’André ont en commun avec les réalisations du maître belge leur forme générale qui évoque clairement les torii des temples shintoïstes japonais.

Salle de l’exposition coloniale, Tervueren (1897) Paul Hankar Illustration parue dans Art et Décoration, septembre 1897 Coll. part.

Page de droite Portique d’entrée du Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de Turin, études Aquarelle sur papier, 1902 « Exposition de Turin / E. André 25.2.1902 » H. 36 cm ; l. 54 cm H. 35,8 cm ; l. 53,9 cm H. 36,3 cm ; l. 54 cm H. 36 cm ; l. 54,1 cm H. 35,7 cm ; l. 55,1 cm Nancy, MEN inv EA1902-1, inv EA.1902-3, inv EA.1902-2, inv EA.1902-4 et inv EA.1902.6


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émile André, Art nouveau et modernités magasin de confection à Bruxelles, François Vaxelaire a pu encourager Emile André à s’intéresser à l’œuvre d’Hankar dont la réputation s’était en partie bâtie sur les nombreuses boutiques qu’il réalisa en Belgique. On peut penser que Vaxelaire, lorsqu’il fit appel à André pour concevoir les vitrines de son nouveau magasin nancéien, demanda à son architecte de lui réaliser une devanture dans le genre moderne de celles qui se multipliaient à Bruxelles. Ernest Solvay renvoie, lui, à Victor Horta, l’architecte de son hôtel particulier de Bruxelles. Ernest Solvay – ou plus exactement son usine de Dombasle – fit également appel à Emile André à partir de 1905 pour la construction de maisons ouvrières. Epris d’Art nouveau, l’industriel belge est peut-être l’intermédiaire qui permit à Emile André de visiter la propriété du Baron de Wangen, seule œuvre d’Horta réalisée sur le territoire français. Gendre d’Ernest Solvay, le baron de Wangen fit bâtir, entre 1897 et 1899, un château sur les plans de Victor Horta à Chambley. Malheureusement non datés, deux dessins, qui représentent un épi de faîtage et un détail du manteau de la cheminée de la salle à manger, établis par André prouvent qu’il visita l’œuvre lorraine du grand architecte belge avant qu’il ne soit détruit pendant la Première Guerre mondiale.

Une architecture sous influence Pour des œuvres architecturales, il n’est pas toujours aisé de déterminer avec certitude les modèles précis qui ont pu inspirer tel ou tel détail. Certains projets d’André, très largement documentés, permettent de retracer son processus créatif. Le portique dessiné pour la section de l’Ecole de Nancy à l’Exposition des arts décoratifs de Turin est de ceux-là. A côté de la séduisante solution d’un grand portique composé de deux brassées de chardons hors d’échelle, d’autres dessins ne laissent aucun doute quant à la source de son inspiration. Ils sont si semblables aux portiques réalisés par Paul Hankar pour l’exposition de Tervueren de 1897 que cela ne peut être fortuit. Les photographies présentant les aménagements d’Hankar furent souvent reproduites dans la presse internationale. Les projets d’André ont en commun avec les réalisations du maître belge leur forme générale qui évoque clairement les torii des temples shintoïstes japonais.

Salle de l’exposition coloniale, Tervueren (1897) Paul Hankar Illustration parue dans Art et Décoration, septembre 1897 Coll. part.

Page de droite Portique d’entrée du Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’Exposition de Turin, études Aquarelle sur papier, 1902 « Exposition de Turin / E. André 25.2.1902 » H. 36 cm ; l. 54 cm H. 35,8 cm ; l. 53,9 cm H. 36,3 cm ; l. 54 cm H. 36 cm ; l. 54,1 cm H. 35,7 cm ; l. 55,1 cm Nancy, MEN inv EA1902-1, inv EA.1902-3, inv EA.1902-2, inv EA.1902-4 et inv EA.1902.6


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Emile André, Art nouveau et modernités

Guéridon aux ombelles, étude et détail du décor sculpté d’ombellifères Crayon graphite et rehauts de gouache sur papier H. 42 cm ; l. 36 cm H. 58,5 cm ; l. 41 cm Nancy, MEN inv 003.6.35 et inv 003.6.36 De façon surprenante, Emile Nicolas sembla reprocher le caractère nancéien du guéridon aux ombelles : « (…) voici un petit guéridon construit sur un type que nous rencontrons souvent dans le mobilier contemporain. On y sent encore l’influence des maîtres nancéiens qui ont exercé parfois leur talent dans ce genre riche. On pourrait lui faire le reproche d’avoir longuement absorbé l’attention et les études de ses auteurs, car comme tout objet de luxe il ne répond pas à un besoin immédiat. Ces remarques peuvent s’appliquer à beaucoup de meubles de nos artistes actuels qui trop souvent négligent l’objet usuel. » NICOLAS, Emile. « L’architecture et le mobilier architectural modernes à Nancy (suite) », La Lorraine artiste. 20e année, n° 12, 15 juin 1902, pp. 179 et 180

Page de droite Guéridon aux ombelles Acajou sculpté, marqueterie de bois H. 75 cm ; l. 75 cm ; p. 75 cm Coll. part.

Un architecte de son temps

Détails de composition A l’instar de ses collègues lorrains, André tira parfois du monde végétal la structure même d’un meuble, lui conférant ainsi l’allure générale d’une plante. D’une facture particulièrement précieuse, l’écran de feu et le guéridon aux ombelles – deux meubles présentés successivement au Salon lorrain de 1901 puis au Pavillon de Marsan en 1903 – peuvent être considérés comme des meubles typiquement nancéiens. Ces deux meubles ont en commun une structure qui copie – plus qu’elle n’évoque – la tige d’une plante et ses ramifications, et une ornementation faite de motifs floraux figuratifs. Objets d’exception, l’écran de feu et le guéridon ne semblent plus pouvoir être qualifiés de meubles d’architecte en ce sens que leur caractère décoratif prend le pas sur leur mode constructif. Les assemblages sont dissimulés ; l’attention se focalise sur le motif végétal marqueté. Avec ces exemples, nous sommes loin du rationalisme appuyé – et peut-être exagéré – du banc dont les tenons apparents constituaient le seul décor. Le guéridon et l’écran font figure de concession faite par Emile André à l’esthétique nancéienne la plus répandue. D’autres fois, André ne conserva de la plante que son caractère organique. Sensible au poème reproduit dans L’Immeuble et la construction dans l’Est où figurait ce vers : « Jette la fleur garde la tige1... » – allusion qui, une nouvelle fois, renvoie à Horta –, il s’intéressa surtout aux ramifications de la plante et à sa croissance. Le caractère organique particulièrement marqué de la façade de l’immeuble de Jules-Léon Lombard, avenue Foch, témoigne de cet intérêt. Chacun des éléments qui la composent semble

1  MALéZIEUX, J. « L’Art nouveau. Vermiculures à un neveu », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 16e année, n° 13, dimanche 29 juillet 1900, p. 98.

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Emile André, Art nouveau et modernités

Guéridon aux ombelles, étude et détail du décor sculpté d’ombellifères Crayon graphite et rehauts de gouache sur papier H. 42 cm ; l. 36 cm H. 58,5 cm ; l. 41 cm Nancy, MEN inv 003.6.35 et inv 003.6.36 De façon surprenante, Emile Nicolas sembla reprocher le caractère nancéien du guéridon aux ombelles : « (…) voici un petit guéridon construit sur un type que nous rencontrons souvent dans le mobilier contemporain. On y sent encore l’influence des maîtres nancéiens qui ont exercé parfois leur talent dans ce genre riche. On pourrait lui faire le reproche d’avoir longuement absorbé l’attention et les études de ses auteurs, car comme tout objet de luxe il ne répond pas à un besoin immédiat. Ces remarques peuvent s’appliquer à beaucoup de meubles de nos artistes actuels qui trop souvent négligent l’objet usuel. » NICOLAS, Emile. « L’architecture et le mobilier architectural modernes à Nancy (suite) », La Lorraine artiste. 20e année, n° 12, 15 juin 1902, pp. 179 et 180

Page de droite Guéridon aux ombelles Acajou sculpté, marqueterie de bois H. 75 cm ; l. 75 cm ; p. 75 cm Coll. part.

Un architecte de son temps

Détails de composition A l’instar de ses collègues lorrains, André tira parfois du monde végétal la structure même d’un meuble, lui conférant ainsi l’allure générale d’une plante. D’une facture particulièrement précieuse, l’écran de feu et le guéridon aux ombelles – deux meubles présentés successivement au Salon lorrain de 1901 puis au Pavillon de Marsan en 1903 – peuvent être considérés comme des meubles typiquement nancéiens. Ces deux meubles ont en commun une structure qui copie – plus qu’elle n’évoque – la tige d’une plante et ses ramifications, et une ornementation faite de motifs floraux figuratifs. Objets d’exception, l’écran de feu et le guéridon ne semblent plus pouvoir être qualifiés de meubles d’architecte en ce sens que leur caractère décoratif prend le pas sur leur mode constructif. Les assemblages sont dissimulés ; l’attention se focalise sur le motif végétal marqueté. Avec ces exemples, nous sommes loin du rationalisme appuyé – et peut-être exagéré – du banc dont les tenons apparents constituaient le seul décor. Le guéridon et l’écran font figure de concession faite par Emile André à l’esthétique nancéienne la plus répandue. D’autres fois, André ne conserva de la plante que son caractère organique. Sensible au poème reproduit dans L’Immeuble et la construction dans l’Est où figurait ce vers : « Jette la fleur garde la tige1... » – allusion qui, une nouvelle fois, renvoie à Horta –, il s’intéressa surtout aux ramifications de la plante et à sa croissance. Le caractère organique particulièrement marqué de la façade de l’immeuble de Jules-Léon Lombard, avenue Foch, témoigne de cet intérêt. Chacun des éléments qui la composent semble

1  MALéZIEUX, J. « L’Art nouveau. Vermiculures à un neveu », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 16e année, n° 13, dimanche 29 juillet 1900, p. 98.

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Emile André, Art nouveau et modernités

Maison de M. Fernbach, plans du rez-de-chaussée et du premier étage (dét.) Encre noire et rouge sur papier Nancy, MEN inv AJM77.D.6 Le volume en retrait sur la façade principale sert non seulement à la circulation verticale, mais également à la circulation horizontale à l’intérieur même de la maison : en effet, il n’y a de couloir ni au rez-dechaussée ni à l’étage. Au rez-de-chaussée, le vaste hall donne accès à la fois à la salle à manger et au cabinet de travail. Le salon, lui, n’est accessible que depuis la salle à manger ou depuis le cabinet de travail. Au premier étage, le dispositif est à peu près identique : les deux chambres et la salle de bain ouvrent sur le vaste dégagement du palier de l’escalier et chacune des chambres possède un accès direct à la salle de bain. La cuisine se trouvait à l’origine dans le sous-sol surélevé, à côté de la buanderie qui possède un accès direct depuis le jardin.

Page de droite Maison de M. Fernbach (villa Les Glycines) (1902), rue des Brices Tirage photographique sur papier H. 14 cm ; l. 17 cm Nancy, MEN inv 003.6.4 Maison de M. Fernbach, élévations des façades principale et latérale (dét.) Encre noire et rouge sur papier Nancy, MEN inv AJM77.D.6

Un architecte de son temps

à la fois « quasi en pleine ville et en pleine campagne1 ». Emile Nicolas, quant à lui, rapporte que la villa Lejeune, à l’origine, avait été conçue pour être construite sur « un terrain très dégagé et très découvert avec un fond d’arbres2 ». C’est donc sans doute parce qu’elles participaient au débat contemporain visant à la création de maisons de campagne modernes en France que ces deux villas acquirent une célébrité rapide. Parce qu’elles proposaient des solutions nouvelles, elles furent montrées en exemple par la presse de l’époque3 et furent également très largement présentées lors des expositions auxquelles Emile André prit part4.

Fluidité des espaces intérieurs Un an avant que ne paraisse l’article de Gabriel Mourey encourageant le renouveau de la maison de campagne en France, Emile Nicolas avait déjà vivement critiqué la conception de la distribution intérieure en usage dans ce type de demeures. Ainsi déplorait-il que toutes les personnes « qui se trouv[aient] dans des situations de fortune aisée, n’[avaient]

1  L’auteur reprend ici un article qu’il avait fait paraître dans L’Immeuble et la construction dans l’Est du 15 octobre 1906. BADEL, Emile. Le Parc de Saurupt. Hier, aujourd’hui, demain. Op. cit., p. 22. 2  NICOLAS, Emile. « Une maison moderne de M. Emile André », La Lorraine artiste. 22e année, n° 7, 1er avril 1904, p. 104. 3  Dès 1903, deux photographies de la villa Lejeune illustrent l’article : RAIS, Jules. « L’Ecole de Nancy et son exposition au musée des Arts décoratifs », Art et Décoration. 7e année, n° 4, avril 1903, pp. 129138. L’extérieur de la villa est également reproduit dans : ANONYME. « L’Ecole de Nancy à Paris », La Lorraine artiste. 21e année, n° 6, 15 mars 1903, pp. 82-92. La villa Lejeune fit l’objet d’un long article d’Emile Nicolas paru dans La Lorraine artiste du 1er avril 1904. Le même article fut quasiment repris à l’identique dans le 9e numéro de la revue belge Le Cottage de décembre 1904. Une vue intérieure et une vue extérieure de la villa Lejeune sont également reproduites aux pages 33 et 34 de l’ouvrage : MARTIN, Eugène. Comment la Lorraine travaille à l’œuvre nationale de la décentralisation. Nancy, Revue lorraine illustrée, 1906. Une photographie de la villa Les Glycines fut publiée dans la Revue lorraine illustrée, pl. X, n° 2 , en 1906. Les deux villas sont aussi reproduites dans : ANONYME. Nouvelles constructions de Nancy. Recueil de façades de style moderne édifiées à Nancy. Paris, Librairie générale d’architecture et des arts décoratifs, Charles Schmid éditeur, s.d. 4  De nombreuses études de détails d’exécution ainsi que des photographies des deux villas furent présentées à l’occasion de l’exposition de l’Ecole de Nancy au Pavillon de Marsan au Louvre, à Paris, en 1903, et à l’Exposition lorraine des amis des arts qui se tint dans les Galeries Poirel à Nancy, en 1904.

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Maison de M. Fernbach, plans du rez-de-chaussée et du premier étage (dét.) Encre noire et rouge sur papier Nancy, MEN inv AJM77.D.6 Le volume en retrait sur la façade principale sert non seulement à la circulation verticale, mais également à la circulation horizontale à l’intérieur même de la maison : en effet, il n’y a de couloir ni au rez-dechaussée ni à l’étage. Au rez-de-chaussée, le vaste hall donne accès à la fois à la salle à manger et au cabinet de travail. Le salon, lui, n’est accessible que depuis la salle à manger ou depuis le cabinet de travail. Au premier étage, le dispositif est à peu près identique : les deux chambres et la salle de bain ouvrent sur le vaste dégagement du palier de l’escalier et chacune des chambres possède un accès direct à la salle de bain. La cuisine se trouvait à l’origine dans le sous-sol surélevé, à côté de la buanderie qui possède un accès direct depuis le jardin.

Page de droite Maison de M. Fernbach (villa Les Glycines) (1902), rue des Brices Tirage photographique sur papier H. 14 cm ; l. 17 cm Nancy, MEN inv 003.6.4 Maison de M. Fernbach, élévations des façades principale et latérale (dét.) Encre noire et rouge sur papier Nancy, MEN inv AJM77.D.6

Un architecte de son temps

à la fois « quasi en pleine ville et en pleine campagne1 ». Emile Nicolas, quant à lui, rapporte que la villa Lejeune, à l’origine, avait été conçue pour être construite sur « un terrain très dégagé et très découvert avec un fond d’arbres2 ». C’est donc sans doute parce qu’elles participaient au débat contemporain visant à la création de maisons de campagne modernes en France que ces deux villas acquirent une célébrité rapide. Parce qu’elles proposaient des solutions nouvelles, elles furent montrées en exemple par la presse de l’époque3 et furent également très largement présentées lors des expositions auxquelles Emile André prit part4.

Fluidité des espaces intérieurs Un an avant que ne paraisse l’article de Gabriel Mourey encourageant le renouveau de la maison de campagne en France, Emile Nicolas avait déjà vivement critiqué la conception de la distribution intérieure en usage dans ce type de demeures. Ainsi déplorait-il que toutes les personnes « qui se trouv[aient] dans des situations de fortune aisée, n’[avaient]

1  L’auteur reprend ici un article qu’il avait fait paraître dans L’Immeuble et la construction dans l’Est du 15 octobre 1906. BADEL, Emile. Le Parc de Saurupt. Hier, aujourd’hui, demain. Op. cit., p. 22. 2  NICOLAS, Emile. « Une maison moderne de M. Emile André », La Lorraine artiste. 22e année, n° 7, 1er avril 1904, p. 104. 3  Dès 1903, deux photographies de la villa Lejeune illustrent l’article : RAIS, Jules. « L’Ecole de Nancy et son exposition au musée des Arts décoratifs », Art et Décoration. 7e année, n° 4, avril 1903, pp. 129138. L’extérieur de la villa est également reproduit dans : ANONYME. « L’Ecole de Nancy à Paris », La Lorraine artiste. 21e année, n° 6, 15 mars 1903, pp. 82-92. La villa Lejeune fit l’objet d’un long article d’Emile Nicolas paru dans La Lorraine artiste du 1er avril 1904. Le même article fut quasiment repris à l’identique dans le 9e numéro de la revue belge Le Cottage de décembre 1904. Une vue intérieure et une vue extérieure de la villa Lejeune sont également reproduites aux pages 33 et 34 de l’ouvrage : MARTIN, Eugène. Comment la Lorraine travaille à l’œuvre nationale de la décentralisation. Nancy, Revue lorraine illustrée, 1906. Une photographie de la villa Les Glycines fut publiée dans la Revue lorraine illustrée, pl. X, n° 2 , en 1906. Les deux villas sont aussi reproduites dans : ANONYME. Nouvelles constructions de Nancy. Recueil de façades de style moderne édifiées à Nancy. Paris, Librairie générale d’architecture et des arts décoratifs, Charles Schmid éditeur, s.d. 4  De nombreuses études de détails d’exécution ainsi que des photographies des deux villas furent présentées à l’occasion de l’exposition de l’Ecole de Nancy au Pavillon de Marsan au Louvre, à Paris, en 1903, et à l’Exposition lorraine des amis des arts qui se tint dans les Galeries Poirel à Nancy, en 1904.

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émile André, Art nouveau et modernités

Maison de M. Fernbach (1902), rue des Brices, vue intérieure de la salle à manger Tirage photographique sur papier H. 48 cm ; l. 38,5 cm Nancy, MEN inv AJM.D.2 La cohérence de la décoration intérieure de la salle à manger de la villa Fernbach est assurée par l’adoption de motifs similaires sur différents supports. Ainsi, le corps bas des buffets reprend à l’identique la division des bas lambris qui courent tout autour de la pièce. D’autre part, les délardements pratiqués sur les buffets sont soulignés par une couleur bleuvert identique à celle apposée sur les délardements des lambris et des fausses poutres du plafond. De la même manière, la partie supérieure vitrée des buffets reprend la forme évoquant une branche et ses ramifications animant toutes les portes de la maison. La partie vitrée est occupée par des pièces moulées, peintes et gravées qui ont l’allure de véritables vitraux. Les motifs qui y sont représentés figurent des feuilles de monnaie-du-pape, motif très souvent utilisé par les artistes de l’Ecole de Nancy. Il convient également de remarquer que le principe adopté par André pour toute la décoration de la maison, selon lequel les éléments structurels reprenant la forme de tiges et de leurs ramifications sont associés à des éléments de remplissage pourvus de motifs figurant des feuilles et des fleurs, est repris pour les buffets. Ainsi, les feuilles représentées sur les verres du corps supérieur des buffets semblentelles dépendre des petits bois qui compartimentent les vantaux des portes du meuble.

Page de droite Maison de M. Lejeune (1902), rue du Sergent-Blandan, vue intérieure de l’atelier Tirage photographique sur papier H. 20,5 cm ; l. 15 cm Nancy, MEN inv 003.6.22

métallique. Là encore, la sensibilité commune des deux artistes contribue à expliquer leur collaboration étroite dans l’élaboration des plans et du décor de la villa. Il semble qu’Armand Lejeune n’occupait qu’occasionnellement sa villa nancéienne. D’ailleurs, l’atelier ne ressemble en rien à une pièce dans laquelle un artiste pourrait travailler : nulle trace de chevalet ou d’un quelconque outil permettant au peintre d’exercer son talent. Au contraire, le décor savamment pensé suggère plutôt une mise en scène recherchée. La villa Lejeune est moins un atelier d’artiste que la maison d’un collectionneur. Une photographie publiée dans la revue Le Cottage1 montre une sorte d’alcôve ménagée sous la coursive menant aux chambres de l’étage. Elle est obtenue par des tentures artistiquement agencées et une profusion de coussins qui lui donnent l’allure exotique de l’intérieur d’une tente que l’on aurait dressée au beau milieu du désert marocain. En ce sens, la décoration intérieure de la villa évoque une installation, une œuvre d’art en soi. Toutes les photographies ayant été publiées et présentant des vues intérieures ressemblent aux images composées – et quelque peu artificielles – des revues de décoration actuelles. Elles véhiculent une ambiance forte et peuvent être considérées comme de véritables documents publicitaires. A ce titre, la villa Lejeune s’apparente à une maison témoin, une œuvre destinée à valoriser le talent qu’Emile André et Armand Lejeune pouvaient mettre au service d’éventuels futurs clients. Rien n’indique que Charles Fernbach ait participé personnellement à l’élaboration des plans de sa maison. Toutefois, en qualité d’industriel2, il faisait partie de la clientèle « acquise » aux artistes Art nouveau de Nancy3. Soucieux de se donner une image moderne et dynamique, il se tourna vers l’un des architectes nancéiens les plus prometteurs pour la réalisation de sa demeure. Celle-ci répond à des fins bien différentes de celles qui avaient présidé à la construction de la villa Lejeune. Charles Fernbach ne possédait ni collection d’œuvres d’art ni talent artistique particulier, aussi Emile André fut-il beaucoup plus libre dans la conception de son projet. Ceci explique également qu’il eut à penser des meubles adaptés aux intérieurs qu’il créa pour Fernbach. Bien qu’il ne s’agisse aucunement de copies de meubles traditionnels lorrains, les buffets que l’architecte dessina pour la salle à manger se fondent dans le cadre campagnard de la pièce. Sobres et robustes, ils se présentent comme la synthèse subtile d’éléments inventés par un artiste moderne tout en conservant l’allure générale des meubles populaires traditionnels. Puisqu’il ne pouvait s’appuyer sur la collection de son commanditaire pour donner naissance à des intérieurs à l’ambiance marquée, Emile André dut inventer luimême une forme de décor moderne. L’allusion à la culture régionale n’était que le point de départ d’une création originale. Pour cela, il fut entouré d’une équipe d’artistes et d’artisans. Les buffets de la salle à manger ont sans doute été réalisés par l’entreprise Klein-Neiss ; une entreprise parisienne fut chargée des vitres qui garnissent les portes du corps supérieur4. La maison Mienville réalisa peut-être les boiseries ainsi que les portes intérieures ; Létrillart exécuta vraisemblablement la frise ornant le haut des murs de la salle à manger5. André sollicita la collaboration de deux sculpteurs pour réaliser

1  ANONYME. « Une villa d’artiste à Nancy par Emile André, architecte », Le Cottage, 2e année, n° 9, novembre-décembre 1904, pp. 142-149 (ici p. 149). 2  Charles Fernbach, dans le compromis de vente de sa maison du parc de Saurupt daté du 24 février 1910, est présenté comme « négociant » attaché à la société des Tonnelleries lorraines, et « administrateur des Grandes Brasseries de Malzéville ». 3  GROSJEAN, Catherine, ROUSSEL, Francis. « Les Commanditaires » in LOYER, François (dir.). L’Ecole de Nancy, 1889-1909. Art nouveau et industries d’art. Paris, RMN, 1999, pp. 125-133. 4  Sur les verres figure le nom de l’entreprise Cassaigne-Paris. 5  Pour ces attributions, nous nous basons sur les œuvres qu’Emile André présenta à l’exposition de la Société lorraine des amis des arts de 1904. ANONYME. Société lorraine des amis des arts. Catalogue. XLIe exposition. Nancy, phototypie et photogravure d’art Farnier et Chauvette, 1904, p. 37.


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Maison de M. Fernbach (1902), rue des Brices, vue intérieure de la salle à manger Tirage photographique sur papier H. 48 cm ; l. 38,5 cm Nancy, MEN inv AJM.D.2 La cohérence de la décoration intérieure de la salle à manger de la villa Fernbach est assurée par l’adoption de motifs similaires sur différents supports. Ainsi, le corps bas des buffets reprend à l’identique la division des bas lambris qui courent tout autour de la pièce. D’autre part, les délardements pratiqués sur les buffets sont soulignés par une couleur bleuvert identique à celle apposée sur les délardements des lambris et des fausses poutres du plafond. De la même manière, la partie supérieure vitrée des buffets reprend la forme évoquant une branche et ses ramifications animant toutes les portes de la maison. La partie vitrée est occupée par des pièces moulées, peintes et gravées qui ont l’allure de véritables vitraux. Les motifs qui y sont représentés figurent des feuilles de monnaie-du-pape, motif très souvent utilisé par les artistes de l’Ecole de Nancy. Il convient également de remarquer que le principe adopté par André pour toute la décoration de la maison, selon lequel les éléments structurels reprenant la forme de tiges et de leurs ramifications sont associés à des éléments de remplissage pourvus de motifs figurant des feuilles et des fleurs, est repris pour les buffets. Ainsi, les feuilles représentées sur les verres du corps supérieur des buffets semblentelles dépendre des petits bois qui compartimentent les vantaux des portes du meuble.

Page de droite Maison de M. Lejeune (1902), rue du Sergent-Blandan, vue intérieure de l’atelier Tirage photographique sur papier H. 20,5 cm ; l. 15 cm Nancy, MEN inv 003.6.22

métallique. Là encore, la sensibilité commune des deux artistes contribue à expliquer leur collaboration étroite dans l’élaboration des plans et du décor de la villa. Il semble qu’Armand Lejeune n’occupait qu’occasionnellement sa villa nancéienne. D’ailleurs, l’atelier ne ressemble en rien à une pièce dans laquelle un artiste pourrait travailler : nulle trace de chevalet ou d’un quelconque outil permettant au peintre d’exercer son talent. Au contraire, le décor savamment pensé suggère plutôt une mise en scène recherchée. La villa Lejeune est moins un atelier d’artiste que la maison d’un collectionneur. Une photographie publiée dans la revue Le Cottage1 montre une sorte d’alcôve ménagée sous la coursive menant aux chambres de l’étage. Elle est obtenue par des tentures artistiquement agencées et une profusion de coussins qui lui donnent l’allure exotique de l’intérieur d’une tente que l’on aurait dressée au beau milieu du désert marocain. En ce sens, la décoration intérieure de la villa évoque une installation, une œuvre d’art en soi. Toutes les photographies ayant été publiées et présentant des vues intérieures ressemblent aux images composées – et quelque peu artificielles – des revues de décoration actuelles. Elles véhiculent une ambiance forte et peuvent être considérées comme de véritables documents publicitaires. A ce titre, la villa Lejeune s’apparente à une maison témoin, une œuvre destinée à valoriser le talent qu’Emile André et Armand Lejeune pouvaient mettre au service d’éventuels futurs clients. Rien n’indique que Charles Fernbach ait participé personnellement à l’élaboration des plans de sa maison. Toutefois, en qualité d’industriel2, il faisait partie de la clientèle « acquise » aux artistes Art nouveau de Nancy3. Soucieux de se donner une image moderne et dynamique, il se tourna vers l’un des architectes nancéiens les plus prometteurs pour la réalisation de sa demeure. Celle-ci répond à des fins bien différentes de celles qui avaient présidé à la construction de la villa Lejeune. Charles Fernbach ne possédait ni collection d’œuvres d’art ni talent artistique particulier, aussi Emile André fut-il beaucoup plus libre dans la conception de son projet. Ceci explique également qu’il eut à penser des meubles adaptés aux intérieurs qu’il créa pour Fernbach. Bien qu’il ne s’agisse aucunement de copies de meubles traditionnels lorrains, les buffets que l’architecte dessina pour la salle à manger se fondent dans le cadre campagnard de la pièce. Sobres et robustes, ils se présentent comme la synthèse subtile d’éléments inventés par un artiste moderne tout en conservant l’allure générale des meubles populaires traditionnels. Puisqu’il ne pouvait s’appuyer sur la collection de son commanditaire pour donner naissance à des intérieurs à l’ambiance marquée, Emile André dut inventer luimême une forme de décor moderne. L’allusion à la culture régionale n’était que le point de départ d’une création originale. Pour cela, il fut entouré d’une équipe d’artistes et d’artisans. Les buffets de la salle à manger ont sans doute été réalisés par l’entreprise Klein-Neiss ; une entreprise parisienne fut chargée des vitres qui garnissent les portes du corps supérieur4. La maison Mienville réalisa peut-être les boiseries ainsi que les portes intérieures ; Létrillart exécuta vraisemblablement la frise ornant le haut des murs de la salle à manger5. André sollicita la collaboration de deux sculpteurs pour réaliser

1  ANONYME. « Une villa d’artiste à Nancy par Emile André, architecte », Le Cottage, 2e année, n° 9, novembre-décembre 1904, pp. 142-149 (ici p. 149). 2  Charles Fernbach, dans le compromis de vente de sa maison du parc de Saurupt daté du 24 février 1910, est présenté comme « négociant » attaché à la société des Tonnelleries lorraines, et « administrateur des Grandes Brasseries de Malzéville ». 3  GROSJEAN, Catherine, ROUSSEL, Francis. « Les Commanditaires » in LOYER, François (dir.). L’Ecole de Nancy, 1889-1909. Art nouveau et industries d’art. Paris, RMN, 1999, pp. 125-133. 4  Sur les verres figure le nom de l’entreprise Cassaigne-Paris. 5  Pour ces attributions, nous nous basons sur les œuvres qu’Emile André présenta à l’exposition de la Société lorraine des amis des arts de 1904. ANONYME. Société lorraine des amis des arts. Catalogue. XLIe exposition. Nancy, phototypie et photogravure d’art Farnier et Chauvette, 1904, p. 37.


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Emile André, Art nouveau et modernités

Un architecte de son temps

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Nancy, magasins Vaxelaire (1901), rue Raugraff, vues de détail des boiseries et motif de grès flammé Etat en 2011

Page de gauche Magasins Vaxelaire (1901), rue Saint-Jean, vue de l’entrée Tirage photographique sur papier H. 36,5 cm ; l. 28,5 cm Nancy, MEN inv 003.6.10


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Emile André, Art nouveau et modernités

Un architecte de son temps

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Nancy, magasins Vaxelaire (1901), rue Raugraff, vues de détail des boiseries et motif de grès flammé Etat en 2011

Page de gauche Magasins Vaxelaire (1901), rue Saint-Jean, vue de l’entrée Tirage photographique sur papier H. 36,5 cm ; l. 28,5 cm Nancy, MEN inv 003.6.10


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Emile André, Art nouveau et modernités

Un architecte de son temps

Pharmacie Rosfelder (1901), rue de la Visitation (1901), vue de la devanture Tirage photographique sur papier H. 16,5 cm ; l. 23,5 cm Nancy, MEN inv AJM77.I.7

Nancy, pharmacie Rosfelder (1901), vue de la porte Etat en 2010 Pharmacie Rosfelder, élévation de la porte Encres colorées, gouache et crayon graphite sur papier calque H. 48,5 cm ; l. 36,5 cm Nancy, MEN inv AJM77.I.3

Pharmacie Rosfelder, projet d’élévation de la devanture Crayon graphite sur calque Nancy, MEN

Dès 1901, dans Eléments et théorie de l’architecture, Julien Guadet avait clairement démontré les retombées économiques d’une architecture commerciale bien conçue lorsqu’il écrivit : « L’étalage doit arrêter le passant, le tenter, le séduire. Vous n’aurez donc jamais de vitrages trop grands, et l’on tend de plus en plus à faire descendre presque jusqu’au sol les glaces des devantures1. » Parce que dès cette première œuvre il avait parfaitement compris les enjeux de cette architecture commerciale, Emile André reçut rapidement d’autres commandes du même type. Toute sa carrière est jalonnée par la réalisation de boutiques (dont il ne reste que de rares vestiges, souvent très lacunaires).

1  GUADET, Julien. Eléments et théorie de l’architecture. Paris, Librairie de la construction moderne, tome III, s.d., p. 5.

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Emile André, Art nouveau et modernités

Un architecte de son temps

Pharmacie Rosfelder (1901), rue de la Visitation (1901), vue de la devanture Tirage photographique sur papier H. 16,5 cm ; l. 23,5 cm Nancy, MEN inv AJM77.I.7

Nancy, pharmacie Rosfelder (1901), vue de la porte Etat en 2010 Pharmacie Rosfelder, élévation de la porte Encres colorées, gouache et crayon graphite sur papier calque H. 48,5 cm ; l. 36,5 cm Nancy, MEN inv AJM77.I.3

Pharmacie Rosfelder, projet d’élévation de la devanture Crayon graphite sur calque Nancy, MEN

Dès 1901, dans Eléments et théorie de l’architecture, Julien Guadet avait clairement démontré les retombées économiques d’une architecture commerciale bien conçue lorsqu’il écrivit : « L’étalage doit arrêter le passant, le tenter, le séduire. Vous n’aurez donc jamais de vitrages trop grands, et l’on tend de plus en plus à faire descendre presque jusqu’au sol les glaces des devantures1. » Parce que dès cette première œuvre il avait parfaitement compris les enjeux de cette architecture commerciale, Emile André reçut rapidement d’autres commandes du même type. Toute sa carrière est jalonnée par la réalisation de boutiques (dont il ne reste que de rares vestiges, souvent très lacunaires).

1  GUADET, Julien. Eléments et théorie de l’architecture. Paris, Librairie de la construction moderne, tome III, s.d., p. 5.

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Emile André, Art nouveau et modernités

Vers un nouveau métier

Page de gauche, en haut Banque Renauld, élévation de la façade sur la rue Chanzy Crayon graphite sur papier H. 62,5 cm ; l. 48 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (03) Banque Renauld, élévation de la façade sur la rue Saint-Jean Crayon graphite sur papier H. 97 cm ; l. 67 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (01)

Page de gauche, en bas Banque Renauld, ferronnerie d’un garde-corps Crayon graphite sur papier calque H. 130 cm ; l. 87 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (05) Banque Renauld, ferronnerie d’un garde-corps Tirage photographique sur papier Nancy, MEN inv AJM77.G.6

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Ci-dessus Banque Renauld, mosaïque du sol du porche d’entrée Crayon graphite et aquarelle sur papier calque H. 45 cm ; l. 44 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (08) Double page suivante Nancy, banque Renauld (1907-1910), détail des parties hautes de la façade sur la rue Chanzy Emile André et Paul Charbonnier Etat en 2011


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Emile André, Art nouveau et modernités

Vers un nouveau métier

Page de gauche, en haut Banque Renauld, élévation de la façade sur la rue Chanzy Crayon graphite sur papier H. 62,5 cm ; l. 48 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (03) Banque Renauld, élévation de la façade sur la rue Saint-Jean Crayon graphite sur papier H. 97 cm ; l. 67 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (01)

Page de gauche, en bas Banque Renauld, ferronnerie d’un garde-corps Crayon graphite sur papier calque H. 130 cm ; l. 87 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (05) Banque Renauld, ferronnerie d’un garde-corps Tirage photographique sur papier Nancy, MEN inv AJM77.G.6

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Ci-dessus Banque Renauld, mosaïque du sol du porche d’entrée Crayon graphite et aquarelle sur papier calque H. 45 cm ; l. 44 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 89 (08) Double page suivante Nancy, banque Renauld (1907-1910), détail des parties hautes de la façade sur la rue Chanzy Emile André et Paul Charbonnier Etat en 2011


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émile André, Art nouveau et modernités

L’architecture en série

Nancy, maisons construites pour M. Richier-Raison (1903) et M. Ramel (1907), rue Félix-Faure Etat en 2010

Emile André diversifia ses interventions et ses compétences à une période où le métier d’architecte connut d’importants bouleversements. De l’architecte artiste – figure qui caractérisait la profession au tournant des xixe et xxe siècles –, on passa en quelques années à l’architecte chef d’entreprise, moins enclin aux variations du goût qu’à celles du marché. Cette loi du marché à laquelle l’architecte – comme l’industriel – était soumis transforma la nature de ses interventions autant que ses modes de conception. Avant que s’impose la production en série de l’architecture, se développa l’idée de la production de plans types ; un même plan pouvant être à la base de plusieurs constructions. En élaborant les plans de maisons ouvrières pour l’usine Solvay de Dombasle, André concevait un plan qui allait servir à la construction de plusieurs maisons. Dès 1907, il reproduisit cette pratique pour une commande privée. A cette date, en effet, il reprit un plan, élaboré à l’origine pour le compte de M. Richier-Raison en 1903, d’une maison à deux travées construite 25 rue Félix-Faure. En 1907, simplement retourné, le même plan fut utilisé pour élever, sur la parcelle voisine, une maison pour M. Ramel. Quatre ans après l’avoir établi, l’architecte reprit un ancien projet pour une nouvelle construction. Efficacité et rentabilité s’insinuent dans les méthodes de travail de l’architecte.

Un habitat ouvrier type

Page de droite Nancy, maison de M. Richier-Raison (1903), détail de l’étage Etat en 2010

A l’instar de ses confrères parisiens, André mit au point plusieurs modèles de maisons ouvrières assez tôt dans sa carrière, dès 1905. Les dessins de maison double pour deux familles, dressés pour le compte de l’usine Solvay, le 25 juin 1906, auxquels nous avons déjà longuement fait référence, sont particulièrement intéressants si on les compare à ceux dressés pour l’ancienne compagnie De Dietrich et Cie de Lunéville. Signés du 11 novembre 1905 par Emile André et Gaston Munier, ces derniers plans, connus uniquement grâce à des plaques de verre, montrent également un type de maison double pour deux ménages. Ceux-ci s’avèrent extrêmement proches de ceux établis l’année suivante pour l’usine Solvay. Les deux types ont en commun une allure pittoresque marquée. D’une extrême simplicité, les élévations principales présentent les mêmes caractéristiques : à l’intérieur d’un petit soubassement sont percés des soupiraux qui éclairent et ventilent la cave. Le rez-de-chaussée, légèrement surélevé, est occupé par la porte d’entrée principale – à laquelle on accède grâce une volée de marches – et une fenêtre surmontée d’un arc de décharge en briques colorées. Le premier étage ne possède qu’une seule fenêtre alignée sur celle du rez-de-chaussée. Alors que la maison conçue pour Solvay était entièrement réalisée en briques apparentes, les façades de celle de la compagnie De Dietrich semblent être revêtues d’un enduit. Dans les deux cas, c’est sous l’avancée de la toiture que se concentre l’ornementation : une frise de briques colorées pour la maison Solvay, une série de cabochons en céramique pour la maison De Dietrich. A l’intérieur également, ces deux maisons révèlent des compositions très semblables : dans les deux cas, le rez-de-chaussée est occupé par une cuisine – ou salle commune – et par une chambre. A l’étage, sont pareillement prévues deux chambres. Convenons que le type de la maison ouvrière ne laissait pas toute latitude à l’architecte pour faire montre de sa créativité. Devant répondre à un budget des plus serrés, les solutions qui s’imposaient n’étaient pas nombreuses. Cependant, preuve qu’un même programme pouvait donner naissance à des solutions très variées, le type de maison pour quatre ménages qu’Emile André mit au point pour la compagnie De Dietrich s’avère bien différent de celui répondant au même programme établi pour l’Usine Solvay.


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émile André, Art nouveau et modernités

L’architecture en série

Nancy, maisons construites pour M. Richier-Raison (1903) et M. Ramel (1907), rue Félix-Faure Etat en 2010

Emile André diversifia ses interventions et ses compétences à une période où le métier d’architecte connut d’importants bouleversements. De l’architecte artiste – figure qui caractérisait la profession au tournant des xixe et xxe siècles –, on passa en quelques années à l’architecte chef d’entreprise, moins enclin aux variations du goût qu’à celles du marché. Cette loi du marché à laquelle l’architecte – comme l’industriel – était soumis transforma la nature de ses interventions autant que ses modes de conception. Avant que s’impose la production en série de l’architecture, se développa l’idée de la production de plans types ; un même plan pouvant être à la base de plusieurs constructions. En élaborant les plans de maisons ouvrières pour l’usine Solvay de Dombasle, André concevait un plan qui allait servir à la construction de plusieurs maisons. Dès 1907, il reproduisit cette pratique pour une commande privée. A cette date, en effet, il reprit un plan, élaboré à l’origine pour le compte de M. Richier-Raison en 1903, d’une maison à deux travées construite 25 rue Félix-Faure. En 1907, simplement retourné, le même plan fut utilisé pour élever, sur la parcelle voisine, une maison pour M. Ramel. Quatre ans après l’avoir établi, l’architecte reprit un ancien projet pour une nouvelle construction. Efficacité et rentabilité s’insinuent dans les méthodes de travail de l’architecte.

Un habitat ouvrier type

Page de droite Nancy, maison de M. Richier-Raison (1903), détail de l’étage Etat en 2010

A l’instar de ses confrères parisiens, André mit au point plusieurs modèles de maisons ouvrières assez tôt dans sa carrière, dès 1905. Les dessins de maison double pour deux familles, dressés pour le compte de l’usine Solvay, le 25 juin 1906, auxquels nous avons déjà longuement fait référence, sont particulièrement intéressants si on les compare à ceux dressés pour l’ancienne compagnie De Dietrich et Cie de Lunéville. Signés du 11 novembre 1905 par Emile André et Gaston Munier, ces derniers plans, connus uniquement grâce à des plaques de verre, montrent également un type de maison double pour deux ménages. Ceux-ci s’avèrent extrêmement proches de ceux établis l’année suivante pour l’usine Solvay. Les deux types ont en commun une allure pittoresque marquée. D’une extrême simplicité, les élévations principales présentent les mêmes caractéristiques : à l’intérieur d’un petit soubassement sont percés des soupiraux qui éclairent et ventilent la cave. Le rez-de-chaussée, légèrement surélevé, est occupé par la porte d’entrée principale – à laquelle on accède grâce une volée de marches – et une fenêtre surmontée d’un arc de décharge en briques colorées. Le premier étage ne possède qu’une seule fenêtre alignée sur celle du rez-de-chaussée. Alors que la maison conçue pour Solvay était entièrement réalisée en briques apparentes, les façades de celle de la compagnie De Dietrich semblent être revêtues d’un enduit. Dans les deux cas, c’est sous l’avancée de la toiture que se concentre l’ornementation : une frise de briques colorées pour la maison Solvay, une série de cabochons en céramique pour la maison De Dietrich. A l’intérieur également, ces deux maisons révèlent des compositions très semblables : dans les deux cas, le rez-de-chaussée est occupé par une cuisine – ou salle commune – et par une chambre. A l’étage, sont pareillement prévues deux chambres. Convenons que le type de la maison ouvrière ne laissait pas toute latitude à l’architecte pour faire montre de sa créativité. Devant répondre à un budget des plus serrés, les solutions qui s’imposaient n’étaient pas nombreuses. Cependant, preuve qu’un même programme pouvait donner naissance à des solutions très variées, le type de maison pour quatre ménages qu’Emile André mit au point pour la compagnie De Dietrich s’avère bien différent de celui répondant au même programme établi pour l’Usine Solvay.


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Emile André, Art nouveau et modernités

Vers un nouveau métier

dans chacun des dessins qu’il dressa pour la reconstruction. On le retrouve au cœur même des plans d’urbanisme qu’il signa. Les plans de Limey et de Flirey se caractérisent par la création de chemins de desserte à l’arrière des habitations, dont le tracé est parallèle à celui de la rue principale. Ces chemins secondaires, inexistants auparavant, avaient pour but d’évacuer le fumier dont une loi de 1902 interdisait le dépôt sur la voie publique. Jusqu’alors, le fumier était entreposé au-devant même des fermes, sur ce qui s’apparente à une cour ouverte. Bien que dans les nouveaux plans d’André cette pratique trouvait un nouveau lieu d’exercice, la cour ouverte – en fait un important retrait des bâtiments par rapport à la voirie – était conservée. Ainsi, si l’allure des villages était sauve, André corrigeait l’usage rural des espaces qu’il reproduisait, comme en témoignent ses plans de Flirey et Limey. La cour ouverte, qui, à l’origine, répondait à une fonction précise, était maintenant privée de toute utilité et n’était finalement reproduite que pour conserver des dispositions séculaires qui contribuaient à donner leur identité régionale aux villages lorrains. Ce même souci hygiéniste affecta également la ferme lorraine traditionnelle à une échelle beaucoup plus réduite. Il conduisit notamment à la création de fosses à purin. Parmi les documents conservés concernant les travaux liés à la reconstruction, trois dessins confirment les recherches d’Emile André en ce domaine : deux de ces dessins sont datés du 28 février 1921, il s’agit d’un détail du regard siphoïde pour la sortie du purin d’écurie et d’un détail d’écurie (fosse à purin et pente du sol). Quant au troisième, un type de plate-forme à fumier et fosse à purin, il est daté du 1er février 1923. La réalisation de ces fosses permettait de préserver la qualité des eaux. Associées à un bouleversement du plan d’ensemble des bâtiments agricoles, elles contribuaient en fait à modifier profondément l’habitat rural traditionnel. Ainsi, nous retrouvons une fosse à

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Habitation et grange Etat en 2010

Page de gauche Reconstruction, Projet E, habitation, grange et écurie, façade principale, plans et coupe transversale Encre sur papier, février 1920 H. 98 cm ; l. 63 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 400 (1.2)


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Emile André, Art nouveau et modernités

Vers un nouveau métier

dans chacun des dessins qu’il dressa pour la reconstruction. On le retrouve au cœur même des plans d’urbanisme qu’il signa. Les plans de Limey et de Flirey se caractérisent par la création de chemins de desserte à l’arrière des habitations, dont le tracé est parallèle à celui de la rue principale. Ces chemins secondaires, inexistants auparavant, avaient pour but d’évacuer le fumier dont une loi de 1902 interdisait le dépôt sur la voie publique. Jusqu’alors, le fumier était entreposé au-devant même des fermes, sur ce qui s’apparente à une cour ouverte. Bien que dans les nouveaux plans d’André cette pratique trouvait un nouveau lieu d’exercice, la cour ouverte – en fait un important retrait des bâtiments par rapport à la voirie – était conservée. Ainsi, si l’allure des villages était sauve, André corrigeait l’usage rural des espaces qu’il reproduisait, comme en témoignent ses plans de Flirey et Limey. La cour ouverte, qui, à l’origine, répondait à une fonction précise, était maintenant privée de toute utilité et n’était finalement reproduite que pour conserver des dispositions séculaires qui contribuaient à donner leur identité régionale aux villages lorrains. Ce même souci hygiéniste affecta également la ferme lorraine traditionnelle à une échelle beaucoup plus réduite. Il conduisit notamment à la création de fosses à purin. Parmi les documents conservés concernant les travaux liés à la reconstruction, trois dessins confirment les recherches d’Emile André en ce domaine : deux de ces dessins sont datés du 28 février 1921, il s’agit d’un détail du regard siphoïde pour la sortie du purin d’écurie et d’un détail d’écurie (fosse à purin et pente du sol). Quant au troisième, un type de plate-forme à fumier et fosse à purin, il est daté du 1er février 1923. La réalisation de ces fosses permettait de préserver la qualité des eaux. Associées à un bouleversement du plan d’ensemble des bâtiments agricoles, elles contribuaient en fait à modifier profondément l’habitat rural traditionnel. Ainsi, nous retrouvons une fosse à

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Habitation et grange Etat en 2010

Page de gauche Reconstruction, Projet E, habitation, grange et écurie, façade principale, plans et coupe transversale Encre sur papier, février 1920 H. 98 cm ; l. 63 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 400 (1.2)


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Emile André, Art nouveau et modernités

Vers un nouveau métier

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Nancy, Institut de zoologie et musée d’Histoire naturelle (1930-1933), rue Sainte-Catherine Emile, Jacques et Michel André Etat en 2010 La presse contemporaine accueillit très froidement cette étrange façade. Emile Badel écrivit à son propos : « Le conseil [municipal] proteste aussi contre les plans trop rudimentaires de ce futur institut ; on réclame de fausses fenêtres, tout au moins sur la rue, si le musée zoologique a besoin seulement d’une lumière astrale. En tout cas, ce bâtiment ne sera pas beau, loin de là. Il semble que l’on veuille enlaidir tout à fait les abords de notre vieille porte Sainte-Catherine. ». (BADEL, Emile. « Conseil municipal de Nancy », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 44e année, n° 1 et 2, 4-11 janvier 1931, non paginé.) Quelques mois plus tard, on put également lire dans le même journal que « malgré les protestations du conseil municipal, la façade sur la rue Sainte-Catherine ne sera qu’un grand mur tout nu, sans la moindre esthétique ». (ANONYME. « Informations », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 44e année, n° 10, 8 mars 1931, non paginé.)

marquise, constitue l’axe de symétrie d’une composition marquée par l’horizontalité qu’accuse une corniche largement débordante. Pour « modernes » qu’elles soient – la façade de l’Institut de zoologie fournit la couverture du numéro spécial que la revue L’Architecture d’aujourd’hui consacre à l’uam –, ces façades n’en évoquent pas moins la composition générale du palais des Doges à Venise. Parmi les documents collectés par Emile André figure justement une photographie du palais des Doges. Que la composition générale de l’Institut de zoologie ait été directement inspirée de celle du palais vénitien ne fait plus aucun doute lorsque l’on considère la genèse du projet. En effet, si les architectes arrêtèrent rapidement l’idée d’animer la surface murale de la partie supérieure de leurs façades par des motifs de carrés concentriques, ceux-ci, au départ, avaient été pensés pour être posés sur la pointe. Ce motif particulier renvoie à nouveau à l’exemple vénitien. Ici, la partie supérieure de la façade est animée par une sorte de mosaïque à motifs de carrés concentriques également posés sur la pointe… Bien entendu, de la richesse ornementale des sculptures flamboyantes de l’exemple vénitien, il ne reste rien dans l’édifice nancéien. Les créneaux qui couronnent le palais des Doges ont disparu au profit d’une très classique corniche. Les angles – agrémentés de colonnes torses pour adoucir la jonction des deux façades à Venise – ont également fait l’objet de recherches de la part des architectes nancéiens. Afin de lier visuellement les façades principale et latérale, ils « plièrent » leur motif décoratif carré aux angles du bâtiment.

Institut de zoologie et musée d’Histoire naturelle, perspective de la façade et projet d’élévation Crayon graphite sur papier calque, juillet 1930 « E. J. M. André » H. 52 cm ; l. 83 cm H. 41 cm ; l. 97 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 1040 (01) et 119J 1040 (02)

L’Institut de zoologie, le palais des Doges nancéien ? L’Institut de zoologie de la rue Sainte-Catherine se présente comme un volume massif, sobre et monumental. La composition des façades déconcerte à première vue : le rapport entre le rez-de-chaussée et les étages a été inversé. A l’opposé des dispositions habituelles où, sur un socle massif, s’élèvent des étages percés de baies, ici seul le socle possède une succession de larges baies vitrées alors que les étages sont complètement aveugles côté rue. Visuellement, ce fort contraste a pour effet d’affaiblir la base de l’édifice. La porte d’entrée, protégée par un porte-à-faux formant

Cette manière d’élaborer un édifice en faisant appel à un modèle dont l’architecte s’inspire mais qu’il ne copie pas, qu’il s’approprie au fur et à mesure de l’avancement de son projet et dont il ne conserve que certains éléments satisfaisant son intention, est propre à la manière d’André. Si l’on y ajoute que le modèle de départ est l’un des monuments les plus orientaux de Venise, force est de réévaluer l’intervention d’Emile André dans la genèse d’un projet dont la paternité était jusqu’alors exclusivement attribuée à ses deux fils. Même si son intervention s’est cantonnée à désigner un modèle et à montrer à ses deux fils comment parvenir à créer une œuvre inédite en s’en inspirant, l’esprit, la manière d’Emile doivent être soulignés pour parfaitement comprendre l’Institut de zoologie.


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Vers un nouveau métier

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Nancy, Institut de zoologie et musée d’Histoire naturelle (1930-1933), rue Sainte-Catherine Emile, Jacques et Michel André Etat en 2010 La presse contemporaine accueillit très froidement cette étrange façade. Emile Badel écrivit à son propos : « Le conseil [municipal] proteste aussi contre les plans trop rudimentaires de ce futur institut ; on réclame de fausses fenêtres, tout au moins sur la rue, si le musée zoologique a besoin seulement d’une lumière astrale. En tout cas, ce bâtiment ne sera pas beau, loin de là. Il semble que l’on veuille enlaidir tout à fait les abords de notre vieille porte Sainte-Catherine. ». (BADEL, Emile. « Conseil municipal de Nancy », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 44e année, n° 1 et 2, 4-11 janvier 1931, non paginé.) Quelques mois plus tard, on put également lire dans le même journal que « malgré les protestations du conseil municipal, la façade sur la rue Sainte-Catherine ne sera qu’un grand mur tout nu, sans la moindre esthétique ». (ANONYME. « Informations », L’Immeuble et la construction dans l’Est. 44e année, n° 10, 8 mars 1931, non paginé.)

marquise, constitue l’axe de symétrie d’une composition marquée par l’horizontalité qu’accuse une corniche largement débordante. Pour « modernes » qu’elles soient – la façade de l’Institut de zoologie fournit la couverture du numéro spécial que la revue L’Architecture d’aujourd’hui consacre à l’uam –, ces façades n’en évoquent pas moins la composition générale du palais des Doges à Venise. Parmi les documents collectés par Emile André figure justement une photographie du palais des Doges. Que la composition générale de l’Institut de zoologie ait été directement inspirée de celle du palais vénitien ne fait plus aucun doute lorsque l’on considère la genèse du projet. En effet, si les architectes arrêtèrent rapidement l’idée d’animer la surface murale de la partie supérieure de leurs façades par des motifs de carrés concentriques, ceux-ci, au départ, avaient été pensés pour être posés sur la pointe. Ce motif particulier renvoie à nouveau à l’exemple vénitien. Ici, la partie supérieure de la façade est animée par une sorte de mosaïque à motifs de carrés concentriques également posés sur la pointe… Bien entendu, de la richesse ornementale des sculptures flamboyantes de l’exemple vénitien, il ne reste rien dans l’édifice nancéien. Les créneaux qui couronnent le palais des Doges ont disparu au profit d’une très classique corniche. Les angles – agrémentés de colonnes torses pour adoucir la jonction des deux façades à Venise – ont également fait l’objet de recherches de la part des architectes nancéiens. Afin de lier visuellement les façades principale et latérale, ils « plièrent » leur motif décoratif carré aux angles du bâtiment.

Institut de zoologie et musée d’Histoire naturelle, perspective de la façade et projet d’élévation Crayon graphite sur papier calque, juillet 1930 « E. J. M. André » H. 52 cm ; l. 83 cm H. 41 cm ; l. 97 cm Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 119J 1040 (01) et 119J 1040 (02)

L’Institut de zoologie, le palais des Doges nancéien ? L’Institut de zoologie de la rue Sainte-Catherine se présente comme un volume massif, sobre et monumental. La composition des façades déconcerte à première vue : le rapport entre le rez-de-chaussée et les étages a été inversé. A l’opposé des dispositions habituelles où, sur un socle massif, s’élèvent des étages percés de baies, ici seul le socle possède une succession de larges baies vitrées alors que les étages sont complètement aveugles côté rue. Visuellement, ce fort contraste a pour effet d’affaiblir la base de l’édifice. La porte d’entrée, protégée par un porte-à-faux formant

Cette manière d’élaborer un édifice en faisant appel à un modèle dont l’architecte s’inspire mais qu’il ne copie pas, qu’il s’approprie au fur et à mesure de l’avancement de son projet et dont il ne conserve que certains éléments satisfaisant son intention, est propre à la manière d’André. Si l’on y ajoute que le modèle de départ est l’un des monuments les plus orientaux de Venise, force est de réévaluer l’intervention d’Emile André dans la genèse d’un projet dont la paternité était jusqu’alors exclusivement attribuée à ses deux fils. Même si son intervention s’est cantonnée à désigner un modèle et à montrer à ses deux fils comment parvenir à créer une œuvre inédite en s’en inspirant, l’esprit, la manière d’Emile doivent être soulignés pour parfaitement comprendre l’Institut de zoologie.


Hervé Doucet

99 €

Hervé Doucet est Maître de conférences en Histoire de l’art contemporain à l’université de Strasbourg depuis 2008. Diplômé de l’Ecole du Louvre, Docteur de l’université de Versailles-Saint-Quentin-enYvelines, avec une thèse intitulée Art nouveau et régionalisme. Emile André (1871-1933) architecte et artiste, il a participé à plusieurs rencontres scientifiques internationales sur l’Art nouveau et le régionalisme. Spécialiste en histoire de l’architecture contemporaine, il a contribué à la création de la Galerie d’architecture contemporaine du musée des Monuments français.

Art Nouveau et modernité

A l’aube du XXe siècle, la Lorraine est le berceau de l’Art nouveau. Connue sous le nom d’Ecole de Nancy, l’Alliance provinciale des industries d’art regroupe artistes, artistes décorateurs, industriels d’art, architectes comme Emile Gallé, Louis Majorelle, Victor Prouvé ou encore Antonin Daum. A leurs côtés, Emile André (1871-1933) est l’architecte dont les bâtiments ont le plus marqué le paysage nancéien. Parce qu’il a su dépasser le caractère purement décoratif de l’Art nouveau pour contribuer aux débats contemporains de l’art social et de la nécessaire industrialisation de l’architecture, Emile André a connu une carrière qui est le reflet des évolutions substantielles que connut le métier d’architecte au cours des premières décennies du XXe siècle.

Emile André

Préface de

François Loyer

Emile André Art nouveau et modernités

Dépôt légal : octobre 2011

www.editions-honoreclair.fr ISBN : 978-2-918371- 09-0

9 782918 371090

Honoré Clair


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