#4 Karine Rougier – Visite des formes

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Karine ROUGIER “Visite des formes”


Karine ROUGIER “Visite des formes”



EDITO Evelyne & Jacques DERET Fondateurs d' Art[ ]Collector et collectionneurs

Art[ ]Collector : des collectionneurs invitent un artiste. Art[ ]Collector ouvre en 2013 sa seconde année de promotion d’artistes français d’art contemporain qui associe le temps d’un événement un artiste, ses collectionneurs et sa galerie. Les collectionneurs prêtent des œuvres emblématiques de l’artiste qu’ils ont achetées, tandis que l’artiste présente ses travaux récents au cours d’une exposition de dix jours. Trois artistes ont été présentés en 2012 : Iris Levasseur, Jérémy Liron et Christine Barbe, deux le seront en 2013 : Karine Rougier du 16 au 26 septembre et Clément Bagot du 18 au 28 novembre 2013. Ils ont été sélectionnés par le comité de sélection d’Art Collector qui réunit des personnalités reconnues du monde de l’art (collectionneurs, critiques, curateurs, directeurs d’institutions…) Karine Rougier crée, à travers ses dessins et sa peinture, un univers de la métamorphose, du fantastique, dans des scènes où s’agitent des êtres étranges, inquiétants, et cependant familiers. Au crayon, à l’aquarelle ou aux feutres, ses dessins n’en finissent pas de se déployer dans une tension forte entre précision, structure et fantaisie débridée pour nous raconter des histoires improbables. Karine Rougier est représentée par la galerie Bertrand Baraudou à Paris et à Nice. Elle a participé à plusieurs expositions collectives dont, The new lost generation en 2011 à la Galerie Mondo Bizzaro à Rome, Collages à l’Espace de l’Art concret de Mouans-Sartoux et Duo à la galerie Le Cabinet à Paris en 2012. Elle a également exposé, la même année, avec Ricardo Lanzarini et Monica Millán à la galerie CG Arte à Buenos Aires. Son travail est présenté depuis avril 2009 à Drawing Now, salon du dessin contemporain de Paris. Elle fait aujourd’hui partie de nombreuses collections privées et depuis 2009, de la collection du Fonds Communal de la Ville de Marseille.

Dessin de la série Les mains de sable Techniques mixtes sur papier, 26 x 34 cm - 2013 Collection particulière

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Dessin de la sĂŠrie Les corps endormis

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Aquarelle, collage et crayon sur papier, 32 x 32 cm - 2008 Collection Evelyne Deret


Les dessins de Karine ont d’emblée retenu mon attention : le furieux mélange de préciosité et de délire du trait dans son déploiement sur le papier m’y est apparu puissant et jouissif.

LES COLLECTIONNEURS

Evelyne Deret

Avec Karine Rougier, on voit au tout premier coup d’œil des dessins éparpillés sur des papiers divers : presque lisses ou pleins de grands carrés blancs, ou bleus ou bistres …mais il faut s’en approcher car il se passe quelque chose : des histoires se déploient à bas bruit dans des chuchotements qui exigent de la présence et de la proximité. On entre avec Karine dans l’univers de la métamorphose où le réel le dispute au fantastique, dans des scènes éclatées, dispersés, flottants à la surface du papier … où n’en finissent pas de s’agiter des populations inquiétantes, sexuelles et macabres aussi. Le dessin de Karine arrive sur le papier, précis, méticuleux, léger, «papillonnesque », puis semble se prolonger en notes rêveuses ou au contraire en motifs très structurés, pour basculer finalement dans le fantastique, le grotesque et le paranormal. On finit par se perdre dans une foule de motifs qui, on le sent bien, raconte une histoire, tout en nous laissant cependant le choix de l’histoire... Moi, je me suis arrêtée en 2009 devant une grosse femme pourvue d’un superbe vagin poilu et d’un gros phallus (dont Karine m’a dit plus tard, alors que moi je lui expliquais son dessin, que ce n’était “qu’un bras” ce qui est vrai !). Alors, j’ai décidé de garder ma projection à moi et de dénommer le dessin : la femme au phallus ! Chez Karine, les membres s'allongent, se transforment et finissent en bizarres moignons qui servent à tout faire. A nous d’imaginer ce que l’on veut sur ces scènes qui oscillent entre raffinement et cruauté, entre délires sexuels et cannibales. Il y a du désordre, de la démesure, du sadisme, de la joie débridée à se laisser aller au trait. Il y a de la jubilation et je dis à propos du travail de Karine que j’aime cette sexualité prégénitale à la fois ingénue (le trait est précis et tout commence bien) et totalement perverse (tout part en vrille). Elle parle pour moi, d’un monde de l’enfance peuplé de dieux et de démons qui n’en finissent pas de se trémousser dans des danses déjantées où les repentirs lui servent d’arguments à une narration improbable. J’ai plusieurs de ses dessins dont un dernier de 2012 qui reprend des dessins de ceux que j’ai déjà et tous se parlent entre eux déployant sur mon mur leurs folles sarabandes. Et cette narration est pour moi une chance de renouer, de ré-apprivoiser des parties de moi que j'aurais laissées en route et qui là me sautent aux yeux ! On est dans un univers précieux, délicat, maitrisé où rien n’est vulgaire et qui retient, contient un délire grâce à des mises en scènes à la fois étranges et familières, dans une profusion de petites saynètes fantasmagoriques : il faut les décrypter soigneusement tant elles sont imbriquées dans un récit qui est à découvrir ou inventer. Et c’est là la force de son travail !

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Un premier regard, au Salon du Dessin contemporain en 2008, mon stand était face au sien. Intrigué, j’eus le temps d’y passer, m’approcher et repasser. J’y retrouvais des amis de l’art comme Picabia, Bellmer, ou plus proche de nous Philippe Favier. Grâce à eux, j’ai découvert des mondes

LES COLLECTIONNEURS

Eric Dereumaux

merveilleux et sombres à la fois. Cette minutie, ce détail, mêlé au désir, et au plaisir de l’enchevêtrement des corps me manquait. Ce mélange d’amour et de mort, de folie, de liberté, de rêve et de cauchemar sont autant de richesses qui gorgent l’œuvre de Karine Rougier. Tout cela explique l’intérêt, l’envie d’y rentrer, s’y poser, prendre le temps d’y avoir mal et en sortir nourri de joie. Karine Rougier laisse du blanc, beaucoup de blanc, sans doute pour y laisser la liberté de voir encore mieux le trait du dessin, y laisser la liberté du spectateur s’accaparer l’histoire, d’en faire son histoire, et d’en créer la suite … ou le passé. Le papier a son rôle, il est lisse comme la peau, il devient sensuel par la charge émotive de l’artiste, l’idée de le caresser prend corps, il n’y a plus que le verre de l’encadrement pour nous séparer. Mais pourquoi ou quand passer à l’acte … d’acquérir une œuvre de Karine Rougier. Pour ma part, il a fallu trouver ce coup de foudre, ce coup de cœur qui me lie de façon très personnelle à une de ses créations. Comme des retrouvailles, cela s’est passé au Salon du Dessin contemporain, non plus dans un immeuble bourgeois parisien du 16ème arrondissement de Paris, mais au Louvre – beau lieu pour une promenade romantique, vous me direz -. Je me suis arrêté sur ce dessin comme je me serais arrêté sur une femme, dont mon corps et mon cœur m’auraient ordonné de l’approcher, ce que je fis. Il me fallait la prendre en main, je l’ai décroché du mur, pour encore mieux la voir et me l’approprier, créer un moment d’intimité avec ce qui me faisait penser à ma vie. Quand l’art vous renvoie à vous-même, vous parle et vous confirme que vous avez fait la belle rencontre. Ce moment de grâce, je ne pouvais le laisser passer, comme dans ma vie, je ne l’ai pas laissée passer. L’œuvre s’intitule le Baiser, dessin noir et blanc, montrant le visage d’une femme allongée les yeux fermés, se faisant sucer le sang par un homme aimant, fusionnant avec elle via de tous petits personnages créant leur forme. Ce dessin que je cherchais chez Karine Rougier fait aujourd’hui partie de mon intérieur, et je me ravis chaque jour de vivre avec, il me touche, fait battre mon cœur. Je le partage avec ma compagne.

Le baiser Encre sur papier, 60 x 50 cm - 2010 Collection Eric Dereumaux

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propos recueillis par Isabelle Giovacchini

À quel moment avez-vous décidé de constituer une collection d'art contemporain ? Daniel Schildge : J'ai grandi au sein d'une famille où l'art et les artistes étaient omniprésents. Ma grand-mère, organiste de talent, et ma mère sculpteur m’ont transmis le goût d’une certaine

LES COLLECTIONNEURS

Daniel Schildge

expression artistique qui ne m'a jamais quitté. Personnellement peu doué avec un pinceau à la main et encore moins avec un crayon, j’ai préféré me nourrir de l'univers des artistes. J’ai commencé par acquérir des multiples et me suis vite retrouvé à stocker au fil du temps des pièces qui attendent toujours de trouver leur place. Comment s'organise votre collection ? Je ne suis pas collectionneur au sens péjoratif du terme, c'est-à-dire possesseur enfant gâté. Au contraire, je me sens plutôt amateur, passionné et heureux de vivre avec des pièces qui me parlent. J’ai la chance de pouvoir parcourir le monde à travers les salons, je fréquente également les galeries, lis de nombreuses revues d'art, chine dans les librairies, passe un temps irraisonnable sur internet et agis au coup de cœur sans stratégie particulière. Le plaisir est mon seul guide. Comment avez-vous découvert le travail de Karine Rougier ? J'ai eu l'instinct de m'arrêter sur le stand de la galerie de Bertrand Baraudou lors du vernissage du Salon du Dessin Contemporain* (ancêtre de l’actuel salon Drawing now ) en mars 2010 ; j'ai été récompensé en repartant avec trois dessins de Karine, que je ne connaissais alors pas. Je suis repassé sur le stand un peu plus tard, en pleine recherche de nouveaux coups de cœur. C’est là que j'ai eu le plaisir de rencontrer Karine. Je ne regrette pas ma fidélité à cette artiste car chacune de ses nouvelles pièces est un vrai bonheur. Lorsque je les regarde aujourd’hui, mon plaisir demeure intact ! Comment définiriez-vous le travail de cette artiste ? Posséder un dessin de Karine, c'est rentrer dans un monde fantasmagorique dans lequel rien ne ressemble à la réalité. C'est un voyage dans l'irréel qui nous transporte de saynètes en saynètes. Je n'ai pas encore tout découvert de son univers, et je m’en estime chanceux. Quelles œuvres avez-vous acquises ? Je vis avec Les trois sœurs une magnifique petite huile sur toile, Les évadés de l'hélice, un grand dessin ainsi que de nombreux autres dessins, dont un touchant Autoportrait 2.

Dessin de la série Les mains de sable Techniques mixtes sur papier, 26 x 34 cm - 2013 Collection particulière

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LES COLLECTIONNEURS Olivier Malingue Bien que située un peu en dehors de ma géographie quotidienne, la galerie Bertrand Baraudou commençait depuis quelques temps déjà à s’inscrire dans mon parcours régulier de galeries parisiennes. C’est en m’y rendant pour prendre possession d’une nouvelle acquisition que j’ai découvert le travail de Karine Rougier : je rentre dans la galerie, jette un rapide regard circulaire et fronce les sourcils. Qui peut bien être cette artiste qui mêle ainsi finesse du trait, légèreté des couleurs diluées, petites filles, poupées, animaux familiers et, encore plus surprenant, squelettes souriants et fantômes ? Sur presque chaque dessin, monstres de toutes sortes côtoient en une étrange cohabitation papillons, fleurs, arcs-en-ciel… Une peinture arrête définitivement mon regard, mon errance. Elle est titrée En suspension

entre l’œil et la main et, malgré sa petite taille, je la vois déjà seule sur le plus grand de mes murs. Elle "tiendrait" n'importe quel mur. Je la réserve immédiatement. J'ai été happé par la peinture de cette artiste, par son monde mi sucré mi féroce, un monde qui est aussi le mien, le nôtre. Karine Rougier s'applique sans manières, elle jette en défiant le hasard, elle scrute, découpe, étale, elle donne et partage, elle répare.

En suspension entre l'œil et la main

Huile et paillettes sur toile, 33 x 40 cm - 2010

Collection O. Malingue

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Les collectionneurs ont l’habitude de dire qu’il ne faut pas connaitre les artistes pour regarder

LES COLLECTIONNEURS

Michel Poitevin

et acheter objectivement une œuvre. Le risque est évident. Un créateur sympathique influence positivement une pièce médiocre. L’inverse est vrai. Un artiste désagréable projette des « ondes » négatives sur son travail. Pour moi, une collection se construit dans la raison, loin de l’émotion. Un dimanche matin de fin d’été, lors d’une visite d’ateliers, à Marseille, j’ai rencontré Karine Rougier, fraiche jeune femme, presque encore adolescente. Son travail en cours était étonnant, du moins suffisamment pour attirer mon œil. Dans un large océan de blanc du papier, apparaissaient des personnages bizarres, curieux, presque incongrus. Avec de l’imagination, je retrouvais Blanche Neige, dans sa cabane, dessinant, sans l’aide des sept nains, un monde enchanté. Je n’ai, bien sûr, pas cédé à ce premier regard (voir ci-dessus). Et aussi parce que mon intérêt se porte quasi exclusivement sur des œuvres à fort contenu conceptuel. Alors Karine Rougier ! Et pourtant, lors d’une foire, j’ai retrouvé le travail de Karine avec, en particulier, un dessin

Lapillis de grand format. J’ai naturellement cédé. Je le possède aujourd’hui et le prête avec grand plaisir pour donner à voir cette œuvre plus complexe, plus complète qu’il n’y parait. Regardez, regardons attentivement ce travail, plus largement, cet ouvrage précieux et déluré, dans lequel les rêves les plus oniriques prennent corps avec une netteté redoutable. Traversons le papier tel des Alice modernes et voguons comme nous l’a appris Malevitch dans cet océan de blanc, à la fois espace infini et néant dévoilé à la recherche de ses créatures (celles de Karine) qui nous font rêver.

Lapillis (détail) Crayon gris sur papier, 140 x 190 cm - 2010 / 2011 Collection Colette et Michel Poitevin

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LA GALERIE

C'est au début de l'année 2005 que j’ai rencontré Karine Rougier et son œuvre, par un savant mélange de cooptation et de hasard. Lionel Scoccimaro, un ami artiste, m'avait fortement conseillé de venir aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence découvrir le travail vidéo de son jeune assistant Damien Berthier. C'est lors de ce rendez-vous, ou plutôt pendant l'installation du système vidéo que je suis parti au hasard découvrir les ateliers des autres étudiants. Le premier dessin que j’ai découvert de Karine Rougier était long de plus de six mètres. Épinglé sur le mur de l'atelier, il se terminait en longeant l'angle de deux cloisons. Deux fils de laine aux tons vifs sortaient du dessin et joignaient plusieurs masques d’animaux, comme pour rehausser et prolonger le travail du crayon et des aquarelles colorées. D'emblée, mon regard fut saisi par ce dessin, par sa facture très fine, sa technique pas encore totalement aboutie mais déjà follement libre, aussi libre que le sujet qui y était traité. Un monde singulier s’inventait sous mes yeux, peuplé de personnages de petites tailles aux postures sexuées et / ou agressives mêlés à des animaux dignes d'une préhistoire réinventée. Saisi par ce dessin, je m'empressais de féliciter la jeune fille agenouillée juste à côté. Vêtue de noir et avec son regard très intériorisé, elle ressemblait assez au cliché que je pouvais me faire d'une artiste produisant ces dessins si tortueux, et lui demandais si elle voulait bien me montrer d'autres productions. Elle me répondit aussitôt qu'elle n'était pas l'artiste mais que celle-ci allait arriver. Au même instant, un rire retentit dans les couloirs de l'école, et Karine, grande, souriante, très vivante et "fraîche" arriva, entourée de quelques amis étudiants. Cette première rencontre m’étonna. Comment cette artiste joyeuse, si charmante et animée, pouvait-elle imaginer les scènes vues dans cet immense dessin ?

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LA GALERIE Karine Rougier passa finalement plus d'une heure à me montrer ses nombreux dessins, certains déjà achevés, d'autres en cours de réalisation, voire même « déjà anciens », comme elle me dit du haut de ses 23 ans. Notre échange m’enthousiasma. La diversité des techniques de dessins et des formats de papier conférait à l'ensemble une grande qualité et une grande maturité de regard. Je trouvais dans ses dessins bien des références à certains maîtres, mais toujours réinventées et appropriées. Elle m'expliqua longuement comment elle dessinait. J’appris ainsi qu'elle partait toujours d'un sujet précis et qu’ensuite son crayon, ses fusains, son pinceau avançaient au gré des ses pensées, de ses envies, parfois même de ses ratés, de ses "moments de grâce". Je fus interpellé par sa capacité à utiliser le cadre du papier comme véritable terrain de jeu, le chargeant pour certains sujets ou au contraire posant un dessin esseulé dans le vide du papier. Dans les deux cas, l’équilibre était toujours là. À la fin de mon séjour à Aix-en-Provence, je retournais voir Karine Rougier pour lui proposer de présenter trois dessins en juin 2005 dans une exposition de groupe au sein de mon premier espace niçois. Elle accepta et dès le vernissage les trois formats furent vendus. Fort de ce premier succès, je lui proposais, alors qu'elle n'avait que 23 ans et qu'elle allait à peine sortir de l'école, une exposition personnelle dans le nouvel espace que j’allais ouvrir à Nice. Là aussi, elle accepta. Elle inaugura ainsi ce nouvel espace en avril 2006. Tout de suite, ses travaux furent repérés, aussi bien par les collectionneurs privés que les institutions. Après 8 ans de collaboration avec cette jeune artiste, je continue de m’émerveiller de son travail, qui intègre maintenant de nouvelles techniques, telle que la sculpture ou la peinture à l’huile. La jeune femme que j’ai rencontrée a conservé toute sa force et son énergie. Son univers si personnel, si pleinement singulier, continue de me surprendre. Bertrand Baraudou , directeur de la Galerie Bertrand Baraudou

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CRITIQUES

Le sommeil de la raison Les feuilles sont peuplées de personnages étranges, d’animaux, d’homoncules, de masques et de chimères. Celui qui cherche une histoire ou une logique pour relier les acteurs du dessin en sera pour ses frais. L’ensemble reste inextricable et les personnages habitent un espace défini par leur seule présence. Le dessin s’offre comme un tout, une sorte de carnaval où tout arrive en même temps, dans une échappée hors du sens. Karine Rougier puise la matière de ses compositions dans une collection de personnages et d’objets qu’elle vient détacher de leurs fonctions ou de leurs occupations. Mais les images ne se distinguent pas seulement par les motifs et les figures qu’elle affectionne, leur nature compte presque autant. Ce sont des images trouvées sur des emballages, des cartes votives, des couvercles de boîtes d’allumettes, des images mal imprimées, aux contours imprécis et aux couleurs indécises. Grâce à ces frontières floues, les images sont prêtes à s’aboucher, s’agréger et s’hybrider dans l’espace de la feuille. Ainsi, le dessin commence simplement, par une figure, parfois puisée dans ce répertoire. Mais rapidement, tout s’emballe. La figure esquissée prend une autre tournure et le regardeur se trouve pris au piège. Un autoportrait nous montre Karine Rougier en train de peindre. Pourtant, le doute est permis. La figure féminine qui se trouve au centre apparaît plutôt comme une statue, assise encore sur la terre dont elle semble faite. Sa tête porte un second visage et une forme monstrueuse et bienveillante se penche sur elle. Est-ce que l’un d’entre eux est l’artiste ou le sont-ils tous ; la statue, le monstre, le second visage, jusqu’aux personnages secondaires qui entrent et sortent des dessins ? Dans cet autoportrait multiple, l’artiste s’absente du centre pour mieux se disperser dans l’image. Ce faisant, elle laisse entrevoir le moment où survient son travail, cette mise en suspens, cette fragmentation qui permet au dessin de lui échapper. La raison mise en sommeil, chaque dessin devient un cadavre exquis où l’artiste fait mine d’ignorer ce qui se trouve à l’autre extrémité du trait. Les figures se prolongent en d’autres figures, les traits prennent des formes qu’ils échangent ensuite pour d’autres. Il y a là une forme d’écriture automatique qui ouvre d’autres portes, à la manière de ces yeux qui semblent éclore sur la page. En cela, la feuille vierge est le terrain qui permet au dessin de survenir, parfois à son corps défendant. Le vide est donc essentiel à la prolifération du trait et l’espace qui l’entoure en isole les figures. Il offre un lieu sans ordre, ni hiérarchie, où le dessin peut s’étendre, tel un organisme qui ne répondrait qu’à ses propres lois. La feuille n’est donc pas seulement un support, elle est le milieu aride ou le dessin peut surgir et flotter, inattendu, insensé, un mirage. Nicolas Giraud, artiste et critique

Autoportrait 3 (détail) de la série Les indomptables

Techniques mixtes sur papier, 32 x 32 cm – 2011 Collection particulière

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CRITIQUES À l'heure où la Biennale de Venise 2013 est inaugurée sous les auspices du Palais Encyclopédique de Massimiliano Gioni, exposition mêlant art contemporain et art singulier, héritiers prématurément célébrés de l'Académie artistique contre créateurs possédés à la reconnaissance aussi tardive qu'aléatoire, il paraît judicieux de voir dans le travail de Karine Rougier la synthèse possible de deux modes d'apparition de l'art a priori antagonistes. Les surréalistes auront été les premiers à incorporer dans leur pratique officielle les mécanismes issus de l'art dit « brut » : représentation de personnages, paysages inspirés des contes et traditions populaires, formes issues de l'artisanat, techniques simples (dessin, peinture), supports pauvres ou trouvés, écriture automatique s'incarnant dans la répétition obsessionnelle du motif ouvrant la porte d'un inconscient de plus en plus dénié par le rationalisme positiviste ayant prévalu au sein des avant-gardes de leur époque. Karine Rougier semble se réclamer ouvertement de cette hybridité féconde. Elle a créé au fil des ans un vocabulaire formel expressionniste laissant la part belle à l'érotisme, au rêve, à l'enfance et au monstrueux, personnages baroques parcourant d'un trait arachnéen des architectures impossibles, isolés ou au contraire ramassés en grappes compactes le plus souvent (sa marque de fabrique) au sein de formats grand aigle où le blanc du papier fait écho aux possibles sans cesse renouvelés de la psyché humaine. Ses nombreux collectionneurs ne s'y sont pas trompés : et ils savourent de son vivant une œuvre méprisant les coquetteries conceptuelles pour exprimer avec honnêteté les vicissitudes de nos vies mystérieuses et dérisoires. Dorothée Dupuis Commissaire d'exposition indépendante, coéditrice de la revue Pétunia

Dessin de la série Les mains de sable Aquarelle et crayon sur papier, 26 x 34 cm - 2013 Collection privée

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Dessin de la série Curiosités (détail) Aquarelle et crayon sur papier, 30 x 30 cm, 2012


Dessin de la série Curiosités (détail) Aquarelle, collage et crayon sur papier, 30 x 30 cm - 2012


Dessin de la série Curiosités (détail) Aquarelle et crayon sur papier, 30 x 30 cm, 2012


Dessin de la série Curiosités (détail) Aquarelle et crayon sur papier, 30 x 30 cm, 2012


Medusa (dĂŠtail) de la sĂŠrie Plein air Aquarelle, transfert, crayon gris et collage sur papier, 100 x 140 cm - 2010



Du soleil aux abysses Crayon gris et aquarelle sur papier, 130 x 130 cm - 2011


Sans titre Crayon, encre de Chine et aquarelle sur papier, 50 x 70 cm - 2013



Les femmes à table (détail) Crayon gris sur papier, 120 x 115 cm – 2008 - 2013


BIOGRAPHIE, PARCOURS, PUBLICATIONS

Karine Rougier est représentée par la galerie Bertrand Baraudou à Paris et à Nice. http://documentsdartistes.org/artistes/rougier

EXPOSITIONS PERSONNELLES 2013

Les lointains, Maison du livre de l'image et du son, Villeurbanne

2012

Un oiseau immobile dans le ciel, Fondation Vacances Bleues, Marseille

2011

Les points de ressemblance, Galerie Le Cabinet, Paris

2010

Plein Air, Galerie Le Cabinet, Paris Les corps endormis, Galerie Mondo Bizzaro, Rome

2008

Spath Fluor, Galerie Espace à Vendre, Nice

2007

Hémostase, Galerie Martagon, Malaucène

2006

Lick the rainbow, Galerie Espace à Vendre, Nice

EXPOSITIONS COLLECTIVES 2013 2012

2011

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Là où vivent les êtres sauvages, avec Charles Fréger et Muriel Moreau, Fotokino, Marseille Salon du dessin Contemporain, Paris Dessins, avec Ricardo Lanzarini et Monica Millàn, Galerie GC Arte, Buenos Aires Collages, Musée d'Art Concret, Mouans-Sartoux Pinta, Art show, Galerie GC Arte, Londres South Park, Galerie HLM, Marseille Duo, Galerie Le Cabinet, Paris Salon du dessin Contemporain, Paris Visions extraordinaires, Galerie Sollertis, Toulouse Art on Paper, White Hotel, Bruxelles K.Acker / Ruling'n'freaking, Galerie de la Friche Belle de Mai, Marseille, une proposition


2010

2009

2008

2007

2006

La ligne, Galerie Espace à Vendre, Nice Salon du dessin Contemporain, Paris Retour de Skopje, Galerie Château de Servières, Marseille Back to drawing, Galerie le Cabinet, Paris Smolett is beautiful, Galerie Espace à Vendre, Nice Slick 09, Foire d’Art Contemporain, au 104, Paris Biennale des jeunes créateurs d’Europe et de la méditerranée, Carré Saint Anne, Montpellier, Musée d’Art Contemporain, Skopje, Macédoine Salon du dessin Contemporain, Paris Mauvaises Résolutions, Galerie de la Friche Belle de Mai, Marseille

BIOGRAPHIE, PARCOURS, PUBLICATIONS

de Dorothée Dupuis et Géraldine Gourbe Drawing Now ! Salon du dessin Contemporain, Paris The new lost generation , Galerie Mondo Bizzaro, Rome Mondo Bizzaro show, Galerie Miomao, Perugia

Kapital, Galerie le Cabinet, Paris Slick 08, Foire d’Art Contemporain, au 104, Paris Salon du dessin Contemporain, Paris Traits confidentiels, Musée d’Art Contemporain Arteum , Châteauneuf-le-Rouge Marseille artistes associés, au Musée d’Art Contemporain, une proposition de Sextant et Plus, commissariat Chiara Parisi, Marseille Vos dessins s’il vous plait, Galerie Espace à Vendre, Nice UMAM, Biennale de l’union Méditerranéenne pour l’Art, Galerie de la Marine, Nice Collection, Galerie Espace à Vendre, Nice 2236 jours après, avec Damien Berthier, Galerie de l’école d’art d’Aix-en-Provence Le tas d’esprit, hôtel Louisiane, commissariat Ben, Paris Varium et mutabile semper, Galerie de la Friche Belle de Mai, Marseille, Open, Galerie Espace à Vendre, Nice

PUBLICATIONS 2013

Désordres, catalogue, coédition Fotokino / B42

2011

Catalogue monographique, édition Sextant et Plus

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Direction et conception éditoriale Evelyne et Jacques DERET Conception graphique Antonin BONNET / Happyfactoryparis.com Reproduction des œuvres J.C. LETT Impression L’AGENCE MODESTE - modeste@lagencemodeste.com Art[ ]Collector www.art-collector.fr Contacts presse Virginie BURNET-BOGATY et Laurence HERBIN - Agence L'art en plus- 105 rue de la Pompe, 75116 Paris Mail : v.burnet@lartenplus.com et l.herbin@lartenplus.com - Web : www.lartenplus.com

Galerie Bertrand Baraudou Web : www.galeriebaraudou.com/

Cet ouvrage a été publié par Art[ ]Collector à l’occasion de l’exposition consacrée en septembre 2013 à Karine Rougier. Elle s’est tenue au Studio le Patio à Paris et était organisée par Art[ ]Collector.

Remerciements : Aux collectionneurs qui ont confié leurs œuvres pour l’exposition Aux membres du comité de parrainage qui ont accompagné la création et la mise en œuvre d’Art[ ]Collector Aux membres du comité de sélection d’Art[ ]Collector qui ont participé à la sélection des artistes retenus pour 2013 À tous les partenaires qui soutiennent la manifestation À la galerie Bertrand Baraudou À Valérie Saas-Lovichi, directrice du Patio-Opéra

Cet ouvrage a été imprimé en France par l’agence Modeste (Le Mans) pour le compte de JD&Com (45, rue Paul Déroulède - 92270 Bois-Colombes) en juillet 2013 Dépôt légal : juillet 2013 - Imprimé en France

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www.art-collector.fr

ISBN : 979-10-92037-02-9 Prix net : 15,00 â‚Ź


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