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L’AFFAIRE 230 " LA JUSTICE FACE À L’HOMOSEXUALITÉ
Nous avons aussi comparé l’attitude des juges à celle des avocats et nous n’avons pas trouvé de différence significative, excepté l’attitude significativement favorable des juges envers l’homosexualité des personnes ayant un rôle éducatif et social. L’absence de différence significative montre que les juges ne sont pas plus ou moins hostiles envers l’homosexualité que les avocats. En ce qui concerne la différence significative que nous avons objectivées, ce résultat peut être expliqué en s’appuyant sur les données de la littérature qui montrent que le fait de connaitre une personne homosexuelle ceci donne lieu à des attitudes plus favorables (Weishut, 2000). En effet, il serait possible que l’un ou l’une des partcipant.e.s connaissent une personne qui joue un rôle éducatif / social et étant donné le nombre limité des participant.e.s du groupe des magistrats, ceci induit une moyenne générale plus élevée dans ce groupe en lien avec ce composant, en particulier.
Ainsi, l’apport de cette étude réside dans le fait que l’attitude des juges face à l’homosexualité suit les tendances objectivées dans les travaux précédents, à savoir une meilleure acceptation de l’homosexualité tant qu’elle reste éloignée de la sphère proche du participant / de la participante. Par voie de conséquence, il apparait clairement que considérer l’attitude face à l’homosexualité comme une entité monolithique limite la compréhension de ses différents axes. En outre, nous pensons que l’attitude face à l’homosexualité des proches est le meilleur indicateur de la manière avec laquelle une personne se représente l’homosexualité et dans quelle mesure elle est favorable envers celle-ci. Autrement dit, l’acceptation de l’homosexualité d’une personne étrangère et qui n’appartient pas à la sphère intime de l’individu peut refléter une attitude d’indifférence.
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Afin de mieux comprendre cette disparité au niveau des différents composants de l’attitude face à l’homosexualité, le modèle des cinq facteurs de la personnalité a été choisi comme cadre d’analyse. Les résultats ont montré que la dimension qui est la plus saillante chez le groupe des juge est l’agréabilité ainsi que la conscienciosité. En ce qui concerne la première dimension, l’individu est plutôt dans une tendance à la conformité et notamment à présenter une « bonne » image de luimême. Par voie de conséquence, il / elle a tendance à ne pas mobiliser les processus permettant de limiter l’hégémonie des acceptions habituelles. Ainsi, lorsque la distance affective qui séparait l’individu de la personne homosexuelle s’amoindrit, il/elle manifeste le rejet préalablement ancré. Il est intéressant de souligner le fait que dans un précédent travail (Belhadj, 2022), la dimension agréabilité apparait comme le trait de personnalité le plus saillant, ceci montre que les résultats objectivés auprès du groupe des juges suivent les tendances explicitées auprès d’autres groupes. En ce qui concerne la conscienciosité, des chercheurs ont déjà démontré que ce trait de personnalité ne permet pas une attitude favorable envers l’homosexualité. En effet, cette dimension renvoie à la tendance que l’individu a à penser et à agir selon l’ordre et de manière contrôlée. Par conséquent, cette manière de procéder va limiter voire annuler les possibilités alternatives de compréhension d’un fonctionnement en dehors des cadres sociétaux et légaux.
Notons qu’une autre dimension de la personnalité, à savoir l’ouverture, qui renvoie à la tendance à mettre à distance les acceptions conventionnelles est plutôt associée à une attitude d’acceptation et de l’homosexualité et de la personne homosexuelle. Cette dimension n’arrive qu’en troisième position dans le descriptif que font les participants d’eux-mêmes.
Donc, ils/elles ne la considèrent pas comme un trait saillant de leurs personnalités.
Explication neurocognitive :
Actuellement, un autre cadre d’analyse peut apporter un éclairage des mécanismes en jeu chez l’individu qui est amené à traiter les informations qui se présentent dans son environnement et à prendre des décisions. Ce cadre est relatif à la théorie du cerveau prédictif (Holmez & Nolte, 2019). Cette théorie propose une compréhension du fonctionnement du cerveau sous forme d’une anticipation permanente sur la base des acquis préalables. Ainsi, lorsque l’information qui se présente n’est pas conforme à la prédiction, un message d’erreur apparait sous forme d’une émotion négative. Le fonctionnement du cerveau cherche constamment à réduire ces messages d’erreurs d’où une focalisation privilégiée sur les informations concordantes avec les prédictions. Comme précisé plus haut, les prédictions correspondent aux acquis préalables qui sont profondément ancrés. En s’appuyant sur ce cadre théorique, il apparait que les acquis préalables en matière d’orientation sexuelle sont normatifs, selon les résultats de cette étude. Par voie de conséquence, l’homosexualité est perçue comme un « message d’erreur » induisant un traitement privilégié des informations concordantes avec les acquis préalables. Autrement dit, en se référant à cette théorie, il est possible de préciser que le cerveau est constamment à la recherche de nouvelles informations pour affiner ses croyances et ses attitudes. Ainsi, si une personne est exposée de manière répétée à des informations négatives sur l’homosexualité, elle peut développer des croyances et attitudes négatives envers ces personnes.
Il est important de préciser que les acquis préalables relèvent plutôt des automatismes. En revanche, le cerveau présente aussi une grande flexibilité en mettant à jour les acquis préalables. La mise à jour quant à elle est loin d’être un traitement automatisé. En effet, la fonction de mise à jour nécessite une mobilisation importante des ressources cognitives sur une longue durée. Autrement dit, le fait d’évoluer dans un environnement, social, éducatif, professionnel, culturel, personnel etc. qui permet la visibilité des personnes ayant une orientation homosexuelle et en même temps être confronté à des sources d’informations stipulant que l’homosexualité est une orientation sexuelle parmi tant d’autre, favorise la prédiction de l’homosexualité et par voie de conséquence l’acceptation de celle-ci. Il est judicieux de souligner le fait que la mise en place de ce type de processus est laborieuse.
En somme, l’éclairage apporté par les modèles qui se focalisent sur les paramètres inhérents à l’individu permet une compréhension plus précise des mécanismes mis en jeu dans l’attitude face à l’homosexualité.
Conclusion
L’objectif de ce travail est d’examiner l’attitude des magistrats envers l’homosexualité. Les résultats obtenus montrent que l’attitude des magistrats est cohérente avec l’attitude d’autres groupes du contexte tunisien. En outre, les traits de personnalité les plus saillants chez ce groupe renvoie à la tendance à se conformer aux normes plutôt que la tendance à l’ouverture. Ainsi, ce type de fonctionnement peut influencer les processus de traitement de l’information et de prise de décision en privilégiant les informations concordantes avec les prédictions, c’est-à-dire les acquis préalables.