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Jacqueline du Pasquier
Porcelaine à Bordeaux
1787-1790 Entre franc-maçonnerie et Révolution
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REMERCIEMENTS
Ma reconnaissance s’adresse tout particulièrement à Mme Marguerite Stahl, conservatrice honoraire du musée des Beaux-Arts de Libourne, chercheuse infatigable et généreuse qui m’a ouvert sa bibliothèque ; sa connaissance approfondie des archives de la Société archéologique et de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux m’a été précieuse et m’a considérablement aidée. Je remercie Mme Claude Mandraut qui, une fois de plus, a mis à ma disposition son talent de photographe, Mme Séverine Pacteau de Luze, historienne du protestantisme à Bordeaux, et M. Jean-Pierre Hiéret, conservateur en chef honoraire au musée d’Aquitaine et commissaire d’une riche exposition sur la franc-maçonnerie m’ont fait bénéficier de leurs connaissances, je les remercie très chaleureusement.
C’est la découverte, que je dois à Maître Chantal Pescheteau Badin, de la toilette au rare décor de la Prise de la Bastille, qui m’a donné envie de revoir l’histoire brève mais intense de la manufacture des Terres de Bordes en Paludate. J’ai été particulièrement sensible à la compréhension des collectionneurs qui, tout en désirant garder l’anonymat, m’ont témoigné leur confiance en laissant photographier leurs plus belles pièces ; M. Antoine d’Albis, qui fut le chimiste en chef, si savant, de la manufacture de Sèvres, et demeure l’un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de la porcelaine a, dans la préface qu’il a bien voulu m’accorder, précisé, complément indispensable de ce que livraient les archives, ce que furent les problèmes de cuisson de la porcelaine ; M. Yannick Le Barazer, descendant de familles bordelaises et gardien attentif de leur souvenir, m’a permis de publier les belles miniatures, doublement intéressantes pour moi, du député girondin Jean-François Ducos et de son épouse Agathe Lavaud ; M. Yves Bonnafé a eu la grande obligeance de m’autoriser à reproduire le tableau réunissant les membres de la famille de son ancêtre François Bonnaffé, qu’ils trouvent ici mes remerciements les plus vifs et les plus sincères.
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À Bordeaux, M. Julien Duché de Vasari Auction, M. Pierre Barraud, M. Frédéric Laux, directeur des archives Bordeaux Métropole ; M. François Hubert, directeur du musée d’Aquitaine et Mme Odile Biller, responsable de la photothèque ; au musée des Beaux-Arts, M. Serge Fernandez, chargé du service photographique ; au musée des Arts décoratifs et du Design, la directrice, Mme Constance Rubini, Mme Delphine Delmarès, chargée de la bibliothèque, et tout particulièrement pour leur inlassable obligeance, Mme Valérie de Raignac, chargée des collections et Mme Nathalie Paternotte, secrétaire administrative.
Il m’est agréable de témoigner ma reconnaissance à toutes celles et ceux qui m’ont aidée à divers titres : à la Cité de la céramique de Sèvres, Mmes Sylvie Perrin de la Direction du développement culturel et Coralie Coscino, responsable du service des relations documentaires, Pauline Michaud et Miriam Lowenstamm qui ont su retrouver des numéros d’inventaire et le précieux Tailleur de pierre de Michel Vanier, et, sans oublier bien sûr, l’obligeance de M. Denis Bernat, de M. Jean-François Ferrere et de Mme Françoise Wirotius, toujours si attentive à rendre service. À Limoges, Mme Céline Paul, directrice du musée Adrien Dubouché, M. Thomas Hirat, conservateur du musée du Four des Casseaux. À Rouen, M. Diderick Bakhuys, conservateur au musée des Beaux-Arts ; au musée Carnavalet, M. José de Los Llanos et M. Philippe de Carbonnières qui m’a notamment fait découvrir les dessins de Jean-Louis Prieur et les gravures de Janinet et dont l’érudition m’a beaucoup éclairée.
Ma reconnaissance s’adresse également à ceux et celles qui m’ont judicieusement conseillée, Mmes Tamara Préaud, Régine de Plinval de Guillebon et Nathalie Lemoine Bouchard, M. le Professeur Jean-Pierre Poussou, MM. Christian Béalu et Jean-François Gassineau. Enfin, je ne saurais oublier Mme Lysiane Gauthier, photographe des musées de Bordeaux à qui j’ai si souvent eu recours, ni Mme Véronique Ageorges. Il est toujours indispensable de pouvoir solliciter des avis, même lorsqu’il s’agit d’un modeste texte, et je remercie très affectueusement Jeannine Geyssant et Judith Du Pasquier pour leurs clairvoyantes observations.
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À la mémoire de Jacques Calvet et de Camille Rousseau, collectionneurs avertis et de grand goût, qui m’ont révélé la qualité et le charme de la porcelaine de Bordeaux.
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SOMMAIRE 9 16
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Préface
104
« Bordeaux est, sans contredit la plus belle ville de France »
116
Une ville des Lumières 120
Singularité des arts
130
Porcelaine et faïence fine détrônent la faïence stannifère Apparition de la porcelaine à Bordeaux La manufacture des Terres de Bordes en Paludate
L’avocat et la porcelaine
« ... on y fait de la porcelaine magnifique » A l’usage de « la douceur de vivre » La franc-maçonnerie est passée par là...
134
De l’or et des fleurs
142
1788, la Révolution en marche
148
Célébration du 14 juillet
156
Arrivée de Michel Vanier à Bordeaux
« Il y a du zèle et de l’ordre dans la manufacture... »
« Tout le monde a la cocarde ; il est même imprudent de ne pas en avoir... »
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Glossaire
170
Bibliographie
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« BORDEAUX EST, SANS CONTREDIT, LA PLUS BELLE VILLE DE FRANCE »
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Porcelaine de Bordeaux Antoine d’Albis
Ancien chimiste en chef de la Manufacture de Sèvres
I
ls sont nombreux les conservateurs de musées qui, dès qu’ils ont quitté l’institution dans laquelle ils ont passé la plus grande partie de leur vie, disparaissent en une anonyme retraite. Ils laissent le plus souvent un musée dans le même
état qui était celui dans lequel ils l’avaient trouvé, ou pire, ils l’ont fait soigneusement dénaturer par quelque orgueilleux architecte, essentiellement soucieux de laisser sa propre empreinte, contredisant ainsi le caractère de l’édifice qui à l’origine abritait les collections. Ce n’est pas le cas de Jacqueline du Pasquier. Elle n’a cessé durant sa longue
carrière de directeur du musée des Arts décoratifs de Bordeaux, abrité dans l’hôtel de Lalande, l’un des plus beaux palais du XVIIIe siècle de cette ville, de réparer, d’enrichir, d’acquérir et de faire connaître les arts du Sud-Ouest de la France. Elle s’est comportée comme si elle en avait été la propriétaire, mécène, érudite, collectionneuse, fière de sa région et désireuse d’en faire connaître la culture. Ses publications sont innombrables et variées. Elles traitent de l’orfèvrerie, du meuble, de la miniature, de la faïence, en un mot, de tout ce qui a trait à la décoration, au plaisir des yeux et surtout à ce qui, à chaque époque, a constitué l’ensemble des délicates et sensibles règles de l’art de vivre. Cela fait au moins quinze années qu’elle a quitté la direction de l’hôtel de Lalande. Outre avoir publié depuis quatre ou cinq ouvrages et avoir dirigé avec un remarquable talent et pendant toutes ces années la revue Sèvres, voici qu’elle nous propose aujourd’hui, fidèle à ses engagements d’une vie, un ouvrage sur la porcelaine de Bordeaux.
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ÂŤ Bordeaux est, sans contredit, la plus belle ville de France Âť
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I
mportante cité portuaire et marchande,
du roi depuis 1709, qui écrivait au contrôleur
Bordeaux, tournée vers la rivière – c’est ainsi que
général Le Pelletier, en arrivant à Bordeaux : « Je
l’on y désignait la large et limoneuse Garonne –
vous avoueray, Monseigneur, que je n’ay jamais
émerveille par son étonnante beauté architecturale
veu un aussi beau coup d’œil et un si grand spec-
et son harmonieux classicisme. La présence forte
tacle que ce port ; il mérite bien de faire quelque
et prépondérante, au XVIIIe siècle, des représen-
chose qui soit recommandable à la postérité 3. »
tants de l’État, les intendants, notamment Claude
« Première place ouverte dans l’histoire de l’ur-
Boucher, présent à Bordeaux de 1720 à 1743, et
banisme français […] et seule place maritime de
Louis Urbain de Tourny, de 1743 à 1757, contri-
France », comme l’a justement souligné Jean-
bue à modeler sa physionomie, non sans se heurter
Paul Avisseau 4. Splendide par son architecture
à de tenaces résistances locales, notamment la
et sa décoration sculptée, elle ne sera achevée
Jurade et le Parlement, jaloux de leurs préroga-
qu’en 1755, grâce à Jacques-Ange Gabriel, fils
tives et hostiles aux bouleversements imposés par
de Jacques V, sous l’intendance du marquis de
le pouvoir royal et aux dépenses qui en résultent.
Tourny. Désormais amputée de son avancée jusqu’à la rivière, qui en faisait toute sa singula-
Bordeaux et sa proche région connaissent à la
rité, et privée de la statue équestre de Louis XV,
fin du XVIII siècle une grande expansion. La ville
superbe monument sculpté par les Lemoyne, père
double sa surface et ses environs se couvrent
et fils, sur un piédestal de marbre façonné par
de chartreuses et de châteaux entourés de leurs
Clair-Claude Francin, déboulonnée au moment
terres viticoles.
de la Révolution, la place Royale est aujourd’hui
e
la place de la Bourse. C’est également à Tourny C’est à Claude Boucher que l’on doit la place
que reviennent l’admirable façade des quais,
Royale, œuvre de Jacques V Gabriel, architecte
l’édification des portes ainsi que « l’aménagement
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Une ville des Lumières
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S
i l’on vit fastueusement à Bordeaux, comme
de grands pouvoirs administratifs et judiciaires
dans une capitale, sa position excentrée et
et, très tôt, se faisant le défenseur des intérêts
loin de Paris lui permet de préserver, peut-
économiques et politiques de la cité, il est capable
être mieux qu’ailleurs, ses traditions et sa person-
de s’opposer au gouvernement. En retour, la
nalité, c’est-à-dire une indépendance culturelle
popularité du Parlement est importante, ainsi
dont elle est fière et qu’elle revendique. Il faut ici
que le révèle la liesse des Bordelais fêtant, après
laisser la parole une fois encore à Montesquieu,
leur exil dû à la politique de Maupeou, le retour
écrivant à un de ses amis : « Je voudrais bien
du premier président Leberthon et de l’avocat
vous tenir tous deux dans la terre de Brède, et
général Dupaty, en 1775, ainsi que la rentrée
là y avoir de ces conversations que l’inertie et la
triomphale du Parlement et de son président
folie de Paris rendent rares […]. Je n’ai pas un
Leberthon, le 20 octobre 1788. Le Parlement
sou pour aller dans cette ville qui dévore les pro-
s’étant opposé à la création des assemblées pro-
vinces, et que l’on prétend donner des plaisirs,
vinciales décidées par l’édit de juin 1787, consi-
parce qu’elle fait oublier la vie 19. »
dérées comme du « despotisme », des lettres de
Les négociants et les armateurs représentent,
cachet l’avaient exilé à Libourne. Ce dernier
certes, l’élite économique du port. La chambre
épisode fut considéré comme un élément de la
de commerce a été créée en 1705, mais le prestige
pré-Révolution bordelaise 20. Le décret de sup-
social de Bordeaux tient d’abord à son admi-
pression des Parlements sera promulgué le 6 sep-
nistration et à son barreau ainsi qu’à son inten-
tembre 1790, après 328 ans d’existence.
dance. Et surtout à son Parlement, quatrième Parlement du royaume, couvrant un très vaste
Bordeaux est aussi, durant ce XVIIIe siècle qui lui
territoire comprenant la Saintonge, le Limousin,
fut si prospère et brillant, la ville des Lumières
les Landes, le Labourd. Créé en 1462, il dispose
où, en 1745, avant même l’impression de son
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SingularitĂŠ des arts
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Q
uelle est la place des beaux-arts dans cette ville superbement édifiée et bouillonnante d’idées nouvelles ?
En juin 1768, quelques artistes, à l’initiative du peintre Batanchon, du graveur en médailles et pierres fines André Lavau et de l’avocat à la Cour des aides, Douat, se réunissent pour fonder une Académie royale de peinture, sculpture, architecture civile et navale, placée sous la protection des jurats, venant à la suite de quelques tentatives dans ce sens qui n’aboutirent pas réellement. Cette nouvelle académie avait pour but un enseignement sérieux des beaux-arts mais, malgré un Salon qui, se réunissant chaque année André-François Leberthon, vicomte de Virelade Huile sur bois, 21 x 17,5 cm, attribuée par Robert Mesuret à Pierre Lacour Musée des Arts décoratifs et du Design, inv. 58.1.971
entre 1771 et 1787, aurait dû stimuler la création artistique, la peinture n’y connaît pas le même éclat que l’architecture et l’on se souvient du jugement sévère et peut-être excessif du peintre
Issu d’une dynastie de parlementaires, son père et son frère furent, l’un et l’autre, premier président au Parlement de Bordeaux ; lui-même étant président de la grand’chambre du Parlement de Bordeaux en 1777. Lacour le représente dans l’intimité de son appartement, vêtu d’une longue veste d’intérieur, jouant de la mandoline et s’apprêtant à déguster son thé ou son chocolat, ainsi que le révèle le haut gobelet en porcelaine de Chine posé sur un guéridon à côté de lui.
Jean-Baptiste Pierre, directeur de l’Académie royale de Paris, qui déclare en 1778 que les académiciens bordelais sont « des artistes au-dessous du médiocre ». Le retour à Bordeaux de Pierre Lacour, en 1774, après son passage à Rome, va
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Porcelaine et faïence fine
détrônent la faïence stannifère
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S
ur cette offensive de la porcelaine à l’encontre de la faïence, Ernest Labadie publie dans les pièces justificatives de son ouvrage
Lettres sur la céramique 39, une curieuse lettre du président au Parlement, Antoine-Alexandre de Gascq, adressée à M. d’Arche, premier jurat de Bordeaux, datée du 26 novembre 1769 : « Le
Rafraîchissoir à bouteilles du service dit « au cartus » H. 23,5 ; l. 34 cm Provenant de la manufacture royale de Hustin Musée des Arts décoratifs et du Design, dation 1978
Bordelais est trop réprobateur de nouveautés, aucun n’a de vues politiques […]. Il y a quarante ans que celuy qui a etably en Saxe la manufac-
La manufacture de Hustin s’est très vite spécialisée dans la fabrication des services de table, production très demandée dans le riche milieu négociant de Bordeaux, où se pratiquait une fastueuse hospitalité ; le cas sera semblable pour la manufacture de porcelaine des Terres de Bordes. Le service le plus abondant et le plus souvent renouvelé, sous différents styles, fut commandé par la Chartreuse de Bordeaux, service « essentiellement bordelais » (Méaudre de la Pouyade), puisque grâce à l’inscription « Cartus. Burdig. » pour « Cartusia Burdigalensis » présente sur chaque pièce, on peut être sûr de l’origine de ce service, ce qui, dans le cadre d’une production à peu près totalement anonyme, est assez remarquable. Ici, l’inscription souligne, timbrés d’une couronne de marquis, les armoiries et les attributs des fondateurs de la Chartreuse, l’archevêque François de Sourdis et la famille parlementaire des Gascq. À gauche : les attributs de l’archevêque, chapeau cardinalice, camail et croix pastorale, à droite ceux des parlementaires : mortier, manteau d’hermine et main de justice. Il est étonnant qu’Antoine-Alexandre de Gascq, tout à son mépris à l’égard de Jacques Hustin, n’ait même pas voulu faire référence à ce service si original, en partie commandé par sa famille.
ture de porcelaine voulut l’établir auparavant à Bordeaux. Les jurats de ce temps-là traitèrent cet homme comme le valet du tambourineur, par complaisance pour M. Ustin [sic] qui faisait des pots de chambre en fayance et qui avait de la jalousie de ce particulier qui enrichit la ville de Dresde. » Pour commencer, ce mépris à l’encontre de la Manufacture royale de Bordeaux est totalement injustifié, Jacques Hustin ayant précisément apporté, dans les années 1720 incriminées par le parlementaire, le meilleur de sa production avec de belles et monumentales fontaines d’appartement et de grands pots d’ornement
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PORCELAINE ET FAÏENCE FINE DÉTRÔNENT LA FAÏENCE STANNIFÈRE
Grande fontaine en faïence stannifère, réalisée entre 1715 et 1720, provenant de la manufacture royale de Jacques Hustin H. 60 cm Ancienne collection Desmaisons-Dupallans, achat du musée des Arts décoratifs en 1978 Exceptionnelle dans la production bordelaise par ses dimensions imposantes et son décor raffiné où l’on sent, à travers l’influence de Nevers combinée à celle de Moustiers, le talent d’un peintre connaissant les gravures d’ornements. Le motif des figures féminines, soulignées de draperies dans une frise de rinceaux, est directement inspiré d’une gravure de Paul Androuet du Cerceau et le buffet d’eau qu’encadrent une Néréide, un triton et des dauphins rappelle une composition de Charles Lebrun. Techniquement, la pièce n’est pas parfaite, l’émail terne et légèrement grumeleux en est très irrégulièrement réparti. Mais devant cette pièce néanmoins superbe, la référence d’Antoine-Alexandre de Gascq aux « pots de chambre » fabriqués par Hustin révèle une totale méconnaissance de cette production.
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PORCELAINE ET FAÏENCE FINE DÉTRÔNENT LA FAÏENCE STANNIFÈRE
Plat en porcelaine de Chine Période Yongzheng, vers 1730 D. 28 cm Aux armes de la famille Baritault de Lourmières ou de Soulignac Province d’origine : Guyenne Armes d’azur (ici d’or) à l’aigle bicéphale d’argent (ici de gueule) le vol éployé. Support : deux lions d’or Collection particulière Service commandé soit pour Jean de Baritault (né en 1701), seigneur de Lourmières, marié à Jeanne Ursule de Lalanne, fille de Pierre de Lalanne, président au Parlement de Bordeaux, et de Marie-Thérèse de Gères ; soit pour Geoffroy-Jean-Joseph de Baritault, né en 1706, seigneur de Soulignac, marié en 1739 à Thérèse de Malvin de Montazet, fille du marquis de Montazet et de Geneviève de Robillard. (Voir Antoine Lebel, Armoiries françaises et suisses sur la porcelaine de Chine, Bruxelles, 2009.) Bel exemple des nombreuses commandes de porcelaine qui étaient faites en Chine, avant la création en France de la porcelaine en pâte dure et qui concurrencèrent, à Bordeaux, la faïence stannifère.
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« BORDEAUX EST, SANS CONTREDIT, LA PLUS BELLE VILLE DE FRANCE »
Apparition de la porcelaine à Bordeaux
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la fin du siècle, la porcelaine, quoique concurrencée par la faïence fine, connaît un succès grandissant, supplantant dans
la maison la faïence et même l’orfèvrerie, devenue rare durant les années de la Révolution et plus qu’à aucun autre moment, portée alors à la fonte. Un très intéressant inventaire établi le 22 ventôse, an II de la République, 29 rue Huguerie, dans la maison de la citoyenne veuve La Chapelle 57, révèle jusque dans ses moindres détails toute l’organisation et l’ameublement de cette demeure dont nous retenons entre autres, dans la salle à manger, un placard « vis-à-vis la cheminée » rempli d’une quantité extraordinaire de vaisselle de faïence, « 20 solitaires en faïence tant bons que mauvais, 33 plats ovales, 17 plats ronds, 5 com-
potiers », mais surtout de porcelaine « blanche à bouquets dorés sur tranche, 127 assiettes, deux Pot à sucre couvert H. 11 cm Collection particulière
douzaines d’assiettes à soupe, une quarantaine de plats de diverses grandeurs et destinations ». La désignation « blanche à bouquets dorés sur
À décor, d’un côté et de l’autre, sur le pot et sur son couvercle, de paysages sertis dans un médaillon. Pittoresque de l’architecture et poésie du bord de l’eau, dus peut-être au peintre Joseph. Marque de Verneuilh.
tranche » révèle qu’il s’agit bien de porcelaine européenne et vraisemblablement fabriquée à la
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APPARITION DE LA PORCELAINE À BORDEAUX
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APPARITION DE LA PORCELAINE À BORDEAUX
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« BORDEAUX EST, SANS CONTREDIT, LA PLUS BELLE VILLE DE FRANCE »
La manufacture des Terres de Bordes en Paludate
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elon la législation de l’époque concernant les établissements de ce genre, cette manufacture doit être située hors les murs de la ville.
Or, tout à côté de Bègles où les Verneuilh possèdent un bourdieu 62, il existe dans le faubourg de Sainte-Croix un vaste terrain, dépendant d’un certain château de Bordes, propriété d’ÉtiennePierre Maignol de Bordes. Cette propriété, située non loin de l’hôpital des enfants trouvés, fondé
Pot à eau chaude H. 26 cm Bordeaux, musée des Arts décoratifs et du Design, dation 1978
en 1634, est placée entre la Garonne et le pont du Guit qui franchit l’estey de Bègles, dans un
Verseur en forme de culot, avec couvercle bombé à charnière en bronze doré, prise en pomme dorée avec tige et feuille. Le décor polychrome et or inspiré de Salembier est particulièrement abondant et touffu. Marque dorée de Verneuilh.
quartier, appelé en raison de sa proximité de l’eau et de ses terres marécageuses, Paludate. Le château de Bordes a été séparé en 1760 de ses dépendances par le percement d’un chemin, la rue des Terres de Bordes, traversant tout le
époque, un certain Duglerdayne afferme une des
terrain en ligne droite jusqu’aux berges de la
dépendances du château des Terres de Bordes
Garonne. L’eau nécessaire à l’alimentation des
pour y installer une manufacture d’indiennes, en
meules, destinées à broyer la pâte de la porcelaine,
raison précisément de la commodité du lieu. Les
peut être puisée dans l’estey et, toute proche, la
Verneuilh vont affermer le château des Terres
Garonne est la voie de communication idéale
de Bordes pour le transformer en manufacture
pour le transport des porcelaines. L’emplacement
de porcelaine et la location est conclue au mois
ne peut être meilleur. À peu près à la même
de juin 1781 63.
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LA MANUFACTURE DES TERRES DE BORDES EN PALUDATE
Assiette D. 22 cm Collection particulière À l’aile un décor de galon rayé, au centre bouquet floral, peut-être peint par Grenier, spécialisé dans la peinture des « roses, bouquets, barbeaux », marque au deux « V ».
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« BORDEAUX EST, SANS CONTREDIT, LA PLUS BELLE VILLE DE FRANCE »
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Arrivée de Michel Vanier à Bordeaux
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st-ce Alluaud qui provoque la rencontre entre les Verneuilh et Vanier ? Quoiqu’il n’en existe aucune preuve, il est tentant de
l’imaginer, étant donné l’entregent d’Alluaud et les relations multiples qu’il entretient par correspondance dans le monde de la porcelaine où, par ailleurs l’inventif Vanier a dû se faire remarquer autant par ses intéressants « secrets » que pour la manière un peu désinvolte dont il les négocie, mais dans cette période de découvertes et de Sucrier H. 16 cm Collection particulière
rivalités des premiers temps de la porcelaine, il n’est certainement pas le seul à agir ainsi… En tout cas, le 29 juillet 1787, un contrat est passé
Dit encore pot à sucre, couvercle légèrement conique avec anneaux latéraux incorporés, à la marque de Verneuilh.
entre les Verneuilh et Michel Vanier, contrat qui, malheureusement, n’a pas été retrouvé mais dont on comprend bien les clauses, grâce à ce qu’en
« V » dorés, rarement rouges. C’est donc à partir
dit Vanier dans une lettre qu’il adresse à Alluaud,
de cette époque que l’on peut dater avec certitude
le 10 novembre suivant 74. Ainsi apprend-on que
la belle production ainsi marquée.
les Verneuilh louent à Vanier la manufacture
Dans le même temps, Vanier se réserve une par-
des Terres de Bordes en échange de pièces de
tie de sa fabrication qu’il fait décorer, lui aussi,
porcelaine blanche que celui-ci fabrique avec des
peut-être par les mêmes peintres, ce qui explique
« terres » venues de Limoges. Les Verneuilh les
la similitude de pièces décorées, différemment
font décorer et y apposent leur marque : deux
marquées.
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ARRIVÉE DE MICHEL VANIER À BORDEAUX
Assiette à la marque de Verneuilh Collection particulière
Vanier lui répond le 1er décembre : « J’ai défourné
Comme sur l’assiette aux jonquilles, le naturalisme de la touffe de fraises de jardin est mis en valeur par un galon à fond jaune et décor stylisé, sur l’aile.
gré. Vos échantillons ont bien réussi, soyez tran-
ma première fournée de biscuit, elle a été à mon quille de la réussite de mes fournées. Je n’ai jamais été inquiet pour cet article. » Et l’on sent ici le vrai professionnel sûr de sa compétence. Le coup d’envoi de la manufacture est donné.
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« BORDEAUX EST, SANS CONTREDIT, LA PLUS BELLE VILLE DE FRANCE »
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« BORDEAUX EST, SANS CONTREDIT, LA PLUS BELLE VILLE DE FRANCE »
L’avocat et la porcelaine
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u nom de Vergniaud est toujours associé, avant tout et presque exclusivement, son grand talent oratoire, « il s’illuminait
d’éloquence », écrira Lamartine, et ce don sera toujours reconnu, même de la part de ceux qui furent les plus sévères à son égard. « Homme pur
Toilette comprenant un pot au large déversoir, d’une ligne élégante et une jatte ovale H. du pot : 21 cm ; L. du bassin : 26 cm. Marque de Verneuilh. Collection particulière
au mérite distingué », reconnaît Condorcet et Michelet, un peu plus tard, insistera à plusieurs reprises sur ses qualités de cœur, en le décrivant
Décor doré au motif de « l’œil de perdrix » et rinceaux entourant un médaillon présentant un paysage sous le bec verseur.
« noble de nature […] et d’une âme profondément humaine ». Mais Lamartine parlera d’un « génie malheureusement indolent » et Jean-Denis Bredin
évoque dans son Histoire de la Révolution fran-
constate lui aussi qu’il est jugé paresseux et, en
çaise, pour raconter « l’arrivée des Girondins » :
tout cas, « demeure mal connu, parmi les grands
« Un témoin fort respectable, nullement enthou-
acteurs de la Révolution » 83. Pourtant, Bordeaux,
siaste, Allemand de naissance, diplomate pendant
berceau du parti des Girondins, Vergniaud en
cinquante ans, M. de Reinhart, nous a raconté
tête, va jouer un rôle déterminant dans les pre-
qu’en septembre 91, il était venu de Bordeaux
miers temps de la Révolution et François Furet
à Paris par une voiture publique qui amenait les
et Mona Ozouf rappellent que « les Girondins
Girondins. C’étaient les Vergniaud, les Guadet,
ont été les premiers acteurs de la Révolution à
les Gensonné, les Ducos, les Fonfrède, etc., la
avoir risqué le mot de république ».
fameuse pléiade en qui se personnifia le génie de
Devant ces appréciations contrastées, il est inté-
la nouvelle Assemblée. L’Allemand fort cultivé,
ressant de se reporter à un souvenir que Michelet
très instruit des choses des hommes, observait
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« BORDEAUX EST, SANS CONTREDIT, LA PLUS BELLE VILLE DE FRANCE »
« Il y a du zèle et de l’ordre dans la manufacture… »
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I
mmédiatement après le contrat du 29 juillet 1787 passé entre les Verneuilh et Vanier, on assiste à la mise en place de la société et
du nouveau matériel, notamment les fours, et le travail de mise au point commence très vite, dès le mois d’août. Le 15 octobre 1787, Vanier écrit à Alluaud : « Pour l’instant où je mets une main à vous répondre, l’autre est occupée à allumer le four pour la première fournée d’émail […] le mois de mars approche, il est temps de mettre toute l’activité pour se faire connaître à la foire. » « Les foires de mars et octobre durent quinze jours, elles étaient franches, les marchands ne payaient ni droit d’entrée ni droit de sortie, selon l’Almanach royal de 1787, elles se tenaient place Royale, à l’intérieur de la Bourse, dont la cour n’était pas couverte 97. »
Mais c’est 1788 qui est l’année décisive, grande période de créativité et de relative prospérité et les rapports que Vergniaud adresse à son beaufrère sont enthousiastes : « J’allais voir hier matin M. Vanier. Il travaillait à force, le feu était au four. Il attend un ouvrier pour faire des assiettes.
Deux vues d’une bouilloire couverte à la base arrondie H. 22 cm Marque Alluaud et Vanier Bordeaux, musée des Arts décoratifs et du Design, inv. 2007.9.1 Manche en ébène ou bois noirci maintenu par des montants en cuivre joliment ajourés, fixés à leur base sur le corps de la bouilloire. Décor d’arabesques dorées et de bouquet champêtre. Cette très rare et belle pièce ingénieusement conçue, en apportant un supplément d’eau chaude à la dégustation du thé, est révélatrice de l’exigence de confort qui devait accompagner un service à collation. Il s’agit là d’une des jolies réussites de la manufacture des Terres de Bordes et il est juste qu’elle soit à la marque de Vanier.
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« … on y fait de la porcelaine magnifique »
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es historiens de la porcelaine, à commencer par Jacquemart 113, puis Chavagnac et Grollier 114, reconnaissent « la belle qualité
autant par la pâte que par le décor des produits
de la manufacture de Bordeaux […] qui ont une grande analogie avec ceux de Limoges et de Paris ». Toutefois, de manipulations répétées et d’une observation attentive, il se dégage de ces pièces, subtilement, certaines caractéristiques qui permettent de cerner et de définir un style.
Toilette comprenant un pot à l’eau couvert au court déversoir, et sa jatte oblongue Les bordures, y compris celle de l’anse, sont soulignées d’or et un charmant décor alternativement géométrique, de semis de brindilles dorées, de couronnes de fleurs et de rinceaux, scande la surface du pot à l’eau. Marque de Verneuilh.
D’abord la pâte de la porcelaine est très belle et sonore, parfaitement blanche et éclatante, ce que
liées à l’activité du port, bien entendu, et il est
l’on remarque bien sur les assiettes où le blanc
intéressant de rappeler que le faïencier Jacques
prédomine. « La porcelaine que nous avons sortie
Hustin, au temps de sa splendeur et ainsi qu’il
des fours est d’une blancheur sans égale », écrit
en avise son associé Bernard de la Molère, don-
Vanier à Alluaud, le 20 juillet 1788 115.
nait aussi un certain poids à ses assiettes en raison des commandes qu’il recevait d’au-delà des
Elle a aussi une robustesse et une dureté qui en
mers. La porcelaine se doit donc d’être robuste et
font, en plus des qualités de joliesse et de raffine-
Vergniaud, beaucoup plus attentif et connaisseur
ment de son décor, un produit d’usage facilement
qu’il ne veut bien le dire, en fait pertinemment la
exportable, et nous avons vu que Vanier, dans une
remarque à Alluaud, alors qu’il commence tout
lettre à Alluaud, fait état de services commandés
juste à s’intéresser de près au travail de Vanier :
pour l’Amérique et Saint-Domingue, commandes
« … Il [Vanier] a fait une fournée lundi ou mardi
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A l’usage de
« la douceur de vivre »
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S
i bref qu’ait été le temps de fonctionnement de la manufacture des Terres de Bordes, sa production semble avoir
été fort abondante et très diversifiée, preuve s’il en était besoin, que Michel Vanier fut un porcelainier inventif, très actif et de riche expérience, ayant su s’entourer d’artisans de qualité. En consultant les différents comptes rendus de fournées, on peut répertorier une grande variété de pièces, dont les noms se trouvent mentionnés dans les archives et le grand registre de ventes, ainsi que leurs dimensions données en pouces. Adaptée à toutes sortes d’usages, la porcelaine est présente partout dans la maison, salle à manger, salon et boudoir, chambre et toilette… À Bordeaux où règnent bien-vivre et convivialité, les services de table sont très demandés, ce qui fut le cas aussi avec la faïence. Il reste de ces services, essentiellement, une grande quantité
Compotier rond à bord lobé à la marque de Verneuilh D. 18 cm Collection particulière Où une fois encore un bouquet de barbeaux figure en bonne place, peut-être peint par Grenier dont c’était une des spécialités.
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La franc-maçonnerie
est passée par là…
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ans la correspondance échangée entre Alluaud et Vanier, la mention d’un biscuit Bélisaire aveugle revient fréquem-
ment. Il s’agit là d’un thème néoclassique, mis à la mode par le roman historique et philosophique de Jean-François Marmontel publié en 1767 et plus encore, sans doute, inspiré par le Bélisaire de Peyron de 1779 et par le Bélisaire demandant l’aumône de David daté de 1781, et la perte de ce biscuit est d’autant plus regrettable qu’il semble que Vanier y attachait de l’importance 118. Le seul biscuit qui subsiste aujourd’hui est un Tailleur de pierre, conservé au musée de Sèvres, et lui aussi incontestablement apprécié de son auteur, car il est signé en toutes lettres de son nom, « Vanier ». Cette signature très complète et inhabituelle du porcelainier pourrait révéler un intérêt particulier pour un sujet lui tenant très à cœur, d’autant plus que Paulette Venot signale que Vanier avait exécuté deux autres Tailleur de pierre réalisés, l’un à Orléans et l’autre à Valenciennes, « qui, précise-t-elle, n’ont rien
Le Tailleur de pierre, biscuit marqué à son revers, en creux, en toutes lettres « Vanier » H. 30 cm Sèvres, Cité de la céramique, inv. MNC 13 600 Coiffé d’un bicorne et ceint d’un tablier, à ses pieds, l’équerre et le compas, le jeune homme s’apprête à graver dans la pierre, dont on voit sur une face les symboles géométriques. Tout ici apparente cette statuette à la franc-maçonnerie.
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De l’or et des fleurs
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«
L
e tout devient de plus en plus à me donner satisfaction. L’or et les couleurs réussissent autant qu’on peut le
désirer 119. » Sur les inventaires des marchandises qui doivent être portées aux foires ou transportées dans les différents magasins, les décors sont, comme les formes le sont sur les comptes rendus de fournées, généralement très sommairement décrits, mais assez facilement identifiables. Les pièces sont « à fleurs parsemées », « à guirlandes de roses », « à barbot [sic] », « imitant les Indes », « à quartel [sic] d’oiseaux », « à trophées d’amour », « à mouches bleues »… Beaucoup de pièces de forme répondant à un usage bien précis ont, hélas, disparu ; en revanche, celles qui restent permettent de se faire une idée
Toilette comprenant un pot à l’eau à large déversoir et sa jatte ovale Pot H. 21,3 cm, jatte 28,7 x 20,4 cm Bordeaux, musée des Arts décoratifs et du Design, dation 1978 Décor polychrome et or d’un semis de fleurettes entourant un large médaillon, sur le corps du pot et au creux de la jatte, contenant un trophée d’amour surmonté de deux colombes, inspiré de l’ornemaniste Pierre Ranson, motif que l’on retrouve identique sous la signature de Verneuilh, comme c’est ici le cas, et sous celle d’Alluaud et Vanier. Marque dorée de Verneuilh sur les deux pièces.
de la richesse inventive du répertoire des peintres en porcelaine. Paulette Venot a retenu quelques noms de peintres ainsi que la spécialité de chacun d’eux, mais sans doute y en eut-il d’autres :
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1788, la Révolution en marche
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E
n 1788, la France est dans une situation cri-
Musée aux côtés des futurs députés girondins,
tique, ruinée en partie par l’aide financière
Vergniaud et Gensonné dont il partage le patrio-
apportée à la guerre d’Indépendance améri-
tisme révolutionnaire : « Bordeaux, écrit-il, avait
caine. Le mécontentement est grand dans tout le
joui depuis les premiers jours de la Révolution
pays. Après quatorze années de règne, Louis XVI
d’une renommée de patriotisme qui lui avait
décide de convoquer les états généraux.
acquis une certaine célébrité. On trouvait en effet parmi les habitants un amour plus vrai de
Durant cette même année 1788, qui fut un
la liberté qu’on ne devait s’y attendre dans une
moment de prospérité pour la manufacture des
grande ville commerçante, sous le gouverne-
Terres de Bordes, Bordeaux connaît les prémisses
ment d’une vieille monarchie. Les institutions
de la Révolution. De nombreux parlementaires
nouvelles y avaient été reçues avec enthousiasme
et négociants, de tendance libérale, ayant inté-
et sans le secours d’aucun moyen violent. […]
gré la culture des Lumières, nous l’avons vu,
L’esprit public y était bon 131. » Cet état d’esprit
souhaitent depuis quelque temps la réforme de
décrit par Furtado, fait d’enthousiasme mais
l’ordre ancien et, peu à peu, le peuple où la
aussi de modération, est celui-là même qui anime
misère est grande, à son tour, prendra conscience
les députés girondins, liés par une communauté
du renouveau annoncé et décidera de lutter pour
de vues issue d’une identité d’origine ou de situa-
une amélioration de sa condition.
tion sociale.
Une intéressante vue sur la situation de
Peu de temps après le retour dans sa ville
Bordeaux, à la veille de la Révolution, nous est
du Parlement exilé, le 20 octobre 1788, une
donnée par le négociant juif d’origine portu-
première assemblée se tient à Bordeaux le
gaise, Abraham Furtado 130, ayant fréquenté le
29 novembre 1788, pour élire les commissaires
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Célébration du 14 juillet
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L
e 17 juillet 1789, une lettre de Paul Nairac,
vus au milieu d’un camp, au milieu des enne-
membre de la toute nouvelle Constituante,
mis de la Nation. Oui, nous aurions essuyé des
adressée à son frère Élisée, informe les
catastrophes terribles, si l’opinion ne nous avait
Bordelais de la prise de la Bastille. Le contenu
pas autant soutenus 134. » Les Invalides étant le
de sa lettre est impressionnant et correspond
principal dépôt d’armes, au matin du 14 juillet,
à ce que révèlent quelques très beaux dessins
les Parisiens s’y rendent après leur passage au
de Jean-Louis Prieur, dépeignant l’insurrection
garde-meuble, la cachette des fusils est trouvée
parisienne durant les quelques jours qui précé-
(de quoi équiper 30 000 hommes) et 12 canons
dèrent et suivirent immédiatement le 14 juillet.
sont réquisitionnés 135.
De ces différents événements, retenons ceux évoqués par Nairac, l’Enlèvement des armes au
À Bordeaux, la situation ne revêt évidemment
garde-meuble le lundi 13 juillet, la Prise des armes
pas ce caractère dramatique. Michel Lhéritier,
aux Invalides dans la matinée du 14 juillet, la Prise
l’historien de la Révolution à Bordeaux le pré-
de la Bastille, sur laquelle nous reviendrons, et
cise : « À Bordeaux comme à Paris, tandis que les
l’Alerte de la nuit du 14 au 15 juillet 1789, qui
autorités délibèrent, le peuple agit. C’est par lui
montre le degré d’inquiétude qui règne alors
que la révolution bordelaise va s’opérer. Elle sera
dans la capitale et que l’on retrouve dans la rela-
d’ailleurs très pacifique. » Et il évoque la journée
tion qu’en fait Paul Nairac 133 : « Les troubles de
du 20 juillet 1789, « grand jour à Bordeaux »
Paris y ont causé les plus grands malheurs. Les
durant lequel « trente ou quarante mille per-
Invalides, la Bastille et les prisons ont été forcées
sonnes, convoquées par des placards manuscrits
et ces actes violents ont coûté la vie à un grand
[annonçant la prise de la Bastille] se trouvent
nombre de citoyens […]. Notre situation a été
assemblées au Jardin public […]. Tout le monde
affreuse depuis trois jours ; nous nous sommes
a la cocarde ; il est même imprudent de ne pas
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« Tout le monde a la cocarde ; il est même imprudent de ne pas en avoir… »
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es trois couleurs n’apparaissent pas que sur la porcelaine. Sur les portraits, le port de la cocarde est fréquent. Ainsi le portraitiste
attitré des négociants protestants et cosmopo-
lites, l’artiste suédois et protestant Wertmüller 147 peint deux fois le négociant Robert-Honoré Louvet 148, membre du Musée et de la loge de l’Amitié, puis de la Société des amis de la Liberté et de l’Égalité, arborant, en raison sans doute de cette appartenance, une importante cocarde. Jeune femme et ses enfants Aquarelle et gouache sur ivoire, D. 7,4 cm, signée et datée à droite sous le chapeau : Lacour f. l’an 2 de la Republique française Bordeaux, musée des Arts décoratifs et du Design, inv. 77.2.4
Quant aux femmes, elles sont souvent parées, en ces premiers mois si prometteurs de la Révolution, de coquelicots, de bleuets et de
La composition du petit groupe familial, installé dans un joli cadre arboré, peut-être aux environs de Bordeaux, semble le portrait idéal d’une famille de la fin du XVIIIe siècle, patriote comme le révèlent le costume aux trois couleurs de la République du garçonnet et, à droite, le bourdalou tricolore du chapeau renversé et rempli de fleurs. La scène se situe en septembre 1793, ce qui pourrait expliquer le visage un peu triste de la jeune femme, malgré la tendre présence des enfants, fatigue ou inquiétude liées aux incertitudes de l’époque. Dans les Notes et souvenirs d’un artiste octogénaire du fils Lacour, celui-ci évoque en quelques brèves phrases la position de son père, toute de diplomatie intelligente durant la Terreur, insistant plus particulièrement sur l’horreur que lui en inspirèrent les excès.
renoncules blanches, comme on peut le voir sur le portrait d’Henriette Nairac, nouant un bouquet tricolore. Portrait exécuté par Wertmüller encore, terminé très précisément le 12 juillet 1789. Henriette est d’une famille protestante, fille d’Élisée Nairac, consul de la Bourse et associé dans la maison de commerce de son frère aîné Paul, celui-là même qui annonce aux Bordelais la prise de la Bastille.
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Glossaire
Faïence stannifère
spécialement aménagé pour obtenir une chaleur
La poterie mate, issue de la terre cuite est faite
progressive, au moyen de moufles ou réver-
d’un mélange d’argile et de sable ; elle est recou-
bères. Ainsi, l’utilisation de l’or, du rouge et
verte d’un émail rendu blanc et opaque par la
de toute une gamme de couleurs vives et nuan-
présence de sels d’étain.
cées devient possible. Par ailleurs, le décor, qui
Selon la technique employée pour son décor,
peut être retouché, est plus élaboré ; autant
on parle de « faïence de grand feu » ou de
d’éléments qui apparentent alors la faïence à
« petit feu ». Pour la première, le décor à base
la porcelaine.
d’oxydes métalliques est posé sur l’émail cru,
Cette technique fut pratiquée par tous les grands
sans retouche possible, car l’émail est alors pul-
centres faïenciers français, à partir de la seconde
vérulent, et on cuit l’ensemble, émail et décor, à
moitié du XVIIIe siècle.
une température d’environ 900 °C. Cette tem-
Bordeaux fait exception à cette règle.
pérature élevée n’autorise qu’une polychromie limitée aux oxydes les plus résistants qui donnent
Faïence fine
des tons sourds, bleus du cobalt, vert olive du
Poterie composée d’une argile blanche et fine
cuivre, orange de l’antimoine, mauves ou bruns
dont l’aspect après la cuisson n’a pas besoin d’être
du manganèse. Ainsi est composée la palette
dissimulé sous un émail, aussi la recouvre-t-on
de la faïence fabriquée à Bordeaux, avec par-
d’un vernis transparent. Elle peut être colo-
fois, mais très rarement, à l’imitation de Rouen,
rée dans sa masse par l’adjonction d’autres
quelques touches de rouge brique du fer.
matières et recevoir un décor peint et imprimé.
On parle de « petit feu », lorsque le décor posé
Pratiquée d’abord en Angleterre, elle est intro-
sur l’émail préalablement cuit subit une cuis-
duite en France en 1740 et connaît un succès
son à température moins élevée et dans un four
grandissant.
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