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TROISIÈME PARTIE :
Comment le juge justifie-t-il le "crime" de l’article 230 ?
Bien que les tribunaux ne justifient leurs jugements que sur la base de la loi, en établissant les éléments du crime : légal, matériel et moral, le juge avance souvent des arguments autres que juridiques pour justifier sa décision et la peine prononcée.
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En se référant aux jugements commentés, nous notons que les tribunaux de fond présentent un jugement moral des actes punissables. Le juge justifie sa peine, mais souligne également sa position sur le crime de l’article 230. Il convient de noter que la plupart de ces qualifications mettent l’accent sur deux aspects : l’acte incriminé par l’article 230 du CP est un acte contre nature et non conforme aux normes sociales.
Bien que le juge ne soit pas obligé de justifier la criminalisation contenue dans les textes juridiques autant qu’il est obligé de justifier la peine, qui doit être proportionnée au crime, il a été remarqué dans de nombreuses décisions que le juge justifie la criminalisation et la peine sur la base d’arguments moraux/religieux en se présentant en tant que gardien de l’intérêt de la société et de ses valeurs. La façon dont le juge a justifié l’application de l’article 230 nous amène aux conclusions suivantes :
1. L’acte homosexuel est un acte contre-nature : selon le juge, il s’agit d’un rapport sexuel contre-nature (ceci rappelle l’article 534 de loi pénale libanaise) et d’un acte pervers qui doit être réprimé. Ce faisant, le juge ne rompt pas avec la jurisprudence de la justice civile et pénale concernant l’acte sexuel naturel, même entre couples mariés (un homme et une femme liés par un contrat de mariage).
2. L’acte homosexuel s’oppose aux enseignements et aux valeurs de la société : dans ses décisions, le juge exprime son rôle de protection de ces valeurs et enseignements en prononçant des peines dissuasives à l’auteur de l’acte homosexuel. Souvent, il joue le rôle du gardien de la société d’une façon exagérée au point de prononcer des peines complémentaires visant à interdire l’accusé de séjour dans la ville où il a « commis » l’acte homosexuel après avoir purgé sa peine.
Il est à noter que dans de nombreux cas, les tribunaux expriment une certaine attitude de vengeance à l’égard des personnes accusées sur la base de l’article 230, raison pour laquelle la Cour d’appel n’hésite pas à réduire les peines à des mois d’emprisonnement avec l’abandon de la peine de l’interdiction de séjour.
En somme, tous les jugements prononcés sur la base de l’article 230 du CP ont condamné et continuent de condamner des centaines d’individus à l’emprisonnement pendant des années, ce qui peut être déduit des chiffres officiels. Ainsi, entre 1913 et 2023 (110 ans déjà depuis l’application de l’article 230) des milliers de personnes ont été emprisonnées. L’accusation est seulement d’être différent.e. et d’avoir une identité de genre différente. Leur incrimination n’a aucun lien avec leur comportement, il s’agit plutôt de s’affirmer comme il/elle est née.
Les lois [le Code pénal et plus précisément l’article 230] sont un point de départ pour la discrimination, la stigmatisation et la criminalisation.
En effet, 110 ans plus tard, les dispositions de ce code ne sont plus d’actualité. Ainsi, toutes les études et rapports nationaux et internationaux ont souligné qu’il s’agit d’une arme répressive pour empiéter sur les libertés et de s’immiscer dans la vie privée et intime des personnes dont l’identité est devenue dangereuse pour leur existence.
Mais comme l’a affirmé le militant anti-apartheid en Afrique du Sud Desmond Tutu27 « Les lois anti-homosexuelles seront considérées dans le futur comme fautives que les lois racistes (l’Apartheid) ».
27 Desmond Mpilo TUTU, né en 1931 ; Prix Nobel de la paix 1984, Président de la Commission Vérité et Réconciliation d’Afrique du Sud (1995-1998), auteur de « Prisonnier de l’espérance » (1983) et « Dieu fait un rêve » (2008).