#11 Charles Fréger - L’épopée de Jeanne d’Arc

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Charles FRÉGER L’épopée de Jeanne d’Arc Silhouettes photographiques


Une lanterne johannique Charles Fréger et l’Histoire

L’écueil est double, qu’il n’est pas inutile de rappeler ici. D’abord, la mémoire de Jeanne d’Arc s’est

Le personnage entre dans un espace obscur, que délimitent des draps lourds qui pendent,

constituée autour de conflits idéologiques dont les échos résonnent encore aujourd’hui : la vierge

découpés, reprisés et grossièrement couturés, froissés parfois. Ces pans de chanvre jaune et de lin

armée, la sainte catholique et l’envoyée divine le disputent à « la bonne Lorraine », la combattante

blanc, d’une trame ostensible, sont rétroéclairés de façon calculée mais avec une place réservée

patriote ou la patronne des humbles, dont l’héritage contradictoire est revendiqué de l’extrême

à l’aléatoire, pour y faire danser les ombres modulées d’objets, de formes, détails et silhouettes

droite nationaliste à la gauche républicaine, comme le montrera l’affaire Thalamas en 1904.

plus ou moins identifiables et parfois même abstraits, devant lesquelles Jeanne d’Arc fait irruption.

« La mémoire de Jeanne d’Arc suit dans le temps une ligne brisée », écrivait naguère Michel Winock

C’est donc, à l’évidence, un théâtre d’ombres à double jeu, dont le photographe explore les

dans un essai qui considérait la Pucelle comme un « lieu de mémoire » de la nation. Ensuite, depuis

projections et dont rien ne nous paraît caché, puisque, à la manière dont Lewis Carroll a fait poser

l’aube des temps modernes, et non sans une intensification au XIXe siècle, les images johanniques

Marion Terry en cotte de mailles, le 12 juillet 1875, dans un fond de cour, devant un drap tendu

ont fécondé la littérature et le théâtre, la peinture, la sculpture monumentale, l’imagerie scolaire,

sur un mur de briques, Charles Fréger déguise, accessoirise, coiffe, met en scène les modèles

le folklore des pèlerinages ou des célébrations commémoratives et jusqu’à l’expressionnisme

qu’il enrôle. Les jeunes femmes en pied ou à cheval, en armure, en voiles ou enchaînées, portant

du cinéma de Carl Dreyer ou Robert Bresson. Avec d’autant plus d’efficacité que quelques épisodes

l’étendard ou l’épée, blessées d’une flèche, arborant l’artifice d’une auréole, sont des Jeanne tour à

de la vie météoritique de Jeanne d’Arc ont cristallisé une incroyable épopée et décliné des figures

tour hiératiques ou échevelées, sculpturales et guerrières. Elles peuvent être encore sorcières

légendaires, solidement plantées dans une topographie locale – Domrémy, Vaucouleurs, Chinon,

ou ribaudes, extatiques comme des patientes de Charcot. Les froids reflets métalliques, le grain de

Orléans, Reims… – dont Rouen clôt l’évocation : la pauvre bergère solitaire appelée par des voix,

la peau, les effilochures du chanvre des vêtements, les tiges ligneuses des fagots, la paille jonchant

la combattante héroïque et chevaleresque, la Jeanne emprisonnée et jugée, la martyre condamnée

le dallage du sol, les aperçus de vitraux ou de quadrilobes gothiques tempèrent ces silhouettes

au bûcher… Il s’agit donc d’une mémoire-kaléidoscope, mobile et fractionnée, en perpétuelle

corsetées, que la pénombre de l’abbatiale ne doit pas boire complètement.

recomposition, où des stéréotypes voire des clichés ont toutefois fini par s’imposer davantage sous l’empreinte de matrices visuelles, que par la force de chefs-d’œuvre. Quoique… si l’on pense

L’imagier naïf et théâtralisé du XIXe siècle défile dans la lanterne magique de Charles Fréger,

à Rubens, Vouet, Ingres, Delaroche, Rossetti, Frémiet, Grasset ou Sarah Bernhardt. Mais tous auront

où apparaissent, s’éclipsent et se succèdent les tableaux convoquant une Jeanne miraculeuse

surtout inventé des réinterprétations vite tournées en puissantes conventions, renforcées par

et complexe : idiote et grivoise, « troubadour », virile et conquérante, mystique ou martiale,

les usages d’une culture populaire, dont la vie dure se nourrit d’appropriations jalouses.

suppliciée, promise au bûcher. C’est en quelque sorte le legs incertain mais disputé de l’histoire comme énigme définitivement insoluble, que Charles Fréger veut donner à voir, avec ses

C’est par la voie des stéréotypes ou des poses – par les variations qu’impliquent aussi les uniformes,

travestissements, ses fantasmes et ses arrangements derrière les reconstitutions véristes.

observés dans ses portraits de légionnaires, de marins ou de Scott Guards –, en somme par

Son iconographie johannique se nourrit d’un héritage composite, pleinement assumé

les contraintes et les codifications forgeant les communautés, que Charles Fréger en est

par le photographe qui en extrait à dessein des illusions optiques projetées sur un « récit

arrivé à Jeanne d’Arc, dont il a commencé, non à Rouen mais à Orléans, en 2004-2005, par

national », ici dévoilé comme le palimpseste de toute identité.

photographier les lycéennes choisies, chaque année, pour défiler « comme des majorettes », dit-il – des majorettes équestres et en armure. Mais après ce premier travail, abandonné en cours de route, le photographe a retrouvé l’imagerie johannique par un détour qui ressemble à un dépaysement. C’est-à-dire en passant par les pastorales basques où, depuis le Moyen Âge, se racontent des épopées religieuses ou historiques jouées par des villageois de la Soule,

Bertrand Tillier

en plein air, devant un fond de toile tendue. D’un contrejour accidentel, Charles Fréger a obtenu

Professeur d’histoire contemporaine Université Paris 1 Panthéon Sorbonne / IDHES (CNRS Umr 8533)

une silhouette dont il a ensuite cherché à obtenir le résultat en maîtrisant la scénographie des prises de vue, selon un procédé appliqué à la figure de Jeanne d’Arc convoquée dans l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen où celle-ci serait passée.


Charles FRÉGER L’épopée de Jeanne d’Arc 2016

Jeanne et les voix


Jeanne et la passion

Jeanne et le roi


Jeanne au sacre

Jeanne la pucelle


Jeanne à cheval


Jeanne auréolée


Jeanne en sainteté


Jeanne troubadour

Jeanne aux batailles


Jeanne au fanion

Jeanne victorieuse


Jeanne blessée

Jeanne au procès


Jeanne à la tour

Jeanne au bûcher


Art[ ]Collector : des collectionneurs invitent un artiste. Réuni autour des collectionneurs Evelyne et Jacques Deret, le comité de sélection d’« Art[ ]Collector : des collectionneurs invitent un artiste » distingue cette année le photographe Charles Fréger. Il est le onzième artiste à bénéficier du programme de soutien et de promotion d’Art[ ]Collector. Une exposition personnelle lui est consacrée au Patio Art Opéra du 25 septembre au 7 octobre 2017 et donne lieu à la publication du présent catalogue. Après cinq ans d’existence du programme de mécénat « Art[ ]Collector : des collectionneurs invitent un artiste », Art[ ]Collector a choisi de ne retenir qu’un seul artiste pour l’année 2017 : Charles Fréger. Parallèlement, Art[ ]Collector présente à Bruxelles du 9 novembre au 23 décembre à la Patinoire Royale/galerie Valérie Bach l’exposition « 5x2+1 » qui réunit, sous le co-commissariat de Valérie Bach et Philippe Piguet, les dix lauréats des cinq dernières années : Iris Levasseur, Jérémy Liron et Christine Barbe (2012), Karine Rougier et Clément Bagot (2013), Claire Chesnier et Eva Nielsen (2014), Abdelkader Benchamma et Olivier Masmonteil (2015) , Massinissa Selmani (2016) et Mehdi-Georges Lahlou, artiste qui travaille en Belgique, élu par le comité de sélection sur proposition de Valérie Bach. Pour cette exposition, chacun des onze artistes présentés à la Patinoire Royale/galerie Valérie Bach a créé une estampe dans l’atelier de Michael Woolworth à Paris ; onze estampes rassemblées dans un portfolio tiré à trente-cinq exemplaires. Par ailleurs, Art[ ]Collector poursuit et prolonge son engagement aux côtés des jeunes artistes français par un quatrième coup de cœur à l’association « Jeune Création » qui a permis de sélectionner deux des artistes exposés à la galerie Thaddaeus Ropac lors de la 66ème édition de la manifestation en janvier 2016 : Emilie Duserre et Timothée Schelstraete. En juin 2015, le programme de mécénat « Art[ ]Collector : des collectionneurs invitent un artiste » a reçu le parrainage du ministère de la Culture et de la Communication.


Les collectionneurs

Je connaissais, pour les avoir vus en différentes occasions, les portraits photographiques

La rencontre avec l’artiste, dans son atelier, à Rouen, m’a permis d’entrer plus avant

de Charles Fréger, à la fois séduisants, étranges et énigmatiques, tels ceux des majorettes,

dans les différentes dimensions et facettes de son travail photographique. Au musée

lutteurs de sumo ou gardes républicains… J’y voyais de prime abord une superbe mise

des Beaux-Arts de la ville était présentée sa très récente série L’Épopée de Jeanne d’Arc.

en scène de la construction identitaire, une exploration de l’interaction entre individu,

uniforme et rituels. Ou comment l’individu habite vêtement et codes pour dire sa

Au premier regard, la manière et le sujet diffèrent. Réalisés en intérieur, celui de

volonté d’appartenance à sa communauté d’élection et comment, dans un mouvement

l’abbatiale gothique Saint-Ouen à Rouen, ces seize portraits de Jeanne se déclinent

simultané et par un effet de porosité, il les investit de sa propre personnalité.

en silhouettes, des ombres chinoises qui évoluent dans une subtile gamme de noirs,

de blancs, ponctués de quelques légères touches colorées. Un fond composite de

À la fréquentation de ces images, je retenais également le sentiment, parfois surprenant,

tissus, et quelques accessoires plus ou moins réalistes complètent le tableau. Le titre

d’une apparente permanence, voire immuabilité de ces communautés telles que révélées

est programmatique : « L’Épopée » assume l’allusion aux récits historiques et à la

par l’objectif du photographe, qu’elles soient sportives, professionnelles, traditionnelles.

part inhérente de fantasme, réinventée à chaque époque. La bergère entendant les

La galerie de portraits constituée depuis plus de vingt ans par le photographe, bien que

voix, la guerrière prête au combat, la pucelle… Tous les « épisodes » d’une vie tant

dédiée à nos cultures contemporaines et incluant parfois des environnements aussi

instrumentalisée se retrouvent dans ce théâtre d’ombres.

non spectaculaires que le milieu de l’apprentissage, semblait atteindre une forme de

dépouillement qui rappelait l’économie picturale des portraits du Quattrocento.

J’y vois là encore cette part de mystère, d’étrangeté et d’énigme qui caractérise me

semble-t-il, son travail… Il trouble définitivement cette image partagée et nous la rend

Je remarquais ensuite,

au sein de ce que Charles Fréger

appelle ses « portraits

différente.

photographiques et uniformes », un glissement progressif vers le théâtral, le costume et la silhouette. Viennent les Rencontres d’Arles, en juillet 2016, et la découverte de cette vaste campagne photographique nippone : Yokainoshima. Charles Fréger déployait là un magnifique bestiaire fantasmagorique. Les costumes représentaient cette fois des divinités shintoïstes et bouddhistes, mises en scène dans un Japon essentiellement rural. Le titre, Yokainoshima, littéralement « l’île aux monstres », un endroit me dit l’artiste qui n’existe pas, un néologisme de son invention qui me conforte dans cette sensation d’un inventaire plus poétique que scientifique.

Evelyne Deret


Le travail de mémoire de Charles Fréger s’est installé dans notre collection depuis le début des années 2000. Il venait de sortir de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen. Nous venions de découvrir sa série Water Polo au FRAC Normandie. Depuis, nous cheminons ensemble au fil des séries de photographies qu’il crée. Ni inventaire, ni documentaire, il met en scène des individus qui ont choisi d’appartenir à une communauté qui s’identifie par le costume. C’est ce travail original, sans cesse renouvelé grâce aux recherches qu’il entreprend, qui nous intéresse parce qu’il nous surprend, nous entraîne de découverte en découverte jusqu’aux racines de l’humanité et de nos sociétés. C’est la dignité de chaque individu que Charles parvient à saisir au sein même de l’uniformité. Nous lui avons ainsi demandé de pénétrer notre communauté familiale et de photographier nos petits-fils à intervalles réguliers. Un travail de mémoire évolutif. On mesure cette évolution dans l’exposition réalisée à l’occasion du Prix Art[ ]Collector. Des images frontales des années 2000, puis de profil des Winner Faces ou de trois-quarts, nous parvenons à des personnages de dos dans la série des Bretonnes par exemple où nous ne voyons plus que les coiffes et les châles des femmes qui scrutent l’océan. Et ici entre réalité et effacement ce sont des silhouettes symboliques ou surnaturelles, à la fois icônes et documents, des créatures imaginaires, des fantômes peut-être, ancrés dans notre mémoire collective comme les images d’Epinal. Françoise et Jean-Claude Quemin


Distribution

Direction et conception éditoriale

Photographies : Charles Fréger

Costumes / Stylisme : Olivier Bériot, Laurent Dombrowicz

Conception graphique

Conseiller historique : Fred Duval

Coiffeur : Christian Attuly

Impression

Couture : Madeleine Marsais

Dressage cheval : Romain Sicot

Texte : Bertrand Tillier

Evelyne et Jacques Deret

Antonin Bonnet / Happyfactoryparis.com

Point Final - frederic@pointfinal.pro

Art[ ]Collector

www.art-collector.fr

Remerciements

Contacts presse

Alba Pistolesi / Maryline Agency

Virginie Burnet-Bogaty - Agence L’art en plus - 11, rue du bouquet de Longchamp - 75116 Paris

Claudine Lachaud et l’atelier Caraco

v.burnet@lartenplus.com - www.lartenplus.com

Laurent Tard et le Grand Parc du Puy du fou

Christophe Maratier et Maratier Armurier

Photographies

Paula C et Sastreria Cornejo

© Charles Fréger, 2016

Joanne Snrech et Sylvain Amic, Musée des Beaux-Arts de Rouen

Charles Fréger est membre de Piece of Cake, réseau européen pour l’image contemporaine.

Fabrice Paris, Benoît Pétel, Théâtre des Arts de Rouen

www.pocproject.com

Etienne Granger et le service culturel, Mairie de Rouen

Sophie Haise, Le Garage, Rouen

Préface

Etienne David, Le ventre de l’automate

Fabienne Boyer et Romain Sicot, Chevalerie de la Bretèque

Martine Sadion, Musée de l’image à Epinal

Raphaëlle Stopin, Centre photographique de Rouen

Françoise et Jean-Claude Quemin

Théophile et Antoine Fréger

© Bertrand Tillez, 2017

Remerciements

Aux collectionneurs qui ont confié leurs œuvres pour l’exposition

Aux membres du comité de parrainage qui ont accompagné la création

et la mise en œuvre d’Art[ ]Collector

Aux membres du comité de sélection d’Art[ ]Collector

À tous les partenaires qui soutiennent la manifestation

À Valérie Saas-Lovichi, directrice du Patio-Opéra


Cet ouvrage a été publié par Art[ ]Collector à l’occasion de l’exposition consacrée en septembre 2017 à Charles Fréger. Elle s’est tenue au Studio le Patio à Paris et était organisée par Art[ ]Collector. Imprimé en France par le bureau de fabrication Point Final pour le compte de JD&Com (45, rue Paul Déroulède - 92270 Bois-Colombes) en juin 2017 - Dépôt légal : septembre 2017 - Imprimé en France

Avec le parrainage du ministère de la Culture et de la Communication.


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