A bord de La Korrigane - Carnet de voyage de Régine van den Broek 1935 (extrait)

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Ouvrage publié à l’occasion des 105 ans de madame Régine van den Broek d’Obrenan

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Coordination éditoriale : Sarah Houssin-Dreyfuss, assistée de Justine Gautier Conception graphique : Florine Synoradzki Contribution éditoriale : Anne-Sophie Gache Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2014 © Régine van den Broek d’Obrenan, pour ses œuvres © Christian Coiffier, pour son texte © Thierry Renard, pour les cartes p. 8-9 ISBN 978-2-7572-0891-5 Dépôt légal : novembre 2014 Imprimé en Italie (Union européenne)


À bord de La Korrigane Carnet de voyage de Régine van den Broek d’Obrenan aux Nouvelles-Hébrides, aux îles Salomon et aux îles de l’Amirauté en 1935

TEXTES

Christian Coiffier



10 –

Un carnet de voyage ethnographique Un carnet de croquis Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud (1934-1936)

13 –

Les Nouvelles-Hébrides (Vanuatu) Côte sud de l’île de Malakula Côte nord-ouest de l’île de Malakula Côte nord-est de l’île de Malakula

18 –

Les îles Salomon Archipel de Santa-Cruz Îles de Santa-Ana et de Santa-Catalina Île de Rennell Île de San Cristobal (Makira) et de Nouvelle-Géorgie (lagunes de Marovo et de Roviana)

23 –

Les îles de l’Amirauté et le Sépik Île de Pak Île Manus, chez les Usiaï (village de Péri) Île Lou Le fleuve Sépik

27 –

Œuvres de Régine van den Broek d’Obrenan inspirées par les croquis de son carnet de voyage

30 –

Carnet de croquis de Régine van den Broek d’Obrenan

181 – Index des noms de lieux 182 – Bibliographie


Remerciements L’auteur tient à remercier tout particulièrement madame Régine van den Broek d’Obrenan pour la confiance qu’elle lui a accordée depuis plus de quinze ans en lui donnant accès à ses archives personnelles et particulièrement à ses sources iconographiques. De nombreux entretiens, au fil des années, ont permis à l’auteur de recueillir auprès d’elle des anecdotes originales relatives à son voyage à bord du yacht La Korrigane. L’auteur se doit également de remercier ses deux fils, François et Alain, ainsi que leurs épouses Isabelle (aujourd’hui décédée) et Marie-Christine, qui l’ont, depuis sa première rencontre avec leur mère et belle-mère, en 1997, encouragé et aidé dans ses recherches. Il n’oublie pas parmi ces remerciements ceux adressés à René Ratisbonne et aux enfants de son frère Étienne de Ganay : Françoise de Barbot, Aliette Lavaurs, et Gérard de Ganay, qui ont toujours accepté de collaborer avec lui en lui prêtant les précieuses archives et les photographies familiales du voyage de La Korrigane. L’auteur remercie également Michèle Lenoir, directrice de la bibliothèque du muséum national d’Histoire naturelle qui a autorisé l’utilisation à titre gracieux de l’iconographie conservée dans l’institution dont elle est responsable.


Introduction C’est la première fois, depuis quatre-vingts ans, que ce carnet de voyage illustré par Régine van den Broek d’Obrenan1, et réalisé durant le voyage de celle-ci sur le yacht La Korrigane (1934-1936), est exhumé des archives familiales pour être publié dans son intégralité sous la forme d’un fac-similé. Jusqu’à ce jour, seuls quelques-uns des croquis illustrant ce carnet avaient été présentés dans divers ouvrages et revues. Réalisés à la mine de plomb sur papier, ils représentent certainement l’œuvre la plus intéressante de Régine van den Broek d’Obrenan sur le plan ethnographique. Ce sont des témoignages, parfois uniques, de scènes de la vie quotidienne des populations insulaires d’Océanie dont les modes d’existence ont été profondément modifiés depuis quatre-vingts ans en raison des effets conjugués de la christianisation et de la guerre du Pacifique (1942-1944). Ces croquis présentent le grand intérêt d’avoir été « pris sur le vif », comme cela est écrit en exergue de la main de l’artiste, et de compléter judicieusement les photos réalisées durant l’expédition de La Korrigane par Étienne de Ganay, Charles van den Broek d’Obrenan et Jean Ratisbonne. L’auteur a souhaité ajouter à ce corpus quelques sanguines et aquarelles directement inspirées des croquis de ce carnet de voyage. Le texte qui accompagne la présentation de ces dessins est destiné à permettre aux lecteurs de se replacer dans le contexte de cette expédition dans les mers du Sud en 1934-1936. L’auteur a également choisi, pour faciliter la lecture, d’utiliser le terme de « Korrigans2 » pour désigner les cinq membres de l’expédition et de nommer chacun d’eux par leur prénom. 1. Pour une biographie complète et une présentation de l’œuvre iconographique de Régine van den Broek, se reporter à l’ouvrage Régine van den Broek d’Obrenan. Une artiste à bord de La Korrigane (Coiffier 2014). 2. Les cinq membres de l’expédition décidèrent de s’appeler du nom de « Korrigans » (Coiffier 2014, 79). CI-DESSUS : Régine van den Broek d’Obrenan à Rivaulde (été 2012).

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Abréviations : RvdB : Régine van den Broek d’Obrenan CvdB : Charles van den Broek d’Obrenan


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Île d’Espiritu Santo

Île d’Aoba (Ambaë)

Lorengau

Luganville

Î L E M ANU S Patusi

Île de Malo

Île de Pak

M’bunai Village de Péri

DÉTROIT

DE

BOUGAINVILLE

Île Lou

Mantawat

Vao Atchin Wala Rano Tenmaru

À GAUCHE : Parcours de La Korrigane à travers

les archipels mélanésiens. À DROITE : Parcours de La Korrigane autour de l’île de Malakula aux Nouvelles-Hébrides (Vanuatu).

Île Baluan

20 km

Leviana

Parcours de La Korrigane aux îles Salomon. Parcours de La Korrigane à travers les îles de l’Amirauté.

Île Pam

N

MER DE CORAIL

B A IE DU S U D - OU E ST

Tisbel

Île Choiseul

Longbongaló Îlot de Lanour Melip Port-Ravallec

OCÉAN PACIFIQUE

Île Santa Isabel

Î LE DE MA L A KUL A

LAGUNE DE MAROVO LAGUNE DE ROVIANA

Île de Florida

Nouvelle-Géorgie

Îlot de Tomman

Tulagi

Île de Malaïta

Île de Guadalcanal Île de San Cristobal (Makira)

Île de Rennell (Mugaba)

N

N

20 km

9

200 km

Île de Santa-Ana

(Owa Raha)

Île de Santa-Catalina (Owa Riki)

Île de Ndende GRACIOSA BAY ARCHIPEL DE SANTA-CRUZ

Île de Vanikoro


représentant un assommoir à cochons, le village de Melip, une pirogue de Nouvelle-Géorgie, un intérieur de maison à Manus, une reproduction de motifs gravés sur bol en bois de Manus, ainsi qu’une petite fille du Sépik. Il se peut aussi que quelques pages de ce carnet aient été arrachées durant le voyage ou après le retour de Régine en France, puisqu’il y manque les croquis nos 5, 26, 28, 70 et 71. Il ne subsiste plus qu’une photocopie du croquis no 70, pl. 82, le portrait d’une veuve de l’île de Patussi (Manus) à la coiffe si particulière. Le no 71, pl. 83, était peut-être le croquis aquarellé représentant un marché aux îles de l’Amirauté qui

Un carnet de voyage ethnographique

Un carnet de croquis Ce carnet comprend 80 pages de croquis qui n’illustrent pas l’ensemble des pays entrevus durant l’expédition de La Korrigane dans les mers du Sud. Ils ne couvrent, en effet, que sept archipels sur la douzaine d’archipels visités. Aucun ne se rapporte aux îles Marquises, à la NouvelleZélande, aux îles Fidji ou à la Nouvelle-Calédonie. Seuls trois archipels ont capté l’intérêt de Régine van den Broek. Il s’agit de l’île de Malakula aux Nouvelles-Hébrides avec vingt-deux planches, des îles de l’archipel des Salomon (Santa-Cruz, Santa-Ana, Santa-Catalina, Makira, Rennell et Nouvelle-Géorgie), illustrées par une trentaine de planches et des îles de l’Amirauté avec dix-sept planches. Seules trois planches concernent les îles Sous-le-Vent et quatre la région du fleuve Sépik en Nouvelle-Guinée. Il n’existe aucun croquis des lieux visités avant l’arrivée à Tahiti, ni des escales après la Nouvelle-Guinée. L’explication réside peut-être dans le fait que Régine van den Broek souhaitait établir une documentation ethnographique dans des îles réputées, à cette époque, comme étant les plus « sauvages », voir les Nouvelles-Hébrides, les îles Salomon et la Nouvelle-Guinée. Elle n’acheva pas le voyage avec ses compagnons, car elle dut rentrer à Paris où elle accoucha de son second fils. C’est donc avec sa mère, venue la chercher à Singapour, qu’elle retourna à Marseille sur un navire de ligne (Coiffier 2014, 143). Certains de ses croquis fournissent des informations ethnographiques des plus intéressantes quant à la situation locale d’œuvres collectées par les membres de l’expédition, et cela d’autant plus qu’ils viennent parfois en complément des photographies faites par son mari Charles van den Broek. Les numéros de pages ne correspondent pas toujours à ceux des croquis, plusieurs d’entre eux se trouvant parfois sur une même planche. De plus, la numérotation ne commence qu’avec le premier croquis aux Nouvelles-Hébrides, les trois premières planches ne comportant pas de numéro. En outre, quelques croquis n’ont pas été numérotés dans le corps du carnet, comme ceux

À GAUCHE : Régine van den Broek d’Obrenan

sur le pont de La Korrigane (expédition de 1934-1935). À DROITE : Le yacht La Korrigane toutes voiles

dehors (1934).

fut détaché du carnet en 2001 afin d’être encadré et accroché lors de l’exposition « Les Voyageurs de La Korrigane dans les mers du Sud » au musée de l’Homme. Certains croquis des îles de l’Amirauté nos 64, 67 et suivant (pl. 75, 78 et 79) ont été surlignés à l’encre bleue sans que nous en connaissions la raison. Sur la seconde page de couverture du carnet, sont notées diverses informations recueillies à Tisbel, sur la côte ouest de l’île de Malakula, et concernant des personnes rencontrées sur la plage : des hommes venus de Rânarap, de Metênisal, de Neviâr et de Bâniar, ainsi que des femmes venues de Neviâr. Ainsi qu’une inscription qui nous renseigne sur un achat fait par les membres de l’expédition : « 3 flèches empoisonnées, m’bolang, à pointes en os humains, pour un calicot, au village de Hamalmîal à l’origine Merômbun ». Cette page n’est pas reproduite dans cet ouvrage. Le croquis réalisé par Puia, un homme de l’île de Rennell, se trouvait initialement à la troisième page. L’auteur a souhaité le déplacer pour le joindre aux autres planches de croquis réalisées sur Rennell par Régine. Les noms de lieux-dits n’ont pas pu être tous vérifiés car de nombreux villages visités en 1935 par les Korrigans ont aujourd’hui disparu ou bien ont changé d’emplacement. 10


3. Les Korrigans sont de petits nains qui dansent autour des menhirs et jouent parfois des tours aux marins. La Korrigane est également un ballet fantastique en deux actes de François Coppée et Louis Mérante, sur une musique de Charles-Marie Widor, créé à l’Opéra de Paris en 1880.

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Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud (1934-1936) Il y a quatre-vingts ans, le 28 mars 1934, le yacht La Korrigane quittait le port de Marseille pour un voyage de circumnavigation qui devait durer deux ans et trois mois. Cette ancienne goélette construite en 1915 à Kérity, près de Paimpol, avait initialement été dévolue à la pêche à la morue dans les mers d’Islande. Sous son premier nom, La Revanche, elle ne fera que quelques campagnes à Terre-Neuve avant d’être désarmée à la fin de la Grande Guerre puis transformée en yacht de plaisance. En 1928, elle est alors équipée de deux moteurs Bolinder de 40 chevaux et confortablement aménagée avec salon, salle à manger et cuisine, chambres et salle de bains, par ses nouveaux propriétaires, M. et Mme Roger Bertheaud de Chazeaux, qui la rebaptisent La Korrigane3. En 1934, Étienne de Ganay, qui souhaite faire un grand voyage autour du globe en compagnie de son

épouse Monique, de sa sœur Régine, de son beau-frère Charles et d’un ami, Jean Ratisbonne, l’achète. Sa grand-mère, madame Henri Schneider, l’aide à financer cet achat (Coiffier 2014, 79). Après avoir fait réaliser divers aménagements pour naviguer dans les mers tropicales, La Korrigane est prête pour mener à bien sa mission. Quatorze personnes vont naviguer sur ce yacht luxueux : les cinq membres de l’expédition, Étienne et Monique de Ganay, Charles et Régine van den Broek d’Obrenan ainsi que leur ami, Jean Ratisbonne, ainsi que neuf hommes d’équipage, Jules Brandilly, le maître d’équipage, et les matelots, Victor Degaraby, JeanClaude Le Vourche, Jean Servin et Francis Thomas ; les mécaniciens Georges Couly et Victor Raoulx, le cuisinier Jean Puntis et le maître d’hôtel, Lucien Demesster (Coiffier 2001, 22 à 26).


L’itinéraire du voyage ne présente guère de particularité ; il suit la route habituelle des grandes croisières de l’époque. L’intention des membres de cette expédition est de rapporter des îles lointaines du Pacifique les objets ethnographiques les plus curieux et les plus rares qu’ils puissent encore y trouver pour le futur musée de l’Homme que Paul Rivet4 et Georges-Henri Rivière5 s’activent à mettre en place. Étienne de Ganay, le plus âgé des membres de l’expédition, est le capitaine du bateau ; il a la lourde responsabilité de la conduite de la navigation et de l’équipage. Charles van den Broek d’Obrenan s’occupe quant à lui de l’intendance, mais il compte également réaliser des films et des articles avant de publier un ouvrage sur sa grande aventure. De son côté, Régine est l’artiste de l’expédition ; elle a l’intention d’illustrer les étapes les plus marquantes. Monique, sa belle-sœur et cousine, qui a suivi les cours de la Croix-Rouge, fera office d’infirmière du bord et rédigera les fiches des objets collectés. Quant à Jean Ratisbonne, il est désigné comme photographe officiel. Tous les cinq, jeunes et épris d’aventures, parlent l’anglais. Les lettres de recommandation que le Dr Paul Rivet leur a remises leur donnent une caution scientifique. D’autre part, la notoriété de leurs familles et quelques relations dans les milieux de la presse favorisent la médiatisation de leur départ. La traversée de l’océan Atlantique est longue. Outre les activités propres à chacun d’eux, ils doivent prendre leurs marques et apprendre à organiser le mieux possible leur temps sur La Korrigane : gymnastique sur le pont, lecture et courrier confortablement allongés sur des transats, réalisation de recettes de cuisine. Régine a emporté du matériel de dessin et de peinture, des crayons à mine de plomb, des stylos-plumes et des stylos-graphos, ainsi que divers pinceaux et, bien sûr, une boîte de peinture et des pastels. Au bout de vingt-quatre jours de voile, ils arrivent à Fort-de-France, dans l’île de la Martinique, et font escale aux Saintes et à Pointe-à-Pitre. Le 11 juin, La Korrigane se présente à l’entrée du canal de Panama. Après une dizaine de jours dans la zone du canal et à Balboa, le yacht vogue

sur l’océan Pacifique et met le cap sur les îles Galápagos. Le 16 juillet, alors qu’un banc de dorades fait scintiller la mer de reflets argentés, le capitaine annonce le franchissement de la ligne imaginaire de l’Équateur. Étienne pêche un requin de près de trois mètres (CvdB 1939, 25), ce qui donne au cuisinier l’occasion d’agrémenter l’ordinaire. Régine commence à dessiner et à peindre tous les jours des poissons fraîchement pêchés (Coiffier 2014, 176 et 177) et elle tient son livre de bord sous la forme d’une bande dessinée qu’elle a bien l’intention de publier à son retour à Paris6 (RvdB 1937). Ainsi, les petits croquis réalisés au jour le jour durant les principales étapes du voyage constitueront-ils un important complément aux dessins de son carnet de voyage. Appuyée au bastingage, Régine admire les poissons volants que la proue de La Korrigane chasse et suit quelques instants du regard leurs vols planés au ras des vagues. C’est en pleine mer qu’elle fête ses 25 ans en dégustant un excellent gâteau. Grâce à des alizés favorables, le yacht arrive au bout de dix-neuf jours en vue des falaises escarpées de l’île de Fatu Hiva, le 20 avril 1934, pour mouiller à la nuit tombée dans la fameuse baie des Vierges. Les Korrigans sont chaleureusement accueillis par les habitants d’Hanavave et, dès le lendemain, ils partent à cheval à la découverte de l’île (CvdB 1939, 27-29). Puis ils visitent les îles de Hiva-Oa et de Tahuata avant d’aborder l’île de Nuku-Hiva et de mettre le cap sur Papeete, capitale des Territoires français d’Océanie (actuellement Polynésie française).

Tahiti La Korrigane vient mouiller dans le port de Papeete et s’embosser devant le consulat américain, près de la Poste. Durant un mois, les Korrigans sont accaparés par leurs nouveaux amis tahitiens. C’est vraisemblablement à Papeete que Régine achète un carnet de feuilles de dessin et qu’elle esquisse sur la première page la forme d’un poisson, au-dessous du titre suivant « Croquis pris sur le vif au voyage de La Korrigane, 19341936 ». Les Korrigans sont invités et fêtés comme il se doit car il y a bien peu de yachts battant pavillon français qui mouillent dans le port de Papeete à cette époque. Après avoir quitté Tahiti, le 30 octobre 1934, et visité l’île de Moorea, La Korrigane met les voiles en direction des îles Sous-le-Vent. Une de ses escales sera l’île de Raïatéa où les Korrigans débarquent le 7 novembre. Régine y réalise les deux premières planches de son carnet de voyage. Elle dessine sommairement le fameux pétroglyphe situé sur une pierre en bordure d’une plateforme du conseil de Tevaitoa. Cette pierre historique se trouve désormais au bord d’une route. L’arii de Tevaitoa était le tenant du titre du marae Tainuu. Le motif, dont les dimensions sont précisées sur le croquis, évoque une coiffure de deuilleur, mais d’autres hypothèses ont été avancées : les différents rayons représenteraient les participants au conseil. Sur la droite de la même planche, on trouve deux dessins de tortue (Lavondès 1979, fig. 33). La deuxième planche concerne divers autres pétroglyphes du site de Mitimiti aute : un motif anthropomorphe et des tortues. En quittant les établissements français de Polynésie le capitaine de La Korrigane conduit son yacht vers les ports de Nouvelle-Zélande pour le mettre durant trois mois à l’abri des cyclones.

4. Paul Rivet est médecin et ethnologue, spécialiste de l’Amérique du Sud. Il devint directeur du MET (musée d’Ethnographie du Trocadéro) en 1928 et fut élu conseiller de Paris, le 12 mai 1935. 5. Après avoir été conservateur de la collection David-Weill, Georges-Henri Rivière travaille au côté de Paul Rivet à la création du musée de l’Homme. 6. L’ouvrage Les Korrigan autour du monde sera publié une première fois, en 1937, à compte d’auteur, par la librairie François Ier, puis quarante-sept ans plus tard, en 1984, par l’Asiathèque,agrémenté d’une préface de Patrick O’Reillyet d’une introduction d’Étienne de Ganay. 7. De nombreuses images du film sont reproduites dans l’ouvrage Chez les mangeurs d’hommes, Nouvelles-Hébrides, publié par Tataÿana, André-Paul Antoine et Robert Lugeon, en 1931, à Paris, aux Éditions Duchartre. 8. « Rhô (Rotarii Atumahi), établi alors à Lanour, au sud de l’île, et qui deviendra plus tard le gérant de l’ancienne plantation Dillenseger, devenue Ballande (CFNH) à South-West Bay [...] Rhô a très bien réussi par la suite à South-West Bay, ce qui ne l’empêchait pas de partager les a priori européens dans l’archipel vis-à-vis des Kanaks. Mais il était beaucoup plus réaliste et prudent qu’un Européen » (Guiart 2003, 20). À GAUCHE : Les cinq membres de l’expédition

ont décidé de prendre le nom collectif de Korrigans. De gauche à droite, Étienne de Ganay, Régine van den Broek, Charles van den Broek, Monique de Ganay et Jean Ratisbonne. Photographie extraite du New Zealand Herald, 7 mars 1935. À DROITE : Homme Big nambas de l’île de

Malakula. Cette photo se trouve placée depuis de nombreuses années sur la cheminée de la salle à manger de Régine van den Broek.

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Les Nouvelles-Hébrides (Vanuatu)

Côte sud de l’île de Malakula

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Régine ne réalise aucun dessin en Nouvelle-Zélande et à Fidji, alors que la presse de l’époque se fait l’écho d’une nouvelle alarmante : la disparition de La Korrigane entre ces deux archipels. Mais ce ne sera qu’une fausse alerte (Coiffier 2014, 99). Après avoir séjourné, du 24 avril au 19 mai, en Nouvelle-Calédonie, sur la Grande-Terre et dans l’île de Lifou, c’est aux Nouvelles-Hébrides (aujourd’hui le Vanuatu) que Régine va commencer à exécuter sérieusement ses croquis ethnographiques. Arrivés le 21 mai 1935 à Port-Vila dans l’île d’Éfaté, les membres de l’expédition de La Korrigane ne vont y rester que quelques jours avant de mettre rapidement le cap sur Port-Ravallec, au sud de l’île de Malakula. Dans les années 1930, cette île jouit de la sulfureuse réputation d’être le territoire des derniers cannibales de la planète. De nombreuses publications et des films à succès lui ont construit cette réputation depuis la fin du XIXe siècle. Dès 1917, Osa et Martin Johnson réalisent des films muets, tournés à Malakula, qui auront un très grand succès partout dans le monde. Quelques années plus tard, en 1931, Paul Antoine et Robert Lugeon développent ce thème dans leur film Chez les derniers mangeurs d’hommes qu’ils présentent comme plus authentique que celui des Johnson7. C’est plus spécialement le peuple des Big nambas qui focalise l’intérêt des curieux et des voyageurs (Guiart 2011). Voilà ce qui explique pourquoi, parmi les nombreuses îles des Nouvelles-Hébrides, celle de Malakula fut la seule à laquelle les Korrigans se sont réellement intéressés. Ils furent naturellement influencés par la mode du moment qui consistait à aller à la rencontre des sociétés prétendues les plus primitives. Les Korrigans vont donc, durant un mois, faire le tour de cette grande île en longeant sa côte ouest jusqu’au nord et en y faisant diverses escales. Arrivés à Port-Ravallec le 25 mai, ils se rendent dans l’îlot de Lanour pour y retrouver celui qui va leur servir de guide, le Tahitien Rhô8. Une partie du groupe part dans les collines visiter quelques villages des monts Goodenough où ils vont devoir dormir chez


Les îles Salomon

Archipel de Santa-Cruz Après une escale de deux jours (les 25 et 26 juin) sur l’île de Vanikoro où les deux navires de La Pérouse se sont brisés sur des récifs frangeants, La Korrigane arrive, le 28 juin, en vue de l’archipel de Santa-Cruz, dans le protectorat britannique des îles Salomon. La fabrication des monnaies de plumes rouges (croquis nos 22 et 23, pl. 27 et 28) retient l’attention des membres de l’expédition, et Régine souhaite conserver une trace de cette étonnante technique. Sur le croquis no 23, pl. 27, un vieil homme, nommé Mandédambo, du village de Nolé près du cap Mendana, est représenté en train de travailler sur un métier spécial constitué d’un cylindre en bois creux sur lequel est enroulée une sorte de ceinture en fibres d’hibiscus tressées39. Le croquis no 22, pl. 28 illustre de façon très pédagogique, à l’aide de nombreuses annotations, certains détails de cette méticuleuse manufacture40 : « petite bande de plumes de pigeons collées ensemble et frangée d’une double rangée de plumes rouges de mengia ». Le mengia est un petit oiseau (Myzomela cardinalis) dont seules les plumes du plastron sont utilisées. Les Korrigans rapportent, pour le musée, outre des monnaies, tout le matériel nécessaire à leur fabrication (Beasley & Jones 1934 ; Koch 1971, 156-167 ; Coiffier 2001, 152-153 ; 2014, 193 ; Conru 2009, 190-193). Le croquis suivant (no 24, pl. 29), réalisé dans une maison du village de Balajambowi, montre un foyer (nungo), entouré de quatre poteaux supportant des plateformes sur lesquelles sont déposés divers objets usuels, dont des monnaies enveloppées dans des feuilles, sur la plateforme supérieure. Un petit croquis, à la page 50 de l’ouvrage Les Korrigan autour du monde, 1937, permet de visualiser l’intérieur de la case d’un autre fabricant de monnaies de plumes, avec son foyer nungo. Cette documentation sur les monnaies de plumes est complétée par le croquis no 25, pl. 30, déjà publié à plusieurs reprises41. Il représente une petite statuette dukna42 en situation, au milieu de vieilles monnaies de plumes surmontées de crânes humains, dans une maison des hommes

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Les îles de l’Amirauté et le Sépik

Île de Pak Après quatre jours de navigation depuis sa dernière escale à Rabaul, La Korrigane arrive, le 8 septembre 1935, à l’île de Pak, une des îles de l’Amirauté. Les Korrigans vont rester dans cet archipel une douzaine de jours, principalement dans sa partie est, afin d’y visiter des îles habitées par différentes communautés, comme les agriculteurs Usiaï ou les artisans Matankor. Dans le village de Haihai, Régine dessine (croquis no 59, pl. 70) les maisons circulaires couvertes de toits en forme de cloches réalisés en chaume de feuilles de palmier sagoutier car (Ohnemus 1998, 264-275 et fig. 385). Comme dans l’île de Rennell, les tatouages faciaux et les cicatrices corporelles des femmes l’intéressent : elle en reproduit quelques-uns dans son carnet (croquis no 60, pl. 71).

Île Manus, chez les Usiaï (village de Péri) Les Korrigans font escale du 9 au 11 septembre à Lorengau, le centre administratif de l’archipel sur la grande île Manus. En arrivant à Patusi (Batussi), Régine poursuit sa quête de tatouages dans le but de les reproduire, ainsi de ceux du visage d’une femme marqué de nombreux petits cercles représentant des fruits panhou (croquis no 61, pl. 72). Mais elle s’intéresse également aux formes des voiles des pirogues (nroll) et à leur balancier kiam (croquis no 62, pl. 73). Dans le village côtier de M’bunai, les Korrigans sont accueillis par le chef, Gizacup, qui leur fait visiter un marché situé non loin de là au bord d’une rivière (croquis no 68, pl. 80 et aquarelle). La découverte du village lacustre de Péri avec ses maisons sur pilotis impressionne et inspire beaucoup Régine qui reproduit plusieurs intérieurs de maison [foyer, étagères garnies de plats en bois, de poteries et de jarres à huile en vannerie (keng) recouvertes d’un enduit de noix de parinarium62 (croquis no 64 et 67, pl. 75 et 78)]. Le village de Péri ne comporte pas de chemin, car toutes les maisons sont construites sur pilotis ;


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Œuvres de Régine van den Broek inspirées par les croquis de son carnet de voyage 69. Une chambre claire est un appareil optique, breveté dès le début du XIXe siècle par William Wollaston. Elle permet de reporter exactement un sujet, un dessin ou une photographie sur une surface plane par superposition optique. 70. L’expédition de La Korrigane a rapporté de nombreux objets de l’île de Rennell, dont 57 se trouvent dans les réserves du musée du quai Branly. Cette collection de l’île de Rennell est l’une des plus importantes au monde. Jean Ratisbonne acheta également quelques objets dont un appuie-tête (unguna) qui a été acquis par le MQB. Cinq bâtons à chaux provenant de sa collection furent récemment vendus aux enchères (cf. catalogue de vente Rennes Enchères du lundi 20 février 2012, p. 13). À GAUCHE : Deux hommes dans un marché

de l’île Manus (îles de l’Amirauté), inspiré par une aquarelle sans numéro, pl. 83, 1935, craie grasse et encre, 44 × 31 cm. Femme des îles de l’Amirauté portant une coiffe dévolue aux veuves, inspiré par le croquis no 70, pl. 82, 1935, craie grasse, 44 × 27 cm. Homme Usiaï des îles Amirauté, inspiré par le croquis no 73, pl. 85, 1935, craie grasse, 35 × 26 cm. À DROITE : Vue partielle d’une aquarelle : Marché

dans l’île Manus, archipel de l’Amirauté, 1970, 24 × 21 cm (Coiffier 2014, 209). 27

Il existe, dans les archives de Régine van den Broek, plusieurs planches de dessins isolées reproduites à l’aide d’une chambre claire69. Il s’agit essentiellement de dessins de la région du fleuve Sépik en NouvelleGuinée : le portrait d’un homme avec coiffure et collier, le portrait d’une jeune fille portant une coiffe de pluie en vannerie (Coiffier 2014, 216) et la représentation de la partie supérieure de l’intérieur de la maison des hommes du village de Kaningara (cf. supra). Les croquis originaux de ces dessins se trouvaient peut-être initialement dans les dernières pages de son carnet de voyage. D’autre part, certains croquis de ce carnet agrandis plus tard à l’aide d’une chambre claire ont permis à Régine de réaliser des dessins à la sanguine. Il s’agit du no 39, pl. 43 représentant un jeune homme des îles Salomon portant un peigne dans sa chevelure (Coiffier 2001, 59), de quatre croquis montrant des habitants des îles de l’Amirauté ; d’un groupe d’hommes au marché (sans numéro), d’une femme debout dans une pirogue (no 69, pl. 81), du portrait d’une veuve portant coiffure (no 70, pl. 82), et d’un homme Usiaï avec un chignon (no 73, pl. 85). Le croquis d’un homme du Sépik (no 79, pl. 91) aurait pu lui servir de modèle pour la réalisation d’un portrait à la craie grasse. Les croquis (nos 49, 50, 52 et 56, pl. 50, 60, 62 et 65) ont servi de base à la réalisation de planches réunies en un petit dossier conservé dans les archives du muséum national d’Histoire naturelle. Celui-ci est constitué de quatre planches de dessins aquarellés représentant les tatouages d’un notable, le chef Saoba du village de Kunggawa, une femme noble d’âge mûr, autant de détails qui indiquent chez les hommes comme chez les femmes l’âge et le rang. L’homme porte autour de la taille un large pagne de tapa teint en orange avec de la poudre de curcuma et un bandeau, de la même facture, dans ses cheveux. Une note précise que les sept poissons sur sa poitrine ont été réalisés alors qu’il était devenu pubère tandis que les sept parallélogrammes sont la marque d’un homme adulte accompli. Chacun des motifs tatoués sur son corps est référencé par un

numéro qui correspond à son appellation locale. Une dernière planche (p. 22 et Coiffier 2014, 118) présente, dans le style des dessins de voyage du XIXe siècle, une série d’ustensiles : une lance sacrée70, des bâtons de notable, une pagaie, un casse-tête, un arc et un hameçon. Les noms vernaculaires de tous ces objets sont indiqués dans un index. Quelques photos, réalisées par Charles van den Broek, complètent ce dossier. Ces croquis ont également servi à illustrer un article publié dans le Journal de la Société des Océanistes (1947, 23-33). Ce sera d’ailleurs le seul écrit ethnographique de Régine van den Broek marchant sur les traces de sa sœur Solange de Ganay. Régine avait tout à fait conscience de l’intérêt que son travail pouvait représenter : « Je sais que, de mon côté, les renseignements sont loin d’être complets, néanmoins, étant donné la difficulté qu’il y a à atteindre et surtout à séjourner à Rennell, je pense que chaque document scientifique concernant ces indigènes contribue à les mieux faire connaître » (RvdB 1947, 24).


À GAUCHE : Régine van den Broek d’Obrenan

avec le perroquet Lorito, lors du voyage de La Korrigane (1934-1936), photographie extraite du New Zealand Observer, 10 janvier 1935 (Archives famille Ganay).

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Les croquis de ce carnet de voyage constituent des témoignages au sujet d’îles peu connues de l’océan Pacifique recueillis lors d’une époque désormais révolue. Les notes qui les accompagnent complètent les informations qu’ils apportent. Régine van den Broek ne disposait, le plus souvent, que de très peu de temps pour travailler, si bien qu’elle s’est parfois contentée de faire des esquisses qui ont le mérite d’exister. Cette circumnavigation de près de deux ans (en ce qui concerne Régine) sur un yacht d’une trentaine de mètres représentait, encore à la fin des années 1930, un exploit peu banal, particulièrement pour une femme. Elle a permis aux Korrigans de visiter de nombreux pays, de rencontrer et d’observer des peuples peu connus des Européens, ainsi que de nombreuses personnalités et artistes. Ils ont rapporté de ce voyage une moisson d’informations, d’objets, de photographies, de films et de croquis. Cette expédition fut pour tous ses participants une sorte de voyage initiatique qui leur laissera des traces indélébiles jusqu’à la fin de leurs jours. Tous furent totalement transformés par ce qu’ils avaient vécu et vu comme peuvent encore en témoigner leurs enfants (Coiffier 2014, 148 et 149). Cet ouvrage est destiné à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire et aux arts des archipels mélanésiens. En 1998, Régine confia à l’auteur ceci : « Nous avons été très déçus des réactions de nos amis à nos récits de voyages. Ils nous posaient des questions banales qui semblaient tout à fait stupides et c’était pénible de voir qu’ils n’avaient pas plus de réactions à tout ce que nous avions vu » (RvdB 1998).

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Carnet de croquis de Régine van den Broek d’Obrenan, réalisés durant l’expédition de La Korrigane aux Nouvelles-Hébrides, aux Salomon et aux îles de l’Amirauté [1934-1936]














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